Le Courrier - Kayseri

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LE COURRIER SAMEDI 17 AVRIL 2010 13 RELIGIONS Jérôme et Augustin: le combat des saints PUBLICATION • Les deux Pères de l’Eglise échangent une correspondance de trente lettres entre 394 et 419, un dialogue de haute volée qui tourne vite à l’affrontement, comme le montre une récente traduction. VINCENT MONNET* C’est un choc de titans. Engagée à la fin du IV e siècle, la correspondance entre saint Jérôme et saint Augustin met en présence deux des plus grands esprits de l’Antiquité tardive. Deux Pères de l’Eglise rassemblés par une même foi chrétienne, mais que tout oppose. Fi- gure du passé, le premier est un styliste hors pair au caractère impossible. In- carnant l’avenir, le second est un per- sonnage plutôt sociable, pour qui seu- le la preuve compte, mais qui déteste les conflits. Portant sur les questions de la liberté divine et du salut, la tren- taine de lettres qu’ils s’échangent entre 394 et 419 donnent lieu à un débat tout à fait unique, dont la récente traduc- tion offerte par Carole Fry, chargée d’enseignement à l’université de Genève, (unité de latin) parvient à res- tituer tout le sel. Sous des atours très policés, le dialogue entre les deux ec- clésiastiques dissimule en effet une âpre dispute où se mêle mauvaise foi, menaces, arrière-pensées, non-dits et incompréhension. «Au-delà du texte, qui est déjà connu, mais qui méritait une relecture moderne, l’objectif était de permettre de saisir le caractère et la disposition d’esprit de ces deux géants de la pensée occidentale que sont Jérôme et Augustin», explique Carole Fry. Pour y parvenir, il a fallu passer et repasser au crible le texte. Suivre la pensée de deux auteurs du IV e siècle séparés par plus de 2000 kilomètres et qui communi- quent parfois à plusieurs années d’in- tervalle n’est pas à la portée du pre- mier venu. Initiateur de cette relation épistolaire qui va s’étaler sur une trentaine d’années, Aurelius Augustinus – le fu- tur saint Augustin – est sur le point d’être nommé évêque d’Hippone lors- qu’il s’adresse pour la première fois à Jérôme. Citoyen de Carthage, il a oc- cupé la prestigieuse chaire de rhéto- rique de Milan avant de se retirer pour se consacrer à Dieu. Passé maître dans l’art d’exposer et d’exploiter les idées, raisonnant comme un orateur judi- ciaire, il dispose d’une prodigieuse puissance de travail. Si bien qu’on s’adresse à lui des quatre coins de l’empire dès que se pose une question en rapport avec la foi. «Cet homme, à qui nous devons notamment le concept de péché originel, est sans doute, avec Aristote, le plus grand es- prit que l’Antiquité ait connu», note Carole Fry. Eusebius Sophronius Hieronymus, autrement dit saint Jérôme, est fait d’un tout autre bois. Fondateur d’un monastère qu’il dirigera jusqu’à sa disparition, en 419, il a été contraint de quitter Rome à la mort de son pro- tecteur, le pape Damase. Menant une vie d’ascète, il est doté d’une mémoire phénoménale qui en fait le personna- ge le plus érudit de son temps. En plus de maîtriser parfaitement les arcanes du latin, Jérôme possède en effet le grec et l’hébreu, fait probablement unique à l’époque. Patron des traduc- teurs, il est surtout celui par qui la Bible latine est arrivée en Occident. Son avis est donc autant recherché que respecté. Côté caractère pourtant, saint Jérôme «est un type abominable, confirme Carole Fry. Il a trahi, insulté, traîné dans la boue à peu près tout le monde. C’est un véritable phénomène de nocivité à qui ses talents de styliste donnent un pouvoir destructeur phé- noménal.» Mais il demeure le commentateur des Ecritures le plus prolifique et le mieux informé du moment, raison qui pousse Augustin à se tourner vers lui. L’enjeu des premiers échanges vise à déterminer si le mensonge est licite ou non. Pour le moine de Bethléem, c’est une option envisageable à court terme et à des fins diplomatiques. Pour son confrère d’Hippone, en revanche, si les Ecritures contiennent un mensonge, c’est tout l’édifice qui s’écroule. «Il s’agit d’un affrontement entre la «Realpolitik» et l’éthique, explique Carole Fry. Et c’est l’éthique qui va l’emporter.» Furieux de s’être fait moucher par celui qu’il considère comme un «blanc-bec», Jérô- me grogne, vitupère et menace. Après une décennie sans contact, c’est sous de tout autres auspices que la discussion reprend. Nous sommes alors en 415. Rome est tombée aux mains des barbares cinq ans plus tôt et les idées diffusées par Pélage sèment le trouble dans la chrétienté. Moine d’origine bretonne, ce dernier défend l’idée que tout chrétien peut atteindre à la sainteté par son libre arbitre, ce qui revient à nier l’existence de la grâce et du péché originel. Unis face à la mena- ce, Jérôme et Augustin opèrent un rap- prochement qui facilitera la mise au ban de l’ennemi commun. Les thèses de Pélage sont déclarées hérétiques en 417, soit deux ans avant que la mort de Jérôme ne vienne mettre un point final à cette relation tumultueuse qui, pour Carole Fry, se résume à «la lutte de l’érudition contre l’intelligence». I Lettres croisées de Jérôme et Augusti ,traduites du latin, présentées et annotées par Carole Fry, Les Belles Lettres et Ed. J.-P. Migne, 502 p. *Article paru dans Campus, magazine de l’université de Genève. Mariage entre affaires et islam TURQUIE • Le dynamisme de Kayseri, le «tigre anatolien», trouve une source importante dans la religion.Cette ville conservatrice du centre du pays est un pôle industriel majeur. CLÉMENT GIRARDOT Dans la zone industrielle de Kayseri, la troisième plus grande du pays, les usines s’alignent à perte de vue. Sur- plombant la plaine, se dresse une im- mense mosquée d’une quinzaine d’années répondant au nom de «Mos- quée de la zone industrielle», pour mieux souligner l’alliance entre les va- leurs islamiques et celles du marché. Des bus y amènent les employés de toutes les entreprises du coin lors de la grande prière du vendredi. Le reste du temps est consacré au travail, valeur cardinale des habitants de Kayseri. «Quand tu ne travailleras pas, tu seras fatigué!» Özan Mahir, le patron de la petite entreprise familiale Beyzan Tekstil, cite ce passage du Coran pour mettre en exergue la dimension sacrée du travail. L’éthique des hommes d’af- faires locaux est particulièrement rigo- riste: ni alcool ni jeux d’argent, comme le prescrit le Coran, peu de loisirs et sur- tout pas de dépenses ostentatoires. Dans les rues de la ville qui abrite cer- taines des plus grosses fortunes de Tur- quie, guère de voitures de luxe mais un tramway flambant neuf. Certains ana- lystes ont développé le concept de calvi- nisme islamique 1 pour faire ressortir les analogies entre la morale des pionniers protestants du capitalisme moderne théorisée par le sociologue Max Weber et celle des industriels de Kayseri. «La religion permet de créer des contacts, d’établir des relations avec d’autres entrepreneurs croyants, c’est bon pour les affaires», résume Özan Ma- hir. Il évoque aussi l’influence de la communauté islamique Nur (Lumière) parmi les hommes d’affaires de Kayseri: «Ils sont très disciplinés et sont comme des frères.» Nur est un réseau transna- tional mené par le théologien islamiste modéré Fetullah Gülen, né en 1941 à Er- zurum (est de la Turquie) et dont le but est de promouvoir les valeurs musul- manes et turques. Fortement ancré en Turquie, Nur a développé ses activités dans le monde entier, notamment dans les domaines de l’éducation et des mé- dias. A l’instigation de Fetullah Gülen, les businessmen de Kayseri ont récem- ment financé l’établissement du pre- mier hôpital privé turc en Afrique, au Nigeria. Ancienne ville commerçante Kayseri est une très vieille ville com- merçante dont témoignent des vestiges antiques. «Le lien actuel très fort entre commerce et religion existait déjà du- rant l’Empire Ottoman où les corpora- tions mélangeaient activités écono- miques et spirituelles, indique Hüseyin Kalyoncu, doyen de la faculté d’écono- mie de l’université Meliksah. Les valeurs islamiques sont indéniablement favo- rables au commerce.» Tigre anatolien Durant ces cinquante dernières années, l’économie de Kayseri s’est transformée au profit d’activités indus- trielles fortement intégrées au marché mondial. Une mutation réussie mais qui n’a pas renié l’éthique islamique. Les entrepreneurs locaux se méfient fortement des banques: «Dans l’islam, il est interdit de faire de la spéculation, c’est pourquoi les entreprises les plus islamiques n’ont pas recours au crédit», explique Özan Mahir. Les considéra- tions religieuses rejoignent ici des considérations plus pragmatiques concernant les méfaits de la domina- tion du secteur réel par le secteur financier. Du centre à la périphérie, des quar- tiers entiers se créent où surgissent des forêts d’immeubles, poursuivant ainsi l’essor démographique d’une ville qui a dépassé le million d’habitants. Kayseri est devenue un formidable pôle d’at- tractivité lui valant le surnom de «tigre anatolien». Les trois mamelles de la croissance économique sont le textile, le bâtiment et surtout l’ameublement. Une nouvelle génération d’entre- preneurs ambitieux se nourrit des va- leurs traditionnelles pour poursuivre l’expansion de Kayseri: «L’ancienne génération d’entrepreneurs avait une vision figée de la religion tandis que les jeunes ont compris qu’il était possible de rester musulman tout en étant dyna- mique et en s’adaptant rapidement», affirme Özcan Yildirim, membre du conseil de direction de l’entreprise de meubles Aldora. Pour les jeunes, justement, en de- hors du monde des affaires, les activités sociales et culturelles sont plutôt ré- duites. «A Kayseri, il n’existe pas de bars, seulement un pub où vont les hommes, déclare le réalisateur Seyfi Teoman, natif de cette ville. Tous les autres lieux ont été fermés à cause de l’islamisation.» Au cœur de la cité, à la place de l’ancien sta- de, un centre commercial géant est en construction. Tout un symbole. Ville modèle du parti au pouvoir AKP (Parti de la Justice et du Développe- ment, un parti conservateur aux racines islamistes), Kayseri incarne le processus de modernisation conservatrice et la montée en force d’une bourgeoisie pieuse originaire de l’Anatolie, principal soutien du gouvernement actuel. I 1 European Stability Institute, Les Calvinistes islamiques. Changements et conservatisme en Anatolie centrale, Berlin-Istanbul, 2005, 35 pp. La Mosquée de la zone industrielle. CLÉMENT GIRARDOT L’entrepreneur Özan Mahir. CG Forêt d’immeubles à Kayseri. CG FRIBOURG Prêtre suspendu L’évêque de Lausanne, Genè- ve et Fribourg a suspendu un prêtre officiant dans la partie francophone du canton de Fri- bourg. Il lui est reproché d’avoir entretenu des relations sexuelles avec une femme dans une situation de détresse. L’homme conteste les faits. Après avoir reçu des rap- ports de la commission SOS Prévention et du tribunal diocé- sain, Mgr Bernard Genoud a dé- cidé de retirer, avec effet immé- diat, la mission canonique de ce prêtre, a indiqué vendredi le vi- cariat de Fribourg dans un communiqué de presse. L’Eglise a proposé à la femme de déposer une plainte pénale. Elle n’a à ce jour pas souhaité entamer une telle démarche. L’avenir de ce prêtre, qui n’ap- partient pas au diocèse de Lau- sanne, Genève et Fribourg, dé- pend désormais de l’évêque de son diocèse d’origine. L’homme a été ordonné prêtre en 1996 dans un autre diocèse que celui dans lequel il officiait jusqu’à présent. Le vi- cariat, par la voix de son porte- parole, se refuse à préciser l’â- ge et l’origine du prêtre pour des raisons de protection de la personnalité. Conformément aux procé- dures canoniques, le dossier a été transmis à la Congrégation romaine de la doctrine de la foi. Des mesures ont été prises et vont encore être prises pour assurer la bonne continuité de la vie pastorale des paroisses touchées par les conséquences de cette décision, précise le vicariat. ATS EN BREF PAS DE COMMISSION DU DIALOGUE INTERRELIGIEUX CONSEIL NATIONAL Nul besoin d’une commission fédérale des religions: la com- mission des institutions poli- tiques du Conseil national a refusé hier par 14 voix contre 8 de donner suite à une initiative parlementaire de Josef Zisyadis (POP/VD). ATS

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article publie dans le journal Le Courrier a Geneve le 17 avril 2010

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LE COURRIERSAMEDI 17 AVRIL 2010

13RELIGIONS

Jérôme et Augustin: le combat des saintsPUBLICATION • Les deux Pères de l’Eglise échangent une correspondance de trente lettres entre 394 et 419,un dialogue de haute volée qui tourne vite à l’affrontement, comme le montre une récente traduction.VINCENT MONNET*

C’est un choc de titans. Engagée à la findu IVe siècle, la correspondance entresaint Jérôme et saint Augustin met enprésence deux des plus grands espritsde l’Antiquité tardive. Deux Pères del’Eglise rassemblés par une même foichrétienne, mais que tout oppose. Fi-gure du passé, le premier est un stylistehors pair au caractère impossible. In-carnant l’avenir, le second est un per-sonnage plutôt sociable, pour qui seu-le la preuve compte, mais qui détesteles conflits. Portant sur les questionsde la liberté divine et du salut, la tren-taine de lettres qu’ils s’échangent entre394 et 419 donnent lieu à un débat toutà fait unique, dont la récente traduc-tion offerte par Carole Fry, chargéed’enseignement à l’université deGenève, (unité de latin) parvient à res-tituer tout le sel. Sous des atours trèspolicés, le dialogue entre les deux ec-clésiastiques dissimule en effet uneâpre dispute où se mêle mauvaise foi,menaces, arrière-pensées, non-dits etincompréhension.

«Au-delà du texte, qui est déjàconnu, mais qui méritait une relecturemoderne, l’objectif était de permettrede saisir le caractère et la dispositiond’esprit de ces deux géants de lapensée occidentale que sont Jérôme etAugustin», explique Carole Fry. Pour yparvenir, il a fallu passer et repasser aucrible le texte. Suivre la pensée de deuxauteurs du IVe siècle séparés par plusde 2000 kilomètres et qui communi-quent parfois à plusieurs années d’in-tervalle n’est pas à la portée du pre-mier venu.

Initiateur de cette relation épistolairequi va s’étaler sur une trentained’années, Aurelius Augustinus – le fu-tur saint Augustin – est sur le pointd’être nommé évêque d’Hippone lors-qu’il s’adresse pour la première fois àJérôme. Citoyen de Carthage, il a oc-cupé la prestigieuse chaire de rhéto-rique de Milan avant de se retirer pourse consacrer à Dieu. Passé maître dansl’art d’exposer et d’exploiter les idées,raisonnant comme un orateur judi-

ciaire, il dispose d’une prodigieusepuissance de travail. Si bien qu’ons’adresse à lui des quatre coins del’empire dès que se pose une questionen rapport avec la foi. «Cet homme, àqui nous devons notamment leconcept de péché originel, est sansdoute, avec Aristote, le plus grand es-prit que l’Antiquité ait connu», noteCarole Fry.

Eusebius Sophronius Hieronymus,autrement dit saint Jérôme, est faitd’un tout autre bois. Fondateur d’unmonastère qu’il dirigera jusqu’à sadisparition, en 419, il a été contraintde quitter Rome à la mort de son pro-tecteur, le pape Damase. Menant unevie d’ascète, il est doté d’une mémoirephénoménale qui en fait le personna-ge le plus érudit de son temps. En plusde maîtriser parfaitement les arcanesdu latin, Jérôme possède en effet legrec et l’hébreu, fait probablementunique à l’époque. Patron des traduc-teurs, il est surtout celui par qui laBible latine est arrivée en Occident.

Son avis est donc autant recherchéque respecté. Côté caractère pourtant,saint Jérôme «est un type abominable,confirme Carole Fry. Il a trahi, insulté,traîné dans la boue à peu près tout lemonde. C’est un véritable phénomènede nocivité à qui ses talents de stylistedonnent un pouvoir destructeur phé-noménal.»

Mais il demeure le commentateurdes Ecritures le plus prolifique et lemieux informé du moment, raison quipousse Augustin à se tourner vers lui.L’enjeu des premiers échanges vise àdéterminer si le mensonge est licite ounon. Pour le moine de Bethléem, c’estune option envisageable à court termeet à des fins diplomatiques. Pour sonconfrère d’Hippone, en revanche, si lesEcritures contiennent un mensonge,c’est tout l’édifice qui s’écroule. «Il s’agitd’un affrontement entre la «Realpolitik»et l’éthique, explique Carole Fry. Et c’estl’éthique qui va l’emporter.» Furieux des’être fait moucher par celui qu’ilconsidère comme un «blanc-bec», Jérô-me grogne, vitupère et menace.

Après une décennie sans contact,c’est sous de tout autres auspices quela discussion reprend. Nous sommesalors en 415. Rome est tombée auxmains des barbares cinq ans plus tôt etles idées diffusées par Pélage sèment letrouble dans la chrétienté. Moined’origine bretonne, ce dernier défendl’idée que tout chrétien peut atteindre àla sainteté par son libre arbitre, ce quirevient à nier l’existence de la grâce etdu péché originel. Unis face à la mena-ce, Jérôme et Augustin opèrent un rap-prochement qui facilitera la mise auban de l’ennemi commun. Les thèsesde Pélage sont déclarées hérétiques en417, soit deux ans avant que la mort deJérôme ne vienne mettre un point finalà cette relation tumultueuse qui, pourCarole Fry, se résume à «la lutte del’érudition contre l’intelligence». I

Lettres croisées de Jérôme et Augusti ,traduitesdu latin, présentées et annotées par Carole Fry,Les Belles Lettres et Ed. J.-P. Migne, 502 p.

*Article paru dans Campus, magazine de l’université de Genève.

Mariage entre affaires et islamTURQUIE • Le dynamisme de Kayseri, le «tigre anatolien», trouve une source importantedans la religion. Cette ville conservatrice du centre du pays est un pôle industriel majeur.CLÉMENT GIRARDOT

Dans la zone industrielle de Kayseri, latroisième plus grande du pays, lesusines s’alignent à perte de vue. Sur-plombant la plaine, se dresse une im-mense mosquée d’une quinzained’années répondant au nom de «Mos-quée de la zone industrielle», pourmieux souligner l’alliance entre les va-leurs islamiques et celles du marché.Des bus y amènent les employés detoutes les entreprises du coin lors de lagrande prière du vendredi.

Le reste du temps est consacré autravail, valeur cardinale des habitants deKayseri. «Quand tu ne travailleras pas,tu seras fatigué!» Özan Mahir, le patronde la petite entreprise familiale BeyzanTekstil, cite ce passage du Coran pourmettre en exergue la dimension sacréedu travail. L’éthique des hommes d’af-faires locaux est particulièrement rigo-riste: ni alcool ni jeux d’argent, commele prescrit le Coran, peu de loisirs et sur-tout pas de dépenses ostentatoires.Dans les rues de la ville qui abrite cer-taines des plus grosses fortunes de Tur-quie, guère de voitures de luxe mais untramway flambant neuf. Certains ana-lystes ont développé le concept de calvi-nisme islamique1 pour faire ressortir lesanalogies entre la morale des pionniersprotestants du capitalisme modernethéorisée par le sociologue Max Weberet celle des industriels de Kayseri.

«La religion permet de créer descontacts, d’établir des relations avecd’autres entrepreneurs croyants, c’estbon pour les affaires», résume Özan Ma-hir. Il évoque aussi l’influence de lacommunauté islamique Nur (Lumière)parmi les hommes d’affaires de Kayseri:«Ils sont très disciplinés et sont commedes frères.» Nur est un réseau transna-tional mené par le théologien islamistemodéré Fetullah Gülen, né en 1941 à Er-zurum (est de la Turquie) et dont le butest de promouvoir les valeurs musul-manes et turques. Fortement ancré enTurquie, Nur a développé ses activitésdans le monde entier, notamment dansles domaines de l’éducation et des mé-dias. A l’instigation de Fetullah Gülen,les businessmen de Kayseri ont récem-ment financé l’établissement du pre-mier hôpital privé turc en Afrique, auNigeria.

Ancienne ville commerçanteKayseri est une très vieille ville com-

merçante dont témoignent des vestigesantiques. «Le lien actuel très fort entrecommerce et religion existait déjà du-rant l’Empire Ottoman où les corpora-tions mélangeaient activités écono-miques et spirituelles, indique HüseyinKalyoncu, doyen de la faculté d’écono-

mie de l’université Meliksah. Les valeursislamiques sont indéniablement favo-rables au commerce.»

Tigre anatolienDurant ces cinquante dernières

années, l’économie de Kayseri s’esttransformée au profit d’activités indus-trielles fortement intégrées au marchémondial. Une mutation réussie maisqui n’a pas renié l’éthique islamique.Les entrepreneurs locaux se méfientfortement des banques: «Dans l’islam,il est interdit de faire de la spéculation,c’est pourquoi les entreprises les plusislamiques n’ont pas recours au crédit»,explique Özan Mahir. Les considéra-tions religieuses rejoignent ici desconsidérations plus pragmatiquesconcernant les méfaits de la domina-tion du secteur réel par le secteurfinancier.

Du centre à la périphérie, des quar-tiers entiers se créent où surgissent desforêts d’immeubles, poursuivant ainsil’essor démographique d’une ville qui adépassé le million d’habitants. Kayseriest devenue un formidable pôle d’at-tractivité lui valant le surnom de «tigreanatolien». Les trois mamelles de lacroissance économique sont le textile, lebâtiment et surtout l’ameublement.

Une nouvelle génération d’entre-preneurs ambitieux se nourrit des va-leurs traditionnelles pour poursuivrel’expansion de Kayseri: «L’anciennegénération d’entrepreneurs avait unevision figée de la religion tandis que lesjeunes ont compris qu’il était possiblede rester musulman tout en étant dyna-mique et en s’adaptant rapidement»,affirme Özcan Yildirim, membre duconseil de direction de l’entreprise demeubles Aldora.

Pour les jeunes, justement, en de-hors du monde des affaires, les activitéssociales et culturelles sont plutôt ré-duites. «A Kayseri, il n’existe pas de bars,seulement un pub où vont les hommes,déclare le réalisateur Seyfi Teoman, natifde cette ville. Tous les autres lieux ontété fermés à cause de l’islamisation.» Aucœur de la cité, à la place de l’ancien sta-de, un centre commercial géant est enconstruction. Tout un symbole.

Ville modèle du parti au pouvoirAKP (Parti de la Justice et du Développe-ment, un parti conservateur aux racinesislamistes), Kayseri incarne le processusde modernisation conservatrice et lamontée en force d’une bourgeoisiepieuse originaire de l’Anatolie, principalsoutien du gouvernement actuel. I

1European Stability Institute, Les Calvinistesislamiques. Changements et conservatisme enAnatolie centrale, Berlin-Istanbul, 2005, 35 pp.

La Mosquée de la zone industrielle. CLÉMENT GIRARDOT

L’entrepreneur Özan Mahir. CGForêt d’immeubles à Kayseri. CG

FRIBOURG

PrêtresuspenduL’évêque de Lausanne, Genè-ve et Fribourg a suspendu unprêtre officiant dans la partiefrancophone du canton de Fri-bourg. Il lui est reprochéd’avoir entretenu des relationssexuelles avec une femme dansune situation de détresse.L’homme conteste les faits.

Après avoir reçu des rap-ports de la commission SOSPrévention et du tribunal diocé-sain, Mgr Bernard Genoud a dé-cidé de retirer, avec effet immé-diat, la mission canonique de ceprêtre, a indiqué vendredi le vi-cariat de Fribourg dans uncommuniqué de presse.

L’Eglise a proposé à la femmede déposer une plainte pénale.Elle n’a à ce jour pas souhaitéentamer une telle démarche.L’avenir de ce prêtre, qui n’ap-partient pas au diocèse de Lau-sanne, Genève et Fribourg, dé-pend désormais de l’évêque deson diocèse d’origine.

L’homme a été ordonnéprêtre en 1996 dans un autrediocèse que celui dans lequel ilofficiait jusqu’à présent. Le vi-cariat, par la voix de son porte-parole, se refuse à préciser l’â-ge et l’origine du prêtre pourdes raisons de protection de lapersonnalité.

Conformément aux procé-dures canoniques, le dossier aété transmis à la Congrégationromaine de la doctrine de lafoi. Des mesures ont été priseset vont encore être prises pourassurer la bonne continuité dela vie pastorale des paroissestouchées par les conséquencesde cette décision, précise levicariat. ATS

EN BREF

PAS DE COMMISSION DUDIALOGUE INTERRELIGIEUXCONSEIL NATIONAL Nulbesoin d’une commissionfédérale des religions: la com-mission des institutions poli-tiques du Conseil national arefusé hier par 14 voix contre 8de donner suite à une initiativeparlementaire de JosefZisyadis (POP/VD). ATS