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LES 3 REGISTRESDE SAVOIRS PAR P. SARREMEJANE L a notion actuelle de compé- tence associe des savoirs hété- rogènes. On peut établir trois catégories fondamentales de ces savoirs : le savoir sur l'action, le savoir d'action et le savoir en acte. Le but de cette étude est de présenter ces trois registres et de montrer comment ils se combinent en vue d'une compétence maîtrisée pour l'élève. Les programmes de juillet 1996 et d'août 2000 font référence à la notion globale de compétence comme contenu de l'EPS. Cette notion pré- sente des éléments qui ne sont pas très homogènes. Elle associe des savoirs de nature distincte que l'on peut scin- der d'abord en deux catégories hétéro- gènes : le savoir théorique et le savoir pratique. Par la suite on peut différencier au sein du savoir théorique deux modes : un savoir sur l'action et un savoir d'ac- tion : le mode pratique lui, exprime un savoir en acte. Nous analyserons ces trois modes du savoir. Commençons d'abord par expliciter la scission entre la théorie et la pratique. LA SCISSION FONDAMENTALE ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE Les savoirs théoriques sont des ensembles d'idées, de concepts abs- traits plus ou moins organisés appli- qués à un domaine particulier. Ils englobent autant les théories scienti- fiques de référence comme la psycho- motricité, les savoirs de type philoso- phique comme la phénoménologie, les théories produites au sein de la com- munauté intellectuelle de l'EPS comme la psychocinétique, que les idéologies de certains penseurs de l'EPS, G. Vigarello par exemple. Un savoir intellectuel ne se distingue pas directement par ses effets concrets sur le réel. Un fait de l'expérience passée, une théorie sur l'apprentissage ou des principes biomécaniques n'ont pas d'effets pratiques. Ce sont les technologies qui cherchent par la suite à instrumenter les théories. Ils sont de l'ordre du théorique, de l'abstrait (étymologiquement théorie veut dire contemplation) et s'opposent de fait à la pratique ayant l'action comme expression. La différence essentielle entre la théorie et la pratique La théorie utilise exclusivement la médiation symbolique (par l'utilisa- tion d'un code symbolique, un lan- EPS № 294 - MARS-AVRIL 2002 65 Revue EP.S n°294 Mars-Avril 2002 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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LES 3 REGISTRESDE SAVOIRS

PAR P. SARREMEJANE

La not ion actuelle de compé­tence associe des savoirs hété­rogènes. On peut établir trois catégories fondamentales de

ces savoirs : le savoir sur l'action, le savoir d'action et le savoir en acte. Le but de cette étude est de présenter ces trois registres et de montrer comment ils se combinent en vue d'une compétence maîtrisée pour l'élève.

Les p r o g r a m m e s de juillet 1996 et d'août 2000 font référence à la notion globale d e compétence c o m m e contenu de l 'EPS . Cette notion pré­sente des éléments qui ne sont pas très homogènes . Elle associe des savoirs de nature distincte que l 'on peut scin­der d 'abord en deux catégories hétéro­gènes : le savoir théorique et le savoir pratique. Par la suite on peut différencier au sein du savoir théorique deux modes : un savoir sur l 'action et un savoir d 'ac­tion : le mode pratique lui, exprime un savoir en acte. Nous analyserons ces trois modes du savoir. Commençons d'abord par expliciter la scission entre la théorie et la pratique.

LA SCISSION FONDAMENTALE ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE L e s s a v o i r s théoriques son t d e s ensembles d ' idées , de concepts abs­traits plus ou moins organisés appli­q u é s à un d o m a i n e pa r t i cu l i e r . Ils englobent autant les théories scienti­fiques de référence comme la psycho­motricité, les savoirs de type philoso­phique comme la phénoménologie, les théories produites au sein de la com­m u n a u t é intellectuelle de l'EPS c o m m e la psychoc iné t ique , que les idéo log ie s de ce r t a ins p e n s e u r s de l 'EPS, G. Vigarello par exemple. Un savoir intellectuel ne se distingue pas

directement par ses effets concrets sur le réel. Un fait de l 'expérience passée, une théorie sur l 'apprentissage ou des pr inc ipes b i o m é c a n i q u e s n ' o n t pas d'effets pratiques. Ce sont les technologies qui cherchent par la suite à instrumenter les théories. Ils sont de l 'o rdre du théor ique , de l 'abstrait (étymologiquement théorie veut dire contemplation) et s 'opposent de fait à la p ra t ique ayant l ' a c t ion comme expression.

La différence essentielle entre la théorie et la pratique La théor ie ut i l ise exc lu s ivemen t la médiation symbolique (par l 'util isa­tion d 'un code symbol ique , un lan-

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gage) alors que la pratique, même si elle appartient à un domaine de signi­fication (faire un geste renvoie à un registre signifiant de la cul ture) , se caractérise par une activité concrète vécue au sein d ' une s i tuat ion. Sans être a-signif iante, la pra t ique est a-théorique. Le théorique a pour corrélat le vrai et le faux : la pratique, l 'adéquat et l'in­adéquat, l'efficace et l 'inefficace. La théorie a pour environnement le monde spéculatif des idées ; la pra­t ique le concret , c ' es t -à -d i re le réel empirique vécu. La théorie est intem­pore l l e et fige ses obje t s dans des codes symboliques (des langages) qui permettent des manipulations intellec­tuel les ; la pra t ique est soumise au temps et à l 'irréversibilité, elle est le lieu des choses vécues, ressenties sur le mode de la finitude. La théorie fait abstraction des événements du monde alors que la pratique est soumise à la contingence et à la conjoncture. Bref, théorie et pratique sont placées dans des systèmes de référence mutuelle­ment exclusifs selon C. Lévi-Strauss : La connaissance, l'action sont à jamais placées dans une situation fausse : prises entre deux systèmes de référence mutuellement exclusifs et qui s'imposent à elles, bien que la confiance même temporaire faite à l'un détruise la validité de l'autre [1].

L'absence de relations S y s t è m e s m u t u e l l e m e n t e x c l u s i f s p a r c e qu'il n'y a pas de relations réelles, empiriques de l 'un à l 'autre. La théorie et la pratique ne sont pas homogènes l ' une à l ' au t re . Faire la théorie de la pratique ne donne qu 'un savoir, un savoir sur la pratique mais en aucune façon un savoir pratique qui lui est un savoi r - fa i re en ac te . Les caractères immanents de la pratique -ceux qui font ce qu'elle est : le fait de v iv re une situation i r r é d u c t i b l e et unique - disparaissent aussi avec la procédure de théorisation. C'est parce que la théorie est la traduction symbo­lique (suivant les normes d ' un lan­gage) de l 'expérience concrète que les fac teurs du vécu ind iv idue l sont à jamais perdus. La transposition sym­bolique de la pratique - sa conversion « en mots » ou sous la forme d ' u n modèle théorique - est une construc­tion intellectuelle soumise désormais, non aux lois de la « nature » mais aux différentes lois linguistiques (séman­tiques et syntaxiques) qui gouvernent les codes symboliques.

L'EXPÉRIENCE LANGAGIÈRE Les actes du vécu, ceux de l'interven­tion sur le monde constituent l 'expé­

r i ence m ê m e . L o r s q u e ce t t e e x p é ­r ience est rappor tée par le langage naturel , elle est autre. Verbaliser un acte (ou une séquence d'actes) c'est le faire exis ter à nouveau , mais sur le mode de l ' expér i ence langagière et non p lu s tel qu'il fût dans l'acte même. A proprement parler, lorsqu'on fait du l angage na ture l un out i l de connaissance, il n 'y a pas de théorie de la prat ique, il n 'y a que substitution par dénomina t ion à une expér ience perdue. Et la capacité qu 'a le langage de rendre compte de l 'expérience est fonction de son pouvoir référentiel.

Plus le champ des phénomènes visés sera apte à la théorisation plus la théo­rie sera object ive. L 'emploi du lan­gage naturel pour théor iser l ' expé ­rience, l'action en l 'occurrence, est un bien piètre outil de connaissance. Car le langage vernacula i re tend plus à fabriquer, à créer l 'expérience qu 'à la restituer ( 1 ). Seuls les langages forma­l isés (des théo r i e s p h y s i q u e s , ch i ­miques ou biologiques) ont un pouvoir référentiel fort.

LES TROIS TYPES DE SAVOIRS

LA VALENCE THÉORIQUE

Elle comprend le savoir sur l'action et le savoir d'action.

Le savoir sur l'action Ce savoir répond à la question : que puis-je savoir sur la pratique motrice ? Il regroupe à la fois l ' ensemble des é l é m e n t s de sc r ip t i f s du c h a m p de

l'action et celui de ses éléments expli­catifs sous forme de théories scienti­fiques ( 2 ) . Les é léments descriptifs évoquent ce que sont les pratiques : définition réglementée des APS, prin­cipes physiques de la pratique (résul­tante des forces, action/réaction), prin­cipes biomécaniques des techniques du corps. Les théor ies sc ient i f iques réal isent une modélisation des phénomènes liés à l'action. Dans ce cadre, ces derniers étudiés et circonscrits sont transmués en « faits » par une théorie préalable. La démarche intellectuelle n 'est pas

inductive, si ce n'est comme première expérience vague, mais déductive. Autrement dit le théoricien devra quit­ter l'impression immédiate des phéno­mènes , dépasser l ' expér ience naïve qu' i l en a, afin de fournir un modèle théorique explicatif du « réel » (3). Ce savoir essaie de répondre à la question : quel les sont les lois qui gouvernent l 'ensemble des faits propres à l'action et à l ' ense ignement de l ' E P ? Il y a donc deux types de savoir sur l'action : l'un descriptif, l'autre explicatif. • Exemples

• Les théories biologiques de la fonc­tion motrice : physiologie de l'effort, pr inc ipes expl icat i fs de la fonction cardio-respiratoire. • Le descriptif b io -mécan ique de la motricité. • Les théories de l 'apprentissage. Ces théories sont des hypothèses sur les p h é n o m è n e s re la t i f s à la fonc t ion d'apprentissage. E l l e s e s sa ien t de décrire les différents processus

Savoirs sur l'action sous

forme de schémas.

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bio-psychologiques qui génèrent la fonction. • L'ensemble des codes réglemen­taires de la pratique.

Le savoir d'action Le savoir d'action est un savoir méthodologique qui prend la forme d'un registre de règles d'action effi­caces, de préceptes qui empruntent le biais du langage naturel, du discours et qui aboutit à des consignes écrites ou orales. Ce savoir répond à la question : comment dois-je m'y prendre pour réussir tel ou tel acte ?

Quand on dit que le savoir d'action est théorique c'est qu'il est dissocié de l'action vécue, il emprunte le moyen du langage qui généralise l'expérience concrète. Il prend la forme d'un for­mulaire qui transcrit ce qu'il y a à faire. Le savoir d'action prend la forme de règles d'action, dans le sens le plus commun d'ensemble de séquences d'action ordonnées selon une pratique efficace, transcrites dans un discours sous forme de proposi­tions. Les règles d'action sont des principes pratiques issus de l'expérience vécue qui prennent la forme de préceptes constituant un « mode d'emploi ». Ces règles sont issues de la pratique parce qu'elles sont considérées comme étant les plus efficaces. Autre­ment dit la relation entre ces règles et l'expérience se fait sur le mode de l'induction. L'expérience vécue effi­cace est réduite par le langage à des consignes dont l'ordre, la cohérence.

reflètent l'ordre des actes concrets efficaces. Ces règles sont déjà une généralisation de l'expérience. Cette généralisation fait qu'elles sont utili­sables par des personnes différentes lors de situations sensiblement diffé­rentes. Le savoir d'action est donc un savoir méthodologique ayant la forme de préceptes/ consignes qui obéissent à un ordre : celui de l'ordre des opéra­tions pratiques efficaces. • Exemples Les règles d'action individuelle telles qu'elles ont été définies par T. Poulain

(4) dans le cadre de l'activité basket-bal 1. « Le porteur de balle : - joue le 1 contre 1 pour tenter un tir ou fixer un ou deux défenseurs, en un ou deux dribbles maximum : - cherche une passe périphérique et coupe juste sous le panier puis rééqui­libre dans un secteur libre (passe et va) ».

La valence pratique Elle comprend le savoir en acte et le savoir en acte normatif. Le savoir en acte et le principe de l'efficacité Les savoirs en acte sont des façons de faire efficaces et économiques qui se construisent dans l'action, à partir de ressources préalables, énergétiques, affectives, cognitives. Ce sont des habiletés motrices. L'éducation physique assure l'acquisi­tion de techniques corporelles dont la caractéristique majeure est l'efficacité

concrète. L'efficacité est le critère de l'action instrumentée, elle est le signe essentiel de tous les modes d'expres­sion de la pratique. Un savoir-faire est une action sur le monde qui atteint l'effet escompté avec un haut degré de certitude et une économie de ressource. Une habileté motrice (issue du domaine des habiletés sportives) se doit donc de répondre aux deux cri­tères de l'efficacité : atteindre systé­matiquement et de façon économique le résultat poursuivi. Parallèlement au développement des ressources énergétiques, information­nelles, motivationnelles, affectives, il se traduit par l'optimalisation des fonctions motrices :

• naturelles ou acquises de déplace­ment comme courir vite ou longtemps, nager vite ou longtemps, sauter, lan­cer, grimper, glisser. Ces fonctions peuvent aussi se réaliser de manière instrumentée par l'entremise d'un engin tels le kayak, la planche à voile, les skis, le delta, le parapente, les rollers, etc. ; • finalisées par un but pratique comme atteindre ou faire atteindre une cible à un instrument (ballon) directement, par la médiation corporelle ou d'un instrument de « frappe » (crosse, raquette, club, etc.) ; seul ou en situa­tion collective ; combattre avec ou sans instruments ; - finalisées par un but de production de formes corporelles avec ou sans instruments (agrès) comme dans la gymnastique, l'expression, la jon­glerie : - finalisées par un but de production de sensations intéroceptives comme dans la relaxation, le yoga, etc. Le critère de l'efficacité change sui­vant la pratique et la qualité de l'effet poursuivi mais l'impact sur le réel sensible, fût-il le corps lui-même, et la quête de résultats concrets sont pri­mordiaux. 11 reste désormais deux derniers registres à aborder : celui des savoirs d'attitude et celui des savoirs de médiation présents dans les apprentis­sages. Ces deux types de savoirs sont associés aux processus mêmes de l'ap­prentissage. Car pour apprendre il faut trois choses : - être disposé à apprendre, c'est-à-dire accepter le fait même d'apprendre, ce qui relève d'une attitude normée socialement ; - présenter les ressources nécessaires à l'apprentissage en terme de moyens énergétiques, d'aptitudes, et de capa­cités ; - enfin, solliciter un méta-savoir, un savoir de médiation assurant le pas­sage du non-su au su.

Savoirs d'action sous forme de prise de note.

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Les savoirs en acte normatifs Les savoirs d 'at t i tude ou savoir-être sont des savoirs sociaux en acte. Ils représentent l'ensemble d e s normes sociales pratiques qui régis­sent les relations inter individuel les . L'EPS les évoquent dans ses finalités en terme de solidarité, de citoyenneté, d'autonomie. L'école v é h i c u l e et exige de tels savoirs qui sont en partie contractés pendant la prime éducation au s e in d e s familles. C a r p o u r app rend re il faut pos séde r d ' a b o r d l 'ensemble des dispositions condition­nelles de l 'apprentissage. Conjointement aux capacités motrices initiales (les ressources) qui sont les déterminants d 'un pouvoir apprendre, l 'é lève se doit de posséder aussi les condit ions du vouloir apprendre. Le vouloir apprendre s ' expr ime par un ensemble d'attitudes - être assidu, être attentif, être obéissant, être persévé­rant, être loyal, etc. - qui font l'objet d 'une inculcation et qui se construi­sent sur le mode du conditionnement. Ces savoir-être sont la condition sine qua non des a p p r e n t i s s a g e s . Si les compor tements ne sont pas d 'abord sco la i rement no rmes , la finali té de l'école qui est de d é v e l o p p e r l ' en ­semble des capacités d 'un individu ne sera j a m a i s a t te in te . Et il faut b ien constater que très souvent , dans les condit ions d ' ense ignement massifié pour des popu la t ions très peu nor-m é e s , les enseignants e s s a i e n t de recréer en permanence les conditions c o m p o r t e m e n t a l e s p r é a l a b l e s aux apprentissages sans jamais atteindre (ou bien rarement) l 'apprentissage en tant que tel.

Le vouloir apprendre n 'est pas pour autant la certitude de l 'apprentissage réussi mais sa condit ion nécessaire . Ces savoir-être se construisent dans l'interaction soc ia le par imi ta t ion / inculcation. Dans le cadre scolaire ils sont exigés sur le mode de l ' injonc­tion/prescription avec parfois menace de sanctions. Ils répondent, lorsqu'ils sont lacunaires, à des mesures disci­pl inaires émanant dans l ' ins t i tut ion scolaire du règlement intérieur et des différents codes qui régulent les rap­ports sociaux.

Les savo i rs de médiat ion dans l ' appren t issage : nature mixte des méta-savoi rs

Dans le cadre de la motricité les méta-savoirs ne passent pas tous par le biais du s y m b o l i q u e , c'est-à-dire par l ' u sage d ' un langage . Ils assoc ient con jo in tement ce que E. Winograd appelle des savoirs déclaratifs et pro-céduraux.

Les premiers sont des savoirs sur l 'ac­t ion qui e x p r i m e n t une capacité à connaître et qui présentent aussi une valence méthodologique orientée sur le comment faire selon la forme d 'un « mode d 'emploi » personnalisé ; les seconds sont des savoirs intégrés à l 'act ion, ils « piloteraient » l 'act ion avec une forte composan te « cogni­t ive » en début d ' appren t i s sage . La composante « cognitive » associerait des informations perceptives, proprio­ceptives, kinesthésiques et intellectuelles ( en terme de représentations m e n t a l e s , de c o m p r é ­hension et de planifica­tion de l'action). Dans le d é r o u l e m e n t m ê m e de l 'act ion à apprendre, la part des uns et des autres serait interact ive selon des p rocédure s de tra­duction (5). Hypothèse interactive b i e n q u e C. Georges parle d ' im­pénét rabi l i té cogni t ive des processus d'appren­tissage.

LES TROIS REGISTRES DE SAVOIRS ET LA NOTION DE COMPÉTENCE L a n o t i o n actuelle de compétence (août 2000) associe des savoirs hété­rogènes, même s'ils sont coprésents à des degrés d i f f é r en t s d a n s l ' a c t e m o t e u r . E l l e l ie d e u x not ions : conna i s sance et c o m p é t e n c e . L e s connaissances sont des informations, des tech­niques et des tactiques, des c o n n a i s s a n c e s sur soi et des savo i r - f a i r e soc i aux . On r e m a r q u e tou t de suite q u e les connaissances sont à la fois des savoirs sur l 'ac­tion : les informations et les connaissances sur so i , b i en qu'issues de l 'expérience, prennent la forme d 'un e n s e i g n e m e n t s o u s la f o r m e d'un répertoire. Elles représentent bien un savoir mémorisable et resti tuable et les connaissances s o n t a u s s i d e s savoirs en acte : les techniques et les tac t iques ainsi q u e les savoir - fa i re sociaux (façons de se conduire). Les compétences consti tuent « l 'en­semble des connaissances permettant

de faire face de façon adaptée à une situation ou un ensemble de situations p roposées » ( 6 ) . E l les r éponden t à quatre caractéristiques : « elles com­binent l 'ensemble des connaissances ; elles constituent des savoirs en acte dans une situation particulière issue d 'une APS identifiée : elles sont for­mulées de manière suffisamment large p o u r p o u v o i r ê t r e s p é c i f i é e d a n s chaque APS ; elles sont à identifier à l ' i ssue d ' une pér iode suffisamment

longue d'apprentissage ». Les compé­tences s e m b l e n t d o n c a v o i r u n e valence pratique dominante, elle sont des savoirs en acte. Mais le texte pré­cise qu'el les présentent deux compo­santes : un culturelle et une méthodo­logique. La composante culturelle de la compétence fait une large part au domaine moteur : capacités et habili­tés mot r i ces qui se d é v e l o p p e n t et

Savoirs en acte.

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s 'acquièrent dans l 'acte. De ce point de vue la composante culturelle de la compétence traduit un savoir en acte. Par contre la composante méthodolo­gique évoque plutôt des savoirs d 'ac­t ion , i ls a p p r é h e n d e n t le m o d e du c o m m e n t : c o m m e n t me contrôler dans l 'activité ? Comment construire et planifier une séquence d'apprentis­sage ? Comment mesurer et apprécier les effets de l 'action ? Comment me conduire en groupe ?

En fin de compte la compétence est un s a v o i r en acte e t / ou un savoir d'act ion.

LES RELATIONS ENTRE LES DIFFÉRENTS SAVOIRS ET LA COMPÉTENCE ACQUISE

Si l'objet majeur de l 'EP est la trans­mission/acquisit ion de compétences , on peut mesurer désormais la partici­pation de chacun des registres évoqués quant à une acquisition effective. En considérant q u e les compétences visées en EPS sont essentiellement des savoirs en acte plutôt que des savoirs méthodologiques, puisque la spécifi­cité motrice du professeur est avant tout de développer un registre de capa­ci tés/habiletés motr ices, on essaiera d ' é v a l u e r la por t ée des savo i r s sur l 'act ion, des savoirs d ' ac t ion et des savoirs d'attitude sur l 'acquisition des savoirs en acte.

Le rôle des savoirs en acte que nous avons appe lés normat i fs est fonda­

mental. Les dispositions à apprendre, qui sont sociologiquement très diffé­renciées, permettent à l 'élève « d 'en­trer » dans l 'apprentissage. La norme scolaire (obligation, assiduité, respect des lieux et des personnes, obéissance, imposit ion d 'un maître , des pairs et des notions, acceptation du jugement et du classement) est contraignante et les p h é n o m è n e s de rejet son t f ré­quents. D 'au t re part cette norme qui suscite en grande partie la motivation

n'est pas constante. Apparaissent de n o m b r e u s e s s t ra tég ies d ' é v i t e m e n t des contraintes ou de leur réduction. La passivité et l ' inertie sont les plus communes . Ce savoir être est néces­saire mais non suffisant, car non seu­lement il faut vouloir mais aussi pou­voir apprendre. Et de nombreux élèves ne possèdent pas suffisamment les res­sources préalables. Ces manquements dont les causes ne sont pas unique­ment sociologiques, en EPS le rôle des ap t i tudes et des capac i tés mot r ices reste déterminant, conditionnent gran­dement la réussite.

Le rôle des savoirs sur l 'act ion lors­qu'on v i s e l'efficacité p r a t i q u e , d e m e u r e nég l i geab l e . Ce n'est pas parce que l'élève connaî t que lques principes métaboliques qu'i l va courir ou nager plus vite. Ces savoirs sont ut i les au titre de savoi r seu lement , comme ils le sont dans les autres dis­ciplines, en biologie par exemple. Les savoirs d'action ou savoirs métho­dologiques sont un préalable à la mise en œuvre, ils sont parfois nécessaires. Mais là aussi , leur statut théor ique .

médié par le langage, fait qu'i ls n 'ont pas directement d'effets pratiques. Et connaître par cœur la liste d'une séquence d'action qui décrit tel ou tel geste technique, ne donne pas d ' em­b lée la réuss i t e « en ac te ». N é a n ­moins ces savoirs d 'act ion représen­tent souvent un préalable intéressant et utile en terme de représentation men­tale du but et du comment. Enfin les savoirs de média t ion (les méta-savoirs) peuvent selon les théo­ries être des savoirs sur l'action ou des savoirs d'action. Ils présenteraient une forte composante cognitive en début d'apprentissage. Ils sont so l l ic i tés certes, m a i s p a r f o i s d e m a n i è r e inconsciente et il est difficile de les isoler intellectuellement de l 'act ion, car l'exploitation des feedback « cognitifs » est en grande partie auto-r é g u l é e . Bref on peut c o n c l u r e en disant que l 'élève contruit des savoirs en acte d'abord dans l 'acte même. Les savoirs d 'action, les consignes sur le « comment faire », peuvent présenter une cer ta ine util i té c o m m e cadrage global de l'action. Quant aux savoirs sur l 'action ils n 'ai­dent pas l 'acquisit ion des savoirs en acte, ils font partie d 'une « culture sur le corps » partagée avec l ' enseigne­ment de la biologie ou de la physique (mécanique, cinématique).

Philippe Sarremejane Maître de conférences,

Université de Marne-la-Vallée.

Notes biographiques

( I ) Sur cette problématique épiste'mologique chère aux didactiques consulter l'article de Philippe Sarremejane « Les didactiques et la culture scientifique ». Penser l'éducation vf 6, pp. 87-99, 1998. Article repris dans Les didactiques et la culture scolaire. Les édi­

tions Logiques, 2002.

(2) Nous n'aborderons pas ici les normes du « s c i en t i f i que » r e l a t i ve s à tou t e s les « sciences » qui gravitent dans le champ des pratiques corporelles.

(3) C'est la mission même des didactiques. Consulter sur ce point le livre de Philippe Sar­remejane, Histoire des didactiques discipli­naires 1960-1995 publié chez L'Harmattan en 2001, pp. 115-249.

(4) Consulter l 'ar t icle de Thierry Poulain « Vaincre les défenses individuelles », Revue EP.Sn° 274, pp. 37, 1998.

(5) Sur ce point se référer à l'article de Chris­tian Georges « Interactions entre les connais­sances déclaratives et procédurales ». in Les automatismes cognitifs. P. Mardaga. 1998.

(6) BO hors série n° 6 du 31-8-2000.

Bibliographie complémentaire

11] Lévi-Strauss ( C ) , Histoire de Lxnx, Pion, 1991.

Savoirs en acte normatifs.

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