les conflits armés internes en afrique et le droit international

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UNIVERSITÉ DE CERGY-PONTOISE

Faculté de Droit

LES CONFLITS ARMÉS INTERNES

EN AFRIQUE

ET LE DROIT INTERNATIONAL

THESE Pour le Doctorat en droit

présentée et soutenue publiquement par

ATCHE Bessou Raymond

Le 21 novembre 2008

Sous la direction de

M. Madjid BENCHIKH Professeur émérite à l�université de Cergy-Pontoise

Ancien Doyen de la faculté de droit d�Alger

JURY : M. Robert CHARVIN

Professeur émérite, Doyen honoraire de la faculté de droit, sciences politiques,

économiques et de gestion Université de Nice- Sophia Antipolis

Rapporteur

M. Stéphane DOUMBE-BILLE Professeur de droit à l�Université Jean

Moulin-Lyon 3 Rapporteur

M. Pierre-Henri PRELOT

Professeur de droit, Ancien Doyen de la faculté de droit de

l�Université de Cergy-Pontoise

M. Madjid BENCHIKH Professeur émérite à l�université de Cergy-

Pontoise Ancien Doyen de la faculté de droit d�Alger

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UNIVERSITÉ DE CERGY-PONTOISE

Faculté de Droit

LES CONFLITS ARMÉS INTERNES

EN AFRIQUE

ET LE DROIT INTERNATIONAL

THESE Pour le Doctorat en droit

présentée et soutenue publiquement par

ATCHE Bessou Raymond

Le 21 novembre 2008

Sous la direction de

M. Madjid BENCHIKH Professeur émérite à l�université de Cergy-Pontoise

Ancien Doyen de la faculté de droit d�Alger

JURY : M. Robert CHARVIN

Professeur émérite, Doyen honoraire de la faculté de droit, sciences politiques,

économiques et de gestion Université de Nice- Sophia Antipolis

Rapporteur

M. Stéphane DOUMBE-BILLE Professeur de droit à l�Université Jean

Moulin-Lyon 3 Rapporteur

M. Pierre-Henri PRELOT

Professeur de droit, Ancien Doyen de la faculté de droit de

l�Université de Cergy-Pontoise

M. Madjid BENCHIKH Professeur émérite à l�université de Cergy-

Pontoise Ancien Doyen de la faculté de droit d�Alger

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Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International � 1 �

Liste des abréviations

! A.C.R.I. African Crisis Response Initiative

! A.F.D.I. Annuaire Français de Droit International

! A.F.L. Forces Armées du Libéria

! A.G.N.U. Assemblée Générale des Nations Unies

! A.J.I.L. American Journal of International Law

! A.N.A.D. Accord de Non Agression et de Défense

! A.N.C. African National Congress

! B.Y.B.I.L. British Year Book of International Law

! C.D.D.H. Conférence Diplomatique du Droit Humanitaire

! CEDEAO Communauté Economique Des Etats de l�Afrique de l�Ouest

! C.E.E.A.C. Communauté Economique des Etats de l�Afrique Centrale

! Ch.M. ONU Chronique Mensuelle de Nations Unies

! C.I.J. Cour Internationale de Justice

! C.I.C.R. Comité International de la Croix-Rouge

! C.P.I. Cour Pénale Internationale

! C.P.S. Conseil de Paix et de Sécurité (de l�Union africane)

! C.R.E.D.H.O. Centre de Recherche des Droits de l�Homme

! C.Y.B.I.L. Canadian Year Book of International Law

Page 6: les conflits armés internes en afrique et le droit international

� 2 � Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International

! D.I.H. Droit International Humanitaire

! E.C.O.M.O.G. Ecowas Cease-fire Monitoring Group

! G.R.I.P. Groupe de Recherche et d�Intervention sur la Paix

! H.C.R. Haut Commissariat des Réfugiés

! J.D.I. Journal de Droit International

! J.O. Journal Officiel (France)

! M.I.N.U.C.I. Mission des Nations Unies en Côte d�Ivoire

! M.I.N.U.L. Mission des Nations Unies au Libéria

! M.I.N.U.S.I.L. Mission des Nations Unies en Sierra Leone

! M.O.D.E.L. Mouvement pour la Démocratie au Libéria

! M.P.C.I. Mouvement Patriotique de Côte d�Ivoire

! N.E.P.A.D. Nouveau Partenariat pour le Développement de l�Afrique

! N.P.L.F. National Patriotic Front of Liberia

! O.M.P. Opération de Maintien de la Paix

! O.N.U. Organisation des Nations Unies

! O.N.U.C.I. Opération des Nations Unies en Côte d�Ivoire

! O.N.U.S.O.M. Organisation des Nations Unies en Somalie

! O.T.A.N. Organisation du Traité de l�Atlantique Nord

! O.U.A. Organisation de l�Unité Africaine

! R.B.D.I. Revue Belge de Droit International

! R.C.A.D.I. Recueil des Cours de l�Académie de Droit International

Page 7: les conflits armés internes en afrique et le droit international

Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International � 3 �

! R.D.C. République Démocratique du Congo

! R.B.D.I. Revue Belge de Droit International

! R.C.I.C.R. Revue du Comité International de la Croix Rouge

! R.D.I.L.C. Revue de Droit International et de Législation Comparée

! R.G.D.I.P. Revue Générale de Droit International Public

! R.E.C.A.M.P. Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix

! R.N.U. Revue des Nations Unies

! R.S.A.N.U. Recueil des Sentences Arbitrales des Nations-Unies

! R.T.N.U. Revue Trimestrielle des Nations Unies

! R.U.F. Revolutionary United Front (Sierra Leone)

! S.A.D.C. Communauté de développement de l�Afrique Australe

! S.W.A.P.O. South West African people�s Organisation

! T.P.I.R. Tribunal Pénal International pour le Rwanda

! T.P.I.Y. Tribunal Pénal International pour l�ex Yougoslavie

! U.A. Union Africaine

! Z.A.N.U. Zimbabwe African National Union

! Z.A.P.U. Zimbabwe African people�s Union

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� 4 � Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International

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Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International � 5 �

Table des matières

INTRODUCTION ....................................................................................... 15

1 � LES SOURCES ENDOGÈNES DES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE........................................................................................... 19

2 � LES SOURCES EXOGÈNES DES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE........................................................................................... 27

PREMIÈRE PARTIE : LE CADRE NORMATIF DE GESTION DES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE 35

CHAPITRE I : LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES CONFLITS ................ 35

Section I : La nécessité de qualification des conflits africains dans la perspective du maintien de la paix .......................................................... 35

Paragraphe 1 : Les critères de qualification ................................................ 36

A � Les conflits africains, des guerres civiles........................................................... 36

1) Selon la doctrine ........................................................................................ 36 2) De l�article 3 commun, au protocole II additionnel aux Conventions de

Genève du 12 août 1949 : une évolution réelle ......................................... 40 3) Le conflit armé interne selon le protocole additionnel II ............................. 45

B � Les conflits africains, des conflits internes internationalisés.............................. 49

1) La notion de conflit interne internationalisé................................................ 49 2) Les alliances transnationales du fait de facteurs socio-historiques : le

cas de la République Démocratique du Congo (R.D.C.) ........................... 50

C � Les conflits africains, expression du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes .............................................................................................................. 53

1) La notion du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes........................... 53 a) Le libre choix du régime politique........................................................ 54 b) Le droit à l�autodétermination.............................................................. 55

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� 6 � Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International

2) Les États africains et la signification du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes.............................................................................................. 58

3) La question du Sahara occidental.............................................................. 64 a) L�affirmation du droit à l�autodétermination pour le peuple

sahraoui .............................................................................................. 66 b) La mise en �uvre du droit du peuple Sahraoui à

l�autodétermination.............................................................................. 69 c) Les obstacles à la mise en �uvre du droit des sahraouis à

l�autodétermination.............................................................................. 70 4) Les guerres de libération nationale, guerre civile ou guerre

internationale.............................................................................................. 73 a) La guerre de libération nationale : une guerre civile ........................... 73 b) La guerre de libération nationale : une guerre internationale.............. 75 c) Les mouvements de libération nationale, seuls représentants des

territoires dominés par une puissance coloniale ................................. 77

D � Le génocide, une forme de conflit armé interne en afrique ............................... 79

1) La notion de génocide................................................................................ 79 2) La guerre du Biafra (Nigeria) et la notion de génocide .............................. 80 3) La tragédie rwandaise : un cas de génocide.............................................. 82

E � La sécession, une autre forme de conflit armé interne en afrique..................... 83

Paragraphe II : L'identification des parties dans les conflits ..................... 87

A � Les parties dans les conventions de genève et les protocoles additionnels ..... 88

B � Les parties dans le conflit en République Démocratique du Congo (R.D.C.) ............................................................................................................. 89

C � Les parties dans le conflit libérien ..................................................................... 90

Section II : La reconnaissance de l'état de belligérance ......................... 93

Paragraphe I : La manifestation de la reconnaissance............................... 93

A � L�engagement de l�armée fédérale nigériane contre les forces biafraises : un état de bélligérance...................................................................................... 94

1) Les éléments de l�état de belligérance....................................................... 94 2) La reconnaissance de l�état de belligérance dans le conflit nigérian ......... 96

a) La Tanzanie et la reconnaissance du Biafra .......................... 97 b) La position des autorités nigérianes....................................... 99

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Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International � 7 �

B � Le conflit armé ivoirien et la reconnaissance de l'état de belligérance............ 100

Paragraphe II : Les effets de la reconnaissance de belligérance............. 103

A � La reconnaissance par le gouvernement établi ............................................... 106

B � Les effets de la reconnaissance de belligérance accordée par les tiers ......... 109

1) Les tiers États .......................................................................................... 110 2) La reconnaissance par les tiers autres que les états : les

organisations internationales et non gouvernementales.......................... 113

CHAPITRE II : LA PROTECTION DES DROITS HUMAINS DANS LES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE ............................................. 119

Section I : L'application des règles du droit international humanitaire dans les conflits africains....................................................................... 119

Paragraphe I : Les difficultés de protection de la population civile dans les conflits armés internes en Afrique .............................................. 120

A � La nécessité de la distinction entre combattants et civils ................................ 120

B � Combattants légaux et illégaux ....................................................................... 127

1) La protection des « combattants de la liberté » ....................................... 127 2) L'illégalité du mercenariat......................................................................... 131

C � Les règles du droit international humanitaire à l'épreuve des conflits intra étatiques africains ........................................................................................... 139

Paragraphe II : La protection du territoire par les règles du droit international humanitaire............................................................................. 142

A � La question de la délimitation des zones de combats ..................................... 143

B � Les limites des règles humanitaires................................................................. 148

Section II : Les conflits intra étatiques africains et les droits de l'homme ................................................................................................. 158

Paragraphe I : Nécessité de protection des droits de l'homme lors des conflits ................................................................................................... 158

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� 8 � Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International

A � La violation des droits de l�homme dans les conflits intra étatiques : une réalité .............................................................................................................. 158

B � Absence de dispositif juridique efficace de protection des droits de l'homme en Afrique ......................................................................................... 161

1) L'évolution au plan international des normes de protection des droits de l'homme............................................................................................... 162

2) Les limites de la Charte africaine de protection des droits de l'homme ... 165 a) Nécessité d'un dispositif africain de protection en période de

conflit 168 b) La charte africaine des droits de l'homme et des peuples et le

droit de dérogation ............................................................................ 173

Paragraphe II : La question de la protection de catégories spécifiques de personnes ................................................................................................ 178

A � Les enfants dans les conflits armés internes en Afrique : une protection nécessaire....................................................................................................... 179

B � Nécessité de protection des minorités............................................................. 184

C � La situation des réfugiés en Afrique ................................................................ 188

Section III : Les conflits armés internes en Afrique et les poursuites pénales .................................................................................................. 194

Paragraphe I : La détermination des faits poursuivis ............................... 196

A � Le crime contre l'humanité............................................................................... 197

B � Le crime de guerre .......................................................................................... 204

C � Le crime de génocide : le Rwanda .................................................................. 209

Paragraphe II : La juridiction pénale internationale : gage contre l�impunité en Afrique.................................................................................... 218

A � L�exercice de la compétence par la juridiction pénale ..................................... 219

B � L�apport de la jurisprudence du Tribunal pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.) ........................................................................................... 229

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Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International � 9 �

PARTIE II : LA GESTION INSTITUTIONNELLE DES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE 233

CHAPITRE I : LA NÉCESSITÉ DU MAINTIEN DE LA PAIX EN AFRIQUE . 235

Section I : La problématique du maintien de la paix.............................. 235

Paragraphe I : Le concept de maintien de la paix ..................................... 235

A � Définition du maintien de la paix...................................................................... 236

B � Le caractère variable du concept de maintien de la paix................................. 238

Paragraphe II : La détermination d�une menace ou d�une rupture de la paix internationale........................................................................................ 241

A � La notion de menace et de rupture de la paix ................................................. 242

B � Les implications de rupture de la paix dans les États africains ....................... 249

Section II : Le système des Nations Unies et le maintien de la paix ..... 252

Paragraphe I : Les bases factuelles du maintien de la paix ..................... 252

A � L�étendue des pouvoirs de l�O.N.U. ................................................................. 253

B � Les faiblesses et facteurs limitatifs de l�engagement de l�O.N.U. dans les conflits africains............................................................................................... 258

Paragraphe II : La gestion concertée des conflits entre l�O.N.U. et les institutions africaines .................................................................................. 261

A � La régionalisation de la paix ............................................................................ 262

B � La hiérarchie des compétences entre l'O.N.U. et l'O.U.A................................ 264

CHAPITRE II : L�ORGANISATION PANAFRICAINE À L�ÉPREUVE DES CONFLITS ARMÉS INTERNES .................................................................... 271

Section I : L�échec de l�Organisation de l�Unité Africaine (O.U.A.) dans la gestion des conflits armés ........................................................ 271

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� 10 � Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International

Paragraphe I : Un vide juridique en matière de gestion des conflits armés internes.............................................................................................. 272

A � Les principes régissant le fonctionnement de l�O.U.A. .................................... 272

B � La compétence de l�O.U.A. dans le règlement des conflits ............................. 276

Paragraphe II : Le mécanisme du Caire de 1993 : une évolution dans la gestion des conflits.................................................................................. 281

A � La mise en �uvre du mécanisme ................................................................... 281

B � Les limites du mécanisme ............................................................................... 284

Section II : L�Union Africaine (U.A.) et la dynamique de paix en Afrique ................................................................................................... 288

Paragraphe I : Une ère nouvelle pour la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique...................................................................................................... 289

A � Des principes nouveaux de gestion des conflits.............................................. 289

B � L�Union africaine et l�incorporation du mécanisme de l�O.U.A. pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits .......................................... 293

Paragraphe II : Une rupture dans la gestion des conflits : la naissance du conseil de paix et de sécurité de l�union africaine ............ 298

A � Le Conseil de Paix et de Sécurité : Une réaction de l�Union africaine aux crises............................................................................................................... 299

B � La tutelle permanente des Nations Unies........................................................ 302

CHAPITRE III : L�INTERVENTION EXTÉRIEURE DANS LES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE : UNE RÉALITÉ CONSTANTE .............. 307

Section I : Le fondement juridique de l�intervention............................... 308

Paragraphe I : L�intervention consentie ..................................................... 308

A � La formulation du consentement ..................................................................... 308

1) L�appel au secours des autorités locales ................................................. 308

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Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International � 11 �

2) L�intervention, réponse à un appel ........................................................... 311

B � Une intervention en principe caractérisée par l�absence d�intérêt de l�intervenant..................................................................................................... 313

1) La problématique des opérations étrangères en Afrique : le cas de la France ...................................................................................................... 313

2) L�intervention humanitaire ........................................................................ 319

Paragraphe II : L�intervention non consentie............................................. 323

A � La protection des Nationaux............................................................................ 324

B � La légitime défense, explication juridique........................................................ 326

C � La protection des intérêts étrangers en Afrique............................................... 330

Section II : Nécessité d�un dispositif africain de sécurité et de défense .................................................................................................. 333

Paragraphe I : Analyse des perspectives occidentales de maintien de la paix en Afrique ......................................................................................... 334

A � L�Europe et la force africaine de sécurité et de défense.................................. 335

1) Le programme britannique ....................................................................... 335 2) Le programme français : le renforcement des capacités africaines de

maintien de la paix (RECAMP) ................................................................ 337

B � Le programme américain : African Crisis Response Initiative (A.C.R.I.) ......... 340

Paragraphe II : La problématique de la mise en place d�une identité africaine en matière de sécurité et de défense .......................................... 344

A � État des lieux des forces armées africaines .................................................... 345

1) Le dépérissement de l�outil militaire en Afrique........................................ 346 2) Des structures armées sous-régionales de maintien de la paix peu

efficaces ................................................................................................... 347

B � Nécessité d�une force armée africaine de sécurité et de défense................... 350

CONCLUSION ..................................................................................... 357

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� 12 � Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International

BIBLIOGRAPHIES.................................................................................. 361

I � OUVRAGES GÉNÉRAUX ET COURS.................................................. 361

II � OUVRAGES SPÉCIAUX.......................................................................... 365

III - ARTICLES ET MONOGRAPHIES........................................................... 367

IV � THÈSES ET MÉMOIRES........................................................................ 378

V � AUTRES SOURCES DIVERSES ET INTERNET .................................... 380

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Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International � 13 �

ANNEXE I : LES GRANDES ÉTAPES DU PANAFRICANISME.... 383

ANNEXE II : ACTE CONSTITUTIF DE L�ORGANISATION DE L�UNITÉ AFRICAINE (O.U.A.) .................................... 387

ANNEXE III : ACTE CONSTITUTIF DE L�UNION AFRICAINE (U.A.)............................................................................ 395

ANNEXE IV : PROTOCOLE RELATIF À LA CRÉATION DU CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ DE L�UNION AFRICAINE.................................................................. 407

ANNEXE V : ACTE CONSTITUTIF DE LA C.E.D.E.A.O. ................ 427

ANNEXE VI : ACCORD DE NON-AGRESSION ET DE DÉFENSE (A.N.A.D.) .................................................................... 443

ANNEXE VII : PROTOCOLE D�ASSISTANCE MUTUELLE (P.A.M.)........................................................................ 449

ANNEXE VIII : ÉVOLUTION DES DÉPENSES MILITAIRES OUEST-AFRICAINES: 1994 � 2003 ........................... 459

ANNEXE IX : LA POSITION DE L�O.U.A. SUR LES CONFLITS AFRICAINS.................................................................. 463

ANNEXE X : DÉCLARATION DE LA CONFÉRENCE DES CHEFS D�ÉTAT ET DE GOUVERNEMENT SUR LA CRÉATION AU SEIN DE L�O.U.A. D�UN MÉCANISME POUR LA PRÉVENTION, LA GESTION ET LE RÈGLEMENT DES CONFLITS....... 469

ANNEXE XI : RÉSOLUTION SUR LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L�HOMME ET DES PEUPLES ....... 475

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� 14 � Les conflits armés internes en Afrique et le Droit International

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INTRODUCTION

Depuis plus d'une décennie, l'Afrique donne l'image d'un continent profondément marqué par le déferlement de la violence et de violations massives des droits de l'homme1. Ces conflits qui touchent aux ressorts intimes des sociétés, mettent aux prises des fronts ou des milices2, souvent indisciplinés, et qui dérivent à l'occasion vers le banditisme, pratiquent la prise de butin, enrôlent les enfants, s'en prennent aux civils sans défense, et n'hésitent pas à recourir aux formes extrêmes de violence, au pillage de l'aide humanitaire, à la destruction des infrastructures et des récoltes�

Cette image de l'Afrique qui se meurt nous est quotidiennement rapportée par les médias ; qu'il s'agisse des massacres qui embrasent périodiquement la région des grands lacs, qu'il s'agisse des exécutions sommaires, arbitraires ou extrajudiciaires qui scandent la vie des dictateurs et autres autocrates assoiffés de pouvoirs, de sang et d'argent ; qu'il s'agisse des assassinats perpétrés en Afrique du nord au nom d'un Islam fondamentaliste ou encore des drames qui endeuillent les peuples du Libéria, de la Sierra Léone, du Congo, et aujourd'hui la Côte d'Ivoire et le Soudan. Depuis nombres d'années déjà, ce pays a basculé dans un quasi-génocide dans le Darfour, en plein c�ur du Dar el islam3.

Ce sont là des situations de guerre civile dont on évite la qualification au plan juridique, mais que l'on considère comme étant des conflits internes4. En cela le conflit armé interne, tel que le conçoivent la doctrine et les conférences d�experts, dépasse le stade de « trouble », « d�incidents ou d�actes de terrorisme localisé » d�une part, et celui des

1 Communication de Isaac Nguema lors du colloque de Ouagadougou, La promotion et la protection des droits de l'homme à l'heure des ajustements structurelles. Voir les actes du colloque pp. 189-203. Colloque organisé par l'Organisation mondiale contre la torture (Omct/Sos-Torture). 2 ROLAND POURTIER, Congo-Brazzaville : entre guerre et paix, Afrique contemporaine n°186, 2è trimestre 1998, p. 4-5. 3 On distingue dans la tradition musulmane le « Dar el islam » (domaine ou pays d'islam) du « Dar el harb », c'est-à-dire le domaine de la guerre, synonyme de chaos. Or le chaos soudanais aujourd'hui n'oppose plus seulement le nord musulman au sud chrétien comme c'était encore le cas jusqu'il y a peu ; au contraire, il se déroule dans le Darfour, en plein pays d'islam. Cette situation correspond à la Fitna, hantise séculaire des oulémas, les docteurs de la loi ; ce dont parle Gilles Kepel dans son ouvrage : Fitna, Guerre au c�ur de l'Islam, Gallimard, 2004 4 FRANCIS WODIÉ utilise indifféremment le terme de guerre civile ou de conflit interne, cf. La Sécession du Biafra et le droit international public, RGDIP, 1964, n° 4 p. 1054 ; Charles Zorgbibe distingue la guerre civile classique de la guerre civile moderne. Voir, Charles Zorgbibe, La guerre civile, Paris, 1975, PUF, « Que sais-je », p. 8 ; Pufendor parle de guerre intestine, cité par A. Rougier in, Les guerres civiles et le droit des gens, Paris, 1902, p. 18. La Cour d'appel de Montpellier a qualifié la guerre d'Algérie « d'état insurrectionnel armé », C.A., Cie d'assurance la nationale et autres c/ Sté Purfina, 24.11.1959, GP, 1959.

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bandes « inorganisées, non encadrées » et dont les objectifs sont mal définis, d�autre part1.

Mais la raison fondamentale de l�usage aujourd�hui de l�expression « conflit armé » plutôt que le terme de « guerre », réside dans le fait que la notion de conflit armé semble recouvrir un plus large spectre de situations que le concept de guerre, qui aurait plutôt une signification plus étroite2. C�est l�article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949, qui introduit dans le droit positif l�expression « conflit armé ne présentant pas un caractère international ». La justification juridique du choix de cette expression réside dans le fait que l�article 2, alinéa 1 commun aux conventions précitées stipule qu�elles s�appliquent non seulement « en cas de guerre déclarée », mais aussi « en cas de� tout autre conflit armé� ». En outre, on observe que les instruments juridiques récents parlent beaucoup moins de « guerre » que de « conflit armé ». La convention de la Haye du 14 mai 1954, les protocoles additionnels du 8 juin 1977 et diverses résolutions de l�assemblée générale des Nations Unies3 disposent qu�ils s�appliquent « en cas de conflit armé » ou « en période de conflit armé ». Ce qui confirme bien que la notion de conflit armé est plus large que celle de guerre, mais qu�elle n�en relève pas moins du droit de la guerre (ou plutôt du droit des conflits armés). Par ailleurs, les États n�aiment pas qualifier de guerre civile, leurs conflits4 parce que cela évoque un déchirement de la société et pose le problème de l�effectivité du pouvoir sur l�ensemble du territoire national.

Au départ, la notion de guerre civile (conflit armé interne) était peu connue. Toute lutte armée ne pouvait concerner que deux entités souveraines. On parla alors de guerre internationale ou de guerre tout court. Jean Jacques Rousseau en donne la définition suivante : « la guerre est un rapport d�État à État »5. Il suit de cela que, toute autre forme de conflit était qualifiée de guerre bâtarde6. Dans les écrits doctrinaux, certains auteurs tel que Grotius ne connaissent pas d�état intermédiaire entre la paix et la

1 Le comité international de la Croix-Rouge a établi, à partir des divers amendements proposés à la conférence diplomatique de 1949, la liste des différents critères suggérés pour définir le conflit armé non international, voir, Commentaire de la convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (Jean Pictet, directeur de publication), Comité International de la Croix-Rouge, Genève, 1952, p. 42-43. 2 R. BAXTER, Comportement des combattants et conduite des hostilités, in Les dimensions internationales�, pp. 117-118. 3 Par exemple, les résolutions sur la protection des civils, l�application des droits de la personne, la protection des femmes et des enfants. Résolutions 2673 à 2677 (XXV) et 3318 (XXIX). 4 FRANCIS WODIÉ, La sécession du Biafra et le droit international public, RGDIP, 1969, n° 4, p. 1023. 5 JEAN-JACQUES ROUSSEAU, « La guerre est un rapport d�État à État dans lequel les particuliers ne sont ennemis qu�accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats », contrat social, I, IV, p. 14, édition Dalibon. 6 A. ROUGIER, Les guerres civiles et le droit des gens, thèse, 1902, p. 9.

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guerre1. Contrairement à ces dernières qui étaient à un stade d�évolution moins avancé, la guerre internationale était déjà régie par un ensemble de normes internationales2.

Cela s�explique surtout par le fait que depuis toujours, le droit international guidé par le principe du consensualisme et de l�égalité souveraine des États, ne régit que les rapports entre ces derniers, seuls en mesure de « prétendre à une effectivité complète, internationale autant qu�interne »3. Les conflits armés internes qui n�étaient pourtant pas méconnus4, relevaient de la compétence interne des États souverains5. L�attention dorénavant prêtée à la guerre civile, va se poursuivre pour connaître un véritable tournant à partir de la guerre civile atroce qui a déchiré l�Espagne de 1936 à 19396. Aussi convient-il de remarquer que si les guerres inter étatiques se raréfient aujourd�hui7, les conflits armés internes en revanche n�ont cessé de se multiplier depuis la deuxième moitié du vingtième siècle dans les pays du tiers monde, notamment en Afrique. Ces conflits font beaucoup plus de victimes que les guerres inter étatiques8, devenus aujourd�hui un phénomène marginal et que les grandes puissances savent maintenant éviter pour eux-mêmes et contrôler chez les autres.

Au cours de ces dernières années, la guerre inter étatique la plus meurtrière est très probablement celle qui a eu lieu entre l�Éthiopie et l�Érythrée. En revanche le bilan annuel des guerres civiles est plus lourd et encore plus difficile à mesurer. L�Afrique, notre champ d�étude, constitue la plate-forme indiquée pour l�analyse des situations des guerres civiles dans toutes leurs dimensions, et de réflexion sur les outils

1 Grotius, De jure belli ac pacis, 1646, livre III, chap. XXI, para 1, l�auteur fonde la construction du droit international sur la souveraineté des États, (livre I, chap. III, para. VII.1). 2 Les dispositions humanitaires des quatre conventions de Genève de 1949. 3 NGUYEN QUOC DINH, droit international public, 6è édition, L.G.D.J., p. 149. 4 De vieux auteurs faisaient déjà mention des guerres civiles, tels que Pufendor, Grotius, Vattel. 5 Vattel : c�est une conséquence manifeste de la liberté et de l�indépendance des nations, que toutes sont en droit de se gouverner comme elle le jugent à propos, qu�aucune n�a le droit de se mêler du gouvernement d�une autre (livre II, para 54) mais le principe est assorti d�exception : livre I, para. 37 : « �toutes ces choses n�intéressant que la nation, aucune puissance étrangère n�est en droit de s�en mêler, ni ne doit y intervenir, autrement que par ses bons offices, à moins qu�elle n�en soit requise, ou que des raisons particulières ne l�y appellent ». 6 De la Pradelle, les évènements d�Espagne, RDI, vol. 8, 1936, p. 153 ss. ; A. Van Wynen Thomas / A.J. Thomas, international legal aspects of the civil war in Spain, dans : Falk, p. 111 ss. 7 JEAN LOUIS DUFOUR, la guerre survivra-t-elle au XXè siècle ?, politique étrangère, 1997, p. 34 ; Kalevi. J. Holsti, peace and war: armed conflict and international order, 1648-1989, Cambridge university press, 1991, p. 278 et 330. 8 MICHEL FORTMANN, A l�Ouest rien de nouveau ? Les théories sur l�avenir de la guerre. Au seuil du XXIè siècle, études internationales, 31 Mars 2000, p. 57-90. Jean-Marc Balencie, Arnaud de la Grande, Mondes rebelles : acteurs, conflits et violences politiques, 2 tomes Paris, Michalon, 1996. Jean François Bayart, l�embrasement de l�Afrique subsaharienne, politique internationale, n° 77, automne 1977, p. 185-201. Dans son supplément à l'agenda pour la paix, le secrétaire généra des Nations Unies fait remarquer que, de nos jours, les conflits armés internes s'apparentent à de véritables catastrophes humanitaires, souvent d'une ampleur exceptionnelle, voir « Supplément à l'Agenda pour la paix : rapport de situation présenté par le secrétaire général à l'occasion du cinquantenaire de l'Organisation des Nations Unies », Nations Unies, doc.A/50/60-S/1995/1, 3 Janvier 1995, paragraphe 12-13.

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juridiques nécessaires à la stabilisation de ce continent, indispensables à son développement.

Les conflits armés internes qui se sont déroulés ou en cours sur le continent, permettent de prendre la mesure du drame1.

Au Soudan, au Congo, en Sierra Leone, au Liberia, au Rwanda, au Burundi, en Somalie et actuellement en Côte d�Ivoire, du fait de ces conflits, plus de 150 millions d�habitants vivent presque tous dans des conditions épouvantables ou très difficiles. En 1999, le nombre de morts provoqué dans l�année par les guerres civiles est probablement de l�ordre du demi-million dont plus de la moitié en Afrique. En 1994, le nombre de morts dûs aux guerres civiles a très probablement dépassé le million dont plus de la moitié au seul Rwanda.

Dans le même temps, ces conflits provoquent une véritable régression économique et sociale, bloquant du coup toute perspective de développement du continent. Mais nous ne pouvons rendre compte des problèmes soulevés par les conflits africains au regard du droit international sans en connaître les causes profondes. Car de la maîtrise des sources de vulnérabilité, dépendra une meilleure lisibilité des éléments constitutifs, sur lesquels il conviendra d�agir, notamment par un encadrement adapté des opérations de maintien de la paix ou par des outils efficaces de leur prévention. Il s'agit d'une épreuve difficile.

La complexité d�un tel exercice tient de ce que l�Afrique est un continent vaste et varié. Les pays africains sont différents aussi bien par leur histoire2 et leur géographie, que leur stade de développement économique, leurs politiques nationales3 et leurs relations internes et internationales. Les sources des conflits reflètent cette diversité et cette complexité4. En tout état de cause, les sources des conflits en Afrique sont à la fois endogènes et exogènes.

1 DJAMCHID MOMTAZ, Le Droit international humanitaire applicable aux conflits armés non internationaux, p. 48, RCADI, 2001. 2 MWAYILA TSHIYEMBE, l�Afrique face au défi de l�État multinational, le monde diplomatique, septembre 2000, p. 14-15. 3 MAMADOU ALIOU BARRY, La prévention des conflits en Afrique de l�Ouest, Karthala, p. 14-15. 4 ROLAND POURTIER ; Congo-Brazzaville : entre guerre et paix, Afrique contemporaine n° 186, 2è trimestre, 1998, p. 5.

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1 � LES SOURCES ENDOGÈNES DES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE

Les conflits africains longtemps perçus comme des manifestations périphériques de la guerre froide1, n�en sont pas moins des conflits internes où la dynamique de la violence procède essentiellement de déterminants locaux, ce qui n�exclut évidemment pas le jeu des influences étrangères. En Afrique, les guerres civiles sont les produits d'antagonismes profonds entre des catégories sociales importantes. A l'origine de ces facteurs socio-historiques, l'on constate que la faillite de l'État post colonial traduit une mise en cause du « vouloir vivre ensemble ». Il existe ainsi un désaccord profond entre les Nations (ou ethnies) et les citoyens, sur les valeurs fondamentales de la collectivité : définition d'une société de liberté, d'un pouvoir réellement consenti et partagé, d'un droit perçu comme naturel.

L'articulation entre État et société apparaît conflictuelle depuis que les sociétés plurinationales n'ont survécu à l'anéantissement de leur modèle d'État que pour être soumises à une caricature de celui de l'occident. En dépit de la domination coloniale, qui a rompu la dynamique de leur construction étatique, La nature des sociétés africaines demeure plurinationale. Les nations précoloniales qui furent les marqueurs identitaires de ces États multinationaux survécurent malgré leur morcellement et leur fréquent éparpillement sur plusieurs États. Cette situation crée une crise de conscience nationale et des conflits d'identités qui violentent l'Afrique.

C'est dans cette perspective que les organismes politico-militaires qui se battent, le font le plus souvent au nom d'une couche sociale ou d'un groupe culturel ou régional. Chaque mouvement dans tous les pays africains en guerre est fortement lié à une région spécifique2.

Dès que les affrontements entre ces groupes se transforment en guerre civile, on se replie tôt ou tard sur sa propre région, d'où la guerre civile devient une espèce de guerre de position. Bien que l'on puisse émettre certaines réserves, la perception ethnique réductrice s'avère difficile à écarter3. Cet état de fait résulte des difficultés

1 MAMADOU ALIOU BARRY, op. cit, p. 13-14. 2 Les rebelles qui occupent la partie septentrionale de la Côte d'Ivoire disent se battre pour réparer l'injustice faite aux habitants du nord du pays dont ils sont majoritairement originaires et qu'ils disent exclus et spoliés de leurs droits. 3 Voir le cas du Rwanda avec les affrontements entre Tutsis et Hutus.

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qu�ont toujours éprouvées les dirigeants de ce continent à constituer un regroupement politique qui soit en mesure de canaliser toutes les énergies1.

Cela pose le problème qui consiste pour les États africains à forger une véritable identité nationale à partir de communautés souvent disparates2 et rivales. La non-acceptation du mécanisme démocratique entraîne également un déchaînement des passions politiques3, et fait qu�il n�y a pas de moyens pacifique de parvenir à une alternance au pouvoir. Il s'agit d'un problème délicat dont souffre le continent africain et qui mérite qu'on s'y attarde quelque peu. En fait le jeu démocratique est généralement mis à mal par la manipulation des règles établies, et sensées en tant que « boussole », de permettre le déroulement sain de la vie politique.

Le discours de la Baule4 en juin 1990 de François Mitterrand sur la nécessité de démocratisation de l'Afrique, de garantie des droits de l'homme et du respect des libertés publiques a provoqué un tollé parmi les chefs d'État africains qui n'ont pas apprécié cette leçon de morale. Ces derniers sont pour le maintien de pratiques néo-patrimoniales qui font très peu de cas, sinon pas du tout, de la volonté de la majorité encore moins de l'exigence d'un minimum de sécurité juridique. Seule la volonté du détenteur du pouvoir compte, ainsi que son désir de le conserver face à des forces ou des acteurs qui veulent le limiter, ou l'en déposséder. Il en résulte une instabilité en moyen de gouvernement qui va se manifester au plan normatif et institutionnel.

Au plan normatif, force est de constater que l'ordonnancement juridique qui avait été adopté pendant les transitions est progressivement mis en cause. Il en est ainsi des dispositions constitutionnelles visant à limiter le nombre possible de mandat de la présidence de la république. C'est la situation réalisée au Burkina Faso avec la révision constitutionnelle de 19975. De même en Côte d'Ivoire, une révision constitutionnelle initiée par le président Henri Konan Bédié en 1998, allait à l'encontre des règles démocratiques. Dans notre entendement, ce texte est critiquable sur deux dispositions au moins. D'une part, l'article 9 du dit texte fait passer la durée du mandat

1 L�Organisation de l�unité africaine (O.U.A) depuis sa création n�a pu construire une dynamique politique permettant l�émergence d�une symbiose d�actions des États africains. L�Union Africaine (U.A) qui a remplacé l�O.U.A marque une réelle évolution, mais elle est encore en pleine construction de sorte qu�il serait déjà précipité de préjuger de son dynamisme ou de ses limites. 2 MWAYILA TSHIYEMBE, l�Afrique face au défi de l�État multinational, le monde diplomatique, n° 558-47è année, septembre 2000, p. 14-15. 3 ANTOINE ROUGIER, op. cit. p. 28-29 et p. 145-150. 4 Voir, GEORGES BERGHEZAN, Trafics d'armes vers l'Afrique, pleins feux sur les réseaux français et le « savoir-faire » belge, GRIP, éditions Complexes, p. 47. Cette réaction négative quasi-unanime des dirigeants africains face au discours du président Mitterrand, en dit long sur leur volonté manifeste de maintenir les choses en état et imaginer toutes sortes d'artifices pour rendre leur pouvoir viager. 5 Voir, article 37 de la loi n° 002/97/ADP.

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présidentiel de cinq à sept ans, comme si le temps lui était compté. D'autre part, l'article 10 du même texte permet au président de la république, en cas de situation urgente, de prolonger son mandat afin d'assurer la continuité de l�État et de garantir la stabilité des institutions, sans que pour autant cette situation d'urgence soit clairement déterminée.

Le président Bédié n'aura pas eu l'occasion de profiter de cette stratégie de maintien au pouvoir car il sera renversé par un coup d'État en décembre 1999. Le président guinéen Lansana Conté s'était également engagé dans la même procédure de rallongement, mais ce projet fut repoussé en février 2000 par le parlement guinéen1. Plusieurs d'autres exemples peuvent illustrer nos propos. La plupart des constitutions adoptées il y a moins de dix ans ont été révisées dans leurs dispositions essentielles2, dans le sens du renforcement du pouvoir présidentiel, entraînant une instabilité institutionnelle.

Au plan institutionnel, cette situation peut entraîner des blocages pouvant prendre diverses formes, en particulier violente et militaire. C'est ainsi qu'on peut expliquer la victoire de la rébellion de M. Kabila, sur le président Mobutu au Zaire. Cette victoire aura été l�occasion ayant permis de changer la dénomination du pays (actuellement république démocratique du Congo (R.D.C.)) et adopter une nouvelle constitution3. Au Congo-Brazzaville, le pouvoir du président Pascal Lissouba ne va pas résister à une guerre civile qui va voir la victoire de l'ancien président, le général Sassou Nguesso. Ce dernier va également dissoudre toutes les institutions et l'adoption d'un acte fondamental4. Au Niger, à la suite de la cohabitation conflictuelle entre le président Mahamane Ousmane et le premier ministre Hama Amadou, le colonel Ibrahim Baré Maïnassara5, chef d'état major des armées, va prendre la tête d'un coup d'État. Dès lors, il va dissoudre toutes les institutions et suspendre les partis politiques6. En Centrafrique, après que plusieurs mutineries aient suffisamment ébranlé le pouvoir du président Ange-Felix Patassé, ont fini par avoir raison de ce dernier suite au coup

1 Voir, BREUILLAC BRIGITTE, L'Affaire Alpha Condé paralyse les progrès de la Guinée, Le Monde, n° 17181, du 21 Avril 2000, p. 5. Dans cet article, plusieurs personnalités politiques mettent en cause le président Conté, en particulier le président de l'Assemblée nationale, Boubacar Biro Diallo, qui déclare : « Dans un pays où il n'y a ni respect des règles démocratiques, on ne peut parler de démocratie », ou encore Sidya Touré, ancien premier ministre du président Conté qui ajoute : « on veut mettre en place un système démocratique à l'occidental avec une mentalité de type brejnévien » ; voir, dans le cas du Sénégal, Sotinel, Thomas, L'opposition s'insurge contre l'instauration d'une présidence à vie, Le Monde, n° 16713, du 21 Octobre 1998, p. 3. 2 C'est le cas de la constitution de la république gabonaise du 26 Mars 1991 qui a été révisée à trois reprises par les lois n° 01/94 du 18 Mars 1994 ; n° 18/95 du 29 septembre 1995 et n° 1/97 du 22 Avril 1997. 3 Décret loi constitutionnelle n° 3 du 28 Mai 1997 de la R.D.C. 4 Acte fondamental de la république du Congo, du 24 Octobre 1997. 5 Il sera également victime d'un coup d'État le 9 Avril 1999, dirigé par le commandant Mallam Wanké, au cours duquel il sera assassiné. 6 Constitution de la république du Niger, du 12 Mai 1996.

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d'État du général Bozizé dont l'élection récente à la tête du pays, consacre sa reconversion en « démocrate ». Une mutinerie du même genre a également failli renverser le président guinéen Lansana Conté et les institutions issues de la constitution du 23 décembre 1990.

Enfin, en Côte d'Ivoire, après le coup d'État du général Guéï du 24 décembre 1999, le chef de l'ancienne junte militaire ivoirienne va tenter par une élection présidentielle pipée de légitimer son pouvoir. Alors que les premiers résultats des urnes lui étaient défavorables, il n'a pas hésité à dissoudre la commission électorale nationale et à se proclamer vainqueur. Des manifestations populaires de contestations de ce coup de force vont l'obliger à renoncer au pouvoir. Ces événements sanglants dont il était difficile en leur temps de mesurer la portée, risquaient toutefois de faire le lit d'une crise plus grave. Effectivement, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, la Côte d'Ivoire va basculer dans un conflit armé meurtrier. Le coup d'État qui a échoué, s'est transformé en une rébellion qui jusqu'à ce jour occupe la partie septentrionale du pays. Les rebelles ivoiriens pour justifier leur action, ont invoqué le mal primordial qui selon eux mine la société ivoirienne à savoir, « l'exclusion constitutionnelle » de certains leaders politiques, ressortissants du nord de la Côte d'Ivoire, résumée sous le vocable d'« ivoirité »1, notion qui caractériserait la xénophobie, et qui ferait des ivoiriens du nord, des citoyens de seconde zone. Ainsi, par le concept d'« ivoirité », « manipulé et enragés par la haine de leur propre sang », les ivoiriens en sont arrivés à accepter qu'une disposition discriminatoire donnant aux citoyens de souche « père et mère ivoiriens », eux-mêmes ivoiriens de naissance, un privilège sur les autres Ivoiriens soit inscrite dans leur constitution »2. C'est sur cette base qu'Allassane Ouattara leader du Rassemblement Des Républicains (R.D.R.) a été éliminé de la course à la présidence.

1 L'« Ivoirité » à l'origine, est un concept de rassemblement des cultures ivoiriennes. C'est la qualité de ce qui est ivoirien. Il s'agit là d'une définition positive d'un concept lancée par l'ivoirien Niangoran Porquet, qui s'était rendu célèbre en forgeant déjà le concept de « griotique », ou l'art de la parole. Selon Barthélemy Kotchy, visait à « affirmer notre personnalité à cette époque où, jeunes enseignants, nous luttions en vue de la réhabilitation de nos valeurs culturelles ». Voir, B. Kothy, préface au livre de Maurice Bandama, Côte d'Ivoire : chronique d'une guerre annoncée, publié avec le concours du quotidien ivoirien 24 Heures, Abidjan, Mars 2004. Le concept a changé de contenu et de fonction à partir du moment où le président Henri Konan Bédié s'en est emparé et l'a lancé, le 26 Août 1995, à l'occasion de la convention du PDCI-RDA, à Yamoussoukro. Au premier abord, il s'agit d'une quête identitaire à travers « l'affirmation de notre personnalité culturelle, l'épanouissement de l'homme ivoirien dans ce qui fait sa spécificité, ce que l'on peut appeler son ivoirité ». Selon Barthélemy Kotchy, ce sont les informations complémentaires de Niangoran Bouah qui ont permis de cerner la dimension politique de cet énoncé. Ce dernier écrit « ce mot ne connu son heure de gloire que pendant les discussions accompagnant le texte du code électoral et précisément dans son article 49, concernant la nationalité du président de la république ». Les ivoiriens ont été, à partir de là, classés en « Ivoiriens multiséculaires » et « Ivoiriens de circonstance ». Selon Jean-Noël Loukou, « l'ivoirité est une exigence de souveraineté, d'identité, de créativité. Le peuple ivoirien doit d'abord affirmer sa souveraineté, son autorité face aux menaces de dépossession et d'assujettissement, qu'il s'agisse de l'immigration ou du pouvoir économique et politique. Cité Ibid, p. 21. Quant à Niangoran Bouah, il estime que « l'individu qui revendique son ivoirité est supposé avoir pour pays la Côte d'Ivoire, être né de parents appartenant à l'une des ethnies autochtones de Côte d'Ivoire. Ibid. 2 MAURICE BANDAMA, Côte d'Ivoire : chronique d'une guerre annoncée, publiée avec le concours du quotidien 24 Heures, Abidjan, Mars 2004.

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Les rebelles ivoiriens lors d'une réunion dans la ville de Séguela n'ont pas fait mystère de la cause de leur prise des armes : « nous avons pris les armes pour que Allassane Ouattara soit président »1.

« L'exclusion » et le concept « d�ivoirité »2 semblent donc être le fondement de l'action et le mal profond que la rébellion entend combattre en vue d'instaurer « un ordre nouveau ». Ces causes du conflit ivoirien sont-elles fondées ? Ou s�agit-il simplement d'un prétexte fallacieux3 dont se sert la rébellion ivoirienne pour renverser les institutions républicaines ? Fallait-il trancher par la violence des questions de droit qui ne devraient être résolues que dans les formes légales, par des corps politiques constitués à cet effet ?

Il semble que dans les États africains, notamment en Côte d'Ivoire, depuis le décès du président Houphouët Boigny en 1993, l'éternel sujet de compétition et de luttes, est la succession au « fauteuil » présidentiel. Trop souvent le prétendant évincé fait appel à l'émeute et à la violence4 comme moyen d'accession au pouvoir. Les positions étant dès lors figées, les ralliements à la lutte deviennent alors une affaire de sympathie personnelle autant et plus qu'une question de principes. Le peuple verse son sang pour servir les instincts égoïstes d'une petite coterie qui se sert de lui comme d'un simple instrument et l'excite à la confrontation armée. On peut dire qu'en Afrique, les guerres civiles de nature politique sont généralement la résultante de l'état d'esprit et des m�urs. Elles sont favorisées par l'anarchie politique et l'impuissance gouvernementale. Dans ces États, l'instabilité relève de cette psychologie des acteurs

1 Voir film documentaire : Côte d'Ivoire, l'histoire d'une guerre absurde. 2 En fait le concept d�ivoirité n�a été formulé par aucun texte de loi, laissant la voie ouverte à diverses interprétations. Le président H.K. Bédié qui en est le concepteur, définit l�ivoirité comme étant la qualité de ce qui est ivoirien, c�est selon lui, le rassemblement des cultures ivoiriennes, fondement de l�identité ivoirienne. Mais l�interprétation la plus répandue voit en cette notion une catégorisation des ivoiriens. Ce concept distinguerait l�ivoirien de souche de l�ivoirien de circonstance. Ce concept serait à l�origine de l�éviction de la candidature de M. Allassane Ouattara au poste de président de la république de Côte d�Ivoire. 3 A. ROUGIER soutient que « l'emploi de prétextes fallacieux est beaucoup plus rare dans les guerres civiles que dans les guerres internationales » et pour étayer son argumentaire, l'auteur ajoute : « alors que l'homme d'État imagine de savants mensonges pour dissimuler à l'opinion publique la conquête brutale qu'il médite, l'insurgé prend les armes en disant franchement ce qu'il veut ». Voir Antoine Rougier, Les guerres civiles et le droit des gens, Paris, 1902, p. 139. Quand les rebelles ivoiriens prétendent avoir pris les armes pour que Allassane Ouattara soit président (et non candidat aux élections présidentielles), sur quelle fondement juridique repose cette franchise ? Dire franchement quelque chose signifie-t-il que l'on est dans le vrai ? La problématique des causes des conflits en Afrique se trouve là posée. 4 La crise que vit la Côte d'Ivoire aujourd'hui est l'aboutissement d'une kyrielle d'actes de violence politique dont les principaux instigateurs seraient certains leaders de partis politiques. Ainsi, alors que la constitution ivoirienne votée par voie référendaire à plus de 86/100 de la population souveraine, l'écartait de la course à la présidence, l'ancien premier ministre Allassane Ouattara n'aurait pas hésité, au lendemain de la victoire du président Gbagbo aux élections présidentielles d'Octobre 2000, de défier la légalité en ameutant ses partisans en ces termes : « le pouvoir se trouve dans la rue ». Ce mot d'ordre suivi à la lettre aurait provoqué de violentes émeutes faisant plusieurs centaines de morts et donné lieu à la controverse sur ce que l'on a appelé « le charnier de Yopougon » (Banlieue d'Abidjan). Déjà en 1999, défiant le pouvoir de K. Bédié, M. A. Ouattara disait « je frapperai ce pouvoir moribond », et il y a eu le coup d'État de Décembre 1999. Depuis lors la Côte d'Ivoire vit dans une instabilité totale avec plusieurs tentatives de coups d'État dont celui du 19 septembre 2002 tendant à renverser le pouvoir du président Gbagbo et qui s'est mué en une rébellion qui à ce jour occupe la partie septentrionale de la Côte d'Ivoire.

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internes qui par leurs calculs, leurs passions, leur manque de conviction, leur incohérence, sont près à sacrifier des efforts collectifs de tentative de construction d'un ordre juridique fondé sur le pluralisme politique, à des fins personnelles.

Dans ces conditions, la transcription juridique du pluralisme politique, en tant que projet de démocratisation, n'incarne pas encore une rupture par rapport à l'ordre juridique fondé sur le parti unique. Les conséquences fâcheuses qui en résultent, caractérisées par des confrontations armées, sont en général préjudiciables à la population civile qui pourtant n'aspire qu'à une vie paisible.

Dans l'universalisation actuelle de l'exigence des droits de l'homme qui permet aujourd'hui à certaines organisations non gouvernementales ou des personnalités d'exiger le jugement du général Pinochet, devrait également les amener à être tout aussi exigeants à l'égard des hommes politiques au pouvoir en Afrique noire, afin que comme le souhaite le professeur Duhamel, la globalisation ne soit plus seulement financière et la mondialisation économique1. Cette nouvelle dimension du droit, en particulier de la justice, liée à l'action des acteurs internes, pourrait en l'état actuel, permettre d'assurer un minimum de stabilité institutionnelle et permettre un déroulement raisonnable du jeu démocratique et donc de réduire les tensions politico-sociales. Mais la logique du pluralisme ethnique peut diluer tout effort de maintien de stabilité.

En effet, le caractère multiethnique de la plupart des pays africains combiné avec la nature ethnique des partis politiques2, sont autant de facteurs de nature à augmenter le risque de conflit, dans la mesure où l�on assiste dès lors à une politisation violente de l�ethnicité3. Dans des situations extrêmes, des collectivités rivales (Hutus et Tutsis au Rwanda), peuvent avoir le sentiment que leur sécurité, voire leur survie ne peut être assurée, que si elles contrôlent le pouvoir politique4. Il suit de ce qui précède que l'identité devient l�enjeu des conflits entre groupes identitaires5. En Côte d'Ivoire, le fait que Monsieur Allassane Ouattara, directement visé par le fameux article 35 de la constitution6, ait récemment scellé une alliance avec l'inventeur de l'« ivoirité »,

1 DUHAMEL OLIVIER, La globalisation devient juridique, interview, Le Monde, n° 16745, du 27 Novembre 1998, p. 4. 2 PHILIPPE FRANCK, Ethnies et parties : le cas du Congo, Afrique contemporaine, n° 182, Avril-Juin 1997, p3-15 ; ROLAND POURTIER, Afrique contemporaine, op. cit. p. 8-11. 3 ANTOINE ROUGIER, op. cit, p153-156. 4 JEAN-PIERRE DERRIENNIC, Les guerres civiles, Presse de science politique, p. 105. 5 FRANÇOIS THUAL, dans, Les conflits identitaires, Paris, Ellipses, 1995, appelle conflits identitaires, les conflits qui ont pour enjeu l�identité. p. 71. 6 L'article 35 de la constitution ivoirienne dit que tout candidat à l'élection présidentielle doit être ivoirien d'origine, de père et mère eux-mêmes ivoiriens d'origine. Cette disposition a entraîné le rejet de la candidature de M. Ouattara à la présidence de la république, respectivement sous l'ère du président Bédié en 1995 et du général putschiste R. Guéï aux élections d'Octobre 2000 qui a vu la victoire de M. Gbagbo.

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Monsieur Henri Konan Bédié, en dit long sur la capacité qu'ont les politiciens à manipuler l'ethnicité en fonction de leurs intérêts du moment1.

C�est que les États africains ne reposent Pas sur un tissu civil de tradition longue et consolidée des pays occidentaux, ce qui fait que l�État en Afrique est incapable de s�adapter avec souplesse aux instances de groupes humains différents2. Toutefois, certaines analyses révèlent que la diversité des groupes ethniques dans un pays représente sans doute une assurance, contre les conflits identitaires, du moins contre le risque qu�ils dégénèrent en guerre civile. Et quand celle-ci a lieu malgré tout, cette diversité peut y jouer un rôle modérateur. En fait, nous pensons aussi que le risque que des clivages identitaires deviennent violents peut être modéré principalement par deux choses : la mobilité des individus entre les groupes, et l�existence dans le même pays de nombreux groupes identitaires dont la diversité pourrait rendre plus difficile la polarisation des conflits. Le cas de la Côte d�Ivoire3 consolide une telle réflexion.

Au délitement des structures politiques s�ajoute la déliquescence des structures économiques, avec pour corollaire l�explosion du chômage, cause d�exacerbation des conflits. Au plan régional, la proximité des points sensibles, notamment les pays voisins touchés par les conflits qui éclatent à leurs portes, peuvent aussi avoir d�autres motivations qui ne sont pas toutes nécessairement innocentes. (La guerre civile du Libéria a créé les conditions de déstabilisation de certains pays voisins tels que la Côte d�Ivoire, la Guinée, la guinée Bissau et la Sierra Leone). Ces conflits sont aggravés par l�intensification des flux de réfugiés4 dans les pays voisins et le développement rapide d�économie de gang. Le rôle que certains gouvernements africains jouent pour soutenir, voire fomenter des conflits chez leurs voisins est aussi avéré5. Au cours d�une interview parue au journal français le figaro du 19 octobre 2004, le président ivoirien Laurent Gbagbo déclarait : « le Burkina Faso a été depuis le début, la base arrière des rebelles. Et c�est là bas qu�ils se réunissent encore aujourd�hui » (la France avait

1 ALLASSANE OUATTARA « �n'est pas plus innocent dans l'instrumentalisation de l'« ivoirité ». Voir, Aminata Traoré, Lettre au président des français à propos de la Côte d'Ivoire et de l'Afrique en général, éditions Fayard, p. 78. 2 MOHAMED SAHNOUN, envoyé spécial du secrétaire général des nation unies pour l�Afrique, courrier de l�UNESCO, Janvier 2000, p. 21. 3 Avec son énorme brassage ethnique (plus de soixante ethnies en côte d�Ivoire), et les liens historiques qui unissent ces ethnies, la Côte d�Ivoire est un pays où une guerre civile aura du mal à prospérer, malgré les inquiétudes de la communauté internationale face à la crise qui a entraîné la partition du pays 4 ROLAND POURTIER, Congo-Brazzaville : entre guerre et paix, Afrique contemporaine, n° 186, 2è trimestre, 1998, p. 4. 5 C�est l�utilisation par les parties étrangères du débat politique ivoirien, des forces et structures institutionnelles qui le sous-tendent, en vue de la réalisation grâce à une forme d�ingérence et d�incursion, donnant naissance à des alliances en vue de mener à bien des opérations de déstabilisation. � Raymond Aron, paix et guerre entre les nations, Éd. Calmann-Levy 3è éd, 1975, Paris, p. 40. � Colette Braeckman, la république démocratique du Congo dépecée par ses voisins, le monde diplomatique, octobre, 1999.

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reconnu l�implication de pays voisins dans le conflit ivoirien). Les autorités burkinabés récusent de telles accusations.

Dans ce qui pourrait être considéré comme son plus important rapport politique à ce jour dit : « rapport sur les causes des conflits et la promotion d�une paix et d�un développement durables en Afrique »1, le secrétaire général de l�organisation des nations unies (O.N.U.), M. Koffi Annan, a analysé avec une remarquable franchise les causes des conflits en Afrique. Ainsi outre les sources internes et régionales que nous venons de relever, M. Koffi Annan pointe du doigt, les éléments exogènes non négligeables entant que facteurs amplificateurs participant aux conflits armés internes en Afrique.

1 KOFFI ANNAN, secrétaire général des nations unies, rapport présenté au conseil de sécurité, le 16 Avril 1998).

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2 � LES SOURCES EXOGÈNES DES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE

L�immixtion des grandes puissances extérieures1 dans le déclenchement ou l'entretien des guerres civiles en Afrique ne date pas d'aujourd'hui.

La responsabilité des puissances extérieures au continent tient d�abord et avant tout, à leur ancien statut de puissances coloniales. Il s�agit principalement de la Grande-Bretagne, de la France, de la Belgique, du Portugal et, dans une moindre mesure de l�Espagne. En effet, préoccupées par la poursuite de rêve de puissance, par la recherche de débouchés économiques, de nouvelles sphères d�investissements pour des économies en pleine expansion mais, aussi, soucieuses d�apporter la « lumière de la civilisation aux peuples attardés », les puissances européennes se ruèrent à l�assaut du continent africain. La compétition fut tellement féroce qu�elle entraîna la convocation de la conférence de Berlin (novembre 1884- février 1885) qui posa le principe de l�occupation des terres en Afrique et la configuration des frontières politiques actuelles, résultat de plusieurs arrangements. Cette ruée sur le continent eut de graves conséquences pour le futur de l�Afrique2 : destruction de grands espaces politiques organisés à l�exemple des empires du Soudan occidental ; création en lieu et place de nouveaux ensembles politiques dont les frontières tiennent de l�arbitraire et de l�artificiel. Ces entités politiques ne sont pas économiquement viables et manquent d�homogénéité linguistique et culturelle, résultat des tracés ayant divisé peuples, cultures et langues.

La colonisation qui suit, crée les conditions d�affrontements futurs en raison de la politique menée par les puissances coloniales. Il s�agit, en premier lieu, de la politique « diviser pour régner » qui a amené le colonisateur à s�appuyer sur un groupe ethnique dominant ou minoritaire pour diriger (cas des Tutsis au Rwanda- Burundi, des arabes musulmans au Soudan ou en Mauritanie). Elle a eu pour conséquence, la naissance de graves clivages qui se sont mués plus tard en antagonismes politiques quand les

1 Voir, M. FERME ET D. HOFFMAN, Combattants irréguliers et discours international des droits de l'homme dans les guerres civiles africaines. Le cas des « chasseurs sierra léonais », Politique africaine, n° 92, Décembre 2003, p. 27-48. 2 Sur le partage de l�Afrique et ses conséquences, voir histoire générale de l�Afrique, Tome 7, l�Afrique sous domination coloniale, 1880-1935, Paris, présence.

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peuples ont été classés avec des appréciations du genre ; aptes au commandement, intelligents, paresseux, bons pour les emplois subalternes, etc. ». La reprise puis, l�instrumentalisation1 de cette politique par des dirigeants africains a constitué le point de départ d�une lutte sanglante pour le pouvoir. Certaines régions, certains peuples soutenaient que la « tradition devait être maintenue » tandis que d�autres luttaient contre ce « droit historique ».

Ensuite pour diriger ces entités artificielles, l�autorité coloniale a eu recours à la répression. De fait, l�État était unitaire, répressif. Ce mode de gouvernement est reproduit par les premiers responsables africains formés dans le moule colonial. Des peuples et royaumes intégrés de forces aux nouvelles entités n�accepteront jamais cette situation qui sera léguée aux États indépendants ; cette politique a constitué, dans bien des cas, un des fondements historiques de certains séparatismes « interminables » comme en Casamance (Sénégal) ou au Cabinda (Angola).

Au cours de la guerre froide, les deux grandes puissances qu�étaient les USA et l�URSS, tout en évitant la confrontation armée directe entre elles2, s�inscrivaient dans une stratégie globale au regard de laquelle les conflits armés internes ainsi que les conflits armés internationaux pouvaient leur servir à étendre géographiquement leur zone d�influence politique et militaire, mais aussi endiguer mutuellement toute velléité expansionniste respective3. Ces grandes puissances ont exporté massivement des armes vers l�Afrique. Au cours des années 70 et 80, des armements4 ont été accumulés dans certains pays soutenus par les Américains, les Soviétiques et leurs alliés respectifs. Ces transferts massifs d�armes servaient à délimiter les zones d�influence des blocs et des superpuissances. Ce commerce particulièrement juteux était et continu d'être entretenu par les exportateurs d�armements que sont les USA, la Russie, la France, la Chine populaire, la Belgique� Il a contribué à la création d�un environnement propice au déclenchement ou à l�aggravation de certains conflits armés.

1 AMINATA TRAORÉ, Lettre au président des français à propos de la Côte d'Ivoire et de l'Afrique en général, Paris, Fayard, 2002, p. 138. 2 RAYMOND ARON, guerre et paix entre les nations, p. 553. Selon l�auteur, « la loi tendancielle de la diminution de la force employée ne s�applique qu�aux relations directes entre les deux grands ou les deux blocs ». 3 DJAMCHID MOMTAZ, Le Droit international humanitaire applicable aux conflits armés non internationaux, RCADI, 2001, 292, p. 21. 4 BERNARD ADAM, les transferts d�armes vers les pays africains : quel contrôle ? pp. 101-130 in GRIP, conflits en Afrique analyse des crises et pistes pour une prévention, Bruxelles, éd. Complexe, 1997, 293 p.

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Aujourd�hui, l�analyse des confits disséminés à travers le monde et particulièrement en Afrique, montre que ceux-ci sont délivrés des Lourdes entraves idéologiques1 de la guerre froide ; ce qui avait d'ailleurs fait naître de réels espoirs au sein de la communauté internationale2. En effet, des négociations pour la résolution des conflits « d�après-guerre froide » se mire en branle un peu partout en Afrique. L�Amérique démocrate, soucieuse de faire oublier les compromissions passées3, se posait en « parrain » des nouveaux régimes d�Afrique australe et de la corne, conduits par d�anciens marxistes conquis à l�économie de marché.

Le discours du président français, François Mitterrand, à la Baule, en juin 1990 lors du sommet franco-africain, semblait marquer la fin d'une réflexion sur les rapports entre la France et le tiers monde4. Ce discours secoua le continent africain, de part en part, avec fortes conférences nationales, constitutions pluripartites, élections. Tant de « signaux forts » paraissaient ouvrir, pour cette « autre Afrique », une ère de renaissance, avec le sentiment d�avoir enfin soldé, une génération, après la vague des indépendances des années soixante, la plupart des comptes de la colonisation� Mais les sommets de l�horreur atteints il y a dix ans, en 1994, avec le génocide des Tutsis du Rwanda, et les affrontements au Burundi, entre Hutus et Tutsis, les conflits armés au Libéria, en Sierra Leone, la crise actuelle en Côte d�Ivoire et la tragédie du Darfour (Soudan), ont brouillé les cartes. Partout en Afrique se multiplient des zones de non-droit5. Et comme toujours, les puissances occidentales sont encore aujourd�hui fortement impliquées6 dans ces conflits armés intra étatiques en Afrique, mais cette fois pour des raisons essentiellement économiques, voire stratégiques. La rivalité portant sur le pétrole et d�autres ressources précieuses de l�Afrique, les intérêts extérieurs7 au continent continuent de jouer un rôle important, parfois décisif8.

1 SAM C. NOLUTSHUNGU, l'État face au conflit civil : Réflexion sur l'Angola, l'Éthiopie et le Tchad, Revue française de science politique, vol 38, n° 4 août 1998, p. 534. 2 MADJID BENCHIKH, les organisations internationales et les conflits armés, rapport introductif du colloque international du 12 au 13 Mai 2000, p. 1, université Cergy-pontoise, édition l�Harmattan 3 Avec l�empereur d�Éthiopie, le régime d�apartheid sud-africain, ou le pouvoir du maréchal Mobutu Sese Seko au Zaïre (république démocratique du Congo). 4 Le président François Mitterrand annonce dans son discours de la Baule, « le conditionnement de l'aide française selon les progrès effectués par chaque pays en matière de pluralisme démocratique, de garantie des droits de l'homme et le respect des libertés publiques ». Voir, Georges Berghezan, Trafics d'armes vers l'Afrique, pleins feux sur les réseaux français et le « savoir-faire des Belges ». Éditions complexe, p. 47. 5 ALBERT BOURGI, Jeune Afrique, 16 février 1999. 6 KOFFI ANNAN, les causes des conflits et la promotion d�une paix et d�un développement durable en Afrique, rapport présenté au conseil de sécurité, le 16 Avril 1998. 7 ACHILE MBEMBE, vers une nouvelle géopolitique africaine, pp. 13-14. 8 Dans sa « lettre au président des français à propos de la Côte d'Ivoire et de l'Afrique en général », Aminata Traoré décrypte la politique africaine de la France, ainsi que l'ordre cynique du monde dans lequel elle s'inscrit et auquel elle participe. Elle invite les dirigeants des pays occidentaux à donner enfin les moyens à l'Afrique de vivre de ses propres richesses et de décider de ses propres orientations. Voir Aminata Traoré, titre ci-dessus cité, éditions Fayard, 2005, p. 11-2.

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Le président sud-africain, médiateur dans la crise ivoirienne, et face au blocage dans la résolution de cette dernière, stigmatise le rôle néfaste des puissances étrangères dans la déstabilisation du continent africain : « � il est tout à fait claire que certaines forces s'échinent à perpétuer la déstabilisation dans la région�le gouvernement sud-africain est néanmoins conscient du fait qu'il y a des intérêts significatifs en jeu et qu'il y aurait des éléments qui se sentiraient menacés par le retour de la paix dans la région, surtout une paix négociée par les africains eux-mêmes »1.

Le député vert français, cité par feu François Xavier Verschave2 exprime ici le grand danger que représente la « Françafrique »3 pour la démocratie en Afrique : « depuis des décennies, la France arme des dictateurs et des généraux qui retournent leurs fusils contre la démocratie. L'Afrique noire francophone a été le champ protégé de réseaux qui, à droite comme à gauche ont trouvé là des ressources de financement, des alliés, des terrains d'expérimentation où ils ont pu concrétiser à grande échelle depuis les années soixante, leur soif de conquêtes et leurs délires d'empire au nom de la grandeur de la France. Si aujourd'hui, les réseaux mutent et se modernisent, l'objectif demeure. L'Afrique doit rester un coffre-fort pour nos entreprises, un moyen de financement pour nos joutes politiques, une poubelle pour nos déchets, un terrain de chasse et de loisirs pour nos dirigeants, un champ de man�uvre pour notre armée, une base arrière pour nos mafieux »4. Les actions de ces puissances extérieures, constituent essentiellement de véritables facteurs aggravants, en ce sens qu�elles contribuent à la création d�un environnement propice au déclenchement ou à l�aggravation de ces conflits. De fait, dans notre entendement, il ne s�agit pas de causes directes d�une guerre civile quelconque. Nous pensons plutôt à un ensemble de situations d�une grande diversité dont l�accumulation peut créer un environnement particulièrement belligène. Les facteurs aggravants les plus préoccupants sont pour l'essentiel de deux ordres, à savoir la militarisation sauvage des sociétés africaines contemporaines et l�action des Media.

1 Il s'agit d'un communiqué de presse publié dans le quotidien, le Courrier d'Abidjan du 21.9.2005. 2 FRANÇOIS XAVIER VERSCHAVE, président de l'association Survie, est décédé au cours de l'année 2005 à Lyon. Lors de son enterrement toute la communauté africaine de France et plus particulièrement résident à Lyon lui a rendu un vibrant hommage pour son intégrité et sa défense des causes des plus faibles notamment l'Afrique. Dans ses écrits il dénonce abondamment les travers de la politique française sur le continent noir. 3 L'expression « Françafrique » dont Verschave est le concepteur est aujourd'hui passée dans le langage commun, pour désigner la gestion occulte, parallèle, des relations franco-africaines. 4 Ce constat n'est rien d'autre que la mise en �uvre d'idées véhiculées plus tôt par de grandes personnalités françaises : Armand du Plessis disait qu'« il n'existe pas de plus haute loi morale que la défense des intérêts nationaux »; selon Jacques Foccart, « pour les intérêts de notre pays, il ne faut pas avoir peur de mettre la main dans celle du diable ». Voir F. X. Verschave, Noir silence, op. cit. p. 557.

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! La militarisation des sociétés : Elle comporte deux aspects :

La prolifération des armes et la privatisation de la guerre.

� La prolifération des armes : le constat est que depuis quelques années, il est fait état d�une circulation inquiétante d�armements les plus divers dans plusieurs pays d�Afrique1. Désignés sous le vocable générique « d�armes légères », ces armements font courir aux pays africains, qu�ils soient en guerre ou non, de graves dangers ainsi que le souligne le plan d�action pour la mise en �uvre du Programme de Coordination et d�Assistance pour la Sécurité et le Développement (P.C.A.S.E.D.) initié par la C.E.D.E.A.O. : « l�accumulation et la prolifération anarchique des armes légères constituent une menace sérieuse à la sécurité de la sous-région. Outre les destructions de vies humaines et les violations graves des droits humains, le phénomène hypothèque les efforts de développement. Cette prolifération alimente manifestement les conflits en Afrique, entraîne la recrudescence de la criminalité et du banditisme et favorise l�émergence des enfants-soldats »2. On peut en déduire que la circulation incontrôlée des armes mêmes, dites légères, crée un environnement extrêmement dangereux pour la stabilité du continent.

� La privatisation de la guerre : C�est une conséquence de la militarisation de la société car, elle favorise l�apparition de groupes militaires ou paramilitaires privés désignés sous le terme générique de milices ; ce sont les principaux acteurs des guerres civiles en Afrique. Elles sont, le plus souvent, la propriété privée d�un individu, seigneur de guerre, qui entend imposer ses vues au moyen de la violence. A l�inverse, le pouvoir central fort des moyens sécuritaires légaux dont il dispose peut recourir aux milices pour se « protéger »3.

! L�action des Médias : Dans certains cas, les médias peuvent jouer un rôle important dans la création des conditions à même de déclencher un conflit ou de l'alimenter. Le président sud-africain Thabo Mbeki, à propos du débat suscité par

1 A propos de la vente et trafic d'armes entre l'Europe et l'Afrique, voir Georges Berghezan, Trafics d'armes vers l'Afrique, pleins feux sur les réseaux français et le « savoir-faire » belge, éditions Complexes, p. 37 et ss. 2 Le plan d�action a été adopté par la C.E.D.E.A.O. à Lomé, le 10 décembre 1999. Le texte complet a été publié par l�Unidir, dans coopération pour la paix, Agenda pour le XXIè siècle, Genève, 2001 pp. 85-99. 3 C�est le cas du président Pascal Lissouba du Congo-Brazzaville qui n�a pas hésité à créer sa propre milice alors qu�il est le chef suprême des armées ! Sur le rôle des milices dans les guerres civiles africaines, voir les articles de Rémy Bazenguissa Ganga, « les milices politiques dans les affrontements », in Afrique contemporaine, n° 186, 2ème trimestre 1998, pp. 7-32.

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son maintien ou non entant que médiateur dans la crise ivoirienne (sa méthode, sa franchise et sa rigueur dans la médiation qu'il conduit pour mettre fin au conflit ivoirien gênent les membres du réseau « françafricain » qui man�uvrent pour le dessaisir du dossier), et pour répondre aux médias qui véhiculent des informations favorables aux intérêts qu'ils représentent s'est indigné en ces termes « il est en effet malheureux qu'une partie des médias se soit prêtée à une telle campagne de désinformation »1.

Il est vrai que depuis le déclenchement du conflit ivoirien, la presse internationale, notamment française, Radio France Internationale (R.F.I.) en tête, a été de façon récurrente dénoncée pour son rôle, dans le pourrissement et la radicalisation de positions des différents acteurs ivoiriens, aux prises dans ce conflit. Au Rwanda,

L�on a également dénoncé le conditionnement psychologique des Hutus orchestré par la radio dite des « mille collines » pour qu�ils attaquent les Tutsis. Toutefois, si cela a pu se vérifier dans certains cas, il convient tout autant de relativiser ce genre d�affirmations car, tout observateur sérieux sait qu�il n�a pas été établi de lien de cause à effet entre l�action des médias, très limitée sur le continent africain avant 1990 et le déclenchement des guerres civiles que le continent connaît depuis une quarantaine d�années. Seule l�étude du cas de Radio Télévision Libre des Mille Collines (R.T.L.M.C.) au Rwanda justifie ce développement2. En effet, créée et contrôlée par des extrémistes Hutus proches ou extérieurs à l�entourage présidentiel, cette radio était foncièrement anti-Tutsi.

Elle n�a donc pas hésité à diffuser des incitations directes au meurtre pour régler définitivement « la question Tutsi », suite à l�assassinat du président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 19943. Ailleurs, au cours du conflit yougoslave la présence d�un tel média de la haine avait également été signalée mais l'effet a été minimisé. Si l�action de cette nouvelle « arme de guerre » paraît limitée, il convient déjà d�en prendre la mesure pour étouffer ses effets qui pourraient éventuellement être, si on n'y prend garde, dévastateurs. Comme déjà souligné, c'est vrai, l�analyse a montré que le processus de formation des guerres civiles africaines est un phénomène complexe qui fait appel à différents facteurs.

1 Voir communiqué de presse paru dans Courrier d'Abidjan 20.9.2005, op. cit. 2 Sur la responsabilité des média dans la formation de la violence, se reporter aux ouvrages de Erny Pierre, Rwanda 1994, clés pour comprendre le calvaire d�un peuple, Paris l�harmattan, 1995, pp. 87-95 et 100-106 ; et Gérard Prunier, Rwanda : le génocide, Paris, Éd. Dagorno, 1997/1999, 504 p. 3 Cf. GÉRARD PRUNIER, op. cit p. 269.

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Toutefois, il convient de relever qu�aucune puissance étrangère, ne peut allumer ou entretenir une guerre civile en Afrique, sans que le contexte interne lui-même ne recèle déjà les conditions favorables à une telle entreprise ; ainsi, si les conflits armés internes ont été fomentés, attisés ou exploités de l�extérieur, par les puissances régionales ou internationales, c�est parce que nombres d�États africains se prêtent à de telles manipulations1.

En effet, en Afrique, l'on a souvent tendance à dire : « les guerres civiles africaines, c'est la faute aux marchands d'armes qui nous fourguent en masse leurs engins de mort et nous poussent à nous entre-tuer pour faire fructifier leur commerce immoral ; c'est la faute aux grandes puissances occidentales qui ne veulent pas du développement de l'Afrique et qui cherchent à l'affaiblir en la divisant et en provoquant des conflits ». Il semble que, ce sont là des arguments exutoires qui ne sauraient durablement prospérer, même si l'on ne peut les écarter.

Pourquoi sont-ce seulement les africains que l'on « trompe » et manipule ainsi, et pas les asiatiques ou les Latino-américains ? Est-ce à dire que les africains sont plus faciles à abuser et à manipuler que d'autres ? Le 8 juillet 1996, Jean-Paul Ngoupandé s'adressant aux députés centrafricains lors de sa déclaration de politique générale en tant que Premier ministre du gouvernement d'union nationale qui venait d'être formé après les deux mutineries d'avril et mai de la même année, a interpellé toute la population de son pays en ces termes : « Mon cher compatriote qui m'écoute à travers notre assemblée nationale, si quelqu'un, un étranger, te met un fusil entre les mains et te dit : « Tues ton père, ta mère et tes frères » et si tu t'exécutes, ce n'est pas la faute de l'étranger, c'est ta faute à toi »2.

Il suit de cette considération que l�évaluation de la dimension extérieure du conflit ne saurait minimiser la responsabilité première ou l'aspect typiquement africain de celui-ci et qui la transpose dans la sphère même du conflit armé interne, amplifiant ainsi l�interaction entre les guerres intérieures et extérieures qui se livrent au sein des États africains.

En fait, c'est dans les conséquences et les effets juridiques qu'ils peuvent avoir et produire, dans les actes juridiques qui peuvent en résulter, mais aussi l'étude de leur aspect institutionnel que les conflits armés internes en Afrique intéressent notre

1 JEAN-PAUL NGOUPANDÉ, L'Afrique sans la France, éditions, Albin Michel, 2002, pp. 134-136. 2 De longs extraits de cette déclaration de politique générale du 8 juillet 1996 ont été publiés en annexe de Chronique de la crise centrafricaine, 1996-1997, L'Harmattan, 1997.

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recherche. Seule cette perspective dans son rapport au maintien de la paix explique notre approche. Celle-ci nous conduit donc d'une part à l'analyse du cadre normatif de gestion (I) et d'autre part, l�étude de la gestion institutionnelle des conflits armés internes en Afrique (II).

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Première partie : Le cadre normatif de gestion des conflits armés internes en Afrique

L'approche normative des conflits internes en Afrique suppose une démarche préalable : la qualification de l'ensemble des événements qui constituent ou provoquent les situations considérées. Cela revient à examiner les instruments de qualification existants. Cette méthode permet en outre de rechercher les outils juridiques indispensables à la protection des droits humains au cours de ces conflits. Une telle démarche répond au besoin ou à la nécessité de compréhension de l'ensemble des éléments se rattachant à la gestion des conflits africains. Elle permet ainsi d'appréhender le contour juridique des événements dans une perspective de pacification.

CHAPITRE I : LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES CONFLITS

Les conflits internes en Afrique sont d'une telle complexité qu'il paraît indispensable d'en saisir les contours juridiques. Cette exigence de qualification est d'autant plus fondamentale qu'elle permet de comprendre les conséquences notamment, sur les différents acteurs impliqués dans ces conflits.

Section I : La nécessité de qualification des conflits africains dans la perspective du maintien de la paix

En raison de la confusion résultant de la variété terminologique, il convient de dégager les critères de qualification des conflits internes en Afrique et d'en identifier les

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différents acteurs, afin de prendre la mesure de la tâche à accomplir pour mieux comprendre les opérations de maintien de la paix.

PARAGRAPHE 1 : LES CRITÈRES DE QUALIFICATION

Si les conflits armés internes en Afrique sont pour l'essentiel perçus comme des guerres civiles ou guerre de génocide, ces derniers ont pendant longtemps été envisagés comme l'expression du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

A � LES CONFLITS AFRICAINS, DES GUERRES CIVILES

La notion de conflit armé interne ou de guerre civile (bellum civile), nous vient de la Rome républicaine où les notions de souveraineté et de citoyenneté étaient plus claires que partout ailleurs avant l�époque récente1. La complexité des conflits actuels notamment africains est telle que leur étude requiert chez le juriste un travail de classification parmi les guerres civiles ou guerres internationales. Il va sans dire que définir la guerre civile, en rassembler tous les caractères dans une seule formule, n�est pas chose facile eut égard à l�infinité de types de guerres civiles que l�on a dû constater à travers les époques. Cependant, le juriste ne peut confirmer qu'une situation relève d'une guerre civile sans avoir mené une analyse lui permettant de déterminer, sur le fondement des faits, la mesure dans laquelle les éléments de la guerre civile se trouvent réunis dans le conflit.

1) Selon la doctrine

Les auteurs dans leur tentative de définition de la guerre civile, divergent non pas essentiellement sur le fond d�une telle qualification, mais sur la forme de violence à classer dans cette catégorie. Ainsi, pour certains, « La guerre n�est point une relation d�homme à homme, mais une relation d�État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu�accidentellement, non point comme hommes, mais comme citoyens, non point comme membres de la patrie mais comme défenseurs »2. Il résulte de cette

1 PAUL JAL, la guerre civile à Rome, étude littéraire et morale, Paris, PUF, 1963, p. 10-11. 2 J.J. ROUSSEAU, Du contrat social, G.F Flammarion, Paris, 2001, p. 52.

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définition qu�un État ne peut avoir pour ennemi qu�une autre entité étatique et non des hommes.

Plus tard, dans sa sentence du 11 novembre 1912 (indemnité de guerre turque)1, la cour permanente d�arbitrage rend une sentence qui vient confirmer cette définition. En effet, la cour définit la guerre comme étant un fait international, un fait inter étatique. Il suit de là que la guerre constitue une lutte armée entre États dotés de la personnalité internationale. Pour déterminer la nature juridique du conflit seul l�élément organique nous est d�un secours décisif. La guerre doit opposer deux sujets du droit des gens. M. Delbez2 définit dans son acception juridique et formelle la guerre comme étant une lutte à main armée entre États, voulue par l�un d�eux au moins et entreprise en vue d�un intérêt national. Pour être caractérisée, la guerre, au sens juridique, doit être le résultat de la volonté des États de faire la guerre, résultat voulu en lui-même et dans ses conséquences juridiques.

Ce critère subjectif réside dans l�ampleur et la durée des hostilités qui les rendent incompatibles avec le maintien de l�état de paix et permet de distinguer la guerre des représailles et des mesures de rétorsion qui s�analysent dans un recours limité et temporaire à la force, dans des conditions compatibles avec l�état de paix.

En Afrique, les problèmes de frontière ont longtemps opposé les États. Déjà en 1963, lors de la conférence au sommet des pays indépendants d'Afrique à Addis Abeba, le président ghanéen Kwamé Nkrumah affirmait qu'« il n'y a pratiquement pas d'État africain qui n'ait de problème de frontière avec ses voisins ». L'accession de l'Afrique à l'indépendance a entraîné sa balkanisation avec l'accroissement des lignes de frontières et des conflits territoriaux3. La guerre qui éclate en mai 1998 entre l�Éthiopie et l�Érythrée, officiellement pour un problème de frontière, pourrait être la dernière des guerres interétatiques du continent, tant les conflits africains ont évolué dans leur typologie. C'est pourquoi la définition de la guerre notamment dans le contexte de l'Afrique, ne saurait se limiter à la guerre interétatique.

Par ailleurs, Antoine Rougier4 trouve les différentes définitions très restrictives et soutient également qu�il est contestable de définir la guerre civile comme guerre

1 La cour permanente d�arbitrage, indemnité de guerre turque, 11 novembre 1912. Jean Pierre Derriennic, op. cit, pp. 1-2, RAYMOND ARON a parlé de conflits violents entre des groupes organisés, op. cit, p. 343, G.F. De Martens, précis de droit des gens, Paris, 1864, cité par Antoine Rougier, dans la guerre civile et le droit des gens, Paris,1962, p. 18. 2 L. DELBEZ, Principes généraux du droit international public, L.G.D.J., 1964, p. 509. 3 Voir YAKEMTCHOUK (R.), Les frontières africaines, RGDIP 1970, p. 29, Gautron (J-C), Le régionalisme africain et le modèle interaméricain, Annales africaines, 1966, p. 55. 4 ANTOINE ROUGIER, op. cit. p. 20.

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« entre un État et ses ressortissants. » Il a montré que par exemple dans la célèbre lutte des vendéens contre le gouvernement français, ceux-ci ont été soutenus par les anglais, qu�il ne s�est pas seulement agi d�une guerre du gouvernement légitime contre les citoyens rebelles de ce gouvernement. Mais du fait de la guerre qui a opposé également le pouvoir établi à la tierce puissance qui soutient les insurgés, il y a aussi bien guerre civile que guerre internationale, et non uniquement guerre civile. La réalité des conflits armés internes semble accréditer la thèse de M. Rougier, dans la mesure où, ces derniers comportent généralement des incidences internationales et, réciproquement, quelques conflits civils ne sont que le produit de confits internationaux1.

Depuis la guerre civile espagnole (1936-1939), où les pays européens étaient divisés en deux blocs, l�un soutenant les insurgés dirigés par le général Franco et l�autre, le gouvernement en place, nous sommes en présence d�un nombre croissant de guerres civiles avec participation d�États étrangers sous diverses formes � Qu�il s�agisse de l�aide économique et logistique, de livraison d�armes, de l�envoi de conseillers et de personnels militaires ou de la participation directe aux combats. Ces guerres civiles nourries par l�étranger ont permis l�irruption de la notion de conflits armés internes internationalisés2.

Sur le continent africain, au Congo-Kinshasa, une rébellion-invasion partie de l'Est du territoire congolais conduit Laurent Désiré Kabila au pouvoir en mai 1997. Les armées de plusieurs pays, principalement du Rwanda et de l'Ouganda, interviennent. Mobutu s'en fuit et meurt peu de temps après. Le président Kabila instaure un régime présidentiel et un pouvoir personnel. Mais à compter d'août 1998, le Rwanda et l'Ouganda, sont à la base d'une nouvelle rébellion-invasion, cette fois-ci dirigée contre le régime de Kabila qui reçoit le soutien militaire de l'Angola, du Zimbabwe et de la Namibie. L-D. Kabila est assassiné en janvier 2001 et remplacé par son fils à la tête de l'État. Malgré la présence de plusieurs milliers de casques bleus de l'O.N.U., le pays continue de vivre sous la loi des bandes armées de diverses nationalités. Ce pays demeure irréfutablement un exemple type de conflit armé interne à forte implication extérieure.

1 ZORGBIBE CHARLES, la guerre civile, Paris, 1975, PUF, collection « Que sais-je ? » p. 8. 2 Mélanges Pictet Jean, études et essais sur le droit international humanitaire et sur es principes de la croix rouge, Genève, comité international de la croix rouge, la Haye, M. Nijhoff, 1984, p. 283.

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Vattel1 s'attache plutôt à définir la guerre civile en utilisant des termes clairs et précis : « Lorsqu�il se forme dans l�État un parti qui n�obéit plus au souverain et se trouve assez fort pour lui tenir tête, ou dans une république, quand la nation se divise en deux factions opposées et que de part et d�autre on en vient aux armes, c�est une guerre civile ».

Nombreux sont les auteurs qui, faute de pouvoir donner une définition de la guerre civile en de meilleurs termes, se contentent de l�opposer à la guerre internationale. Il s�agit d�une méthode de définition négative qui consiste à dire ce que n�est pas la guerre civile. Et c�est la guerre internationale qui fournit les éléments de comparaison. Il va donc de soit que le conflit armé non international, ne revêt pas un tel caractère puisque les hostilités n�ont pas lieu entre deux États souverains2. Selon H. Wehberg, « il y a guerre civile quand dans un État une partie de la population refuse obéissance au gouvernement et prend ouvertement les armes contre lui, soit pour mettre un nouveau gouvernement à la place de l'autre, soit pour fonder un nouvel État en séparant du territoire national une partie de ce territoire »3. Cette définition nous ramène à l'analyse du conflit nigérian des années 70 dit « guerre du Biafra ». Des circonstances de cette guerre, il ressort que Odumegou Ojukwu, gouverneur de la région orientale du Nigeria, reprochant au gouvernement fédéral son incapacité à assurer la protection des citoyens et sa décision unilatérale de division du Nigeria en douze États, qu'il considérait comme inconstitutionnelle, annonçait que les services financiers de la région orientale cessaient désormais de verser leurs recettes au gouvernement fédéral. Ainsi proclama-t-il le 30 mai 1967 la République du Biafra indépendante et souveraine.

Le gouvernement fédéral pour faire échec à la création de cette nouvelle entité, engagea le 6 juillet de la même année, une action armée contre le Biafra. En fait si l'intention initiale qui avait soutenu la lutte du Biafra semble être la prise du pouvoir fédéral ou à tout le moins une transformation des structures constitutionnelles existante, ambition revue à la baisse eut égard à la réalité du terrain militaire, en revanche, l'acquisition d'une existence territoriale par les « biafrais » se trouve en dehors de toute discussion. Ce conflit qui reste circonscrit au territoire national, par tous ses éléments, est sans conteste une guerre civile.

1 VATTEL, op. cit., 1. III, CHXVIII, paragraphes 288, 289, 292. 2 MARIE-FRANÇOISE FURET, Jean-Claude Martinez, Henri Dorandeu, la guerre et le droit, pp. 170-171. 3 H.WEHBERG, La guerre civile et le droit international, Recueil des cours de l�Académie de Droit International, 1938, p. 39.

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L�élément infra étatique devient par ailleurs un élément déterminant1. Le terme de guerre civile n�est en réalité q�un terme descriptif. Il n�a pas de sens technique en droit international. L'observation des conflits armés tels qu'ils se présentent aujourd'hui, nous permettent de nous accorder avec le professeur Francis Wodié qui définit la guerre civile comme étant « un conflit armé » opposant pour des raisons politiques le gouvernement établi à une fraction de la population qui possède une organisation militaire et civile et exerce en fait une partie des compétences gouvernementales2. Nombres de conflits actuels, notamment africains répondent bien à cette définition.

La contribution de la doctrine dans la définition de la guerre civile ou du conflit armé non international est d�autant plus réelle et avérée que celle-ci se fait même l�écho de la nécessité de réformer le droit des guerres civiles en les soumettant à une réglementation internationale plus ou moins poussée, mais en tout cas auto-suffisante et objective. L�apport de la doctrine a permis de poursuivre l�effort de définition du conflit armé interne d�un point de vue normatif.

2) De l�article 3 commun, au protocole II additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 : une évolution réelle

Décider qu�un conflit a ou non un caractère non international, détermine souvent tout son cours ultérieur, et il faut souligner l�importance d�une étude approfondie de telles questions qui ont souvent de graves conséquences pour le maintien de la paix mondiale. Condition de l�application des règles protectrices de la personne humaine en période d�hostilités, la définition au titre de l�article 3 commun aux quatre conventions de Genève, est d�importance. En même temps qu�il introduit dans le droit positif, l�expression de conflit armé ne présentant pas un caractère international, l�article 3 qui est le seul, avant l�adoption du protocole II en 1977, à s�intéresser aux conflits armés non internationaux, ne définit pas de façon précise ce qu�est un tel conflit3. Cette disposition n�institue non plus pas de procédure relative à la constatation du confit armé non international et ne prévoit pas la création d�un organisme impartial chargé de se prononcer sur la nature de cette situation.

1 Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, 1960, p. 308. 2 FRANCIS WODIÉ, La sécession du Biafra et le droit international public, RGDIP, 1969, n° 4, p. 1023. 3 M.F. FURET, J-C. MARTINEZ, H. DORENDEU, op. cit. pp. 170-171.

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Elle stipule seulement : « En cas de conflits armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l�une des hautes parties contractantes� »; par opposition conformément à l�article 2 commun aux mêmes conventions au cas de conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des hautes parties contractantes, même si l�état de guerre n�est pas reconnu entre elles1. Dans la première hypothèse, le facteur de territorialité constitue pour l�article 3, le seul élément de référence. Dans les situations affectées par l�article 2 commun, c�est de la qualité des parties aux hostilités, les puissances ou États ayant la capacité de se lier en droit, que se déduit, a contrario, le fait qu�il s�agit d�un conflit international. Jean Siotis2 exprime la même idée en meilleurs termes : « Si deux ou plusieurs sujets intégraux du droit prennent part à un tel conflit, il s�agit alors d�un conflit ayant un caractère international. Au contraire, dans un conflit armé d�un caractère non international, seule l�une des parties constitue, au moins au début du conflit, un sujet intégral du droit des gens ».

En d�autres termes, et pour simplifier le schéma, un conflit armé international est une confrontation militaire inter étatique, tandis qu�un conflit armé non international serait une guerre intra étatique. Après bien des discussions, la conférence diplomatique de 19493 avait finit par renoncer à une définition qui eut présenté le risque de réduire la notion de manière incompatible avec les buts poursuivis4. Selon Charles Zorgbibe, en ne précisant pas la notion, on évitait en effet l�introduction de toute condition susceptible de conduire le gouvernement légal intéressé à un refus d�application de l�article 35. Dans la mesure où l�article 3 ne s�applique qu�à des conflits non internationaux et non à des émeutes, ou à toute autre situation relevant du maintien de l�ordre6, il importe en effet de voir où commencent les uns et où s�arrêtent les autres. Car toute la difficulté résulte du fait que, l'absence de définition du conflit armé non international pourrait éventuellement avoir pour conséquence d'étendre l'application des dispositions de l'article 3 commun à des situations qui ne mériteraient peut-être pas une telle qualification7. Dès lors, la question se pose de savoir si le conflit ne doit pas présenter un minimum de gravité et d�organisation pour que puisse être invoqué l�article 3.

1 ERIC DAVID, principes de droit des conflits armés, bruyant, Bruxelles, 1994, p. 101. 2 JEAN SIOTIS, droit de la guerre et des conflits armés d�un caractère Non-international, LGDJ, 1958, p. 21. 3 Conférence diplomatique de Genève de 1949 a été réunie sur initiative du Gouvernement suisse, en vue de l'amélioration des règles du droit internationale humanitaire. Voir, Djamchid Momtaz, Le Droit international humanitaire applicable aux conflits armés non internationaux, RCADI, 2001, 292, p. 28. 4 J. SIOTIS, op. cit. p. 208. 5 CHARLES ZORGBIBE, op. cit. p. 181. 6 J. SIOTIS, op. cit. p. 209. 7 Ibid., p. 203.

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Comme la majorité des auteurs, J. Siotis répond par l�affirmative et pense qu�il y a un conflit armé interne au sens de l�article 3 « dès le moment où les hostilités prennent une certaine extension dans le temps et dans l�espace »1. En 1900, l�institut du droit international, pour caractériser les guerres civiles, prévoyait que les insurgés devaient détenir une partie du territoire national, y exercer des droits de souveraineté et ils devaient combattre avec une armée organisée respectant les lois de la guerre2. Déjà en 1949, ces critères sont cités pour illustrer la notion. Comme le souligne le Comité International de la Croix Rouge (C.I.C.R.) dans son commentaire de l�article 3, ce qui importe c�est l�existence d� « hostilités mettant aux prises des forces armées ». Ces critères devraient théoriquement permettre de distinguer les luttes armées visées par l�article 3 de toute autre situation.

De fait, la pratique révèle que les situations où à la suite d�une intervention du C.I.C.R., les gouvernements ont reconnu l�application de l�article 3, répondaient largement aux critères précités. C�est ainsi que le C.I.C.R. a proposé ses services en se fondant sur l�article 3 aux parties en lutte dans nombres de conflits armés internes en Afrique3. Il suit de cette analyse que tout conflit armé opposant une fraction de la population au gouvernement établi ne peut se confondre avec la guerre civile ; il peut s�agir d�une simple révolte ou d�une insurrection que le gouvernement établi parvient à juguler en l�espace de quelques heures voire quelques jours4. Cette action gouvernementale prend le nom d�opération de police, d�opération de maintien de l�ordre limitée dans son ampleur, dans le temps et l�espace.

En Côte d'Ivoire, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, un groupe d'individus venus de la partie septentrionale, attaque le pays et tentent de renverser le président Laurent Gbagbo. A Abidjan, la bataille dure plusieurs heures et donne lieu à des règlements de comptes. L'ex-président Robert Guéï, et le ministre de l'intérieur, Émile Boga Doudou, sont assassinés au cours de ces combats. Malgré la gravité de la situation, le premier communiqué des autorités légalement établies voyait dans les actions des agresseurs, des faits constitutifs d'actes terroristes, de banditismes perpétrés par des « assaillants » qu'il fallait au plutôt maîtriser. L'ouverture des premières négociations de Lomé au Togo entre les différentes parties belligérantes, a montré que nous étions belle et bien dans une situation de guerre civile.

1 Ibid., p. 203 2 Conventions, commentaire III, p. 42 3 CICR, Rapport d�activité, 1986, p. 27 ; 1987, p. 30 ; 1988, p. 30, 1988, p. 294. 4 ANTOINE ROUGIER, op. cit., p. 33.

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Le gouvernement français de 1954 à 1958 avait exclu l�action de ces troupes en Algérie du champ d�application de l�article 3 commun des conventions de Genève, pour la considérer comme une opération de maintien de l�ordre1. De sorte que les faits constitutifs des évènements d�Algérie et leurs auteurs tombaient alors sous le coup de la loi pénale française.

La cour d�appel de Montpellier n�en avait pas eu la même appréciation. Plus proche de la norme conventionnelle (article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949), la cour par un arrêt du 24 novembre 19592, déclarait à propos de la guerre d�Algérie que : « Cet état de fait notoire, qu�il soit qualifié terrorisme, rébellion ou événement est par ses buts politiques, par l�importance des moyens mis en �uvre, par l�ampleur du conflit et par le nombre de ses victimes constitutif d�un état insurrectionnel armé d�une partie de la population française contre le gouvernement, et doit être qualifié de guerre civile ».

De même, les 23 et 24 janvier 1989, les forces armées argentines avaient eu recours à la force pour déloger des opposants qui s'étaient emparés de campements militaires dans la province de Tab Lada. Le Gouvernement argentin s'était fondé sur l'extrême brièveté des combats pour les qualifier de simple opération de police et refuser d'appliquer l'article 3 commun. Saisie de l'affaire, la commission interaméricaine des droits de l'homme, dans son rapport du 18 novembre 1997, s'est fondée sur les critères dégagés par le C.I.C.R. pour rejeter la prétention du Gouvernement argentin. La commission qualifie la situation, de conflit armé non international entraînant l'application de l'article 3 commun au bénéfice des assaillants tombés entre les mains des autorités argentines3. De cette divergence d'interprétation, surgit toute la difficulté, quand il s'agit de déterminer la nature d'une confrontation armée au sein d'un État. Or une définition juridique précise de cette notion, aurait certainement permis de faire l'économie d'une telle polémique.

Un pas important a été franchi par le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Dans son arrêt du 2 octobre 1995, cette juridiction à donné une nouvelle définition du conflit armé intra étatique et qui caractérise généralement la nouvelle génération de conflits armés non internationaux. D'après ce tribunal, un conflit armé non international

1 FRANCIS WODIÉ, La Sécession du Biafra et le droit international public, RGDIP, 1964, n° 4, p. 1023. 2 Cour d�appel de Montpellier, Compagnie d�assurances la Nationale et autres, contre Société Purfina Française, arrêt du 24 Novembre 1959, G.P, 1959 16-18 décembre. 3 Inter-American Commission of Human Rights, Report n° 55/97, case n° 11.127, Argentina, OEA/SER/L/V/11.97, doc.38, 18 novembre 1997.

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existe quand il y a un « conflit armé prolongé »1 entre les forces armées gouvernementales et des groupes armés organisés et entre de tels groupes, dans le cadre du territoire du même État2.

Dans le conflit du Congo-Kinshasa3, ce sont plusieurs bandes armées, plus ou moins organisées, qui mènent une guerre contre le pouvoir en place, mais aussi une guerre de positionnement entre elles-mêmes. Au Liberia, le 24 décembre 1989, des rebelles du National Patriotic Front of Liberia (N.P.F.L.), conduit par Charles Gankhay Taylor4, attaquent le pouvoir libérien de Samuel Doe. Les combats s'intensifient, le mouvement de Taylor gagne du terrain et tend à contrôler près des deux tiers du pays. Mais très vite une dissension interne5 au sein du N.P.F.L., provoquera en mai 1990 une scission avec la création de l'Independant National Patriotic Front of Liberia (I.N.P.F.L.), dirigé par Prince Johnson. L'I.N.P.F.L. mène les combats jusqu'aux portes de la présidence libérienne où le président Doe réfugié sera capturé, torturé puis tué. La multiplication des factions rivales (apparition de l'United Liberation Movement for Democracy in Liberia (ULIMO) scindée en deux pour donner naissance aux mouvements ULIMO-J de Johnson Roosevelt et ULIMO-K d'Alhadji Kromah) va ajouter à la confusion et à la complexité du conflit libérien. L�apparition d�autres mouvements notamment, le Liberian Peace Council (L.P.C.), le Lofa Defense Force (L.D.F.), le Nimba Redemption Council (N.R.C.), le Central Revolution Council (C.R.C.), le Congo Defense Force (C.D.F.)� Ces différents groupes qui font et défont des alliances au gré de leurs différents intérêts permettent de mieux prendre la mesure du drame libérien.

Nombres de conflits sur le continent africain s�inscrivent dans la dynamique du conflit libérien et correspondent bien à la définition de guerre ou de conflit armé fourni par le tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie. Mais devant l�aggravation de ces conflits internes et internationaux, et compte tenu des lacunes constatées des traités et des conventions internationales en la matière, le comité international de la croix rouge (C.I.C.R.) convoqua en 1971 et 1972 deux conférences d�experts gouvernementales et élabora les projets de deux protocoles additionnels aux conventions de Genève

1 A l'instar de l'article 8, paragraphe 2, -f du statut de la cour pénale internationale, le texte anglais de l'arrêt utilise l'expression « protracted armed violence ». 2 Arrêt Tadic (compétence) paragraphe 70. 3 OLIVIER LANOTTE, République démocratique du Congo : Guerres sans frontières, Éditions Complexes, p. 76-82. 4 CHARLES TAYLOR, americano-liberien est né le 29 janvier 1948. Ancien haut fonctionnaire accusé de détournement en fuite aux États Unis, il réussit à s'échapper de la prison de Plymouth corrections institute avant son extradition. Révolutionnaire entraîné en Libye où il se lie d'amitié à Foday Sankoh, il participe à la tentative de coup d'État de Quiwonkpa et bénéficie du soutien du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire. Cf. Stephen Ellis, Liberia 1989-1994 : a study of ethnic and spiritual violence. African Affairs, n° 375, vol 94, p. 180 et ss. 5 Il s'agit d'un conflit de personne entre Taylor et prince Johnson, aide de camp du général Quiwonkpa, ayant aussi participé au putsch de novembre 1985. IL est hostile à toute prise de pouvoir de Taylor et à l'emprise américano-libérienne au sein du N.P.F.L..

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de 1949. Ses décisions furent soumises en 1974 à la conférence diplomatique convoquée par le Conseil fédéral suisse qui tint quatre sessions de 1974 à 1977. Le 10 juin 1977, elle adopta les deux protocoles additionnels aux conventions de Genève de 1949. Une étape importante dans la définition normative du conflit infra étatique venait ainsi d'être franchie.

3) Le conflit armé interne selon le protocole additionnel II

Les limites de l�article 3 commun ont conduit à la poursuite de l�effort normatif en vue d�améliorer les règles de protection du droit international humanitaire ; car s�il faut déterminer une menace à la paix et à la sécurité internationale, décider une action de maintien de la paix, il devient indispensable de cerner avec un peu plus de précision la nature du conflit. C�est semble-t-il ce à quoi le protocole additionnel II adopté le 8 juin 1977 s�est attelé1. L�article premier du dit protocole clarifie la situation. En effet il y est stipulé qu�il concerne « les conflits armés qui se déroulent sur le territoire d�une haute partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés� » dont le mode de combat n�est d�ailleurs pas précisé2.

Le 7 juin 1998, éclate en Guinée Bissau, un conflit après le limogeage du général Ansumane Mane chef d'État major de l'armée, par le président Vieira. Une partie de l'armée ayant maintenu son soutien au général, une junte militaire se crée. La confrontation armée s'engage entre l'armée loyaliste et les troupes fidèles au général Mane. A l'issue de violents combats, la supériorité militaire de Mane oblige Vieira à quitter le pouvoir. Comme bien d'autres conflits africains, celui de la Guinée Bissau répond bien à la définition du protocole additionnel II. Or ce qui est ainsi décrit pour permettre au droit humanitaire de produire ses effets dans un conflit armé interne n�exclut pas l�existence de liens entre les dits dissidents et groupes armés organisés

1 Sur l�histoire législative du protocole II, cf. G. Abi-Saab, droit humanitaire et conflits internes : Origines et évolution de la réglementation internationale, institut Henry Dunant, A, Pedone, 1986 Genève, Paris, p. 105 ss, 143 ss. - M. Veuthey, les conflits armés de caractère non international et le droit humanitaire, dans Antonio Cassese, current problems of international law, Milan, 1975, p. 179 ss. 2 Le texte de l�article premier du protocole II : a. Le présent protocole qui développe et complète l�article 3 commun aux conventions de Genève du 12 Août 1949 sans modifier ses conditions d�application actuelles, s�applique à tous les conflits armés qui ne sont pas couverts par l�article premier du protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 Août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I), et qui se déroulent sur le territoire d�une haute partie contractante entre ses forces armées et des forces armée dissidentes et des groupes armés organisés qui, sous la conduite d�un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu�il leur permettent de mener des opérations militaires continues et concertées et d�appliquer le présent protocole. b. Le présent protocole ne s�applique pas aux situations de tentions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés.

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d�une part, et des forces ou des puissances extérieures d�autre part, étant entendu que le gouvernement au pouvoir, par définition, à travers l�exercice même de ses compétences dispose déjà d�un réseau de relations internationales et inter étatiques.

Modelski1 affirme que les insurgés doivent, eux aussi développer un réseau de connexions internationales pour ressembler aux gouvernements en place et bénéficier d�une crédibilité nécessaire à leur reconnaissance par les tiers.

Le chef de la rébellion ivoirienne Guillaume Soro bénéficie d'un passeport diplomatique sénégalais, témoignage du soutien du pouvoir sénégalais à la rébellion ivoirienne. M. Soro, à l'occasion de plusieurs tournées dans la sous région Ouest-africaine, a pu tisser de nombreuses relations avec des chefs d'État et de Gouvernement, consacrant de fait la reconnaissance de son mouvement.

Le protocole II parait manifestement plus précis que l�article 3 en ce qu�il exprime clairement l�idée selon laquelle le parti insurgé doit remplir certaines conditions pour être reconnu comme belligérant et pour que le droit humanitaire s�applique. En outre le protocole II ne s�applique pas aux situations de troubles internes, de tensions intérieures et autres. Ces derniers n�étant pas considérés par lui comme des conflits armés, ce qui n�est pas le cas de l�article 3 applicable dans ces situations. En d�autres termes les conflits armés visés par le deuxième protocole sont très proches de ceux qui avaient été définis par l�institut de droit international en 1900, pour qu�ils puissent faire l�objet d�une reconnaissance de belligérance par les États tiers, à savoir que les insurgés devraient former un gouvernement régulier, contrôler une partie du territoire et respecter les lois et coutumes de la guerre2.

C�est dire que le conflit armé non international se réduit ici aux affrontements de haute intensité. Dès le déclenchement du conflit nigérian, la thèse officielle initiale voyait dans l'action gouvernementale déclenchée contre « la République sécessionniste biafraise » une simple opération de police limitée dans son ampleur, dans le temps et dans l'espace. Ainsi, les faits constitutifs des évènements et leurs auteurs tombaient

1 GEORGES A. MODELSKI, the international relations of internal war, center of international studies, Woodrow Wilson school of public and international affairs, Princeton university, 1961, Princeton, New jersey ; research monographs, n° 11, p. 24. 2 Résolution sur les droits et devoirs des puissances étrangères au cas de mouvement insurrectionnel, envers les gouvernements établis et reconnus, qui sont aux prises avec l�insurrection, article 8 : « les tierces puissances ne peuvent reconnaître au parti révolté la qualité de belligérant : a) s�il n�a pas conquis une existence territoriale distincte par la possession d�une partie déterminée du territoire national b) s�il n�a pas réuni les éléments d�un gouvernement régulier exerçant en fait sur cette partie du territoire les droits apparents de la souveraineté ; c) si la lutte n�est pas conduite en son nom par des troupes organisées, soumises à la discipline militaire et se conformant aux lois et coutumes de la guerre ». Session de Neuchâtel, 1900, Ann. Institut D.I, Éd. nouvelle abrégée, vol.IV, 1897-1904, p. 639.

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alors sous le coup de la loi pénale fédérale nigériane. Mais déclenché en juillet 1967 et malgré tous les efforts diplomatiques, le conflit est loin de connaître un apaisement.

Par sa durée, par l'ampleur des moyens militaires et diplomatiques qu'il met en �uvre, par les désastres qu'il engendre, le conflit nigérian a cessé d'être une « opération de police ». Il est devenu une guerre civile. En fait l�approche de l�organisation panafricaine du conflit armé interne n'est pas différente de la définition retenue par le protocole additionnel II. Ainsi les conflits qui opposent le gouvernement établi d�un État africain indépendant à des insurgés ou des groupes armés organisés entre eux sur le territoire de cet État sont qualifiés de conflits internes. La terminologie utilisée par les organes de l�O.U.A. dans les résolutions qu�ils adoptent n�est pas rigoureuse : Il s�agit tantôt de « désordre » (Congo), tantôt de sécession (Biafra), tantôt de rivalité entre des mouvements de libération (Angola). Les résolutions n�utilisent pas la formule « conflit armé non international » et emploie rarement le terme de « guerre civile ». Lorsque le gouvernement fédéral Nigérian considère les opérations menées par ses forces armées contre le Biafra comme des « actions de police », l�organisation panafricaine, soucieuse de ne pas échouer dans son intervention, condamne les « sécessionnistes », rappelle le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d�un État et évite d�employer les mots « guerre civile » dans ses premières résolutions.

Lors des travaux préparatoires à la conférence d�experts gouvernementaux, le Comité international de la croix rouge précisera la notion de troubles intérieurs : il s�agit de « situations où, sans qu�il y ait à proprement parler de conflits armé non international, il existe cependant sur le plan interne un affrontement qui comporte des actes de violence� ».

Dans ces situations qui ne dégénèrent pas nécessairement en lutte ouverte, les autorités au pouvoir font appel à de vastes forces de police, voire aux forces armées, pour rétablir l�ordre intérieur1. La difficulté tient de ce que le seuil objectif vers les simples troubles intérieurs n�est pas facile à définir2. Les gouvernants tendent à élever le seuil des conflits armés afin de garder les mains plus libres ; et le C.I.C.R. tend au contraire à l�abaisser à des fins humanitaires. Le Gouvernement français de 1954 à 1958 faut-il le rappeler avait considéré l'action de ses troupes en Algérie comme une opération de maintien de l'ordre.

1 Document présenté par le CICR, conférence d�experts gouvernementaux, vol. V, 1971, p. 78. 2 Sur la notion de tension et de troubles intérieurs, cf. A. Eide, « troubles et tensions intérieurs », dans : UNESCO (éd), les dimensions internationales du droit humanitaire, Paris/Genève, 1986, p. 279 ss. D. Momtaz, les règles minimales applicables en période de troubles et de tensions internes, RICR, vol.80, 1998, p. 487 ss.

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Il s�agit de critères très vagues, se référant d�un côté à l�intensité des conflits, de l�autre au degré d�organisation des rebelles. Ce sont ces deux critères qui représentent le droit coutumier. Le tribunal pénal pour l�ex Yougoslavie a d�ailleurs fait référence à ces critères dans son arrêt Tadic du 7 mai 1997. Au paragraphe 561, il rappelle le dictum de la chambre d�appel de 1995, qui dit qu�un conflit armé « existe chaque fois qu�il y a recours à la force entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d�un État » (paragraphe 70 de l�arrêt décembre 1995). Toutefois, un seuil bas, pour louable qu�il soit, pose d�autres problèmes : des mouvements peu organisés, opérant souvent par voie de guérilla, ne sont souvent pas capables d�assurer les garanties prévues - par exemple la détention de prisonniers, l�organisation d�un procès, etc.1.

En effet un certain nombre de raisons ont empêché les rédacteurs du protocole II d�aller plus loin notamment, le refus catégorique des pays africains et du reste du tiers monde d�être liés par des conventions et des lois qui pourraient limiter leur liberté et leur marge de man�uvre dans la répression des troubles intérieures dont la majorité de ces États sont plus souvent victimes. En fait, beaucoup de pays, notamment africains en proie à des troubles intérieurs se sont insurgés contre le fait que les dissidents ou des « hors la loi » seraient juridiquement traités autrement que comme des rebelles2. Certaines délégations, participant à l�élaboration du protocole II et contribuant à la restriction de son champ d�application sur les tensions et troubles intérieurs, justifiaient leur point de vue par le fait que l�application du droit humanitaire ne doit en aucun cas porter atteinte à la souveraineté des États ou à la responsabilité du gouvernement de maintenir ou de rétablir l�ordre public dans l�État, ou de défendre l�unité nationale et l�intégrité territoriale de l�État par tous les moyens légitimes. On contribuerait alors à la déstabilisation politique des jeunes États africains et autres récemment libérés de l�occupation militaire des ex-puissances coloniales.

Pourtant il convient de faire remarquer que le problème pour nombres de pays africains tient à la faiblesse de leurs forces de défense et de sécurité, mal formées et sous équipées de sorte que ces dernières éprouvent d�énormes difficultés à mater et mettre fin aussitôt qu�ils sont déclenchés, les troubles internes. Les conflits s�enlisent et montent en intensité pour se transformer en de véritables guerres civiles. Ainsi est-il important que les autorités étatiques prennent les dispositions armées nécessaires pour circonscrire au plutôt, toute velléité belligène ; ce qui les mettrait à l�abri de toute 1 Cf.. BAXTER, op. cit. p. 530. 2 EL KOUHENE, Mohamed, les garanties fondamentales de la personne en droit humanitaire et droit de l�homme, Éd. Nijhoff, Genève, 1986, p. 71 ; Antonio Cassese, la guerre civile et le droit international, RGDIP, p. 557.

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controverse tendant à ramener très bas la notion de conflit armé non international dans le cadre du protocole II.

Les règles du droit humanitaire ont connu une nette amélioration depuis 1977. L�adoption des protocoles additionnels aux conventions de Genève du 12 août 1949, s�attachait à la persistance de conflits armés, au déséquilibre entre le droit de la guerre (droit de la Haye) et le droit humanitaire (droit de Genève), aux mutations de la société internationale depuis la décolonisation, à l'accès de la plupart des pays du tiers monde à l�indépendance, et enfin à l�apparition d�armes nouvelles1. En tout état de cause, la commission d�experts du C.I.C.R. convoquée en 1962 a retenu comme critère distinctif d�un conflit armé le caractère collectif et un minimum d�organisation des rebelles (RICR, vol. 45, 1963, p. 76 ss.).

En effet le progrès technique dans le domaine des armements rend le droit inadapté et toujours en retard d�une guerre. Un abîme existe toujours entre les normes juridiques de la guerre et la réalité. En outre, la dimension spatiale des conflits actuels et l'origine des divers combattants, posent la problématique de la distinction entre conflit armé interne et conflit armé international. Dans le contexte de l'Afrique, la nature des conflits qui se déroulent sur le continent met en exergue la difficulté à trouver une ligne de démarcation entre le conflit armé interne et le conflit armé international. Nombres de ces conflits sont dès lors qualifiés de conflits internes internationalisés.

B � LES CONFLITS AFRICAINS, DES CONFLITS INTERNES INTERNATIONALISÉS

1) La notion de conflit interne internationalisé

La complexité de certains conflits armés africains, rend quelquefois difficile leur classification. Dans son développement sur la « guérilla », un auteur remarquait que : « Comme le droit international traditionnel, les conventions de Genève de 1949 ne connaissent que deux catégories de conflits armés : les conflits internationaux et les conflits que l'article 3 commun désigne sous le nom de conflits, « ne présentant pas un caractère international ». Mais depuis, une troisième catégorie de conflits armés a fait son apparition, catégorie encore innomée2 ; pour la désigner, il fallait selon lui modifier 1 EL KOUHENE, MOHAMED, op. cit. p. 79. 2 HENRI MEYROWITZ, La guérilla et le droit de la guerre : Problèmes principaux, in Droit Humanitaire et conflits armés, p. 193, texte à lire également dans la Revue belge de droit international, 1971, 1, pp. 56-73.

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la dénomination des deux catégories connues, les conflits internationaux devant désormais être appelés conflits armés interétatiques et ceux dits d'un « caractère non-international » devenant alors les conflits armés intra étatiques. Ainsi, « la catégorie nouvelle sera désignée ici par deux caractères, l'un négatif, l'autre positif, dont la réunion fait son originalité : ce sont des conflits armés non interétatiques, mais présentant un caractère international, ou, en renversant l'ordre des deux caractères, des conflits armés internationaux mais non interétatiques »1. Si cette dernière proposition est présentée pour distinguer les guerres dites de libération nationale contre une puissance coloniale2, en revanche, s�agissant des conflits armés internes en Afrique, il paraît difficile de ne pas tenir compte de leur bivalence et de ne pas admettre leur nature à la fois interne et internationale. C'est pour refléter et englober au niveau terminologique l'ensemble de leur réalité et données juridiques et politique, qu'il est fait usage de l'expression « conflits armés internes internationalisés ».

C'est en se plaçant dans cette perspective qu'il convient d'étudier nombres de conflits africains, dans lesquels les facteurs socio-historiques locaux, régionaux et internationaux jouent un rôle important de telle sorte que guerre civile et conflits régionaux et internationaux sont étroitement imbriqués. C'est dans ce cadre que l'on pourrait analyser la dimension sous régionale sans toutefois perdre de vue l'implication des pays occidentaux dans l'exacerbation de nombres de conflits africains notamment, ceux qui se déroulent dans la région des grands lacs.

2) Les alliances transnationales du fait de facteurs socio-historiques : le cas de la République Démocratique du Congo (R.D.C.)

L'origine du conflit en république démocratique du Congo, tient en partie de revendications de certaines des ethnies la composant mais qui se retrouvent en même temps dans les pays frontaliers tels que le Rwanda, le Burundi, l'Ouganda� En R.D.C., la région du Kivu permet de prendre la mesure de cette réalité. Dans cette région, la population d'origine rwandaise (banyarwanda) est très nombreuse, à tel point qu'elle y est majoritaire dans certains districts. Cette population rwandophone n'est cependant aucunement homogène dans la mesure où ses origines sont multiples. Tandis que certains banyarwanda du Nord Kivu sont des congolais de souche (Rutshru

1 Ibid, p. 193. 2 Ibid, p.193-194.

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et Bwisha), d'autres communautés banyarwanda se sont implantées au Kivu au fil du temps.

Dans les années 1930 et 1940, la mission d'immigration des banyarwanda mise en place par les autorités coloniales belges a organisé des transferts importants de populations (Hutu et Tutsi) du Rwanda surpeuplé pour aller travailler dans les plantations du Kivu et les mines du Katanga. Enfin, les violences politico ethniques qui ont périodiquement secoué le Rwanda et le Burundi à partir de 1959 ont engendré de nouvelles vagues de réfugiés hutu et tutsi. Cette présence massive des Banyarwanda � plus de deux millions au Nord Kivu où ils sont majoritaires avec près de 60 % de la population1 � est d'ailleurs à l'origine de l'émergence d'un vaste débat sur la nationalité congolaise. Il va donc de soi que le Kivu est constamment traversé par des rivalités ethniques extrêmement sensibles. A partir de 1990, la remise en cause du régime Mobutu, protecteur et artisan de la promotion des Banyarwanda tutsi2, permet aux groupes ethniques autochtones du Nord Kivu de hausser le ton et, par-là même, ravive brutalement la délicate question de la nationalité restée latente depuis l'indépendance.

Dans cette région du R.D.C., toutes les tensions ethniques sont par ailleurs exacerbées par la guerre qui commence en octobre 1990 au Rwanda quand de nombreux Tutsis du Kivu rejoignent les rangs du Front Patriotique Rwandais (F.P.R.). Les risques d'embrasement général s'amoncellent rapidement3. Dès janvier 1996, la violence reprend de plus belle tandis que des attaques de plus en plus meurtrières sont attribuées à « des assaillants venus de l'extérieur » (Rwanda et Ouganda) dans le Nord Kivu. Pour les autorités congolaises, ces attaques sont le fait d'agresseurs « qui se disaient congolais hier, et aujourd'hui rwando-ougandais ». En septembre de la même année, les localités de Bunagana, Tshengerero et Kavangi (Rutshuru) sont à nouveau attaquées par des groupes de jeunes tutsis. Ces attaques meurtrières accompagnées de destructions « méchantes et gratuites des biens, des maisons, des infrastructures publiques », sont interprétées « comme le prélude à une offensive généralisée du F.P.R. et de la NRA (armée ougandaise) pour occuper le Kivu » et

1 A. GUICHAOUA, Le problème des réfugiés rwandais et des populations banyarwanda dans la région des grands lacs africains, Genève, Unhcr, 1992, p. 32. 2 Le président Mobutu s'était toujours appuyé sur les groupes ethniques politiquement minoritaires. Voir à ce propos JEAN-CLAUDE WILLAME, Banyarwanda et Banyamulengue. Violences ethniques et gestion de l'identitaire au Kivu, Tervuren, Institut Africain Paris, L'harmattan, 1997, pp. 52-55. 3 Voir Intolérance ethnique, conflits fonciers et revendications politiques au Nord Kivu. Le point sur les derniers affrontements sanglants opposants les communautés hutu tutsi aux Nyanga-Hunde en zone de Walikale et de Masisi, Goma, GEAD, 15 avril 1993, p. 6.

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« constituer l'Empire hima des grands lacs »1. Pour les autorités du Nord Kivu, ces assaillants font partie « d'un groupe de sept cents jeunes tutsis (�) recrutés au sein de la communauté rwandophone tutsie du Nord Kivu et ayant suivi une formation militaire, supervisée par un (�) proche du président ougandais Museveni »2. Au plus fort de la crise, le président rwandais avait clairement fait allusion aux ambitions rwandaises sur la région d'Uvira où vivent les Banyamulenges et évoque un éventuel re-découpage des frontières entre l'ex-Zaïre (R.D.C.) et le Rwanda : « A l'arrivée des blancs, le Rwanda (�) s'étendait des grands lacs Rweru et Cyohaha franchissant la chaîne des volcans jusqu'au lac Rwicanzige (lac Édouard) ».

Même Kayenzi et autres, situées actuellement au Zaïre, faisaient partie du Rwanda. (�) Lors de la scission du Rwanda en deux parties par les blancs, ces populations de Masisi et ces Banyamulenge étaient établies là où elles sont depuis quatre cents ans. Elles sont très anciennes et plus anciennes que le Zaïre3. Le chef d'État rwandais déclare enfin la solidarité du Rwanda avec les « frères » Banyamulenge : « Le Rwanda ne peut pas refuser d'accueillir les frères. Mais si le pari est de chasser ceux-là qui ont vécu dans ce pays depuis plus de quatre cent ans, (�) les seuls Banyamulenge que nous accueillerons sont les enfants et les vieilles femmes. Les autres doivent rester là-bas pour corriger et donner la leçon de savoir-vivre à ceux-là qui veulent les chasser. Celui qui dit qu'il veut vous tuer, qu'il veut vous exterminer sans raison, vous fournit automatiquement le motif d'utiliser tous les moyens possibles et imaginables que vous pourriez trouver pour que ce soit vous qui l'exterminiez afin de l'empêcher de nuire. (�) Ce sont (les Banyamulenge) des zaïrois qui doivent lutter pour leurs droits »4. C'est donc au nom de la solidarité ethnique que la guerre en république démocratique du Congo, voit une implication prononcée des États voisins. C�est également à ce titre, qu'en Afrique de l'Ouest, certains pays, notamment le Mali, le Burkina Faso, la Guinée et le Liberia se sentent concernés et sont très intéressés par le conflit ivoirien. Mais s'il est évident qu�une opposition réelle actuellement exprimée par voie de conflit armé interne existe entre ressortissants d�entités étatiques africaines, il n'en demeure pas moins vrai qu'en dehors des frontières nationales, nombres de conflits africains sont nourris et exacerbés, de sorte à en faire des conflits armés internes internationalisés5. L�analyse des conflits en Afrique de l�Ouest et encore dans la région des grands lacs,

1 AZAP, septembre 1996. 2 Discours de Mr. Pasteur Bizimungu, président de la république, prononcé à Cyangugu le jeudi 10 octobre 1996, p. 2. 3 Ibidem. 4 Ibid, p. 3. 5 Selon Judith Rueff "la guerre civile en Côte d'Ivoire s'imbrique dès le départ dans un puzzle régional compliqué. Mais il a fallu attendre la rupture du 19 septembre 2002 pour assister à l'implication directe, quoique discrète, de deux pays frontaliers : le Burkina Faso et le Liberia. Voir, J. Rueff, Côte d'Ivoire : le feu au pré carré, p. 38.

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permet de rendre compte de cette implication évidente des puissances extérieures dans les conflits qui auraient pu être circonscrits dans tous leurs éléments constitutifs aux limites du territoire étatique.

En fait, l�histoire des guerres en Afrique a toujours été émaillée d�une implication étrangère, qui contrariait le droit des peuples à disposer d�eux-mêmes.

C � LES CONFLITS AFRICAINS, EXPRESSION DU DROIT DES PEUPLES À DISPOSER D�EUX-MÊMES

La lutte menée par les peuples1 africains pendant la période coloniale trouve sa légitimité dans le droit des peuples à disposer d�eux-mêmes. Cette notion dont il convient de cerner le pourtour, en s�inscrivant dans la dynamique de libération de l�Afrique, pose le problème de la nature véritable des guerres de libération nationale, guerre civile ou guerre internationale ?

1) La notion du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes

Depuis le début du XXe siècle, l�indépendance s�est concrétisée dans l�affirmation du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes. Celui-ci revêt deux aspects ; d�une part il consacre la liberté d�une population constituée en État de s�organiser politiquement sans ingérence extérieure, d�autre part, il tend à reconnaître le droit d�une population sur un territoire donnée à l�autodétermination.

Constituant l�un des buts des Nations Unies2, ce droit des peuples à disposer d�eux-mêmes n�a pas la même portée ni la même valeur, selon qu�il apparaît sous l�une ou l�autre de ses manifestations3. Dans la pratique, les deux sont considérés ensemble ou séparément.

1 La pratique n�a apporté aucune définition juridique précise de la notion de « peuple ». Cette carence entretient l�incertitude sur la question de savoir si le droit international positif reconnaît le droit « d�un peuple » à choisir sa propre forme de gouvernement. En outre, Sans doute, aucun texte n�a rendu les peuples, titulaires de droits propres assortis de voies d�actions ; mais, certaines conventions, tels les pactes internationaux de 1966 ou la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, envisagent « le peuple comme le titulaire de droits collectifs dont la mise en �uvre est une condition préalable à la jouissance effective des droits de l�homme et des libertés fondamentales attribués à des sujets individuels », voir, F. RIGAUX, Le droit des peuples, in Mélanges Dehousse, Paris Bruxelles, 1979, T. 1, p. 94. 2 L�article 1 paragraphe 2 de la Charte énumère les buts des Nations Unies parmi lesquels : « développer entre les Nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l�égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d�eux-mêmes », ce principe apparaît aussi à l�article 55. 3 La déclaration sur l�inadmissibilité de l�intervention (rés. 2131/XX) et celle relative aux principes de droit international touchant les relations amicales (rés. 2625/XXV) tiennent compte des deux aspects :

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a) Le libre choix du régime politique

Dans sa première acception, le droit des peuples est traditionnellement admis par le droit international ; il se manifeste par l�adoption d�un statut constitutionnel déterminant les principes fondamentaux du régime et aménageant l�organisation des pouvoirs publics1.

Cette « libre disposition » des peuples est le droit visé en premier lieu par la charte. L�Assemblée générale a réaffirmé ce but de façon générale ou particulière. Les pactes internationaux relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels et aux droits civils et politiques le mentionnent2. En vertu de ce droit consacré par les premiers articles de ces textes, les peuples « déterminent librement leur statut politique, et assurent librement leur développement économique, social et culturel ». Cela implique naturellement le droit des peuples à avoir un gouvernement conforme à leurs aspirations nationales. Dans cette perspective, l�Assemblée générale propose un critère, celui de l�élection démocratique3.

Conçu comme la manifestation du droit des peuples, ce principe démocratique se trouve affirmé à certaines occasions ; il est le critère déterminant dans les résolutions sur l�Afrique du Sud et la Rhodésie pour lesquels l�Assemblée réclame un « gouvernement par la majorité fondé sur le suffrage universel »4.

La nécessité d�une consultation démocratique ne semble pas absolue dans la pratique des Nations Unies ; le droit des peuples à choisir leur propre forme de gouvernement peut être exercé par un mouvement politique. Pas plus qu�en Angola, l�Organisation mondiale n�a souhaité qu�au Mozambique, une consultation populaire eût lieu.

En revanche, à propos du Sahara occidental, l�assemblée générale des Nations Unies avait précisé dans sa résolution 3292 (XXIX) que le renvoi du référendum ne portait pas atteinte ni ne touchait au droit des populations du Sahara occidental.

« Tout État a le droit inaliénable de choisir son système politique� sans aucune forme d�ingérence de la part de n�importe quel État. Tout État doit respecter le droit des peuples et des nations à l�autodétermination�en dehors de toute pression extérieure� ». La littérature est abondante sur ce point : S. CALOGEROPOULOS-STRATIS, Le droit des peuples à disposer d�eux-mêmes, Bruxelles 1973. � J.F. GUILHAUDIS, même titre, Grenoble, 1976. � H.S. JOHNSON, self-determination within the Community of Nations, Leyden, 1967. � E. Mcwhinney, Non-intervention and self-determination, International Law Association, 56th Conference, New Delhi 1974, pp. 296 et ss. 1 L. CAVARE, Le droit international public positif, Paris, 1969, T. II, p. 623. 2 Ces pactes adoptés par l�Assemblée générale le 16 décembre 1966 sont entrés en vigueur en 1976. Textes in : Chr. M. O.N.U., vol. IV (1967), n° 2, p. 44. � Commentaire : J. MOURGEON, Les pactes internationaux relatifs aux droits de l�homme, A.F.D.I., 1967, p. 326. 3 Rés. A/1005 (ES II) 9 novembre 1956, texte in COLLIARD �MANIN T. II, p. 664. 4 Voir par exemple : Rés. A/2506 (XXIV) 21 novembre 1969 et A/2508 (XXIV).

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L�expression du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes s�exprime également dans leur droit à l�autodétermination.

b) Le droit à l�autodétermination

Dans sa seconde acception, le droit des peuples s�entend comme l�autodétermination d�une population vivant sur un territoire déterminé. Il s�est surtout illustré par le mouvement de décolonisation.

La pratique des Nations Unies est, en apparence, plus claire ; cette impression ne doit pas faire illusion, elle est due à l�existence d�une nette majorité anti-coloniale facilitant l�adoption de décisions par l�Organisation sur des situations concrètes1 ; en réalité, cette pratique exprime une idéologie génératrice de contradictions entre divers principes fondamentaux de l�Organisation et du droit international.

La légalité de la colonisation, « mission de civilisation », est reconnue par la Charte ; en effet, l�évolution des peuples non autonomes « vers la capacité à s�administrer eux-mêmes ou à l�indépendance » n�est reconnue par l�article 76 que pour le régime de tutelle2. En revanche, le chapitre XI, déclaration relative aux territoires non autonomes, ne prévoit pas l�accession à l�indépendance ; il se borne à énumérer les principes que les puissances administrantes s�engagent à respecter, notamment celui « de la primauté des intérêts des habitants »3. Les États acceptent comme « une mission sacrée » de favoriser « dans toute la mesure du possible », la prospérité des territoires intéressés et le développement de « leur capacité à d�administrer » eux-mêmes.

En matière de décolonisation, l�acte décisif est la résolution 1514 (XV) de l�Assemblée générale qui déclare que, « la sujétion des peuples à une subjugation étrangère, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l�homme, est contraire à la charte des Nations Unies »4.

De ce texte et d�autres résolutions5, sont déduits l�obligation de s�abstenir d�aider de façon quelconque un gouvernement colonial1, et le droit d�assister politiquement et

1 M. VIRALLY, l�Organisation mondiale, pp. 232 et ss., montre l�importance des États « anciens colonisés » et de ceux animé par un esprit anti-colonial dès l�origine de l�O.N.U. (44 sur 51 membres). Les nouveaux États n�ont fait que consolider cette puissance. 2 Voir M. VIRALLY, Droit international et décolonisation devant les Nations Unies, A.F.D.I., 1963, p. 513 et l�Organisation mondiale, chapitre 9, pp. 232 et ss. 3 Ibid, p. 515. 4 Déclaration sur l�octroi de l�indépendance aux pays et aux peuples colonisés, adoptée le 14 décembre 1960 par 89 voix et 9 abstentions. � Texte reproduit in : COLLIARD-MARIN, T. 1, vol. 1, p. 261. 5 A/rés./2105 (XX) ; 2131 (XX) ; 2621 (XXV) ; 2625 (XXV) ; 3163 (XXVIII) ; 34/44 du 29 novembre 1979.

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matériellement les peuples en lutte contre un régime colonial2. Toutefois, juridiquement, ces documents ne peuvent imposer aux États des obligations contraires aux droits qui leur ont été reconnus par la Charte, notamment dans son chapitre XI. Il faut donc recourir à d�autres arguments pour fonder le caractère obligatoire des principes énoncés par l�Assemblée dans les résolutions précitées. Deux types de raisonnement peuvent être développés.

Pour certains, la colonisation constitue une forme d�agression continue et la manifestation d�une politique d�intervention inaugurée au XIXe siècle. L�Organisation mondiale a assimilé à une menace pour la paix et la sécurité internationale, le refus de procéder à la décolonisation3. Cela justifierait alors le recours au chapitre VII de la Charte afin d�aider les mouvements de libération nationale contre la puissance coloniale. Mais ce raisonnement doit être écarté car la pratique n�est pas concluante et la référence à la légitime défense n�est pas ici pertinente.

Sans doute les organes des Nations Unies ont pu voir dans certaines situations coloniales une menace pour la paix ; toutefois, en pratique, cela n�a abouti qu�à des démonstrations orales et non des mesures collectives4.

Dans le cas des territoires portugais, le Conseil de sécurité s�est contenté de prier les États de s�abstenir d�apporter au Portugal toute assistance « lui permettant de poursuivre la répression contre les populations des territoires qu�il administre et notamment d�empêcher la vente d�armes et d�équipements militaires »5. Le Conseil n�a pas accueilli les demandes de l�Assemblée générale tendant à rendre obligatoire les mesures qu�elle avait recommandées contre le gouvernement portugais6.

En ce qui concerne la référence au droit de légitime défense dans la lutte contre le colonialisme, elle permettrait aux peuples dépendants de solliciter et de recevoir une assistance dans leur lutte ; même, elle justifierait l�emploi de la force contre une

1 A/res./2548 (XXIV) : dans la résolution 34/44 adoptée le 29 novembre 1979, l�Assemblée exprime sa satisfaction de l�aide matérielle et autre que les peuples assujettis à des régimes coloniaux et étrangers continuent de recevoir de gouvernements, d�organismes des Nations Unies ou d�autres organisations, elle demande que « cette aide soit augmentée au maximum ». 2 Voir : L.C. GREEN, De l�influence des nouveaux États sur le droit international, R.G.D.I.P., 1970, n° 1, p. 101. 3 Entre autres A/rés. /3163 (XXVIII). 4 On ne retient pas ici le cas de la Rhodésie pour lequel les mesures collectives ont été adoptées avec l�accord de la puissance administrante, le Royaume-Uni. 5 Résolution 180 du 31 juillet 1963 votée par huit voix contre zéro avec les abstentions des États-Unis, de la France, de la Grande Bretagne. R.N.U., 1963, n° 8-9, pp. 7-12. 6 A/rés./2107 (XX) du 21 décembre 1965, recommandation adressée aux institutions spécialisées leur demandant de refuser toute aide financière, économique, technique au Portugal.

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puissance coloniale ne reconnaissant pas aux peuples qu�elle administre, l�exercice de leur droit à disposer d�eux-mêmes1.

Selon un second raisonnement, les principes énoncés par l�Assemblée auraient acquis depuis 1960 une valeur obligatoire.

Le droit des peuples formulé par la Charte au titre d�un « principe général » et non comme un « droit », aurait fait l�objet d�une « interprétation authentique par les organes des Nations Unies, notamment aux termes de la résolution 2625 (XXV), lui donnant la force d�un principe fondamental du droit2.

Il est vrai que la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) s�est prononcée à deux reprises sur ce sujet. Après s�être reportée à la résolution 1514, la Cour a considéré que « dans ce domaine que dans d�autres, le corpus juris gentium s�est beaucoup enrichi »3 ; en vertu d�une interprétation évolutive4, la Cour a déclaré que « la mission sacrée de civilisation » à l�égard des « peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes », « avait pour objectif ultime » leur « autodétermination » et leur « indépendance »5 ; « l�évolution ultérieure du droit international à l�égard des territoires non autonomes, tel qu�il est consacré par la Charte de Nations Unies, a fait de l�autodétermination un principe applicable à tous ces territoires »6. Les principes proclamés à partir de la résolution 1514, feraient partie du droit international coutumier ; le texte a été très largement adopté, sans vote négatif ; ses dispositions ont été rappelées dans des documents ultérieurs ; une pratique abondante de l�Assemblée générale et du Conseil de sécurité peut être invoquée au titre d�élément matériel de la coutume5.

La question qui se pose est de savoir quelle signification de ce principe donnent les États africains membres de l�Organisation de l�Unité Africaine (O.U.A.) devenue depuis peu l�Union Africaine.

1 Débat de la 6è Commission sur le rapport du Comité spécial, 24è session de l�Assemblée, interventions des représentants du Cameroun (160è séance) de l�Inde et de Cuba (1162è séance). 2 H THIERRY, S. SUR, J.COMBACAU, CH. VALLEE, p. 460. 3 Rec. 1971, p. 31 4 B. BOLLECKER, op. cit, p. 290. 5 Rec. 1971, p. 31. 6 Ibid., et 1975 dans l�affaire du Sahara occidental, p. 31.

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2) Les États africains et la signification du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes

La signification du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes dans le contexte de l�Afrique s�inscrit essentiellement dans le cadre de la lutte pour la libération d�un territoire colonial ou dominé par un gouvernement « minoritaire ou raciste ». L�Organisation de l�unité africaine a été à l�avant garde du combat en faveur de la décolonisation et de la non-discrimination raciale.

La décolonisation est l�ensemble du processus devant conduire un peuple colonisé à l�indépendance. La Charte de l�Organisation panafricaine et les résolutions de la Conférence constitutive (tenue à Addis-Abeba en 1963) sont sans équivoque : « �Convaincus que c�est le droit de tous les peuples de contrôler leur propre destinée� » (préambule, alinéa 1er), les États membres s�engagent à « supprimer toutes les formes de colonialisme en Afrique » (article II, paragraphe d) et à se consacrer « à l�émancipation totale des territoires africains qui sont encore dépendants� » (article III, paragraphe 6).

Le colonialisme, tout comme les systèmes instaurés en Afrique du Sud et en Rhodésie, sont condamnés par les africains, en vertu du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes. Le droit des peuples est ainsi le support juridique du processus de décolonisation et de libération des peuples dominés par une minorité blanche, et donc leur droit de renverser ces « gouvernements minoritaires ». La Charte de l�O.U.A. constitue par ailleurs la base juridique de l�aide apportée aux luttes contre les gouvernements coloniaux de la Rhodésie et de l�Afrique du Sud.

Finalement, le droit des peuples à disposer d�eux-mêmes se limite à la libération du joug colonial et la prise du pouvoir par la majorité noire en Afrique du Sud et en Rhodésie. Il cesse d�être appliqué lorsqu�il s�agit d�un État africain indépendant. Une fois l�indépendance acquise, le droit des peuples est confondu à dessein avec la souveraineté1.

1 Assimilant la souveraineté à l�indépendance, l�arbitre Max Huber dans l�affaire de l�Île de Palmas affirme que « l�indépendance relativement à une partie du globe est le droit d�y exercer, à l�exclusion de tout autre État, les fonctions étatiques ». Voir Sentence arbitrale du 4 avril 1928 relative à l�établissement de la souveraineté territoriale sur l�Île de Palmas, R.S.A.N.U., tome II, p. 838. La Cour permanente confond aussi les termes d�indépendance et de souveraineté : Affaire des décrets de nationalité en Tunisie et au Maroc, Série B n° 4, avis du 7 février 1923.

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Mais pour en arriver à la pleine capacité juridique et politique, les peuples africains ont dû pour la plupart s�engager dans des confrontations armées contre la puissance colonisatrice, persuadés qu�ils étaient, de ce que la liberté s�arrache.

Les États africains ont de haute lutte accédé à la pleine souveraineté, pour certains, après de longues périodes d'affrontements armés contre la métropole. Le Sahara occidental reste aujourd'hui le dernier vestige africain de l'époque coloniale.

En Angola, depuis plusieurs années, l'Assemblée générale des Nations Unies condamne par voies résolutoires le colonialisme portugais. Elle lui enjoint d'accorder l'indépendance à ses territoires africains. Mais ces résolutions n'ont, à l'époque du moins aucun effet direct sur la politique portugaise.

En fait il paraissait peu probable que la seule action des organismes internationaux puisse contraindre le Portugal à décoloniser. Le droit à l�autodétermination devrait dès lors s�exprimer par un affrontement armé engagé par les mouvements de libération nationale. Mais le Portugal bénéficiait du soutien militaire de l'Afrique du Sud et de la Rhodésie. La lutte paraissait dès lors très difficile. Le Conseil de sécurité semblait impuissant1 face à la volonté répressive et l��uvre colonisatrice portugaise2. Il paraît évident que les organes des Nations Unies ont pu voir dans certaines situations coloniales une menace pour la paix. Toutefois en pratique, cela n'a abouti qu'à des démonstrations orales et non des mesures collectives3). En fait Le Conseil de Sécurité se refusait à toute mesure contraingnante à l�encontre du Portugal et a confirmé sa position en 1972 ; en particulier, les projets de résolution prévoyant un embargo sur les armes utilisées par le gouvernement portugais en Afrique n'ont pas été mis aux voix.

Les États occidentaux ont souligné que la situation ne relevait pas du chapitre VII et que seul le Portugal, souverain sur ces territoires, pouvait y mettre en �uvre

1 Résolution 180 du 31 juillet1963 votée par huit voix contre zézo avec les abstentions des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne. R.N.U., 1963, n° 8-9, pp. 7-12. Dans le même sens, résolutions de l�Assemblée : 1807 (XVII) du 14 décembre 1962 ; la résolution A/1819 (XVII) du 18 décembre priait le Conseil « de prendre les mesures appropriées y compris l�adoption des sanctions ». Le Conseil, saisi par les États africains qui invoquaient une résolution de la conférence des chefs d�État et de gouvernement tenue à Addis-Abeda en mai 1963, s�est montré plus modéré ; les États qui se sont abstenus dans le vote de la résolution CS 180 (1963) ont soutenu que l�Organisation ne pouvait, selon la charte, se substituter à la puissance administrante pour appréciser et conduiire l�évolution des territoires non autonomes. La résolution du Conseil de 1963 est reprise dans son esprit ou dans ses termes : � en 1965 quand le Conseil affirme que la situation résultant de la politique portugaise à l�égard des territoires qu�il administre « trouble sérieusement la paix et la sécurité internationales » (218, 1965) ; � en 1972 : S/rés./312 (1972). 2 A/rés./2107 (XX) du 21 décembre 1965, recommandation adressée aux institutions spécialisées leur demandant de refuser toute aide financière, économique, technique au Portugal. De même : A/rés./2184 (XXI) du 14 décembre 1966. La B.I.R.D. a répondu qu�elle ne pouvait prendre part à des sanctions économiques, les résolutions de l�Assemblées n�étant pa obligatoires. A.F.D.I., 1966, p. 286. 3 On ne retient pas ici le cas de la Rhodésie pour lequel les mesures collectives ont été adoptées avec l'accord de la puissance administrante, le Royaume-Uni.

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l'autodétermination1. Les mouvements de libération ont dû lutter pendant plusieurs années pour faire cesser la présence militaire portugaise dans ces régions. Mais leur action n'est pas sans relation avec la décision que prend le nouveau régime portugais de procéder à la décolonisation. En 1974, l'économie portugaise est minée par la guerre coloniale que le Portugal mène dans « des provinces d'Afrique ». Elle crée des charges financières considérables qui grèvent le budget de l'État. Cela mécontente une large partie de la population qui supporte de plus en plus mal les obligations militaires imposées aux jeunes.

Par ailleurs, la pratique de l'Assemblée générale est plus hasardeuse ; outre les résolutions des années soixante, l'Assemblée a pris plusieurs décisions intéressant les territoires portugais en 1973. A la suite de la proclamation de l'indépendance par les nationalistes de Guinée-Bissau, l'Assemblée s'est félicitée « de l'accession à l'indépendance du peuple de la Guinée-Bissau, qui a crée l'État souverain qu'est la république de Guinée Bissau »2. En conséquence, elle a estimé que les forces militaires portugaises occupaient illégalement certains secteurs de la nouvelle république dont la souveraineté et l'intégrité territoriale étaient ainsi violées, de même que l'article 2 paragraphe 4 de la Charte. En outre, l'Assemblée générale n'a reconnu les pouvoirs de la délégation portugaise aux Nations Unies en 1973, que dans la mesure où elle représentait ce pays dans les frontières européennes et non en tant que représentant des territoires de l'Angola, du Mozambique sous « domination portugaise » ou de la Guinée-Bissau devenue indépendante3. Déjà en 1972, le Conseil de sécurité avait reconnu le parti africain de l'indépendance de la Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert (P.A.I.G.C.) comme le « représentant légitime du peuple guinéen ».

Les condamnations de l'Afrique du Sud par l'Assemblée générale n'aboutissent pas à l'adoption de mesures coercitives tendant à mettre fin à « une situation menaçant la paix ». L'Assemblée et le Conseil ont déclaré illégale la présence des autorités sud-africaines en Namibie4 ; la Cour Internationale de Justice en a déduit pour les États membres des Nations Unies, une obligation de non reconnaissance et le devoir de s'abstenir de toute aide ou assistance à l'Afrique du Sud pour son maintien en

1 C.S. procès-verbal 1672-1677 (15-22 novembre 1972) et Ch. M. O.N.U., vol. IX, n° 11, décembre 1972. 2 A/Rés./3061 du 2 novembre 1973 adoptée par 93 voix contre 7 et 30 abstentions dont la France. 3 A/Rés./3181 (XXVIII) du 17 décembre 1973.S/Rés./322 (1972) du 22 novembre 1972. Sur l'ensemble de l'affaire, voir, Charles Rousseau, R.G.D.I.P., 1974, pp. 1166 et ss. L'affaire a trouvé sa solution avec le changement d'attitude du gouvernement portugais à la suite des événements d'avril 1974 au Portugal (4)A/Rés./2145 (XXI) du 27 octobre 1966 ; S/Rés./276 (1970) du 30 janvier 1970. 4 A/ rés./ 2145 (XXI) du 27 octobre 1966 ; S/rés./276 (1970) du 30 janvier 1970.

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Namibie1. Encore faut-il rappeler le caractère particulier du statut du territoire, puisqu'il s'agit d'un mandat, et les doutes émis sur la compétence des Nations Unies en la matière2. Surtout, le Conseil de sécurité a demandé l'organisation d'élections libres en Namibie et le retrait de l'Afrique du Sud de ce territoire3, il a invité les États à établir l'embargo sur les armes à destination de l'Afrique du Sud4 ; Il n'a pu, cependant, adopter de résolution invoquant le chapitre VII de la Charte ou prévoyant un embargo obligatoire sur les armes, en raison du veto des États occidentaux5. Ces derniers ont souligné le caractère non obligatoire des résolutions de l'Assemblée générale qui ne peut mettre fin au mandat de l'Afrique du Sud. Quant au Conseil de sécurité, ils ont rappelé qu'il ne peut constater en l'espèce l'existence d'une menace contre la paix aux termes de l'article 39, mais seulement l'existence d'un différend au sens de l'article 33 de la Charte6.

La pratique révèle donc que l'assimilation du maintien d'un régime colonial à une menace contre la paix justifiant le recours au chapitre VII, reflète les vues d'un groupe d'État et de certains organes des Nations Unies ; elle n'a pas été consacrée par le Conseil de sécurité.

Une forte exigence à l�autodétermination s�est manifestée de façon très nette et irréversible en Algérie. L'Algérie était un territoire français depuis 1830. A ce titre, la question algérienne reste au regard de la Charte des Nations Unies, une affaire essentiellement intérieure.

1 Conséquence juridique pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970 du Conseil de sécurité, avis du 21 juin 1971, rec., p. 58. Commentaire : B. Bollecker, A.F.D.I., 1971, p. 282 et ss. 2 Outre les opinions dissidentes des juges français et britannique, M. André Gros et Sir Gerald Fitzmaurice, la France et la grande Bretagne ont exprimé immédiatement puis de façon constante leurs réserves sur cet avis (abstentions lors du vote du Conseil sur l'avis de la Cour, S/Rés./301 (1971) du 20 octobre 1971). Ch. M. O.N.U., vol. VIII, n° 9, octobre 1971, p. 30-45 et n° 10, nov. 1971. 3 S/Rés./264 et 269 (1969) ; 366 (1974) ; 385 (1976). 4 S/Rés./282 (1970) réaffirmée par le Conseil réuni à Addis-Abeba le 4 février 1972. 5 A l'automne 1976, le projet de résolution présenté par le Bénin et d'autres États (S/12211) s'est heurté au triple veto des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne (abstention de l'Italie et du Japon). Ce texte se référait aux mesures indiquées ci-dessus et reprenait le programme d'action accompagnant la déclaration de Dakar sur la Namibie. Voir Ch. M. O.N.U., vol. XIII, n° 2, février 1976, pp. 31-32. Même épisode en 1975 où fut rejeté un projet de résolution affirmant l'existence d'une menace à la paix et prévoyant une action du Conseil sur la base du chapitre VII et un embargo obligatoire. Ch. M. O.N.U., vol. XII, n° 7, juillet 1975, pp. 5-18. De nouveau en 1979, l'assemblée a demandé au Conseil de sécurité d'imposer des sanctions globales et obligatoires contre l'Afrique du Sud, en application du chapitre VII, pour la contraindre à se conformer aux résolutions relatives à la Namibie. A/Rés./34/92 G du 12 décembre 1979. 6 Voir, lettre du gouvernement britannique au secrétaire général, 4 décembre 1974, A/9918. Les explications de M. Guiringaud au Conseil de sécurité en1975, Ch. M. O.N.U. précité et celles des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Explications du ministre français des affaires étrangères à l'Assemblée nationale en réponse à des questions écrites, J.O., A.N., 17 décembre 1977, p. 8933, 27 juin 1978, p. 3504.

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En effet, l�O.N.U. ne peut intervenir en matière coloniale que dans deux cas : dans le cadre de la tutelle (chapitres XII et XIII) et dans le cadre du chapitre VII, c�est-à-dire en cas de rupture de la paix.

Aucun de ces chefs d�intervention n�est applicable ici : l�Algérie n�est pas un territoire sous tutelle ; il n� y a pas rupture de la paix en Algérie. Mais étant donné les règles de vote au sein de l�Assemblée générale et la composition de cet organisme, il n�est pas étonnant qu�une position juridique, si solidement étayée qu�elle soit, ait pu être renversée par une attitude fondée moins sur le droit que sur des arguments d�ordre politique1. La mobilisation de la majorité anticolonialiste a mis les Nations Unies dans une autre prédisposition d�esprit au regard de la situation algérienne.

La France fidèle à sa position, refuse d�admettre ce qu�elle considère toujours comme une ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures.

Mais dans un projet de résolution proposé au vote, l�Assemblée :

« 1. Reconnaît le droit du peuple algérien à l�autodétermination ;

2. Demande instamment que des pourparlers aient lieu en vue d�aboutir à une solution pacifique sur la base du droit à l�autodétermination, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies ».

Il est ainsi fait échec à la position juridique de la France sur l�affaire algérienne. La France qui s�estime fondée au regard du droit international (la question algérienne relève de son domaine réservé), adopte une position de fermeté inadmissible pour le peuple algérien.

Pour obtenir sur le plan international un statut qui conduise à la naissance de l�Algérie indépendante, le Front de Libération Nationale (F.L.N.), en même temps qu�il poursuit ses efforts sur le plan diplomatique, va essayer de faire reconnaître un caractère international à son activité militaire ; c�est surtout par son armée de libération nationale que le F.L.N. se manifeste effectivement.

Le peuple algérien déterminé à prendre sa destinée en main et donc, jouir pleinement de son droit à l�autodétermination, va se donner les moyens d�engager des affrontements contre l'armée coloniale française. Cette longue période conflictuelle

1 Cf. M. FLORY, La politique coloniale des Nations Unies, Revue de l�Action populaire, juin 1957, p. 679.

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commence en 1945 par les émeutes de Sétif et de Guelma. Le 8 mai 1945, l'armée française répond par une répression sanglante notamment dans ces deux localités.

Ce que l'on a même appelé les massacres de Sétif et de Guelma, crée un traumatisme qui devait radicaliser le mouvement national et alimenter le désir d'indépendance des algériens. Le premier novembre 1954, l'insurrection éclate. La présence des troupes françaises en Algérie est désormais assimilée à une occupation militaire illégale.

Tous les algériens qui veulent conquérir l'indépendance par les armes, vont se retrouver dans le Front de Libération nationale (F.L.N.) qui en Algérie et aussi depuis Tunis et le Caire va diriger l'armée de libération nationale, aux prises sur le terrain avec l'armée française. Constamment interpellées sur le conflit algérien par les Nations Unies, les autorités françaises répliquent que l'Organisation mondiale n'a pas compétence pour connaître de cette question. Ainsi invoquent-elles l'article 2 paragraphe 7, c�est-à-dire l'exception du domaine réservé à la compétence nationale de l'État. Par conséquent, la France refuse d'admettre ce qu'elle considère comme une ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures1. C'est d'ailleurs à ce titre que de 1954 à 1958, le gouvernement français avait considéré l'action de ses troupes en Algérie comme une opération de maintien de l'ordre.

Les faits constitutifs des événements d'Algérie et leurs auteurs tombaient alors sous le coup de la loi pénale française. Mais l'armée de libération nationale est suffisamment organisée et puissante pour tenir en échec les efforts de pacification de l'armée française forte de plus de cinq cents mille hommes. En fait les autorités françaises continuent tout simplement à se méprendre sur leur capacité à maîtriser l'évolution. Sans doute n'ont-ils pas compris l'authenticité des poussées nationalistes dans les colonies2. Face à cette détermination du peuple algérien, De gaulle reconnaît au cours d'une allocution prononcée le 16 septembre 1959, le droit à l'autodétermination des algériens par voie de référendum qui voit un large succès du « oui » le 8 janvier 1961 aussi bien en France qu'en Algérie. En juin 1962, les troupes françaises se retirent d'Algérie même si leur présence est encore signalée à Mers El-Kébir et au Sahara.

1 Le gouvernement français de 1954 à 1958 avait considéré l'action de ses troupes en Algérie comme une opération de maintien de l'ordre. Le professeur Charles Rousseau est clair à ce propos « il n'appartient à l'État intéressé d'accorder ou de refuser à une fraction de la population le droit de déterminer son propre sort politique par la voie d'un plébiscite ou autrement ». Voir Ch. Rousseau, Droit international public, Sirey, 1953, Paris, pp. 81-82. 2 Le général De Gaulle, dans son discours de Brazzaville, le 30 janvier 1944, n'annonce aucune politique d'émancipation, d'autonomie (même interne). « Cette incompréhension se manifeste au grand jour avec l'ordonnance du 7 mars 1944 qui, reprenant le projet Blum-Violette (avorté) de 1936, accorde la citoyenneté française à 65 000 personnes environ et porte à deux cinquièmes la proportion des algériens dans les assemblées locales », écrit Pierre Mendès France à André Nouschi. Voir A. Nouschi, Notes de lecture sur la guerre d'Algérie, dans relations internationales, n° 114, 2003.

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Mais si la quasi totalité des États africains ont dans les années soixante à soixante-dix accédé à la pleine souveraineté, demeure aujourd'hui le problème du Sahara occidental. Ce dossier constitue jusqu'à ce jour un point de discorde entre le Maroc, puissance colonisatrice et l'organisation panafricaine (O.U.A./U.A.).

3) La question du Sahara occidental

Pour situer historiquement le conflit du Sahara occidental, il convient de souligner que ce territoire de 260 000 km², fut placé sous occupation espagnole de 1904 à 1975.

Après la seconde guerre mondiale, la montée des sentiments nationalistes déstabilisa les puissances coloniales européennes. Finalement, les Nations Unies firent droit aux revendications d�autodétermination qui se multipliaient notamment en Afrique, en adoptant une série de mesures.

Les Nations Unies et l�Organisation de l�unité africaine, dès 1966, invitent l�Espagne à organiser au plutôt, un referendum d�auto détermination au Sahara, sous les auspices des Nations Unies et après consultation du Maroc, de la Mauritanie et de toute autre partie intéressée. Madrid se contente d�octroyer au territoire un statut d�autonomie, impliquant le maintien de la présence espagnole, avec la collaboration des organismes indigènes institués pour faire fonctionner le système : La Jemmaa d�el Aïoun. Le 21 août 1974, plus d�un an après la demande de cette assemblée, l�Espagne rend compte au secrétaire général des Nations Unies de son intention d�organiser un referendum d�auto détermination afin de permettre aux sahraouis de définir librement l�avenir de leur pays.

Le Maroc qui au cours de la dernière décennie, à plusieurs reprises, avait laissé entendre son intérêt pour la région, dénie en août 1974, toute valeur au referendum annoncé, s�il doit conduire à l�indépendance du territoire.

Il soutient la primauté du principe d'unité territorial sur le droit à l'autodétermination1. La Mauritanie fera plus tard, connaître ses revendications sur la région. A part le F.L.U. prônant le rattachement au Maroc et dont l�influence est limitée, les autres mouvements (front polisario, P.U.N., Morehob) sont partisans de l�indépendance.

Après l�épisode de la C.I.J., de la Marche verte organisée par le roi du Maroc, c�est l�accord tripartite du 14 novembre 1975 entre l�Espagne, le Maroc et la Mauritanie qui

1 A.F.D.I., 1975, p. 571.

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consacre le partage de la région entre les deux pays. Comment qualifier le conflit qui oppose les sahraouis au Maroc et à la Mauritanie ? Il y a deux interprétations possibles de cette seconde phase de l�affaire du Sahara occidental. Si l�on est favorable à l�idée selon laquelle le territoire dépendait du Maroc et de la Mauritanie avant la colonisation ; les sahraouis se trouvent engagés dans une guerre de sécession (plus exactement deux), donc interne, dirigée à la fois contre la Mauritanie et le Maroc. Dans cette hypothèse, les sahraouis sont des rebelles dont le but est de construire un État indépendant, par la réunion d�une partie du Maroc et de la Mauritanie (provinces) ; ces derniers étant les gouvernements légaux décidés à défendre l�intégrité de leurs territoires respectifs.

Si l�on estime, par contre, que ce territoire était sans maître ou sans lien avec les deux États intéressés, avant la colonisation, l�occupation du Sahara occidental par ces deux États, à la suite d�un partage opéré sans l�assentiment des populations est illégale.

Le processus de décolonisation n�a pas été mené à son terme par l�Espagne qui a cédé une colonie à d�autres États et n�a pas permis comme l�exige la résolution 1514 de l�assemblée générale des Nations Unies, au droit à l�auto détermination de s�exprimer. Le Maroc et la Mauritanie, par le traité (accord tripartite du 14 novembre 1975) ont succédé à l�Espagne ; Il y a occupation d�un territoire qui n�est pas un État mais qui avait vocation à le devenir.

Les sahraouis se trouvent engagés dans une nouvelle guerre de décolonisation (qualifié d'international par les instances internationales O.N.U. O.U.A.) qui se poursuit jusqu�à ce jour. Ce problème sahraoui constitue d�ailleurs le point de discorde entre d�une part le Maroc et l�Algérie et d�autre part entre le Maroc et l�Organisation de l�Unité Africaine (devenue aujourd�hui l�Union Africaine) et qui a entraîné le retrait du Maroc de l�institution panafricaine.

En effet la lutte contre la colonisation et l�accession de tous les États africains à l�indépendance reste à l�origine, l�un des objectifs de l�Organisation panafricaine, qui ne saurait admettre une colonisation afro-africaine sans trahir ce qui fonde son action. Ainsi s�explique toute l�attention particulière de l�O.U.A. à l�égard des mouvements de libération nationale dont le combat est jugé légitime. Les bases juridiques de l�aide apportée aux luttes menées en Afrique, notamment, contre la Rhodésie et l�Afrique du Sud, sont la charte de l�O.U.A. (art. III, paragraphe 6), et une convention conclue sous l�égide des Nations Unies sur l�élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il y a un grand nombre de résolutions de l�assemblée générale sur ce point dont la résolution, 2017/XX du 1er novembre 1965. La résolution 2105 (XX) du

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20 décembre 1965 « invite tous les États à apporter une aide matérielle et morale aux mouvements de libération nationale (MLN) dans les territoires coloniaux »1.

Dans l�affaire du Sahara occidental, le droit à l�autodétermination du peuple sahraoui a fait l�objet d�une consécration sans ambages.

Mais de nombreux obstacles jalonnent la mise en �uvre de ce droit.

a) L�affirmation du droit à l�autodétermination pour le peuple sahraoui

Diverses sources consacrent le droit du peuple sahraoui à l�autodétermination.

La résolution 2591 (XXIV) des Nations Unies adoptée en Assemblée générale le 16 décembre 1969 « � réaffirme le droit inaliénable du peuple du Sahara dit espagnol à l�autodétermination, conformément à la résolution 1514 (XV) de l�Assemblée générale� ». D�autres résolutions abordent dans le même sens2.

Le 19 avril 1991, le Secrétaire général des Nations Unies a présenté un rapport sur la situation au Sahara occidental.

Les recommandations incluses dans ce document ont pour but de permettre à la population du Sahara occidental d�exercer son droit à l'autodétermination, conformément à la résolution 1514 de l�Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 19603.

Dans ce sens, la position constante de l�Algérie sur la question se trouve légitimée par l�Assemblée générale des Nations Unies qui rappelons-le, considère que la question sahraouie est une question de décolonisation.

Ainsi, l�Algérie a toujours considéré que la question sarahouie relevait du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes.

1 Résolution 2105 (XX) du 20 Décembre 1965 sur l'application de la déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. 2 Voir notamment les résolutions suivantes : rés. 2229 (XXI) du 20.12.1966, rés. 2354 (XXII) du 19.12.1967, rés. 2428 (XXIII) du 18.12.1968, rés. 2711 (XXV) du 14.12.1970, rés. 2983 (XXVII) du 14.12.1972, rés. 3162 (XXVIII) du 24.12.1973. 3 La résolution 1514 (XV) déclare que « la sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l�homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales », et que « des mesures immédiates seront prises (�) pour transférer tous pouvoirs aux peuples des territoires sous tutelle et territoires non autonomes, sans aucune condition (�) afin de leur permettre de jouir d�une indépendance et d�une liberté complètes ». Toujours en 1960, l�Assemblée à adopté la résolution1541 (XV) par laquelle elle définit les critères à partir desquels on peut juger qu�un territoire non autonome a atteint la pleine autonomie, à savoir quand il est devenu un État indépendant et souverain, quand il s�est librement associé à un État indépendant, ou quand il s�est intégré à un État indépendant.

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L�Algérie a précisé sa pensée en déclarant que le principe fondamental régissant la décolonisation, consacré par les articles 1 et 55 de la Charte des Nations Unies, ainsi que la résolution 1514 (XV) de l�Assemblée générale, est celui des peuples à disposer d�eux-mêmes.

Il s�agit pour l�Algérie d�un principe applicable et dont le respect lui commande de prendre fait et cause pour le peuple sarhahoui notamment dans les instances internationales1. Ainsi, le siège de la République Arabe Sahraouie Démocratique (R.A.S.D.), le groupement de chars légers du Front Polisario et près de 165 000 réfugiés sahraouis2 sont basés dans les environs de Tindouf, en territoire algérien.

Le soutien algérien au peuple sahraoui est d�autant plus légitime que le 13 décembre 1974, l�Assemblée générale des Nations Unies avait demandé à la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) de rendre un avis consultatif sur la question de savoir si le Sahara occidental était ou non, à l�époque de la colonisation par l�Espagne, une terra nullius (territoire sans maître) et, dans la négative, quels étaient les liens juridiques entre ce territoire et le Royaume du Maroc d�une part, et la Mauritanie d�autre part.

L�avis de la Cour délivré le 16 octobre 1975, n�établit « l�existence d�aucun lien de souveraineté territoriale » entre le Sahara occidental et ces deux nations. (�) la Cour conclut qu�elle n�a « pas constaté l�existence de liens juridiques de nature à modifier l�application de la résolution 1514 (XV) de l�Assemblée générale des Nations Unies quant à la décolonisation du Sahara occidental et en particulier l�application du principe d�autodétermination� ».

Il est vrai que l�avis consultatif de la Cour Internationale de Justice n�a aucune force obligatoire et que ses conclusions n�ont aucun caractère contraignant. Toutefois, cet avis a une véritable force morale, incitative, conférée par l�autorité, la compétence et l�impartialité de la cour. L�opinion de la cour sur le problème de droit posé dans le cas sahraoui peut non seulement servir d'éclairage mais surtout influencer positivement les protagonistes. Ils pourront être dans de meilleures prédispositions pour la recherche des voies de règlement de ce conflit.

1 STEPHEN ZUNES, Algeria, the Magrheb Union and the Western Sahara stalemate, Arab Studies Quarterly, vol. 17, n° 3, été 1995. 2 A noter que ces chiffres officiels donnés par le Haut Commissariat pour les Réfugiés n�ont pas varié depuis plusieurs années et ne sont pas basés sur un recensement sérieux, mais uniquement sur des estimations.

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Malgré le soutien apporté par la Cour au principe d�autodétermination, le Roi Hassan II du Maroc organisa la « Marche Verte » au cours de laquelle environ 350 000 citoyens marocains entrèrent au Sahara occidental. Au même moment, le gouvernement marocain commença à déployer ses troupes sur le territoire sahraoui.

Le Conseil de sécurité et l�Assemblée générale des Nations Unies adoptèrent des résolutions1 condamnant la Marche Verte et appelant tous les participants à cette marche à se retirer du territoire.

En tout état de cause, malgré les tentatives du Maroc de faire reconnaître ce conflit comme une question de sécession2, il s'agit bien d'une question de décolonisation. Le Sahara occidental n'ayant jamais été un territoire sous souveraineté du Maroc, il nous paraît impossible de parler de sécession. Le Sahara occidental était une colonie espagnole, et en tant que telle sujette au droit élaboré dans les années 1960 aussi bien par les Nations Unies que par l'Organisation de l'unité africaine (O.U.A.) à propos de la décolonisation3. Ce territoire est donc le dernier vestige africain de l'époque coloniale. Il est recensé parmi les dix sept territoires non autonomes (T.N.A.) dont la liste est établie par les Nations Unies (liste consultable sur le site de l'O.N.U.). Le peuple d'un T.N.A. a le droit à l'autodétermination. Ce droit, qui n'a toujours pas été accordé au peuple4 sahraoui, est inaliénable et peut être considéré comme une norme de jus cogens (norme impérative) en droit international5, ou à tout le moins comme une norme coutumière, « un des principes essentiels du droit international contemporain (�) opposable erga omnes »6. Toute mesure qui viserait à empêcher l'exercice de ce droit est donc contraire au droit international.

Mais la question qui se pose est de savoir comment le droit du peuple sahraoui à l�autodétermination consacré peut être mis en �uvre.

1 Conseil de sécurité : Résolution 380 (1975), Assemblée générale : Résolution 3458 (XXX). 2 Cour internationale de Justice (CIJ), Sahara occidental, avis consultatif du 16 Octobre 1975. Résumé disponible sur le site Internet de la CIJ : http ://www.icj-cij.org/cijwww/csummaries/csasommaire751016.htm 3 Cour internationale de Justice, affaire relative au Timor oriental (Portugal c/Australie), arrêt du 30 Juin 1995, paragraphe 29, disponible sur le site de la CIJ, op. cit. 4 Résolution 1514 (XV) du 14 Décembre 1960 (déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux) et résolution 1541 (XV) du 15 Décembre 1960. Documents disponibles sur le site Internet de l'O.N.U., op. cit. 5 Cela a été reconnu par la commission du droit international des Nations Unies, Cf. Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit international public, LGDJ, 6è édition, 1999, Paris, p. 515, voir également le traité constitutif de l'O.U.A. 6 Cour internationale de Justice, affaire relative au Timor oriental (Portugal c/Australie), arrêt du 30 Juin.

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b) La mise en �uvre du droit du peuple Sahraoui à l�autodétermination

La consécration du droit à l�autodétermination pour le peuple sahraoui induit nécessairement la mise en �uvre de ce droit. Mais pour y parvenir, les Nations Unies, l�organisation panafricaine (O.U.A.) et les deux protagonistes (le Maroc et le Front Polisario) sont en principe d�accord pour dire qu�il faut mettre en place un plan de paix qui consiste en la signature d�un cessez le feu, de l�organisation du référendum sous le contrôle d�une mission onusienne.

! Au début de l�année 1979, l�Organisation de l�unité africaine (O.U.A.) avait cherché une solution au conflit du Sahara occidental en appelant à un cessez-le-feu et à l�organisation d�un référendum d�autodétermination. En septembre 1988, après l�adoption d�une série de résolution concernant le conflit et grâce aux efforts conjugués de l�O.N.U. et de l�O.U.A., le Maroc et le Polisario avaient fini par accepter un « plan de paix »1. Le dispositif de règlement du conflit comprenait effectivement un cessez-le-feu, l�organisation et la mise en place d�un référendum, le rapatriement des réfugiés et l�échange des prisonniers de guerre.

Dans cette dynamique de paix, le Secrétaire général des Nations Unies avait présenté le 19 avril 1991, son rapport sur la situation au Sahara occidental. Le chapitre IV de ce document prévoyait la mise en place d�une phase de transition de vingt semaines, au cours de laquelle la Mission des Nations Unies pour l�organisation d�un référendum au Sahara occidental (MINURSO) devait surveiller l�application du cessez-le-feu, procéder à l�identification des votants et organiser le référendum d�autodétermination.

Le 6 septembre 1991, le cessez-le-feu entre effectivement en vigueur et la MINURSO, dont la création a été approuvée par le Conseil de sécurité le 29 avril 1991 (Résolution 690), se déploie au Sahara occidental.

Le droit des peuples à disposer d�eux-mêmes ne comporte pas qu�un volet politique mais également social et économique2. L�alinéa 2 de l�article 1er commun au pacte international des droits économiques, sociaux et culturels et au pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 dispose notamment à cet égard que : « pour atteindre leur fin (c�est-à-dire leur libre détermination), tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles ». Cette

1 Rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur la situation concernant le Sahara occidental, Doc.off.AG NU S/21360 (1990). 2 Voir l�article 1er commun au pacte international des droits économiques, sociaux et culturels et au pacte international sur les droits civils et politiques de 1966.

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disposition fait directement référence à l�un des principaux corollaires du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes, et qui est celui de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles.

Dans la résolution 1314 (XIII) du 12 décembre 1958 de l�Assemblée générale des Nations Unies, il est expressément stipulé que le droit des peuples et des Nations à disposer d�eux-mêmes comprend un droit de souveraineté permanente sur leurs richesses et leurs ressources naturelles. Tous ces instruments confirment la propriété et un droit permanent du peuple sahraoui sur ses richesses et ses ressources naturelles.

Le plan de règlement du conflit du Sahara occidental, devait nécessairement intégrer toutes les données politiques, économiques et sociales qu�exprime le principe de l�autodétermination. Mais force a été de constater les nombreux obstacles à la mise en �uvre du droit des sahraouis à l�autodétermination.

c) Les obstacles à la mise en �uvre du droit des sahraouis à l�autodétermination

Le plan de paix, tel qu�il a été prévu, en vue de permettre le peuple sahraoui de choisir son propre destin a connu de nombreux blocages. Ainsi, de réelles difficultés ont rendu l�organisation d�un référendum d�autodétermination quasiment improbable.

En effet l�organisation d�un référendum suppose un recensement de la population du territoire à soumettre au vote référendaire et la détermination exacte du nombre de votants. Cependant, il apparaît qu�un peu plus de 350 000 marocains sont entrés en territoire sahraoui lors de la « Marche verte » organisée par le Roi du Maroc. Les exemples les plus visibles des tentatives marocaines de peupler la région avec ses partisans seraient les « camps de toile » créés près des principales villes du Sahara occidental en septembre et en octobre 1991. Le but recherché serait d�augmenter les votes marocains lors du référendum. On peut donc penser que le blocage du processus référendaire est le fait de ceux qui craignent l�aboutissement de la consultation référendaire et qui cherchent à en prédéterminer le résultat en manipulant les modalités d�organisation et les critères d�identification des votants.

Outre les difficultés inhérentes au processus d�identification, nous avons également constaté la violation de la souveraineté permanente du peuple sahraoui sur ses ressources naturelles.

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En effet, dans sa résolution 1314 (XIII) du 12 décembre 1958, de l�Assemblée générale, il est dit expressément que le droit des peuples et des nations à disposer d�eux-mêmes comprend un droit de souveraineté permanente sur leurs richesses et leurs ressources naturelles. La résolution 1803 (XVII) du 14 décembre 1962 de cette même Assemblée, présente la souveraineté sur les ressources naturelles comme un « élément fondamental » du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes. En outre, les pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits de l�homme se réfèrent aux peuples et non aux États lorsqu�ils évoquent la souveraineté sur les ressources naturelles. A ce titre, il convient de faire remarquer que l'exploitation des ressources d'un territoire dont le peuple est empêché d'exercer son droit à l'autodétermination est strictement interdite1. La résolution de l'assemblée générale de 1991 réaffirme que : « toute puissance administrante ou occupante qui prive les peuples coloniaux de l'exercice de leurs droit légitimes sur leurs ressources naturelles ou subordonne les droits et intérêts de ces peuples à des intérêts économiques et financiers viole les obligations solennelles qui lui incombe en vertu de la Charte des Nations Unies2.

Dans son cours de l'Académie de droit international de la Haye, au paragraphe traitant de « l'assise territoriale des droits de souveraineté », Le professeur Bennouna confirme la valeur coutumière3 de la déclaration de l'assemblée générale des Nations Unies concernant la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, qui dispose entre autres que : « le droit de souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles doit s'exercer dans l'intérêt du développement national et du bien-être de la population de l'État intéressé� La violation des droits souverains des peuples et des Nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles va à l'encontre de l'esprit et des principes de la Charte des Nations Unies et gêne le développement de la coopération internationale et le maintien de la paix� ».

Or, le peuple sahraoui se voit systématiquement dépossédé de sa souveraineté sur ses ressources naturelles.

En effet, les accords de pêche conclus entre le Maroc et l'Union européenne sont de nature à brader les richesses halieutiques sahraouies en toute illégalité. Ces accords

1 Résolution 46/64 du 11 Décembre 1991 sur les activités des intérêts étrangers, économiques et autres, qui font obstacle à l'application de la déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux dans les territoires se trouvant sous domination coloniale, et aux efforts tendant à éliminer le colonialisme (�). 2 Voir communiqué de presse du 26 Mars 2001, sur le site Internet de la commission européenne : http ://europa.eu.int/comm/fisherie/news-corner/press/info1-19-fr.htm 3 Bennouna Mohamed, Le droit international relatif aux matières premières, Recueil des cours, tome 177, 1982-IV, p. 129.

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n'ont pas été renouvelés en 2001. Mais l'exploitation illégale des richesses risque de s'élargir au pétrole offshore du Sahara occidental. Des contrats de reconnaissance ont été signés en 2001 entre le Maroc et deux compagnies pétrolières : Kerr-McGee1 et Total FinaElf2, qui se partagent les eaux sahraouies, afin d'y prospecter les zones pétrolifères. Le gouvernement marocain disposerait donc des richesses du territoire du Sahara occidental, sans en référer au peuple sahraoui. Un groupe de travail a été créé à l'O.N.U. pour étudier spécifiquement la légalité de ces contrats. Le secrétaire général adjoint aux affaires juridiques, Hans Corell, tout en ne considérant pas ces contrats illégaux dans la mesure où ils ne visent que la reconnaissance, a rappelé qu�une extension de ces contrats à l'exploitation des ressources serait illégale dans la mesure où ils ne respecteraient pas les principes mentionnés ci-dessus. Il rappelle également que « l'accord de Madrid ne prévoyait pas de transfert de souveraineté sur le territoire ni ne conférait à aucun des signataires le statut de puissance administrante » et que « le transfert des pouvoirs administratifs au Maroc et à la Mauritanie en 1975 n'a pas eu d'incidence sur le statut du Sahara occidental en tant que territoire non autonome »3.

La situation des droits de l�homme ne semble guère meilleure. La député européenne Margot Kessler fait remarquer que « vivre sous occupation marocaine signifie vivre avec la crainte des arrestations arbitraires, de la torture, de la détention sans procès, des procès injustes, des disparitions, et des exécutions sommaires, sans mentionner les discriminations sur les lieux de travail »4. Le « black-out » total imposé sur le Sahara occidental et sur les violations des droits de l'homme qui s'y dérouleraient semblent faire partie de la stratégie marocaine de maintien de ce territoire dans les limites de sa compétence territoriale5.

La situation du Sahara occidental reflète bien l'inquiétante agonie du droit international face à la realpolitik, ou comment les États, tout au moins ceux qui en ont la capacité, font passer leurs intérêts (principalement économiques) largement au-dessus du respect du droit international ou même généralement des principes élémentaires de justice. Par exemple, la vente d'armes au Maroc, destinées à contribuer à l'effort de

1 Voir communiqué de presse du 4 Octobre 2001 sur le site Internet de Kerr McGee Corporation : http ://ww.keer-mcgee.com/news2001/100401.htm 2 Communiqué de presse, 19.10.2001, voir, www.totalfinaelf.com/ho/fr/library/press/2001/011019.htm 3 Lettre datée du 29 Janvier 2002, adressée au président du Conseil de sécurité par le secrétaire général adjoint aux affaires juridiques, Conseiller juridique, S/2002/161, 12 Février 2002, paragraphe 6. 4 KESSLER MARGOT, Pourquoi les droits de l'homme sont indissociables du droit international, institut des droits de l'homme de l'université de Postsdam, Octobre 2001, voir www.arso.org/postdamf.htm 5 Voir notamment, un journaliste arrêté et maltraité au Sahara occidental, communiqué de presse de reporters sans frontière, 23 novembre 2001, www.rsf.fr/rsf/html

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guerre au Sahara, par le Royaume-Uni au début 2001, est une violation flagrante du droit international et africain1.

Dans un entretien accordé au quotidien Le Figaro en septembre 2001, Mohammed VI déclarait : « J�ai réglé la question du Sahara qui nous empoisonnait depuis vingt-cinq ans »2.

Il semble plutôt que l�on soit encore loin de cela. La multiplicité des intérêts en jeu, tant au niveau interne qu�au niveau régional et international, plaide pour l�adoption d�une solution qui prenne en compte les aspirations des sahraouis et favorise le règlement des différends entre le Maroc et l�Algérie.

Mais si la lutte des mouvements de libération nationale est légitimée par de nombreux textes et reconnue par les institutions internationales, en revanche, les choses se compliquent lorsqu'il s'agit de déterminer la nature juridique exacte des guerres de libération nationale.

4) Les guerres de libération nationale, guerre civile ou guerre internationale

Si une première position consiste à maintenir les guerres de libération nationale dans la catégorie des guerres civiles, la mouvance anti-colonialiste en revanche, voit dans ces conflits, des guerres internationales. L�analyse de cette question est manifestement liée au problème de la représentativité des mouvements de libération nationale.

a) La guerre de libération nationale : une guerre civile

Avant l�adoption des quatre conventions de Genève du 12 août 1949, le droit international de la guerre ne différenciait pas les acteurs du conflit colonial de ceux des autres types de guerres civiles. Les conflits coloniaux étaient assimilés à des conflits internes avec toutes les conséquences que cela comporte. Lors de la conférence diplomatique de 1949, les débats des représentants des États, ont permis de conclure que pour les auteurs des dites conventions, les acteurs des conflits coloniaux n�avaient

1 Pour plus de détail, voir le site Internet « War on Want » http:/www.waronwant.org/sahara/index.htm et voir le critère n°4 du code de conduite en matière d�exportations d�armes, Conseil de l�Union européenne, 8 juin 1998 : http:/projects.sipri.se/expcon/eucode.htm. 2 Le Figaro, 4 septembre 2001, pp. 2-3.

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pas droit à un traitement plus favorable que ceux des autres catégories de guerres civiles auxquels ils sont assimilés.

M. Abi Saab dans un article consacré aux guerres de libération nationale et aux lois de la guerre1, rappelle le projet de convention pour la protection des victimes de guerre, préparé par le Comité International de la Croix Rouge (C.I.C.R.) et soumis à la XVIIè conférence de la Croix Rouge à Stockholm et plus spécialement, le paragraphe 4 de l�article 2 qui était ainsi rédigé : « Dans tous les cas de conflits armés qui ne présentent pas un caractère international, spécialement les cas de guerre civile, de conflits inter étatiques ou de guerre de religion, qui peuvent surgir sur le territoire d�une ou de plus d�une haute partie contractante, l�application des lois de la présente convention sera obligatoire pour chacun des adversaires� ». Dans ce projet les conflits coloniaux sont considérés comme non internationaux. De plus, de la même façon que pour les conflits internationaux, les quatre conventions devront s�appliquer intégralement à toutes les catégories de guerre civile. Pour les auteurs des conventions de Genève, le conflit colonial est un exemple parmi d�autres de conflits non internationaux. Par conséquent, les acteurs du conflit colonial bénéficient d�un minimum de règles applicables (contenues dans l�article 3 commun) indépendamment de la légitimité du gouvernement établi (contrairement au système de la reconnaissance de belligérance) ; il suffit en théorie que l�on soit en présence d�une guerre civile pour faire jouer l�article 3.

A propos de la guerre d'Algérie, le professeur Delbez écrit qu'en se refusant à admettre de 1954 à 1962 le droit à l'autonomie algérienne, la France ne méconnaissait pas une norme de droit international ; elle ne fait qu'user du droit qu'a tout État de défendre son intégrité territoriale2. En outre, sur la même question algérienne, la Cour d'appel de Montpellier, par un arrêt du 24 novembre 1959 précité avait reconnu le caractère civil de cette guerre3.

Une autre position marque une nette rupture en considérant les guerres de libération nationales comme des conflits internationaux.

1 ABI SAAB, war of national liberation and law of war, paru dans les anales d�études internationales, 1972 pp. 93-117, vol. 3. 2 L. DELBEZ, Principes généraux du droit international public, Paris, 1964, p. 72. 3 Cour d'appel, arrêt du 24 novembre 1959, Montpellier, Cie d'Assurances la Nationale et autres, c/ Société Purfina française, G.P. 1959 16-18décembre.

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b) La guerre de libération nationale : une guerre internationale

La tendance des États africains à poser le principe de la nécessité d�une protection du « combattant de la liberté » se traduit par l�assimilation de la guerre de libération à un conflit armé international. Les États africains ont réussi peu à peu à faire accepter que certains mouvements de libération nationale puissent être associés aux activités de la famille des Nations unies. Mais, permettre à ces mouvements de parler en leur nom, sans intermédiaire, et améliorer leur situation diplomatique par conséquent ne suffit pas. Encore faut-il leur faire bénéficier de l�ensemble des règles du droit humanitaire, lorsqu�ils se sont engagés dans un conflit armé contre la métropole. Pour certains États, la nécessité d�accorder aux mouvements de libération nationale la protection des conventions de Genève dans leur intégralité, passe par la reconnaissance du caractère international des conflits coloniaux.

Dans le domaine du droit humanitaire, les organes des Nations Unies ont adopté des résolutions concernant les « combattants de la liberté ». Assemblée générale : résolution 2507 (XXIV) du 21 novembre 1969 relative aux territoires portugais, 2508 (XXIV) 21 novembre 1969 touchant à la Rhodésie ; 2517 (XXIV) du 1er décembre 1969 pour la Namibie, qui demandent que ces derniers, faits prisonniers, bénéficient d�un traitement humain en accord avec les conventions de Genève du 12 août 1949. Ce mouvement se situe dans la ligne des décisions anti- colonialistes prises par l�O.N.U., en vue de donner à ces combattants engagés dans une lutte contre une domination coloniale ou étrangère, un statut particulier. Ce statut comprend le droit de participer aux organisations internationales, de recevoir un soutien de la communauté internationale mais également le droit à la protection des conventions de Genève. Ces résolutions n�invoquent pas de façon expresse l�article 3 commun aux quatre conventions de Genève, mais ne concluent pas non plus de manière claire à l�application, en faveur des guerres de libération nationale, de l�ensemble du droit humanitaire.

Dès lors se pose une question : pour l�O.N.U., la finalité que poursuit « des combattants de la liberté » entraîne-t-elle à leur profit, l�application de l�ensemble du droit humanitaire ? Pour le professeur Abi Saab1, l�organisation a consacré dans ses résolutions l�existence d�un droit à l�autodétermination. Or, la conséquence la plus importante de la reconnaissance de l�autodétermination comme un principe légal est

1 Le professeur Abi-Saab avait déjà lui-même qualifié les guerres de libération nationale de guerre internationale, voir, War of national liberation and the laws of wars, Annales d'Études Internationales, 1972, vol. 3, p. 93.

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de conférer un caractère international aux conflits armés nés de la volonté d�obtenir ce droit et par ce biais, de faire bénéficier les « combattants de la liberté » non de la protection minimum de l�article 3, mais « d�une protection égale à celle de l�ensemble du droit des conflits armés internationaux ».

Pour préciser la pensée de l'auteur, on doit admettre depuis la résolution 1514 de l�assemblée générale que les guerres de libération constituent une catégorie de guerre internationale.

Toujours est-il que l�Assemblée générale, dans des résolutions postérieures1, avait demandé que le statut de prisonnier de guerre soit accordé aux combattants, en lutte contre les gouvernements d�Afrique orientale, au cas où ils seraient capturés. Mais on peut douter de la valeur juridique de telles résolutions, d�autant que l�assemblée générale semblait s�être contentée d�émettre des v�ux, sans expressément qualifier de guerre internationale, la guerre de libération.

En dépit de l�évolution des systèmes coloniaux (statut d�autonomie, département d�outre-mer, etc.), on pourrait tout de même penser que ces guerres « gardent toujours leur caractère non international »2 du fait que ces territoires « ne constituent pas encore des entités internationales, car les domaines essentiels des forces armées et des relations extérieures, et souvent des finances, restent des matières réservées au seul gouvernement métropolitain3. Mais cet argumentaire ne saurait résister à la force du droit. En effet, l'article 1 paragraphe 4 du protocole I additionnel, assimile la lutte des peuples « contre la domination coloniale et l'occupation étrangère et contre les régimes racistes » à une guerre internationale.

En tout état de cause, lors des travaux préparatoires de la conférence diplomatique de 1974-1977, le problème des guerres de libération nationale devait être un point crucial dans l'élaboration d'une nouvelle réglementation juridique en matière de conflits armés non internationaux4.

Au-delà de la controverse suscitée par la doctrine, le C.I.C.R. et les gouvernements sur cette question, il convient de retenir que les dispositions du protocole I finalement adopté en 1977, reflètent les préoccupations et les aspirations des États africains très

1 Résolutions : - 2383 (Rhodésie), 2395 (territoires sous administration portugaise), 2396 (apartheid). 2 J. SIOTIS, op. Cit, p. 50. 3 Ibid, p. 50. 4 Voir le rapport présenté par le CICR à la XXIè conférence internationale de la Croix-Rouge (Istanbul), intitulé « Protection des victimes des conflits armés non internationaux » et la documentation préparée par le CICR à l'intention de la conférence d'experts, vol. V, « Protection des victimes des conflits armés non internationaux », pp. 23-34.

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« maximalistes » vis-à-vis des guerres de libération nationale. Pour ces derniers, la « réaffirmation et le développement du droit international humanitaire » passe essentiellement par la reconnaissance internationale des guerres de libération nationale et l'octroi d'un statut favorable pour les combattants qui les mènent. L'article 1, paragraphe 4 du protocole I assimilant la lutte des peuples « contre la domination coloniale et l'occupation étrangère et contre les régimes racistes » à une guerre internationale, a constitué l'un des enjeux de la conférence diplomatique sur le droit humanitaire. Cette disposition fut adoptée par la commission I de la dite conférence1. En fait, il était devenu indéniable qu'il existait au sein de la communauté internationale, une tendance de plus en plus largement partagée, selon laquelle les luttes pour l'autodétermination ou contre la discrimination ne peuvent plus être placées sur le même pied qu'un conflit interne. Pour elle, ces luttes ont un caractère international et les combattants capturés doivent bénéficier d'un traitement analogue à celui que prévoit la convention de Genève sur les prisonniers de guerre. C'est cette position qui a été consacrée par l'article 1 paragraphe 4 du protocole I additionnel à la convention de Genève du 12 août 1949.

La qualification notamment par les africains de conflit international, la guerre de libération national entraîne une conséquence : les mouvements de libération sont seuls habilités à représenter les territoires dominés.

c) Les mouvements de libération nationale, seuls représentants des territoires dominés par une puissance coloniale

Les États africains ont résolument fait reconnaître les mouvements de libération par la communauté internationale toute entière comme les représentants légitimes et uniques des peuples dominés. Mais la reconnaissance de ces mouvements par des organisations universelles ou régionales qui leur octroient le statut d�observateur crée des situations complexes où la personnalité et la capacité sont mal définies. En fait, le principe de légitimité l�emporte sur le principe d�effectivité dans la mesure où l�on anticipe la formation d�un État délivré de la « domination étrangère » (formule utilisée par la résolution 1514).

1 Le paragraphe 4 de l'article 1 du protocole premier fut adoptée par la commission I de la conférence diplomatique sur le droit humanitaire lors de la première session du 20 Février-29 Mars 1974, à l'initiative d'une quinzaine d'États arabes, asiatiques et africains auxquels se sont joints la Norvège, l'Australie et la Yougoslavie, par 70 voix contre 21 et 13 abstentions et en séance plénière de Juin 1977 par 87 voix pour, une contre et 11 abstentions.

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Seulement, il convient de remarquer que les organisations internationales, y compris l�Organisation de l�Unité Africaine (O.U.A.), ne leur accorde pas immédiatement le statut de membres à part entière qui revient aux États.

Les institutions du système des Nation Unies, sous la pression des États africains, ont pris une série de décisions tendant à associer certains mouvements de libération africains à leurs activités. Ils ont été admis comme observateurs dans plusieurs organismes subsidiaires de l�O.N.U.

Par ailleurs, s�est poursuivi une autre offensive des États africains tendant à refuser aux gouvernements, qualifiés d�illégaux parce que violant la résolution 1514 et les droits de l�homme, l�accès à certaines organisations internationales ou la participation aux travaux de ces organisations.

En 1974, l�Assemblée générale des Nations Unies présidée par l�Algérien Bouteflika, une personnalité acquise aux idées de l�O.U.A., rejette les pouvoirs de la délégation de l�Afrique du Sud1. Cela revient à dire que l�Assemblée générale refuse de faire participer la délégation sud-africaine à ses travaux.

Le 30 septembre 1974, l�Assemblée adopte une résolution dans laquelle elle demande au Conseil de sécurité d�exclure l�Afrique du Sud de l�O.N.U., compte tenu de la violation continue par celle-ci des principes de la Charte et de la déclaration des droits de l�homme, sur la base de l�article 6. Un projet en ce sens est déposé par le Kenya, la Mauritanie et le Cameroun devant le Conseil, mais il n�aboutit pas du fait du triple veto des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne.

Mais si l'Afrique a participé et réussi à donner à cette aspiration, un fondement juridique au plan international, ce domaine d'intérêt semble quasiment épuisé aujourd'hui2. L'acte constitutif de l�Union Africaine n'y fait d'ailleurs aucune référence ; les conflits contre lesquels luttent les africains étant aujourd'hui d'une autre nature. C'est en cela qu'il convient d'analyser certains conflits africains qui revêtent le caractère de génocide.

1 A/Res. 3206 du 30 septembre 1974. 2 La question du Sahara occidental opposant le Maroc, puissance occupante, au principal mouvant de libération du peuple sahraoui (Front POLISARIO) du Sahara occidental, reste à ce jour en Afrique, le seul cas de lutte d'autodétermination et qui pend devant les instances des Nations Unies voire de l'Union Africaine. Voir notamment la Résolution 1429 (2002) adoptée par le conseil de sécurité à sa 4594è séance, le 30 juillet 2002. Il convient de préciser que le problème du Sahara occidental a provoquer le retrait du Maroc de l'institution régionale africaine (O.U.A. / U.A.) pour soutien (la lutte pour l'émancipation des États africains a été l'un des objectifs principaux de l'O.U.A. depuis sa création) apporté à la lutte du peuple sahraoui jugée légitime.

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D � LE GÉNOCIDE, UNE FORME DE CONFLIT ARMÉ INTERNE EN AFRIQUE

Si tous les conflits africains ne soulèvent pas la question du génocide, il se trouve que cette notion est apparue à l�occasion de certains conflits sur le continent noir.

L�utilisation du terme génocide pour qualifier certains conflits armés internes en Afrique, force l�exigence de la définition de cette notion.

1) La notion de génocide

Le génocide est un crime d�une gravité exceptionnelle. Certains le tiennent pour une forme aggravée de crime contre l�humanité1. Il présenterait les mêmes caractéristiques d�organisation, d�ampleur, le même fondement discriminatoire que cette dernière infraction. Cependant, afin de reconnaître la perpétration d�un génocide, il convient également de prouver l�existence d�une intention de détruire l�un des groupes humains spécifiquement visés dans la définition classique de l�infraction. Cette définition du génocide est posée dans la convention adoptée le 9 décembre 1948 et entrée en vigueur le 12 janvier 1951 sur la prévention et la répression du crime de génocide2, et qui a été textuellement reprise dans les statuts des tribunaux pénaux internationaux créés par le Conseil de sécurité.

L�article 2.2 du Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.) affirme ainsi :

Le génocide s�entend de l�un quelconques des actes ci-après, commis dans l�intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;

b) Atteinte grave à l�intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d�existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

1 Dans l�affaire Eichmann, la Cour de district de Jérusalem affirmait : « The crime against the Jewish people� which constitutes the crime of �genocide� is nothing but the gravest type of crimes against humanity », Jugement du 12 décembre 1961, International law Reports, 1968, vol. 36, p. 41. 2 Pour une définition complète du génocide, voir, Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, grands textes de droit international public, Dalloz, Paris, 1996 ; voir RTNU, 1951, p. 277.

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d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) Transfert forcé d�enfants du groupe à un autre groupe.

Le statut de la cour pénale internationale reproduit exactement, suite à un accord général réalisé pendant les travaux préparatoires, la définition contenue dans cette même convention de 19481.

Par une résolution du 11 décembre 1946, l'assemblée générale des Nations Unies avait déclaré le génocide crime du droit des gens en contradiction avec l'esprit et les fins de l'O.N.U.

Depuis plusieurs décennies, partout sur le continent africain, les crises, les guerres, les massacres prolifèrent. En fait les victimes des conflits africains se chiffrent quelques fois à plusieurs centaines de milliers de morts.

Sous le coup de l�émotion, certains ne tardent pas à évoquer le génocide2 pour exprimer l�ampleur des tragédies. Afin d�éviter le galvaudage de ce concept, il convient, sur la base de ses éléments constitutifs, de voir dans quelle mesure certains conflits armés en Afrique, notamment au Rwanda et au Nigeria peuvent répondre à cette définition.

Par ailleurs, le choix de ces deux pays s�explique par le fait qu�ils constituent entre autres le symbole des plus grandes tragédies provoquées par la guerre civile sur le continent africain.

2) La guerre du Biafra (Nigeria) et la notion de génocide

Au Nigeria, à la suite de tensions ethniques dans les années 1966-1967, plusieurs milliers d'Ibos sont massacrés dans le nord du pays. Le 30 mai 1967 éclate la guerre de sécession au Biafra. Cette guerre a causé au moins deux millions de morts, majoritairement de l'ethnie Ibo et sept millions de réfugiés.

1 W. SCHABAS, Article 6, O. Trifterer (Éd.) commentary on the Rome p. 27 et ss. La même définition est contenue dans les statuts des tribunaux ad hoc, sur le TPIY (art. 4, paragraphe 2) et sur le TPIR. 2 Le professeur Raphäel Lemkin conseiller au ministère de la guerre des États-Unis, dans un livre publié en 1944 : Axis Rule in occuped Europe, donna naissance au mot génocide, construit au mépris des règles étymologiques à partir du grec « genos » (race, tribu) et du suffixe latin « cide » (tuer). Selon Lemkin, le génocide signifiait « la destruction d'une nation ou d'un groupe ethnique » et il impliquait un plan coordonné ayant pour but l'extermination. Les actions de ce plan étaient dirigées contre des individus visés non pas en tant que tels, mais comme membres d'un groupe national. Voir, Raphäel Lemkin, Axis Rule in occuped Europe, Washington, Carnegie Endowment for International peace, 1944.

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Lors de cette guerre, les autorités biafraises, pour tenter de rallier l'opinion internationale à leur cause, ont essayé de faire admettre que ce conflit n'est que l'organisation d'un génocide dirigé contre les biafrais. Les autorités légales, au contraire dénient toute véracité à ces allégations.

Les autorités biafraises considéraient qu'un génocide était commis notamment à l'encontre du peuple Ibo1. Mais faut-il le rappeler, la définition du génocide comporte un élément subjectif qui en rend les contours difficiles à saisir ; que des actes de destruction dirigés, en temps de paix, contre un groupe national ou ethnique puisse constituer un génocide se prête difficilement à la contestation. Quand la propagande officielle2 se définit comme devant conduire à la destruction totale d'un groupe national donné et que ces déclarations s'accompagnent d'actes prémédités à cette fin, la réalisation du génocide ne fait aucun doute.

Ce raisonnement nous conduit à affirmer en toute objectivité que le troisième Reich s'est livré à une opération de génocide à l'encontre du peuple Juif3.

Dans le conflit nigérian, l'intention du gouvernement fédéral de détruire systématiquement le peuple Ibo n'apparaît pas clairement.

Lors de cette guerre, il s'est avéré que le gouvernement fédéral n'exterminait pas tous les ennemis qui tombaient en son pouvoir. L'intention de génocide du gouvernement fédéral eut dû le conduire à en commettre les actes constitutifs partout où sur le territoire national il exerçait un pouvoir effectif4. Or dans la capitale nigériane, placée sous l'autorité du gouvernement fédéral, continuaient de vivre paisiblement de nombreux Ibos5. Les actes commis, limités territorialement au champ des hostilités, ne pouvaient être constitutifs d'un génocide. Ainsi quoi qu'on en ait dit à l'époque, la politique du gouvernement central n'a jamais été dictée par ces considérations, comme en témoignent les mesures qui ont été prises après la chute du Biafra pour réintégrer les Ibos dans la communauté nigériane. L'étendard du génocide a également été

1 CONSTANTIN P. les États africains face à la guerre du Nigeria, année africaine 1969, Éd. Pedone, p. 114-140. 2 La répression internationale du génocide rwandais, sous la direction de Laurence Burgorgue-Larsen, collection du CREDHO, p. 95. 3 En mars 1942, commentant le « procédé assez barbare » prévu pour l'extermination des juifs, Joseph Goebbels écrira dans son journal : « Dieu merci, nous avons maintenant pendant la guerre, toute une série de possibilités, qui en temps de paix, nous seraient interdites. Nous devons les exploiter ». Voir Götz Aly, Endlösung. Völkerverschiebung und der Mord an den europäischen Juden, S. Fischer, Francfort-sur-le-main, 1995, p. 10. 4 Le journal Jeune Afrique n° 401 du 9 au 15 septembre 1968 nous précisait que 30 000 Ibos vivaient à cette date dans la capitale nigériane Lagos et près de 500 000 Ibos vivaient au centre-ouest du pays passé sous le pouvoir effectif du gouvernement fédéral. Tous ces Ibos n'étaient pas exterminés systématiquement par le gouvernement fédéral et vivaient dans des conditions identiques à celle des autres ethnies. 5 De telles poursuites eurent lieu, par exemple dans le cas de la guerre civile au Nigeria : affaire P. Nwaoga, 1972, ILR, vol. 52, p. 494 et ss.

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déployé au Soudan en 1992 où, au nom de la Jihad, les habitants des monts Nouba étaient massacrés ou déportés dans des camps vers le nord. Mais au vu des éléments développés dans le cas du Biafra, la qualification du génocide ne saurait en l'espèce être retenue. En revanche au Rwanda, la situation a été quasi unanimement qualifiée de génocide, car elle s�est traduite par la présence de tous les éléments constitutifs de ce crime.

3) La tragédie rwandaise : un cas de génocide

En 1994, au Rwanda, on a assisté à une véritable tragédie avec l'extermination de près d'un million de personnes en majorité Tutsi. L'expression « meurtre de masse », employée jusque-là dans certains cas ne rendait pas suffisamment compte de l�ampleur de la tragédie. En effet, Le 6 avril 1994, l'avion qui ramenait le président rwandais Juvénal Habyarimana et son collègue du Burundi Cyprien Ntariyamira est abattu par des tirs de roquette. Cet assassinat déclencha au Rwanda la plus grande tragédie de l'histoire du pays, voire de l'Afrique toute entière. Tous les Tutsis à portée de bras étaient désignés à une extermination systématique.

A la fin du mois d' avril 1994, on pouvait entendre la radio des mille collines : « le 5 mai, le nettoyage des Tutsis devra être terminé ». Cette radio n'épargnait même pas les enfants puisqu'il y était incessamment répété : « Ne commettons pas la même erreur qu'en 1959. Il faut tuer les enfants ». Ce conflit fit plus d'un million de victimes majoritairement des Tutsis. On a pu même voir apparaître la référence au nazisme sous la forme d'articles d'opinions1.

Manifestement, l�objectif visé de cette propagande officielle diffusée en boucle par la radio des mille collines n�était autre chose que la destruction totale du groupe Tutsi. La commission du génocide Tutsi est d�autant plus avérée que cette propagande médiatique s�est accompagnée d�actes prémédités, destinés à cette fin. Jamais l'Afrique n'avait connu des massacres d'une telle ampleur. L'étendue des crimes commis en 1994, le caractère systématique de leur perpétration, reste sans précédent. Les auteurs du génocide « attaquaient les Tutsis dans l'intention de détruire tout le groupe ethnique, puisque aussi bien les enfants simplement conçus, que les invalides Tutsis » étaient visés par les tueries. Ainsi, l�intention de détruire, en tout ou en partie, ce groupe ethnique, le meurtre des membres de ce groupe, l�atteinte à l�intégrité

1 JEAN-PIERRE CHRETIEN, Un nazisme tropical, Libération, 26 avril 1994.

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physique ou mentale de membres du groupe Tutsi et les mesures visant à entraver les naissances au sein du dit groupe sont autant d�éléments caractéristiques du génocide commis contre les Tutsis, conformément à la convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide.

Par ailleurs, certains conflits armés en Afrique, peuvent être l�expression de désir d�une partie d�un territoire national de faire sécession.

E � LA SÉCESSION, UNE AUTRE FORME DE CONFLIT ARMÉ INTERNE EN AFRIQUE

Les États africains sont pour la plupart des sociétés poly ethniques, confrontées au lendemain des indépendances aux problèmes soulevés par l�apparition de mouvements sécessionnistes de caractère tribal : Biafra, sud Soudan, Tibesti, Shaba� La guerre de cession est un conflit à l�intérieur d�un État, qui prend la dimension d�une confrontation armée entre le gouvernement établi qui considère qu�il y a menace à la vie de la nation et à l�intégrité territoriale, et une partie de la population, organisée civilement et militairement, qui veut se séparer de la collectivité nationale et fonder sur une portion du territoire de l�État, un État nouveau autonome ou de s�associer à un État existant1.

En avril 1967, le gouvernement de la région orientale du Nigeria annonce que les services financiers de sa région cesseront de verser leurs recettes au gouvernement fédéral. Le 30 mai 1967, le colonel Ojukwu proclame la république du Biafra, souveraine et indépendante. Le 6 juillet de la même année, le gouvernement fédéral voulant faire échouer la création de cette nouvelle entité, engage une action armée contre le Biafra. En fait, au moment de l'ouverture des hostilités, cette région était un État membre de l'État fédéral du Nigeria. C'est sous la pression des massacres des habitants de l'Est, que le parlement de cet État va voter pour une sécession le 30 mai 1967. Le séparatisme biafrais s'appuie sur un territoire d'une superficie de 75 000 km² peuplé de 14 millions d'habitants, dont les deux tiers sont Ibos. Cet État possède une façade maritime, d'importants gisements de pétrole et de gaz naturel, des mines de charbon� Cette guerre prendra fin le 12 janvier 1970 après avoir causé au moins deux millions de morts et l'exil du général Ojukwu qui avait pris la tête de la sécession. Il convient de noter qu'en dépit de l'érection du Biafra en République, dotée

1 FRANCIS WODIÉ, op. Cit., p. 1027.

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d'une capitale et d'un gouvernement, cela ne fait pas perdre à l'acte sa nature sécessionniste1. Cette circonstance n'a pas transformé le conflit armé en une guerre internationale au sens d'un rapport interétatique. Le conflit reste une guerre civile à velléité sécessionniste.

En fait, au cours de ce conflit, les autorités biafraises sont parvenues à convaincre certains États africains de leur volonté d'indépendance. Nombres de ces États sont ouvertement opposés à la prolongation de la guerre ou même soutiennent la cause biafraise. Alors que ce conflit nigérian est officiellement ignoré en Afrique, le13 avril 1968, la Tanzanie reconnaît le Biafra comme « une entité souveraine et indépendante. Suivent ensuite, le Gabon le 8 mai 1968, la Côte d'Ivoire le 14 mai 1968, et la Zambie le 20 mai 1968, Haïti en mars 1969.

Intervenant au cours du conflit, cette reconnaissance2 revêt un caractère plus politique que juridique. En effet, en reconnaissant le Biafra alors que la lutte armée n'a pas encore révélé un vainqueur les États africains ont voulu apporter une solution aux « problèmes humains » suscités par la crise. Ces États estiment précisément que des considérations humanitaires prévalant, l'unité nationale et l'intégrité territoriale ne doivent pas être imposées par la force et entraîner la destruction de tout un peuple. Leur v�u était de conférer par la reconnaissance, une dimension internationale au conflit. La reconnaissance était donc saisie comme pouvant ou devant créer l'État biafrais et faire apparaître sa personnalité au plan des relations interétatiques. Mais cette mission est étrangère à la reconnaissance d'État3.

Au regard du droit international positif, la reconnaissance du Biafra intervenue au cours des hostilités n'échappe pas à la contestation en ce qu'elle peut s'avérer prématurée et le gouvernement établi serait fondé à en exiger réparation devant une instance internationale4. Par ailleurs, L'Organisation de l'unité africaine (O.U.A.) et la majorité

1 Au moment de la guerre de sécession aux États-Unis d'Amérique, les confédérés du sud avaient une capitale, Richemond, et un président, Jefferson. 2 La reconnaissance accordée au Biafra par les cinq États (Tanzanie, Gabon, Côte d'Ivoire, Zambie, Haïti) est plus qu'une reconnaissance de belligérance. Elle est une reconnaissance d'État et de gouvernement. 3 Représentant le Portugal devant la Cour internationale de Justice dans l'affaire du droit de passage, Maurice Bourquin soutint dans sa plaidoirie ce point de vue : « Si le gouvernement indien prétend que les insurgés pourraient disposer juridiquement du territoire et dépouiller le souverain légal de ses droits avant la liquidation de la crise, de l'insurrection, alors nous sommes en plein désaccord avec lui� Si un État tiers prenait une autre attitude, s'il reconnaissait le parti insurgé comme le gouvernement légal, le gouvernement définitif, le gouvernement de jure du territoire contesté, il commettrait sans aucun doute un acte illicite, il se livrerait à une véritable intervention contraire au droit international ». 4 La reconnaissance par l'Italie et l'Allemagne le 10 novembre 1936 du parti dirigé par le général Franco « comme gouvernement » peut être tenue pour prématurée, la guerre civile n'ayant pris fin que le 1er avril 1939. De même la reconnaissance, par les États-Unis d'Amérique, de Panama le 13 novembre 1903, soit neuf jours après la proclamation de l'indépendance, constitue une reconnaissance prématurée. C'est toujours le principe d'effectivité qui conduisit les États à ne reconnaître le gouvernement provisoire de la république française qu'au moment où celui-ci se trouva en situation d'exercer les compétences gouvernementales sur le territoire national. Le comité français de libération

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des États africains considèrent ces actes comme des ingérences illicites dans les affaires d'un État affecté par le désordre intérieur et comme une violation des principes énoncés dans la Charte1.

En 1970, la Côte d'Ivoire a également été confrontée au même problème de sécession. L'instigateur de cette velléité sécessionniste répondait au nom de Monsieur Kragbé Gnagbé, fondateur du parti nationaliste (PANA)2. Fort de ses idées révolutionnaires, M. Kragbé Gnagbé décida de défier Houphouët Boigny par la proclamation de l'État d'Eburnie3 dont la capitale était Gagnoa, sa ville natale. En effet dans son « appel aux tribus d'Eburnie et du Manifeste du Parti Nationaliste »4, Kragbe Gnagbe déclarait : « �Houphouët n'est plus notre chef et ne le sera plus, n'en déplaise au gouvernement français.

Jusqu'à la convocation à Abidjan de l'assemblée consultative, j'assume le pouvoir politique et militaire à la tête du gouvernement provisoire de l'État d'Eburnie, gouvernement d'union nationale.

A ce titre, je décrète la mobilisation de toutes les forces vives du pays et invite paysans, travailleurs, soldats, policiers, gendarmes, chômeurs,�à se mettre sans tarder à la disposition du gouvernement nationaliste établi à Gagnoa� ». Cette situation entraîna évidemment une confrontation armée entre le pouvoir d'Houphouët soutenu par la France dont l'armée fut en première ligne (dans ce conflit purement interne) et le mouvement dissident du leader du PANA. Ce conflit qui fit de nombreux morts se solda par l'arrestation de Gragbe Gnagbé et ses farouches partisans, l'anéantissement et l'extermination de toute la dissidence par l'armée française5.

nationale ne prit le titre de gouvernement provisoire de la république française que le 3 juin 1944 et les premières reconnaissances n'intervinrent qu'au lendemain du débarquement allié en Normandie. 1 La Charte de l'O.U.A., dans son article 3 paragraphe 2, pose le principe de « non-intervention dans les affaires intérieures des États ». L'Organisation panafricaine envisage surtout ce principe comme une prévention contre les guerres de sécession. Selon l'O.U.A., toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un État va à l'encontre de la détermination des chefs d'État et de gouvernement africains à « sauvegarder et consolider l'indépendance difficilement gagnée, tout comme la souveraineté et l'intégrité territoriale� » (préambule de la Charte). 2 KRAGBE GNAGBÉ, dit « Opadjèlè » était originaire de Gagnoa (centre ouest) de la Côte d'Ivoire. Au terme de ses études en sciences politiques, le 7 Mai 1963, il soutient une thèse de doctorat de 3è cycle sur le thème suivant : « Tableau économique et social de la Côte d'Ivoire ». Cette thèse peut être consultée à la bibliothèque Ste Geneviève à Paris. 3 GADJI DAGBO JOSEPH, l'Affaire Kragbé Gnagbé: un autre regard trente deux ans après, aux Nouvelles Éditions Ivoiriennes (NEI), 170 pages. 4 Cité par GADJI DAGBO, Ibid., p. 63-65. 5 Alors que la communauté internationale et la France ont reconnu l'implication de puissances extérieures dans la crise ivoirienne, la France, pour ne pas actionner les accords de défense a dit par la voie de son ministre de la défense qu'il s'agit « d'une guerre ivoiro-ivoirienne ». Mieux, son armée, prenant fait et cause pour la rébellion a détruit tous les aéronefs de l'État de Côte d'Ivoire et massacré plusieurs dizaines de manifestants aux mains nues qui défendaient pacifiquement les institutions républicaines. Si l'armée française a combattu la dissidence opposée à Houphouët en 1970, aujourd'hui elle combat impunément le pouvoir légalement établi du président Gbagbo. Voir entretien du chef de l'État ivoirien Laurent Gbagbo dans Le Parisien, 16 décembre 2004.

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Dans le conflit de l�Ogaden, il s�agit d�une guerre civile menée par des mouvements sécessionnistes dont le front de libération de la Somalie occidentale (F.L.S.O.), en vue de rattacher l�Ogaden à un État voisin de l�Éthiopie : la Somalie. Cette guerre présentait la particularité d�être doublée d�une guerre internationale ; un conflit frontalier opposant la Somalie, appuyant les revendications du F.L.S.O. à l�Éthiopie. En effet de 1941 à 1950, la Somalie est restée sous administration militaire Britannique, cependant les Nations Unies décident de confier la tutelle de ce territoire à l�Italie avec mission de la préparer à l�indépendance pour 1960. Malgré les négociations poursuivies entre Rome et Addis-Abeba, les frontières définitives ne peuvent être fixées avant l�émancipation du territoire.

Mogadiscio a toujours refusé un état de fait qu�elle juge provisoire : l�intégration de l�Ogaden au territoire Éthiopien alors que cette région est peuplée uniquement selon ses affirmations de somalis. Quant à l�Érythrée et au Sahara occidental, ils ont l�originalité d�avoir été rattachés, sans le consentement de leurs populations, à des ensembles territoriaux dont ils ne faisaient pas parties à l�époque coloniale contrairement au Biafra, Sud Soudan, Tibest ou le Shaba�

Jadis colonie italienne constituée à partir d�anciennes possessions Turques et d�une partie du Tigre, l�Érythrée reste placée sous administration Britannique en 1941. L�Éthiopie arguant principalement de la nécessité d�obtenir un débouché à la mer et de la présence de populations qui lui sont apparentées, obtint des nations Unies que ce territoire, qui en 1950 a obtenu l�autonomie interne, lui soit rattaché à partir de 1952. Mais peu à peu l�empereur Hailé Sélasié vide les accords de leur contenu. En 1962, la fédération est dissoute et l�Érythrée ramenée au rang de province. Quelques années plus tard, le front de libération de l�Érythrée est créé et mène une guerre de sécession contre le gouvernement d�Addis-Abeba. Après trente ans de guérilla et à la suite d'un référendum d'autodétermination des 23 et 25 avril 1993 qui a reçu le soutien unanime de la population, l'Érythrée s'est séparée de l'Éthiopie. D'ailleurs en Afrique, c'est le seul cas de sécession réussie depuis la fin de l'ère coloniale. L�Érythrée est aujourd'hui un État indépendant et souverain. Mais comme déjà souligné, l'Éthiopie et l'Érythrée formaient deux États séparés pendant la période de l'occupation italienne de sorte qu'il n'y a pas eu modification du tracé frontalier mais retour au tracé antérieur.

Le cas du Soudan : ancienne colonie britannique, le Soudan réunit en son sein, deux groupes de populations que la race, la culture et l'histoire, distinguent et opposent. Les populations arabes de religion musulmane et qui occupent la partie septentrionale du pays n'ont de cesse depuis l'indépendance (1956) d'étouffer le particularisme des

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populations du sud nilotique ou bantoue. Détentrice du pouvoir, les autorités basées au nord ont imposé l'arabe comme langue nationale, proscrit l'enseignement du christianisme en 1958, fermé les écoles des missions en 1959, expulsé des missionnaires en 1962. Le gouvernement de Khartoum pour faire échec à la velléité sécessionniste du sud du pays s'est engagé, au prix d'une guerre de plus de dix-sept ans à réprimer la dissidence de la minorité chrétienne du sud. Cette guerre qui a fait plusieurs milliers de morts et réfugiés dans les pays voisins a pris fin en mars 1972 sous les auspices de Haïlé Sélassié et de l'O.U.A. Au delà des problèmes humanitaires soulevés par cette crise, l'organisation panafricaine maintient le principe de l'intégrité territoriale, inscrit dans sa Charte (Article 3), comme une prévention contre les irrédentismes ethniques. C'est sur cette base juridique qu'elle veut contribuer à ramener la paix au Soudan.

Mais pour répondre à une menace à la paix et à la sécurité internationales et décider une action de maintien de la paix, il est indispensable de cerner outre la nature du conflit, la qualité des parties qui participent aux hostilités. Il peut s�agir de parties impliquées directement ou indirectement dans le conflit, car « la participation même de l'organisation aux conflits internes notamment par la proposition d�un plan de paix, dépendra de la qualification juridique des parties, et de toutes les forces en présence1 ».

PARAGRAPHE II : L'IDENTIFICATION DES PARTIES DANS LES CONFLITS

Combattants et groupes armés ne sont pas nécessairement � sont même rarement � les seules parties impliquées dans des affrontements se déroulant sur le territoire d�un

1 L�article 3 est ainsi rédigé : « En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l�une des hautes parties contractantes, chaque des parties au conflit sera tenue d�appliquer au moins les dispositions suivantes : Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres des forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour tout autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune ou tout autre critère analogue. A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l�égard des personnes mentionnées ci-dessus : les atteintes portées à la vie et à l�intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ; les prises d�otages ; les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans jugement préalable, rendu par un jugement régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. Les blessés et malades seront accueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial, tel que le comité international de la croix rouge, pourra offrir ses services aux parties au conflit. Les parties au conflit s�efforceront, d�autre part, de mettre en vigueur par voie d�accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente convention ». Mohamed Bennouna, Le consentement à l'ingérence militaire dans les conflits internes, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1974, p. 16 ; M. Bennouna vise ici, tant l'O.N.U. que les organisations régionales susceptibles d'intervenir.

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État : les ingérences et interventions extérieures dont ils bénéficient revêtent des formes variées qui rendent plus délicate l�identification matérielle de ces parties, l�étendue de leur participation au conflit, et en conséquence une qualification de la guerre sur des bases rendant compte des réalités qui intéressent le maintien de la paix.

Toutefois, les combattants, l�autorité dont ils relèvent et leurs rapports avec les tiers constituent des indicateurs de la propension d�un conflit intra étatique à prendre des dimensions internationales. Il y a, dans ce sens, presque autant de possibilités que de conflits connus.

A � LES PARTIES DANS LES CONVENTIONS DE GENÈVE ET LES PROTOCOLES ADDITIONNELS

Dans le cas où le gouvernement au pouvoir est une des parties de la confrontation armée, deux situations peuvent se présenter : si la cohésion des institutions est maintenue, l�ensemble des forces de l�armée et de la police pourra être employé contre les rebelles ou les insurgés, dont l�action, selon les circonstances revêt des formes variées ; mais si, au contraire, l�armée se scinde en deux groupes opposés rejoignant chacun l�un des camps adverses, ce sont les troupes dites loyalistes, conservant leur allégeance à l�autorité légale, qui continueront de constituer les contingents de l�armée et de la police, l�autre fraction étant, elle, qualifiée de dissidente ou de rebelle. C�est là, semble-t-il, l�hypothèse � classique � à laquelle songeaient les rédacteurs des conventions de Genève de 1949 et sur laquelle se baseront encore les négociateurs des protocoles additionnels de 1977.

En fait, l�article 3 commun aux quatre conventions1 de Genève ne contient de définition des parties à un « conflit armé ne présentant pas un caractère international surgissant sur le territoire de l�une des hautes parties contractantes » ; toutefois, le paragraphe 1, de cet article mentionne « les membres des forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat� ». C�est l�article premier du protocole II applicable aux « conflits armés non internationaux » qui clarifie la situation visée. En effet, il y est stipulé qu�il concerne les conflits armés « qui se déroulent sur le territoire d�une haute partie contractante entre ses forces armées et des forces armées

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dissidentes ou des groupes armés organisés� »1, étant entendu que l�enjeu ici consiste à pouvoir faire application du droit humanitaire notamment, aux différentes parties aux prises dans les conflits armés internes en Afrique2.

B � LES PARTIES DANS LE CONFLIT EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO (R.D.C.)

C�est au cours de la période 1996-1997, que Laurent Désiré Kabila avait lancé une offensive insurrectionnelle contre le pouvoir du président Mobutu dont il est venu à bout grâce à l�appui extérieur. En effet, pour réussir ce coup de force dit guerre de libération de seconde génération, Kabila avait dû s�appuyer sur le Rwanda et l�Ouganda.

Devenu président de la R.D.C., M. Kabila décida de mettre un terme à l�assistance militaire de ces unités de l�armée régulière rwandaises et ougandaises le 28 juillet 1998. Par conséquent, il les invita à se retirer du territoire national, tout comme les autres contingents étrangers qui avaient participé à ses côtés à cette guerre de libération de seconde génération3.

Dès le déclenchement des hostilités en R.D.C. le 2 août 1998, ces troupes non indésirables se sont soulevées à Kinshasa contre l'État hôte. Elles ont attaqué la garnison congolaise de la capitale qui les a néanmoins maîtrisées. Par la suite, des troupes rwandaises et ougandaises, venues du Rwanda et de l'Ouganda ainsi que d'autres unités basées notamment à Goma, à l'est de la R.D.C., ont été transportées dans l'ouest du pays. Le corps expéditionnaire rwando-ougandais a obtenu dans cette

1 L�article premier du protocole II stipule que : - « Le présent protocole, qui se développe et complète l�article 3 commun aux conventions de Genève du 12 Août 1949 sans modifier ses conditions d�application actuelles, s�applique à tous les conflits armés qui ne sont pas couverts par l�article premier du protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I), et qui se déroulent sur le territoire d�une haute partie contractant entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d�un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu�il leur permettent de mener des opérations militaires continues et concertées et d�appliquer le présent protocole. - Le présent protocole ne s�applique pas aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés ». 2 Cf. GEORGES A. MODELSKI, The International Relations of International War, Center of International Studies, Woodrow Wilson School of Public and International affairs, Princeton University, 1961, Princeton, New Jersey ; Research monographs, n° 11, p. 24. Modelski affirme que les insurgés doivent, eux aussi, développer un réseau de connexions internationales pour ressembler aux gouvernants en place et bénéficier d�une crédibilité nécessaire à leur reconnaissance par les tiers. 3 Pour une esquisse doctrinale de la « guerre de libération démocratique » ou « seconde lutte de libération, antinéocoloniale », menée par un "mouvement de libération démocratique", Voir, Bula-Bula, L'idée d'ingérence à la lumière du nouvel ordre mondial, Revue africaine de droit international et comparé, tome 6, n° 1, p. 39 et ss.

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base le ralliement de milliers de soldats congolais de l'ancien régime. C'est alors que les forces ougandaises et rwandaises assistés de supplétifs congolais ont entrepris la marche pour la conquête de Kinshasa.

En réalité, « nonobstant le fait que les origines de la rébellion étaient intérieures de nature, une fois que la bataille commença, la guerre civile congolaise était rapidement changée d�une lutte interne en un conflit dans lequel les éléments internationaux devenaient prédominants.

La confusion sur la nature de telles interférences sera d�autant moins aisée que, suite à une demande d'assistance en légitime défense des autorités légalement établies de la R.D.C. adressée aux États membres de la S.A.D.C., l�offensive rebelle sera stoppée, d'abord par les forces armées régulières congolaises ; ensuite par des unités des l'armées du Zimbabwe, de la Namibie et de l'Angola et plus tard du Tchad1.

Cet exemple suppose que l�autorité gouvernementale soit l�une des partie à ce type de guerre2 dont la structure reste essentiellement binaire, les interventions extérieures venant appuyer l�une ou l�autre fraction. Mais la géographie des confrontations peut présenter un relief plus complexe, majorant d�autant les difficultés de qualification du conflit.

C � LES PARTIES DANS LE CONFLIT LIBÉRIEN

Le point de départ du conflit libérien pourrait se trouver dans le sanglant coup d'État du Sergent Samuel Doe3 contre le régime du président William Tolbert en 1985. Après son accession au pouvoir, Doe met en place une hégémonie de l'ethnie Krahn4 dont il est d'origine. Le sentiment d'hostilité à l'égard du régime est d'autant plus général que la majorité des libériens voit dans le système Doe, le règne de l'arbitraire, de la terreur et de la brutalité.

1 C'est à l'issue du sommet de Libreville du 24 septembre 1998 par lequel les États d'Afrique centrale ont « condamné l'agression contre la R.D.C. » que le Tchad y enverra aussi des troupes. 2 Même si l�attribution de la légalité fait l�objet d�une contestation à l�intérieur de l�État et sur le plan international, il n�empêche que c�est à ce titre que chaque partie affronte l�autre et bénéficie d�appuis extérieurs. Remarquons, déjà, que le problème se pose en termes bien différents pour les États divisés, la qualification du conflit armé lui-même au regard des questions de maintien de la paix. 3 Le président William Tolbert a été tué dans le palais présidentiel par Samuel Doe qui l'aurait éventré et décapité pour ensuite faire exécuter plusieurs dizaines de dignitaires du régime. 4 Il s'agit de l'ethnie dont Samuel Doe est originaire. Cette ethnie représenterait entre 3 à 4 % de la population libérienne.

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C'est à la faveur de ces vagues de contestations que Charles Taylor d'ethnie Gio, évadé d'une prison américaine en 1984 arrive au Ghana d'où il élabore des plans pour renverser le président Doe et crée le National Patriotic Front of Liberia (N.P.F.L.), mouvement de lutte armé constitué aussi bien de libériens que de sierra léonais et de gambiens1.

Suite à une dissension interne au mouvement, celui-ci va se scinder en mai 1990 en deux : le Independant National patriotic Front of Liberia (I.N.P.F.L.) dirigé par Prince Johnson lui aussi de l'ethnie Gio et le N.P.F.L. de Taylor. L'assassinat du président Doe par les combattants du I.N.P.F.L. de Prince Johnson attise les rivalités et la lutte pour le pouvoir. D'autres acteurs apparaissent dans le conflit notamment, l'United Liberation Movement for Democracy in Liberia (U.L.I.M.O.)2, le Liberian Peace Council (L.P.C.), le Lofa Defense Force (L.D.F.), Le Nimba Redemption Council (N.R.C.), le Central Revolution Council (C.R.C.), le Congo Defense Forces (C.D.F.), etc. Le mouvement U.L.I.M.O.3 se scindera ensuite en U.L.I.M.O.-J. du Krahn Johnson Roosevelt et U.L.I.M.O.-K. du Mandingue Alhadji Kromah.

Il convient de remarquer dans le conflit libérien qu'à la suite du foisonnement des factions combattantes, des alliances se lient et se délient au gré des choix et des intérêts des parties au conflit.

On assiste dès lors à une autodestruction du Libéria au moyen surtout d'un auto entretien du conflit par les factions rebelles notamment par l'accès aux ressources et l'influence politique qu'ils détiennent. Ainsi ne feront-ils rien pour coopérer franchement à un plan de paix et de désarmement qui serait de nature à mettre un terme au pillage des ressources et un contrôle sur les troupes. Un diplomate occidental résume l'exploitation et le pillage des ressources en ces termes : �it's a block-by-block turf war for loot. These boys have been in the bush for much of the more than six years old war, waiting for the trophy, Monrovia, which for years was protected by ECOMOG. Monrovia was full of cars and computers, all the good things of this world�4.

Une parfaite illustration de la tragédie libérienne se trouve également dans la pratique commandée par Taylor dite des "arms for nature sways" (des armes en échange des matières premières). Cette pratique consiste pour les firmes de recevoir un traitement

1 Jeune Afrique, n° 1544 du 1 au 7 août 1990 ; Libération du 28 novembre 1990. 2 La création mouvement U.L.I.M.O. fait suite à une dissension interne au N.P.F.L., notamment une querelle de personne entre Prince Johnson et Charles Taylor. 3 C'est le 21 mai 1991 à Conakry en Guinée que naît l'U.N.I.M.O. Ce mouvement est composé d'anciens dignitaires du régime Doe, Krahns et Madingues et aurait bénéficié du soutien du président sierra léonais Joseph Momoh. 4 International Herald tribune, 16 avril 1996.

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spécial en échange d'armes, d'installations de communication et d'entraînement pour les forces militaires locales. Charles Taylor a ainsi en 1992 utilisé les installations de la plantation de caoutchouc de la société Firestone, près de Harbel, pour lancer son opération Octopus par laquelle Taylor a vainement cherché à prendre Monrovia.

Les intrigues libériennes vont participer à la naissance du conflit en Sierra Leone en 1991, et de la Côte d'Ivoire, déclenché depuis la nuit du 18 au 19 septembre 2002.

En Côte d'Ivoire, le déclenchement du conflit à l'aube du 19 septembre 2002 voit apparaître une rébellion, baptisée Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (M.P.C.I.), dirigé par un petit groupe de sous officiers, nordistes pour beaucoup, mais pas seulement1. Ce mouvement dit-on se bat pour « chasser Gbagbo » du pouvoir et rétablir le nord de la Côte d'Ivoire dans ses droits. Ils veulent disent-ils tantôt instaurer « un ordre nouveau » tantôt des élections libres, démocratiques et ouvertes à tous. Quelques mois plus tard s'ouvre à l'ouest du pays un autre front avec l'apparition du Mouvement populaire ivoirien du grand ouest (Mpigo) et le Mouvement pour la justice et la paix (Mjp). Leur engagement dans la rébellion dit-on est guidé par l'esprit de vengeance de la mort de Robert Guéï, ancien chef d'État assassiné aux premières heures du conflit2. C'est à l'issue des accords de Marcoussis, en région parisienne que ces différents mouvements vont se coaliser sous la dénomination des « Forces Nouvelles ».

De l'analyse des parties dans les conflits africains, il convient de remarquer que les sources principales de mobilisation en Afrique reposent principalement sur l'identification communautaire ou ethnique. Les actes de protestation, les révoltes, les querelles, les mouvements séparatistes, etc., sont en général organisés par des dirigeants politiques qui, d'une manière sélective, jouent sur l'insatisfaction économique ou communautaire et utilisent donc à cet effet les tactiques organisationnelles des mouvements politiques modernes. Par ailleurs, la multiplication et la prolongation des conflits en Afrique peuvent développer au plan international des implications. Il s'agit essentiellement de conséquences juridiques découlant de la qualification de ces derniers, de conflits armés internes.

1 Certaines personnalités politiques et militaires du sud et de l'ouest ont rejoint la rébellion, notamment Dacoury Tabley, l'un des leaders politiques du MPCI, Alain Lobognon dit « Antoine Beugré », le colonel Gueu Michel� 2 Les militaires et partisans du Mpigo et du Mjp sont majoritairement de l'ethnie Yacouba de la région de Man dont le général Guéî est également originaire. Ces deux mouvements vont s'allier au Mpci contre le régime Gbagbo et les guérés, une autre composante ethnique du grand ouest majoritairement restée fidèle au régime du Président Laurent Gbagbo.

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Section II : La reconnaissance de l'état de belligérance

Cette institution est longtemps apparue comme le critère essentiel de licéité de l�assistance accordée au gouvernement ; elle marque le moment où le conflit interne bascule dans la sphère internationale. Cependant, pour ce qui concerne l�intervention d�États étrangers dans le conflit, les incidences de la reconnaissance de belligérance diffèrent selon qu�elle est accordée par le gouvernement ou par les puissances tierces.

L'amplification des conflits armés internes, reconnus comme tels en Afrique, posent le problème de la reconnaissance de l'état de belligérance qui implique subséquemment l'assistance de la communauté internationale.

PARAGRAPHE I : LA MANIFESTATION DE LA RECONNAISSANCE

La reconnaissance de belligérance est l�acte par lequel, soit un gouvernement reconnaît que le conflit armé qui se déroule sur son territoire est une guerre soumise à l�ensemble des lois et coutumes de la guerre, soit un État tiers considère que ce conflit armé est une guerre à l�égard de laquelle il entend rester neutre1. « Toutes les fois qu�un parti nombreux se croit en droit de résister au souverain, et se voit en état de venir aux armes, la guerre doit se faire entre eux de la même manière qu�entre deux nations différentes� ». Cette formule de Vattel trouve sa traduction juridique dans la reconnaissance de belligérance2. Dans les conflits armés internes en Afrique, la manifestation de l'état de belligérance est hors de toute contestation.

Or, ses éléments constitutifs une fois réunis, lui font produire des effets. Est-il encore besoin de rappeler que l'institution de belligérance, en droit des gens, telle qu'appliquée aux conflits internes désigne normalement les rapports juridiques d'une part entre les rebelles ressortissant d'un État et son gouvernement légal qu'ils cherchent à renverser par la force, et d'autre part, éventuellement, entre chacune de

1 CHARLES ZORGBIBE, la guerre civile, op. cit ; V. Duculesco, effet de la reconnaissance de l'état belligérance par les tiers, y compris les organisations internationales sur le statut juridique des conflits armés à caractère non international, RGDIP, 1975, tome1, pp. 127-128. 2 Par la reconnaissance de belligérance, le gouvernement établi constate l�existence d�un état de guerre avec une partie de ses sujets, et il assimile les insurgés à des belligérants.

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ces parties au conflit et les États tiers2. Ce sont des aspects de la question qui nous intéressent car ils correspondent à l'engagement armé des mouvements rebelles contre les forces armées régulières et rentrent dans notre domaine d'investigation, axé sur la problématique du maintien de la paix. Ce faisant, il convient de chercher à déceler à partir de quelques exemples, les éléments constitutifs de l'état de belligérance pour les confronter à la dynamique du maintien de la paix, notamment par la reconnaissance de l'état de belligérance. Pour développer notre argumentaire sur ce problème, nous avons choisi de nous atteler à l'étude de deux conflits armés : La guerre du Biafra (Nigeria) de 1967 et le conflit ivoirien déclenché à l'aube du 19 septembre 2002.

A � L�ENGAGEMENT DE L�ARMÉE FÉDÉRALE NIGÉRIANE CONTRE LES FORCES BIAFRAISES : UN ÉTAT DE BÉLLIGÉRANCE

Le conflit nigérian fait ressortir à la fois tous les éléments de l�état de belligérance et la reconnaissance de l�état de belligérance.

1) Les éléments de l�état de belligérance

Les multiples affrontements qui, en 1967 vont mettre aux prises les forces nigérianes et les troupes biafraises, marquent singulièrement ces rapports hostiles du caractère d�une véritable belligérance.

Tout commence le 15 janvier 1966 par le coup d'État de Johnson Aguyi-Ironsi qui instaure un régime militaire et interdit tous les partis. Ce dernier est assassiné le 29 juillet de la même année par les nordistes. Le général Gowon accédant au pouvoir rétablit le système fédéral. Au nord du pays, des milliers d'Ibos sont massacrés au cours de tensions ethniques. Mais comme déjà souligné, c'est sous la pression des massacres des habitants de l'Est, que le parlement de cet État va voter pour une sécession. Dès Lors, le 30 mai 1967, éclate la guerre de sécession au Biafra. La volonté du gouvernement fédéral de faire échec à la création de cette nouvelle entité va le conduire le 6 juillet 1967 à engager une action armée contre le Biafra, gouverné par le colonel séparatiste Odumegou, Ojukwu. L�ampleur des moyens militaires mis en branle par les troupes fédérales nigérianes, la configuration des combats, les diverses réactions internes, régionales et internationales et leur portée juridique vont se

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conjuguer pour révéler l�existence de cet état de belligérance1. Les conséquences qui en découlent seront tout autant effroyables. Dans ces conditions, contrairement aux déclarations Du gouvernement fédéral, ce conflit qui dure depuis plus de trente mois n'est absolument plus une simple opération de police. La situation d'un état de guerre est en l�espèce devenue une réalité.

En fait, trois éléments au moins, traduisent la préoccupation de tout le continent et de l�Organisation de l�unité africaine (O.U.A.) face à ce conflit et achèvent de convaincre, si besoin en était, de l�état de belligérance :

! La fourniture d�armes aux autorités fédérales et de sources moins aisées à déterminer, au Biafra2, par les gouvernements du Royaume-Uni, d�Union soviétique et de la Tchécoslovaquie.

! Les difficultés dans lesquelles se débat le gouvernement fédéral pour ramener l�ordre et l�hostilité quasi-unanime contre la sécession.

! La durée du conflit et les conditions de la population du Biafra, coupée de l�accès à la mer et encerclée par les troupes fédérales.

Une campagne mondiale pour sauver les femmes et les enfants du Biafra a été d�ailleurs organisée par la Croix-Rouge internationale, les églises et d�autres institutions intergouvernementales ou non.

Au sommet de l�O.U.A. tenu le 11 septembre 1967 à Kinshasa, la désignation d�une commission de conciliation composée de six chefs d�État, s�inscrivait dans la suite d�autres initiatives sur le plan international, aux affrontement encours et au conflit ainsi ouvert. Toutes ces démarches, dans la mesure où elles cherchaient à dissiper et résoudre les tensions conflictuelles armées entre les forces fédérales nigérianes et les troupes biafraises, concouraient en même temps au constat d�un état de belligérance.

Une certaine forme de reconnaissance de l�état de belligérance va par ailleurs contribuer à esquisser les contours d�une véritable transformation tant au niveau du droit que du comportement des belligérants.

1 Voir FRANCIS WODIÉ, La guerre du Biafra et le droit international, op. cit. 2 Dès le début du conflit, un avion de bombardement B 26 aurait été fourni par l�armée française et acheminé à Enugu, capitale du Biafra, par un équipage français. Voir communiqué de l�ambassade des USA à Lagos, cité par Le Monde du 17 juillet 1967.

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2) La reconnaissance de l�état de belligérance dans le conflit nigérian

Si, en pratique, le recours à une déclaration formelle de reconnaissance de l�état de belligérance est rare1, on peut dans le cas du conflit nigérian relever la « déclaration de guerre » formulée le 12 août 1967 par le gouvernement nigérian à propos de la sécession du Biafra alors que les autorités s�en étaient tenues à la qualification d�opération de police jusqu�à cette date2.

Comme il apparaît difficile d�imposer des conditions de reconnaissance obligatoire � par quel moyen et à quel moment ? � il faut s�en tenir à une série d�actes qui émanent soit du gouvernement établi3, soit des États tiers, et qui manifestent la reconnaissance.

Le 23 janvier 1969 à Paris le président Houphouët Boigny, parlait du destin respectif des deux États du Biafra et du Nigeria alors que les résolutions de l'Organisation de l'unité africaine insistent sur l'unité du Nigeria et sur l'intégrité territoriale. Le caractère explicite de cette reconnaissance met évidemment en place un régime juridique nouveau entre l�État tiers (ici la Côte d'Ivoire) et les parties ; mais comme cette déclaration confère aux insurgés des droits de belligérance, elle risque d�apparaître au gouvernement local comme une intervention dans ses affaires intérieures4.

La reconnaissance accordée au Biafra par cinq États (Côte d'Ivoire, Zambie, Gabon, Tanzanie et Haïti) est plus qu'une reconnaissance de belligérance.

Elle est une reconnaissance d'État et de gouvernement5 dont l'opportunité, au regard du droit international positif, n'échappe pas à la contestation6.

La reconnaissance de l�État biafrais est une illégalité ressentie comme telle par le gouvernement nigérian qui a conduit celui-ci à rompre ses relations diplomatiques avec

1 SIOTIS, op. cit., p. 114 ; Zorgbibe, op. Cit. Revue internationale de la Croix-Rouge, 1977, p. 130. 2 ZORGBIBE, ibid. 3 La plupart du temps, les évènements donnent lieu à des interprétations divergentes comme en témoigne la guerre d�Algérie. On conçoit que les insurgés soient tentés d�interpréter les actes gouvernementaux comme une reconnaissance implicite, et que le gouvernement s�y refuse ; l�exercice par la France du contrôle de la navigation étrangère en haute mer sur la base du décret du 17 mars 1956, ne postulait pas, selon le gouvernement, la reconnaissance de la qualité de belligérant aux insurgés algériens. Voir, L. Lucchini, un aspect des mesures de surveillance maritime au cours des opérations d�Algérie, A.F.D.I., 1962, pp. 920 et ss. 4 Voir les controverses qui ont précédé la sentence arbitrale rendue dans l�affaire de l�Alabama en 1872, La Pradelle et Politis, Recueil�, T. 2, p. 713. ; Voir la position du gouvernement fédéral nigérian qui a considéré le soutien et la reconnaissance du Biafra par des États tiers comme une ingérence intolérable dans ses affaires intérieures. 5 La Tanzanie a reconnu le Biafra comme État souverain le 13 avril 1968, le Gabon le 8 mai 1968, la Côte d'Ivoire le 14 mai 1968, la Zambie le 20 mai 1968, Haïti en Mars 1969. 6 La reconnaissance même de facto du Biafra, alors même que les hostilités se poursuivent, peut constituer au regard du droit international, une immixtion dans les affaires intérieures de l'État nigérian menacé de sécession.

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les gouvernements des États ayant reconnu le biafra. D�autant plus que la pratique met en évidence le caractère politique des intérêts et des raisons qui inspirent la conduite des gouvernements tiers, l�intention étant parfois hautement proclamée de nuire au gouvernement établi1.

L'ampleur de la polémique suscitée par la reconnaissance du Biafra faite par des États tiers a été amplifiée par la position Tanzanienne.

a) La Tanzanie et la reconnaissance du Biafra

La reconnaissance de l'État biafrais par la Tanzanie, est traduite dans un texte2 du 13 avril 1968. Le contenu du dit texte pourrait être résumé comme suit : quand le gouvernement fédéral cesse d'assurer la sécurité et la protection, soit par incapacité, soit volontairement d'une partie de la population qui se trouve sur son territoire, celle-ci a droit de faire sécession et de créer un nouvel État susceptible d'être un instrument efficace de protection de ses intérêts et de ses droits. « L'Afrique a besoin d'unité�dans le cadre des États existants. L'unité par la conquête est impossible ». Il faut mettre fin à la guerre civile nigériane en faisant cesser les hostilités et en reconnaissant au Biafra le statut d'État.

Il a été également fait cas de la circulation officieuse d'un mémorandum de la Tanzanie à propos de l'affaire biafraise lors du sommet de l'O.U.A. d'Addis-Abeba, le 4 septembre 1969. Ce mémorandum ultérieurement publié dans la capitale tanzanienne relève le regret formulé par le président tanzanien J. Nyerere. Il regrette notamment que l'O.U.A. n'ait pas tiré à partir du cas biafrais une réflexion sur le problème des minorités ethniques en Afrique. Ainsi relève-t-il que : « Dans les discussions concernant le conflit Nigeria/Biafra il a été fait grand cas des principes d'intégrité nationale et d'autodétermination� c'est une question de vie et de mort� ». Le président Nyerere ajoute que « �l'éclatement du Nigeria est une chose terrible. Mais elle est moins terrible que cette guerre cruelle� ».

Le président tanzanien J. Nyerere explique qu�il y a une leçon très sérieuse à tirer de la tragédie présente. Nous devrions apprendre que là où dans un État africain il y a un

1 Lors des insurrections cubaines la reconnaissance de belligérance fut accordée dès 1869 par certaines républiques sud-américaines (Bolivie, Chili, Colombie, Pérou et Venezuela) dans le dessein de porter atteinte à l�Espagne, R. DE OLIVART, le différent hispano-américain au sujet de la question cubaine, RGDIP, 1897, p. 577 ; 1898, p. 358 et p. 499. 2 KIRK-GREENE, Statement by the government of Tanzania issued on 13 April 1968, dans, Crisis and conflict in Nigeria, vol. II, p. 206.

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groupe dominant, que le groupe soit ethnique, religieux� il doit utiliser son pouvoir et son influence au profit de tous les éléments qui vont composer ce pays.

En particulier, il devrait être très attentif aux intérêts des minorités parce qu'elles « � ont besoin de la protection de l'État. Si un groupe dominant n'agit pas dans le sens d'une protection, alors, la guerre civile et des Biafras� » deviennent une tragédie. Nous les dirigeants africains avions une occasion en or à la conférence au sommet de l'O.U.A. à Kinshasa, mais nous l'avons laissée échapper parce que nous avons été confondus par la théorie des dominos� A l'époque, toute l'Afrique, y compris les pays qui reconnaissent maintenant le Biafra, a soutenu l'intégrité territoriale du Nigeria� Mais nous étions si obsédés�, si terrifiés par la théorie des dominos que nous n'avons pas osé élever la voix en faveur des Ibos� L'O.U.A. fut constitué par des chefs d'État. Mais� pour servir les peuples d'Afrique� si elle doit maintenir le respect et l'aide des peuples de l'Afrique, elle doit être intéressée par les vies des peuples d'Afrique� nous devons être plus intéressés par la paix et la justice que par l'intangibilité des frontières dont nous avons hérité.

Quelques remarques méritent d�être faites à propos de l'argumentation du pouvoir tanzanien. Le président J. Nyerere est préoccupé par deux problèmes. D'une part, la nécessité d'assurer la protection des minorités ethniques, mesure préventive contre tout risque de sécession ; d'autre part le droit à la création par sécession d'un nouvel État au profit des minorités ethniques insuffisamment protégées par l'État qui a succédé à l'ancienne puissance colonialiste. Le mémorandum a également abordé la question de la sécession katangaise. Mais contrairement à sa position sur le Biafra, le président Nyerere refuse tout parallèle entre les deux situations. Ainsi, interprète-t-il la sécession du Katanga comme une tentative dissimulée de compagnies ou de puissances extérieures à l'Afrique en vue de protéger leurs intérêts économiques, alors qu'il perçoit la sécession biafraise qu'il soutient, comme l'expression d'un nationalisme. J. Nyerere n'a certainement pas vu d'inconvénient à ce que des puissances occidentales, notamment la France du Général De gaulle, soutiennent fermement le projet sécessionniste biafrais. Pourtant nombreux sont ceux qui ont décrié un tel soutien pour les mêmes motifs pour lesquels Nyerere condamne la sécession katangaise. En tout état de cause le pouvoir fédéral du Nigeria a donné une réplique à cette position tanzanienne qu'il est intéressant de voir pour mieux percevoir les enjeux et certains problèmes posés par la question de la reconnaissance.

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b) La position des autorités nigérianes

Lors de la rencontre des chefs d'État et de gouvernement de l'O.U.A. le 6 septembre 1969 à Addis-Abeba, le Général Gowon s'est dans son discours opposé à l'interprétation faite par la Tanzanie du conflit nigérian. Ainsi, précise-t-il « � Il n'y a pas de doute que les Ibos entant que peuple, comme tous les autres groupes ethniques au Nigeria, ont droit à la sécurité de leurs personnes et de leurs biens� J'ai eu l'occasion de déclarer publiquement�que le règlement constitutionnel qui suivra la guerre est une question concernant les dirigeants nigérians de toutes les parties du pays� Nous faisons une guerre, non pas à propos de procédés constitutionnels mais contre une rébellion armée et la sécession. Il n'est ainsi pas possible pour nous de transiger sur le principe de l'intégrité territoriale du Nigeria� la conduite de la guerre a été guidée par notre désir� de réprimer une rébellion et non pas de détruire notre peuple� ». Lors d'une conférence de presse en septembre 1969 à Addis-Abeba, M. Enahoro, membre du gouvernement fédéral, pour s'inscrire dans le même ordre d'idée déclarait : « � Nous, les Nigérians, comme la plupart des autres africains, nous considérons que notre autodétermination est collective et nous n'accordons pas à une partie du Nigeria le droit de faire sécession. C'est pourquoi la guerre est menée� Quand une tentative de sécession est accompagnée d'une rébellion armée, le gouvernement central et les patriotes du pays n'ont pas d'autre alternative que d'écraser la rébellion� ». Il faut voir dans la position des autorités nigérianes, d'une part la consécration de la règle de l'uti possidetis1 ; d'autre part, la ferme condamnation de la reconnaissance des insurgés.

! A propos de l�intangibilité des frontières

Après l�accession à l�indépendance, les autorités africaines auraient pu envisager deux alternatives : soit, constituer des ensembles fédéraux, ou alors procéder à une modification des territoires de certains États, en tenant compte des facteurs politiques, ethniques, économiques� susceptibles de faire coïncider la nation et l�État.

Or dès 1963, lors de la Conférence diplomatique constitutive de l�O.U.A., les États de l�Afrique indépendante à la quasi-unanimité, se prononcent pour le maintien du statu quo territorial. L�O.U.A. affirme et défend avec insistance la théorie de l�intangibilité des frontières héritées de la colonisation. La règle de l�uti possidetis est posée non

1 Le principe de l'uti possedis veut que le droit des peuples après les indépendances, s'exerce à l'intérieur des frontières héritées de la colonisation. Ce principe consacre donc la reconduite des frontières telles que tracées par le colonisateur.

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seulement lors des débats de la Conférence de mai 1963, mais également dans la Charte de l�Organisation. L�article 7 du préambule déclare les États déterminés « à sauvegarder et à consolider une indépendance durement acquise comme la souveraineté et l�intégrité territoriale� ». Pour les africains, tout gouvernement ou mouvement voulant porter atteinte au principe de l�intégrité territoriale joue le jeu du « néo-colonialisme » et trahissent la cause africaine. Ils voient dans ces revendications une source de tension et donc de division et d�affaiblissement de leur continent. C�est fort de toutes ces dispositions que le pouvoir fédéral nigérian estime que la nécessité d�éviter l�éclatement du pays, justifie la guerre. Le but étant légitime, peu importe la cruauté des méthodes employées.

La position de l'Organisation de l'unité africaine que nous analyserons dans l'étude de la gestion institutionnelle des conflits africains, permet de prendre la mesure de la délicatesse des débats suscités par les problèmes de reconnaissances des mouvements rebelles en Afrique. A la lumière des déclarations, discours et résolutions, la question de la reconnaissance des insurgés reste un sujet d'actualité dans les conflits africains comme en témoigne la guerre en Côte d'Ivoire.

B � LE CONFLIT ARMÉ IVOIRIEN ET LA RECONNAISSANCE DE L'ÉTAT DE BELLIGÉRANCE

Par sa résolution 1528 du 27 février 2004, le conseil de sécurité à l'instar de l�Union Africaine1, devait aborder le problème de la confrontation armée entre l'armée régulière de Côte d'Ivoire et les forces rebelles en des termes qui emportent une certaine forme de reconnaissance de l'état de belligérance, dont la portée s'inscrit précisément dans la problématique du maintien de la paix. Cette reconnaissance implicite découle en effet, de la capacité d'une organisation internationale, en l'occurrence l'O.N.U., d'être « l'agent autonome »2 de ce type d'acte dans l'ordre juridique international, et revêt en conséquence les caractéristiques s'y rattachant. De fait, comme « la capacité de reconnaître » qui appartient aux organisations internationales est ainsi leur compétence autonome de « reconnaître » entité et situations dans la mesure requise

1 Médiation de l'union africaine menée par le président sud-africain Thabo Mbeki, du 3 au 6 Avril 2005, a réuni les leaders politiques ivoiriens plus la rébellion à Pretoria. Dans le point 3 de l'accord de Pretoria, les parties ivoiriennes signataires déclarent la cessation immédiate et définitive de toutes les hostilités et la fin de la guerre sur tout le territoire national. Voir communiqué final de l'accord de Pretoria sur le processus de paix. 2 JOE VERHOEVEN, La reconnaissance internationale dans la pratique contemporaine, les relations publiques internationales, Éd A. Pedone, Paris, 1975, p. 451 et sur l'ensemble de la question de reconnaissance par les organisations internationales, pp. 449-520.

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par la mise en �uvre des traités qui les instituent1, une telle aptitude va supporter les limitations inhérentes à son caractère fonctionnel de sorte que les effets juridiques d'une reconnaissance effectuée dans ce cadre demeurent, de la même manière, limités par le domaine d'action à l'intérieur duquel l'organisation a exercé ses prérogatives.

En effet dans le conflit ivoirien, les affrontements qui, depuis la nuit du 18 au 19 septembre 2002, vont mettre aux prises les forces de l'armée régulière de Côte d'Ivoire aux mouvements rebelles regroupés sous le vocable des « forces nouvelles »2, marquent singulièrement ces rapports hostiles du caractère d'une véritable belligérance.

Les rebelles ivoiriens dont l'objectif était de renverser les institutions de la république vont lancer une offensive générale sur la ville d'Abidjan, lieu d'exercice du pouvoir d'État. La bataille d'Abidjan a fait plusieurs centaines de morts, toutes populations confondues.

Ce mouvement rebelle dit Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (M.P.C.I.), faute d'avoir atteint ses objectifs du fait de la riposte de l'armée régulière qui l�a repoussé, va se replier sur la ville de Bouaké, deuxième ville du pays où ces rebelles vont établir leur quartier général et d'où ils vont « administrer » le centre et la partie septentrionale de la Côte d'Ivoire. Quand il est devenu évident pour Les autorités légalement établies d'Abidjan qu'elles ne pouvaient plus mâter l'insurrection, elles se sont vues dans l�obligation de signer à Lomé au Togo un accord de cessez-le-feu1. L'Ouest du pays jusque là calme va à son tour rentrer en ébullition avec l'offensive menée dans cette zone par deux démembrements du M.P.C.I. : Le Mouvement Populaire du Grand Ouest (M.P.I.G.O.) et le Mouvement pour la Justice et la Paix (M.J.P.). Ces mouvements vont fusionner plus tard lors de la table ronde de Linas Marcoussis pour donner naissance aux Forces Nouvelles (F.N.). Les combats se concentrent dans la région de Man tenue par les forces rebelles. Celle ville subit les plus violents bombardements depuis le déclenchement de la guerre en Côte d'Ivoire. Le pilonnage de l'ensemble de cette zone par les MI-24, hélicoptères de combat de l'armée régulière

1 JOE VERHOEVEN, op. cit, p. 453 ; soulignons avec l'auteur, que l'autonomie d'une telle compétence « est l'un des aspects de l'autonomie générale dont jouit l'organisation à l'égard de ses membres ». 2 Sous la médiation du président Eyadema, mandaté par la C.E.D.E.A.O., un accord de cessez-le-feu est intervenu le 1er Novembre 2002 entre les protagonistes de la crise ivoirienne. Il précise que : « le gouvernement de la république de Côte d'Ivoire et le Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire (M.P.C.I.), déterminés à faire avancer les négociations en cours dans le but de ramener la paix et de permettre le retour à la vie normal en Côte d'Ivoire� conviennent ce qui suit : les prisonniers civils et militaires détenus dans le cadre des hostilités qui ont débuté le 19 septembre 2002 sont libérés par chacune des parties qui les détiennent� »

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va provoquer la fuite de plusieurs milliers de civils vers la Guinée et le Liberia, deux pays frontaliers et autant de morts. Malgré la signature d'un autre cessez le feu pour ce front Ouest, cette zone reste jusqu'à ce jour, une véritable zone de guerre où les affrontements sont devenus quotidiens, dans un imbroglio favorisé par le foisonnement de milices1 d'autodéfense dont l'ennemi commun demeure les forces rebelles.

En fait, la résolution adoptée par le conseil de sécurité, le 4 février 2003, s'inscrivait dans la suite d'autres initiatives sur le plan sous régional et international, notamment de la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.), et du gouvernement français2, tendant à mettre fin aux affrontements.

Dans sa résolution, le Conseil de Sécurité demande à toutes les parties impliquées dans le conflit ivoirien de mettre un terme aux actes de violence et d'observer scrupuleusement le cessez-le-feu et une cessation immédiate et effective des hostilités, de sorte que la paix intérieure et la réconciliation nationale puissent être rétablies sur la base de la préservation de l'unité, de l'intégrité territoriale, de l'indépendance et de la souveraineté nationale de la Côte d'Ivoire3.

Dans le cas de la reconnaissance d'un état de belligérance entre l'armée loyaliste ivoirienne et les forces nouvelles (appellation des mouvements rebelles), force est d'admettre que la résolution 1528 procède d'une application des dispositions du chapitre VII de la charte des Nations Unies4, c'est-à-dire d'un exercice par le Conseil de Sécurité de ses compétences en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Ceci résulte des formules auxquelles recours l'instance internationale : « conscient qu'il subsiste des obstacles à la stabilité de la Côte d'Ivoire et considérant que la situation en Côte d'Ivoire continue de mettre en péril la paix et la sécurité internationales dans la région� ». En outre, le texte s'adresse aux deux belligérants que le Conseil place sur un même plan, en prenant soin de les désigner nommément : le Conseil de sécurité décide que l'O.N.U. en coordination avec les forces françaises

1 Le PLGO et le MILOCI sont les deux principales milices très actives dans la zone Ouest du pays. 2 La C.E.D.E.A.O. avait, le 29 septembre 2002 convoqué à Accra (Ghana) un sommet extraordinaire sur la Côte d'Ivoire auquel participaient presque tous les chefs d'État membres de cette institution ouest-africaine. Cette rencontre avait condamné l'agression contre la Côte d'Ivoire et exigé en vain des rebelles, le dépôt des armes. Après ce sommet et l'échec de la médiation de Lomé, c'était le tour la France d'inviter les forces politiques ivoiriennes à une table ronde tenue à Marcoussis (banlieue parisienne), du 15 au 23 Janvier 2003 en vue de trouver une solution à la crise ivoirienne. Le contenu de l'accord conclu à l'issue de ce conclave et qui serait imposé par la France et rejeté par les ivoiriens, avait fait dire à certains qu'il s'agissait d'un coup d'État constitutionnel. Voir MAMADOU KOULIBALY, DR ANTOINE AHUA JR, DR GARY BUSCH, la guerre de la France contre la Côte d'Ivoire, pp. 19-58. 3 Conseil de Sécurité, résolution 1464 (2003), 4 Février 2003. 4 Ibid., p. 455, évoque « la reconnaissance de belligérance dans l'application des chapitres VI et VII » ; et à la page 454, l'auteur écrit : « Reconnaître n'est rien d'autre qu'en exécution de dispositions conventionnelles, qualifier de manière autonome des situations dans la mesure requise par le pacte constitutif et vérifier la réalisation des hypothèses auxquelles il attache un dispositif déterminé ».

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autorisées au paragraphe 16 ci-après s'acquittera du mandat suivant : « �assurer la liaison avec les forces armées nationales de Côte d'Ivoire (Fanci) et les éléments militaires des forces nouvelles� ».

Si la reconnaissance de belligérance ne peut avoir de portée précise, elle a néanmoins servi de catalyseur à une évaluation de la situation du conflit ivoirien au regard du maintien de la paix, sans lequel toute protection de la personne humaine est vouée à l'échec. C'est dire que cette institution emporte des effets.

PARAGRAPHE II : LES EFFETS DE LA RECONNAISSANCE DE BELLIGÉRANCE

Traditionnellement, les États sont hostiles aux insurgés. Ils n'admettent pas volontiers que le statut quo soit renversé par des individus cherchant à faire tomber ce que le professeur Schindler a appelé « le gouvernement établi »1, ou à réformer toute la structure de l'État2. Ce fut d'ailleurs l'objectif des rebelles ivoiriens qui disaient avoir pris les armes pour instaurer un ordre nouveau en Côte d'Ivoire3.

Le refus de l'État en proie aux hostilités de reconnaître la belligérance aux groupes d'insurgés a pour corollaire de traiter ces derniers de délinquants de droit commun et la poursuite du maintien de l'ordre public interne. Comme nous le disions précedemment, c'est cette attitude qui semble-t-il avait adopté le gouvernement français lors de la guerre d'Algérie.Les autorités françaises avaient considéré les évènements en Algérie comme des actes relevant d�une opération de maintien de l'ordre4. Les auteurs de ces actes étaient justiciables devant les tribunaux français5. C'est également cette optique qui avait guidé primitivement le gouvernement fédéral du Nigeria lors de la guerre du Biafra6.

1 Le professeur Schindler entendait par cette expression, un gouvernement qui a exercé pendant un certain temps le pouvoir d'État et l'exerce encore, même s'il est contesté et susceptible d'être perdu, in Rapport définitif et projet de résolution, IDI, huitième commission, Genève, Avril, 1973. 2 ANTONIO CASSESE, Le droit international dans un monde divisé, Paris, Berger-Levrault, 1986, p. 80. 3 Voir MAMADOU KOULIBALY, La guerre de la France contre la Côte d'Ivoire, op.cit, pp. 60-61. 4 Aux termes de l'article 3 alinéa 1 du protocole additionnel II de 1977, « aucune disposition du présent protocole ne sera invoquée en vue de porter atteinte à la souveraineté d'un État ou à la responsabilité du gouvernement de maintenir ou de rétablir l'ordre public dans l'État ou de défendre l'unité nationale ou l'intégrité territoriale de l'État par tous les moyens légitimes ». 5 Voir la guerre d'Algérie. 6 La thèse officielle initiale voyait dans l'action gouvernementale déclenchée contre « la république sécessionniste biafraise » une simple opération de police limitée dans son ampleur, dans le temps et l'espace.

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La reconnaissance de belligérance semble avoir été pour la première fois utilisée par les États Unis lors des guerres de libération des colonies espagnoles de l�Amérique du sud. Le droit international relatif à cette reconnaissance s�est fixé surtout lors de la guerre de sécession américaine. Dès la fin du XIXè siècle, son utilisation décline au point que d�aucuns1 parlent de désuétude. Mais nous considérons qu�il y a plutôt recul de l�institution. En effet elle avait été imaginée pour répondre aux impératifs des luttes d�émancipation. Les luttes d�indépendance semblent avoir reçu un statut légal de la part de l�O.N.U. dans l�article 73 du chapitre XI de la charte2. L�explication du déclin de la reconnaissance de belligérance se situe également dans la nature nouvelle des guerres civiles ; les difficultés essentielles qu�elles suscitent tiennent à la fréquence et à l�ampleur des interventions extérieures, à l�existence d�agressions extérieures inavouées. La guerre d�Espagne constitue à cet égard le précédent le plus important (la reconnaissance de belligérance fut évitée, pour des raisons politiques, lors du conflit en Espagne) (1936-1939).

La voie médiane choisie alors entre la reconnaissance de belligérance et la fiction de l�inexistence des insurgés reflétait une réalité qui s�est renforcée : la dimension internationale des conflits internes dans l�état de confusion des relations internationales contemporaines. La dernière raison au déclin de la reconnaissance de belligérance peut apparaître à travers l�application du droit de la guerre ; il résulte de l�article 3 commun aux quatre conventions de Genève de 1949 que l�application des règles humanitaires est distincte de la reconnaissance du statut de belligérant.

« L�intention des parties ne joue donc plus de rôle " constate le professeur Schindler3 ; il faut constater un progrès des critères objectifs : l�existence d�un conflit armé interne. Par ailleurs, l�article 3 a disjoint l�applicabilité des règles humanitaires de la définition du statut juridique des participants au conflit armé interne4. Toutefois certains auteurs

1 Cf. résolution du conseil de sécurité 436 (1978), 6 Octobre 1978 sur la guerre du Liban. Dans le paragraphe 1 de ce document, le conseil de sécurité « demande à tous ceux qui sont engagés dans les hostilités au Liban de mettre un terme aux actes de violence et d�observer scrupuleusement un cessez-le-feu et une cessation des hostilités immédiats et effectifs� ». Cette résolution s�inscrivait dans la suite d�autres initiatives sur le plan international, notamment des gouvernements américain et français, tendant à mettre fin aux affrontements en cours et au conflit ainsi ouvert. Toutes ces démarches, dans la mesure où elles cherchaient à dissiper et résoudre les tensions conflictuelles armés entre les différents protagonistes, concouraient en même temps au constat d�un état de belligérance. Lombardi, Bürgerkrieg und Völkerrecht, Berlin, 1976, p. 99. 2 L'article 73 de la charte de l'O.N.U. concerne les territoires non autonomes, et stipule à la charge des États possédant encore des colonies l'obligation de leur accorder l'indépendance. D'autre part M. Roger Pinto fait remarquer que, « si la reconnaissance d'un État de belligérance entre le gouvernement légal et le parti révolté devait conduire à assimiler la guerre civile à une guerre internationale, alors la guerre civile deviendrait à son tour illégale et frappée d'interdiction. Le droit international public contemporain ne nous semble pas limiter ainsi le recours à la guerre civile ». Voir ROGER PINTO, les règles du droit international concernant la guerre civile, RCADI, 1965, vol. I, p. 475. 3 SCHINDLER, rapport de 1973, Annuaire I.D.I. p. 442. 4 L�article 3 dispose que les règles qu�il fixe « n�auront pas d�effet sur le statut juridique des parties au conflit ». Voir le commentaire de JEAN PICTET, la convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, Genève, 1958 ; p. 50.

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ont fait remarquer que l�article 3 n�était pas sans conséquence sur le statut des parties au conflit interne. Le professeur Siotis relève que cette disposition établit des obligations à la charge des « parties au conflit » et non seulement du gouvernement établi de l�État signataire des conventions. Il en résulterait la reconnaissance d�une partie qui n�avait aucun statut en droit avant l�entrée en application de l�article 31. Le professeur Zorgbibe en conclut que « la réglementation de l�article 3 force la main aux États : elle engendre une nouvelle forme de reconnaissance de belligérance, implicite, théoriquement obligatoire et limitée dans ses conséquences à l�application du droit humanitaire minimum »2.

Alors que la tendance actuelle de la doctrine et de la pratique internationale est d'arriver à la reconnaissance obligatoire de belligérance3, ou mieux à l'abandon de la reconnaissance de belligérance, à ce jour, comme le relève le commentaire du protocole II de 1977, « ni l'article, ni le protocole II n'ont été utilisés à cette fin »4. Il suit de ce qui précède, que la reconnaissance de belligérance tient encore sa place. Cette reconnaissance, expresse5 ou tacite, peut être le fait du pouvoir établi aux prises avec la rébellion ou des tiers. Si la reconnaissance de belligérance relève de la compétence unilatérale et discrétionnaire des États, elle peut aussi relever des organisations internationales6.

Mais son opportunité reste lié au principe d�effectivité à défaut duquel tout sujet de droit international qui reconnaît court le risque de commettre le délit international d�intervention.

1 Ibid., p. 217. 2 CHARLES ZORGBIBE, La guerre civile, op. cit, p. 189. 3 Voir les tenants de cette théorie à la fin du XIXè siècle notamment, Fioré, Nouveau droit international public, Paris, 1885, p. 285 ; Heffter, Le droit international de l'Europe, Berlin, 1883, p. 253 ; Halleck, International law, Londres, 1908, vol. 1, p. 557 ; de même, Lauterpacht, Recognition in International law, Cambridge, 1947, etc. 4 Y. SANDOZ, C. SWINARSKI et B. ZIMMERMAN (dir. Pub.), commentaire des protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève du 12 août 1949, CICR, Genève, Nijhoff, 1986, p. 1368. 5 Rare dans la pratique internationale, une telle reconnaissance n'eut lieu que six fois avant 1945 : lors de la guerre d'indépendance nord-américaine (1776-1783) par la Grande-Bretagne ; lors des guerres d'indépendance sud-américaines (1810-1821) par l'Espagne ; lors de la guerre de sécession américaine (1861-1865) par le gouvernement de Washington ; lors de la guerre civile colombienne (1891-1901), la guerre vénézuélienne (1902) par le gouvernement légal et lors de la guerre des Boers (1899-1902) par la Grande-Bretagne. 6 Cf. résolution du conseil de sécurité 436 (1978), 6 Octobre 1978 sur la guerre du Liban. Dans le paragraphe 1 de ce document, le conseil de sécurité « demande à tous ceux qui sont engagés dans les hostilités au Liban de mettre un terme aux actes de violence et d�observer scrupuleusement un cessez-le-feu et une cessation des hostilités immédiats et effectifs� ». Cette résolution s�inscrivait dans la suite d�autres initiatives sur le plan international, notamment des gouvernements américain et français, tendant à mettre fin aux affrontements en cours et au conflit ainsi ouvert. Toutes ces démarches, dans la mesure où elles cherchaient à dissiper et résoudre les tensions conflictuelles armés entre les différents protagonistes, concouraient en même temps au constat d�un état de belligérance.

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A � LA RECONNAISSANCE PAR LE GOUVERNEMENT ÉTABLI

Les effets politiques d�une telle décision sont importants pour le gouvernement car il avoue ainsi sa faiblesse, ainsi que pour les insurgés dont l�autorité est renforcée par le statut de belligérant accordé par le gouvernement. Ces considérations ont conduit l�institut de droit international à conclure que le gouvernement peut reconnaître les insurgés comme belligérants « soit explicitement par une déclaration catégorique, soit implicitement par une série d�actes qui ne laissent pas subsister de doute sur ses intentions »1. Le 12 août 1967, le pouvoir fédéral nigérian avait adressé une déclaration de guerre à l'État sécessionniste biafrais alors que jusque là, il s'en était tenu à la simple formule d'« opération de police ». Une telle déclaration est-elle constitutive d'une reconnaissance explicite ? En fait, le gouvernement fédéral n'avait de cesse d'utiliser les termes de « sécessionnistes », de « rebelles » (les associant à des criminels ou à des ambitieux) et n'avait jamais explicitement considéré les biafrais comme des « belligérants » au sens juridique du terme.

En pratique, le recours à une déclaration formelle est rare2 ; une telle reconnaissance serait pour le pouvoir fédéral du Nigeria, un aveu pénible à faire ; ce serait, proclamer la force des sécessionnistes biafrais, et que le gouvernement fédéral n�est plus maître de son territoire dont il lui faut entreprendre la conquête. C'est enfin renforcer l'inexacte impression selon laquelle le procédé de la reconnaissance manifeste une approbation alors qu'il n'est qu'une contestation de fait3. C�est pourquoi la reconnaissance implicite, la moins humiliante paraît pour l�État la mieux indiquée. Sans doute faut-il voir dans l'attitude des autorités fédérales du Nigeria, une reconnaissance implicite des insurgés.

Par ailleurs, l�établissement d�un blocus a été retenu comme critère de la reconnaissance de belligérance par le gouvernement établi4. Lors de la guerre du Biafra, l'armée fédérale, pour affaiblir les combattants biafrais avaient dressé un véritable rideau de fer tout autour du territoire sécessionniste. Ce blocus qui a engendré la mort par la famine de plusieurs milliers de civils biafrais pourrait être pris en compte au titre d'une reconnaissance implicite du pouvoir fédéral.

1 FRANCIS WODIÉ, la sécession du Biafra et le droit international public, RGDIP, 1969, n° 4, p. 1023. 2 J. SIOTIS, op. cit, p. 114 ; C. Zorgbibe, Revue internationale de la Croix Rouge, 1977, p. 130. L�exemple classique est celui de la résolution du congrès des États Unis le 4 juillet 1861 constatant l�état de guerre avec les États du sud. 3 CHARLES ROUSSEAU, Droit international public, III, 1977, pp. 517-518. 4 Des exemples peuvent être trouvés dans la pratique de la guerre civile espagnole : blocus du Maroc espagnol, des îles Canaries, des Baléares dès juillet-août 1936, déclaré par le gouvernement républicain : N.J. PADELFORD, international law and diplomacy in the spanish civil strife, New York, 1939. En été 1949, le gouvernement chinois a déclaré le blocus des ports chinois tenus par les insurgés mais il ne pouvait assurer l�effectivité de sa décision, M. WHITEMAN, op. cit. pp. 940-946.

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A l�évidence, cette solution manifeste des préoccupations humanitaires mais aussi un souci d�efficacité ; le gouvernement convenant de son impuissance à réduire une tension interne, se place dans un état de guerre. Tant que les insurgés ne sont en quelque sorte que des rebelles, ne sont considérés que comme des gens honnis par leur gouvernement1, ils ont fortement tendance à se livrer sans réserve à la violence. Le conflit dégénère alors et devient de plus en plus inhumain et cruel. Mais si on reconnaît leur modeste situation de sujet juridique de droit international, alors on les oblige à s�en tenir aux limites du droit. Ainsi cette reconnaissance marque-t-elle le moment où le conflit interne bascule dans la sphère internationale. Par l'acte de reconnaissance, les rebelles obtiennent une personnalité juridique inter partes2. Toutefois, l�application des lois de la guerre pour des raisons d�humanité n�implique pas nécessairement une telle reconnaissance3. On conçoit que les insurgés soient tentés d�interpréter les actes gouvernementaux comme une reconnaissance implicite, et que le gouvernement s�y refuse ; l�exercice par la France du contrôle de la navigation étrangère en haute mer sur la base du décret du 17 mars 1956, ne postulait pas, selon le gouvernement, la reconnaissance de la qualité de belligérant aux insurgés algériens4.

Dans le cadre de la recherche de solution au conflit en Côte d'Ivoire, le président ivoirien Laurent Gbagbo à la réunion de Paris-Kléber, déclarait « � je n'ai pas gagné la guerre�, on ne sort pas d'une guerre comme on sort d'un dîner de gala� »5. Aussi avait-il demandé à la communauté internationale, notamment l'O.N.U. de faire venir sur le territoire ivoirien, une force d'interposition. Ces déclarations et attitudes qui posent le constat d'un état de guerre, traduisent sans aucun doute une reconnaissance de belligérance. On pourrait dès lors penser que la reconnaissance une fois réalisée, entraîne l'application du droit de la guerre au conflit et dégage le gouvernement de la responsabilité internationale pour les actes des rebelles dont ceux-ci devront désormais répondre eux-mêmes. Mais en même temps, le protocole additionnel II de 1977 n'oblige ni le gouvernement établi, ni les insurgés à appliquer l'ensemble des lois et coutumes de la guerre.

1 Selon H. WEHBERG, avant la reconnaissance de belligérance, le conflit n'est régi que par le droit interne, voir H. WEHBERG, la guerre civile et le droit international. 2 C'est une personnalité juridique fonctionnelle, conférant une compétence spéciale, celle de faire tous les actes juridiques nécessairement liés à la conduite des hostilités. Cf.. Ch. Zorgbibe,op. cit., p. 51 et ss, p. 74. 3 Article 4 para. 2 résolution de 1900 de l�institut de droit international. 4 Le gouvernement a eu recours à la théorie de la légitime défense. Voir L. LUCCHINI, un aspect des mesures de surveillance maritime au cours des opérations d�Algérie, AFDI, 1962, pp. 920 et ss. ; CHARLES ROUSSEAU, note sous C.E., 30 Mars 1966, société IGNAZIO MESSINA, RGDIP, 1966, p. 1057, le professeur CH. ROUSSEAU déplore l�interprétation gouvernementale. 5 Voir La réunion des chefs d'État de Kléber sur la crise ivoirienne.

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Le minimum humanitaire restant acquis aux insurgés, le maximum est laissé à l'appréciation souveraine de l'État concerné. Aux termes de l'article 5 alinéa 1er dudit protocole, « �les dispositions suivantes seront au minimum respectées� », le paragraphe 5 de l'article 6 ajoute que « �les autorités au pouvoir s'efforceront d'accorder� ». En définitive, si la reconnaissance de belligérance de la part du gouvernement établi reste, à notre sens, une condition sine qua non pour l'application des règles protectrices du droit humanitaire en cas de conflit armé interne, elle ne produit cependant plus les mêmes effets juridiques que jadis1. Pourtant, une vive controverse a vu le jour à propos de l'interprétation des conventions de Genève. Ainsi pour le professeur Antonio Cassese, l'article 3 exprime, à partir des dispositions précédant le dernier alinéa, « une norme internationale qui confère des obligations et des droits corrélatifs aux rebelles »2 ; car il pose incontestablement les mêmes obligations aux parties au conflits (pouvoir légal et mouvement rebelle). Dans ce même ordre d'idées, le professeur Guggenheim a soutenu dans son traité de droit international public de 1954, que les conventions reconnaissent aux insurgés « dans cette mesure la qualité de sujet de droit, indépendamment de leur reconnaissance comme insurgés ou belligérants »3. Au contraire, le professeur Roger Pinto, dans son cours à la Haye en 1958, affirmait que « les insurgés n'ont pas le caractère de sujet de droit, mais d'autorité de fait dans le cadre de l'État aux prises avec la guerre civile. L'État demeure jusqu'à l'issue du conflit le seul sujet de droit »4. Charles Zorgbibe, comme pour départager les conceptions opposées affirme que « si dans l'ordre interne, l'État demeure seul sujet de droit, il n'est toutefois pas le seul à détenir dans l'ordre international des compétences qui, en plus sont de nature et de volume divers ». Il conclut à l'existence d'une « compétence fonctionnelle » des insurgés, laquelle est strictement limitée dans le cadre des relations internationales liées à l'application du droit humanitaire minimum5. Il nous semble d'ailleurs que c'est dans ce sens que s'oriente une étude réalisée par les Nations Unies : « à des fins autres que l'application des normes humanitaires minimum, les conventions (de Genève de 1949) ne visent pas à modifier les règles du droit international relatives à des questions telles que la reconnaissance à des insurgés de la qualité de belligérants et les relations entre les parties au conflit intérieur d'une part et les puissances qui demeurent hors de ce

1 CHARLES ZORGBIBE, Pour une réaffirmation du droit humanitaire des conflits armés internes, JDI, 1970, pp. 665-667. 2 ANTONIO CASSESE, La guerre civile et le droit international, op.cit, p. 566-567. 3 Cité par C. ZORGBIBE, op. cit, p. 675. 4 Cité par C. ZORGBIBE, ibid. 5 Ibid, pp. 675-676.

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conflit, d'autre part »1. Il se pose en outre la question de savoir si l'acquisition des droits de belligérance par les parties a un effet sur leurs relations avec les États tiers.

En fait, il est conforme au respect de leur souveraineté de penser que la reconnaissance par le seul gouvernement établi n'entraîne pour eux aucune conséquence2. L'Institut de droit international a estimé que les puissances tierces tant qu'elles n'ont pas reconnu la belligérance, ne sont pas tenus de respecter les blocus établis par les insurgés ; elles peuvent désarmer et interner les soldats des deux parties qui se seraient réfugiés sur leur territoire3. Pour la doctrine, les États tiers ne sont pas tenus d'appliquer les règles de la neutralité4 ; dès lors, le soutien accordé au gouvernement est licite mais en cas de participation au combat, les obligations qui s'imposent aux gouvernementaux s'imposent aux étrangers. Toutefois, il semble que la gravité de la situation reconnue par le gouvernement établi lui-même devrait inciter les États tiers à une attitude de non-intervention ; telle fut la solution de principe dans la guerre du Biafra. En effet, suite au déclenchement de la guerre de sécession biafraise, les chefs d'État et de gouvernement de l'O.U.A. se sont réunis à Addis-Abeba le 6 septembre 1969. Lors de ce sommet, le général Gowon a prononcé un discours pour exprimer la position du Nigeria. Dans cette déclaration qui a eu le mérite de la clarté, le général précise : « � le règlement constitutionnel qui suivra la guerre est une question concernant les dirigeants nigérians de toutes les parties du pays� la conduite de la guerre a été guidée par notre désir de� réprimer une rébellion� ». L'Organisation panafricaine condamne et le sécessionnisme biafrais et les États africains qui le soutiennent et rappelle les principes qui guide son action : le renforcement de l'unité et de la solidarité des États africains et malgache (article 2-1-a), l'égalité souveraine des États et le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de chaque État (article 3 alinéa 1, 2 et 3). Toutefois, la reconnaissance d'État ou de belligérance qui est un problème réel dans les conflits africains, emporte des conséquences.

B � LES EFFETS DE LA RECONNAISSANCE DE BELLIGÉRANCE ACCORDÉE PAR LES TIERS

Par tiers nous entendons aussi bien, les organisations internationales que les États autres que celui du gouvernement légal en proie à un conflit armé interne.

1 Doc. O.N.U. A/7720, 20 Novembre 1969, p. 39. 2 E. CASTREN, op. Cit., p. 163. 3 Articles 5 et 6 de la résolution précitée de 1900. 4 E. CASTREN, op. cit. p. 166.

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1) Les tiers États

Par la reconnaissance de belligérance, un État s'engage à se conformer aux règles de la neutralité face à une guerre civile affectant un autre État1. Autrement dit, la reconnaissance de belligérance, lorsqu�elle émane des États tiers, place ces derniers sous l�empire des règles de la neutralité et donc une non-participation de ceux-ci dans le conflit. Mais, dans la société internationale contemporaine, « la neutralité n'est pas seulement un non-engagement militaire. Elle n'est politiquement acceptable, pour un pays soucieux de son avenir que si le résultat du conflit lui est indifférent »2. Ainsi, lors de la guerre civile du Nigeria, les États-Unis et la Grande-Bretagne, le 11 juillet 1967, se déclarent neutres. Mais comment expliquer par la suite, l'attitude trouble de la Grande-Bretagne qui traite avec le Biafra par l'intermédiaire d'agents officieux ; elle nomme à Enugu, capitale des rebelles, « un représentant consulaire » dépourvu de tout statut diplomatique. Mais elle remet en cause ce statut de neutralité en prenant fait et cause (fournitures d'armes) pour le gouvernement fédéral. C'est sans doute cette réalité qui a fait dire au juriste Charles Zorgbibe que l'institution ne fait dans le conflit interne nigérian que reprendre un « semblant de vie » car s'il existe des actes qui évoquent la reconnaissance de belligérance, ils n'en ont que l'apparence ou ils ne sont qu'isolés3. Toujours est-il que cette règle consacrée par l'institut de droit international en 1900 est déduite de l'illégalité de l'assistance au gouvernement à partir de la reconnaissance de belligérance. Ce régime est limité et temporaire4 ; il procède d'une constatation de fait : l'ampleur de la guerre civile est telle que les États tiers ou les organisations sous-régionales, régionales et internationales ne peuvent demeurer dans la fiction de l'inexistence des insurgés5. Lors de la guerre du Biafra, des atrocités et des horreurs ont été commises. Le pouvoir fédéral nigérian a soumis à des contrôles et restrictions, l'acheminement des vivres destinés aux biafrais, provoquant plusieurs milliers de morts ; une attitude qui a fait dire aux autorités biafraises que le gouvernement fédéral se livre à un génocide par la faim contre le peuple Ibo. La cruauté de ce conflit n'a pu laisser indifférentes l'Afrique et la communauté internationale toute entière. Le fait marquant au cours de cette période est qu'en 1968,

1 A l'appel du gouvernement français, le 3 août 1936, les puissances européennes décident de s'abstenir de toute participation au conflit espagnol et créent et créent à Londres un comité de non-intervention, voir C. Rousseau, La non-intervention en Espagne, RDILC, 1938, p. 224 et ss. 2 F. DE ROSE, la France et la défense de l�Europe, Paris, 1976, p. 36. 3 CHARLES ZORGBIBE, La guerre civile, op. cit. 4 CHARLES ROUSSEAU, Droit international public, p. 597. 5 CHARLES ZORGBIBE, op. cit. p. 71.

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quatre États africains (Tanzanie, Côte d'Ivoire, Gabon, Zambie) et Haïti en 1969, après avoir pris la mesure de la gravité de la crise nigériane reconnaissent le Biafra.

En pratique, les puissances tierces qui sympathisent avec le gouvernement établi n�ont guère avantage à recourir à la reconnaissance de belligérance ; celle-ci les prive de la liberté d�appuyer le gouvernement établi et les oblige à reconnaître certaines compétences aux insurgés ; quant aux puissances qui éprouvent de l�inclination pour les insurgés, elles préfèrent leur accorder une reconnaissance de gouvernement qui permet, éventuellement, un appui effectif. Tel fut le sens des reconnaissances accordées par l�Allemagne et l�Italie aux autorités nationalistes espagnoles1.

Ce précédent est confirmé en 1968 quand, comme nous venons de le relever, cinq pays reconnaissent le Biafra comme État au lieu de recourir à la reconnaissance de belligérance2. Cette reconnaissance marque évidemment le point de départ des relations juridiques entre l'État reconnu et l'État reconnaissant. Pourtant, il semble que cette reconnaissance se voulait fondée sur des raisons d'humanité, comme en témoigne la déclaration faite en France par le président ivoirien en avril 1968. Le président Houphouët Boigny faisait état de sa préoccupation en ces termes « que faire� quelle solution donnée à un problème essentiellement humain ? » La motivation humanitaire explique l'accueil et l'assistance sociale par la Côte d'Ivoire de plus de six cents adolescents biafrais. Toutefois le pays hôte se garde de nouer des relations diplomatiques avec le Biafra. Cependant on aurait de bonnes raisons de s'interroger sur la présence en Côte d'Ivoire de M. Peter Chigbo, « représentant spécial » du Biafra. Un tel acte court le risque d'être interprété d'inamical voire d'immixtion dans les affaires intérieures de l'État fédéral. La reconnaissance par la Tanzanie du Biafra en tant qu'État souverain3, a le mérite de la clarification. Le pouvoir central nigérian après avoir condamné ces actes qu'il juge intolérable a systématiquement rompu ses relations diplomatiques avec les cinq pays ayant reconnu la république sécessionniste du Biafra. Une reconnaissance de belligérance aurait contraint ces États à l'obligation de neutralité. En fait, ils ne doivent pas tolérer que des individus ouvrent sur leurs territoires des bureaux d'enrôlement ni procèdent à l'entraînement de corps de volontaires. C'est ainsi qu'en 1959, le gouvernement français a du prendre des mesures pour disperser un camp d'entraînement, situé près de Toulouse, formant des

1 Avec huit autres États, RDILC, 1938, p. 259. 2 Il s'agit de la Côte d'Ivoire, du Gabon, de la Zambie, la Tanzanie et de Haïti. 3 Voir, KIRK-GREENE, Crisis and confliction Nigeria, op. cit. p. 206.

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volontaires à destination du Katanga en vue naturellement de participer à la guerre de sécession au Congo Belge (actuelle R.D.C.).

Toutefois, il ne s'agit, pour l'État tiers, que d'une « obligation de moyen et non de résultat »1. L'obligation qu'a l'État tiers d'interdire à ses ressortissants d'aider les insurgés est limitée à son territoire. En dehors de cette limite rationae loci, le principe de la liberté subsiste, car l'État n'est pas tenu d'empêcher ses nationaux de prendre du service dans les forces armées étrangères. Certes, il est matériellement impossible à l'État tiers d'exercer en la matière un contrôle positif, mais il est concevable que la partie belligérante lésée soit tentée de dénoncer l'intervention indirecte de l'État tiers dont un contingent important de volontaires est constitué par ses ressortissants et d'en tirer les conséquences, c'est-à-dire de l'accuser de porter des armes contre lui et d'attenter ainsi à la neutralité. Par conséquent, autant les passages individuels sont d'un contrôle difficile, et même impossible, autant les passages en masse sont impraticables sans une organisation préalable qui engagerait la responsabilité de cet État2.

Somme toute, comme le souligne Jean-Pierre Laugier, « l'État n'est pas tenu de punir lui-même ses nationaux contrevenant aux principes de la neutralité ; il peut se contenter de les abandonner au belligérant qui se trouve ainsi lésé »3. C'est la fameuse théorie de l'aventure : le volontaire court l'aventure à ses risques et périls. Si donc, dans le conflit armé interne, les puissances étrangères ne sauraient nouer des liens avec les deux parties belligérantes du fait de la neutralité, elles devraient résister à toutes les demandes d'intervention ; ce qui conduirait à une neutralité complète à laquelle ces États ne se soumettent pas toujours. La fourniture d'armes par le gouvernement du Royaume-Uni, de l'Union Soviétique, de Tchécoslovaquie au gouvernement fédéral nigérian et même aux sécessionnistes biafrais montre à quel point le principe de neutralité est un pari difficile à tenir. Mais pour être tiers à un conflit, l'État n'en est pas l'exclusif. Les organisations internationales ont elles aussi une telle qualité ; et sont autant concernées par les problèmes posés par la belligérance.

1 J. P. LAUGIER, Les volontaires internationaux, RGDIP, 1966, p. 80. 2 LEMONON, La seconde Conférence de la paix, Paris, LGDJ, 1908, p. 431. 3 J-P. LAUGIER, Les volontaires internationaux, RGDIP, 1966, p. 86.

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2) La reconnaissance par les tiers autres que les états : les organisations internationales et non gouvernementales

En dépit du principe de l'article 2 paragraphe 7 consacrant la non-intervention de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) dans les affaires intérieures1, le Conseil de sécurité des Nations Unies n'hésite pas à intervenir dans les situations internes. Mais loin d�être une ingérence, cette intervention tient de la compétence de l�institution universelle en matière de la paix et de la sécurité internationales. Les organes onusiens, notamment le Conseil de sécurité ou l'Assemblée générale des Nations Unies peuvent donc reconnaître l'existence d'un conflit armé non international. Une telle reconnaissance emporte d'importants effets politiques et moraux. Elle renforce la cause des insurgés et peut pousser le gouvernement réticent2 aux prises avec la rébellion à opérer la reconnaissance aussi de son côté3. Il est arrivé que le Conseil de sécurité condamne l'un des belligérants sans véritablement agir sur le terrain. Il s'agit d'une position discriminatoire qui peut s'expliquer par le fait qu'avant 19774, les guerres de libération nationale étaient considérées comme des guerres civiles et non des guerres internationales. Et, dès novembre 1961, il fut créé, en application de la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies, du 14 décembre 1960 relative à l'apartheid et au suivi du déroulement de ses effets, un « comité de décolonisation », assimilant ainsi l'apartheid à une situation de colonisation.

En effet, le 13 avril 1961, l'Assemblée Générale des Nations Unies (A.G.N.U.) estimait pour la première fois que l'apartheid « (mettait) en danger la paix et la sécurité internationales ». Le 7 août 1963, le Conseil de Sécurité des Nations Unies (C.S.N.U.) a adopté5 une résolution demandant l'abandon de la politique de ségrégation et la libération de toutes les personnes internées, pour avoir dénoncés ce système. Il a en outre demandé à tous les États de mettre fin à la vente et à l'expédition d'armes, de

1 Bien plus, ainsi que cela a été illustré dans la pratique par l'affaire des emprunts norvégiens en 1957, la Cour Internationale de Justice a reconnu le droit pour l'État de définir lui-même les matières qui relevaient de sa compétence nationale, Rec., 1957, p. 9 et ss. 2 En réaction au mouvement sécessionniste biafrais, les autorités fédérales du Nigeria avaient déclenché une action militaire contre la république sécessionniste qu'elles avaient initialement qualifiée d'une simple « opération de police ». 3 Oppenheim/Lauterpacht, International law � A Treatise, 7è édition, vol. II, Londres, 1952, p. 210. 4 Car c'est le protocole additionnel I du 8 juin 1977 (art. 1er paragraphe 4), qui a assimilé les GLN aux conflits armés internationaux. 5 Par 9 voix contre 0 et 2 abstentions (Angleterre et la France). Pour plus de détail, voir JACQUES SOUBEYROL, L'action internationale contre l'apartheid, RGDIP, 1965, pp. 326-369.

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minutions et de véhicules militaires à l'Afrique du Sud1. Toutefois, le boycott de l'Union sud africaine avait été rejeté par la majorité des membres du Conseil2.

Par ailleurs, sur la pression de la majorité des États du tiers-monde notamment africains, l'O.N.U. a adopté plusieurs résolutions condamnant les puissances coloniales. Déjà, en 1965, l'A.G.N.U. par sa résolution 2105 (XX) « reconnaît la légitimité de la lutte que les peuples sous domination coloniale mènent pour l'exercice de leur droit à l'autodétermination et à l'indépendance ».

Selon Monique Chemillier-Gendreau3, la lutte anti-coloniale prend alors « le statut de guerre juste ». Il suit de ce qui précède que des motifs tirés d'une menace contre la paix et la sécurité internationale fonde la position discriminatoire onusienne. Dans la pratique, le C.S.N.U. évite toujours de mettre en cause le pouvoir établi en proie au conflit armé interne ; au pire des cas, le Conseil se contente de renvoyer dos à dos les parties belligérantes, en préconisant aux puissances tierces toute abstention ou le retrait des troupes étrangères4. C'est l'attitude qu'adopta l'O.N.U. dans l'affaire du Congo-Kinshasa. Par sa recommandation du 20 septembre 1960, l'A.G.N.U. a rappelé que tous les États doivent s'abstenir de fournir aux parties en présence, une aide militaire quelconque, tant directe qu'indirecte. Par ailleurs, la participation d'un gouvernement belligérant à l'O.N.U. lorsqu�existent deux ou plusieurs gouvernements concurrents qui se disputent la qualité de gouvernement légitime d'un État donné, peut renforcer la position de l'entité admise à participer aux travaux de l'Organisation5. La reconnaissance du Biafra par certains États africains était perçue comme pouvant ou devant créer l'État biafrais et faire apparaître sa personnalité au plan des relations interétatiques.

Pourtant, le territoire du Biafra échappe en partie au pouvoir effectif6 du gouvernement dirigé par le colonel Ojukwu.

Deux pouvoirs concurrents se partagent l'effectivité du pouvoir sur le « territoire biafrais ». Cette reconnaissance mal ressentie par le pouvoir fédéral nigérian a �

1 Revue des Nations Unies, 1963, n° 8, pp. 13 et ss, et pp. 54-55. 2 L'Angleterre motiva son abstention par le souci du droit à la légitime défense et des nécessités à observer en ce qui concerne la paix et la sécurité internationales. Avec la France, elle voyait dans le projet, une violation de l'article 2 paragraphe 7 de la Charte ; Cf. aussi D. Ruzie, AFDI, 1963, p. 559. 3 MONIQUE CHEMILLIER-GENDREAU, Humanité et souverainetés : essai sur la fonction du droit international, Paris, la Découverte, 1995, p. 233. 4 Car ce serait illicite que le Conseil de sécurité des Nations Unies apporte ouvertement son appui aux insurgés contre les États souverains membres de l'O.N.U. 5 Voir, DUCULESCO, op. cit, pp. 143-145. 6 Le droit de recourir à la reconnaissance, voire son opportunité, reste soumis au principe fondamental de l'effectivité. C'est le fondement juridique de l'applicabilité de l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949.

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comme déjà souligné � conduit celui-ci à rompre ses relations diplomatiques avec les gouvernements des États ayant reconnu le Biafra.

A l�égard des États qui ont reconnu, le droit international confère la qualité de sujet du droit des gens à la partie qui en bénéficie.

Par la résolution 2918 (XXVII) du 14 novembre 1972, relative à la « question des territoires administrés par le Portugal »1, l'Assemblée générale des Nations Unies « réaffirme (non seulement) le droit inaliénable des peuples » d'Angola, de la Guinée-Bissau, du Cap Vert et du Mozambique, et des autres territoires sous dominations portugaise à l'autodétermination et à l'indépendance, mais également « la légalité de la lutte qu'ils mènent pour jouir de ce droit. La dite résolution recommande que les combattants de la liberté des territoires sus cités, capturés au cours de leur lutte pour la liberté, soient traités avec justice comme « prisonniers de guerre », conformément aux principes de la convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949 et en conformité avec la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949.

Aux termes du paragraphe 7 de la résolution 2918 (XXVII), au cas où le gouvernement portugais n'appliquerait pas les dispositions préconisées, le Conseil de sécurité « envisage d'urgence toutes mesures efficaces en vue d'assurer l'application intégrale et rapide de la résolution 1514 (XV) de l'Assemblée générale et des décisions connexes du Conseil de sécurité ». Quant aux organisations africaines, elles accordent une place en leur sein aux mouvements de libération et aux gouvernements en exil, par le biais de l'octroi d'un statut d'observateur. Le gouvernement provisoire de la république algérienne (G.P.R.A.) reconnu par plusieurs États africains et accepté comme membre à part entière ou observateur dans la plupart des conférences africaines est le précédent le plus important. En mai 1963, vingt un mouvements de libération nationale sont accrédités auprès de la conférence constitutive de l'Organisation de l'unité africaine en tant qu'observateur. En fait, l'Organisation panafricaine maintient ce système pour permettre aux populations des territoires dépendants de se faire entendre et de bénéficier d'une aide matérielle et financière.

Les organes des Nations Unies, et en particulier l'Assemblée générale, se contentent de supposer que les mouvements de libération nationale reconnus par l'O.U.A. sont représentatifs. Il semble même que le 10 décembre 1974, l'Assemblée générale des

1 Voir le texte dans les résolutions adoptées par l'assemblée générale au cours de sa vingt-septième session, 19.09 � 19.12. 1972, pp. 81-83.

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Nations Unies ait adopté une résolution qui va plus loin. D'une part, elle invoque expressément la « pratique antérieure » de l'Organisation panafricaine et, d'autre part, ne limite plus la participation des représentants des mouvements de libération nationale aux débats de la quatrième commission. Dans cette résolution, l'Assemblée « décide d'inviter à titre d'observateur sur une base régulière, et conformément à la pratique antérieure, les représentants des mouvements de libération nationale reconnus par l'O.U.A., à participer aux travaux pertinents des grandes commissions de l'Assemblée générale et de ses organes subsidiaires intéressés ainsi qu'aux conférences, séminaires et autres réunions organisées sous les auspices de l'O.N.U. qui intéressent leur pays et prie le secrétaire général, agissant en consultation avec l'O.U.A. de s'assurer que les dispositions nécessaires sont prises pour leur participation effective, y compris les dispositions financières nécessaires » (paragraphe 6). Elle « recommande aux autres organes intéressés, agissant en consultation avec l'O.U.A., de s'assurer que les dispositions sont prises pour faciliter la participation effective des mouvements de libération nationale à leurs délibérations pertinentes » (paragraphe 7).

On peut se demander à quel titre l'Organisation africaine est instituée juge de la représentativité des mouvements de libération nationale. Selon un avis du conseiller juridique des Nations Unies sur la représentation des territoires sous administration portugaise à la C.E.A.1, toute décision concernant la représentativité est de la compétence de l'Assemblée. Dans la pratique, la solution finalement adoptée est un compromis puisque toutes les décisions des organes subsidiaires admettant la notion de « reconnaissance par l'O.U.A. » sont formellement entérinées par des résolutions de l'Assemblée. Il semble que cette situation tient à plusieurs raisons. La première est que si la reconnaissance par l'O.U.A. est de nature politique, il n'en demeure pas moins que celle-ci s'entoure d'un certain formalisme juridique et est fondée, au moins en théorie, sur des critères précis. La seconde tient de ce que la décolonisation est par excellence un domaine de collaboration entre l'O.N.U. et l'O.U.A. avec en prime, une influence certaine de l'Organisation panafricaine sur les décisions de l'O.N.U. L'idée de l'appréciation souveraine par l'O.U.A. de la représentativité des mouvements de libération nationale serait introduite lors de la discussion de la représentation des territoires portugais d'Afrique et du sud-ouest africain à la C.E.A. L'argument invoqué aurait vu en l'Organisation africaine, la seule structure capable ou apte à prendre la

1 Voir, E/CN 14/443 Annexe II, p. 4, paragraphe 9.

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mesure de la réalité du terrain et mieux juger de la représentativité. La tâche paraissait difficile au regard de la multiplicité de mouvements sur un même territoire.

Ainsi, en Angola il y avait le F.N.L.A. (Frente Nacional de Libertaçao des Angola) et le M.P.L.A. (Movemento Poepular de Liberataçao de Angola) ; au Mozambique, le F.R.E.L.I.M.O. (Frente de Libertaçao de Mocambique) et le C.O.R.E.M.O. (Comite Revolucionario de Mocambique) ; en Guinée-Bissau, le P.A.I.G.C. (Partido Africano de Independencia de Guine e Cabo verale) et le F.L.I.N.G. (Frente para a Libertaçaos e Independencia de Guine Portuguesa) ; au Zimbanwe, le Z.A.P.U. (Zimbabwe African People's Union) et le Z.A.N.U. (Zimbabwe African National Union) ; en Namibie, le S.W.A.P.O. (South West African People's Organization) ; en Afrique du Sud, l'A.N.C. (African National Congress) et le P.A.C. (Pan Africanist Congress) ; au Sahara occidental, le Front Plisario� ces différents mouvements se disputent et déclarent chacun être représentant légitime des peuples pour lesquels ils combattent.

Il est essentiel pour l'Organisation de déterminer les mouvements légitimes car c'est sur cette base qu'elle accorde son aide diplomatique et financière. Pour surmonter la difficulté posée par le choix du mouvement représentatif, l'O.U.A. va essayer en vain de prôner le regroupement et l'unité des mouvements1. Alors, elle décide enfin d'accorder son soutien aux mouvements de libération les plus engagés militairement et les plus efficaces. On aurait donc pu penser que les mouvements non reconnus, auxquels la communauté africaine refuse son aide seraient menacés de disparition car privés de ressources financières et de soutien diplomatique ; la seule façon pour eux d'échapper à un tel destin étant de rejoindre ou se joindre au mouvement appuyé par l'Organisation. Mais les efforts de l'O.U.A. se verront ruinés par le comportement de certains États membres de l'Organisation. Ainsi, alors que l'O.U.A. semble prendre fait et cause pour des mouvements tels le Z.A.P.U., le F.R.E.L.I.M.O., le F.N.L.A., le P.A.I.G.C., les mouvements dont la légitimité est contestée par l'Organisation continuent à survivre grâce à l'aide d'États membres prenant ainsi parti pour des mouvements rivaux. Cela va participer à la complexification de la lutte émancipatrice du continent africain.

Dans les conflits armés internes actuels qui secouent le continent africain, notamment dans la crise ivoirienne, la reconnaissance de belligérance entre les Forces de Défense et de Sécurité (F.D.S.) et les combattants des Forces Nouvelles (F.N.) n'a pas

1 La conférence des États indépendants en Mai 1963 invite « ardemment tous les mouvements de libération à coordonner leurs efforts en établissant des fronts communs� » afin de renforcer l'efficacité de leur lutte et l'utilisation rationnelle de l'assistance concertée qui leur est donnée.

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été sans effet quant à l'évaluation de l'opération internationale de pacification. Dans la mesure où le texte des résolutions (rés. 1464 du 4.02.2003, rés.1528 du 27.02.2004, rés.1633 du 16.12.2005) du Conseil de Sécurité reflète le constat d'une rupture de la paix, il s'en suit que l'instance internationale perçoit l'action des forces armées nationales ivoiriennes comme n'étant pas susceptibles d'entrer dans la catégorie des mesures de police impliquant l'emploi de la force au cours d'une entreprise de restauration de l'ordre public.

La complexité du conflit et ses répercussions au plan international sont d�une telle nature que pour le maintien de la paix, la compétence de l�Organisation mondiale reprend son empire. Cela pour tenter d'endiguer et enrayer la situation de belligérance en Côte d'Ivoire. Tel est le sens du déploiement en terre ivoirienne d'un contingent de 6 000 casques bleus et de 4 000 soldats français de l'opération licorne, tout cela dans Le cadre de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (O.N.U.C.I.) et la résolution l'instituant.

Il va donc sans dire que la reconnaissance de belligérance dans les conflits africains sert indubitablement de catalyseur à une évaluation de la situation conflictuelle au regard du maintien de la paix. Mais la cruauté des conflits africains, la logique de guerre totale qui semble justifier les atrocités commises lors de ces conflits pose l'épineux problème de la protection des droits humains lors des confrontations armées.

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CHAPITRE II : LA PROTECTION DES DROITS HUMAINS DANS LES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE

En Afrique, les confrontations idéologiques (Angola) et les luttes émancipatrices (guerre de libération nationale) semblent avoir aujourd'hui complètement disparu (la seule question pendante sur le continent africain est celle du Sahara occidental). En revanche les conflits armés internes ou guerres civiles se multiplient sans cesse et provoquent de véritables tragédies humaines. Il en résulte l'apparition de « connexion » entre le droit humanitaire et les droits de l'homme1 ainsi que l'exigence d'une protection plus affinée des individus. En tout cas, les conflits africains donnent l'occasion de le constater. La distinction du temps de paix et du temps de guerre, des guerres internes et des guerres internationales, du droit interne et du droit des gens s'estompe. Mais cela permet-il de limiter ou au contraire d'accroître la dynamique de protection des individus ? Il convient d'analyser cette question d'une part, au travers l'application des règles du droit international humanitaire lors des conflits africains et d'autre part dans les conditions de protection des droits de l'homme au cours de ces conflits.

Section I : L'application des règles du droit international humanitaire dans les conflits africains

Le problème de la protection de la population civile est d'autant plus réel que celle-ci constitue la cible privilégiée des belligérants. Par ailleurs la nature des guerres civiles est telle que nombres de combattants en Afrique sont des civils. Ainsi assiste-t-on à des guerres totales. Dans ces conditions, les règles classiques de protection des individus deviennent inefficaces, voire dépassées par la réalité. Dès lors l'on essaie de prendre en compte la dimension spatiale par le passage de la protection de la personne à la protection du territoire.

1 D. SCHINDLER, Le C.I.C.R. et les droits de l'homme, Revue internationale de la Croix-Rouge, 1979, n° 715, p. 7.

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PARAGRAPHE I : LES DIFFICULTÉS DE PROTECTION DE LA POPULATION CIVILE DANS LES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE

La nature des guerres civiles en Afrique est telle que dans « le feu de l'action », l'on constate le règne d'une confusion totale et d'un mélange inextricable de la population civile et des combattants. Cette situation rend difficile la distinction entre ces deux composantes de la population d'un État en proie à une guerre civile. En Afrique, on a aussi essayé de construire la théorie de combattants légaux qui doivent être protégés et les combattants illégaux dont la situation est peu enviable. En outre, en dépit de toutes les graves conséquences humanitaires engendrées par les conflits armés internes, la plupart des États africains se sont toujours montrés réticents vis-à-vis du droit international humanitaire.

A � LA NÉCESSITÉ DE LA DISTINCTION ENTRE COMBATTANTS ET CIVILS

Les États africains dans leur majorité, en acceptant les quatre conventions de Genève1 et les protocole additionnels I et II (relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux) ont ainsi adhéré aux principes qui les sous-tendent notamment, l'interdiction de toute attaque armée contre une population civile comme telle et les biens d'un caractère civil (article 48 du protocole I), la protection des personnes mises hors de combat�

Le principe même de la distinction combattants � non combattants est une règle coutumière, par conséquent, elle s�applique à l�ensemble des États, sans qu�il soit nécessaire de savoir si ces derniers aient adhéré ou non à une quelconque convention. Antérieurement à ce principe qui mit longtemps à s�établir, on a considéré pendant des siècles, que la guerre opposait les États et leurs armées ainsi que les peuples concernés. Selon cette conception, les civils étaient abandonnés au bon vouloir des vainqueurs qui les contraignaient à des travaux forcés ou qui pillaient leurs biens. Puis au XVIè siècle, l�idée que la population (civile) doit rester en dehors de la

1 Blessés et des malades dans les forces armées en campagne, b/ convention de Genève Les quatre conventions : a/ convention de Genève pour l�amélioration du sort des relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, c/ convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, d/ convention de Genève pour l�amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer.

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guerre, apparue pour s�établir au XVIIIè siècle. C�est Jean-Jacques Rousseau1 qui jeta la base de cette distinction. « L�utilisation de la force n�est admise que contre les combattants, à condition qu�ils n�aient pas déposé les armes, en raison du fait qu�ils constituent l�une des composantes du potentiel de guerre de l�ennemi ». Les civils doivent donc être épargnés en toutes circonstances. Mais le problème de la distinction des combattants et non combattants pose la question de l�identification des véritables parties au conflit armé interne, notamment, lors des conflits armés internes.

De l�analyse des conventions de Genève de 1949 et des protocoles additionnels, il ressort que dans le cas où le gouvernement au pouvoir est une des parties de la confrontation armée, deux situations peuvent se présenter : si la cohésion des institutions est maintenue, l�ensemble des forces de l�armée et de la police pourra être employé contre les rebelles dont l�action selon les circonstances, revêt des formes variées ; mais si au contraire, l�armée se scinde en deux groupes opposés rejoignant chacun l�un des camps adverses, ce sont les troupes dites loyalistes, conservant leur allégeance à l�autorité légale, qui continueront de constituer les contingents de l�armée et de la police, l�autre faction étant, elle, qualifiée de dissidente ou de rebelles.

C�est là, semble-t-il l�hypothèse classique à laquelle songeait les rédacteurs des conventions de Genève de 1949 et sur laquelle se baseront encore les négociations des protocoles additionnels de 1977. L�article 3 commun aux quatre conventions de Genève2 ne contient aucune définition des parties à un « conflit armé ne présentant pas un caractère international surgissant sur le territoire de l�une des hautes parties contractantes� ». Depuis l�adoption des dites conventions relatives à la protection des victimes de la guerre et des protocoles additionnels, la communauté internationale a accepté des contraintes qui s�appliquent à tous les protagonistes d�un conflit, indépendamment de la légitimité de leur cause. L'article 48 du premier protocole

1 JEAN JACQUES ROUSSEAU, Le contrat social, livre I, chap. 7, interne, notamment, en Afrique. 2 L�article 3 est ainsi rédigé : « En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l�une des hautes parties contractantes, chacune des parties au conflit sera tenue d�appliquer au moins les dispositions suivantes : a/ Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres des forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune ou tout autre critère analogue. A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l�égard des personnes mentionnées ci-dessus : - les atteintes portées à la vie et à l�intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ; -les prises d�otages ; - les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; - les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. b/ Les blessés et malades seront recueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial, tel que le comité international de la croix rouge, pourra offrir ses services aux parties aux conflits. Les parties au conflit s�efforceront, d�autre part, de mettre en vigueur par voie d�accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente convention ».

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additionnel précédemment cité, pose le principe du respect et la protection de la population civile et des biens à caractère civil. Cette disposition prévoit que « � les parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu�entre les biens à caractère civil et les objectifs militaires ». Mais au cours des combats, il devient difficile de distinguer combattants et non combattants.

Ainsi, lors des conflits libériens, sierra léonais, congolais (R.D.C.)�, nombres de combattants des mouvements rebelles, au contraire des forces loyalistes, portaient différentes tenues vestimentaires civiles dont certaines n'étaient même pas adaptées aux conditions de combat. Dans le conflit ivoirien, certains combattants rebelles s'étaient affublés de tenues de chasseurs traditionnels dits « dozos », d'autres combattants complètement déguenillés formaient l'essentiel de l'effectif des combattants des mouvements rebelles. Dans ces conditions, les insurgés une fois en difficulté font �uvre de perfidie, se fondent dans la population civile pour faire échec à l'intervention des forces de défense et de sécurité lancées à leur trousse.

La confrontation armée entre combattants rebelles et les forces gouvernementales provoque alors de nombreuses pertes en vie humaine dans la population civile non combattante.

En fait, la ligne n�est pas toujours facile à dessiner entre objectifs civils et militaires, entre la volonté justifiée de protéger la vie de ses soldats et celle d�éviter trop de morts parmi les civils. Les conflits armés internes qui se sont déroulés en Côte d'Ivoire, en Sierra Leone, en République démocratique du Congo et au Libéria rendent compte de ces difficultés.

Pierre Mendès France raconte comment, durant la seconde guerre mondiale, la préoccupation de la vie des civils l�engagea, ainsi que les autres aviateurs de la France libre, à se spécialiser dans les bombardements en rase-mottes, ce « qui était le plus risqué mais qui permettait une exactitude dans le bombardement beaucoup plus grand »1.

Une telle vision semble très éloignée des préoccupations des belligérants des conflits africains en quête de victoire à tout prix sur l'ennemi. Par ailleurs, la présence de francs-tireurs dans les combats peut ajouter à la confusion. En effet, les francs-tireurs sont les populations des territoires non occupés qui prennent « spontanément » les

1 Cité par MICKAEL WALZER, guerres justes et injustes, Berlin, Paris, 1999, pp. 225-226.

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armes pour repousser les troupes d'invasion sans avoir eu le temps de se constituer en formes armées régulières1. Un tel mouvement semble avoir vu le jour dans le conflit armé interne en Côte d�Ivoire. En effet les jeunes du grand Ouest ivoirien se sont soulevés pour repousser ceux qu'ils appellent « les envahisseurs et rebelles » établis dans leur localité, en vue de sa libération. La presse en avait largement fait écho notamment le quotidien ivoirien, Fraternité Matin2 : « le Mouvement de Libération de l�Ouest de la Côte d�Ivoire (M.I.L.O.C.I.) est passé à l�offensive dans la nuit du dimanche à lundi ». Le président du mouvement, le pasteur Gammi y déclare : « On a pris Logoualé, on a le contrôle totale de la ville ».

Le porte-parole de ce mouvement populaire précise : « Nous ne sommes pas une milice pro-gouvernementale comme on tente de le faire croire�nous ne nous reconnaissons pas dans cette appellation qui laisse clairement transparaître la mauvaise foi de ceux qui ont intérêt à ce que nos parents demeurent dans cette situation de misère. Ce soulèvement populaire n�est que le début d�un éveil de conscience et la fin de la rébellion à l�Ouest de la Côte d�Ivoire ».

Porter ouvertement les armes et respecter les lois et coutumes de la guerre sont les deux conditions que le règlement de la Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre prévoit pour que ces francs-tireurs soient considérés comme des combattants irréguliers légaux. Quant aux mouvements de résistance, depuis les conventions de Genève de 1949, quatre conditions sont à respecter avant de se voir attribuer le statut de combattants légaux et, partant, de prisonniers de guerre en cas de capture.

Conformément à l�article 4 de la IIIè convention de Genève, il s�agit : d�avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés ; d�avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ; de porter ouvertement les armes ; de se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre. L�objet de toutes ces conditions, aussi bien pour les francs- tireurs que pour les résistants, est de sauvegarder la loyauté des combats, mais encore et surtout de différencier les combattants des non combattants de manière à épargner les populations civiles. Le devoir de se distinguer des personnes civiles inoffensives reste donc fondamental.

Au cours des combats, l'armée régulière se doit de faire à la fois preuve d'efficacité et de vigilance pour épargner la vie des civils non combattants, ce qui n�est pas toujours

1 Il s'agit de la « levée en masse » interdite lorsque l'occupation militaire est déjà établie. 2 Quotidien ivoirien, Fraternité Matin du 28 février 2005.

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le cas. Aussi, des actes de représailles pour cause d'intelligence avec la partie rebelle n'est pas à exclure.

L'inexistence chez les insurgés de signe distinctif ou le non port de tenue militaire rend difficile la tâche. La partie rebelle semble souvent tirer profit de cet imbroglio vestimentaire pour quelquefois infliger un revers aux forces régulières. Nous pensons que les insurgés qui prennent directement part aux conflits armés internes contre le gouvernement établi de leur État doivent être soumis aux mêmes conditions que l�armée loyaliste. Pourtant autour des années 1960, les critiques adressées à certaines de ces conditions devenaient de plus en plus nombreuses. Ainsi la majorité des experts gouvernementaux ont estimé qu�il convenait d�atténuer les dites conventions sans revenir sur le principe de leur existence1.

Lors d�une réunion scientifique convoquée par la dotation Carnégie, Madame Denise Bindschedler-Robert2 fit une distinction entre les première et quatrième conditions qui s�appliqueraient à des groupes et les deuxième et troisième conditions que les individus qui en cas de capture, veulent être traités en prisonniers de guerre, doivent respecter. Certains auteurs, comme le professeur Stanislaw. E. Nahlik3 qualifièrent par la suite cette distinction d�« intéressante, mais pas tout à fait convaincante ».

Toujours est-il que c�est plus dans le sens de cette distinction qu�est allée la commission diplomatique du droit humanitaire (1974-1977). En effet, à l�égard des mouvements de résistance organisés, cette conférence diplomatique a décidé de renoncer à des conditions � qualifiées de manière doctrinale de sine qua non � posées dans toutes les réglementations précédentes à savoir : le signe distinctif fixe et le port ouvert des armes4. Ces conditions ont été finalement remplacées par une exigence moins rigide : les partisans des mouvements de résistance5 sont tenus de se distinguer, « d�une façon non définie, de la population civile seulement pendant une opération militaire concrète »6.

Encore qu�il y ait selon l�esprit de l�article 44 alinéa 3 du protocole additionnel I de 1977 « des situations (�) où, en raison de la nature des hostilités », ils ne peuvent se

1 H. MEYROWITZ, Le statut des guérilleros dans le droit international, JDI, 1973, p. 911. 2 D. BINDSCHEDLER, Reconsidération du droit des conflits armés, centre européen dotation carnégie, Genève, 1969, pp. 39ss. 3 STANISLAW, E. NAHLIK, L�extension du statut du combattant à la lumière du protocole I de Genève de 1977, RCADI, 1979, III, p. 203. 4 Ibid, p. 215. 5 (Dont les luttes « contre la domination coloniale et l�occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l�exercice du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes » ont été rétroactivement reconnues comme conflit armé international, conformément à l�article 1 alinéa 4 du protocole additionnel I de 1977). 6 S. E. NAHLIK, op. cit. p. 215.

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distinguer des personnes civiles et conservent le statut de combattants légaux, s�ils portent ouvertement les armes pendant chaque engagement militaire et pendant le déploiement militaire qui précède cet engagement armé1. La question que l�on peut se poser ici est de savoir si cet assouplissement des conditions pour les guérilleros peut aussi valoir pour les insurgés. La réponse n�est pas simple.

En effet alors que la lutte des mouvements de libération nationale a été légitimée, aussi bien par les organisations internationales2 que par les États eux-mêmes3, le droit international ne légitime pas l�insurrection des populations civiles contre le gouvernement établi de leur État ni d�ailleurs ne la condamne, sauf s�il y a des velléités manifestes de sécession.

Même si la nature des parties diffère, les circonstances dans lesquelles les membres des mouvements de libération nationale combattent sont quasiment les mêmes que celles des membres des mouvements insurrectionnels. Ainsi dans la pratique, l�on devrait admettre que les insurgés soient tenus d�être reconnaissables et de porter ouvertement les armes spécialement pendant l�engagement militaire et au temps où ils sont exposés à la vue de l�adversaire alors qu�ils prennent part au déploiement militaire précédant le lancement d�une attaque à laquelle les insurgés doivent participer.

En clair, nous plaidons pour les conditions similaires à celles soumises aux guérilleros, car leur application par les insurgés, comme d�ailleurs par les guérilleros n�est pas sans difficulté. Il s�agit en somme du manquement fragrant aux règles du droit international humanitaire dont les difficultés d�application sont une réalité. Ces difficultés se manifestent notamment par la volonté de ces derniers de se dissimuler dans la population civile, mais surtout par l�efficacité de cette dissimulation.

La nature des guerres civiles et surtout celles qui se déroulent sur le continent africain permettent de rendre compte de cette triste réalité. Les insurgés, comme toutes personnes menant une guerre de guérilla, peuvent s�estimer dans l�incapacité matérielle de se conformer aux conditions sus évoquées, sous peine d�être immédiatement repérés et anéantis par les armées régulières modernes généralement mieux équipées4. En plus l�insurrection doit s�entendre ici comme étant avant tout un soulèvement populaire armé contre une autorité contestable et contestée. Les

1 PHILIPPE BRETON, L�incidence des guerres contemporaines sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire dans les conflits armés internationaux et non internationaux, JDI, 1978, p. 224. 2 Cf. résolution 2105 (XX) AGNU 1965, résolution 2625(XXV) AGNU 1970� 3 Par voie conventionnelle en signant, en approuvant ou en ratifiant le protocole additionnel I de 1977. 4 PHILIPPE BRETON, op. cit. p. 222.

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membres des mouvements insurrectionnels sont donc des civils qui prennent des armes au nom d�une cause politique ou qui revendiquent l�exercice du pouvoir politique.

D�ailleurs, débattant du sort que l�on entendait réserver aux mouvements de résistance organisés, l�ambassadeur ICAZA, délégué du Mexique à la Conférence Diplomatique du Droit Humanitaire (C.D.D.H.) de 1974-1977, prononça un discours particulièrement remarquable. Il expliqua entre autre, que « si les combattants doivent à tout moment se distinguer de la population civile, cette condition ne semble pas indispensable dans le cas (�) (où) c�est la population entière qui prend part à la lutte et qui, quoi qu�il arrive, souffre des conséquences inhumaines »1.

Il paraît fort difficile de distinguer les mouvements insurrectionnels comme les mouvements de libération nationale d�ailleurs, des populations civiles car il s�agit de « mouvements essentiellement populaires ». D�une façon ou d�une autre, le peuple est engagé dans de tels mouvements tout entiers.

Il ne peut donc y avoir dans les populations civiles de distinction clairement établie entre insurgés et non insurgés. N�est-ce pas Mao Tse Tung qui utilisait la formule imagée selon laquelle le guérillero ou, comme dans notre cas, l�insurgé doit être par rapport à la population civile comme « un poisson dans l�eau »2. De même à en croire le général GIAP3, la ligne correcte d�une guerre du peuple « consiste à mobiliser et à armer le peuple tout entier, à le faire participer à la guerre sous toutes ses formes, à organiser les immenses forces politiques de masses et les forces armées populaires avec les trois catégories de troupes comme ossature de la guerre du peuple ».

Les combattants et groupes armés ne sont pas nécessairement � sont même rarement � les seules partie impliquées dans les affrontements se déroulant sur le territoire d�un État : les ingérences et interventions extérieures dont ils bénéficient revêtent des formes variées qui rendent plus délicate l�identification matérielle de ces parties, l�étendue de leur participation au conflit, et en conséquence une qualification de la guerre sur des bases rendant compte des réalités qui intéressent le maintien de la paix. Toutefois, les combattants, l'autorité dont ils relèvent et leurs rapports avec des

1 Conférence Diplomatique du Droit Humanitaire (CDDH) / SR. 41, paragraphe 41 cité par S.E. Nahlik op. cit pp. 229-230. 2 Cf. WEISS, MAO TSE TUNG et la guerre civile, annuaire du tiers monde, 1976 pp. 190 ss. 3 GIAP, Guerre de libération, politique, stratégie, tactique, éditions sociales, Paris, 1970 cité par Mme MONIQUE CHEMILLIER-GENDREAU, dans Humanité et souveraineté, essai sur la fonction du droit international, Paris, la découverte, 1995, p. 234.

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tiers constituent des indicateurs de la propension d�un conflit intra étatique à prendre des dimensions internationales.

Le conflit en république démocratique du Congo qualifié de conflit multidimensionnel tant par son cadre spatial que par le nombre de ses acteurs, consolide notre propos. Le foisonnement des parties au conflit civil ou militaire, la suspicion à l'égard de la population civile accusée à tort ou à raison de prendre fait et cause pour telle ou telle partie au conflit, le caractère transnational du conflit congolais sont autant d'éléments qui rendent difficile la distinction entre combattants et civils et qui est à l'origine de la tragédie du peuple congolais.

Dans le cas spécifique de l'Afrique, la protection accordée aux différents acteurs des conflits armés internes notamment pendant la période de la colonisation, tient compte de la distinction faite entre combattants légaux et combattants illégaux.

B � COMBATTANTS LÉGAUX ET ILLÉGAUX

Dans la mesure où les États africains soutiennent inconditionnellement la décolonisation, ils ont subséquemment essayé de donner le maximum de garantie juridique à tous ceux qui se trouvent engagés dans une « lutte de libération nationale ». En revanche quand il a été question d'accorder des garanties à des combattants engagés dans une guerre de sécession, les gouvernements africains ont préféré être liés par le moins de règles possibles. En fait, ces derniers redoutent de donner à ces mouvements une arme qui pourrait faire effet de boomerang. En tout état de cause, alors que les protocoles additionnels I et II du 8 juin 1977 n'étaient pas encore entrés en vigueur, les dispositions qu'ils contiennent sont révélatrices de la nouvelle orientation que les États africains ont voulu donner au droit humanitaire. Ainsi, a-t-on assisté en Afrique à la naissance d'une nouvelle catégorie de combattants : les « combattants de la liberté » auxquels des privilèges seront reconnus.

1) La protection des « combattants de la liberté »

« Les combattants de la liberté » sont ceux des mouvements, qui mènent une guerre de libération nationale.

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La guerre1, expression du droit des peuples à disposer d�eux-mêmes, pourrait être considérée comme une guerre juste. D�une façon générale, le courant classique affirme que le détachement d�une colonie porte atteinte à l�intégrité territoriale et à l�unité nationale de l�État et condamne toute reconnaissance de gouvernement ou d�État anticipée au profit des insurgés2. Mais pour les États africains, « les combattants de la liberté » exercent un droit reconnu par la charte des nations unies (articles 1 et 55) et consacré par de nombreuses résolutions de cette même organisation3.

Dans ces conditions, la communauté internationale est tenue de se ranger aux côtés de ceux qui ont le droit pour eux � les « combattants de la liberté », de leur donner les moyens de vaincre (aide, assistance, soutien diplomatique�) et de leur offrir le maximum de garantie humanitaire. Le statut juridique des personnes qui combattent par les armes le colonialisme niant les principes essentiels de la communauté internationale, ne peut être que le plus favorable : celui des combattants dans une guerre internationale.

Une protection égale à celle que confère l�ensemble du droit des conflits armés doit leur être reconnue ; le mouvement de libération devenant ainsi sujet de droit international, avec toutes les conséquences que cela implique.

Les États africains vont chercher à donner à cette aspiration une apparence juridique. Ils vont construire une théorie juridique qui assimile ces guerres de libération nationale à des guerres internationales aux fins d�application à ces combattants, l�intégrité des conventions de Genève. Mais en droit international, le terme « international » est synonyme d�« inter étatique ». Le professeur Abi - Saab, après avoir qualifié ce type de conflit de guerre internationale est embarrassé lorsqu�il aborde le problème de l�accession des mouvements de libération aux conventions de Genève4. L�auteur, dans une démonstration peu convaincante cherche à accréditer l�idée que cette théorie est

1 En cas de conflit ouvert, les règles applicables aux guerres de libération nationale (GLN) sont celles des conflits armés internationaux. Toutes les règles du droit international humanitaire sont donc applicables. Cf. article 1, paragraphe 4, du protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 Août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I), 8 Juin 1977. Texte disponible sur le site Internet du CICR : http ://www.cicr.org/dih. 2 L. DELBEZ, Principes généraux du droit international public op. cit. Paris, 1964, p. 72. 3 La résolution 1514 (XV) 1960 de l�assemblée générale, le pacte international sur les droits civils et politiques, le pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ; la déclaration sur les principes de droit concernant les relations amicales et la coopération entre les États, résolution 2625 (XXV) 1970� 4 G. ABI-SAAB traduit son embarras à travers ces propos : �The main difficulty facing the liberation movement in resorting the either of these methods is that accession or acceptance has to emanate from a �power�, a term which is traditionally understood in diplomatic practice and instruments to mean a �State�. On that basis, the capacity of liberation movements to become parties to the conventions, even a temporary basis, may be put in question. This argument is not, however, as decisive as it may sound. First, though the term �power� usually denotes a state in diplomatic language, it has occasionally been used in a wider sense to include some other entities not having this character... realized, commend universal application, i.e. application to all types of international conflicts..�

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conforme au droit existant alors qu�il s�est agi en réalité, d�une « quasi-révision » des conventions de 1949, quant à leur domaine d�application.

Les résolutions de l�O.N.U. et de l�O.U.A. sur la protection des « combattants de la liberté » ne se soucient pas autant du droit. Les résolutions adoptées par l�assemblée générale des nations unies concernant les insurgés impliqués dans un conflit colonial ou un combat mené contre un gouvernement minoritaire et raciste (combattants de la liberté sous domination coloniale ou étrangère), réaffirment parfois simplement le droit inaliénable des peuples à l�autodétermination et à l�indépendance, la légitimité de leur action, sans évoquer les conventions de Genève. Dans le meilleur des cas, elles déplorent vivement « l�incarcération et la détention arbitraire et illégale des dirigeants politiques et d�autres personnes� par le régime illégal de la minorité raciste, qui les prive de l�exercice des droits fondamentaux de l�homme » (résolution 2945 (XXVII) A.G.).

L�O.U.A., pour sa part, se contente souvent de rappeler la conformité de la guerre de libération nationale à la charte des Nations Unies et à la résolution 15141 et demander la libération de tous les prisonniers politiques, détenus et personnes assignées à résidence, l�abrogation de toute législation répressive et discriminatoire (résolution du conseil des ministres, 5-12 juin 1972, Rabat. CM/Res. 267(XIX) sur le Zimbabwe). Elle « invite la communauté internationale à condamner l�arrestation, la détention et la torture des adversaires politiques (au temps de l�apartheid en Afrique du Sud). (Résolution du conseil des ministres, 13-21 février 1975, Addis-Abeba CM/Res. 391 (XXIV).

En 1976, le conseil des ministres de l�O.U.A., réuni en sa 27ème session ordinaire à Port-Louis, Île Maurice, du 24 juin au 3 juillet (CM/Res. 476 (XXVII) n�est pas moins explicite à propos de l�application des conventions de Genève. Il considère « avec indignation, l�augmentation des actes de répression perpétrés par le régime d�apartheid (la fin du système apartheid fait aujourd�hui de l�Afrique du Sud, l�un des pays les plus démocratisés du continent africain) contre le peuple africain et choqué en particulier par les massacres du peuple combattant de Soweto et des autres régions d�Afrique du Sud »; et poursuit ainsi : « Conscient que les massacres de Soweto et ailleurs, comme ceux de Charpeville constituent un témoignage de plus, de la brutalité arbitraire et de la résistance opiniâtre du régime raciste d�Afrique du Sud et un défi à la conscience du monde� ». Manifestement, les résolutions des Nations Unies tout comme celles de

1 Déclaration n° 1514 (XV) de l�A.G. des Nations Unies relative à l�octroi de l�indépendance aux peuples des territoires non autonomes. Cette déclaration a été adoptée par 89 voies contre 0 et 9 abstentions.

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l�O.U.A., se rapportant aux « combattants de la liberté » aussi nombreuses fussent-elles1, reflètent toutes, le désir des États africains, de donner à ce type d�insurgés toutes les garanties humanitaires. Dans ce domaine, l�action des États africains bouscule les principes juridiques traditionnels.

Les dispositions du protocole I finalement adopté en 1977, reflètent fort bien les préoccupations et les aspirations de ces États dont certains venaient d�accéder à l�indépendance. Pour eux, la « réaffirmation et le développement du droit international humanitaire » passe essentiellement par la reconnaissance internationale des guerres de libération et l�octroi d�un statut favorable pour les combattants qui les mènent. Face à cette démarche tendant à ériger les guerres de libération nationale en véritables conflits armés internationaux, la position de nombres de pays occidentaux est révélatrice d�un grand malaise voire d�une désapprobation.

En effet, il existe dans les pays occidentaux une tendance de plus en plus largement partagée selon laquelle la lutte pour l�autodétermination ou contre la discrimination raciale en Afrique australe ne peut être placée sur le même pied qu�une simple insurrection de caractère interne. Mais il y a également une méfiance face à une extension trop large de la protection des conventions humanitaires aux conflits définis selon des critères de finalité. En outre certains États possédant encore des territoires outre-mer ne veulent pas courir le risque de voir naître des mouvements armés, encouragés par la perspective de bénéficier de la totalité du droit de Genève.

Toujours est-il que la conférence diplomatique sur le droit humanitaire ayant adopté le protocole I, avait pour enjeu, l�article 1, paragraphe 4 du dit protocole qui assimile la lutte des peuples « contre la domination coloniale et l�occupation étrangère et contre les régimes racistes » à une guerre internationale. Ce paragraphe 4 est adopté par la commission I de ladite conférence lors de sa première session (20 février � 29 mars 1974), sur l�initiative d�une quinzaine d�États arabes, asiatiques et africains auxquels se joignent la Norvège, l�Australie, et la Yougoslavie, par 70 voix contre 21 et 13 abstentions et en séance plénière finale en juin 1977 par 87 voix pour, une contre et 11 abstentions. Aussi, le droit des peuples à disposer d�eux-mêmes consacré par la charte de l�O.N.U., confirmé massivement par la pratique internationale des États membres en matière de décolonisation des territoires non autonomes et soutenu politiquement par la déclaration de l�assemblée générale en date du

1 Quelque résolutions des Nations Unies sur « les combattants de la liberté » : AG Res. 2446(XXXIII) du 19.12.68 ; Res. 2506 A (XXIV) du 21.11.69 ; Res. 2621 (XXV) du 12.10.70 ; Res. 2707 (XXV) du 14.12.70�

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14 décembre 19601, est passé dans le droit positif. Bien que dépourvue de toute force obligatoire, la déclaration de l�assemblée générale traduit l�expression la plus avérée de l�opinion internationale. On pourrait dès lors en déduire qu�une coutume internationale est née en la matière. Par ailleurs, bien que tous les belligérants soient tenus de respecter les règles du droit international humanitaire, les « combattants de la liberté » s'accommodent difficilement des lois de la guerre. En effet, les combattants des mouvements de libération nationale qui opèrent par guérilla comme ce fut le cas en Afrique australe, mènent des actions soudaines et meurtrières contre des groupes armés isolés et des civils.

Ces derniers biens souvent ne s'encombrent pas de prisonniers qui gêneraient leurs déplacements et constitueraient des charges lourdes� En tout état de cause, pour tenir compte des particularités de la lutte armée menée par les membres de mouvements de libération nationale, l'article 44, paragraphe 2 du protocole additionnel I a essayé de réformer le droit international humanitaire de 1949. En fait, les pays africains voulaient tirer les conséquences de la légitimité des guerres de libération, guerre menée contre une puissance coloniale ou assimilée sur le plan du droit international humanitaire, alors que les conventions de Genève de 1949 et l'ensemble du droit de la guerre existant ont été conçus pour les guerres interétatiques, opposant des armées régulières. Le protocole I range les luttes pour l'indépendance dans la catégorie des conflits internationaux et fait des « guérilleros » des mouvements de libération des combattants réguliers. Les États africains se satisfont pleinement de telles dispositions qui correspondent en tous points à leurs aspirations. En revanche, ils s�insurgent contre le mercenariat qu'ils condamnent unanimement. Ainsi, considèrent-ils les mercenaires comme des combattants illégaux dont le traitement doit être à la mesure de leur illégitimité.

2) L'illégalité du mercenariat

Si le recours aux mercenaires2 constitue une pratique très ancienne3, le continent africain demeure avant et après les indépendances, le terrain de prédilection de ce

1 Déclaration n° 1514 (XV), de l'Assemblée Générale des Nations Unies relative à l'octroi de l'indépendance aux peuples des territoires non autonomes. Cette déclaration a été adoptée par 89 voix contre 0 et 9 abstentions. Bien que dépourvue de toute force obligatoire, la déclaration de l'assemblée générale traduit l'expression la plus répandue de l'opinion internationale. 2 La définition et le statut des mercenaires en Afrique ont été inspirés par un article de M. J. Tercinet consacré aux mercenaires et au droit international, AFDI, 1997, p. 269. 3 Dès l�antiquité, des soldats de métier étrangers, vendent leurs services, par contrat, aux princes comme aux républiques, voir, Aranyossy, mercenaires, encyclopedia universalis, organum, p. 429 et ss.

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genre de combattants. En effet, après la deuxième guerre mondiale, l�activité des mercenaires prend de l�importance sur le continent noir, notamment en liaison avec les difficultés de la décolonisation. En majorité d�origine européenne et Nord américaine, ou encore recrutés parmi les « blancs » d�Afrique du Sud et de la Rhodésie (Zimbabwe)1, ces mercenaires sévissent de manière endémique sur le continent africain où ils contribuent à compliquer l�accession à l�indépendance des nouveaux États et la vie politique interne des États existants.

Philippe Bretton note que le mercenaire est défini en groupe de travail à la conférence sur le développement du droit humanitaire par le représentant du Nigeria, comme « un chacal à visage inhumain, assoiffé de sang africain »2. La définition donnée par l'article 47 du protocole est intéressante en ce qu'elle indique un accord sur les éléments essentiels de la notion de mercenaire. L'article 47-2 est ainsi rédigé : « Le terme « mercenaire » s'entend de toute personne : 1) qui est spécialement recruté dans le pays ou à l'étranger pour combattre dans un conflit armé ; 2) qui en fait prend une part directe aux hostilités ; 3) qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d'obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie ; 4) qui n'est ni ressortissant d'une partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une partie au conflit ; 5) qui n'est pas membre des forces armées d'une partie au conflit ; et 6) qui n'a pas été employé par un État autre qu'une partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État ». L'article 47 exclut de la catégorie des mercenaires, les étrangers qui sont officiellement intégrés dans une armée régulière, souscrivent des engagements de longue durée et non dans le but de participer à un conflit déterminé (points 5 et 6). L'on voit bien comment cette définition peut offrir aux États recruteurs de mercenaires, des échappatoires, dans la mesure où il suffit de les intégrer aux forces armées pour les sauver de leur condition. Le conseil des ministres de l'O.U.A. voulant éviter ce danger, n'a pas repris le point 5) de l'article 47.

1 En 1964, le premier ministre sud-africain déclara à propos du recrutement de mercenaires en territoire sud-africain : « Nous ne nous opposerons pas à ce qu�un gouvernement légitime entreprenne une telle opération dans la légalité », demandant simplement aux agents recruteurs de tenir compte des intérêts de son pays en évitant de recruter un personnel indispensable au bon fonctionnement de l�économie nationale, des restrictions à l�émigration devant être imposées dans le cas contraire (Le Monde, 28 Août et 3 septembre 1964). En Décembre 1961, à la suite d�une protestation du secrétaire général de l�O.N.U., après l�incursion au Katanga de mercenaires provenant de Rhodésie du sud, le premier ministre rhodésien se contenta de répondre que le contrôle des frontières était impossible : échange de messages reproduit dans Africa trade and development, vol. 4, n° 6 p. 7. 2 PHILIPPE BRETTON, Remarques générales sur les travaux de la conférence de Genève sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés, A.F.D.I., 1977, p. 197.

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Au Congo (Zaïre), ces combattants dits « illégaux » sont constamment présents de 1960 à 1968, soit au côté de la sécession katangaise, soit au côté du gouvernement central. Entre 1967 et 1970 les mercenaires combattent au Nigeria (aussi bien, semble-t-il pour le gouvernement fédéral que pour le Biafra). A plusieurs reprises, des gouvernements africains ont fait état d�incursions de mercenaires, tendant à déstabiliser leurs régimes1.

La Guinée2 a déposé plainte au conseil de sécurité par lettre du 22 novembre 1970 et par la suite a souvent fait état de tentatives d�agression émanant des mercenaires. Pour les États africains, les mercenaires sont, en tant que tels, des « criminels »3.

Mais si aucune résolution de l�assemblée générale n�est exclusivement consacrée au sujet des mercenaires, il est souvent envisagé à l�occasion de l�examen de questions auxquels il est lié. Ainsi, dans les résolutions 2465 (XXIII, 20.12.68) et 2548 (XXIV, 11 décembre 69), l�assemblée générale des Nations Unies déclare que « les mercenaires sont des criminels hors la loi » ; l�organisation africaine (O.U.A., résol. 14 septembre 1967 de la conférence des chefs d�État et de gouvernement sur le Congo ; Résol. 12 décembre 1970 du conseil des ministres sur la Guinée) préfèrent condamner les mercenaires en les qualifiant directement d�agresseurs, ne faisant pas la distinction entre les mercenaires et les organisations ou les États dont ils relèvent. C�est une résolution relative à l�application de la déclaration sur l�octroi de l�indépendance qui, la première a prononcé une condamnation de principe du mercenariat. Sur une proposition de l�Union soviétique, elle déclare que « la pratique consistant à utiliser des mercenaires contre les mouvements de libération nationale et d�indépendance est un acte criminel »4. Au lendemain des indépendances, le mercenaire dans la conception africaine est, avant tout, perçu comme un allié des sécessionnistes ou des gouvernements qui font obstacle à la lutte contre le colonialisme et le racisme. Il constitue un outil idéal pour les interventions déguisées à l�encontre d�États, ou encore, il sert de bouc émissaire à des gouvernements aux

1 La Mauritanie, le Monde 16 Juin. Elle qualifie ainsi les raids du Front Polisario ; le Zaïre (R.D.C.), Monde Diplomatique, Avril 1977, incursion des ex-gendarmes katangais ; le Benin, plainte au conseil de sécurité du 26 Janvier 1977 à la suite du raid contre Cotonou, le 16 Janvier 1977 ; le Togo, communiqué du 26 octobre 1977, Le Monde, 28 octobre 1977. 2 La Guinée a déposé plainte au conseil de sécurité par lettre du 22 Novembre 1970 et par la suite a souvent fait état de tentatives d�agressions émanant de mercenaires, voir Le Monde, 5, 6 Août 1971, chronique mensuelle de l�O.N.U., Août-septembre 1976, p. 84. 3 Au cours des débats des Nations Unies, de l�O.U.A., de la CDDH ou simplement dans les communiqués gouvernementaux, les mercenaires sont tour à tour qualifiés de criminel, criminels de droit commun, criminels contre l�humanité, auteurs de crimes analogues au génocide ou à la piraterie. 4 Question congolaise, résolution 1599 (XVI) 15 Avril 1961 ; résolution 2465 (XXIII), 20 Décembre 1968 ; 2548, (XXIV), 11 Décembre 69 ; 2708 (XXV), 14 Décembre 70 ; 31/34, 30 Novembre 76. Résolution 2465 (XXIII), 20 Décembre 1968 ; ce paragraphe 8 a été adopté sous la forme d�amendement par 53 voix contre 8 et 43 abstentions.

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prises avec des difficultés internes. Dans le contexte de la décolonisation, le recours au mercenariat, peu compatible avec l�idée d�un droit des « peuples à disposer d�eux-mêmes » et de l�interdiction du recours à la force, ne pouvait que susciter réprobation et critique. Le recours aux mercenaires dans cette hypothèse se présente comme une nouvelle forme de domination en Afrique (néo-colonialisme)1.

Par contre, on ne peut, selon les africains considérer comme un mercenaire, le soldat étranger engagé pour aider un État nouvellement indépendant à maintenir son ordre public interne ou pour appuyer un mouvement de libération nationale. Il s�agit ici d�un courant favorable à la condamnation du recours aux mercenaires quand il est utilisé pour menacer la souveraineté et l�indépendance des États ou pour faire obstacle à la lutte pour la décolonisation, mais non quand il sert à la protection interne d�un État. La condamnation du mercenariat émanant d�une majorité d�États a au moins valeur politique. Par contre il serait audacieux de conférer une valeur juridique à de simples résolutions. Tout au plus peuvent-elles participer à la formation du droit coutumier2.

Ce n�est donc pas en tant qu�elle est prononcée par une résolution que la condamnation du recours au mercenariat aura valeur de droit positif, mais dans la mesure où certaines manifestations du recours au mercenariat constituent la violation d�une règle existante de droit positif, indépendamment de son rappel dans une résolution. En ce sens, le recours au mercenariat apparaît illégal lorsqu�il est possible de le qualifier d�acte d�intervention ou d�acte de recours à la force3.

Par conséquent est illégal le recours au mercenariat qui porte atteinte aux principes et aux objectifs de la charte de l�O.U.A.4. Dans la quasi-totalité des résolutions de l�organisation africaine où le problème des mercenaires est abordé, il est dit que leurs activités constituent une grave menace pour « l�indépendance », la « souveraineté » et « l�intégrité territoriale » des États. Mais la preuve du recours illégal au mercenariat par un État sera souvent difficile à rapporter. C�est pourquoi et à titre préventif, L�organisation tente de lutter contre le mercenariat en imposant aux États le devoir de s�abstenir d�organiser ou d�encourager des bandes de mercenaires et leur demande de prendre des mesures pour lutter contre ce phénomène.

1 En 1976, le conseil des ministres de l�O.U.A. (CM/Res. 498 (XXVII) sur les mercenaires) reconnaît que « les ennemis de l�Afrique sont déterminés à s�opposer à la lutte sans relâche de notre continent contre la colonisation, le néo-colonialisme� ». 2 S. BASTID, L�État du droit international public en 1973. J.D.I., 1973, p. 14 et ss ; J. Castaneda, valeur juridique des résolutions des Nations Unies, RCADI., 1970, vol. 129, p. 211 et ss. 3 N�GUYEN QUOC DINH, Droit international public, paragraphes 628, 634. 4 Sur les principes et objectifs de la charte de l�O.U.A.

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La déclaration sur les activités des mercenaires en Afrique proclame la volonté des États membres « d�élaborer un instrument juridique destiné à coordonner, à harmoniser et à faciliter la lutte des peuples et des États africains contre les mercenaires » (point 4.), réitère « l�appel fait aux États membres pour qu�ils appliquent, dans son esprit et dans sa lettre, la résolution ECM/Res. 17 (VII)� à ne pas permettre à leurs nationaux de servir dans les rangs des mercenaires� » (point 8). L�O.U.A. adresse les mêmes recommandations aux États non africains. Ces résolutions ont un caractère commun : leur formulation n�est pas impérative, elles se bornent à « inviter » les États à prendre des mesures. Leur multiplication constitue, toutefois, une pression incontestable.

Au cours des débats de la Conférence Diplomatique sur le Droit Humanitaire (C.D.D.H.), plusieurs délégations auraient souhaité que l�article 47 du protocole I relatif aux mercenaires fasse obligation aux États d�interdire le recrutement, l�entraînement, la mise en action de mercenaires, et d�empêcher leurs ressortissants de s�engager comme mercenaires. Le pas n�a pas été franchi ; une telle disposition aurait débordé le cadre de l�objet d�une conférence sur le droit humanitaire, et il n�est pas sûr que les États, en particulier occidentaux, auraient accepté de s�engager dans cette voie. L�existence de l�article 47 à elle seule constitue un appel aux États pour qu�ils arrêtent des mesures restrictives à l�égard du mercenariat1. Mais si le recours au mercenariat est souvent contraire au droit international, la sanction de l�illégalité est rendue difficile, car le mercenariat est propice aux actions déguisées, malaisées à prouver, et l�étendue des obligations juridiques des États est mal définie.

En général ce sont surtout les États occidentaux qui sont accusés de laisser pratiquer les activités des agents recruteurs de mercenaires sur leur territoire. Mais si en l�état actuel du droit international, aucune règle de droit positif ne fait de l�activité des agents recruteurs de mercenaires, ou de l�engagement d�un individu comme mercenaire une infraction punissable2, certains États relèvent que des dispositions de leur droit interne interdisent et sanctionnent l�enrôlement de mercenaires. Ainsi le recrutement, sur le territoire américain, d�individus pour servir dans les forces d�un pays étranger, est puni par le « United States Code » section 9593. Le code pénal français en son article 85, punit « d�un emprisonnement de 1 à 5 ans et d�une amende de 450 à 4 500 euros,

1 Rapport de la commission III à la 3è session : CDDH/III/REV. I et explication de vote, sur le rapport : CDDH/III/SR 57, et en séance plénière : CDDH/SR 41. 2 Déclaration à l�assemblée générale, 1751è séance. 3 Le recrutement est puni d�une peine d�amende (1 000 dollars au maximum), ou de prison (3 ans maximum), ou les deux.

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quiconque en temps de paix, enrôlera des français pour le compte d�une puissance étrangère, en territoire français » car il porte atteinte à la sûreté de l�État. C�est en application de ces dispositions que le chef rebelle ivoirien Ibrahim Coulibaly dit I.B. fut arrêté et mis en examen pour enrôlement sur le territoire français de mercenaires en vue de la déstabilisation du régime du président ivoirien Laurent Gbagbo.

Au moment de l�affaire congolaise, les autorités belges firent savoir qu�elles retireraient le passeport des ressortissants ayant l�intention de servir comme mercenaires et annoncèrent le dépôt d�un projet de loi tendant à réprimer l�engagement de nationaux belges dans des forces étrangères1. En revanche certains gouvernements n�apparaissent pas hostiles au recrutement de mercenaires, ou ne mettent manifestement aucun empressement à lutter contre le phénomène2. Dans la majorité des cas, les mercenaires sont aujourd�hui impliqués dans les conflits armés internes, notamment sur le continent africain, où ces derniers, considérés comme des criminels de droit commun, auteurs d�homicides et non de crimes politiques, sont traités en « hors la loi », et parfois jugés en dehors de toute légalité3. Cela pose le problème de l�étendue de la protection du mercenaire par le droit international.

En effet, dans le protocole I relatif aux conflits armés internationaux dans le cadre duquel le cas des mercenaires est envisagé de manière spécifique, l�article 47.1 dudit protocole dispose : « un mercenaire n�a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre ». Les États africains restent largement favorables à l�interprétation restrictive du texte. Cependant, le mercenaire reste protégé par le droit international, puisqu�en l�absence de disposition contraire4, lui sont applicables, outre la convention IV5, « les garanties fondamentales » établie en faveur de toute personne privée de liberté par l�article 75. Si le mercenaire participe à un conflit non international

1 Le Monde, 29 Décembre 1964. 2 Confère déclaration du premier ministre sud africain, op. cit., Le Monde 28 Août et 3 septembre 1964, et celle du premier ministre rhodésien, op. cit., Africa trade and development, vol. 4, n° 6 p. 7. 3 En Juin 1976, treize mercenaires ont été condamnés à des peines allant jusqu�à la peine de mort par un « tribunal révolutionnaire du peuple » constitué des membres du M.P.L.A. angolais. Un député britannique fit observer que ce « procès » avait été une véritable « application de la loi de lynch », RGDIP, 1977, p. 245. 4 C.I.C.R. Résumé des travaux de la 4è session de la C.D.D.H., p. 381 et ss. Projet de rapport de la commission III : CDDH/III/408. L�article 47 ne se réfère pas à l�article 75 malgré le souhait de nombreuses délégations ; mais rien ne permet d�écarter l�application de ce dernier aux mercenaires, puisqu�il vise dans la mesure où elles sont affectées par un conflit international « les personnes qui sont au pouvoir d�une partie au conflit, et qui ne bénéficient pas d�un traitement plus favorable en vertu des conventions et du présent protocole » sans exception ni restriction. 5 Au cas où le mercenaire ne correspondrait à aucune des qualifications de l�article 4 A de la convention III de Genève du 12 Août 1949, il serait considéré comme un civil se livrant à des actes d�hostilités et bénéficierait des garanties de la convention IV de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, mais il risquerait de tomber sous le coup de l�article 5 sur les personnes faisant l�objet d�une suspicion légitime de se livrer à une activité contre la puissance détentrice, et ne profiterait que du traitement « avec humanité » et du droit à un procès équitable et régulier prévus par l�article 5 al3 : J. Pictet, la Croix Rouge et les conventions de Genève, RCADI, vol., 76, 1950, I, p. 98 et ss ; projets de protocoles additionnels aux conventions de Genève du 12 Août 1949, commentaires, CICR.CDDH/3, p. 84 et 85 et 60 (encore faut il que le mercenaire ne relève pas des catégories exclues du bénéfice de la convention IV en son article 4).

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auquel n�est pas appliqué la totalité du droit de la guerre, il est protégé par le minimum de garanties offert par la « convention en miniature »1 que constitue l�article 3 commun aux quatre conventions de Genève2. Dans la pratique, il est arrivé que la protection des mercenaires revête la forme d�opérations humanitaires délicates, débordant le cadre du droit de Genève. Lors de la « guerre » des mercenaires au Congo en 1967, le C.I.C.R. accepta-t-il de superviser leur évacuation vers le Rwanda, puis vers leurs États d�origine en septembre 19673. A la suite d�un revers des armes, les mercenaires se réfugièrent au Rwanda. Le Congo considéra alors la résolution initiale de l�O.U.A. (prévoyant l�évacuation des mercenaires) comme nulle, demandant l�extradition des réfugiés. Le 12 novembre, le comité spécial de l�O.U.A. adopta une résolution plaçant « les mercenaires qui se trouvent actuellement au Rwanda » sous son « autorité politique » et son « contrôle effectif », et posant comme condition à leur rapatriement, outre l�engagement de ne pas revenir en Afrique, une indemnisation au Congo par les responsables, États ou organisations qui réclament les mercenaires. Face à cette prise de position aussi originale que dangereuse, l�activité du C.I.C.R. prendra un caractère humanitaire. Rappelant que l�extradition des mercenaires, réfugiés politiques, serait contraire au droit international.

Le C.I.C.R. s�est refusé à participer à des négociations tendant à subordonner la liberté d�êtres humains à des compensations financières4. Finalement après de longues négociations entre le C.I.C.R. et le comité spécial de l�O.U.A., l�opération de rapatriement vers les capitales européennes s�est déroulée fin avril 1968 dans les conditions initialement prévues. L�action du C.I.C.R. a été salutaire pour les mercenaires qui, en cas d�extradition, auraient sans doute été sévèrement condamnés. Par la suite, des dirigeants africains ont remarqué avec une amertume compréhensible, que si en 1967 il avait été fait appel à leur clémence au nom des principes humanitaires, et si en conséquence les mercenaires avaient pu être libérés et

1 ROGER PINTO, les règles du droit international concernant la guerre civile, RCADI, vol.1, 1965, p. 524. 2 PICTET JEAN, op. Cit. p. 42 et ss. 3 Le C.I.C.R. se fonda sur la résolution X de la XXè conférence internationale de la Croix Rouge, l�encourageant a « entreprendre tous les efforts susceptibles de contribuer à la prévention et au règlement des conflits armés éventuels ». Son concours fut sollicité par l�O.U.A. en application d�une résolution du 13 septembre exigeant le départ des mercenaires, avec le concours des institutions internationales. Il s�agissait donc plus de contribuer au règlement d�un conflit que d�une entreprise purement humanitaire. Un accord intervient entre les mercenaires et le général Mobutu. Sur cette base le C.I.C.R. entrepris d�organiser le départ des mercenaires, ce qui, lui, permis de constater que ceux-ci traitaient leurs prisonniers conformément aux conventions de Genève : RCICR, l�action du C.I.C.R. au Congo et au Rwanda, 1967, p. 554 ; en annexe : les lettres du général Mobutu au C.I.C.R. et l�accord des mercenaires. 4 RCICR, 1968, p. 15. ; le Monde, 26-28-30 Décembre 1967. Le Rwanda ne céda pas aux pressions du Congo, ce qui entraîna une rupture des relations diplomatiques entre les deux États, le Monde, 13Janvier 1968. En Février le CICR obtint l�évacuation, pour des motifs humanitaires, d�un mercenaire de nationalité française, grièvement blessé, RCICR, 1968, p. 127.

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rapatriés en Europe, le même empressement n�avait pas été mis à les empêcher de retourner immédiatement au Biafra1.

Dès lors, à la Conférence Diplomatique sur le Droit Humanitaire (C.D.D.H.), les États africains ont souhaité une diminution des garantes offertes aux mercenaires. Le protocole additionnel I relatif aux conflits armés internationaux qui touche à la situation des mercenaires est rédigé en conséquence. Alors que par ailleurs, il réalise une extension du droit humanitaire2, ce protocole réduit le champ de protection des mercenaires. En revanche le protocole II relatif aux conflits armés non internationaux n�institue pas une discrimination défavorable aux mercenaires, sans doute parce que modestement, il « développe et complète l�article 3 commun aux conventions de Genève� sans modifier ses conditions d�application actuelles� »3. En réservant un traitement désavantageux aux mercenaires pouvant aller dans les faits jusqu�à l�absence de toute protection, les africains pensent dissuader ces derniers de s�engager dans une aventure déstabilisatrice sur le continent africain. Le code de conduite rédigé à l�usage des troupes nigérianes est à ce titre révélateur. En son point 4.m., il est dit que « les mercenaires ne seront pas épargnés : ils sont les pires ennemis ».

Plusieurs décennies après les indépendances des États africains, le problème du mercenariat demeure encore un vif sujet d�actualité, mais essentiellement en rapport avec les rébellions qui mettent le continent africain en effervescence. Le mercenariat moderne se présente ainsi comme une sorte de volant de main-d��uvre au service du plus offrant. En dehors des condamnations de l�utilisation des mercenaires dans les conflits armés internes en Afrique, le cadre juridique de la matière ne semble pas avoir évolué, pas plus que dans l'acte constitutif de la nouvelle Union africaine. Au Niveau international, les problèmes soulevés par l�activité des mercenaires sont nettement posés. Ils ne sont pas résolus, surtout en l�absence d�une convention. Et pourtant, vu le caractère nocif de l�emploi des mercenaires dans les conflits actuels, toujours en quête de champ de bataille comme moyen de subsides, un dispositif normatif précis parait indispensable pour freiner ce phénomène.

1 Cette amertume s�est exprimée en particulier au cours de la discussion au conseil de sécurité sur l�attaque contre le Bénin, chronique mensuelle de l�O.N.U. Mai 1977, p. 5 et ss. 2 Le protocole en précise le contenu, et, en considérant les guerres de libération comme des conflits internationaux, il fait bénéficier dans tous les cas leurs « guérilleros » du régime favorable appliqué aux combattants légaux (cela résulte de la combinaison des articles I, 42, 44 du protocole I). 3 Article I.1 du protocole II, qui définit la notion de conflit armé non international.

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Dans le « feu de l'action », les exactions commises par les divers combattants sur les populations civiles dans les conflits africains, interpellent toute la communauté internationale en ce que ces drames constituent un véritable défi à l'encontre du droit international humanitaire. Ainsi, les conflits armés internes en Afrique mettent-ils à rude épreuve les règles du droit international humanitaire.

C � LES RÈGLES DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE À L'ÉPREUVE DES CONFLITS INTRA ÉTATIQUES AFRICAINS

Les difficultés qu'éprouve le droit humanitaire à s'imposer dans les conflits armés africains s'expliquent notamment, par la réticence des États africains à le voir appliqué de façon systématique dans l�ordre interne des Etats africains.

Les États africains réprouvent le fait se plier aux règles du droit international humanitaire alors qu�un conflit armé interne vient de se déclencher. En fait ces derniers se fondent de façon constante sur les principes régissant le droit international, à savoir le principe du consensualisme, l'égalité souveraine et l'intégrité territoriale des États. Pour les États africains, l'indépendance politique n'a d'autre signification que le droit pour un gouvernement de s'occuper de ses affaires internes sans que les autres puissent intervenir. L'O.N.U., elle-même doit en principe s'abstenir d'intervenir dans les affaires relevant essentiellement de l'ordre interne des États1. En dépit des insuffisances de l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève, cette disposition n'a été adoptée en 1949 qu'au prix d'immenses difficultés, lors de la conférence diplomatique qui a présidé à son adoption.

Les États du tiers monde notamment africains ont donné au moins deux raisons pour expliquer leur peu d'empressement à soumettre les conflits armés internes au droit international :

! Les conflits internes ne présenteraient jamais une gravité semblable à celle des conflits internationaux et l'on pourrait s'en remettre en quelque sorte à l'humanité ou à l'esprit de magnanimité de l'autorité légalement établie pour régler au mieux le sort des adversaires. En s'obligeant à appliquer un droit humanitaire élémentaire, on encouragerait ou cautionnerait les velléités insurrectionnelles.

1 Voir l'article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies.

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! Accepter l'intervention extérieure, même si elle est le fait d'une organisation humanitaire, compliquerait le règlement du conflit ou risquera de le prolonger.

Telle fut d'ailleurs la position adoptée par le Nigeria dans le cas du conflit biafrais. En effet, un gouvernement n�a pas de pires ennemis que ceux qui veulent renverser par la force le régime au pouvoir et il entendra garder les mains libres pour écraser la révolte sans que des témoins indiscrets viennent juger la légitimité des moyens employés pour réprimer ou même prévenir un soulèvement. C�est la raison pour laquelle les efforts humanitaires encourent souvent les mêmes reproches : tentative d�immixtion dans les affaires intérieures en accordant une importance à des « hommes qui n�en valent pas la peine » (les insurgés).

L�on comprend dès lors pourquoi il a été très difficile d�obtenir des États qu�ils acceptent que la guerre civile soit soumise, même en partie au droit humanitaire. Cette attitude vis-à-vis de la guerre civile est liée à la conception que l�on a de la souveraineté étatique : Les « États sont souverains, en ce sens qu�ils sont simplement juxtaposés sans être soumis à un pouvoir politique qui leur soit supérieur. Leur souveraineté repose sur la maîtrise d�un espace principalement terrestre »1. Les États estiment qu�en s�obligeant à appliquer toutes les dispositions des conventions de Genève dans une guerre civile, un État compromettrait sa sécurité et son existence. Une telle solution conduirait selon certains, à favoriser la révolte, à paralyser le gouvernement établi et à le gêner dans son droit, sa volonté et sa détermination de répression des « hors la loi » .

Pour les États africains, leur liberté dans la lutte contre les insurgés ne doit pas être restreinte, le règlement international du conflit interne ne doit donner aucune base juridique à une immixtion étrangère2. Mais dans l'optique des défenseurs du droit des gens, si le maintien de l�ordre public implique l�emploi d�une certaine dose de contrainte, l�état de guerre implique le recours à la violence armée. Or estiment-ils, le respect de la personne humaine devra être assuré dans la mesure compatible avec l�ordre public et, en temps de guerre, avec les exigences militaires. L�on cherche ainsi à atténuer les rigueurs inutiles de la guerre. La voie choisie en 1949 est un moyen terme : les guerres civiles n�échappent plus totalement au droit humanitaire, mais elles n�y sont pas soumises avec la même rigueur que les guerres internationales. Dans le même temps les acteurs de l�article 3 avaient reconnu que ce dernier ne constituait

1 Reuter, Manuel de droit international public, Thémis, p. 16. 2 Cf. les déclarations des représentants du Nigeria, CDDH/SR. 49, p. 8 et du Cameroun, ibid.

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qu�un premier pas. L�expérience a montré qu�il était muet sur certains points. Ainsi, pendant quatre ans (1974-1977), s�est tenu à Genève une conférence diplomatique ayant pour but la réaffirmation et le développement du droit humanitaire applicable dans les conflits armés, à laquelle ont participé plus de cent États ainsi que certains mouvements de libération nationale reconnus par les organisations régionales1 et invités par la conférence. Les travaux de cette conférence prennent fin en juin 1977 par l�adoption par consensus, c�est-à-dire sans vote, de deux protocoles additionnels aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949.

Le protocole I est relatif à la protection des victimes des confits armés internationaux (102 articles et deux annexes techniques) ; le protocole II protège les victimes des conflits armés non internationaux (28 articles).

En prenant l�initiative de cette conférence, le Comité International de la Croix Rouge (C.I.C.R.) a obéi à diverses motivations tenant à son expérience des conflits dans lesquels il a pu jouer un certain rôle (Algérie, Biafra, Moyen Orient�). Le C.I.C.R. considère qu�il est nécessaire, non pas de réformer le droit humanitaire dans son ensemble, mais d�insister sur certaines règles déjà posées et de les développer (un des thèmes principaux de ces travaux concernait la protection des victimes des conflits armés non internationaux, les problèmes juridiques soulevés par l�intervention étrangère dans un conflit interne et les guerres de libération nationale�). En fait le protocole II, relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, est censé défricher le terrain jusque là peu occupé par le droit international humanitaire des conflits armés non internationaux d�une certaine ampleur, au sujet desquels, n�existait que l�article 3 commun aux quatre conventions de Genève et portant diverses limitations au pouvoir des États, à l�endroit des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, comme à l�endroit des blessés et des malades.

Le protocole II raffermit la situation des personnes, qui doivent en toute circonstance être traitées avec humanité, et préserve la souveraineté des États dans le maintien de l�ordre public interne et de leur unité nationale, excluant toute intervention d�États tiers dans ces types de conflits. Le droit humanitaire interdit ainsi aux belligérants de se causer des maux hors de proportion avec le but de la guerre qui est de détruire ou d�affaiblir la puissance militaire de l�adversaire. Les dispositions de l'article 3 ont été considérées par la Cour internationale de Justice, dans son arrêt du 27 juin 1986 rendu dans l'affaire opposant le Nicaragua aux États-Unis, comme reflétant des

1 Lors de sa 26è session tenue au Mozambique en Janvier 1976, le Comité de libération de l'O.U.A., recommande au Conseil de reconnaître le Front Polisario comme mouvement de libération nationale.

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« considérations élémentaires d'humanité »1. En faisant une telle interprétation des dispositions du dit article, la Cour se fait l'écho de la position de Vattel. L'auteur, au XVIIIè siècle, défend l�idée suivant laquelle les principes d�humanité devraient s�appliquer dans les révoltes contre l�ordre établi2.

A la suite des conventions de 1949, le comité international de la croix rouge (C.I.C.R.) a découvert dans l'article 3 un fondement juridique à son action humanitaire dans les guerres civiles3. D'autre part, la pratique internationale confirme l'obligation pour les gouvernements d'accepter l'assistance et la protection du C.I.C.R.

On pourrait y découvrir la naissance d'une coutume internationale ayant conféré force juridique à l'obligation qui pèse sur les États4. C'est sur ces deux fondements, cumulativement ou alternativement, que le Comité international de la Croix Rouge s'implique, non sans d'énormes difficultés dans les conflits armés internes en Afrique.

Toujours, dans le souci d�éfficacité, a été imaginée une autre forme de protection. Il s�agit de la délimitation d�un espace territorial exclu de toute opération militaire.

PARAGRAPHE II : LA PROTECTION DU TERRITOIRE PAR LES RÈGLES DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

Cette forme de protection pose la question de la délimitation des zones de combats ou du maintien des zones de sécurité dont l'inefficacité achève de convaincre de l'inefficacité des règles de droit international humanitaire dans les conflits armés internes en Afrique.

1 Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/États-Unis d'Amérique), fond, arrêt du 27 Juin 1986, CIJ, Recueil 1986, paragraphe 219. 2 En fait, Vattel recommande au souverain d'appliquer à ses sujets rebelles les lois ordinaires de la guerre. Mais en 1899, Despagnet rétorque que « la guerre civile est étrangère au droit international ; seules des considérations d'humanité doivent guider le gouvernement établi ». 3 Dans tous les cas, l'intervention du CICR n'est possible qu'avec le consentement des deux parties au conflit. 4 Le champ d'intervention du CICR est plus large que l'article 3 ; les conventions de 1949 (articles 9 et 10) stipulent que leurs dispositions ne font pas obstacle aux activités humanitaires que le CICR et d'autres organismes humanitaires impartiaux entreprendront pour la protection des personnes civiles et pour le secours à leur apporter moyennant l'agrément des parties aux conflits.

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A � LA QUESTION DE LA DÉLIMITATION DES ZONES DE COMBATS

L'histoire de l'Afrique des dix dernières années, reste marquée par des successions de massacres perpétrées au cours des conflits armés internes. La tragédie rwandaise et soudanaise, les pires atrocités commises lors des conflits sierra léonais, libérien, ivoirien� au mépris des règles du droit international humanitaire, permettent de rendre compte de la gravité de la situation. Réagissant à la crise somalienne, le Conseil de sécurité se dit « profondément alarmé par les informations persistantes faisant état de violations massives du droit humanitaire international en somalie� » et condamne énergiquement ces pratiques1.

Face au martyre des populations civiles africaines en proie aux guerres civiles, la communauté internationale tout en tentant une réaction humaine, semble souvent dépassée et à cours d'idées. En fait, le déclenchement d'une guerre civile, notamment en Afrique, donne lieu à l'ouverture non d'un front comme c'est le cas entre deux États, mais à plusieurs fronts2. Dans ces conditions, une force neutre d'interposition aura alors bien du mal à assurer le maintien de la paix : d'où la solution de « zone de sécurité »3.

L�institution de zones, constitue une mesure destinée à soustraire les populations civiles des affrontements. L�on utilise le vocable de zone de soustraction pour désigner divers modes de protection.

En fait, une zone de soustraction est un espace territorial auquel une décision unilatérale des Nations Unies, et non un accord entre les belligérants, a pour objectif de soustraire les victimes aux périls qui les menacent.

Mario Bettati4 en distingue quatre types :

! La zone préventive : elle vise à réduire les flux migratoires liés aux situations de grande détresse. Il s�agit de fixer les populations en y organisant un programme

1 Voir, Résolution 794 du Conseil de sécurité du 3 décembre 1992 sur la situation en Somalie. 2 Les mouvements rebelles qui ont attaqué la Côte d'Ivoire dans la nuit du 18 au 19 septembre 2003 ont ouvert au moins quatre fronts : un au centre et un autre au nord-est du pays, dirigés par des responsables du mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) et deux fronts à l'ouest, dirigés respectivement par le MPIGO et le MJP. 3 Cette expression a pour origine un mémorandum français la définissant comme « une zone encerclée, définie par un périmètre précis, placée sous la protection des Nations Unies, où l'aide humanitaire est assurée et où l'on interdit toute agression ». Les zones de sécurité sont à relier avec "les zones et localités sanitaires", « les zones et localités sanitaires et de sécurité » et « les zones neutralisées » prévues par les conventions de Genève de 1949. 4 In La France et l�Onu depuis 1945, coordonné par André Lewin, Panoramique, 1995.

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spécifique de secours d�urgence. Ce concept résulte de l�appel inter organisations du 15 juillet 1992, document adressé conjointement par les agences des Nations Unies aux pays donateurs.

! La zone protégée par les Nations Unies : elle a pour but d�y empêcher la reprise des hostilités, si possible par une démilitarisation de la zone et une surveillance de cette portion du territoire.

! Une zone de sécurité vise à interdire toute activité militaire sur une portion de territoire de l�État dont les victimes sont ressortissantes. Cette mesure est généralement assortie du désarmement des forces locales et du déploiement de forces internationales.

! Zone d�interdiction de survol : elle vise à établir, à des fins humanitaires des prohibitions finalisées. Cette mesure présuppose des moyens considérables et soutenus pour être efficaces. En fait, plusieurs conventions en traitent, mais aucune d�elle n�a défini ce qu�il faut entendre par « zone » ou par « localité ». Si l�on considère les quatre conventions de Genève du 12 août 1949, on peut citer : l�article 23 de la première convention qui prévoit l�établissement de zones et localités sanitaires et de sécurité ; l�article 15 de cette même convention parle de zones neutralisées1. De même l�article 59 du protocole 1 du 8 juin 1977 traite de la création de zones démilitarisée, et la convention de la Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé du 14 mai 1954, utilise les termes de « Refuges » et de « Centres ». Les « Refuges » sont destinés à abriter des biens culturels tels que les �uvres d�art. Quant aux « Centres », ils doivent assurer la protection des biens culturels immeubles (les monuments par exemple). En fait une zone de sécurité est un espace neutre destiné à permettre une gestion humaine d'un conflit. Mais pour que la zone de sécurité soit digne de ce nom, il est indispensable qu'une opération d'imposition de la paix basée sur le chapitre VII de la Charte des Nations Unies soit décidée. L'opération « turquoise » menée au Rwanda et américaine « Restore hope » l'ont clairement mis en évidence. Pour tenter de réagir face aux préoccupations humanitaires engendrées par le conflit libérien, le Conseil de sécurité avait attribué à la capitale du Liberia, Monrovia, le statut de zone de sécurité.

1 Voir MAURICE TORRELI, « Les zones de sécurité », RGDIP, 1995.

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Le bien-fondé d'une telle zone est donc de protéger la population et non de défendre un territoire. Mais c�est surtout le début des années 1990 qui a marqué un « renouveau » des Nations Unies, avec une évolution rapide de la nature des opérations du maintien de la paix (OMP). Pour traduire ce phénomène, la doctrine utilise fréquemment le vocable de « génération d�OMP »1. « La première génération » regroupe les OMP classiques dont l�objet est l�interposition entre les deux belligérants, notamment dans un État affecté par un conflit armé non international. Dans le conflit ivoirien, le Conseil de sécurité par sa résolution, a créé l'Opération des Nations Unies pour la Côte d'Ivoire dont la mission a consisté en une interposition entre les mouvements rebelles basés au nord et à l'ouest de la Côte d'Ivoire et les forces régulières qui occupent la partie méridionale du pays. Il s'agit de la « zone de confiance », une sorte de frontière à l'intérieur du même territoire étatique, afin de séparer les deux parties belligérantes et veiller au respect du cessez-le-feu signé entre les parties. L'instauration de cette zone de confiance surveillée depuis février 2004 par six mille casques bleus appuyés par quatre mille soldats de l'opération « licorne », a eu le mérite de mettre fin à l'affrontement armé et permettre des négociations en vue d'un règlement politique du conflit.

Mais, les mandats des opérations d�interposition entre deux parties en conflit ne se limitent pas exclusivement à des taches d�interposition, ils s�étendent aussi à la surveillance des zones démilitarisées où zone de sécurité. Dans le conflit libérien, la précarité du cessez-le-feu et la reprise des hostilités ont conduit le Conseil de sécurité à voter la résolution 1059 (1993). Aux termes de cette dernière, le Conseil exige notamment que les parties libériennes « rétablissent un cessez-le-feu effectif et général, retirent tous les combattants et les armes de Monrovia, permettent le déploiement de l'ECOMOG (Ecowas monotoring group, le groupe de contrôle ou d'observation militaire de la C.E.D.E.A.O.) et fassent à nouveau de Monrovia une zone de sécurité » (paragraphe 8). Le Conseil de sécurité souligne que la mission des Nations Unies, la MONUL, dont la présence est subordonnée à celle de l'ECOMOG, et la communauté internationale ne continueront à appuyer le processus de paix « que si les parties libériennes font la preuve qu'elles sont résolues à régler leurs différends par des moyens pacifiques et si les conditions énoncées au paragraphe 8 (�) sont remplies ».

1 Le maintien de la paix étant une opération fondée sur le chapitre VI de la charte des Nations Unies, dans le but de maintenir la paix avec le consentement des parties, les hostilités ayant pris fin ; voir, pour un ample examen de l�évolution des OMP, Yves Petit, droit international du maintien de la paix, Paris, LGDJ, 2000, préf. de P. M. Dupuy, pp. 59. ss.

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Il est donc clair que si la protection humanitaire permet d'épargner des vies humaines, elle ne remplace aucunement la recherche d'un accord politique, qui est nécessaire pour mettre fin à une situation conflictuelle. C'est dire, qu'en l'absence de moyens coercitifs, le succès de la zone de sécurité dépend avant tout de la bonne volonté des parties au conflit. La manifestation d'une telle volonté semble s'exprimer progressivement dans les négociations qui ont cours en vue de mettre fin au conflit ivoirien. C'est au mois de janvier 2003 que les forces belligérantes du conflit ivoirien ont signé la fin de la guerre. Depuis lors, et en dépit des nombreux blocages, les Forces de Défense et de Sécurité (F.D.S.) et leurs frères d'armes qui occupent la partie septentrionale de la Côte d'Ivoire, parallèlement au processus de règlement politique, n'ont cessé de multiplier les rencontres qui pourraient à terme permettre de créer la confiance entre ces différentes forces belligérantes. Ce préalable s'avère indispensable à la phase de désarmement des combattants prévue par la résolution 1633 du Conseil de sécurité des Nations Unies.

De façon générale, les Nations Unies interviennent sur le fondement du chapitre VII qui implique un usage de moyens coercitif dont l'efficacité reste discutable notamment dans les conflits africains1.

En république démocratique du Congo (R.D.C.), le Conseil de sécurité a par la résolution 1279 créé le 30 novembre 1999 la mission des Nations Unies en R.D.C. (MONUC). Ensuite, le Conseil chargeait la MONUC (résolution 1291) de suivre la mise en �uvre de l'accord de cessez-le-feu de Lusaka de 1999, de vérifier le désengagement des forces étrangères, de surveiller le manquement au respect des droits de l'homme et de faciliter la distribution de l'aide alimentaire. Ces dispositions n'ont jamais entamé la détermination des bandes armées très mobiles et qui continuent de perpétrer les pires exactions sur les populations civiles notamment dans l'Ituri. L'union européenne ayant pris la mesure du drame congolais va, dès lors, activer son « opération Artemis ». Une zone désignée autour de Bunia est déclarée « exempte d'armes », mais les forces de l'Union européenne faute de pouvoir désarmer les divers groupes de miliciens, les guérilleros et les enfants soldats, se sont contentés de les empêcher de sévir dans un périmètre de 10 kilomètres autour de Bunia. Pour des

1 Le Traité de l�Atlantique Nord, signé à Washington le 4 Avril 1949, instituait une alliance de défense collective, selon la définition de l�article 51 de la charte des Nations Unies. L�alliance rassemble quatorze pays d�Europe, les États Unis et le Canada. L�objectif principal de cette institution consiste à faire jouer la défense collective prévue par l�article 5 du Traité de l�Atlantique Nord au cas où une menace extérieure pèserait sur la sécurité d�un des États membres. Le conflit en ex-Yougoslavie donne pour la première fois l�occasion à l�O.T.A.N. d�intervenir hors « zone ». mais cet emploi de la force dans la crise yougoslave s�est fait sans en référer à l�organisation des Nations Unies qui a essayé de donné une légitimation a posteriori à l�action de l�O.T.A.N. Sur l�action de l�O.T.A.N. en ex-Yougoslavie, voir, le manuel de l�O.T.A.N., partenariat et coopération, bureau de l�information et de la presse de l�O.T.A.N. Juin 1996, pp. 63-75.

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considérations de nature politique, la portée de cette mission a été limitée. A ce jour, la communauté internationale n'a pas encore pleinement résolu le problème du désarmement des différents groupes armés dans la région d'Ituri. Mais il est clair qu'Artemis a contribué utilement à la recherche d'une stabilisation durable dans le pays.

En tout état de cause, s�il est vrai que le système de « zone de sécurité » est essentiel d�un point de vue purement humanitaire, il n�a nullement permis de freiner la fureur des armes de guerre dans les conflits armés internes en Afrique. En fait l�une des caractéristiques des conflits africains, consiste pour les belligérants de ne pas tolérer sur son territoire, la cohabitation avec des minorités d�ethnies ou de religions différentes. Dans ces conditions, la probabilité de violation des zones de protection est énorme.

Au cours de la guerre civile rwandaise, l�établissement d�une telle zone relèverait d�une vue de l�esprit, tant les populations Hutus et Tutsis sont imbriquées. Dans cette situation de guerre totale, seule la victoire de l�une des deux parties au conflit pourrait définitivement ramener la paix. Aucune stratégie des Nations Unies encore moins, celle de l�opération turquoise n�a permis de freiner les atrocités. Quant au recours à la force que peuvent requérir les Nations Unies sur le fondement du chapitre VII de sa Charte, celui-ci a montré ses limites.

Les conflits qui se sont déroulés hors du continent africain notamment, dans les Balkans ont permis de le constater. Dans la crise en ex-Yougoslavie, le Conseil de sécurité, par sa résolution 913 du 22 avril 1994, condamna les forces serbes de Bosnie pour leur offensive ininterrompue contre la zone de sécurité de Goradze et a décidé le recours à la force. Seulement, l�action coercitive fut engagée par les forces du Traité de l�Atlantique Nord (O.T.A.N.) dans des conditions discutables au regard du droit international1. Ainsi, le 25 mai 1995, l�O.T.A.N. lança un raid limité contre un dépôt de munitions de Pale. Mais cette idée de recourir à la force connaît très vite des limites. En effet face à cette intervention armée de l�O.T.A.N., l�artillerie serbe y riposta en pilonnant Bihac, Goradze et Srebrenica, puis tire sur deux terrasses d�un café de la ville de Tuzla faisant soixante et un mort. L�O.T.A.N. décida alors le 26 mai, par le biais d�un second raid de parachever ce qui n�avait pas tout à fait été réussi avec la première intervention. Les Serbes capturèrent en représailles 167 casques bleus dont cent trois français. Pour justifier leur attitude à l�égard des casques bleus, les serbes

1 THIERRY HENTSCH, op. Cit. p. 100.

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ont affirmé que la FORPRONU en intervenant comme elle le fit à Goradze, pour le compte de l�une des parties au conflit, a perdu son impartialité et doit, de ce fait, être considérée et traitée comme étant partie au conflit.

Une telle difficulté s�est posée à la France dans la crise ivoirienne. Le président ivoirien Laurent Gbagbo, pour libérer la zone septentrionale de la Côte d�Ivoire occupée depuis la nuit du 18 au 19 septembre par des rebelles venus du Burkina Faso, avait lancé l�opération « Dignité » sur cette zone. La force armée française dite « Licorne » chargée de surveiller le cessez-le-feu entre les deux parties belligérantes, prétextant de la mort de neuf de ses soldats, avait détruit la quasi totalité de la flotte aérienne ivoirienne et causé dans la même foulée la mort de plus de soixante civils ivoiriens et fait plusieurs centaines de blessés. Par ces actes, selon les autorités ivoiriennes, les forces françaises ont dévoyé leur mission et ont ainsi cessé d�être une force neutre pour devenir une force belligérante. L�armée ivoirienne a même parlé de force d�occupation. Depuis lors, des voies se lèvent pour réclamer le départ de cette force.

L�efficacité des zones de sécurité fut contestée lors du conflit yougoslave par l�ancien chef des opérations du haut commissariat aux réfugiés. Selon lui, ces zones sont entourées par les forces ennemies, et privées d�abri, d�assistance médicale, isolées, et vivent sous les bombardements sporadiques ou les tirs de francs-tireurs. Dès lors, ces zones se transforment de plus en plus en centres de détention, gérés par les Nations Unies et recevant l�assistance du Haut Commissariat aux Réfugiés.

Par ailleurs, un constat d�échec fut dressé par le concept même de « zone de sécurité ». Car ces zones peuvent être détournées de leur but dans la mesure où certaines d�entre elles sont utilisées par les deux parties au conflit pour nourrir leur antagonisme. Ce constat d'échec indique les limites ou la faiblesse du droit international humanitaire.

B � LES LIMITES DES RÈGLES HUMANITAIRES

Dans les guerres civiles qui se déroulent sur le continent africain, la question humanitaire est d�autant plus préoccupante qu�elle pose la constat de graves violations

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des règles humanitaires élémentaires. Les atrocités commises au Liberia, en Côte d'Ivoire1, en Sierra Leone� en sont l'illustration.

Dans un rapport au Conseil de Sécurité des Nations Unies, M. Luis Moreno Ocampo, procureur de la Cour Pénale Internationale affirmait le 4 avril 2006 à Kinshasa que son équipe avait recueilli des informations sur « un nombre important de massacres à grande échelle » au Darfour. Selon des informations par lui recueillies, ces crimes sont le fait de certains groupes ayant agi « avec une intention génocidaire »2. Suite à la guerre de la république démocratique du Congo (R.D.C.) souvent qualifiée de conflit armé interne internationalisé, la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) avait été saisie le 23 juin 1999 par la R.D.C. d'une requête accusant l'Ouganda « d'actes d'agression armée ». La C.I.J., après avoir reconnu que les forces armées ougandaises avaient commis des meurtres, des actes de tortures et autres formes de traitements inhumains�, a déclaré que l'Ouganda a « violé ses obligations en matière des droits de l'homme et du droit international humanitaire »3.

En république centrafricaine, des éléments armés auraient lancé, fin janvier 2006 une attaque meurtrière sur la ville de Paoua. En réaction, l'armée régulière aurait lancé le 29 janvier de la même année, une contre-offensive faisant plusieurs dizaines de morts, principalement des civils soupçonnés de faire partie des bandes armées. Prise sous le feu quotidien des attaques et contre-offensives menées au mépris des règles du droit international humanitaire, la population civile s'est enfuie en masse vers le Tchad. Dans ce contexte de violation massive des droits humains, la fédération internationale des droits de l'homme et la ligue centrafricaine des droits de l'homme ont appelé les autorités centrafricaines et les bandes armées au strict respect du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme. Les deux organisations insistent sur les devoirs du gouvernement centrafricain à la protection de l'intégrité physique de la population.

De toute évidence, ces tragédies rendent compte de l'ampleur de la violation des règles élémentaires du droit international humanitaire dans les conflits armés internes en Afrique.

1 L'éminent avocat JACQUES VERGÈS décrit dans les moindres détails à partir de nombreux témoignages, les nombreuses violations massives des droits de l'homme et du droit international humanitaire, commises lors du conflit ivoirien. voir, JACQUES VERGÈS, Crimes contre l'humanité : massacres en Côte d'Ivoire, éditions Jacques� Marie Laffont, 572 p. 2 Cour Internationale de Justice (CIJ), La Haye, arrêt du 19 décembre 2005, affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c/Ouganda). 3 JEAN SIOTIS, op. cit. pp. 217-218.

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Pourtant dans un conflit armé interne, les insurgés sont tenus au même titre que la partie gouvernementale, au respect du droit international humanitaire. Conformément à l�article 3 commun aux quatre conventions de Genève, « chacune des parties au conflit sera tenue d�appliquer ces dispositions », l�expression couvrant aussi bien la partie qui se réclame de la légitimité gouvernementale que les insurgés.

L�absence dans le protocole II additionnel d�une formule comparable, a été à l�origine d�une controverse très vite dissipée sur l�obligation des insurgés de respecter les dispositions de cet instrument. Cette controverse avait pour origine le rejet par la conférence diplomatique de 1974-1977 de la proposition du C.I.C.R. tendant à inclure dans le protocole II additionnel une disposition qui engagerait expressément les insurgés au respect du droit international humanitaire. Conformément à ce projet, « les droits et devoirs qui découlent du présent protocole valent de manière égale pour toutes les parties au conflit »1.

Le C.I.C.R. prenant soin de préciser à l�appui de son projet, que l�engagement contracté par l�État est non seulement valable pour les autorités légales mais aussi pour les insurgés. Malgré ces explications, certains États notamment africains désireux d�éviter que les insurgés puissent être considérés au plan juridique, sur un pied d�égalité que les autorités gouvernementales, ont préféré exclure du protocole toute référence aux parties au conflit2.

Mais cette absence de référence aux parties au conflit dans le protocole II additionnel ne saurait évidemment être interprétée comme une dispense pour les insurgés de le respecter. Car l�article 1 du dit protocole se réfère à la capacité des insurgés d�appliquer le protocole, comme l�un des critères à prendre en compte pour qualifier une situation conflictuelle de conflit armé non international. Il en va de même de l�alinéa 3 de l�article 4 de ce protocole concernant l�interdiction de recruter les enfants de moins de quinze ans, qui s�adresse, au même titre, tant aux « groupes armés » qu�aux forces gouvernementales.

A la conférence, diplomatique, nombreux furent les États participants à insister sur le fait que le protocole créait des obligations aussi bien pour les forces gouvernementales que pour les insurgés3. Dans la pratique internationale, le conseil de sécurité a dans

1 F. BUIGNION, Le droit international humanitaire à l�épreuve des conflits de notre temps, in RICR n° 835, septembre 1999, p. 389. 2 ANTONIO CASSESE, The status of rebels under the 1977 Geneva protocol on non-international conflicts, international and comparative law quarterly, vol. 82 n° 1, 1978, p. 93. 3 BOTHE MICHAEL, op. cit. p. 93.

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diverses résolutions adoptées, fait expressément appel à « toutes les parties au conflit »1. Dans la crise du Darfour soudanais, le Conseil de sécurité s'est réuni le 18 et le 19 novembre 2004 pour adopter la résolution 1574 sur le soudan. Le conseil « encourage les parties à conclure rapidement un accord global de paix� ». En outre, le Conseil se déclare profondément préoccupé par l'insécurité et la violence croissante au Darfour, la situation humanitaire catastrophique, les violations persistantes des droits de l'homme�

La résolution rappelle « l'obligation de toutes les parties de respecter leur engagement ». C�est sur cette obligation que la commission du droit international s�est fondée pour considérer, dans l�article 10 du projet de responsabilité des États adopté en seconde lecture le 9 août 2001, le comportement d�un mouvement insurrectionnel qui devient le nouveau gouvernement d�un État, comme fait de cet État d�après le droit international2.

La question peut se poser du fondement juridique de l�obligation des insurgés au respect de cette norme. La prémisse d�une telle obligation découle d�une note préparée avant la conférence diplomatique de 1949 par le Comité International de la Croix Rouge (C.I.C.R.) à l�attention des experts gouvernementaux réunis deux années plutôt.

Dans cette note, le C.I.C.R. avait soutenu que « les gouvernements, en signant la convention, s�engagent non seulement en tant que gouvernements, mais engagent aussi l�ensemble de la population dont ils sont les représentants ».

On pourrait alors en déduire que toute personne de la population d�un État qui entreprend une action de guerre civile est ipso facto liée par la convention3. C�est l�idée qui a été retenue et développée dans le commentaire de l�article 3 commun préparé par les soins du C.I.C.R. Elle est conforme au raisonnement selon lequel, dans le domaine des droits de l�homme, les individus sont sujets de droits et d�obligations sur le plan international4. Une telle conséquence découle de la nature juridique de la plupart des dispositions du droit international humanitaire et plus particulièrement de celle de l�article 3 commun qui est d�essence universelle.

1 Résolution 1270 du 22 octobre 1999 dans le cas de la Sierra Leone, résolution 788 du 19 Novembre, pour le Liberia, résolution 814 du 26 Mars 1993 sur la Somalie� 2 Cf. rapport de la commission de droit international (C.D.I.), doc 8697, 4 Avril 2000, p. 47. 3 Note du 18 Août 1947 rapportée par F. Kalshoven. 4 BOTHE MICHAEL, War crime in non-international armed conflict, war crimes in international law, Y. Dinstein et M. Tabary, directeur de publication, 1996, pp. 302-303.

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Dans l�affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, la cour internationale de justice a insisté sur l'obligation des « contras » de respecter l�article 3 commun (3)1. Plus explicite, la cour constitutionnelle de Colombie, dans sa décision du 18 mai 1995, s�est fondée sur le caractère de juscogens de ces dispositions pour justifier l�obligation qui incombe aux forces armées révolutionnaires de Colombie de respecter les textes de cet article2.

Indépendamment de ces considérations d�ordre juridique, les insurgés ont tout intérêt à respecter le droit international humanitaire, en ce qu�une telle attitude serait la meilleure preuve de leur capacité à contrôler leurs troupes tout en témoignant de leur volonté de se comporter de manière responsable, preuve s�il en est de leur pouvoir de fait. Au contraire, toute violation par ces derniers du droit international humanitaire, confirmerait l�assertion de la partie adverse, qui prétend agir au nom de la légalité, et selon laquelle l'action de ces « hommes en armes » s�apparente au banditisme. C�est sans doute la raison pour laquelle les insurgés ont, de tout temps pris l�engagement de respecter le droit international humanitaire.

Dans presque tous les conflits armés internes, notamment ceux qui se déroulent sur le continent africain, les mouvements insurgés s�engagent formellement au moyen de déclarations unilatérales, à respecter le droit international humanitaire3. En effet les dirigeants des parties au conflit participent à de nombreuses conférences et fora internationaux. Ils y renouvellent régulièrement leur volonté de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire.

Malheureusement, la réalité sur le terrain dément trop souvent ces déclarations. Même lorsque les responsables et dirigeants ont la volonté d�honorer les engagements pris, ils n�exercent pas sur les combattants une autorité suffisante pour leur en imposer le respect. De manière plus globale, le mépris des normes humanitaires fondamentales, l�effondrement des structures étatiques et des rapports de commandement, et la méconnaissance des règles essentielles du droit international humanitaire rendent les missions humanitaires de plus en plus périlleuses. Le personnel engagé dans les actions humanitaires d�urgence est confronté à des conditions d�insécurité qui entravent et, trop souvent interdisent l�accès aux victimes et l�acheminement des

1 Cour International de Justice, affaire activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, recueil, 1986, paragraphe 116. 2 Décision n° C-225/95, dans How does law protects in war ? p. 1360, commentaire de F. Kalshoven, �A Columbian view on protocol II�, year book of international humanitarian law, vol. I, 1998, p. 264. 3 D. PLATTNER, La portée juridique des déclarations de respect du droit international humanitaire qui émanent de mouvements en lutte dans un conflit armé, Revue Belge de droit international, 1984, n° 85, pp. 298-299.

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secours. Privées de protection et d�assistance, ces victimes deviennent les otages des porteurs d�armes.

Toujours est-il que les groupes insurgés ne sauraient se prévaloir de leurs obligations de respecter les dispositions conventionnelles pour établir leur personnalité juridique au plan des relations internationales. En effet l�article 3 in fine stipule que l�application de ces dispositions n�aura pas d �effet sur le statut juridique des parties au conflit. En d�autres termes, l�application de l�article 3 de la convention ne peut être interprétée comme équivalent à une reconnaissance de fait ou de droit de la partie insurgée. Celle-ci ne pourrait s�en prévaloir pour conduire à une novation dans son statut. On peut cependant se poser la question de savoir si l�article 3 commun ne renferme pas une contradiction interne.

En effet l�évolution du droit international humanitaire dans le sens d�une reconnaissance de fait des mouvements insurrectionnels résulte de l�article 3 lui-même qui leur reconnaît la capacité fonctionnelle de conclure avec les autorités gouvernementales qu�ils combattent, des accords spéciaux par lesquels ils s�entendront pour appliquer dans leurs relations, tout ou partie des autres dispositions des quatre conventions de Genève. Une telle reconnaissance à notre avis contredit les dispositions de l�article 3 in fine de la convention de Genève. Ensuite, les insurgés ont été amenés à faire des déclarations unilatérales par lesquelles ils s�engagent à respecter le droit international humanitaire. Ces déclarations à l�instar des actes unilatéraux émanant des États, créent des droits et des obligations pour les insurgés. En donnant effet à leurs manifestations de volonté et en appliquant le droit international humanitaire lors des conflits armés non internationaux, les insurgés prouveront qu�ils exercent dans les territoires qu�ils occupent, un pouvoir de fait1.

On peut dès lors admettre que les insurgés, en s�obligeant à l�égard des autorités qu�ils combattent, acquièrent une personnalité juridique fonctionnelle. Il s�agirait en fait d�une reconnaissance de belligérance implicite dont les effets sont strictement limités. Dans la pratique, et comme déjà soulevé, la promesse du respect par les insurgés des règles mêmes élémentaires du droit international humanitaire paraît difficile à tenir, notamment dans les conflits africains, où le non-respect de ces règles pourrait s�analyser dans le cadre de la problématique posée par R. Abi Saab :

1 D. PLATTNER, op. cit. pp. 298-299.

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« Dans quelle mesure le droit humanitaire peut-il avoir une emprise sur des phénomènes qui sont habituellement perçus comme relevant essentiellement de la compétence interne des États ? » L�auteur continue : « Le droit international est-il capable, aujourd�hui, de s�imposer dans la sphère traditionnelle de souveraineté de l�État ? car lorsqu�on parle de conflits internes, il s�agit bien de situations qui touchent au plus près la corde sensible de la souveraineté ». La préoccupation de l�auteur est d�autant plus justifiée que pendant longtemps les États africains se sont montrés réticents à se plier par la création de règles juridiques auxquelles ils devaient se soumettre. Pourtant, l�Organisation de l�Unité Africaine (O.U.A.) ne peut, à notre avis, se désintéresser du problème des conflits armés internes pour des raisons humanitaires et parce que les conflits internes nés après les indépendances, en raison de leur portée sociale, politique et économique créent des problèmes qui intéressent tous les États de la région. Or au plan interne comme au plan régional africain, il eut une certaine forme d�inertie ne jouant pas en faveur d�une réglementation des conflits armés internes. L�adoption des quatre conventions de Genève du 12 août 1949 par les États africains bien plus tard après leurs indépendances témoigne de cette même suspicion. L�article 3 commun des quatre conventions et les protocoles additionnels du 8 juin 1977, constitue pour eux, une exception admise dans la mesure où il ne concerne que la protection des victimes de la guerre civile, le but étant exclusivement humanitaire1.

S�il est avéré comme déjà souligné, que les sources des conflits armés internes en Afrique sont pour l�essentiel endogènes, il n�est pas exclu que le soutien qu�apportent les grandes puissances à l�une ou l�autre partie au conflit en fonction de leurs intérêts économiques, n�ait pas de rapport avec la violation fragrante des règles élémentaires du droit international humanitaire voire des droits de l�homme au cours de ces conflits. Les forces belligérantes, notamment la partie rebelle, souvent requinquée du soutien solide des grandes puissances extérieures, s�adonne impunément en période de guerre civile à des atrocités défiant tout entendement humain sur les populations civiles. Cela pose le problème du rapport entre la sauvegarde des intérêts des puissances extérieures voire occidentales et le respect des règles humanitaires. La crise en Côte d�Ivoire est révélatrice de cette situation. En effet, dans la guerre qui oppose le gouvernement légalement établi de Côte d�Ivoire aux rebelles qui tiennent la partie septentrionale du pays depuis le 19 septembre 2002, des puissances

1 MARIE-FRANÇOISE FURET, J.C Martinez, H. Porandeu, op. cit. p 173. ; Cf. commentaire, projet protocole II, p. 139, et commentaire de la IIIè convention de Genève pour la raison d�être de cette disposition, 1958, pp. 49-50.

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extérieures ont été régulièrement citées, preuve à l�appui1, en tant que soutien incontestable de la rébellion qui a endeuillé ce pays.

Dans son article intitulé « l�État sauvage » sur la guerre civile en Sierra Leone, paru dans le magasine le spectacle du monde2, Bernard Lugan décrit la barbarie à l'instar de celle perpétrée en Côte d'Ivoire, et commise au Liberia par les rebelles du Revolutionary United Front (R.U.F.) dirigée par Foday Sankoh, au vu et au su de toute la communauté internationale : « sévices en tout genre, éventration, décapitation, énucléation et même actes de cannibalisme� », au mépris des règles du droit international humanitaire3. Dans ces conflits où les civils sont pris pour cibles dans les combats, il n�y a qu�un pas � qui est vite franchi � pour que la sauvagerie4 devienne méthode de combat. La nature des conflits, leur fondement ethnique engendre une violence qui frappe indistinctement au sein des populations civiles puisqu�il ne s�agit plus de gagner mais plutôt d�écarter � au besoin en l�annihilant � un groupe défini par des critères ethniques, raciaux, religieux.

De tels comportements ne sont pas l�apanage des conflits africains comme en témoignent les atrocités commises lors du conflit en ex-Yougoslavie, où on a beaucoup entendu parler d�actes de génocide, de nettoyage ethnique� de nombreux témoignages ont fait état de viol systématique des femmes bosniaques, des actes de torture, de pillage, de déplacement forcé de populations, du banditisme5. Réfléchissant sur cette violation systématique du droit international humanitaire lors de ces conflits, les juristes ont relevé les limites propres au droit international humanitaire, dont ils ont dénoncé le peu d'efficacité. En fait, Les mécanismes destinés à en assurer le respect pensent-ils, sont encore très réduits et demeurent souvent inutilisés. Dès lors les violations graves des règles les plus élémentaires sont légion. Ce point de vue pessimiste est partagé par nombres de juristes.

Selon Eric David, « le droit des conflits armés� est probablement la branche la moins respectée, et par conséquent aussi la plus théorique, sinon la plus utopique du droit

1 Une infiltration au c�ur de la rébellion ivoirienne a ramené des images inédites, formalisées en DVD commercialisés. On y voit des soldats français de l�opération Licorne danser au milieu des rebelles dans le cadre d�une cérémonie initiatique où au même titre que les rebelles, les soldats français se lavent les mains dans du sang humain de gendarmes ivoiriens égorgés lors d�une autre cérémonie. Dans un autre DVD, on voit es soldats français après aidé les rebelles dans la prise de la ville de Daloa, partager avec ces derniers le repas de la victoire ; voir aussi le livre de Mamadou Coulibaly : « la guerre de la France contre la Côte d�Ivoire » 100 pages. 2 BERNARD LUGAN, « L�État sauvage », Le spectacle du monde, juin 2000. 3 La cour internationale de justice dans l�affaire Barcelona Traction déclare que les principes de droit humanitaire sont erga omnes et intransmissibilités. 4 BERNARD LUGAN, op. cit. pp. 64-70. 5 R.D.I.L.C., 1938, p. 510.

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international et même du droit tout court » et l�auteur en donne même quelques raisons1. Quant à Luigi Condorelli, il affirme : « la vérité est que le droit international humanitaire existant refuse d�organiser efficacement sa propre mise en �uvre. La communauté internationale, au-delà de quelques mesures par ailleurs sélectives, ne se donne pas les moyens de s�acquitter devoir d�assurer le respect des règles humanitaire »2.

Face à ces violations massives du droit international humanitaire et à la faiblesse du dit droit, se pose la question de l'existence d'un droit d'investigation pour la communauté internationale en cas de violation des conventions de Genève. En fait, l'attachement des États à leur souveraineté explique leur refus de reconnaître à la communauté internationale un droit d'investigation visant à déterminer si les parties au conflit respectent le droit international humanitaire. Ainsi, dans l'affaire du Biafra, le gouvernement fédéral nigérian n'a accepté la constitution d'une commission d'enquête que pour mieux se dégager des accusations de génocide portées contre lui3. Il ne fera rien également pour permettre au C.I.C.R., gardien des conventions de Genève de mener à bien son action ; ainsi, l'institution rencontrera-t-elle d'énormes difficultés tout au long de la guerre. En effet, quand bien même les parties auraient fait part aux délégués du comité4 de leur volonté d'appliquer les conventions de Genève à la veille du conflit, cette volonté s'est évanouie dans « le feu de l'action ». Ainsi, le comité dénoncera à plusieurs reprise, les graves atteintes à la sécurité et à la vie de la population civile, des exécutions d'otages, de soldats blessés et de prisonniers, des bombardements d'hôpitaux signalés au moyen de l'emblème de la Croix-Rouge� Le C.I.C.R. indigné, lance en automne 1967 un appel aux belligérants au strict respect des règles du droit humanitaires et leur rappelle notamment que les conventions de Genève exigent5 : � d'accorder la vie aux combattants qui se rendent, � de respecter les blessés et de leur donner les soins nécessaires, qu'ils soient amis ou ennemis, �d'épargner la population civile, � que le personnel de santé de l'armée et le personnel de la Croix-Rouge soient respectés, � que les militaires armés n'attaquent pas les

1 ERIC DAVID, op. cit. p. 553. 2 LUIGI CONDORELLI, L�évolution récente des mécanismes visant à assurer le respect du droit international humanitaire, pp. 127-133, in Mélanges offerts à Hubert Thierry, Paris, Pedone, 1998, 417 pages. 3 A la suite des accusations de génocide du peuple Ibo portées par les autorités biafraises contre lui, le gouvernement fédéral, le 29 août 1968, invite l'O.U.A., l'O.N.U. et quatre pays (dont le Royaume uni et le Canada) à envoyer chacun un observateur, afin de contrôler les opérations des troupes fédérales sur le terrain. Il s'agissait en fait pour ces observateurs de se prononcer sur l'existence ou non d'un génocide, au sens de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. En décrivant les faits controversés, ces observateurs ont contribué indirectement à l'application des règles humanitaires, de celles du "Code of conduct for the Nigeria army" de juillet 1967 ("Directive to all officers and men of the armed forces of the federal Republic of Nigeria on the conduct of military operations"). 4 Voir rapport d'activité du C.I.C.R., 1967, p. 37. 5 Rapport d'activité du C.I.C.R., op. cit. p. 37-38.

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hôpitaux militaires et civils, � que le signe de la Croix-Rouge sur fond blanc et tous ceux qu'il protège soit considéré comme inviolable et sacré. Le 23 mai 1968, le C.I.C.R. renonçant à sa modération habituelle adresse aux autorités nigérianes et biafraises réunies à Kampala, un message dans lequel il adjure les belligérants de « donner des instructions très précises et strictes aux forces armés en présence, tant que n'auront pas cessé les hostilités, afin d'épargner à la population civile innocente des attaques aériennes ou autres atteintes à la sécurité, que ce soit au titre de représailles ou non »1. Au cours de l'année 1969, les relations entre le gouvernement fédéral et le C.I.C.R. se détériorent, le pouvoir central nigérian voyant dans les agissements du C.I.C.R., une entrave aux opérations destinées à écraser définitivement la rébellion armée biafraise. Comme conséquence de cette hostilité à l'égard de l'institution humanitaire, le gouvernement fédéral, après le conflit, repoussera les offres de service du C.I.C.R. et d'une manière générale de tous les organismes humanitaires.

Ainsi, le conflit nigérian nous aura permis de prendre la mesure de la portée et des limites des règles du droit international humanitaires dont la violation massive par les belligérants constitue un véritable défi pour la communauté internationale. Ce défi est d'autant plus immense que la dite communauté contribue à l'affaiblissement des règles humanitaires. Ainsi, lorsque le conflit libérien éclate, il ne suscite aucune réaction de la part de la communauté internationale. L'Organisation des Nations Unies pour refuser toute protection humanitaire à la population civile libérienne s'en tient au principe de non intervention dans les affaires internes d'un État telle que définie au paragraphe 7 de l'article 2 de sa Charte et précisée dans l'arrêt de la C.I.J. sur les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua2. Cette même léthargie de la communauté internationale dans le conflit rwandais a eu pour conséquence, la tragédie humanitaire de 1994. Dès lors, au-delà de la question humanitaire, celle de la protection des droits de l'homme dans les conflits armés internes en Afrique reste posée avec constance.

1 Rapport d'activité du C.I.C.R. 1968, p. 13-14. 2 Affaire activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, 27 juin 1986 (Nicaragua c/les Etats-Unis d�Amérique, Cour Internationale de Justice (C.I.J.), REC 1986, paragraphe 207.

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Section II : Les conflits intra étatiques africains et les droits de l'homme

Les tragédies provoquées lors des conflits armés internes en Afrique remettent incessamment au goût du jour la préoccupante question des droits de l'homme de façon générale, mais également le problème de la protection de catégories spécifiques de personnes notamment, les enfants, les réfugiés et les minorités.

PARAGRAPHE I : NÉCESSITÉ DE PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME LORS DES CONFLITS

L'exigence de la protection des droits de l'homme pendant les conflits en Afrique est d'autant plus pressante que le mépris des dits droits sur le continent noir est une réalité constante. En outre, les dispositifs y afférent sont peu efficaces, de sorte que les Nations Unies tentent de venir en appui pour aider à l'amélioration de la protection.

A � LA VIOLATION DES DROITS DE L�HOMME DANS LES CONFLITS INTRA ÉTATIQUES : UNE RÉALITÉ

Quand on connaît les problèmes auxquels le continent africain est actuellement confronté, il est intéressant, voire indispensable, de s'interroger sur la place occupée par le concept des droits de l'homme dans un environnement aussi gravement tourmenté. En effet depuis plusieurs années jusqu'à ce jour, nombres d'États africains sont confrontés à des conflits armés internes avec leur lot de tragédies : massacre des Tutsis au Rwanda, guerre civile en république démocratique du Congo (R.D.C.)1, en Côte d'Ivoire2, au Soudan, l'élimination de la majorité de la population arabe au Zanzibar, la guerre du Biafra� Il est à déplorer que les victimes de ces exactions soient majoritairement des civils sans armes (femmes, enfants, personnes déplacées

1 Rapport sur les allégations de massacres et autres atteintes aux droits de l'homme ayant eu lieu à l'Est de l'ex-Zaïre (R.D.C.) établi conjointement par les rapporteurs spéciaux sur la situation des droits de l'homme en R.D.C. et sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et le groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, E/CN.4/1998/64, 23 janvier 1998. Voir également la résolution de l'Assemblée générale sur la situation des droits de l'homme en R.D.C., A/RES/53/160, 9 février 1999 2 JACQUES VERGÈS, Crimes contre l'humanité : Massacre en Côte d'Ivoire, éd. Pharos, Jacques-Marie Lafont, 272 pages.

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ou réfugiées) et des opposants politiques. En fait les atteintes à la sûreté personnelle se traduisent par des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et des enlèvements ou des disparitions forcées1.

La responsabilité de ces actes incomberait aussi bien aux gouvernements des pays africains concernés qu'aux mouvements rebelles avec lesquels ils sont aux prises ; les différents protagonistes rivalisant de zèle dans les massacres systématiques des populations innocentes. Ainsi, loin de sécuriser les citoyens, ces différents protagonistes constituent dans divers endroits des pays en guerre, des sources d'insécurité2.

Le comble est de constater que les personnes qui courageusement tentent d'apporter des témoignages ou des renseignements sur les violations des droits de l'homme à qui de droit (O.N.U., ONG), ont été victimes au Burundi3, au Swaziland4, au Rwanda5, au Soudan6, au Zaïre (R.D.C.)7, au Nigeria8 et en Somalie9 d'actes d'intimidation et de harcèlement, de représailles, d'arrestations arbitraires et d'assassinats. Les atteintes aux droits de l'homme survenant au cours des guerres civiles, guerres de sécession ou tout conflit armé en Afrique, ne se comptent plus.

Face à cette situation, les États africains membres de l'Organisation de l'unité africaine (O.U.A.) font preuve entre eux d'une indulgence née d'une compréhension mutuelle de l'Afrique indépendante. En fait l'unité africaine au lendemain des indépendances est

1 Ligue des droits de la personne dans la région des grands lacs (LDGL), « Rapport sur la situation des droits de l'homme dans la région des grands lacs : Burundi, R.D.C., Rwanda », exercice 1998, publié par la LDGL avec l'appui du centre international des droits de la personne et du développement démocratique, lire l'introduction. 2 Voir le rapport du groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, E/CN.4/1998/43, 12 janvier 1998. Le groupe de travail a transmis des communications aux gouvernements de l'Algérie, de l'Angola, du Burkina Faso, du Burundi, du Cameroun, du Tchad de la R.D.C., de l'Égypte, de la Guinée équatoriale, de l'Ethmo, de la Guinée, de la Libye, de la Mauritanie, du Maroc, du Mozambique, du Soudan, du Rwanda, des Seychelles, de l'Afrique du Sud, du Togo et de l'Ouganda. Voir également l'exposé écrit présenté par la fédération internationale des ligues des droits de l'homme, E/CN.4/Sub.2/1998/NGO/16, 29 janvier 1999 pour le Congo. 3 Rapports du Rapporteur spécial pour le Burundi, E/CN.4/1996/16, 14 novembre 1995 et A/51/459, 7 octobre 1996. voir également le rapport du secrétaire général sur la coopération avec les représentants d'organes de l'O.N.U. chargés des droits de l'homme, E/CN.4/1996/57, 22 février 1996. 4 Rapport du secrétaire général sur la coopération avec les représentants d'organes de l'O.N.U. chargés des droits de l'homme, E/CN.4/1996/57, 22 février 1996. 5 Rapport du Rapporteur spécial pour le Rwanda, E/CN.4/1996/7, 28 juin 1995. Voir également le Rapport du Rapporteur spécial pour le Rwanda, E/CN.4/1997/61, 20 janvier 1997 et A 52/522, 22 octobre 1997 et les rapports du Haut commissaire aux droits de l'homme, E/CN.4/1997/52, 17 mars 1997 et A/52/486, 16 octobre 1997. 6 Rapport du secrétaire général sur la coopération avec les représentants d'organes de l'O.N.U. chargés des droits de l'homme, E/CN.4/1996/57, 22 février 1996. 7 Rapports du Rapporteur spécial pour le Zaïre, E/CN.4/1997/6/Add.1 et Add.2, 2 avril 1997 et 16 septembre 1997 et A/54/361, 17 septembre 1999. Voir également le rapport sur les allégations de massacres et autres atteintes aux droits de l'homme ayant eu lieu à l'est du Zaïre établi conjointement par les Rapporteurs spéciaux sur la situation des droits de l'homme en république démocratique du Congo et sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et le groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, E/CN.4/1998/64, 23 janvier 19998. 8 Rapport du Rapporteur spécial pour les questions relatives aux exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, A/51/538, 22 octobre 1996 et observations du Comité des droits de l'homme sur le rapport initial du Nigeria, CCPR/C/79/Add.6, 1er et 3 avril 1996. 9 Rapport de l'expert indépendant pour la Somalie, E/CN.4/1997/88, 3 mars 1997 et E/CN.4/1998/96, 16 janvier 1998.

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encore un mythe puissant. Pour ces États, il faut donner vis-à-vis de l'extérieur l'impression d'une communauté continentale unie et donc, éviter d'aborder, au moins ouvertement, des problèmes susceptibles de les diviser. Ainsi, lorsque les dirigeants d'un pays africain découvrent une situation embarrassante dans un autre pays, ils font, tout au plus, connaître leur réaction à ce dernier discrètement, en évitant que l'affaire soit portée « sur la place publique », devant l'O.U.A. Ainsi, un chef d'État peut proposer l'envoi d'un émissaire ou d'une mission de bons offices, déclarant agir entant qu'« ami et frère ». La conviction de celui qui intervient est que la violation des droits de l'homme, en l'espèce, n'est qu'un « accident » dû à un concours de circonstances malheureux. De tels accidents sont regrettables, mais ils sont les produits inévitables des sociétés engagées dans un processus de développement économique, social et politique.

Les États africains ont également essayé d'introduire le principe de l'inégalité de traitement des combattants impliqués dans un conflit armé interne, selon l'objet de leur lutte. Ainsi prétendent-ils que les « combattants de la liberté » contrairement aux combattants rebelles engagés dans une guerre civile, ont droit à être protégés par l'ensemble des règles protectrices du droit des gens. De telles attitudes ne sont pas exemptes de toute critique. Ainsi, certains auteurs ont pu parler, à ce sujet d'une « double morale » de l'O.U.A., dont les membres, en cas de violation des droits de l'homme lors de conflits armés internes, disent peu de choses mais sont prompts à attaquer violemment les pratiques des puissances coloniales et des régimes minoritaires et racistes. En fait la charte de l'O.U.A. fixait comme l'un de ses objectifs principaux, « l'élimination du colonialisme sous toutes ses formes » laissant prévoir que les États membres seraient partisans d'une inégalité de traitement des combattants selon l'objet de leur lutte. Ainsi, en dehors des problèmes soulevés par la colonisation, les États africains ne se soucient guère des droits de l'homme.

En fait ces États nouvellement indépendants, ne s'estiment pas en mesure d'assurer une protection efficace des droits de l'homme comme c'est le cas en occident. Selon eux, le respect rigoureux des droits de l'homme correspondrait à un certain niveau de développement économique et social des États et une formation achevée de la nation qui dit-on serait encore en construction en Afrique.

En effet, aux lendemains des indépendances, les États africains ont dû faire face à de nombreux défis, sur le plan économique, les gouvernements africains déterminés à lutter contre le sous-développement, veulent pouvoir agir, sans aucune contrainte, aucune opposition et tout ce qui est de nature à constituer une source de division.

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Au plan politique, ces États se trouvent face à des sociétés polyethniques (l'unité, lorsqu'elle s'est réalisée contre le colonisateur, n'a pas survécu à l'indépendance). Certains de ces États ont dû faire face à des mouvements irrédentistes, des guerres civiles sur font de déstabilisation des régimes en place. Il fallait dès lors s'efforcer de maintenir l'unité de la nation, par tous les moyens, y compris en recourant à la force armée et, d'une manière générale, par la mise en place de régimes autoritaires. Finalement, pour les États africains, les droits de l'homme peuvent être sacrifiés pour la réalisation d'objectifs plus impérieux. Mais plus de quarante ans après les indépendances, la violation des droits de l'homme reste une constance. Nous pourrions sérieusement douter aujourd'hui du caractère opérant de l'argumentaire jadis avancé pour justifier la violation des droits de l'homme sur le continent noir. La situation est d'autant plus préoccupante qu�il n'existe en Afrique, aucun dispositif normatif efficace de protection des droits de l'homme notamment en période de conflit armé interne.

B � ABSENCE DE DISPOSITIF JURIDIQUE EFFICACE DE PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME EN AFRIQUE

Les tragédies provoquées par les conflits armés internes en Afrique ne se comptent pas : massacre des Tutsis au Rwanda, actes de « génocide » dans le réduit biafrais nigérian et dans la corne de l'Afrique, massacre de populations civiles au cours des guerres civiles du Liberia, de la Sierra Léone, du Soudan� La raison d'État subjugue les droits de l'homme. Les libertés publiques ne peuvent être exercées que dans les limites imposées par le pouvoir. En République démocratique du Congo (R.D.C.), de nombreuses rébellions ont vu le jour et s'illustrent par des violations massives des droits de l'homme.

Dans tous les États africains en proie à un conflit armé interne, le même constat s'impose : alors que dans la zone tenue par la rébellion, c'est le droit à la vie qui est le plus menacé, dans la partie sous contrôle gouvernementale, c'est le droit à la liberté de personne. Ainsi accusés d'intelligence avec la rébellion, des hommes politiques, des journalistes, des avocats, des dirigeants syndicaux, des religieux� sont arrêtés ou exécutés. Face à ces violations massives des droits de l'homme, l'Organisation de l'unité africaine ou l�Union africaine et les Etats qui la composent adoptent des positions ou font des déclarations qui sont très éloignées de la mesure du drame.

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En fait, en Afrique comme partout ailleurs, le problème de la protection des droits de l'homme a pendant longtemps été relégué au domaine réservé de l'État. Son application restait essentiellement limité au temps de paix. Mais si une évolution normative au plan international s'est réalisée dans le sens d'une pénétration des droits de l'homme dans le droit de la guerre, l'Afrique quant à elle reste encore à la traîne dans ce domaine.

1) L'évolution au plan international des normes de protection des droits de l'homme

Il convient ici d�évoquer, à la fois, la corrélation entre le droit international humanitaire et le droit international des droits de l�homme et la violation des droits indérogeables et d�autres normes du jus cogens. C�est dire à quel point la pénétration des droits de l�homme dans le droit de la guerre1 est évidente. En effet plusieurs facteurs ont concouru à la fin des années 1940, à rapprocher les sphères d�application du droit de la guerre et des droits de l�homme. Avant la guerre, les droits de l�homme relevaient exclusivement du domaine réservé étatique, pour autant que l�individu ne s�était pas vu octroyer certains droits spécifiques par des normes internationales2. Eu égard à l�ampleur des abus des forces de l�axe, cet état des choses changea dès 1945. C�est l�époque de l�entrée en scène de la protection des droits de l�homme sur le plan international à travers la déclaration des droits de l�homme de 1948, la convention européenne des droits de l�homme de 1950 ou encore les deux pactes de 19663. En même temps, les conventions de Genève de 1949 sur le droit humanitaire étaient conclues. Le point de gravité des conflits armés se déplace du niveau international vers le niveau interne. Une rencontre avec les droits de l�homme devient ainsi inévitable. Parallèlement, le droit des droits de l�homme s�étoffe pour faire face aux situations toujours plus fréquentes de troubles internes ou d�état d�exception ou de conflit armé interne, en prévoyant une série de droits non dérogeables garantis à l�individu en toute circonstance4.

1 Cf. R. KOLB, aspects historiques de la relation entre le droit international humanitaire et les droits de l�homme, C.Y.B.I.L., vol. 37, 1999, p. 57 ss. 2 Cf. H. LAUTERPACHT, the development of international law by the international court, Londres, 1958, p. 173ss ; J. SPIROPOULOS, l�individu et le droit international, RCADI, vol. 30, 1929-V, p. 195 ss. 3 R. BRUNET, la garantie internationale des droits de l�homme, Genève, 1947 pour un compte rendu d�époque. 4 Cf. l�article 15 de la convention européenne des droits de l�homme, l�article 4 du pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966, l�article 27 de la convention américaine des droits de l�homme de 1969, - Sur les situations d�exception, leur abus et les réponses des Nations Unies, Cf. O.N.U., conseil économique et social, 10è rapport annuel de M. Leandro Despouy, commission des droits de l�homme, sous commission de la lutte contre les

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Il dépasse ainsi progressivement la seule application en temps de paix, pour couvrir les situations d�exception, voire de conflit armé interne ou même externe. Ce minimum non-dérogeable par l�État sous le titre des droits de l�homme ressemble par nature au minimum humanitaire prévu à l�article 3 commun des conventions de Genève de 1949. A travers les terribles souffrances des civils, ces dispositions représentent un puissant levier pour une meilleure garantie des droits de l�homme dans ces situations. En fait c�est à la conférence internationale sur les droits de l�homme organisée par les nations unies à Téhéran en 1968 que l�union des droits de l�homme et du droit de la guerre fut scellée. La résolution XXVII de la conférence, intitulée : « Le respect des droits de l�homme en période de conflit armé » inaugurait une expression qui allait faire fortune et qui fut inspirée par la situation au Proche-Orient (occupation de territoires par l�Israël)1. Cette pénétration des droits de l�homme a profondément marqué le droit humanitaire applicable aux guerres civiles. Il en résulte dès lors une exigence de respect des droits de l�homme en période de guerre notamment par l�exercice des pouvoirs d�exception, qui en ces temps de crise doit être également compatible avec les autres obligations découlant du droit international général, du droit des conflits armés et des autres instruments internationaux de droits de l�homme. Ainsi conformément à l�article 4-1 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 19662, en cas de « danger public exceptionnel », les États parties peuvent prendre, « dans la stricte mesure où la situation l�exige », des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le pacte, toutefois sous réserve : que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations internationales, qu�elles n�entraînent pas de discrimination fondée uniquement sur la race, la langue, la religion ou l�origine sociale3. Les États qui usent de ce droit de dérogation doivent par conséquent le signaler au secrétaire général des Nations Unies et aux autres États parties. En revanche aucune dérogation n�est autorisée aux articles 6, 7, 8,-1 et 8-2, 11, 15, 16 et 18 du pacte de 1966. Ces articles concernent ce que la doctrine qualifie de « noyau dur » des droits de l�homme, à savoir : l�interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels ou dégradants, des expériences médicales ou scientifiques faites sans le consentement de la personne ; l�interdiction de l�esclavage

mesures discriminatoires et la protection des minorités, l�administration de la justice et les droits de l�homme des détenus : droits de l�homme et états d�exception, DOC. E/CN.4/sub.2 /1977/19 (23 juin 1997). 1 Pour le texte de la résolution, cf. Schindler/Toman, Droit des conflits armés, Genève, 1996, pp. 321-323 ; sur la conférence de Téhéran, voir R. CASSIN, « The teheran proclamation », revue des droits de l�homme vol. 1, 1968, p. 325 ss. 2 Entrée en vigueur le 23 mars 1976 ; l�article 27 de la convention interaméricaine des droits de l�homme de 1969 est calqué sur l�article 4 du pacte de 1966, lui-même caqué sur l�article 15 de la convention européenne des droits de l�homme de 1950. 3 Les personnes ne doivent pas être inquiétées pour ce qu�elles sont, mais pour ce qu�elles font, sinon les mesures prises par les États seraient constitutives de crime contre l�humanité.

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et de la servitude ; l�interdiction de l�empoisonnement pour inexécution d�une obligation contractuelle ; le principe de la légalité des délits et des peines, donc de la non rétroactivité des lois pénales, sauf les actes qui, « au moment où ils étaient commis, étaient tenus pour criminels d�après les principes généraux de droit reconnus par l�ensemble des Nations » ; la reconnaissance de la personnalité juridique ; le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ainsi, l�exercice du droit de dérogation ne doit- il pas être utilisé dans un but autre que de faire face au danger public exceptionnel ou mieux, à la guerre civile.

En définitive il convient de souligner que tous les interdits et obligations conventionnels sont à observer, notamment par les groupes d�insurgés, « cumulativement », « collectivement et individuellement »1, car non seulement le mouvement insurrectionnel doit faire en sorte qu�« au moyen des ordres donnés par les chefs du régime de discipline et d�une surveillance constante », l�application des conditions exigées soit assurée par les membres du gouvernement mais aussi, les membres du mouvement insurrectionnel « doivent agir conformément aux obligations, et cela aussi bien entant qu�individus qu�entant que membres du mouvement, dans l�intérêt de tous les autres membres »2. Enfin, le préambule du protocole additionnel II de 1977 affirme, entre autre, que « pour les cas non prévus par le droit en vigueur, la personne humaine reste sous la sauvegarde des principes d�humanité et des exigences de la conscience publique ». Cette formule reprend à certains égards la fameuse clause Martens, proposée en 1899 par le délégué russe Frédéric F. Martens à la première conférence de la Haye et insérée dans le préambule de la IVè convention de la Haye, et aujourd�hui dans les conventions de Genève de 19493.

La réalité des conflits armés internes est telle que toutes les dispositions relatives aux droits de l�homme et au droit international humanitaire sont constamment violées dans le « feu de l�action ». Ces violations graves ont été régulièrement constatées dans tous les conflits armés internes en Afrique où la question des droits de l�homme évolue lentement. L'urgence s'impose donc pour l�élaboration d'un ensemble de normes protectrices des personnes et des victimes des conflits africains. Cette exigence normative est d'autant plus nécessaire que la Charte africaine relève de graves lacunes en la matière notamment, en période de guerre civile.

1 H. MEYROWITZ, op. cit, p. 107. 2 Ibid, p. 107. 3 Ibid, p. 915 ss.

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2) Les limites de la Charte africaine de protection des droits de l'homme

En dépit du danger que présente les violations massives des droits de l'homme sur le continent noir, la charte constitutive de l'Organisation de l'unité africaine est très laconique sur la question des droits de l'homme1. L'unique référence qui y est faite aux droits de l'homme résulte du souci de promouvoir le rapprochement entre les États membres. La majorité des initiatives favorables à l'édification d'un droit régional sur cette question est d'origine non gouvernementale. Ainsi, la « loi de Lagos », adoptée en 1961 par le Congrès des juristes africains sur la primauté du droit, invite les gouvernements africains à « étudier la possibilité d'adopter une convention africaine des droits de l'homme prévoyant notamment la création d'un tribunal approprié et des voies de recours ouvertes à toutes les personnes relevant de la juridiction des États signataires » (point 4).

Les conclusions du Congrès sont reprises par la République de Somalie dans les observations qu'elle présente à l'O.N.U. sur les pactes universels. L'État somalien souligne qu'en ce qui concerne les droits de l'homme, les différences entre régions sont souvent plus prononcées qu'à l'intérieur de ces régions et qu'il est en général, plus facile pour les États d'une région donnée de se mettre d'accord sur la garantie des droits de l'homme entre eux, plutôt qu'avec tous les membres des Nations Unies. Le gouvernement somalien, évoquant l'expérience européenne et américaine déclare souhaiter l'établissement d'un système analogue en Afrique dans le cadre de l'O.U.A.2.

Dans le rapport qu'il présente au Congrès des juristes francophones qui se tient à Dakar en janvier 1967, M. Karel Vasak suggère, en ce qui concerne la rédaction d'une convention africaine, d'une part, d'établir une liste et une définition des droits de l'homme, tenant compte des conditions particulières à l'Afrique et, d'autre part, de prévoir au départ un mécanisme de contrôle souple pour aboutir à plus ou moins longue échéance à la création de voies de recours ouvertes aux individus. La déclaration de Dakar confirme plutôt l'adhésion des juristes francophones aux grands principes acceptés par la communauté internationale dans son ensemble : « � La dignité de l'homme africain exige des normes aussi hautes que celles reconnues ailleurs ; � l'effritement de cette notion serait le signe d'une régression inadmissible� les exigences fondamentales de la primauté du droit ne sont pas différentes de celles

1 B. NDIAYE, La place des droits de l'homme dans la charte de l'Organisation de l'unité africaine, p. 664-679. 2 A/5411/Add. 2, 25 octobre 1963.

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acceptées ailleurs, que les difficultés économiques, sociales, culturelles de l'Afrique d'aujourd'hui ne sauraient justifier l'abandon des principes fondamentaux de la primauté du droit ». Par contre, le Congrès de Dakar souhaite dans ses conclusions que soient examinées « l'opportunité et la possibilité de créer un système de protection des droits de l'homme, doté de compétences consultatives et de pouvoirs de recommandation qui pourrait� constituer le premier élément » (article VI proposé par la commission I : « Les droits de l'homme et la sécurité de l'État »1. L'O.U.A. n'a pas donné suite à ces initiatives. Ainsi pour vérifier le respect des droits de l'homme au cours d'un conflit armé interne, on a dû dans certains cas s'en tenir à une procédure ad hoc. C'est cette procédure particulière qui fut mise en �uvre lors de la guerre du Biafra.

En effet, à la suite des accusations de génocide lancées par les autorités biafraises à l'encontre de l'attitude des forces fédérales nigérianes à l'égard des populations Ibos, le gouvernement de Lagos a invité, le 29 août 1968, les Nations Unies, l'O.U.A., ainsi que quatre pays (Royaume-Uni, Canada, Pologne et Suède) à envoyer chacun un observateur, afin de contrôler les opérations des troupes fédérales sur le terrain même. Par cette invitation, le gouvernement fédéral désirait démontrer au monde entier qu'il n'avait aucune intention de massacrer les Ibos, et que les forces fédérales, dans les opérations qu'elles menaient contre la rébellion, s'efforçaient d'éviter les homicides inutiles2. On sait également que cette équipe d'observateurs a établi, jusqu'à la fin des hostilités en 1970, une série de rapports qui ont été publiés à Lagos. Le mandat de ces observateurs n'était donc pas, à proprement parler, de contrôler la mise en �uvre du droit international applicable dans le conflit en cause, mais plutôt de se prononcer sur l'existence ou non d'un génocide, au sens de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, comme ces observateurs l'ont eux-mêmes déclaré3. Par conséquent, dans leurs rapports, les observateurs internationaux ne se réfèrent pas à des dispositions précises, mais se bornent plutôt à décrire la situation des victimes et les conditions du combat qu'ils ont pu constater, pour en tirer la conclusion qu'il n'y a pas génocide.

Mais on peut légitimement s'interroger sur le degré de liberté et de pouvoir d'appréciation de ces derniers sur la situation des victimes. En fait ces observateurs ayant été invités par une des parties au conflit et n'ayant nullement accès au parti

1 Bulletin de la Commission internationale des juristes, vol. 29, mars 1967. 2 Voir Keesing's Contemporary Archives, 1969, 23156 ss. 3 Voir MERTENS, P., Les modalités de l'intervention du Comité international de la Croix-Rouge dans le conflit du Nigeria, AFDI, 1969, pp. 183-209. ; voir également Rapport d'activité 1967 du C.I.C.R., p. 37.

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adverse, pourraient apparaître comme ne disposant pas de la liberté d'appréciation nécessaire1. Toujours est-il que les suggestions contenues dans ces rapports ont amené les autorités nigérianes responsables de la conduite des hostilités ou du traitement des personnes ennemies à apporter des améliorations dans leur manière de faire. Ainsi, l'activité de ces observateurs, même sollicitée unilatéralement, a été utile à plus d'un titre, dans le sens d'un concours à l'observation régulière des normes protégeant la personne humaine dans de telles situations. Dans ses propositions soumises à la conférence d'experts gouvernementaux de 1971, le C.I.C.R. a suggéré ce système : chaque partie au conflit « pourrait créer une commission spéciale ad hoc de surveillance multinationale »2, parmi les procédures suggérées pour le concours à l'observation régulière des règles, en se référant, d'ailleurs, spécialement au cas du Nigeria. Dans les travaux de 1972, on s'est borné à prévoir, notamment, que chaque partie au conflit pourrait faire appel à un organisme présentant toutes les garanties d'impartialité et d'efficacité3, mais on peut regretter que la référence à une commission multinationale n'ait pas été expressément retenue parmi les solutions possibles.

Au plan africain, l'exemple nigérian n'a pas servi de précédent qui aurait pu inspirer la création, tout au moins, d�une norme protectrice des droits de l'homme au cours des conflits armés internes. Mais il semble qu'avec le temps, lors de la réunion de Monrovia, en janvier 1979, un courant favorable à une meilleure protection des droits de l'homme en Afrique ait vu le jour. Dans un discours aux allures de réquisitoire, le président Tolbert du Liberia mettait en cause le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États, « devenu une excuse pour notre silence devant les actions inhumaines commises par des africains contre des africains ». Ainsi, propose-t-il d'insérer dans la Charte de l'O.U.A., une disposition concernant les droits de l'homme et de créer un mécanisme incluant une force panafricaine grâce à laquelle l'Organisation pourrait faire face aux problèmes qui menacent la paix et la sécurité en Afrique. Le président tanzanien Julius Nyerere, se montrant encore plus critique à l'encontre de l'O.U.A. qu'il qualifie de « syndicat de chefs d'État qui ne protège plus les peuples ». Selon Nyerere, la Charte est un document qui n'est pas « fait pour protéger les peuples indépendants », se bornant à « protéger les dirigeants ». Ces deux dirigeants africains montrent bien que les normes relatives aux droits de l'homme accordent à ceux-ci une valeur supérieure, laquelle a d'ailleurs fondé la Cour

1 Certains peuvent aussi objecter que ces observateurs n'ont pas été amenés à se prononcer sur la question de l'existence ou non d'un génocide en relation avec le blocus du Biafra. 2 C.I.C.R., Doc. Conf. Experts 1971, p. 77. 3 C.I.C.R., Rapport Conf. Expert 1972, vol. I, par. 2.308.

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Internationale de Justice (C.I.J.) à affirmer l'existence de l'obligation erga omnes (opposable à tous) à propos du respect des droits fondamentaux1.

Bien entendu, cette exigence de respecter rigoureusement les obligations qui découlent du caractère sacré des droits de l'homme s'impose aux États africains. Ainsi, L'effet escompté des déclarations des présidents Tolbert et Nyerere ne se fera pas attendre, car l'assemblée va décider la réunion d'experts, chargés de présenter un projet de Charte des droits de l'homme. Le 27 juin 1981 à Banjul (Gambie), sera adoptée la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples dans le cadre de l'Organisation de l'unité africaine (O.U.A.), la devancière, de l'Union Africaine (U.A.)2. Ce document conventionnel entré en vigueur le 21 octobre 1986, connaîtra son application effective avec la mise en place en 1987 de la Commission africaine des droits de l'homme et complétée en 1998 par le protocole facultatif qui institue la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. En fait en adoptant, à sa session de Ouagadougou (juin 1998) la réforme du mécanisme de la Charte, par l'institution d'une Cour africaine3, la Conférence des chefs d'État et de Gouvernement de l'O.U.A. a clairement cherché à pallier les insuffisances de la commission. Ce constat met en exergue les limites de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Dans ces conditions, le relais international paraît indispensable pour l'examen de la situation des droits de l'homme en Afrique, notamment en période de conflit armé.

a) Nécessité d'un dispositif africain de protection en période de conflit

Les déficits de la Charte sont exposés dans le fonctionnement et les pouvoirs de la commission. En fait, à côté de la mission de promotion des droits de l'homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 à Banjul, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples confie à la commission une mission de sauvegarde des droits humains. On a cependant pu constater, suite à l'exégèse de cet instrument conventionnel, que les dispositions qui autorisent la commission à jouer un rôle sur le terrain de la

1 Cour Internationale de Justice, arrêt du 5 février 1970, Affaire de la Barcelona traction Light and power Company, Rec., 1970. 2 La Charte d'Addis Abeba (Éthiopie) du 25 mai 1963 qui instituait l'Organisation de l'unité africaine (O.U.A.), a été remplacée par l'acte constitutif de l'Union Africaine (U.A.) adopté à Lomé (Togo) le 11 juillet 2000 et entré en vigueur le 26 mai 2001. on note dans l'acte constitutif de l'Union Africaine un changement de dénomination des organes directeurs de l'ancienne O.U.A., de sorte que dans cette présente étude, l'on parlera de la Conférence de l'Union Africaine en lieu et place de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de l'O.U.A., de la Commission de l'U.A. en lieu et place du Secrétariat général de l'O.U.A., et, le cas échéant du Conseil exécutif de l'U.A. en lieu et place du Conseil des ministres de l'O.U.A. 3 Doc. CM/2051 (LX VII), approuvé par la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de l'O.U.A. le 9 juin 1998 à Ouagadougou. Le même jour, 30 États ont signé le protocole. Celui-ci entrera en vigueur après le dépôt du 15è instrument de ratification.

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protection des droits fondamentaux sont loin de garantir une efficacité absolue du combat contre la violation de ceux-ci par les États africains.

En fait, l'apport de la Charte africaine au droit international des droits de l'homme entendait précisément se marquer non seulement au niveau du contenu matériel de l'instrument (des droits et des devoirs de l'homme et des droits des peuples), mais aussi au niveau des techniques de garantie (l'orientation originelle de la Commission se voulait essentiellement conciliatoire). Cette idéologie de la spécificité qui avait inexorablement engagé la charte sur la voie de l'inefficacité1, est reflétée dans le préambule de l'instrument2, dans certaines de ses dispositions3, et dans la jurisprudence initiale de la Commission, sous la houlette notamment du président Nguema4. Si la jurisprudence récente n'est pas exempte de références au caractère spécifique de la réalité africaine5, elle est plus avare en références sur la spécificité de la conception des droits de l'homme en Afrique.

Initialement, la commission a conçu son rôle comme un simple amiable compositeur, « le but essentiel » de la procédure des communications étant d'aboutir, par un « dialogue positif », à un règlement amiable. Cet objectif ultime, rappelé dans plusieurs décisions des « années Nguema » de la commission6, mais dont l'évocation a été abandonnée depuis plusieurs années7, dictait à la commission sa démarche processuelle, attentive aux attitudes des États et aboutissant quelque fois à des arrangements manifestement boiteux8 et à des demandes vis-à-vis des États empreints de pusillanimité.

1 A.D. OLINGA, l'effectivité de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Afrique 2000, octobre 1997, pp. 171-185. 2 On peut en effet lire dans ce préambule : « (�) tenant compte des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l'homme et des peuples ». 3 Voir, l'article 17 alinéa 2, l'article 18 alinéa 2 et 4, surtout l'article 29, alinéa 7 qui évoque la notion de « valeurs culturelles africaines positives ». 4 Suivant une idée majeure de cette jurisprudence initiale, le but essentiel visé par la procédure des communications devant la Commission est de nouer entre les parties à l'instance un dialogue positif en vue de parvenir à un règlement amiable. Cette recherche de compromis serait, pour ainsi dire, un élément de l'éthos processuel de l'africain. L'impact de cette idéologie du dialogue positif ou constructif dans la définition des tendances jurisprudentielles de la Commission est à objectiver. 5 Voir la décision de la Commission dans l'affaire 155/96, octobre 2001, Social and economic rights action, Centre for economic and social rights c/Nigeria : « Le caractère unique de la situation africaine et les qualités spéciales de la Charte africaine imposent une importante tâche à la Commission africaine. Le droit international et les droits de l'homme doivent répondre aux circonstances africaines ». 6 Voir à titre d'exemple, la décision de la Commission sur les communications groupées n° s 25/89, 47/90, 56/93, 100/93, c/Zaïre. 7 Du moins au contentieux, car dans le discours d'ouverture de la 31ème session de la Commission à Pretoria, avril 2002 de M. KAMEL REZAG-BARA, président de la Commission, on peut encore trouver la notion de « dialogue actif ». 8 Voir par exemple la décision sur l'affaire 67/91 en date du 25 février 1992, Civil liberties organization c/Nigeria : « la Commission apprend (�) que l'affaire est en voie de règlement amiable et donc décide de clôturer le dossier ».

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Concrètement et sans entrer dans le détail de la procédure devant cet organe et son fonctionnement, il faut dire que l'activité de protection des droits fondamentaux reconnus à la Commission consiste pour l'essentiel dans l'examen de plaintes relatives aux violations des droits et libertés proclamés dans la Charte et qui auraient été imputables à tel ou tel autre État partie. Les dites violations des stipulations de la Charte de Banjul sont portées à la connaissance de la Commission par le truchement de communications qui sont de deux types : les « communications émanant d'un État partie » et les « autres communications », c'est-à-dire celles qui sont soumises par une « prétendue victime » d'une violation par un État partie d'un des droits garantis par la Charte ; celles qui sont introduites par tout individu ou organisation, où qu'ils se trouvent, pouvant fournir la preuve d'une situation de violation grave ou massive des droits de l'homme1. Les conditions de recevabilité des communications d'origine sont relativement simples puisqu'elles se résument en trois points : en premier lieu, la communication doit émaner d'un État partie ; en deuxième lieu, elle doit concerner la violation d'une disposition de la Charte ; en troisième lieu enfin, elle doit respecter la règle de l'épuisement des voies de recours internes2. Concernant cette dernière condition, comment interpréter la règle de l'épuisement des voies de recours internes ou les règles relatives aux communications que doivent fournir les États intéressés, quand il s'agit de violations de droits fondamentaux commises par la partie insurgée, dans le cas d'un État en proie à une rébellion. Les personnes tombées aux mains de cette partie et qui s'estimeraient victimes de telles violations pourraient-elles adresser leurs requêtes à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, et celle-ci pourrait-elle estimer qu'elles n'ont pas eu l'occasion d'épuiser les voies de recours internes ?

En fait, dans le cas d'un conflit interne, c'est à bref délai qu'une protection efficace par les organes de contrôle doit intervenir. Dans le système de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, il est frappant de relever le temps qui peut s'écouler entre la requête et le rapport de la Commission3. On voit ainsi, combien il serait malaisé aux individus, dans un conflit armé interne, de mettre en branle le mécanisme de mise en �uvre de ces instruments dans des délais opportuns.

1 Conformément à l'article 114 du règlement intérieur de la Commission. 2 Il convient de préciser que cette règle de l'épuisement des voies de recours internes est un principe cardinal du droit international en matière de protection diplomatique et qu'elle est commune à tous les systèmes internationaux de protection des droits de l'homme. Voir en ce sens l'article 26 de la Convention européenne de protection des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, l'article 46 de la Convention interaméricaine des droits de l'homme du 22 novembre 1969, l'article 41, paragraphe 1-c du pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques et l'article 2 du protocole facultatif additionnel. 3 Voir les droits de l'homme dans la région des grandes lacs : réalité et illusions, sous la direction de SÉVERIN MUGANGU MATABARO, éd. Bruylant-Academia s.a. pp. 338-39.

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Nous pensons donc que des motifs justificatifs comme la force majeure, notamment la situation de guerre civile et le cas fortuit, doivent amoindrir les rigueurs de ce principe. Il convient toutefois de mentionner que la Commission africaine n'a pas de pouvoir de décision. Elle peut enquêter, se mettre à la disposition des requérants et des États, tenter un arrangement amiable, mais adresse son rapport pour décision et éventuellement pour publication à la Conférence des chefs d'États et de Gouvernement. Celle-ci est le véritable organe de décision du mécanisme régional africain de protection des droits de l'homme, en raison de sa prééminence dans le processus décisionnel de la Charte1. Cela n'est évidemment pas sans conséquences négatives sur le fonctionnement de la Commission africaine.

Toutefois, fait insolite, dans quatre dossiers, la commission a pu constater explicitement des violations graves ou massives des droits de l'homme. Aux termes de l'article 58 de la Charte, elle ne put qu'attirer l'attention de la Conférence des chefs d'États et de Gouvernement. Pourtant la Commission n'avait pas eu jusqu'alors pour habitude de constater explicitement des violations graves ou massives ni d'attirer l'attention de la Conférence des Chefs d'États et de Gouvernement sur celles-ci2. La première affaire portait sur la situation de « guerre civile » au Tchad au début des années 19903. Une ONG avait porté plainte pour une série de violations massives. La Commission motiva sa constatation de l'existence d'une série de violations graves ou massives par la violation de cinq droits visés dans la Charte : non-respect du droit à la vie, au motif que l'État n'avait pas empêché des assassinats ni ouvert des informations à ce titre ; violation de l'interdiction de torturer ; absence de garantie par l'État, de la sécurité et de la stabilité au sein du pays ; arrestation et détention arbitraires de nombreuses personnes ; et violation de la liberté d'expression des journalistes ayant été harcelés et agressés.

La deuxième affaire portait sur la situation dans l'ex-Zaïre. En l'espèce, quatre plaintes différentes, déposées par différentes ONG, avaient fait l'objet d'une jonction de la part de la Commission4. Les plaintes portaient sur une longue période : la première avait été déposée en 1989, la deuxième en 1990, la troisième en 1991 et la dernière en

1 OUGUERGOUZ. F, La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples : présentation et bilan d'activités (1988-1989), AFDI., vol. 35, 1989, pp. 570-571. 2 Se reporter notamment aux communications 83/92, 88/93 et 91/93 (jointes), Union interafricaine des droits de l'homme, ICJ C/ Togo, où il est fait référence à une violation grave ou massive dans la déclaration de recevabilité et non pas dans la décision au fond. 3 Communication 74/92, Commission nationale des droits de l'homme et des libertés c/Tchad. 4 Communications 25/89, 47/90, 56/91 et 100/93 (jointes), Free Legal Assistance Group Lawyers Committee for Human Rights, Jehovahh's Witnesses of Zaïre, Union interafricaine des droits de l'homme c/Zaïre.

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1993. En outre, elle couvrait une vaste zone géographique. Il s'avéra qu'un nombre important de droits (au moins sept) avaient été violés.

Lors de l'examen de l'ensemble de ces communications attestant de la violation très répandue des droits de l'homme au Zaïre, la Commission demanda, de sa propre initiative, que soient appliquées les dispositions de l'article 58 de la Charte. La troisième affaire dans laquelle la commission avait déclaré que les faits constituaient des violations graves ou massives de la charte africaine, portait sur des évènements survenus au Rwanda1. La Commission procéda à une jonction de quatre communications qui portaient sur l'expulsion du Rwanda de ressortissants burundais qui étaient réfugiés au Rwanda depuis de nombreuses années, ainsi que sur l'arrestation arbitraire et l'exécution extrajudiciaire de rwandais appartenant, pour la plupart, à l'ethnie Tutsi. Lors de sa vingtième session, la commission estima que les articles 4, 5, 6, 7, 12-4 et 12-5 avaient été violés et déclara que les faits étaient révélateurs de violations graves ou massives de la Charte. La décision de la commission fut rendue après que la situation eut déjà changé de façon spectaculaire2. Ce fait peut expliquer la vague de « sanctions » aux termes desquelles la Commission « incita » le gouvernement rwandais à « adopter des mesures conformes à cette décision »3.

Le rapport d'activité annuel ne donne que très peu de détail sur la quatrième affaire4. Par ailleurs, l'Opération pour les droits de l'homme au Rwanda à joué à cet égard, un rôle essentiel dans la protection et la promotion des droits de l'homme en menant des enquêtes sur les violations du droit international humanitaire et des droits de l'homme commises dans le passé, y compris le génocide ; en surveillant et en signalant les violations et en fournissant une assistance technique et des services consultatifs pour réorganiser l'administration de la justice afin de permettre la poursuite des responsables de ces violations5. Il est toutefois à déplorer que les recensements d'avril-mai 1996 et les fouilles de juillet-août 1996 aient donné lieu, au Rwanda, à une véritable chasse aux génocidaires et à de nombreuses atteintes au droit à la sûreté

1 Communications 27/89, 46/90, 49/91 et 99/93 (jointes), Organisation mondiale contre la torture et trois autres c/Rwanda. Se reporter également à la section sur l'ICTR à la page 42 de ce recueil. 2 Les évènements du Rwanda objet des communications se sont produits de 1989 à 1992. 3 Id, supra. 4 Communication 47/90, Lawyers' Committee for Human Rights c/Zaïre, où la Commission décida d'attirer l'attention de la Conférence des chefs d'État et de Gouvernement sur les arrestations arbitraires, et tortures au Zaïre. La communication est datée du 16 octobre 1990. 5 Rapport du Haut- Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme sur le suivi de la conférence mondiale sur les droits de l'homme, E/CN.4/1998/103, 18 mars 1996 et sur l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda, E/CN.4/1998/61, 19 février 1998.

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personnelle1. Des attaques à motivation ethnique ainsi que des attaques contre le personnel judiciaire participant aux procédures contre les personnes accusées d'actes de génocide ou d'autres crimes contre l'humanité ont également eu lieu, dans ce pays, en 19972.

Pour en revenir à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, On ne saurait clore l'examen de ce document sans mentionner l'une de ses imperfections ou lacunes la plus importante : l'absence de clause de suspension des droits consacrés lors de circonstances exceptionnelles.

b) La charte africaine des droits de l'homme et des peuples et le droit de dérogation

La législation internationale des droits de l'homme n'ignore pas certaines nécessités impérieuses qui constituent autant d'obstacles à l'application effective de l'ensemble des dispositions des droits de l'homme. En effet, tous les systèmes de droit connaissent la notion de circonstances exceptionnelles et admettent des dérogations à certains principes lorsque l'ordre public l'exige. Ces situations, par définition, sont anormales et temporaires. L'état de danger public exceptionnel menaçant l'existence de la Nation englobe les situations de conflit armé, de caractère international ou interne. Une telle situation rendrait excessivement difficile, sinon impossible, l'observation des obligations conventionnelles. Aussi, la fonction d'une telle clause échappatoire3 est-elle d'assortir l'instrument d'un maximum de souplesse en vue de discipliner et légitimer les manquements4.

Il reste que contrairement aux autres instruments sur les droits de l'homme et malgré la survenance de conflits armés internes fréquents, la charte africaine des droits de

1 Rapport du Rapporteur spécial sur le Rwanda, E/CN.4/1997/61, 20 janvier 1997. 2 Rapport du Haut Commissaire aux droits de l'homme concernant l'Opération de terrain pour les droits de l'homme au Rwanda, A/52/486, 16 octobre 1997. Voir également la décision 4 (52) du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, A/53/18, paragraphe IIA4, 20 mars 1998 et l'exposé écrit présenté par le franciscain international, E/CN.4/1997/NGO/122, 22 avril 1998. 3 MICHEL VIRALLY parle de « clauses échappatoires, libératoires ou dérogatoires » permettant de suspendre temporairement ou définitivement, soit l'ensemble des obligations assumées, soit, le plus souvent, certaines d'entre elles seulement, ou bien encore de rendre applicable un système alternatif d'obligations moins contraignant que celui qui s'applique normalement, lorsque se présentent certaines circonstances plus ou moins précisément définies qui justifient le recours à cette possibilité. Voir M. Virally, « des moyens utilisés dans la pratique pour limiter l'effet obligatoire des traités », in Les clauses échappatoires en matière d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, Quatrième colloque du département des droits de l'homme, Université Catholique de Louvain, Bruxelles, Bruylant, 1982, pp. 14-15. 4 RUSEN ERGEC, Les droits de l'homme à l'épreuve des circonstances exceptionnelles � Étude sur l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'homme, préface de Jacques Velu, Bruylant et éditions de l'Université de Bruxelles (Coll. Droit international), 1987, pp. 9 et 10.

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l'homme et des peuples ne contient pas de clause de dérogation1 ne consacrant ainsi ni le sous-développement, ni d'autres causes comme situations exceptionnelles autorisant une limitation ou une dérogation aux droits. Le silence de la Charte à ce sujet a été interprété de différentes manières. La première consiste à dire que la valeur normative de la Charte est telle que ses rédacteurs n'ont pas jugé indispensable de prévoir un assouplissement supplémentaire à l'engagement des futurs États parties. La deuxième consiste à dire qu'en ne prévoyant pas de clause de dérogation, les États africains ont exclu la possibilité de déroger à la Charte africaine, quelles que soient les circonstances. Une troisième explication consiste à dire que la faculté de déroger bien qu'absente de la Charte, est réglée conformément au droit international général. Après avoir éliminé les deux premières hypothèses, c'est la dernière qui est retenue par F. Ouguergouz2, dans son étude complète sur la Charte, comme étant la plus vraisemblable. Mais nous pensons qu'il est difficilement imaginable que les rédacteurs de la Charte africaine aient voulu ôter aux États africains toute possibilité de suspension des droits consacrés ; sans doute aurait-il fallu par prudence envisager cette faculté en la réglementant sévèrement et d'affirmer par exemple le caractère non-dérogeable des droits dits fondamentaux.

Un tel balisage serait d'autant plus indispensable que, c'est précisément dans les cas d'application de la clause dérogatoire, telle que prévue par les différents instruments

1 Les trois principaux instruments généraux, universel ou régionaux, relatifs à la protection des droits de l'homme contiennent tous une telle clause de dérogation permettant aux États parties de s'affranchir du respect de la plupart des obligations souscrites en cas de survenance d'une guerre ou d'un danger public exceptionnel menaçant la vie de la nation. � Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 4 « 1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les États parties au présent pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations� 2. La disposition présente n'autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18� � Convention américaine des droits de l'homme, article 27 (« suspension des garanties ») : « 1. En cas de guerre, de danger public ou dans toute autre situation de crise qui menace l'indépendance ou la sécurité d'un État partie, celui-ci pourra, strictement en fonction des exigences du moment, prendre des mesures qui suspendent les obligations contractées en vertu de la présente Convention� 2. la disposition précédente n'autorise pas la suspension des droits déterminés dans les articles suivants� � Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, article 15 : « 1. En cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation, toute haute partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention� � Le projet de Charte arabe des droits de l'homme adopté par la commission des droits de l'homme de la Ligue arabe, lors de sa 11ème session tenue au Caire des 10 au 14 janvier 1993, comporte un article 7 dont le littera b s'inspire directement des termes repris dans les instruments internationaux ci-dessus mentionnés : « En cas de danger public menaçant l'existence de la nation, chaque État peut prendre, dans les strictes limites où la situation l'exige, des mesures découlant de la présente Charte ». Le projet de la Charte des droits de l'homme et du peuple dans le monde arabe adopté par le 16ème congrès de l'Union des avocats arabes tenu à Koweït du 8 au 12 avril 1987, contient un article 42 dont le premier paragraphe énonce plus largement : « En cas de guerre, de danger imminent ou de toute autre crise menaçant l'indépendance et la sécurité d'un pays, celui-ci peut proclamer l'état d'urgence et prendre, dans les strictes limites où la situation l'exige, des mesures dérogeant à certaines obligations découlant de la présente Charte », Voir, le texte traduit en français de ces projets, in Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh, Les musulmans face aux droits de l'homme � Religion et droit politique � Études et documents, Verlag Dr Dieter Winkler, Bochum, 1994, annexes 7 et 8, pp. 505 et 509. 2 FATSAH OUGOUERGOUZ, La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Paris, PUF, 1993, p. 263 et ss.

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internationaux, que les droits fondamentaux sont les plus menacés. Une guerre, malgré la gravité de la situation qu'elle représente, ne constitue pas toujours pour l'État belligérant une menace telle qu'il puisse en tirer prétexte pour suspendre les dispositions protectrices des droits de l'homme1. Mais concernant l'absence de clause de dérogation dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, l'explication est apportée par M. Keba M'baye, l'un des architectes de ce texte. Selon le juge sénégalais « il ne faut pas penser que la Charte a omis d'inclure dans ses dispositions qu'il peut être apporté des dérogations à certains droits. C'est de propos délibéré que les auteurs de la Charte se sont abstenus de prévoir des dérogations aux droits énoncés aux articles 2 à 7 de la Charte. La raison en est que les droits que ces articles déclarent, sont des droits considérés comme fondamentaux et auxquels il n'est pas possible d'apporter une dérogation »2. L'auteur se fonde sur l'opinion d'un ancien président de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Umozurike, pour qui les articles 2 à 7 « sont déclarés en des termes absolus ». Alors que pour chacun des autres droits, une « formule appropriée » est utilisée pour permettre une dérogation : « sous réserve de l'ordre public » (article 8), « dans le cadre des lois et règlements » (article 9), « sous réserve de se conformer aux règles dictées par la loi » (article 12). Il est donc clair, poursuit Keba M'Baye, que les droits qui sont spécifiés à partir de l'article 8 sont assortis, chacun, d'une clause prévoyant la possibilité de leur apporter des dérogations, mais sans toujours indiquer dans quelles circonstances. Concernant le silence, quant aux circonstances susceptibles de justifier une dérogation, l'auteur ajoute : « En effet, c'est à dessein que les rédacteurs de la Charte ont préféré ne pas préciser les circonstances exceptionnelles qui permettent les dérogations. Ces circonstances changent.

Au moment de la rédaction de la Charte, la doctrine et la jurisprudence relatives aux droits de l'homme étaient bien établies pour dire qu'il s'agit de la guerre, des catastrophes naturelles, mais aussi pour ce qui concerne les pays en développement, de la situation économique et sociale qui précisément change d'un pays à un autre et évolue au sein d'un même pays. On ne voit donc pas pourquoi il pouvait être nécessaire de prévoir une formule générale reprenant les idées sur lesquelles il y a désormais un accord. Il était en outre malaisé, dans une formule générale, de préciser

1 Le Royaume-Uni s'est bien gardé de tout acte de dérogation relativement à la métropole lors de la guerre des Malouines en 1982. Voir, Eric David, principes du droit des conflits armés, op. cit., p. 77, n° 1.16 et Rusen Ergec, op. cit., p. 127. 2 KEBA M'BAYE, Les droits de l'homme en Afrique, Pedone, Paris, p. 176.

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quelles sont les circonstances réelles devant lesquelles une dérogation peut être apportée, dès lors que certaines de ces circonstances peuvent changer »1.

Les auteurs de la Charte ont donc délibérément fait le choix de l'absence d'une clause générale de dérogation pour laisser le soin « à la Commission des droits de l'homme et des peuples » et maintenant à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples « de déterminer dans chaque cas, si la dérogation en question est acceptable ou non »2. En suivant le raisonnement et la justification de Keba M'baye, constitueraient des droits indérogeables au sens de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples :

! Le principe de non-discrimination (article 2).

! Le principe d'égalité (article 3).

! Le droit à la vie (article 4).

! L'interdiction de l'esclavage et des traitements cruels et inhumains (article 5).

! Le droit à la liberté et à la sécurité (article 6).

! Le droit à une bonne administration de la justice (article 7).

A cette liste, on peut certainement ajouter le droit de « tout peuple » « à l'existence » en raison de son caractère « imprescriptible et inaliénable » particulièrement souligné par l'article 203 de la Charte. Dans le même temps, le juge sénégalais4 dans son ouvrage sur la problématique des droits humains en Afrique s'interroge sur l'efficacité du rôle de la commission en matière de protection des droits de l'homme, compte tenu notamment de sa subordination à la Conférence de l�Union Africaine. M. Keba M'baye écrit en effet : « On peut craindre que cet organe politique (la Conférence de l'Union) soit peu enclin à prendre des mesures contre un État fautif à la suite d'une étude

1 Ibid, p. 179. 2 Ibid, 179 3 R. ERGEC, op. Cit. p. 191. 4 M. KEBA M'BAYE, magistrat sénégalais a exercé les fonctions de président puis membre de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Juge à la Cour Internationale de Justice (1982-1991) dont il a été le vice-président. Entant que premier président de la Cour suprême du Sénégal, il a été à l'origine d'un projet de résolution demandant l'adoption d'une Charte africaine des droits de l'homme qui a été présenté par le président Senghor à ses pairs lors de la seizième session ordinaire de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de l'O.U.A. tenue à Monrovia (Liberia) en juillet 1979. Dans ce contexte, M. Keba M'Baye a été l'animateur du Comité d'experts ayant rédigé l'avant projet de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, et fut rapporteur de la conférence des ministres africains de la justice qui s'est tenu à Banjul en juin 1980, puis en janvier 1981, pour approuver le projet de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. M. K. M'Baye a également donné des cours à l'académie de droit international de la Haye (Pays-Bas), sur « l'intérêt pour agir devant la Cour Internationale de Justice ». Voir, Recueil des cours de l'Académie de droit international de la Haye, 1988, II, tome 209, pp. 231-342.

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approfondie exécutée par la Commission et révélant une violation des droits de l'homme. Mais à l'époque de l'élaboration de la Charte, il n'était pas possible de tenir cet organe en dehors du système de sauvegarde ». L'auteur s'empresse d'ajouter : « Peut-être qu'aujourd'hui, les mentalités ayant évolué, est-il possible d'envisager une réforme du système sur ce point. La parole est aux chefs d'État et de Gouvernement. A la Commission de les interroger à ce sujet »1.

En fait le mécanisme africain, organisé autour d'un organe para-juridictionnel (la Commission) subordonné du reste à un organe politique (la Conférence de l'Union) auquel elle ne pouvait en définitive qu'adresser un rapport, péchait par l'inexistence d'un organe juridictionnel en bonne et due forme, voué spécifiquement à une protection authentique de la personne en Afrique. C'est ainsi que les États ayant ratifié la Charte de Banjul, pour avoir pris conscience des limites de la Commission et tenant compte de l'émergence de la consolidation de l'État de droit en Afrique, de l'évolution du comportement des puissances africaines à l'égard de la juridiction internationale2, ainsi que de la création par le Conseil de sécurité des Nations unies du Tribunal Pénal International pour le Rwanda en 1994, ont entrepris de relever le défi de l'avenir en complétant le dispositif africain de sauvegarde des droits fondamentaux. Pour ce faire, ils ont décidé de porter sur les fonts baptismaux une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. La Cour africaine étant appelée à �uvrer dans un contexte d'interdépendance normative et institutionnelle, il ne fait l'ombre d'aucun doute qu'elle développera sa jurisprudence à la lumière de celle établie par des mécanismes de contrôle institués en vertu d'autres instruments internationaux, universels (exemple : le Comité des droits de l'homme) ou régionaux (exemple : les Cours européenne et interaméricaines)3. Cette observation vaut pour ses activités aussi bien contentieuses que consultatives. Au plan régional, la création de la Cour africaine constitue une valeur ajoutée au mécanisme de contrôle préexistant, c'est-à-dire la Commission. Cette dernière, confinée dans son rôle de promotion et paralysée dans sa fonction de protection, aura, à travers la Cour, un « auxiliaire » de taille dans l'accomplissement de

1 KEBA M'BAYE, les droits de l'homme en Afrique, op. cit. p. 250. 2 Il faut relever que pendant très longtemps, plus précisément du lendemain des indépendances au début des années 80. les États africains étaient très réfractaires à soumettre leurs litiges à des procédures internationales institutionnalisées. En particulier, ils avaient une aversion réelle contre les procédures de règlement juridictionnel des différends et manifestaient leur préférence pour les procédures non juridictionnelles de type diplomatique. On a pu noter un changement de cap avec la saisine au contentieux de la Cour Internationale de Justice sur la base du compromis du 14 octobre 1983, à l'occasion du différend frontalier et le Burkina Faso et le Mali, qui a donné lieu à une décision jurisprudentielle célèbre (C.I.J., affaire du différend frontalier Burkina Faso c/République du Mali, arrêt du 22 décembre 1986). 3 Voir, sur ce point, WACHSMAN P., « Les méthodes d'interprétation des Conventions internationales relatives à la protection des droits de l'homme », in : La protection des droits de l'homme et l'évolution du droit international, Actes du colloque de la Société française pour le droit international (Strasbourg, 29-31 mai 1997), Pedone, Paris, 1998.

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cette mission. La nature même de la Cour (organe jouissant d'une indépendance fonctionnelle) et le caractère obligatoire de ses arrêts pallieront les faiblesses du processus décisionnel de la Commission. Concernant le problème de l'absence d'une clause de dérogation dans la Charte africaine, en cas de graves violations des droits de l'homme notamment au cours d'un conflit armé, il n'y a pour l'instant aucune indication de l'attitude que pourrait adopter la Cour africaine.

Il faut malheureusement observer qu'indépendamment du problème des preuves de la violation des droits garantis1, le contrôle de leur respect dans le cadre de la Charte africaine se révèle souvent aléatoire. Les mécanismes de contrôle de la protection africaine des droits basés sur le système des rapports, en d'autres termes sur la bonne volonté des États, ou ceux basés sur l'action diplomatique d'États tiers, ont montré leurs limites.

Nous pensons que, seul un contrôle par une juridiction internationale indépendante pouvant connaître des recours individuels et prononcer des sanctions précises à charge de l'État ou de toute personne jugée coupable de violation d'un droit garanti, peut assurer une large efficacité. L'avènement et le fonctionnement des juridictions pénales internationales dont nous parlerons plus loin permettent de rendre compte de cette réalité.

En Afrique, le problème de la protection des victimes des conflits armé est générale et demeure d'autant plus crucial qu'il touche également des catégories spécifiques que sont : les enfants, les réfugiés et les minorités.

PARAGRAPHE II : LA QUESTION DE LA PROTECTION DE CATÉGORIES SPÉCIFIQUES DE PERSONNES

Comme souligné plus haut, il s'agit d'analyser la situation en période de conflit armé, des enfants en Afrique, mais aussi des réfugiés et des minorités. Ces personnes peuvent être considérés comme étant vulnérables, en ce qu'elles sont souvent les plus exposés. L'observation des tragédies africaines a permis de le constater. La nécessité de protection de telles catégories de personnes s'avère dès lors sine qua non.

1 SYLVAIN VITÉ, Les procédures internationales d'établissement des faits dans la mise en �uvre du droit international humanitaire, préface de LUIGI CONDORELLI, Bruylant et Éditions de l'Université de Bruxelles (Coll. Droit international), 1999 p. 53 et ss.

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A � LES ENFANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE : UNE PROTECTION NÉCESSAIRE

La présence d'enfants soldats dans les conflits armés internes en Afrique est devenue une situation très préoccupante. On les appelle « Kadagos » en République démocratique du Congo (R.D.C.), « Craps » au Rwanda� Ce sont les enfants1 soldats. Même s'il paraît difficile pour nombres d'enfants des pays africains en guerre de fournir une preuve de leur âge, il n'en demeure pas moins que filles ou garçons, ils sont âgés de moins de dix huit ans. Les pays africains les plus affectés par ce phénomène sont ceux en proie à des conflits sanglants2. Il s'agit notamment de l'Ouganda, de la R.D.C., du Liberia, du Burundi, de la Côte d'Ivoire, de la Sierra Léone et du Soudan. Une multitude de raisons explique le recours aux enfants soldats dans les conflits armés internes en afrique.

En fait, la durée de ces conflits est telle que l'effectif des combattants tend à s'amenuiser. Dans ces conditions, il n'est plus question pour les chefs de guerre de s'interroger sur l'âge des recrues et sur leur capacité à fournir les efforts physiques et psychologiques requis dans de telles situations. L'important est qu'ils sachent rapidement se servir d'une arme et qu'ils aillent au front3. Selon la coalition pour mettre fin à l'utilisation d'enfants soldats, on enrôle des enfants qui n'ont pas plus de sept ou huit ans. Quant aux jeunes filles, outre leur qualité de combattantes, un grand nombre d'entre elles sont utilisées comme esclaves sexuelles, « épouses » des chefs de guerre. Le cas de l'Ouganda dans le recrutement des enfants soldats est assez édifiant. En effet, le nord de l'Ouganda reste toujours ravagé par une guerre civile opposant les forces gouvernementales à l'armée de résistance du seigneur (LRA-Lord's Resistance Army). Dirigé par Joseph Kony qui prétend être habité par des forces religieuses, la LRA tente depuis le début des années quatre-vingt de renverser le régime de Yowery Museveni pour installer un gouvernement fondé sur les dix commandements de la bible. Soutenu par le Soudan, le mouvement recrute ses combattants en enlevant les enfants. Les écoles sont donc les cibles de choix : les

1 La Charte africaine des droits et du bien être de l'enfant définit l'enfant en son article 2 comme étant « tout être humain âgé de moins de 18 ans ». Au plan international, voir l'article 4 paragraphes 1 et 2 du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés. Les textes du protocole sont disponibles sur le site Internet du C.I.C.R. à l'adresse suivant : http ://www.icrc.org/dih.nsf/WebCONVFULL ? Openview. 2 A chercher dans le nouvel Afrique-Asie. 3 Selon Amnesty international, 2003, dans les dix dernières années, au cours des guerres : 2 millions de jeunes de moins de 18 ans sont morts, au moins 10 millions d'enfants ont vécu des scènes de guerre ou ont été témoins d'atrocités, plus de 4 millions d'enfants ont été blessés, plus de 14 millions sont devenus des sans abri, plus de 5 millions d'enfants ont été obligés de se réfugier dans des camps, plus d'un million d'enfant ont été séparés de leur famille, 90 % des pertes humaines pendant les guerres sont des civils, dont plus d'un tiers sont des enfants.

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enseignants sont assassinés et les élèves emmenés de force. Après un entraînement militaire rapide mais violent, les jeunes combattants affrontent les forces armées ougandaises. Comme dans tous les mouvements rebelles qui emploient des enfants, le conditionnement de ces derniers est basé sur la destruction de la volonté individuelle et de la personnalité par la violence physique et psychique. L'impact des conflits armés internes en Afrique sur les enfants soldats constitue de toute évidence un véritable sujet d'inquiétude. Le secrétaire général de Nations Unies avait désigné un expert qui avait entrepris une étude approfondie sur la protection et la participation des enfants à des conflits armés. Cet expert s'était rendu en Angola, au Rwanda et en Sierra Leone. De nombreuses questions avaient été abordées pendant ces missions1.

Les enfants soldats sont donc un grave problème dans les pays africains en conflit. Face à ce fléau, la communauté internationale longtemps restée dans une léthargie indescriptible a finalement réagi. Ainsi, les premières dispositions du droit international sur l'âge de recrutement dans les forces ou groupes armés sont contenues dans les protocoles additionnels aux conventions de Genève de 19492, adoptés en 1977. Ces protocoles fixent à quinze ans l'âge minimum de recrutement dans les forces ou groupes armés (article 77 paragraphe 2 du protocole I et article 4 paragraphe 3 c du protocole II). Par ailleurs la Convention des Nations Unies sur les droits des enfants adoptée en 1989 (1)3, en son article 38 alinéa 2 et 3, exige des États parties qu'ils prennent toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les personnes n'ayant pas atteint l'âge de quinze ans ne participe pas directement aux hostilités et ils doivent s'abstenir de les enrôler dans leurs forces armées. Comme l'on peut le constater, cette convention ne change en rien la situation au plan de la protection internationale de l'enfant puis qu'elle ne fait que reprendre en ajoutant à la confusion, les dispositions du droit international humanitaire.

En fait les protocoles additionnels ne font pas de distinction entre le recrutement volontaire et le recrutement obligatoire. Mais le Comité international de la Croix-Rouge s'est prononcé en faveur d'une interprétation large visant à y inclure tout type de

1 Rapport du secrétaire général sur l'impact des conflits armés sur les enfants, ECN/.4/1996/110, 5 février 1996. 2 Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I) et protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (protocole II) : Actes de la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés, Genève (1974-1977), Berne, Département politique fédéral, 1978, vol. 1, pp. 115-200. Les textes des conventions et des protocoles sont disponibles sur le site Internet du Comité international de la Croix-Rouge (C.I.C.R.), à l'adresse : htt//www.icrc.org/DIH.nsh/WebCONVFULL ? OpenView. 3 Document O.N.U. : A/RES/44/25, 20 novembre 1989. Au 25 mars 2002, cette convention était ratifiée par 191 États. Seuls les États-Unis et la Somalie n'avaient pas encore apposé leurs signature. Le texte de la convention est disponible sur le site du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, à l'adresse : http :www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/K2crc_fr.htm.

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recrutement1. Aussi, contrairement au protocole II, le protocole I n'interdit que la participation directe pour les enfants de moins de quinze ans. Mais faute d'une définition claire et précise de ce qu'est la participation directe, ce texte reste manifestement flou. En outre, il ne soumet les États parties qu'a une obligation de moyen dans la mesure où ils doivent prendre « toutes les mesures possibles » pour que les enfants de moins de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités. Une telle disposition décharge les États signataires de tout poids contraignant et participe ainsi inéluctablement à l'affaiblissement du texte.

Les États africains eux, se disent conscients du fait que l'enfant, en raison de son immaturité physique et mentale, a besoin d'une protection et de soins spéciaux. Ainsi, la Charte africaine des droits et du bien être de l'enfant2, adoptée en 1990, semble être le texte le plus abouti en la matière, puisqu'il prévoit en son article 22 paragraphe 2 que les États parties « prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu'aucun enfant ne prenne directement part aux hostilités et en particulier, à ce qu'aucun enfant ne soit enrôlé sous les drapeaux ». Dans le cadre de ce texte, l'enfant est défini comme toute personne de moins de 18 ans et ceci sans exception possible. En fait, La Charte africaine avait été conçue, dès le départ, comme un instrument juridique appelé à compléter la convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant3, étant donné que toutes les réalités spécifiques africaines ne pouvaient être couvertes par une convention de portée universelle.

Si la Charte africaine des droits et du bien être de l'enfant et la convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant présentent de nombreuses similitudes, il convient de relever que la Charte africaine incorpore des règles spécifiques découlant notamment de la prise en compte de la situation particulière de l'enfant en Afrique, continent en proie aux conflits armés internes, victime de catastrophes naturelles et subissant les affres de la pauvreté4. Depuis l'adoption de la Charte, les États membres de l'Organisation de l'unité africaine (O.U.A.), n'ont de cesse d'entreprendre une série d'actions aussi bien auprès des institutions internationales que sur le plan purement africain, pour contribuer à la promotion des droits de l'enfant tels que définis par la

1 Voir notamment, le protocole facultatif à la convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés � Argumentaire du C.I.C.R., Genève, 27 octobre 1997, Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 829, mars 1998, pp. 113-132, spéc. paragraphes 43645. 2 Le texte de la Charte africaine des droits et du bien être de l'enfant est disponible sur le site Internet de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples à l'adresse suivante : http : //www.achpr.org/CHARTE AFRICAINE DES DROITS ET DU BIEN.doc. 3 Cette convention a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 5 décembre 1989 par sa résolution A/Res/44/25. 4 Voir notamment article 22 sur la garantie et la sauvegarde des droits de l'enfant en cas de conflit armé.

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Charte, et soutenir la cause des enfants d'Afrique auprès de la communauté internationale. Ainsi, les États africains célèbrent le 16 juin de chaque année la journée africaine de l'enfant. Mais en dépit de toutes les mesures de protection et de promotion des droits de l'enfant notamment, dans les situations de guerre civile, il est indéniable que ces textes ont été violés de façon récurrente au cours des conflits armés internes en Afrique depuis les années 80 jusqu'à ce jour. En effet, même si les États signataires s'engagent au strict respect des dispositions relatives à la protection des enfants, rien n'empêche les chefs de guerre de procéder à l'enrôlement d'enfants.

La guerre civile est par essence, le paradigme de l'anarchie totale généralement orchestrée par les bandes armées rebelles ou chefs de milice « hors la loi ». Ainsi, pour ces chefs de guerre, recruter des jeunes combattants est une question existentielle qui ne fait place à aucune règle juridique, encore moins à la morale ou au bon sens. Peu importe la manière dont sont recrutés les combattants. Au Soudan, l'on a assisté à des rafles d'enfants des rues de moins de seize ans qui ont été ensuite placés dans des camps d'entraînement militaire en vue de les envoyer combattre1. De même en République démocratique du Congo (R.D.C.), des enfants ont été recrutés par l'alliance des forces démocratiques pour participer au conflit armé et des enfants de onze ans ont participé à des combats à l'arme lourde2. Certains jeunes, séduits par des discours à base ethnique ou religieuse, choisissent également d'aller se battre. Ceux qui les recrutent ne se soucient ni de leur âge, ni de leur maturité politique. Cela a été le cas des militants de la rébellion ivoirienne et de celle de la R.D.C.

Les difficultés liées à la situation des enfants soldats se poursuivent en fin de guerre. En effet, faute de ressources disponibles, la réadaptation et la réinsertion sociale des enfants soldats démobilisés deviennent particulièrement difficiles3.

Les imperfections de tous les textes tant régionaux qu'internationaux et relatifs à la protection des enfants, ont sans doute conduit à la proposition d'un protocole facultatif à la convention internationale des droits de l'enfant. Il s'agit de rendre illégal le recrutement et la participation aux hostilités des personnes de moins de dix huit ans.

1 Rapport du Rapporteur spécial pour le Soudan, E/CN.4/1996/62, 24 janvier 1996, E/CN.4/1997/58, 3 février 1997, E/CN.4/1999/38/Add.1, 17 mai 1999 et A/54/467, 14 octobre 1999. Voir également la décision 5 (54) du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, A/54/18, paragraphe 21(5), 19 mars 1999 et le Rapport du Secrétaire général sur l'enlèvement d'enfants du Nord de l'Ouganda E/CN.41999/69, 27 janvier 1999. 2 Rapport du Rapporteur spécial pour la R.D.C., E/CN4./1997/6 et Add.2, 31 décembre 1996 et 2 avril 1997 et A/52/496, 17 octobre 1997, A/53/365, 10 septembre 1998, E/CN.4/1999/31, 8 février1999 et A/54/361, 17 septembre1999. Voir également la résolution de l'Assemblée générale sur la situation des droits de l'homme dans la R.D.C., A/RES/53/160, 9 février 1999. 3 Observation du Comité des droits de l'enfant sur le Rapport initial du Tchad, CRC/C/15/Add.107, 24 août 1999. Voir également les Rapports du Rapporteur spécial sur la R.D.C., A/52/496, 17 octobre 1997 et E/CN.4/1998/65, 30 janvier 1998.

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Ce protocole facultatif relatif aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés sera adopté en mai 2000 pour entrer en vigueur le 12 février 20021. Mais s'il concourt manifestement au renforcement de la protection des droits de l'enfant, il n'en demeure pas moins un texte à efficacité limitée. Son existence n'entame en rien la frénésie et la détermination des chefs de guerre qui continuent sereinement le recrutement des enfants soldats. Ces derniers ne se sentent aucunement concernés par ce foisonnement de dispositions protectrices des droits des l'enfants.

Face au constat d'impuissance, Jean-Claude ALT estime raisonnablement que c'est à ce niveau que le droit pénal international devrait être efficace. De son avis, inculper une personne physique, à savoir un chef de guerre, aurait alors une plus grande portée. En fait, un mandat international réduirait leur mouvement et à long terme leur crédibilité. Viser les responsabilités individuelles devrait avoir un effet dissuasif. A titre d'exemple, la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (C.E.D.E.A.O.) a déclaré l'Afrique de l'ouest « Zone sans enfants soldats ». Cette initiative a été certainement bien comprise ; l'ex-chef d'État libérien et chef de guerre, le président Charles Taylor2 a été mis aux arrêt et incarcéré à la Haye (Pays-Bas) afin de répondre de ces crimes de guerre3. Les droits des enfants sont des droits fondamentaux garantis aussi bien par les instruments universels que régionaux. Il ne suffira pas seulement de mettre en place un arsenal juridique reconnaissant la protection à l'enfance. L'Afrique, continent où les enfants sont fortement mêlés aux conflits devra mettre en �uvre des mesures concrètes de nature à rendre effective une telle protection.

Sans doute faudra-t-il procéder à une plus large harmonisation des législations nationales avec les différents instruments juridiques internationaux, notamment la convention sur les droits de l'enfant. L'Union africaine pourrait également imaginer un

1 Au 25 mars 2002, 18 États avaient ratifié ce protocole facultatif. Le texte du protocole est disponible sur le site Internet du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, op. cit. 2 L'emploi des enfants soldats a été institué lorsque l'ancien président libérien Charles Taylor a constitué et intégré l'Unité des petits garçons dans sa guérilla, qui a pris les armes contre le régime de Samuel DOE en 1989. Nombres de la garde rapprochée de Taylor à cette période était composée de jeunes garçons âgés d'environ 10 ans et qui avaient la réputation d'être intrépides. Il faut noter que plus de 15 000 enfants soldats ont été enrôlés pour combattre au sein des milices du gouvernement et des mouvements rebelles au Libéria, a relevé les Nations Unies. Voir UN Integrated Regional Information Networks, 2003. 3 Le statut de la Cour pénale internationale dispose en son article 8 que « le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités », que ce soit dans le cadre des hostilités armés internationaux ou ne présentant pas un caractère international, constituent des crimes de guerre. Voir l'article 8 paragraphe 2 b) XXVI) pour les conflits armés internationaux et l'article 8 paragraphe 2 e) VII) pour les conflits armés ne présentant pas un caractère international. Le texte du Statut de Rome est disponible sur le site Internet des Nations Unies à l'adresse : http ://www.un.org/law/icc/statute/frenc/rome-f.htm.

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mécanisme efficace de protection et de sanction contre toute infraction aux droits des enfants. Mais outre les enfants, d'autres catégories spécifiques de personnes constituent les plus grandes victimes des affrontements armés : ce sont les minorités et les réfugiés. Ces deux catégories de personnes requièrent assistance et protection.

B � NÉCESSITÉ DE PROTECTION DES MINORITÉS

Nombres de conflits armés internes violents en Afrique, tiennent d'une hostilité ethnique ou religieuse engendrée ou exploitée par une ou plusieurs des parties à un conflit. Ce péril identitaire y est présent partout, avec la multitude de groupes minoritaires sur le continent noir1. L'acuité du problème des minorités en Afrique tient sans doute au fait que l'État se cherche encore une identité. En fait, l'articulation entre État et société apparaît conflictuelle depuis que les sociétés plurinationales n'ont survécu à l'anéantissement de leur modèle d'État que pour être soumises à une caricature de celui de l'occident. En effet, l'Afrique noire avait, créé son propre modèle d'État multinational et de nation-ethnie, avec les empires d'Éthiopie, du Ghana, du Mali, du Songhay, du Noupé, d'Ifè, du Dahomey (l'actuel Bénin), du Kanem-Bornou, du Congo,du Monomotapa ou du Zimbabwe et qui remontent au Moyen âge africain2 Dans ces sociétés, le politique avait précédé l'invention de l'État � alors que la théorie classique assimile la construction du politique à l'avènement de l'État-nation. A l'opposé de l'État-nation, qui a le monopole de production du droit, la nature plurinationale des sociétés africaines les a poussées à inscrire dans l'acte de fondation multinationale les deux espaces autonomes de production du droit : l'espace étatique (lieu de production du droit général) et l'espace national ou ethnique (lieu de production du droit particulier sur le foncier, la succession, l'état civil, etc.). On pourrait ainsi distinguer la nation juridique, « l'État », et la nation sociologique, dite « ethnie ». Cette dernière procède à la fois d'une communauté de caractères (langue, lien de sang, religion, histoire commune) et d'une volonté de vivre ensemble attestée. Elle représente le soubassement de la nationalité d'origine, dont l'État postcolonial se limite à constater l'existence � dépourvu qu'il est de la mémoire historique et administrative des hommes et pays juxtaposés par la seule volonté coloniale. La Charte africaine des

1 Quelques unes des minorités africaines bien connues sont : les Ibos, touaregs, Hutus, Tutsis, Peuls, Xhosas, Yorubas, Mboshi�. 2 Voir MWAYILA TSHYEMBE, L�Afrique face au défi de l�État multinational, Le Monde Diplomatique, septembre 2000, n° 558, pp. 14-15.

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droits de l'homme a semble-t-il voulu refléter cette spécificité en proposant la notion de « droit des peuples », mais sans en préciser le contenu.

En Afrique, il y a toujours une cohérence à établir entre les espaces socioculturels façonnés par les grands Empires précoloniaux et les entités territoriales qui se sont bâtis, au moment des indépendances, sur des ruptures ethniques, religieuses, identitaires, etc., à partir des frontières héritées de la colonisation1. Avec cette partition de l'Afrique, de grands groupes ethniques ou linguistiques se sont retrouvés morcelés. Majoritaires nulle part, ils sont minoritaires dans divers États. Dans cette « chimère » qu'est l'État-nation, il semble que c'est le désir des cultures majoritaires ou dominantes d'incarner une identité nationale, en dépit d'un environnement multiethnique, qui favorise la contestation et la déstabilisation, et fait de l'ethnisme un mal récurrent. Cette crise de conscience nationale et la multiplication des conflits d'identité qui violentent l'Afrique est la conséquence de la déliquescence de l'État-nation.

En Côte d'Ivoire, « L'ivoirité » qui aurait pu être un creuset des multiples convergences ou un projet de rassemblement des cultures ivoiriennes, a semble-t-il été développé dans l'exclusion ethnique et religieuse, voire dans la xénophobie. Il semble que la manipulation politique de la contestation de la nationalité, pour écarter l'ancien Premier ministre Allassane Ouattara2 de la course à la présidence de la république ivoirienne, serait à l'origine du conflit qui a entraîné la partition du pays. C'est ce même état d'esprit qui expliquerait la mise à l'écart de la communauté banyamulenge à l'Est du Congo-Kinshasa. Le sud soudan connaît les mêmes difficultés avec le drame des minorités chrétiennes du sud ou le massacre du peuple de Darfour, victime de la fureur des miliciens arabes du Nord à la solde du pouvoir. Au Rwanda, l'opposition violente entre Hutus et Tutsis, et qui s'est soldée par le génocide des derniers cités, permet de prendre la mesure de la nécessité de la protection des groupes ethniques ou des minorités sur le continent africain.

La question des minorités est devenue si sensible dans le monde et notamment en Afrique que l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté en 1992, la déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques,

1 Dans les années soixante, le retrait des puissances administratives coloniales du continent africain, fut marqué par l'application de la règle de l'UTI possidetis juris, déjà appliquée, de manière satisfaisante, à la décolonisation de l'Amérique Latine au siècle dernier. En vertu de ce principe, il convenait de ne pas toucher aux frontières telles qu'elles avaient été établies pendant l'ère coloniale et ce, même si elles scindaient les structures traditionnelles entre différents pays. Depuis, ce fardeau de l'histoire constitue une cause endémique d'antagonismes sur le continent noir. 2 ALLASSANE OUATTARA soupçonné à tort ou à raison d'être un ressortissant burkinabé (voir notamment le livre du président Bédié « Les chemins de ma vie ») a été déclaré inéligible. Les nordistes ivoiriens y voient plutôt une manipulation politique pour écarter leur leader. Les rebelles qui occupent la partie septentrionale du pays avouent d'ailleurs qu'ils ont pris les armes pour réparer l'injustice faite à M. A. Ouattara.

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religieuses et linguistiques. En Afrique, la réflexion portant sur la protection des droits des minorités et la préventions des conflits ethniques n'a pas été absente (Addis Abeba, octobre 2000). Mais pour l'heure, si la Charte africaine accorde aux peuples une personnalité juridique, elle ne fait aucune référence aux minorités. Ainsi, la Charte africaine ne vise nullement la protection des minorités, et moins encore l'adoption de mesures spéciales en leur faveur. Pour justifier cette lacune, l'ancien président de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, U.O. Umozurike explique que, l'absence du terme de minorité ne signifie nullement que la Charte africaine ne protège pas les minorités : le concept de peuple désignerait plutôt les majorités et les minorités à la fois. M. Umozurike souligne qu'en l'absence de plaintes concernant le traitement des minorités dans les États africains, la Commission n'a pas encore eu à se prononcer sur le sens à donner au mot « peuple ». Ce dernier concept, ajoute-t-il, est employé dans la Charte africaine pour désigner la collectivité par opposition aux individus qui la composent1. De cette manière, les rédacteurs de la Charte auraient voulu souligner que l'individu ne peut réaliser son potentiel qu'en vivant en collectivité, et que la protection de l'individu présuppose la protection de la société toute entière. En Afrique, l'enjeu ne serait pas de protéger des langues ou des pratiques religieuses minoritaires mais de favoriser la libre intégration des individus dans le reste de la population de l'État. « Le métissage, conclut U.O. Umozurike, souligne encore l'importance des droits de l'homme pour l'individu, plutôt que pour le groupe� le but visé n'est pas de solidifier les minorités, mais de protéger les droits de l'homme de leurs membres »2. Le point de vue d'U.O. Umozurike semble ainsi représentatif de la conception juridique des États africains en la matière, qui n'est toutefois pas restée à l'abri de la critique. Ainsi, C.M. Eya Nchama a évoqué une « crise entre les nouveaux pouvoirs politiques et les différents peuples et nations qui composent ces nouveaux États ». « Cette crise, ajoute-t-il, provoque la déstabilisation complète de notre continent. C'est cette crise que l'on appelle vulgairement le « tribalisme » Elle est le résultat de la résistance des peuples africains à l'imposition de l'État colonial. Cette crise disparaîtra le jour où l'État colonial disparaîtra de notre continent » � l'État 1 La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples fournit une contribution originale à l'élaboration de droits collectifs, dans la mesure où elle contient une série de droits accordés aux peuples comme tels, allant de l'autodétermination au développement. Selon son article 19 : « Tous les peuples sont égaux ; ils jouissent de la même dignité et ont les mêmes droits. Rien ne peut justifier la domination d'un peuple par un autre ». Aussi, et comme le souligne le juge Keba Mbaye : « En Afrique, la communauté est un sujet privilégié de droit, quelle que soit sa forme (clan, ethnie, tribu, etc.). Ce concept renforce la solidarité entre les membres de la même communauté. La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples reflète cette solidarité. Ceci explique l'importance qu'elle accorde aux droits collectifs et d'une manière générale justifie ses dispositions relatives à la solidarité nationale et internationale ». 2 Cité d'après étude des moyens possibles de faciliter la solution par des voies pacifiques et constructives des problèmes dans lesquels les minorités sont impliquées (document E/CN.4/Sub.2/1993/34, paragraphe 230. Voir aussi U.O. Umozurike, The African Charter on Human and Peoples' Rights The Hague : M. Nijhoff, 1997) ; T. Van Boven, The relations between peoples' Rights and human rights in the African Charter, dans Human Rights Law Journal 7 (2-4), 1986, pp. 183-204.

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colonial étant celui « qui a introduit les frontières arbitraires », un État « de droit des terres et non de droit de sang », enfin, un « État centralisé »1. Pour sa part, F. Ouguerguez souligne que, étant donné le caractère composite des États africains, l'État africain tend à demeurer « le creuset juridique de plusieurs entités sociologiques ; il est malgré lui un État multinational qui se nourrit du mythe de l'État-nation ».

Si, par conséquent, il est difficile de prêter aux rédacteurs de l'article 20 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples l'intention d'ouvrir juridiquement la voie à l'éclatement des États africains, la disposition en question n'en est pas moins susceptible de jouer un rôle dynamisant dans la perception du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes2. En tout état de cause, renforcer les droits des minorités est un défi que les États africains doivent avoir pour objectif de relever. Les conflits, les opportunités inégales, et le non-respect du droit des minorités à la sécurité et au développement, sont autant d'éléments qui font obstacle au développement durable du continent entier3.

Dans son « appel aux peuples d'Afrique », le document du nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) adopté en 2001 reconnaît que l'Afrique est un « continent dont le cours du développement a été marqué par de faux départs et des échecs »4. D'autre part, l'incapacité des États africains, presque tous à forte dose multiethnique et multiculturelle, à reconnaître les groupes ethniques marginalisés, ouvre la porte aux tensions et parfois aux violences. Pourtant, reconnaître les minorités nous semble être le premier pas vers la prise de conscience que les droits des minorités sont essentiels à la coexistence pacifique et à la construction positive des nations en Afrique5. Outre les droits de l'homme proprement dit, ceux de l'enfant et les problèmes relatifs à la situation des minorités ethniques, le problème des réfugiés n�échappe pas aux mêmes difficultés.

1 C.M. EYA NCHAMA, Développement et droit de l'homme en Afrique, Paris, Publisud, 1991, pp. 68, 69. 2 F. OUGUERGUEZ, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et modernité, Paris, P.U.F., 1993, p. 158. 3 Sur la nécessité de mettre en place des principes qui assurent que les droits des minorités et les droits des peuples autochtones soient intégrés dans le droit au développement, se reporter à Salomon, M., et Sengupta, A., The right to development : Obligations of States and the Rights of minorities and indigenous peoples, London, MRG, 2003. 4 Le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD), paragraphe 58. 5 Les États africains répètent à l'envie que l'ethnicité, souvent exploitée, politisée et manipulée, est à l'origine des conflits en Afrique. Voir la déclaration et le programme d'action adopté à grande Baie, Maurice, lors de la première Conférence ministérielle sur les droits de l'homme de l'O.U.A., 12-16 avril 1999. CONF/HRA/DECL(1). Pourtant ces États africains ne parviendront pas à atteindre l'objectif d'assurer la stabilité et une paix durable en Afrique s'ils n'intègrent pas les droits des minorités dans leur politique générale de gouvernement.

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C � LA SITUATION DES RÉFUGIÉS EN AFRIQUE

En droit international, les concepts de réfugiés et de personnes déplacées, recouvrent des situations clairement distinctes. Les réfugiés sont des étrangers placés dans une situation spéciale vis-à-vis de l'État d'accueil qui leur accorde sa protection du fait des persécutions dont ils sont victimes dans leur propre pays1. Quant aux personnes déplacées, ce sont pour ainsi dire, des réfugiés dans leur propre pays. En effet au lendemain des indépendances, les États africains ont été en bute à de nombreux différends d'ordre internes.

Outre la fuite de personnes due à la répression de certains régimes autoritaires2, une recrudescence de la violence engendrée par l'éclatement des guerres civiles sur le continent, a créé de nombreux réfugiés et personnes déplacées3. Ainsi, chiffre-t-on le nombre des réfugiés africains à plus de sept millions de personnes et les personnes déplacées à près de quinze millions4.

En fait, si ces deux catégories de personnes ont des statuts juridiques différents, leurs situations ont une cause commune : leur fuite tient sa cause dans l'existence d'un conflit armé, des persécutions pour des raisons ethniques, politiques, religieuses, raciales voire du fait de catastrophes naturelles. Les conflits armés en Ogaden, en Érythrée, au Biafra, en Rhodésie, au Shaba et depuis les années quatre vingt dix en Sierra Léone, au Libéria, en Somalie, au Rwanda et aujourd'hui en Côte d'Ivoire, au Soudan ou en République démocratique du Congo en sont des illustrations. Ainsi, près d'un million de burundais auraient trouvé refuge dans l'ex-Zaïre, au Rwanda et en Tanzanie, et que 2,5 millions de rwandais seraient réfugiés dans les pays voisins notamment en R.D.C.

Selon la commission des 15 de l'Organisation de l'unité africaine (O.U.A.) sur les réfugiés, 300 000 togolais se seraient enfuis vers le Bénin et le Ghana, tandis que la Côte d'Ivoire, le Nigeria et le Ghana continuent d'abriter les réfugiés libériens5. Ce flux

1 NGUYEN QUOC DINH et autres, p. 608. 2 Les communautés ethniques ou tout simplement les individus qui se sentent brimés ou en danger, se trouvent face à une alternative : ou bien rester dans cet État avec tous les risques et conséquences pour ceux qui seraient soupçonnés d'être des opposants, sécessionnistes ou déstabilisateurs, ou bien prendre le chemin de l'exil pour y rechercher une sécurité physique, morale et matérielle. 3 Le phénomène de personnes déplacées a été constaté dès l'éclatement de la crise ivoirienne lorsque les mouvements rebelles ont occupé l'ouest et la partie septentrionale de la Côte d'Ivoire. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont fui ces zones dites occupées pour venir se mettre à l'abri à Abidjan et dans les villes du sud du pays sous l'autorité du pouvoir légalement établi. 4 Voir l'introduction de l'ambassadeur BOMINA-NSONI LOLANGE, président de la Commission des 15 sur les réfugiés, sur le rapport de la Commission des 15, Document CM/1806(LIX), Addis-Abéba, 2 février 1994. 5 Voir Document CM/1806(LIX), 59è du Conseil des ministres de l'O.U.A., Addis-Abeba, 31 janvier �4 février 1994.

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à la fois massif et soudain des populations pose inéluctablement de graves problèmes dans les pays d'accueil ou d'asile. En fait cette situation pèse de tout son poids sur les États africains d'asile déjà en but à des difficultés économiques. Ce dramatique phénomène est tel que ces migrations forcées entraînent la modification de l'équilibre géographique dans une région donné comme c'est le cas dans la région des grands lacs et en Afrique de l'ouest, provoque une dégradation de l'environnement et transpose dans ces localités de migration, des rivalités et des tensions entre groupes politiques ou ethniques. Aussi, des conflits entre nouveaux arrivants et population locale peuvent éclater, avec un risque d'explosion sociale. Car, l'insécurité grandissante dans les pays d'asile ou dans les camps de réfugiés provoque nécessairement le mécontentement des populations locales comme ce fut le cas en R.D.C.

En effet, depuis son indépendance, l'ex-Zaïre (R.D.C.) a accueilli plusieurs vagues de réfugiés non sans difficulté, originaires au moins de six des neuf pays ayant avec lui des frontières communes1, surtout le Rwanda2.

Le phénomène des réfugiés constitue aujourd'hui un grand fléau qui gangrène le continent noir3.

Cette situation est d'autant plus préoccupante qu'elle ne laisse pas indifférente la communauté internationale4. Si au plan du droit international, c'est la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole du 31 janvier 1967 qui s'appliquent à tous les réfugiés d'où qu'ils viennent, dans l'ordre régional africain, c'est la Convention de l'O.U.A. régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés5 qui réglemente la question. Cette Convention signée à Addis-Abeba le 10 septembre 1969, est entrée en vigueur le 20 juin 1974.

La convention africaine, loin de contredire celle de 1951, semble s'affirmer entant que complément régional efficace de cette dernière6, dont elle tend à adapter le régime

1 ANGOLA, BURUNDI, Ouganda, Rwanda, Soudan et Zambie. 2 Le HCR en chiffre 1995, 1er janvier, p. 11. 3 Comme le relèvent Mme Sadako Ogata, Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et Ahmed Salim, Secrétaire général de l'O.U.A., l'Afrique connaît « la crise la plus dramatique de son histoire en ce qui concerne les déplacements forcés de populations », voir préface au document d'Addis-Abeba sur les réfugiés et déplacements forcés de population en Afrique HCR Suisse, 1995, p. 3. 4 Une conférence sur les « réfugiés du tiers-monde » a réuni entre autres, MM. Bettati, Bontems, Jouve et Zorgbibe en mai 1979 à Orsay. Les conclusions de cette conférence ont été publiées dans le Monde Diplomatique du mois d'août de la même année, p. 7-11. 5 Recueil des traités et autres textes de droit international sur les réfugiés, HCR, Genève, 1990, p. 227. 6 Aux termes du préambule de la Convention africaine sur les réfugiés de 1969, « � La Convention des Nations-unies du 28 juillet 1951 modifiée par le protocole du 31 janvier 1967, constitue l'instrument fondamental et universel relatif au statut des réfugiés� » l'article VIII-2 de la dite convention précise que la Convention « � constituera pour l'Afrique le complément régional de la Convention de 1951 ».

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juridique aux réalités du continent africain. C'est dans cet esprit qu'il étend la notion de réfugié et renforce son statut. Ainsi, la Convention de l'O.U.A. de 1969 reprend, sur certains points le régime juridique universel inscrit dans la Convention de 1951. Mais elle y apporte tout de même quelques restrictions, compte tenu notamment de la situation fragile des États africains et de la nécessité de lutter contre la subversion. En effet le paragraphe 2 de la Convention africaine précise d'abord les situations qui peuvent amener une personne à fuir son propre pays : « Le terme « réfugié » s'applique également à toute personne qui, du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination étrangère ou d'évènements troublant gravement l'ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour trouver refuge dans un autre endroit à l'extérieur de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité ».

L'instrument juridique africain, par cette notion extensive, franchit un pas important dans la protection des réfugiés. Elle met en effet sous son ombrelle protectrice, outre les victimes du totalitarisme, celle des guerres civile et des conflits internationalisés. Elle présente de surcroît le mérite d'être adaptée à l'évolution du temps par le choix pertinent de la violence comme critérium d'éligibilité, ce phénomène étant à l'origine de nombreuses migrations forcées1. En outre la convention de l'O.U.A. met l'accent sur les droits relatifs à l'asile, au rapatriement volontaire et au non refoulement.

S'il est vrai que le droit d'asile n'est pas encore consacré par le droit international en ce qu'il ne met pas à la charge des États l'obligation d'octroyer l'asile, force est de reconnaître qu'un pas a été franchi par l'article II de la convention africaine dont l'esprit est de faire en sorte que l'asile soit à tout prix octroyé aux réfugiés. Ainsi, le paragraphe 1er prescrit que les États membres de l'O.U.A. « s'engagent à faire tout ce qui est en leur pouvoirs� pour accueillir les réfugiés� ». Dans ce même état d'esprit, la convention de l'O.U.A. prescrit au paragraphe 3 de son article II que « nul ne peut être soumis par un État membre à des mesures telles que le refus d'admission à la frontière, le refoulement ou l'expulsion qui l'obligerait à retourner ou à demeurer dans un territoire où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées pour les raisons énumérées à l'article I� ».

1 La convention de l'O.U.A. par ce texte complète « efficacement » le droit de Genève, qui n'a pu franchir ce rubicond juridique, voir en ce sens, E. Zoller, op. cit., p. 23.

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Au contraire de la convention de Genève de 19511, la Charte de l'O.U.A. fait du principe de non refoulement une règle absolue non dérogeable2. Pourtant beaucoup d'États africains adoptent souvent des pratiques qui heurtent frontalement les principes fondamentaux de la protection des réfugiés tels que consacrés aussi bien par la convention de l'O.U.A. de 1969 que par les différents instruments internationaux. Ainsi, les refoulements individuels et collectifs, bien qu�interdits par les différents textes internationaux deviennent des pratiques courantes. Parmi les exemples les plus récents3, on citera la décision de la Tanzanie de fermer ses frontières. De même « au Burundi, note l'O.U.A., des militaires renvoient régulièrement des réfugiés rwandais »4. Il en va encore de même du refus des autorités ivoiriennes et ghanéennes d'accueillir au début du mois de mai 1996 les 3 600 postulants à l'exil, passagers à bord du cargo nigérian Bulk Challenge en provenance de Monrovia5.

L'interdiction prévue par ces instruments internationaux n'a non plus pas empêché le gouvernement guinéen à fermer ses frontières aux ressortissants burkinabés fuyant les atrocités du conflit ivoirien. Ces derniers se sont ainsi retrouvés livrés à eux-mêmes dans l'Ouest ivoirien ou sévissent également les bandes armées venues du Libéria voisin. Malgré cette violation flagrante de la convention de l'O.U.A., aucun État membre n'a pu interpeller les autorités guinéennes sur ce manquement qui met gravement en danger la vie de ces populations fuyant les zones de guerre. Tels sont quelques cas de refoulement perpétrés par les États africains « d'asile » qui, lorsqu'ils n'ont pas réussi à contenir la marée humaine qui défonce leurs frontières, tentent de se rabattre sur le rapatriement forcé. Par ailleurs, volontaire ou non, le retour des réfugiés dans leur pays d'origine malgré toutes les précautions juridiques6, leur fait courir un risque avéré. Ils peuvent bien souvent faire l�objet d�exactions, de disparitions, de lourdes peines d�emprisonnement�. L'exemple le plus récent reste celui du Congo Brazzaville. En effet, après la fin de la guerre civile qui a ravagé ce pays, plus de trois cents congolais persuadés de la disparition de tout risque de péril, décident de rentrer volontairement dans leur pays aidés en cela par le HCR. Mais quelques jours plus tard,

1 Le paragraphe 2 de l'article 33 de la convention de 1951 autorise en effet l'État à se soustraire à l'obligation de non refoulement s'il fait valoir que le réfugié constitue « un danger pour la sécurité du pays » ou « une menace pour la communauté du dit pays ». 2 C'est ce qui explique que la conférence d'Arusha (mai 1979) met l'accent sur « l'importance de l'observation scrupuleuse du principe de non refoulement énoncé dans divers instruments ». Voir sur ce point séminaire sur la situation des réfugiés en Afrique centrale. Yaoundé Cameroun, 18-22 juillet 1985, H.C.R. Genève, 1985, p. 74, tandis que le symposium de septembre 1994 insiste sur le respect scrupuleux du principe de non refoulement, doc. d'Addis-Abeba précité, 1994. 3 Voir le droit d'asile en péril en Afrique australe ; bulletin d'information HCR, juin 1995, p. 2. 4 Bulletin d'information, op. cit., p. 2. 5 Parti le 5 mai du Liberia, le cargo est en fin accepté le 15 mai 1996 par le Ghana sur pression extérieure. 6 L'article V de la convention de l'O.U.A. prévoit que l'État d'asile en collaboration avec l'État d'origine doit "prendre les mesures appropriées pour le retour sain et sauf des réfugiés qui demandent leur rapatriement" (paragraphe 2).

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l'on apprenait la disparition de trois cents congolais de retour dans leur pays. Les autorités congolaises ne donnent aucune information encore moins d'explication convaincante à ce sujet et cela ne semble pas émouvoir outre mesure les États membres de l'O.U.A., encore moins la communauté internationale.

Le symposium de 1994 traduit le drame des réfugiés en ces termes : « Des réfugiés ont été arrêtés et détenus sans inculpation. D'autres ont été conduits contre leur gré dans des endroits où leur vie peut être menacée. D'autres encore ont été conduits dans des camps de réfugiés ou des endroits éloignés, inaccessibles, où ils sont parfois exposés au banditisme, au viol et à d'autres formes de criminalité� »1. En revanche, l'originalité de la Convention africaine, est que celle-ci n'est pas applicable à la personne dont « l'État d'asile a des raisons sérieuses de penser : � qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux objectifs et aux principes de l'Organisation de l'unité africaine ; � » (article 1.5 c). Autrement dit, le réfugié se doit de « se conformer aux lois et règlement en vigueur et aux mesures visant au maintien de l'ordre public »2. Tirant les conséquences de cette interdiction, les chefs d'État et de Gouvernement se déclarent « désireux d'établir une distinction entre un réfugié qui cherche à se faire une vie normale et paisible et une personne qui fuit son pays à seule fin d'y fomenter la subversion à partir de l'extérieur » (point 4 du préambule) ; et « décidés à faire en sorte que les activités de tels éléments subversifs soient découragés, conformément à la déclaration sur le problème de la subversion et à la résolution sur le problème des réfugiés, adoptées à Accra, en 1965 » (point 5)3.

L'article III de la convention de l'O.U.A. se montrant plus précise dispose que le réfugié « doit s'abstenir de tous les agissements subversifs dirigés contre un État membre de l'O.U.A. » (paragraphe 1), « les États signataires s'engagent à interdire aux réfugiés établis sur leur territoire respectifs d'attaquer un quelconque État membre de l'O.U.A.� » (paragraphe 2). Dans le même souci de sécurité, l'article II, paragraphe 6 prescrit que les réfugiés doivent être installés « à une distance raisonnable de la frontière de leur pays d'origine ». Cette distance est estimée, selon une interprétation de l'O.U.A. et du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), à 50 kilomètres4. Fort de ce

1 Symposium de 1994, op. Cit., p. 6. 2 Cette disposition reprend presque intégralement l'article 2 de la convention de 1951. Pour préciser le sens de ce texte, il convient d'indiquer que le réfugié, quoique appartenant à un groupe vulnérable, ne bénéficie pas d'un statut privilégié, étant justiciable au même titre que le national et l'étranger ordinaire, des juridictions locales. Il doit en effet répondre pénalement ou civilement des conséquences dommageables des actes répréhensibles dont il s'est rendu coupable. 3 Il s'agit d'une résolution de l'Assemblée des chefs d'États et de gouvernement réunie à Accra 21-26 octobre 1965. cette résolution dit que les États membres doivent empêcher les réfugiés installés sur leurs territoires de se livrer à des activités subversives dirigées contre un État africain indépendant. 4 UNHCR, Impact of military persona and the militia presence in Rwandese refugee camps and settlements, doc. 1995/bujconf 3, p. 1.

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impressionnant arsenal juridique, le symposium de 1994 en a conclu que la convention demeure « un puissant fondement de la protection des réfugiés et de la recherche des solutions en Afrique » (doc. Addis-Abeba p. 4). Toutefois, il convient de remarquer qu'une loi ne vaut que par la volonté et la détermination des signataires de l'appliquer dans la stricte rigueur en se donnant tous les moyens de la faire respecter. En effet la pratique sur le terrain révèle de façon flagrante la violation récurrente de ces textes par les États africains eux-mêmes.

En fait dans les conflits armés internes qui secouent le continent africain, les États voisins aux pays en guerre ont toujours été impliqués à divers niveaux dans ces conflits. Le Burkina Faso et le Liberia de Charles Taylor ont été cités comme bases arrières des mouvements rebelles qui occupent la partie septentrionale et l'ouest de la Côte d'Ivoire1. Le Tchad accuse incessamment le Soudan de soutenir les rebelles aux prises avec les forces gouvernementales tchadiennes ; l'incursion au Rwanda en 1990 du « Front Patriotique Rwandais »ou F.P.R. en provenance d'Ouganda où l'attaque récurrente du territoire rwandais par les bandes armées de Hutus rwandais réfugiés dans l'Est de la République démocratique du Congo (R.D.C.), sont autant de situations qui permettent de rendre compte des graves manquements à la convention de l'O.U.A. Ces différentes pratiques violatrices des règles de droit relatives aux réfugiés et surtout, la persistance des conflits armés internes sur le continent africain qui en constitue la cause, doivent nous instruire sur la nécessité de s'orienter vers de nouvelles stratégies.

Ainsi, il nous semble que le maintien de la paix doit demeurer la priorité. Le bien-fondé d'une telle mesure bien comprise par les États africains a été traduit dans la déclaration du Caire en date du 30 juin 1993 portant création d'un mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits2. Celle-ci fait le constat que : « Les conflits ont contraint des millions de personnes à prendre le chemin de l'exil et à devenir des réfugiés et des personnes déplacées »3. Pour y faire face, le mécanisme du Caire de 1993 se fixe pour objectif (contenu dans l'article 15 de la déclaration du Caire), de prévenir à tout prix les conflits et, à défaut de les régler rapidement.

1 Voir JUDITH RUEFF, Le feu au précarré op. cit. 2 Revue africaine de droit international et comparé, vol. 6, 1994, n° 9, p. 164. 3 Revue africaine de droit international et comparé, op. cit., p. 163.

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Dans le même sens, le symposium de 19941 met l'accent sur « l'élaboration de systèmes d'arlète précoce au niveau national, sous régional et continental »2. Mais l'amertume vient du constat que l'Afrique reste à ce jour un continent en ébullition avec des crises dont les solutions tardent à venir. Face aux atrocités, l'avènement des juridictions pénales internationales et notamment la Cour Pénale Internationale pourraient inspirer des craintes et entamer certaines folies meurtrières. En effet ces juridictions traduisent éloquemment la fin de l'impunité et mettent toute partie à un conflit armé interne face à ses responsabilités, notamment dans le domaine du respect des droits de l'homme et des règles humanitaires en période de conflit. Ainsi, l'espoir demeure dorénavant de ne plus voir les crimes de guerre impunis.

La volonté manifeste de mettre un terme à l'impunité de ces criminels de guerre est à mettre au compte de l'Organisation des Nations Unies, notamment, par la création de tribunaux ad hoc, à l'image du Tribunal Pénal International pour le Rwanda et la Sierra Leone, ou hors du continent africain, le tribunal pénal international pour la Yougoslavie. Ces tribunaux ont sans doute permis à la communauté internationale de prendre conscience de ses responsabilités en matière de respect des règles de droit humanitaire et, en ce sens, ils ont indubitablement permis l'adoption du statut de Rome du 18 juillet 1998 instituant une Cour Pénale Internationale entrée en vigueur après la signature du soixantième instrument de ratification.

Section III : Les conflits armés internes en Afrique et les poursuites pénales

L�humanité garde en mémoire les atrocités et les nombreuses victimes causées par les guerres qui secouent le continent africain depuis plus d�une décennie. Pour que l�impunité ne soit plus la règle, et que l�histoire ne se répète pas, la communauté internationale s�est résolue à juger tous les criminels de guerre quels qu�ils soient. L�organisation des Nations Unies (O.N.U.), pour avoir pris la mesure de la tragédie africaine, s�est résolue à s�y impliquer par le biais de mécanismes pénaux internationaux. Ainsi, elle décida la création du tribunal pénal international pour le Rwanda dans un contexte hautement favorable. En effet, sur la base de différents

1 Le symposium de l'O.U.A. et du HCR sur les réfugiés et les déplacements forcés de populations en Afrique a été tenu à Addis-Abeba en Éthiopie du 8 au 10 septembre pour commémorer le 25è anniversaire de l'adoption de la convention de l'O.U.A. de 1969 ainsi que le 20è anniversaire de son entrée en vigueur le 20 juin 1974. 2 Symposium 1994, op. cit., p. 15.

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rapports faisant état de commission d�actes de génocide ainsi que d�autres violations systématiques du droit international humanitaire au Rwanda en 19941 et sur demande diligente du gouvernement rwandais en juillet 19942, l�O.N.U. décide pour la première fois dans l�histoire du continent africain, la création d�un tribunal pénal international dédié à sa cause et plus précisément à celle du Rwanda. En fait, à cette date, le tribunal pénal international pour l�ex-Yougoslavie (le TPIY) venait d�être créé, et la conscience universelle ne permettait pas qu�une manifestation de la politique de deux poids deux mesures qui avait déjà expliqué la négligence des Nations Unies vis-à-vis de la Somalie3, retrouve son empire. Par sa résolution 955 (1994) adoptée le 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité créa le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.). Cette résolution qui a doté le tribunal d�un statut, constatait que la situation régnant au Rwanda continuait « de faire peser une menace sur la paix et la sécurité internationales » et que « dans les circonstances particulières qui règnent au Rwanda, des poursuites contre des personnes présumées responsables d�actes de génocides ou d�autres violations graves du droit international humanitaire permettraient d�atteindre cet objectif et contribueraient au processus de réconciliation nationale ainsi qu�au rétablissement et au maintien de la paix ».

Toutefois, il convient de préciser qu�après avoir appelé de ses v�ux la création de cette institution, le Rwanda vota finalement contre la résolution 955 pour diverses raisons dont notamment l�absence de priorité donnée dans le statut au crime de génocide et l�absence de la peine capitale parmi les sanctions4. La prise en compte des crimes de guerre dans le mandat du T.P.I.R. et l�extension de sa compétence ratione temporis au-delà de la prise du pouvoir du Front Patriotique Rwandais (F.P.R.) en juillet 1994 peuvent également expliquer la position des autorités rwandaises5. Mais

1 Voir les rapports suivants : S/1994/879, S/1994/906, S/1994/1125 etS/1994/1157. 2 Voir la lettre datée du 28 septembre 1994 adressée au président du Conseil de sécurité par le représentant permanent du Rwanda auprès de l�O.N.U. (S/1994/1115 du 29 septembre 1994), et l�allocution du nouveau président du Rwanda de l�époque, Pasteur Bizimungu, devant l�Assemblée générale, XXX. Il en est fait mention par le représentant du Rwanda dans son explication de vote le 8 novembre 1994, S/PV.3453, p. 14. 3 Face à la crise politique profonde en Somalie, le Conseil de sécurité avait été, de façon caricaturale, l�instrument de la politique extérieure des États Unis d�Amérique au point qu�une force importante de maintien et d�imposition de la paix a été rapidement démantelée, laissant le pays à son triste sort. Plus de quinze ans après, la somalie n�est toujours pas sortie de la guerre comme en témoigne la récente coalition somalo-éthiopienne qui vient de bouter hors du territoire somalien qui s�étaient emparés de Mogadiscio et une bonne partie du territoire. A cette confusion l�on pourrait ajouter les récents bombardements de l�armée américaine sur le territoire somalien afin de soi-disant détruire l�armement de ces islamistes qui seraient soupçonnés pour certains d�appartenir à Al-Quaïda. Sur la Somalie voir, African Security Review 13 (2) 2004 et 13 (4) 2004. 4 Voir, Conseil de sécurité, 49ème session, 3453ème séance. 8 novembre 1994, S/PV3453, pp. 14 et ss. 5 La récente mise en accusation des autorités rwandaises par la justice française a profondément détérioré les relations entre ces deux pays provoquant une rupture de leurs relations diplomatiques. Aussi, selon le procureur du TPIR, les premières mises en accusation de membres de l�armée patriotique rwandaise devraient intervenir à la fin de l�année 2002 en dépit du manque de coopération du gouvernement rwandais pour les enquêtes. Voir, International Crisis group, TPIR : le compte à rebours, Rapport Afrique n° 50, 1er août 2002, p. 14. Voir aussi le monde, 4 septembre 2002, p. 3.

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le T.P.I.R. étant devenu une réalité, la procédure devant cette juridiction répressive pose pour l�essentiel à la fois, le problème de la détermination de la nature exacte des faits de guerre, passibles de poursuites et l�étendue de la compétence juridictionnelle.

PARAGRAPHE I : LA DÉTERMINATION DES FAITS POURSUIVIS

A partir de 1992, il était clair que le projet de création d'un organe permanent de justice pénale internationale devait répondre principalement à l'exigence de prévention et de répression des violations les plus graves du droit international humanitaire, telles que celles brusquement réapparues sur la scène mondiale notamment en Bosnie puis au Rwanda.

L'attribution à la cour tout comme aux tribunaux pénaux ad hoc de la compétence relative au génocide, aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre répond donc correctement à cette exigence primaire. Si la cour pénale internationale doit prendre dorénavant le relais des juridictions ad hoc (TPIY, T.P.I.R.), c'est qu'il n'est ni possible ni souhaitable que les procureurs dans ces dernières, poursuivent toutes les personnes impliquées dans les crimes relevant de leurs compétences respectives.

Il n'en ont d'abord pas les moyens, puisque, étant des tribunaux ad hoc, tant leurs ressources que leur "durée de vie" sont limitées. Ensuite il n'est évidemment pas prévu que ces tribunaux remplacent les juridictions nationales (cela demeure en principe valable pour la cour pénale internationale), tout au plus peuvent-ils les suppléer. Concernant les infractions elles-mêmes, commises au cours des conflits en Afrique et notamment au Rwanda, le contenu de ces dernières n'est pas toujours clair et l'emploi des expressions qui les désignent n'est pas toujours rigoureux. Si bien qu'une certaine confusion règne aujourd'hui dans les esprits quant à leur nature, d'autant que chaque juridiction internationale répressive et chaque droit pénal interne donne de ces mots une définition qui leur sont propres. Enfin, la charge émotionnelle attachée à ces différents vocables porte à les utiliser parfois de façon abusive pour notamment disqualifier les actes de ses adversaires.

Les crimes poursuivis par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.) sont au terme de son statut (articles 2 à 4) les crimes contre l�humanité, le génocide et les violations de l�article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole

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additionnel II. Il convient donc d'entreprendre un essai de définition de ces notions qui déterminent la compétence de la juridiction pénale internationale.

A � LE CRIME CONTRE L'HUMANITÉ

La notion de crime contre l�humanité n'est pas entièrement nouvelle. Elle remonte à Grotius, et l'origine formelle peut être recherchée dans les conclusions de la commission du droit international de 1919 sur les responsabilités de la guerre1. Quoique la plus claire définition du crime contre l'humanité ait été donnée par le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie2, ce concept apparaît lors de l'assemblée générale des Nations Unies de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. Il n'en reste pas moins que la première qualification du crime contre l'humanité se trouve, dans l'accord interallié du 8 août 19453 et que le jugement du tribunal militaire international de Nuremberg du 1er octobre 1946 en a prescrit la première répression. En effet, c'est à cette époque que la charte de Nuremberg (article 6) reconnaît deux catégories de crimes contre l'humanité relatifs aux actes inhumains à des persécutions dans des domaines bien spécifiés4. Avec le temps, le contenu de cette notion a sensiblement varié.

Dans le cadre du T.P.I.R., c�est la chambre de première instance I qui, s�appuyant sur l�article 3 du statut du dit tribunal dégage les éléments caractéristiques du crime contre l�humanité en ces termes : l�acte criminel doit être de nature à infliger des souffrances graves ou porter gravement atteinte à l�intégrité physique, à la santé mentale ou physique de la victime ; l�acte doit s�inscrire dans le cadre d�une attaque généralisée ou systématique ; l�acte doit être dirigé contre toute population civile sur la base des considérations politiques, ethniques, raciales ou religieuses (Akayesu, jugement, 1998, paragraphe 578)5 comprenant le meurtre, l�extermination, l�esclavage, la déportation, l�emprisonnement, la torture, le viol, les persécutions pour les motifs politiques, raciaux et religieux, et les autres actes inhumains. Il semble que sur la base d�informations dites fiables, la commission d�experts avait déjà estimé que « des crimes contre

1 Voir PAOLI, Contribution à l'étude des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, RGDIP, 1941-1945. 2 Voir THÉODOR MERON, The Hague tribunal: working to clarify international humanitarian law, American University International Law Review, volume 13, n° 6, 1998, p. 1513. 3 Voir annexe à l'accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances européennes de l'axe, signé à Londres le 8 août 1945, 85, recueil des traités des Nations Unies, p. 251. 4 VIRGINIA MORRIS et MICHAEL P. SHARF, The international criminal tribunal for Rw translational publishers Inc, Irvington-on-Hudson, New York, volume 1, 1998, p. 158. 5 Cette définition se retrouve dans de nombreuses autres affaires, dans la qualification détaillée des faits incriminés : KAYISHEMA-RUZINDANA, jugement, 1999, paragraphes 119-154 ; Rutaganda, jugement, 1999, paragraphes 64-84 ; Musema, jugement, 2000, paragraphes 199-233 ; Bagilishema, jugement, 2001, paragraphes 72-95.

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l�humanité avaient été commis au Rwanda »1. Mais le juge pourrait être confronté à de sérieuses difficultés dans l�examen des faits supposés être constitutifs de crimes contre l�humanité. Ainsi, dans une guerre où la confrontation armée oppose des civils contre d�autres civils comme ce fut le cas dans le conflit rwandais de 1994 (ce conflit reste par essence un conflit armé interne), comment déterminer la nature civile des victimes ? En fait, si l�existence de groupes armés organisés et obéissant à un commandement ne peut être exclu, la nature même du conflit armé interne ne permet pas de déterminer clairement qui sont les vrais combattants. Dans ces conditions, il nous semble que le caractère de non combattant ou civil de la population, ne peut se fonder que sur une présomption simple. En effet, la présence massive d�enfants soldats, voire de jeunes femmes dans les conflits armés internes en Afrique rend non irréfragable toute présomption du caractère civil ou non combattant de la population civile. La pratique du tribunal pénal international pour la Sierra Leone permet de prendre la mesure de cette situation, quand bien même sa compétence ratione personae se limiterait aux « personnes qui avaient atteint l�âge de quinze ans au moment de la commission du crime ». La jurisprudence du T.P.I.R. reste discrète sur cette question, et c�est au cas par cas qu�il faudra rechercher la preuve du caractère civil ou non de la victime, membre de la population. Ainsi, dans l�affaire Kayishema-Ruzindana, (jugement, 1999, paragraphe 122), pour les évènements qui se sont déroulés dans la préfecture de Kibuye, les juges ont affirmé que : « � Les notions juridiques de « civils » et de « population civile » dans le contexte d�un conflit armé ont toujours fait couler beaucoup d�encre ».

Toutefois, le T.P.I.R. considère, en vertu de son statut, que les crimes contre l�humanité peuvent effectivement être commis soit dans le cadre soit en dehors d�un conflit armé. Par conséquent le terme « civil » doit être entendu comme s�appliquant tant à une situation de guerre qu�à un contexte de paix relative. La chambre estime qu�il convient d�interpréter au sens large la notion de « civil », ce qui revient à considérer toutes les personnes de la préfecture de Kibuye, jusque là épargnées par le conflit armé, de civiles à l�exception des agents chargés du maintien de l�ordre public.

L�extermination est au regard de l�article 3 du statut du T.P.I.R. un crime contre l�humanité. Elle est de par sa nature dirigée contre un groupe d�individus et donc perpétrée à grande échelle. Cette définition est confirmée par la chambre d�instance du T.P.I.R. qui a affirmé que « le caractère généralisé résulte du fait que l�acte présente

1 RAMCHARAN, B.G., �African conflict mechanisms: the evolving doctrine of democratic legitimacy�, in: International Commission of Jurists Review, n° 60 (special), juin 1998, p. 30.

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un caractère massif, fréquent, et que mené collectivement, il revêt une gravité considérable et est dirigé contre une multiplicité de victimes. Le caractère systématique tient, quant à lui au fait que l�acte est soigneusement organisé selon un modèle régulier en exécution d�une politique concertée mettant en �uvre des moyens publics ou privés considérables » (ibid., paragraphe 581)1. Ainsi, l�accusé Alfred Musema qui a participé à la mise à mort de certaines personnes nommément désignées ou précisément décrites notamment, les attaques lancées contre les civils Tutsis2, a été convaincu coupable de crime contre l�humanité. Mais le critère tenant au caractère massif ou de grande échelle du crime nous semble vague et peut donner lieu à toute subjectivité.

Toutefois, il parait en pratique impossible de déterminer un seuil minimum nécessaire à la prise en compte du caractère massif du crime. Dans ces conditions ne devrait-on pas néanmoins chercher à adopter des critères moins fructuants pour une meilleure sécurité juridique ? Un début de réponse à cette question est apporté par M. Doudou Thiam, Rapporteur spécial de la Commission du droit international qui semble consacrer une conception plus large du caractère massif des violations en ces termes : « Un acte inhumain commis contre une seule personne pouvait constituer un crime contre l�humanité s�il s�inscrivait dans un système ou s�exécutait selon un plan, ou s�il présentait un caractère de répétitivité qui ne laissait aucun doute sur les intentions de son auteur� un acte individuel pouvait constituer un crime contre l�humanité s�il s�inscrivait dans un ensemble cohérent et dans une série d�actes répétés et inspirés par le même mobile : politique, religieux, racial ou culturel »3. Il n�est donc pas nécessaire qu�il ait exécution ou persécution de milliers de victimes pour parler de crime contre l�humanité, il suffit que soit démontré que l�exécution d�un individu est un début d�exécution ou fait partie d�un plan d�extermination du groupe auquel est rattaché cet individu.

Par ailleurs, les limites imposées aujourd�hui au principe de la souveraineté absolue des États ont eu des répercussions sur le droit international pénal en général et sur la responsabilité individuelle en particulier. L�affaire de l�ex-président libérien Charles Taylor nous permet d�illustrer ce point et de constater l�évolution depuis Nuremberg du recul des immunités de juridiction et de rendre compte des conséquences de cette mutation importante4. En effet, les principes de Nuremberg,

1 Voir également KAYISHEMA-RUZINDANA, jugement 1999, paragraphe 122 ; Rutaganda, jugement, 1999, paragraphe 70, Musema, jugement 2000, paragraphe 205. 2 Voir jugement ALFRED MUSEMA, le procureur contre Alfred Musema, affaire n° 96-13-T-T.P.I.R. 3 Rapport Commission du Droit International (C.D.I.), 1989, p. 147, paragraphe 147. 4 L�affaire Pinochet représentera certainement une étape importante dans la lute contre l�impunité des anciens chefs d�État qui se sont rendus coupables d�actes criminels graves, condamnés par le droit international. Voir, M. Cosnard,

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notamment la règle 3, adoptée par la Commission du Droit International rappelle que : « Le fait que l�auteur d�un crime international ait agi en qualité de chef de d�État ou de fonctionnaire ne dégage pas sa responsabilité en droit international » la Commission, cette fois-ci à travers son projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l�humanité, dans la version de 1996, réaffirme, à l�article 7, le principe en ces termes : « La qualité officielle de l�auteur d�un crime contre la paix et la sécurité de l�humanité, même s�il a agi en qualité de chef de l�État ou de gouvernement, ne l�exonère pas de sa responsabilité pénale et n�est pas un motif de diminution des peines (C.D.I., Rapport 1996, pp. 58-59).

Les statuts du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.) appuient et confirment cette évolution en son article 6 comme suit : « La qualité officielle d�un accusé, soit comme chef d�État ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l�exonère pas de sa responsabilité pénale et n�est pas un motif de diminution de peine ». Cet article a connu une application dans l�affaire Kambanda Jean (ICTR-97-23), premier ministre du gouvernement intérimaire rwandais entre le 8 avril et le 17 juillet 1994. Il est arrêté au Kenya le 18 juillet 1997 et transféré le jour même. Sa comparution initiale a eu lieu le 1er mai 1998 et il a plaidé coupable pour tous les chefs d�accusation, dont notamment le crime contre l�humanité. Il a été condamné à la prison à vie le 4 septembre 1998, décision confirmée en appel le 19 octobre 2000. Il purge sa peine au Mali depuis le 9 décembre 20011. L�ex-président libérien, arrêté et dont le procès n�a pas encore eu lieu n�échappera pas à cette sanction pénale internationale. Le tribunal pénal international pour l�ex-Yougoslavie a également fait application de cette disposition2. De même, le fait qu�un criminel contre l�humanité ait agi conformément aux instructions de son gouvernement, ne dégage pas sa responsabilité mais peut être considéré comme un motif de diminution de sa peine, si le tribunal décide que la justice l�exige3. L'auteur du crime contre l'humanité doit avoir connaissance du contexte général dans lequel s'inscrivent ses actes et du rapport de

quelques observations sur les décisions de la chambre des Lords du 20 novembre 1998 et du 24 mars 1999 dans l�affaire Pinochet, RGDIP, 1999, p. 317. 1 Nombres de ministres et hauts fonctionnaires rwandais ont été condamné pour crime contre l�humanité, voir les affaires Kamuhanda Jean de Dieu (ICTR-99-5), Kayishema Clément (ICTR-95-1), Ntakirutimana Gérard (ICTR- 96-10 et ICTR-96-17), Ruggiu Georges (ICTR-97-32) et ss. 2 Dans l�arrêt Furundzija du 10 décembre 1998, la chambre de première instance du TPIY, jugeait à propos de la torture en temps de conflit armé, que : « Les règles du droit international conventionnel et coutumier (prohibant l�usage de la torture) visent en premier chef des actes des individus, notamment les agents de l�État ou, plus généralement, les responsables officiels d�une partie au conflit ou encore les individus agissant à l�instigation ou avec le consentement express ou tacite d�une partie au conflit », voir, TPIY, Affaire IT-95, 1711-T, 10 déc. 1998, le procureur contre Furundzija, paragraphe 140. 3 Voir, PAUL COSTE-FLORET, la répression des crimes de guerre et le fait justificatif tiré de l�ordre supérieur, Dalloz, 1945, chronique IV.

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connexité entre son action et ce contexte1. Dans cet ordre d'idée, il a été jugé que pour être coupable de crimes contre l'humanité, l'auteur doit avoir connaissance de l'existence d'une attaque contre la population civile et du fait que son acte s'inscrit dans le cadre de cette attaque2. Nonobstant, l'accusé peut ne pas avoir voulu tous les éléments du contexte dans le cadre duquel ses actes ont été perpétrés ; il suffit que, par les fonctions qu'il a volontairement occupées, il ait pris en conscience le risque de participer à la mise en �uvre de ce contexte3. C'est aussi l'avis de la cour de cassation française dans son arrêt de rejet du pourvoi intenté contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux par Maurice Papon4.

En définitive, le crime contre l'humanité est un crime de droit commun, mais il présente des caractéristiques particulières : c'est une infraction commise en conformité avec la politique criminelle de l'État ; les circonstances de son exécution sont spécifiques ; ses auteurs obéissent à un mobile particulier qui doit entrer dans la qualification du délit. Ses particularités par rapport au crime de droit commun apparaissent clairement à la lecture de l'analyse de son concept dans les crimes commis par l'Allemagne Nazie au cours des années 1939 à 1945 comme dans ceux perpétrés au Rwanda de 1990 à juillet 1994. Dans l�affaire Barbie, l�ancien chef de la Gestapo à Lyon de novembre 1942 à août 1944 pendant l'occupation en France, a été condamné en 1987 du chef de crime contre l'humanité pour le rôle qu'il avait joué dans la déportation et l'extermination de civils. Son pourvoi en cassation a été rejeté.

Dans son arrêt du 20 décembre 1985, la cour de cassation française définit le crime contre l'humanité comme suit : « constituent des crimes imprescriptibles contre l'humanité au sens de l'article 6 (c) du statut du tribunal pénal international de Nuremberg annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 alors qu'ils seraient également qualifiables de crimes de guerre selon l'article 6 (b) de ce texte, les actes inhumains et les persécutions qui, au nom d'un État pratiquant une politique d'hégémonie idéologique, ont été commis de façon systématique, non seulement contre des personnes en raison de leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse, mais aussi contre les adversaires de cette politique, quelle que soit la forme de leur opposition »5. La cour de cassation confirmait sa constatation dans un arrêt du 3 juin 1988 : « Le fait que l'accusé, qui avait été déclaré coupable de l'un de ces crimes

1 Voir jugement TIHOMIR BLASKIC, op. cit. paragraphe. 247, p. 80. 2 Voir jugement CLÉMENT KAYISHEMA et OBÈD RUZINDANA, le procureur contre CLÉMENT KAYISHEMA et OBÈD RUZINDANA, affaire n° 95-1-T-T.P.I.R., 21 mai, 1999, paragraphe. 133. 3 Voir jugement TIHOMIR BLASKIC, op. cit. paragraphe. 251. 4 Affaire « MAURICE PAPON », Cour de cassation criminelle française, 1997, 23 janvier. 5 International law Report, pp. 136-137.

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à l'article 6 (c) du statut du tribunal de Nuremberg, en perpétrant ledit crime ait participé à l'exécution d'un plan concerté visant à provoquer la déportation ou l'extermination de la population civile pendant la guerre ou à des persécutions inspirées par des motifs politiques, raciaux ou religieux, constituait non pas tant une infraction distincte ou une circonstance aggravante, qu'un élément essentiel du crime contre l'humanité, consistant dans le fait que les actes retenus ont été perpétrés de manière systématique au nom d'un État pratiquant ainsi une politique d'hégémonie idéologique. »1.

La définition du crime contre l'humanité dégagé dans l'arrêt Barbie a été développée à l'occasion de l'affaire Touvier. Dans cette dernière espèce, l'accusé, Paul Touvier ancien haut responsable de la milice de Lyon, sous le régime de « Vichy » en France, lors de l'occupation allemande, a été convaincu de crimes contre l'humanité pour le rôle qu'il avait joué dans le meurtre de sept Juifs à Rillieux (banlieue lyonnaise), en représailles à l'assassinat, la veille, du secrétaire d'État à l'information du gouvernement de Vichy par les membres de la résistance. La cour d'appel appliquant la définition du crime contre l'humanité retenue dans l'affaire Barbie, a déclaré : « � L'auteur du crime contre l'humanité ne peut se voir qualifié ainsi que si l'on peut relever, en outre, à son endroit, un dol spécial, c'est-à-dire un mobile spécifique, celui de prendre part à l'exécution d'un plan concerté, en accomplissant de façon systématique les actes inhumains et persécutions incriminés, au nom d'un État pratiquant une politique d�hégémonie idéologique ». La cour d'appel a ainsi jugé que Touvier ne pouvait pas être coupable de crimes contre l'humanité puisqu'il avait commis les actes en question au nom de l'État « vichyssois », qui ne pratiquait pas une politique d'hégémonie idéologique, encore qu'il collaborait avec l'Allemagne Nazie qui pratiquait clairement une telle politique. La cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel au motif que les crimes commis par l'accusé l'avaient été à l'instigation d'un officier de la Gestapo et étaient, de ce fait, rattachables à l'Allemagne Nazie, État pratiquant une politique d'hégémonie idéologique contre des personnes en raison de leur appartenance à une communauté raciale ou religieuse.

Dès lors, les crimes pouvaient être qualifiés de crimes contre l'humanité. Touvier a, par la suite, été convaincu de crimes contre l'humanité par la cour d'assises des Yvelines, le 20 avril 19942. La définition du crime contre l'humanité retenue dans l'affaire Barbie a été réaffirmée plus tard par le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie dans la

1 International Law Report, pp. 332 et 336. 2 Le Monde, 21 avril, 1994.

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décision Vukovar en date du 3 avril 1996, prise sur le fondement de l'article 61 (affaire n° IT-95-13-261), et par le T.P.I.R., pour étayer la constatation que la qualification de crimes contre l'humanité pouvait être retenue aussi bien lorsque les victimes étaient des membres des mouvements de résistance que lorsqu'elles étaient civiles1. C�est également l�occasion de constater que les faits que le statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.) a qualifiés de crimes contre l�humanité correspondent à des infractions de droits commun prévues et punies par toutes les législations pénales internes. C�est dire que le crime contre l�humanité peut être commis en temps de paix comme en temps de guerre2.

Il ressort également du jugement du tribunal pénal international pour le Rwanda, notamment dans l�affaire Jean Kambanda, que les crimes contre l�humanité transcendent aussi l�individu puisqu�en attaquant l�homme, l�humanité est visée, voire niée. C�est l�identité de la victime, l�humanité, qui marque d�ailleurs la spécificité du crime contre l�humanité3. Comme le souligne Adama Dieng, greffier du T.P.I.R., ce tribunal dans son analyse du crime contre l�humanité a apporté une contribution à l�essor du droit international humanitaire, notamment4 : la reconnaissance de la responsabilité des civils pour ces crimes, nonobstant leur appartenance ou non à une partie au conflit ; la non exigence de lien de la perpétration de crime contre l�humanité à l�existence d�un conflit armé (contrairement à la jurisprudence de Nuremberg et du tribunal pénal international pour l�ex-Yougoslavie) et l�établissement d�indicateurs pour fixer le seul numérique à partir duquel les meurtres se transforment en extermination.

Outre les crimes contre l�humanité, les crimes de guerre sont également d�une gravité exceptionnelle reconnus comme des atteintes universelles. En raison de cette gravité, ces infractions reconnues comme des crimes internationaux ne peuvent échapper à la répression du tribunal pénal international.

1 Doc. CS/1994/674, paragraphe. 78. ; De l�avis de la chambre de première instance I du T.P.I.R., l�article 3 du statut confère au tribunal, compétence pour poursuivre des personnes du chef de divers actes inhumains constitutifs de crimes contre l�humanité. L�acte incriminé doit entre autres être dirigé contre les membres d�une population civile. 2 ELISABETH ZOLLER, La définition des crimes contre l�humanité, in Journal du droit international, Éditions Techniques, 1993, p. 560. 3 Voir jugement JEAN KAMBANDA, le procureur c/Jean Kambanda, affaire n° 97-23-S � T.P.I.R., 4 septembre 1998. 4 DIEND, A., The contribution of the International Criminal Tribunal for Rwanda to the development of the International Humanitarian Law, Communication à la Conférence commémorative du 10ème anniversaire du génocide rwandais, le Caire, 28 février 2005, pp. 5-6 (document ronéotypé).

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B � LE CRIME DE GUERRE

Le crime de guerre est de loin l�infraction qui peut prendre les formes les plus variables. Cette notion reste incontestablement l�une des pièces maîtresses de l�édifice que constitue le droit international humanitaire. En effet, le crime de guerre est défini comme l�ensemble « des règles internationales, d�origine conventionnelle ou coutumière, qui sont spécifiquement destinées à régler les problèmes humanitaires découlant directement des conflits armés, internationaux ou non, restreignent, pour des raisons humanitaires, le droit des parties au conflit d�utiliser les méthodes et les moyens de guerre de leur choix, ou protègent les personnes et les biens affectés, ou pouvant être affectés par le conflit »1. A défaut de supprimer complètement la guerre, le droit humanitaire tente de « l�humaniser », d�en atténuer les conséquences. Pour reprendre une formule de H. Meyrowitz, ce droit est le moyen par lequel « �les États, les peuples, les hommes, l�humanité, font provision d�humanité, en prévision de l�inhumanité, de la disette d�humanité, inhérente à la guerre »2. Dans le cadre du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.), c�est l�article 4 du statut du dit tribunal qui donne une liste non limitative d�actes constitutifs de crimes de guerre.

Il s�agit notamment :

« a) Des atteintes portées à la vie, à la santé et au bien être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles ;

b) Les punitions collectives ;

c) La prise d�otage ;

d) Les actes de terrorisme ;

e) Les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ;

f) Le pillage ;

1 Commentaire des protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève du 12 août 1949, édition et coordination : Yves Sandoz, Christophe Swinarski et Bruni Zimmermann, Genève, C.I.C.R., Martinus Nijhoff publishers, 1986, p. 27. 2 H. MEYROWITZ, réflexions sur le fondement du droit de la guerre, in études et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix Rouge en l�honneur de Jean Pictet, Genève, Martinus Nijhoff publishers, 1984, p. 430.

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g) Les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés ;

h) La menace de commettre les actes précités ».

En effet, lors des négociations pour l�adoption du deuxième protocole additionnel aux conventions de Genève, l�écrasante majorité des États avait refusé l�idée même que la notion de crime de guerre puisse être introduite dans le droit applicable aux conflits armés non internationaux.

Mais le statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (C.P.I.) s�inscrit parfaitement dans le prolongement des expériences du passé tout en intégrant la prise en compte des besoins d�aujourd�hui. Il nous semble que l�article 8 du statut de la C.P.I. peut être divisé en deux parties : la première définissant les crimes de guerre dans les conflits armés internationaux ; alors que la deuxième traite des crimes de guerre dans les conflits armés non internationaux. Dans le domaine de ces derniers, le statut de Rome est la consécration de la coutume en matière de droit international humanitaire. Cette codification est certainement due aux réactions de l�opinion publique internationale face aux atrocités subies en ex-Yougoslavie et au Rwanda, à la création des tribunaux ad hoc et à leur jurisprudence innovatrice. Toutefois, si les faits incriminés dans le statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.) et dans celui pour l�ex-Yougoslavie (TPIY) (article 2) sont les mêmes, ils sont régis par des règles de droit différentes. Les premières tombent sous le coup de l�article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II (applicables aux conflits internes), tandis qu�aux dernières s�appliquent les dispositions des conventions de Genève de 1949 relatives aux infractions graves, du protocole I et les lois ou coutumes de la guerre (article 3), ces dernières visant plus spécifiquement les crimes de guerre commis dans le cadre des conflits internationaux (ou tout au moins internationalisés) comme ceux qui se sont déroulés en ex-Yougoslavie. Cependant, cette différence s�efface dans la jurisprudence des tribunaux. Mais bien plus que dans les statuts et la jurisprudence du TPIY, c�est le statut du T.P.I.R. qui présente un intérêt particulier au regard de l�affirmation du caractère coutumier des dispositions relatives aux conflits internes et à leur criminalisation.

Comme l�écrit Laïty Kama, président du T.P.I.R., l�article 4 du statut du T.P.I.R. relatif aux violations de l�article 3 commun aux conventions de Genève et du second protocole additionnel, constitue une innovation. « Cette nouveauté, poursuit-il, correspond à la première occasion historique de pénaliser internationalement le non-

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respect des dispositions du droit humanitaire régissant les conflits internes »1. De nombreux chefs d�accusations fondés sur des violation de cet article 3 commun ont été émis devant le T.P.I.R. contre, notamment Akayesu, Kayishema, Ruzindana, Rutaganda et Musema et Bagilishema (affaires analysés au regard de l�article 4 du statut du T.P.I.R.). Une question se posait du lien que devaient présenter les actes poursuivis avec le conflit armé, notamment dans l�affaire Akayesu. Au Rwanda, dans l'affaire Jean-Pierre Akayesu (devant le T.P.I.), la cour d'appel est revenue sur la nécessité, affirmée par le jugement de première instance, d'établir la qualité d'agent public ou d'agent de facto du gouvernement pour établir la responsabilité individuelle de crime de guerre2. En fait, il ressort de tous les éléments d�enquête que M. Akayesu occupait des fonctions de bourgmestre de la ville de Taba et n�avait pas de responsabilité ni de positions militaires.

S'appuyant sur une analyse réaliste de l'objectif des conventions de Genève et des protocoles et estimant que celles-ci "s'adressent essentiellement aux personnes qui, du fait de leur autorité, sont responsables de l'ouverture des hostilités ou qui sont autrement engagées dans la conduite de celles-ci"3, la chambre de première instance n'en avait pas moins restreint théoriquement le principe de la responsabilité pénale des individus en droit international. La recherche d�un autre lien justifiait ainsi la position de la chambre en ces termes : « Pour qu�Akayesu soit tenu pénalement responsable aux termes de l�article 4 du statut, il appartient à l�accusation de prouver au-delà de tout doute raisonnable qu�Akayesu a agi, soit pour le compte du gouvernement, soit pour celui du F.P.R. en exécution de leurs buts de guerre respectifs » (paragraphe 637).

Faute d�avoir apporté une telle preuve, le T.P.I.R. ne retiendra pas l�accusation de crime de guerre. La chambre d�appel n�a pas souscrit à un tel raisonnement, tiré du lien entre l�auteur de l�infraction et une partie au conflit. La chambre d'appel du T.P.I.R. conclut dès lors, « que la chambre de première instance a commis une erreur sur un point de droit4 en limitant l'application de l'article 3 commun à une certaine catégorie de

1 L. KAMA, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda et la répression des crimes de guerre, In les Nations Unies et le droit international humanitaire, Paris, Pedone, 1996, pp. 251-252. 2 Voir cette chronique, AFDI, 1998, p. 387. 3 Jugement AKAYESU, paragraphe 630. 4 T.P.I.R., AKAYESU : la chambre d�appel estime que « la chambre de première instance a commis une erreur sur un point de droit en limitant l�application de l�article 3 commun à une certaine catégorie de personnes » (jugement Akayesu paragraphe 445)., ce qui ne l�empêche pas de rappeler que le lien étroit entre les violations commises et le conflit armé requis par l�article 3 commun « implique que, dans la plupart des cas, l�auteur du crime entretiendra probablement un rapport particulier avec une partie au conflit » (Ibid., paragraphe 444). La chambre d�appel rejette donc le critère dit de l�agent public utilisé par la première chambre. Elle s�inscrit ainsi dans la droite ligne de la jurisprudence des différents tribunaux militaires nationaux qui avaient eu à connaître parallèlement au tribunal militaire international de Nuremberg, des atrocités de la seconde guerre mondiale et qui avait déjà rejeté la limitation de la responsabilité pénale pour crime de guerre aux seuls membres des forces armées et agents publics. Par exemple dans l�affaire du lynchage d�Essen, trois civils ont été condamnés pour le meurtre de prisonniers de guerre non armés : voir, Cour militaire britannique,

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personnes, telle que définie par la chambre de première instance » (arrêt Akayesu, paragraphe 445). En fait, l'accusé avait été condamné pour la torture de six victimes. Or il apparaissait, dans les motifs, que la réalité des faits n'avait pas été établie pour l'une d'entre elle. A propos de ce qu'elle a décrit encore comme une erreur (paragraphe 421), la chambre d'appel estime que « compte tenu de l'ensemble des peines infligées, des infractions dont Akayesu a été reconnu coupable et de la totalité de son comportement criminel, l'introduction erronée de la victime X dans le résumé succinct figurant dans le jugement sur la sentence ne suffit pas à justifier une réduction de la peine » (paragraphe 419).

Toujours est-il que bien qu�ayant rejeté l�accusation de crimes de guerre dans l�affaire Akayesu, le T.P.I.R. a néanmoins affirmé le caractère coutumier des dispositions visées à l�article 4 du statut, en suivant de près le raisonnement de la chambre d�appel dans l�arrêt Tadic (compétence). Il convient néanmoins de relever les critiques formulées, voire les ambiguïtés créées par le secrétaire général des Nations Unies sur le statut du T.P.I.R. et auxquelles la chambre de première instance s�est efforcée d�apporter des précisions. En fait, le secrétaire général de l�O.N.U. avait affirmé que le Conseil de Sécurité aurait inclus dans le statut du T.P.I.R. des instruments « qui n�étaient pas nécessairement considérés comme faisant partie du droit coutumier » (le protocole additionnel II aux conventions de Genève) « ou dont la violation n�était pas nécessairement généralement considérée comme engageant la responsabilité individuelle de son auteur » (l�article 3 commun aux quatre conventions de Genève). D�un autre côté, le secrétaire général affirmait que le T.P.I.R. devait appliquer les règles du droit humanitaire faisant « sans aucun doute possible » partie du droit coutumier. Or, la chambre de première instance a affirmé, sans laisser planer aucun doute, non seulement le caractère coutumier de l�article 3 commun et des dispositions du protocole II incorporés au statut (paragraphes 605-607), mais aussi le principe coutumier selon lequel les auteurs des actes prohibés par ces textes peuvent être tenus individuellement responsables (cf. Tadic � compétence).

On relèvera toutefois qu'il est nécessaire de distinguer les crimes de guerre des crimes qui pourraient être commis alors qu'un conflit armé a lieu au même endroit mais sans rapport avec celui-ci. A ce propos, la chambre d'appel précise : « (�) l'article 3 commun (aux quatre conventions de Genève) requiert un lien étroit entre les violations

Essen, Erich Heyer et six autres, LRTWC, vol. I, pp. 88-92. Une dizaine d�autres procès ont vu des personnes privées condamnées pour des faits de fourniture de poison pour le meurtre de civils alliés, de réduction en esclavage et de déportation pour travail forcé, de prostitution forcée, de vol et de recel de biens volés, d�appartenance à une organisation criminelle ou encore de pillage et de spoliation de propriétés publiques et privées : pour la référence de ces affaires, voir H. Ascencio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, Paris, Pedone, 2000, p. 230.

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commises et le conflit armé. Ce lien entre les violations et le conflit armé implique que, dans la plupart des cas, l'auteur du crime entretiendra probablement un rapport particulier avec une partie au conflit. Il n'en reste pas moins que ce rapport particulier n'est pas un préalable à l'application de l'article 3 commun et, par conséquent, à l'article 4 du statut du T.P.I.R.. De l'avis de la chambre d'appel, l'erreur commise par la chambre de première instance a été d'exiger que ce rapport particulier soit une condition autonome de mise en �uvre de la responsabilité pénale pour une violation de l'article 4 du statut » (paragraphe 444).

On peut tout de même se demander si les cas constitutifs de supposées exceptions au lien avec l'une des parties au conflit ne sont pas en réalité couverts par la notion d'agent de facto, sans quoi il s'agirait de crimes de droit commun. En fait, pour les violations de l'article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II, la difficulté principale qui s'est posée au procureur est celle du nexus exigé entre le fait et le conflit armé. Il incombe en effet au procureur de prouver à la chambre, l'existence d'un lien entre l'infraction reproché à l'accusé et le conflit armé pour qu'elle puisse conclure à une violation grave de l'article 3 commun et du protocole additionnel II. Selon la jurisprudence du T.P.I.R., la condition du nexus est remplie lorsque l'infraction est étroitement liée aux hostilités ou perpétrée dans le contexte du conflit armé1.

En fait, c�est l�établissement de ce lien qui fait la spécificité des crimes de guerre et qui permet de les distinguer des crimes de droit commun commis à l�occasion d�un conflit armé2. Pour le démontrer, il n�est pas nécessaire que les infractions se déroulent à proximité immédiate du terrain des hostilités. Le droit international humanitaire s�applique en effet sur l�ensemble du territoire de la haute partie contractante et la connexité entre l�infraction et le conflit sera établie y compris dans le cas où les crimes sont liés à des hostilités se déroulant dans d�autres parties du territoire3. Le T.P.I.R. s�est refusé de donner une définition in abstrato du lien de connexité. Cette attitude lui permet certainement de faire une appréciation de l�existence d�un tel lien au cas par cas, sur la base de faits présentés Par le procureur4. Dans les affaires Musema (jugement 2000, paragraphe 974)et Rutaganda (jugement 1999, paragraphe 481), les

1 Voir notamment le jugement du T.P.I.R. dans l'affaire Bagilishema, paragraphe 105. 2 Cet élément a été rappelé par la commission préparatoire de la Cour pénale internationale, qui a estimé lors de sa première session que ce lien de connexité était un élément constitutif fondamental de tout crime de guerre ; Voir le deuxième rapport de synthèse, PCNICC/1999/WGE/RT.2). 3 Voir T.P.I.R., jugement KAYISHEMA � RUZINDANA, 1999, paragraphes 183-185 ; jugement Musema, 2000, paragraphes 259-262. Voir aussi le TPIY, arrêt Tadic, 1995, paragraphe 70 ; le procureur c/Zejnil Delalic et al., IT- 96-21-T, Chambre de première instance II, jugement, 16 novembre 1998, paragraphe 193. 4 Voir, jugement KAYISHEMA � RUZINDANA, 1999, paragraphe 189 ; jugement Musema, 2000, paragraphe 262.

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juges ont estimé, sans plus de précision, que le procureur n�avait pas démontré, au-delà de tout doute raisonnable, l�existence d�un tel lien entre les crimes reprochés à l�accusé et le conflit armé, mais un certain embarras de la juridiction ad hoc (T.P.I.R.) à l�égard de cette notion de crime de guerre.

Cette attitude s�explique certainement par le contexte du conflit rwandais. En fait le conflit militaire (affrontement entre l�armée régulière rwandaise et le F.P.R. de Paul Kagamé) dont le but était la lutte pour le pouvoir, se dédoublait d�un autre conflit où les autorités civiles et militaires avaient orchestré une véritable chasse systématique à l�homme. Le but ici était de massacrer des civils aux mains nues et bien ciblés. Or comme les chefs d�accusation de crime de guerre et de génocide visent les mêmes faits, il nous semble que le T.P.I.R. redoute que la double qualification ne vienne diminuer la portée de l�accusation de génocide, qui constitue la priorité de la politique jurisprudentielle du tribunal.

C � LE CRIME DE GÉNOCIDE : LE RWANDA

L'incrimination de génocide est née à la fin de la seconde guerre mondiale. Elle a été formalisée par la convention sur le génocide1. Il s'agit là d'une des rares notions qui présente la particularité d'être née en droit international alors que la plupart des notions sont codifiées par un droit international s'inspirant de l'exemple de droits internes. Le statut de la cour pénale internationale reproduit exactement, suite à un accord général réalisé pendant les travaux préparatoires, la définition contenue dans la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide. Au Rwanda, ce qui va être qualifié de génocide commence dans les heures qui suivent la destruction de l�avion du président Habyarimana, le soir du 6 avril 1994. Il se poursuivra, au moins, jusqu�à la fin du mois de juin 1994, c�est-à-dire jusqu�au moment où la France enverra au Rwanda, avec l�autorisation du Conseil de sécurité2, une force d�interposition : l�opération « Turquoise ». Cette force permettra, dit-on, à une partie de la population hutus et à tous ceux, désignés comme génocidaires, notamment les milices interhahamwe de chercher refuge en République Démocratique du Congo (R.D.C.).

Faut-il le rappeler, c�est par la résolution 935 que le Conseil de sécurité créa le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.), manifestant ainsi la volonté de

1 Il s�agit de la Convention sur la prévention et la répression du crime du génocide du 9 décembre 1948. 2 S/Rés. 929, 22 juin 1994.

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voir « tous ceux qui commettent ou autorisent des violations graves du droit international humanitaire » en porter individuellement la responsabilité et « être traduits en justice ». La résolution 955 du 8 novembre 1994 a doté le tribunal d�un statut. Cette résolution constatait que la situation régnant au Rwanda continuait « de faire peser une menace sur la paix et la sécurité internationales » et que « dans les circonstances particulières qui règnent au Rwanda, des poursuites contre des personnes présumées responsables d�actes de génocide ou d�autres violations graves du droit international humanitaire permettraient d�atteindre cet objectif et contribueraient au processus de réconciliation nationale ainsi qu�au rétablissement et au maintien de la paix ».

La définition du génocide dans le statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda est une reprise textuelle de celle donnée dans la convention de 1948 (article II et III), entrée en vigueur en 19511. L�article 2.2 du statut du T.P.I.R. affirme ainsi : le génocide s�entend de l�un quelconque des actes ci-après, commis dans l�intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;

b) Atteinte grave à l�intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d�existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) Transfert forcé d�enfants du groupe à un autre groupe.

Les 2 et 4 septembre 1998, le T.P.I.R. rendait ses premiers jugements dans les affaires Akayesu et Kambanda. Devant le tribunal pénal international pour le Rwanda, le plaidoyer de culpabilité de Jean Kamdanda, Premier ministre du Rwanda du 8 avril 1994 au 17 juillet 1994, était accepté et une peine d'emprisonnement à vie décidée pour sanctionner des faits qualifiés de génocide. Dans ce jugement de condamnation, la chambre a confirmé que le génocide devait s'analyser comme un crime d'une gravité particulière, sans toutefois s'aventurer à dessiner une hiérarchie très explicite entre celui-ci et le crime contre l'humanité2. La hiérarchie à laquelle la

1 Dès sa première décision au fond (Akayesu, jugement, 1998) les juges ont affirmé que « la convention sur le génocide est incontestablement considérée comme faisant partie du droit international coutumier comme en témoigne l�avis consultatif rendu en 1951 par la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) sur les réserves (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J., Recueil 1951, p. 15) et comme l�a d�ailleurs rappelé le secrétaire général des Nations unies dans son rapport sur la création du tribunal pénal international pour l�ex-Yougoslavie » (ibid., paragraphe 495). 2 R. MAISON, Le crime de génocide dans les premiers jugements du T.P.I.R., RGDIP, 1999, p. 129.

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chambre s�est essayée, est établie entre la catégorie des crimes contre l'humanité et du génocide et celle des crimes de guerre. Ainsi, pour la chambre : « Il ne semble pas douteux (�) que les violations de l'article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II, malgré leur gravité, soient considérés comme des crimes moindres que le génocide ou le crime contre l'humanité. Par contre, il (�) paraît plus difficile d'établir une hiérarchie entre le génocide et le crime contre l'humanité quant à leur gravité respective »1. La chambre paraît fonder sa position sur la considération générale en vertu de laquelle le crime de génocide, ainsi que les crimes contre l'humanité « choquent particulièrement la conscience de l'humanité ». Et de citer à cet égard les conclusions sans doute éloquentes mais techniquement insatisfaisante de la chambre de la première instance I du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) dans l'affaire Erdemovic2.

Poursuivant son analyse de la hiérarchie des infractions, la chambre, après avoir refusé de distinguer le crime contre l'humanité du génocide, affirme néanmoins que ce dernier « constitue le crime des crimes » en se fondant sur le dol spécial qui le caractérise3. Ces tentatives de hiérarchiser les crimes relevant de la compétence du tribunal, bien qu'encore quelque peu incertaines, sont sans doute utiles à la détermination de la peine appropriée et conformes à la jurisprudence antérieure du TPIY dans l'affaire Tadic4. A la suite de son plaidoyer de culpabilité portant sur l'ensemble des actes qui lui étaient reprochés dans l'acte d'accusation établi contre lui, Jean Kambanda fut condamné pour des faits qui peuvent être résumés de la manière suivante : incitation à la commission de massacres par les autorités du Rwanda et la population, notamment par sa participation à la propagande anti-Tutsi ; l'organisation des massacres à l'occasion de réunions du conseil des ministres et de réunions rassemblant les autorités locales du Rwanda ; la distribution d'armes et l'établissement de barrages visant à favoriser les massacres ; la violation de son obligation d'agir en vue de protéger la population du Rwanda. Jean Kambanda a admis, dans un accord écrit qu'il a passé avec le procureur et qui se trouve soumis à la chambre, que les massacres en question s'analysent en un génocide.

1 Condamnation Kambanda, paragraphe 14. 2 Condamnation, Kambanda, paragraphes 14 et 15. Il est regrettable que, dans son analyse du crime contre l'humanité, la chambre de première instance du T.P.I.R. n'ait pas tenu compte de la jurisprudence complète et convaincante du TPIY dans l'affaire Tadic. Voir notamment TPIY, chambre de première instance, Jugement, le procureur c/ Dusco Tadic, affaire n° IT-94-I-T, 7 mai 1997, paragraphes 618-660. 3 Condamnation, Kambanda, paragraphe 16. 4 1ère instance II, The prosecutor v.Tadic, aff. N° IT-94-1-T, 14.7.1997, paragraphe 73.

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La qualification des actes attribués à Akayesu dans le jugement du 2 septembre 1998 apparaît plus délicate. En effet, tant l'élément intentionnel que l'élément matériel du génocide sont plus difficilement perceptibles. Si du point de vue matériel un certain nombre d'actes (de moindres effets que ceux reconnus par Kambanda) sont reprochés à l'accusé, en revanche, l'intention génocidaire de ce dernier a été fortement contestée par la défense1. Pour procéder à la qualification des actes dont Jean-Paul Akayesu était accusés, la chambre de première instance du T.P.I.R. est conduite à envisager le contexte plus général dans lequel ces actes ont été perpétrés, confirmant par là même que le crime de génocide est un crime de masse tant au regard du nombre des victimes que du nombre des individus participant à sa commission2. Ainsi précise-t-elle : « Concrètement, pour que l'un quelconque des actes incriminés au paragraphe 2 de l'article 2 du statut soit constitutif de génocide, il doit avoir été commis à l'encontre d'un ou de plusieurs individus parce que ce ou ces individus étaient membres d'un groupe spécifique et en raison même de leur appartenance à ce groupe (�) La perpétration de l'acte incriminé dépasse alors sa simple réalisation matérielle, par exemple le meurtre d'un individu particulier, pour s'insérer dans la réalisation d'un dessein ultérieur, qui est la destruction partielle ou totale du groupe dont l'individu n'est qu'une composante »3.

On peut donc affirmer que le génocide n�est considéré comme un crime de masse que du point de vue de l�intention finale, tandis que sa réalisation matérielle peut n�impliquer qu�une victime. Un autre passage du même jugement affirme sans aucune ambiguïté : « Contrairement à l�idée couramment répandue, le crime de génocide n�est pas subordonné à l�anéantissement de fait d�un groupe tout entier, mais s�entend dès lors que l�un des actes visés à l�article 2 (2)a à 2(2)c a été commis dans l�intention spécifique de détruire « tout ou partie » d�un groupe national, ethnique ou religieux »4.

Après avoir rappelé le principe selon lequel les actes de l�article 2 doivent se rattacher à une intention spécifique pour constituer un génocide, le tribunal s�attache à déterminer l�existence d�une politique génocidaire au Rwanda durant l�année 1994 afin de replacer les actes de l�accusé dans leur contexte précis. La chambre après avoir

1 La défense faisait valoir que l'accusé s'était opposé aux massacres avant le 18 avril (faits confirmés par la chambre), Jugement AKAYESU, paragraphe 34. 2 La cour de district de Jérusalem considérait dans l'affaire Eichmann que le crime de génocide et le crime contre l'humanité "were mass crimes, not only having regard to the number of victims but also in regard to the number of those who participated in the crime", Jugement du 12 décembre 1961, International Law Reports 36, paragraphe 197, p. 236. 3 Jugement, AKAYESU, paragraphes 518-519. La chambre affirme en outre, au paragraphe 494 de ce même jugement : « Contrairement à l'idée couramment répandue, le crime de génocide n'est pas subordonné à l'anéantissement de fait d'un groupe tout entier, mais s'entent dès lors que l'un des actes visés à l'article 2 (2)a) à 2(2)e) a été commis dans l'intention spécifique de détruire tout ou partie d'un groupe national, ethnique ou religieux ». 4 Jugement AKAYESU paragraphe 494. Il est à noter l�absence du groupe racial dans l�énumération des groupes visés.

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fixé le début des massacres au lendemain de l�attaque contre l�avion transportant le président Habyarimana le 6 avril 1994, précise que : « L�armée rwandaise et la milice dresse immédiatement des barrières autour de la ville de Kigali. Avant l�aube du 7 avril 1994, la garde présidentielle et la milice commencent, dans diverses régions du pays à tuer les Tutsis et les Hutus connus pour être en faveur des accords d�Arusha et du partage du pouvoir entre Hutu et Tutsi. Parmi les premières victimes se trouvent certains membres du gouvernement de coalition, y compris son Premier ministre, Agathe Wilingiyimana, le président de la Cour suprême, et pratiquement toute l�équipe du Parti Social Démocrate (P.S.D). Le vide institutionnel laisse la voie libre à un gouvernement intérimaire de tendance « Hutu-power », établi principalement sous l�égide de Théonaste Bagasora1, colonel à la retraite »2.

D�aucuns ont pu penser que les massacres commis au Rwanda n�étaient pas forcément un génocide, étant donné qu�il s�inscrivait dans un contexte de conflit opposant les Forces Armées Rwandaises (les F.A.R.) au Front Patriotique Rwandais (le F.P.R.). Le tribunal a néanmoins estimé dans son jugement que le conflit n�exclut pas la commission d�un génocide, au contraire « l�exécution de ce génocide a probablement pu être facilité par le conflit, en ce sens que les combats contre les forces du F.P.R. ont servi de prétexte à la propagande incitant à commettre le génocide contre les Tutsis, en faisant un amalgame entre combattants F.P.R. et civils Tutsis, à la faveur de l�idée bien relayée par les médias selon laquelle chaque Tutsi aurait été un complice de Inkontayi (partisans du F.P.R.)3.

Poursuivant la description globale de la situation qui conduira au génocide, le tribunal relate que : « Le 12 avril 1994 (�) il devint clair que les Tutsis sont les principales cibles. Au cours de la semaine du 14 au 21 avril 1994, la campagne de massacre est à son apogée. Le président du gouvernement intérimaire, le Premier ministre et certains ministres importants se rendent à Butaré et Gikongoro, ce qui marque le début des tueries dans ces régions qui, jusque là, étaient restées calmes. Des milliers de personnes, parfois encadrés par les représentants de l�administration locale et encouragées par les promesses de ceux-ci, se rendent, sans méfiance, dans des églises, des écoles, des hôpitaux et des bâtiments administratifs locaux. En réalité, il

1 M. THÉONESTE BAGOSORA paraît être l�un des maîtres d��uvre du génocide. Les actes d�accusations successifs émis par le procureur du T.P.I.R. contre lui sont à cet égard instructifs sans compter les éléments de preuve rapportés au procès qui s �est ouvert le 2 avril 2002, http :/www.ictr.org/ENGLISH/cases/Bagosora/minutes/2002/020402.pdf. Pour le dernier acte d�accusation, voir sur le site Internet du tribunal : http :/www.ictr.org/ENGLISH/cases/Bagosora /indictment/index.pfd. 2 Jugement AKAYESU, paragraphe 105. 3 Idem, paragraphe 125.

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s�agit de pièges qui vont permettre l�extermination rapide d�un grand nombre. Ces massacres de Tutsis allaient se poursuivrent jusqu�au 18 juillet 1994, jusqu�à l�entrée victorieuse du F.P.R. à Kigali, et n�épargneraient plus personne, ni femmes, ni enfants. Les estimations du nombre total des victimes du conflit varieraient de 500 000 à un million ou plus »1.

Dès lors, au regard de tous ces éléments, la chambre conclut que : « même si le nombre des victimes n�est pas à ce jour, établi avec certitude, nul ne peut raisonnablement contester que des tueries généralisées ont été perpétrées au Rwanda en 1994, à l�échelle de tout le pays »2. La chambre ajoutera à ces faits, de manière plus spécifique, l�organisation de ces massacres et particulièrement les listes des Tutsis à éliminer, les caches d�armes, l�entraînement des milices par les FAR et le « conditionnement psychologique de la population à attaquer les Tutsis, animé par certains médias, avec la RTLM (Radio Télévision Libre des Mille Collines) en tête ».

Par ce rappel des faits, le tribunal vise à décrire la situation globale de la situation de laquelle sera déduite l�intention destructrice des accusés en raison des actes bien déterminés. Le tribunal veut monter aussi l�ampleur du phénomène génocidaire qui présente souvent la massivité non seulement du côté des victimes mais aussi du côté de ses auteurs. Mais les actes en eux-mêmes ne suffisent pas à qualifier certains faits de génocide, encore faut-il que ceux-ci visent un groupe en particulier. C�est l�aspect discriminatoire et caractéristique du génocide. La notion du groupe devient ainsi un élément focal dans la détermination du génocide. L'article II de la convention du 9 décembre 1948 repris in extenso dans le statut du T.P.I.R. en son article 2-2 dispose : « Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». La question de la détermination du groupe se révèle donc d'une importance capitale. Et cette exigence s'explique avant tout, par la crainte de voir certains massacres échapper à la qualification du génocide, soit à raison de la difficulté à définir les quatre catégories de groupe, soit à raison de la limitation à ces seuls quatre groupes (national, ethnique, racial et religieux). Le génocide ayant consisté en l'extermination de près d'un million de membres du groupe Tutsi, c'est un pas aisé à franchir, fondé sur un raisonnement téléologique, que de s'arrêter à cette réalité d'apparence et d'affirmer que le groupe Tutsi constitue un groupe ethnique.

1 Idem., paragraphe 108-109. 2 Jugement AKAYESU, paragraphe 112.

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En effet, cette vision en groupes de la société rwandaise est une création des puissances coloniales qui se sont ensuite appuyées sur l'un puis sur l'autre de ces groupes pour asseoir leur puissance1. Ainsi donc, reconnaître l'existence objective de groupes ethniques ou raciaux au Rwanda revient à avaliser une lecture impérialiste et raciste de la réalité rwandaise. Le T.P.I.R. est du même avis lorsqu'il déclare : « Les termes Tutsi et Hutu existaient déjà, qui décrivaient plutôt des individus que des groupes. La distinction, à cette époque, entre les Hutus et les Tutsis, étaient d'un caractère plus généalogique qu'ethnique. La ligne de démarcation entre le groupe Hutu et le groupe Tutsi était mouvante, on pouvait passer de l'un à l'autre selon qu'on était devenu riche ou pauvre ou encore par mariage »2. Et pour ajouter que c'est le colonisateur qui a fixé cette distinction pour instaurer son autorité sur le Rwanda, la chambre du tribunal note : « Le colon belge décida d'établir, au début des années trente, une distinction permanente, fondée sur la classification de la population en trois groupes dits « ethniques » : les Hutus, représentant environ 84 % de la population, les Tutsis, en représentant plus ou moins 15 %, et les Twas, constituant environ 1 % de la population. L'on institua à cet effet, pour chaque rwandais, une carte d'identité mentionnant son appartenance « ethnique ». La chambre note que la mention de l'identité ethnique sur la carte d'identité sera maintenue même après l' indépendance du Rwanda et ne sera finalement abolie qu'après les évènements tragiques qu'a connu ce pays en 1994 »3. La chambre conclut que l'identification des personnes comme appartenant au groupe Hutu ou Tutsi (ou Twa) était, dans les années précédant le génocide, « devenue partie intégrante de la culture rwandaise »4.

La difficulté de faire entrer les groupes Tutsi et Hutu dans la catégorie des groupes « ethniques », précédemment définis comme des groupes partageant la même langue et la même culture, conduit la chambre à tenter d'étendre les catégories de groupes protégés par la convention sur le génocide, à la lumière de l'intention de ses auteurs5. Cette prise en compte de l'intention des auteurs de la convention permet à la chambre de qualifier les massacres de membres du groupe Tutsi comme un génocide en affirmant que « les Tutsi constituaient bien, à l'époque des faits allégués, un groupe

1 ALISON DESFORGES : « Le système colonial a donc crée une situation, situation dans laquelle les pratiques européennes ont été transposées à une situation africaine », et plus loin : « C'est uniquement après l'instauration du pouvoir colonial que cette distinction, cette dichotomie ethnique a été introduite », audience du 11 février 1998, p. 35. 2 Jugement, AKAYESU, paragraphe 79. 3 Jugement AKAYESU, paragraphes 80-81. 4 Jugement, AKAYESU, paragraphe 169. Voir sur ce point les analyses de Dominique Franche selon lequel, depuis les massacres qui ont débuté en 1959, les communautés Hutus et Tutsi, sont avant tout des « communautés de la peur », Rwanda, généalogie d'un génocide, Éd. mille et une nuits, Paris, 1997, p. 60. 5 Jugement, AKAYESU, paragraphe 508.

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stable et permanent »1. Mais le raisonnement qui conduit à cette qualification est certainement contestable. Dans un premier temps, il faut noter qu'il est très délicat dans le cadre du procès pénal, d'étendre la définition du génocide par delà ses termes explicites. Par ailleurs, le renvoi à l'intention des auteurs de la convention conduit à utiliser des descriptions des groupes humains aujourd'hui scientifiquement réprouvées. Il aboutit à singulariser des groupes « objectivement » définis, ce qui pose des problèmes évidents dans certains cas (groupe « ethnique », groupe « national », mais surtout groupe « racial »). Il entraîne également la chambre à affirmer le caractère « stable et permanent » de ces groupes, affirmation elle-même fort approximative pour les groupes qui pourraient être objectivement observés (groupe « national », groupe « religieux ». Même si les auteurs de la convention pouvaient être persuadés de l'existence « objective » des groupes protégés, une application cohérente de cet instrument ne peut en ce moment être assurée que par l'emploi d'un critère subjectif dans l'appréciation de la discrimination. L'appartenance à un groupe humain ne peut être qu'une revendication individuelle : rechercher une catégorisation objective revient à employer le schéma d'analyse qui est celui des auteurs des discriminations.

Dès lors, ainsi que l'avait établi le TPIY dans son analyse du crime contre l'humanité et ainsi qu'il l'avait esquissé dans ses conclusions sur le crime de génocide, le groupe doit être caractérisé par rapport à l'intention des auteurs des actes criminels2. C'est fort heureusement une voie qui se trouve également favorisée par la chambre lorsqu'elle précise : « Les Tutsis étaient perçus comme formant un groupe ethnique distinct par ceux qui les ciblaient pour les tuer »3.

Des deux approches quelque peu contradictoires de la chambre, c'est sans aucun doute cette dernière qu'il convient de saluer. L'intention génocidaire proprement dite dans la politique menée au Rwanda est établie à partir d'un certain nombre d'éléments. Ainsi sont tout d'abord évoqués, l'ampleur, le caractère systématique et l'atrocité des atteintes portées aux membres du groupe Tutsi4. En outre, pour la chambre, un certain nombre de faits « attestent que le dessein des auteurs de ces tueries était de faire disparaître à jamais le groupe Tutsi »5. Aussi, le fait que les nouveaux nés ne furent

1 Jugement, AKAYESU, paragraphe 695. 2 Voir pour le crime contre l'humanité, le TPIY, Chambre de 1ère instance I, Examen de l'acte d'accusation dans le cadre de l'article 61 du règlement de procédure et de preuve (RPP), le procureur c/D. Nikolic, affaire n° IT-94-2-R61, 20 octobre 1995, paragraphe 26 et, pour le génocide, TPIY, même Chambre, examen de l'acte d'accusation dans le cadre de l'article 61 du RPP, le procureur c/R. Karadzic, R. Mladic, affaire n° IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, 11 juillet 1996, paragraphe 94. 3 Jugement, AKAYESU, paragraphes 168-169. 4 Jugement, AKAYESU, paragraphe 116. 5 Ibid.

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pas plus épargnés que les femmes enceintes, y compris les femmes Hutus mariés à des Tutsis, puisque l' enfant appartiendrait au groupe de son père, est également un signe de cette intention de détruire le groupe1.

Le continent africain eut très tôt à réfléchir sur la question du génocide, notamment à la faveur de la guerre du Biafra (Nigeria) en 1967. Lorsque les massacres sont le fait de particuliers, ils sont punis en tant que tel par les juridictions pénales internationales (sous réserve de la compétence juridictionnelle interne). Pendant la guerre du Nigeria en 1967, les autorités biafraises avaient tenté de faire admettre que le pouvoir fédéral avait commis un génocide à l�encontre du peuple Ibo2. Mais il nous semble que dans ce conflit, l�intention du gouvernement fédéral de détruire systématiquement le peuple Ibo n�apparaît pas clairement. A Lagos capitale fédérale, continuaient de vivre en toute tranquillité de nombreux Ibos3. Les actes commis étant limités au champ des combats ne pouvaient être constitutifs d�un génocide. D�ailleurs dans ce conflit, les actes de destruction commis par quelques soldats et chefs militaires du pouvoir étaient punis et les peines pouvaient même aller jusqu�à la peine capitale. Les faits ne permettant pas d�établir le génocide, les allégations des autorités biafraises étaient par conséquent inopérantes.

Il suit à la lumière des jugements rendus4, et aux termes de l'article 4 de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, que les particuliers répondent directement de leurs actes devant la communauté internationale. Le gouvernement n'est responsable que pour défaut de prévention ou de répression suffisante qui peut être tenu pour une complicité par omission ou complicité tacite. Dans l'affaire de l'ex-Yougoslavie et par référence, l'on argua du fait que la décision de la Cour Internationale de Justice dans l'affaire opposant le Nicaragua aux États Unis avait trait à la question de la responsabilité de l'État et ne concernait nullement celle de la responsabilité pénale individuelle du fait de la violation des règles du droit international humanitaire5.

Dans le cadre des crimes perpétrés au Rwanda, il est aisé de remarquer que le génocide a frappé les « Tutsis » alors que le crime contre l'humanité a touché les

1 Jugement, AKAYESU paragraphe 119. 2 P. CONSTANTIN, Les États africains face à la guerre du Nigeria, année africaine 1969, éd. Pedone, p. 114-140. 3 De telles poursuites eurent lieu, par exemple dans le cas de la guerre civile au Nigeria : affaire P. Nwaoga, 1972, ILR, vol. 52, p. 494 et ss. 4 Voir, Les affaires terminées du T.P.I.R., Recueil juridique des droits de l�homme en Afrique, vol. 2, 2000-2004, (Paul Tavernier dir.), Éd, Bruylant Bruxelles 2005, p. 219-238. 5 T. MERON, Classification of armed conflict in the former Yugoslavia : Nicaragua's Fallout, AJIL, vol. 92, n° 2, avril 1998, p. 237 ; W. J. Fenrick, The development of the law of armed conflict through the Jurisprudence of the international criminal Tribunal for the farmer Yugoslavia, Journal of armed conflict law, vol. 2, n° 3, décembre 1998, p. 208.

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opposants « Hutus », ainsi que les Tutsis, parce qu'un groupe ethnique peut être à la fois victime d'un génocide et de crime contre l'humanité. D'une part, les auteurs du génocide « attaquaient les Tutsis dans l'intention de détruire tout le groupe d'ethnie « Tutsi », puisque aussi bien les enfants simplement conçus que les invalides Tutsis » étaient visés par les tueries. D'autre part, des attaques généralisées et systématiques étaient menées à l'encontre de tous les opposants Hutus ou ceux qui ne voulaient pas participer à l'« entreprise » meurtrière aux côtés de leurs « frères » Hutus. Les décisions du T.P.I.R. sur le génocide, apportent incontestablement une nouvelle lumière à la compréhension de ce crime. Le plus grand mérite de ces jugements, résident cependant dans le fait qu�ils constituent les toutes premières condamnations de responsables de génocide sur la base de la convention sur le génocide de 1948. C�est à ce titre que le jugement Akayesu rendu par le T.P.I.R. le 2 septembre 1998, a été accueilli de façon unanime et enthousiaste par la Communauté Internationale. Le secrétaire général des Nations Unies a déclaré à cet effet que ce verdict constituait un point de référence « dans l�histoire du droit international ». Selon lui, cette décision de justice « donnait corps pour la première fois, aux idéaux de la convention de Genève adoptée il y a cinquante ans » et quelle constituait « la preuve que nous sommes déterminés à affronter le crime atroce de génocide comme nous ne l�avons jamais fait ». Il a enfin souhaité que ce verdict puisse contribuer à la réconciliation nationale au Rwanda1.

Il est donc évident que la création des tribunaux pénaux internationaux s�inscrit clairement dans cette même logique de répression des crimes internationaux dans une perspective d�apaisement, de pacification et de réconciliation. Mais face au rôle non moins négligeable des juridictions nationales pour connaître des mêmes faits criminels, ce qui à l�évidence peut susciter la crainte d�une compétence concurrente, il paraît indispensable de renforcer l�autorité et les compétences de la juridiction pénale internationale,seule gage contre l�impunité.

PARAGRAPHE II : LA JURIDICTION PÉNALE INTERNATIONALE : GAGE CONTRE L�IMPUNITÉ EN AFRIQUE

Le droit international pénal à travers ses multiples applications au cours de ces dernières années, traduit indubitablement la volonté de la communauté internationale

1 Le Monde, 4 septembre 1998, p. 2.

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non seulement de renforcer la normativité internationale, mais aussi et surtout de sanctionner les violations les plus graves de celle-ci, notamment en Afrique, continent régulièrement en proie aux pires atrocités lors des conflits armés. C�est manifestement l�indice d�un changement notable que des notions, telles que celles de crime contre l�humanité, de génocide et de crimes de guerre, aient été revisitées et aient été appliquées souvent pour la première fois à des cas concrets, par des juridictions tel que le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.). Pour une meilleure approche du système de fonctionnement et connaissance de cette juridiction répressive internationale, il convient d�analyser le cadre général de son émergence pour ensuite relever l�apport de sa jurisprudence notamment celle du T.P.I.R. au niveau de l�interprétation et de la définition de certains concepts, notamment le crime de génocide.

A � L�EXERCICE DE LA COMPÉTENCE PAR LA JURIDICTION PÉNALE

L�histoire de l�humanité est jalonnée de conflits armés, d�exécutions cruelles de civiles et de prisonniers de guerre, d�esclavage et de pillages en tous genres. La deuxième guerre mondiale permet une sensibilisation de la conscience universelle sur la nécessité d�adopter une loi criminelle internationale commune afin d�éviter ce qu�on nommera dorénavant les « crimes contre l�humanité » et donc la répétition de la barbarie dans l�avenir. Ainsi l�on assiste aujourd�hui à l�émergence de l�humanité comme une nouvelle catégorie juridique. Mais force est de constater que plus de cinquante ans après, l�histoire se répète avec des violations graves et massives des droits de l�homme et du droit international humanitaire, notamment en Afrique.

Au Rwanda, le 6 avril 1994, le président Habyarimana revenait de l�une des rencontres de la négociation de paix en Tanzanie, lorsque son avion est touché par un tir d�origine officiellement encore inconnue. Dès la connaissance de sa mort, c�est le basculement général dans l�horreur. Le conflit rwandais a fait près d�un million de morts majoritairement des Tutsis et quelques Hutus modérés.

En Sierra Leone, le conflit armé interne qui a débuté en 19911 a également connu de graves atrocités avec ses plusieurs milliers de morts. Les conflits armés en Côte

1 La guerre civile en Sierra Leone fait intervenir plusieurs acteurs internes et externes. Sur le plan interne, on cite le Front Révolutionnaire Uni (R.U.F.) du défunt Foday Sankoh qui en attaquant deux villages sierra Léonais déclenche la guerre civile, le Conseil national provisoire de gouvernement (NPRC), puis à partir de 1996, le Sierra Leone People

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d�Ivoire, au Liberia, au Soudan et en république démocratique du Congo (R.D.C.) s�inscrivent dans ce même scénario apocalyptique.

A vrai dire, devant l�ampleur des psychodrames et de tragédie comme ceux qu�a connu le Rwanda dans les années 94, il eut été inconcevable que la communauté internationale abordât le second millénaire sans un instrument juridique efficient, à même de prévenir ou de réprimer ces inqualifiables barbaries de l�homme contre l�homme dont le point culminant, fut l�affreux génocide Rwandais1. Pour toutes ces tragédies, des solutions ont été imaginées : ainsi sont nés les tribunaux pénaux internationaux et depuis peu, la Cour pénale internationale.

Au Rwanda, sur la base de différents rapports faisant état de la commission d�actes de génocide ainsi que d�autres violations systématiques du droit international humanitaire dans ce pays en 19942 et à la demande expresse du nouveau gouvernement rwandais3, le Conseil de sécurité des Nations Unies par sa résolution 955 (1994) adoptée en novembre 1994, créa le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.).

En Sierra Leone, suite aux atrocités commises dans la guerre civile et face aux échecs des accords successifs4 de cessez-le-feu et de paix, le gouvernement sierra léonais a sollicité l�aide de la communauté internationale pour que les personnes responsables de ces crimes soient punies. L�ampleur de l�intervention de l�O.N.U. dans ce conflit5 et

Party (S.L.P.P.). Les acteurs externes sont le Front National Patriotique du Liberia (NPLF) de Charles Taylor mis aux arrêts depuis peu, le Burkina Faso et la Libye. Les causes de ce conflit sont multiples. Elles puisent cependant leurs sources dans la gestion chaotique de l�État, la lutte pour le contrôle des ressources diamantifères, la contestation populaire de la jeunesse vivant dans des conditions instables et qui est exclue des circuits officiels. Ces derniers s�inspirent de références idéologiques africanistes en faveur de la destruction de la forme dégénérée et corrompue de l�État postcolonial. A cela se greffe la guerre civile du Liberia qui a favorisé le soutien du Front National patriotique du Liberia au Front révolutionnaire uni. Voir à propos de la guerre civile Sierra Léonaise et son historique, Szurek. S., Sierra Leone : un État en attente de « paix durable ». La communauté internationale dans l�engrenage de la paix en Afrique de l�Ouest, AFDI, 2000, pp176-201 ; Blunt. E., Paix fragile en Sierra Leone, le Monde diplomatique, décembre 1999, p. 14 ; Perez. A., Guerre et diamants en Sierra Leone, le Monde diplomatique, juin 2000, p. 4 ; 1 En ex-Yougoslavie, l�équivalent du génocide rwandais qui y a été perpétré fut impudiquement habillé du qualificatif « épuration ethnique ». 2 Cf. notamment les rapports suivants : S/1994/879, S/1994/906, S/1994/1125 et S/1994 /1157. 3 Voir, S/1994/115 du 29 novembre 1994. 4 Le premier, l�accord d�Abidjan, est signé le 30 novembre 1996 entre le président Kabbah nouvellement élu, et le Front révolutionnaire uni. Cet accord prévoit le désarmement, la reconversion de la rébellion en parti politique et l�amnistie de ses combattants. Le second, l�accord de Konakry, fait suite aux embargos de la C.E.D.E.A.O. (29 août 1997) et de l�O.N.U. (8 octobre 1997) décrété contre la Sierra leone. Le troisième, l�accord de Lomé signé entre les autorités sierra léonaises et le RUF le 7 juillet 1999, prévoit un mécanisme de transition, l�entrée du RUF au gouvernement et l�établissement d�une Commission vérité et réconciliation et l�amnistie aux combattants du RUF. 5 Alerté par les déclarations du Président du Conseil de sécurité (S/PRST/1997/29) du 27 mai 1997, (S/PRST/1997/36) du 11 juillet 1997, et (S/PRST/1997/42) du 6 août 1997, le Conseil de sécurité se saisit de la question dès 1997 (S/RES1132 (1997). Concrètement, une mission d�observation des Nations Unies pour la Sierra Leone (MONUSIL) est créée le 13 juillet 1998 par le Conseil de sécurité (S/RES/1181(1998) pour suivre l�évolution de la situation et superviser le désarmement des membres du RUF. Elle est remplacée par la mission des Nations Unies pour la Sierra Leone (MINUSIL) le 22 octobre 1999 (S/RES/1270(1999).

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la nécessité de respecter le droit international humanitaire ont conduit le conseil de sécurité des Nations Unies à autoriser le Secrétaire général à poursuivre les négociations1 avec le gouvernement sierra léonais dans le but de créer un tribunal spécial2. Répondant aux v�ux de l�État sierra léonais3, c�est un tribunal mixte4 qui est constitué par accord entre l�Organisation des Nations Unies et le gouvernement sierra léonais. L�accord signé le 16 janvier 2002 crée le Tribunal spécial5 et définit son statut6. Entré en fonction le 1er juillet 20027, ce tribunal spécial est compétent pour juger les personnes qui portent « la responsabilité la plus lourde »8 dans les violations du droit international humanitaire et du droit sierra léonais. En ciblant la poursuite de ces personnes, la compétence ratione personae du tribunal spécial pourrait apparaître restreinte aux personnes accusées par « référence à leurs pouvoirs dans la chaîne de commandement et à la gravité et l�ampleur des crimes »9. Le Secrétaire général a proposé d�utiliser l�expression plus générale de « Principaux responsables »10 qui permet d�englober les personnes investies de pouvoirs à des niveaux inférieurs de la chaîne de commandement. Sa proposition n�a pas été suivie.

Le tribunal n�est toutefois pas tenu par une interprétation restrictive du terme « personnes qui portent la responsabilité la plus lourde »11. Il s�agit en effet d�un point de repère pour l�adoption par le procureur d�une stratégie de poursuite. Jusqu�à ce jour, le procureur a déjà inculpé un peu plus d�une douzaine de personnes dans les rangs de l�A.F.R.C.12, de la C.D.F.13 et du R.U.F.1 dont certains sont décédés avant même

1 Le caractère négocié de l�accord créant le tribunal spécial a été souligné pour en tirer la légitimité à la fois au regard des États qui ont perçu négativement la création des tribunaux ad hoc, mais aussi au regard de la population locale. Voir, Shraga. D., The mixed tribunals for Cambodia and Sierra Leone, in Yepes-Enriquez R, Treaty Enforcement and International Cooperation and Criminal Matters, Cambridge University press, UK, 2002, pp. 138-144. 2 Voir Résolution du Conseil de sécurité, S/RES/1315 (2000), 14 août 2000, paragraphe 1. 3 Voir lettre du 12 juin 2000 adressée au Secrétaire général par le président de la Sierra Leone et lettre datée du 9 août 2000, adressée au président du Conseil de sécurité par le représentant permanent de la Sierra Leone auprès de l�O.N.U. (S/2000/786 annexe).Il s�agit d�une demande du gouvernement sierra léonais de l�aider à établir un tribunal spécial., voir Résolution du Conseil de sécurité du 14 août 2000, (S/RES/1315 (2000). 4 Le Secrétaire général parle de « Tribunal sui generis créé par traité et de composition et de juridiction mixtes », voir rapport (S/2000/915), 4 novembre 2000, paragraphe 9. 5 Sur la création et le statut du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, voir notamment, Frulli., M., The Special Court for Sierra Leone : Some Preliminary Comments, EJIL, 2000, vol. 11 n° 4, p. 857-869. 6 Selon les termes de l�accord, le Statut du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone fait partie intégrante de l�accord. Voir, article 1 paragraphe 2 de l�accord. 7 First Annual Report of the President of the Special Court for Sierra Leone, for the period 2 december 2002 � December, 1st 2003, p. 5. 8 Voir article 1er de l�accord créant le Tribunal Spécial, article 1er a) du statut. Voir aussi paragraphe 3 de la Résolution du Conseil de sécurité (S/RES/1315 (2000), 14 août 2000. 9 Rapport du Secrétaire général, (S/2000/915) paragraphe 29. 10 Idem. 11 PAZARTIS, P., Les tribunaux internationalisés : une nouvelle approche de la justice internationale ? AFDI, XLIX, 2003, p. 645-646. 12 Actes d�accusation des sieurs Brima (SCSL-03-06-I-001 du 7 mars 2003), Kamara (SCSL-03-10-I-001 du 26 mai 2003) et Kanu (SCSL-03-13-I-001 du 15 septembre 2003). Sur les actes d�accusation et les décisions de la chambre d�appel et de la chambre de première instance, voir le site www.sc-sl.org/AFRC.html. 13 Actes d�accusation des sieurs Norman (SCSL-03-08-PT-002) du 7 mars 2003, Kondewa (SCSL-03-12-I-015), Fofana (SCSL-03-11-I-015) du 26 juin 2003. Voir, le site www.sc.sl.org/CDF-decisions.html.

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d�être jugés. C�est le cas notamment du chef rebelle Foday Sankoh et de Sam Bockarie qui aurait trouvé la mort à la frontière ivoiro-liberienne. Charles Taylor, ancien chef d�État libérien et chef de guerre, exilé au Nigeria fut extradé pour répondre de ses atrocités devant le tribunal spécial pour la Sierra Leone. Mais, depuis, nous dit- on, pour des raisons de sécurité, Taylor a été transféré et incarcéré à la Haye dans l�attente de son jugement devant la Cour pénale internationale.

A vrai dire, sur le continent africain, le T.P.I.R. traduit de façon concrète la volonté de réprimer toute violation grave et massive des droits humains commises lors des conflits armés internes. Aux termes de l�article 1er de son statut, la compétence du T.P.I.R. concerne « les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d�États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ». Sa compétence se limite donc à une année et s�étend aux territoires d�États voisins parce que, malgré sa nature interne, le conflit rwandais y a eu des répercussions. Les articles 2 à 4 du statut détaillent la compétence ratione materiae du tribunal, qui comprend le génocide, les crimes contre l�humanité et les violations graves de l�article 3 commun aux conventions de Genève et de leur protocole additionnel II. Comme on le voit, le statut du T.P.I.R. ne mentionne pas les crimes de guerre parmi la liste d�incriminations retenues. Cette absence s�explique à la lecture du dit statut qui fait ressortir la nature du conflit2, en ce que les crimes perpétrés au Rwanda l�ont été dans le cadre d�un conflit armé interne.

Tous les États sont tenus d�une obligation de coopération à l�égard de la juridiction pénale ad hoc. La résolution 955 créant le T.P.I.R. demande aux États de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l�exécution des obligations découlant du statut (article 28 du statut du T.P.I.R.). Les États « collaborent avec le tribunal à la recherche et au jugement des personnes accusées d�avoir commis des violations graves du droit international humanitaire »3. Cette collaboration paraît reposer sur la valeur juridique contraignante de résolutions du conseil de sécurité

1 Actes d�accusation des sieurs Sankoh (SCSL-03-02-I-001), Bockarie (SCSL-2003-04-I), Sesay (SCSL �03-05-I-001), Kallon (SCSL-2003-07-I-) du 7 mars 2003 et Gbao (SCSL-03-09-I-009). Voir le site www.sc-sl.org/RUF-decisions.html. 2 Si les faits incriminés dans le statut du T.P.I.R. et dans celui du TPIY (article 2) sont les mêmes, ils sont régis par des règles de droit différentes. Les premières tombent sous le coup de l�article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole II (applicables aux conflits internes), tandis qu�aux dernières s�appliquent les dispositions des conventions de Genève de 1949 relatives aux infractions graves, du protocole I et les lois ou coutumes de la guerre (article 3), ces dernières visant plus spécifiquement les crimes de guerre commis dans le cadre des conflits internationaux (ou tout au moins internationalisés comme ceux de l�ex-Yougoslavie). 3 Il ressort des résolutions 827 et 955 que les États doivent aussi répondre « sans retard à toute demande d�assistance ou à toute ordonnance » provenant d�une chambre de 1ère instance en ce qui concerne « (a l�identification et la recherche des personnes ; b) la réunion des témoignages et la réunion des preuves ; c) l�expédition des documents » (TPIY, statut, article 29).

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adoptées sur la base du chapitre VII. On a invoqué à cet égard à la fois l'article 25 de la charte, selon lequel : « Les membres de l'organisation conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du conseil de sécurité conformément à la présente charte »1. En outre, l'article 48 de la charte énonce une obligation pesant sur « tous les membres des Nations Unies ou certains d'entre eux, selon l'appréciation du conseil », de prendre « les mesures nécessaires à l'exécution des décisions du conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale ».

La coopération requise des États aux termes du statut des tribunaux pénaux internationaux, et notamment du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.), est multiforme et couvre de nombreux domaines, en particulier le domaine privilégié des transferts des personnes inculpées, et celui des enquêtes et de la preuve2. Il est regrettable que le règlement de procédure et de preuve du tribunal n�ait pas amélioré ce dispositif assez peu explicite, car les difficultés de coopération entre les tribunaux pénaux et les États ou les organisations internationales ont souvent fait la une de l�actualité3. L�attitude de la France face aux citations délivrées en vue de la comparution des militaires, largement médiatisées, est assez révélatrice de ce refus de coopération. En fait, il semble que la France n�a pas très bien accueilli la comparution des militaires français ayant participé aux opérations des Nations Unies au Rwanda voir en ex-Yougoslavie. Le ministre français de la défense avait fait savoir au procureur du TPIY qu�un officier français ne témoignerait pas devant le tribunal. Le procureur se plaignant de cette attitude avait déclaré que cette position illustrait la politique « inacceptable » de non coopération de la France, cet État faisant non seulement obstacle à la recherche de la vérité, mais aussi à l�arrestation des criminels de guerre qui se sentaient « en sécurité absolue » dans le secteur français de l�O.T.A.N. en Bosnie4. Ce manque de coopération a également été constaté au Rwanda. En effet, le T.P.I.R. basé à Arusha (Tanzanie), pour avoir manifesté la volonté de mettre en accusation certains membres de l�armée patriotique rwandaise5, venait ainsi de

1 JEAN-PIERRE COT et ALAIN PELET, la charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Paris, Economica, 1991, 2è éd., voir aussi C.I.J., avis consultatif du 21 juin 1971 sur les conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie nonobstant résolution 276 (1970) du conseil de sécurité, C.I.J. Recueil, 1971, pp. 52 et ss. 2 Comme le souligne le tribunal pénal international pur l'ex-Yougoslavie (TPIY) dans l'affaire Blaskic, « le tribunal international ne peut s'acquitter de ses fonctions que s'il peut compter sur l'assistance et sur la coopération de bonne foi des États souverains ». Voir, TPIY, Chambre d'appel, arrêt du 29 octobre 1997, paragraphe 31. 3 Voir, C. LAUCCI, Juridictions pénales internationales : leçons des tribunaux d�aujourd�hui pour préparer la Cour de demain, L�Observateur des Nations Unies, n° 4-1998, p. 113 ; P. Garde, La France et le tribunal pénal international, Politique internationale, n° 78-1998, p. 289. 4 Voir, P. GARDE, La France et le tribunal pénal international, Politique internationale, op. cit. p. 289. 5 Le Procureur déclarait en son temps que les premières mises en accusations interviendraient à la fin de l�année 2002, malgré le manque de coopération du gouvernement rwandais pour les enquêtes. Voir, International Crisis Group, Tribunal Pénal international pour le Rwanda : le compte à rebours, Rapport Afrique n° 50, 1er août 2002, Cf. aussi Le Monde, 4 septembre 2002, p. 3.

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provoquer des tensions dans ses relations avec le gouvernement rwandais. Ce dernier aurait même empêché certains de ses ressortissants d�aller témoigner devant le T.P.I.R.1 et vient de rompre ses relations diplomatiques avec la France dont les juges ont directement mis en cause les proches du président Kagamé. Ceci permet de prendre la mesure de toutes les difficultés rencontrées par les tribunaux ad hoc dans leur demande de coopération aux États en vue de faire éclater toute la vérité.

En fait, il est rare que les États refusent de coopérer en invoquant directement des arguments s�apparentant à la raison d�État, mais souvent le refus de coopérer découle simplement d�une attitude d�inertie, justifiée au nom d�impératifs politiques. L�exercice de la compétence universelle a buté aussi quelque fois sur la réticence de certains États à réprimer les criminels de guerre réfugiés sur leur territoire. En effet, outre la résolution 9552, lors de leur douzième assemblée plénière, les juges du T.P.I.R. ont adopté un nouvel article 11 bis au règlement de preuve et de procédure, qui permet au dit tribunal de transférer des affaires aux juridictions nationales de l�État d�arrestation ou de tout autre État3.

Mais la pratique de la répression par certains États tiers notamment la France des crimes contre l�humanité commis au Rwanda reste assez limitée. En ce sens, un arrêt rendu par la chambre d�accusation de la Cour d�appel de Nîmes du 22 mars 1996 conclut à l�incompétence des juridictions françaises pour condamner un prêtre rwandais. La chambre a estimé qu�elle ne pouvait être compétente pour un fait qui s�était déroulé au Rwanda et présumé commis par un rwandais contre un autre rwandais. Une telle décision nous paraît d�autant plus surprenante que la résolution 955 des Nations Unies permettait à la France de juger et le cas échéant de condamner ce prêtre. Fort heureusement, la chambre criminelle de la cour de cassation a cassé l�arrêt de la cour d�appel de Nîmes le 6 janvier 1998. Les juridictions françaises sont donc compétentes pour réprimer les crimes contre l�humanité commis au Rwanda conformément à la délégation de compétence de la communauté internationale exprimée par la résolution 955 du Conseil de sécurité telle que la

1 Cf. Diplomatie judiciaire du 21 juin 2002 sur le site www.diplomatiejudiciaire.com/TPIR56.html. 2 En fait ce sont les résolutions 955 et 827 du Conseil de sécurité de l�O.N.U. qui donnent aux différents États le droit de réprimer pour crime contre l�humanité les actes commis dans l�ex-Yougoslavie et au Rwanda. 3 C�est un élément caractéristique de l�affaire Barayagwiza : il est arrêté le 27 mars 1996 au Cameroun et transféré à Arusha le 19 novembre 1997. Cette longue période de détention au Cameroun a été contestée et a conduit à un jugement et à un arrêt confirmatif pour sa mise en liberté. Mais un arrêt de révision du 31 mars 2000 de la chambre d�appel est revenue sur ces deux décisions clés pour ordonner son maintien en détention et la poursuite.

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reprend la loi française du 22 mai 19961. Cette même difficulté s�est présentée à propos d�une affaire similaire ayant opposé la France au Congo-Brazzaville.

Le 5 décembre 2001, une plainte avec constitution de partie civile de plusieurs associations de protection des droits de l'homme a été déposée devant le tribunal de Meaux contre le président de la république du Congo, son ministre de l'intérieur, le commandant de la garde républicaine congolaise et le général congolais Norbert Dabira. Par la suite, ces associations ont soutenu la constitution de partie civile de deux victimes rescapées d'événements survenus à Brazzaville en 1999. A l'époque, des civils congolais qui avaient fui le conflit interne, rapatriés par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, auraient été exécutés après tortures par la garde présidentielle. Ces plaintes ont pour fondement la compétence universelle des juridictions françaises pour les crimes de torture, disparitions forcées et crimes contre l'humanité (article 212-1 du code pénal, articles 689-1 et 2 du code de procédure pénale). Si le chef de l'État congolais Denis Sassou Nguesso et son ministre des affaires étrangères étant en exercice sont pour l'instant couverts par l'immunité, tel n�est pas le cas pour le général Dabira, domicilié en France dès lors que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître des crimes de torture, lors que l'auteur présumé est trouvé sur le territoire français. Le magistrat instructeur a délivré le 19 septembre un mandat d'amener contre le général Dabira et transmis au ministère des affaires étrangères une requête pour l'obtention de la déposition écrite du président congolais, considérant que son témoignage est « de nature à participer à la manifestation de la vérité ».

Mais le moment véridique de la relation entre le droit international et le droit pénal international est arrivé lorsque la cour internationale de justice (C.I.J.) a été saisie par un État, notamment la république démocratique du Congo, lui demandant de dire que la Belgique violait le droit international lorsqu'il donnait la priorité à la poursuite pénale2. Le mandat d'arrêt qui était à la base de la controverse avait été émis par la Belgique contre Abdulaye Yerodia Ndombasi, à l'époque ministre des affaires étrangères du Congo (R.D.C.), en raison d'infractions graves aux conventions de Genève du 12 août 1949 et de crimes contre l'humanité que ce dernier aurait commis avant de devenir ministre. En effet la loi belge qui était à la base du mandat d'arrêt litigieux stipule que les juridictions belges ont compétence pour connaître des infractions graves aux conventions de Genève et de crimes contre l'humanité quelque soit la 1 Voir, JF ROULOT, note sous cassation, Chambre criminelle, 6 janvier 1998, JCP 1998, II, 10158. 2 Arrêt en ligne sur www.icj-cij.org., pour de premiers commentaires, voir par exemple J. Pierre Queneudec, « un arrêt de principe : l'arrêt de la C.I.J. du 14 février 2002 » Actualité et droit international, revue d'analyse juridique.

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nationalité des auteurs ou des victimes. Cette compétence peut s'exercer « indépendamment du lieu où celles-ci auront été commises »1. La Cour d'assises de Bruxelles2 avait jugé et condamné sur la période d'avril à juin 2001 quatre rwandais dont la culpabilité avait été reconnue dans les massacres rwandais de 1994.

La lutte contre l'impunité combinée avec la compétence universelle à l'égard de dirigeants ou d'anciens dirigeants s'est véritablement manifestée depuis le cas Pinochet. En effet en octobre 1998, le général Augusto Pinochet se rend en Grande Bretagne pour y subir une intervention médicale. Le 17 octobre, l'ancien tyran qui ne pensait sans doute pas être un jour rattrapé par l'histoire, est arrêté par la police britannique à la suite de mandats d'arrêts internationaux délivrés à son encontre par les autorités espagnoles. En mars 2000, des tests médicaux indiquaient que Pinochet n'avait plus les facultés mentales lui permettant de supporter un procès. Il sera renvoyé, libre, au Chili. Mais son arrestation reste un avertissement à tous les tyrans du monde, notamment en Afrique où de nombreux crimes défiant tout entendement humain sont commis dans les différents conflits qui minent le continent africain.

Mais la compétence universelle n'est pas exempte de toute limite. En fait, il paraît matériellement difficile pour les juridictions internes des pays pauvres de juger. Surtout qu'il faille réunir des preuves matérielles, obtenir des témoignages, mener une véritable enquête alors que les faits se sont passés à l'étranger ; sans compter que le manque de coopération de nombreux États laisse supposer une enquête difficile. Il faut également souligner la crainte de voir les tribunaux engorgés de plaintes plus politiques que guidées par une réelle volonté de justice. De plus, les problèmes posés par les personnes protégées par l'immunité risquent de compromettre une action diplomatique qui peut être légitime. C'est pourquoi, en 2001, le sénateur belge Alain Destexhe a proposé de circonscrire ces risques en dotant les autorités judiciaires nationales d'une politique criminelle dans ce domaine et, en prenant des garanties supplémentaires pour les personnes jouissant de l'immunité3.

En tout état de cause, malgré la concurrence de compétence avec les juridictions nationales, Les tribunaux ad hoc gardent la primauté de juridiction4. Elles suppléeront

1 C�est également sur le fondement de cette compétence universelle, que la Haute Cour danoise s�est reconnue compétente, pour juger et condamner à 8 ans de prison et à l�expulsion le 25 novembre 1994, Refik Saric réfugié au Danemark, pour des crimes commis en juillet et août 1993 dans les camps de détention croates de Dretelj en Bosnie. 2 GEORGES-HENRI BEAUTIER, la mise en �uvre de la compétence universelle, dans la répression internationale du Génocide rwandais, collection du CREDHO, pp. 124-126. 3 ALAIN DESTEXHE, Justice internationale : les enjeux de la compétence universelle, ou impunité et compétence universelle, Journal des procès, n° 417, 15 juin 2001, sur le site <http ://www.alain-destexhe.com. 4 L'article 8 du statut du T.P.I.R., intitulé « compétences concurrentes », prévoit en son paragraphe 1, que « le tribunal international pour le Rwanda et les juridictions nationales sont concurremment compétentes pour juger les personnes

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les juridictions nationales qui ne sont pas en mesure ou qui refusent de traduire en justice les auteurs d'un crime de génocide, de crime de guerre ou de crimes contre l'humanité.

Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.R.) peut ainsi à tout stade de la procédure, demander officiellement aux juridictions nationales de se dessaisir en sa faveur conformément au présent statut et à son règlement. Le dessaisissement reste apparemment à la discrétion du juge international qui peut valoriser une compétence nationale qui se révèlerait effective. La difficulté dans le problème rwandais tient du nombre pléthorique de génocidaires. Quand les juridictions rwandaises ont prononcé les premières condamnations des auteurs du génocide de 1994, les prisons rwandaises comptaient une population carcérale avoisinant 150 000 personnes. Aucun pays au monde encore moins le T.P.I.R. n�aurait pu juger un tel nombre de prévenus dans les délais raisonnables. En outre il semble que le Conseil de sécurité ait lancé un ultimatum aux tribunaux pénaux internationaux, afin que leur mission soit achevée au plus tard en 2008. De 1996 jusqu�à ce jour, cette impossibilité de liquider le contentieux du génocide a manifestement amené les autorités rwandaises à adopter une loi organique du 26 janvier 2001 créant les juridictions dites « gacaca » qui sont des juridictions populaires avec des juges élus par la population. L�idée centrale ici est celle d�une justice reconstructive.

En fait les défis des juridictions gacaca sont notamment : la recherche de la vérité, la cohabitation des souffrances1, la cohésion sociale et la problématique des réparations. Les objectifs spécifiques des juridictions gacaca sont d�ailleurs bien précisés dans l�avant dernier paragraphe du préambule de la loi organique du 26 janvier 2001 créant cette juridiction. Ce paragraphe stipule : « Considérant la nécessité, pour parvenir à la réconciliation nationale et à la justice au Rwanda, d�éradiquer à jamais la culture de l�impunité et d�adopter les dispositions permettant d�assurer les poursuites et le jugement des auteurs et des complices sans viser seulement la seule répression, mais aussi la réhabilitation de la société rwandaise mise en décomposition par les mauvais dirigeants qui ont incité la population à exterminer une partie de cette société ». Cette profession de foi n�exempte pas les juridictions gacaca de toute critique. Ainsi, pour

présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d'États voisins entre le 1 janvier et le 31 décembre 1994 ». Le paragraphe 2 du-dit article dispose que : « le tribunal international pour le Rwanda a la primauté sur les juridictions nationales de tous les États. A tout stade de la procédure, il peut demander officiellement aux juridictions nationales de se dessaisir en sa faveur conformément au présent statut et à son règlement ». 1 La coexistence pacifique dans le cas rwandais peut paraître comme une vue de l�esprit, vu le carnage généralisé et le nombre de victimes au sein de toutes les ethnies mais si la plus grande proportion reste Tutsi. Mais peut-on faire autrement si ce n�est de tourner la page.

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certains ces juridictions ne sont rien d�autres qu�une justice populaire aveugle qui sera contrôlée et utilisée par le pouvoir pour culpabiliser tous les Hutus.

D�ailleurs, un mouvement de tendance Hutu a porté un regard sévère sur les gacaca en ces termes : « Le retour à la juridiction de « gacaca » est une prétention de défi à la modernité, une façon de priver les rwandais des acquis de la modernité dans l�exercice de la justice donc un non-respect du droit inaliénable de la personne humaine et une preuve tangible d�absence de la démocratie »1. D�autres voient dans ces gacaca, une sorte d�amnistie déguisée. Ils estiment que les Hutus toujours majoritaires sur les collines, notamment les assassins en liberté vont empêcher l�émergence de la vérité lors des procès gacaca.

En tout état de cause, nous estimons que le succès de ces jugements dépendra du degré d�indépendance des juges élus. Mais l�existence de ces gacaca et des juridictions pénales nationales pour connaître des crimes commis au Rwanda ne préjudicie en rien le rôle primaire et principal du tribunal pénal international (T.P.I.R.) en la matière. Toutefois, les tribunaux pénaux internationaux sont pressés par le Conseil de sécurité des Nations Unies, d�achever leur mission au plus tard en 2008 au profit de la Cour pénale internationale. Cette cour créée par une convention internationale et signée notamment par la majorité des États africains est entrée en vigueur le 1er juillet 2002.

En fait, l�Afrique rêvait d�une cour qui soit capable de décourager et de punir le génocide et les crimes contre l�humanité. Le statut de Rome criminalise entre autres, les attaques contre les civils, le viol et le recrutement d�enfants de moins de 15 ans dans les milices. Charles Taylor ex-président libérien et Thomas Lumbanga chef milicien en république démocratique du Congo (R.D.C.), incarcérés à la Haye attendent d�êtres jugés par cette nouvelle juridiction pénale internationale, pour le premier, du fait de sa responsabilité pour le massacre de nombreux civils et d�emploi d�enfants lors du conflit libérien et le second pour certes les mêmes motifs mais surtout pour sa grande propension à recruter systématiquement les enfants mis en première ligne au cours des combats.

La cour pénale internationale (C.P.I.) a également ouvert une enquête sur les crimes commis dans la région soudanaise du darfour. Le procureur Luis Moreno Ocampo aurait reçu des Nations Unies une liste scellée de noms de personnes accusées de

1 Un groupe d�association dénonce, « Y aura-t-il un fin au drame rwandais ? La justice, la paix, la réconciliation, la démocratie, le développement, où en est le Rwanda en 2001 ? », Buzet, 4 avril 2001.

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crimes de guerre au Darfour. Il s�agit de la première enquête ouverte par la C.P.I. à la suite d�une saisine du Conseil de sécurité des Nations Unies. La difficulté tient de ce que le président soudanais affirme sans cesse qu�il ne livrerait jamais aucun soudanais à une juridiction étrangère. De quels moyens coercitifs dispose t-on dans ces conditions pour aboutir à une comparution des personnes accusées en dépit de l�opposition de l�État protecteur ? Dans le cas soudanais, il convient de remarquer que cet État n�a pas encore adhéré au statut de la C.P.I.. Mais la réponse à une telle question se trouve surtout dans le statut du T.P.I. et qui en constitue manifestement une limite. L�article 124 du statut de la C.P.I. est certainement celui qui symbolise le mieux le caractère sensible des questions liées aux crimes de guerre. Selon cette disposition : « � un État, qui devient partie au statut peut déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l�entrée en vigueur du statut à son égard, il n�accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne la catégorie de crimes visée à l�article 8 lorsqu�il est allégué qu�un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants� ».

Pourtant, cette Cour canalise les espoirs de la communauté internationale, notamment des africains, afin que les « crimes des crimes » soient sanctionnés et que la protection de la vie humaine et de l�intégrité physique des personnes devienne enfin en pratique, une valeur de référence sur le plan universel. Toutefois, le statut de la C.P.I. marque une évolution certaine, aidée en cela par la création et le rôle des tribunaux pénaux internationaux notamment le Tribunal Pénal International pour le Rwanda dont l�apport qualitatif précisément en matière de génocide, mérite d�être relevé.

B � L�APPORT DE LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA (T.P.I.R.)

Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (T.P.I.), a essuyé de sévères critiques sur son fonctionnement, notamment en ce qui concerne les lenteurs des procédures1. Il n�en demeure pas moins que sa jurisprudence contribue à la primauté du droit en Afrique et surtout au développement du droit international humanitaire. Ainsi, s�agissant des actes constitutifs de crimes contre l�humanité, le tribunal analyse le cas particulier du viol qu�il définit comme étant « une invasion physique de nature sexuelle commise sur la personne d�autrui sous l�emprise de la contrainte » (affaire Akayesu,

1 Voir THORIN, V., Le T.P.I.R. sur le banc des accusés, Jeune Afrique l�Intelligent n° 2251, 29 février-6 mars 2004, pp. 68-69 ; Maupas, S., Le rendez-vous manqué du Tribunal d�Arusha, le Monde, 7 février 2004

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paragraphe 598)1. Cette définition fera jurisprudence devant les tribunaux pénaux internationaux, puisque dans l�affaire Furundzija, la chambre de première instance du Tribunal Pénal International pour l�ex-Yougoslavie la reprend à son compte et l�approfondit2.

De façon un peu plus novatrice, les juges du T.P.I.R. ont suivi les recommandations du procureur sur le fait que les crimes sexuels pouvaient être inclus dans le crime de génocide3, car, la Convention de 1948 ne mentionne ni le viol ni les autres formes de violences sexuelles. Ainsi pour la première fois en droit international, le jugement d�Arusha déclare les « viols et les violences sexuelles » comme constituant « certainement des atteintes graves à l�intégrité physique et mentale des victimes ». La Chambre précisera même que « les actes de viol et de violences sexuelles étaient exclusivement dirigés contre les femmes Tutsies, qui ont été très nombreuses à être soumises aux pires humiliations, mutilées et violées, souvent à plusieurs reprises, souvent en public et souvent par plus d�un assaillant. Ainsi donc, par delà les femmes victimes, c�est tout le groupe Tutsi qui faisait l�objet de ces crimes ».

Pour ce qui est des crimes non internationaux, le progrès le plus important est certainement lié à l�extension de la notion de crimes de guerre aux violations graves de l�article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II, évolution manifestement initiée, par les tribunaux pénaux internationaux et, particulièrement, par le statut du T.P.I.R. (article 4). Le statut prend donc en compte ici l�évolution récente du droit international humanitaire. Pour bien marquer ce progrès, Luigi Condorelli rappelle que « Tant en 1977 qu�après (jusqu�au début des années 90) la conviction générale était que les violations, même massives et graves, de l�article 3 commun aux conventions de Genève, ou des dispositions du deuxième protocole de 1977, ne pouvaient en aucun cas être qualifiées de crimes de guerre au sens du droit humanitaire en vigueur et n�engendraient donc pas les conséquences qui se rattachent à cette notion »4. Cette évolution est certainement le résultat d�un concours de circonstance allant des réactions de l�opinion publique face aux atrocités commises

1 Dans l�affaire Musema (jugement, 2000), la chambre de première instance reprend cette définition (paragraphes 220-229). 2 TPIY, IT, -95-17/1, Chambre de première instance II, le Procureur c/ Anto Furundzija, jugement du 10 décembre 1998, paragraphes 174-186. Au paragraphe 176, la Chambre cite expressément le jugement Akayesu. 3 Sur la contribution du T.P.I.R. voir, Dieng, A., Africa and the rule of Law, Communication à la table ronde organisée par le T.P.I.R. sur le thème : « Contributing to peace and development in 21st century through the Implementation of Justice », Dar-es-salaam, 21 octobre 2002, pp. 14-15 ; voir également du même auteur, The contribution of the international criminal Tribunal for Rwanda to the development of the International Humanitarian Law, Communication à la Conférence commémorative du 10ème anniversaire du génocide rwandais, Le Caire, 28 février 2005, pp. 5-6. 4 L. CONDORELLI, La Cour Pénale Internationale : Un pas de géant (pourvu qu�il soit accompli�), RGDIP, 1999, p. 11.

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dans les Balkans et au Rwanda, à la création et à la jurisprudence des tribunaux pénaux ad hoc ainsi qu�à la doctrine.

De manière plus substantielle, quant à l�apport de la jurisprudence du T.P.I.R. au niveau de l�interprétation et de la définition juridique du crime de génocide, le tribunal a confirmé un certain nombre de certitudes que la doctrine avait déjà dégagées : le fait qu�il peut y avoir un génocide même si la totalité du groupe, cible du génocide, n�est pas exterminée ; le fait aussi qu�il n�y a nul besoin qu�un accusé ait tué lui-même des membres de ce groupe pour qu�il se rende coupable de génocide. En plus du fait de distinguer le conflit rwandais proprement dit et le génocide facilité par cet état de guerre, le tribunal établit une hiérarchie entre les différents crimes de droit international, le statut n�en faisant pas état. Ainsi pour la Chambre : « Il ne semble pas douteux�que les violations de l�article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II, malgré leur gravité, soient considérées comme des crimes moindres que le génocide ou le crime contre l�humanité.

Par contre, il� paraît plus difficile d�établir une hiérarchie entre le génocide et le crime contre l�humanité quant à leur gravité respective »1. Ces considérations se fondent sur le fait que les crimes contre l�humanité en général « choquent particulièrement la conscience de l�humanité » et le génocide en particulier « constitue le crime des crimes » en raison du dol spécial qui le caractérise.

Par ailleurs, le T.P.I.R. formule une ligne directrice utile à la détermination de l�équilibre à respecter entre le droit à la liberté d�expression tel que garanti par les instruments internationaux et l�abus de ce droit conduisant à l�incitation directe et à perpétrer le génocide. En effet l�on se souvient encore du conditionnement psychologique des Hutus à anéantir les Tutsis, orchestré par la Radio Télévision Libre des Mille Collines2. Se fondant sur la dangerosité de ce comportement, la Chambre déclare que : « Ce qui justifie que ces actes soient exceptionnellement réprimés est le fait qu�ils sont, en eux-mêmes, des actes particulièrement dangereux parce que porteurs d�un très grand risque pour la société, même s�ils ne sont pas suivis d�effets. (�) Le génocide relève évidemment de cette catégorie de crimes dont la gravité est telle que l�incitation directe et publique à le commettre doit être pénalisée en tant que telle, même dans le cas où l�incitation n�aurait pas atteint le résultat escompté par son auteur3. En fait, considérer

1 Condamnation, KAMBANDA, paragraphe 14. 2 Jugement, AKAYESU, paragraphe 124. 3 KOFFI ANNAN, The Causes of Conflits and the promotion of durable peace and sustainable development in Africa, Rapport du Secrétaire général, document O.N.U. N° A/52/871-S/1998/318.

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l�incitation à commettre le génocide comme une infraction formelle présente un intérêt majeur : pour que le crime soit constitué, il n�est pas besoin d�apporter la preuve du lien de causalité entre l�incitation et le génocide.

D�autres contributions du T.P.I.R. au développement du droit international humanitaire sont notamment l�établissement d�indicateurs pour fixer le seuil numérique à partir duquel les meurtres se transforment en extermination notamment, la non exigence de lien de perpétration de crimes contre l�humanité à l�existence d�un conflit armé (contrairement à la jurisprudence du Tribunal de Nuremberg et du Tribunal Pénal International pour l�ex-Yougoslavie) ; l�application de la notion de « violations graves » du droit international humanitaire aussi bien aux conflits armés internationaux qu�aux conflits armés non internationaux (article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949) ; la reconnaissance de la responsabilité des civils pour crimes de guerre, nonobstant leur appartenance ou non à une partie au conflit et l�unification du régime juridique de la responsabilité du supérieur hiérarchique, en ce qui concerne les civils comme les militaires et l�exigence d�éléments de preuve pour l�attribution de cette responsabilité (contrôle effectif sur les subordonnés et carence dans la prévention ou la répression des violations du droit international humanitaire).

L��uvre de cette juridiction ne constitue qu�un point de départ. De nombreux responsables d�autres génocides et crimes graves, comme ceux de l�ex-Zaïre contre les réfugiés Hutus, ne font pour l�instant l�objet d�aucune poursuite. La communauté internationale devra donc poursuivre ses efforts pour effacer définitivement la culture de l�impunité qui a longtemps caractérisé le droit international en général et le droit international pénal en particulier. Mais l�espoir est permis en raison de la détermination de la communauté internationale qui a permis l�émergence aujourd�hui de la Cour pénale internationale, dont l�institutionnalisation a été indubitablement accélérée par l�activité des tribunaux pénaux internationaux.

La gestion normative des conflits armés internes en Afrique comme nous venons de le voir s�inscrit dans le cadre d�une forte activité institutionnelle. Ainsi les institutions africaines avec l�aide des Nations Unies reconnaissent leur responsabilité primaire et principale dans le règlement des conflits qui se déroulent sur le continent noir. C�est cette gestion institutionnelle des crises qu�il convient d�analyser dans notre deuxième partie.

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Partie II : La gestion institutionnelle des conflits armés internes en Afrique

La prépondérance des facteurs sous-régionaux et régionaux, à la fois comme source et strate des conflits intra étatiques en Afrique, produit des effets juridiques qui entretiennent des relations constantes avec l�ensemble du problème de maintien de la paix d�une part et avec les opérations qui vont être entreprises dans le cadre des institutions sous-régionales, de l�Union Africaine et de l�Organisation des Nation Unies d�autre part.

L�examen des rapports entre l�organisation mondiale (O.N.U.) et l�organisation régionale (U.A.) quant à la responsabilité du maintien de la paix permettront de mieux comprendre les procédures de gestion des conflits intra étatiques africains mais aussi leurs limites.

En effet, le continent africain est sans cesse soumis à de nombreuses convulsions. Aucune sous région du continent n�est épargnée par la dynamique des conflits intra étatiques. Le secrétaire général des Nations Unies, pour avoir pris la mesure du drame africain, en reste décontenancé et avoue son impuissance. Ainsi, en 1998, après avoir déclaré dans son rapport au Conseil de sécurité que la paix durable reste un objectif difficile à atteindre sur le continent, il dressait un diagnostic en ces termes : « pour la seule année 1996, 14 des 53 États africains étaient en conflit armé et généraient plus de la moitié de l�ensemble des morts de guerre dans le monde et plus de 8 millions de réfugiés et de personnes déplacées »1.

Ce diagnostic est corroboré par l�Union Africaine (U.A.), elle-même. Dans le « projet final » de la Commission du 23 février 2004, intitulé « Vision de l�Union Africaine et Mission de la Commission de l�Union Africaine », l�Encadré 5 intitulé « Les conflits inter ou intra étatiques » présente l�état général de la situation conflictuelle du continent en

1 KOFFI ANNAN, The causes of conflits and the promotion of durable peace and sustainable development in Africa, Rapport du Secrétaire Général, document O.B.U. n° A/52/871-S/1998/318.

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ces termes : « Tous les États africains connaissent des perturbations liées aux problèmes de violences. Il y a 25 foyers de tension et de conflits en Afrique.

Il suit de ces analyses, une plus grande demande en paix par l�Afrique plus qu�ailleurs dans le monde. La recherche du maintien de la paix est pour le continent, une exigence et une nécessité sine qua non. La question reste de savoir si la mise en place d�une voie afro africaine de maintien de la paix, notamment par le biais des réformes institutionnelles augure d�une capacité endogène de maintien de la paix.

Les interventions extérieures, pour réelles qu�elles sont, ne viennent-elles pas briser toute dynamique afro africaine de maintien de la paix ? Ce sont là trois points dont l�analyse nous semble essentielle.

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CHAPITRE I : LA NÉCESSITÉ DU MAINTIEN DE LA PAIX EN AFRIQUE

La complexité de l�architecture du maintien de la paix permet de s�interroger sur le cadre international dans lequel s�insère la problématique ainsi posée lorsqu�elle doit s�appliquer à l�Afrique. La complexité du maintien de la paix est telle qu�une force unique ne peut prétendre la réussir. Car, autant la responsabilité politique des acteurs africains en matière de maintien de la paix en Afrique n�est plus une donnée discutable, autant l�autonomie financière de l�institution panafricaine reste un v�u pieux. Il va donc de soi que l�entreprise du maintien de la paix ne peut durablement prospérer si elle tente d�en exclure l�Organisation des Nations Unies notamment le Conseil de sécurité qui a par ailleurs « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales » (article 24, paragraphe 1).

Section I : La problématique du maintien de la paix

Mieux cerner la problématique du maintien de la paix en Afrique, revient d�une part à tenter de dégager le concept même de maintien de la paix et d�autre part, à rechercher ce qui peut fonder les Nations unies à connaître des situations de guerre civile notamment en Afrique, domaine de compétence réservée des États.

PARAGRAPHE I : LE CONCEPT DE MAINTIEN DE LA PAIX

Si quelques États sur le continent africain connaissent à l'heure actuelle une paix civile relative, tel n�est pas le cas pour la plupart des Etats du continent déchirés par des conflits armés internes1. Plus préoccupante est la situation des États en faillite ou en déliquescence (Somalie, Liberia, République Démocratique du Congo, Sierra Leone�) qui ne peuvent même plus assurer un minimum de fonctions régaliennes.

1 KOFI ANAN : « Les causes des conflits et la promotion d'une paix et d'un développement durables en Afrique ». Rapport du Secrétaire Général de l'O.N.U. au Conseil de Sécurité, 16 avril 1998, 24 p. voir : http//www.un.org

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Il va donc de soi que la pacification complète du continent africain constitue la finalité première de l�Union Africaine, nécessitant une posture préalable de rupture d�avec le passé, et ce, tant par les moyens, les méthodes que par la vision, les orientations et les acteurs. Mais une opération dynamique de maintien de la paix ne peut être efficacement entreprise si l�on ne maîtrise pas le contenu et les contours de la notion de maintien de la paix qui par ailleurs peut se présenter sous des formes variables.

A � DÉFINITION DU MAINTIEN DE LA PAIX

Le concept de paix fait ici référence à la paix civile1 à l'intérieur des États et non à la paix relative à l'absence de guerre entre États. La paix civile est semble-t-il le fruit de l'application des principes démocratiques dans les États de droit2 ; par définition, elle est l'aboutissement d'un cheminement démocratique, parfois long, semé d'embûches et sans cesse remis en question par la vie politique. Mais la notion de « Maintien de la Paix » n�a pas originellement de support de validation juridique dans l�architecture textuelle internationale. Quand bien même le maintien de la paix serait une vieille pratique dans les actions internationales des Nations Unies3, la Charte de l�organisation planétaire ne définit pas ce que cette expression recouvre. Cette absence de mention dans la Charte de l�O.N.U. est sans nul doute à l�origine de la confusion conceptuelle entourant le « Maintien de la Paix ».

En effet, cette expression est entourée d�un flou terminologique qui conduit à une multiplicité de sens : rétablissement de la paix, imposition de la paix, stabilisation de la paix, maintien de la paix élargie�de sorte qu�elle occupe une position vague à mi-chemin des dispositions du Chapitre VI et celles du Chapitre VII de la Charte, c�est-à-dire se situant entre les méthodes traditionnelles de règlement pacifique des conflits que sont la médiation et l�établissement des faits (Chapitre VI) et des mesures plus énergiques comme l�intervention militaire (Chapitre VII). D�où l�expression « Chapitre VI et demi » suggérée à l�époque par le secrétaire général de l�O.N.U., le suédois Dag Hammarskjöld.

1 Pouvoir et paix civile en Afrique, sous la direction de Mwayila Tshiyembe, Paris, Présence africaine, 1996, 335 p. 2 DOMINIQUE BANGOURA, L'application des principes démocratiques dans la prévention et la gestion des conflits en Afrique, Rapport, Nations Unies, New York, décembre 2000, 60 p. 3 A cette époque, l�expression « Maintien de la Paix » n�était pas encore de mode dans le langage onusien. Ainsi, la première initiative comportant de façon relative les prémices du maintien de la paix que fut l�Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve en Palestine (ONUST) en 1948 n�était qu�une mission d�observation modeste et non une véritable action de maintien de la paix.

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En fait, le maintien de la paix est un usage par les Nations unies de la force militaire, non pour combattre ou contraindre, mais pour s�interposer en tant que mécanisme de nature à mettre un terme aux hostilités et comme tampon entre forces hostiles. La force militaire est un instrument revêtu de la légitimité internationale qui facilite l�arrêt des combats et contribue à maintenir le cessez-le-feu »1.

Indar Jit Rikhe, pour sa part, définit le maintien de la paix comme une pratique de « prévention, confinement, apaisement et arrêt des hostilités entre États ou à l�intérieur des États par l�intermédiaire de l�intervention d�une force tierce partie, organisée et dirigée internationalement et faisant usage de personnel militaire, policier et civil� »2. Pour Berlia Georges3, le maintien de la paix est recherché dans un souci de « limitation de la compétence de la guerre� ». Selon cet auteur, même l�ancêtre de la Charte de l�O.N.U., le pacte de la Société des Nations (SDN), n�interdisait pas tout recours à la force, il ne mettait pas la guerre hors la loi. Il en limitait tout simplement le droit d�y recourir4. De toutes ces définitions du maintien de la paix, celle donnée par Indar Jit Rikhye nous semble mieux épouser la pratique du maintien de la paix telle qu�elle s�applique sur le terrain notamment dans la tentative de pacification du continent africain.

En effet, l�histoire de l�Afrique abonde en exemples de maintien de la paix. La F.U.N.U., généralement considérée comme la première mission de la paix des Nations Unies (O.N.U.), a été déployée au Sinaï, à la frontière du continent africain. Au début des années 60, l�O.N.U.C. est longtemps restée la mission de maintien de la paix la plus importante, mais aussi la plus controversée. Avec près de 20 000 hommes, elle était chargée d�assurer la stabilité politique de la jeune république du Congo (devenue par la suite Zaïre). Son mandat devait être étendu pour empêcher la sécession du Katanga, province riche en minerais. Tout comme trois décennies plus tard en Somalie, il a été nécessaire d�autoriser un usage limité de la force. Plus de cent casques bleus ont perdu la vie dans cette difficile opération, qui n�en a pas moins été un succès, l�intégrité territoriale du Congo ayant été sauvée.

1 BRIAN URQUHART, International peace and Security : Thoughts on the twentieth Anniversary of Dag Hammarsksjoïld�s Death, in Forein Affairs, Fall 1981, cité par Liegeois, Michel, Maintien de la Paix et diplomatie coercitive : l�Organisation des Nations Unies à l�épreuve des conflits de l�après guerre-froide, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 52. 2 INDAR JIT RIKHYE, The theory and practice of peacekeeping, London, C. Hurst & Co., 1984, cité par Liègeois, Michel, op. Cit., p. 52. 3 BERLIA GEORGES, Le maintien de la paix : Doctrines et problèmes (1919-1976), Montchrestien, Paris, 1976, p. 20. 4 Cette limitation avait un double aspect : d�une part, par l�instauration d�un moratoire de guerre, elle avait une portée générale ; d�autre part, par des cas déterminés d�interdiction, elle avait une portée ponctuelle. C�est l�article 12 du pacte de la SDN qui prévoyait le recours à un moratoire de guerre. En fait tout État membre de la SDN acceptait de soumettre tout différend l�opposant à un autre État à une procédure pacifique de solution.

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La véritable force de maintien de la paix, c�est l�impartialité des soldats, l�autorité morale dont jouit la communauté internationale, la pression exercée par l�opinion publique. Le déploiement des casques bleus de l�Organisation des Nations Unies en Côte d�Ivoire (O.N.U.C.I.) permet de rendre compte de cette réalité. Suite à la résolution 1528 du 27 février 2004 du Conseil de sécurité des Nations Unies, une force onusienne de maintien de la paix composée de près de 7 000 soldats a été déployée dans la zone dite de confiance marquant une ligne de séparation entre la partie septentrionale du territoire sous l�occupation des mouvements rebelles et la partie méridionale administrée par les autorités légalement établies.

A l�exclusion du mandat flou des forces françaises présentes sur le terrain et dont le comportement a suscité beaucoup d�interrogations, aucun reproche majeur n�a été fait sur le degré d�impartialité des casques bleus, dont nous nous abstenons de discuter de l�efficacité de leur mission1. Le concept du maintien de la paix recouvre en fait diverses modalités. Il en résulte une certaine variabilité de ce concept.

B � LE CARACTÈRE VARIABLE DU CONCEPT DE MAINTIEN DE LA PAIX

Le maintien de la paix ou mission de maintien de la paix s�entend, tout envoi par une institution internationale (notamment l�O.N.U.) d�hommes (civils ou militaires) autres que ses représentants (fonctionnaires internationaux) sur le territoire d�un État donné (dans le cadre de sa mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales), pour assurer une mission de sécurité collective qui peut prendre différentes formes. C�est pourquoi il faut d�entrée, distinguer dans cette qualification de mission de la paix, deux catégories distinctes souvent confondues dans les propos qu�on retrouve ici et là :

! Les Missions d�Observation : elles sont composées d�un nombre relativement réduit de militaires non armés, chargés de vérifier l�application des accords de cessez-le-feu, de surveiller les retraits de troupes ou de patrouiller le long des frontières ou des zones démilitarisées. Une telle mission a été déployée en Côte d�Ivoire2 en 2003, suite à la signature du cessez-le-feu entre l�armée régulière et la

1 Il revenait de façon récurrente que des pires crimes et des violations massives du droit international humanitaire étaient régulièrement perpétrés dans la zone de confiance, pourtant sous la haute autorité des forces impartiales. 2 Résolution des Nations Unies autorisant le déploiement de la Mission des Nations Unies en Côte d�Ivoire (M.U.N.I.C.I.).

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rébellion. Dite Mission des Nations Unies pour la Côte d�Ivoire (M.U.N.I.C.I.), elle était chargé de veiller à la stricte application du cessez-le-feu, le respect des droits de l�homme et les différents accords signés par les deux belligérants.

! Les Opérations ou Forces de Maintien de la Paix : ce sont les casques bleus, constitués de contingents nationaux. Leur fonction sera d�abord une interposition entre les belligérants pour servir de tampon et éviter les affrontements, ensuite un maintien de l�ordre (fonction de police). C�est dans ce cadre que l�Opération des Nations Unies en Côte d�Ivoire (O.N.U.C.I.) a été déployée dans la zone de confiance séparant le Nord et le Sud du territoire ivoirien. Mais il ne faut pas confondre maintien de la paix et l�imposition de la paix. Une opération d�imposition de la paix est une opération de maintien de la paix qui se met en place sans le consentement de l�État hôte, et même parfois contre sa volonté. Le Conseil de sécurité de l�O.N.U. autorise à cet effet, les États membres à prendre toutes les mesures nécessaires en vue d�atteindre cet objectif.

L�ampleur de certains conflits qui se sont déroulés sur le continent africain a amené la communauté internationale à recourir à de telles opérations. Mais une opération d�imposition de la paix n�est pas forcement placé sous le contrôle des Nations Unies, elle peut être dirigée soit par un seul pays, soit par un groupe de pays.

� En Sierra Léone, l�ECOMOG1 a lancé à la suite des initiatives nigérianes, une offensive (au nom de la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest � C.E.D.E.A.O.) en février 1998 pour déloger la junte militaire et rétablir le pouvoir démocratique du président KABBAH contraint à l�exil. Cette force ouest-africaine dont le Nigeria avait pris la tête se chargera ensuite de contrôler l�application des accords de cessez-le-feu entre les rebelles et le gouvernement KABBAH. L�ECOMOG n�est toutefois, pas la première mission de maintien de la paix entreprise par les africains. En 1979 et en 1981, une mission de ce type, comprenant 2 000 soldats nigérians, 700 zaïrois (l�actuelle R.D.C.) et 600 sénégalais a été envoyée au Tchad. Quand bien même elle ne serait pas parvenue à mettre un terme à la guerre civile, elle révèle l�existence d�une volonté des États africains à aider au maintien de la paix au sein de tout État du continent en proie à un conflit armé interne. Cette volonté fut souvent étouffée

1 ECOMOG, ECOWAS monitoring group : c�est le groupe d�observation militaire de la C.E.D.E.A.O.

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par le manque de moyens financiers nécessaires à de telles entreprises de pacification.

� La Somalie : par sa résolution 794 (1992) du 3 décembre 1992, le Conseil de sécurité, sur le fondement du Chapitre VII de la Charte de l�O.N.U., autorise les États-Unis en collaboration avec d�autres puissances volontaires, à utiliser la force armée pour créer les conditions de sécurité nécessaires à un acheminement sans risques de l�aide humanitaire. L�opération « Restore Hope » se met en place sans le moindre consentement des chefs de guerre. En fait, le terrain somalien était très favorable à une telle opération en raison de l�absence de structures étatiques. Les Nations Unies se sont, par conséquent, exemptées de l�accord des parties au conflit.

� Le Congo (Léopoldville) : l�exemple congolais montre bien que l�opération de maintien de la paix autorisant le recours à la force armée n�est pas une évolution récente de la pratique des Nations Unies en matière de maintien de la paix. En effet, en 1960, l�Opération des Nations Unies au Congo (O.N.U.C.) avait déjà utilisé la coercition pour rétablir la paix et la sécurité dans un État en proie à une guerre civile ayant déstabilisé le pouvoir central.

En fait, c�est la Résolution 161 (1961) du 21 février 1961 qui en donnait l�autorisation dans le paragraphe 1 de la partie A en ces termes : «� Demande instamment que les Nations Unies prennent immédiatement toutes mesures appropriées pour empêcher le déclenchement d�une guerre civile au Congo, notamment des dispositions concernant des cessez-le-feu, la cessation de toutes opérations militaires, la prévention de combats et le recours à la force, si besoin est, en dernier ressort ». L�évolution à signaler aujourd�hui dans de telles opérations réside dans l�octroi exprès d�un but humanitaire justifiant l�autorisation de la coercition.

Dans le cadre des opérations de maintien de la paix, la coercition peut tendre à plusieurs objectifs : imposer la paix ou assurer une action humanitaire, mais aussi des actions de reconstruction.

Dans les missions traditionnelles de maintien de la paix, c�est le contraire qui se produit. Il n�y a pas de recours à la force armée dans leur déroulement. Cette absence du pouvoir de recourir à la force armée exclut ipso facto, ces missions du champ

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d�application de l�article 421 de la Charte de l�O.N.U. Les conditions requises au premier chef, sont la volonté affichée des parties de régler le conflit par des moyens pacifiques, un mandat clairement défini, un soutien politique de la communauté internationale et des ressources financières, logistiques, humaines� disponibles.

Une acception plus large du maintien de la paix ressort des rapports2 Brahimi et de Boutros Boutros Ghali secrétaire général des Nations Unies. La paix y recouvre les notions de prévention, de consolidation de la paix (elle est consécutive au retour de l�équilibre institutionnel), de rétablissement de la paix et de maintien de la paix.

En Côte d�Ivoire depuis la signature le 4 mars 2007 des accords de Ouagadougou, et la mise en place du nouveau gouvernement dirigé par M. Guillaume Soro, le retour de la paix est devenu une réalité. Pour tenir compte de cette nouvelle donne, le nouveau secrétaire général de l�O.N.U. M. Banki Moon a demandé aux autorités ivoiriennes de dire quel devra être dorénavant la nouvelle mission des Nations Unies en Côte d�Ivoire. En fait, il s�agit de savoir dans quelle mesure l�institution mondiale peut aider à la consolidation de la paix dans ce pays qui semble résolument engagé vers la paix.

La résolution 1765 du Conseil de sécurité adoptée le 16 juillet 2007 entérine l�accord de paix de Ouagadou sur la crise ivoirienne.

Si l�opération de consolidation de la paix se déroule essentiellement dans un cadre apaisé et de stabilité relative en revanche, la mise en �uvre des autres opérations de maintien de la paix doit être conditionnée par la réalité d�un climat de menace de la paix, de rupture de la paix et de la sécurité internationale.

PARAGRAPHE II : LA DÉTERMINATION D�UNE MENACE OU D�UNE RUPTURE DE LA PAIX INTERNATIONALE

Dans l�état actuel du continent africain, force est de constater que nombres d�États sont en proie à des conflits internes3 dont l�ampleur et souvent la complexité sont d�une telle nature, qu�ils créent un climat de menace de la paix, de rupture de la paix et de la sécurité internationales. Du fait de ces conflits, Une menace pour la paix et la sécurité

1 Cette disposition prévoit le recours à la force de l�O.N.U., elle s�inscrit dans les actions prévues au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. 2 BOUTROS. B. Ghali, Agenda pour la paix, Rapport du 31 janvier 1992, Doc. A/47/277, S/24111 du 17 juin1992 ; Rapport Brahimi, Doc, A/55/305, S/2000/809 du 21 août 2000. 3 KOFI ANNAN, Les causes des conflits et la promotion d�une paix et d�un développement durables en Afrique, Rapport du Secrétaire Général de l�O.N.U., op. cit, 24 p., voir : http//www.un.org.

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internationales est d'autant plus réelle que la propagation et le commerce illicite d'armes légères et des armes portatives1 constituent indubitablement un danger réel pour la sécurité internationale. Ces armes ont été l'instrument de prédilection dans la quasi totalité des tragédies africaines depuis les années 1990. Elles ont dévasté de nombreuses sociétés et causé des souffrances insondables. Elles continuent de poser des problèmes humanitaires énormes, notamment au cours des conflits internes où des milices insurgés, s'opposent aux forces gouvernementales.

Ces guerres africaines dans lesquelles les civils pris pour cibles délibérées au mépris du droit international humanitaire, représentent une proportion élevée des victimes, s'étendent par-delà les frontières ; et conduisent à une régionalisation des violences et des affrontements. Cette situation se solde par des millions de morts et de blessés, des déplacements de populations, et un taux élevé de réfugiés à la recherche de contrées paisibles. Cette situation représente manifestement une menace et rupture de la paix, ainsi que l'a régulièrement constaté le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans plusieurs de ses résolutions2. Pour tenter de mieux cerner les contours de cette question, il convient d�abord de dégager la notion de menace et de rupture de la paix pour ensuite tenter de tirer toutes les conséquences que la rupture de la paix peut générer.

A � LA NOTION DE MENACE ET DE RUPTURE DE LA PAIX

Affirmé d'emblée dans la charte comme étant le but premier de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.), le maintien de la paix et de la sécurité internationales est assorti de dispositions qui doivent permettre à l'organisation de remplir effectivement son rôle dans ce domaine de compétence. Les dispositifs de maintien de la paix et les bases juridiques et pratiques qui ont servi à la conduite de certaines opérations nous permettent d'appréhender comment l'économie globale de l'acte constitutif de l'O.N.U., l'autorise à se pencher sur des conflits intra étatiques et quelles sont les possibilités

1 Les armes légères sont conçues pour un usage individuel tandis que les armes portatives sont manipulées par une équipe de servants. Les revolvers, les pistolets à chargement automatique, les fusils, les mitraillettes, les fusils d'assaut et les mitrailleuses légères se classent parmi les armes légères. les mitrailleuses lourdes, les mortiers, les grenades à main, les lance-grenades, les canons aériens portatifs, et les lance-missiles portatifs entrent dans la catégorie des armes portatifs, Conférence des Nations Unies sur le commerce illicite des armes légères sur tous ses aspects, 9-20 juillet 2001, O.N.U., New York, voir : http ://www.un.org. 2 Résolution 1366 (2001), adoptée par le Conseil de Sécurité à sa 4360è séance, le 30 août 2001. le Conseil se déclare « � gravement préoccupé par la menace que constitue, pour la paix et la sécurité, le commerce illicite et l'accumulation excessive des armes légères dans les zones de conflit,, qui ont un effet déstabilisateur et risquent d'exacerber et de prolonger les conflits armés� ». ; Résolutions 746, 751, 767, 775, et 794 sur la Somalie, respectivement du 17 mars, du 24 avril, du 27 juillet, du 28 août 1992 et du 15 janvier 1993 ; les Résolutions 918 (1994) et suivantes sur le Rwanda.

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pour une organisation régionale, en l'occurrence l'Union Africaine1, de mener une action de ce type compte tenu du système international instauré par la création de l'Organisation mondiale. En effet, aux termes de l'article 39 de la charte des Nations Unies, trois circonstances peuvent conduire le conseil de sécurité à agir sur le fondement du chapitre VII : une menace contre la paix, une rupture de la paix, ou un acte d'agression.

Dans son acception classique, la notion de menace contre la paix vise des situations trouvant leur origine dans des actes impliquant l'emploi illicite de la force armée. Comme l'écrit M. Otunnu, « on entendait généralement par menace contre la paix et la sécurité internationales un acte d'agression ou une rupture de la paix, le plus souvent dans le contexte d'un conflit intra étatique ou régional »2. Pour certains auteurs du XIXè siècle, notamment Emmanuel Kant, la menace consiste soit en des préparatifs militaires, soit aussi simplement dans l'accroissement redoutable de la puissance d'un autre État3. La menace se distingue de l'attaque effective qui donne le droit de faire la guerre4. La violation du droit humanitaire lato sensu (c'est-à-dire incluant l'assistance humanitaire) était, ainsi, à l'origine, étrangère à la notion de menace.

Or, dans les résolutions à caractère humanitaire, le conseil de sécurité a considéré que les situations de crise humanitaire et de violations massives des droits de l'homme pouvaient être constitutives de menace contre la paix. Il a ainsi donné à la notion de « menace contre la paix » une signification nouvelle en établissant une corrélation explicite entre la protection de la personne humaine et la recherche de la paix conduisant ainsi à un élargissement de la notion5.

Tel fut le sens de l�intervention du Conseil de sécurité des Nations Unies en Somalie en 1992. En effet, dans sa résolution 794 (1992) du 3 décembre 1992, le Conseil de

1 L'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A.) créée en 1963 a été remplacée par l'Union Africaine (U.A.) dont l'acte constitutif adopté à Lomé (Togo) le 11 juillet 2000 est entré en vigueur le 26 mai 2001 après l'enregistrement des deux tiers des ratifications requises. 2 « Préserver la légitimité de l'action des Nations Unies », Politique Étrangère, 1993/3, p. 598. 3 Métaphysique des m�urs, première partie : doctrine du droit (trad. A. Philonenko), Vrin, Paris, 1971, p. 229. 4 Ibid. Pour une conception similaire v. Hegel G.W.F., Principe de la philosophie du droit (trad. A. kaan). Gallimard, 1989, paragraphe 335, p. 362. 5 Dans sa résolution 808 du 22 février 1992 décidant de la création d'un tribunal international chargé de juger les auteurs des violations du droit humanitaire commise sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, le conseil de sécurité se déclare « gravement alarmé par les informations qui continuent de faire état de violations généralisées du droit sur le territoire de l'ex-Yougoslavie (�) » et constate que « cette situation constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales » ; Voir également les résolutions 827 du 25 mai 1992 par laquelle le conseil adopta le statut du tribunal et 955 du 8 novembre 1994 décidant la création d'un tribunal international chargé de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou de violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et des États voisins. La violation du droit humanitaire est ainsi promue au rang de menace contre la paix par l'établissement d'un lien direct entre les deux notions.

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sécurité prend soin de qualifier la crise humanitaire en Somalie de « menace à la paix et à la sécurité internationales » pour justifier le recours au chapitre VII. Il ressort du mandat de l�opération « Restore Hope », conformément au paragraphe 10 de la résolution 794, la nécessité d�« employer tous les moyens nécessaires (la force armée étant l�un de ces moyens) pour instaurer aussitôt que possible des conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaire en Somalie ». Les opérations de maintien de la paix des Nations Unies ont ainsi franchi, à cette occasion, un double saut qualificatif. Cette opération qui comprend à la fois une composante humanitaire et une autre militaire, semble avoir joué un rôle de laboratoire dans l�évolution de la technique du maintien de la paix (mélange du maintien de la paix-peace-keeping- et de l�imposition de la paix-peace-enforcement-). Pour la première fois dans l�histoire des relations internationales, une opération militaro-humanitaire a été entreprise dans le but de venir au secours d�une population affamée, prise en otage par des chefs de guerre, mais aussi de mener des opérations de reconstruction (peace building)1. On serait tenté de se demander s�il existe une interaction entre la logique humanitaire (urgence, réhabilitation et développement) et la logique militaire (sécurité).

A une situation qualifiée d�exceptionnelle par la résolution794 du Conseil de sécurité, il s�agissait pour les Nations Unies d�adopter une réponse exceptionnelle, c�est-à-dire l�usage de la force prévue par le chapitre VII pour permettre l�acheminement de l�aide humanitaire.

En fait, c'est l'article 39 de la charte qui prévoit que « le conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Afin d'opérer ce constat, aucun critère n'est établi en vue de déterminer les situations susceptibles de receler une telle menace ou de constituer une telle rupture ; le conseil de sécurité a donc des pouvoirs étendus pour en traiter2 : « aucune limite n'est imposée à son jugement, lorsqu'il lui incombe de décider, sous réserve des principes énoncés à l'article 2, quelle action précise est à considérer comme tombant dans l'une des catégories ainsi déterminées »3. Mais la détermination de l'existence d'une menace contre la paix ou d'une rupture de la paix est une

1 Smith Stephen, Somalie, La guerre perdue de l�humanitaire, Calmann Lévy 1993, 243 p. 2 LELAND M. GOODRICH et ANNE P. SIMONS, The United Nations and the Maintenance of International Peace and Security, Greenwood Press Publishers, West Port, Connecticut, 1974, p. 344. 3 LELAND M. GOODRICH et EDVARD HAMBRO, Commentaire de la Charte des Nations Unies, édition de la Baconnière, Neuchâtel, 1948, p. 240.

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démarche importante puisqu'elle constitue, en principe, la condition préalable à l'exercice, par le Conseil, des pouvoirs de nature exceptionnelle qui lui sont conférés en vertu des articles 41 et 42 de la charte1 relatif, respectivement, aux mesures ne comprenant pas l'emploi de la force armée et à l'action militaire de l'organisation.

Cependant, le Conseil n'a pas toujours suivi cette approche et a parfois adopté des mesures sans effectuer explicitement une quelconque détermination. Même si elle ne devrait pas être considérée comme le prélude nécessaire à la mise en �uvre d'une action, cette démarche conserve néanmoins une signification en ce qu'elle peut, par son contenu, servir comme référence et échelle d'évaluation des conflits eu égard à la pratique du principal investi du maintien de la paix. Car, si l'article 39 exprime un intérêt absolu de la charte en matière de conflit interétatique, l'attention que l'organisation va pouvoir porter aux conflits armés internes est conditionnelle : la violence intra étatique doit s'avérer contenir les germes probants de ramifications internationales sérieuses2.

Lorsque le conflit libérien éclate et malgré toutes les atrocités qu�il engendre, Les Nations Unies se refusent à toute opération dans cette guerre civile dont les graves conséquences dans la sous région ouest africaine s�avéraient pourtant réelles. L�argument juridique tout trouvé se trouve dans le principe de non-intervention telle que définie dans le paragraphe 7 de l�article 2 de la Charte de l�O.N.U. et précisée dans l�arrêt de la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) dans l�affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua3. L�interprétation par l�O.N.U. faite de cette disposition en appui de son refus de prendre des mesures concrètes pour tenter un règlement du conflit et restaurer la paix, nous semble contestable. En effet, dans des cas similaires, notamment en Somalie comme nous l�avons précédemment relevé et hors du continent africain, en ex-Yougoslavie, l�O.N.U. avait autorisé le déclenchement de vastes opérations de maintien de la paix4. A ce propos, M. BULL, le représentant libérien au Conseil de sécurité fera remarquer qu�une telle interprétation et une telle application de l�article 2 paragraphe 7 réduit l�effectivité du Conseil de sécurité dans son rôle de maintien de la paix et de la sécurité internationales5. Mais par sa

1 LELAND M. GOODRICH et ANNE P. SIMONS, op. cit., p. 346. 2 LINDA MILLER, World Order and Local Disorder: The United Nations and Internal Conflicts, Princeton University Press, Princeton, New Jersey, 1967, p. 28. 3 Affaire activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt de la C.I.J. du 27 juin 1986, Rec. 1986, p. 14 4 En Somalie et en Ex-Yougoslavie, les Nations Unies ont lancé des opérations militaires à des fins humanitaires. Dans la résolution 733 du 23 janvier 1992, le Conseil de sécurité précise que l�opération « restore hope » a pour mission la coordination de l�aide humanitaire et de faciliter l�acheminement de cette aide aux populations victimes, Cf. AFDI 1992, pp. 62 et ss. Dans la résolution 771 sur l�ex-Yougoslavie, le Conseil parle de l�obligation des parties dans le domaine humanitaire. S/RES/771 (1992), Cf. AFDI, 1992, pp. 37 et ss. 5 Le représentant libérien déplorait le fait que « the strict application of this provision (article 2 paragraphe 7) has hampered the effectiveness of the council and its principal objective of maintaining international peace and security

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résolution 788 du 19 novembre 1992, l�O.N.U. marque un revirement en reconsidérant sa position de relative abstention.

Ainsi, qualifie-t-elle le conflit au Liberia d�une situation constitutive d�une menace pour la paix et la sécurité internationales, en particulier dans l�ensemble de la région de l�Afrique de l�Ouest et motive ses mesures coercitives au regard du chapitre VII de la Charte. L�O.N.U. autorise des mesures coercitives contre toute partie susceptible d�entraver le processus de paix et décide que « les États appliqueront immédiatement un embargo général et complet sur toutes les livraisons d�armes et matériels militaires au Liberia ». La révision de la position onusienne montre clairement que l�Organisation mondiale a manifestement pris la mesure de la gravité de la situation libérienne. La qualification de « menace à la paix » donne une dimension régionale à cette guerre civile. En fait, la circulation massive des armes et le déferlement du flot des réfugiés comportent un risque élevé de propagation du conflit aux pays voisins et constituent un danger indéniable pour la paix dans la sous région.

Toutefois, de nombreuses situations moins internationalisées sont qualifiées de « menace à la paix et à la sécurité internationales ». Ainsi en est-il, par exemple, de la situation en Angola dans la résolution 864 du 15 septembre 1993.

Indifférente à la gravité de la situation, la notion de menace est également détachée de l'intensité de la réaction1. La constatation d'une menace contre la paix n'est donc pas un indicateur de l'intensité des mesures qui seront prises par le conseil. Tout au plus laisse-t-elle supposer qu'une mesure coercitive sera prise2. Cependant, les éléments de la trilogie classique (menace, rupture, agression) qui permettent la mise en �uvre des mesures coercitives ne sont pas juridiquement définis : conformément à l'article 39 et à la pratique du Conseil de Sécurité, celui-ci dispose d'un pouvoir discrétionnaire d�appréciation de la menace contre la paix, de rupture de la paix, et de l'acte d'agression, et il s'est toujours gardé de donner des critères pouvant constituer une contrainte par la suite. Il suit de cette considération que la qualification de ces situations où la Charte autorise la coercition, est éminemment politique, et donc

imperative need to review, and perhaps reinterpret the charter, particularly its provision which calls for non-interference in the international affairs of member-states » S/PV. 2974, 22 janvier 1991. 1 La constatation d'une menace contre la paix dans la résolution 733 a permis l'envoi d'une force classique de maintien de la paix (ONUSOM-I), puis d'une force coalisée avec la résolution 794 et enfin une force de « casques bleus » autorisée à recourir à la force par les résolutions 814 et 837 dans le cadre du chapitre VII (ONUSOM-II). De même, elle a permis l'édiction d'un embargo sur les armes à destination du Rwanda dans la résolution 918 (S/RES/918 (1994) du 17 mai 1994, paragraphe 13) et la réalisation de l'opération « Turquoise » après l'adoption de la résolution 929 (S/RES/92951994) du 22 juin 1994). 2 Selon le doyen COHEN-JONATAN, « à tort ou à raison, le fait de constater qu'une situation relève de l'article 39 et du chapitre VII évoque immédiatement la menace de sanction », in « article 39 », in Cot J.P., Pellet A., La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Economica, Paris, 2è éd., 1991, p. 654.

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subjective. Cela dit, il n'est pas toujours aisé de dégager de la pratique du Conseil de Sécurité voire de l'Assemblée Générale des Nations Unies, des définitions clairement établies et généralement acceptées.

Il apparaît, toutefois, qu'une « menace contre la paix » implique nettement un état de choses recelant un danger virtuel par rapport auquel le Conseil aura à prendre une position donnée selon que la menace s'avère immédiate ou éloignée.1

Par ailleurs, l'appui offert à des bandes armés formés sur le territoire d'un État et pénétrant à l'intérieur d'un autre État, de même que le refus d'un gouvernement de retirer son aide ou sa protection à ce genre de groupes armés, ont été considérés comme constituant une menace à la paix au sens de la charte2.

Lors des débats de l'Assemblée Générale des Nations Unies, les pays du tiers monde ont exprimé le sentiment que les résolutions du conseil de sécurité ne sont que l'expression de la volonté des grandes puissances. Ce qui signifie que le Conseil de Sécurité, dans sa composition actuelle, est moins démocratique à une époque où la démocratie est le mot d'ordre pour tous les peuples du monde3. Ces préoccupations montrent bien que la sécurité collective ne peut être garantie que si la détermination de menace contre la paix repose sur une plus grande légitimité.

L'expression « susceptible de menacer la paix et la sécurité internationales » doit donc s'entendre en fonction des principes de la justice et du droit international reconnus par le premier paragraphe de l'article premier4 ; mais aussi, compte tenu des obligations incombant aux États en vertu des dispositions de la charte, dont l'article 2, notamment, revêt une importance essentielle dans l'économie générale du texte5, en ce qu'il édicte des règles auxquelles doivent se conformer les États dans leurs rapports mutuels et au sein de l'O.N.U., sur la base de leur « égalité souveraine » (article 2, paragraphe 1) et de la bonne foi (article 2, paragraphe 2) ; il requiert surtout des membres de l'Organisation qu'ils « s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance

1 LELAND M. GOODRICH et ANNE P. SIMONS, op. cit., p. 355. C'est la position du représentant français aux débats du Conseil de Sécurité, en juin 1946, sur l'affaire d'Espagne et le régime franquiste. 2 Ibid., p355. Telle était la position de la majorité des membres de la commission d'enquête créée par le Conseil de Sécurité à la demande de la Grèce en décembre 1946. 3 Débat A.G., 47è session, 69è séance tenue le 23 novembre 1992, doc, A/47/PV 69 du 11 décembre 1992, p. 18. 4 LELAND M. GOODRICH et EDVARD HAMBRO, op. P.223. L'article 1, paragraphe 1 énonce le but premier de l'organisation : "Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et de réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix. 5 Ibid., p. 125.

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politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies » (article 2, paragraphe 4). Par conséquent, une situation créée par une défaillance dans ce domaine s'inscrit parmi celles qui mettraient en danger la paix et la sécurité internationale.

Quant à la rupture de paix, elle devrait se comprendre de la survenance d'hostilités, sans qu'il ait nécessairement été établi une agression ; elle viserait également des opérations militaires entreprises par un pays contre un autre1.

Face à l'invasion de la Corée du sud par la Corée du nord le 25 juin 1950, le Conseil de sécurité réagit vivement en adoptant le même jour, la résolution 82 (1950) par laquelle il « constate que cette action constitue une rupture de la paix ». De même, face à l'autre invasion, celle du Koweït par l'Iraq, au petit matin du 2 août 1990, il a une réaction identique en « constatant qu'il existe, du fait de l'invasion du Koweït par l'Iraq, une rupture de la paix et de la sécurité internationales ». Les conflits intra étatiques, notamment ceux qui déchirent l�Afrique (Darfour République Démocratique du Congo, Côte d'Ivoire�), entraînent des répercussions dramatiques locales, sous régionales et régionales.

Ces conflits intensifient les flux de réfugiés dans les pays voisins et provoquent ainsi une dissémination de la violence et corrélativement, un risque de déstabilisation généralisée2.

Les conflits armés internes africains, outre le fait qu'ils constituent une menace globale pour la paix et la sécurité internationales, provoquent du fait des différentes confrontations, une rupture de la paix.

En effet, dans un système de droit où menace et emploi de la force sont interdits, la rupture de la paix implique aussi la constatation qu'il y a eu violation d'un engagement international3. Les évènements se déroulant à l'intérieur des États africains (les conflits armés intra étatiques), sont caractéristiques d'actes de nature à entraîner une rupture de la paix, et requièrent, par conséquent, une réaction de l'O.N.U. C'est dans cette perspective que des forces et opérations de maintien de la paix, de type et d'ampleurs variables continuent de se déployer sur le continent africain. En fait, la charte elle même, va servir de base légale à l'exercice par l'O.N.U. d'une certaine forme de

1 LELAND M. GOODRICH et ANNE P. SIMONS, op. cit., pp. 356-357. 2 BADIE BERTRAND et SMOUTS MARIE-CLAUDE (1992) : Le retournement du monde, Sociologie de la scène internationale, FNSP-Dalloz, p. 178-184. 3 MICHEL VIRALLY, L'Organisation mondiale, p. 453.

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contrôle sur les désordres internes menaçant la paix. Mais il est certain que la paix une fois rompue, provoque de graves conséquences, tant sur la situation politique et juridique qu�économique et sociale des États africains.

B � LES IMPLICATIONS DE RUPTURE DE LA PAIX DANS LES ÉTATS AFRICAINS

La récurrence des conflits armés internes en Afrique rompt la relative stabilité dont jouissaient certains États (le cas de la Côte d�Ivoire) et provoquent l�effondrement (failed states)1 de nombres d�États en proie aux conflits � la Sierra Léone, le Liberia, la République Démocratique du Congo (R.D.C.), la Somalie� Ces États se retrouvent dans l�incapacité d�assurer les fonctions régaliennes notamment de sécurité. Dans ce contexte de décomposition totale, le pouvoir revient corrélativement aux périphéries (factions, milices) qui développent partout des structures informelles.

Stephen Smith appelle cela la « technique du suicide national ». Cette autodestruction des États2 s�explique selon l�auteur par :

! Un despotisme factionnel qui a largement fait son temps.

! Une puissance tutélaire qui, après une longue période de sollicitude aliénante, se retire brusquement.

! L�absence d�une nouvelle surdétermination géopolitique.

! La déconfiture économique et l�épuisement de toutes les rentes de situation.

! L�émergence d�entrepreneurs politiques décidés à l�emploi de la violence et capables d�imposer des lignes de fracture favorisant le ralliement des « exclus du système » ou de segments de la société traditionnellement dominés.

Si un tel constat ne peut être écarté, nous ne nous attarderons pas ici sur les facteurs des conflits que nous avons déjà longuement évoqués. Il s�agit plutôt de mettre en exergue les répercussions que ces conflits provoquent aussi bien dans l�ordre interne qu�au plan international.

1 ZARTMAN WILLIAM, The disintegration and restoration of legitimate authority, 1995, Edition Collapsed States, Lynne Rienner publishers, Londres, pp. 1-11. 2 SMITH STEPHEN, Continent noir, la technique du suicide national, Politique Internationale, n° 58, hiver, 1992-1993, pp. 340-341.

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En fait, la rupture de la paix du fait de la guerre jette sur les routes un nombre impressionnant de réfugiés. Seulement, cette population qui fuit la guerre n�est pas uniquement composée de la population civile non combattante ; les milices et autres combattants se fondent dans cette population désespérée, ce qui crée au plan sous régional et régional de réelles préoccupations sécuritaires. Ainsi, l�invasion de la Sierra Léone en 1991 à partir du Libéria1 par un groupe révolutionnaire sierra léonais auraient poussé quelques 60 000 personnes vers la Guinée. Or l�arrivée massive de ces populations a créé une situation d�insécurité généralisée dans les villages guinéens où elles ont trouvé refuge.

L�ouest ivoirien a été également considéré comme la région la plus instable et violente du pays en raison de la présence des milices et la proximité du Libéria défiguré par plus d�une décennie de guerre civile depuis 1989.

L�impact sur la paix, des conflits qui déchirent le continent noir est tel qu�il va très vite s�inscrire parmi les préoccupations du secrétaire général des Nations Unies, comme en témoigne la pléthore de résolutions onusiennes relatives au conflits africains. Le secrétaire général des Nations Unies attire l�attention de la communauté internationale sur la gravité de la conjoncture et des évènements dans les États africains2. En Côte d�Ivoire, le Conseil de sécurité considérant que la situation dans ce pays continuait de menacer la paix et la sécurité internationales dans la région, va créer en vertu du chapitre VII de la Charte de l�O.N.U. et aux termes de sa résolution 1528 du 27 février 2004, l�Opération des Nations Unies en Côte d�Ivoire.

Si la cause de la menace ou de la rupture de la paix est essentiellement interne, il n�en demeure pas moins vrai que divers modes d�interférences extérieures avec la situation interne vienne exacerber si ce n�est être à l�origine de cette rupture de la paix. A cet égard, dans son rapport sur les causes des conflits en Afrique de 19923, Koffi Annan explique également comment une persistante détérioration de la situation interne aux États africains pourrait déborder les frontières de ces États.

Dans le cas de la Côte d�Ivoire, non seulement y a t-il une masse numériquement considérable d�africains notamment ouest-africains qui vivent dans ce pays, mais le

1 Le président par intérim libérien Amos Sawyer avait parlé « de l�entêtement de Charles Taylor dont les troupes ne cessent de mener des incursions, notamment en Sierra Léone », Le Monde, 11 avril 1991. 2 Voir entre autres, les Résolutions 1572 (2004), 1633 (2005) sur la Côte d�Ivoire, Résolutions 788 (1992) du 19 novembre 1992 et 856 (1993) du 10 août 1993 sur le Libéria� 3 KOFFI ANNAN, secrétaire général des Nations Unies, Les causes des conflits et la promotion d�une paix et d�un développement durables en Afrique, Rapport du Secrétaire Général au Conseil de sécurité, 16 avril 1998, Afrique Relance avril 1998, 107 p. voir également http//www.un.org.

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rôle moteur de la Côte d�Ivoire en matière économique revêt une importance particulière pour ses voisins. Il va donc de soit qu�un effondrement de la Côte d�Ivoire créerait de graves répercussions en cascade dans toute la sous région ouest africaine notamment au plan de la sécurité.

A cet égard, les résolutions que le Conseil de sécurité a été amené à adopter au cours des différents conflits armés internes en Afrique ont, pratiquement toutes, un point commun : une demande expresse, constamment réitérée, de respecter l�intégrité territoriale, l�indépendance politique et la souveraineté nationale des États1.

Replacées dans le contexte d�affrontements au sein de nombres d�États africains (l�exemple de la R.D.C. est à ce titre révélateur) et qui ont été à l�origine de leur élaboration, ces résolutions, dans les termes qui nous retiennent ici, contiennent implicitement le constat, par les Nations Unies, de l�existence d�infractions de cet ordre à l�encontre des États africains. Il s�agit d�une violation du droit international que ne cesse de dénoncer l�organisation mondiale. En Guinée-Bissau, à la suite de la proclamation de l�indépendance par les nationalistes de ce pays, l�Assemblée générale des Nations Unies s�est félicitée « de l�accession à l�indépendance du peuple de la Guinée-Bissau, créant l�État souverain qu�est la République de Guinée-Bissau »2. En conséquence, elle a estimé que les forces militaires portugaises occupaient illégalement certains secteurs de la nouvelle république dont la souveraineté et l�intégrité territoriale étaient ainsi violées, de même que l�article 2 paragraphe 4 de la Charte. Après l�accession à l�indépendance du Congo Belge en juillet 1960, les autorités légalement établies ont eu à faire face à une guerre de sécession déclenchée par la région congolaise du Katanga appuyée par les forces armées Belges. Face à ce que le gouvernement congolais considérait comme une agression extérieure3, le Conseil de sécurité, par sa résolution du 14 juillet 19604, demande au Gouvernement belge de retirer ses troupes du territoire congolais. Dans le prolongement de cette violation, le soutien des troupes belges aux insurgés katangais apparaît logiquement comme un délit international. En tout état de cause, les menaces pesant de ce fait sur la paix et la sécurité internationales constituent manifestement le fondement juridique de l�action des Nations Unies.

1 Résolutions : S/2004/703, du 18 septembre 2004 sur le Soudan ; CS/1464, 4 février 2003, CS/1528 du 27 février 2004 sur la Côte d�Ivoire� 2 A/Rés./3061du 2 novembre 1973 adoptée par 93 voix contre 7 et 30 abstentions dont la France. 3 CLAUDE LECLERCQ, L�O.N.U. et l�Affaire du Congo, p. 49. 4 S/4389, 14 juillet 1960.

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Section II : Le système des Nations Unies et le maintien de la paix

L�intérêt que l�Organisation des Nations Unies porte aux désordres survenant à l�intérieur des États africains comme partout ailleurs, est fondé sur la responsabilité dont elle est investie en matière de maintien de la paix. A cet égard, il conviendra de déterminer l�étendue des pouvoirs de l�organisation mondiale mais aussi ses limites dans ses actions en faveur du maintien de la paix.

PARAGRAPHE I : LES BASES FACTUELLES DU MAINTIEN DE LA PAIX

Le maintien de la paix internationale constitue une des tâches essentielles de l�O.N.U.1. Elle est d'ailleurs placée en premier dans l'exposé des buts de l'Organisation qu'énonce l'article 1 de la charte. En outre, l'article 2, paragraphe 7, n'exclut pas semble-t-il, que l'O.N.U. puisse s'intéresser à des problèmes internes lorsque ceux-ci mettent en danger la sécurité internationale : « Aucune disposition de la présente charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État ni n'oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente charte ; toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévu au chapitre VII » (intitulé : « Action en cas de menace pour la paix, de rupture de paix et d'acte d'agression »). En fait, face aux conflits armés internes qui déchirent le continent africain, l�O.N.U. cherche à restaurer et maintenir la paix et la sécurité internationales, conformément à ses buts et principes. La responsabilité principale de cette mission est dévolue au Conseil de sécurité (article 24, paragraphe 1). Cette prépondérance accordée au Conseil concerne l�accomplissement de ses devoirs aussi bien lorsqu�il intervient en cas de menace contre la paix ou de rupture de paix, en vertu du chapitre VII, principal fondement de

1 « Le maintien de la paix » est au centre des buts énoncés par la Charte des Nations Unies : le chapitre VI est consacré au règlement pacifique des différents, le VII aux mesures coercitives, le VIII aux accords régionaux de sécurité collective. On peut même estimer comme l'a fait Georges Abi-Saab, que tous les buts de la charte se ramènent au « maintien de la paix » au sens large, qu'il s'agisse de parfaire le système international, de promouvoir la coopération économique, sociale et culturelle ou les droits de l'homme�.

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l�intervention de l�O.N.U. en Afrique, que lorsqu�il « tente de résoudre des conflits par la voie du règlement pacifique des différends »1.

A � L�ÉTENDUE DES POUVOIRS DE L�O.N.U.

Les résolutions prises par les Nations unies relativement aux conflits africains ont toutes un point commun : elles sont prises comme nous l�avons déjà vu, sur le fondement du chapitre VII de la Charte. En fait, la Charte va servir de base légale à l�exercice par l�O.N.U. d�une certaine forme de contrôle sur les désordres internes menaçant la paix et la sécurité internationale. Une analyse factuelle de l�action de l�O.N.U. sur le continent noir nous amène à retenir entre autres, deux exemples : le cas récent de la Côte d�Ivoire et celui du Congo belge, au lendemain de son indépendance en 1960.

! Le cas de la Côte d�Ivoire : suite aux violences et l�insurrection consécutives au coup d�État du 19 septembre 2002, le président ivoirien Laurent Gbagbo adresse le 10 novembre 2003, une requête à l�O.N.U., par laquelle il demande l�envoi d�une force de maintien de la paix en Côte d�Ivoire. Le Conseil de sécurité, pour avoir pris la mesure de la réalité d�une menace à la paix et à la sécurité internationales et prenant note du message du président ivoirien, crée par sa résolution 1528 (2004) l�Opération des Nations Unies en Côte d�Ivoire (O.N.U.C.I.). La force armée onusienne forte de 7 000 hommes appuyés par 3 000 soldats français (en principe intégrés au commandement de l�O.N.U.) est chargée de surveiller la zone dite « de confiance » et séparer les deux belligérants. Cette bande de terre de 12 000 km² est une frontière artificielle interne à laquelle l�accord de Ouagadougou (Burkina Faso) signé le 4 mars 2007 est censé mettre fin. Mais si la présence de l�O.N.U.C.I. n�a pas empêché le déclenchement de l�opération « Dignité » par le pouvoir établi d�Abidjan , ni mis fin à l�insécurité dans la zone de confiance et aux alentours, elle a le mérite d�avoir évité à la Côte d�Ivoire une violente déflagration aux conséquences internes et sous régionales inimaginables.

! Au Congo belge : après son accès à l�indépendance en juillet 1960, le Congo belge devait faire face à une guerre de sécession de la région du Katanga dont le chef du gouvernement proclamait le 11 juillet 1960 l�indépendance de la province et la rupture des liens avec le pouvoir légal établi dans la capitale. Le mouvement

1 JACQUES BALLOUD, L�O.N.U. et les opérations de maintien de la paix, Pedone, Paris, 1971, p. 17.

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sécessionniste était appuyé par les troupes belges1. Cette insurrection va porter le gouvernement congolais à saisir le Secrétaire général de l�O.N.U. de trois requêtes d�assistance technique et militaire du fait du débarquement des troupes métropolitaines belges en violation du traité d�amitié entre les deux pays et considérait cette action « non sollicitée comme un acte d�agression »2, menaçant la paix internationale, la sécession katangaise étant attribuée au gouvernement belge.

Le secrétaire général accéda à cette demande et engendra la procédure requise par la Charte3. Cependant, la démarche du secrétaire général en soumettant la question au Conseil de sécurité, va être focalisée sur la nécessité de doter l�État congolais de la capacité effective d�assurer l�ordre : «�l�arrangement envisagé par le gouvernement congolais est préférable à toute autre formule� et je recommande donc vivement au Conseil d�autoriser le Secrétaire général à prendre les mesures voulues pour fournir au gouvernement congolais, en consultation avec lui, une assistance militaire durant la période qui devra peut-être s�écouler avant que, grâce aux efforts du gouvernement secondé par l�assistance technique des Nations Unies, les forces nationales de sécurité soient en mesure de s�acquitter pleinement de leurs tâches »4.

Le lien est donc établi entre d�un côté les désordres et les risques d�effondrement complet de l�État congolais, et de l�autre, les menaces pesant de ce fait sur la paix et la sécurité internationales puisque cette préoccupation constitue le fondement juridique de l�action du Secrétaire général. Il est évident que la sécession du Katanga et la présence des troupes belges dans cette province, pourraient rendre difficile la mise en �uvre de toute résolution du Conseil de sécurité et des dispositions qu�il habiliterait le Secrétaire général à prendre dans la perspective du maintien de la paix. C�est pour pourquoi, dès sa première résolution, le Conseil de sécurité avait « fait appel au gouvernement belge pour qu�il retire ses troupes du territoire de la République du Congo »5. Le Conseil estimera également utile, à cet effet, l�entrée de la Force des Nations Unies dans la province du Katanga6. Avec l�aggravation du conflit, la position de l�Organisation se fera plus vigoureuse, allant

1 L�O.N.U. et l�affaire du Congo, op. cit pp. 46-47. 2 Ibid, p. 49, texte de la première requête d�aide militaire. 3 En fait, le Secrétaire général décidait de convoquer d�urgence le Conseil de sécurité sur le fondement de l�article 99 de la Charte qui stipule que : « le Secrétaire général peut attirer l�attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationale ». 4 Voir S/4389, 14 juillet 1960. 5 CS.Res. S/4387, 14 juillet 1960. 6 CS. Res. S/4426, 9 août 1960.

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jusqu�à décider le recours à la force pour mettre fin à la situation créée par la sécession katangaise.

Dans une résolution « récapitulative » en date du 24 novembre 19611, le Conseil de Sécurité énonce sa position sur tous les problèmes soulevés par le conflit congolais et édicte les dispositions visant à faire appliquer les principes sur lesquels il se fonde.

Le Conseil déplore toute action armée contre l�autorité du Gouvernement de la République du Congo, en particulier les activités sécessionnistes et l�action armée qui sont actuellement menées par l�administration provinciale du Katanga.

Il dénonce également, l�apport des ressources extérieures et de mercenaires étrangers, et rejette entièrement l�allégation selon laquelle le Katanga serait « une nation souveraine indépendante ».

Par conséquent, le Conseil de sécurité reconnaît le Gouvernement de la République du Congo comme la seule autorité chargée de la conduite des affaires extérieures du Congo et prend les mesures qui suivent :

1/ Réprouve énergiquement les activités sécessionnistes illégalement menées par l�administration provinciale du Katanga avec l�appui de ressources extérieures et secondées par des mercenaires étrangers.

2/ Reprouve en outre l�action menée, dans l�accomplissement des dites activités, contre les forces et le personnel de l�Organisation des Nations Unies.

3/ Autorise le Secrétaire général à entreprendre une action vigoureuse, y compris, le cas échéant, l�emploi de la force dans la mesure requise, pour immédiatement appréhender, placer en détention dans l�attente de poursuites légales ou expulser tous les personnels militaire et paramilitaire et conseillers politiques étrangers ne relevant pas du commandement des Nations Unies, ainsi que les mercenaires�

1 Dans cette résolution, « Le Conseil de Sécurité, Rappelant ses résolutions� Réaffirmant les principes et les buts de l�Organisation des Nations Unies en ce qui concerne le Congo (Léopoldville), tels qu�ils sont énoncés dans les dites résolutions, à savoir : a) Maintenir l�intégrité territoriale et l�indépendance politique de la République du Congo ; b) Aider le Gouvernement central du Congo à rétablir et maintenir l�ordre public ; c) Empêcher le déclenchement d�une guerre civile au Congo ; d) Assurer le retrait et l�évacuation immédiate du Congo de tous les personnels militaires et paramilitaires et conseillers étrangers ne relevant pas du commandement des Nations Unies, ainsi que de tous les mercenaires ; e) Fournir une assistance technique ; �

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4/ Prie en outre le Secrétaire général de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l�entrée et le retour de ces éléments.

5/ Prie tous les États de s�abstenir de fournir des armes, équipement ou autre matériel susceptibles d�être utilisés à des fins bellicistes...

6/ Invite tous les États membres à s�abstenir de favoriser, tolérer� des activités dirigées contre l�Organisation des Nations Unies qui aboutissent souvent à des hostilités armées contre les forces et le personnel de l�Organisation.

7/ Déclare que toutes les activités sécessionnistes dirigées contre la République du Congo sont contraire à la loi fondamentale et aux décisions du Conseil de Sécurité et exige expressément que les activités de cette nature actuellement menées au Katanga cessent immédiatement�1

Nonobstant les critiques ultérieurement adressées à la conduite des opérations dans l�affaire congolaise, cette résolution conserve son intérêt juridique d�autant plus qu�au regard des compétences organiques, au sein de l�O.N.U., sa « constitutionnalité » n�était pas douteuse et ne fut pas contestée2.

Elle permet donc d�appréhender concrètement des éléments et facteurs participant de la paix et de la sécurité internationales. Ainsi réaffirme-t-elle le rôle, à cet égard, du respect de l�intégrité territoriale et de l�indépendance politique d�un État, de telle sorte que lorsqu�elle se trouvent mises en péril par l�effondrement de l�ordre public et par la guerre civile, l�O.N.U. à titre pour intervenir en vertu de ses responsabilités relatives au maintien de la paix mondiale.

Par ailleurs, lorsque les conflits libérien et rwandais éclatent, et en dépit de leur extrême violence, le risque de graves répercutions sous-régionales visibles qui en découlent, la réaction de l�organisation universelle a été longue à venir. Aucune action collective n�est entreprise tout de suite. L�O.N.U. tergiverse et se refuse à toute opération au non du principe de non-intervention telle que définie dans le paragraphe 7 de l�article 2 de sa Charte et précisée dans l�arrêt de la Cour Internationale de Justice sur les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua3.

1 CS. Res. S/5002, 24 novembre 1961. 2 MICHEL VIRALLY, L�Organisation Mondiale, op. cit., p. 503. Notons que la résolution du 24 novembre 1961 avait recueilli le vote positif des États-Unis et de l�URSS ; aucun vote négatif ne s�était exprimé mais la France et la Grande-Bretagne s�étaient abstenues. 3 Affaire activités militaires et paramilitaires au Nicaragua C.I.J. Rec 1986, p. 14.

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Dans la crise ivoirienne qui a vu l�occupation de la partie septentrionale du territoire par une rébellion armée, l�O.N.U. a rappelé les principes de l�intégrité territoriale et la souveraineté de l�État.

L�organisation mondiale a ensuite déployé une force d�un peu plus de 6 000 soldats dont la fonction se limite à la protection de la zone de confiance qui sépare les deux belligérants1. La présence de la force onusienne a réduit la violence sans parvenir à l�éradiquer. Il n�en demeure pas moins vrai que tout le mérite de pacification est à mettre au compte de l�O.N.U. sans laquelle, un délitement total de l�État ivoirien serait à craindre. La signature de l�accord de Ouagadougou et les espoirs de paix réelles qu�il suscite, permettent de renforcer les acquis réalisés sur le terrain par les Nations unies.

En dépit de tous ses efforts de pacification sur le terrain, l�organisation mondiale fait souvent l�objet de critiques. Ainsi, ses réactions déséquilibrées, selon les régions et les protagonistes met l�Organisation mondiale au c�ur même de cette problématique du « deux poids deux mesures », mettant de ce fait en exergue l�incertitude de l�intervention efficace des Nation Unies dans les conflits africains. Nous pensons à cet égard que la réforme du Conseil de Sécurité s�impose, car c�est elle qui la rendra plus démocratique et répondra au mieux aux intérêts locaux. Mais bien plus qu�un manque de volonté ou d�engagement, ce sont les faiblesses et facteurs limitatifs de cette institution qu�il convient de relever.

1 Il s�agit de la résolution 1528 du 27 février 2004 créant l�O.N.U.C.I.

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B � LES FAIBLESSES ET FACTEURS LIMITATIFS DE L�ENGAGEMENT DE L�O.N.U. DANS LES CONFLITS AFRICAINS

Avec les conflits armés internes en Afrique, facteurs d�infractions et de violations du droit, c�est tout à la fois l�ordre public interne et l�ordre public international qui sont mis à mal. En fait, non seulement les conventions internationales sont violées, les résolutions des Nations Unies demeurent inappliquées, mais également les tentatives pour maintenir la cohésion intérieur des États, notamment à travers des compromis régionaux (C.E.D.E.A.O., C.E.M.A.C., S.A.D.C., etc.) s�avèrent inefficaces parce que rendus inopérants par la compétition et la confrontation entre les divers acteurs régionaux et internationaux. Dès lors, les infractions s�ajoutent aux infractions sans que nulle autorité face prévaloir ou soit en mesure de restaurer la primauté du droit sur l�état de fait et juguler le cours inexorable des guerres succédant aux guerres qui déchirent le continent africain. La responsabilité de l�organisation universelle, à cet égard, est importante. Le Conseil de sécurité selon l'article 24, détient « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Il est le seul organe visé par les dispositions du chapitre VII intitulé : « Action en cas de menace pour la paix, rupture de la paix et d'acte d'agression ». Mais face aux crises qui minent le continent africain, l�O.N.U. n�est jamais véritablement parvenue à faire �uvre d�efficacité et de pragmatisme pour juguler les conflits.

Mais s�il est vrai que l�organisation mondiale, sous le poids de la pesanteur bureaucratique, s�empêtre dans de longues procédures et débats pour décider d�une action de pacification, force est de constater, la responsabilité principale des États ou des parties en conflit dans leur degré de volonté d�application des mesures onusiennes.

Toutefois, Une analyse factuelle de la pratique des Nations unies permet de rendre compte de nombreux errements de l�Organisation universelle.

Dans le drame somalien des années 90, l�objectif affiché de l�opération des Nations Unies était d�endiguer la violence, protéger et apporter de l�aide alimentaire aux populations affamées. Mais cette opération de grande envergure n�a pas atteint ses objectifs. En effet, plusieurs centaines de civils ont été tués dans des tentatives de capture du général Aïdid. En fait, la résolution 814 du conseil de sécurité du 26 mars 1993 autorisait l�O.N.U.S.O.M. à recourir à la force pour appliquer son mandat, notamment en ce qui concerne le maintien d�un environnement sûr et le

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désarmement des parties au conflit et les bandes armées. Fondée explicitement sur le chapitre VII de la Charte, elle sera précédée par la Résolution 794 du 3 décembre 1992, portant création de l�UNITAF, force unifiée dirigée par les américains, comprenant 37 000 hommes. Le 5 juin 1993, l�O.N.U. lançait une opération de maintien de la paix. Au lieu de s�en tenir à l�objectif principal de leur mission, c�est plutôt un avis de recherche contre le général Aïdid qui fut lancée, renforcé par une récompense de 25 000 dollars1. Dirigé contre le général Aïdid, l�opération excluait tout autre chef de guerre, parti pris que dénonça violemment ce chef rebelle dont la tête avait été mise à prix par l�O.N.U. le 6 juin 1993. Il n�arrivait pas à s�expliquer outre son cas personnel, que l�expulsion de l�allié d�Ahmed Umar Jees de Kisimayo au profit du général Morgan, gendre de Siad Barre (ancien chef d�État), ait été organisée avec la complicité des casques bleus.

La principale raison de ce que nous considérons comme un dérapage, tient à une totale méconnaissance des racines historiques de la crise et au mépris dans lequel sont tenues les règles de fonctionnement de sociétés appartenant à d�autres cultures (�). Or, en se polarisant sur un seul des seigneurs de la guerre tout en traitant avec d�autres criminels notoires, l�O.N.U. perdait ainsi toute légitimité aux yeux d�une fraction notable de la population et apparaissait comme partie au conflit. La suite est connue : un crescendo d�actions militaires contre un général Aïdid diabolisé et soudain devenu, par la magie de la propagande, le seul et unique responsable des trois cent mille morts de la guerre civile. Conséquence logique : l�entreprise échoua et fit vingt-quatre morts dans les rangs des casques bleus. Les Nations Unies ont donc de toute évidence quitté la Somalie sur un échec politique et militaire, même si, sur le plan alimentaire, les résultats sont plus nuancés.

En fait, il était très difficile d�imposer la paix de l�extérieur parce que certains chefs de guerre rappelaient régulièrement que la paix devait être somalienne. Les formes de négociations de paix choisies par l�O.N.U. étaient beaucoup trop modernes et occidentales pour correspondre à la réalité du monde Somali actuel.

L�échec des méthodes utilisées pour tenter de mettre fin au conflit somalien comme dans bien d�autres conflits armés africains, démontre clairement que c�est l�analyse de leurs causes qui est erronée : ni Jonas Savimbi en Angola ni le Général Aïdid en Somalie ni les nombreux autres chefs de guerre des conflits armés internes en Afrique n�ont accepté les procédures proposées.

1 MAREN MICHAEl, Somalia: Whose Failure?, Current History, 1996, vol.95, n° 601, pp. 201-205.

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Dans le conflit libérien, malgré plusieurs appels lancés en faveur de l�intervention, le rôle de l�O.N.U. sur le plan politique a été limité à trois axes précises : la coordination de l�assistance humanitaire ; la pratique du Secrétaire général d�envoyer des représentants pour observer la situation au Liberia ; l�assistance apportée dans les négociations. Il s�agissait en fait pour les Nations Unies de n�intervenir qu�en appui de l�action menée par la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.). Les Nations Unies ont de ce fait essuyé de nombreuses critiques. Ainsi, certains ont estimé que l�Organisation universelle s�est égarée dans le conflit libérien parce qu�elle s�est laissée guidée par la stratégie de la C.E.D.E.A.O., largement conduite par le Nigeria. C�est l�avis du président du groupe des droits de l�homme au parlement britannique, Lord Eric Avebury1 qui l�a écrit à la Royal African society : �The UN disabled itself in Liberia from putting forward or accepting any independent initiatives, being imprisoned within the framework of strategies determined by Ecowas, and particularly Nigeria�.

En fait, les différentes actions menées par les Nations Unies au cours des conflits armés montre clairement que l�organisation universelle ne traite pas les protagonistes de la même manière et selon les mêmes critères de qualification juridique de comportement de faits identiques. Mais l�O.N.U. est précisément au c�ur de cette problématique du droit international : formée d�États aux intérêts contradictoires, chacun d�eux identifie une situation en fonction de ses objectifs. A cet égard, dès qu�un conflit armé interne éclate, il faudra à chaque fois une décision politique qui devra faire l�objet d�une délibération des membres du Conseil de sécurité agissant en qualité d�entité collective, et qui sera conditionnée par l�existence d�une certaine communauté d�intérêts entre ses cinq membres permanents. L�efficacité avec laquelle seront traités les problèmes de sécurité internationale � que ce soit par des mesures de rétablissement ou de maintien de la paix, ou par une action de médiation, - restera dépendante des intérêts en jeu mais aussi de la nature des relations entre États permanents du Conseil de sécurité.

Il est peu vraisemblable qu�une action humanitaire soit décidée dans des régions dénuées d�intérêt à leurs yeux. Par exemple, il y a une vingtaine d�années, lorsque la guerre a éclaté au Soudan, aucun État n�a saisi le Conseil de Sécurité ; alors que ce conflit a fait 800 000 morts et qu�il continue, provoquant de nombreux déplacements de populations2.

1 New African, novembre 1993. 2 D�après VIENOT D., in Dominesti �MET, M-J, Aide humanitaire internationale, p. 328.

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La situation en Somalie a également été mise en évidence par le fait que les États disposaient d�une grande liberté à l�égard de l�O.N.U. Les soldats américains ont quitté la Somalie avant que leur mission soit entièrement accomplie. Les États Unis ont voulu s�engager le moins possible dans ce conflit. M. Prunier1 affirme que Washington a obtenu que la résolution 794 relative à l�assistance humanitaire ne permette pas le désarmement « des seigneurs de la guerre » car ce gouvernement voulait s�impliquer le moins possible. Le non-respect de l�engagement s�est vérifié lors de la crise rwandaise : l�existence de la MINUAR avait été en quelque sorte remise en cause par la résolution 912 du Conseil de sécurité du 21 août 1992 en raison du comportement des autorités belges. En effet, celles-ci avaient décidé de retirer les casques bleus belges de la MINUAR par décision unilatérale avalisée par le texte onusien, à la suite de l�assassinat de dix d�entre eux. Par ailleurs l�intervention de la Belgique sur le territoire rwandais apparaissait par la suite comme une intervention d�humanité.

D�après Filip Reytjens2 « la Belgique et la France ont évacué principalement des expatriés avant de retirer leurs troupes ». Il est donc évident que leur action n�a servi qu�à la protection de leurs ressortissants et non la population rwandaise livrée à son sort. L�O.N.U. n�a jamais pu rétablir la paix en Somalie ou au Soudan comme en témoigne les sanglants affrontements qui ont cours actuellement dans ces pays. L�organisation universelle piétine également dans les autres conflits qui déchirent le continent africain et n�est pas intervenue pour prévenir le génocide rwandais. Ce sentiment d�indifférence explique bien souvent la réticence des Africains à l�égard de l�Organisation universelle en qui ils ont une confiance relative. Pour surmonter certaines difficultés et se donner une chance dans le règlement des conflits, l�O.N.U. a de plus en plus tendance à associer les organisations sous régionales et régionales africaines dans le processus de règlement des conflits du continent.

PARAGRAPHE II : LA GESTION CONCERTÉE DES CONFLITS ENTRE L�O.N.U. ET LES INSTITUTIONS AFRICAINES

Cette gestion concertée des conflits armés internes en Afrique passe nécessairement par une appropriation par les africains eux-mêmes, de la dynamique de pacification de leur continent. Toutefois, cette régionalisation de la paix doit s�exercer en symbiose

1 PRUNIER G. L�ONU et les États-Unis dans l�imbroglio somalien, L�O.N.U. dans tous ses États, p. 86. 2 REYTJENS F., L�O.N.U. au Rwanda, le discrédit, O.N.U. dans tous ses états p. 90.

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avec l�action de l�O.N.U., responsable principale du maintien de la paix dans le monde. Cette coopération devait s�exercer sur la base d�un fonctionnement hiérarchique.

A � LA RÉGIONALISATION DE LA PAIX

L�intérêt de la régionalisation, consiste pour les États Africains de se rapprocher d�un point de vue politique et/ou économique. Dans son rapport intitulé « Amélioration de la capacité de prévention des conflits et du maintien de la paix en Afrique du 1er novembre 1995 »1, Boutros Boutros-Gali, Secrétaire général de l�O.N.U. rappelait qu�au terme du chapitre VIII de la Charte, « les fondateurs de l�O.N.U. envisageaient pour les organisations régionales un rôle important dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il est de plus en plus évident que l�O.N.U. ne peut s�occuper de tous les conflits et de toutes les menaces de conflit dans le monde. Les organisations régionales et sous-régionales ont parfois un avantage comparatif qui leur permet de jouer un rôle directeur dans la prévention et le règlement des différends et d�aider l�O.N.U. à les circonscrire ».

Son successeur, Kofi Annan, dans son rapport du 13 avril 1998 sur « les causes des conflits et la promotion d�une paix et d�un développement durables en Afrique »2, confirme ce diagnostic en ces termes « dans le cadre de la mission première de l�O.N.U., qui est d�assurer la paix et la sécurité internationales, il est nécessaire et souhaitable de soutenir les initiatives prises au niveau régional et sous-régional en Afrique. C�est d�autant plus nécessaire que l�Organisation universelle n�a ni les moyens ni les compétences requises pour régler tous les problèmes pouvant surgir sur ce continent ».

Notre démarche ici se limite évidemment à la dynamique africaine fondée essentiellement sur des motivations politiques. A cet égard, il est sans conteste que l�Union Africaine reste aujourd�hui le principal pôle de régionalisation en Afrique. Cette primauté de l�institution régionale ne remet pas en cause le rôle non moins important des institutions sous-régionales dans la pacification du continent. En Afrique de l�Ouest, la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.), organisation à vocation strictement économique a évolué vers la prise en compte du volet de la sécurité régionale, notamment par une révision totale du traité fondateur

1 BOUTROS BOUTROS-GHALI, Amélioration de la capacité de prévention des conflits et du maintien de la paix en Afrique, Rapport 1er novembre 1995. 2 KOFI ANNAN, Les causes des conflits et la promotion d�une paix et d�un développement durables en Afrique.

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en 1993 dans le but de l�adapter aux réalités contemporaines. Le préambule du traité révisé de la C.E.D.E.A.O. met l�accent sur la nécessité d�assurer la sécurité et la stabilité de la région en vue d�atteindre les objectifs économiques de développement durable. C�est donc à juste titre que dans les années 90, quand de façon simultanée le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée Bissau se sont embrasés, alors que l�O.N.U. tergiversait1, la C.E.D.E.A.O. a eu à intervenir et à déployer sa force d�interposition : l�ECOMOG, groupe d�observation militaire de la C.E.D.E.A.O. Le Conseil de sécurité a adopté le 19 novembre 1992 la résolution 788 dans laquelle, il qualifie la situation au Liberia d�une menace à la paix et légitime l�ECOMOG comme une force de maintien de la paix. Même si le bilan de la démarche de la C.E.D.E.A.O. et les écueils rencontrés sur le terrain, posent le problème plus large de la recherche d�un cadre d�intervention pour le maintien de la paix en Afrique, force est de reconnaître que la conduite de ces opérations de maintien de la paix a permis la naissance d�une coopération étroite entre la C.E.D.E.A.O. et l�O.N.U. Cette même synergie en mouvement, a permis à l�Organisation de l�unité africaine, à la Ligue des États arabes et à l�Organisation de la Conférence islamique de joindre leurs efforts à ceux de l�O.N.U. pour s�occuper de la Somalie.

C�est également au nom de cette coopération qu�en dépit de toutes les difficultés rencontrées sur le terrain et notamment les pertes en vie humaine, que les forces de l�Union Africaines interviennent aujourd�hui au Darfour. Pour justifier le bien fondé de cette coopération, le secrétaire général souligne que « � l�action régionale, par le biais de la décentralisation, de la délégation et de la coopération aux efforts de l�Organisation des Nations Unies, pourrait non seulement rendre plus légère la tâche du Conseil, mais contribuer également à la création d�un sentiment plus fort de participation, de consensus et de démocratisation en ce qui concerne les affaires internationales »2. En réalité, la considération selon laquelle le « cadre juridique » assigné par le chapitre VIII de la Charte à la coopération de l�O.N.U. et des organisations régionales, se justifie par le constat que la large décentralisation du maintien de la paix est en définitive due à la nécessité des Nations Unies plus qu�à une politique réfléchie de l�Organisation.

1 Le conflit libérien dès son déclenchement ne suscite aucune réaction de la communauté internationale. L�O.N.U. se fonde sur le principe essentiel de non-intervention prévu à l�article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies. Mais cette attitude peut paraître surprenante au regard de l�importance du drame libérien. L�organisation était-elle sans doute submergée car l�O.N.U. avait déjà lancé des opérations militaires à des fins humanitaires en Somalie et en Yougoslavie. Voir les résolutions 733 du 20.01.1992, AFDI, pp. 62 et s et 771 sur l�ex-Yougoslavie, S/RES771(1992), AFDI, 1992, pp. 37 et ss. 2 BOUTROS BOUTROS �GHALI, Agenda pour la Paix : diplomatie préventive, rétablissement de la paix et maintien de la paix, Rapport du 31 janvier 1992, doc A/47/277, Nations Unies, New York, 1992, p. 40.

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En effet, justifiée par l�idée que le maintien de la paix en Afrique dépend d�abord des pays africains, l�attitude de l�O.N.U. tient surtout au fait que cette dernière, débordée par la multiplication de ses interventions dans le monde et de surcroît discréditée par ses échecs en somalie et au Rwanda, ne dispose ni de la capacité financière, ni de la crédibilité politique pour s�impliquer directement dans tous les conflits africains.

Cette ligne de conduite ne fait à vrai dire qu�illustrer la tendance plus générale à la régionalisation du maintien de la paix. Toutefois, il convient de reconnaître qu�une large délégation de responsabilités aux institutions africaines (notamment l�Union Africaine), n�est pas une panacée de nature à résoudre les problèmes difficiles auxquels se heurte le maintien de la paix. C�est dire à quel point le rôle incontournable et la primauté de l�Organisation universelle dans le maintien de la paix restent intacts. Nous estimons à cet égard, que pour mieux saisir le fonctionnement symétrique de l�O.N.U. et des institutions africaines, précisément l�Organisation de l�Unité Africaine, il paraît indispensable d�analyser la hiérarchie des compétences qui en découle.

B � LA HIÉRARCHIE DES COMPÉTENCES ENTRE L'O.N.U. ET L'O.U.A.

Cette hiérarchie pose le problème de la nature des liens qui existent entre l'organisation régionale africaine et l'Organisation des Nations Unies. Les chartes de ces deux institutions respectives servant de fondement à la collaboration entre elles, le régionalisme se présente comme devant être au service de l'universalisme. Mais l'articulation entre le système universel et le système régional obéit à une construction théorique sur la base du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies. Dans ses rapports avec l'O.N.U., l'O.U.A. apparaît comme le premier échelon d'une véritable hiérarchie des instances. L'article 52 alinéa 2 de la charte des Nations Unies oblige les parties à un différend d'ordre local de se soumettre à l'organisme régional avant de le porter devant le Conseil de sécurité. A cet égard, dès le déclenchement du conflit en Côte d�Ivoire dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, la diplomatie africaine s�est tout de suite mise en branle en vue de trouver au plutôt un moyen de pacification du pays. Ainsi sous l�égide de la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.), nous avons eu droit successivement aux pourparlers de paix de Lomé en novembre 2002, le sommet extraordinaire des chefs d�État et de Gouvernement de la C.E.D.E.A.O. sur la Côte d�Ivoire à Accra (Accraa I) le 29 septembre 2002. Viendront

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ensuite, Accra II du 6 au 7 mars 2003, les accords de Marcoussis de 2003, et d�Accra III du 29 au 30 juillet 20041.

C�est l�échec de toutes ces rencontres sur la Côte d�Ivoire qui a amené l�O.N.U. à faire jouer la primauté de son action et sa responsabilité en prenant des résolutions qui s�inscrivent dans une dynamique de pacification du territoire ivoirien2. Si la charte des Nations Unies offre au chapitre VI une panoplie de modes de règlement pacifique des différends entre États, le chapitre VIII ne retient que l'action des organismes régionaux dont les États membres « doivent faire tous les efforts » pour régler d'une manière pacifique, par le moyen de ces organismes, les différends d'ordre local avant de les soumettre au Conseil de sécurité. Ainsi, le chapitre VIII fait apparemment de l'organisation régionale une instance préalable dans le règlement des conflits locaux, mais soumet l'action de celle-ci à des règles comme celles figurant à l'article 53 paragraphe 1 « � toutefois, aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité� » et à l'article 54 « le conseil de sécurité doit, en tout temps, être tenu pleinement au courant de toute action entreprise ou envisagée, en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux, pour le maintien de la paix� » qui instaurent une hiérarchie certaine au profit de l'O.N.U. De telles dispositions limitent manifestement la liberté d�autonomie des institutions régionales dans la gestion des conflits locaux.

La contribution des organismes régionaux au maintien de la paix et de la sécurité internationales a également souffert de la période de la guerre froide qui a eu pour conséquence de bloquer les mécanismes de sécurité collective.

A cet effet, les dispositions du chapitre VIII n'ont connu qu'une exploitation limitée et souvent contraire à la lettre et à l'esprit de la Charte3. La fin de la guerre froide a fait disparaître l'usage quasi-systématique du veto qui paralysait son action ; d'où un rééquilibrage de l'organisation de la sécurité collective en faveur des organismes régionaux qui jouissent d'un regain d'intérêt. Ainsi, le Conseil de sécurité peut utiliser ces derniers comme organes d'exécution de mesures coercitives qu'il aura décidées ou pour autoriser celles entreprises par ces organes4. Mais tel qu'il a pris forme au fil des crises et de la pratique de l'O.N.U., le système de maintien de la paix se distingue

1 Voir, http : //www.presidence.ci 2 Résolution 1464 (2003) du 4 février 2004, Rés.1528 du 27 février 2004. 3 BOUTROS-GHALI (B), Agenda pour la paix, doc A/47/277, New York, 1992, p. 38. 4 DEGNI-SEGUI (R), Commentaire de l'article 24, in Cot (JP) et Pellet (A) dir., la Charte des Nations Unies, 2è édition, Économica, Paris, 1991, p. 580.

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de l'action coercitive originellement envisagée au chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Dès lors, la subordination des organismes régionaux à l'organisation universelle, clairement stipulée à l'article 53 de la Charte au sujet de l'adoption de mesures de coercition1 et l'autorisation que le conseil de sécurité devrait préalablement donner dans ce domaine, peuvent ne plus apparaître comme obligatoires s'il faut considérer que les opérations de maintien de la paix ne constituent pas des mesures ou des actions coercitives au sens strict.

Cette position a été soutenue par les États-Unis lors de la crise dominicaine ; ils ont à l'époque, défendu l'opinion qu'une autorisation du Conseil de Sécurité n'était pas requise pour une force de maintien de la paix2.Après le déclenchement de la crise ivoirienne, les États membres de la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.), avaient dépêché une force d'interposition entre les deux belligérants en vue d'établir la sécurité et s'étaient juste contentés d'informer a posteriori le secrétaire général de l'O.N.U. des mesures prises pour stabiliser le pays. Par la suite, la C.E.D.E.A.O. adresse au secrétaire général de l'O.N.U., en date du 24 novembre 2003, une demande tendant à ce qu'une opération du maintien de la paix soit créée en Côte d'Ivoire3.Une telle initiative ouest africaine peut s'expliquer à la lumière de l'intervention de la Ligue arabe au Koweït4. Pour justifier l'intervention de la force de la ligue arabe au Koweït sans autorisation préalable de l'O.N.U., Hussein A. Hassouna explique que la force de la ligue n'était pas dirigée contre l'Iraq comme État agresseur, mais a été établie pour protéger le Koweït. Elle avait donc le caractère d'une force de maintien de la paix et non d'une force coercitive requérant l'autorisation du Conseil de sécurité : �it ougth to be notice that such a force, although established for Kuwait's protection against an Iraqi threat of annexation, was not specifically directed �against� Iraq as an agressor state. Consequently, the character of the force was that of �peace-keeping� operation distinct from any �enforcement action� which, under article 53 of the United Nation Charter, shall not be undertaken by regional arrangements without the authorization of the Security Council�5.

1 ERKKI KOURULA, Peace keaping and regional arrangements, in Antonio Cassese, United Nations Peace-Keeping, Legal Essays, Sijthoff & Noordhoff, The Netherlands, 1978, p. 99. 2 Ibid., p. 116. 3 Cf., Résolution, CS, 1528 (2004), 27 février 2004. 4 Ridha Kéfi, L�Irak envahit le Koweït, Jeune Afrique, 30 juillet 2006. 5 HUSSEIN HASSOUNA, The League of Arab States and Regional Disputes, pp. 125-126 ; Voir aussi, Boutros- Ghali, La Ligue des États Arabes, RCADI ? 1972, III, vol. 137, p. 53.

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En revanche, la situation parait tout à fait différente, suite à l'intervention coercitive des troupes interaméricaines à Saint-Domingue1. Cette action avait suscité un véritable débat quant à la portée de l'article 53, paragraphe 1 de la Charte des Nations unies : L'Union Soviétique avait, en effet, contesté le droit pour un organisme régional de prendre des décisions et d'adopter des résolutions dans un domaine qui ressortit exclusivement de la compétence du Conseil de sécurité puisque aucune action coercitive ne peut être entreprise sans son autorisation2. Sans diverger sur le fait que les mesures de coercition demeuraient une prérogative du Conseil de sécurité, le représentant américain réservait à la force interaméricaine, une qualification qui la maintenait en dehors de la catégorie visée par l'article 53, paragraphe 1.

Même si les États-Unis ont admis plus tard que le rôle du Conseil de Sécurité en matière d'autorisation des opérations de maintien de la paix n'était pas contestable3, l'expédition punitive récente des forces américaines sur le territoire iraquien avec en prime l'arrestation de Sadam Hussein, nous donne à penser que le respect des dispositions de la Charte des Nations Unies est loin de faire partie de leurs préoccupations. Il convient donc de noter que le consensus concernant l'autorité du conseil de sécurité dans le domaine du maintien de la paix a servi de fondement à l'opinion selon laquelle « l'argument que les accords régionaux peuvent prendre des mesures de maintien de la paix sans l'approbation du Conseil de Sécurité est en contradiction aiguë avec l'évolution récente de la pratique des Nations Unies dans les affaires de sécurité »4. Mais lorsque l'Organisation de l'unité africaine, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (O.T.A.N.) ou celle des États américains indiquent une orientation vers une plus grande supervision des Nations Unies s'agissant de maintien de la paix5, il n'apparaît pas que les troupes américaines en Iraq ou plus loin dans le passé, une instance régionale comme la Ligue des États Arabes se soient conformés à une telle exigence, en particulier lorsqu'elle a doté l'intervention des troupes syriennes au Liban, en 19766, d'un cadre institutionnel régional notamment en lui adjoignant des forces mises à disposition par d'autres États Membres de l'organisation à vocation arabe. Rien n'indique non plus que les États hôtes aient consenti à de telles actions, ce

1 Les États Unis avaient juste adressé au Conseil de Sécurité une lettre l'avisant du débarquement de leurs troupes à Saint-Domingue, voir René-Jean Dupuy, Les États-Unis, L'O.E.A. et l'O.N.U. à Saint Domingue, p. 72. 2 DAVID WAINHOUSE, International Peacekeeping at Crossroads National Support, the John Hopkins University Press, Baltimore and London, 1973, pp. 346-347. 3 ERKKI KOURULA in Antonio Cassese, op. cit., 177. 4 Ibid., p. 117. 5 MAMADOU ALIOU BARRY, La prévention des conflits en Afrique de l'Ouest, éditions Karthala, 1997, p. 132. ; Erkki Kourula in Antonio Cassese, op. cit., 117. ; Manuel de l'O.T.A.N. : Partenariat et Coopération, O.T.A.N.-Bureau de l'information et de la presse, Bruxelles, juin 1996, p. 63. 6 A propos de la situation du Liban en 1976.

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qui apparaîtrait tout à fait absurde, notamment dans la crise iraquienne eut égard aux vives protestations élevées face à ce que les premières autorités (iraquiennes) et la communauté internationale ont considéré comme une agression1. En outre, concernant le consentement, il convient de noter que « la constitutionnalité d'un acte ne repose pas sur le consentement d'un État, mais sur les stipulations de la charte des Nations Unies. Le consentement de l'État hôte à une opération de maintien de la paix sur son territoire peut être la preuve de la légalité de l'activité, sans pour autant être concluante »2.

En dépit de la référence constante faite par L�organisation de l�unité africaine (O.U.A.) au principe de non-intervention dans les affaires intérieures des États (article 3, alinea 2), l�organisation panafricaine se reconnaît compétente en matière de conflit intra étatique pouvant survenir sur le continent Africain. C�est à ce titre que l�O.U.A. décide l�envoi d�une force de maintien de la paix dans un État membre, confronté à la rupture de l�ordre public et de la paix civile3. L�O.U.A. fonde sa compétence d�intervention dans les conflits internes sur la responsabilité particulière qu�elle aurait de maintenir la paix et la sécurité en Afrique.

En fait, une organisation internationale de caractère politique ne peut se désintéresser de l�ordre interne car les crises intérieures sont susceptibles de mettre en péril le développement et la coopération entre États. Toutefois, il convient de rappeler avec Boutros-Ghali qu�aux termes de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité a � et continuera d�avoir � la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Mais l�action régionale, par le biais de la décentralisation, de la délégation et de la coopération aux efforts de l�O.N.U., pourrait non seulement décongestionner la charge du Conseil de sécurité, mais contribuer également à la création d�un sentiment plus fort de participation, de consensus et de démocratisation en ce qui concerne les affaires internationales4. Malgré tout, le traité constitutif de l�Organisation panafricaine, observe un vide juridique dans le domaine préoccupant de la gestion des conflits armés intra étatiques. La nécessité s�impose donc qu�une réforme institutionnelle dans le sens du maintien de la paix sur le continent africain voit le jour. A cet égard, il reste à

1 A propos de l'intervention américaine en Iraq qualifiée d'agression et la protestation. 2 ERKKI KOURULA, op. Cit. p.118. 3 En 1981, l�O.U.A. décide de la création et de l�envoi d�une force interafricaine de maintien de la paix en vue de la gestion du conflit tchadien. Au sommet de Banjul, l�O.U.A. par la voix de son secrétaire général a déclaré que rien dans la Charte de cette organisation n�interdisait une intervention dans un pays, où le président fait ou laisse tuer ses concitoyens, voir Libération, 9 août 1990. 4 BOUTROS BOUTROS-GHALI, Agenda pour la paix, op. cit., p. 40.

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déterminer si les institutions africaines inscrivent véritablement leurs actions dans cette dynamique de maintien de la paix en Afrique.

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CHAPITRE II : L�ORGANISATION PANAFRICAINE À L�ÉPREUVE DES CONFLITS ARMÉS INTERNES

Dans le domaine des conflits, l�Organisation de l�Unité Africaine, en raison de sa Charte constitutive et de la réticence à adopter des principes et user de méthodes rigoureuses, n�a pu permettre l�élaboration d�un système juridique complet. L�organisation n�a pas non seulement réussi le pari de l�unité du continent qui reste sa base doctrinale, mais elle n�a pas non plus réussi à asseoir des mécanismes opérationnels et efficaces face aux conflits armés sur le continent. En tout état de cause, il convient de voir, comment sur une base factuelle, cette organisation réagit face aux conflits armés internes aux États membres, en relevant si possible le constat d�échec de l�organisation panafricaine en la matière.

Par ailleurs, mus par le désir de marquer une nette rupture dans l�apprehension des conflits armés internes et leur gestion, les États africains créent l�Union Africaine, la volonté étant hautement proclamée de faire entrer l�institution panafricaine dans une ère de prise de conscience et de responsabilités suffisantes par les africains.

Section I : L�échec de l�Organisation de l�Unité Africaine (O.U.A.) dans la gestion des conflits armés

Le traité constitutif de l�O.U.A. établit entre les parties un système conventionnel de non-intervention. En conséquence, figurent parmi les principes que les États membres « s�engagent à observer scrupuleusement » : l�égalité souveraine des États, la non-intervention, l�interdiction de la subversion et de l�assassinant politique. Encore que l�O.U.A. ayant très souvent la volonté d�isoler le conflit interne pour préserver la paix dans la région et éviter la transformation d�une guerre civile en une guerre internationale, demande aux États membres de s�abstenir et de se garder de prendre part au conflit. Le vide juridique en matière de règlement des conflits armés internes

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sur le continent est réel. Pourtant l�Organisation panafricaine n�exclut pas sa responsabilité dans le maintien de la paix en Afrique.

Pour avoir pris la mesure de cette défaillance et des responsabilités qui sont les siennes sur le continent noir, l�Organisation panafricaine a mis en place un nouveau mécanisme de gestion des conflits, dit « mécanisme du Caire de 1993 ». Mais face à l�énorme attente dans le domaine sécuritaire, nous verrons que très tôt, ce mécanisme du Caire va montrer ses limites.

PARAGRAPHE I : UN VIDE JURIDIQUE EN MATIÈRE DE GESTION DES CONFLITS ARMÉS INTERNES

Ce vide se manifeste dans les principes régissant le fonctionnement de l�O.U.A. Toutefois, l�Organisation panafricaine ne décline pas sa compétence dans le règlement des crises qui déchirent le continent africain.

A � LES PRINCIPES RÉGISSANT LE FONCTIONNEMENT DE L�O.U.A.

A l�issue de la Conférence d�Addis-Abeba, les chefs d�État et de Gouvernement africains et malgache fixaient les objectifs de l�organisation qu�ils fondaient sur la Charte de l�unité africaine1. L�O.U.A. constitue en principe, le cadre juridique régissant les rapports entre les États membres de l�institution. A cet égard, l�article 2-1-a de la Charte souligne que l�un des objectifs de l�O.U.A. consiste dans le renforcement de l�unité et de la solidarité des États africains et malgache.

En fait le panafricanisme est une idéologie de l�intégration du continent africain, développée bien avant les indépendances. Dans l�entendement des pionniers et promoteurs de cette idéologie (Kwame Nkrumah président du Ghana, Julius Nyerere de la Tanzanie Ahmed Sékou Touré de la Guinée�), le panafricanisme a pour but de fonder une démarche intégrationniste vers l�unité africaine. Le projet panafricaniste

1 Charte du 25 mai 1963 créant l�Organisation de l�unité africaine, texte in : Colliard-Manin, T. 1, vol.2, p. 604. Déjà, par la Charte de l�Organisation interafricaine et malgache, du 20 décembre 1962, les parties avaient inclus parmi les principes adoptés pour parvenir à leurs objectifs, « la non-ingérence dans les affaires intérieures des États membres », le « respect de la souveraineté et de l�intégrité territoriale de chaque État et de son droit inaliénable à une existence indépendante » ; de plus, les États membres condamnaient « sans réserve toute activité subversive de la part d�États voisins ou d�autres États ». Texte ibid., p. 598. Il s�agit de l�article 3. Cette Charte n�est jamais entrée en vigueur.

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consiste à parvenir à réaliser l�idéal d�unification du continent par une rupture du pacte frontalier imposé aux pays africains par la conférence des puissances coloniales à Berlin en 1885 et de parvenir à un même et unique État : les États-Unis d�Afrique.

Aujourd�hui, c�est l�Europe qui offre le mieux l�illustration d�une intégration des nations. L�unité culturelle, religieuse et économique, l�allégeance collective des États membres de l�Union européenne à un modèle de démocratie représentative, favorisent la formation d�un ensemble où la diversité est la force de l�unité et de la communauté et non un avatar.

La question est de savoir si cette approche analytique des paradigmes classiques de l�intégration peut être adoptée pour ce qui concerne l�intégration africaine.

Nous pensons que le caractère hybride du panafricanisme, tel qu�il a été développé et mené depuis les indépendances et la détermination des États africains à préserver en tout état de cause leur souveraineté si durement conquise, rendent jusqu�à ce jour difficile et inopérante toute politique fédéraliste ou intégrationniste. Le panafricanisme tant vanté reste donc un discours difficile à traduire dans les faits. Ce qui importe pour les dirigeants, c�est d�abord l�existence des États, avec leurs espaces nationaux et leurs populations respectives et avec les titres de compétence que constituent territoires et nationalités. D�ailleurs, l�article 3 alinéas 1, 2 et 3 affirme l�égalité souveraine des États et le respect de la souveraineté et l�intégrité territoriale de chaque État.

Ainsi, quand le conflit nigérian éclate en 1967, la Conférence des chefs d�État et de Gouvernement de l�O.U.A. réunie à Kinshasa du 11 au 14 septembre 1967 en sa quatrième session précisa les positions de l�O.U.A. La Conférence, après avoir affirmé son adhésion aux principes relatifs au respect de la souveraineté et de l�intégrité territoriale des États, condamna sous une forme générale les actes de sécession intervenus ou pouvant intervenir dans tout État membre. L�affaire du Biafra fut cernée comme relevant de la compétence nationale exclusive de l�État du Nigeria et du gouvernement fédéral auquel la conférence renouvela sa confiance.

Dans le conflit libérien, malgré les graves atrocités qu�il a engendré, l�O.U.A. s�est retranchée derrière le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États tel qu�il est stipulé dans la Charte. Le rôle de l�Organisation régionale a été limité à la participation aux réunions organisées par la C.E.D.E.A.O., au soutien diplomatique des actions politiques et militaires menées aux niveaux internationaux et régionaux et à des visites ponctuelles rendues aux parties au conflit. En Somalie, suite à la dégradation de

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la situation, l�O.U.A. a proposé en mai 1991, la tenue d�une conférence de paix, mais, celle-ci a rencontré si peu d�écho auprès des belligérants que son président en exercice d�alors, le sénégalais Abdou Diouf, fut obligé de la retirer le 30 septembre 1991 devant l�Assemblée générale des Nations Unies. Par la suite l�O.U.A. a joué un rôle marginal dans ce conflit qui a complètement désagrégé l�État somalien et fait plusieurs milliers de morts.

Le constat est donc que face aux conflits armés internes en Afrique, l�O.U.A. s�en tient pour l�essentiel à des affirmations Solennelles. En effet toute l�action de l�organisation panafricaine consiste généralement dans les résolutions consistant à inviter les États membres à s�abstenir de tout acte pouvant aggraver le conflit. L�O.U.A. se contente d�offrir ses services aux parties au conflit sans intervention directe. Le président du Liberia William Tolbert, a mis en cause le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, « devenu une excuse pour notre silence devant les actions inhumaines commises par des africains contre des africains »1.

En fait, le principe de non-intervention implique par ailleurs la non subversion ainsi que la condamnation de l�assassinat politique, ce qui constitue une innovation par rapport à la définition de la non-ingérence généralement admise en droit international. Le principe de la non-ingérence a été repris, clarifié et développé par de nombreuses résolutions adoptées aussi bien par le Conseil des Ministres que par la Conférence au sommet2. Il convient toutefois de relever comme le souligne Boutros Boutros-Ghali, que c�est au cours de la seconde session de leur conférence annuelle tenue à Accra du 21 au 25 octobre 1965 que les chefs d�État africains ont tenté un véritable effort doctrinal visant à analyser le principe de la non subversion et à édicter des règles précises pour établir ce principe dans l�ordre normatif africain3. Au titre des actes constitutifs de la subversion, les leaders africains décèlent : les activités subversives menées à partir d�un État africain contre un autre pays africain ; les activités subversives non africaines menées contre un État à partir du territoire d�un autre État africain ; toute forme de subversion conçue, organisée ou financée par des puissances étrangères soit contre l�Afrique, soit contre l�O.U.A. ou l�un quelconque de ces membres.

1 Le Monde, 19 juillet 1979. 2 La résolution AHG /RES. 85 (XIV), lors de la 14è session ordinaire de la Conférence des chefs d�État et de Gouvernement a adopté un ensemble de règles portant sur la prohibition des interventions dans les affaires intérieures des États africains. Il s�agit là à n�en point douter, de l�interprétation la plus complète et la plus autorisée de l�alinéa 2 de l�article 3 de la Charte de l�O.U.A., qui fixe pour ainsi dire, les éléments constitutifs du principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États tel que conçu par l�O.U.A. 3 BOUTROS BOUTROS-GHALI, l�Organisation de l�unité africaine, p. 44-45.

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La « déclaration sur le problème de la subversion » énumère ensuite les règles visant à renforcer le principe de la non subversion : combattre individuellement ou collectivement et par tous les moyens disponibles, toutes les formes de subversion ; s�abstenir de lancer contre tout État une campagne de presse ou de radio�, ne pas susciter de dissension, ni à l�intérieur d�un État membre de l�Organisation de l�unité africaine ni entre États membres en fomentant ou en aggravant des différends d�ordre social, religieux, linguistique, ethnique ou autre ; s�efforcer de favoriser le retour des réfugiés dans leur pays d�origine, avec leur consentement1. Pourtant de nombreux États africains ont accueilli pour diverses raisons, des opposants sur leur territoire, leur fournissant protection, armes ainsi que toutes les facilités nécessaires à la poursuite de leurs activités politico déstabilisatrices sur le territoire de leurs propres États. Le président burkinabé dont le pays est accusé par les autorités ivoiriennes, de servir de base arrière au mouvement rebelle qui occupe la partie septentrionale de la Côte d�Ivoire, ne nie pas son implication dans le conflit libérien des années 902. Le Conseil des Ministres, réuni en sa 28è session ordinaire à Lomé, au Togo, du 21 au 28 février 1977, avait voté la résolution CM/Res.527 (XXVIII) par laquelle il avait condamné énergiquement l�agression armée contre la République populaire du Bénin, et rejeté de manière catégorique toute ingérence dans les affaires intérieures des États africains, que celle-ci provienne d�un autre État africain ou d�une source extracontinentale. La violation récurrente de ces principes a également été dénoncée au sein des États membres de la Ligue arabe3. Ce fut le cas lors de la guerre du Liban en 1975, et dont le territoire avait été transformé en théâtre de guerre privilégié d�une variété de conflits régionaux et de confrontations internationales. Ces agissements avaient d�ailleurs été énergiquement dénoncés par les autorités libanaises4, car contraires au pacte de la Ligue arabe. En effet, le préambule du dit pacte souligne que le but de l�organisation est de consolider les liens entre les États arabes « sur la base du respect de l�indépendance et de la souveraineté de ces États » ; et dans son prolongement, l�article 2 réitère que toute collaboration aura lieu en tenant compte et « dans le cadre du régime respectif et de la situation de chaque État ». L�obligation de non-ingérence est explicitement consacrée à l�article 8 du pacte de la Ligue.

1 Voir texte de la « déclaration sur le problème de la subversion », déclaration AHG/Res. 27 (II) du 25 octobre 1965, in Résolutions et déclarations adoptées par la conférence des chefs d�État et de Gouvernement, 1963-1983, p. 37. 2 Voir Jeune Afrique, 7 mai 1991. 3 La Ligue arabe est une institution régionale s�ur de l�O.U.A. Ces deux organisations régionales sont basées sur les mêmes grands principes et ont en commun un certain nombre d�États tous du continent africain : la Mauritanie, le Maroc (sorti de l�O.U.A.), la Tunisie, la Libye, l�Égypte, le Soudan, La Somalie, Djibouti, les Iles comores. 4 Lors d�une réunion, le 22 mai 1975 avec les ambassadeurs arabes accrédités à Beyrouth, le président de la République libanaise fera état d�un soutien financier considérable fourni par certains pays arabes ; cf. Le Livre Blanc libanais � Documents Diplomatiques 1975-1976 ; Ministère des affaires étrangères et des libanais d�Outre-Mer, Beyrouth, 1976, pp. 14-15.

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En Afrique, lors de la guerre du Biafra, certains gouvernements africains ont eu des agissements contraires aux principes de l�O.U.A. Ainsi, le 23 janvier 1969 à paris, le président Houphouët Boigny, parlait du destin respectif des deux États du Biafra et du Nigeria alors que les résolutions de l�O.U.A. insistaient sur l�unité du Nigeria et sur son intégrité territoriale. Par ailleurs, Il est évident qu�une interprétation rigide du principe de non-ingérence tel que prévu dans la Charte de l�O.U.A., réduit l�effectivité de son action, le maintenant bien souvent dans un rôle de spectateur, même lorsque les conséquences des conflits sont très graves sur le plan humanitaire.

Pourtant, l�organisation panafricaine n�a jamais décliné sa responsabilité face aux conflits armés internes en Afrique, bien au contraire, elle se reconnaît compétente pour intervenir dans les guerres civiles afin d�apporter ou une solution ou un apaisement1.

B � LA COMPÉTENCE DE L�O.U.A. DANS LE RÈGLEMENT DES CONFLITS

Compétente à l�égard des conflits pouvant opposer les États membres, le règlement pacifique des différends dans un cadre africain est l�un des principes sur lesquels repose l�O.U.A. Toutefois, aucune disposition expresse de la Charte ne donne nommément à l�organisation africaine la mission de maintenir la paix, ne définit les différents types d�actions que celles-ci pourrait entreprendre et ne met en place aucun mécanisme de répartition des tâches entre les organes principaux. En outre, contrairement au système de règlement pacifique des différends élaboré par les rédacteurs de la Charte des Nations Unies en son chapitre VI (articles 33 à 38), l�Organisation panafricaine n�est compétente que si les parties au conflit décident de s�adresser à elle pour en connaître2.

En fait l�O.U.A. ne peut pas se saisir elle-même d�un litige, et les États, de leur côté, n�ont d�autre obligation que de s�abstenir d�user de la force ; étant entendu que le Conseil de sécurité peut enquêter pour déterminer si la prolongation d�un désaccord

1 La réunion extraordinaire de l�O.U.A. qui eut lieu à Addis-Abeba le 10 septembre 1964 à propos du Congo adopta une résolution demandant aux États membres de s�abstenir de toute action pouvant aggraver la situation. Dans la mesure où l�assistance aggrave le conflit elle est frappée d�interdiction ; l�O.N.U. exerce en la matière une compétence spontanée ou sollicitée. A propos du Congo, elle créa une commission spéciale chargée d�aider le gouvernement de la république démocratique du Congo à réaliser la réconciliation nationale. La résolution de l�O.U.A. de septembre 1964 demandait aux États non africains de mettre un terme à leur ingérence. 2 Il convient de rappeler qu�aux termes de l�article 33 de la Charte des Nations Unies, « 1. Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer la paix et la sécurité internationales, doivent en chercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d�enquête, de médiation, de conciliation, d�arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d�autres moyens pacifiques de leur choix. 2. Le Conseil de sécurité, s�il le juge nécessaire, invite les parties à régler leur différend par de tels moyens ».

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« semble devoir menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales » (article 34 de la Charte de l�O.N.U.). Pour le règlement des conflits africains qui pendant longtemps ont essentiellement porté sur des questions de frontières terrestres ou maritimes, les gouvernements intéressés s�en remettaient à des procédés juridictionnels de résolution des différends, comme en témoigne le nombre relativement élevé d�affaires portées devant la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) ou devant des tribunaux arbitraux (Cameroun/Nigeria, Guinée/Guinée-Bissau, Burkina Faso/Mali, Guinée-Bissau/Mali�).

D�une manière générale, on constate que « la multiplication des saisines des juridictions internationales en Afrique, confirme l�engagement progressif des États africains en faveur de la solution des différends sur la base du droit1. Toutefois, le cadre de règlement politique des conflits interétatiques conserve toujours son intérêt ; dans la mesure où il s�agit de mesures non contraignantes, parfaitement adaptées aux conflits africains qui sont essentiellement de nature politique et très personnalisés. Mais en lieu et place des commissions, ce sont les comités ad hoc qui mettent en �uvre le processus de règlement des conflits africains. Dans ce domaine, l�O.U.A. exerce une compétence concurrente avec la Ligue des États arabes2. A cet égard, il est évident que s�il s�élève un conflit entre deux États membres de l�O.U.A. et de la Ligue arabe, l�organisation panafricaine est autant compétence que la Ligue. En octobre 1961, suite à la rupture par la Syrie de son union avec l�Égypte, est né entre ces deux États un litige porté devant la Ligue arabe3. Dans le différend frontalier qui a opposé le Soudan à Égypte en 1958, le gouvernement soudanais avait demandé une convocation urgente du Conseil de sécurité en même temps qu�il sollicitait formellement de la ligue arabe (l�O.U.A. n�existait pas à cette date) « ses bons offices dans ce différend entre deux de ces États membres »4. Plus difficile fut la situation conflictuelle frontalière qui s�est élevée entre le Maroc et l�Algérie, en octobre 1963.

Dès le déclenchement de ce conflit, alors que le gouvernement algérien initiait la convocation d�une réunion extraordinaire du conseil des ministres de l�Organisation de l�unité africaine, les autorités marocaines au contraire soumettaient le différend aux Nations Unies et rejetaient, de ce fait, le recours à l�Organisation panafricaine. Mais

1 RAYMOND RANJEVA, La juridiction internationale et l�Afrique, in Numéro spécial : la justice en Afrique, Afrique contemporaine, n° 156, 4è trimestre 1990, p. 288. 2 La Ligue arabe est une association basée sur la solidarité des pays arabes, constituée en 1945 entre l�Arabie Saoudite, l�Égypte, l�Iraq, la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen, à laquelle adhère la Libye (1953), le Soudan (1956), la Tunisie et le Maroc (1958), le Koweït (1961), l�Algérie (1962), le Bahreïn, le Sultanat d�Oman, le Qatar et la République de Djibouti (1977). 3 HUSSEIN A. HASSOUNA, op. Cit., pp. 167-168. 4 Ibid, p. 51.

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l�intensification des combats entre ces deux nations provoqua l�intervention de la Ligue arabe1. Alors que la mission de médiation était engagée par des consultations avec les deux gouvernements protagonistes, l�annonce d�une réunion des deux chefs d�État, algérien et marocain, sous des auspices africains venait mettre un terme aux activités de la Ligue arabe dans ce conflit. Le règlement du conflit s�inscrira alors dans le cadre de l�O.U.A., le conseil des ministres de l�Organisation approuvant et adoptant l�accord préalablement conclu entre les deux parties.

Il convient surtout de souligner que dans sa quête de promotion de paix sur le continent africain, l�O.U.A. avait mis en place la Commission de Médiation de conciliation et d�Arbitrage. En effet l�article 19 de la Charte de l�O.U.A. régissant le règlement pacifique des différends, prévoyait l�institution d�une Commission de Médiation et d�Arbitrage dont la mise en place sera finalisée par le protocole du Caire du 21 juillet 1964. Pour beaucoup d�observateurs, ce protocole du Caire présentait un cadre plus adapté au règlement des conflits en ce sens qu�il constituait l�expression juridique du régionalisme africain. J. M. Bipoum-Woum parle, lui, d�une « expression juridique de la conception continentale que les africains se font du principe de non-intervention en droit international »2, puisque, par ce texte, ils ont manifesté leur volonté d�éviter toute ingérence étrangère dans les questions « intimes » de la « famille africaine ».

Toutefois, la Commission a très peu été sollicitée car les conflits africains ont été rarement soumis à sa compétence. En fait les États ont généralement eu recours aux modes diplomatiques (médiations et bons offices) dans leurs tentatives de résolution des conflits africains. Cette situation pourrait s�expliquer par le fait que la Commission de médiation et d�arbitrage n�était q�un organe permanent ayant compétence pour trancher les différends interétatiques. Or, tout processus de règlement de conflit requérait l�accord des deux parties au conflit. Compte tenu de la difficulté à obtenir cet accord avant toute entame de procédure de règlement, la Commission se morfondait dans un vide et restait frappée d�inertie. Cette Commission a vu le jour bien après la survenance du conflit Algérie/Maroc, dite la « guerre des sables », en 1963 et l�éclatement du conflit Somalie/Kenya en 1964. Pour faire face à ces conflits, il avait fallu improviser des méthodes ad hoc dont le succès avait suffi à entraîner la déshérence ultérieure de la Commission. Ces structures ad hoc

1 Ibid, p. 216. 2 J.M. BIPOUM-WOUM, Dans le droit international, L.G.D.J., Bibliothèque africaine et malgache, 1970.

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composées de hautes personnalités vont jouer un rôle important dans le processus de règlement des conflits.

Dans le cas du conflit Algérie/Maroc, la gestion du conflit est confiée aux président Modibo Keita du Mali et à l�empereur Hailé Sélassié d�Éthiopie. La médiation conduite par ces personnalités prestigieuses a abouti à un cessez-le-feu. Elles donnaient ainsi l�impulsion à une série d�actions qui aboutiront plus tard à la signature du traité de solidarité et de coopération d�Ifrane en 1969, l�accord cadre de Tlemcem en 1970 et la convention de Rabat sur la frontière en 1972. Il suit donc de ce qui précède que si la Commission avait du mal à faire valoir son autorité, c�est que la diplomatie africaine attache une importance au protocole, au rang de la personne avec qui on négocie. En général ce sont les dirigeants africains, chefs d�État bénéficiant de prestige au sein de l�O.U.A. qui mènent les médiations en vue de sortie de crise. Plus encore, les médiations informelles, les missions de bons offices engagées sous l�initiative de souverains, de chefs traditionnels, de guides spirituels� apparaissent dans plusieurs cas comme plus en phase avec la réalité sociologique du continent. Ces entités sont perçues comme moins imbues du juridisme occidental considéré comme contraignant. Même dans le cas des conflits armés internes plus nombreux et exclus du champs d�intervention de la Commission, c�est encore le rituel médiatico politique que revêt l�intervention « personnalisée » des chefs d�États qui retrouve son empire.

En fait l�O.U.A. fonde sa compétence d�intervention dans les conflits internes sur la responsabilité particulière qu�elle aurait de maintenir la paix et la sécurité en Afrique. Elle va alors s�impliquer dans de nombreux conflits. C�est ainsi qu�à plusieurs reprises, des tentatives de règlement des conflits seront entreprises par la Conférence des chefs d�État et de Gouvernement. Ces méthodes de règlement des conflits sont activées dans l�affaire du Sahara occidental. Les tentatives de médiation ont été initiées tant par le colonel Kadhafi de la Libye que par les présidents sénégalais Léopold Sédar Senghor et ougandais Idy Amin Dada. Lors de la crise tchadienne, les offres de conciliation ont été conduites tant par le président Eyadema du Togo en avril 1980 que par les présidents camerounais et nigérien.

Lors du conflit congolais des années 1960, sur initiative du gouvernement central, une session extraordinaire du conseil des ministres de l�O.U.A. se tient du 5 au 10 septembre 1964, et adopte la résolution ECM/Res 5 (III), par laquelle l�Organisation se déclare compétente pour « tout problème ou différend affectant la sécurité et la paix sur le continent ». Il fut créé à cet effet une commission ad hoc dont il ne résultait aucun examen au fond de la crise congolaise de 1964. Il aura fallu l�intervention

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américano-belge pour étouffer les velléités sécessionnistes kantagaises (Congo). Mais l�O.U.A. essayera surtout de s�illustrer dans le conflit nigérian déclenché en 1967. Au cours de cette guerre, l�O.U.A. dépêcha auprès du gouvernement fédéral une commission de bons offices1. La conférence des chefs d�État réunie à Alger du 13 au 16 septembre 1968 « lança un appel aux dirigeants sécessionnistes » pour qu�ils coopèrent avec les autorités fédérales en vue de restaurer la paix et la sécurité au Nigeria2.

Dans le cas du conflit armé libérien, l�Organisation ne ménagera aucun effort diplomatique et politique pour tenter de trouver une issue positive au conflit, ainsi que l�exprime son secrétaire général : « nous ne pouvons laisser nos frères mourir au Liberia, sous prétexte que les combats dans ce pays constituent une affaire intérieure » et d�ajouter que rien dans la Charte de l�O.U.A. n�interdisait une intervention dans un pays, où le président fait ou laisse tuer ses concitoyens3. Toutefois, le rôle de l�O.U.A. dans ce conflit a été limité à la participation aux réunions organisées par la C.E.D.E.A.O., au soutien diplomatique des actions politiques et militaires menées aux niveaux internationaux et régionaux et à des visites ponctuelles rendues aux parties au conflit. La participation de l�O.U.A. aux réunions dans le cadre du processus de paix, impulsé et mené par la C.E.D.E.A.O., a été évoquée par le secrétaire général de l�époque, Salim Ahmed Salim, dans un entretien accordé à l�hebdomadaire Jeune Afrique en janvier 19964. « Au Liberia, l�O.U.A. a toujours été concernée par le processus de négociation entre les différentes parties, parfois sans que cela ne se sache. En 1990, à Banjul à l�occasion de la première décision qui a entraîné le déploiement de l�ECOMOG, j�ai salué cette avancée. La situation progresse doucement et j�irai même jusqu�à dire que le Liberia est un cas type qui permet de tester la volonté de la communauté internationale face à cet effort des pays africains ».

En fait, durant toute son histoire, l�O.U.A. se voit confrontée à des situations délicates et controversées. A chaque fois qu�elle décide d�intervenir dans un conflit interne, elle se heurte au principe de non-ingérence inscrit dans son propre traité constitutif et doit

1 La commission consultative de l�O.U.A. avait réussi à organiser à Niamey en juillet 1968, un entretien entre les représentants des deux parties au conflit. Cette conférence qui réunissait pour le Biafra le colonel Ojukwu et pour le Nigeria M. Antony Enahoro ne parvint à établir qu�un ordre du jour pour la rencontre prévue à Addis-Abeba : modalités d�un règlement définitif ; conditions pour la cessation des hostilités ; propositions concrètes pour l�acheminement des secours aux victimes de la guerre. 2 La commission consultative de l�O.U.A. avait réussi en juillet 1968 à Niamey à faire accepter par les deux parties au conflit la nécessité d�une nouvelle rencontre entre les deux délégations. Cette réunion qui se tint en avril 1968 à Addis-Ababa fut présidée par l�empereur Haïlé Sélassié, président de la commission consultative de l�O.U.A. Elle aboutit à un échec. 3 Libération, 9 août 1990. 4 Jeune Afrique n° 1827, 11-17 janvier 1996.

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motiver avec précaution une action qu�elle estime, devoir entreprendre au nom de la responsabilité qu�elle tiendrait de la Charte de préserver l�Afrique de la guerre. Lorsqu�une guerre civile risque même de gêner les relations entre États membres, l�Organisation hésite à intervenir sans l�accord tacite des États directement engagés dans le conflit1. L�O.U.A. par des méthodes souples essaie d�amener les parties au conflit à régler leur différend par la voie pacifique. L�alinéa 4 de l�article 3 qui en est le fondement juridique vise les conflits interétatiques, de sorte que c�est de la pratique de l�O.U.A. que résulte sa compétence en matière de règlement pacifique des conflits armés internes.

De l�état des actions de l�O.U.A., nous constatons que malgré les revers que l�organisation panafricaine a subi tout au long de son existence, elle a conservé une réelle puissance d�attraction comme en témoigne une forte participation à ses travaux qui d�année en année, ne s�est jamais démentie, et un maillage de plus en plus étendu de ses activités diplomatiques. Toutefois, le développement des conflits armés internes en Afrique, mais aussi l�impuissance de l�O.U.A. face au déferlement de la violence, a amené l�institution à entreprendre quelques réformes pour essayer de prévenir le déclenchement de ces conflits ou les circonscrire. C�est dans ce souci que le sommet du Caire s�est tenu en 1993 et donné naissance au mécanisme qui porte son nom.

PARAGRAPHE II : LE MÉCANISME DU CAIRE DE 1993 : UNE ÉVOLUTION DANS LA GESTION DES CONFLITS

Alors que la création de ce mécanisme avait suscité beaucoup d�espoir, dès qu�il a été question de le mettre en application, ce mécanisme a tout de suite montré ses limites.

A � LA MISE EN �UVRE DU MÉCANISME

Pour surmonter les difficultés qui, dans le passé, ont empêché l�Afrique de résoudre les conflits, il s�est avéré nécessaire de créer un mécanisme en vue d�insuffler un nouveau dynamisme institutionnel à l�organisation et de donner à celle-ci les moyens de sa

1 Au Nigeria, après le déclenchement de la guerre civile, consécutif à la sécession du Biafra, des voix (celles de MM. Kaunda, Nyerere, Obote�) se font entendre. Mais l�O.U.A. demeure silencieuse et ignore pendant longtemps la situation, ne voulant pas mécontenter le gouvernement fédéral nigérian, opposé à ce que l�affaire soit débattue au sein de l�Organisation. Et lorsqu�au sommet de Kinshasa, l�O.U.A. se décide enfin à évoquer la crise nigériane, elle insiste sur le fait que l�affaire du Biafra est « une affaire intérieure » (les résolutions postérieures ne manquent pas de le souligner également).

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politique, en lui accordant une place de choix dans le cadre de tous les efforts visant la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique1. A cet égard, sur rapport du Secrétaire général de l�Organisation de l�unité africaine (O.U.A.) présenté au sommet de Dakar en juillet 1992, le sommet du Caire du 30 juin 1993 adopte la « déclaration créant le mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique »2. Dans ce document, l�accent est mis sur la diplomatie préventive en tant que principal objectif. En cas de conflit, ce mécanisme aura la responsabilité de rétablir et de consolider la paix en vue de faciliter le règlement du conflit. A cette fin, l�O.U.A. peut décider le déploiement de missions civiles et militaires d�observation et de vérification de tailles et de durées limitées (article 15 de la déclaration du Caire). Toutefois, « au cas où les conflits dégénèrent au point de nécessiter une intervention internationale collective, l�assistance, et dans la mesure du possible, les services des Nations Unies seront sollicitées conformément aux dispositions générales de la Charte » (Déclaration paragraphe 16). Les dirigeants africains, pour justifier leur modeste objectif3, estiment qu�« en mettant l�accent sur les mesures d�anticipation et de prévention et sur l�action concertée de rétablissement et de consolidation de la paix, nous éviterons d�avoir recours à des opérations de maintien de la paix complexes et onéreuses que nos États auront des difficultés à financer ». Le nouveau mécanisme est composé d�un organe central : le bureau de la Conférence des chefs d�État d�un organe d�exécution : le Secrétariat général son bras opérationnel, auxquels viendra s�ajouter l�expérience d�éminentes personnalités africaines et d�un « fonds spécial » financé par 5 % du budget ordinaire de l�O.U.A. et par des contributions volontaires (y compris d�origine non africaine).

Le nouveau mécanisme a été inauguré au lendemain de la tentative de coup d�État de Bujumbura (Burundi), les 21 et 22 octobre 1993. L�Organe central s�est réuni au niveau des ambassadeurs et un envoyé spécial a été dépêché à la tête d�une mission d�enquête. Un deuxième test a été fourni par le différent frontalier entre le Nigeria et le Cameroun au sujet de la presqu�île de Bakassi en début 1994. Sur le Rwanda, et bien avant le déclenchement du génocide, une réunion de l�Organe central de l�O.U.A. au niveau des ambassadeurs s�est tenue le 13 septembre 1994 demandant le déploiement d�une force internationale. Ainsi, un groupe d�observateurs militaires

1 Voir Introduction du Rapport du Secrétaire général sur la création d�un mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, Publication de l�O.U.A., Addis-Abeba, 1993. 2 C�est la Déclaration AHG/Décl. 3 (XXIX). 3 Les objectifs nous paraissent modestes en ce sens qu�ils excluent les opérations de maintien de la paix, en ne privilégiant que les actions préventives et les mesures destinées à geler les hostilités en attendant l�aboutissement des médiations qui seraient alors entreprises.

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neutres va s�y déployer (c�est la troisième mission et le second groupe d�observateurs militaires neutres que l�O.U.A. envoyait sur le terrain dans ses efforts de recherche de paix au Rwanda) du 1er au 31 octobre 1993. La mission de ce groupe d�observation était la surveillance et la supervision de l�accord de cessez-le-feu conclu entre le gouvernement de Kigali et le F.P.R. à Arusha le 4 août 19931.

Le nouveau mécanisme de gestion de l�O.U.A. a servi de source d�inspiration au plan sous régional. des conflits a été une sour La Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.) s�est, en décembre 1999 dotée tel d�un mécanisme de prévention, gestion et de règlement des conflits. L�article 58 du traité de la C.E.D.E.A.O. de 1999 se réfère à des « mécanismes appropriés pour assurer la prévention et la résolution (�) des conflits inter- et intra étatiques ». Mais c�est surtout l�article 25 du dit mécanisme qui prévoit les conditions de sa mise en �uvre2. L�on a ainsi craint une interférence ou double emploi entre le mécanisme sous- régional et celui de l�organisation panafricaine. Mais il semble en réalité que ces deux échelons, loin d�être concurrents sont plutôt complémentaires.

Le témoignage de cette symbiose résulte de l�appel par l�O.U.A. en faveur de la décentralisation du mécanisme dans les différentes sous régions. A cet égard, face au conflit armé interne en Côte d�Ivoire, l�Union Africaine s�est dite persuadée de la compétence de la C.E.D.E.A.O. pour en connaître, car l�organisation sous-régionale est non seulement plus expérimentée et proche sur le plan géographique et géopolitique du c�ur du conflit, mais surtout parce que la C.E.D.E.A.O. est dotée depuis 1999 d�un mécanisme de prévention, gestion et règlement des conflits. La C.E.D.E.A.O. va dès lors s�impliquer de façon totale dans la recherche de solution au conflit ivoirien. Plusieurs accords de paix dont celui du cessez-le-feu sont alors signés sous les auspices de l�institution sous-régionale3. La C.E.D.E.A.O. qui enverra une force d�interposition en Côte d�Ivoire, sera précédée par la France qui accepte de déployer ses troupes sur le terrain en vue d�assurer le contrôle du cessez-le-feu4. L�Organisation de l�unité africaine ou l�Union Africaine en sa qualité de responsable

1 L�accord d�Arusha fixait le principe d�un régime démocratique et la création d�un gouvernement de transition. Le groupe d�observation de l�O.U.A. sera relayée plus tard par une mission des Nations Unies, la mission d�observation des Nations Unies en Ouganda-Rwanda, dont l�objectif était d�empêcher la circulation des armes entre ces deux États, voir : Résolution 846 (1993) du Conseil de sécurité en date du 22 juin 1993. 2 ANATOLE AYISSI, Coopération pour la paix en Afrique de l�Ouest, agenda pour le 21è siècle, UNIDIR, Nations Unies, Genève, 2001, p. 136. 3 Pour les différents accords : ACCRA I (29 septembre 2002), II (6-7 mars 2003), III (29-30 juillet 2004), Accord de Lomé 1er novembre 2002), de Pretoria (6 avril 2005), voir le site : www.presidence.ci. 4 PATRICK DE SAINT-PAUL, La France à la rescousse du cessez-le-feu, Le Figaro, 21 octobre 2002, p. 6.

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principale de la sécurité en Afrique a essayé de jouer sa partition dans le processus de règlement de la crise ivoirienne comme dans bien d�autres conflits.

La question du conflit ivoirien a été à l�ordre du jour dans nombres de réunions de chefs d�État et de Gouvernement de l�institution panafricaine, qui s�atèle également à la recherche de solutions des crises du Darfour soudanais, de la République démocratique du Congo, de la Somalie� En fait, par delà une prudence dictée par une plus juste appréciation de ses moyens et face à la complexité des enjeux internes qui sous-tendent les conflits africains, l�institution manifeste une réelle volonté de s�engager résolument dans une dynamique de paix sur le continent. Toutefois, force est de constater que malgré la volonté du Secrétaire général de l�O.U.A., Salim Ahmed Salim, de résoudre les conflits africains, réitérée notamment en mars 1994 devant une conférence d�organisations non gouvernementales, le mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, créé lors du sommet du Caire des 29 et 30 juin 1993, a très vite étalé ses limites.

B � LES LIMITES DU MÉCANISME

Le mécanisme du Caire dès sa création en 1993 avait suscité un réel espoir en matière de prévention, de gestion et de règlement des conflits en Afrique. Mais l�action préventive de l�O.U.A. n�a pas permis d�éviter l�éclatement de conflits en Côte d�Ivoire en septembre 2002, au Congo, ou au Rwanda qui a même connu un génocide en 1994 et en Somalie, où la recrudescence de la violence ne semble pas être entamée par la présence des troupes éthiopiennes sur le terrain�

En fait en s�en tenant au déploiement de quelques dizaines d�observateurs civils et militaires, comme ce fut le cas au Burundi, au Rwanda, au Liberia ou encore en Sierra Leone, l�Organisation de l�Unité Africaine (O.U.A.) n�a fait que se conformer aux directives inscrites dans les déclarations du Caire de 19931. En effet, il y est clairement stipulé que le mécanisme ne recouvre que « des missions d�observation et de vérification de taille et de durée limitées » à l�exclusion (est-il encore précisé) des « opérations de maintien de la paix complexes et onéreuses que les États auront des difficultés à financer ».

1 Il semble que c�est par souci de réalisme et d�efficacité, que les objectifs assignés au mécanisme ont été limités dans le paragraphe 15 de la déclaration du Caire, Voir Djiena Wembou Michel Cyr (1994), A propos du nouveau mécanisme de l�O.U.A. sur les conflits, Afrique 2000, n° 16, pp. 5-20.

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Le problème du coût financier des opérations est certes réel, mais le spectre de l�intervention dans les affaires intérieures d�un État se dressait dans la composition et le déroulement de ces missions. Du coup, afin d�éviter de porter atteinte à l�un des piliers du cadre normatif des relations internationales Africaines, à savoir le respect de la souveraineté des États membres, les chefs d�État ont fini par écarter toute structure régionale de maintien de la paix. En ce qui concerne ces opérations de maintien de la paix, la déclaration du Caire a prévu, dans son paragraphe 25, une étroite coopération avec d�autres organisations internationales, et principalement les Nations Unies. Lors du XXXIème sommet de l�organisation continentale tenu du 26 au 28 juin 19951, son Secrétaire général, Salim Ahmed Salim déclarait : « Je souhaite établir une nette distinction entre les notions d�observation de la paix, de maintien de la paix et d�imposition de la paix. Pour le moment nous concentrons non efforts sur l�observation de la paix, sans exclure la possibilité de maintenir la paix le cas échéant. Quant à la question d�imposition de la paix, elle n�a même pas été abordée ».

Une telle position nous paraît d�autant plus paradoxale qu�elle contredit le désir et la détermination des africains à prendre en charge le règlement de leurs conflits. Le traitement du conflit en République démocratique du Congo est à ce titre édifiant. Dès le déclenchement de ce conflit, les ministres des affaires étrangères de l�O.U.A., réunis le 12 novembre 1996 à Nairobi (Kenya), ont convenu de la nécessité d�un « déploiement rapide d�une force neutre » qu�ils n�envisageaient pourtant pas de mettre en �uvre mais attendaient et, certains d�entre eux, exigeaient l�intervention de la communauté internationale. En novembre 1996, au moment où l�envoi d�un contingent multinational était encore d�actualité, seuls Éthiopie, l�Afrique du Sud, le mali et le Sénégal s�étaient dits prêts à participer à l�opération.

Dans sa mission de maintien de la paix, le contingent africain (dans le cadre de l�Union Africaine) présent en Somalie n�est jusqu à ce jour constitué que de soldats ougandais. La modestie et l�insuffisance des actions menées par l�O.U.A. au Liberia ont également mis en exergue les limites de l�institution panafricaine dans sa gestion des crises. L�Organisation n�est jamais parvenu à les prévenir, encore moins à les résoudre.

Engagés dans des processus d�ajustement structurels difficiles, souvent impécunieux vis-à-vis de leurs fonctionnaires, « les États africains, contrairement à l�Europe ou aux États-Unis n�ont pas les moyens de leurs émotions et sont condamnés à mener une

1 Afrique relance, août 1995.

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diplomatie plus déclaratoire qu�humanitaire »1. Le Secrétaire général de l�O.U.A. pose le même diagnostic pessimiste dans son rapport pour le XXXIIème sommet de l�Organisation à Yaoundé (Cameroun) du 8 au 10 juillet 1996. Il estime que l�Organe central prévu par le mécanisme, rencontre encore aujourd�hui de nombreuses difficultés, dues essentiellement à « l�inexistence de la capacité d�appui requise »2. Ainsi, s�il est évident que l�accent mis sur le règlement des conflits reflète, non seulement un salutaire examen de conscience, mais aussi une recherche pragmatique de moyens d�action efficace et un éveil de l�O.U.A. Force est toutefois de constater que le manque de ressources et de structures opérationnelles, évoqué lors de chaque sommet annuel3, constitue l�obstacle majeur à l�implication active et concrète de l�Organisation régionale dans la gestion des conflits sur le continent africain.

Thierry Vircoulon ne dit pas autre chose lorsqu�il remarque que la diplomatie africaine n�est pas victime d�une « volonté retardée »4 par des analyses et des intérêts divergents, mais bien d�une « volonté bloquée »5, faute de moyens financiers. C�est pourquoi, pour faire face à la crise libérienne, l�Organe central du mécanisme du Caire6, réuni en sa cinquième session ordinaire les 18 et 19 septembre 1995 à Addis-Abeba (Éthiopie)7, a renouvelé son appel au Secrétaire général pour qu�il fournisse des ressources financières à prélever sur les fonds de l�O.U.A. et pour qu�il sollicite le soutien financier d�autres sources en vue d�aider l�ECOMOG à exécuter son mandat pour le désarmement au Liberia. L�impuissance de l�O.U.A. à assurer une gestion efficace des conflits armés internes en Afrique, rend compte du scepticisme ambiant sur l�aptitude de l�institution panafricaine à �uvrer significativement pour la paix en Afrique. Ce scepticisme est d�autant plus réel que, nonobstant l�apparition et la multiplication des conflits armés internes sur le continent noir, le ré-ajustage institutionnel n�a pas suivi.

L�approche interétatique des conflits a continué à prévaloir, rendant du coup impossible l�impulsion d�une politique optionnelle faite de rupture.

1 THIERRY VIRCOULON, Au c�ur des conflits, l�État, in l�Afrique face aux conflits, Afrique contemporaine, n° 180, octobre-décembre 1996. 2 Jeune Afrique Économie, n° 223, 5 août 1996. 3 Lors du sommet du Caire en juin 1993, le Secrétaire général de l�O.U.A., Salim Ahmed Salim, a reconnu que les arriérés des cotisations avaient atteint le chiffre record de 62 millions de dollars, voir, Jeune Afrique, n° 1695, 1-7 juillet 1993. 4 THIERRY VIRCOULON, op. cit., p. 206. 5 Ibid, p. 206. 6 Le mécanisme s�articule autour de l�Organe central, comprenant les chefs d�États des pays membres du bureau en exercice de la conférence des chefs d�État et de Gouvernement, et deux éléments opérationnels, le Secrétaire général de l�O.U.A. et son secrétariat, voir, Awwad Emad, Un mécanisme apte à prévenir et régler les conflits en Afrique, Défense nationale, novembre 1993, pp. 145-156. 7 Jeune Afrique, 11 janvier 1996.

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Mais consciente de ses limites dans la réalisation des aspirations des populations africaines dans le contexte actuel de l�environnement régional et international, l�O.U.A. a décidé d�aller plus loin notamment dans sa lutte pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits et contre les menaces de déstabilisation de chacun des États membres. Ainsi est née l�Union Africaine dont l�ambition s�inscrit irréfutablement dans une dynamique de pacification du continent africain.

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Section II : L�Union Africaine (U.A.) et la dynamique de paix en Afrique

Les conflits armés internes menacent sans cesse le développement du continent africain. Koffi Annan Secrétaire général des Nations Unies déclarait que « tant que l�Afrique ne sera pas venue à bout de ses conflits, les progrès resteront précaires même dans les pays éloignés du théâtre des hostilités »1. Les africains ayant pris conscience de ce que la stabilité intérieure et la paix extérieure demeurent inséparables du développement, il paraît tout à fait évident et légitime qu�ils recherchent ensemble cet idéal, si le développement du continent est leur objectif commun. Ainsi, conscients de la gravité du défi sécuritaire et déterminés à prendre toutes leurs responsabilités face à la dérive du continent, les dirigeants africains ont décidé lors du sommet extraordinaire de l�Organisation de l�unité africaine à Syrte (Libye), la création d�une nouvelle organisation appelée à la remplacer (déclaration de Syrte).

L�acte constitutif de la nouvelle institution a été adopté à Lomé, en juillet 2000. L�article 33 alinéa 1 de l�acte constitutif dispose que « le présent acte remplace la Charte de l�Organisation de l�unité africaine », autrement dit, l�Union Africaine succède à l�O.U.A. Le traité de l�Union Africaine est officiellement entré en vigueur lors du 38ème sommet de l�Organisation de l�Unité Africaine en juillet 2002 à Durban (Afrique du Sud). L�avènement de cette nouvelle institution va créer un véritable espoir en ce qu�elle pourrait constituer un point d�encrage de la volonté politique des chefs d�État et de Gouvernement de l�O.U.A. de s�engager résolument dans la dynamique de pacification du continent. Cet espoir est d�autant plus réel qu�en Afrique, la résolution des conflits s�apparente à un travail de sisyphe ; c�est-à-dire à un éternel recommencement. Ainsi, gérer ou manager les conflits à l�ère de l�Union Africaine revient, pour ainsi dire, à faire un défi à la relance de la renaissance dont la maîtrise détermine la pacification et la stabilisation durables des sociétés africaines. Tel est l�enjeu majeur2 de l�Union Africaine. Les dirigeants africains en créant l�Union Africaine ouvrent donc une ère nouvelle pour la paix, la sécurité et la stabilité du continent.

1 KOFI ANNAN, Afrique : plaidoyer pour un nouveau départ, in Jeune Afrique Économique N°297 P.110-112. 2 Le terme « enjeu » signifie dans sa définition la plus simple donnée par le dictionnaire universel de poche, ce que l�on risque de gagner ou de perdre dans une entreprise ou une compétition. Par enjeu de l�Union Africaine, il faut donc entendre, ce que l�Afrique peut gagner ou perdre avec l�Union Africaine.

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L�institution panafricaine entend également marquer une nette rupture par la création du Conseil de paix et de sécurité de l�Union Africaine.

PARAGRAPHE I : UNE ÈRE NOUVELLE POUR LA PAIX, LA SÉCURITÉ ET LA STABILITÉ EN AFRIQUE

Sans renoncer aux objectifs de l�Organisation de l�unité africaine1, l�Union Africaine, par souci d�efficacité pose des principes nouveaux de gestion des conflits. Elle reprend également à son compte, le mécanisme de l�O.U.A. pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique.

A � DES PRINCIPES NOUVEAUX DE GESTION DES CONFLITS

La définition d�un cadre endogène de résolution des conflits repose sur la nécessité pour les africains de s�approprier tous les processus, convaincus qu�ils sont aujourd�hui, de ce que le maintien de la paix en Afrique dépend d�abord des africains eux-mêmes2. En fait, entant que préalables à la mise en �uvre de son programme dans le domaine du développement, la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent, sont au c�ur du traité constitutif de l�Union Africaine (U.A.) entrée en vigueur le 26 mai 2001 après ratification par deux tiers des États3.

Les articles 3 et 4 de l�acte constitutif forment la partie normative principale de l�acte. Certes, ces deux articles comportent des dispositions importantes qui renvoient aux objectifs de l�O.U.A., mais elles introduisent également de nouveaux domaines de coopération entre États membres tels que : la nécessité d�accélérer l�intégration économique, la démocratie, l�état de droit, la bonne gouvernance, les droits de l�homme. Ces nouvelles compétences recouvrent pour une part les objectifs inscrits dans d�autres instruments juridiques qui subsistent malgré l�entrée en vigueur de l�acte constitutif. Une telle coexistence, loin de soulever des problèmes tant sur le plan institutionnel que fonctionnel s�inscrit plutôt dans une synergie dans des domaines

1 Sur les grands principes de l�Organisation de l�unité africaine, voir Michel-Cyr Djiena Wembou, l�O.U.A. à l�aube du XXIè siècle, op. cit, pp. 77-86. 2 Il s�agit d�un constat qui tient au fait que l�O.N.U., débordée par la multiplication de ses interventions dans le monde et de surcroît discréditée par ses échecs en Somalie et au Rwanda, ne dispose ni de la capacité financière, ni de la crédibilité politique pour s�impliquer directement dans tous les conflits africains. Cette ligne de conduite ne fait à vrai dire qu�illustrer la tendance plus générale à la régionalisation du maintien de la paix. 3 DOMINIQUE BANGOURA, L'Union Africaine face aux enjeux de paix, de sécurité et de défense, O.P.S.A., éd L�Harmattan, p. 15.

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couverts jusque-là par le traité d�Abuja de 1991 instituant une communauté économique africaine, par la Charte africaine des droits de l�homme et des peuples de 1981 ou encore par la déclaration du Caire de 1993 sur le mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits.

L�innovation fondamentale concerne le droit de l�Union d� « intervenir dans un pays membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l�Humanité » et « le droit des États membres de solliciter l�intervention de l�Union pour restaurer la paix et la sécurité » (article 4, alinéa h). L�acte constitutif fait en outre une mention spéciale (article 9 (g) de la « gestion des conflits, des situations de guerre ainsi que de la restauration de la paix ». La Conférence de l�Union, de par son caractère éminemment politique, a vocation à connaître de toutes les questions, ce qu�elle ne manque jamais de faire lorsqu�elle est saisie à cet effet.

Suite au déclenchement de la crise ivoirienne dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, l�Union Africaine s�est tout de suite penchée sur cette situation. Ainsi, s�appuyant sur l�alinéa p de l�article 4 de son acte constitutif, l�Union Africaine « condamne et rejette les changements anti-constitutionnels de Gouvernement »1. Le communiqué final de l�Organe central du 24 septembre 2002 condamne la « remise en cause de la légalité constitutionnelle » en Côte d�Ivoire. Le Communiqué final du 11 octobre 2002 réaffirme « sa ferme condamnation de la tentative de prise du pouvoir par la force en Côte d�Ivoire ainsi que son attachement à l�unité et à l�intégrité territoriale de ce pays et son soutien aux institutions légales2.

Des organismes spécialisés comme Amnesty International à Londres, l�ONG « prévention génocide » à Bruxelles et d�autres associations de lutte pour le respect des droits de l�homme, avaient alerté l�opinion internationale sur les graves dérives en Côte d�Ivoire. Mais le conflit armé interne en Côte d�Ivoire n�a pas semblé dans l�entendement de l�Union Africaine, contenir les éléments constitutifs de circonstances graves. La gestion de la crise a été entièrement laissée au ressort de la Communauté

1 C�est lors du 35è sommet de l�O.U.A. du 12 au 14 juillet 1999 à Alger où les chefs d�État et de Gouvernement avaient porté leur réflexion sur les « causes profondes des conflits en Afrique que le principe de condamnation des changements anti-constitutionnels avait été acquis. Cf. l�allocution du président du Burkina Faso, Blaise Comparé à Alger le 12 juillet 1999. Sur les questions liées à cette notion de changement anti-constitutionnel, voir Roland Adjovi, l�Union Africaine, étude critique d�un projet ambitieux, revue de droit africain, Bruxelles, janvier- mars 2002. Lors de la crise malgache, l�opportunité avait été donné au président de la Commission de l�O.U.A. d�alors Amara Essy d�apporter un éclairage sur cette notion, mais il s�est contenté de dire que l�O.U.A. défend la légalité et que Madagascar est régi par une constitution sur la base de laquelle travaille l�O.U.A. Voir, Entretien de Marie-Noelle Guichi avec Amara Essy dans le Messager du Cameroun, mercredi 13 mars 2002. 2 Communiqué final, 85è session ordinaire de l�Organe Central du Mécanisme pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits, Addis-Abeba, 11 octobre 2002 : http ://www.africa-union.org.

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Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.) dont l�Union Africaine reconnaît la compétence. En fait l�organisation sous-régionale est plus expérimentée et proche sur les plans géographique et géopolitique du centre du conflit. Mais également, parce que la C.E.D.E.A.O. est dotée d�un mécanisme de prévention, gestion et règlement des conflits depuis décembre 1999. Ainsi, une force ouest africane de 6 000 hommes a été déployée en Côte d�Ivoire en vue de la sécurisation de la zone de confiance séparant les deux belligérants.

L�union africaine, tout en soutenant l�initiative de la C.E.D.E.A.O. s�en est tenue, faute de pouvoir agir autrement, à la saisine de l�organe central sur la question et la nomination d�un envoyé spécial du président de la Commission, l�ancien chef de l�État saotomien Miguel Trovoada, chargé de suivre les travaux de la Conférence des chefs d�État et de gouvernement de la C.E.D.E.A.O. à Accra, le 29 septembre 2002. Aujourd�hui encore, l�Union Africaine s�accommode de la nouvelle donne dans le processus de paix en Côte d�Ivoire en apportant son ferme soutien à l�accord de Ouagadougou du 4 mars 2007 signé entre les autorités légalement établies et la partie rebelle. Le représentant spécial de l�Union Africaine en Côte d�Ivoire a déclaré lors d�une audience à lui accordée par le président Gbagbo, que l�Union Africaine soutient l�accord politique de Ouagadougou et sa mise en �uvre.

L�Union africaine entérine « pleinement » l�accord de Ouagadougou or cet accord ne fait nullement mention de l�Union dans son application. Mais le représentant de l�institution pense que le plus important, c�est que la paix soit restaurée en Côte d�Ivoire : « nous ne sommes pas très préoccupés que dans l�accord l�Union Africaine soit citée ou pas », l�essentiel étant que l�Union Africaine se porte mieux quand un pays se met en marche pour la paix1. Nous estimons pour notre part que cette attitude de l�Union Africaine loin de paraître incapable face à ses responsabilités, traduit plutôt une volonté d�action et un travail de symbiose avec l�institution sous régionale ouest africaine.

Ce qui est vrai de la C.E.D.E.A.O. l�est également pour la Communauté pour le Développement de l�Afrique Australe (S.A.D.C.) ou de la Communauté Économique et Monétaire de l�Afrique Centrale (C.E.M.A.C.).

1 Communiqué final, 85è session ordinaire de l�Organe Central du Mécanisme pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits, Addis-Abeba, 11 octobre 2002 : http ://www.africa-union.org.

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L�Union Africaine a pris le parti de s�en remettre à ces dernières pour ce qui concerne les règlements des conflits dans leur sous région respective et participer aux travaux des organes mis en place pour veiller à l�application des éventuels accords de paix.

Au Darfour, l�institution panafricaine a déployé plusieurs milliers de soldats de la paix en vue de protéger les populations civiles victimes des attaques des milices arabes. Par souci d�efficacité, il a été prévu le déploiement au Darfour, d�une force hybride Union Africaine/Nations Unies de 23 000 hommes. Le commandant de ces forces hybrides a déclaré que l�opération conjointe de l�Union Africaine et des Nations Unies est nécessaire puisque l�Union Africaine souffre des difficultés financières. Ces difficultés financières sont d�autant plus réelles qu�à la date de juillet 2003, le montant des arriérés de contribution s�élevait à plus de 39 millions de dollars1.

Mais si l�Union Africaine peut pour l�instant bénéficier de l�excuse de jeunesse, elle doit résolument s�inscrire dans une dynamique d�affirmation de son identité politique. Car le manque de volonté politique, peut à terme réduire les ambitions de l�Union à la portion congrue. Aujourd�hui, l�on remarque quelques réticences des États membres, petits comme grands, à renforcer l�Union et singulièrement, le statut de son président ou, encore, à asseoir les prérogatives du président de la commission. L�expérience de la présidence de l�Union assurée par le président sud-africain Thabo M�beki entre 2002 et 2003 est révélatrice de difficultés réelles au sein de l�institution.

En fait, bien que le président M�beki ait été actif sur le front des différentes crises pendant son mandat, en particulier lors de la crise ivoirienne et malgache et qu�il ait encouragé les réactions des organisations sous-régionales face aux conflits du Libéria, de la Sierra Leone, de la République démocratique du Congo (R.D.C.) et du Burundi, la portée de ses interventions tenait davantage à sa position de chef de l�État d�un des pays les plus en vue sur la scène internationale qu�à celle de président de l�Union. Ce constat est conforté par la discrétion dont fait preuve son successeur à la tête de l�Union, le président mozambicain, Joaquim Chissano. Jean Ping, président de la Commission de l�Union Africaine est également confronté, comme ses prédécesseurs, à une double difficulté : affirmer l�autorité de l�institution qu�il dirige, tout en ne perdant pas de vue la vision qu�en ont les chefs d�État des pays membres. Malgré les objectifs ambitieux assignés à l�Union, ces derniers hésitent encore à insuffler la dynamique qu�incarnerait une Commission dotée d�attributions propres et détentrice d�un pouvoir de décision.

1 Rapport du sous comité des contributions, présenté devant le Conseil exécutif, à sa troisième session ordinaire en juillet 2003, à Maputo (Mozambique), EX. CL / 27 (III).

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C�est de ce registre de la méfiance des États membres à l�égard de toute évolution « supranationale » de l�institution que relève le rejet des principales propositions d�amendement proposées par le colonel Kadhafi lors des réunions du Conseil exécutif de la Conférence de l�Union tenues à Tripoli (Libye) en décembre 2002 et février 2003. Celles-ci concernaient le renforcement du statut et des pouvoirs du président de l�Union, auquel il aurait été, entre autres, reconnu le pouvoir de convoquer les sessions extraordinaires de la Conférence sans l�approbation de la majorité des deux tiers, ainsi que l�exercice en plein temps de la fonction à partir d�un des sièges de l�Union. Le même sort à été réservé aux propositions visant à remplacer « Conseil exécutif » par « Gouvernement » ou à mettre en place des bureaux en charge d�assister les présidents de la Conférence de l�Union et d�un Conseil exécutif. Dans un souci de compromis, c�est la formule classique d�un bureau choisi sur la base du « principe de rotation et de répartition géographique » qui a été finalement retenu.

Toujours est-il que l�ambition de l�Afrique est de trouver des solutions à des conflits dévastateurs, dont, peu ou prou, se désintéresse la « communauté internationale », et de mieux cerner les maux qui en sont générateurs. C�est pour traduire au mieux cette volonté que l�Union Africaine reprend à son compte le mécanisme du Caire qu�elle entend redynamiser.

B � L�UNION AFRICAINE ET L�INCORPORATION DU MÉCANISME DE L�O.U.A. POUR LA PRÉVENTION, LA GESTION ET LE RÈGLEMENT DES CONFLITS

S�il est vrai que le problème des conflits reste au c�ur des objectifs de l�Union Africaine, il n�en demeure pas moins que dans son acte constitutif, aucune mention n�a été faite du mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits de l�O.U.A. A l�échelon sous-régional, une telle préoccupation a été clairement inscrite au c�ur du dispositif sécuritaire de la C.E.D.E.A.O. En effet, l�article 58 du traité de la C.E.D.E.A.O. se réfère expressément à des « mécanismes appropriés pour assurer la prévention et la résolution (�) des conflits inter- et intra États ».

L�Afrique de l�Ouest, véritable laboratoire des systèmes de sécurité sous-régionaux en Afrique avait déjà tracé la voie du maintien de la paix sur le continent noir dès 1990 avec l�envoi de l�ECOMOG au Liberia puis a développé et rationnalisé cette expérience en adoptant à son tour un mécanisme de prévention, gestion et résolution des conflits en décembre 1999 à Lomé (Togo). L�omission d�un tel mécanisme dans le traité

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constitutif de l�Union Africaine (U.A.), n�entame en rien la détermination de cette institution à jouer un rôle premier en matière de conflit. A ce titre, le point f de l�article 3 relatif aux objectifs de l�Union Africaine stipule que l�Union a pour objectif de « promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité du continent ». Le droit d�intervention de l�Union (article 4, point h) donne la mesure de l�engagement total de l�institution panafricaine à prendre en compte des préoccupations qui, jusque-là se sont toujours heurtés au sacro-saint principe de souveraineté. L�Union africaine s�est surtout engager à poursuivre l��uvre de l�O.U.A. en prenant à son compte, le mécanisme du Caire notamment, lors du sommet de l�Organisation panafricaine tenu à Luzaka (Zambie) en juillet 20011. Elle a confié au Secrétaire général de l�Organisation le soin de revoir les structures, les procédures et les méthodes de travail de l�Organe central en vue de prévenir un règlement durable des conflits. Dans la dynamique de réforme, l�Organe central de l�O.U.A. devient le Conseil de paix et de Sécurité de l�Union Africaine, qui entend marquer un changement profond de la vision et de la pratique de la recherche de la paix et de la sécurité collective en Afrique. Le Conseil aura donc en charge tout le mécanisme qui privilégie la prévention des conflits. A cet égard, l�article 15 de la déclaration du Caire dispose que « le mécanisme aura pour objectif premier de prévoir et de prévenir les conflits ». La démarche préventive des conflits s�inscrit dans ce que le secrétaire général des Nations Unies Boutros Boutros-Ghali a appelé la diplomatie préventive, c�est-à-dire un ensemble de méthodes dont le but est d�éviter l�éclatement des conflits, d�empêcher la dégénérescence d�un différend latent en conflit ouvert ou si au pire, le conflit explose, essayer de le réduire à la portion congrue. C�est à ce titre que cette diplomatie est dite de « prévention réactive »2 des conflits, au contraire de la « prévention proactive »3 des conflits qui, elle concerne les mesures prises pour éviter le déclenchement du conflit.

Un fonds spécial pour la paix est prévu et depuis 1996, l�organisation panafricaine a mis en place à Addis-Abeba un centre de gestion des conflits bénéficiant d�une section d�alerte précoce.

En fait, l�idée de l�alerte précoce part du simple constat qu�il est très improbable que les perspectives de conflits violents en Afrique se referment dans un avenir immédiat. Trop souvent, pourtant, cette violence se déclare sans qu�on ait fait l�effort d�agir sur ses

1 AHG/Dec.160 (XXXVII), CM/2210 (LXXIV), Rapport du Secrétaire général sur la mise en �uvre de la décision de Syrte sur l�Union Africaine : EAHG/Dec.1(V). 2 GRIP, Conflits en Afrique : analyse des crises et pistes pour une prévention. La communauté internationale : quelles responsabilités ?, Bruxelles, Éditions Complexes, 1997, p. 26. 3 GRIP, op. cit. p. 26.

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causes. Cela s�explique en partie par l�insuffisance des efforts politiques et diplomatiques de résolution rapide ou d�apaisement des conflits, mais aussi par le déficit de renseignements relatifs au cours probable des événements, et par les carences de leur interprétation.

Par ailleurs, les dimensions des réalités conflictuelles africaines sont si diverses, et leurs interactions si complexes, que les développements et les issues probables ou improbables d�une situation ne peuvent être envisagés qu�à partir d�une analyse bien documentée et solidement argumentée, et sa révision ou réévaluation permanente. Une telle analyse doit prendre en compte, non seulement l�état des savoirs sur la structure, l�histoire et les traditions des sociétés considérées, mais également les développements les plus récents, qui ne sont généralement pas couverts ni rapportés par la grande presse.

L�Organisation de l�Unité Africaine (O.U.A.) a donc élaboré et développé un système d�alerte précoce, consistant en une cellule de veille connectée à Internet et en un réseau de points focaux (ONG, universitaires, journalistes�), intervenant comme pourvoyeurs d�informations. Deux séries d�indicateurs ont en outre été élaborées, l�une sur la « prévision » des conflits imminents, l�autre sur l�évolution des conflits déjà déclarés. La criminalité organisée, nationale ou transnationale, figure parmi les indicateurs retenus. En fait, l�idée est que dès l�identification de signes avant-coureur d�un conflit, moment où les positions ne sont pas encore devenues rigides, où même dans une atmosphère d�imminence du conflit, la communication étant encore possible entre les parties, il faut déclencher l�initiative « précoce » qui est une voie relevant exclusivement de méthodes pacifiques et diplomatiques. Il s�agit des moyens diplomatiques classiques notamment, la négociation, la médiation, l�enquête, l�arbitrage, la conciliation�

Toutefois deux difficultés peuvent mettre à mal l�entreprise préventive : il s�agit, d�une part, du problème de la fiabilité des informations recueillies et sur la base desquelles l�action préventive se mettra en �uvre. En fait, ces informations peuvent être contestées dans la mesure où elles émanent de sources officielles et déformées par les passions militantes ou soupçonnées d�avoir été déformées si elles tiennent leurs sources de réseaux non gouvernementaux. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas aller vérifier sur le terrain la réalité des faits allégués ou faire un recoupage nécessaire des informations recueillies. D�autre part, une alerte trop précoce court le risque d�être interprétée comme une ingérence par les autorités des États concernés. Cela aura manifestement pour conséquence de gripper la « machine » diplomatique. Il nous

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paraît plus ingénieux de certes rester vigilant, à l�écoute et continuer dans l�action préventive sans pour autant donner l�impression aux autorités légalement établies concernées que la situation leur échappe.

En tout état de cause, l�Union Africaine qui a fait sienne, le mécanisme du Caire, se doit de tirer les enseignements du parcours de l�organisation de l�Unité Africaine (O.U.A.) pour prendre les mesures nécessaires en vue de renforcer tout le système préventif et notamment, la structure d�alerte précoce pour la rendre pleinement opérationnelle et dynamique. L�information recueillie par le service d�alerte précoce sera transmise au Conseil de Paix et de Sécurité.

Mais l�innovation importante consiste dans le droit de l�Union d�intervenir dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l�humanité » et « le droit des États membres de solliciter l�intervention de l�Union pour restaurer la paix et la sécurité »1. En outre, il permet aux États membres de solliciter individuellement ou collectivement l�intervention de l�Union Africaine pour restaurer la paix et la sécurité. Aux yeux des africains eux-mêmes, il s�agit là d�une nouvelle école de pensée qui n�existait ni dans la Charte de l�Organisation de l�unité africaine (O.U.A.), ni dans le traité d�Abuja2. La conférence de l�Union3, structure à caractère éminemment politique est compétente pour connaître de toutes les situations conflictuelles. Réunie en session extraordinaire, en février 2003, pour débattre d�amendements à l�acte constitutif proposés par la Libye, la Conférence n�a pas hésité à siéger en tant qu�organe central (au titre du mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits) pour connaître de la crise ivoirienne4. En réalité, en 2002 et 2003, l�Union Africaine est restée dans le même registre que l�O.U.A., face aux nombreuses crises qui ont secoué certaines régions d�Afrique. Ainsi, s�est-elle souvent cantonnée dans la formule des protestations ou des condamnations formelles.

1 Si le traité constitutif de l�O.U.A. n�interdit pas expressément aux États membres d�assister les différentes parties aux conflits, il consacre toutefois en son article 3 alinéa 2, le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États, voir, Roger Pinto, Les règles du droit international concernant la guerre civile, RCADI, vol. I, 1965, p. 502. Le droit d�ingérence prévu dans le traité constitutif de l�Union Africaine marque une donc une véritable rupture. 2 Le traité d�ABUJA du 3 juin 1991, institue la communauté économique africaine. 3 Qualifiée d�organe suprême (article 6-2), la Conférence de l�Union est composée des chefs d�État et de gouvernement des pays membres ou de leurs représentants dûment accrédités. Elle se réunit, comme son homologue de l�O.U.A., en session ordinaire une fois par an et, en session extraordinaire, à la demande d�un État membre et sur approbation des deux tiers des États membres. Ses pouvoirs et ses attributions en font la pièce maîtresse de l�Union : c�est à elle que revient la charge de tout le volet politique de l�Union, qu�il s�agisse du contrôle du fonctionnement de la Commission, de la nomination de ses principaux dirigeants ou bien encore de la définition des politiques. 4 Dans le domaine de la prévention, gestion et règlement des conflits, l�Union Africaine a adopté en juillet 2003 au sommet de Durban (Afrique du Sud), le Conseil de Paix et de Sécurité. En attendant la mise en �uvre de ce Conseil, il revenait à l�Organe Central de continuer à fonctionner et assurer la continuité dans le cadre d�un programme de travail indicatif sur les questions de sécurité en Afrique pour l�Organe Central et la Commission de l�Union pour la période 2002-2003. Lors de la crise ivoirienne, le Conseil de Paix et de Sécurité n�étant pas encore entré en action c�est donc l�Organe central de l�O.U.A. qui a poursuivi sa mission de tentative pacification.

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Dans la crise ivoirienne, après les condamnations d�usage du coup d�État du 19 septembre 2002, l�Union Africaine s�est contentée, de saisir l�organe central sur la question et de nommer un envoyé spécial du président de la Commission, l�ancien chef d�État saotomien Miguel Trovoada, chargé de suivre les travaux de la Conférence des chefs d�État et de gouvernement de la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (notamment à Accra, au Ghana, le 29 septembre 2002). De même, malgré le volontarisme du président intérimaire de la Commission, Amara Essy, et les médiations entre les principaux protagonistes de la crise malgache, entreprise par l�Organe central, l�Union Africaine a dû se contenter de prendre acte des initiatives prises unilatéralement par le président sud-africain, alors président de l�Union, qui ont abouti à la réintégration de Madagascar au sein de l�Organisation à Maputo, en juillet 2003. Si dans le principe, sa suprématie sur les organisations internationales sous-régionales est constamment réaffirmée, l�Union Africaine a pris le parti de s�en remettre à ces dernières pour ce qui concerne les règlements des conflits.

Mais la nouvelle vision, la nouvelle école de pensée qui prévaut au sein de l�Union Africaine, traduite dans son traité constitutif, ne saurait s�accommoder d�un jeu de second rôle de l�institution panafricaine notamment, dans le domaine des conflits. Bien au contraire l�Union a pris le parti de rompre avec la léthargie de l�O.U.A. et de se porter aux avant-gardes du combat de la prévention, de la gestion et du règlement des conflits en Afrique. Elle s�est ainsi dotée d�un dispositif normatif novateur et ambitieux. À cet égard, la Conférence africaine au sommet, tenue à Durban en juillet 2002, a autorisé le protocole d�un conseil de sécurité et de paix africain, et a décidé de le proposer aux États membres pour approbation. Adopté à l�unanimité au cours du dit sommet, le protocole portant création du Conseil de Paix et de Sécurité (C.P.S.), fait de ce dernier l�organe permanent de décision de l�Union Africaine (article 2, alinéa 1) en matière de prévention, gestion et règlement des conflits.

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PARAGRAPHE II : UNE RUPTURE DANS LA GESTION DES CONFLITS : LA NAISSANCE DU CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ DE L�UNION AFRICAINE

Le développement économique et social des nations africaines constitue le contexte le plus favorable à la consolidation d�une sécurité durable et d�une stabilité sociopolitique. Dans un tel contexte, sécurité et développement sont des notions gigognes ; c�est-à-dire que chacune recoupe l�autre et vice-versa. Gérer les conflits en Afrique dans toutes ses dimensions, revient subséquemment à construire le développement dans les mêmes proportions. On comprend pourquoi le programme économique de l�Union Africaine en l�occurrence le Nouveau partenariat pour le développement de l�Afrique (NEPAD)1 s�annonce aussi en une initiative pour la paix et la sécurité, sans risque de double emploi avec l�Union Africaine. La promotion de conditions indispensables au développement et à la sécurité s�inscrit ainsi de manière forte dans la recherche de conditions à long terme permettant d�assurer la paix et la sécurité en Afrique et qui nécessitent des mesures de nature à combattre efficacement les vulnérabilités politiques et sociales qui sont à l�origine des conflits.

Le Conseil de Paix et de Sécurité de l�Union Africaine (C.P.S.) se présente à cet égard comme un organe qui marque un changement profond de la vision et de la pratique de la recherche de la paix et de la sécurité collective en Afrique, indispensable au développement du continent noir.

Le C.P.S. de l�Union Africaine est une réponse aux sempiternels conflits qui déchirent le continent africain et bloquent son décollage économique. Mais vue la dépendance financière des institutions africaines et surtout compte tenu de la responsabilité principale des Nations Unies en matière de paix et de sécurité internationales, il est évident que toute action du C.P.S. ne peut être exclue de la surveillance de l�Organisation universelle.

1 Le Nouveau Partenariat pour le Développement de l�Afrique (NEPAD) est un plan qui vise à consolider l�Union Africaine en lui fournissant le cadre et les moyens pour une intégration plus productive avec la Communauté internationale. Il permet de mettre en �uvre les objectifs de l�Union Africaine par l�adoption et l�application par ses États membres, de valeurs universelles communes dans une interaction dynamique avec les partenaires extérieurs.

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A � LE CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ : UNE RÉACTION DE L�UNION AFRICAINE AUX CRISES

La création du Conseil de paix et de sécurité (C.P.S.) traduit la volonté de rompre avec la fatalité des guerres et de se doter d�instruments aptes à relever les défis de la paix et à promouvoir une politique de défenses communes. Ainsi, le C.P.S. se présente comme l�organe le plus attendu, celui dont chacun espère qu�il fera oublier les insuffisances, sinon l�incurie de l�Organisation de l�unité africaine (O.U.A.), en matière de règlement des conflits. Paradoxalement, l�acte constitutif n�avait pas prévu originellement la création du C.P.S. Comme déjà souligné, c�est seulement lors du lancement officiel de l�Union, que la XXXVIIIè Conférence de l�Union Africaine, réunie en sa première session ordinaire le 9 juillet 2002 à Durban, en Afrique du Sud, a adopté, par 53 pays, le protocole relatif à la création du C.P.S. de l�Union. Aussitôt ouvert à la signature, à la ratification et à l�adhésion des États membres, le protocole est entré en vigueur le 26 décembre 2003.

Le Conseil de Paix et de Sécurité est entré en activité le 25 mai 2004. Le modèle de référence est, en partie, celui du Conseil de Sécurité de l�Organisation des Nations Unies, mais sans droit de veto. Les fonctions du Conseil de Paix et de Sécurité (article 6 du protocole) recouvrent des domaines très étendus, qui vont de la prévention des conflits, avec l�instauration d�un système d�alerte, à la mise en �uvre d�opérations militaires dans les cas prévus par l�acte constitutif. Il est devenu l�« organe de décision permanent pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits ». Il constitue, toujours selon le protocole (article 2 paragraphe 1) « un système de sécurité collective et d�alerte visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflits en Afrique ».

Par ses objectifs et les principes qui le guident, en tous points identiques à ceux qui figurent dans l�acte constitutif de l�Union, comme par ses modalités de saisine et d�intervention ou encore les instruments sur lesquels il s�appuie, le Conseil de paix et de sécurité marque une franche rupture avec l�Organe central de l�ancien mécanisme auquel il se substitue. Du reste, le protocole relatif à sa création tient lieu et place de la déclaration du Caire de 1993 et ses dispositions remplacent « les résolutions et décisions de l�O.U.A. relatives au mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits qui sont contraires au présent protocole ».

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Dans ses rapports avec les mécanismes locaux, le Conseil de paix et de sécurité, en consultation avec ses derniers, a l�initiative en matière d�anticipation et de prévention des conflits, et en cas de conflits ouverts, des fonctions de maintien et de construction de la paix1. Les mécanismes locaux, dans leurs efforts de promotion de la paix, la sécurité et la stabilité dans leur zone d�action, doivent tenir informés systématiquement et continuellement le Conseil de paix et de sécurité (C.P.S.) et le Président de la Commission de leurs activités et s�assurer que celles-ci sont étroitement harmonisées avec celles du C.P.S. et réciproquement, les mécanismes locaux sont tenus informés de la même manière des activités du C.P.S.2. Cette coopération met en exergue le principe de subsidiarité dans la gestion des opérations de maintien de la paix. Il s�agit pour l�Union Africaine de permettre à une organisation sous régionale habilitée, d�assurer la gestion d�un conflit local. En fait, il s�agit pour l�institution panafricaine, à la recherche de l�efficacité, de privilégier la meilleure solution sans mettre en concurrence, les différents niveaux d�interventions possibles, mais plutôt de coopérer en vue d�une solution rapide, efficace et efficiente du conflit.

A cet égard, dans la recherche d�une solution à la crise ivoirienne, l�Union Africaine s�est dite convaincue de la compétence de la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.), pour son expérience et sa proximité géographique et géopolitique du c�ur du conflit. Ainsi l�U.A. a t-elle préféré dans cette crise appuyer les initiatives de la C.E.D.E.A.O. plutôt que d�agir elle-même directement en première ligne. L�institution sous régionale ouest africaine déploie jusqu�à ce jour, une force d�interposition de 7 000 soldats passés par la suite sous commandement des Nations unies. En fait la C.E.D.E.A.O. a l�avantage de s�être doté depuis décembre 1999, d�un mécanisme de prévention, gestion et règlement des conflits et nantie d�une expérience réelle en la matière. A ce titre, l�ECOMOG, Ecowas Monitoring Group (groupe d�observation militaire de la C.E.D.E.A.O.) est intervenu en Sierra Leone, en guinée Bissau et au Liberia. L�initiative de la C.E.D.E.A.O. d�intervenir dans le conflit libérien avait constitué en son temps un précédent dans l�histoire, en ce que c�était la première fois qu�une organisation économique sous-régionale se saisissait et intervenait de manière effective pour le maintien de la paix et ce, avec le soutien de l�O.U.A.

En tout état de cause, l�Union Africaine à travers le Conseil de paix et de sécurité a la responsabilité principale du maintien de la paix sur le continent africain. A cet égard, le C.P.S. de l�Union Africaine marque une grande différenciation par rapport aux 1 Article 16.2 du protocole. 2 Article 16.3 du protocole. Une telle réciprocité n�est pas admise dans le système de la Charte des Nations Unies, principal responsable de la sécurité dans le monde.

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mécanismes institués sous l�ancienne Organisation. Le mécanisme de gestion des conflits de l�O.U.A. obéissait à une logique intergouvernementale et était limité dans ses marges par des principes dissuasifs, dont celui de la non-ingérence. Or le C.P.S. de l�Union Africaine ouvre une brèche juridique dans cette neutralité entre États membres. Certes, l�article 4 (f) du protocole maintient le principe de base de « la non-ingérence dans les affaires intérieures d�un État » mais le texte prévoit quatre alinéas qui évoquent « le droit de l�Union d�intervenir dans un État membre sur décision de la Conférence dans certaines circonstances graves à savoir les crimes de guerre, le génocide, les crimes contre l�humanité conformément à l�article 4 (h) de l�acte constitutif ». On voit là, la transposition locale des dispositions de la Charte des Nations Unies qui autorisent la Communauté internationale à recourir à la force en cas de manquements de cette nature de la part d�un État membre. Seulement, le pouvoir de décision échappe au C.P.S. en ce domaine, puisque sa compétence ne se limite qu�à la formulation des recommandations d�intervention à la Conférence des chefs d�État (article 7 -e). Par cette disposition, les signataires du protocole confèrent au Conseil des pouvoirs, certes limités, mais dissuasifs. L�objectif est ici d�intimider par la suspension d�une sorte d�épée de Damoclès sur la tête des protagonistes d�un conflit latent ou ouvert.

En tout état de cause, la création du C.P.S. symbolise l�accomplissement primaire des étapes de l�engagement auto responsable des acteurs politiques panafricains, en ce sens qu�elle se situe dans le prolongement africain de l�écho du discours occidental développé depuis plusieurs années autour de la thématique de la responsabilisation des africains sur la gestion de leurs conflits. D�ailleurs, en marge du sommet de Durban (Afrique du Sud), Monsieur Romano Prodi, alors président de la Commission européenne, n�a pas manqué de décliner toute la teneur de la rhétorique diplomatique de l�Occident de ces dix dernières années : « notre objectif n�est pas d�envoyer des forces de maintien de la paix ici ou là. Mais d�appuyer une capacité africaine capable de traiter les situations de conflits et de renforcer les situations de paix. Le Conseil de paix et de sécurité est crucial. Il fournira l�autorité politique et jouera un rôle centralisateur pour la coordination des efforts des partenaires »1.

L�avènement de l�Union Africaine et l�institution du C.P.S. inaugurent pour ainsi dire une maturation diplomatique des acteurs politiques africains et opèrent un saut qualitatif dans la mise en �uvre des dispositifs institutionnels de réaction aux crises

1 C�est en ces termes que s�exprimait Romano Prodi, président de la Commission européenne sur invitation de l�Union Africaine, en marge du sommet de Maputo de juillet 2003.

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sur le continent. Mais en dépit de la dynamique avancée de responsabilisation des africains, ces derniers ne peuvent se passer de l�apport ou de la responsabilité des acteurs exogènes notamment, l�Organisation des Nations Unies dans la construction d�une voie africaine de pacification du continent.

B � LA TUTELLE PERMANENTE DES NATIONS UNIES

L�Union Africaine veut dorénavant faire l�économie des tergiversations du passé. Pour cela, elle s�est engagée dans la voie d�une politique dynamique de gestion des conflits armés internes en Afrique. A cet égard le Conseil de Paix et de Sécurité de l�Union Africaine (U.A.), dépositaire du mécanisme de prévention, gestion et règlement des conflits, est un organe innovant qui donne la mesure de la volonté des États africains à faire de la gestion des conflits la priorité des priorités. Seulement, l�institution panafricaine est consciente du fait que l�efficacité de son action dépendra de la nature de ses rapports avec l�Organisation universelle, principale responsable de la paix et la sécurité dans le monde. A cet égard, au plan juridique, les relations avec les Nations Unies sont clairement définies dans le protocole. Le Conseil de Paix et de Sécurité coopère et travaille étroitement avec le Conseil de sécurité des Nations Unies1 qui assume la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

A ce titre, l�article 103 de la Charte des Nations Unies apporte une solution au risque de conflit en stipulant qu�« en cas de conflit entre les obligations des membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ». Dans le préambule du protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité de l�U.A., l�Assemblée de l�Union se déclare consciente des dispositions de la Charte des Nations Unies conférant au Conseil de Sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, de même que des dispositions de la Charte sur les accords et organismes régionaux dans ce domaine, et de la nécessité de forger une coopération étroite et un partenariat entre les Nations Unies, d�autres organisations internationales

1 Le Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies régit les rapports entre celle-ci et les organismes et accords régionaux dans ce domaine. L�Onu qui se voulait une entité hiérarchiquement supérieure aux organisations régionales a reçu du Chapitre VIII un véritable pouvoir en matière de police internationale : le Conseil de sécurité se voit reconnaître par l�article 53 le monopole de l�initiative du recours à la force et peut toujours revenir sur une action entreprise en vertu des accords régionaux. Voir Dupuy (R-J), Le droit des relations entre les organisations internationales, RCADI 1960 II, p. 572.

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et l�Union Africaine, dans la promotion et le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique. Ainsi, est établi la primauté de la Charte des Nations Unies1.

Au plan structurel et financier, le Conseil de paix et de Sécurité de l�U.A. se présente comme le pendant du Conseil de sécurité des Nations Unies. La mise en place d�un système continental d�alerte rapide constitue un point de formatage de la nouvelle coopération de l�U.A. avec l�O.N.U. A cet égard, il convient de souligner que le département paix et sécurité de l�Union Africaine a été mis en place avec le concours financier et l�expertise du Programme des Nations Unies pour le Développement (P.N.U.D.) et la plupart des employés, consultants, analystes politiques et autres experts qui y officient sont financièrement pris en charge par le même programme sur la base de contrats renouvelables. L�O.N.U. dispose au sein de l�Union Africaine d�un bureau de liaison et y a mis en place un fond spécial pour la prévention des conflits dénommé �Trust Fund�.

Il se pose dès lors, la question de savoir si l�U.A. a les moyens des ambitions légitimes qu�elles s�est fixées. Le protocole instituant le C.P.S. y apporte un début de réponse. En effet, l�article 17 du protocole prévoit qu�« à chaque fois que nécessaire, recours sera fait aux Nations Unies pour obtenir l�assistance financière, logistique et militaire nécessaire pour les activités de l�Union dans le domaine de la promotion et du maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique (�) ». Cela n�occulte en rien l�épineux problème du budget des opérations du maintien de la paix. Or, c�est en grande partie faute de moyens que l�O.U.A. s�était contentée d�intervenir a minima, sous la forme de missions d�observations temporaires (composées de quelques dizaines de civils et militaires) financées presque exclusivement par l�aide extérieure. En fait, l�institution panafricaine souffre énormément de l�insuffisance de moyens matériels et technologiques indispensables pour doter son mécanisme de structures adéquates et notamment du système d�alerte rapide. La gestion du conflit soudanais du Darfour est à ce titre révélatrice de l�incapacité de l�Union à faire face aux conflits africains. Le déploiement au Darfour par le C.P.S. de l�Union Africaine de près de 2 000 soldats mal équipés est largement en deça des besoins sécuritaires dans cette région. Conséquence logique, la présence de ces troupes africaines sur le terrain n�a jamais entamé la détermination et la folie meurtrière des miliciens arabes qui continuent le massacre des populations civiles du Darfour.

1 FLORY (T), Commentaire de l�article 103, in Cot (JP) et Pellet (A) : la Charte des Nations Unies, commentaire article par article, 2è édition, Économica, 1991, p. 1381.

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L�Union Africaine s�en est une fois encore remis aux nations Unies pour demander le déploiement d�une force dite hybride, constituée à la fois de forces africaines et onusiennes. L�acceptation par les autorités soudanaises d�une telle proposition, peut être analysée comme un début de solution à cette crise. Tous ces handicaps renvoient inexorablement aux difficultés financières et structurelles de l�Union. Celle-ci est toujours confrontée aux importants arriérés de contributions et aux réticences des partenaires extérieurs à soutenir certaines initiatives de paix. A la date de juillet 2003, le montant des arriérés de contributions s�élevait à plus de 39 millions de dollars1, soit l�équivalent du budget annuel de l�institution. Dans le même temps, huit pays étaient sous sanctions, ce qui ne leur a pas permis de participer, lors du sommet de Maputo (Mozambique), à l�élection du président de la Commission. Quant aux ressources extra budgétaires, si elles sont en augmentation (près de 6 millions de dollars ont été reçus entre janvier et août 2003), elles sont surtout affectées à la mise en place des institutions et au financement de certaines activités en liaison avec le maintien de la paix.

L�engagement de l�Union européenne à prélever, sur l�enveloppe financière prévue par la convention de Cotonou régissant les relations avec les pays d�Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, quelques 250 millions d�euros en faveur des opérations de paix sur le continent ne vaut pas exclusivement pour l�Union Africaine. Il concerne même, en priorité, les organisations sous-régionales qui, à l�image de la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.), sont, comme nous l�avons vu, de plus en plus impliquées dans le règlement des conflits. On revient là aux relations synergiques entre l�Union Africaine et les communautés économiques régionales qui, au fil des ans, ont investi le champ politique et se sont appropriées la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité dans leur espace territorial2.

Le problème financier est d�autant plus réel3 que plus de 70 % des contributions du fonds de l�institution panafricaine sont alimentés par des organisations et des États extérieurs à l�Afrique.

Toutefois, les doutes que l�on peut raisonnablement émettre sur la capacité de l�Union Africaine à réaliser l�ambitieux projet d�intégration politique et économique au niveau

1 Rapport du sous-comité des contributions, présenté devant le Conseil exécutif, à sa troisième session ordinaire, en juillet 2003, à Maputo (Mozambique), EX.CL/27 (III). 2 M. GUEUYOU, Articulation normative des systèmes africains de maintien de la paix et de la sécurité, Communication présentée lors d�un atelier conjoint de l�Observatoire Politique et Stratégique pour l�Afrique (O.P.S.A.) et du groupe de réflexion sur la paix et la sécurité internationales, tenu à Paris le 13 novembre 2002. 3 Voir Rapport du sous Comité des contributions présenté à Maputo en juillet 2003 op. cit.

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continental, ne peuvent néanmoins faire l�économie d�un constat : elle est de plus en plus présente sur les théâtres des conflits, par le biais de bureaux de liaison associés étroitement aux négociations, à la signature et au suivi des éventuel accords de paix. A la fin de 2003, il n�y avait pas moins de onze envoyés ou de représentants spéciaux du président de la Commission dépêchés respectivement au Sahara occidental, au Burundi, aux Comores, en République centrafricaine, en Côte d�Ivoire, en République démocratique du Congo, dans la région des grands lacs, au Liberia, en Érythrée, au Soudan et en Somalie. Il y a là bel et bien le signe d�une dynamique qui peut, à terme, raffermir la trame de missions confiées au Conseil de paix et de sécurité de l�Union Africaine.

Par ailleurs, les interventions extérieures dans les conflits armés internes en Afrique, peuvent s�inscrire dans la solidarité qui constitue un pôle de la société internationale.

C�est à ce titre que les États répondent favorablement à une demande d�aide, que cette solidarité résulte d�un accord de défense entre États ou de la conscience d�appartenir à la communauté internationale.

La mutuelle assistance que se doivent les États justifie-t-elle, néanmoins, une intervention contre un État qui menacerait la paix ou les valeurs humaines source et fin du pouvoir dans tout ordre juridique ? L�existence d�organisations internationales suggère une réponse positive, tandis que les contingences politiques qui entourent toute intervention incitent à la réserve.

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CHAPITRE III : L�INTERVENTION EXTÉRIEURE DANS LES CONFLITS ARMÉS INTERNES EN AFRIQUE : UNE RÉALITÉ CONSTANTE

Le terme « intervenir » est généralement employé « pour désigner l�action impérative d�un ou de plusieurs États qui, par pression diplomatique, usage de force ou menace d�en user, imposent ou cherchent à imposer leurs vues à un autre État dans une affaire relevant de la compétence de celui-ci1 ou tout acte destiné à influencer de façon décisive le règlement d�affaires relevant de la compétence exclusive d�un État étranger »2.

En fait, le conflit armé interne, affaire domestique, échappe en principe à la compétence des États tiers. L�intervention extérieure est par conséquent en contradiction avec l�article 2 alinéa 4 de la Charte des Nations Unies. Toutefois, un État peut chercher à soutenir la licéité de son intervention en invoquant un titre juridique particulier ; celui-ci sera la preuve de l�assentiment de la puissance territoriale affectée par l�intervention. Autrement dit, toute intervention est politique mais certaines peuvent être juridiquement justifiées. La question est d�importance pour les pays Africains qui ont chèrement acquis leur indépendance et qui, en raison de la modicité de leur force d�ensemble, sont presque invariablement les victimes de l�intervention et de l�ingérence extérieures. Ainsi, se montrent-ils souvent réticents à l�égard de certaines interventions extérieures et expriment leur préférence pour un mécanisme endogène c�est-à-dire africain en matière de sécurité et de défense.

1 Dictionnaire de la terminologie du droit international, publié sous le patronage de l�Union académique internationale, 1960, p. 347. 2 Le professeur NGUYEN QUOC DINH définit l�intervention comme « le fait d�un État qui cherche à pénétrer dans la sphère de compétence exclusivement réservée à un autre État, pour l�aider à régler ses propres affaires, pour les régler à sa place ou pour exiger qu�il les règle d�une certaine manière », Droit international public, paris, 1975, p. 761.

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Section I : Le fondement juridique de l�intervention

L�intervention prohibée en principe peut-elle revêtir un caractère licite ? La controverse est classique mais vive car elle illustre l�opposition de deux tendances de la société internationale : l�indépendance et la solidarité1. En Afrique, continent par excellence des interventions extérieures, en raisons des nombreux conflits qui s�y déroulent, la question se pose de la licéité de l�intervention consentie ou non consentie. En tout état de cause, l�intervention consentie sera plus aisée à réaliser, car expressément sollicitée, en revanche l�intervention non consentie qui prête nécessairement à contestation essayera de trouver sa justification dans les objectifs par elle poursuivis.

PARAGRAPHE I : L�INTERVENTION CONSENTIE

Imposée ou sollicitée, action militaire brutale ou complaisance politique insidieuse, l�intervention est présentée comme un droit ou comme un crime, comme un principe ou comme une exception.

L�absence de consentement ou son caractère artificiel conduit à assimiler l�intervention à une agression. En revanche l�existence d�un consentement réel, spontané suffit-elle à rendre licite une intervention, voir à la faire disparaître ? Cela conduit à s�interroger sur l�expression du consentement de la puissance territoriale objet de l�intervention.

A � LA FORMULATION DU CONSENTEMENT

1) L�appel au secours des autorités locales

A l�issue de la conférence d�Addis-Abeba, les chefs d�État et de gouvernement africains et malgaches fixaient les objectifs de l�Organisation qu�ils fondaient par la Charte de l�unité africaine2. Le préambule de la Charte exprime leur ferme

1 P. FAUCHILLE, Traité, Paris, 1922, T 1, 1ère partie, p. 545. 2 Charte du 25 mai 1963 créant l�Organisation de l�Unité Africaine, texte in Colliard-Manin, T. 1, vol. 2, p. 604.

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résolution « à sauvegarder et à consolider leur indépendance et une souveraineté durement conquises, ainsi que l�intégrité territoriale de (leurs) États, et à combattre le néocolonialisme sous toutes ses formes ». La Charte affirme en son article 3 les principes d�égalité souveraine des États membres, de non ingérence dans les affaires intérieures, du respect de la souveraineté et du « droit inaliénable à une existence indépendante ». Cette disposition exprime clairement le désir des États africains de régler entre eux les problèmes mettant en péril l�existence même de l�État, sans l�intervention de puissances extrarégionales dont certaines sont soupçonnées de néocolonialisme.

Toutefois, en dérogation à l�exclusivité de leur juridiction, les États peuvent accorder un droit d�intervention sur leur territoire, par des traités généraux ou spéciaux ; ils peuvent, quand les circonstances l�exigent, solliciter l�appui de forces étrangères ou l�aide financière d�une autre puissance ou d�une organisation internationale.

Par ailleurs, dans la mesure où le consentement rend licite l�intervention, il ne doit pas être apprécié in abstrato ; le consentement à l�intervention ne se présume pas, il doit être clairement formulé par l�autorité représentant régulièrement l�État dans l�ordre international, sans artifice ni contrainte.

L�appel au secours des États africains notamment d�expression française trouvent généralement leur fondement dans des accords de défense signés avec la métropole. En fait, le mouvement de décolonisation en Afrique ne s�est pas accompagné de la mise en place de gouvernements stables permettant aux nouveaux États leur développement politique et économique ; dans le dessein de renforcer les nouveaux pouvoirs, les anciennes puissances coloniales et notamment la France ont fréquemment conclus avec les territoires africains qu�elles administraient antérieurement, des accords leur permettant d�assister les gouvernements fragiles dans leur lutte contre les guerres civiles et les troubles intérieurs. Ces textes permettent une intervention directe ou seulement un soutien indirect des gouvernements établis ; ils ont un caractère bilatéral mais peuvent aussi avoir été conclus dans le cadre d�organisations régionales. Le caractère réciproque de ces accords fait souvent figure de clause de style, en raison de l�inégalité de fait des États signataires. Ces accords doivent être distingués des accords d�assistance militaire qui peuvent donner lieu à l�envoi de matériel, d�armes ou de conseillers dont l�importance peut inciter à les assimiler à une intervention indirecte.

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Après les indépendances, les relations franco-africaines ont été rythmées par la signature d�accords de coopération militaire et de défense1. La France est liée à ce titre par plus de vingt six engagements dans le domaine de la défense. Ainsi, en 1964, l�intervention d�unités françaises au Gabon pour rétablir l�autorité du gouvernement de M. Léon M�ba, prisonnier des militaires insurgés, est justifiée par l�accord du 17 août 1960 et par la demande du vice président de la République2. En fait, l�intervention des forces armées françaises est en principe précédée par un appel de l�État intéressé.

Les accords de coopération et de défense et la demande du gouvernement en place, ont aussi fourni la base juridique de l�intervention française au Tchad, à partir d� avril 1969, pour rétablir l�ordre dans le Tibesti3. Lors de cette intervention, le ministre des affaires étrangères français a déclaré : « c�est à la demande du gouvernement tchadien, en application des accords de défense de 1960 (�) que le gouvernement français a mis à la disposition du Tchad à titre exceptionnel, et pour une durée limitée une mission civile chargée d�apporter concours technique à la réorganisation de l�administration et des forces de défense tchadiennes afin de les mettre en mesure dans un avenir aussi rapproché que possible, d�assurer elle-mêmes les missions qui les incombent. Nous avons également accepté, pendant les délais nécessaires à la réalisation de cette tâche et pour assurer la protection de notre aide, de recourir, avec les forces armées tchadiennes à la sécurité intérieure du pays par l�envoi d�un détachement militaire entièrement composé d�un personnel sous contrat ».

De même, la France accepte de mettre à la disposition du Zaïre (aujourd�hui R.D.C.), en avril 1977, lors du conflit au Chaba, des moyens de transport aériens nécessaires à l�acheminement de « moyens militaires » destinés à combattre des éléments armés. L�assentiment du gouvernement du Zaïre à l�intervention française au Chaba en 1978, a permis aux États intéressés d�éviter un contrôle des organisations internationales ; le gouvernement zaïrois a habilement évité que l�O.N.U. ne soit saisie de cette affaire, il a atténué l�intervention de l�O.U.A.

1 M. LIGOT, Les accords de coopération entre la France et les États africains et malgache d�expression française, Th. Paris, 1963, et les articles du même auteur : R.J.P.O.M. 1962, p.3 et 1963 p. 517. J. VAUDIAUX ; L�évolution politique et juridique de la coopération franco-africaine et malgache, R.G.D.I.P., 1970, pp. 922 et ss. 2 Explication du ministre des affaires étrangères en réponse à des questions écrites : J.O., A.N. 3 avril 1964, p. 620. 3 Accords quadripartites de Brazzaville (accords signés avec la République centrafricaine, Tchad, Gabon, Congo Brazzaville) ont été signés sur la base des dispositions constitutionnelles relatives aux « accords de communauté ». Avec le Tchad, l�accord a été signé le 15 août 1960. Accord franco-tchadien d�assistance militaire du 19 mai 1964. Réponse du ministre des affaires étrangères à une Q.E. n° 7494, J.O., A.N., 6 novembre 1969, p. 3417 ; réponse du secrétaire d�État aux affaires étrangères à la question d�actualité de M. Mitterrand, 24 avril 1970, J.O., 25 avril, p. 1290. Voir aussi, A.F.D.I., 1970, pp. 989-990 et R.G.D.I.P., 1969, pp. 469 et ss.

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En 1964, de graves désordres éclatent dans quatre pays ex-colonies britanniques de l�Afrique de l�Est dont le Tanganyika. Il ne s�agit pas de véritables coups d�État, mais de rébellion armée. Pour y faire face, les chefs d�État dont Jurius Nyerere de la Tanzanie ont eu à faire appel aux troupes de l�ancienne métropole. La rébellion une fois maîtrisée grâce aux effectifs britanniques, il a fallu s�atteler ensuite à la mise en place d�un dispositif hermétique de sécurisation et de dissuasion.

L�attitude de l�O.U.A. est double face aux interventions étrangères. L�organisation panafricaine condamne sans équivoque l�intervention étrangère, lorsque l�action d�ingérence se produit à la demande d�un parti insurgé contre le gouvernement établi. Une telle intervention constitue selon elle, une violation de l�indépendance des États, et on pourrait penser que l�aide fournie au parti insurgé constitue un délit d�intervention. Elle adopte en revanche, une position plus tolérante voire favorable, lorsque la demande d�intervention émane du gouvernement établi.

Dès l�instant où l�aide extérieure est sollicitée par un gouvernement établi, elle devient licite, il y a donc une absence d�ingérence. C�est à l�idée de solidarité que l�État fait appel pour expliquer son action. C�est encore cette idée qui empêche de qualifier d�intervention des actions dans lesquelles l�agent � étatique ou organisme privé tel la Croix-Rouge � n�intervient pas pour en tirer un avantage particulier mais pour un objectif qui le dépasse ; l�agent apparaît alors comme un mandataire ou comme l�instrument d�une solidarité internationale. L�ingérence et l�intérêt apparaissent comme les éléments constitutifs de l�intervention ; l�un des deux fait-il défaut, il n�y a plus d�intervention.

2) L�intervention, réponse à un appel

« L�Afrique aux africains », telle est la formule volontiers utilisée par le gouvernement français pour résumer sa politique en Afrique1.

La France intervient parce qu�on le lui demande. C�est une condition essentielle au déclenchement des opérations2. Il n�est pas nécessaire ou même utile, selon le gouvernement, de se reporter à l�existence d�un traité préalable, il suffit que l�aide ait

1 Allocution du président de la République à Bamako, 14 février 1977. Déclaration du ministre des affaires étrangères à l�Assemblée Nationale, 8 juin 1978 ; et discours à l�Assemblée générale des Nations Unies, 27 septembre 1978� 2 Déclaration précipitée du ministre des affaires étrangères, 19 décembre 1979 : « Quelles que soient les circonstances, la France n�a agi qu�à la demande d�autorités établies et reconnues dans le respect de l�indépendance et de la souveraineté de chacun des États », J.O., p. 12318.

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été sollicitée par le gouvernement légitime pour une action limitée. Ces deux conditions ont trouvé leur illustration dans les exemples déjà évoqués.

C�est la demande formelle du Zaïre qui constitue le fondement de l�aide logistique française de 1977 ; certes, il existe des accords de coopération technique entre les deux États, et il en découle la fourniture de matériel aux forces armées zaïroises et la présence de militaires français chargés de la formation de ces dernières. Mais, « la mise à la disposition temporaire du Maroc et du Zaïre de moyens de transport aérien est sans lien avec les accords existants. Elle répond à une demande précise du souverain du Maroc et du président Mobutu »1.

« � Le fait que cette assistance n�ait pas été prévue dans un traité ne lui confère aucun caractère illégal, ni au regard du droit international, ni au regard du droit constitutionnel2 ».

L�intervention peut avoir lieu en dehors de tout accord, elle résulte alors « d�une décision du gouvernement prise sous sa responsabilité et à la demande du gouvernement local3. Il ne s�agit pas de l�exécution d�une obligation conventionnelle mais d�un acte politique volontaire4.

Pour présenter le type d�actions auquel la France entend se limiter, le chef de l�États français a évoqué les deux causes qui pouvaient en constituer l�origine. D�une part, il a indiqué l�obligation qui pourrait résulter d�un accord de coopération, d�autre part, il a envisagé des situations ponctuelles, particulières5. Le but visé reste essentiellement humanitaire.

Mais la diplomatie française qui a pour règle la non-intervention, et l�invocation de ce principe et le but humanitaire de ses actions peut paraître paradoxale alors qu�ont été

1 Communiqué du ministère des affaires étrangères 11 avril 1977. Les accords de coopération technique ont été signés le 17 juillet 1963 et le 22 mai 1974. Voir le rapport n°486 A.N., annexe 30 juin 1978. L�accord de 1974 précise qu�en aucun cas les militaires français « n�interviennent dans le commandement du personnel zaïrois et ne prennent part à la préparation ou à l�exécution d�opérations de guerre et de maintien ou de rétablissement de l�ordre ou de la légalité » (article 5 alinea 2). 2 Réponse du ministre des affaires étrangères à M. Vivien, J.O., A.N., 9 novembre 1978, p. 7417, au sujet de l�action française au Tchad. 3 M. Couve de Murville, Commission des affaires étrangères, Bulletin, 1978, n° 9, p. 547. 4 Cela apparaît bien dans le communiqué précité du ministre des affaires étrangères, 11 avril 1977. En revanche, certains parlementaires s�interrogent sur l�existence d�une obligation conventionnelle, ce qui dévie tout à fait la question. Voir les débats de 1970 à propos du Tchad rapportés in R.G.D.I.P. précité. 5 Entretien du 22 au 23 mai 1978, P.E.F., II, p. 61.

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menées sur le continent1 à plusieurs reprises des actions militaires dont le caractère humanitaire n�est pas toujours évident.

B � UNE INTERVENTION EN PRINCIPE CARACTÉRISÉE PAR L�ABSENCE D�INTÉRÊT DE L�INTERVENANT

Au seuil du vingtième siècle, Pillet notait que « l�interdépendance, loi sociale de notre époque, vaux mieux qu�une indépendance barbare� »2.

L�intervention, mouvement volontariste de l�État, peut satisfaire cette interdépendance des nations et des hommes, quand, oubliant les avantages matériels ou politiques de l�intervention, elle met en relief la notion de « devoirs des États » entre eux ou envers la communauté internationale.

Toutefois, la manière dont certaines interventions sont menées en Afrique appelle à des interrogations.

1) La problématique des opérations étrangères en Afrique : le cas de la France

Ces opérations ont fait l�objet de critiques dans l�ordre interne et sur le plan international3, mais à l�occasion de la septième conférence franco-africaine, le président de la République les a écartées en réaffirmant le « principe de non-ingérence et de solidarité qui caractérise la politique française en Afrique. Pour le chef de l�État, « intervention » est « un terme impropre » car la France « a répondu à des demandes d�aide » puisqu�elle a toujours agi sur demande expresse des gouvernements légitimes » et « a mis fin à son action quand ces gouvernements » l�ont estimé opportun. Malgré cette profession de foi, la France à toujours été indexée pour ses interventions intempestives sur le continent et dont les motivations restent inavouées.

Lorsqu�un conflit éclate dans un pays comme ce fut le cas en Côte d�Ivoire en septembre 20002 et provoqué la partition du pays, la faction rebelle ne peut s�exprimer

1 « Interventions » au Gabon, en 1964, au Tchad à partir de 1968, en Mauritanie, en décembre 1977 et en mai 1978, au Zaïre en 1977 et 1978, au Tchad en 1978, en Centrafrique en septembre 1979, soutien logistique à la Tunisie en février 1980. 2 R.G.D.I.P., 1898, p. 89. 3 Voir par exemple le débat à l�Assemblée Nationale, J.O., 20 décembre 1979, pp. 12315 et ss., et déjà en 1969-1970, voir R.G.D.I.P., 1971, pp. 199 et ss.

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au nom de l�État, tant que demeure un gouvernement régulier effectif ou tant que la situation est incertaine1. Pourtant il s�est développé une pratique qui tend à justifier l�intervention par le consentement d�autorités non titulaires du pouvoir légal, mais présumés représentatives de l�ensemble du peuple.

Ces actions, qui s�accompagnent, en fait, d�une reconnaissance implicite d�une faction comme nouveau gouvernement alors que le gouvernement légal subsiste, devient les règles traditionnelles du droit des gens ; elles constituent une incitation à la multiplication de « gouvernements » en attente d�un coup d�État accompagné par la sympathie ou le soutien de puissances étrangères.

Ces accords d�intervention soulèvent une question fondamentale. La France, État intervenant dans ses ex-colonies exerce-t-elle une compétence liée ou peut-elle refuser une intervention sollicitée en dépit de l�existence d�un traité en la matière ?

Suite au conflit ivoirien déclenché dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, les autorités ivoiriennes qui estimaient avoir de bonnes raisons de penser qu�elles étaient victimes d�une agression extérieure, se sont empressées de solliciter l�intervention de l�armée française dont un détachement (43è BIMA) est basé à Abidjan sur la base de l�accord de défense du 24 avril 1961 liant les deux pays. En réponse à cette demande, les autorités françaises ont opposé un refus catégorique. Pour la France, les conflits en cours en Afrique subsaharienne dont la Côte d�Ivoire, ont des origines complexes qui se réduisent rarement à des agressions extérieures. Leur analyse2 du conflit ivoirien soulignait donc la nécessité d�un processus politique : « Il n�y a pas d�autre solution que le dialogue et la réconciliation nationale si l�on veut que la Côte d�Ivoire redevienne ce qu�elle était », alors que les autorités ivoiriennes évoquent une agression extérieure. Désabusé par cette attitude de la France, le président ivoirien, Laurent Gbagbo déclarait ainsi : « Les liens entre la France et la Côte d�Ivoire doivent nécessairement changer (�). D�après les accords qui nous lient, les français devraient être engagés du côté de la Côte d�Ivoire contre les agresseurs, qui viennent du Burkina Faso et du Liberia »3.

En Côte d�Ivoire, il semble que le mouvement rebelle ait bénéficié d�une attitude bienveillante de la France. Guillaume Soro le chef de la rébellion a été jusqu�à la signature des accords de paix de Ouagadougou sous la protection des forces

1 Q. Wright, United States intervention in the Lebanon, A.J.I.L. 1959, p. 121. 2 Entretien du Ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, avec France 2, le 2 janvier 2003. 3 LAURENT GBAGBO : « La relation France-Afrique doit changer », Interview au Figaro, 9 mars, 2006.

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françaises en Côte d�Ivoire dites « licornes » qui assuraient tous ses déplacement à l�intérieur comme à l�extérieur du pays.

En revanche, pour stopper l�opération « dignité » déclenchée par les autorités légales ivoiriennes en vue de reconquérir la partie septentrionale du pays aux mains des rebelles, l�armée française n�a pas hésité à détruire l�intégralité de la flotte aérienne ivoirienne, motif tiré du bombardement par l�armée ivoirienne d�un camp militaire français tuant neuf soldats de la force « Licorne ». A Abidjan, devant l�hôtel Ivoire les soldats français ont eu à ouvrir le feu sur des manifestants aux mains nues faisant plus d�une soixantaine de morts. Parallèlement à ces actes qualifiés « d�agression », les autorités légales d�Abidjan ont été constamment brocardées et clouées au pilori, tout cela dans une atmosphère de tentative permanente de déstabilisation du pouvoir légal.

Plus loin dans le temps, lors de l�éclatement de la fédération du Mali, l�attitude du gouvernement français avait été circonspecte ; tandis que le président de la fédération demandait l�intervention des troupes françaises, en se référant aux accords de coopération en matière de défense, le gouvernement français avait répondu que « s�agissant d�une crise politique interne, les forces de la communauté n�auraient pas à intervenir »1.

En revanche, l�intervention française au Schaba en 1978, pour le rétablissement de la légalité dépasse largement le cadre de l�accord franco-zaïrois de 1974. En effet l�article 5 de l�accord franco-zaïrois du 22 mai 1974 auquel se réfère le gouvernement français, exclut la participation à « la préparation, l�exécution d�opérations de guerre ou de rétablissement de l�ordre ou de la légalité »2. Le gouvernement français avait fourni peu d�informations sur les termes de la demande du général Mobutu ; il s�est référé aux accords conclus antérieurement.

Le 17 mai 1978, une déclaration du Conseil des ministres précisait que le « gouvernement français approuve et soutient les efforts du gouvernement zaïrois et de son président, avec lequel il est en contact, pour s�opposer aux activités de pénétration au Schaba et pour y rétablir la sécurité. Il continuera de lui apporter son assistance technique selon les accords conclus »3. Le lendemain, le président de la

1 Les accords précisaient que « la fédération du Mali peut, avec l�accord de la République française, faire appel aux forces armées françaises pour sa défense intérieure ou extérieure ». Au 20 août 1960, l�échange des instruments de ratification n�était pas effectué. Sur l�affaire, voir : A. Gandolfi, Naissance et mort sur le plan international d�un État éphémère : la fédération du Mali, A.F.D.I., 1960, pp. 881 et ss. 2 Accord franco-zaïrois du 22 mai 1974 de coopération technique militaire sur lequel s�appuie le gouvernement français au moins jusqu�au 18 mai 1978. Voir l�article de Madame A. Manin, A.F.D.I., 1978, pp. 159 et ss. 3 Le Monde, 18 mai 1978.

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République française rappelait que le premier principe inspirant l�action de la France était « de tenir nos engagements vis-à-vis des États envers qui nous les avons contractés »1.

Ces pratiques singulières ont également été constatées en République centrafricaine.

Profitant de l�absence de l�empereur Bokassa, en visite officielle en Libye, l�ancien président, M. David Dacko s�est emparé du pouvoir et a proclamé la restauration de la république en Centrafrique. Ce changement de régime dans la nuit du 20 au 21 septembre, a été appuyé par l�intervention de troupes françaises, sans effusion de sang. Le gouvernement français ne pouvait justifier son action en invoquant le consentement d�une autorité qu�il avait longtemps soutenue mais à la chute de laquelle il contribuait. Or l�on sait qu�un des fondements de la pratique française de l�intervention réside dans « l�appel du gouvernement établi ».

Ayant proclamé la déchéance de l�empereur, l�auteur du coup d�État demandait aussitôt l�appui de la France, « l�amie de toujours » de l�ancien Oubangui-Chari2. Le 21 septembre, un communiqué du ministre de la coopération annonçait son acceptation, « en réponse à l�appel lancé par les autorités de l�État centrafricain, le président David Dacko et le premier ministre Henri Maidou »3. Ce formalisme ne doit pas faire illusion. D�ailleurs le président Dacko a confirmé qu�il était arrivé avec une partie du contingent français, de huit à neuf cents hommes stationnés habituellement au Tchad et au Gabon4 ; l�opération avait été soigneusement préparée deux mois à l�avance5. Dans une déclaration télévisée du 24 septembre, le ministre français de la coopération a reconnu que la France avait « accompagné » le coup d�État6.

Il apparaît que le consentement à l�intervention française se trouve ailleurs que dans l�appel de David Dacko. En dehors des préoccupations tenant aux intérêts économiques pouvant justifier une telle intervention, il en faudra beaucoup plus pour convaincre un africain du caractère humanitaire du coup de force de l�armée française en Centrafrique comme la France a tenté de le faire croire7.

1 Le Monde, 19 mai 1978. 2 Déclaration radiodiffusée en français et en langue Sangho le jeudi 20 à 23 h 55, publiée dans le journal de Genève, 22-23 septembre 1979. 3 Ibidem et Figaro, 22 septembre 1979. 4 Journal de Genève, 24 septembre 1979. 5 Environ 1 800 hommes basés à N�djamena, Libreville, Carcassonne et Castres, appartenant au 3è et 8è R.P.I.M.A. ont participé à l�opération « Barracuda ». Voir le Monde, 28 septembre 1979. 6 Voir aussi : Discours du ministre des affaires étrangères devant l�assemblée générale des Nations Unies le 26 septembre 1979, A/34/PV.9. 7 La France a présumé que son action était légitimée par la volonté du peuple centrafricain, « pour répondre aux menaces sur la sécurité des populations, compte tenu des graves atteintes aux droits de l�homme constatées par la

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En réalité, il semble qu�il ne s�agit que d�un subterfuge français pour écarter du pouvoir les dirigeants africains qui ne s�inscrivent pas ou plus suffisamment dans un système de préservation des intérêts de la France. Déjà en 1971, comme le disait Yvon Bourges « sur le plan économique, il est incontestable que la France retire certains avantages de sa politique de coopération et de défense dans la mesure où celle-ci lui permet d�exporter des hommes, des techniques ou des productions (�) et si le commerce qu�effectue la France avec les États africains et malgaches de la zone francophone ne dépasse pas 4 à 5 % de son commerce total, il n�est pas négligeable pour autant à ses yeux que ces échanges lui permettent d�acquérir, sans sortir de devises, 83 % de ses besoins en cacao, 87 % de ses besoins en bois tropicaux, 62 % de ses besoins en café, 68 % de ses importations d�uranium�1

En fait, l�opportunité politique domine l�interprétation des accords par la France, puissance intervenante. Lors de son audition devant la Commission, le chef d�État major des armées, le général Henri Bentégeat a souligné que la mise en �uvre de ces accords n�avait pas un caractère automatique et restait dans tous les cas, soumise à l�appréciation de la France. Dès juin 1990, lors du XVIè sommet franco-africain de la Baule, le président français François Mitterrand avait clairement précisé la façon dont la France entendait cette garantie : « Il existe des conventions de caractère militaire. Je répète le principe qui s�impose à la politique française : chaque fois qu�une menace extérieure poindra, qui pourrait attenter à votre indépendance, la France sera présente à vos côtés mais notre rôle à nous, pays étranger, fut-il ami, n�est pas d�intervenir dans les conflits intérieurs. Dans ce cas là, la France, en accord avec les dirigeants, veillera à protéger ses concitoyens, ses ressortissants, mais elle n�entend pas arbitrer les conflits ». Cette déclaration est d�autant plus surprenante que certains accords conclus par la France au début des années 1960, notamment, avec la Côte d�Ivoire, le Gabon ou le Tchad sont également relatifs au maintien de l�ordre intérieur.

Par ailleurs, l�industrie française reste tributaire des matières premières d�Afrique francophone. C�est pour assurer la protection de ces intérêts qu�un réseau franco-africain, longtemps dirigé par Foccart a été constitué ; ce que d�aucuns ont d�ailleurs nommé la Françafrique. Les coups d�État, les guerres civiles et toute l�effervescence

Commission africaine, Ibid. il ressort de la déclaration du ministre des affaires étrangères que le consentement est celui de la Communauté internationale ou des États de la région. Cette idée apparaît non seulement dans la déclaration du ministre des affaires étrangères mais elle est reprise à l�Assemblée Nationale, lors du débat du 19 septembre 1979, notamment par M. Paul Granet. J.O., A.N., 20 décembre, n° 129, p. 12329. 1 YVON BOURGES, Qui a peur du tiers monde ? Éditions du Seuil, 1980, p. 112.

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politique qui ont rythmé la vie des États de l�Afrique francophone auraient un lien avec la Françafrique dont les bases militaires sur le continent seraient le bras séculier1.

Pour l�opinion publique africaine traduite dans « Noir silence » de Verschave2, les prétendus accords de défense, de coopération militaire ou d�assistance militaire ne sont en réalité et en pratique que des clauses secrètes d�intervention en cas de crise interne et pour soutenir uniquement des potentats dictatoriaux, rejetés par les masses populaires ou pour installer au pouvoir des personnalités censées défendre les intérêts de la Françafrique3.

Le nouveau président français M. Nicolas Sarkozy, parlant des relations franco-africaines a dans une déclaration, ouvertement dénoncé « la France des réseaux mafieux » et a appelé à une vraie relation de partenariat pour un développement commun. Cette déclaration est d�autant plus surprenante que les intérêts français protégés par le système qu�il dénonce sont énormes. Il y a à parier que dès que M. Sarkozy aura effectivement « habité la fonction présidentielle » et pris la mesure réelle de la Françafrique, sa déclaration ne restera plus qu�un fait de l�euphorie de la victoire aux élections présidentielles de mai 2007.

En tout état de cause, le débat sur la renégociation de ces accords d�intervention et de maintien des bases militaires françaises sur le continent doit être ouvert, car à l�évidence les conditions de leur application ont aujourd�hui changé. A cet égard, l�accord qui lie la France au Sénégal signé en 1961, a été renégocié à la demande du Sénégal en 1974. En Côte d�Ivoire l�on parle de la suppression de la 43è Base d�Infanterie Maritime (B.I.M.A.)4. Une révision à terme est certainement souhaitable ; elle supposerait cependant que des relais efficaces aient pu être mis en place pour assurer des garanties de sécurité régionale, ce qui n�est à l�évidence pas encore le cas.

En revanche, l�assistance étrangère, sollicitée et destinée à soulager la souffrance des populations victimes de la guerre et soutenir le gouvernement en difficulté, est un acte de solidarité, exclusive de toute ingérence. C�est justement cette mission qui fonde l�intervention humanitaire.

1 FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE, Noir silence : qui arrêtera la Françafrique, Éditions les arènes, 559 pages. 2 Ibidem. 3 FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE, op. cit p. 10, 11, 24, 29, 54, 55, 62, 68, 72 et ss. 4 Voir le quotidien, Matin d�Abidjan, n° 759 du 19 mai 2008.

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2) L�intervention humanitaire

L�atrocité des conflits armés internes qui depuis plusieurs décennies ébranlent le continent africain et les catastrophes humanitaires par eux provoqués ne sauraient laisser indifférents certains organismes internationaux.

D�ailleurs c�est en tirant les conséquences des souffrances provoquées par la guerre de Solferino que Henri Dunant a mis sur pied la structure humanitaire qu�est le Comité International de la Croix-Rouge (C.I.C.R.), dont le rôle fondamental dans les conflits armés n�est plus à démontrer. Sa « qualité pour agir »1 découle des conventions de Genève de 1949, confirmée et étendue par le protocole I de 19772.

En fait, l�apparition de « connexions » entre le droit humanitaire et les droits de l�homme3 ainsi que l�exigence d�une protection plus affinée des individus tendent à s�affirmer. Les conflits africains donnent l�occasion de le constater. La distinction du temps de guerre et du temps de paix, des guerres internes et des guerres internationales, du droit interne et du droit des gens s�estompe ; reste à savoir si cela peut limiter ou accroître l�effort de l�intervention humanitaire.

Le fondement et les principes d�action du C.I.C.R. lui enlève la nature d�intervention en dépit du vocabulaire généralement retenu. Il s�agit d�une �uvre charitable, impartiale et neutre. Dans le cas des conflits armés non internationaux, l�article 3 commun aux quatre conventions permet au comité d�offrir ses services aux parties au conflit. L�adoption du protocole II laisse subsister l�applicabilité de cette disposition, « véritable convention en miniature »4, à ce genre de conflit. Les États sont libres de refuser l�offre de service. L��uvre du comité se limite à l�allègement des souffrances, à la protection des droits essentiels de l�être humain sans ingérence politique ou juridique dans les questions domestiques. C�est à cette condition qu�il obtient l�accord de la puissance territoriale intéressée ; le « droit d�intervention » du C.I.C.R. est en réalité un droit d�offrir ses services ; il n�implique pas une obligation correspondante du gouvernement local d�accepter cette offre. Ainsi, le Comité a offert sans succès ses services aux

1 CH. DOMINICE, La mise en �uvre du droit humanitaire, in Les dimensions internationales des droits de l�homme, UNESCO, 1978, pp. 507 et ss. 2 Cette extension apparaît par exemple dans l�article 5, alinéa 4 qui dispose que « s�il y a défaut de puissance protectrice, les parties au conflit devront accepter sans délai l�offre que pourrait faire le C.I.C.R. ou tout autre organisation présentant toutes garanties d�impartialité et d�efficacité� ». 3 D. SCHINDLER, Le C.I.C.R. et les droits de l�homme, Revue internationale de la Croix-Rouge, 1979, n° 715, p. 7. 4 L. BOISSIER, Le C.I.C.R. et ses interventions dans les conflits politiques, Annuaire suisse de science politique, n° 5, 1965, pp. 7 et ss.

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autorités éthiopiennes pour assister les victimes des troubles en Érythrée, alors même qu�il s�agissait d�une guerre civile.

En fait les difficultés qu�éprouve le C.I.C.R. à exercer son action dans les conflits africains sont énormes ; les gouvernements africains se montrent assez réticents à son action de protection, en y mettant des conditions difficilement acceptables, comme en témoigne l�arrêt des activités du C.I.C.R. au Tchad. Les manifestations de l�opinion occidentale accentuent le sentiment d�irritation que provoque parmi les africains le « déferlement humanitaire » sur le continent. Les relations entre le C.I.C.R. et les gouvernements africains sont difficiles. Dès lors, le Comité s�efforce de monnayer aussi cher que possible le « certificat de bonne conduite » que sa présence confère au régime qui accepte son intervention1.

Parfois, l�accord peut être vidé de sa substance par l�interprétation dilatoire des textes ; c�est le cas, notamment, dans les hypothèses d�application des conventions à des situations de guerre civile. En Afrique, l�affaire du Biafra nigérian a été l�occasion pour le C.I.C.R. de faire ce constat2. La difficulté est née de l�application de l�article 23 de la IVè convention relative à la protection des civils, mis en �uvre pour la première fois dans un conflit armé interne.

Cette disposition assortit l�obligation pour une partie d�accorder le libre passage des secours à la population civile, du droit d�être assuré que les envois ne puissent être détournés de leur destination ou de leur affectation3.

Or, il faut bien reconnaître que tout secours risque de profiter plus ou moins à la partie sur le territoire duquel vit la population secourue. Surtout, l�article 23 contient une disposition dont un usage abusif est facile : les « envois devront être acheminés le plus vite possible et l�État qui autorise leur libre passage aura le droit de fixer les conditions techniques auxquelles il sera autorisé ». s�efforçant de concilier les exigences humanitaires et les impératifs militaires, l�article 23 est inopérant ; le pont aérien établi par le C.I.C.R. et destiné à sauver de la famine les enfants biafrais vivant sur le

1 Le Monde, 8 octobre 1980. Voir également, le Rapport d�activité du C.I.C.R., 1975, p. 8. ; Journal de Genève 5 septembre 1980. 2 Voir, M. THIERRY HENTSCH, Face au blocus, la Croix-Rouge Internationale dans le Nigeria en guerre, Genève 1973 ; voir aussi, J. FREYMOND, NIGERIA-BIAFRA : l�aide aux victimes de la guerre civile, Preuves, 1970, I, p. 70. 3 IVè convention, article 23 : « � L�obligation pour une partie contractante d�accorder le libre passage des envois� est subordonnée à la condition que cette partie soit assurée de n�avoir aucune raison sérieuse de craindre que : - les envois puissent être détournés de leur destination ou - que le contrôle ne puisse pas être efficace, ou - que l�ennemi puisse en tirer un avantage manifeste pour ses efforts militaires ou son économie� ». Voir, Th. Hentsch, op. cit., pp. 226 et ss.

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territoire soumis au blocus du gouvernement fédéral nigérian, s�est heurté à cette contradiction. En définitive, outre l�accord de chacune des parties, c�est l�accord des parties entre elles qui donne la mesure de l�intervention humanitaire. Leur intransigeance détruit tôt ou tard l�espérance charitable. La leçon à tirer du conflit du Nigeria, conclut le professeur Freymond, c�est qu�il devient à un moment donné impossible, si les belligérants s�acharnent à rechercher la victoire totale, d�humaniser la guerre1. Par ailleurs, pour être crédible, l��uvre humanitaire doit être neutre et impartiale ; et c�est « sur le terrain » que s�apprécie l��uvre des « mandataires de l�esprit humanitaire »2. Mais il ne suffit pas que l��uvre charitable soit neutre, il faut qu�elle le paraisse ; or, dans l�action, le délégué mesure la difficulté de la neutralité qui assure pourtant l�efficacité de l�intervention. Mais les meurtres de délégués, la contestation du C.I.C.R. par certains États3, la cruauté des conflits internes ont incité le Comité à se départir de sa politique traditionnelle de discrétion. En mars 1979, devant les horreurs du conflit en Rhodésie (Zimbabwe actuel), le Comité à lancé un appel sans précédent au gouvernement transitoire, aux chefs du Front patriotique, aux pays africains intéressés et aux organisations internationales. Cet appel énumère de manière concrète, publique et détaillée les mesures qui s�imposent pour arrêter la spirale de la violence et pour permettre à la Croix-Rouge d�accomplir efficacement ses tâches humanitaires4.

L�intervention du Comité dans des situations internes, en dehors de troubles civils, est le fruit de négociations conduites sur une base pragmatique. La marge de man�uvre du comité est d�autant plus limitée ; il doit faire preuve d�une assurance palliant le caractère « extra conventionnel » de son intervention et d�une réserve suffisante pour exprimer son impartialité. Une telle intervention explique l�exigence renforcée de discrétion qui entoure l�activité du Comité pour la protection et l�assistance aux détenus politiques. Toute démarche du Comité suscitée par l�existence d�une « tension interne » peut être interprétée comme une pression5. Ici, le Comité est fondé à écarter les reproches qui lui sont adressés, « l�obsession du secret » ou de « déférence excessive » envers les gouvernements6.

1 op. Cit., p. 100. 2 CH. DOMINICE, op. cit., p. 525. 3 Le Monde, 30-31 décembre 1979 à propos de l�aide au Cambodge. 4 Appel publié dans la revue n° 716, pp. 89 et ss. 5 J. FREYMOND, The ICRC as a neutral intermediary, in Maureen R. Berman, Joseph E. Johnson, ed., Unofficial diplomats, New York, 1977, pp. 54. 6 Rapport de D. TANSLEY, Un ordre du jour pour la Croix-Rouge, juillet 1975, p. 36 ; J. Freymond op. cit p. 58.

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Il est vrai que l�obligation de neutralité maintient le Comité dans une très grande prudence. Cette réserve s�explique par quelques événements fâcheux auxquels il s�est trouvé mêlé, et par la nature même des situations qui appellent son intervention. La difficulté de s�en tenir à la neutralité ou surtout de le paraître a été illustrée dans quelques actions du Comité.

Ce dernier ne peut sacrifier ses possibilités d�action à venir à une situation immédiate ; aussi le cadre strict de la neutralité ou de l�impartialité auquel le Comité s�oblige, risque d�aboutir à l�ignorance momentanée du principe d�humanité1. L�intervention qui se ferait au prix de la confiance des gouvernements risquerait de ruiner ses efforts dans l�avenir. Inversement, le Comité peut-il refuser d�intervenir sans affaiblir sa position d�intermédiaire neutre ? L�affaire nigériane donne sur ce point, matière à réflexion. L�étude précise de la situation et des conditions de l�intervention, la présence éventuelle d�autres organisations de secours, l�évolution de l�action du C.I.C.R. permettent seules de répondre cas par cas à ces interrogations2.

Dans l�action, la position de neutralité est difficile voire « impossible »3. Porté par un courant d�opinion, et s�appuyant sur une interprétation extensive de la déclaration du gouvernement fédéral du Nigeria, le C.I.C.R. a monté un pont aérien pour soulager les souffrances biafraises « à son propre risque ». Pendant neuf mois, ce pont aérien a fonctionné la nuit, avantageant la raison politique et militaire du Biafra ; le refus intransigeant de ce dernier de faire toute concession qui eût permis au Comité de proposer au gouvernement l�établissement de vols diurnes, a abouti à la prolongation d�une solution provisoire défavorable aux autorités fédérales ; ainsi s�effritait du même coup la crédibilité du Comité en tant qu�organisme neutre. Révisant sa politique, le Comité a renoncé au pont aérien pour éviter de compromettre définitivement son crédit international. Cependant loin de rétablir l�équilibre qu�exige la neutralité, il a contribué à la défaite du Biafra.

Au fond, cette affaire a mis en lumière les limites d�une politique humanitaire face aux exigences de la souveraineté des États et aux intransigeances politiques voire idéologiques des années soixante.

1 Selon JEAN PICTET, « L�impartialité qualifie l�attitude de quelqu�un qui agit, qui choisit selon des règles préétablies, tandis que le neutre s�abstient, refuse de se prononcer sur les qualités des hommes et des théories en présence », Les principes de la Croix-Rouge, Genève, 1955, p. 60. En pratique, il est difficile de distinguer nettement les deux concepts qui sont très liés. 2 Voir J. FREYMOND, op. cit. 3 TH. HENTSCH, op. cit., p. 175, chapitre V.

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Toutefois, l�organisation et les conditions d�activité de la Croix-Rouge garantissent aux gouvernements, mieux que tout autre entreprise humanitaire conduite ou imposée par des États, des organismes privés moins impartiaux ou des organisations gouvernementales, le respect de leur indépendance et la règle de non intervention.

Toutefois, les États du continent africain s�interdisent et s�opposent à toute action contre l�un d�entre eux, quel que puisse être le régime en place. Certains chefs d�État se sont émus de cette intransigeance lors de la conférence de Monrovia en 1979.

Le président du Liberia, William Tolbert, a mis en cause le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, « devenu une excuse pour notre silence devant les actions inhumaines commises par des africains contre des africains »1. Aussi l�histoire diplomatique récente a montré les méfaits de la « société close »2. L�indépendance de l�État ne doit pas signifier l�indifférence au monde extérieur. mais si une intervention peut être justifiée contre un État qui menacerait la paix ou les valeurs humaines, les contingences politiques qui entourent toute intervention incitent à la réserve.

PARAGRAPHE II : L�INTERVENTION NON CONSENTIE

Pratiquée par les puissances occidentales en Afrique, l�intervention non consentie ou imposée, participe manifestement à la déstabilisation des gouvernements légalement établis. Pourtant, l�intervention est souvent justifiée par ces puissances tierces par la nécessité d�assurer la protection de leurs ressortissants3, pris à partie dans un conflit interne, ou victimes d�abus. Ces puissances peuvent aussi déclencher l�opération dans le cadre d�une légitime défense ou en vue de protéger leurs biens ou intérêts4 sur le continent noir.

1 Le Monde, 19 juillet 1979. 2 Selon la formule de BERGSON opposant la « société close » dont les membres se tiennent entre eux, indifférents au reste des hommes, toujours prêts à attaquer ou à se défendre, astreints enfin à une attitude de combat et la « société ouverte » « celle qui embrasserait en principe l�humanité ». Voir les développements de ce thème in : M. R. Simonet, Institutions internationales, Cours 1972-1973, Lyon. 3 L�intervention imposée pour assurer la sécurité de ses ressortissants est admise par certains auteurs, soit en tous cas : voir, Réponse de l�institut de droit international, annuaire, 1973, p. 591. Dans son rapport définitif, le professeur Schindler se rallie à cette opinion mais il s�interroge sur l�opportunité d�une disposition qui peut donner lieu à des excès, Annuaire, 1973, p. 563. 4 Lorsque l�opération est destinée à protéger des biens ou des intérêts, la doctrine se montre très réticente. Voir, H. Waldock, The regulation of the use of force in international law, RCADI, 1952, II, p. 495 et ss.

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A � LA PROTECTION DES NATIONAUX

Les puissances intervenantes notamment occidentales, utilisent fréquemment la sécurité de leurs ressortissants pour justifier leurs interventions en Afrique.

Pour la France, la protection de ses ressortissants en Afrique, est un élément de la coopération franco-africaine. Le président de la République française a rappelé de façon constante qu�il s�agissait « d�actions défensives »1.

Les actions de la France ont abouti à « donner confiance aux coopérants français, publics ou privés, pour ce qui concerne leur protection et leur sécurité »2.

Cet objectif a été invoqué en Mauritanie en décembre 1977, alors que, déjà au printemps, les raids du Polisario avaient provoqué la prise en otage de neufs français. Le gouvernement a souligné que l�opération aérienne s�était produite en territoire mauritanien « à la demande du gouvernement » local, et non dans la zone de l�ancien Sahara espagnol objet de contestation3. Le président de la République a précisé cet argument en demandant « quelle eût été la réaction de l�opinion française si l�on avait appris qu�un an après, au même endroit et malgré les avertissements, sur le sol souverain de la Mauritanie, de nouveaux français étaient soient tués soit enlevés, et qu�alors, le gouvernement mauritanien nous demandant notre aide, sur son sol, nous la lui refusions ? »4.

Ainsi, en insistant sur un objectif intéressant au premier chef la France, le gouvernement élude tout reproche d�intrusion dans l�affaire du contesté saharien ; il relie, en outre, l�action de protection à la demande du gouvernement, ce qui transforme une opération de légitime défense en une assistance sollicitée.

Concernant l�action armée française au Zaïre en 1978, il est vrai que les menaces les plus graves pesaient sur les trois milles européens de la population de Kolwezi ; on a pu dénombrer plusieurs centaines d�assassinats avant l�intervention des troupes

1 Réunion de presse du président de la République, 14 juin 1978, P.E.F., 1978, 2e trimestre, p. 95. Communiqué du 19 mai 1978 à l�issue de la visite du président Senghor, ibid., p. 45. 2 Réunion de presse précitée du 14 juin 1978. 3 Communiqué du ministre des affaires étrangères 19 décembre 1977, Le Monde, 20 décembre 1977. Déclaration du ministre des affaires étrangères, 21 décembre 1977, J.O. Sénat, 22 décembre, p. 4445. 4 Réunion de presse précitée 14 juin 1978.

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françaises1, et d�autres gouvernements occidentaux ont dû assurer également la protection de leurs ressortissants2.

Le devoir de protection à l�égard des ressortissants français au Tchad, a été également évoqué lors de l�aide militaire française en 1978, mais de façon indirecte. Il importe de relever que ces circonstances troublées qui par elles-mêmes imposaient aux autorités françaises un devoir de protection de leurs ressortissants, ne sont pas toujours exclusives de tout motif politique.

Après le déclenchement de la crise en Côte d�Ivoire dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, la France intervient le 22 septembre de la même année mais uniquement nous dit-on, pour protéger ses ressortissants. Elle refuse d�appliquer les accords bilatéraux qui devraient jouer en pareille circonstance3.

En 1960, le gouvernement belge a présenté son action au Zaïre comme une intervention humanitaire qu�il était « obligé d�entreprendre pour protéger ses nationaux »4 ; c�est pour cette raison qu�il demandait une aide militaire de l�O.N.U., « en vue de collaborer au rétablissement de la sécurité et la sauvegarde de La vie humaine »5. Cette position a été soutenue totalement par le gouvernement Français qui a constaté « la nécessité où s�est trouvé le gouvernement belge de faire défendre par ses troupes la vie et l�honneur menacés de ses ressortissants » ; une telle action ne saurait être qualifiée d�agression6.

Ce type d�intervention ne constitue pas une intervention d�humanité avec laquelle on le confond ; l�intervenant agit en son nom pour sauvegarder la vie de ses propres ressortissants et non pour faire respecter des normes impératives relatives aux droits fondamentaux7.

Parfois, cette justification est insuffisante et la puissance intervenante la complète par d�autres explications pour légitimer l�ampleur des opérations entreprises ; ce fut

1 Précisions dans les réponses du ministre des affaires étrangères à Q.E. Odru, 4333, Q.E. Aurillac, n° 4172, J.O. A.N., 9 septembre 1978, pp. 4964-4965. 2 Il s�agit de la Belgique, des États Unis, de la Grande-Bretagne. Voir l�article de Madame A. Manin, A.F.D.I., 1978. 3 DIDIER FASSIO, ELIO COMARIN, La bataille d�Abidjan, Arte 2006. 4 C.S. 13 juillet 1960, paragraphe 196. 5 Ibidem, paragraphe 195, et déclaration du représentant de la France, 27 février 1961, S/4754. 6 Communiqué du Conseil des ministres du 20 juillet 1960, A.F.D.I. 1960, p. 1069 ; déclaration du ministre français des affaires étrangères au Sénat 25 juillet 1960, J.O., 26 juillet, p. 1147. 7 Le gouvernement des États-Unis a utilisé cette justification de façon constante lors de ses interventions en Amérique latine, dans l�entre-deux guerres notamment au Mexique à partir de 1912, puis après 1945. Voir, D. A. Graber, Crisis diplomacy, a history of U.S intervention policies and practices, Washington, 1959. S suite à l�intervention japonaise en Mandchourie, le Conseil de la Société des Nations (S.D.N.) accepte de subordonner le retrait des troupes japonaises dans la zone du chemin de fer, à des garanties de sécurité pour les ressortissants nippons, voir, Résolution du Conseil votée à l�unanimité, 30 septembre 1931, J.O. 1931, p. 2307.

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précisément le cas du gouvernement français en Côte d�Ivoire depuis septembre 2002. Au motif humanitaire de protection urgente des citoyens français, a été substituée au bout de quelques mois une justification politique de l�intervention. Lors d�une conférence tenue à Marseille devant un parterre d�universitaires marseillais, le président Jacques Chirac1 déclare : « Aujourd�hui, nous avons en Côte d�Ivoire un régime fasciste, qui prône le racisme anti-blanc, il faut qu�on revienne à la Côte d�Ivoire du président Houphouët »2. Cette déclaration a suscité cette réponse du président Gbagbo : « Le président Chirac a soutenu le parti unique pendant quarante ans. Qu�est-ce qui est plus proche du parti unique que le fascisme ? C�est nous qui étions en prison sous le régime de parti unique soutenu par la France. C�est une insulte »3.

Dans la pratique contemporaine, les puissances intervenantes trouvent dans la légitime défense un fondement à leur action, lorsque des circonstances politiques font peser sur eux une contrainte telle que leur survie est en cause.

B � LA LÉGITIME DÉFENSE, EXPLICATION JURIDIQUE

L�interdiction de l�intervention armée a pour fondement la condamnation de l�emploi de la force, mais aussi la reconnaissance par le droit, du monopole de la compétence coercitive d�un État sur son territoire4. L�invocation de la légitime défense peut justifier une dérogation à ce principe, et la pratique témoigne de l�abondance des exceptions à l�interdiction de la force, hors des conditions de l�article 51 de la Charte5. Mais le terme de légitime défense, fondement de cette intervention, est susceptible d�interprétations multiples et les risques d�abus sont grands. Les controverses qui entourent l�exercice du « droit de suite » en sont l�illustration.

L�exercice d�un « droit de suite », a été invoqué pour excuser l�intervention de l�Afrique du Sud contre les nationalistes namibiens réfugiés notamment en Angola6. L�Afrique du Sud a avancé plusieurs préoccupations pour légitimer ses interventions en Angola et

1 Il ressort du livre de François-Xavier Verschave dénonçant la Françafrique et dans lequel le président Chirac est nommément désigné que, les accords de défense entre la France et les pays d�Afrique francophone, sont une assurance tous risques pour les dictateurs du précarré, gardien du temple néocolonial. Ainsi furent noyées dans le sang par des parachutistes et autres légionnaires français, et ce, depuis les indépendances formelles, les révoltes et révolutions successives des peuples africains du précarré. Voir F-X. Verschave, Noir silence, op. cit., 559 p. 2 Cette déclaration du président Chirac participe d�une campagne de propagande déclenchée par le chef d�État lui-même, reprise massivement par les médias. 3 Interview à Libération du 15 novembre 2004. 4 Voir E. VUILLARD, L�effet à l�étranger des actes juridiques d�un État en droit international général, Th. Lyon, 1979, pp. 357 et ss. 5 R. DE LACHARRIERE, préface à J. Delivanis, La légitime défense en droit international public moderne, Paris, 1971. 6 R.G.D.I.P., 1976, p. 565.

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au Mozambique : le droit de suite, la défense d�installations d�intérêt vital, la sécurité nationale, la défense de l�Afrique contre le communisme1. On ne peut conclure à l�existence d�une conviction juridique parmi les États poursuivants. La communauté internationale, notamment dans le cadre de l�organisation mondiale, a condamné ce genre d�incursions contre l�intégrité territoriale, la souveraineté et l�indépendance politique des États2.

Il semble en effet que la poursuite procède moins de la carence d�un État dans ses obligations de voisinage que du droit naturel de légitime défense de l�État poursuivant, en l�absence de convention préalable entre les États intéressés.

Cette idée est vérifiée par la pratique française lors de la révolution algérienne. Manquant à leurs obligations élémentaires, la Tunisie et le Maroc ont toléré la création sur leurs territoires de bases à partir desquelles les rebelles algériens ont organisé des raids contre les forces françaises, en territoire algérien alors sous souveraineté française3.

Il est évident que l�armée française ne pouvait tolérer longtemps ces expéditions et cesser sa poursuite à la frontière ; les ripostes aux attaques rebelles portaient atteinte à l�intégrité territoriale des États voisins.

Le gouvernement français les a un moment justifiées par « le droit de suite » ou « le droit de riposte » notamment lors du bombardement de Sakiet-Sidi-Youssef4. Très vite, il a renoncé à cette justification incertaine pour replacer l�exercice de la poursuite dans le cadre de la légitime défense : les attaques et les tirs effectués à partir du territoire d�un État étranger engagent la responsabilité du gouvernement local ; « ces actions mettent les troupes françaises dans l�obligation de riposter pour assurer leur légitime défense »5.

C�est aussi sur la légitime défense que les autorités rhodésiennes ont fondé l�exercice du droit de suite à partir de 1972, contre des guérillas opérant à partir de la Zambie et

1 R.G.D.I.P., 1976, p. 565. 2 Par exemple sur les interventions sud-africaine en Angola qualifiées d�« agressions » : S/rés./454 (1979) du 2 novembre 1979 faisant suite aux résolutions 387 (1976) du 31 mars 1976 et 447 (1979) du 28 mars 1979. Voir O.N.U. Chronique, janvier et juin 1980. 3 Voir déjà les difficultés avec la Tunisie en 1885, A. Kiss, II, n° 168, pp. 100-102. Voir également : ibidem, 1957, p. 153 ; 1958, pp. 104-105., les membres du gouvernement français déclarant que la Tunisie s�est progressivement placée en état de belligérance. 4 A.F.D.I., 1958, pp. 806 et ss. 5 Communiqué de M. ERIC DE CARBONNEL, Secrétaire général du ministère des affaires étrangères, 26 avril 1960, A.F.D.I., 1960, pp. 1068-1069.

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du Mozambique. La légitimité de ces autorités étant contestée, la licéité de la poursuite à été mise en doute.

Pourtant, à l�époque contemporaine le droit international reconnaît une certaine capacité juridique aux gouvernements de fait1 ; la jurisprudence internationale a même affirmé qu�ils pouvaient envisager la responsabilité de l�État2. Or le gouvernement de M. Ian Smith était détenteur d�un pouvoir effectif et exclusif sur le territoire de la Rhodésie. Les opérations entreprises contre les rebelles du ZAPU et du ZANU ne portaient pas atteinte à la souveraineté britannique, elles visaient à pallier la carence ou la bienveillance de gouvernements voisins envers des bandes armées qui n�avaient pas pour dessein le rétablissement de l�autorité du Royaume-Uni.

Les raids rhodésiens qui étaient effectués parfois à plus de cent kilomètres de la frontière, constituaient l�exercice de la légitime défense contre des groupes terroristes, et non contre les forces des États voisins3. Sur le plan militaire, il s�agissait de détruire les bases à partir desquelles s�effectuaient les infiltrations de rebelles attaquant les civils rhodésiens isolés ; sur le plan politique, il fallait éviter que l�intensification de la guérilla à partir de 1976, ne fît échec aux tentatives de négociation entre le gouvernement Smith et les nationalistes noirs modérés4.

La communauté internationale n�a pas été sensible à ces arguments ; la Grande-Bretagne et les États-Unis ont dénoncé les raids Rhodésiens, le Secrétaire général des Nations Unies a « condamné énergiquement » la violation flagrante des principes de la Charte5. En 1977, le Conseil de sécurité a même adopté une résolution sur l�aide au Mozambique dans laquelle il « prie tous les États de fournir immédiatement une assistance matérielle importante au gouvernement mozambicain pour lui permettre de renforcer sa capacité de défense afin de sauvegarder efficacement sa souveraineté et son intégrité territoriale »6.

La poursuite s�analysant comme une intervention fondée sur la légitime défense, les réticences de la communauté internationale manifestées ici ou là tiennent semble-t-il, à une raison politique et à deux difficultés.

1 CH. ROUSSEAU, op. cit, T. III, 1977, pp. 575 et ss. 2 Sentence arbitrale du 18 octobre 1923, affaire Tinoco, R.S.A. vol. I, pp. 375 et ss. 3 Communiqué du général Peter Walls, Journal de Genève, 3 juin 1977. 4 M. IAN SMITH mettait comme préalable à la négociation la renonciation à la guérilla. Voir Journal de Genève, 26-27 novembre ; éditions du 28, 29 novembre sur l�important raid au Mozambique. 5 Déclaration du 31 mai 1977. Voir Journal de Genève 1, 2, 3 juin 1977. 6 S/rés./411du 30 juin 1977.

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Il ne faut pas se dissimuler l�importance des considérations d�opportunité dans les « condamnations » de l�Organisation mondiale, et les contradictions auxquelles cela peut aboutir. Ainsi, tandis que sont dénoncées les incursions ou les actions de défense d�un État à l�étranger, d�autres membres de la communauté internationale organisent la protection des terroristes et leur fournissent l�aide nécessaire au nom de leur légitime défense1.

Les deux difficultés sont d�ordre technique ; il est certain tout d�abord, que la situation de contrainte justifiant la légitime défense est dans de nombreux cas difficile à qualifier juridiquement. C�est une question d�espèce ; il faut se reporter aux circonstances qui ont déterminé l�intervention sans tomber dans les abus de l�état de nécessité, « négation même de tout droit international » selon Gidel2.

Il est tout aussi difficile de donner la mesure d�une riposte proportionnée aux faits qui l�ont provoquée.

La question de la légitime défense peut-être également examinée en rapport avec les affaires de prise d�otages liées à la complicité du gouvernement local.

L�intervention la plus spectaculaire a sans doute été la libération des otages retenus à Entebbe (Ouganda), par un commando des forces armées israéliennes en 19763. A la suite du détournement sur l�Ouganda d�un avion assurant la liaison Tel Aviv-Paris, les terroristes qui s�en étaient emparé, exigeaient la libération de prisonniers détenus dans plusieurs pays et principalement en Israël. L�opération de sauvetage des otages a été présentée comme une intervention d�humanité4, elle constitue plutôt une intervention fondée sur la légitime défense, une action réalisée sous la « contrainte »5.

C�est au même type d�opération que le gouvernement français avait été contraint quelques mois plutôt, pour délivrer les enfants du car scolaire détourné en territoire somalien6. Ces interventions en territoire étranger se réalisent sous l�effet d�une contrainte.

1 Par exemple le soutien de l�U.R.S.S., de Cuba, de certains pays africains aux mouvements révolutionnaires d�Afrique australe. Voir Charles Cadoux, l�O.N.U. et le problème de l�Afrique australe, A.F.D.I., 1977, pp. 127 et ss. 2 Le droit international de la mer, T. I, p. 352 ; Ch. De Visscher parle du « concept anarchique de l�état de nécessité, Problèmes de confins en droit international public, Paris, 1969, p. 180. 3 Voir CH. ROUSSEAU, R.G.D.I.P., 1977, pp. 286 et ss. 4 CH. ZORGBIBE, Le Monde, 7 juillet 1976 ; M. McDougal et M. Reisman, New York Times, July 16, 1976. 5 M. KNISBACHER, The Entebbe operation : a legal analysis of Israel�s rescue action, The Journal of International law and economics, 1977, vol. 12, 1, pp. 57 et ss. 6 Voir Chronique des Nations Unies, mars 1976, p. 15 ; Ch. Rousseau, R.G.D.I.P., 1976, p. 1239.

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Dans ces situations de prise d�otage, la puissance intervenante n�a jamais agi avec le consentement du gouvernement local ; il est certain que l�État intervenant pour protéger ses ressortissants doit s�efforcer d�obtenir cet assentiment : ce fut le cas au Congo en 1964 et peut être de la France en Afrique en 1977 et 1978. Mais si ce droit d�intervenir peut correspondre à un état de « nécessité absolu »1, les opérations armées de grande envergure généralement menées par la France en Afrique d�expression française pour la protection d�intérêts financiers sont-elles admissibles voire licites ?

C � LA PROTECTION DES INTÉRÊTS ÉTRANGERS EN AFRIQUE

Les puissances occidentales ne manquent pas de motifs d�intervention sur le continent Africain. Dans l�espace francophone, les interventions françaises qui s�y sont déroulées depuis les indépendances sont soit une réponse à un appel des autorités locales aux prises avec des insurgés, soit pour assurer la protection de ressortissants français ou simplement une action s�inscrivant dans le cadre d�une intervention d�humanité2.

Sans remettre en cause la sincérité du fondement de telles actions, force est toutefois de constater que le droit dont l�intervenant invoque la violation ou l�engagement qu�il entend respecter masque parfois des intérêts politico financiers majeurs qui constituent la cause décisive de l�intervention. Ainsi, consentie ou non, l�intervention pour la protection d�un droit fondamental se situe souvent aux antipodes des réels objectifs

1 Sir GERALD FITZMAURICE définit cette nécessité comme une situation dans laquelle il n�y a d�autre recours que la prévention : « no subsequent action, remedy, redress or compensation can bring the dead to life or restore their limbs to the maimed » in : The general principles of international law considered from the standpoint of the rule of law, R.C.A.D.I., 1957, II, p. 172. 2 L�intervention d�humanité consiste dans l�intervention d�un État pour faire cesser la méconnaissance des « droits humains » d�un peuple par ses gouvernants, dans l�intérêt général de la communauté internationale, et non pas pour assurer la protection de ses ressortissants. Voir, Antoine Rougier, La théorie de l�intervention d�humanité, R.G.D.I.P., 1910, p. 472., Dictionnaire du droit international op. cit. p. 349. La distinction entre ce type d�intervention et celle inspirée par la protection des ressortissants n�est pas toujours faite, voir CH ALIBERT, op. cit., p. 807 et ss. Selon la théorie de l�intervention d�humanité exposé au début du 20e siècle, cette action a pour objectif soit de demander l�annulation des actes répréhensibles, soit d�empêcher leur renouvellement, soit de suppléer à l�inaction du gouvernement local en exerçant momentanément ses compétences. Voir, A. Rougier op. cit. A défaut d�une disposition conventionnelle, il semble que l�intervention d�humanité soit le produit de la coutume ; les dispositions de la Charte ne s�y opposent pas, la pratique et l�opinion générale des juristes en témoignent. Voir, H. LAUTERPACHT, International law and human rights, London, 1950, p. 120 : �A substantial body of opinions and practice is in support of the view that there are limits to the discretion of states in the treatment of their own nationals and that when a state renders itself guilty of cruelties against and persecutions of its nationals in such a way as to deny their fundamental human rights and to shock the conscience of mankind, intervention in the interest of humanity is legally permissible�.

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mais inavoués. Plusieurs cas d�intervention ou de non intervention françaises en Afrique illustrent cette situation.

En Côte d�Ivoire,, il est apparu que la rébellion a été co-organisée par le régime burkinabé1, avec une implication avérée du Libéria. C�est fortement instruites de la connaissance de tous ces éléments que les autorités ivoiriennes auraient demandé l�intervention de la France en application des accords de défense liant les deux pays. Si La France a opposé un refus systématique à toute intervention, elle a paradoxalement déployé une armada de trois mille soldats en Côte d�Ivoire, tantôt pour assurer la sécurité des ressortissants français, tantôt pour veiller à l�application du cessez-le-feu. Que la France ait choisi de ne pas actionner l�accord de défense d�avril 1961 ne s�explique nullement par quelque principe de non-ingérence. Durant les sept années qu�a duré la crise ivoirienne, une série d�actes posées par les autorités françaises, et l�action des soldats français sur le terrain ont fini par convaincre sur les objectifs inavoués de l�ex-puissance colonisatrice2.

Il semble en effet que l�implication sous prétexte humanitaire, de l�État français dans la crise ivoirienne, ne déroge pas au principe de la conservation du contrôle de ce qu�il considère comme son « pré carré » en Afrique subsaharienne. La fibre humaniste n�est sensible qu�en cas de remise en cause substantielle des intérêts considérés comme historiques et inébranlables de la France3. Le Rapport de la Commission d�enquête internationale sur les allégations de violations des droits de l�homme en Côte d�Ivoire du 19 septembre au 15 octobre 2004, malgré son origine marcoussiste et onusien, confirme dans un langage certes prudent, l�enjeu économique de la crise ivoirienne. On peut y lire, par exemple : « La Commission a reçu des témoignages faisant état d�événements qui peuvent faire croire à un certain optimisme quant à l�avenir économique de la Côte d�Ivoire. D�autres ressources existeraient aussi tels l�or, les diamants, outre des métaux rares actuellement utilisés dans la fabrication des satellites ». Le dit rapport ne l�évoque pas, mais d�après l�annexe II de l�accord de défense entre le gouvernement de la République française, de la République de Côte

1 Tant la Commission d�enquête onusienne qu�un rapport de l�armée française, cité par Fraternité Matin (quotidien ivoirien) l�ont reconnu. Cf. Crise armée : l�armée française avoue l�implication du Burkina, Fraternité Matin, 23 octobre 2004, http : fr.allafrica.com/stories/printable/200410250320.htm 2 Voir la déclaration du président Chirac devant des étudiants marseillais tendant à diaboliser le pouvoir légalement établi d�Abidjan, attaqué par une rébellion armée et l�ordre par lui donné début novembre 2004 de détruire les avions de combats ivoiriens. Il y a aussi la tuerie de l�armée française de plusieurs dizaines de civils ivoiriens devant l�Hôtel Ivoire. Cf. Afrique info, bimestriel international indépendant d�informations générales, n° 2, mai-juin 2007. 3 Il semble que c�est en rapport avec les intérêts pétroliers qu�a été décidée l�annulation de la procédure judiciaire dite des « disparus du beach » par la Cour d�appel de Paris, le 22 novembre 2004, concernant la disparition de trois centaines de jeunes congolais confiés aux autorités congolaises, « une décision sans précédent » d�après Me Patrick Baudoin, avocat de la Fédération Internationale des droits de l�homme.

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d�Ivoire, de la République du Dahomey (aujourd�hui le Bénin), et de la République du Niger, du 24 avril 1961, la France serait privilégiée dans l�acquisition de ces « matières premières classées stratégiques »1. Les propos du président Mitterrand résument l�encrage et la permanence du système politico-économique de la « Françafrique » : « En Afrique le fonctionnement gaulliste demeure aujourd�hui identique. Le personnel a changé mais les méthodes restent. Le RPR est actuellement maître de toutes les représentations d�ELF en Afrique. Les hommes du RPR sont aussi des agents du SDEC (�). Ce genre de pratique continue de nos jours (�) Foccart continue. Il travaille aujourd�hui pour Chirac »2.

Il est arrivé que des personnes privées cherchent à provoquer l�intervention de leur gouvernement pour protéger leurs intérêts à l�étranger. C�est le cas des pressions exercées par Harvey S. Firestone sur l�administration américaine, en 1933, afin d�obtenir une intervention des États-Unis au Liberia. Ce producteur de pneumatiques, pour réduire la prépondérance britannique dans la production de caoutchouc, avait investi au Liberia d�importantes sommes pour développer la culture d�hévéa3. Désireux d�échapper à l�emprise économique de l�entreprise américaine, le gouvernement libérien adopte en 1932, une suite de mesures contraires aux intérêts de l�investisseur étranger ; convaincue de l�hostilité du « comité international pour le Liberia » présidé à la S.D.N. par un britannique, la compagnie Firestone se livre à une série de démarches auprès du président Hoover et du département d�État, tendant à provoquer une intervention américaine, éventuellement par l�emploi de la force. Harvey S. Firestone, membre du parti républicain, se montre d�autant plus pressant que, quelques semaines plus tard, le gouvernement doit passer aux Démocrates. Le Secrétaire d�État Stimson, se montre hostile à l�envoi d�un navire de guerre. Mais il semble que l�échec de la démarche de la compagnie Firestone soit dû davantage à la période de transition gouvernementale qu�aux arguments développés par ses avocats4.

1 L�accord de défense du 24 avril 1961 prévoit notamment à l�article 2 que : « la République française informe régulièrement La République de Côte d�Ivoire (�) de la politique qu�elle est appelée à suivre en ce qui concerne les matières premières et produits stratégiques, compte tenu des besoins généraux de la défense et de la situation du marché mondial ». Voir également l�article 5 du-dit accord. La réciprocité entre les signataires est une véritable clause de style, en raison des inégalités des rapports réels, de domination de l�ex-puissance coloniale sur toute l�Afrique francophone. 2 Propos rapportés par Laure Adler dans son ouvrage sur F. Mitterrand, L�année des adieux, Flammarion, Paris 1995, pp. 75-76. 3 Le Royaume-Uni par le « Stevenson act » avait limité strictement l�exploitation de l�hévéa, s�assurant 80 % de la production de caoutchouc. La hausse considérable des prix dans les années 1920 a inspiré la politique commerciale de Firestone vivement encouragée par Herbert Hoover quand il était secrétaire d�État au commerce. Faits et documents rapportés in: Foreign relations of the United States, Washington, 1933, T. II, pp. 880. 4 Comme HENRY STIMSON, son successeur au secrétariat d�État, Cordell Hull, consulté sur l�affaire, s�est déclaré hostile sur l�envoi d�un navire de guerre mais favorable à celui d�un médiateur.

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Au vue de l�analyse qui vient d�être faite, relativement à la question de l�intervention des puissances étrangères sur le continent noir, un constat simple s�impose : le sous-sol africain est l�un des plus riches au monde, avec un potentiel humain jeune et de plus en plus bien formé.

De l�autre, les grandes puissances industrielles restent dépendantes des matières premières africaines pour le fonctionnement de leurs industries et le développement de leurs économies.

Au lieu de chercher à mettre en place un véritable partenariat de développement profitable à tous, les puissances extérieures à l�Afrique préfèrent s�inscrire dans l�obscurantisme et la prédation par l�organisation d�un système d�exploitation organisé du continent noir.

La déstabilisation de l�Afrique, l�implication des puissances extérieures et l�exacerbation par ces dernières des conflits armés internes, provoquant la déliquescence et le délitement de toutes les structures étatiques, constituent les moyens de pillage des ressources africaines.

Souvent, des combattants privés ou mercenaires à leur solde écument le continent noir. Ces mêmes puissances, une fois le conflit déclenché, tenteront hypocritement « d�éteindre le feu ».

Les États africains doivent donc prendre la mesure du danger et comprendre que la paix et la sécurité, la protection de leurs ressources et le développement économique du continent noir, exigent que soit inventé et mis en place un système de sécurité à vocation purement africaine, autrement dit, une identité africaine de sécurité et de défense.

Section II : Nécessité d�un dispositif africain de sécurité et de défense

L�ampleur du phénomène conflictuel sur le continent noir a amené certains à parler d�une « malédiction de l�Afrique », tant ce continent depuis les indépendances jusqu�à ce jour n�a jamais connu des moments de répit. Quand bien même les conflits armés internes ne seraient pas une fatalité inhérente à l�Afrique, force est de constater que la situation par eux provoquée bloque le décollage économique du continent noir.

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Les autorités africaines ont aujourd�hui pris conscience de ce que « le développement économique reste sans aucun doute le moyen le plus efficace, le seul durable, pour prévenir les conflits et limiter les zones de risques� »1. Les réflexions menées sur la création d�une force africaine de défense s�inscrit dès lors, dans une dynamique de pacification du continent dans le cadre d�une responsabilisation des africains dans la gestion de leurs conflits2.

Les pays occidentaux qui veulent bien appuyer ces initiatives africaines ont initié des programmes d�aide à la mise en place d�une armée africaine apte à intervenir dans les situations de conflits. La question se pose de l�opportunité de l�apport de ces puissances tierces dont on sait qu�elles n�ont jamais rien fait par hasard sur le continent noir, et à un moment où la méfiance, du fait des expériences passées commande la prudence des africains face à cette « générosité » des pays occidentaux ; le choix étant celui d�une identité africaine en matière de sécurité et défense. Cependant, il convient au préalable d�analyser l�étendue des perspectives occidentales de maintien de la paix en Afrique pour ensuite les confronter à la problématique de l�identité africaine en matière de sécurité et de défense.

PARAGRAPHE I : ANALYSE DES PERSPECTIVES OCCIDENTALES DE MAINTIEN DE LA PAIX EN AFRIQUE

Sur l�épineuse question de la constitution d�une force africaine de maintien de la paix, les européens et les américains rivalisent de programmes au profit du continent noir3. La proximité entre ces différents projets est telle que l�on a du mal à les distinguer au point de s�interroger sur l�intérêt de cette multiplicité de programmes pour des idées si proches.

1 GNASSINGBÉ EYADÉMA, président du Togo, La force d�intervention africaine, Défense nationale, n° 2, février 1999, pp. 5-9. 2 Ibid. 3 Cf.. ERIC G. BERMAN, and KATIE E. SAM, Peacekeeping in Africa: capabilities and culpabilities, UNIDIR, 2000 pp. 265 et ss.

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A � L�EUROPE ET LA FORCE AFRICAINE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE

C�est dans le cadre de la coopération entre l�Europe et l�Afrique que la Grande Bretagne et la France, deux ex-puissances coloniales du continent noir ont décidé de se porter à « l�avant garde » du combat pour la sécurité en Afrique. En fait, l�idée de la création d�une force d�intervention africaine résulte de l�incapacité enregistrée par le système de l�Organisation des Nations Unies à mettre en �uvre, immédiatement et dans un court délai, les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité. A l�origine, la France et la grande Bretagne avaient mis en place des projets de création d�un mécanisme militaire d�intervention africaine dans leurs zones d�influence respectives. La signature de l�accord de coopération entre ces deux puissances en 19931 en matière de diplomatie préventive sur le continent africain visait à optimiser l�efficacité de leur action par le biais d�une politique coordonnée, et impliquant une participation des autres États européens et permettre ainsi, une action synergique dans les rapports entre l�Afrique et l�Europe.

Il n�en demeure pas moins vrai que ces puissances n�exposent que l�idée qu�elles se font de la sécurité sur ce continent. A cet égard, il convient de distinguer le projet britannique qui défend une thèse multi-latéraliste, du projet français qui semble opter pour un début de responsabilisation plus étroite des africains.

1) Le programme britannique

L�initiative britannique qui s�inscrit dans sa conception des « opérations du maintien de la paix élargie »2, répond au proverbial pragmatisme propre aux anglo-saxons. Son objectif vise à prévenir et donner à l�Afrique la capacité d�intervenir rapidement et efficacement.

S�adressant à la 49è session de l�Assemblée générale des Nations Unies le 28 septembre 1994, le Secrétaire d�État aux affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume Uni, Lord Douglas Hurt, renouvelait sa conviction sur la nécessité du renforcement des capacités des Nations Unies, en donnant la priorité à l�Afrique. Cette proposition s�articulait autour d�un certain nombre de mesures à entreprendre par

1 BELLAMY C., Old imperialists forge African force for peace, The Independent, 22 mai 1996. 2 Document de l�O.U.A., Central Organ/Mec/Min/3 (IV), p. 12.

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l�O.N.U., notamment la mise en place de programme de formation pour faire acquérir aux armées africaines des notions de doctrine et de discipline en matière de maintien de la paix, la médiation et le règlement des conflits, l�établissement sur le sol africain de bases militaires de l�O.N.U., en lieu et place de contingents étrangers actuels établis en Afrique sur une base bilatérale. Dans la vision britannique, les États africains doivent fournir les troupes avec un appui en armement et en logistiques des grandes puissances occidentales (notamment membres permanents du Conseil de sécurité de l�O.N.U.). Sur le terrain, il sera alors question de la mise en place de centres logistiques des Nations Unies dans toutes les sous régions africaines1. A cet égard, des exercices grandeur nature suivis de séminaires s�étaient déjà déroulés. C�est le cas de l�exercice Blue Causus qui a eu lieu dans le Camberly Staff College de Londres du 7 au 9 octobre 1994, et ayant réuni des officiers supérieurs des armées du Kenya, du Ghana, de Égypte et du Zimbabwe. Un an plus tard, soit du 23 au 27 janvier 1995, un exercice de même nature s�est déroulé à Hararé (Zimbabwe) toujours sur l�impulsion de la Grande Bretagne. Cet exercice a réuni des officiers supérieurs de dix-sept pays africains. L�exercice avait pour but, « la conduite, les pratiques et les principes des opérations du maintien de la paix du point de vue militaire, en vue de donner des orientations aux commandants sur les besoins en éducation et en formation »2. Parallèlement à ces exercices, des séminaires de réflexion ce sont également déroulés3.

Leur objectif a été de trouver des voies et moyens et les stratégies militaires adaptées en vue réagir efficacement aux différentes situations conflictuelles sur le continent africain.

L�initiative britannique, aussi louable soit-elle ne peut échapper à notre critique. En effet, alors que les africains continuent de mener des réflexions sur les possibilités de création d�une structure militaire commune capable de mieux répondre aux préoccupations sécuritaires du continent, les exercices britanniques se limitent exclusivement à l�espace de l�Afrique anglophone. En outre, ce projet s�inscrit dans le cadre de l�Organisation des Nations Unies qui consacre la responsabilité principale du conseil de sécurité en matière de sécurité collective. On retrouve ici comme membres

1 Selon CHRISTINE PHILIPPE, il existerait déjà en Égypte, un « centre d�entraînement sur le règlement des conflits et le maintien de la paix », Cf. son article : Une force africaine d�intervention, Défense nationale, octobre 1995, p. 123. 2 Document de l�O.U.A., Central Organ/Mec/Min/3 (IV), p. 11. 3 Suite à l�exercice de Camberley, un séminaire de réflexion s�est tenu à Accra sur la question du système d�alerte rapide permettant une information précoce sur les zones à risque et une réaction rapide pour prévenir l�éclatement du conflit. D�autres séminaires ont eu lieu au Caire (Égypte) et à Hararé (Zimbabwe) pour réfléchir sur tous les contours de la question sécuritaire en Afrique

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permanents du Conseil de sécurité, les ex-puissances colonisatrices qui ne sont pas toujours innocentes dans les convulsions africaines ; elles qui donnent la mesure de l�implication des Nations Unies dans les conflits armés internes en Afrique. Enfin, le projet britannique donne manifestement aux puissances occidentales initiatrices, la priorité pour la fourniture d�armes et de logistique. Un grand marché s�ouvre ainsi pour l�industrie d�armement. Il va donc de soi que le projet britannique à notre sens n�est pas dénuée de toute arrière pensée.

A l�instar de la Grande Bretagne, la France a elle aussi construit et développé son concept : le renforcement des capacités africaines pour le maintien de la paix et de la sécurité (RECAMP).

2) Le programme français : le renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP)

La doctrine militaire française a depuis quelques années adopté une nouvelle approche de l�interventionnisme français en Afrique avec la mise sur pied du concept de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP). En fait, il s�agit d�une réflexion qui découle des délibérations de la XVIIIe conférence des chefs d�État français et africains, les 9 et 10 novembre 19941. La question d�une force interafricaine ayant pour mission « d�intervenir à temps, avant et après pour penser les blessures et contenir les violences »2 était inscrite au 3è point de l�ordre du jour. Loin d�un projet « clef en main » selon l�expression du ministre français Alain Juppé, cette solution exprime l�actualité du débat sur la nécessité de responsabiliser les africains en matière de maintien de la paix. Contrairement à la Grande-Bretagne qui met l�accent sur le multilatéralisme autour des Nations Unies, la France quant à elle, milite pour la création d�une force interafricaine, avec l�appui de l�Union européenne, et pour l�établissement d�un État-major permanent africain chargé de préparer les plans d�intervention.

En fait, l�objectif est d�impliquer directement les armées africaines dans la gestion des crises que traverse le continent, la France se cantonnant dans une fonction de formation et de soutien logistique. L�ancienne puissance coloniale n�a pas vocation à intervenir directement : c�est aux troupes africaines envoyées par leurs États qu�il

1 Toutefois, déjà en juillet de la même année, le ministre de la défense, François Léotard, avait exprimé l�idée d�une telle force : Cf. Marchés Tropicaux et méditerranéens, n° 2680, 21 mars 1997, p. 592. 2 Discours du Ministre français des affaires étrangères, M. Alain Juppé, à l�ouverture du sommet de Biarritz des 9 et 10 novembre 1994.

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revient de s�impliquer sur les théâtres conflictuels qui menacent le continent. Depuis le lancement du RECAMP le 5 décembre 1997, ce concept est devenu le symbole de la réorientation de la politique militaire française en Afrique. Selon le Quai D�Orsay le programme RECAMP est fondé sur les principes suivants : le multilatéralisme qui le distingue de la coopération militaire bilatérale classique et qui se traduit par le choix de la sous région (C.E.D.E.A.O., CEEAC, S.A.D.C.�) comme cadre d�action privilégié ; l�ouverture, tous les États africains qui le souhaitent pouvant a priori y participer ; la transparence�

Nouvel outil de coopération avec l�Union Africaine, le RECAMP vise particulièrement des situations où il est possible de parvenir au règlement pacifique d�un conflit, conformément aux dispositions de la Charte de l�O.N.U. Il permet d�établir un partenariat triangulaire U.A.-France-O.N.U. favorisant le déploiement, dans de meilleurs délais, d�une force multinationale de maintien de la paix. La formation, l�entraînement et l�équipement sont les piliers de ce programme.

De l�examen du programme français, s�imposent quelques remarques. Cette force africaine est mise sous l�autorité de l�Union Africaine mais le pouvoir de décision reste en réalité de la compétence de l�O.N.U. où le Conseil de sécurité a la responsabilité principale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales alors que la France dispose en son sein d�un siége de membre permanent donnant droit conformément à l�article 27 alinéa 3 de la Charte1, à un droit de veto. En outre cette force armée africaine sera essentiellement équipée par la France. Il va donc sans dire que dans une situation de conflit, la force africaine ne fera rien sans l�accord de la France qui cherchera d�abord à voir dans quelle mesure ses intérêts sont protégés avant de prendre position. Le programme RECAMP présente également un vaste marché pour l�industrie française d�armement. Il s�agit là d�une limite à l�action des forces africaines qui seront de ce fait constamment sous surveillance française.

Par ailleurs, il serait difficile de dire qu�un trait est tiré sur la fonction de « gendarme de l�Afrique » expression sans doute excessive, mais que la France elle-même n�a jamais répudiée.

A notre sens, ce qui s�apparente à une révolution n�est pas exempt d�incohérence ni de contradiction. Comment concilier la politique de non-intervention inhérente au concept de RECAMP et, en même temps, ne pas procéder à une révision des accords de

1 Cet alinéa dispose que « les décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents� ».

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défense et de sécurité signés avec les États africains au lendemain des indépendances qui supposent au contraire une garantie active et directe de la France en cas de conflit ? comment vouloir aider les africains à mettre fin aux conflits et ne pas se préoccuper de la moralisation des pratiques dont la « Françafrique »1 synthétise les dérives avec une activation ici ou là, de réseaux toujours efficaces quand le besoin s�en fait sentir ? Et comment expliquer la compromission avec les dictatures africaines autre source de conflit ?

Sans doute aurait-il fallu que la France évite d�osciller entre deux attitudes peu conciliables et adopte une politique volontariste, efficace et transparente, profitable à l�Afrique et à elle-même et capable de conforter son rayonnement dans le concert des Nations.

En tout état de cause, le concept RECAMP fait son chemin. Dans le cadre de ce projet, un séminaire s�est tenu à Dakar (Sénégal), les 14 et 15 décembre 1995, sur la « diplomatie préventive et le maintien de la paix en Afrique »2.

Le concept prévoit tous les deux ans un exercice majeur simulant des opérations de maintien de la paix pour permettre l�entraînement de la totalité des chaînes de commandement et de décision engagées dans ce programme. L�application de RECAMP sur le terrain s�est matérialisée par l�envoi en Guinée Bissau d�une force ECOMOG de la C.E.D.E.A.O. composées de contingents originaires du Bénin, du Niger et du Togo. Lors du déclenchement de la crise ivoirienne en 2002, des forces ouest africaines se sont déployées dans le cadre de l�opération des Nations Unies en Côte d�Ivoire (O.N.U.C.I.). Dans la quête de stratégie du RECAMP, la France veut non seulement l�articuler avec l�action des forces africaines pré positionnées mais il est également question d�y associer d�autres partenaires avec une implication accrue de l�Union européenne.

La difficulté ici réside dans la communication, résultant de la différence de langue, que ce soit entre les contingents ou entre les contingents et leur commandement. Dans le cadre de l�ECOMOG, il y a une rivalité entre anglophones et francophones, et l�école de maintien de la paix de la C.E.D.E.A.O. de Zambakro en Côte d�Ivoire est un cadre qui peut contribuer à l�atténuer.

1 Voir FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE, Noir silence, op. cit. 2 Ce séminaire a vu les participations suivantes : la Côte d�Ivoire, l�Égypte, l�Afrique du Sud, la Belgique, l�Espagne, le Burkina Faso, les États-Unis, la France, le Canada, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Togo, le Royaume-Uni, la Tunisie, le Zimbabwe et des organisations internationales.

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Les américains qui ne veulent pas rester en marge du problème sécuritaire en Afrique ont développé le concept « African Crisis Response Initiative », (A.C.R.I.).

B � LE PROGRAMME AMÉRICAIN : AFRICAN CRISIS RESPONSE INITIATIVE (A.C.R.I.)

Depuis quelques années, l�intérêt politique et militaire des États-Unis pour l�Afrique s�est considérablement accru1. En fait, cela fait plus d�une quinzaine d�années que les États-Unis multiplient les accords militaires avec les pays africains, y compris dans l�ancien « pré carré » français. La lutte contre le terrorisme sert désormais de prétexte. A cet égard, il convient de noter la participation indirecte de Washington, au mois de mars 2004, à une opération militaire menée par quatre pays du Sahel (Mali, Tchad, Niger et Algérie) contre le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (G.S.P.C.)2. Dès le mois de janvier 2004, des moyens considérables auraient été déployés par l�armée américaine pour soutenir la lutte des troupes locales contre le G.S.P.C. L�aide aurait été organisée dans le cadre du programme d�assistance militaire Initiative Pan Sahel (P.S.I.), opérationnel depuis novembre 2003 et doté pour 2004 de 6,5 millions de dollars. Ce programme vise à aider le Mali, le Tchad, le Niger et la Mauritanie à combattre « la contrebande, les criminels internationaux et les mouvements terroristes ».

« P.S.I. est un outil important de la guerre contre le terrorisme et a beaucoup fait pour renforcer les liens dans une région que nous avions largement ignorée par le passé, et notamment entre l�Algérie et le Mali, le Niger et le Tchad », a expliqué le colo-nel Victor Nelson, responsable de ce programme pour le bureau du secrétariat d�État à la défense chargé des questions liées à la sécurité internationale.

Les États-Unis ont de toute évidence pris conscience de leur dépendance à l�égard des matières premières fournies par le continent. Ainsi, après l�échec de son intervention en Somalie, entamée le 9 décembre 1992 et terminée le 31 mars 1994, le président Clinton relança la politique africaine de Washington. Ce regain d�intérêt se manifesta clairement lorsque Washington accueillit du 15 au 18 mars 1999, la première rencontre

1 Cet engouement pour l�Afrique est illustré par la visite du Secrétaire d�État Colin Powell au Gabon et en Angola en septembre 2002, le voyage du président Bush au Sénégal, au Nigeria, au Botswana, en Ouganda et en Afrique du Sud en juillet 2003 et la tournée du général Charles F. Wald, Commandant adjoint de l�Eucom dans dix pays africains (Ghana, Algérie Nigeria, Angola, Afrique du Sud, Namibie, Gabon Sao-Tomé-et-Principe, Niger et Tunisie). 2 Le numéro deux de cette organisation, M. Ammari Saïfi, connu sous le nom d� « Abderrazak le para », aurait été arrêté au Tchad en mai. Cette arrestation annoncée par le Tchad le 18 mai, n�a été confirmée que par l�Allemagne, de source tchadienne.

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entre les responsables de huit organisations régionales africaines, quatre-vingt-trois ministres du continent et leurs homologues américains. Si on a évoqué le terrorisme en raison des attentats de 1998 contre les ambassades américaines à Nairobi et à Dar es-Salaam attribués à Al-Qaida, la réunion sera surtout suivie de l�adoption de la loi américaine sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (African Growth Opportunity Act, A.G.O.A.), élargissant l�accès des produits africains au marché américain1. Plus discrète a été la mise en place progressive d�un système trop cohérent d�assistance militaire à partir du milieu des années 1990. en 1996, Washington lance la création d�une force de réponse aux crises africaines (ACRF)2. Ce projet a été officiellement soumis à l�Organisation de l�unité africaine (O.U.A.) et fait l�objet de discussion. Cette force avait pour objectifs d�« asseoir la capacité du continent et de l�O.U.A. à réagir rapidement aux situations de crise en Afrique », et « s�attaquer urgemment à l�aggravation de la crise pour éviter des situations humanitaires critiques »3.

Peu après, cette force est remplacée par une structure nommée Initiative de réponse aux crises africaines (African Crisis Response Initiative � A.C.R.I.)4.

En fait, c�est sous l�administration Clinton que le programme A.C.R.I. a été lancé en 1996 en vue d�aider à l�accroissement des capacités des pays africains à répondre aux situations conflictuelles ; autrement dit, la mission officielle de l�A.C.R.I. est l�entraînement au « maintien de la paix » et à l�« aide humanitaire » ; et les matériels fournis sont de type « non létal ».

En réalité l�A.C.R.I. est destiné à moderniser et à adapter aux normes américaines les forces armées locales, notamment face à l�émergence du terrorisme en Afrique. Elle vise aussi, naturellement, à éviter de nouveaux désastres de type somalien. Bien que A.C.R.I. soit une création du Secrétariat d�État américain, c�est le commandement européen de l�armée américaine (US-Eucom) qui en coordonne les moyens militaires, particulièrement le recours aux forces spéciales.

L�A.C.R.I. prolonge une série de programme d�assistance militaire ou civile ponctuels développés par les États-Unis depuis le début des années 1990 et gérés par le

1 Réunion ministérielle État-Unis/Afrique. Un partenariat pour le XXIe siècle. www.usinfo.state.gov/regional/af/usafr/frenchmn/frsked.htm 2 Cf. Document Concept of African Crisis Response Force. Ce projet américain dont Warren Christopher a fait l�objet de sa tournée était éminemment électoraliste : à quelques semaines des élections présidentielles aux États-Unis, cet intérêt de Bill Clinton pour l�Afrique a pu lui attirer la « sympathie » des Afro-américains. 3 Voir Document, Concept of African Crisis Response Force. 4 Voir PHILIPPE LEYMARIE, Washington à la recherche d�espaces vierges en Afrique, Le Monde diplomatique, mars 1998.

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secrétariat à la défense. C�est le cas notamment du Mali. De même, en juillet 2001, quatre cents soldats sénégalais ont suivi, dans le cadre de l�A.C.R.I., une formation à la « guerre psychologique ».

Au plan législatif, le Congrès américain a adopté une loi relative à la gestion de ces conflits1. L�objectif de cette législation, aux dires du président de la sous-commission du congrès chargée de l�Afrique, est � to build African capability in conflict resolution by authorizing assistance for the following purposes : to help build the organization of African unity�s conflict resolution capability ; to do the same for African sub regional organizations ; to promote the process of demobilisation in Africa ; to provide training for Africans in conflict resolution ; and to support non-governmental organizations involved in mediation in Africa�2. Toute la philosophie de l�initiative américaine est résumée dans cette déclaration : « nous n�avons pas l�intention de créer une force africaine permanente et nous ne cherchons pas à créer des forces d�élites pour gérer l�instabilité. Nous souhaitons seulement fournir un entraînement dans des domaines qui sont traditionnellement associés à n�importe quelle opération de maintien de la paix� »3

Autant les américains ne veulent plus s�engager directement dans les crises africaines, après l�épisode somalien, autant ils restent conscients que le développement de leurs investissements présuppose une stabilisation sociopolitique du continent. A cet égard, les grandes lignes du programme A.C.R.I. sont constituées par la formation des contingents africains aux opérations de maintien de la paix, la fourniture d�un équipement adapté à leurs besoins, notamment en matière de télécommunication et d�interopérabilité sans toutefois nommer le dépositaire du pouvoir de décision. Mais il est fort probable que ce pouvoir de décision soit échu aux Nations Unies en raison des stipulations de sa Charte constitutive4.

Cette nouvelle initiative américaine en faveur de l�Afrique nous fait penser à son programme dit �International Military Education and Training� (I.M.E.T.), créé en 1976. Ce programme est souvent considéré comme le plus traditionnel des programmes

1 African Conflict resolution Act (H.R. 4541) cité dans Mary Spear and Jon Keller, Conflict Resolution in Africa: Insights from UN Representatives and US Government Officials, Africa Today 43, 2 (1996), p. 134. 2 MARY SPEAR AND JON KELLER, Conflict Resolution in Africa, Ibid. 3 KERN VINCE, Deputy Assistant Secretary of Defense for African Affairs, Department Official Outlines A.C.R.I. to Congress, USIS, Washington File, 8-10-97, cité par Bagayoko Penone Niagalé, Les politiques de sécurité française et américaines en Afrique de l�Ouest : Approche comparée des stratégies de la France et des États-Unis, Thèse de Doctorat en Science Politique, T.III, IEP de Paris, 2002, p. 688. 4 WARREN CHRISTOPHER dans son allocution à l�O.U.A., à Addis-Abeba, le 10 octobre 1996, disait : « la décision de déployer la mission incombera à l�O.N.U. (�) Elle sera sous l�autorité de l�O.N.U. comme toute autre opération humanitaire ou de maintien de la paix ».

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d�entraînement militaire américain. Il s�agit d�un mécanisme de financement par lequel les États-Unis subventionnent l�entraînement et l�instruction de militaires étrangers ainsi que de civils. Supervisé et financé par le département d�État, I.M.E.T. est mis en �uvre sur le terrain par le pentagone qui le gère via la Defense Security Assistance Agency (D.S.A.A.). L�accord I.M.E.T. est ce que la loi qualifie d�accord exécutif (executive agreement).

Ce qui signifie qu�un tel accord peut être décidé à la seule discrétion du président, à la différence des traités qui, eux, doivent être ratifiés par le congrès américain.

Le foisonnement de toutes ces initiatives1 qui peuvent témoigner d�une réelle sollicitude des occidentaux en faveur de l�Afrique n�en révèlent pas moins une intrigue. Outre le sentiment de responsabilité qu�ils pourraient se reconnaître à l�égard de la situation se prévalant sur le continent africain, les occidentaux justifieront leurs actions par des raisons humanitaires, de défense de valeurs démocratiques, ou par des préoccupations de sécurité internationale.

Pourquoi ne pas inscrire alors ces différents programmes dans un projet commun de sécurité et de défense sur la base de besoins bien compris de l�Union Africaine avec l�appui d�autres partenaires2 ?

En effet les différentes initiatives occidentales en faveur d�une force africaine d�intervention appellent quelques observations.

L�activisme des puissances occidentales pour une force africaine s�inscrit indubitablement dans une autre logique que celle des intérêts des africains. A cet égard, la multiplicité des programmes rend compte de la nécessité de défense d�intérêts propres à chaque puissance3.

En effet, et comme nous l�avons déjà souligné, la constitution d�une force africaine de maintien de la paix ouvre inexorablement un marché pour l�industrie militaire et consacre de ce fait une tutelle occidentale permanente sur l�Afrique ; tous ces projets

1 ROLAND ADJOVI, Perspectives française et américaine pour la gestion des conflits, Symposium de Genève : coopérer pour la paix : le rôle des organisations régionales, 27-28 octobre 1999. 2 FELIX NKUNDABAGENZI, L�union africaine et la prévention des conflits africains, Rapport du GRIP, 2000/5 Bruxelles, 34 p. 3 Le fait révélateur à souligner est la difficulté à mettre en place la force internationale à déployer dans le Kivu en 1996 sur décision du Conseil de sécurité : alors que les français se démêlaient pour le maintien du régime Mobutu, les américains soutenaient les rebelles de Kabila ; en outre les entreprises minières américaines ont très tôt signé des contrats d�exploitation des mines sous contrôle des rebelles. Un ambassadeur américain dans la région des grands lacs aurait dit « ce qui se passe actuellement dans la région des grands lacs est une bonne chose, Voir, James Walsh, Museveni, parrain d�un nouveau modèle, Courrier International, n° 338, 24 au 30 avril 1997, p. 13.

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dessaisissent l�Afrique du pouvoir de décision au profit de ces puissances intervenantes via le conseil de sécurité de l�O.N.U.

Le projet britannique s�inscrit dans les relations privilégiées entre cette ex-puissance coloniale et ses anciennes colonies. La Grande-Bretagne aura donc voie déterminante dans la décision d�intervention de cette force.

Le projet français respectera la même logique même si sa décision comme celle des États-Unis, doit se diluer dans celle des Nations unies.

Ces trois grandes puissances, membres permanents du Conseil de sécurité disposent chacune d�un droit de veto qu�elles font jour au gré de leurs intérêts nationaux et de leur opinion publique1.

Il suit de ce qui précède que l�espoir d�une paix réelle en Afrique ne peut voir le jour que par la mise en place d�une force africaine de maintien de la paix conçue et dirigée par les africains eux-mêmes. C�est tout le défi de la mise sur pied d�une identité africaine en matière de sécurité et défense.

PARAGRAPHE II : LA PROBLÉMATIQUE DE LA MISE EN PLACE D�UNE IDENTITÉ AFRICAINE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE

Au lendemain des indépendances, les Etats africains ont constitué des armées nationales. L�incapacité de celles-ci à assurer la paix intérieure et extérieure des Etats, a contraint ceux-ci notamment, de l�Afrique francophone à concéder les attributs de la puissance à la France. Pendant plusieurs décennies, la France s�est engagée par des accords de défense à assurer l�ordre interne et la sécurité de ces Etats, sans jamais parvenir à instaurer une paix véritable. Suite au « désengagement » progressif de la France et aux difficultés de la communauté internationale pour trouver des solutions éfficaces et adéquates à ces conflits, les Etats africains n�ont aujourd�hui d�autres alternatives que d�affronter résolument ce défi sécuritaire majeure. Ainsi, en même temps qu�ils doivent chercher à consolider leurs forces de sécurité et de défense nationales, ces Etats doivent s�engager avec abnégation, dans un projet ambitieux de création d�une force de sécurité et de défense à vocation purement africaine, capable

1 Voir SAMY COHEN (dir.), L�opinion, l�humanitaire et la guerre. Une perspective comparative, Paris, Fondation pour les Études de Défense, 1996, 112 p.

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de réagir en temps réel pour rétablir l�ordre et la paix au sein des Etats africain. C�est en cela que se justifie l�idée d�une force armée africaine. Mais la constitution de cette force ne peut être réalisable que si les armées nationales se dotent d�une capacité et d�un outil militaire minimum. Or l�état des forces armées nationales comme je le disais tantôt, suscite des appréhensions et rend compte de l�immensité de la tâche.

A � ÉTAT DES LIEUX DES FORCES ARMÉES AFRICAINES

Si l�Afrique continue d�être une zone de forte turbulence, c�est qu�elle cumule comme nous l�avons déjà noté, nombres de facteurs d�instabilité : sous-développement chronique, avec son double corollaire, une pauvreté généralisée et une démographie pas ou peu contrôlée ; affrontements domestiques sur fond de particularismes ethniques, culturels et religieux ; maladies endémiques non éradiquées, accompagnées d�une progression foudroyante d�affections virales bien souvent mortelles ; tentation d�États ou de coalitions de circonstance de profiter de la déliquescence ou de la faiblesse politique de tel ou tel pays voisin pour piller ses richesses et y entretenir une situation de violence quasi permanente.

Dans un tel contexte, les forces de défense et de sécurité1 dont on attend qu�elle joue leur partition, restent souvent impuissante, livrant ainsi certains États à l�anarchie. En fait le dépérissement de l�outil militaire et la montée de l�insécurité s�inscrivent manifestement dans cet état de délitement généralisé des structures étatiques en Afrique. C�est pour tenter de remédier à cette situation et sans préjuger de l�efficacité de leurs actions, que des regroupements des forces armées ont été instituées dans certaines sous régions africaines en vue de mener une action militaire concertée dans la perspective de pacification générale et de prévention contre toute initiative de déstabilisation.

1 La défense, entendue au sens de l�article 1er de l�ordonnance du 7 janvier 1959 en France, a un caractère global et « pour objet d�assurer en tout temps et en toutes circonstances et contre toutes les formes d�agression la sécurité et l�intégrité du territoire, ainsi que la vie de la nation ». l�imbrication de plus en plus forte et de plus en plus complexe des risques et menaces avérés ou potentiels conduisent à confondre dans une notion générale les concepts de défense et de sécurité. Mme Dominique Bangoura a essayé dans le cadre de l�Union Africaine d�apporter quelques précisions sur les concepts de sécurité, paix et défense, voir : L�Union africaine face aux enjeux de paix, de sécurité et défense, Actes des Conférences de l�OPSA les 18 juin, 13 novembre et 19 décembre 2002, Paris, (Dominique Bangoura dir.), p. 15-31.

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1) Le dépérissement de l�outil militaire en Afrique

En matière de politique de défense et de sécurité, depuis la création de l�Organisation de l�unité africaine (O.U.A.) en 1963, les chefs d�État et de Gouvernement africains se sont toujours accordés sur les grands principes notamment, la défense de leur souveraineté, leur intégrité territoriale et leur indépendance, tout en affirmant leur volonté de non-ingérence dans les affaires intérieures des États membres. Les mécanismes mis en place pour tenter de prévenir et, si possible, résoudre les conflits, procédaient pour beaucoup de « la tradition africaine qui se définit en termes de dialogue, de compromis, de coexistence et de paix »1. Les évènements tragiques qui se sont succédés sur le continent depuis la période des indépendances et la signature de la Charte de l�Organisation panafricaine, et qui ont atteint l�abominable avec le drame de la région des grands lacs, n�ont pas conduit la plupart des dirigeants africains à une meilleure appréhension de la sécurité collective, même si avec l�avènement de l�Union Africaine aujourd�hui, le mythe de la non-ingérence semble avoir volé en éclat.

Au plan purement militaire, nombres d�études, colloques ou séminaires consacrés aux forces armées africaines mettent clairement en exergue le fait que la faiblesse économique des États affecte leurs efforts de dépense, notamment les dépenses consacrées aux soldes des militaires, à l�entretien du matériel et à la logistique en général. Le personnel militaire de carrière étant très mal payé, il est constamment soumis à la tentation du banditisme organisé et des coups d�État qui n�ont de cesse de déstabiliser le continent.

S�y ajoute la pression des pays donateurs et des institutions financières internationales, qui conditionnent leurs prêts, aides ou subventions à des réformes internes drastiques ayant de fortes incidences sur les budgets de fonctionnement ; le domaine de la défense étant ainsi sacrifié au profit de priorités souvent imposées de l�extérieur. Koffi Annan Secrétaire général des Nations Unies avait d�ailleurs plaidé dans ce sens, en demandant aux États africains de ramener leurs dépenses d�armement au dessous de 1,50 % de leur PIB et de ne pas augmenter leur budget de dépense pendant les dix prochaines années2.

De ce fait, l�entraînement des unités est souvent réduit à des exercices de drille, faute de munition et de moyens de déplacement. Les états-majors nationaux restent,

1 THIERRO BAH, Les mécanismes traditionnels de prévention et de résolution des conflits en Afrique noire, étude rédigée sous le patronage de l�UNESCO. 2 Rapport du Secrétaire général des Nations Unies du 16 avril 1998.

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davantage des organes de gestion que de coordination, sans véritable capacité opérationnelle. L�autre phénomène aggravant du dépérissement de l�outil militaire résulte de l�éclatement du pacte de Varsovie et la fin de la guerre froide. En effet cette nouvelle donne internationale a nourri un marché lucratif de vente d�armes, notamment de petits calibres, à des prix accessibles tant à des particuliers q�aux bandes organisées, accroissant les stocks constitués durant les guerres de libération ou les conflits intra ou interétatiques.

La violence et la peur individuelle s�en sont accrues d�autant, faisant le lit des compagnies de sécurité privée, celles-ci servant aussi bien les intérêts étatiques que les intérêts particuliers dont, notamment, la protection des biens et installations des sociétés étrangères.

Les forces armées africaines vivent également fortement le drame de la pandémie du sida qui participe manifestement à l�affaissement de ces structures militaires. Selon les estimations dont a fait état le Johannesburg Financial Mail du 11 décembre 1998, l�infection par le virus du sida toucherait 50 % des effectifs militaires en Angola et au Congo, 66 % en Ouganda et au Malawi et 80 % au Zimbabwe1. C�est, probablement ce constat qui a conduit le président ougandais Museveni à se dire frustré de dépenser l�argent de l�État pour former des officiers qui, pour la plupart, mourront peu de temps après2.

Pour palier à la déliquescence des forces armées nationales et suppléer ces dernières face aux mouvements rebelles souvent mieux équipés, des systèmes de sécurité collective dont certains ont fait leur preuve, ont été développés au sein de certaines sous régions.

2) Des structures armées sous-régionales de maintien de la paix peu efficaces

Malgré la prolifération des conflits armés internes et les zones de turbulence, le continent africain n�est couvert par aucun pacte de défense collective. En matière de sécurité et défense sur le continent noir, l�espoir est resté du côté des organisations

1 Cité par le DR STEVENS METZ dans l�étude qu�il a consacrée, sous le couvert de l�US Army College, à une meilleure adaptation de la stratégie américaine en Afrique. 2 Ibid.

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sous-régionales. A cet égard, l�Ecowas ceasefire monitoring group (ECOMOG)1 issu d�un accord préalable à toute situation de guerre et conclu entre États de l�Afrique de l�Ouest constitue une véritable référence.

En effet, la Communauté Économique des États de l�Afrique de l�Ouest (C.E.D.E.A.O.) est la première organisation sous-régionale à but économique à avoir créée une telle force de maintien de la paix.

Dès le déclenchement du conflit libérien, l�ECOMOG avait reçu des instructions précises à savoir : la paix en maintenant séparées les factions combattantes. L�ECOMOG, dans sa structure de force multinationale interarmées avec ses composantes terrestre, aérienne, aéronavale et amphibie, exige une expérience du commandement des grandes unités, une cohésion dans l�exercice et une organisation et des moyens de commandement modernes. Or, comme déjà souligné, les armées nationales africaines et notamment ouest africaines n�ont ni l�expérience ni les capacités technologiques pour ce type d�intervention. Les cadres militaires ouest africains non plus n�ont pas cette expérience. C�est ce qui a expliqué les difficultés de la force ouest africaine au Liberia et en sierra Leone. Mais le plus important est que les insuffisances de cette force ont éveillé la nécessité de création d�une force armée permanente africaine.

En fait, les États ouest africains ont très tôt pris conscience de la gravité de l�insécurité qui pèserait sur leurs régimes successifs en cas d�agression. Pour mieux assurer leur défense extérieure et intérieure et conscients de ce que la mise en commun de leurs moyens de défense est la condition indispensable de l�efficacité de leur action, ils mettent en place le 9 juillet 1977, un accord de non-agression et d�assistance en matière de défense (ANAD)2. Une fois de plus, malgré la volonté de certains États membres de parfaire cet accord, le bilan de l�ANAD restera très modeste. Autre initiative née au sein de la C.E.D.E.A.O., a été la naissance des Forces Armées Alliées de la Communauté (F.A.A.C.) chargées d�intervenir en cas d�agression extérieure, d�un conflit entre les États membres, ou d�un affrontement interne attisé par des puissances extérieures au continent.

1 Voir L�intervention de l�ECOMOG au Liberia, Actes du Colloque international organisé par l�école doctorale de Droit à l�Université de Cergy-Pontoise, (Madjid Benchikh dir.), p. 265-291. Éd. L�Harmattan. 2 L�ANAD regroupe les États membres de la Communauté économique de l�Afrique de l�Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d�Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, le Togo et la Guinée). Dans le cadre de cet accord, les États fondateurs se fondent sur trois principes : le non-recours à la force entre les États parties au traité, un engagement d�assistance réciproque en cas d�agression et la mise en commun des moyens militaires des alliés.

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La Communauté Économique des États de l�Afrique Centrale (C.E.E.A.C.) a également initié des dispositions similaires. A cet égard, des unités d�interventions sous-régionales ont été créées.

En Afrique orientale, l�autorité pour le développement (IGAD) a proposé un règlement pacifique de la guerre civile au Soudan et du conflit Éthiopie-Érythrée. Des initiatives similaires ont également été entreprises dans le cadre de la Communauté de développement de l�Afrique australe (S.A.D.C.). Elle a en effet créé un volet relatif à la coopération dans les domaines de la paix et de la sécurité. En 1996, elle a mis en place un organe chargé de la politique, de la défense et de la sécurité qui comprend un comité de politique et de diplomatie, et un comité de défense et de sécurité.

La S.A.D.C. vient de franchir un grand pas dans sa volonté de permettre à l�Afrique de disposer à terme d�une force militaire dans la perspective d�une pacification générale du continent. Ainsi pour donner une impulsion à cette idée forte et chère à tous les africains aujourd�hui, les dirigeants de l�Afrique australe ont bien voulu commencer l�expérience à partir de leur sous région de la S.A.D.C.. A cet égard, cette communauté à lancé depuis le vendredi 17 août 2007 à Lusaka, capitale de la Zambie, une force de déploiement rapide, baptisée « brigade Tabo Mbeki » qui est désormais la « brigade permanente de la S.A.D.C. ». Le commandement de cette force est confié à l�Angola mais tous les pays membres à savoir l�Afrique du Sud, l�Angola, la République démocratique du Congo (R.D.C.), la Zambie, le Zimbabwe, le Lesotho, la Namibie, le Botswana enverront des militaires pour constituer cette force.

Le président sortant de la S.A.D.C., M. Pakalitha Mosisili du Lesotho a annoncé le jeudi 16 août 2007 que la formation de cette force était le point culminant des efforts visant à se conformer aux dispositions du pacte de défense commune et de non-agression de l�Union Africaine (U.A.) dans le cadre des accords sur la force permanente africaine : « le lancement de la brigade de la S.A.D.C.� va permettre à notre région, de contribuer de manière plus structurée à la constitution de la paix et à la prévention des conflits, non seulement dans notre région mais dans toute l�Afrique » a ajouté M. Mosisili. Il a également fait remarquer que la région a contribué de manière importante à la résolution de problèmes dans d�autres régions du continent, en soulignant la médiation pour la paix au Darfour du président Zambien Jakaya Kikwete et les efforts du président sud-africain Thabo Mbeki pour rétablir la paix en Côte

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d�Ivoire1, où une unité militaire d�élite est connue sous le nom de « Thabo Mbeki platoon ».

M. Mosisili a noté que la S.A.D.C. élaborait un agenda pour l�Afrique avec la création d�une force permanente, afin qu�il puisse y avoir finalement une armée permanente sur le continent : « nous invitons les autres régions à finaliser leurs accords sur des brigades régionales afin de permettre à la commission de l�Union Africaine de rendre opérationnelle la force permanente africaine » a-t-il ajouté2.

En fait l�idée qui sous-tend toutes ces initiatives sous-régionales africaines, est qu�il faut dépasser cette vision, aujourd�hui datée, qui fait de l�État, l�expression exclusive de l�unité politique souveraine et le gardien de la sécurité, dans un continent où les conflits armés internes entraînent presque inévitablement l�instabilité à l�échelon sous régionale, voire régionale et où la démultiplication des centres de violence est dû au fait que les gouvernements des États n�ont pas pu, et ne peuvent toujours pas fournir en temps opportun aux populations, la sécurité et le bien-être pour lesquels celles-ci leur ont confié leur destin.

La création d�une armée africaine de sécurité et de défense au service de l�Afrique et des africains se présente aujourd�hui comme une nécessité sine qua non, dans un continent où la sécurité est devenue un phénomène indivisible et où le décollage économique ne peut se réaliser sans paix.

Les regroupements armés sous régionaux donnent la mesure de cette volonté et de la nécessité de la création d�une armée africaine au service de la paix.

B � NÉCESSITÉ D�UNE FORCE ARMÉE AFRICAINE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE

La mise en place d�une armée permanente africaine, répond à l�option levée au niveau de l�Union Africaine de disposer d�une force militaire de paix. Déjà lors du sommet franco-africain de Ouagadougou en décembre 1996, le président togais Gnassingbé Eyadema avait fait un communiqué sur le projet rédigé d�une force africaine d�intervention : le COMFORCE. Même si le contenu du projet n�a pas été

1 A l�invitation du médiateur de l�Union Africaine son excellence M. Thabo Mbeki, le président sud-africain, une rencontre des leaders politiques ivoiriens a eu lieu à Pretoria du 3 au 6 avril 2005. A l�issue de cette rencontre un accord a été signé le avril 2005. Voir www.macotedivoire.info 2 Lire l�article de FREDDY MONSA IYAKA DUKU dans le quotidien d�information générale, Le Potentiel du 21 août 2007 ; PANA du vendredi 17 août 2007. Voir également, PANA du vendredi 17 août 2007.

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révélé, un certain nombre d�éléments sur cette force ont pu être décelés à travers le discours du président togolais mais aussi de la presse écrite1.

C�est sans doute sur la base de ce projet qu�un exercice2 réunissant des contingents burkinabé, togolais, béninois et français s�est déroulé du 19 au 21 mars 1997. Mais il nous paraît difficilement concevable d�entreprendre une telle initiative que l�on veut afro africaine et y inviter une puissance occidentale notamment la France fut-elle pourvoyeuse de fonds, de matériel ou logistique, pour la simple raison que toute action occidentale en Afrique ne sert a priori que des intérêts économiques et stratégiques occidentaux. Le doute est donc permis sur la sincérité d�une telle force. Il est vrai que le concours d�institutions, d�États ou d�organismes extérieurs au continent paraît pour l�heure indispensable à une politique de sécurité crédible. Mais le c�ur du dispositif africain de sécurité ne doit être pénétré par aucune puissance extérieure à l�Afrique. Le continent regorge de nombreuses puissances militaires, notamment l�Afrique du Sud, la Libye, l�Algérie l�Égypte et le Maroc (même si ce dernier pays s�est retiré de l�Union Africaine), capables de donner une formation efficace aux troupes africaines de maintien de la paix et préserver ainsi un minimum de secret défense. C�est dans ce même ordre d�idée que nous rejetons les programmes américains (A.C.R.I.) et français (RECAMP) de maintien de la paix en Afrique. Certains auteurs notamment Guy Mvelle souligne les énormes lacunes, le déficit capacitaire et le manque de dispositif de coordination des forces régionales africaines et prône le secours des puissances occidentales à travers leurs programmes tel que le RECAMP3.

Nous estimons qu�il s�agit là d�un point de vue qui relève de l�afro pessimisme que nous réfutons. D�ailleurs l�auteur reconnais plus loin : « L�Égypte possède une armée puissante et disponible, et l�on dit sa politique étrangère toujours attentive à l�Afrique sud-saharienne. Le Nigeria dispose d�atouts objectivement considérables. L�Afrique du Sud quant à elle dispose d�énormes moyens. Ce pays représente 40 % du PIB de toute l�Afrique subsaharienne et joue également un rôle central dans le développement économique et la stabilité politique du continent »4. Il s�agit comme déjà rappelé, de

1 Voir notamment Jeune Afrique, n° 1881, 22 au 28 janvier 1997, p. 18. Voir également L�Autre Afrique, n° 3, 4 au 10 juin 1997, p. 16. A noter que la dénomination Comforce est du fait de la presse et nom du président Eyadema. 2 Man�uvre militaire Nangbéto 97, information obtenue sur les ondes de la radio Africa n° 1, le mercredi 19 mars 1997. Voir également Tundé Fatundé, Nangbéto 97, Des man�uvres au service de la paix, Jeune Afrique Économie, n° 239, 14 avril 1997, pp. 18-19 ; et Henri Levet, L�Afrique en marche, Nangbéto 97, Armées d�aujourd�hui, n° 220, avril 1997, pp. 20-22. 3 Voir GUY MVELLE, L�Union africaine : fondements, organes, programmes et actions. Études africaines, Éditions L�Harmattan, p. 237 et 242- 243. 4 Ibid, p. 241.

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capitaliser tous ces atouts au profit d�une force africaine de sécurité et de défense et non rechercher systématiquement le salut de l�Afrique ailleurs.

En fait, la création d�une force continentale permanente, dont le mythe est à la base de nombreux travaux universitaires et sert parfois de substrat à des discours de dirigeants politiques africains est non seulement un objectif rassembleur, mais pourrait également à terme se concrétiser pourvu que l�on y mette de la volonté et de la détermination. A cet égard, des propositions ont été faites. Il s�agit d�abord des propositions du groupe « Africa Leadership Forum » pour une « Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique »1. Mais l�Organisation de l�unité africaine (O.U.A.) en son temps n�avait pas donné de suite à cette proposition. Il y a eu ensuite la proposition conjointe de Mwayila Tshiyembe et Dominique Bangoura2. Ces deux universitaires estiment que l�O.U.A. pourrait mettre en place une force africaine de maintien de la paix qui auraient pour mission de rétablir et de maintenir la paix pour permettre une action humanitaire pour notamment, « sauver des populations civiles entières du chaos »3. L�Organisation panafricaine de son côté, tout en menant la réflexion sur la création d�une telle force, avait déjà initié un programme de sécurité régionale avec le nouveau mécanisme du Caire4 et le projet de création d�un système d�alerte rapide. L�unanimité sur l�intérêt et l�exigence d�une force purement africaine au service de la paix est aujourd�hui une réalité.

Si l�Union Africaine, en tant que telle, veut véritablement renforcer son rôle fédérateur et trouver un consensus sur l�ossature de cette force armée africaine, une telle action doit être menée par les chefs d�État africains et les résultats doivent ensuite être exprimés en termes non ambigus. Nous pensons que la solution à retenir devra consister à tirer le meilleur des différentes forces armées sous-régionales pour constituer une armée permanente africaine en fusionnant les meilleurs soldats et officiers de toutes ces forces. Ces militaires qui resteront dans leurs armées nationales devront annuellement se retrouver pour des exercices de simulation et être prêts au regroupement en tant que de besoin. L�Afrique dispose de capacités de formation de

1 Voir, SGDN, L�Afrique subsaharienne : Sécurité, Stabilité et Développement, Presses SGDN, Paris, 1993, 474 p., E.J. Keller et D. Rothchild (Éd.), Africa in the New International Order. Rethinking State Sovereignty and Regional Security, Linne Rienner Publishers, Colorado et Londres, 1996, 253 p. 2 M. TSHIYEMBE ET D. BANGOURA, Pour sauver la Somalie, Le Monde, 13 février 1992, p. 2. 3 DOMINIQUE BANGOURA, Quelle force d�intervention ? le Monde, 4 février 1993, p. 2. 4 Il s�agit du nouvel organe de gestion des conflits mis en place en 1993 par la déclaration des chefs d�État et de Gouvernement au Caire. Voir, Emad Awwad, Le mécanisme de gestion des conflits en Afrique : bilan, Défense Nationale, décembre 1994, pp. 153-166 ; Michel-Cyr Djiena Wembou, A propos du nouveau mécanisme de l�O.U.A. sur les conflits, Afrique 2000, n° 16, février 1994, pp. 5-20 ; Maurice Kamto, Le mécanisme de l�O.U.A. pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits : l�esquisse d�un nouvel instrument régional pour la paix et la sécurité en Afrique, Arès, vol. 15, n° 2, juin 1996, pp. 61-83.

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cette armée. Le financement de cette force armée africaine pourra se faire par une contribution de chaque État et si possible par la création d�une banque centrale pour les opérations de maintien de la paix. Toutefois cette force permanente africaine ne devra agir que conformément au principe de la subsidiarité. Ainsi il conviendra de confier aux sous régions africaines, la responsabilité de maintenir ou de rétablir la stabilité à l�intérieur de leur zone géographique. Ce faisant, il faudra saisir sans tarder le Conseil de paix et de sécurité de l�Union Africaine et le représentant du Secrétaire général des Nations Unies de toute intervention armée dictée par l�urgence.

Par ailleurs, le Conseil de paix et de sécurité de l�Union Africaine devra avoir suffisamment de pouvoirs de telle sorte à mieux coordonner les actions dans lesquelles serait engagée toute l�armée permanente africaine. En outre, il serait important de respecter à quelque échelon de responsabilité que ce soit les résolutions des Nations Unies et les diverses conventions internationales régissant la conduite à tenir en cas de conflits armés, dès lors que des mesures coercitives seraient prises à l�encontre d�États perturbateurs. De plus, il conviendra, sans dissimuler la difficulté d�obtenir un consensus sur ce point, que soient définis, même sommairement, les menaces et risques potentiels ou avérés auxquels sont ou pourraient être confrontés les États africains dans leur grande majorité1.

A cet égard, pourraient être retenus, sans soucis de hiérarchisation : la constitution d�entités vouées aux actions terroristes ou la protection accordée à des individus ou des groupes dont l�implication dans de telles actions est patente, ou sur lesquels pèsent de fortes présomptions ; le trafic de stupéfiants et les filières associées ; le recours au mercenariat ; la prolifération des armes légères et des mines antipersonnelles2 ; les tentatives de renversement par la violence de gouvernement démocratiquement élus ou reconnus par la communauté internationale ; le recrutement d�enfants soldats ; le soutien à des mouvements subversifs ou sécessionnistes, notamment lorsque ceux-ci ont été condamnés par des résolutions des Nations Unies. A l�évidence, ces défis ressortissent au premier chef de la responsabilité des autorités politiques. Mais celles-ci, dès lors qu�elles auront la volonté d�y répondre, ne pourront pas faire l�économie d�un appel aux forces armées, associées ou non aux forces de sécurité civiles.

1 Ces risques ou menaces ne pourraient, sans doute, être exprimés qu�en termes généraux, sous peine de voir l�exercice se clore avant même d�avoir commencé ; les maigres résultats obtenus à Dakar lors de la conférence sur le terrorisme réunie sous l�égide du président Abdoulaye Wade ne sont pas, à cet égard, très encourageant. 2 Les risques associés à la prolifération des armes légères et à la dissémination des mines antipersonnelles sont de nature différente, mais leur couplage pourrait avoir valeur pédagogique.

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Sur le fond de ces grandes orientations, la préoccupation sécuritaire commune à tous les États africains devrait obéir à une double préoccupation : d�une part, la nécessité de disposer à terme de ces forces armés avec des équipements suffisants pour être en mesure de faire face à des situations d�urgence et qui constitueraient des forces de dissuasion que ne pourraient ignorer d�éventuels perturbateurs ; d�autre part, que ces forces de sécurité ainsi constituées aient une formation individuelle et collective d�excellent niveau, garantie première de leur efficacité opérationnelle immédiate. Par voie de conséquence, ceci impliquerait : que ne soit fait appel qu�à des militaires professionnels ; qu�un organe de direction soit établi notamment au sein du Conseil de paix et de sécurité de l�Union Africaine ou au sein de la structure chargée de la sécurité dans les institutions sous-régionales et ayant entre autre, vocation à commander les formations qui lui seraient pré affectées lorsque leur engagement opérationnel serait décidé ; que l�instruction du personnel soit fondée tant sur les techniques de maintien ou de restauration de la paix que sur la maîtrise des milieux dans lesquels les unités pourraient intervenir.

Au niveau des sous régions, le volume des forces permanentes de maintien de la paix ne saurait être inférieur à deux mille hommes et, si possible, s�élever à trois mille. Un tel effectif semble réaliste quant à la possibilité de le lever et quant à son dimensionnement pour des missions de déploiement rapide, de protection d�équipement d�aide humanitaire�

Un état-major multinational coifferait l�ensemble, placé sous le commandement d�un officier de haut rang. Cet état-major devrait être suffisamment étoffé pour assurer une veille du renseignement1, la planification et la conduite des entraînements collectifs ainsi que les contacts organisationnels avec les États, groupe d�États ou entités diverses apportant leur soutien à la formation du personnel ou à leur équipement.

Le financement nécessaire pour la création et l�administration de ces forces de sécurité africaines est d�évidence le problème le plus crucial et à tout dire dirimant, car les exigences d�excellence qui leur serait imposées ne pourraient se satisfaire des errements actuels, s�agissant notamment du montant et du versement régulier des soldes. Mais la création d�une banque ou un fond de concours par les africains, au service de la sécurité et la paix en Afrique comme nous l�avons déjà souligné, alimentée par les contributions des États africains, d�organismes internationaux et les

1 Il serait indispensable de monter une chaîne de renseignements interrégionale. En outre, les responsables des divers services de renseignements étatiques pourraient se rencontrer au siège des états-majors pour échanger leurs informations.

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Nations Unies, pourrait définitivement régler toutes les questions liées à la situations de toutes les forces armées vouées au service de la sécurité et de la paix sur le continent africain.

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CONCLUSION

Les conflits armés internes constituent en Afrique, la situation la plus fréquente dans le cadre de laquelle les individus ou groupes d�individus s�affrontent pour régler leurs différends ethnico-réligieux et politiques. Les dangers que les guerres civiles font courir à l�Afrique sont d�autant plus graves que la paix et la sécurité internationales s�en trouvent sérieusement menacées.

Les impératifs humanitaires plus vivement ressentis aujourd�hui, rendent compte de la nécessité d�une applpication effective et du respect des règles du droit international humanitaire.

A l�évidence, la guerre civile devient aujourd�hui de plus en plus internationalisée, c�est-à-dire soumise aux disciplines autonomes du droit international. L�effort consiste à tenter d�éliminer les lacunes dont souffre encore ce droit et d�en élever les standards pour les rapprocher de ceux du droit des conflits armés internationaux1.

Par ailleurs, le déferlement de la violence en Afrique est souvent l�occasion pour les puissances occidentales qui ne sont d�ailleurs pas toujours innocentes au déclenchement de ces conflits armés internes, d�intervenir sur le continent. De la pratique de ces interventions et de la recherche du droit en vigueur, quelques observations peuvent être formulées.

L�intervention n�est acceptable ni pour préserver un certain ordre politique, ni pour favoriser son apparition. Le seul principe juridique est l�abstention, la non-intervention. Mais la pratique de l�intervention peut être excusée par le droit. L�hypothèse la plus nette est celle de l�intervention sollicitée ou consentie ; elle est juridiquement fondée sur un accord ou sur une demande, l�intervention permet ici en principe d�exprimer une solidarité ou d�apaiser des troubles, qu�il s�agisse des actions individuelles françaises en Afrique, ou d�actions collectives dans le cadre d�organisations internationales (opération de maintien de la paix).

Encore faut-il que l�assentiment de l�intéressé soit indubitable ; dans l�affaire du Tchad (1980) ou de la république centrafricaine (1979), un consentement réel ou émanant d�autorités représentatives faisait défaut ; de même, l�assistance au gouvernement

1 Cf. R. ABI SAAB, Les conflits internes aujourd�hui, Mélanges J. Siotis, Bruxelles, 1995, p. 321 ss.

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angolais issu du MPLA paraît illicite en raison de l�absence d�effectivité et de représentativité des autorités. Il est aussi des cas douteux, en raison de l�ampleur du conflit interne ou de la prolongation de l�intervention ; l�intervention au Tchad en 1968 constitue ainsi un cas limite. En revanche, la contrainte que fait peser sur l�État l�obligation de protéger ses ressortissants menacés, légitime semble-t-il, l�intervention ; elle exige une riposte immédiate et proportionnée ; en ce sens, apparaissent licites les interventions belges au Congo en 1960, israélienne à Entebbe, française en Somalie.

L�idée que l�homme est la raison et la fin de tout droit, oblige aussi à tenir pour licite l�intervention d�humanité strictement définie ; l�intervention française en Centrafrique se rattacherait à cette institution. Toutefois cette protection des ressortissants à l�étranger pour justifier une intervention, est regardée avec réserve ; certaines situations paraissent justifier une telle action mais d�autres sont utilisées pour maquiller une intervention aux objectifs purement politiques ; l�intervention à Suez, au Congo en 1960 ont été trop controversées pour être considérées comme des précédents au plan de la norme coutumière, confirmant la règle acceptée depuis le dix-neuvième siècle. Seule l�extrême urgence peut excuser la dérogation à l�interdiction du recours à la force.

S�agissant du règlement des conflits armés internes sur le continent noir, l�Organisation de l�unité africaine (O.U.A.) créée en 1963, pour n�avoir pas inscrit un tel type de conflit dans sa Charte constitutive le relevait simplement du domaine réservé de l�État et rappelait sans cesse le principe de non-intervention dans les affaires internes des États. En revanche, concernant les guerres de libération nationale, les conflits interétatiques et les guerres de sécession, l�organisation panafricaine qui reconnaissait sa compétence en la matière a obtenu des résultats non négligeables.

Toujours est-il que, dans notre travail, nous avons souligné l�inefficacité globale de la mécanique institutionnelle mise en place par l�O.U.A. pour la gestion des conflits en Afrique depuis 1963. Au titre de cette mécanique, il y avait la complexité de la structure institutionnelle et les limites du panafricanisme, source de divergences politiques qui ont émaillé le fonctionnement de l�Organisation. L�O.U.A. n�a pas su réajuster ses instruments de gestion de conflit au fur et à mesure que les conflits africains prenaient une orientation interne et complexe. Les mécanismes de gestion de ces crises devenaient caduques dès lors que la nature nouvelle d�un conflit soulevait des questions de compétences d�action de l�O.U.A. Ces compétences ont fini par buter devant un vide selon que le conflit, pour lequel elles étaient sollicitées, était de nature intra étatique ou interétatique.

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L�Organisation panafricaine ayant pris la mesure de cette réalité a tenté de faire sa mue en intégrant la dimension interne des conflits en Afrique dans ses préoccupations. C�est ce qui explique le mécanisme du Caire de 1993 sur la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique.

Mais face à l�anachronisme de l�O.U.A. et à la volonté des dirigeants africains d�adapter l�institution panafricaine à la nouvelle donne, fut créée l�Union Africaine qui non seulement a fait sienne le mécanisme du Caire sur la prévention, la gestion et le règlement des conflits, mais a marqué un tournant décisif dans sa vision sécuritaire du continent.

Ainsi, renonçant définitivement au sacro-saint principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États et reconnaissant sa compétence pour connaître des conflits armés internes, elle s�arroge dorénavant un droit d�intervention sous certaines conditions. A cet égard, nous avons pu montrer les enjeux qui se lisent à travers la création du Conseil de Paix et de Sécurité de l�Union Africaine. Nous avons également pu montrer que la responsabilisation fait appel à l�impérieuse nécessité, après plusieurs décennies de maintien de la paix par procuration en Afrique, de faire porter au continent la charge de la construction d�une « voie afro africaine de la paix et de la sécurité ». C�est en cela que nous avons montré l�urgence de la création d�une capacité africaine de gestion des conflits armés et les possibilités de sa faisabilité. Cependant, nous n�avons pas exclu la responsabilité de la communauté internationale notamment des Nations Unies à l�égard de l�Afrique ; l�O.N.U. étant le responsable principal de la sécurité internationale. Seulement, nous disons que l�africain est concerné au premier chef par ce qui se passe sur le continent noir1. A cet égard, et comme nous l�avons montré, aucun prétexte tiré des difficultés financières ne saurait entraver la mise en place d�une armée permanente africaine et le renforcement des structures militaires sous-régionales au service de la paix. Il suffira seulement pour les dirigeants africains de faire preuve d�un peu d�imagination et de détermination pour se donner les moyens nécessaires à la mise en place de la capacité afro africaine de maintien de la paix.

Les autorités africaines devront prendre conscience de ce que les grandes puissances occidentales qui disposent d�énormes intérêts sur le continent ne feront rien pour faciliter l�acquisition par eux d�une réelle liberté d�action. Ils multiplieront les obstacles, s�efforceront de faire retarder les échéances, tenteront de diviser les africains. Mais

1 Comme diraient les Latins, « primam partem tollo, quoniam nominor Africanus ! » c'est-à-dire que « je prends la première part puisque je me nomme Africain ! ».

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l�Afrique devra batailler dur et exorciser ses vieux démons avant de s�affranchir à terme de la tutelle extérieure pour durablement installer ses structures institutionnelles et militaires autonomes dans la perspective de pacification de l�Afrique qui nous est si chère.

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ANNEXE I :

LES GRANDES ÉTAPES DU PANAFRICANISME

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ANNEXE II :

ACTE CONSTITUTIF DE L�ORGANISATION DE L�UNITÉ

AFRICAINE (O.U.A.)

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ANNEXE III :

ACTE CONSTITUTIF DE L�UNION AFRICAINE (U.A.)

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ANNEXE IV :

PROTOCOLE RELATIF À LA CRÉATION DU CONSEIL DE PAIX

ET DE SÉCURITÉ DE L�UNION AFRICAINE

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ANNEXE V :

ACTE CONSTITUTIF DE LA C.E.D.E.A.O.

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ANNEXE VI :

ACCORD DE NON-AGRESSION ET DE DÉFENSE (A.N.A.D.)

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ANNEXE VII :

PROTOCOLE D�ASSISTANCE MUTUELLE (P.A.M.)

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ANNEXE VIII :

ÉVOLUTION DES DÉPENSES MILITAIRES OUEST-AFRICAINES:

1994 � 2003

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ANNEXE IX :

LA POSITION DE L�O.U.A. SUR LES CONFLITS AFRICAINS

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La position de l�OUA sur les conflits africains (compte-rendu de l�activité du nouveau Mécanisme tiré de Jeune Afrique n° 1827 du 11-17 janvier 1996)

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ANNEXE X :

DÉCLARATION DE LA CONFÉRENCE DES CHEFS

D�ÉTAT ET DE GOUVERNEMENT SUR LA CRÉATION AU SEIN DE

L�O.U.A. D�UN MÉCANISME POUR LA PRÉVENTION, LA

GESTION ET LE RÈGLEMENT DES CONFLITS

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ANNEXE XI :

RÉSOLUTION SUR LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L�HOMME ET DES

PEUPLES

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