les Halles

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Flammarion DOISNEAU PARIS LES HALLES Vladimir Vasak

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Le photoreportage de Doisneau pour sauver les Halles de Paris

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Flammarion

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Vladimir Vasak

DOISNEAU PARIS LES HALLESJ’y avais beaucoup d’amis, dans cette sorte de village,

j’étais photographe inoffensif considéré comme un doux

maniaque, aussi je ne peux rien comprendre aux

conceptions des technocrates imbibés de géométrie.

Les buts vers lesquels ils tendent s’appellent rentabilité,

spécialisation, division du travail, efficience.

Tout ceci va diamétralement à l’inverse de ce que je

venais chercher dans les nuits des Halles, j’y trouvais

l’image même…

Robert Doisneau

L’auteur : Grand Reporter à Arte, Vladimir Vasak est égalementl’auteur du texte de Doisneau, Un voyage en Alsace,Flammarion, 2008

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Prix France : 30 €ISBN : 978-2-0812-6676-6

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Des techniciens se sont penchés sur le problème des Halles de Paris. Des hommes malins, urbanistes,

politiciens, financiers.

Se sont penchés, c’est-à-dire ont regardé de très haut s’agiter les petites gens.

J’y avais beaucoup d’amis, dans cette sorte de village j’étais photographe inoffensif considéré comme un doux

maniaque, aussi je ne peux rien comprendre aux conceptions des technocrates imbibés de géométrie.

Les buts vers lesquels ils tendent s’appellent rentabilité, spécialisation, division du travail, efficience.

Tout ceci va diamétralement à l’inverse de ce que je venais chercher dans les nuits des Halles, j’y trouvais l’image

même…

L’église du village, Saint-Eustache elle-même, était un mélange de styles et de parfums. Gothique à l’intérieur,

parfumée d’encens, Renaissance et parfumée de céleri à l’extérieur. Et autour, une curieuse humanité dans une

lumière de fête foraine, des rupins et des clochards, des chauffeurs routiers et des tireurs de diables, des

bouchers et des clientes de Dior, des maraîchers et des poivrots. Tout ce monde se disait « tu » et surtout flottaient

une grosse gaîté et une bonne volonté, valeurs dont ne tiennent pas compte les ordinateurs électroniques.

Tout ce quartier est pétrifié par un gel brutal.

Paris perd son ventre et un peu de son esprit.

Je me moque du noctambule qui n’y trouvera plus le bain de fraîcheur après les plaisirs frelatés de la nuit mais

je pense à l’homme à la dérive, sans amis dans la ville endormie où les téléphones sont muets, il accostait aux

Halles, un peu de chance, il y trouvait de quoi vivre ; un peu de chance encore, il était adopté. Ceci n’est pas

une légende unique mais une histoire répétée cent fois en confidences de bistrot.

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PAGE DE GAUCHE

Autoportrait au Rolleiflex, 1947

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LES HALLES DE PARIS

1933, Paris va atteindre les 3 millions d’habitants, 6 millions avec la banlieue. Robert Doisneau a vingt et unans. À l’école Estienne il a appris le graphisme, mais il est attiré par la photographie. Sans savoir s’il vapouvoir en faire son métier – son père se méfie de cette activité jugée peu sérieuse –, il travaille depuis peurue Monsieur-le-Prince chez André Vigneau, qui s’est lui-même lancé dans la photographie publicitaire.Doisneau vient de s’acheter un Rolleiflex 6×6 avec lequel il réalise son premier autoportrait : « Comme unediseuse de bonne aventure penchée sur sa boule de cristal1. »

Avec cet appareil moderne, précis et de maniement aisé, il commence à saisir des scènes de la vie desrues, de Gentilly à Paris. Dès 1933 le quartier des Halles l’intéresse, et la première photo qu’il y réaliseest, au pied de l’église Saint-Eustache, Les Filles au diable. Comme beaucoup de photographes de cetteépoque, notamment André Kertész, Brassaï, Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis, il est attiré par la viequotidienne des Parisiens, et les Halles lui en offrent un parfait concentré.

Le ventre de Paris

Robert Doisneau a été marqué par la lecture de Victor Hugo, et en particulier celle des Misérables. On peutimaginer qu’il avait également en mémoire le texte d’un autre géant de la littérature du xIxe siècle, Émile Zola.Quand Zola a écrit Le Ventre de Paris, en 1872, les Halles venaient d’être radicalement modernisées parNapoléon III. Depuis 1135, date à laquelle le roi Louis VI installa un marché public sur des petits champs,que l’on appelait alors des « champeaux » (d’où la rue des Petits-Champs et la rue Croix-des-Petits-Champs),le quartier était le point de rencontre entre les vendeurs de victuailles et autres objets du quotidien et lesacheteurs de la grande ville. Ils se retrouvaient au pied de l’église Saint-Eustache dont la constructioncommença sous François Ier, et où furent plus tard célébrées les obsèques de Molière, de La Fontaine et deMirabeau.

Dès le xVIe siècle, le pouvoir royal et municipal avait organisé l’espace pour rendre les échanges plus facilesautour du carreau des Halles, le marché du pain, du beurre, du fromage et des œufs. Le nom des ruessituées entre Saint-Eustache et la rue Saint-Denis témoigne de l’activité du quartier : rue au Lard, rue duMarché-aux-Poirées, rue des Déchargeurs, rues de la Friperie, de la Lingerie, de la Poterie, de la Cordonnerieet… rue des Mauvaises-Paroles ! En 1788 fut installé le marché aux légumes en lieu et place du cimetièredes Innocents qui avait été transféré dans les Catacombes. Dans son Évocation du vieux Paris, JacquesHillairet2, fin connaisseur de la capitale, relate : « En 1780, le cimetière avait déjà servi à quarante générationsde Parisiens et absorbé près de dix millions de cadavres ; son sol s’était exhaussé de deux mètres cinquante.Il exhalait une odeur méphitique qu’augmentait celle des matières fécales jetées dans le cimetière par leshabitants […]. La translation des ossements demanda quinze mois durant lesquels de nombreusescharrettes, escortées de prêtres chantant l’office des morts, traversaient chaque soir tout Paris, perdant,de-ci de-là, un peu de leur contenu2. » Dans son Tableau de Paris, paru à la veille de la Révolution, LouisSébastien Mercier a décrit cet étrange déménagement : « Qu’on se représente des flambeaux allumés, cettefosse immense, ouverte pour la première fois, ces différents lits de cadavres tout à coup remués, ces débrisd’ossements, ces feux épars que nourrissent des planches de cercueil, les ombres mouvantes de ces croixfunéraires, cette redoutable enceinte subitement éclairée dans le silence de la nuit3 ! » Toutefois, il restaitencore beaucoup d’ossements dans la terre de l’ancien cimetière : la photographie de la cave à vin témoignede ce passé.

1. Cité par Peter Hamilton, Robert Doisneau, la vie

d’un photographe, Paris, Hoëbeke, 1995.

2. Jacques Hillairet, Évocation

du vieux Paris, Paris, Les Éditions de Minuit, 1952, p. 243.

3. Louis Sébastien Mercier, Le Tableau de Paris, Paris, La Découverte/poche, 1998, p. 48.

Construction de nouveaux pavillons aux Halles centrales en 1866.

Hubert Robert (1733-1808), Vue de la

démolition du cimetière des Innocents, dessin, s.d. © Hubert Robert/MuséeCarnavalet/Roger-Viollet.

Anonyme, « Les nouvelles Halles centrales à Paris. Vue extérieure des pavillons », 1857, bois gravé. © Anonyme/Musée Carnavalet/Roger-Viollet.

Provost, « Les nouvelles Halles centrales à Paris. Étage souterrain pour le service »,1857, bois gravé. © Provost/MuséeCarnavalet/Roger-Viollet.

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059 | DOISNEAU | PARIS LES HALLESDOISNEAU | PARIS LES HALLES | 058

CI-DESSUS

« Un homme à la crème », 1967 / La Cave aux fromages, novembre 1959

PAGE DE DROITE

La Voûte à fromages, 1959

PAGES SUIVANTES

Fort en blouse, 1967 Fort aux Halles, novembre 1968

DOISNEAU | PARIS LES HALLES | 100

CI-DESSUS

Les Têtes de porcs

PAGE DE DROITE

Les Chariots rouges des bouchers

DOUBLE PAGE SUIVANTE

Fleuriste en marche

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DOISNEAU PARIS LES HALLESJ’y avais beaucoup d’amis, dans cette sorte de village,

j’étais photographe inoffensif considéré comme un doux

maniaque, aussi je ne peux rien comprendre aux

conceptions des technocrates imbibés de géométrie.

Les buts vers lesquels ils tendent s’appellent rentabilité,

spécialisation, division du travail, efficience.

Tout ceci va diamétralement à l’inverse de ce que je

venais chercher dans les nuits des Halles, j’y trouvais

l’image même…

Robert Doisneau

L’auteur : Grand Reporter à Arte, Vladimir Vasak est égalementl’auteur du texte de Doisneau, Un voyage en Alsace,Flammarion, 2008

Flammarion Fla

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nPrix France : 30 €

ISBN : 978-2-0812-6676-6

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