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Les rencontres du Labo 5 juillet 2012 Jeunes et économie sociale et solidaire Et si on ESSayait une autre économie ?

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Les rencontres du Labo

5 juillet 2012

Jeunes et économie sociale et solidaire

Et si on ESSayait une autre économie ?

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Sommaire

LES ENJEUX DE LA RENCONTRE .................................................................................. 3

JEUNES ENTREPRENEURS ET RÉSEAUX DE L'ESS .......................................................... 4

Une enquête sur les jeunes et l'ESS ............................................................................... 4

Le parcours de deux jeunes entrepreneurs ................................................................... 4

L'expérience des réseaux ............................................................................................... 5

Les conclusions de Christian Sauter ............................................................................... 6

LE MINISTRE ET LES JEUNES ....................................................................................... 8

Les attentes des jeunes ................................................................................................. 8

Les témoignages des aînés ............................................................................................ 9

Les engagements du ministre ...................................................................................... 10

Un temps de conclusions ......................................................................................... 12

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Première journée « jeunes et ESS »

Et si on ESSayait une autre économie ? Le 5 juillet 2012, le Labo de l'ESS organisait à Paris, en partenariat avec plusieurs réseaux (L'Atelier/programme Success !, La Mutuelle Des Étudiants, Animafac) et avec le soutien de Jeun-ESS, la première journée nationale consacrée à la question des jeunes dans l'Économie sociale et solidaire. Un pari réussi, puisque plus de 500 personnes – dont de nombreux lycéens et étudiants – se sont retrouvées à La Bellevilloise (Paris XXe) pour huit heures de conférences-débats, d'ateliers, de stands, de performances, de projections et de concert. Cette journée, marquée notamment par la présence de Benoît Hamon, ministre délégué à l'Économie sociale et solidaire et à la Consommation, aura permis de traiter plus en profondeur la question de la place des jeunes dans l'ESS. Deux conférences-débats ont porté successivement sur le thème des « solutions durables pour la jeunesse dès maintenant ! » (en fin de matinée) et sur celui d' « une économie plus humaine, c'est possible ! » (en début d'après-midi). Nous avons tenté de mettre en perspectives ces temps de parole et d'échanges.

LES ENJEUX DE LA RENCONTRE Ces enjeux ont été évoqués par Françoise Bernon, déléguée générale du Labo de l'ESS, en ouvrant la première conférence-débat en fin de matinée. Et elle l'a fait sur un ton résolument optimiste. « On a coutume de dire que les jeunes doivent prendre en mains leur avenir ? Et bien, ils le font. J'ai été impressionnée par l'énergie, le sérieux, la qualité du travail fait pour organiser cette journée. » Au départ, le Labo pensait juste organiser une rencontre-débat sur ce thème. Ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont insisté pour que l'initiative se transforme en une journée pleine, mêlant des temps « ludiques » et « pédagogiques ». Françoise Bernon, partant du constat que « les jeunes ne nous connaissent pas bien », a rappelé que l'objectif principal de la journée était de « sensibiliser les jeunes à l'ESS en leur faisant découvrir nos valeurs ». De son côté, Jean-Marc Brulé, président de L'Atelier Ile de France (Centre de ressources régional de l'ESS), a affirmé que « le renouvellement générationnel va apporter des valeurs et du sang neuf à une économie qui en a bien besoin ». Lui aussi s'est montré plutôt encourageant, constatant qu'« il y a de l'argent pour soutenir des projets, il y a les moyens d'être accompagné pour corriger ses erreurs, il y a de la solidarité dans ce secteur ». Autant d'atouts qui peuvent être mis « au service de votre propre envie de donner du sens à votre vie », a-t-il conclu en s'adressant aux jeunes présents dans la salle. Enfin, Delphine Lalu, qui animait le premier débat, a rappelé qu'un des objectifs de la journée était de « construire un module qui puisse ensuite tourner dans les quartiers et les territoires ».

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JEUNES ENTREPRENEURS ET RÉSEAUX DE L'ESS

« Des solutions durables pour la jeunesse dès maintenant » : tel était l'intitulé de la première conférence. Après la présentation des résultats d'une enquête portant sur la perception de l'ESS par les jeunes, le débat a fait se croiser le parcours de deux jeunes entrepreneurs avec les expériences de réseaux plus anciens dans le champ de l'économie sociale et solidaire.

Une enquête sur les jeunes et l'ESS

Roland Berthilier, secrétaire général de la MGEN, a d'abord présenté Jeun’ESS, programme mis en place en juin 2011 par l'État et six partenaires (Fondation Crédit coopératif, Fondation Chèque Déjeuner, Fondation Macif, Fondation AG2R, Maif et MGEN), avec le soutien de la Caisse des Dépôts et Consignations. Et avec trois objectifs à la clé :

- promouvoir l'Économie sociale et solidaire auprès des jeunes ; - encourager les jeunes à entreprendre dans l'ESS ; - valoriser les entreprises de l'ESS qui intègrent des jeunes dans leurs structures.

Il a ensuite donné les principales conclusions d'une étude menée par l'institut CSA auprès de 535 jeunes de 16 à 30 ans (et prolongée par quatre réunions de groupe « qualitatives » de trois heures chacune). Cette enquête confirme le pessimisme des jeunes générations à l'échelle collective. La plupart se sentent victimes d'une société inégalitaire, ce qui ne les empêche pas de se montrer plus pragmatiques que révolutionnaires. Seuls 12 % d'entre eux sont capables d'expliquer ce qu'est l'ESS : celle-ci leur semble plutôt relever de l'utopie et elle n'exerce qu'une faible attractivité professionnelle sur eux. « L'ESS ? Ça ne m'évoque rien, c'est assez flou, ça manque de concret, c'est du bla-bla, c'est politique… On a l'impression que c'est contradictoire : l'économique, ça ne peut pas être social, et encore moins solidaire ! » Pourtant, a rappelé Roland Berthilier, l'ESS représente aujourd'hui 2,3 millions d'emplois, dont 440 000 occupés par des salariés de moins de 30 ans. Et il devrait y avoir quelque 600 000 emplois à pourvoir dans l'économie sociale et solidaire dans les dix prochaines années, ce qui représentera autant de nouvelles opportunités pour les jeunes. « C'est un secteur avec des métiers très variés, parfois très innovants, dans des entreprises de tailles très diverses : tout cela permet à un jeune d'exercer le métier dont il a vraiment envie. »

Le parcours de deux jeunes entrepreneurs

Moussa Camara a présenté Agir pour réussir, l'association qu'il préside et qui a été créée à Cergy en 2007 suite à différents incidents entre jeunes et forces de l'ordre. « Soit on restait dans cette logique de confrontation, soit on essayait d'en sortir en créant quelque chose de concret et de fédérateur. » L'association compte aujourd'hui quelque 200 adhérents et multiplie les actions : activités sportives, festival culturel, débats sur l'insertion, campagne d'inscription sur les listes électorales… Pour Moussa Camara, la grande leçon tirée de son expérience, c'est qu'« il faut associer les jeunes à la mise en œuvre des initiatives ». Il estime que son association, comme beaucoup d'autres, notamment dans les quartiers populaires,

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« fait de l'ESS tous les jours sans le savoir en accompagnant des jeunes et en aidant des familles en difficultés ». Le principal défi pour entreprendre, c'est de « trouver l'argent, mais surtout les réseaux nécessaires ». Et le premier déclic consiste à redonner confiance aux jeunes. Et de citer l'exemple de collègues, qui ont créé une entreprise de télécommunications à partir d'un premier contrat fourni par France Telecom : celle-ci compte aujourd'hui quelque 200 salariés, dont de nombreux jeunes « à qui personne ne faisait confiance » et qui se sont formés sur le tas. « Les jeunes ne peuvent s'engager que s'ils voient à quoi cela peut servir. Il faut donc, au préalable, qu'ils se sentent pleinement citoyens », a affirmé Moussa, mettant ainsi en exergue la nécessité d'un véritable « effort collectif ». Même ancrage territorial et même volonté de sortir par le haut chez Mohamed Gnabaly, président-fondateur de Capital Banlieue à L'Île-Saint-Denis. Lui non plus ne connaissait pas l'ESS avant que des élus lui en parlent, mais il utilisait spontanément les termes de « démocratie », de « partage » et d'« activité économique ». Ce jeune diplômé d'une école de commerce aurait pu continuer sa carrière dans les banques d'investissement, il a préféré créer cette association afin de « valoriser les richesses et les dynamiques qui existent en banlieue et y développer de nouvelles grilles de lecture ». De là est ensuite née Novaedia pour faire en sorte que, « sur un territoire donné, les besoins des uns correspondent aux ressources des autres ». Concrètement, Mohamed et son équipe ont signé des contrats avec des agriculteurs de la région pour se faire livrer des fruits, ils font confectionner des paniers par des habitants en difficultés d'insertion, paniers de fruits ensuite livrés à des entreprises pour être consommés au bureau. Le fondateur de Novaedia pense que trois éléments freinent le développement de l'ESS auprès des jeunes : « L'asymétrie d'information, le manque d'exemples susceptibles d'accrocher les jeunes, et les préjugés de ceux-ci qui ont tendance à s'autocensurer en pensant que de telles initiatives ne sont pas faites pour eux ». Pour se faire connaître, il n'a pas hésité à aller à la rencontre des entreprises et à se présenter à différents concours de créateurs d'entreprise. « On a bossé comme des dingues, mais on n'avait pas de réseaux. Ce qui nous a le plus manqué, ce sont les conseils », a-t-il reconnu. Et d'ajouter que, « pour se sentir utile, un jeune a besoin d'une certaine sécurité économique et tranquillité d'esprit ». On ne peut donc pas se reposer entièrement sur le bénévolat et le volontariat.

L'expérience des réseaux

Jacques Dasnoy, délégué général du Mouves (Mouvement des entrepreneurs sociaux), a également présenté ce groupement de personnes, créé en 2010 autour de trois objectifs : « Faire connaître ce modèle d'entreprise hors des cercles militants, favoriser l'échange des bonnes pratiques et faire du lobbying auprès des pouvoirs publics (notamment pour que les entreprises sociales puissent accéder plus facilement aux marchés publics, qu'elles soient autant financées que les entreprises classiques et que ce modèle soit enseigné dès l'école) ». Le Mouves rassemble des responsables de structures de l'ESS (associations, coopératives et mutuelles), mais aussi des dirigeants de SA et de SARL qui « ont choisi de faire du profit un moyen et non pas une fin ». Jacques Dasnoy, après avoir concédé que ce secteur était « trop dans le savoir-faire et pas assez dans le faire-savoir », a invité les responsables de l'ESS à être « plus visibles et attractifs ». Vanessa Favaro est intervenue au nom de La Mutuelle Des Étudiants (LMDE), « entreprise d'économie sociale gérée démocratiquement par les adhérents eux-mêmes » (avec une stricte parité hommes/femmes au niveau du conseil d'administration). Après avoir rappelé que « pour

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pouvoir s'investir, un étudiant doit être en bonne santé », celle qui est devenue présidente de LMDE en septembre a souligné les nombreuses actions de prévention menées (en matière de sexualité, de nutrition, d'alcool…) : « Quand ce sont des jeunes qui parlent de prévention à d'autres jeunes, ça les aide à devenir autonomes dans la gestion de leur santé ». La mutuelle a aussi mis en place des dispositifs de solidarité : fonds d'aide aux associations étudiantes, prix de l'étudiant entrepreneur en ESS… « Les jeunes ont surtout besoin qu'on leur fasse confiance et qu'on leur donne les moyens pour s'engager à concrétiser cette envie qui est très présente chez eux », a-t-elle affirmé. Partie prenante de « la grande famille de la mutualité française », LMDE estime « apprendre beaucoup de nos aînés ancrés dans le mutualisme depuis plus longtemps que nous ». Elle n'en revendique pas moins son autonomie, car « ce sont les jeunes qui sont le plus au fait des besoins des jeunes », comme ce fut le cas récemment pour demander le remboursement de la pilule de troisième génération. Enfin, Nadine Dussert, directrice générale de l'UNHAJ (Union nationale pour l'habitat des jeunes, ex-Union nationale des foyers de jeunes travailleurs), après avoir rappelé que les foyers de jeunes travailleurs, créés à l'initiative de la JOC dans les années 1950, avaient pour mission d'« accueillir des jeunes pour les aider à aller vers l'emploi et la formation », a expliqué qu'« habiter » ne se réduisait pas à la question du logement : « Habiter, c'est aussi avoir un boulot, une sexualité »… autant d'exigences qui font que les lieux d'accueil (au nombre de 400 en France) ne peuvent pas être trop excentrés. Comme les autres mouvements d'éducation populaire, l'UNHAJ n'entend pas « faire à la place des jeunes », mais plutôt « créer les conditions pour qu'ils fassent eux-mêmes ». Aussi les futurs usagers sont-ils associés à la conception des nouveaux équipements. Et les jeunes sont systématiquement représentés dans les structures qui gèrent les foyers. « Tout cela vient de loin, mais c'est très moderne, et cela correspond aux besoins d'aujourd'hui », a-t-elle affirmé.

Les conclusions de Christian Sauter

Ancien ministre et président de France Active, Christian Sauter a conclu ce premier temps d'échanges collectifs. Il lui a semblé que trois mots étaient essentiels pour traiter de la relation entre les jeunes et l'ESS :

- la confiance « Il faut que les jeunes portent en eux-mêmes des valeurs et une estime de soi », a-t-il affirmé, tout en reconnaissant que cela pouvait être difficile en raison des discriminations qu'ils subissent. Mais il a rappelé que de nombreux réseaux de proximité étaient susceptibles de donner un coup de main, notamment à ceux qui s'orientent vers la création d'entreprise ou d'association : « Un créateur accompagné est à 70 % sauvé ! » ;

- l'expérience « Aujourd'hui, les jeunes veulent avoir des preuves, et pas des discours ». Il a rappelé qu'un réseau comme France Active, créé en 1988 par Claude Alphandéry avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations, avait soutenu l'an passé 5 300 créations d'entreprises (7 % seulement étant le fait de jeunes!) et financé quelque 900 entreprises solidaires, soit un total de 25 000 emplois créés ou consolidés. En 2011, quatre régions (Alsace, Auvergne, Languedoc-Roussillon et Rhône-Alpes) ont expérimenté le dispositif « Cap Jeunes France Active » : des demandeurs d'emploi de

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moins de 26 ans ont ainsi pu bénéficier d'une prime de démarrage de 2 000 euros et d'un accompagnement renforcé par des experts du réseau (à hauteur de 750 euros). Un kit « Comment séduire votre banquier » a également été réalisé à l'attention des jeunes créateurs ;

- l'ambition « Il faut s'appuyer sur les expériences qui ont réussi pour changer d'échelle ». Le réseau France Active s'appuie aujourd'hui sur 40 implantations en France, l'ADIE a également maillé tout le territoire. La conjoncture est favorable avec un ministre qui est « un type formidable » et qui, même s'il ne dispose ni d'une administration ni d'un budget, « va faire de grandes choses car il va s'appuyer sur les acteurs ». Cette visibilité nouvelle de l'ESS devrait permettre de « multiplier par 4 ou 5 la création de structures de l'ESS par des jeunes ». L'utilisation des emplois d'avenir par les associations devrait aussi leur donner un peu d'air. Enfin, il ne faut pas craindre d'aller chercher de l'argent du côté du privé, « sans perdre son âme ». Il a rappelé que les dispositifs locaux d'accompagnement (DLA), pilotés par le réseau Avise, permettaient d'apporter des conseils aux structures non lucratives pour les aider à se battre sur des marchés concurrentiels.

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LE MINISTRE ET LES JEUNES

« Une économie plus humaine, c'est possible ! ». Tel était le thème du deuxième temps d'échanges, en début d'après-midi. Il a notamment permis à Benoît Hamon, ministre délégué en charge de l'Économie sociale et solidaire et de la Consommation, de présenter ses principales orientations. La nouvelle députée de Paris, Fanélie Carrey-Conte, qui animait les débats, a rappelé d'entrée de jeu que « nous traversons une crise qui montre que le modèle mondialisé et financiarisé, tourné exclusivement sur le profit, connaît des limites, voire des impasses ». Après avoir cité l'économiste Bernard Maris (« Le rêve de l'homme capitaliste, c'est d'être l'homme le plus riche du cimetière »), elle a évoqué « la nécessité de construire d'autres modèles de développement, fondé sur d'autres valeurs ».

Les attentes des jeunes

C'est d'abord Ronan, en service civique avec Unis-Cités, qui a raconté son parcours. Après un bac S, une classe préparatoire scientifique, des débuts en fac de médecine, il a « enchaîné les petits boulots pour gagner ma vie et découvrir le monde du travail ». L'idée du volontariat lui est venue pour « faire quelque chose de vraiment utile ». L'une de ses missions en service civique s'est déroulée dans le cadre d'une épicerie sociale, qui permet d'apporter à des familles pauvres des biens de consommation à prix très réduit. « Je veux m'engager dans le social, mais est-ce que je peux vivre de cela ? », a-t-il questionné, en constatant que de plus en plus d'associations avaient du mal à boucler leur budget. Des interrogations assez proches chez Perrine Musset, étudiante, qui a suivi la chaire d'entrepreneuriat social à l'Essec. « En sortant du lycée, je voulais faire de l'humanitaire ou de l'aide au développement. J'ai intégré l'Essec dans l'espoir de me spécialiser dans ce secteur. À l'école, j'ai découvert l'ESS et je suis maintenant convaincue que c'est là où je veux travailler. » Une conviction renforcée par les nombreuses expériences associatives qu'elle a connues (Association française contre les myopathies, mission humanitaire en Bolivie, tutorat dans le cadre du programme « Une grande école, pourquoi pas moi ? », association de lutte contre le surendettement des familles dans le 19e arrondissement de Paris…). « J'ai envie de trouver un sens à mon travail. En janvier, je serai sur le marché de l'emploi. Mais faut-il que je m'engage aussitôt dans ce secteur ? J'ai besoin de recommandations de la part de personnes ayant réussi dans l'ESS. » Des questions auxquelles Thomas Delage, délégué général du CJDES (Centre des jeunes dirigeants de l'économie sociale), s'est efforcé de répondre. « La première chose à faire, quand on veut travailler dans l'économie sociale et solidaire, c'est de se constituer un réseau ». Et l'engagement constitue la meilleure façon de le faire. Faudrait-il passer par une entreprise classique pour acquérir une expérience avant d'entrer dans l'ESS ? Thomas Delage n'en est pas persuadé, car il considère les entreprises de ce secteur comme « aussi professionnelles que celles de l'économie ordinaire ». Même constat de la part de Mathieu Boulanger, gérant d'une entreprise adaptée (c'est-à-dire dont au moins 80 % des salariés sont des personnes handicapées) et conseiller technique de l'enseignement technologique. « Il y a des entreprises adaptées qui sont leaders dans leur

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secteur. Et on peut trouver la plupart des métiers à l'intérieur de l'ESS. Je ne pense pas qu'une entreprise sociale ou solidaire ait grand chose à apprendre de l'entreprise ordinaire en termes de management ou de qualité. À l'inverse, une entreprise classique a beaucoup de choses à apprendre de l'ESS. »

Les témoignages des aînés

Claude Alphandéry, président du Labo de l'ESS, a évoqué les points communs entre l'époque de l'occupation allemande et la période actuelle. « C'est la même résistance face à l'inacceptable ». Il a rappelé qu'au début des années 1940, quand le seul acte de résistance consistait à distribuer des journaux, bien des gens se demandaient quel pouvait être son impact face à la pression de l'armée allemande. « Et on nous dit la même chose aujourd'hui ! » De la lutte contre l'occupant, on est passé au combat pour la démocratie sociale : ainsi s'est élaboré le programme du Conseil national de la résistance (CNR). « La mise en route est toujours longue et difficile, mais rien n'est difficile quand la société civile se met en mouvement. » Et c'est justement ce programme du CNR que Denis Kessler, l'un de dirigeants du Medef, voulait parvenir à rayer. « Depuis cette crise majeure d'il y a quatre ans, certains veulent l'abandon progressif de tous les droits acquis. D'autres plaident pour un retour à la croissance. Certes, mais de quelle croissance s'agit-il : celle qui a conduit à tous les excès que nous connaissons et qui fait courir des risques à la planète ? Ou une croissance qui s'inscrirait dans une finalité sociale ? » Claude Alphandéry interprète comme un message d'espoir « le succès d'une jeunesse qui porte les valeurs de l'ESS et se manifeste dans toute l'Europe, d'Athènes à Barcelone en passant par Rome et Londres. Partout la jeunesse manifeste sa volonté de changement. » Toute la question est de savoir si ce changement est possible, probable, proche ? « Cela dépend de nous tous, et principalement de la jeunesse. De sa capacité à vaincre la dispersion ». Le président du Labo de l'ESS a conclu en rappelant que l'ESS n'avait plus à convaincre de son existence-même : « Les médias commencent à parler d'elle. Mais il faut parvenir à convaincre qu'elle est une vraie force de transformation. » Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, a estimé lui aussi que la nomination d'un ministre rattaché à Bercy était une bonne nouvelle : « Ça veut dire que l'ESS fait vraiment partie de l'économie ! » Après avoir rappelé qu'« une lecture purement comptable de la société nous mène droit vers des conflits générationnels », il a estimé que « 750 000 jeunes sont aujourd'hui exclus du système marchand ». La nature ayant horreur du vide, « il va donc se créer des systèmes parallèles ». Comme « nous ne sommes pas en crise, mais en métamorphose », l'enjeu actuel est bien de « permettre l'incubation du futur à travers des expérimentations ». Il ne faut donc pas hésiter à « dire à la jeunesse qu'elle a droit au rêve », mais cela ne peut se réaliser qu'« en sortant des sentiers battus ». Une enquête, menée avec France Info, a montré que « l'attrait des jeunes va plus vers le sens du travail que vers le salaire ». Il faut donc instiller dans le système scolaire le goût d'entreprendre, car « la jeunesse, c'est le moment de prendre des risques ». Risques contrôlés, tout de même, car une chose est sûre : « Nous ne pourrons pas créer des espérances collectives sur tant de désespérances individuelles ».

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Les engagements du ministre

En prenant la parole, Benoît Hamon a commencé par rappeler que l'ESS n'avait rien à voir avec la caricature d'« un vieux militant mutualiste avec un collier de barbe ». Forte de ses 2,3 millions d'emplois et de son poids – 10 % – dans le PIB national, ce secteur comprend aussi bien « des structures qui sont leaders sur le marché mondial » que « de petites associations qui font du soutien scolaire ». Il a tenu à rappeler que, pour lui comme pour le gouvernement auquel il appartient – et contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni, par exemple –, « ce secteur remplit des missions d'intérêt général, mais n'a pas vocation à se substituer aux services publics ». « Substituer à l'État social une société civile active, ce n'est pas notre projet », a-t-il répété. « On peut très bien faire du bénéfice sans faire de bien au monde », a-t-il ensuite rappelé dans un jeu de mots. Avant d'enchaîner : « Nous voulons concilier l'utilité sociale, le service d'intérêt général, la gouvernance démocratique et, parfois, la performance économique. » Le ministre a ensuite souligné le fait que « s'il n'y a qu'un seul modèle économique possible, alors il n'y a qu'une seule politique budgétaire et européenne possible ». On en arrive ainsi à cette situation paradoxale : « Le bulletin de vote n'affecte en rien les orientations qui peuvent être prises » en matière économique, puisque celles-ci sont déjà dictées à l'avance. Faut-il dès lors s'étonner si de plus en plus de citoyens se mettent à l'écart des enjeux électoraux ? De ce point de vue, « la force de l'ESS consiste à redonner sa place à l'intérêt général, donc à la souveraineté et à la démocratie ». Benoît Hamon a affiché clairement son ambition : « Laisser des fondations qui permettront au secteur de l'ESS de continuer à se développer ». De ce point de vue, le contexte incite à l'optimisme : « Dans le champ de l'aide à domicile, on estime que la moitié des besoins sociaux ne sont pas satisfaits. Et ces besoins vont doubler dans les années à venir, en raison du vieillissement de la population. » Il faut donc imaginer des solutions qui garantissent dignité et autonomie, notamment pour les personnes âgées. Les associations qui exercent ces activités se trouvent souvent en concurrence avec des prestataires privés. Il conviendrait donc qu'elles puissent bénéficier de financements particuliers. « Dans le cadre de la Banque publique d'investissement (BPI), que nous allons créer d'ici la fin de l'année, nous mettrons en place un département spécifique, dédié à l'économie sociale et solidaire, et doté de 500 millions d'euros. » Dans la mission de préfiguration de la BPI, le ministre a demandé à Bruno Parent, inspecteur général des Finances, de rencontrer une quinzaine de responsables de structures de l'ESS, afin que « le robinet soit effectivement ouvert à ces structures, quelle que soit leur taille ». L'objectif est clair : « Financer l'innovation sociale et essayer de répliquer le maximum d'expérimentations qui existent déjà sur le territoire ». Un deuxième dossier d'actualité concerne très directement les jeunes : les 150 000 « emplois d'avenir » qui vont être créés pour « répondre à des besoins sociaux non satisfaits ». La filiation est claire avec les « emplois jeunes » (officiellement appelés « nouveaux services, nouveaux emplois »). La discussion est en cours pour savoir si ces emplois, réservés aux jeunes, seront aussi dédiés aux territoires le plus en difficultés : zones rurales désertifiées ou quartiers populaires défavorisés. Dès 2013, 100 000 emplois d'avenir seront créés, ce qui permettra de « consolider un secteur associatif qui a beaucoup souffert ces dernières années », a commenté Benoît Hamon. Parallèlement, le ministre va demander à l'IGF et à l'IGAS de travailler sur

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l'utilisation des contrats aidés dans le cadre de l'insertion par l'activité économique (IAE). Et au Credoc d'enquêter sur les perspectives de besoins en main d'œuvre dans le secteur de l'ESS. Tout cela en vue d'« éviter de fournir des emplois d'occupation ». « Il faut résoudre ce problème de “bizutage social” que la société impose aux jeunes, que ce soit dans le logement, la santé ou l'accès à l'emploi », a-t-il martelé. Enfin, Benoît Hamon a tenu à aborder les questions d'éducation et de formation : « Il faut dans les manuels scolaires une véritable sensibilisation à l'ESS. En évitant de la réduire à des coopératives de lutte contre la pauvreté dans les pays en voie de développement », a-t-il averti. Concédant que son ministère n'avait pas d'administration dédiée, il a rappelé que « sans la mobilisation des collectivités locales et des acteurs de l'ESS, nous n'arriverons pas à changer d'échelle et à pérenniser l'ESS ».

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UN TEMPS DE CONCLUSIONS

Au terme de cette seconde conférence-débat, plusieurs questions ont été posées depuis la salle. L'un des participants a suggéré que l'économie sociale et solidaire puisse « partager certains de ses outils avec les entreprises relevant de l'économie classique ». Thomas Delage a expliqué que c'était déjà le cas : le CJDES a créé voilà dix ans le « bilan sociétal », qu'il met à disposition de toutes les structures, y compris celles de l'économie traditionnelle. De plus, parmi tous les étudiants qui suivent des formations portant sur l'entrepreneuriat social ou l'économie solidaire, « tous ne travailleront pas dans le secteur de l'ESS, mais ils défendront, là où ils seront, ses valeurs ». Une autre question ayant porté sur la nécessité de disposer d'autres indicateurs pour mesurer l'engagement associatif ou le mieux-être social, Claude Alphandéry a estimé qu'il fallait « poursuivre le débat là-dessus », car on ne pouvait pas décider de but en blanc « quels étaient les bons indicateurs ». En conclusion des travaux, le président du Labo de l'ESS a estimé qu'il existait désormais une véritable « alternative au rêve américain d'une société dominée par le marché » et que les perspectives de développement de l'ESS étaient considérables, notamment dans le secteur de l'aide à la personne. Mais cela suppose « une transformation du modèle économique » : sinon, l'ESS ne disposera pas des moyens financiers nécessaires. Il y a donc « une bataille politique importante à mener, et nous l'avons engagée aujourd'hui », a-t-il conclu.