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NATATION AVEC LES HANDICAPES PHYSIQUES JEAN VIVENSANG. PROFESSEUR EPS. CREPS DE BORDEAUX Jean Vivensang, professeur EPS au CREPS de Bordeaux et spécialiste de natation a mis ses connaissances et sa pédagogie au service de ceux qui souffrent d'un handicap physique. Commencée au bord de la mer, durant l'été 1967, son expérience se poursuit en piscine et le conduit à s'occuper successivement : en 1968 des handicapés isolés du département de la Gironde, regroupés au sein d'une association sportive, l'ASHPA. En 1970, l'Ecole nationale des handicapés moteurs du Haillan (Gironde) lui confie ses jeunes élèves. En 1972, ce sont les IMC d'une école du département qui viennent à la piscine et, depuis octobre 1974, les jeunes de l'Institut d'éducation motrice de Talence suivent régulièrement les cours de natation. E.P.S. 12 Revue EP.S n°146 Juillet-Août 1977. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés

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NATATION AVEC LES HANDICAPES

PHYSIQUES

JEAN VIVENSANG. PROFESSEUR EPS. CREPS DE BORDEAUX

Jean Vivensang, professeur EPS au CREPS de Bordeaux et spécialiste de natation a mis ses connaissances et sa pédagogie au service de ceux qui souffrent d'un handicap physique. Commencée au bord de la mer, durant l'été 1967, son expérience se poursuit en piscine et le conduit à s'occuper successivement : en 1968 des handicapés isolés du département de la Gironde, regroupés au sein d'une association sportive, l'ASHPA.

En 1970, l'Ecole nationale des handicapés moteurs du Haillan (Gironde) lui confie ses jeunes élèves. En 1972, ce sont les IMC d'une école du département qui viennent à la piscine et, depuis octobre 1974, les jeunes de l'Institut d'éducation motrice de Talence suivent régulièrement les cours de natation.

E.P.S.

12 Revue EP.S n°146 Juillet-Août 1977. ©Editions EP&S. Tous droits de reproduction réservés

La natation constitue l'un des sports de base des handicapés moteurs et nous envisagerons dans cet article ses deux aspects complémentaires : l'ap­prentissage ; la continuité de la pratique soit en natation sportive et compétition, soit dans les loisirs nautiques. Que le handicap soit de naissance ou accidentel, le problème majeur est l'adaptation au milieu physique et sociologique. Il faut apprendre ou réapprendre à s'accepter dans ce milieu, avec les autres. La natation constitue une aide préciseuse dans ce domaine parce que le corps, libéré en partie de la pesanteur qui interdit parfois tout mouvement, retrouve une possibilité motrice insoupçonnée et, partant, redonne confiance au handicapé — c'est pourquoi nous n'utilisons jamais d'aide lors de la phase d'apprentissage. Enfin, les séances se déroulent en présence du public. L'encadrement est toujours assuré par une équipe comprenant : l'enseignant d'EPS de l'établisse­ment lorsqu'il y en a un, moi-même, des MNS et presque toute l'équipe de rééducation lorsqu'il s'agit d'une école ou d'un centre pour handicapés physiques. Il faut noter que la plupart des étudiants en EPS du CREPS et certains de l'UEREPS, qu'ils aient choisi l'option « handicapés » ou non, participent aux séances avec les handicapés moteurs car le principe de l'enseignement de la natation avec cette catégorie d'élèves est le même qu'avec des sujets valides, seules les modalités pédagogiques varient.

De la paraplégie à la coxarthrose. Les handicapés que nous voyons à la piscine ont de 10 à 55 ans. leurs handicaps sont multiples et variés allant de la paraplégie complète (d'origine traumatique ou poliomyélitique) à l'hémiplégie flasque ou avec contractures. On trouve ensuite des amputés des membres inférieurs ou supé­rieurs, des aveugles, des cas de coxarthrose, des IMC. etc. La plupart ne savent pas nager ou nageaient un peu avant leu acciddeent. d'ù. constitution de deux grands groupes : un groupe d'apprentis­sage ; un groupe d'entraînement en vue des compétitions. L'organisation et le rythme des séances varient selon le type de handicap, le niveau et l'impor­tance du groupe considéré ; mais les grands principes sont toujours les mêmes : - Séances se déroulant dans une piscine ouverte au public, aux heures où celui-ci est présent, dans des lignes d'eau réservées. - Aucune « aide » telle que flotteurs, etc.. pour faciliter la prise de conscience et ne pas entraver le moindre éveil de sensations dans les zones paralysées. Enfin, pour que la natation atteigne ses buts : utilitaire, éducatif et sportif:

- Deux niveaux : apprentissage, entraînement. La population est constituée de : • handicapés physiques isolés qui viennent à la piscine deux fois par semaine en soirée pendant 1 h 30 mn. • jeunes de l'Ecole nationale des handicapés moteurs du Haillan, école assurant l'enseignement aux niveaux : élémentaire. CES. CET pour des enfants handicapes moteurs dont 25 % d'IMC. Etant donné le nombre important des élèves de cet établissement et le groupe d'I.M.C. nous prenons les enfants par groupes de 30. chaque éducateur ayant la charge de 2 à 4 enfants sauf pour les I.M.C. et les très grands handicapés pour lesquels la pédagogie est individuelle. La durée de la séance varie de 10 mn à 45 mn. Depuis l'année scolaire 1972/73. étant donné le nombre d'enfants, chaque groupe d'apprentissage ne vient à la piscine qu'un trimestre, les enfants qui participent à des compétitions s'entraînent toute l'année. • Les I.M.C. de l'école de Cenon viennent à la piscine tous les mercredi de 15 à 16 h. toujours en présence du public. Ces jeunes ont pour la plupart un Q.I. assez bas ; les séances sont surtout une accoutumance au milieu aquatique et, pour certains, en particulier les I.M.C. athétosiques (contractions involon­taires), il se pose quelques problèmes au niveau des propulsions et la position sur le dos et le dos crawlé semblent les seuls possibles. Toutefois, les bienfaits sur le plan psychologique, psychomo­teur, physiologique sont excellents. • Les adolescents handicapés de l'Institut d'édu­cation motrice de Talence qui suivent leurs cours en lycées et facultés ont une heure de natation hebdomadaire, le jeudi de 17 h 45 à 18 h 45. Les résultats sont, avec ce groupe, exceptionnels et en quelques séances certains grands handicapés arrivent à bien se propulser. Enfin, nous avons une expérience légèrement différente puisqu'elle se déroule en eau de mer. La démarche pédagogique d'apprentissage est la même, mais il faut compenser les écueils que sont : la température de l'eau, surtout importante pour les paraplégiques, et le manque de repères visuels stables.

Nager. Comment ? Le rôle de l'équipe enseignante consiste à amener le sujet à« prendre progressivement et réellement conscience de ses propres possibilités dans le milieu aquatique, lui permettant ainsi de prendre confiance en lui et non en quelques éléments artificiels ». L'enseignant doit avoir vis-à-vis du handicapé une attitude modérée, lui faire prendre conscience de son infirmité pour l'amener à la dépasser. L'eau et la volonté des sujets sont de précieux auxiliaires et surtout, le handicapé est dans l'eau comme un individu sain dans la même

situation. L'allégement du poids du corps est proportionnel au volume immergé, et permet à certains grands handicapés d'effectuer des mou­vements très difficilement réalisables, voire irréa­lisables, hors de l'eau du fait de la pesanteur. Après avoir abordé la respiration : expiration longue par la bouche et inspiration brève, découverte du temps d'apnée (exercice utilitaire) suivi de l'immersion, on leur fait sentir la poussée de l'eau. On aborde ensuite les positions horizontales ventrales et surtout les positions dorsales qui conviennent même aux sujets les plus atteints (ph. I et 2). L'un des grands principes étant la non-utilisation d'éléments de flottaison afin de faire découvrir ou redécouvrir des sensations réelles. Comme le dit le Docteur H. Lefort. Président de l'ASHPA et membre du Comité médical de la FFSHP : » Celte méthode parait particulièrement favorable pour les handicapés physiques, auxquels elle procure rapidement une entière confiance dans l'eau quel que soit leur handicap et sans le soutien de flotteurs, ce qui leur permet d'emblée une bonne éducation de leur sensibilité et de leur motricité ».

Sujet I.M.C. athélasique incapable de mainte­nir la tète et le tronc ( 1) en position dorsale (2) puis en coulée dorsale (3).

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Le sujet tétraplégique (4) part en position ventrale, amorce une demi-vrille au moment où son bras descend naturellement (5). Réa­lise la demi-vrille (6) pour se retrouver en position dorsale (7).

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Le troisième niveau Le sujet l.M.C. pouvant mouvoir ses seuls avant-bras est mis à l'eau par le professeur (8), il prend la position dorsale (9), part en dos crawlé ( 10), se redresse (II) pour passer de la position verticale ( 12) à la position ventrale (13),

reprend de l'air par une inspiration brève (14) pour réaliser une demi-vrille (15) qui lui permet de repasser sur le dos ( 16) et de revenir jusqu'au bord en dos crawlé ( 17). Ce sujet commence à maîtriser le milieu dans toutes ses dimensions. Il a atteint le troisième niveau.

Pour certains sujets qui ont des problèmes au niveau cervical (tétraplégie) ou qui ne peuvent maintenir leur tête et, par là même, ont des difficultés à garder la position ventrale, on leur apprend rapidement la demi-vrille (ph. 4 à 7), ce qui leur permet de passer de la position ventrale à la position dorsale -, ils peuvent faire de même en se renversant Entre les deux positions, on leur l'ait sentir la sustentation en position verticale. Ils atteignent ainsi le troisième niveau (ph. S à 17). Pour ce qui est des propulsions le simultané à deux bras sur dos est vu en premier (ph. 18 à 21 ). en particulier avec les tétraplégiques, paraplé­giques et les hémiplégiques (I). Au début, le sujet doit bien maîtriser les trois composantes : respiration-équilibre-propulsion car. après l'en­voi des deux bras, il est placé sous l'eau et doit

expirer durant tout le trajet moteur des bras et ce n'est qu'à la fin de celui-ci que la tête émerge et que le sujet peut inspirer ; d'autre part, pour continuer à rester allongé et à se propulser, il ne peut arrêter son mouvement de bras. Le sujet est placé dans une condition réelle d'exécution, le geste est vu dans son ensemble, la respiration permettant de synchroniser le tout. Le sujet réalise très vite le dos crawlé. En ce qui concerne la propulsion à deux bras sur le ventre et afin de faciliter et de sentir la poussée des bras, sans le temps d'arrêt, et l'inspiration en fin de poussée, on utilise le système des deux

Apport pour la pédagogie du valide Outre la confirmation de la sensation réelle par la non utilisation de flotteurs, l'abord des composantes R-E-P, ainsi que la nécessité de découvrir le milieu dans toutes ses dimen­sions, ces expériences nous prouvent que : - la sensation au niveau des membres infé­rieurs part des extrémités, plus particulière­ment des pieds, notamment avec les cas de coxarthrose. sauf bien sûr pour les paralysés des membres inférieurs ; ce qui évite des douleurs au niveau lombaire et en simultané à deux bras sur le ventre l'ondulation au niveau du bassin ; - la nage sur le dos est celle qui convient à tous les handicapés, même les plus atteints. Chez les tout-petits (4-5 ans) et les adultes non handicapés, il semble, une fois la position dorsale acquise, que le dos crawlé est aussi la nage la plus facile à exécuter; - l'exercice de demi-vrille, un des plus importants, permet de faire s'interpénétrer les positions ventrale et dorsale et offre la possibilité à de très grands handicapés de progresser seuls dans la position dorsale ; - l'accoutumance au milieu aquatique joue un rôle essentiel et permet au sujet de découvrir le milieu en son entier ; - le mouvement au niveau des bras est uniformément accéléré et il ne peut y avoir d'arrêt en fin de trajet moteur ; les trois composantes R-E-P étant intimement liées ; - en crawl, le sujet inspire au début tous les 2-4-6 cycles de bras afin de sentir le trajet des bras et de perfectionner l'expiration ; - les trois buts ; éducatif, utilitaire et sportif sont largement atteints, sans oublier le but rééducatif et l'intégration ou la réintégration dans la vie active.

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cordes tendues en largeur de la piscine, sur lesquelles le sujet s'appuie ; puis il réalise la même propulsion sans l'aide des cordes, en inspirant tous les deux ou trois cycles de bras (2) et (3). Pour ce qui est du crawl, au début, le sujet réalise 4 à 6 cycles de bras, puis continue en dos crawlé après une demi-vrille. La brasse est un peu abordée dans la sustentation sur l'eau, puis perfectionnée par la suite : c'est une des nages qui leur convient le moins. Les maîtrises sub-et sus-aquatiques l'ont partie intégrante des séances et même les grands handicapés réalisent des recherches d'objets de

plus en plus lourds (ph. 25 à 27) et des plongeons du bord, du tremplin de I m (ph. 28-29) et même du trois mètres. Les sujets peuvent par la suite, soit profiter avec le maximum de sécurité et d'efficacité des loisirs nautiques, soit continuer avec le maximum de chances de réussite dans la voie sportive. Les l.M.C. Pour les l.M.C, qui sont spastiques. la nage sur le dos est celle qui convient le mieux ; pour les l.M.C. athétosiques. dont les contractions invo­lontaires contrarient les mouvements de propul­

sion, il faut d'abord passer de nombreuses séances à les décontracter ; la température de l'eau jouant un rôle important (28 à 30°). Aussi, le pédagogue doit-il se montrer très patient et même si par la suite ces sujets arrivent à se propulser, il faut prévoir quelqu'un pour être prêt à intervenir ; il en est de même avec les épileptiques. De toute façon, les bienfaits sur les plans psychologique, psychomoteur et physiologique sont indéniables.

Mais quand ? L'équipe pédagogique peut comprendre le méde­cin, le kinésithérapeute, les éducateurs, des MNS et des enseignants EPS. chacun restant à sa place ; l'équipe doit se réunir souvent afin de confronter ses points de vue. de mieux connaître les individus dont elle s'occupe et voir ce qu'ils font dans d'autres domaines que le sien. Quel est le moment d'intervention de l'enseignant en éducation physique ? Il semble se placer tout de suite après la récupération locale, celui de la réadaptation fonctionnelle, ou il fait équipe avec le rééducateur. La natation bien dosée est une des meilleures rééducations. Le réentraînement à l'effort étant une étape qui précède l'insertion ou la réinsertion socio-professionnelle. Le handicapé physique semble a priori plus difficile d'approche que le handicapé mental. Ce dernier est. par contre, d'une approche plus ardue dans le travail. En effet, au premier contact, les gens qui sont appelés à s'occuper de handicapes physiques, ont au départ, surtout avec les plus atteints (tétraplégiques, amputés double), une attitude de surprotection, ce qui est une erreur. Il leur semble qu'il sera très difficile de leur faire réaliser un exercice dans le milieu aquatique ; or. ils s'aperçoivent très vite que le contact se fait facilement et que le handicapé placé sans support dans ce milieu flotte très rapidement et peut réaliser des mouvements impossibles hors de l'eau, réveillant des sensations disparues. Les très grands handicapés doivent être pris au début individuellement, pour les autres, par petits groupes et dès qu'ils ont dépassé le troisième niveau ils attaquant les débuts-propulsion et propulsion et peuvent continuer dans la voie sportive. Au départ, il faut tenir compte du handicap, mais pour ce qui est de l'approche des composantes R.E.P., de la découverte du milieu aquatique en son entier, les principes sont les mêmes qu'avec les valides. On peut parler de perfectionnement technique. Pour les handicapés mentaux, moyens et pro­fonds, on ne peut parler de la même façon de perfectionnement technique. Il s'agit plutôt de favoriser un apprentissage par une adaptation constante de l'approche pédagogique. La pédago­gie doit d'abord être relationnelle.

(A suivre) J. VIVENSANG

(1) Pour un sujet hémiplégique, l'envoi des bras est réalisé en prenant avec la main valide le bras paralyse et en l'entraînant en arrière, le retour se faisant naturelle­ment (2) Voir pour plus de détails, le livre « Pédagogie moderne de la natation » (2e édition) en vente chez l'auteur : 90. rue Robert-d'Ennery, .Î.t200 Bordeaux -, ou en librairie spécialisée, prix : 25 F. (3) Un film de l'auteur (16 mm. sonore) réalisé avec des handicapés physiques et des élèves du primaire montre un travail par niveau, du débutant au nageur confirmé.

Sujet paraplégique spastique à D5 (18). En simultané à Jeux bras sur le dos. Il place son inspiration en fin de trajet moteur des bras ( 19-20) durant tout le reste du trajet des brus, le sujet est en immersion et expire par la bouche ( 21 ).

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