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Ça n’était pourtant pas faute de précédents : l’affaire Alègre, celle d’Outreau et quelques autres auraient dû nous alerter. Mais, décidément, rien n’y fait : l’em- ballement médiatique démultiplié aujourd’hui par l’information diffusée en boucle et la mondialisation d’Internet a frappé une fois de plus. Alimenté par la politique, qui s’en nourrit, et l’appareil judiciaire, qui l’utilise, il a déjà provoqué d’immenses dégâts : sur un homme d’abord, sur la parole des vic- times ensuite, à commencer par celle des femmes, que l’on disait il y a quelques jours encore libérée et qui serait à nouveau mise en doute après les mensonges révélés à New York, sur un pays enfin, déjà traumatisé par une perte de repères et qui depuis un mois et demi est ballotté au gré des coups judiciaires, politiques et médiatiques plus ou moins sciemment organisés de part et d’autre de l’Atlantique. Dans l’affaire DSK, la violence de la justice américaine a donné le signal de départ mais, ensuite, que de décla- rations inutiles, d’images justifiées devenues injusti- fiables par leur répétition, d’enquêtes prétendument exhaustives démenties dès le lendemain. Qui est victime, qui est coupable dans l’affaire de la chambre 2806 ? Nous ne le saurons sans doute jamais. En revanche, depuis, ne sommes-nous pas devenus tous coupables ? À des titres divers et à différents degrés. À défaut d’éviter l’emballement, ayons au moins le courage de nous regarder en face. En espérant qu’un jour peut-être une affaire de cette nature servira de leçon. Le chiffre M ême John Grisham n’aurait pas imaginé un tel scénario, et c’est un euphémisme de dire que les primaires socialistes s’avè- rent de plus en plus compliquées. Ces primaires socialistes, qui voient s’af- fronter des candidats aux popularités oscillantes, et dont les différences idéo- logiques paraissent bien ténues, risquent plus que jamais de nous réserver de sin- gulières surprises. C’est dans ce contexte que s’inscrit la candidature certaine mais non déclarée de Nicolas Sarkozy. Plus impopulaire qu’aucun autre de ses prédécesseurs, il est en droit d’espérer que ce déficit de bonnes opinions ne se traduira pas en vote contraire, le jour venu. G8, G20, nouvelle communica- tion, discrétion et apparent recul, tout est fait pour redresser une image prési- dentielle encore bien écornée. Difficile, à neuf mois de l’élection, d’imaginer ce qui finalement servira ou nuira au Pré- sident, mais la campagne, à coup sûr, recélera suffisamment d’imprévus pour que les dés roulent encore de longs mois. Les jeux ne sont pas faits. Ni à gauche, où le futur candidat PS devra faire oublier les blessures inévitables provoquées par les primaires et l’im- pensable affaire DSK, ni à droite, où Nicolas Sarkozy, mieux que personne, sait que le sortant ne gagne pas sur un bilan mais sur un projet en s’appuyant sur un camp rassemblé. Pour le projet, il faudra attendre le début de l’année pro- chaine, quant au camp rassemblé, mal- gré l’énième remaniement annoncé la semaine dernière, tout dépendra du bon vouloir de Jean-Louis Borloo, Domi- nique de Villepin, Christine Boutin, sans oublier François Bayrou et peut-être quelques autres. Nicolas Sarkozy pense que, de tous ceux-là, il ne fera qu’une bou- chée. Comme ce fut le cas en 2007. La véri- té c’est que dans chacun des camps et jus- qu’au 22 avril prochain, on aura de bonnes raisons d’y croire. Et c’est tant mieux pour une démocratie qui aujourd’hui ne sait plus où donner de la tête. R.N. > Lire p. 2 à 8 et 23 NUMÉRO 415 — MERCREDI 6 JUILLET 2011 — 1,30 ¤ Éditorial Robert Namias Directeur de la publication : Bruno Pelletier Directeur : Robert Namias JULIETTE BOUDRE JACQUES DEMARTHON/AFP DR 2012 : Odyssée d’une présidentielle Après la libération sur parole de DSK lhemicycle.com Stéphane Rozès P. 2 Cynthia Fleury P. 3 JOËL SAGET/AFP STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP Au sommaire Plan large : Frémissement aux Quatre Colonnes : Sarkozy à la hausse par Béatrice Houchard >P. 4 Initiatives : le plan emploi de la région Auvergne >P. 10 Entretien avec Hervé Novelli >P. 11 L’invité des petits déjeuners Mazars-l’Hémicycle : Jérôme Cahuzac >P. 12-13 Rencontre avec Jean-Christophe Lagarde >P. 14 À distance : l’exploitation du gaz de schiste interdite : Jean-Louis Caffier >P. 20 2.0 : Sur le Web : l’exception culturelle moribonde >P. 22 LIONEL BONAVENTURE/AFP C’est l’augmentation de la dette publique française au cours du premier trimestre 2011. Cette dette s’élevait à 1 646,1 milliards début avril 2011, soit « approximativement » 84,5 % du PIB, selon l’Insee. Au premier trimestre, c’est la dette de l’État, en hausse de 41,5 milliards, et celle des administrations de sécurité sociale (ASSO), en augmentation de 20,6 milliards, qui font grimper la dette publique. Pepy, cheminot et patron Guillaume Pepy a le train dans le sang et une passion : son entreprise. Avec un triple objectif : la moderniser, la faire entrer dans un univers de concurrence et répondre aux exigences légitimes des usagers-clients. > Lire p. 16 Attention expropriation ! Le Conservatoire du littoral, présidé par Jérôme Bignon, souhaite acquérir la dune du Pilat : il vient de lancer une enquête d’utilité publique qui pourrait déboucher sur de nombreuses expropriations. > Lire p. 18 et 19 XAVIER LEOTY/AFP Des think tanks par dizaines Mode ou nécessité, ces groupes de réflexion à l’image de Terra Nova, présidé par Olivier Ferrand, se multiplient à droite et à gauche. Ils occupent déjà une place non négligeable dans la production des idées pour la future campagne présidentielle. > Lire p. 15 Et aussi Face à un PS bousculé par l’affaire DSK, Nicolas Sarkozy entend conforter son image présidentielle. Il tentera d’ici 2012 de retrouver une popularité perdue pour la transformer en intention de vote. Analyse de : Cynthia Fleury, Stéphane Rozès, Michèle Cotta, Brice Teinturier, Philippe Tesson et Éric Fottorino Emballement 54,9 milliards d’euros

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l'Hémicycle numéro 415 du mercredi 6 juillet 2011

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Ça n’était pourtant pas faute deprécédents : l’affaire Alègre, celled’Outreau et quelques autresauraient dû nous alerter. Mais,décidément, rien n’y fait : l’em-ballement médiatique démultipliéaujourd’hui par l’information

diffusée en boucle et la mondialisation d’Internet afrappé une fois de plus.Alimenté par la politique, qui s’en nourrit, et l’appareiljudiciaire, qui l’utilise, il a déjà provoqué d’immensesdégâts : sur un homme d’abord, sur la parole des vic-times ensuite, à commencer par celle des femmes,que l’on disait il y a quelques jours encore libérée etqui serait à nouveau mise en doute après les mensongesrévélés à New York, sur un pays enfin, déjà traumatisépar une perte de repères et qui depuis un mois et demiest ballotté au gré des coups judiciaires, politiqueset médiatiques plus ou moins sciemment organisésde part et d’autre de l’Atlantique.Dans l’affaire DSK, la violence de la justice américainea donné le signal de départ mais, ensuite, que de décla-rations inutiles, d’images justifiées devenues injusti-fiables par leur répétition, d’enquêtes prétendumentexhaustivesdémentiesdèslelendemain.Quiestvictime,quiestcoupabledansl’affairedelachambre2806?Nousne le saurons sans doute jamais. En revanche, depuis,ne sommes-nous pas devenus tous coupables ? À destitres divers et à différents degrés.À défaut d’éviter l’emballement, ayons au moins lecourage de nous regarder en face.En espérant qu’un jourpeut-être une affaire de cette nature servirade leçon.

Le chiffre

Même John Grisham n’auraitpas imaginé un tel scénario,et c’est un euphémisme de

dire que les primaires socialistes s’avè-rent de plus en plus compliquées. Cesprimaires socialistes, qui voient s’af-fronter des candidats aux popularitésoscillantes, et dont les différences idéo-logiques paraissent bien ténues, risquentplus que jamais de nous réserver de sin-gulières surprises. C’est dans ce contexteque s’inscrit la candidature certainemais non déclarée de Nicolas Sarkozy.Plus impopulaire qu’aucun autre de sesprédécesseurs, il est en droit d’espérerque ce déficit de bonnes opinions ne setraduira pas en vote contraire, le jour

venu. G8, G20, nouvelle communica-tion, discrétion et apparent recul, toutest fait pour redresser une image prési-dentielle encore bien écornée. Difficile,à neuf mois de l’élection, d’imaginerce qui finalement servira ou nuira au Pré-sident, mais la campagne, à coup sûr,recélera suffisamment d’imprévus pourque les dés roulent encore de longsmois. Les jeux ne sont pas faits. Ni àgauche, où le futur candidat PS devrafaire oublier les blessures inévitablesprovoquées par les primaires et l’im-pensable affaire DSK, ni à droite, oùNicolas Sarkozy, mieux que personne,sait que le sortant ne gagne pas sur unbilan mais sur un projet en s’appuyant

sur un camp rassemblé. Pour le projet,il faudra attendre le début de l’année pro-chaine, quant au camp rassemblé, mal-gré l’énième remaniement annoncé lasemaine dernière, tout dépendra du bonvouloir de Jean-Louis Borloo, Domi-nique de Villepin, Christine Boutin, sansoublier François Bayrou et peut-êtrequelques autres. Nicolas Sarkozy penseque,detousceux-là, ilne feraqu’unebou-chée.Commecefut lecasen2007.Lavéri-té c’estquedanschacundescampset jus-qu’au22avrilprochain,onauradebonnesraisonsd’ycroire.Et c’est tantmieuxpourune démocratie qui aujourd’hui ne saitplusoùdonnerde la tête. R.N.

>Lire p. 2 à 8 et 23

NUMÉRO 415 —MERCREDI 6 JUILLET 2011 — 1,30 ¤

ÉditorialRobert Namias

Directeur de la publication : Bruno Pelletier Directeur : Robert Namias

JULIETTEBOUDRE

JACQUESDEMARTHON/AFP

DR

2012 : Odyssée d’une présidentielleAprès la libération sur parole de DSK

lhemicycle.com

StéphaneRozès

P. 2

CynthiaFleuryP. 3

JOËLSAGET/AFP

STÉPHANEDE

SAKUTIN/AFP

Ausommaire •Plan large : Frémissement auxQuatre Colonnes :Sarkozy à la hausse parBéatriceHouchard>P. 4 • Initiatives : le planemploi de la région Auvergne>P. 10 •Entretien avecHervéNovelli>P. 11 •L’invité des petits déjeunersMazars-l’Hémicycle : JérômeCahuzac>P. 12-13 •Rencontre avec Jean-ChristopheLagarde>P. 14•Àdistance : l’exploitationdugazdeschiste interdite :Jean-LouisCaffier>P. 20 •2.0 : Sur leWeb : l’exception culturellemoribonde>P. 22

LIONELBONAVENTURE/AFP

C’est l’augmentation de la dette publique françaiseau cours du premier trimestre 2011. Cette dettes’élevait à 1 646,1 milliards début avril 2011, soit« approximativement » 84,5 % du PIB, selon l’Insee.Au premier trimestre, c’est la dette de l’État, enhausse de 41,5 milliards, et celle des administrationsde sécurité sociale (ASSO), en augmentation de20,6 milliards, qui font grimper la dette publique.

Pepy, cheminot et patronGuillaumePepy a le train dans le sang et unepassion : son entreprise. Avec un triple objectif :lamoderniser, la faire entrer dans un univers deconcurrence et répondre aux exigences légitimesdes usagers-clients. >Lire p. 16

Attentionexpropriation!Le Conservatoire du littoral, présidé par JérômeBignon, souhaite acquérir la dune du Pilat : il vientde lancer une enquête d’utilité publique qui pourraitdéboucher sur de nombreuses expropriations.

>Lire p. 18 et 19

XAVIERLEOTY/AFPDesthinktankspardizaines

Mode ou nécessité, ces groupes de réflexion à l’imagedeTerraNova,présidéparOlivierFerrand, semultiplientà droite et à gauche. Ils occupent déjà une place nonnégligeable dans la production des idées pour lafuture campagne présidentielle. >Lire p. 15

Et aussi

FaceàunPSbousculépar l’affaireDSK,NicolasSarkozyentendconforter son imageprésidentielle. Il tenterad’ici 2012de retrouverunepopularitéperduepour la transformer en intentiondevote.Analyse de : Cynthia Fleury,StéphaneRozès,Michèle Cotta,Brice Teinturier,PhilippeTesson etÉric Fottorino

Emballement

54,9 milliardsd’euros

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2 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011

Agora

OùenestNicolasSarkozydans l’opinion?Pour un chef de l’État sortant,Nicolas Sarkozy bat un recordde décrédibilisation présidentielle.Seuls 49 % des Français estimentqu’il a une stature présidentielleselon un sondage Ipsos pourFrance 2 et France Inter. DeuxFrançais sur trois souhaitentmêmequ’il ne se représente pas l’an pro-chain. C’est dire, nonobstant lapolitiquemenée, à quel point c’estd’abord sur la façon dont il auraexercé la fonction que se portentles critiques des Français. Il peutnéanmoins s’appuyer sur deuxressorts qui perdurent dans sonrapport aux Français. D’abord,contrairement à ses prédécesseurs,il ne s’est jamais exonéré de ses res-ponsabilités et cela reste une res-source pour lui. Ensuite, tout lemonde lui fait crédit d’avoir mis lepays en mouvement et lui accordeun jugement bienveillant pour sonaction sur le plan international,notamment lors de la crise.

Beaucoupd’observateursenvisageaientune forte remontéeprésidentielle au lendemaindel’affaireDSK?Pourquoi n’a-t-ellepaseu lieu?Le pays juge toujours des person-nalités politiques non pas defaçon relative mais de façon abso-lue. Ensuite, il ne faut pas oublierque, dans un premier temps, lesFrançais ont cru et croient certai-

nement encore plus aujourd’hui,compte tenu des derniers déve-loppements de l’affaire, à un com-plot. Enfin, on a le sentiment quede nombreux Français privilégientles hommes politiques qui nedonnent pas l’impression de re-chercher le pouvoir pour le sim-ple amour du pouvoir.

Àdixmoisde laprésidentielle,unchefde l’État candidatà saréélectiona-t-il déjà étédansunetelle situation?FrançoisMitterrand et Jacques Chi-rac ont déjà été dans la situation oùles Français leur reprochaient lapolitique menée. À partir de 1983en ce qui concerne Mitterrand, car

le pays n’est à ce moment-là plus àgauche. Quant à Chirac, les Fran-çais ont globalement estimé quec’était une non-présidence. Maisjamais un chef de l’État n’a été jugéaussi sévèrement sur sa capacitéd’incarner le pays, à exercer la par-tie spirituelle de sa fonction. Jamaisun de ses prédécesseurs n’a été à cepoint critiqué pour son comporte-ment, sa manière de faire. C’est cequ’il essaie de corriger depuis l’af-faire DSK.

NicolasSarkozyestmaintenanttrès impopulairedepuis l’hiver

2008.Sasituationauraété trèsétonnante…Il a remonté un peu la pente pen-dant la présidence française del’Union européenne à l’automne2008. Les circonstances exté-rieures avaient mis en avant lecôté Bonaparte de Nicolas Sarkozy,qui perçait pendant la campagneprésidentielle de 2007. Au lende-main de son élection, le Fouquet’set le yacht de Bolloré ont mis descoups de canif à la dimensionspirituelle de sa fonction. La misesous le tapis des promesses sur lepouvoir d’achat a en plus aggravécette rupture. Mais il ne fautjamais oublier que la présiden-tielle est un rite et que, quand elle

démarre, tous les compteurs sontremis à zéro. L’identité de l’adver-saire socialiste qu’il aura face à luijouera aussi un grand rôle. Rienn’est joué, même s’il a battu unrecord d’impopularité.

Qu’est-cequi lemenace leplus?LapercéedeMarineLePen?Lamultiplicationdescandidaturesdanssoncamp?C’est plutôt la décrédibilisationde sa parole, sa capacité à re-nouer avec le pays, à construirepositivement avec lui. Je penseque, depuis l’affaire DSK, Nicolas

Sarkozy a abandonné la ligne na-tionaliste défendue par PatrickBuisson. Elle consistait à dépla-cer les questions économiquesvers un débat sur les questionsnationales et identitaires dansune logique de premier tour ;Dominique Strauss-Kahn n’étantpas le plus à l’aise, selon Buisson,sur ces sujets. Depuis, NicolasSarkozy est revenu à une ligneGuaino que j’appelle la lignenation : un président représi-dentialisé, qui évite les crises,protecteur. Cela limite davan-tage l’espace du FN. On est da-vantage dans une bataille desecond tour, plus classique face àla gauche, projet contre projet.

Ya-t-il unniveauque lePrésidentdoit retrouver à l’automnepourconserver toutes seschanceset rassurer soncamp?Son sujet du moment est d’éviterune candidature centriste. Eninvestissant les questions dedéficits, il essaie de priverJean-Louis Borloo et Dominiquede Villepin de toute justifica-tion et de les présenter commedes diviseurs s’ils se présen-taient. La ligne Buisson a eupour conséquence de creuser unfossé entre Nicolas Sarkozy etles centristes.

Quelles sont ses forces?C’est un gros travailleur. Il sait s’en-tourer des meilleurs pour une cam-pagne présidentielle. Il sait repérerles talents et les faire travailler en-semble. Il faut par exemple noterla place très importante qu’a BrunoLe Maire dans le dispositif. NicolasSarkozy sait aussi danser le tangoavec le pays pendant une cam-pagne présidentielle. Mais le paysvoudra-t-il encore danser avec lui ?Comme il est très plastique et prag-matique, il sait concilier les préoc-cupations quotidiennes desFrançais et un projet présidentiel.Ce n’est pas un doctrinaire, maisun empiriste. C’est un avocat, pasun énarque. Il est pragmatique.

Yaurait-il unautre candidatensituationdanssoncamp?S’il avait été dans d’autres condi-tions, Alain Juppé.

Peut-il connaître ledestindeValéryGiscardd’Estaingen 1981?Oui. En cours de campagne, unedouble dynamique qui peut luiêtre préjudiciable peut s’enclen-cher : une dynamique externe queconnaîtrait la gauche ; et ensuitedes forces centrifuges au sein de ladroite qui pourraient le priver ausecond tour d’un report total detout son camp sur lui.

Propos recueillispar Ludovic Vigogne

Chef du service politiquede Paris Match

«NICOLAS SARKOZY SAIT DANSER LE TANGO. MAISLE PAYSVOUDRA-T-IL ENCOREDANSERAVECLUI ?»

STÉPHANE ROZÈSPRÉSIDENT DE CAP (CONSEILS,ANALYSES ET PERSPECTIVES)PROFESSEUR À SCIENCES-POET À HEC

SelonStéphaneRozès,NicolasSarkozy s’éloignede la lignedure et nationaliste incarnéepar le conseiller PatrickBuissonpour développer une lignebeaucoupplus socialedéfendueparHenri Guaino.

«L’identitéde l’adversaire socialisteque lePrésidentauraface à lui jouera un grand rôle. Rien n’est jouémême si

Nicolas Sarkozy a battu un record d’impopularité »

JOËL

SAGE

T/AF

P

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NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011 L’HÉMICYCLE 3

NicolasSarkozypeut-il encoreincarnerunespoir l’annéeprochainepour lepays?Tous les politiques peuvent toujoursincarner un espoir. Tous ceux quiont un sens intuitif développé, quiont du charisme, qui savent activernotre ressort fantasmatique – c’est lecas de Nicolas Sarkozy – peuvent aumoins donner un simulacre d’espoir.On sait depuis longtempsque le chefde l’État est un très bon candidat.Mais ce qui commence à se savoirégalement chez les Français, c’est ladifférence qui existe entre être prési-dent et être candidat. La présiden-tielle est toujours une grande saga.Elle divertit plus que toute autre fic-tion. Les candidats deviennent eux-mêmesdesmachines à audience.Nenous trompons pas sur le silence ac-tuel duPrésident. Il y a déjà cinq ans,j’avais annoncé qu’il y aurait, aprèsl’acte I de son histrionisme agité etextraverti, un acte II,mutique, paro-diant le retrait, mettant en scène sadiscrétion. Qu’il séduise, c’est cer-tain, qu’il incarne, beaucoupmoins.Notons que les affaires Strauss-Kahnet Tron ont permis une déconstruc-tion de la notion de séduction. Iln’est pas improbable qu’après lamise à nu de la « séduction » deshommes envers les femmes, on s’in-terroge sur ce qui se cache vraimentderrière la séduction des hommespolitiques envers les citoyens.

Qu’est-cequiaurasymboliséselonvoussonquinquennat?

Fondamentalement, l’absence deconvictions et l’apothéose de l’ins-trumentation de la conviction. In-conscientes ou non. D’un côté ilprône le courage, la rupture, laméri-tocratie, de l’autre il divise, stigma-tise, renforce les privilégiés. Lesarkozysme, c’est tout sauf une idéo-logie, c’est du hiatus et du syncré-tisme.C’est fait d’assemblages réactifset contradictoires : unmessage com-munautaire, puis laïc, un messageaux patrons puis aux ouvriers.Chaque message étant sans conti-

nuité possible. Pour lui, les électeurssontdes cibles et, à chacunde sesdis-cours, lemessage s’adresse àunecibledifférente. La plasticité n’est unegrande valeur qu’à la conditiond’avoir de la conviction. Bien sûr, lesFrançais, à juste titre, n’ont pas envied’avoir un psychorigide qui necomprend rien aux problèmes dumonde, ni aux appétences nou-velles de la société des individus.Mais, Nicolas Sarkozy, qui dit aimerla métaphore architecturale, n’aaucun sens des murs porteurs. Ilveut changer lamaison France sansen tenir compte. Or les politiquesdoivent être des architectes.

Sonélectionasymbolisé lepassagede laFrancedansuneautrepériodedesonhistoire.Aufinal, celaaétéun traumatisme?C’est vrai, il y a eu d’un certain as-pect un caractère traumatique. Il ya eu un véritable heurt, un caram-bolage. Les Français étaient sous lecharme du candidat, mais ils onteu le sentiment d’avoir un prési-dent sans contrôle. Nicolas Sarkozyles a passionnés, mais il les a aussichoqués. Les Français sont légiti-mistes. Il faut savoir respecter et les

codes et la symbolique de la fonc-tion. Dès le premier soir de l’élec-tion, tout cela a volé en éclats.Aujourd’hui il fait tout pour la re-trouver, mais il est victime d’unautre télescopage. Désormais, c’estun personnage qui est systémati-quement déconstruit par les mé-dias et ses opposants. NicolasSarkozy aura été l’alibi d’une dé-mystification du leader très forte.

LesFrançais sont-ilsauclair aveccequedoit êtreunchefde l’Étataujourd’hui?Non. Ils ne le sont pas du tout. Ilsont le vieux fantasme duMessie, du

chef de l’État providentiel et, enmême temps, leur désir d’égalita-risme est si fort qu’ils désirent à leurtête une personne sachant respecterla souveraineté partagée. Il est tempsd’assumer jusqu’au bout que notreregard sur le pouvoir et la souverai-neté du peuple a changé. Ainsi, il nefaut pas craindre d’abandonner lesoripeaux anciens des candidats. Lepersonnalismen’a rien d’exception-nel. Il est le souhait de chacunquand nous n’avons pas le sens denos propres limites. C’est d’une ba-nalité absolue. En faire un critèred’exception, c’est une hérésie. Au-jourd’hui, les Français doivent ris-quer d’autres choix de candidats. Ilfaut renoncer aux modes de recru-tement actuels qui ne nous offrentque le pire. La désignation d’EvaJoly, ancienne juge ayant luttécontre la corruption, binationale,est à cet égard intéressante. Les pri-maires socialistes pourraient êtreaussi un laboratoire important,même s’il semble trop peu ouvertaux personnalités nouvelles.

Lepayss’estdroitisé, estimeNicolasSarkozy.Diriez-vous leschosesainsi?Il s’est radicalisé, je dirais. Regardezl’ampleur de la critique envers lesélites, ou ce que l’on doit nommerplus justement, oligarchies. Cen’est pas classiquement un « item »de la droite. Ce sentiment que lepays est à droite est peut-être plusinstrumenté que cela n’est en réa-

lité. Il y a une ferveur populiste quela gauche et la droite vont sansdoute chercher à manipuler.

Qu’est-cequidominera lacampagnel’anprochain?Ce sera un numéro d’acrobates. Carla seule face nord – la dette pu-blique, la réforme de la fiscalité –ne peut suffire àmobiliser. Il va fal-loir réhabiliter le temps long, lesens dumeilleur et non pas le « capau pire ». Donc obligation de co-hérence certes, mais obligationd’équité, de justice sociale, et detout ce qui peut éclaircir notre ave-nir. Donc la jeunesse, l’éducation,mais aussi la régulation du libre-échange, qui est sans doute l’unedes conditions de la relance de lacroissance économique.

L’électionprésidentielle sera-t-elleun référendumpour/contreNicolasSarkozy?Cela serait la solution la plussimple pour la gauche. Mais pourgagner, il faut plus. Si la gauchene propose pas un nouvel acte,ambitieux et plausible pour laFrance, mais aussi pour la Franceà l’intérieur de l’Europe et dumonde, en totale interaction (cri-tique, innovatrice, et productive)avec eux, elle ratera de nouveau lecoche.

Propos recueillispar Ludovic Vigogne

Chef du service politiquede Paris Match

Agora

«SI LAGAUCHENEPROPOSEPASUNNOUVEL ACTEOU PROJET

FONDATEUR, ELLE RATERADENOUVEAU LE COCHE »

«Les Français étaient sous le charme du candidat,mais ils ont eu le sentiment d’avoir un président

sans contrôle »PourCynthiaFleury, lequinquennatdeNicolasSarkozy resteradans l’histoirecommeunepériodededéstabilisationpour laFranceet lesFrançais. Laphilosopheestimequ’il s’agitd’unpositionnementprésidentiel d’autantplusnégatif que lesmessages sont sans cesse contradictoires.

STÉP

HAN

EDE

SAKU

TIN/AFP

CYNTHIA FLEURYPHILOSOPHE ET CHERCHEURAU CNRS

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Quand on leur parle del’élection présidentielle,les parlementaires de

droite ne savent plus où donnerdu pronostic. Surtout depuis lecoup de théâtre survenu le 1er juil-let avec la libération de DSK, enattendant l’issue judiciaire de l’af-faire.À droite, on est moins inquietqu’il y a quelques mois. Même siles sondages d’intentions de votene s’en ressentent pas, la situa-tion du chef de l’État semblemeilleure. « Le contexte a changé.C’est la fin de la chute. Avant,le Président était descendu enflammes. Maintenant il est critiqua-ble, mais il faut reconnaître qu’ilfait les choses. Ça bouge », noteÉtienne Pinte (UMP, Yvelines). Lagestion de la crise porte ses fruits,selon Pascal Brindeau (Loir-et-Cher, Nouveau Centre) : « Mêmesi la situation est difficile et que lesmesures sont dures, un énorme tra-vail a été effectué. Les gens ontretrouvé un peu le moral. » Son col-lègue du Nord Christian Van-neste (UMP) va plus loin : « Lasituation s’est inversée. Sarkozy a euune gestion plutôt digne de la criseet de la politique internationale dela France. Ça a rehaussé le besoinqu’ont les gens d’être fiers du prési-dent de la République. »Sur le terrain, les élus de la majo-rité ont cessé de se faire interpellerà cause du comportement du chefde l’État. L’affaire n’est pas gagnéepour autant. « C’est très ouvert,sans être perdu pour Sarkozy, selon

le sénateur du Haut-Rhin Jean-Marie Bockel, qui « roule » pourJean-Louis Borloo. Si c’est face àFrançois Hollande, Sarkozy perdra.Face à Martine Aubry, il a unechance. » Christian Vanneste :« Globalement, ça devrait bien se

passer même si, en période de crise,dans tous les pays, les gens zap-pent. » Selon Nicolas Perruchot(Nouveau Centre, Loir-et-Cher),« Les Français auront le choix entrela poursuite des réformes et une nou-velle alternance, et je suis sûr qu’ilsferont un choix de raison. »

Pendant que le président del’Assemblée nationale, BernardAccoyer (UMP, Haute-Savoie)note que « l’Élysée travaille demanière plus professionnelle »qu’auparavant, Étienne Pinte estpersuadé que Sarkozy « a encore

toutes ses chances ». Proche deFrançois Bayrou, l’eurodéputéeMarielle de Sarnez est évidem-ment plus réservée : « Sarkozy estquand même historiquement bas.C’est vrai qu’il fait moins de bê-tises, qu’il ne court plus après l’ex-trême droite. Il a des capacités encampagne. Mais rien ne frémit. »Pour Nicolas Perruchot, c’est « aumoins une chance sur deux ».Mais face à qui ? Bockel, Brindeauet Perruchot lorgnent vers Jean-Louis Borloo, estimant qu’il y apour un centriste un espace de 15à 20 %. « On est dans la construc-tion » de cette candidature (Brin-deau). « Borloo peut entraîner une

dynamique, transcender les lignes »(Bockel). Même Étienne Pintejuge que « Borloo peut être unechance pour Sarkozy, pour tous ceuxqui à droite voudront s’exprimer sansvoter pour le président sortant au pre-mier tour. » Marielle de Sarnez,

elle, n’y croit pas : « Je pense queBorloo n’ira pas, il est usé par l’éti-quette majorité présidentielle », etelle « souhaite que François Bayrousoit candidat. »Et à gauche? « Sarkozy reste très basmais il peut malgré tout l‘emporter »selon André Vallini (PS, Isère), quinote : « La primaire socialiste peutse révéler une formidable force delancement, comme elle peut devenirune machine infernale, voire une ma-chine à perdre. » Personne n’ima-gine vraiment que DominiqueStrauss-Kahn puisse revenir dansla course. « Psychologiquement, illui faudra des semaines de décom-pression avant de rentrer dansl’atmosphère », souligne AndréVallini, qui, soutenant FrançoisHollande, veut que les primairescontinuent. « S’il est innocenté, onpeut imaginer un retour », nuancepourtant Pascal Brindeau. « Non,c’est inenvisageable, répond Jean-Marie Bockel. Quand la séquence estpassée, elle est passée. » Et ChristianVanneste remarque que l’affaire,quelle qu’en soit l’issue, aura laissédes traces : « DSK est imprésentable.Son comportement avec les femmes etson comportement riche et cyniquesont en contradiction absolue avec lesvaleurs que défend le PS. » Conclu-sion de Nicolas Perruchot, quicroit aussi que, dans « l’imagi-naire » des gens, l’affaire DSK lais-sera des traces : « Sarkozy a unevraie chance. Son principal adver-saire, c’est lui-même. Mais il a tou-jours l’instinct du candidat. »

4 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011

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Frémissement aux Quatre Colonnes :Sarkozy à la hausse

«LECONTEXTE ACHANGÉ.C’EST LA FINDE LACHUTE.

AVANT, LE PRÉSIDENT ÉTAITDESCENDUEN FLAMMES.MAINTENANT IL ESTCRITIQUABLE,MAIS IL FAUT RECONNAÎTREQU’ILFAIT LES CHOSES. ÇA BOUGE»Étienne Pinte

À l’Assemblée, regaind’optimismeàdroite, perplexité àgauche.L’affaireDSKn’apas fini de troubler les députés.Par Béatrice Houchard

Qu’elle se termine mieux qu’ellen’avait commencé, que l’anciendirecteur du FMI retrouve la libertédans une semaine ou dans quinzejours, que la plaignante soit unema-nipulatrice consommée, ou mani-pulée elle-même par un dealeremprisonné, l’affaire Strauss-Kahnlaissera des souvenirs amers. ÀDominique Strauss-Kahn d’abord,qui n’oubliera jamais ces quelquessemaines dans sa vie d’homme où,de séducteur, il est devenu violeur. Illui faudra une force de caractère peucommune pour enfouir ces images,pour qu’elles ne le réveillent plus lanuit. À Anne Sinclair, sa femme,digne, solidaire, guerrière, qui n’a ja-mais douté de son mari, mais a dûencaisser bien des révélations dontelle se serait bien passée.À nous tous, aussi, politiques,journalistes, faiseurs d’actualité dumonde entier, qui ont relaté des faitsen donnant la parole, par force,puisqu’elle seule parlait, à l’accusa-tion. On s’aperçoit bien à cetteoccasion de ce que l’expression« présomption d’innocence » neveut rien dire face à des imagescruelles, face à un procès instruit dèsles premièresminutes par un procu-reur à charge, suivi de façon una-nime par la presse du monde entieret la meilleure, dit-on, d’entre elle,la presse américaine. Le fait que leNew York Times ait été le premier àdouter de Nafissatou Diallo ne peutfaire oublier les déchaînements despremières heures. Il faudra garder, lavie durant, cet exemple de lynchagemondial, dans notre esprit et aubout de notre plume.Donc, ce serait un piège ? Pas uncomplot, rien ne permet au-jourd’hui de le penser, mais unpiège minable, d’un homme etd’une femme avides, ou mêmed’une petitemafia des bas quartiers.Le pire est que DSK avait plusieursfois décrit, à ses amis proches, auxjournalistes, les dangers d’un tra-quenard dans lequel le feraient tom-ber ses faiblesses et sa désinvolture.Il le savait, le disait, qu’il était uneproie idéale pour un scandale de cegenre, et qu’il l’éviterait, bien sûr. Ilest tombé dedans : quelques mi-nutes ont suffi pour l’expulser dujeu politique. Cruauté supplémen-taire : la descente aux enfers a étévertigineuse. Des millions de télé-spectateurs y ont assisté en direct.Ils étaient beaucoup moins nom-breux, vendredi, à regarder DSK sor-tir libre du tribunal.La curée fascine, le verdict beau-coup moins, surtout quand il estplus clément. De cela aussi, nousdevrons nous souvenir.

L’opinionde Michèle Cotta

DR

Un goût amer

ÉléganceLanominationdeChristine LagardeauFMI constitueà coup sûr unebelleavancée féministepour un cénacleinternational qui ne comptait hierencoreaucune femmedans ses rangs.Ce choix a été salué commeunevictoire de la France, qui conserveainsi la têteduFMI, un siègetraditionnellementdévoluàunEuropéen,mais deplus enplusconvoitépar les pays émergents. Enréalité, plus qu’une victoire françaiseoupolitique, c’est une victoirepersonnelle deMmeLagarde.Sonparcours témoigned’une compétencereconnuedont elle a fait preuvedanschacundespostesqu’elle aoccupés,auxÉtats-Unis d’abord, puis depuis

sept ansparmi lesministres français,et notammentàBercy, où elle a été lapremière femme(déjà !) àdiriger leministèredes Finances.Mais cet itinéraire n’aurait sansdoutepas été si remarquable si, à lacompétence, Christine Lagarden’avaitpasajouté l’élégance. Élégante, ellel’est naturellement en tantquefemmemais, plus encore, elle a faitpreuvedepuis son retour enFrance,dansunmilieudifficile et parfoishostile, d’uneélégancedepenséeetde cœurqui ontmarqué les esprits.Quandelle adéclaré, dès le soir de sanomination, non seulementqu’ellepoursuivra l’actionde sonprédécesseur (cequi est un classique)

mais qu’elle se rendraàNewYorkpour le rencontrer, alorsmêmequ’ilétait encoreassignéà résidence, elle afait preuved’uneélégance rare.Raredans la sociétédes civils, plus rareencoredans l’univers politique.Unmondequemanifestementelle n’aimait guère. Elle le quitteaujourd’hui pour unemissionparticulièrementardue. Les aléasjudiciaires et la complexité de lasituationéconomiquemondiale ne luirendrontpas la tâche facile. Elle seraforcément contestéepour certains deses choix,mais elle vient demontrerqu’elle accomplirait cettenouvellemissionavecuneélégancequi inspirele respect. Paul Pelletier

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NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011 L’HÉMICYCLE 5

Àsupposer que la justiceaméricaine écarte les accu-sations qui pesaient sur

lui, rien ne laisse penser queDominique Strauss-Kahn reviendracomme si de rien n’était dans lacourse des primaires. Le désastreuxépisode new-yorkais a tant abîmél’image du futur ex-candidat queles électeurs de gauche prendraientsans doute un trop gros risque àvouloir in fine le désigner. Sous ré-serve donc que la compétition au

PS se déroule sans DSK, cette affairerestera d’autant plus douloureusequ’avec un champion de ce calibrela question clé du leadership au PSsemblait réglée. Sa compréhensionprofonde de l’économie, son rangde quasi-chef d’État à la tête duFMI, son apesanteur dans les son-dages, tout concourait à sa statureprésidentielle. La gauche tenaitenfin « the right man at the rightplace », et si le PS avait concocté unprojet réputé sérieux, sa premièresecrétaire consentait à le voir portépar DSK.À l’inverse, les candidatures deFrançois Hollande et de MartineAubry rebattent des cartes sansatout majeur. Les socialistes se re-trouvent frappés au talon d’Achille,confrontés à une faiblesse jamaiscomblée depuis la disparition deFrançois Mitterrand : l’absenced’une personnalité charismatiquehabitée par une vision de la Franceet dumonde, capable à coup sûr derassembler sa famille politique et deconstruire une majorité au-delà deses attaches partisanes. Les primairesreposent donc une question lanci-nante à l’issue cruelle si le choix ducandidat ne se révélait pas le bon :qui sauramener la campagne la plusefficace face à un Sarkozymême trèsaffaibli ? Qui de François Hollande,parti très tôt, ou de Martine Aubry,partie bien tard, sera une fois dansl’arène l’adversaire le plus dange-reux pour le tenant du titre.

Aubry-Hollande, quel visagepour la gauche ?La gauche devra-t-elle opter pourcelui qui, à l’évidence, manifeste leplus grand appétit de conquête ?Ou pour celle qui, lorsque DSKétait en lice, donnait l’impressiond’un Bartleby au féminin (« je pré-férerais ne pas »… répétait le hérosd’Herman Melville) ; celle quiavance par devoir plutôt que parenvie ? Sachant que Manuel Vallset Arnaud Montebourg serontd’abord des candidats de témoi-gnage, et Ségolène Royal unélectron libre n’offrant guèred’alternative crédible, le duelAubry-Hollande s’annonce délicatet dangereux, car fratricide. Àl’évidence, ce qui les rapprochel’emporte sur ce qui les sépare. Onne voit pas l’épaisseur d’un pétalede rose entre leurs programmes.Juste les grosses épines d’unedétestation réciproque. Mais l’en-vie de gauche exprimée dans lessondages ne dispense pas celle-cid’avoir un visage. Qui donc ferale poids en termes de présence,de pugnacité, de résistance auxattaques, de ruse aussi, dans cettelongue bataille où l’adversaire,c’est sa force, saura tout oser pourdraguer à gauche, au centre et àl’extrême droite. Qui sera le plusincisif, le plus inspiré, afin degarantir la plus forte chance devictoire ?Pour les électeurs des primaires

socialistes, trancher cette questiondu meilleur candidat « en situa-tion » sera une décision lourde deconséquences.

C’est le meilleur lutteur qui gagneDepuis les débuts de la Ve Répu-blique, et plus encore après l’èregaullienne parfumée au souffle del’Histoire, le vainqueur fut chaquefois, par son tempérament aumoinsautant que par ses idées, le meilleurlutteur de campagne. À commencerpar Georges Pompidou,mal engagéface à Poher en 1969. Après le dé-part du général de Gaulle, le « bon-net blanc » de Poher l’emportaitdans les sondages de deuxième toursur le « blanc bonnet » de Pompi-dou. Il fallut tout l’art patelin del’homme du Cantal pour qu’iltriomphe, la défaite de Poher mar-quant déjà la fragilité existentielledu centre. En 1974, face à un Mit-terrand emprunté,Giscard d’Estaingfit la différence grâce à une cam-pagnemoderne, à la fois profession-nelle et décontractée, estoquant au

finish son adversaire par le fameux« vous n’avez pas le monopole ducœur ». Au printemps 1981, l’avan-tage avait tourné : un candidat faitcampagne avec son bilan. Celui deGiscard souffrait de ses dérivespseudo-monarchiques et sécuri-taires, entre diamants de Bokassaet loi sécurité et liberté. VGEtraita imprudemment Mitterrandd’« homme du passé ». Lequel luiretourna en revers lifté qu’il était« l’homme du passif ». En 1988,un Chirac ombrageux, mâchoiresserrées, ne put dominer un vieuxrenard de président qui, avec ma-lice, s’ingénia à lui donner du« monsieur le Premier ministre ».

La « tontonmania » eut raison d’unchallenger empêtré de lui-mêmequin’avait pas su fendre l’armure. Etquand Jacques Chirac l’emporta en1995, alors qu’Édouard Balladursemblait devoir gagner sans bavure,c’est qu’il avait pris l’épaisseur hu-maine dont il avait tant manquéjusqu’ici. Sa campagne fut un mo-dèle du genre, une force vitale en ac-tion, chaleureuse et vorace, affaméede France et de pommes croquantes,pendant que Balladur évitait lesmains dans la foule... En 2002, l’éli-mination de Lionel Jospin fut lapreuve à rebours qu’une mauvaisecampagne pouvait conduire au pire,à savoir l’élimination du principalcandidat de la gauche dès le premiertour. Un candidat, faut-il le rappe-ler, qui répugnait à se dire socialiste,allant jusqu’à bannir le mot de sesaffiches électorales. La campagne de2007 offrit pour finir un spectacletraumatisant aux socialistes : irrésis-tible durant les primaires face auxadversaires de son propre camp,Ségolène Royal montra dans cemêmeaffrontementqu’ellene sauraitdominer l’animal politique Sarkozy.Opposée à l’actuel président,MartineAubry séduirait par son côtéentier, combatif, honnête, fidèleà ses idéaux de gauche. FrançoisHollande séduirait par son esprit definesse et son allant d’orateur, parsa foi dans son étoile. Paradoxale-ment, Martine Aubry inquiéteraitpar une ambition personnelle malaffirmée, par son manque d’éclat,par sa peine à distiller une part derêve. Hollande inquiéterait par sadistance avec l’appareil du parti et,d’une certaine manière, par sonnouveau look, qui sent l’artifice etdont on ne sait ce qu’il cache. Auvrai, dit brutalement, les questionssont : Aubry, qui clive et parfoisennuie, sait-elle rassembler, plaire,etmordre à bon escient ? Hollande,qui tient la forme, a-t-il du fond ?Ou n’est-il qu’un sympathiquemais trop tendre faire-valoir ? Lagauche n’a pas encore trouvéson (sa) foudre de guerre. À moinsque l’onde de choc de l’affaire DSKn’ait rendu plus urgente encore,plus légitime que jamais, la victoired’une femme. À moins que DSKlui-même…

* L’ancien directeur duMonde,Éric Fottorino, nous rejoint et collaborera

désormais chaque semaineà l’Hémicycle.

Gauche cherche charisme désespérément

Loindela«tontonmania»desannées80, lagaucheparaîtsouffriraujourd’huid’unmanquede leadership.Question : cesprimairesPSdéjàsi controverséespermettront-ellesauvainqueurd’acquérir lecharismequi semblepour l’instantmanquerauxcandidats?

Par Éric Fottorino*

THIERRYZOCCOLAN

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L’affaire Strauss-Kahn n’estpas terminée. Mais toutdonne à penser que son

dénouement ne revêtira pas les pro-portions dramatiques qu’on imagi-nait il y a quelques jours encore.Qui eût cru qu’on évoquerait l’hy-pothèse d’un non-lieu six semainesseulement après celle d’unecondamnation de l’ancien direc-teur du FMI à des dizaines d’annéesde prison ? Certes des raisons objec-tives, en l’occurrence le déroule-ment de l’enquête menée par lajustice et la police américaines etpar les soins des parties intéressées,expliquent cet extraordinaireretournement de situation. On n’enreste pas moins songeur devant larapidité et surtout la radicalité decette succession d’événements. Oncommente d’ailleurs volontiersceux-ci en se référant au théâtre. Laréalité est décidément plus forteque la fiction, entend-on dire. C’estfaux, la réalité n’est jamais plusforte que la fiction. Tout s’expliquedans la vie réelle, tout a une cause.Et finalement les égarements sup-posés de Dominique Strauss-Kahncomme les mensonges, s’ils s’avè-rent, de sa prétendue victime sontdans l’ordre de l’anecdote banaleque charrie l’Histoire. Si cette affairea pris l’importance que l’on sait,c’est bien sûr du fait de la person-nalité du héros et des enjeux atta-chés à sa personne à un momentdonné de sa biographie, mais c’estaussi et principalement du fait durapport nouveau que nous entre-tenons avec l’événement, sous l’ef-fet des profonds bouleversementsqui en ont affecté la transmissionet la transcription.On sait quelle est en la matière laloi de l’époque et on ne va pas ànouveau analyser ici les effetscomportementaux qu’ont provo-qués chez nos contemporains la

toute-puissance acquise par lacommunication. Celle-ci a nonseulement modifié notre relationavec le temps, gouvernée désor-mais par le principe d’immédia-teté, elle a non seulement créé,

légitimement, une exigence d’in-formation, mais elle a peu à peu,comme une cause qui entraîne uneffet, changé les termes de notrerapport au pouvoir et à la poli-tique jusqu’à faire de la transpa-rence une obsession. La relationentre l’affaire Strauss-Kahn etl’opinion est une illustration em-blématique de ce phénomène.Tout savoir tout de suite, à pro-portion de la confusion entrel’intérêt public et l’intérêt roma-

nesque, la loi de l’offre et de la de-mande jouant à plein effet dansune surenchère infernale entre lesmédias et l’opinion, cette dernièreentraînant derrière elle les pou-voirs. C’est ainsi qu’une machine

s’emballe. Aucun événementn’échappe plus aujourd’hui à ceprocessus, au mépris de la précau-tion et de la mesure et donc durespect de la personne.Emblématique, l’affaire Strauss-Kahn ? Le mot est faible. Elle estcaricaturale du phénomène décritici. Elle est surtout dramatique.Elle provoque en effet un gâchisauquel nul n’échappe. Elle n’aurafait que des victimes. Parmi lespersonnes, d’abord. L’intéressé

lui-même, est-il besoin de le répé-ter, dont l’image sera ternie, quoiqu’il en soit, par une tache horsde proportion avec le crime sup-posé. Les candidats socialistes àl’élection présidentielle, désor-mais en porte-à-faux avec leurambition. Parmi les institutions,ensuite. Le FMI, du fait d’une dé-cision précipitée. La justice amé-ricaine, dont le souci de bien faires’accompagne à l’évidence de pro-cédures contestables. La politiqueenfin, dont une fois de plus

l’image idéale de vertu sort affai-blie d’un épisode pour le moinsglauque. On allait oublier lapresse, qui fut l’agent amplifica-teur et accélérateur de cette tragé-die, mais encore une fois la pressen’est que la partie visible du sys-tème affolé qui nous gouverne au-jourd’hui.Parler d’affolement, c’est amenerl’idée de garde-fous. Et en vérité

c’est bien de cela qu’aujourd’huinous manquons, de protectioncontre les déchaînements et lesdérives de la société du spectacleet de la communication. Il esttrop commode d’imputer ces phé-nomènes à on ne sait quelle crisemorale. Les politiques se défaus-sent trop facilement de leurresponsabilité lorsqu’il s’agitd’endiguer les mouvementsdésordonnés que provoque leprogrès. L’affaire Strauss-Kahn estexemplaire du désordre que nous

vivons. Un fait divers crapoteuxa été grossi par les médias et malgéré par la justice. Il a paralyséla classe politique face à unesociété livrée à elle-même. Telleest la rançon de la démocratied’opinion, dépourvue de guide etorpheline d’autorité.

>Lire page 8 l’articlede Brice Teinturier

Débat

PourPhilippeTesson, l’affaireDSKresteradans l’histoirecommeuneaffairehorsnormequi témoignedudésordrequi s’est installé dansnosdémocraties.

Une dérive de la démocratie d’opinionPar Philippe Tesson

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Leministre de l’Intérieur, ClaudeGuéant, a qualifié ce lundi d’ « insinuations »et d’ « accusations odieuses » les déclarations de socialistes qui ont évoquéde possibles « connexions » politiques dans l’affaire DSK, voire un « attentatpolitique ».M. Guéant a également indiqué sur France 2 qu’il avait été informépeu aprèsminuit et demi, dans la nuit du 14 au 15mai, via le coordonnateurnational du renseignement, AngeMancini, de l’arrestation deDominiqueStrauss-Kahn àNewYork. Revenant dimanche sur les propos du député PSFrançois Loncle et deMichèle Sabban, vice-présidente PS du conseil régionald’Île-de-France et fidèle deDSK,M. Guéant a dit les avoir entendus « se livrerà un certain nombre d’insinuations, parler demanipulation. Je voudraisles inciter à la retenue : ce qu’ils disent est proprement scandaleux. »

La riposte de GuéantÀ NOS LECTEURS• Un grandmerci d’abord à tous ceuxqui ont pris la peine de nous écrirepour témoigner de l’intérêt qu’ilsportent à notre journal. Dès la rentrée,l’Hémicycle, enrichi de nouvellessignatures, augmentera sa pagination.Avec un objectif : être plus encoreun lieu de débats et de réflexionspolitiques ouvert à tous les courants.Merci des encouragements que vousnous prodiguez et rendez-vous enseptembre pour partager ensembleune année politique évidemmentdécisive. R.N.

«L’AFFAIRE STRAUSS-KAHNPROVOQUE UN GÂCHIS

AUQUEL NUL N’ÉCHAPPE »JESS

ICARINA

LDI

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Débat

8 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011

La question de la vérité estune des plus anciennes de laphilosophie politique : com-

ment discerner le vrai des appa-rences ? À quoi reconnaît-on leVrai, le Beau, l’Un, demande Pla-ton ? De l’allégorie de la caverneaux vertiges de l’affaire DSK et deses rebondissements, cette ques-tion taraude l’Occident. Or, un glis-sement progressif et fondamentals’est lentement opéré : le passaged’une argumentation fondée surdes contenus à l’idée de lamanipu-lation permanente, laquelle sup-pose de délégitimer celui qui parleau nom de la place qu’il occupeet/ou de ses supposés intérêts. Cettegrille de lecture – délégitimationdes personnes plutôt que des conte-nus – est de plus en plus répandue.Pourquoi ? On peut discerner qua-tre causes à ce phénomène, qui for-ment par ailleurs l’une desmatricesde l’affaire DSK.

Autonomisation

Historiquement, et c’est la pre-mière condition, le « vrai » est liéà la lente émergence d’un indi-vidu de plus en plus autonome,critique et informé, qui va pro-gressivement s’affranchir du prêt-à-penser que lui fournissent desinstitutions majeures et structu-rantes de la société – l’église, lescorporations, etc. –, dont la fonc-tion primordiale est de dire à cha-cun qui il est, où est le bien et oùest le mal et ce qu’il faut penser etfaire. On discerne l’émergenceprogressive de ce sujet autonomisédès la Renaissance, chez Mon-taigne d’abord puis chez Des-cartes : dans le « Je pense donc jesuis », le « je » est tout aussi impor-tant que le solipsisme cartésien. Ilaboutit à la fondation d’un socleet à une définition toujours d’ac-tualité de la vérité qui n’a plus rienà voir avec le récit biblique : sontvraies « les idées claires et dis-tinctes ». Le 18e siècle va poursui-vre ce mouvement avec lesLumières et l’éloge de la Raison,mais aussi la construction pro-gressive d’un espace public au seinduquel une argumentation ration-nelle sur la finalité humaine etsociale est censée permettrel’émergence du Vrai et du Bien.

Déconstruction

À ce premier grand mouvementd’individualisation de la norme etdes valeurs autour de l’idée de bon-heur, qui se poursuit jusqu’à nosjours, s’ajoute au 19e un secondfacteur, décisif dans l’élaborationde la grille de lecture dont nousparlons : les philosophies de la dé-construction du sujet, qui sont,elles aussi, des philosophies de laliberté et de l’émancipation dusujet. Ce que Freud nous a appris,c’est qu’il ne fallait pas être dupe,dans cette question de la vérité, del’histoire du sujet lui-même. Quepour saisir le Vrai, il faut tout au-tant être dans la rationalité et lescontenus que dans l’analyse dusujet énonciateur des contenus, etde son parcours névrotique. Ce queMarx nous a appris, c’est égale-ment qu’il ne fallait pas être naïfà propos de la Vérité et du biensocial. Que ces derniers provien-nent de sujets qui sont eux-mêmesinscrits dans une histoire qui lesdépasse, dans des classes qui s’af-frontent et qui produisent des

énoncés non pas « vrais » maisconformes à leurs intérêts. Ce queNietzsche enfin nous a appris, enintroduisant une méthode nou-velle dans l’approche de la morale,la méthode généalogique, c’estqu’il fallait aller « par-delà le Bienet le Mal » pour être un hommelibre, la morale traditionnelle étantune construction des faibles contreles puissants.Ces philosophies visent doncl’émancipation du sujet. Mais ellesconstituent un tournant : le soup-çon va maintenant pouvoir portersur le sujet lui-même, dès qu’il pro-duit un énoncé.

Simplification

La troisième cause de ce glissementdans l’argumentation est la techno-logie couplée à l’accélération deséchanges et de l’information. Sub-mergé d’informations dans unmonde de plus en plus ouvert, lesujet est soumis à la complexitécroissante des enjeux et des pro-blèmes, au sein d’un temps qui s’ac-célère. La conséquence est tout aussiredoutable que celle de la décons-

truction du sujet : là où il faudraitplus de temps et de nuances pourcomprendre un monde plus com-plexe, il va falloir… simplifier. Lasimplification, phénomène fonda-mental, est donc un processus quipeut être salutaire ou profondémentdestructeur, dès qu’elle est abusive –et elle l’est mécaniquement de plusen plus. Tout comme les philoso-

phies de déconstruction du sujetpeuvent être salutaires dans notrerapport à la vérité, ou produire, c’estla thèse d’Heidegger par rapport àNietzsche, le nihilisme que ce der-nier voulait combattre.

Généralisation

La quatrième cause du soupçon etdu déplacement de l’argumenta-tion sur le locuteur est tout simple-ment la faillite objective desautorités : des médias font deserreurs ou produisent une informa-tion orientée ; dans tous les do-maines, des experts mentent ou setrompent ; des instituts de son-dages sont incompétents ou com-plaisants ; des politiques échouentou ne se préoccupent pas du biencommun. À chaque fois, il s’agitd’un « Des… ».Mais à la simplifica-tion abusive s’ajoute l’autre phéno-mène central : la généralisation.Voilà pourquoi le débat a de plusen plus tendance à s’organiser nonpas sur des contenus, mais autourdes locuteurs et de leurs supposésintérêts. Or, une société qui évoluede la sorte a de plus en plus de malà rassembler autour de l’idée d’un« Vrai » transcendant les diffé-rences et atteignable par la raison.C’est donc une société plus atomi-sée. C’est enfin, seconde consé-

quence, une société plus violenteet régressive dans laquelle on s’enprend forcément directement à descatégories d’individus, non à desarguments : les médias, les poli-tiques, les sondeurs, les étrangers,les puissants, etc.Cette société, c’est très largementla nôtre, celle de la mise en scènedes ego et des caractères qui les

constituent, de l’imposition de la« légitimité » ou de « l’illégitimité »du locuteur, davantage que de cequ’il dit. C’est pour cette raisonque le projet du candidat (lecontenu) a de moins en moins devaleur par rapport au candidat lui-même. C’est aussi une desmatricesde la façon dont l’affaire DSK a puse construire au lendemain du 14mai : un système qui s’emballe, unDSK piétiné en tant que symbole(des riches, des puissants, etc.) sansqu’il n’y ait de connaissance réelledes faits, une violence médiatiquequi se déchaîne, des théories ducomplot dans tous les sens, desprocessus de simplification et degénéralisation puis, à l’heure oùnous écrivons, un possible retour-nement total de l’affaire.On peut en tirer deux conclu-sions : si l’on est optimiste, quecette affaire rappellera un principehégélien, à savoir que « le réel sevenge toujours de ceux qui ont crupouvoir s’en passer » ! Finalement,c’est bien lui qui se serait imposéplutôt qu’une bataille symboliquesur les personnes, opposant lesforts aux faibles, et on ne peutque s’en réjouir. Ou, hypothèsepessimiste, que cette affaire va ren-forcer une grille de lecture déjàbien ancrée et ravageuse : « décidé-ment, on ne peut croire en rienni personne, la manipulation estomniprésente. »

Le symbole plutôt que les faits

Pour le directeur général d’Ipsos, l’affaire DSK illustre l’évolution d’une société qui privilégiela délégitimation des individus plutôt que l’argumentation sur les contenus et les projets.

BERT

RANDGU

AY/AFP

Par Brice Teinturier

«LA FAILLITE OBJECTIVEDES AUTORITÉS A POUR

CONSÉQUENCE UNE SOCIÉTÉPLUS VIOLENTE ET RÉGRESSIVEDANS LAQUELLE ON S’EN PRENDÀ DES CATÉGORIES D’INDIVIDUSET NON À DES ARGUMENTS »

À dix mois de l’élection présidentielle

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Page 9: l'Hémicycle - #415

LE CONT-RAIRE DE SEUL AUMONDE

Seul au monde ? C’est le sentiment que chacun éprouve quand il s’agit de préparer l’avenir, protéger ses proches, anticiper les risques de la vie. Le contraire de seul au monde, c’est la promesse que nous vous faisons. Vous accompagner tout au long de votre vie et pour tous vos besoins en prévoyance, santé, épargne et retraite afin de vous apporter le soutien et la sérénité que vous attendez. Pour en savoir plus, rendez-vous sur www.ag2rlamondiale.fr

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Page 10: l'Hémicycle - #415

Quelle est la situation del’emploi en Auvergneaujourd’hui ? Quel sera le

développement des entreprises etleurs besoins de compétencesdemain ? Comment vont évoluerles métiers actuels et quels serontles nouveaux auxquels il faut sepréparer ? Afin d’y répondre, laRégion a lancé le projet Grainesd’emplois, une démarche d’analyseet de prospective unique en France.Son objectif : identifier la demandedes entreprises, les secteurs pro-metteurs et les métiers d’avenir.

AnalyserlesmutationsdelasociétéPour Hamid Berkani, en chargedu développement économique

et de l’emploi au conseil régional,« Nous souhaitons consolider l’éco-nomie de l’innovation (l’économieverte, le numérique, la nutrition),favoriser les mutations des secteurstraditionnels (l’industrie, la construc-tion, le transport, l’agriculture), etdévelopper l’économie de proximité. »Une vision à moyen terme baséesur l’analyse des mutations de lasociété, notamment des modes

de consommation, et qui intègrel’existence du travail à distance etle foisonnement des innovationstechnologiques d’aujourd’hui etde demain.Réunis au sein d’ateliers, les en-treprises, les fédérations profes-sionnelles, les experts, et lesservices publics ont apporté leurspropositions dans une douzainede secteurs. « Nous avons révélé desgisements d’emplois dans plusieursdomaines, en particulier dans les ser-vices. Une autre piste est celle desspécialistes mutualisés entre plu-sieurs employeurs, par exemple dansla comptabilité », souligne encoreHamid Berkani. Et d’ajouter :« Nous avons souhaité être au plus

près des besoins des entreprises enproposant une autre manière d’ac-compagner l’économie auvergnate. »

Adapter les politiques régionalesaux TPEUne approche globale qui a asso-cié les chambres consulaires(chambre régionale des métiers etde l’artisanat, chambre régionaled’agriculture) au conseil écono-

mique et social environnementalet régional (CESER) pour éclairerde manière inédite et novatricetous les emplois qui ont un carac-tère vert ou liés au développe-ment durable. Du côté desterritoires, les comités territoriauxpour l’emploi et la formation(CTEF) ont également identifiédans chaque bassin les enjeuxparticuliers en termes d’emploisfuturs. Quant aux Auvergnats, ilsont enrichi les débats grâce aux fo-rums mis en ligne. Des débats qui,il faut le noter, ont été vivementcritiqués par l’opposition de droiteau conseil régional (lire ci-contrel’interview de Daniel Dugléry).Économie, emploi, formation, leprojet présenté début juin dépassela seule radiographie régionale. Enmisant sur les TPE, la démarcheparticipative a d’ores et déjà per-mis d’identifier 114 projets. « Elleinduit un changement culturel. L’en-jeu est d’adapter les politiques régio-nales à travers notamment desavances remboursables et des sub-ventions sur l’emploi. »La Région souhaite par ailleursmettre en place un « bouquet deservices » destiné à fournir auxentreprises une expertise liée àleur développement. Un accom-pagnement vers l’innovation,l’intelligence économique, ou en-core la gestion des ressources hu-maines. Parce qu’après avoir seméles graines de l’emploi, l’impor-tant est de les cultiver, surtout enpériode de sécheresse.

Ludovic Bellanger

10 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011

Initiatives

Emploi : l’Auvergnesèmetousazimuts

«NOUS SOUHAITONSCONSOLIDER L’ÉCONOMIE

DE L’INNOVATION (VERTEET NUMÉRIQUE) »Hamid Berkani, chargé du développement économiqueet de l’emploi au conseil régional d’Auvergne

RENÉ SOUCHON, PRÉSIDENT DU CONSEIL RÉGIONAL D’AUVERGNE

AuxcôtésduLanguedoc-Roussillon, l’Auvergneest la seule régionàdisposerd’un fondsd’aidepour les start-up.Quel enjeu représente-t-il ?Notre priorité est de favoriser l’innovation et d’impulser une dynamiqueen faveur des TPE. Le fonds européen Jeremie (Joint EuropeanREsources for MIcro-to-medium Enterprises), constitue l’un desdispositifs financiers qui s’ajoute auxmesures développées avecGrainesd’emplois et au pack jeune qui favorise la reprise d’entreprise par lesmoins de 30 ans. Nous avons besoin de garder notre jeunesse, avec desformations adaptées et de nouvelles pistes d’emplois.

Dansquellemesure Internet constitue-t-il unaxededéveloppementéconomique régional?Le très haut débit démontre que l’on peut créer partout en tirant partiede la mondialisation. Internet constitue un facteur de développementexceptionnel, en mettant sur un même pied d’égalité les territoiresurbains et ruraux. Les nouvelles technologies de l’information et de

la communication (NTIC) ouvrent également de nouveaux usages enmatière de télésanté ou de téléformation dans des secteurs peu peuplés.Leur utilisation apporte aussi une vraie source de croissance pour lesentreprises. Nous avons par ailleurs expérimenté à Issoire l’installationde la fibre optique, qui démontre que lemodèle économique choisi poursa mise en œuvre en milieu rural reste encore à construire afin d’éviterune fracture numérique.

Après lesPaysde laLoire et le Limousin, l’Auvergne lancera cetautomneunempruntobligataire.Quelles sont lesparticularitésdu fondsd’investissementAuvergnedurable?Le FIAD, qui devrait permettre de récolter 20 millions d’euros en mobi-lisant l’épargne populaire, entend créer une dynamique autour des TPE,qui représentent lamajorité des entreprises de l’Auvergne. Le fonds d’in-vestissement va stimuler leur développement, tout en lançant des appelsà projets autour notamment du bois et de l’agroalimentaire.

3 questions à

Avec le projet Graines d’emplois, l’Auvergne veut lutter contre le chômage en imaginantles métiers du futur. Une démarche participative qui entend associer les TPE auvergnateset Internet pour développer l’économie régionale.

« Stimuler les TPE autour d’un emprunt populaire »

THIE

RRY

ZOCC

OLAN

/AFP

À contre-pied

Daniel Dugléry, président du groupe l’Union pour l’Auvergne au conseilrégional, ne cache pas son scepticisme face à l’initiative portée par la

majorité. « Nous considérons que l’aide au développement économiquedemeure insuffisante. Nous sommes parmi les régions les moins impliquéesdans le soutien aux entreprises. Le Limousin, dont le budget est inférieur, faitmieux que nous. Or, il ne faut pas se dissimuler que la concurrence entre lesrégions existe. Graines d’emplois est une démarche mal construite, quicorrespond à un inventaire à la Prévert qui reste flou. On a le sentimentqu’on a découvert l’eau tiède, comme le coaching informatique, qui existedéjà. On aurait pu s’appuyer sur les retours d’expériences des CCI. Le projetcontient au final beaucoup d’effets d’annonce, mais des annonces sanseffet. Lier le fonds d’investissement Auvergne durable (FIAD) à Grainesd’emplois est aussi une erreur qui ne renforcera ni le développementéconomique ni la formation. »

SergeGodard,mairePSdeClermont-Ferrand. PHOTO DR

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Page 11: l'Hémicycle - #415

Président de l’Association desélus régionaux de France, ledéputé d’Indre-et-Loire et

maire de Richelieu, Hervé Novelli,incarne les voix de droite dans desrégions majoritairement à gauche.

Quel rôle revendiquez-vouspour l’AERF?Hervé Novelli : Face à une associa-tion des régions de France (ARF)monochrome et politisée, il y a be-soin d’une expression des élus quisoit distincte des visions quelquesfois militantes et idéologiques del’ARF. Je souhaite que l’AERF ait unrôle d’animation et crée du lienentre des élus éloignés géographi-quement d’une région à l’autre, etqui pourtant partagent les mêmesproblématiques sur les infrastruc-tures, les lycées, le développementéconomique, et l’aménagement duterritoire. L’AERF doit être un lieude partage des expériences et despolitiques mises en œuvre.

Partagez-vous lepointdevuedeValériePécresse,qui estimeque« l’ARFestdevenueun instrumentdecontestationduGouvernementetdesonaction»?H.N. : Il est certain qu’avec unemajorité écrasante de régions àgauche, l’ARF n’a pas pu échapperà une dérive politique et à la tenta-tion de se transformer en un bas-tion de résistance à l’État, voire un

contre-pouvoir au Gouvernement.La captation par un camp de toutela parole publique n’est pas unebonne chose pour la démocratie,surtout s’agissant de collectivitésterritoriales, qui doivent être ani-mées avant tout par l’esprit répu-blicain et le souci du consensus.

Quelle visionde lapolitiquerégionalededemaindéfendez-vous ?H.N. : Nous réfléchissons à la créa-tion d’une nouvelle gouvernance àtravers une meilleure articulationentre toutes les collectivités inter-venant sur le territoire régional :région, département, intercommu-nalités,métropoles.Une conférencedes exécutifs des territoires, dotéed’une réelle capacité de prospec-tive, d’orientation et de coordina-tion pourrait ainsi être instauréedans chaque région.

Précisément, votreambitionàtravers l’AERFest-elled’infléchir leschoixdespolitiques régionales?H.N. : L’AERF a vocation à exprimernationalement un certain nombrede choix et de positions que nousadopterons vis-à-vis des politiquesmenées par les élus de gauche. Nousne sommes absolument pas dansune opposition systématique, maisdans certains cas nous n’hésiteronspas à sortir le carton jaune ! Je pensenotamment aux recrutements abu-

sifs, au soutien financier, qui relè-vent plus du clientélisme politiqueque de l’action régionale, aux in-vestissements inconséquents ouaux services qui font doublon etqu’on devrait à l’évidence regrou-per, notamment entre les départe-ments et les régions.

Hommede terrain,qu’attendez-vousdevotreprochain tourdesrégions?H.N. : Mon tour de France vad’abord être un signal vers les élusde la droite, du centre, et de la ma-

jorité présidentielle. De manièreplus générale, je souhaite établirun premier bilan de la gestion desrégions, et faire remonter aux ins-tances gouvernementales les pro-blèmes réels du terrain. S’en suivraà l’automne notre congrès fonda-teur, qui sera l’occasion de mettreen valeur les élus régionaux de de-main. Je souhaite que l’AERF soitpour eux à la fois une tribune et unevitrine, pour faire connaître leursidées au service de nos régions.

Propos recueillis parLudovic Bellanger

NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011 L’HÉMICYCLE 11

Novelli veutattaquer lagauchesur le terraindes régions

NANTES INAUGURESON TRAM-TRAIN� La première desserte de tram-traindeNantes, qui reliera dans un premiertemps la ville à Clisson, à 30 kilomètresau sud-est, a été inaugurée. Unetechnologie qui autorise à la fois de faireplus d’arrêts qu’un train classique, touten allant plus vite qu’un tramway (avecdes pointes à 100 km/h). Une deuxièmeligne reliant Nantes à Châteaubriant,à une soixantaine de kilomètres aunord-est, doit entrer en serviceau premier semestre 2013.

UNE FORCE DE FRAPPEONUSIENNE� Baptisé «Global X », le projet réunitautour de Thales, Geodis et Sodexo, onzePME françaises. Il vise à constituer uneéquipe de France à l’export pourmieuxsaisir les opportunités demarchésassociées aux opérations de l’ONU.«Nos entreprises, petites et grandes,ont tout pour réussir sur lesmarchésdumaintien de la paix : la technicité,l’ingéniosité, l’exhaustivité. Il ne leurmanquait plus qu’un ingrédient : lasolidarité », souligne Pierre Lellouche,secrétaire d’État chargé du commerceextérieur. Chaque année, les Nationsunies passent pour 14milliards de dollarsde commandes, dont 20%sontconsacrés à l’équipement et aux servicesdes troupes déployées dans lemonde.

BRETAGNE, UN SITEDÉDIÉ AU TOURISMERESPONSABLE� Paysages préservés, sites culturelsclassés, voies cyclables aménagées,hébergements écoconçus, tables bio…la Bretagnemise sur des voyages 100%durables. Présentée sur le site voyagez-responsable.tourismebretagne.com,l’initiative de l’office de tourisme régionala pour objectif de trouver l’équilibreentre les aspects économiques, sociauxet environnementaux du tourisme.

En bref

Friche industrielle symbolede l’échec des politiques desdernières années enmatière

de reconversions urbaines, l’îleSeguin à Boulogne-Billancourts’apprête à ressusciter sous l’ima-gination de Jean Nouvel. Le projetde l’architecte parisien a reçu l’avaldu conseilmunicipal de Boulogne-Billancourt, non sans déclencherde vifs remous.Nouvel écrin culturel pour la mu-sique, le cirque, le cinéma et l’art,l’île de onze hectares serait réser-vée aux véhicules électriques. Sonprofil en forme de calisson offrirait

aux visiteurs promenades etjardins, résidences d’artistes, com-merces et restaurants, aménagésautour de bureaux et d’hôtels.« J’ai dessiné un paysage urbain, avecun jeu de terrasses », explique JeanNouvel. « L’usine Renault était unbloc, le projet est sur deux niveaux,une sorte de Babylone moderne. »Mais le devenir de l’île est aussi liéau chantier du Grand Paris, seul àmême de configurer une offre detransports en commun encore in-suffisante aujourd’hui. La propo-sition de Jean Nouvel, défenduepar le député-maire de Boulogne-

Billancourt, Pierre-ChristopheBaguet,divise également riverains et élus.Thierry Solère, conseiller UMP deBoulogne-Billancourt, de dénoncer« un PLU qui ne sera pas applicablependant des années », et un béton-nage excessif. Au cœur de la polé-mique, la présence de cinq toursde bureaux d’une centaine demètres de haut. Aussi, le sénateurdes Hauts-de-Seine Jean-PierreFourcade prône un référendumlocal pour décider de la viabilité dela future « écocité », objet de tousles enjeux politiques, et source derebondissements annoncés. �

L’îleSeguin sedessineunnouveaudestinL’ex-forteresse industrielle deRenault tentede se réinventerautour de galeries d’art, de jardins et de tours de bureaux.Un projet qui déclenche une nouvelle polémique.

L’anciensecrétaired’ÉtatHervéNovelli a créé l’Associationdesélus régionauxdeFrance (AERF)pour lutter contre l’ARF,majoritairementàgauche.

STÉPHA

NEDE

SAKU

TIN/AFP

DR

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Pour Jérôme Cahuzac, laréforme de la fiscalité dupatrimoine n’aurait sans

doute pas la longévité souhaitéepar l’actuel Gouvernement. Il l’a ditd’entrée à l’occasion du petit déjeu-ner Mazars-l’Hémicycle. « Cetteréforme est très partielle et sa duréede vie n’est donc pas garantie. LeGouvernement souhaitait au départréformer la fiscalité du patrimoine,dont le rendement annuel atteint 55à 56 milliards d’euros. Au bout ducompte, la réforme finale ne concer-nera que des dispositions dont le ren-dement sera inférieur à 5 milliardsd’euros. »

Des recettes incertainesSi Jérôme Cahuzac est persuadéque cette réforme partielle ne du-rera pas très longtemps, il estaussi convaincu qu’elle est enoutre très mal financée. « Les re-cettes de remplacement censéescompenser le manque à gagner de laréforme de l’ISF – il fallait trouver1,8 milliard d’euros – sont très in-certaines, voire absentes. Je vousdonne trois exemples : en matière defiscalité des successions, le délai dereprise est repassé de six à dix ans.Cela est supposé rapporter à l’État450 millions d’euros. Je pense quecela est largement surestimé. Idempour l’exit taxe, dont le montant at-tendu en régime de croisière n’exis-tera pas l’an prochain. Il faut queceux qui décident de partir et devendre le fasse au pire moment poureux, dans un seul pays qui est laBelgique, à supposer qu’ils n’aientaucune moins-value par ailleurs.Les 190 millions d’euros attenduspar le Gouvernement ne seront doncpas perçus. Enfin il en est de mêmepour la taxe sur les résidences se-condaires des non-résidents. Neufsénateurs ont réussi à faire en sorteque le Gouvernement accepted’abandonner cette recette à la suitede l’examen au Sénat. » C’est laraison pour laquelle, selon Jé-rôme Cahuzac, les droits de par-tage ont été augmenté de 100 %et seront acquittés par tout lemonde. « Il faudra cela si l’on veutéquilibrer cette réforme qui sera detoute façon financée par l’endette-ment. »

Revoir la copieFort de ces constats, le présidentde la commission des Finances nevoit qu’une solution : remettre surle métier cette réforme fiscale, carelle ne suffira pas à permettrel’ajustement budgétaire. « Le Gou-vernement l’a reconnu, même s’il nel’assume pas politiquement. La loide finances initiale pour 2011 pré-voit des prélèvements obligatoires de20 milliards d’euros. Dans les deuxans à venir, il faudra 20 milliards deplus.En 2014, il y aura 40 milliards deprélèvements supplémentaires parrapport à 2010. Les impôts vontdonc augmenter sous forme de taxe.Ce gouvernement, depuis 2007, enest à sa 28e taxe supplémentaire.Cela rapporte de l’argent, mais celaprésente l’inconvénient d’être très in-juste puisque chacun les paie, quelsque soient ses revenus. Là aussi c’estune question de choix politique queje ne partage pas. »

UnsystèmefiscalactueltropinjustePour le président de la commis-sion des Finances, il y a une se-conde injustice, qui concerne lesrevenus du capital comparés àceux du travail. Il pense qu’il fautaligner la fiscalité du capital sur lafiscalité du travail. Il faut que cesoit au même barème. Il faut plusde justice car, dit-il, les Françaisn’accepteront pas ces prélève-ments supplémentaires, et ilajoute : « Ce sera d’ailleurs unthème très intéressant de campagneélectorale en 2012. La réforme devradonc être refaite sur la fiscalité dupatrimoine, sur celle des entrepriseset sur celle de la consommation, ycompris pour la TVA. Je pense que lesrèglements communautaires permet-tent des taux intermédiaires à ceuxde 19,6 % et de 5,5 %. Je ne vois paspourquoi nous ne pourrions pas enbénéficier. »Sur l’évolution du barème destaux de l’ISF, Jérôme Cahuzac s’est

dit convaincu qu’il faudra revoirles taux à la baisse. L’entrée dansle barème au premier euro estquelque chose de difficile, dit-il,même s’il y a des phénomènes delissage. C’est donc selon lui la fis-calité du patrimoine qui devraêtre largement revue, et notam-ment les prélèvements forfaitaireslibératoires. « Il faudra mettre lesplus-values de cession sous le barèmede l’impôt sur le revenu. Ce seraitune bonne chose ! »

Des finances désastreusesLe président de la commission desFinances a également rappelé quel’État a dû emprunter un euro surtrois cette année pour pouvoirfonctionner. Jérôme Cahuzac sedit persuadé qu’il faudra donc im-pérativement trouver des recettessupplémentaires dans les tempsqui viennent. « On est à 86 % dedettes rapportés au PIB. À 90 %,c’est un effet boule-de-neige quidevient incontrôlable. Il y a urgenceà protéger mais aussi à restaurer lesrecettes publiques. Quel que soit levainqueur des présidentielles de l’anprochain, l’urgence est là ! »

Renforcer la compétitivitéPour sortir de cette spirale, JérômeCahuzac considère nécessaire qu’ily ait au plus vite des ajustementsbudgétaires. Mais selon lui, il fautaussi renforcer la compétitivité denos entreprises. « Le rapport sur lacompétitivité française, qui sortiradébut juillet au Parlement et dont jesuis l’un des auteurs, montre que celle-ci est peut-être moins dramatiquequ’on veut bien le laisser penser. Nousavons cependant un vrai problème decompétitivité-recherche en France.L’Allemagne a contrario a des entre-prises intermédiaires qui sont très

compétitives et qui se situent sur desniches dans lesquelles nous nesommes pas. Nous sommes en Francedes généralistes et non des spécialisés.La mesure sur le crédit impôt-recherche prise par ce gouvernementest en revanche une bonne chose. Onest passé à plus de 5 milliards et c’estune très bonne mesure, mais les effetsne seront pas visibles immédiatement.Je plaide au Parti socialiste pour quece système perdure. »

Les principales questions posées :

ROBERT NAMIAS

Est-ce que le Parti socialistepartage l’ensemble de vosremarques et de vos propositions ?

Jérôme Cahuzac : Personne nepourra s’exonérer d’une réformefiscale. Il ya eu trop d’abandons.Depuis 2002, il y a eu 25 milliardsde niches fiscales supplémentairespar an. C’est déraisonnable. Nousne pouvons pas continuer commecela. Nécessité fera loi ! Au-jourd’hui, l’endettement est de-venu insupportable. Notre detteest détenue par des investisseursétrangers. Cela aboutit de fait àun abandon de souveraineté na-tionale aussi inacceptable à droitequ’à gauche. Quel que soit le pou-voir issu des urnes l’an prochain,il sera nécessaire de retrouvercette souveraineté. Cela passe parun effort gigantesque. J’imaginemême mal comment on pourraits’appuyer uniquement sur le soclede son électorat pour prendre lesmesures. J’en suis même à penserqu’il faudrait une union nationalesur ce sujet. Le vainqueur de l’anprochain ne devra pas rater cetteoccasion. On ne pourra pas faire

12 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011

Débat

Jérôme Cahuzac, président de la commissiondes Finances de l’Assemblée nationale PHOTO FRED DUFOUR/AFP

Fiscalité : et pourquoi pas l’union nationaleaprès 2012 ?Le président, socialiste, de la commission des Finances de l’Assemblée estime que l’endettementactuel conduit à un abandon de souveraineté. Jérôme Cahuzac,qui était l’invité d’un petit déjeunerorganisé par et , va jusqu’à imaginer que sur cette question il faudrarechercher une union nationale droite-gauche, quel que soit l’élu de 2012.

«IL FAUT ALIGNER LAFISCALITÉ DU CAPITAL SUR

LA FISCALITÉ DU TRAVAIL »

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ce que le pays nécessite sans cettedémarche. Il faudra conclure unaccord politique sur le nécessaireredressement national.

PATRICK DE CAMBOURGPRÉSIDENT DE MAZARS

Commentaugmenter les recetteset limiter lesdépensespour réduirel’endettement etquel est lecalendrier retenu?

Jérôme Cahuzac : Le calendrier estconnu et les objectifs sont fixés. Jene fais pas partie de ceux qui pen-sent que le vainqueur de 2012penserait à le remettre en cause. Lasituation est tellement grave qu’ilfaudra respecter les engagements.Il faut s’en donner les moyens. Lesmarchés estiment que la Francepeut faire ce qui a été annoncé.Sinon on perdrait la confiance desmarchés. Or, nous avons besoin decela pour refinancer notre dettesur quinze à vingt ans.Quant à la méthode, il est clair quenotre croissance est aujourd’huiinsuffisante. Nous ne connaîtronsplus la situation des années 1980.Notre croissance structurelle sesitue entre 1,5 et 2. En 1998-2001,le chiffre était de 3 !Si nous prenons un point de tauxd’intérêt en plus, cela coûterait14milliardspar anauboutde sixans.

PATRICK DE CAMBOURGPRÉSIDENT DE MAZARS

Avez-vous le sentimentqu’enmatièrede fiscalité locale toutesles réformessesontbienpassées?

Jérôme Cahuzac : La réforme de lataxe professionnelle a été une er-reur et n’était pas au programmede Nicolas Sarkozy. Il l’a décidébrutalement avec un calendriertrès serré. Au total, la réforme dela taxe professionnelle a coûté9,2 milliards d’euros intégrale-ment financés par l’endettement.En vitesse de croisière, ce sera7 milliards de coût chaque année.Par ailleurs, les collectivités lo-cales ont réduit l’an dernier leursinvestissements de 6 à 8 % alorsqu’elles réalisent 70 % de l’inves-tissement civil.Le problème est aujourd’hui le dé-ficit de l’État. En 2010 il atteint les148,8 milliards d’euros. Le déficitstructurel de l’État s’est donc ag-gravé, indépendamment des me-sures prises. Ce déficit structurelest le double de la moyenne de lazone euro.

ALEXIA DE MONTERNODIRECTRICE DU DÉVELOPPEMENT,INSTITUT MONTAIGNE

Cettedégradationestdueàquoi?

Jérôme Cahuzac : Il n’y a pas eu desuppression de niches fiscales oude mesures prises pour réduire cesdéficits. Je vous donne un scoop :il y a eu 2,5 milliards de niches fis-cales non gagées l’an dernier !

YVES-CHARLES ZIMMERMANNAVOCAT ASSOCIÉ, MARCCUS PARTNERS

Et lesprélèvementsà la source?Est-cequecela se fera?

Jérôme Cahuzac : Les prélèvementsà la source ne sont pas coûteux. Jecrois qu’il faut le faire. Il y a uneannée blanche mais pas demanque à gagner. Les pays quisont passés au prélèvement à lasource ont pu gérer parfaitementle problème.C’est une mesure de simplifica-tion évidente. Cela n’a pas été faitplus tôt parce qu’au ministère desFinances deux directions s’occu-paient du dossier : l’une du calculet l’autre du recouvrement. La fu-sion a été faite en 2007-2008. Lecoût de cette réforme aura tout demême été de 50 millions par anen faveur des agents des finances.

ALEXIA SCOTTDIRECTRICE DES AFFAIRES FISCALESGROUPE, SNCF

Est-ceque l’onneconfondpas tropla compétitivitéde laFranceaveccelledesentreprises?

Jérôme Cahuzac : Vous aurez la ré-ponse le 5 juillet dans mon rap-port.

ALEXIA DE MONTERNODIRECTRICE DU DÉVELOPPEMENT,INSTITUT MONTAIGNE

Il n’y aque trèspeude«BusinessAngels»enFranceà ladifférencede laGrande-Bretagne…

Jérôme Cahuzac :Nous sommes unpeuple de rentiers et pas d’inves-tisseurs. Cela me navre autant quevous. Nous investissons dans lapierre, c’est un constat.

ROBERT NAMIAS

Vousavezévoqué lanécessairepolitiqued’unionnationalepourfaire faceausurendettementde laFrance.Est-cequecediscoursderigueur auravraiment saplacedanslaprochainecampagneélectorale?Est-ceque leprojet socialisteengage le futur candidatsocialiste?

Jérôme Cahuzac : Il faut tenir unlangage de vérité aux Français. Lemeilleur moment, c’est celuid’une campagne présidentielle. Jeplaide pour ce discours de vérité,mais je ne suis pas candidat !Quant à votre seconde question,j’ignore si le ou la candidate socia-liste reprendra à son compte l’in-tégralité du projet socialiste. Sic’est le cas, ce sera bien la pre-mière fois ! Mais c’est la mêmechose à l’ UMP !

Compte rendupar Joël Genard

avec

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PETITDÉJEUNERMAZARS-L’HÉMICYCLEMERCREDI28 juin2011

Invité d’honneurJérômeCahuzac,Président de la commission desfinances de l’Assemblée nationale

MadameSandrineVerdelhan(1)Directrice des Affaires publiqueset des relations média, MAZARSMonsieurFrançoisDeschamps(2)Conseiller de Jérôme CahuzacMaître Jean-YvesMercier(3)Avocat associé, CMS Bureau FrancisLefebvreMonsieurPatrickdeCambourg(4)Président de MazarsMadameAlexiaScott(5)Directrice des Affaires fiscalesgroupe, SNCF

MonsieurBrunoPelletier(6)Directeur de la publication,l’HémicycleMadameAlexiadeMonterno(7)Directrice du développement,Institut MontaigneMonsieur Jean-YvesHemery(8)Directeur Fiscal, WendelInvestissementMonsieurYves-CharlesZimmermann(9)Avocat Associé, Marccus Partners

Monsieur JoëlGénard(10)Rédacteur en chef de l’HémicycleMonsieurRobertNamias(11)Directeur de l’HémicycleMaîtreSébastiendeMones(12)Avocat associé, Bredin Prat

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Enuneheure, Jean-Christophea fumé quatre cigarettes,s’est déchaussé, a malaxé

une balle rouge en mousse, s’estgratté plusieurs fois l’oreille avec untrombone, a fait au moins troisfois les deux mètres qui séparentson bureau de la fenêtre sans s’ar-rêter de parler. La nervosité de ceuxqui souhaitent convaincre. Autamis de ses convictions, des idéesbien arrêtées. Une indépendanced’esprit non négociable. Ajoutezà cela une bonne dose de pragma-tisme, rehaussé par un sens poli-tique aigu ; et vous obtenez l’un desquadras centristes qui comptent.Un homme pressé.Son patronyme est sous les feuxde l’actualité. Aucun lien – defamille – avec Christine ; la nou-velle patronne du FMI. Il apprécieen homme de l’art. « Chapeau baspour elle ! Bien joué pour le Présidentet pour la France. »Borloo en avant toute ! Baron duNouveau Centre, Lagarde ne veutplus d’une UMP hégémonique ; etencore moins du retour au pou-voir des socialistes. « Deux visionsantagonistes et classiques de lasociété. C’est un boulevard pourLe Pen… » D’un revers de main, ilbalaie l’hypothèse d’un 21 avril à

l’envers, que les amis de Copé agi-tent telle une muleta. « Notre offre,notre présence dégonfle la bulle FN. »Il tient pour acquis la candidaturede celui qu’il appelle Jean-Louis.« Borloo n’affaiblit pas Sarko ! »Refrain connu et qui n’est pas dugoût de l’Élysée. Nicolas Sarkozy,il l’a vu mercredi dernier. En tête-à-tête. Rien de neuf. Pas questionpour lui de baisser la garde pourun maroquin. « Quand on a la

chance d’être parlementaire, rentrerau Gouvernement n’est pas une finen soi. » Il esquisse un sourire car-nassier. À croire que pour lui lepouvoir n’est rien, seule comptel’influence. Merci Hérodote.« Sarkozy est un excellent Présidentde crise. Dans la gestion courante, ilperturbe le système. »Un père informaticien, une mèresecrétaire, une enfance à Drancy,Seine-Saint-Denis. C’est l’histoirequi le mène à la politique. À vingt

ans, il milite pour Raymond Barre.À trente-quatre ans, il gagne aupremier tour la mairie de Drancy,mettant fin à soixante-six ansd’hégémonie communiste. Un anplus tard, à sa grande surprise, levoilà sur les bancs du Palais-Bourbon. « C’était le 16 juin 2002et ma fille est née le 8 juillet… Cedébut du 21e siècle a été incroyable. »Porte-parole de Bayrou en 2007, ilse retrouve « cocu » quand Fran-

çois fricote avec Ségolène. Il ne luien veut pas, ou plus. « Je parletoutes les semaines avec lui. Je l’es-time. L’homme a beaucoup de qua-lité et un gros défaut… » Unproblème d’ego. Bayrou ne s’ima-gine que dans le rôle du chef. L’ac-teur a montré ses limites. Lagardeest persuadé que Bayrou « va pi-quer des voix à la gauche sans possi-bilité de s’associer avec elle. »Autrement dit, quand indépen-dance rime avec isolement, la

mort politique n’est jamais loin.En fin tacticien, il n’exclut pasque son ancien mentor discuteavec Sarkozy entre les deuxtours…Le discours des socialistes à l’As-semblée le met presque en colère.« J’hallucine ! Leurs amis au Portu-gal, en Grèce, en Espagne ont baisséles salaires, taillé dans les pensionsde retraite, augmenté les impôts etallongé la durée du travail… » Fer-

mez le ban. Les verts, il les exécuted’un revers de main. « Comparezle bilan de Voynet et celui de Bor-loo. » Le côté gaucho des verts nelui a pas échappé. Il est certainque Nicolas Hulot va se faire sor-tir du jeu.L’espace d’un instant il s’arrête, etrepart. « On a besoin d’un boulever-sement économique et cela passerapar l’Europe. Nous sommes en trainde devenir les Chinois des années 30.À l’époque on dirigeait avec de la

technologie et de l’argent… » Pour2012, il appelle de ses vœux ungrand soir fiscal. Une révolution.« Notre édifice fiscal est injuste, ina-dapté à une économie mondiale.Juste un exemple : la taxe foncière.Si Mme Bettencourt vient habiterDrancy demain [NDA : il y a peu dechance], elle paiera le même impôtfoncier qu’un couple au RSA avec sesdeux gosses ! »Autre cheval de bataille pour 2012,les PME, qui pour lui doiventdevenir une priorité nationale.« Chez moi, j’ai tous les artisansdu monde pour construire, mais ils nepeuvent pas répondre aux appelsd’offres. Nous devons impérativementleur permettre l’accès à la commandepublique, et ce sont des emplois qui nesont pas délocalisables. »En face de lui, Ophélie, son atta-chée de presse, prend tout ennote et gère au millimètre unagenda de ministre. Le vice-président de l’Assemblée natio-nale ne laisse rien au hasard.Chaque minute compte. Jean-Christophe Lagarde est loind’avoir fini sa course. Il vise lalune. Il a raison. S’il se rate, iltombera dans les étoiles.

Jean-FrançoisCoulomb des Arts

Rencontreavec

JEAN-CHRISTOPHE LAGARDEDÉPUTÉ NOUVEAU CENTRE DE SEINE-SAINT-DENIS

Centriste convaincu, Jean-Christophe LagardeaimeNicolas et Jean-Louis. Et c’est aunomde cedouble soutienqu’ilmilite ardemmentpour la candidature deBorloo en2012.Et ce n’est pas le récent remaniementministériel qui le fera changer d’avis.

Un homme presséPHOTOSTÉPHANEDESAKUTIN/AFP

14 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011

«SARKOZY EST UN EXCELLENT PRÉSIDENTDE CRISE. DANS LA GESTION COURANTE,

IL PERTURBE LE SYSTÈME… »

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Il ne reste plus une seule placeassise dans la salle. Fin d’après-midi, dans une salle de confé-

rence à deux pas des Champs-Élysées, une assemblée de costumessans cravate se presse, se salue, secongratule.Des trentenaires, pour laplupart. Ils sont tousvenusparticiperà la première remisedes trophéesdesthink tanks. Tout un symbole pources structures qui ont, en grandemajorité, quelques années d’exis-tence. « Les think tanks, c’est un nou-veau contre-pouvoir issu de la sociétécivile », déclare fougueusementAgnès Verdier-Molinié, de l’IFRAP,en recevant son prix de la person-nalité think tank 2010, « ils permet-tent de mettre en place un pluralismedes idées pour que le pouvoir de déci-sion ne soit pas toujours concentré entreles mêmes mains. »Think tank. L’anglicisme fait cra-chouiller nos lèvres françaises. Tra-duction : « réservoir à idées ». Ilsdésignent des groupes de réflexionformés d’intellectuels et d’expertsqui effectuent des propositions enmatière de politiques publiques.Ces propositions ? Des rapportsépais sur des questions euro-

péennes, sur l’économie interna-tionale, des questions de société. Etpuis, des « policy briefs », des notesde 4 ou 5 pages avec une page desynthèse qui sont envoyés en pushaux éditorialistes et aux politiques.En 2010, Terra Nova, think tankrégulièrement sollicité par le PS etporté par Olivier Ferrand (notrephoto), a fourni près de 400 notes.Très efficace quand on veut parti-ciper médiatiquement au débatd’idées. Desméthodes inspirées despratiques américaines.Outre-Atlantique, les think tankssont devenus des acteurs majeursde la réflexion politique, sociale etéconomique. Près de 1 500 thinktanks sont recensés avec desmasto-dontes commeTheHeritage, qui af-fiche 250 collaborateurs, et, surtout,qui revendique 200 000 donateurset 60millions de dollars US de bud-get. En France, l’Institut français desrelations internationales (IFRI) a laplus grosse dotation : 6 millionsd’euros. « Nous sommes des nains parrapport aux Américains, admet SélimAllili, président de l’Observatoirefrançais des think tanks (OFTT).Nous sommes encore très loin de cette

approche où le grand publicfinance les idées. »Pourtant, les think tanks ont lacote en France. L’OFTT en dénom-

bre près de 75. Ces dix dernièresannées, il s’est créé plus de thinktanks que durant les cinquantedernières années. Particularité :tous ont un site Internet. « Le siteest un outil formidable, précise SélimAllili. Il sert de bibliothèque virtuelle ;c’est aussi un lieu d’échange et de par-tage, qui joue le jeu de la démocratie.Les think tanks permettent aux citoyensd’être au cœur du débat d’idées. »La gauche comme la droite ontcompris l’enjeu. Ils savent aussique la bataille des idées est crucialeen vue de la prochaine échéanceprésidentielle. « On est sorti de l’èredes certitudes, rappelle DominiqueReynié, président de la Fondapol,fondation pour l’innovationpolitique. Il y a une nécessité derepenser dans tous les domaines, etbeaucoup d’hommes politiques sonttrès demandeurs. En fait, ils n’ont pasle choix. »Chez Terra Nova, plus de50 rapports sont actuellement engestation pour pouvoir inonder ledébat public à la rentrée prochaine.« Dans les prochains mois, on va en-trer dans une guerre civile politique,déclare Olivier Ferrand. La gaucheet la droite ont rompu avec notre mo-dèle économique actuel. On va avoirdeux nouvelles visions radicales quivont s’affronter. »Surfant sur cette mode de « réser-voir à idées », nombre de person-nalités politiques ont aussi crééleur club de réflexion. Ils serventsouvent d’outil, car ils offrent la

possibilité de gonfler le carnetd’adresses et d’étendre l’influence.Le secrétaire d’État au LogementBenoist Apparu, qui a repris il ya un an club 89 – créé en 1981notamment par Alain Juppé –,l’avoue : « évidemment, ce n’est pasdénué d’intérêt personnel. Oui, ce typede club peut servir de tremplin. Sur-tout quand on a une idée et qu’elle sefait remarquer. Mais il faut avoirl’idée. » En attendant, cela permetsurtout de prendre la parole etd’occuper le terrain médiatique.C’est en tant que fondatrice d’ « Al-lons enfants ! » que Rama Yade estdevenue chroniqueuse dans l’émis-sion hebdomadaire de LCI intitulée« think tank ». Juliette Bot

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Think tanks, réservoirs à idées.Àdroite commeàgauche, ils prolifèrent à côtédespartis politiques.Beaucoupde responsables font appel à euxpour nourrir leur réflexion, voire le programmedesfuturs candidats à la présidentielle.

Think tanks : le nec plus ultra de la politique

Enquête

Terra Nova, présidé par Olivier Ferrand, a raflé trois prix aux trophéesdes think tanks. PHOTOXAVIER LÉOTY/AFP

Les groupesde réflexion ouclubs rassemblésautour d’unepersonnalitépolitique� Le Labo des idées(Présidente : Valérie Pécresse)

� Club 89(Président : Benoist Apparu)

� Droite sociale(club de réflexion lancépar LaurentWauquiez)

� Les Progressistes(mouvement politiquefondé par Éric Besson)

� Génération France(club de réflexion présidépar Jean-François Copé)

� Le Chêne(mouvement présidéparMichèle Alliot-Marie)

� LaDroite populaire(Fondateur : ThierryMariani)

� Allons enfants !(club de réflexion fondépar RamaYade)

� Désir d’avenir(mouvement de soutien à lacandidature de Ségolène Royal)

� Des idées et des rêves(mouvement de soutienà la candidature d’ArnaudMontebourg)

� Besoin de gauche(mouvement lancépar PierreMoscovici)

� Maintenant, à gauche !(lieu « passerelle » lancépar Clémentine Autain)

Les principaux think tanksTHINK TANKS ORIENTÉS À GAUCHE� Fondation TerraNova (Président : Olivier Ferrand)� Fondation Jean-Jaurès (Président : PierreMauroy, directeur général : Gilles Finchelstein)� LaRépublique des idées (Président : Pierre Ronsanvallon)� En temps réel (Président : StéphaneBoujnah)� Fondation Res Publica (Président : Jean-Pierre Chevènement)� Institut Edgar Quinet (Fondateur : Vincent Peillon)� Les Gracques (membres : Bernard Spitz,Mathieu Pigasse, Denis Olivennes)

THINK TANKS ORIENTÉS GAUCHE RADICALE� Fondation Copernic (Co-présidence : CarolineMécary et Pierre Khalfa)� Fondation Gabriel-Péri (Président : Robert Hue)� Mémoire des luttes (Président: Ignacio Ramonet)

THINK TANKS ORIENTÉS À DROITE� Fondationpour la recherchesur lesadministrationset lespolitiquespubliques, IFRAP(Directeur :AgnèsVerdier-Molinié)� Fondapol (directeur général : DominiqueReynié)� Fondation Concorde (Président :Michel Rousseau)� L'InstitutMontaigne (Président-fondateur : ClaudeBébéar)

THINK TANK ORIENTÉ DROITE RADICALE� Club de l’horloge (Président : Henri de Lesquen)

AUTRES THINK TANKS� Notre Europe (Président-fondateur : Jacques Delors ; Président : Antonio Vitorino)� Institut français des relations internationales, IFRI (Fondateur : Thierry deMontbrial)� Institutde relations internationaleset stratégiques, IRIS (Présidentd’honneur :Pascal Lamy ;Président : JacquesBoyon)� Groupe des belles feuilles (Président : Jean-ChristopheBoulanger)� Confrontation Europe (Présidente : Claude Fischer)� L'Institut Kervégan (Directrice générale : Stéphanie Rabaud)

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La veille, il est allé au concertde Prince, au Stadede France.En transport en commun. Il

n’a pas de voiture. Familier des pla-teaux télé, les gens le reconnais-sent, parfois. Il ne s’en offusque pas.Au contraire. Il savoure son rôle depremier cheminot de France. LesFrançais pestent souvent contre laSNCF. Les engueulades, il les accepte.« Je vis plutôt bien les critiques. Ellessont dures, mais pleines d’espoir ! Onveut plus de SNCF. Et puis… qui aimebien, châtie bien. » Le ton est donné.Ce quinquagénaire élégant, auxyeux rieurs est unhommeheureux.Pour lui, la société nationale deschemins de fer français est plusqu’une entreprise, une passion.Dans son grand bureau à l’ombrede la tour Montparnasse, des ma-quettes de train et d’avion. Rien netraîne. C’est rangé au cordeau. Unejeune femme brune le rejoint.« Priscille, mon commissaire poli-tique », dit-il en riant.Le grand soir, ce fils de grand bour-geois en a peut-être rêvé à 17 ans. Àl’époque, il passe quelquesmois ausein des jeunesses communistes.Une mini-crise d’adolescence,question d’embêter les parents.« J’étais un étudiant boutonneux et àlunettes… » Cela ne l’a pas empê-ché de faire un parcours sans

faute ; de l’École Alsacienne àl’ÉNA. Il sera haut fonctionnaire.Sa voie semble toute tracée. « En-fant, je n’ai jamais eu de train Jouef »,dit-il, taquin.Un cours passage à la SNCF en1988, avant de rejoindre des cabi-nets ministériels de gauche. De sonpassage comme « dircab’ » de Mar-tine Aubry au ministère du Travail,il a gardé avec elle une relation ami-cale. La politique l’intéresse comme« spectateur ». La prudence des di-

plomates. De gauche, de droite(c’est Sarkozy qui l’a nommé), il sepréfère politiquement inclassable.Sa profession de foi : il adore lesélus. Une réelle affection, teintéed’un soupçon d’admiration. « Ils sa-crifient un confort personnel et leur li-berté. J’en serais incapable… Je ne mesuis jamais emmerdé dans un rendez-vous avec des élus. »Guillaume Pepy réintègre la SNCFsous l’ère Bergougnoux. Le courantne passe pas. Il claque la porte en1995. Après un détour par la Sofres,le voilà à nouveau sur les rails.

Louis Gallois l’appelle à ses côtés.Cet homme est pour lui un secondpère. « C’est le patron qui m’a le plusmarqué. Rigoureux, juste, honnête, etdoué du plus grand sens de l’humouret d’autodérision que je connaisse. Ilest très british. Il n’est pas dupe sur lanature humaine. J’ai avec lui mes plusgrands fous rires ! »Guillaume et Louis continuent à separler souvent. La suite de l’his-toire, on la connaît. L’Élysée en faitle patron de la quinzième entre-

prise de France. 240 000 salariés.8,5millions de voyageurs transpor-tés chaque jour.Il a pris la SNCF à bras-le-corps etimposé son tempo. S’inspirant destarifs aériens, il a développé unepolitique tarifaire qui n’a qu’unobjectif : remplir ses trains. « L’en-nemi, c’est le gâchis. » La phrase estrécurrente.Il s’est attaqué aux problèmes dufret, qui plombe les comptes del’entreprise. « L’avenir, c’est les ca-mions sur les trains. La technologie du21e siècle le permet. » Une révolu-

tion industrielle qu’il veutconduire sans drame, « avec desgens qui ont la garantie de l’emploi. »Une cogestion avec la CGT – pra-tique longtemps en usage à laSNCF – ce n’est pas sa tasse de thé.Maîtremot de son action : l’écoute.« J’écoute le terrain, les clients et… jedéteste la bureaucratie. »Mais sa grande affaire, c’est l’Eu-rope du rail ; qui n’existe pas.« C’est dramatique », soupire-t-il. Ila raison. Quand on se penche sur

ce dossier, on hallucine. En Europe,on trouve quatre normes diffé-rentes d’écartement des rails.Chaque pays a son propre systèmede signalisation. Aucun pays n’uti-lise le même niveau ni les mêmesfréquences de courant. Cela va de1 500 à 25 000 volts… Un inven-taire à la Prévert. Et GuillaumePepy d’enfoncer le clou. « Une nou-velle locomotive a besoin de 27 homo-logations nationales pour circuler enEurope. » Pepy le bref (l’un de sessurnoms en interne) appelle deses vœux une agence européenne

de sécurité ferroviaire dotée despleins pouvoirs. Lucide, il sait quele chemin est semé d’embûches.« Ça coince de partout ! Les 27 ontun mal fou à avancer eux-mêmes ! Ilfaut plus d’union et plus d’autorité ! »Le défi est de taille. Et alors, il nel’avouera pas, mais il rêve d’être lepère de l’Europe du rail.Cet été, il ira aux États-Unis. Unséjour à San Francisco. Commed’habitude. Chez les Américains, iladore leur optimisme inaltérable,pire, leur positivisme forcené. « Jesuis du matin. L’idée que le jour selève, cela me met d’une humeur gé-niale… C’est le plus beau moment dela journée ! »

Jean-FrançoisCoulomb des Arts

Focale

GUILLAUME PEPYPRÉSIDENT DE LA SNCF

Le train c’est unepassionpour GuillaumePepy, la SNCF sa famille. Turbulente, comme toutes lesfamilles. Sonprésident doitmaintenant la conduire sur les voies de la concurrence européenne.Aux commandesdepuis 2008, il assume toutes lesmutations nécessaires et sur le terrains’affirme toujours prêt à répondre auxquestions, voire à la grognedes usagers-clients.

Pepy, cheminot et patron

3 dates

1989 « La chute dumurde Berlin. Incroyable

pourmagénération, nourrie au lait Est-Ouest. »

2001 « Le 11 septembre.J’ai cru que c’était

un film. Je n’arrivais pas à réaliser. »

2008 «Jesuisnommépatronde laSNCF.»

PHOTOSTÉPHANEDESAKUTIN/AFP

16 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 415, MERCREDI 6 JUILLET 2011

«JE VIS PLUTÔTBIENLESCRITIQUES. ELLESSONTDURES,MAIS PLEINESD’ESPOIR !

ET PUIS…QUIAIMEBIEN, CHÂTIE BIEN»

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Établissement public françaiscréé en 1975, le Conserva-toire du littoral, dont le nom

officiel est le Conservatoire de l’es-pace littoral et des rivages lacustres,a intensifié sonactionaufildutemps.À ce jour, 635 sites, représentant138 000 hectares, sont préservéspar le Conservatoire.Le Conservatoire mène une poli-tique foncière visant à la protec-tion définitive des espacesnaturels et des paysages sur lesrivages maritimes et lacustresfrançais. Il peut intervenir en mé-tropole, dans les départementsd’outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il intervient égalementdans les communes riveraines desestuaires, des deltas et des lacs deplus de 10 kilomètres carrés.Il acquiert des terrains fragiles oumenacés, à l’amiable (80 % desopérations), par préemption ouexceptionnellement par expro-priation, comme ce sera le casprochainement pour la dune duPilat. Le Conservatoire du littoralacquiert en moyenne chaqueannée 20 à 30 km². Des biens peu-vent également lui être donnés,légués ou bien faire l’objet de

dations en paiement des droits desuccession. Les legs représententd’ailleurs une recette non négli-geable (800 000 euros en 2010).Après avoir réalisé les travaux deremise en état nécessaires, leConservatoire confie la gestiondes terrains aux communes, àd’autres collectivités locales oubien à des associations pourqu’elles en assurent la gestiondans le respect des orientationsarrêtées. Avec l’aide de spécia-listes, il détermine la manièredont doivent être aménagés etgérés les sites qu’il a acquis pourque la nature y soit préservée, etdéfinit les utilisations, notam-ment agricoles et de loisir compa-tibles avec ces objectifs.

Des objectifs d’acquisitionambitieuxC’est un établissement publicunique, qui ne connaît pas d’équi-valent dans d’autres pays. Au 31janvier 2005, le Conservatoire as-surait la protection de 732 km² sur300 sites, représentant environ861 km de rivages maritimes... et113 000 hectares au 31 décembre2007 (pour 900 km de rivages ma-

ritimes). Cette progression conti-nue chaque année puisque, à cejour, plus de 1 200 km de côtes enFrance métropolitaine ont été

acquis, soit 12 % du total dulinéaire côtier. L’objectif est deprotéger un tiers du littoral fran-çais à l’horizon 2050.

Son budget annuel est de l’ordrede 50 millions d’euros, dont20 millions consacrés à l’acquisi-tion et à l’aménagement des sites.L’essentiel de ces moyens vient del’affectation du produit de la taxeannuelle de francisation des na-vires, soit 35 millions d’euros paran. Diverses collectivités locales(communes, régions) et l’Europeapportent aussi leur concours. Desentreprises mécènes et des parti-culiers apportent également descontributions volontaires pour unmontant de 1,2 million d’euros.L’équipe du Conservatoire natio-nal du littoral comprend cent cin-quante personnes, à la Corderieroyale à Rochefort, à Paris et auxsièges des délégations régionales.Sept cents gardes du littoral, re-crutés par les collectivités localeset les organismes gestionnaires,assurent, tout au long des côtes,la surveillance et l’entretien dessites du Conservatoire nationaldu littoral.Celui-ci possède désormais un en-semble de sites littoraux parmi lesplus remarquables de notre terri-toire, aux enjeux de protectionsensibles et importants.

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Expertise

LeConservatoiredu littoral adesambitionsdepropriétaireGrâce au Conservatoire du littoral, créé il y a trente-six ans, la France n’est pas complètementdéfigurée. L’organismepublic entend poursuivre sa politique d’acquisition par préemption,voire par expropriation pour protéger nos côtes d’une urbanisation incontrôlée.Enquête de Joël Genard

JÉRÔME BIGNON,DÉPUTÉ DE LA SOMME,PRÉSIDENT DU CONSEILD’ADMINISTRATION DUCONSERVATOIRE DU LITTORAL

LeConservatoire s’apprêteàsigner avec leministèrede l’Écologieunnouveaucontratd’objectifspour lesannées2012-2014.Quelles sontlesgrandesorientations stratégiquespour lesannéesàvenir ?Nous venons de valider les grandes orientations du futur contrat d’ob-jectifs pour les trois prochaines années. Le Conservatoire du littoralest propriétaire, aujourd’hui, de 81 654 hectares sur le littoral deFrance métropolitaine et d’outre-mer, soustraits ainsi définitivementà l’urbanisation. La stratégie à long terme de l’établissement, arrêtéeen 2005, prévoit qu’il soit propriétaire de 240 000 hectares en 2050.Il a donc parcouru un bon tiers du chemin, mais le temps presse pouratteindre l’objectif fixé. Le Conservatoire prévoit donc aujourd’huide renforcer sa méthode en définissant un objectif intermédiaireà l’horizon 2030 et des priorités d’intervention géographiques enfonction des menaces qui pèsent sur les sites à protéger, d’abord,en fonction des possibilités de constitution rapide de sites protégéscohérents, ensuite, et en fonction des outils d’intervention les pluspertinents à mobiliser sur chaque secteur.

L’année2011 estplacéesous le signedes«Outre-mer».Quelle est lacontributionduConservatoire à laprotectiondes rivagesultramarinsfrançais?Dans le cadre de « l’année des Outre-mer », un bilan de l’action duConservatoire outre-mer a été présenté et ses perspectives ont été

évoquées. Le conseil d’administration a réaffirmé la nécessité d’in-tervenir avec une particulière détermination outre-mer, en raisondes menaces accrues qui pèsent sur les littoraux, dans l’intérêt deshabitants et d’activités économiques durables comme le tourisme.Il souligne que le Conservatoire participe largement au développe-ment harmonieux et à la valorisation de ces territoires encore peuconnus. Aujourd’hui, outre-mer, plus de 28 000 hectares, soit affec-tés tel le domaine public, soit acquis, sont protégés par le Conser-vatoire du littoral. L’objectif à l’horizon 2050 est de protéger70 000 hectares outre-mer.

Il semblerait que l’État envisaged’affecter unepartiedespharesauConservatoire .Qu’enest-il de l’actualitédecedossier ?Le dossier des phares est délicat et aucune décision sur ce sujet nedoit être prise au détour des couloirs de ministères, plus particulière-ment la question de la charge financière qu’il représente. Si demainle Conservatoire devait prendre en charge la gestion de phares en lienavec son action de protection du littoral, cela nécessiterait de donnerau Conservatoire des moyens financiers et humains importants.Si on veut sauver ce patrimoine des phares et, dans un même temps,ne pas ralentir le rythme d’acquisition donné par le contrat d’objec-tifs, il faudra bien que l’État donne au Conservatoire les moyens decette ambition…

Protéger les phares : une urgence qui coûtera cher3 questions à

CalanquesdeMarseille, dont leConservatoiredu littoral souhaite faireacquisition. PHOTOSTANFAUTRE/AFP

DR

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Le Conservatoire du littorala décidé d’exproprier lesquatre-vingt-dixpropriétaires

de la dune du Pilat, qui possèdentprès de 250 hectares de ce magni-fique espace naturel. La dune esten effet à 60 % privée… Plusieurscampings quasiment au pied dumassif dunaire pourraient être dansun premier temps épargnés.Mais àterme une solution devra être trou-vée pour les sortir de la zone classée.L’État a donc décidé de menerbataille, y compris juridiquepour lesrécalcitrants… L’enquête publiquesera de toute façon lancée d’ici la finde l’année.C’est la plus haute d’Europe : lamagnifique dune du Pilat se trouvejuste à l’embouchure du bassind’Arcachon, en face de la pointe duCap-Ferret. Elle mesure 105 m dehaut et s’étend sur 2 700m de longet 500 m de large. Combien de m3

de sable ? Oh… au bas mot 60mil-lions !En 1855, la fameuse dune du Pilat,celle qui attire aujourd’hui plusd’un million de visiteurs par an,ne mesurait que 35 m de haut.

La dune a considérablement pro-gressé, et avance toujours de 10 mpar an environ vers la forêt. Elle seforme grâce à la conjonction deplusieurs facteurs : le sable, les

vents et les marées. Lorsque l’onmonte au sommet de la dune,le panorama est exceptionnel : letouriste peut ainsi observer la forêt,la dune et l’Atlantique.Pour Guillemette Rolland, duConservatoire du littoral, la valeurpatrimoniale est unique enAquitaine. « Le site a été classé dèsles années 1940. Il y a au total 500hectares de sable. Dans la géomor-phologie de cet espace, la dune gagnesur la forêt, puisqu’elle est mobile. »Près de la dune, deux types d’amé-nagement existent. Une zone com-merciale et un parking y ont étéinstallés. Mais ce sont aujourd’huiles campings qui sont dans le colli-mateur de l’État et du Conserva-toire du littoral. « Il y a cinqcampings qui se sont installés progres-sivement et qui sont très prisés. Ilssont du coup très rentables pour lespropriétaires. Ces campings possèdentdes mobil-homes, alors que ceux-cisont interdits en zone classée. »Sur les 450 hectares sur lesquelslorgne le Conservatoire, 60 % ap-partiennent à des propriétairesprivés, soit 250 hectares.

La procédure d’expropriationenclenchée d’ici la fin de l’annéeCes terrains appartiennent à desaménageurs locaux, d’autres à depetits propriétaires dont certains

ne saventmême plus qu’ils le sont,souligne le Conservatoire. « Lamaîtrise foncière peut être aisée danscertains cas et l’on pourrait procéderà une négociation amiable. Mais leproblème se pose en revanche pourles campings. C’est la raison pourlaquelle nous préférons lancer uneprocédure d’expropriation avec aupréalable la déclaration d’utilitépublique. Celle-ci sera lancée d’ici lafin de l’année. Le préfet aura pourmission de juger de la recevabilitédu dossier », précise GuillemetteRolland. Les deux expropriantsseront donc le Conservatoire dulittoral pour ce qui concernela dune et le syndicat mixte pourla gestion du site en ce qui con-cerne les parkings.D’ores et déjà, le Conservatoires’attend à des procédures de recours

et à une phase judiciaire assezlongue. Pour tenter d’éviter cela,le Conservatoire a décidé de lancerune étude socio-économique afinde mesurer le poids réel de cescampings dans l’économie locale.De ce fait, ils pourraient être pro-visoirement épargnés par l’expro-priation, si la preuve est faite parcette étude qu’ils contribuent àl’emploi saisonnier.L’étude devra aussi aborder laproblématique des mobil-homeset des cabanons. Le Conserva-toire du littoral souhaiterait trèsclairement le déplacement de cescampings, « mais cela ne se fait pasd’un coup de baguette magique.On ne souhaite pas une guerrejuridique. Il faut trouver des solu-tions acceptables. Le turn-over deces campings est très important etce phénomène doit être pris encompte. Un propriétaire qui voudraitvendre permettrait d’exercer le droitde préemption. Ce serait un dealintelligent. »Les procédures risquent de toutefaçon d’être complexes et longues.Les tribunaux ont déjà annulédes droits de préemption et lajurisprudence est parfois en faveurdes propriétaires privés.

Un choix politiqueIl faudra donc tout un processusd’explication et de communica-tion sur l’enquête publique etsurtout organiser le débat public.L’État veut en tout cas organiser aumieux cette procédure, sachantqu’il s’agit du seul grand projetd’acquisition par expropriation decette ampleur. Ce sera aussi l’occa-sion l’an prochain, en pleine cam-pagne présidentielle, de parlerconcrètement d’écologie et depréservation des sites naturelscomme la dune du Pilat, qui restele plus emblématique.

Joël Genard

Dune du Pilat : expropriation en vueLe Conservatoire du littoral a décidé d’acquérir la dune du Pilat, déjà classée mais appartenantà de nombreux propriétaires privés. Une enquête publique va être lancée, plusieurs campingssont menacés d’expropriation. La procédure pourrait cependant durer plusieurs annéeset le Conservatoire du littoral souhaite éviter une guerre juridique.

Expertise

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Le prix des terrainsL’an dernier, le prix moyen des acquisitions de terrains nus s’est établi à0,83€ / m2 contre 0,84€ / m2 en 2008. Il y a donc une stabilité des prix.

Ce coût moyen est porté à 1€ / m2, toutes indemnités confondues : bâtiet expropriation. Mais d’une région à l’autre les prix sont très différents :Sud-Ouest Atlantique : 1,78€ / m2, Manche-mer du Nord : 1,29€ / m2,Bretagne-Pays de Loire : 0,34€ / m2.La dernière grande acquisition du Conservatoire du littoral avait concernéles Salins du Midi, en Camargue. En 2009, l’État avait ainsi dû débourser45 millions d’euros afin d’acquérir un premier ensemble de terrains d’unesuperficie de 4 594 hectares. La bataille juridique avait ainsi duré, aupassage, plus d’une dizaine d’années. Les Salins du Midi s’estimant« spoliés » au départ de la procédure.

Des acquisitionsà venirLe Conservatoire du littoral entendbien continuer d’exercer saresponsabilité de propriétaire foncier.Avec 12 % du littoral en linéaire côtier,l’objectif est d’atteindre les 20 à25 % qui constituent l’objectifde contribution du tiers naturel.Le Conservatoire du littoral a dansses cartons les acquisitions de :l’île du Levant, les calanquesà Marseille, les îles du Frioul.

«LE CONSERVATOIRE DU LITTORAL A DÉCIDÉDE LANCER UNE ÉTUDE SOCIO-ÉCONOMIQUE

POUR MESURER L’IMPACT DES CAMPINGSINSTALLÉS AU PIED DE LA DUNE SURL’ÉCONOMIE LOCALE »

La dune du Pilat vue d’avion. Cinq campings pourraient être à terme concernés par les mesuresd’expropriation souhaitées par le Conservatoire du littoral. PHOTO DANIÈLE SCHNEIDER/AFP

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Personne n’est capableaujourd’hui d’évaluer levolume des gaz de schistes

contenu dans le sous-sol français,mais on sait que, de toute façon,ils ne sont plus exploitables. Côtéestimations des réserves, la four-chette à la louche va en gros de 40à 400 milliards de mètres cubes,c’est-à-dire de un à dix ans deconsommation nationale. La loiinterdit donc la fracturationhydraulique et donne deux moisaux titulaires des permis d’explo-ration pour proposer une autretechnique, faute de quoi les permis

seront annulés. Oui, mais quelleautre technique ? « Il n’y en a pas »,affirme le géologue Yves Mathieu,ancien responsable des réserves àl’Institut français du pétrole (IFP),« la fracturation est l’unique procédéutilisé dans le monde. On peut certesimaginer d’élargir les puits ou de fairedes forages horizontaux, mais ce n’estpas rentable. L’interdiction de la frac-turation condamne en France l’ex-ploitation des gaz de schistes. »

Pour France nature environne-ment (FNE), l’équation n’est passi simple : « les opérateurs vont toutfaire pour garder leurs permis et vontproposer par exemple des forages ho-rizontaux », craint Maryse Arditi,responsable des risques indus-triels. « Nous allons être très vigi-lants. En plus, cette loi sembleinapplicable, car elle ne précise pasla définition de la fracturation hy-draulique ! C’est une loi de circons-tance, malsaine. Elle décrédibilise letravail parlementaire. »Même du côté de l’UMP, la loi estloin de ne faire que des heureux.

Pour Bertrand Pancher, député dela Meuse et rapporteur des loisGrenelle, « il fallait certes calmer lasociété civile, mais on aurait dûprendre plus de temps pour explorertoutes les pistes de façon dépassion-née. On aurait pu par exemple auto-riser l’exploration mais avec desconditions empêchant tout risquepour l’environnement. »L’Union française des industriespétrolières (UFIP) regrette « une

procédure accélérée et une loi qui vaempêcher l’évaluation des res-sources. » L’UFIP participera ce-pendant aux travaux de lacommission nationale d’orienta-tion créée par la loi, et entend ydéfendre la mise en place « d’ex-périmentations à des fins de re-cherche scientifique sous contrôlepublic. »Parmi les parlementaires, beau-coup regrettent que ChristianJacob ait déposé sa propositionde loi avant même la remise durapport Gonnot-Martin consacréjustement à la question ! Laconclusion de ce rapport indi-quait que l’interdiction de la frac-turation hydraulique était « pourl’heure » la meilleure solutionmais laissait la porte ouverte àune exploitation future. Maisdans leurs conclusions person-nelles, les deux auteurs affichaientdes positions très opposées. Si ledéputé socialiste du Gers PhilippeMartin se prononçait pour une in-terdiction définitive, son collègueUMP de l’Oise se déclarait certainque l’interdiction ne serait quetemporaire. François-MichelGonnotdénonçait une interdiction « gra-vement préjudiciable à l’industriepétrolière et gazière française. » Ilajoutait que, en raison des incerti-tudes sur l’offre et les prix, iln’était pas raisonnable de se pri-ver d’une ressource potentielle.Seuls, les parlementaires UMP etcentristes ont voté pour le texte.La gauche et notamment le PS ontvoté contre en dénonçant des re-culs. Pour le député Jean-JackQueyranne, qui préside la région

Rhône-Alpes, riche a priori en gazde schiste, « Cette loi est un texte decirconstance, qui laisse ouverte laporte de l’exploration et de l’exploita-tion des gaz de schiste qui ne feraientpas appel à la technique de la fractu-ration hydraulique. Les permis accor-dés ne sont pas abrogés. La loi ne dit

rien sur l’obligation de transparence,de concertation ou d’information.Les élus et les citoyens ne sont pasrespectés. »Ce nouvel épisode confirme entout cas que l’énergie tiendra uneplace très importante dans lacampagne présidentielle.

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Àdistance

Les députés ont voté le 30 juin la loi interdisant la fracturation hydraulique. Un vote sansenthousiasmequi fait beaucoup plus demécontents, que de satisfaits. Au point que certainsse demandent si la loi ne sera pas rapidement amendée.Par Jean-Louis Caffier

Gazdeschiste : unnonni francnimassif

La France sous dépendance croissante !Si la question des gaz de schistes est arrivée sur notre tapis énergétique, c’est parce que la France est aujourd’huientièrement dépendante de ses fournisseurs étrangers, commepour le pétrole. Les principaux fournisseurs sont laNorvège (32%), les Pays-Bas (20%), l’Algérie (17%) et la Russie (15%).Mais attention, la répartition va changerrapidement. Selon la Direction générale de l’énergie et desmatières premières (DGEMP), la France va doubler saconsommation à l’horizon 2030pour atteindre les 80milliards demètres cubes. Or, l’Europe (Norvège comprise)ne possède que 3%des réservesmondiales contre 41%auMoyen-Orient et 30%dans les pays de l’ex-URSS.La France devrait donc logiquement se tourner davantage vers la Russie et l’Algérie,mais ces deux pays n’offrentpas toutes les garanties. L’Algérie pourrait connaître des périodes agitées, à l’image d’autres pays de la région etla Russie connaît des problèmes techniques. Il y a quatre ans, en période de grand froid, elle n’avait pas pu fournirson principal client, l’Allemagne, qui va elle aussi fortement augmenter sa consommation en raison de sa décisiond’abandonner le nucléaire. Ce sont des centrales au gaz qui fourniront l’essentiel de l’électricité d’origine nucléairequ’il faudra remplacer. À l’inverse, la France est pour lemomentmoins consommatrice en raison de laprédominance de l’atome. Le gaz ne représente que 15%denotre énergie. Le gaz devrait être de plus en plus utilisédans lemonde, car, dans le contexte de la lutte contre le changement climatique, il émetmoins de gaz à effetde serre que les autres énergies fossiles.

«CETTE LOI ESTUNTEXTEDECIRCONSTANCE, QUI

LAISSEOUVERTE LA PORTEÀ L’EXPLORATIONETÀ L’EXPLOITATIONDUGAZDE SCHISTE»Jean-Jack Queyranne,président de la région Rhône-Alpes

Christian Jacob,présidentdugroupeUMPà l’Assembléenationale.Il est l’auteurde lapropositionde loi qui interdit l’exploitationdugazdeschiste. PHOTOBORISHORVAT/AFP

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Le haut débit et l’Internetmobile ont permis de met-tre en place les moyens de

diffusion par Internet de lamusique et des films. En effet, lesfichiers musicaux et vidéos sontrelativement lourds, et le Web desannées 90 et du début des années2000 ne permettait pas leurtéléchargement rapide. Difficilede mettre en place une offrede téléchargement légal lorsquel’internaute devait patienterquinzeminutes pour récupérer unechanson ou plusieurs heures pourun film. Seule la gratuité engendréepar le piratage offrait au consom-mateur un attrait suffisant pour ledétourner d’un achat de CD ou deDVD en magasin.Désormais, avec une connexionen haut débit classique, un filmacheté ou loué sur Internet estdisponible en moins d’une demi-heure et une simple chanson nedemande pas plus d’une ou deuxminutes pour être téléchargée, ycompris sur un smartphone. Lesrobinets sont maintenant grandsouverts. Mais le Web véhicule-t-iltoutes les cultures ?Un simple accès aux plates-formesde téléchargement légales,françaises ou étrangères, permetrapidement de voir qu’il n’en estrien. Les « blockbusters », ces filmsconçus pour faire un carton aubox-office, se taillent la part dulion, tout comme les artistes mon-

dialement connus dont les tubestournent en boucle sur les ondesdes radios musicales. Mais dès quel’internaute veut sortir des sen-tiers battus, les choses se com-pliquent. Télécharger un filmde Jacques Tati sur iTunes ? Impos-sible, les films ne sont pasdisponibles. Idem pour Pasolini, etseuls quatre des films de Buñuelsont présents. Nombre d’artistesmusicaux sont aussi mal lotis.

Les raisons sont multiples et nesont bien sûr pas l’expressiond’une volonté de censure : la dif-ficulté d’acquisition des droits enest la première cause. Mais le Webest planétaire, les internautes quitéléchargent sont situés partoutdans le monde et l’offre s’adapteprioritairement aux demandes lesplus importantes. Les produits deniche seront envisagés plus tard,et peu mis en avant dans les

outils de recommandation desplates-formes de téléchargement.Dans de telles conditions, quiddes quotas de diffusion d’œuvresfrançaises ? Comment imposer àGoogle, Amazon, Apple ou Face-book, pour ne citer que cesmastodontes, le respect des loisfrançaises ? Ces sociétés, bien quediffusant des produits culturels enFrance, sont basées aux États-Unis. Les artistes français et eu-

ropéens pourront-ils avoir unavenir sur un Web global et large-ment dominé par une cultureanglo-saxonne ou, demain peut-être, chinoise ? Denis Olivennes,dès 2007, livrait cette pensée :« La nouvelle jungle numérique s’ap-prête donc à endommager sérieuse-ment tout le paysage culturellentement élaboré. À commencer parle délicat système d’aides et de redis-tribution mis en place par les pou-voirs publics sous l’appellationd’“exception culturelle”. »Avec l’arrivée des tablettes et desebooks (livres électroniques), lalittérature est aussi concernée parce changement. Les compagniesglobales du Web se soucieront-elles de vendre les romansfrançais ou allemands ? Ou séné-galais ? Les grandes nations eu-ropéennes pourront peut-êtrereprésenter un marché sub-stantiel, mais quid de la cultureslovène, lettone ou québécoise ?La réponse à cette question estcomplexe mais doit maintenantêtre recherchée. Faute de quoi,cet instrument global qu’est leWeb pourrait devenir l’outild’une uniformisation culturelleque la France combat depuis silongtemps.

Manuel Singeot

2.0

Sur leWeb : l’exceptionculturellemoribonde

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LESLIVRESÉLECTRONIQUESONTLEVENTENPOUPE� Selon une étude dePew Internet,les livres électroniques sepopularisent aux États-Unis : 12%desAméricains en posséderaient un.Ils devancentmême les tablettesnumériques, qui font beaucoupparler d’elles,mais dont l’adoptionest plus lente, puisque 8%desAméricains seulement en ontacheté une. Leur arrivée plus récentesur lemarché explique cet écartactuel, ainsi que le confort delecture plus grand offert par lesebooks dans un environnementfortement lumineux.

LESGÉANTSDEL’EBOOKCIBLENTL’EUROPE� L’Europe devient unmarchéstratégique pour les acteurs du livrenumérique. Sa population, bienéduquée, lit plus que lamoyennemondiale et dispose d’un pouvoird’achat suffisant. L’absence quasicomplète de concurrents locaux estaussi unemotivation importantepour ces sociétés qui sont toutesNord-Américaines. Si Apple est déjàprésent sur cemarché via l’iPad,Amazon s’apprête à lancer sonKindle en France dans lesprochaines semaines.

GOOGLEVANUMÉRISERLABRITISHLIBRARY� La société californienne a signéun accord avec la vénérablebibliothèque anglaise en vue denumériser 250000ouvragesanciens, publiés entre 1700 et 1870et tombés dans le domaine public.Cela représente environ 40millionsde pages, qui seront rapidementdisponibles sur la plate-formeGoogle Books ainsi que sur le siteofficiel de la British Library. À terme,ils seront aussi consultables viala bibliothèque numériqueeuropéenne, Europeana, à laquelleparticipe aussi la BNF.

AMAZONETAPPLEPARTENAIRESD’HADOPI?� Les deux géants dutéléchargement légal ont déposéleur candidature pour obtenir lelabel PUR*de l’Hadopi. Cettedemande était attendue nonseulement en raison du poids deces deux acteurs sur lemarché dutéléchargement légal,mais aussien raison de leur participation ausystèmede subventionnementaccordé par l’État dans le cadredu programmeCartemusique jeune,et qui prévoit le versement d’unesubvention pouvant aller jusqu’à5millions d’euros annuels.* Promotion des usages responsables.

En bref

Les biens culturels sont devenus un enjeu crucial sur leWeb. Les géantsde l’Internet se livrent une guerre sansmerci pour contrôler les contenustéléchargeables. Conséquence : l’éradication progressive des culturesqui ne sont pas d’origine anglo-saxonne.

Mononcle.Trop françaispour intéresser lesdirigeantsd’iTunes.La filmothèque téléchargeableconsacreenpriorité les«blockbusters»américainsaudétrimentdes filmsd’auteur.Mêmesituationpour lacréationmusicale,qui voit sadiffusion internationale réduiteàquelques«tubes»mondiaux.

«LA NOUVELLE JUNGLE NUMÉRIQUES’APPRÊTE DONC À ENDOMMAGER

SÉRIEUSEMENT TOUT LE PAYSAGE CULTURELLENTEMENT ÉLABORÉ » Denis Olivennes

DR

Le chiffre

3 millionsde livres gratuitssur Google Books

Jean-Marie Messier,décembre 2001

La citation

«L’EXCEPTIONCULTURELLE

FRANÇAISE ESTMORTE»

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Déblogage

Chaquesemaine,le tourdu mondedes blogspar Manuel Singeot

EIP l’Hémicycle, Sarl au capital de 12 582¤. RCS : Paris 443 984 117.55, rue de Grenelle - 75007 Paris. Web : www.lhemicycle.com - Twitter : @lhemicycle

GÉRANT-DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Bruno Pelletier ([email protected]) DIRECTEUR Robert Namias ([email protected]) RÉDACTEUR EN CHEF Joël Genard([email protected]). ÉDITORIALISTESGérard Carreyrou, Michèle Cotta, Axel de Tarlé, Bruno Jeudy, Paul Lefèvre, Catherine Nay AGORA Ludovic Vigogne ONT COLLABORÉ À CE NUMÉROLudovic Bellanger, Juliette Bot, Jean-Louis Caffier, Jean-François CoulombdesArts, Éric Fottorino, BéatriceHouchard, Paul Pelletier,Manuel Singeot, Brice Teinturier,PhilippeTessonCORRECTIONAurélieCarrierMAQUETTEDavidDumandSTAGIAIREGabrielleBesenvalDIRECTRICECOMMERCIALEViolaineParturier([email protected])PARTENARIATSJuliette Boudre ([email protected]) IMPRESSIONRoto Presse Numéris, 36-40, boulevard Robert-Schumann, 93190 Livry-Gargan.Tél. :0149362670.Fax :0149 362689.ParutionchaquemercrediABONNEMENTSabonnement@lhemicycle.com COMMISSIONPARITAIRE0413C79258 ISSN1620-6479

Depuis l’audience du 1er juil-let, les blogueurs se sontprécipités sur leur clavier

par milliers. Pour ou contre,aucun n’est dans la nuance et lesmodérateurs ont fort à faire.Sil, blogueur, fils d’immigré etrépublicain radical, ne souhaitepas voir revenir DominiqueStrauss-Kahn sur la scène poli-tique française. Son jugement,bien que poli, s’exprime sans fard.

Sil« Entre le sondage du Figaro(80 000 participants tout demême) et celui du Parisienindiquant que la moitié desFrançais souhaite le retour deDSK sur la scène politique (lessympathisants socialistes étantquant à eux 63 % à le souhaiter)je me suis demandé si j’habitaisdans un pays très sain. Car bienqu’aimant, comme tout bonGaulois, le cul comme les histoiresde sexe, il me semble que cetteaffaire ainsi que les autres affairesDSK qui sont remontées à lasurface s’éloignent des simpleshistoires d’alcôves, et démontrentque ce petit monsieur a unefâcheuse tendance à se comporteravec les femmes en parfaitrustaud, pour rester poli. »> republicoin.blogspot.com

Michel Tarrier, blogueur « éco-sophe » et convaincu de la culpa-bilité de l’ancien directeur duFMI, va plus loin et écrit le dégoûtque cette affaire lui inspire.

Michel Tarrier« Durant ces dernières semaines,des milliards de badauds pluscrédules et lobotomisés les uns queles autres furent conviés àpartager la planète desBisounours. Une planèteextravagante où, dans le cadred’un groupe hôtelier, l’empireoccidental aurait donné raison àune personne socialementprolétaire, de sexe féminin, quiplus est d’origine africaine. Si unetelle justice existait, ça se saurait !

Puis ressaisissement, retour aubon ordre des choses à la veilledes vacances judiciaires: c’est bienévidemment le patron du FMI,socialiste tout aussi milliardaire,qui est finalement la victimed’une “traînée”. Qui pouvaitimaginer un seul instant qu’unefemme de ménage, réfugiéeguinéenne, pouvait avoir raison ?Quoi de plus juste et démocratiquede mettre sur les deux plateauxd’une même balance une pauvrefemme (“au passé non crédible”)et un impérieux et immaculéreprésentant de l’Ordremondial ? »> unautreregardsurlemondetarrier.wordpress.com

Au contraire, Ghislain Allon, surnews26, défend bec et ongles l’in-nocence de DSK et se retournecontre les autorités américaines,accusées d’hystérie, mais aussifrançaises, trop tièdes dans leursoutien.

Ghislain Allon« Il faudra que la justiceaméricaine explique soncomportement précipité pour nepas dire hystérique. Une affairedans laquelle la police, touteséance tenante, et sur un simpletémoignage, envoya le directeur

général du FMI en prison, sansl’ombre d’une enquête et sansplainte aucune de l’État françaisdont il était et est toujours un(éminent) ressortissant. Ou alorsque l’on nous explique pourquoiil n’est pas bon d’être français àl’étranger. Il faudra que les élitespolitiques françaises nousexpliquent pourquoi il est de bonton, sous le soleil de la

République, de lâcher ses collègueslorsqu’ils paraissent en difficulté,même et surtout lorsque lesficelles du mensonge sont aussigrosses que leurs faux aveuxd’impuissance. À aucun momentune affaire de cette importancepour la santé de l’État n’a étédébattue dans les arènesautorisées de la République. »>www.news-26.net

Nicolas Jegou, blogueur et twit-teur, raconte sa soirée de vendredisur le réseau social, où il a été prisà partie en raison de son soutien àDSK.

Nicolas Jégou« Les débats ont été passablementagités, hier soir, sur Twitter,à propos des nouvelles révélationsà propos de Dominique Strauss-Kahn. Vous me connaissez, j’étaisau bistro et je faisais lesplaisanteries salaces appropriées.Deux petites dames me sonttombées sur le paletot et quelqueszozios me cherchaient également.C’est amusant les conneries quel’on peut entendre à propos deDSK, de la part de ces féministesen peau de lapin d’extrêmegauche, comme si elles enfaisaient un symbole dumachisme et du libéralisme

de droite dans un même panier.Désolé pour les féministes et lesennemis de DSK de tout poil,mais, pour l’instant, nous n’avonstoujours strictement rien contreDSK, qui reste innocent. Parcontre, la bonne est probablementcoupable de beaucoup de choses,mais elle n’est pas en procès.Je présume, hein ! »>www.jegoun.net

Thierry Desjardins, sur son blog,résume en fin de compte la suiteplausible des réactions de la blo-gosphère sur une affaire qui pas-sionne le monde entier : lecomplot.

Thierry Desjardins« On peut donc parfaitementimaginer qu’elle voulait tendre un

piège à une personnalitéimportante en l’aguichant, puis,“le pigeon” étant tombé dans lepiège, en tirer quelques centainesde milliers de dollars. Ce scénarioapparaît aujourd’hui plausible.DSK ne serait plus un violeurmais un obsédé sexuel quin’hésiterait pas à avoir desrapports sexuels à la sauvettemonnayés avec la première femme

de ménage venue. C’est moinsgrave mais ce n’est pas trèsglorieux pour autant, et c’est peucompatible avec l’image qu’on sefait d’un futur chef d’État.Seulement qui dit “piège” tenduà un candidat favori à la courseà la présidence pense évidemmentà… “complot”. Et nous y sommes.Le New York Post (qui n’est pasle journal le plus sérieux de lapresse mondiale) l’évoque etun député (socialiste) français,François Loncle, a prononcé lemot. À moins que Mme Diallopuisse prouver qu’elle a reçu uneenveloppe de l’ambassade deFrance. Nous n’en sommes pasencore là. Mais une nouvellerumeur commence à se répandreet chacun sait que, plus elles sontfarfelues, plus les rumeurs ontdu succès. »>www.thierry-desjardins.fr

Cette théorie du complot risque-t-elle de venir polluer le débutde la campagne présidentielle ?L’hystérie qui se déploie au seindes blogs donne des indices allantdans ce sens.

DSK :passionetdéraisonsur InternetLes réactionsdesblogueurs sontà l’imagede cetteaffaire au retentissementplanétaire : excessives, violentes, voire haineuses. Rarement la Toile n’auraété aussi déchirée.

«LA RUMEUR DU COMPLOT COMMENCEÀ RESSURGIR ET CHACUN SAIT QUE, PLUS

ELLES SONT FARFELUES, PLUS LES RUMEURSONT DU SUCCÈS »

www.thierry-desjardins.fr

DominiqueStrauss-Kahnet sonavocatBenjaminBrafman.PHOTOTODDHEISLER/AFP

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Page 24: l'Hémicycle - #415

Si nous fournissons une énergie plus propre aux transports en commun de Lille,

nous pouvons aussi le faire pour le petit train de Marius.

Pour réduire l’impact sur l’environnement des transports en commun de Lille,

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