Le Système Fiscal MarocainMoteur ou frien au developpement des entreprises

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LE SYSTÈME FISCAL MAROCAIN: MOTEUR OU FREIN AU DÉVELOPPEMENT DE L’ENTREPRISE? (PREMIÈRE PARTIE) PAR LE PR RACHID LAZRAK(*) La fiscalité comporte une double portée: D’abord une portée collective, en ce sens que la fiscalité concerne l’ensemble de la communauté en tant que telle: d’où des questions importantes qu’il y a lieu de poser; dont notamment la question de savoir quelle place doit avoir la fiscalité dans la vie d’une nation et surtout quel rôle doit jouer la fiscalité dans le développement économique et social de notre pays, au moment où le Maroc se trouve confronté à de nombreux défis, dont celui de la mondialisation. Ensuite une portée individuelle, en ce sens que la fiscalité touche directement ou indirectement la personne, en tant que salarié, épargnant, agriculteur, propriétaire, consommateur, entrepreneur ou simple citoyen. L’entreprise, quant à elle, se trouve concernée par la fiscalité, dans sa double portée : elle constitue l’unité de création de la richesse, bénéfique pour toute la communauté, mais en même temps, elle constitue le cadre normal où les personnes exercent leurs activités et réalisent des profits. Autrement dit, l’entreprise est intéressée par la fiscalité, dans sa double dimension : macro et microéconomique. A travers l’entreprise, l’Etat essaie de faire de la fiscalité un des instruments de développement économique et social, et en même temps, il lui demande d’être le principal pourvoyeur de recettes, nécessaires pour faire face aux dépenses publiques. Ainsi, l’entreprise se trouve être l’élément central de tout système fiscal. Qu’en est-il alors du système fiscal marocain par rapport à l’entreprise : est-il un moteur de son développement ou au contraire un frein ? Dans cette première partie que nous publions aujourd’hui, l’auteur traite de ce rôle de moteur du système fiscal marocain. Quoique l’on dise, le système fiscal marocain, malgré ses limites et ses imperfections, n’a rien à envier aux systèmes fiscaux des pays les plus avancés : c’est un système incitatif, en pleine mutation et garantissant globalement les droits de l’entreprise. Personne ne peut contester que le système fiscal marocain soit aujourd’hui en perpétuelle mutation. C’est une évolution dynamique qui a commencé avec la promulgation de la loi-cadre relative à la réforme fiscale en 1984 et la concrétisation de cette réforme, dans les années 1980, avec la création de trois grands impôts : l’impôt sur les sociétés (IS), l’impôt sur le revenu (IR) et la taxe sur la valeur ajoutée

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LE SYSTME FISCAL MAROCAIN: MOTEUR OU FREIN AU DVELOPPEMENT DE LENTREPRISE? (PREMIRE PARTIE)PAR LE PR RACHID LAZRAK(*) La fiscalit comporte une double porte: Dabord une porte collective, en ce sens que la fiscalit concerne lensemble de la communaut en tant que telle: do des questions importantes quil y a lieu de poser; dont notamment la question de savoir quelle place doit avoir la fiscalit dans la vie dune nation et surtout quel rle doit jouer la fiscalit dans le dveloppement conomique et social de notre pays, au moment o le Maroc se trouve confront de nombreux dfis, dont celui de la mondialisation. Ensuite une porte individuelle, en ce sens que la fiscalit touche directement ou indirectement la personne, en tant que salari, pargnant, agriculteur, propritaire, consommateur, entrepreneur ou simple citoyen. Lentreprise, quant elle, se trouve concerne par la fiscalit, dans sa double porte: elle constitue lunit de cration de la richesse, bnfique pour toute la communaut, mais en mme temps, elle constitue le cadre normal o les personnes exercent leurs activits et ralisent des profits. Autrement dit, lentreprise est intresse par la fiscalit, dans sa double dimension: macro et microconomique. A travers lentreprise, lEtat essaie de faire de la fiscalit un des instruments de dveloppement conomique et social, et en mme temps, il lui demande dtre le principal pourvoyeur de recettes, ncessaires pour faire face aux dpenses publiques. Ainsi, lentreprise se trouve tre llment central de tout systme fiscal. Quen est-il alors du systme fiscal marocain par rapport lentreprise: est-il un moteur de son dveloppement ou au contraire un frein?Dans cette premire partie que nous publions aujourdhui, lauteur traite de ce rle de moteur du systme fiscal marocain. Quoique lon dise, le systme fiscal marocain, malgr ses limites et ses imperfections, na rien envier aux systmes fiscaux des pays les plus avancs: cest un systme incitatif, en pleine mutation et garantissant globalement les droits de lentreprise. Personne ne peut contester que le systme fiscal marocain soit aujourdhui en perptuelle mutation. Cest une volution dynamique qui a commenc avec la promulgation de la loi-cadre relative la rforme fiscale en 1984 et la concrtisation de cette rforme, dans les annes 1980, avec la cration de trois grands impts: limpt sur les socits (IS), limpt sur le revenu (IR) et la taxe sur la valeur ajoute (TVA). Depuis cette rforme, et surtout depuis une dizaine dannes, il sest cr au sein de ladministration fiscale une culture de rformes ; ce dont on ne peut que se fliciter un moment o notre pays, confront de nombreux dfis, a besoin de cette culture dans tous les domaines. Dailleurs, cette culture de rforme a t consolide par un effort de concertation qui, malheureusement nexiste pas toujours dans les autres administrations. Pour ne citer que quelques exemples de cette mutation permanente, on peut rappeler :- la grande rforme fiscale de 1980 ;- la rforme des droits denregistrement en 2004 ;- la mise en place du livre des procdures fiscales en 2005 et du livre dassiette et de recouvrement en 2006 ;- la rforme des organes chargs du recouvrement de la TVA en 2004 et de lIS en 2005 ;- la rorganisation des services au niveau rgional, avec la cration de la direction des grandes entreprises;- la mise en place des systmes de tldclaration et de tlpaiement ;- la rforme en cours de la TVA ;- la rforme en cours de la fiscalit des collectivits locales avec le remplacement de la taxe urbaine et la patente par des impts professionnels;- la promulgation du Code gnral des impts (CGI) en 2007.

Un systme incitatif Le systme fiscal marocain comporte des mesures dincitation la cration de lentreprise, son dveloppement, sa concentration et mme des mesures relatives sa disparition. Le document-cl de ces mesures se trouve tre la charte de linvestissement promulgue le 8 novembre 1995 et qui se situe dans le prolongement dun certain nombre de textes lesquels, ds 1960, ont institu des avantages au profit des investissements marocains et trangers. Cette charte de linvestissement se caractrise par la gnralisation des avantages en ce sens quelle sapplique tous les secteurs dactivit, lexception du secteur agricole et de certaines activits, numres limitativement par la loi de Finances pour lanne 1996 (agences immobilires, tablissements stables des socits trangres, tablissements de crdit, socits dassurances et de rassurances, CDG et Bank Al Maghrib). Elle se caractrise galement par son homognit dans la mesure o les mmes avantages sont accords toutes les entreprises industrielles, commerciales ou de services. Enfin, elle se caractrise par lautomaticit des avantages, en ce sens que les mesures dincitation sont accordes automatiquement, sans quil y ait lieu de dposer un quelconque dossier auprs dune quelconque autorit de tutelle, comme cela tait le cas dans le cadre des codes dinvestissements sectoriels de 1973 (artisanat, industrie, tourisme, mines, pche, immobilier et exportation). Dans tous les cas, les avantages, prvus par la charte de linvestissement sont devenus effectifs, avec lentre en vigueur de la loi de Finances transitoire pour lanne budgtaire 1996. Ils ont t renforcs depuis cette date par dautres avantages. Aujourdhui, lentreprise bnficie, au titre de tous les impts, de nombreuses drogations fiscales qui prennent la forme dexonrations totales ou partielles, temporaires ou dfinitives, de rductions dimpts, dabattements et de taux prfrentiels et mme de rgimes fiscaux drogatoires (exportation indirecte pour les activits minires).Ces drogations fiscales font, dailleurs, lobjet dun recensement priodique et mme dune valuation dans des rapports relatifs aux dpenses fiscales . Ces dpenses constituent des manques gagner pour lEtat et sont comparables, de ce fait, des dpenses publiques (cf. notre encadr). Un systme garantissant globalement les droits des contribuables Concernant les garanties accordes aux contribuables, force est de constater que, dans ce domaine, le Maroc a ralis de grands progrs depuis la rforme fiscale des annes 1980. Ces progrs se sont illustrs par plusieurs faits : 1- Avant la rforme de 1980, le principe tait de payer avant de rclamer. Aujourdhui, ce nest qu lissue de la procdure contradictoire, cest--dire aprs la dcision de la commission nationale du recours fiscal (CNRF) que le contribuable va devoir payer, sur la base de cette dcision. Mieux encore, mme aprs cette dcision, il peut recourir au tribunal administratif, pour contester la dcision de la CNRF et peut mme intenter un recours devant la Cour administrative dappel et mme devant la Cour suprme pour remettre en cause la dcision du tribunal administratif, et ce, sur un pied dgalit avec ladministration fiscale. Dailleurs, ladministration fiscale prfre, aujourdhui, les solutions transactionnelles et a consacr ce principe dans le projet de circulaire relatif au livre des procdures fiscales. Cest peut tre lun des aspects les plus importants et le moins perceptible de lEtat de droit auquel aspirent tous les Marocains.2- Mme au niveau du contrle fiscal proprement dit, le contribuable dispose de garanties non ngligeables. Ainsi, la taxation doffice nintervient que dans des cas prcis et ne devient dfinitive quaprs deux relances crites.3- De mme, la vrification de la comptabilit implique la remise ou lenvoi dun avis de passage, 15 jours avant ; dfaut de quoi, la procdure de contrle devient nulle.4- Il y a lieu de signaler, galement, que depuis la promulgation du livre des procdures fiscales en 2005, le contribuable peut se faire, par la force de la loi, assister dun conseil ou dun avocat de son choix au cours de la procdure de contrle et celle du contentieux, aussi bien dans sa phase administrative que juridictionnelle.5- La dure de la priode de contrle ne peut dpasser 6 ou 12 mois selon la taille de lentreprise. Dailleurs, linspecteur charg du contrle est tenu dinformer le contribuable de la date de clture de la vrification.6- La remise en cause de la valeur probante dune comptabilit ne peut intervenir que si cette comptabilit prsente des irrgularits graves, limitativement numres par larticle 213 du CGI. Cette numration constitue une garantie pour le contribuable qui se trouve labri dune interprtation trop subjective de la part de linspecteur-vrificateur.7- En matire de droit de communication, malgr les droits trs larges que confre la loi ladministration fiscale, ce droit de communication fait lobjet dune rglementation stricte pour viter les abus. Ainsi, pour les professions librales dont lexercice implique des prestations de service caractre juridique, fiscal ou comptable, le droit de communication ne peut pas porter sur la communication globale du dossier du contribuable. Le droit de communication doit sexercer dans les locaux des personnes physiques ou morales concernes et aucun document original ne peut tre emport par linspecteur, si la personne sy oppose.8- Pour revenir la procdure contradictoire proprement dite, il y a lieu dinsister sur le fait que des dlais lgaux simposent aussi bien au contribuable qu ladministration et le dfaut de respecter ces dlais fait perdre aux deux parties les droits de continuer la procdure. Ainsi, le dfaut denvoi de la deuxime notification par linspecteur dans les 60 jours de la rception de la rponse du contribuable, entrane la nullit de la procdure et mme si lAdministration dcide de dclencher un nouveau contrle, elle ne peut dcider des rectifications suprieures celles du premier contrle.9- Autre garantie pour le contribuable : la prescription qui permet dteindre laction de lAdministration aussi bien au niveau du contrle que du recouvrement de limpt. Ainsi, ce dlai de prescription a t fix 4 annes, sauf en matire denregistrement o ce dlai est port 15 ans et 10 ans partir de 2006 (au lieu de 30 auparavant) en cas de non prsentation dun acte la formalit de lenregistrement ou en cas de dissimulation de prix ou de charges. Cest dire que le systme fiscal marocain, par son caractre moderne, par les incitations quil comprend et par les garanties quil accorde, peut tre considr comme un vritable moteur pour le dveloppement de lentreprise. Cependant, malgr ses aspects positifs, ce systme comporte de nombreuses limites et, ce titre, il constitue souvent un frein au dveloppement de cette entreprise. Cest ce que nous dvelopperons dans la deuxime partie.