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Mondial 2014 Les Bleus vus par la presse étrangère (!4BD64F-eabacj!:M;R Là où s’invente l’Asie de demain NUMÉRO SPÉCIAL INDONÉSIE LE VOTE QUI PEUT TOUT CHANGER LA RUÉE VERS SUMATRA N° 1235 du 3 au 9 juillet 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE

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Le Courrier International du 3 juillet 2014

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Mondial 2014 Les Bleus vus par la presse étrangère

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Là où s’invente l’Asie de demain

NUMÉRO SPÉCIAL

INDONÉSIELE VOTE QUI PEUT TOUT CHANGERLA RUÉE VERS SUMATRA

N° 1235 du 3 au 9 juillet 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

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ÉDITORIALÉRIC CHOL

Un souffle démocratique

L’année avait pourtant mal commencé. Coup d’Etat en Thaïlande, arrivée

d’un ultranationaliste à la tête de l’Inde, répression en Chine à l’occasion du 25e anniversaire du printemps de Tian’anmen : la démocratie occidentale n’est pas soluble dans le monde asiatique, clamait déjà il y a vingt ans Lee Kuan Yew, l’ancien célèbre Premier ministre de Singapour, et les faits semblent lui donner raison. Mais le pire n’est jamais sûr, et surtout méfions-nous de ces fameuses “valeurs asiatiques”, une formule passe-partout qui permet d’ignorer les mauvaises habitudes d’autocratie et de corruption toujours en vigueur dans de nombreux pays d’Extrême-Orient. Démocratie et Asie peuvent aussi faire bon ménage, on le voit au Japon, à Taïwan ou en Corée du Sud. Surtout, les alizés de liberté continuent de souffler à Hong Kong et en Indonésie. La vaste mobilisation des habitants de l’ancienne colonie britannique le 1er juillet dernier dans les rues de Hong Kong pour résister au rouleau compresseur politique de Pékin est encourageante. “Le peuple est le plus précieux ; viennent ensuite les autels de la patrie ; le souverain passe en dernier*”, disait déjà le sage Mencius au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Il faut croire que ce disciple de Confucius fait encore des émules. En Indonésie, Jokowi incarne les mêmes espoirs : candidat à l’élection présidentielle du 9 juillet, face à un ancien général du dictateur Suharto, le gouverneur de Jakarta présente lui aussi ce visage du renouveau démocratique. En cas de victoire, l’Indonésie, avec ses 13 000 îles et ses 245 millions d’habitants, pourrait incarner une nouvelle voie sur le continent. A suivre donc.

* Cité dans Introduction à la pensée chinoise, de Nicolas Zufferey (éd. Marabout).

En couverture :—Dresseurs de pigeons à Java, en Indonésie. Photo Kemal Jufri/Panos-RÉA—Dessin de Burki paru dans 24 Heures, Lausanne

SUR NOTRE SITE

FRANCE Sarkozy : la revanche des juges. Les réactions de la presse étrangère à la garde à vue de l’ancien président.MONDIAL Lettre d’un supporter algérien à Marine Le Pen.Retrouvez-nous aussi sur Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest

Sommaire

CAHIER RÉGIONSRetrouvez notre supplément Provence dans certaines de nos éditions (dép. 04, 13, 83, 84). En couverture : L’étang de la Bonde, dans le Vaucluse. Photo Olivier Culmann/Tendance floue

Retrouvez notre supplément Languedoc-Roussillon dans certaines de nos éditions (dép. 11, 30, 34, 48, 66). En couverture : Sur la plage du Cap-d’Agde, dans l’Hérault. Photo Léo Delafontaine/Picturetank

pp.26 à 31

pp. 38 à 48

à la une

360°

p.18

Irak Israël prêt à attaquer les islamistesAlors que les djihadistes de l’EIIL sont aux portes de la Jordanie, l’Etat hébreu étudie toutes les possibilités pour stopper cette menace, écrit le quotidien Ha’Aretz.

A la veille d’une présidentielle qui s’annonce serrée, le favori du scrutin Joko Widodo, dit Jokowi, incarne un leader politique d’un nouveau genre qui pourrait bouleverser l’Asie du Sud-Est, écrit The Diplomat. Dans ce numéro spécial, nous consacrons 6 pages aux mutations de la démocratie en Indonésie. Et 11 à ses transformations économiques et culturelles. Le plus grand pays musulman du monde connaît une croissance forte. Un phénomène flagrant sur l’île de Sumatra, devenue l’objet de toutes les convoitises. Portrait d’un nouveau Far East.

INDONÉSIE LÀ OÙ S’INVENTE L’ASIE DE DEMAIN

p.8

France Une histoire d’amour-haine avec les BleusLe regain de passion pour l’équipe de Didier Deschamps ne doit pas faire oublier un certain désamour de la France pour ses sportifs, écrit The New York Times. Et pour la presse étrangère, si la réconciliation est en marche, c’est grâce au sélectionneur.

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1 décembre 2013.

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Marie-France Ravet [email protected] + 32 497 31 39 78Services abonnements [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression IPM PrintingDirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

Transversales32. Economie. Microréseaux, maximarché

35. Sciences. Dans le programme des cellules souches

36. Médias. News of the World : un procès sous infl uence

37. Signaux. La bataille des éléments

360° spécial SUMATRA40. Sumatra. Le nouveau Far East

42. Chantiers. A Kuala Namu, des avions au milieu des palmiers

44. Culture. L’enfant qui rêvait d’être anthropologue

46. Voyage. La houle bleue de Mentawai

48. Histoire. Barus ou la gloire perdue des camphriers

Sommaire

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Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Juin 2014. Commission paritaire n° 0717c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27), Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard, Isabelle Lauze (hors-séries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Directeur de la communication et du développement Alexandre Scher (16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34)Iwona Ostap-kowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ous-mane Ndiaye (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

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Ont participé à ce numéro : Alice Andersen, Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, Solène Coma, Sophie Courtois, Monique Devauton, Camille Drouet, Rollo Gleeson, Thomas Gragnic, Marion Gronier, Louis Guillochon, Margot Guillois, Adrien Labbe, Antonin Lambert, Marushka Laurens, Sophie Laurent-Lefèvre, Carole Lembezat, Valentine Morizot, Lionel Pelisson, Corentin Pennarguear, Anne Lise Pitre, Diana Prak, Judith Sinnige, Leslie Talaga, Anne Thiaville, Nicole Thirion, Zaplangues

Publicité M�Publicité, 80 boulevard Blanqui, 75013 Paris, tél. : 01 57 28 20�20 Secrétaire général Paul Chaine (17 46) Assistantes Frédérique Froissart (16 52), Sophie Jan Gestion Bénédicte�Menault-Lenne�(responsable,�16�13) Comptabilité 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numéro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Véronique Saudemont (17 39), Kevin Jolivet (16 89)

7 jours dans le monde4. Ukraine. Le camp de la guerre l’emporte5. Israël. Se venger, comme après Munich7. Portrait. Peter Lim, un milliardaire très discret

D’un continent à l’autre— FRANCE8. Sport. L’amour etla haine9. Identiténationale et ballon rond10. Le coach de la cohésion retrouvée

— EUROPE12. Union européenne. David Cameron n’est pas perdant13. Royaume-Uni. Interdire la cigarette : une idée catastrophique15. Pologne. La vedette inattendue du continent— AMÉRIQUES16. Etats-Unis. Ces enfants qui jouent à saute-frontière17. Vu du Mexique. Les migrants ne sont pas criminels— MOYEN-ORIENT18. Irak. Israël prêt à attaquer les islamistes19. Irak. L’exode des chrétiens de Mossoul20. Turquie. Le djihad des islamistes contre Sainte-Sophie— BELGIQUE22. Célébration. L’assemblée du dimanche, messe sans Dieu.

A la une26. Indonésie : là où s’invente l’Asie de demain

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrierinternational.com. Les titres et les sous-titres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine :

Ha’Aretz Tel-Aviv, quotidien. The Daily Telegraph Londres, quotidien. The Diplomat (the-diplomat.com) Tokyo, en ligne. The Economist Londres, hebdomadaire. Financial Times Londres, quotidien. Foreign Policy Washington, bimestriel. Israël Hayom Tel-Aviv, quotidien. The Jakarta Post Jakarta, quotidien. La Jornada Mexico, quotidien. Kompas Jakarta, quotidien. Los Angeles Times Los Angeles, quotidien. Milliyet Istanbul, quotidien. New Scientist Londres, hebdomadaire. The New York Times New York, quotidien. Nezavissimaïa Gazeta Moscou, quotidien. The Observer Londres,

hebdomadaire. El País Madrid, quotidien. The Sydney Morning Herald Sydney, quotidien. Tempo Jakarta, hebdomadaire. The Times Londres, quotidien. The Washington Post Washington, quotidien. Die Welt Berlin, quotidien.

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Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

7 jours dansle monde.

↙ Dessin de Tiounine, paru dans Kommersant, Moscou.

UKRAINE

Le camp de la guerre l’emporteA l’issue d’un cessez-le-feu plus symbolique que réel, le président ukrainien a décidé, le 30 juin au soir, de relancer l’offensive contre les territoires de l’Est.

SOURCE

NEZAVISSIMAÏA GAZETAMoscou, RussieQuotidien, 42 000 ex.http://www.ng.ruLe bien nommé “Journal indépendant” a vu le jour en décembre 1990, un an avant la chute de l’URSS. Démocrate sans être ultralibéral, il a conservé de l’époque de sa conception une certaine aura, mais aussi le sens critique.

Les montres tournent à l’envers

BOLIVIE — Le pays lit désor-mais l’heure sur des “montres du Sud”. Ainsi l’a expliqué le ministre des Affaires étran-gères en inaugurant la nouvelle horloge située sur la façade de l’Assemblée nationale, dont les aiguilles tournent à l’envers, de droite à gauche, afin de retrouver “le chemin et l’identité des peuples de l’hémisphère Sud”, écrivait La Razón le 25  juin. L’horloge de l’Assemblée est une horloge solaire, et dans l’hémisphère Sud “le Soleil tourne vers la gauche”, alors que dans l’hémisphère Nord il tourne vers la droite, a justifié le ministre. Le Sénat bolivien a lancé une invitation à télécharger une application permettant de choisir le mode d’affichage sur les téléphones portables.

Nouvelle tragédie au large de la SicileITALIE — Quand les secouristes de la marine italienne sont inter-venus le dimanche 29 juin dans le canal de Sicile pour secourir un bateau de migrants, ils ont découvert les cadavres de 30 per-sonnes, apparemment mortes par asphyxie. “Une tragédie annoncée dont les coupables sont d’une part l’Union européenne, qui n’aide pas l’Italie, et d’autre part le gouverne-ment Renzi, incapable de gérer une urgence toujours plus alarmante”, commente Il Giornale. Entre l’an 2000 et 2013, ce sont quelque 23 000 migrants qui ont péri noyés dans la Méditerranée en tentant de rejoindre les rives italiennes.

—Nezavissimaïa Gazeta (Extraits) Moscou

A Kiev, l’idée de la trêve, lancée par Petro Porochenko, n’a pas fait l’una-nimité. Igor Kolomoïski, gouver-

neur de la région de Dnipropetrovsk, était fermement opposé à toute négociation. Les bataillons placés sous son contrôle auraient refusé de cesser le combat. Semion Sementchenko, l’un des commandants pro-ukrainiens, a appelé ses hommes à se rendre à Kiev pour manifester devant l’administra-tion présidentielle et exiger de Porochenko l’annulation du cessez-le-feu. Bien d’autres responsables politiques radicaux militent pour l’anéantissement de ceux qu’on qua-lifie, à Kiev, de terroristes. Les partisans de la guerre piaffent d’impatience et ont soif de sang.

A l’Est, on peut compter dans le camp de la guerre le commandant séparatiste Igor Guirkine, dit Strelkov, le gouverneur autoproclamé de la république populaire de Donetsk Pavel Goubarev et les responsables de la république populaire de Louhansk. Les commandants des groupes armés exigent la reprise des combats et affichent leur réti-cence à s’asseoir à la table des négociations.

Parallèlement, certains hommes poli-tiques modérés, parmi lesquels [l’oligarque] Rinat Akhmetov, appellent à trouver une solution pacifique au conflit. Akhmetov est probablement l’homme d’affaires qui a le plus souffert des combats (l’essentiel de ses

actifs se trouvant en effet dans les régions de Donetsk et de Louhansk). Selon lui, il est impératif de maintenir le processus, quitte à négocier “avec le diable en personne”. Boris Kolesnikov (chef du Parti des régions), qui soutient Akhmetov, a déclaré la semaine dernière que la paix devait être la condition primordiale de toutes les futures décisions du gouvernement. Ce n’est en effet qu’après avoir rétabli la paix dans le Donbass que l’on pourra songer à modifier la Constitution ou à organiser des élections législatives. Sans avoir pacifié cette région, qui compte près de 7 millions d’habitants (un cinquième des électeurs d’Ukraine), il serait impossible de mener une campagne électorale légitime et encore moins de convaincre ensuite les habitants du Donbass que ce nouveau par-lement défend leurs intérêts.

Contrairement au Parti des régions, Ioulia Timochenko s’est prononcée pour la reprise des combats et la proclamation de l’état de guerre à l’Est. Son électorat est en effet plus belliqueux. Depuis sa défaite à la présiden-tielle, elle est à la recherche de nouveaux partisans et se verrait bien devenir le chef de file de ces fanatiques.

Ainsi, trois clans se sont formés en Ukraine concernant le conflit à l’Est. Le premier prône la guerre et l’utilisation de la force. Ioulia Timochenko tente de prendre la tête de ce courant et tout indique qu’elle va y parvenir. Le deuxième milite pour la paix. Il se compose essentiellement du Parti des régions et du Parti pour le développement,

nouvellement formé et dirigé par Sergueï Larine, qui a salué le cessez-le-feu et appelé la Russie à fermer la frontière pour bloquer le passage des combattants russes vers les régions de Donetsk et de Louhansk. Enfin, le troisième clan se range du côté de Porochenko et de son concept “ni guerre ni paix”. Les décisions de ce dernier sont forte-ment influencées par les dirigeants de l’UE, en particulier par Frau Merkel. Porochenko est pragmatique et comprend qu’il est impor-tant de normaliser les relations de Kiev avec Moscou, mais il sait aussi combien son pays dépend des Etats-Unis.

Ces négociations soulèvent bon nombre de questions dans l’est de l’Ukraine. Pourquoi, par exemple, l’Ukraine y est-elle représen-tée par l’ex-président Leonid Koutchma ? Quel peut bien être l’objet des discussions alors que Petro Porochenko a refusé d’exa-miner les questions de la fédéralisation de l’Ukraine et du statut de deuxième langue officielle pour le russe ? Et quand, de leur côté, les commandants séparatistes s’op-posent à l’unité de l’Ukraine.

Une chose est sûre : chaque civil tué, chaque enfant blessé ou mutilé dans les zones de combat, chaque nouveau cercueil en zinc en provenance de l’Est qui arrive dans les villes et les villages d’Ukraine mettent à mal la volonté des Ukrainiens de l’Est et de l’Ouest à vivre ensemble dans un pays uni. Pendant cette trêve, Kiev a signé un accord d’association avec l’UE, accord qui ne prend pas en considération les intérêts des régions industrielles orientales. De leur côté, les républiques populaires de Donetsk et de Louhansk ont pris la décision de fusion-ner au sein d’une fédération unie.

—Kost Bondarenko*Paru le 30 juin

* Directeur de l’Institut de politique ukrainienne, à Kiev.

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OPINION

7 JOURS.Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

SOURCE

ISRAËL HAYOMTel-Aviv, IsraëlQuotidien, 385 000 ex.http://www.israelhayom.co.il/“Israël aujourd’hui” est la propriété du magnat américain Sheldon Adelson. Ce quotidien gratuit est un mélange de populisme, d’info généraliste et de débat. Il se situe clairement le plus à droite dans l’offre de quotidiens généralistes.

Obama veut financer les rebelles syriensÉTATS-UNIS — Le prési-dent américain a demandé le 26 juin au Congrès de débloquer 500  millions de dollars pour équiper et entraîner les opposants syriens, relate The New York Times. Cette demande ref lète l’inquiétude crois-sante de la Maison-Blanche alors que le conf lit syrien s’étend en Irak. Financer un tel programme “constitue un geste important pour un pré-sident qui a jusque-là refusé toute aide militaire aux rebelles syriens et n’a cessé de mettre en garde contre une interven-tion américaine”, souligne le quotidien.

Le vice-président accusé de corruption

ARGENTINE — Alors que le pays traverse une importante réces-sion économique, le gouverne-ment subit un nouveau coup dur avec la mise en examen le 29 juin de son vice-président, accusé de corruption. Dauphin de la prési-dente Cristina Kirchner, Amado Boudou est soupçonné d’avoir utilisé un prête-nom pour rache-ter et sauver de la faillite la seule imprimerie de billets du pays. “Cristina ne va pas lâcher, mais Boudou lui rendrait un énorme ser-vice en lui remettant sa démission”, écrit le journal Perfil.

ISRAËL

Se venger, comme après MunichL’opinion publique israélienne en appelle aux représailles après l’assassinat, imputé au Hamas, de trois jeunes Israéliens.

—Israël Hayom Tel-Aviv

Nous en sommes réduits à des cris, des pleurs et des interrogations. Ce mardi [le lendemain de la découverte des corps des trois adoles-

cents] est d’abord et avant tout un jour de deuil. Il est encore trop tôt pour notre examen de conscience. Il nous faut d’abord nous recueillir à l’évocation des noms des jeunes, Ziv, Naftali et Eyal. Ce temps ne peut être exempt de colère, la colère de quelqu’un qui, soudain, a la révélation de l’existence d’un autre, un ennemi qui ne songe qu’à nous détruire, un ennemi auquel il ne faut en aucun cas pardonner. Comment attendre de l’apaisement de la part d’êtres humains qui viennent de perdre trois de leurs enfants dont le seul crime est d’avoir voulu étudier le Talmud ?

Le Cabinet de sécurité [conseil restreint au sein du gouvernement] s’est réuni à l’endroit même où Golda Meir [Première ministre travailliste de 1969 à 1974] le présida pour la première fois voici qua-rante et un ans. A cet instant, les responsables israéliens étaient noyés d’informations contra-dictoires sur la prise d’otages de Munich, avant d’apprendre son issue tragique et la mort de 11 ath-lètes israéliens sous les balles de terroristes pales-tiniens. C’est alors que la vieille dame respectée prit la parole et annonça aux généraux présents qu’il était hors de question que les assassins et leurs complices puissent rester en vie. En quelques mots simples, le monde comprit que les assassins palestiniens qui avaient pu s’échapper de Munich erreraient désormais aux quatre coins du monde avec une marque de Caïn qu’aucune couverture ne protégerait des balles bleu et blanc de la ven-geance. L’exécution de la sentence de Golda prit vingt années et ce n’est qu’en 1992 que les derniers

participants du massacre de Munich furent élimi-nés dans un ultime soupir de dégoût.

Passée la consternation, le Cabinet de sécurité a commencé à étudier quelles réactions opposer au Hamas, à l’Autorité palestinienne et aux habi-tants de Halhoul [village palestinien où ont été

retrouvées les dépouilles des otages]. Rien ne semble avoir encore été défi-nitivement arrêté et, dans la longue histoire de la confrontation israélo-palestinienne, ce ne sont pas les modes de représailles qui manquent, sans for-cément passer par des opérations mas-sives et meurtrières.

Il est encore trop tôt pour savoir quelle voie nou-velle Israël va emprunter dans sa guerre contre le terrorisme. Tout ce qu’il faut espérer, c’est qu’une fois passé le temps des larmes, du deuil et de la colère, nous nous souvenions de Golda et de la vengeance de Munich. Puissent-elles nous éclairer.

—Dan MargalitPublié le 1er juillet

L’Eglise plus tolérante

avec les homos et les divorcésVATICAN — “Les fidèles ne comprennent plus certains de nos interdits”, titrait La Repubblica le 27  juin, après la publication de

l’“Instrumentum laboris”, un document préparatif au synode extraordinaire qui

réunira les évêques en 2015 et qui détaille les nouvelles posi-

tions de l’Eglise sur de grands thèmes sociétaux. Baptême des enfants d’homosexuels,

accueil des couples de divorcés, tolérance vis-à-vis de la contra-ception. L’Eglise doit être “misé-ricordieuse envers toutes et tous”, insiste l’“Instrumentum”.

Google en visiteCUBA — Le président de Google, Eric Schmidt, et trois de ses directeurs se sont rendus sur l’île le vendredi 27  juin, pour “promouvoir les vertus d’un Internet libre et ouvert”. Ils ont rencontré les membres de la rédaction de 14ymedio, le premier journal numérique indépendant de l’île, et ont visité l’Université des sciences de l’informatique à La Havane. De cette rencontre, Yoani Sánchez, directrice du journal, écrit : “Ce fut une soirée de technologie sans technologie. Personne n’a sorti de téléphone portable pour jeter un œil sur le Net. Ici ce n’est pas possible. Nous avons eu l’immense chance d’être devant le miroir magique et nous leur avons simplement dit qui nous étions et où nous allions.” Pour l’heure, un nombre de personnes limité ont accès à Internet à Cuba.

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7 JOURS Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

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LA PHOTO DE LA SEMAINE

Hong Kong se rebelle

CHINE L’une des plus grandes manifestations prodémocrates que Hong Kong ait connues depuis la rétrocession de la colonie britannique à la Chine voilà dix-sept ans a eu lieu ce 1er juillet. La foule, ne pouvant entrer dans le parc Victoria, s’est répandue dans les rues. La mobilisation des Hongkongais pour la préservation de leur spécifi cité a été galvanisée par la publication d’un livre blanc dans lequel Pékin se proclame à nouveau maître du destin de la Région administrative spéciale. Près de 800 000 personnes avaient répondu à l’appel du référendum organisé par le mouvement Occupy Central sur le mode de scrutin de la prochaine élection du chef de l’exécutif, en 2017.

ILS PARLENTDE NOUS

STEFAN DE VRIES, journaliste correspondant à Paris de plusieurs médias néerlandais

Une image exécrable de la France

Comment les Néerlandais réagissent-ils à la garde à vue de l’ancien président Nicolas Sarkozy ? Cette garde à vue renforce

la mauvaise image de la politique française auprès des Néerlandais.

Tous les jours, on peut décrire, en tant que correspondant étranger, un scandale politique français. En même temps, le fait qu’un ancien président soit placé en garde à vue prouve que la justice fait correctement son travail. Aux Pays-Bas, il est impensable d’imaginer un ex-Premier ministre poursuivi pour une aff aire. Pourtant, la corruption existe là-bas aussi.

Nicolas Sarkozy peut-il revenir ?L’aff aire pour laquelle il est interrogé [suspicion de trafi c d’infl uence et violation du secret de l’instruction dans l’aff aire Bettencourt], n’est probablement qu’une aff aire dans l’aff aire et il semblerait que d’autres épées de Damoclès soient au-dessus de la tête de l’ancien président. Néanmoins, en politique, on n’est jamais mort. Et Nicolas Sarkozy est le genre de personne qui aime se battre et qui est toujours capable de rebondir.

L’UMP a-t-elle encore un avenir ?On a l’impression d’assister actuellement à l’éclatement de tous les partis traditionnels en France. L’UMP, bien sûr, avec des hommes empêtrés dans des aff aires et d’importants problèmes de fi nances. Le parti est au bord de la banqueroute. Or son ancien chef providentiel est impliqué dans les aff aires. En France, la politique est davantage une question d’hommes que d’idées. L’UMP était un parti de circonstances, qui se rassemblait derrière un homme. Au Parti socialiste, la situation n’est pas beaucoup plus brillante, avec d’importantes divisions. La personnalité politique qui profi te fi nalement le plus de cette situation, c’est Marine Le Pen.—

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MILLIARDS D’EUROS. C’est ce qu’a off ert l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, pour racheter les arènes de Barcelone et les transformer dans les cinq années à venir en mosquée. Si le projet venait à être mené à bien, celle-ci deviendrait la troisième plus grande mosquée du monde après celles des villes saintes de La Mecque et de Médine. En eff et, “le lieu de culte serait érigé sur les 10 000 mètres carrés [des arènes]”, explique le quotidien El País. Il pourrait accueillir dès 2020 jusqu’à 40 000 fi dèles. La mosquée serait également surmontée d’un minaret de 300 mètres de haut, “à vocation purement décorative”, rapporte le journal El Mundo.

Panique bancaireBULGARIE — Une “épidémie de rumeurs” de faillite de certaines grandes banques nationales aurait provoqué une panique chez les épargnants, qui se sont précipités pour vider leurs comptes. La Banque commerciale

corporative (KTB) et la Fibank, quatrième et troisième établis-sements bancaires du pays, ont été particulièrement touchées par ces attaques. Dans la seule journée du 27 juin, l’équivalent de 400 millions d’euros ont été retirés de la Fibank. Pour les diri-geants politiques ainsi que pour les chefs de la Banque nationale de Bulgarie, “il n’y a pas de crise dans le secteur bancaire, mais une crise dans la confiance des gens envers les banques suscitée par une attaque criminelle”, rapportait le quotidien Dnevnik. Le 30 juin, la Commission européenne a annoncé qu’elle garantissait les dépôts pour un montant global de 1,35 milliard d’euros.

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7 JOURS Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

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↘ Peter Lim. Dessin de Riber, Suède, pour Courrier international.

Peter LimUn milliardaire très discret

ILS FONT L’ACTUALITÉ

Grâce à sa fortune bâtie sur la production d’huile de palme, il est en train de négocier le rachat du club de foot de Valence. Il n’a ni escorte, ni cravate et contrôle ses aff aires depuis un café Starbucks.

—El País Madrid

Le patron du bar pose quatre côtes de porc sur le gril. La gigantesque silhouette du Nou Mestalla [le nouveau stade de Valence] se

découpe dans l’encadrement de la fenêtre – une impressionnante masse de béton qui attend depuis cinq ans l’achèvement de ses installations inté-rieures. De nombreux cafés du quartier ont mis la clé sous la porte, fatigués, peut-être, d’attendre que le stade soit enfi n opérationnel.

Mais le destin du bar et celui du club de football de Valence vont bientôt changer. Après l’arrivée du cheikh qatari Abdullah Al-Thani, repreneur du Málaga FC, et de l’homme d’aff aires indien Ahsan Ali Syed au Racing de Santander, un nouveau mil-liardaire débarque en Espagne : le Singapourien Peter Lim, 61 ans, sixième fortune de la cité-Etat du Sud-Est asiatique, selon le magazine Forbes, qui évalue sa richesse à 1,84 milliard d’euros. Lim s’est porté acquéreur du Valence FC et il négocie avec le conglomérat Bankia son énorme dette de 320 millions d’euros, après des années de gaspillage, de spécula-tion immobilière et d’ingérence.

Mais qui est Peter Lim ? Ce n’est pas lui qui nous le dira. L’investisseur est extrê-mement réservé, refuse les interviews et ne fait aucune déclaration. Indiff érent aux coups de griff e des médias, ce fi ls de pêcheur les ignore autant qu’il le peut. Dans son enfance, il habitait avec ses six frères et sœurs, ses parents et ses grands-parents un deux-pièces dans un quartier pauvre de Singapour. Puis il a exercé tour à tour les métiers de garçon de café, cuisinier et chauff eur de taxi pour payer ses études à l’université d’Australie-Occiden-tale, où il a décroché une licence de comptabilité et d’analyse fi nancière. Après quoi il s’est lancé comme courtier en bourse et s’est rapidement acquis la réputation de “roi des brokers”.

Bien des années plus tard, en 1991, déjà assis sur une coquette fortune, il a remporté son premier

grand succès en contribuant à la fondation de Wilmar

International, société de commerce d’huile de palme, avec une par-ticipation de 10 mil-lions de dollars, soit 5 % du capital initial. Grâce à cette entre-prise – à laquelle les groupes écolo-

gistes reprochent de raser des milliers d’hec-

tares de jungle à Sumatra, décimant les popula-

tions de tigres et d’orangs-outans de cette île d’In-donésie  –, il a fait une formi-dable culbute, multipliant son investissement par 70. M. Lim dirige des d i z a i n e s

de socié-tés, mais ne siège à aucun c o n s e i l

d’administration. Il possède la Thompson Medical, le plus grand prestataire de services médicaux privés desti-nés aux femmes et aux

enfants, dans le Sud-Est asiatique.Depuis quelques années, il

consacre sa fortune à ses deux grandes passions : les voitures et

le football. En 2011, il a investi dans l’écurie de F1 McLaren. Nul ne sait combien de voitures de luxe compte sa fl otte personnelle, mais sa fi lle

nous en livre un petit aperçu : Kim, 22 ans, est un personnage célèbre à Singapour. Elle publie sur son compte Instagram (@Limmylecute) des photos de ses sacs Chanel, de ses chaussures Louboutin et de ses ongles toujours fantastiquement manu-curés. Elle prend également la pose sur les voi-tures de papa : une Ferrari, une Lamborghini, un coupé sport Mercedes et une Audi décapo-table. Il lui arrive aussi de partager des photos de son père, nous off rant l’une des rares occa-sions de voir des portraits de lui. La dernière en date, postée pour la fête des pères, a rapidement disparu d’Internet. Apparemment, Peter Lim veille à ce que sa fi lle ne lui complique pas trop la vie, même si lui-même ne capte pas Internet sur son mobile. Le magnat se contente en eff et d’un Nokia bas de gamme pour tout contrôler. C’est de cet appareil qu’il appelle les directeurs de ses entreprises, leur donne rendez-vous dans un Starbucks et leur expose la nouvelle idée qu’ils doivent mettre en œuvre. Sa rapidité à prendre des décisions remonte à l’époque où il était cour-tier et lorsqu’il arrête une résolution il est rare qu’il revienne dessus.

En dépit de l’avis de ses conseillers, Lim n’a pas de gardes du corps. Pendant son séjour à Valence, il s’est promené tranquillement dans les rues de la ville. A Singapour, il est connu pour ses actions caritatives. Il a donné 6 millions d’euros à la fon-dation olympique de son pays pour encourager les jeunes à faire du sport (Il a fait venir à Singapour quelques grands noms, tels son ami Cristiano Ronaldo, qu’il a accompagné lors de la remise de son dernier Ballon d’or, ou encore Lewis Hamilton [pilote de l’écurie Mercedes], José Mourinho [l’en-traîneur du Chelsea], Ryan Giggs [l’entraîneur de Manchester United] ou [le footballeur colombien de l’AS Monaco] Radamel Falcao.).

Si son rachat du club de Valence se concrétise, ce sera un grand bonheur, qu’il vivra à huis clos. Peut-être assistera-t-il tout de même au premier match en compagnie de sa deuxième épouse, l’ac-trice Cherie Lim. Auquel cas, il arrivera sans doute en jean, polo et blouson, car il déteste les cravates.

—Carmen Pérez-LanzacPublié le 21 juin

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Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014 Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

Football .  Une histoire d’amour-haine avec les Bleus

Europe . .......... 12Amériques . .......Moyen-Orient .....

d’uncontinentà l’autre.france

Le regain de passion pour l’équipe de Didier Deschamps ne doit pas faire oublier un certain désamour de la France pour ses sportifs.

Et pour la presse étrangère, si la réconciliation est en marche, c’est grâce au sélectionneur.

FOCUS

Ce pays qui n’aimait pas ses sportifsSalaires mirobolants et frasques des footballeurs alimentent la méfiance des Français.

—The New York Times New York

Point d’orgue de leur comporte-ment autodestructeur, la grève des Bleus lors de la Coupe du monde

en Afrique du Sud leur avait valu la répu-tation de jeunes “accros à la PlayStation”, trop individualistes pour servir leur pays. Bien des choses ont changé depuis, même s’ils peinent à reconquérir le cœur des Français. Dans un sondage mené en avril dernier par le magazine France Football, seulement 20 % des personnes inter-rogées avaient une opinion positive de leur équipe nationale. Rien à voir avec la Coupe du monde de 1998, lorsque les Bleus – victorieux – symbolisaient un avenir radieux.

Le désenchantement des Français vis-à-vis de leur équipe est ancré dans leur culture. Il s’agit d’une réaction suscitée par l’attitude de certains joueurs et amplifiée par les médias. Les contre-performances des Bleus depuis 2002 ont également contribué à ce désamour, de même que les difficultés socio-économiques du pays.

Cette “réaction antifoot” paraît peut-être étrange, mais elle exprime le senti-ment d’une bonne partie des Français. Le sport en France n’est pas tenu en aussi haute estime que les disciplines intellec-tuelles et académiques. Ce phénomène a d’ailleurs de quoi étonner au pays de Pierre de Coubertin (inventeur des Jeux olym-piques modernes) et de Jules Rimet (créa-teur de la Coupe du monde de football).

“Les Français sont pleins de préjugés en matière de sport”, explique Jérôme de Bontin, ancien directeur général des Red Bulls de New York et ancien président de l’A. S. Monaco. Familier de la culture foot de part et d’autre de l’Atlantique, Bontin nous fait observer que le football profes-sionnel a longtemps été considéré comme une activité stérile et réservée à la classe ouvrière en France.

La culture foot n’a commencé à se déve-lopper que dans les années 1960 et 1970, grâce aux retransmissions télévisées et aux performances d’équipes comme Saint-Etienne. L’enthousiasme suscité dans les années 1980 par la génération Platini, avec des hommes comme Alain Giresse, Jean Tigana ou Luis Fernandez, a ensuite permis à la discipline de conquérir un

public de plus en plus large. Sans compter qu’à l’époque la dernière grande victoire des Bleus en Coupe du monde remontait à 1958 (ils s’étaient classés troisièmes).

Avec la victoire de 1998, le foot est entré dans le patrimoine culturel français. C’est aujourd’hui le sport le plus populaire du pays. Toutefois, depuis 2000, son évolution commerciale rapide fait de nouveau grin-cer des dents. Dans un contexte de chô-mage accru et de difficultés financières, la réussite commerciale des footballeurs est de moins en moins bien acceptée. “C’est devenu assez flagrant, il vaut mieux être un acteur ou un chanteur à succès qu’un footbal-leur qui réussit”, explique Bontin.

Les salaires mirobolants perçus par de jeunes gens suscitent toujours la polémique dans un pays fier de sa tradition socialiste. L’ex-footballeur Laurent Courtois recon-naît que le fait qu’il s’agisse “de gamins de 20 ans n’arrange rien”.

Daniel Jeandupeux, ancien joueur pro-fessionnel devenu entraîneur, estime que l’image des Bleus a souffert de la conduite de certains jeunes joueurs “qui n’ont pas toujours l’attitude la plus appropriée à leur nouveau statut social”.

Laurent Courtois confirme et souligne que de nombreux jeunes sacrifient leurs études pour faire carrière dans le football, ce qui explique leur immaturité affichée.

Cette évolution s’est révélée probléma-tique à une époque où les stars du foot retenaient particulièrement l’attention des médias. Les frasques des uns, les caprices des autres et la fréquentation de prosti-tuées ont été largement relayés dans les journaux. Ces comportements sont appa-rus comme autant de fausses notes dans un pays qui défend fermement la vie privée de ses personnalités publiques.

Jusqu’en 2000, aucune critique ne pou-vait être formulée à haute voix : les Bleus étaient adulés, ils étaient les champions. “Les héros étaient devenus des stars intou-chables”, reconnaît Jeandupeux. Tout va changer après 2002. Les performances des Bleus commencent à être instrumentali-sées, l’opinion publique se braque.

La France a été confrontée à une mul-titude de problèmes au cours des dix dernières années, notamment la hausse du chômage, les troubles dans les ban-lieues et l’inexorable montée de l’ex-trême droite. Toutes ces difficultés ont été démultipliées par la crise économique. Dans ces moments-là, “les différences sont moins acceptées, l’image publique des Bleus est influencée par le racisme quand ils ne gagnent pas”, estime Jeandupeux. Le foot-ball devient alors un bouc émissaire. Cette

Avec la victoire de 1998, le foot est entré dans le patrimoine culturel français

↙ Dessin de Medi, Albanie.

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FRANCE.Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014 Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

Le temps des retrouvaillesLes Bleus avaient beaucoup à se faire pardonner. Les Français commencent à accepter leurs excuses.

—The Times Londres

La composition ethnique de deux des meilleures équipes de football européennes a suscité des réactions

opposées : applaudissements en France, dédain en Allemagne. Quatre ans après le rejet par la France de son équipe natio-nale, accusée d’être une bande de voyous antipatriotiques, le succès inespéré de la nouvelle formation au Brésil a permis aux Bleus – majoritairement des jeunes issus de l’immigration – de retrouver un statut de héros capables de redonner le moral à un pays en proie au pessimisme. [Depuis la qualification] des hommes de Didier Deschamps [pour les huitièmes de finale], on a perçu certains échos de l’es-prit de 1998, lorsque la victoire de la France sur le Brésil en finale avait été interprétée comme le symbole de la nouvelle composi-tion multiethnique du pays. “Regardez nos garçons, ils sont la fierté de la nation”, s’était enthousiasmé un commentateur télévisé.

Un mois après la victoire aux élections européennes d’un Front national hostile aux immigrés, les succès engrangés au Mondial semblent avoir redoré l’image d’une équipe nationale qui avait fini par symboliser tous les mauvais côtés des jeunes des cités. Patrice Evra, le joueur qui avait incarné le déshonneur de l’équipe lors de la fameuse grève de 2010 en Afrique du Sud, est à nou-veau porté aux nues. Karim Benzema, qui a marqué trois buts depuis le début de la com-pétition, est passé du statut de “sale petit semeur de troubles à celui de héros national”, fait remarqué un journaliste parisien.

LesBleus qui gagnent, la Mannschaft qui douteLa diversité célébrée en France et contestée en Allemagne.

—Financial Times Londres

La relation entre l’équipe de France de football et le public ressemble à un mariage où l’un des deux partenaires

a horriblement trahi l’autre. En 2010, lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud, les Bleus se sont mis en grève à Knysna. Après une dispute avec le sélectionneur Raymond Domenech, ils sont restés assis dans leur bus en refusant d’aller s’entraî-ner. L’expression “le bus de la honte” est entrée dans la langue française. Les Bleus ayant rejeté la France, le public a rejeté les Bleus. Mais aujourd’hui une équipe trans-formée couvre le pays de bouquets de fleurs et le public se laisse prudemment séduire à nouveau.

La partie n’est certes pas gagnée pour les Bleus. Une équipe composée essentiellement de Français issus de l’immigration, élevés dans des ghettos pour pauvres et devenus des expatriés millionnaires touche trop de points sensibles dans l’Hexagone. Les mauvais jours, l’équipe incarne le malaise français. “Quand il y a un comportement critiquable dans l’équipe française, le Front national en profite”, souligne Lilian Thuram, ancien international qui dirige aujourd’hui une fondation contre le racisme. Juste avant l’ouverture du Mondial, je lui ai demandé si une nouvelle grève pouvait éclater au Brésil. “Il n’y aura pas de nouvelle grève”, m’a-t-il répondu en éclatant de rire.

Jusqu’ici, tout va bien. La nouvelle équipe des Bleus a vu le jour un beau soir

réaction antifoot est-elle pour autant liée à la montée du racisme ? Historiquement, le football a longtemps été un facteur d’assi-milation. La France a été la première équipe européenne à faire entrer des joueurs non blancs dans ses rangs, avec notamment Raoul Diagne et Larbi Benbarek dans les années 1930. En Angleterre, il faudra attendre 1978 et l’arrivée de Viv Anderson. Pendant des décennies, les Français d’ori-gines et de confessions différentes ont contribué au succès des Bleus. Affirmer que l’image des Bleus souffre aujourd’hui de la montée du racisme revient à ignorer cette tradition.

Commercialisation. “Il y a vingt ou cin-quante ans, une partie des opinions négatives sur le football était clairement l’expression du racisme”, rappelle Bontin. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, en bonne partie grâce à la victoire de 1998. Laurent Courtois et plusieurs autres affirment qu’il ne régnait aucune forme de racisme entre les coéqui-piers. Bon nombre reconnaissent toutefois que ces idées étaient largement répandues dans la société.

Le rejet du football aujourd’hui est plutôt une réaction culturelle face à la commercia-lisation de ce sport. C’est une conséquence de l’attitude indigne de certains joueurs et des médias, qui ont servi de caisse de réso-nance. Les piètres performances des Bleus ont également encouragé les critiques contre le foot, le système et les joueurs.

Certains signes suggèrent toutefois un retour en grâce. En novembre, acculés en match de qualification face à l’Ukraine, les Bleus ont pu compter sur le soutien de leur public. Quinze ans plus tôt, une autre géné-ration de joueurs était acclamée par les sup-porters du Stade de France. Cette victoire avait ramené l’optimisme dans les rangs tricolores et permis à l’équipe d’effacer son ardoise. La performance des Bleus au Brésil sera un bon moyen de voir si les Français sont prêts à renouer avec leur équipe.

—Lindsay Sarah KrasnoffPublié le 19 juin

de novembre dernier, où ils se sont quali-fiés contre toute attente pour le Brésil en battant l’Ukraine par 3 buts à 0. Lors des matchs amicaux qui ont précédé la Coupe, ils ont aligné les buts : en comptant le génial 5-2 contre la Suisse, ils en ont marqué 26 dans les sept derniers matchs. Mieux encore, ils sont devenus sympathiques ; ils signent des autographes au lieu de passer rapide-ment devant les supporters écouteurs sur les oreilles. Leur nouvelle tenue contribue au changement. Ce n’est pas un hasard si leur maillot ressemble à celui de la très populaire équipe française de rugby : bleu sombre, cintré, col blanc.

La transformation de leur équipe, les Français la doivent essentiellement à son entraîneur, Didier Deschamps, l’ancien capitaine des champions de 1998 ; le genre d’individu qui finit toujours par diriger l’or-ganisation dont il fait partie. Le discours footballistique tend à surestimer le rôle de l’entraîneur dans l’union de son équipe. Mais, dans le cas de la France, c’est pro-bablement nécessaire. Deschamps n’a pas sélectionné le milieu de terrain Samir Nasri pour le Brésil à cause de son tempérament querelleur. “Le choix des hommes est fonda-mental”, affirme-t-il.

Le passage des générations facilite les choses. Seul l’un des meneurs de la grève fait encore partie de l’équipe : Patrice Evra, capitaine pendant le Mondial de 2010. Le public se méfie de lui, mais, à 33 ans, il reste le meilleur arrière gauche de la France. Deschamps a offert le brassard de capi-taine au gardien de but Hugo Lloris, plus populaire. Malheureusement, pour certains supporters français, le fait que Lloris soit blanc et Evra noir est important.

Nerfs. Mais le leader technique de la France est l’attaquant Karim Benzema. Pendant des années, “le Benz” a été une figure morose au sein des Bleus. Beaucoup de supporters n’apprécient pas qu’il ait un jour parlé de l’Algérie, la terre de ses parents, comme de son pays. Il a confié au magazine France Football que, même durant la Coupe du monde de 1998, il portait un maillot brésilien et qu’il n’a commencé à soutenir la France que lorsque l’équipe a remporté la finale.

En milieu de terrain, le jeune Paul Pogba a joué avec nos nerfs mais a montré un aperçu de ses talents : il allie la carrure d’un démé-nageur avec les qualités d’un meneur de jeu.

Le président François Hollande doit com-mencer à rêver : le 14 juillet, le lendemain de la finale du Mondial, les Bleus pourraient descendre les Champs-Elysées et présen-ter leur trophée au pays comme ultime cadeau de retrouvailles. Cela ne suffirait probablement pas à sauver Hollande tant il n’est pas sûr qu’un événement quel qu’il soit puisse le sauver. Pour adapter un slogan de 1998, la réponse des Français pourrait être : “Deschamps président !”

—Simon KuperPublié le 24 juin

A la une“ÇA, C’EST L’EUROPE !”

Comme un écho au Times (lire ci-dessus), le quotidien italien La Gazzetta dello Sport a choisi de mettre en une deux des joueurs majeurs de l’équipe de France

et de la Mannschaft, Paul Pogba et Mesut Özil, dont il fait les figures emblématiques du jeu européen.

↙ Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

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Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014FRANCE FOOTBALL.

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—El País Madrid

Il y a des matchs qui s’annoncent très mal et fi nissent miraculeuse-ment, surtout après une remontée

historique, comme le match de barrage contre l’Ukraine en novembre dernier. Cette victoire réconciliera l’équipe de France et ses supporters et permettra à Didier Deschamps d’emmener sa sélec-tion au Brésil. Ce match retour a permis à l’entraîneur des Bleus de prendre cer-taines décisions qui ont changé le visage de l’équipe et l’état d’esprit du groupe.

reprocher sa petite taille (il mesure 1,67 m), forme une bonne association avec Benzema. Son apport défensif est tout aussi important que l’équilibre apporté par Cabaye, l’excellent milieu de terrain du PSG.

A 28 ans, Yohan Cabaye est le métronome, le régulateur d’une équipe qui peut déployer tout son talent grâce à la puissance physique des milieux de terrain comme Pogba, Sissoko et Matuidi. Son rôle de modérateur ne se cantonne pas à la technique puisque, dans les vestiaires aussi, il invite ses coéquipiers à “faire preuve de modestie et non d’arrogance”, une grande humilité liée probablement à sa foi catholique. La stabilité d’un Cabaye consolide une équipe de France rajeunie par la présence de Sakho, Pogba et Griezmann.

Les médias n’ont évidemment pas manqué d’interroger Deschamps sur les choix des joueurs musulmans pendant le ramadan [qui a commencé le dimanche 29 juin]. “Je ne prends pas de décision”, a confi é le sélectionneur des Bleus. “Chacun est libre”, a-t-il répondu. Avec Deschamps, sincérité et sagesse font autorité. C’est l’homme de la cohésion retrouvée.

—Ramon BesaPublié le 27 avril

Le coach de la cohésion retrouvée Sur le terrain comme dans les vestiaires, place à l’harmonie. Didier Deschamps a su reconstruire une équipe.

Aujourd’hui, c’est au tour de l’Alle-magne, également sélectionnée pour les quarts de fi nale, d’être saisie d’une crise d’identité après qu’un ministre a repro-ché aux joueurs de ne pas chanter l’hymne national. De nombreux Allemands ont encore du mal à le chanter, car celui-ci a gardé, sinon les mêmes paroles, du moins le même air que le Deutschland über alles, un chant désormais identifi é au régime nazi.

Ces sentiments ambigus ont été réveil-lés par le spectacle de plusieurs joueurs d’origine étrangère refusant de chanter l’hymne, parmi lesquels l’international Mesut Özil, germano-turc de troisième génération, et Sami Khedira, né à Stuttgart d’un père tunisien. “Les joueurs jouent au nom de l’Allemagne”, a déclaré le ministre allemand de l’Intérieur Thomas de Maizière. “Je serais heureux qu’ils reconnaissent leur pays en chantant l’hymne.” Özil a expliqué qu’il ne chantait pas parce qu’il se concen-trait sur le match et récitait intérieurement une prière. Quant à Khedira, il a rappelé que, selon lui, “on devient un bon Allemand si l’on parle bien la langue et que l’on par-tage les valeurs de l’Allemagne. C’est le cas de chacun d’entre nous.”

—Charles Bremner et David CharterPublié le 26 juin

Deschamps a en eff et choisi de faire monter en puissance Valbuena, qui n’était que suppléant lors du match aller, comme Benzema. Il a fait entrer Cabaye, qui n’avait pas joué en Ukraine, dans la formation et fait confi ance à Varane et Sakho, au détriment d’Abidal. Mais c’est surtout la mise à l’écart de Nasri qui a marqué les esprits. Le milieu de terrain de Manchester City, d’origine algérienne, n’a pas été sélectionné pour le Mondial, et a dû rester en France avec Ribéry, forfait à cause de problèmes de dos. Nasri était devenu le mouton noir d’une sélection minée par des problèmes de comportements si graves que le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, était intervenu après leur élimination au premier tour du Mondial 2010.

Linge sale. Evra, considéré à l’époque comme le chef de la mutinerie, n’est plus capitaine (il a été remplacé par Lloris), mais il fait toujours partie des Bleus et compte encore parmi les éléments moteurs. “Que je passe pour un bad boy auprès des médias, je m’en fi che. L’Afrique du Sud m’a bouff é beaucoup d’énergie mais cela n’a plus d’importance.” A 33 ans, le défenseur de Manchester United est considéré comme un grand frère par les autres joueurs.

“Les entraînements sont beaucoup plus agréables”, reconnaissent plusieurs joueurs qui s’en remettent entièrement à Deschamps. Le linge sale, footballistique ou religieux, se lave désormais en famille et il n’y a plus de fuites dans la presse ; si l’entraîneur des Bleus n’interdit pas l’usage des réseaux sociaux, il recommande à ses joueurs la plus grande prudence. Deschamps contrôle, modère et dose l’énergie de son équipe grâce à l’autorité morale dont il jouit auprès des joueurs. “Il a une crédibilité et une légitimité”, affi rme Giroud. Et Valbuena d’ajouter : “Il sait tirer le meilleur de chacun.” Valbuena, indispensable pour fi ltrer la passe décisive, accélérer le jeu, déséquilibrer l’attaque a beaucoup manqué à la France lors de son match nul contre l’Equateur. Didier Deschamps lui a permis de donner toute sa mesure et l’ancien milieu off ensif de Marseille, qui lors de son passage à Bordeaux s’était vu

Qu’elle était belle “La Marseillaise !”●●● “Elle respirait un tel patriotisme que Napoléon Bonaparte lui-même l’avait admis : “Cette musique nous économisera beaucoup de canons…” Le temps a passé mais l’entendre suscite toujours autant d’émotions. Même si la plupart des gens n’en connaissent pas les paroles, ils la fredonnent ou la respectent en silence”, estime Olé. “A Rio de Janeiro, près de 78 000 personnes y ont participé à leur manière. C’est sur la scène du Maracanã, opéra d’un soir, qu’elle a véritablement retenti pour la première fois, et comme jamais auparavant dans ce Mondial.Il n’était pas encore 17 heures quand Français et Equatoriens ont fait leur entrée sur le terrain. Quelques minutes à peine avant les hymnes, quelques minutes avant que le Mondial, pour un instant seulement, se fi ge. A Porto Alegre, lors de leur premier match, contre le Honduras, les Français étaient restés sur leur faim pour un problème de son qui les avait privés de Marseillaise. A Salvador [contre les Suisses], on a enfi n pu l’entendre mais, sans l’acoustique du Maracanã, caisse de résonance qui avait eu l’honneur de recevoir Frank Sinatra ou le célèbre festival Rock in Rio.”

 ←

↙ Dessin de Cost paru dans Le Soir, Bruxelles.

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Page 11: Courrier 20140703 courrier full 20140703 130851

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LA MIXITÉ, FACTEUR DE RÉUSSITEDE L’ENTREPRISE !

LA MIXITÉ ET SES ATOUTS COMMENT CELA SE PASSE SUR LE TERRAIN

QU’EN PENSENT LES FEMMES TRAINEES ?L’AVIS DE DEUX D’ENTRE ELLES :

Sans vouloir « mettre en concurrence » les hommes

et les femmes au sein de l’entreprise, ou entamer

un débat sur la qualité de leurs apports respectifs

au succès de l’entreprise, force est de constater que

beaucoup d’employeurs ont maintenant intégré

la dimension « mixité » dans leurs politiques de

recrutement et de formation.

Comme le souligne Emmanuèle Attout, PwC Partner

et Co-founder & Director Women on Board, au cours

des dernières années, il a été beaucoup question

d’établir davantage de diversité au sein des conseils

d’administration des entreprises. A l’appui de

nombreuses études, une initiative entrepreneuriale

suivie d’une volonté politique prône maintenant

la diversité des genres au sein des conseils

d’administration. Mais si la volonté existe bien, la

mise en œuvre rencontre quelques obstacles.

Le premier obstacle était de trouver ces femmes

talentueuses prêtes à siéger au sein des conseils

d’administration. Des initiatives telles que Women

on Board ont apporté une réponse concrète à cette

interrogation.

Le second obstacle est de constater que les

entreprises elles-mêmes ne génèrent pas

suffisamment de talents féminins pour alimenter

les besoins de diversité de leurs propres conseil

d’administration et comité de direction. L’absence

de réelle politique de diversité au sein des

entreprises en est la cause. Les choses sont en train

de changer : en effet, de plus en plus d’entreprises

mettent un œuvre un programme de Diversity &

Inclusion, revisitent leurs processus de recrutement

et de promotions pour s’assurer qu’ils ne sont pas

discriminatoires, organisent des formations internes

sur le sujet et multiplient les initiatives pour, enfin,

garder leurs talents féminins et constituer un vivier

diversifié de futurs leaders au sein de l’entreprise. Ce

changement, s’il est réel, prend cependant du temps

pour aboutir.

Et c’est là, insiste Emmanuèle Attout , que la mixité

dans les traineeships prend toute son importance. Il

ne s’agit pas uniquement d’atteindre une répartition

statistique égalitaire en terme de mixité ; il s’agit bien

plus d’adapter la culture de l’entreprise à la société

(d’aujourd’hui ou) de demain, de créer un avantage

concurrentiel en gardant au sein de l’entreprise

cette richesse de pensée diverse, d’apprendre à

tous à embrasser les différentes perspectives d’une

même réalité, à définir une tolérance pour le risque

équilibrée, et de créer un environnement de travail

où ‘il fait bon vivre’.

Les partisans de la mixité dans les équipes sont de plus en

plus nombreux. Ils font notamment valoir que les femmes

apportent un meilleur équilibre au sein d’une équipe

confrontée à des processus qui demandent un juste

arbitrage entre la prise de risque et les gains escomptés,

que le style de management des femmes est davantage

basé sur l’évolution de carrière de leurs collaborateurs,

leurs santé, leur formation continue, la promotion du

capital humain comme facteur de croissance et de

rentabiilté, ou encore qu’en plus d’apporter une autre ‘voix’

autour de la table, les managers femmes ont tendance à

vouloir envisager plus de perspectives alternatives que les

hommes.

Chez ING Belgique par exemple, la mixité est considérée

comme créatrice de valeur et de richesse à tous les niveaux

dans l’entreprise. Elle est d’ailleurs source d’inspiration pour les

programmes de formation des jeunes diplômés – aussi appelés

« Trainees ».

Sophie Vanderputten, Senior Talent Acquisition Specialist,

notamment en charge de la sélection des Trainees chez ING

Belgique, explique :

« L’objectif de notre Management Traineeship est de former les

futurs managers d’ING.

Ce programme de formation interne s’étale sur 5 ans et est réservé

aux jeunes diplômés désireux et capables d’exceller en tant que

leaders. »

Le premier programme a été lancé en 2010 et, à ce jour la

banque compte au total une cinquantaine de trainees engagés

et opérationnels.

« En septembre 2014, 15 nouveaux candidats – dont la sélection

est actuellement ouverte, et ce jusqu’en juillet prochain- viendront

rejoindre ce groupe de jeunes cadres dynamiques. » précise Sophie.

Elle souligne combien la banque s’implique fortement et

favorise la mixité au sein de l’entreprise, et également au sein

de leur programme de Management Traineeship :

« La question des mentalités reste primordiale pour favoriser la

mixité. Les clés de la mixité passent d’abord par un support de la

direction générale. C’est clairement le cas chez ING Belgique où

les femmes ont l’opportunité de jouer un rôle actif à tous niveaux

de la structure. Notre Management Traineeship, par exemple,

offre à nos talents féminins un programme de développement

individuel visant à renforcer certaines compétences telles que leur

capacité de leadership, ainsi qu’une infrastructure leur permettant

de s’épanouir dans leur travail tout en se consacrant pleinement à

leur vie de famille. »

L’environnement de travail et les opportunités de carrière

se veulent donc adaptés à chacun et chacune dans son

individualité et ses préférences, « ce qui est très important dans le

cadre de notre politique forte de Top Employer ! », conclut Sophie

Vanderputten.

Anne-Catherine Janssens ,trainee chez INGJ’ai intégré le Management Traineeship d’ING il y a huit mois

et travaille actuellement en contrôle de gestion au sein du

département finance.

A la fin de mes études d’ingénieur de gestion j’ai pu participer

à un événement de recrutement organisé par ING Belgique.

L’orange est omniprésent, le ton dynamique et ouvert est

donné d’emblée. En m’entretenant avec les collaborateurs

présents, j’ai pu me rendre compte de la diversité des

parcours, et de l’étendue des possibilités dont les employés

peuvent bénéficier. ING se préoccupe de la diversité et en a

fait sa richesse: chaque collaborateur est systématiquement

encouragé à donner son opinion. Personnellement, j’ai été

particulièrement séduite par le programme du Traineeship.

Il me permet de suivre de nombreuses formations et de me

forger une expérience forte et variée, que ce soit en Belgique

ou à l’étranger.

Marilyn Docquier ,trainee chez INGJ’ai intégré le programme de Management Traineeship au

sein d’ING Belgique il y a quatre ans déjà. Ce qui m’a séduite

c’est la diversité des métiers que l’on peut exercer dans la

banque, à moins que ce ne soit, en réalité, son ton un peu

décalé et l’image jeune qu’elle véhicule. Mon parcours m’a

amené à développer mon côté commercial et relationnel

mais aussi analytique. J’ai occupé par exemple une fonction

de développement d’activités dans le secteur « indépendants

et PME ». J’ai par la suite travaillé dans l’amélioration de nos

canaux de vente en ligne et je suis à présent responsable du

marketing Jeunes et Expatriés. J’ai également eu la possibilité

de participer pendant neuf mois à la fusion de deux de nos

entités à Paris.

Au travers de ce programme, nous rencontrons chaque

année les trainees ING d’autres pays. Cela permet de se

créer un réseau et de sentir vraiment l’appartenance d’ING

à un groupe international. J’apprécie également l’équilibre

offert entre vie privée et professionnelle avec notamment

l’opportunité de travailler de la maison ou encore les

programmes « bien-être de l’employé ». Etre une femme est

certainement un atout chez ING, notre CEO insistant même

dans ses communications sur l’importance des qualités

féminines lors de prises de décisions.

UNE STRATÉGIE GAGNANT/GAGNANT

Pour Emmanuèle Attout, PwC Partner et Co-founder & Director Women on Board, SI l’inclusion des trainees dans les différents départements de l’entreprise leur apporte une expérience incomparable et leur permet de mieux cerner leurs attentes professionnelles pour leur future carrière, l’apport immatériel de ces trainees à l’entreprise est immense.

Outre la constitution d’un réservoir de futurs leaders, la gestion intelligente de ces talents devrait permettre à l’entreprise de stimuler l’innovation, de réfléchir sur son mode d’organisation et de réconcilier les générations au sein de tous les départements accueillant ces jeunes recrues. Et seule la diversité, soit-elle des genres ou des expériences, permet d’enrichir ce débat.

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18. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

UE. David Cameron n’est pas perdantDésavoué par ceux qui ont choisi Jean-Claude Juncker pour la présidence de la Commission, le Premier ministre britannique garde toute son influence. Et une alliée : Angela Merkel.

—Die Welt Berlin

On se souvient que Mark Twain avait commenté l’annonce préma-turée de son décès par la célèbre

phrase : “Les nouvelles concernant ma mort sont très exagérées.” De même, tous ceux qui croient pouvoir faire une croix sur David Cameron depuis le désaveu qui lui a été infligé dans “l’affaire Juncker” sont prévenus : ce serait aller un peu vite en besogne. Si Cameron a même tenu à faire attester sa défaite par un vote lors du sommet de Bruxelles, alors que dans le processus de recherche de consensus elle pouvait largement passer inaper-çue, c’est afin de donner l’impression de

europe↙ Jean-Claude Juncker et David Cameron.Dessin de Ruben, Pays-Bas.

défendre fermement ses principes, sur une question qui ne valait visiblement pas un conflit aux yeux du reste de l’UE. L’art de la diplomatie des Britanniques se manifestait jadis par le compromis. Il leur arrive pourtant de s’entêter sur une affaire de façon fort peu britannique – pour ne pas dire, comme à l’époque de Margaret Thatcher, carrément teutonne. Une expli-cation s’impose. La nomination de Jean-Claude Juncker au poste de président de la Commission n’était pas un sujet fon-damental pour les vingt-six chefs d’Etat et de gouvernement qui ont voté en sa faveur. Ils souhaitaient surtout éviter toute tension avec Angela Merkel pour une question de personne, la candidature de

Jean-Claude Juncker ne leur tenant pas à cœur au point de provoquer un conflit. Et la chancelière allemande ne voyait pas non plus de raison de provoquer une crise politique interne dans sa coalition et des problèmes avec les chrétiens-démocrates du Parlement européen. On a donc laissé passer Juncker sans aucune mauvaise conscience démocratique.

Il n’en allait pas de même pour Cameron. Les électeurs qui ont voté pour élire le Parlement européen en mai ne songeaient pas à la tête de liste des sociaux-démo-crates, Martin Schulz, ou à Juncker en déposant leur bulletin dans l’urne. Seule une infime partie d’entre eux savaient qu’il y avait un lien entre leur voix et la présidence de la Commission. Laisser au Parlement un rôle prépondérant dans la nomination du président de la Commission rompt non seulement avec la culture insti-tutionnelle de l’UE, qui confère aux chefs de gouvernement la force de proposition en la matière, mais viole également le prin-cipe démocratique fondamental qui relie nécessairement électeurs et élus par un cordon ombilical.

Préoccupations intérieures. Il est évident que l’opposition de Cameron à Juncker n’avait pas que de nobles inten-tions, il est évident qu’il avait lui aussi à l’esprit des considérations de politique intérieure, en particulier avec les vitupé-rations des eurosceptiques britanniques. S’il est légitime que la chancelière tienne compte de ses priorités de politique inté-rieure, pourquoi ne serait-ce pas légitime pour le chef du gouvernement londonien ? Pourquoi qualifier l’attitude de Cameron d’“obstination” et celle de Merkel d’“habileté diplomatique” ? La chancelière sait quels revirements elle a opérés dans “l’affaire Juncker”, justement face à son partenaire britannique, dont elle a dans un premier temps soutenu le rejet du Luxembourgeois, avant de se raviser face aux maladresses de Cameron et à l’opposition croissante dans ses propres rangs. Or c’est le Britannique qui a montré la plus grande constance dans ses convictions fondamentales, nonobs-tant la brutalité de sa tactique. Il a l’opinion publique pour lui, et il gagne du terrain dans son propre parti, bien trop longtemps divisé sur la question de l’Europe, au point de perdre de plus en plus de voix sur sa droite au profit du Parti pour l’indépen-dance du Royaume-Uni (Ukip), de Nigel Farage. A vrai dire, la position de Cameron est plutôt claire : il préconise la fermeté dans les réformes de l’UE, davantage de libéralisation du marché unique, moins de bureaucratie, plus de croissance, plus d’emplois. Une liste de desiderata qui est aussi celle d’Angela Merkel, comme elle l’a signalé sans détours à l’issue du sommet. Quant à Cameron, il a de même mis un bémol à sa rhétorique et promis de ne pas se lancer dans une tournée eurosceptique chez lui. “Nous devons accepter le résultat”,

a-t-il déclaré en commentant la nomination de Juncker. Pacta sunt servanda – il faut respecter les traités. Ou peut-être pas. En fin de compte, c’est après les élections à la Chambre des communes en mai 2015 que commenceront sérieusement les négocia-tions avec Bruxelles sur le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE.

L’issue des sommets européens est souvent trop vite – et mal – interpré-tée. Celui-ci ne fait pas exception. David Cameron, en gardien de l’orthodoxie, ne repart pas les mains vides. Il a obtenu que la procédure de désignation du pré-sident de la Commission fasse à l’avenir

l’objet d’une “réflexion”. D’autres respon-sables, dont le Suédois Fredrik Reinfeldt ou le Néerlandais Mark Rutte, se sont également joints à lui pour souligner que tous les membres de l’UE n’étaient pas favorables à “toujours plus d’intégration”. Les sept pages de l’“Agenda stratégique pour la communauté en période de chan-gement” reprennent nombre de grands principes défendus par les Britanniques, comme l’achèvement du marché unique des services, la croissance et la création d’emplois. Le Royaume-Uni surpasse lar-gement ses partenaires européens dans ces deux derniers domaines, alors même que sa population a augmenté de 5 millions au cours des douze dernières années. Le pays affiche aujourd’hui le taux de croissance le plus élevé d’Europe (3 %) et le taux de chômage le plus faible (6,6 %).

La défaite de Cameron dans “l’affaire Juncker” ne doit tromper personne. David Cameron devra déployer des trésors de lea-dership avant le référendum britannique sur une éventuelle sortie de l’UE en 2017, mais il a réussi à impliquer ses partenaires sur cette question, notamment Berlin, en précisant les conséquences de ce “Brexit” [contraction des termes British et exit ].

Si tel était le cas, Berlin perdrait un allié précieux dans la bataille pour la compéti-tivité et la dérégulation, ainsi qu’un accès à l’Amérique et au reste du monde. Les pays du Sud gagneraient en influence et avec eux leur préférence pour un relâche-ment économique. Et l’Europe se retrou-verait finalement avec ce qu’elle ne veut pas : la toute-puissance allemande. On comprend pourquoi Angela Merkel a tout fait pour empêcher le départ des Britanniques. David Cameron a peut-être perdu la bataille de la nomination à la présidence de la Commission, mais il a encore de bonnes cartes en main. A lui de les jouer avec habileté.

—Thomas KielingerPublié le 30 juin

Berlin ne veut pas perdre la bataille pour la compétitivité et la dérégulation

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 201412.

Page 13: Courrier 20140703 courrier full 20140703 130851

EUROPE.Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

—The Daily Telegraph Londres

La guerre contre la drogue l’a prouvé, le meilleur moyen d’endiguer la consommation des substances

nocives est de les interdire. D’ailleurs, plus personne ne fume de cannabis. Et il est tout simplement impossible de se procurer de la cocaïne, de l’ecstasy ou de l’héroïne… Sans oublier qu’aucune indus-trie ne repose sur la fabrication d’obscurs ersatz de tous ces produits qui permettent de contourner la loi. C’est bien connu, il suffi t d’interdire une drogue pour que tout le monde arrête immédiatement de la consommer !

Sauf que c’est tout le contraire. Il est particulièrement déconcertant que la British Medical Association (BMA), une association de médecins du Royaume-Uni, organise un vote pour décider que le tabac doit être interdit à toutes les per-sonnes nées après 2000. Il ne s’agit pas de prohiber l’achat de cigarettes jusqu’à l’âge de 18 ans, mais bien de l’interdire à tous ceux qui ont actuellement 13 ans ou moins. Certes, la BMA n’est pas habili-tée à adopter une loi, mais elle infl uence

ROYAUME-UNI

Interdire la cigarette : une idée catastrophiqueLa très puissante British Medical Association a voté pour une interdiction à vie de vente de tabac aux gens nés après l’année 2000.

énormément les politiques en matière de santé. C’est pourquoi sa décision n’est pas anodine.

C’est évident, tout le monde convient que fumer est extrêmement mauvais pour la santé. Tous les mois, un titre annonce que telle ou telle chose est aussi nocive que la cigarette : “La viande industrielle trans-formée est aussi mauvaise que la cigarette !”, “Le manque de sommeil est aussi mauvais que la cigarette !” Avant même de lire ces articles, je suis convaincu qu’ils ont tort, car fumer est vraiment très mauvais pour la santé et il existe vraiment beaucoup de preuves en ce sens. Je suis tout à fait favorable à toutes les mesures qui contri-buent à faire reculer l’emprise de la ciga-rette sur la population. L’interdiction de fumer dans les lieux publics est une initia-tive effi cace, l’interdiction des publicités a sûrement été effi cace aussi. Je ne suis pas sûr qu’il en sera de même pour les paquets génériques, mais l’opposition enragée de

l’industrie du tabac à cette mesure me laisse penser qu’elle aura son eff et.

En revanche, l’interdiction pure et simple est une idée catastrophique. C’était déjà une catastrophe aux Etats-Unis dans les années 1930, car des millions de citoyens honnêtes ont fi ni par devenir des criminels et un sec-teur tout entier s’est retrouvé aux mains de gangsters. C’est toujours une mauvaise idée de nos jours dans le cas de la drogue, exactement pour les mêmes raisons. (La décision d’interdire la consommation du qat, qui pénalise une grande partie des populations somaliennes, éthiopiennes et yéménites, est particulièrement irréfl échie et stupide.) Par ailleurs, comme je l’ai déjà fait remarquer un million de fois, très peu d’éléments indiquent qu’une interdiction réduise effi cacement la consommation du produit incriminé. En revanche, elle ampli-fi e exponentiellement les dégâts sociaux provoqués par ce même produit (recru-descence de la population carcérale, de la criminalité, de la guerre des gangs, etc.).

Nous pourrions nous lancer dans un débat philosophique sans fi n sur les droits de l’individu. Doit-on laisser les gens se faire du mal librement ? Je pense me placer au centre de ce débat, entre les libertaires déments pour qui des enfants de 6 ans

devraient avoir le droit de s’injecter de la kétamine directement dans le lobe occipital et la vieille garde selon laquelle le café doit être illégal car il est importé par des étran-gers. Ce débat est toutefois inutile. Il suffi t de s’appuyer sur les preuves factuelles, la santé publique et les dégâts sociaux, pour comprendre que toutes nos tentatives de prohibition ces derniers siècles n’ont pas contribué à réduire les dégâts des substances concernées. Les drogues doivent rester légales. C’est la consommation, la vente et la publicité qui doivent être réglementées.

Il y a quelque temps, je me suis opposé à un lecteur dans les commentaires d’un article que j’avais écrit sur les paquets géné-riques. J’avais affi rmé qu’aucune personne crédible ne cherchait à interdire la ciga-rette. J’avais tort. Il existe bel et bien des personnes pour qui la guerre antidrogue est effi cace au point qu’il vaille la peine de l’étendre à la deuxième drogue la plus populaire sur la planète. L’industrie mon-diale du tabac a enregistré 35 milliards de dollars de profi t en 2011. Est-ce vraiment malin de pousser de telles sommes dans les bras des héritiers spirituels de Pablo Escobar ?

—Tom ChiversPublié le 23 juin

↙ Loi antitabac.Dessin de Chubasco paru dans Reforma, Mexico.

C’est la consommation, la vente et la publicité qui doivent être réglementées

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EUROPE.Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

—The Economist Londres

Depuis presque dix ans, l’Union euro-péenne est dans un état calamiteux. Certains pays comme la Grèce et la

Croatie – dernière nation à avoir rejoint l’UE – sont au bord du gouff re. Les élec-teurs n’ont plus confi ance en l’UE : lors des dernières élections européennes, à peine 40 % des citoyens ont pris la peine de voter et près d’un tiers d’entre eux ont choisi des partis antieuropéens ou populistes. Et les dirigeants européens, au lieu de proposer une réponse raisonnable, ont consacré un sommet à se chamailler pour décider si Jean-Claude Juncker, un fédéraliste vieux jeu et impopulaire, était le meilleur candidat pour diriger la Commission européenne.

Pourtant, un grand pays défi e la moro-sité générale : la Pologne. Ancienne enfant à problèmes de l’Europe centrale, cette nation enregistre toutefois la meilleure croissance économique depuis la chute du communisme. C’est la seule qui a évité la récession pendant la crise fi nancière. Elle

POLOGNE

La vedette inattendue du continent

a même maintenu des relations cordiales avec ses deux grands voisins (et anciens occupants), l’Allemagne et la Russie – tout du moins jusqu’à ce que la Russie annexe la Crimée, début 2014. Il semble évident que tous les pays, riches ou pauvres, pourraient s’inspirer d’elle.

Comment la Pologne a-t-elle fi ni par mieux tirer son épingle du jeu que les stars de l’Europe centrale, comme la République tchèque, malgré ses profondes racines indus-trielles ? En 1990, la plupart des anciens pays communistes ont choisi une transition gra-duelle vers le capitalisme. Au contraire, la Pologne s’est lancée dans une “thérapie de choc” orchestrée par Leszek Balcerowicz, à l’époque ministre des Finances. Quasiment du jour au lendemain, le contrôle des prix a disparu, les marchés ont été intégrale-ment ouverts au commerce international, le zloty est devenu une devise convertible, les subventions aux industries publiques ont été supprimées et la privatisation a commencé. Ce processus s’est avéré dou-loureux pour presque tout le monde mais,

après une récession brève et intense au cours de laquelle le PIB a reculé de presque 15 %, la croissance a repris en 1992 et ne s’est plus arrêtée depuis.

Le succès de la Pologne est surtout dû au fait qu’elle a su profi ter effi cacement de son adhésion à l’UE. Les Polonais ont rapide-ment compris comment profi ter des fonds structurels et de cohésion, tout comme d’une amélioration de la gouvernance et de la transparence. La Pologne a lutté plus énergiquement contre la corruption que la Roumanie, la Bulgarie et ses homolo-gues du Groupe de Visegrád, en particulier dans le domaine des achats publics, ce qui lui a permis de faire bon usage des fonds structurels. L’UE a félicité la Pologne de son honnêteté en faisant du pays le premier destinataire de ces fonds entre 2007 et 2013 – soit la somme astronomique de 102 mil-liards d’euros. C’est toujours elle qui recevra la plus grande part des aides (106 milliards d’euros) dans le cadre du prochain budget pluriannuel entre 2014 et 2020.

Toutefois, la troisième leçon à tirer de l’expérience polonaise est aussi la plus cruciale : la mission n’est jamais accom-plie. La Pologne n’a jamais cessé de mener des réformes, contrairement à l’Allemagne et, à plus forte raison, à la France. Il reste

beaucoup de travail, comme réduire la taille du secteur public, renforcer l’épargne et les investissements des entreprises et des par-ticuliers, et persuader les Polonais les plus talentueux de rester au pays au lieu d’émi-grer. La Pologne n’évitera le “piège des reve-nus intermédiaires” que si elle parvient à développer des industries et services de haute technologie.

Au cours des sept dernières années, le gou-vernement dirigé par la Plateforme civique a réussi à lutter contre l’autosatisfaction. Aujourd’hui, il est toutefois confronté à un vilain scandale [lire encadré ci-dessous], qui a éclaté après la publication d’enregistre-ments de conversations alcoolisées entre des hommes politiques de premier plan. On a ainsi appris que le ministre des Aff aires étrangères, Radoslaw Sikorski, avait qualifi é l’alliance entre les Etats-Unis et la Pologne d’inutile et qu’il s’était moqué de David Cameron, le Premier ministre britannique. Le gouvernement devrait survivre à ce scan-dale et, même si des ministres polonais sont limogés, l’essentiel ne peut pas échapper à Jean-Claude Juncker et aux timides diri-geants de l’UE : s’ils prenaient exemple sur la Pologne la moitié du temps, l’Europe ne serait pas dans un état si catastrophique. —

Publié le 28 juin

Malgré le scandale des écoutes qui secoue le gouvernement de Varsovie, le pays, qui vient de vivre ses vingt-cinq meilleures années, devrait être un modèle pour les Européens.

↙  Dessin de Pyrzinska paru dans Gazeta Wyborcza, Varsovie.

Contexte●●● Avec 237 voix contre 203, la coalition gouvernementale de la Plateforme civique et du Parti paysan, dirigée par Donald Tusk, a survécu à un vote de confi ance le 25 juin. “Et ce malgré les répercussions du récent scandale des écoutes dont plusieurs personnalités au sommet de l’Etat ont été victimes”, fait observer le quotidien Gazeta Wyborcza. Les transcriptions

des conversations privées, enregistrées dans des restaurants par des serveurs, ont été publiés par l’hebdomadaire Wprost. Alors qu’on ignorait le commanditaire, de nombreux journaux, comme l’hebdomadaire Polityka, y ont vu “la main de Moscou” qui déstabilisait le pays au moment de l’agression russe en Ukraine. Une enquête a été ouverte et plusieurs victimes ont porté plainte, parmi

lesquelles le chef de la diplomatie polonaise, Radoslaw Sikorski. Dans l’une des conversations, on l’entend notamment dire que les Polonais font “une pipe” aux Américains et que la relation avec Washington est une “connerie totale” qui ne fait que brouiller la Pologne avec l’Allemagne et la France. Le numéro de Wprost contenant ces révélations s’est vendu à 300 000 exemplaires.

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Page 16: Courrier 20140703 courrier full 20140703 130851

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

Les autorités américaines s’eff orcent de comprendre et de maîtriser l’exode de mineurs non accompagnés originaires d’Amérique centrale qui se présentent depuis quelques mois à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Cet affl ux a engorgé les centres de détention, contraignant le gou-vernement à adopter des mesures d’urgence afi n d’assurer un hébergement provisoire aux jeunes migrants, à engager des avocats et à trouver des parrains susceptibles d’ac-cueillir ces enfants. Le nombre de mineurs entrant aux Etats-Unis augmente régulière-ment depuis 2011, mais il a explosé depuis l’automne dernier. Depuis octobre, plus de 47 000 mineurs ont été interceptés à la fron-tière, et les autorités en attendent 60 000 de plus d’ici à la fi n de l’année.

Cet affl ux est en partie de nature saison-nière, le début de l’été étant la saison le plus propice pour traverser la frontière. Mais il

s’explique surtout par deux autres facteurs. Le premier est l’épidémie de violence des gangs qui ravage le Salvador, le Honduras et le Guatemala et met en danger de nom-breux enfants, notamment ceux dont les parents sont absents. Le second est le sen-timent que le gouvernement Obama traite les jeunes immigrants illégaux avec une bienveillance sans précédent.

Du coup, des milliers de parents comme Lucy Cabrera ont l’impression que s’off re à eux une occasion unique de pouvoir récu-pérer des enfants qu’ils ont laissés derrière eux il y a des années. Et, en l’absence de moyen légal de faire venir leurs enfants de leur pays d’origine, ils placent leurs espoirs dans une planche de salut inattendue : le système d’immigration américain.

Le bruit s’est répandu à travers les com-munautés latinos des Etats-Unis que, si les enfants atteignaient seuls la frontière américaine, ils ne seraient pas inquiétés. Les espoirs des familles sont en partie justifi és, les autorités ayant accéléré le traitement des nouveaux arrivants afi n de désengorger les centres de détention et d’en confi er le plus grand nombre pos-sible à des parents ou à des tuteurs. A la diff érence des mineurs mexicains, qui peuvent être renvoyés sur-le-champ dans leur pays, la loi prévoit que les jeunes arri-vant de pays plus lointains peuvent être hébergés et remis à un parrain en atten-dant qu’un tribunal statue sur leur cas.

Risques. Mais imaginer que ces mineurs vont tout bonnement être laissés libres est une idée infondée. Tous sans exception sont susceptibles d’être renvoyés dans leur pays et aucun n’est en droit de bénéfi cier du pro-gramme Dream Act, qui autorise certains jeunes en situation illégale à rester sur le sol américain s’ils ont vécu les cinq dernières années aux Etats-Unis et répondent à cer-tains critères. Les nouveaux arrivants, eux, doivent comparaître devant un tribunal qui décidera de leur sort, et rien ne garan-tit qu’ils seront autorisés à rester.

“Le fait qu’ils soient entrés aux Etats-Unis et laissés libres de leurs mouvements ne leur confère aucun statut légal”, sou-ligne Wendy Young, une juriste qui tra-vaille pour Kids in Need of Defense, une association qui fournit une assistance juri-dique à ces mineurs. Certains, s’ils ont été victimes d’abus ou de trafi c, peuvent prétendre à un visa spécial ou à une pro-tection juridique, mais Young souligne que 60 % d’entre eux ne peuvent pas en bénéfi cier et sont donc sommés de ren-trer dans leur pays.

Bien entendu, pour les familles dont les enfants risquent le renvoi dans leur pays, la tentation est grande de les cacher en les confi ant à des amis ou à des proches

Etats-Unis. Ces enfants qui jouent à saute-frontièreLes autorités américaines sont confrontées à un affl ux sans précédent de mineurs non accompagnés venus d’Amérique centrale pour rejoindre leurs familles aux Etats-Unis.

—The Washington Post (extraits) Washington

A u début du mois d’avril, le fils et la fille adolescents de Lucy Cabrera l’ont appelée en larmes

du Honduras. Ils lui ont expliqué que des gangs avaient menacé de les enlever et l’ont suppliée de les aider à passer aux Etats-Unis. Elle a donc emprunté 6 000 dol-lars [4 400 euros] et envoyé l’argent à des passeurs au Guatemala et au Mexique. Le samedi suivant, ses enfants l’ont rappelée d’un centre de détention en Arizona. Cette fois, ils ne pleuraient pas. “Dieu merci, main-tenant ils sont en sécurité”, soupire Cabrera. Bien qu’elle vive illégalement aux Etats-Unis, elle explique que les autorités fédérales l’ont contactée afi n qu’elle puisse assurer la garde de ses enfants une fois qu’ils auront été relâ-chés. “C’est un vrai miracle”, estime-t-elle.

habitant dans d’autres Etats. Cela dit, les parents ou parrains d’un mineur doivent fournir aux services de l’immigration des informations détaillées afi n de pouvoir se voir attribuer la garde d’un enfant jusque-là détenu dans un centre de rétention, ce qui rend plus diffi cile ce genre d’échappatoire.

Avant même d’entrer aux Etats-Unis, les enfants courent de grands dangers lorsqu’ils traversent le Mexique ou tentent de franchir la frontière. Il arrive fréquemment que les passeurs les dépouillent, les maltraitent ou les abandonnent ; les fi lles sont parfois vio-lées. Mais un nombre croissant de familles séparées estiment que le risque en vaut la chandelle. Certains parents conseillent à leurs enfants, une fois qu’ils ont atteint la frontière, de se rendre dès que possible aux agents autrefois redoutés de l’US Border Patrol [la police des frontières].

Susana, ouvrière dans une usine de Fredericksburg en Virginie, raconte qu’elle a appris récemment que les mineurs étaient “sauvés” et laissés en liberté une fois entrés aux Etats-Unis. Elle a versé 2 800 dollars [2 000 euros] à des passeurs pour qu’ils acheminent sa fi lle de 15 ans du Honduras jusqu’aux Etats-Unis. La jeune fi lle a été récupérée par des agents américains et se trouve actuellement dans un centre de rétention fédéral au Texas.

“Elle n’avait que 5 ans quand je l’ai quit-tée”, explique Susana, elle-même en situa-tion illégale. Sa fi lle l’appelle fréquemment depuis le centre de rétention, où elle par-tage une chambre avec six autres fi lles et prend des cours d’anglais. Dans le même temps, les services sociaux ont envoyé à Susana une liste de questions et de docu-ments à remplir. “Ils veulent des renseigne-ments sur mes revenus, l’endroit où je vis et l’école où elle ira, poursuit Susana. Ils disent que je dois faire preuve de patience, que bien-tôt on me confi era sa garde.”

Certains parents qui séjournent illéga-lement aux Etats-Unis et sont réticents à l’idée de faire voyager leurs enfants seuls ont essayé de rentrer au pays afi n de les rame-ner aux Etats-Unis. L’hiver dernier, une femme de ménage de Hyattsville (Maryland) a mis de côté le plus d’argent possible et est retournée au Salvador pour ramener ses deux fi lles adolescentes, qui étaient sexuellement abusées par des hommes de la famille et harcelées par des gangs. Mais

amériques↙ Dessin de Martirena, Cuba.

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CALIFORNIE

Routesmigratoires

Depuis octobre, plus de 47 000 mineurs ont été interceptés à la frontière

16.

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ÉDITO

AMÉRIQUES.Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

les passeurs ont exigé plus que ce qu’elle pouvait leur off rir. Par ailleurs, elle s’in-quiétait pour ses trois autres enfants plus jeunes restés aux Etats-Unis. En mars, elle a donc décidé à contrecœur de laisser à nouveau ses deux aînées au Salvador pour rentrer illégalement aux Etats-Unis. Elle a été arrêtée à la frontière et est à présent emprisonnée dans un centre de rétention fédéral au Texas, d’où elle ne peut évidem-ment s’occuper d’aucun de ses enfants.

Même lorsque des familles séparées depuis longtemps parviennent à se réunir, elles sont souvent confrontées à d’énormes problèmes de réadaptation. Les adolescents nouvelle-ment arrivés découvrent des beaux-pères ou de jeunes frères et sœurs qu’ils n’ont jamais vus. La langue constitue un obstacle, tandis que ressurgissent vieilles rancœurs, jalou-sies et sentiment d’abandon. Les logements sont fréquemment surpeuplés, et les lon-gues journées de travail des parents ne leur laissent guère la possibilité d’apporter aux nouveaux arrivés l’attention spéciale dont ils auraient besoin. A tout cela s’ajoutent bien souvent les tensions et incertitudes liées au fait que les parents se trouvent eux-mêmes en situation illégale.

Il y a une dizaine d’années, une femme salvadorienne du Maryland a laissé au pays sa petite fi lle. L’année dernière, l’adoles-cente a été envoyée aux Etats-Unis par ses grands-parents, qui craignaient qu’elle ait des ennuis avec les gangs. Au Texas, apeu-rée et abandonnée par ses passeurs, elle s’est rendue à la Border Patrol ; après plu-sieurs mois de rétention, on l’a autorisée à aller vivre avec sa mère, qu’elle connaissait à peine. “J’ai plus eu l’impression de retrou-ver une sœur qu’une mère”, explique l’adoles-cente aujourd’hui âgée de 14 ans. Sa mère, assise à ses côtés, a l’air pensif. Toutes deux risquent le renvoi dans leur pays, mais sont manifestement ravies des liens qu’elles ont renoués. “J’étais morte d’inquiétude à son sujet, mais ça valait vraiment la peine, dit la mère en jetant un regard timide à sa fi lle. Elle est tout pour moi.”

—Pamela ConstablePublié le 12 juin

—La Jornada Mexico

La gravité de la situation générée par l’affl ux de mineurs envoyés du Guatemala, du Honduras ou du

Salvador pour retrouver leurs parents sur le territoire améri-cain en passant par le Mexique a contraint les gouvernements des cinq pays concernés à se pencher enfi n sur un problème dont ils s’étaient jusqu’à présent désinté-ressés : le fl ux migratoire des personnes de tout âge en provenance d’Amérique centrale, en direction des Etats-Unis via notre pays.

Ce phénomène s’explique certes par les inégalités économiques, la violence et le manque de perspectives d’emploi dans les pays voisins, mais aussi par les besoins en main-d’œuvre de l’industrie, de l’agriculture et du secteur des services aux Etats-Unis.

Nul ne peut nier qu’en Amérique cen-trale le pouvoir économique est aux mains d’une petite élite qui perpétue les injustices sociales, et que ces injustices représentent un moteur de l’exode de ces pays. On ne peut que comparer cette situation avec celle de l’Equateur, pays traditionnellement expor-tateur de main-d’œuvre qui, depuis l’arri-vée au pouvoir du président Rafael Correa [en janvier 2007], a réussi à inverser cette tendance et à devenir une terre d’accueil pour de nombreux étrangers.

Par ailleurs, dans la mesure où Washington persiste à considérer les migrants comme des criminels, ce qui pourrait être une chance pour tous les pays concernés est en train de devenir un problème grave aux conséquences terribles. Le gouvernement d’Obama, réélu en partie grâce à sa pro-messe de mettre en place une réforme de l’immigration qui régulariserait les clan-destins, a ici manqué de volonté politique.

Le Mexique joue un double rôle : le pays est un point de départ de fl ux migratoires, mais aussi un territoire de transit pour les migrants de nos voisins du Sud.

Pourtant, le gouvernement est resté les bras croisés : il n’a pas réussi à mettre en œuvre la croissance économique nécessaire pour créer des emplois décents capables de convaincre les personnes tentées par le rêve américain de rester au Mexique ; il n’a pas réussi à garantir l’intégrité et les droits des migrants qui transitent par notre pays, ni adopté une posture ferme face aux autorités américaines afi n d’exiger le respect absolu

Les migrants ne sont pas des criminelsPour ce quotidien mexicain, il est temps de changer les politiques migratoires de part et d’autre de la frontière.

des droits de l’homme de nos concitoyens une fois parvenus aux Etats-Unis. Dans ces circonstances, les migrants sont exposés aux brutalités policières des deux côtés de la frontière, les clandestins se multiplient et leur passage par le Mexique devient pour beaucoup une descente aux enfers.

Dans ce contexte, l’information concer-nant les dizaines de milliers de mineurs migrants révélée par le département d’Etat a choqué l’opinion publique et contraint les autorités à porter ce problème à l’ordre du jour de la réunion migratoire régionale du 26 juin dans la capitale du Nicaragua.

Cette crise humanitaire doit être réglée de manière urgente et il est indispensable de garantir la sécurité et l’intégrité des mineurs en transit, mais cela ne va pas

résoudre le problème de fond : ces enfants incarnent le déchire-ment de familles séparées par des politiques migratoires perverses qui doivent être abandonnées.

Il faudrait pour cela parvenir à un accord migratoire régional

autorisant la circulation et le séjour des travailleurs aux Etats-Unis, au Mexique et en Amérique centrale. Pendant des dizaines d’années, le gouvernement mexi-cain a choisi de déléguer ce problème aux

députés américains, et cela s’est traduit par une aggravation des souff rances des migrants venus du Mexique et d’Amérique centrale. Comment justifi er que, vingt ans après la signature d’un traité de libre circu-lation des marchandises entre le Mexique et les Etats-Unis, la libre circulation des per-sonnes soit toujours au point mort ? Notre pays doit aujourd’hui se montrer ferme face à Washington. Les Etats-Unis doivent reconnaître qu’ils ont besoin de cette main-d’œuvre étrangère et arrêter de considérer les migrants comme des criminels.—

Publié le 25 juin

SOURCE

LA JORNADAMexico, MexiqueQuotidien, 110 000 ex.www.jornada.unam.mx/ultimasFondé en 1984 par Carlos Payán, ce quotidien de référence au Mexique compte des éditions régionales dans la plupart des Etats du pays. Marqué à gauche, La Jornada est lu essentiellement par la classe moyenne et le milieu universitaire.

Obama veut durcir la loi●●● Critiqué pour sa gestion des enfants clandestins, Barack Obama a demandé le 30 juin au Congrès de débloquer 2 milliards de dollars pour renforcer le contrôle de la frontière mexicaine et apporter une assistance humanitaire aux migrants. Selon le The Daily Beast, il a aussi sollicité un changement de la loi pour permettre l’expulsion selon une procédure accélérée des mineurs d’Amérique latine, déjà applicable aux enfants mexicains.

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D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

—Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv

Après l’avancée éclair de l’Etat islamique en Irak et au Levant (l’EIIL), certains

responsables occidentaux ont eu tendance à minimiser la menace et à justifier la poursuite de leur inac-tion en estimant, entre autres argu-ments futiles, que nous n’avions affaire qu’à une version musul-mane de la guerre de Trente Ans [guerre entre catholiques et protes-tants de 1618 à 1648]. Selon ces res-ponsables, la force réelle de l’EIIL est surestimée étant donné qu’il bénéficie de l’alliance forgée avec les tribus sunnites et les restes de

l’ancien parti Baas. Il serait donc permis d’espérer que, une fois les zones majoritairement sunnites conquises, cette coalition instable se disloquera rapidement du fait des tensions entre rebelles dji-hadistes et non djihadistes, ainsi que de l’hostilité d’une population chiite qui peut par ailleurs comp-ter sur l’Iran.

Cependant, si l’on songe aux révolutions russe et iranienne, ainsi qu’à l’arrivée au pouvoir des nazis, l’Histoire prouve que des mouve-ments minoritaires, considérés comme trop extrémistes, peuvent conquérir le pouvoir et le conserver durablement. Contrairement à cer-tains éditorialistes occidentaux qui

Irak. Israël prêt à attaquer les islamistesAlors que l’EIIL est aux portes de la Jordanie, l’Etat hébreu étudie toutes les possibilités pour stopper cette menace.

En outre, alors que l’armée ira-kienne, formée et équipée par les Etats-Unis à coups de milliards de dollars, s’est débandée face aux quelques milliers de miliciens de l’EIIL, Israël goûte désormais tout le sel de la proposition aber-rante du secrétaire d’Etat amé-ricain John Kerry [au printemps 2014] de former une force palesti-nienne censée remplacer l’armée israélienne le long du Jourdain en cas d’accord de paix israélo-palestinien. Comment Israël pourrait-il imaginer qu’une force palestinienne puisse montrer plus d’ardeur au combat et de convic-tion que l’armée irakienne ?

La peste et le choléra. La pre-mière réponse israélienne doit être de proclamer officiellement que le Jourdain est la frontière orientale d’Israël. Mais cela ne peut suffire. Israël doit également envisager d’adopter une attitude plus proac-tive dans la région, ce qui n’est pas sans poser problème. Tout comme les Etats-Unis restent durable-ment marqués par leurs interven-tions au Vietnam, en Irak et en Afghanistan, l’intervention d’Is-raël au Liban [juin 1982] évoque de biens mauvais souvenirs.

Cela ne doit pas faire oublier certains précédents couronnés de succès. Que l’on songe au rôle joué par Israël lorsqu’il a contré la

moyen-orient

prédisent une victoire à la Pyrrhus pour l’EIIL, Israël n’a pas le loisir de jouer au Scrabble. Il est engagé dans un combat pour sa survie. Nous savons ce que signifie le terme Al-Sham [le Levant]. Improprement traduit par “la Grande Syrie”, cette notion géographique englobe éga-lement la Jordanie, le Liban et… Israël. L’EIIL ayant atteint les fron-tières jordaniennes et saoudiennes, la menace est désormais tangible pour Israël. [L’EIIL a déclaré le 29 juin le rétablissement du cali-fat dans les territoires sous son contrôle en Syrie et en Irak. L’organisation islamiste a désigné son chef Abou Bakr Al-Baghdadi comme “calife”.]

tentative de la Syrie pour interve-nir militairement dans la guerre civile jordanienne [Septembre noir, 1970-1971]. Israël pourrait dès lors rééditer cette stratégie officieuse lorsque l’EIIL tentera de pénétrer en Jordanie via l’Irak ou la Syrie. Un autre précédent est l’aide appor-tée par Israël aux Kurdes d’Irak dans les années 1960. Aujourd’hui, Israël et les Kurdes ont un inté-rêt commun face à l’EIIL et face à l’Iran, d’autant que les livraisons de pétrole à Israël semblent augu-rer de liens commerciaux et stra-tégiques plus étroits.

Une deuxième réponse, plus radicale, doit être d’aller au-delà de l’aide strictement humanitaire fournie par Israël aux insurgés non islamistes syriens. Pour l’ins-tant, l’Armée syrienne libre est le groupe le mieux implanté dans le sud de la Syrie et le long du plateau du Golan. Jusqu’à présent, Israël a refusé de choisir entre la peste de l’EIIL et le choléra des gardiens de la révolution [iraniens]. Compte tenu du traumatisme libanais de 1982-2000, on peut comprendre les hésitations israéliennes à s’engager plus avant, tout comme la crainte des insurgés syriens de se voir dis-crédités par une alliance tactique avec Israël. Mais il en va du sort de la Syrie comme de celui d’Israël.

—Amiel UngarPublié le 27 juin

AMMAN PANIQUE, JÉRUSALEM AUSSI● ● ● Le 19 juin, le Yediot Aharonot relevait “cette situation hautement paradoxale qui voit des amis et des ennemis prétendument jurés (le Hezbollah chiite libanais, le régime syrien alaouite, l’Iran, la Jordanie hachémite et les Etats-Unis) contraints de constituer ensemble et implicitement une sorte de ‘zone tampon’ face aux djihadistes, qui rêvent de rétablir le califat islamique sunnite et de s’emparer de tout le Moyen-Orient. Mais, si l’EIIL en arrive à menacer directement la survie du régime jordanien, le paradoxe sera total dès lors que l’Etat d’Israël n’aura plus d’autre choix que d’intervenir directement contre l’organisation djihadiste et donc de s’ingérer dans une guerre qui n’est a priori pas

Revue de presse la sienne.” Cette prédiction semblait de plus en plus probable lorsque, le 29 juin, Ha’Aretz révélait qu’Israël venait d’“avertir l’administration Obama de sa ferme intention d’intervenir militairement en Jordanie pour sauver le royaume hachémite en cas d’attaque de l’EIIL. Selon des sources israéliennes, tant Washington que Jérusalem considèrent la survie du royaume jordanien comme une question de sécurité nationale. Tous s’accordent cependant pour privilégier des opérations non terrestres et la fourniture d’une aide en matériel et en conseillers. Pour l’instant, le scénario le moins probable, une intervention sur le sol jordanien, deviendrait inévitable si [comme Bagdad] Amman [et les principales villes de Jordanie proches du Jourdain] venaient à être menacées.”

↙ L’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Dessin de Khalid, Maroc.

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MOYEN-ORIENT.Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

photos tendant à prouver qu’ils avaient tué les 1 700 chiites capturés au cours de leur off ensive. A peine entrés dans Mossoul, les combattants ont incendié une église arménienne. Un comportement cohérent avec celui du groupe durant la guerre civile en Syrie, où ont été remises en vigueur des restrictions islamiques datant du Moyen Age à l’encontre des populations chrétiennes.

En 2003, le nombre des chrétiens d’Irak était estimé à 1,5 million, soit environ 5 % de la population. Depuis cette date, la grande majorité d’entre eux a quitté le pays. Le prédécesseur de l’archevêque Nona, Paulos Faraj Rahho, a été enlevé, puis assassiné devant son église de Mossoul en 2008. Presque toutes les communautés chrétiennes d’Irak – les chaldéens, les Arméniens, les syriaques orthodoxes, les orthodoxes de rite grec – ont bénéfi cié de la présence dans le monde de larges contingents d’émigrés irakiens qui ont accueilli leurs compatriotes.

Au cours des deux derniers millénaires, l’Irak a abrité la culture bouillonnante des chrétiens d’Orient. Aujourd’hui, cette histoire légendaire semble toucher à sa fi n. Même si les forces djihadistes sont repoussées, il est diffi cile d’imaginer que les chrétiens de Mossoul qui ont pris la fuite puissent à nouveau se projeter dans l’avenir de ce pays.

A l’automne 2003, j’ai eu l’occasion de me rendre à Mossoul. Je n’ai pas tardé à découvrir que cette ville était beaucoup plus que ce que l’on pouvait lire dans les journaux. Les habitants que j’y ai rencontrés m’ont accueilli avec une hospitalité que je n’avais jamais connue dans la capitale irakienne. Cela s’expliquait peut-être par le fait que Bagdad, le cœur de l’Etat baasiste de Saddam Hussein, ne conservait guère de vestiges de son riche passé historique. C’était une cité sans âme, un peu comme les villes soviétiques ; les vastes et sinistres étendues de logements préfabriqués n’avaient rien à envier à celles de métropoles comme Varsovie ou Pékin. Mossoul, au contraire, conservait son caractère d’ancien centre de

—Foreign Policy (extraits) Washington

La prise de Mossoul, deuxième ville d’Irak, par les djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL)

est une catastrophe pour le peuple ira-kien, confronté au retour d’une guerre de religion. Mais, ces derniers jours, c’est un drame plus particulier qui m’a affl igé : la fuite ou la dispersion des derniers membres de la fi ère communauté chrétienne d’Irak.

Emil Shimoun Nona, archevêque des chaldéens de Mossoul (qui font partie de l’Eglise catholique romaine), a déclaré à la presse que les rares chrétiens qui étaient encore dans la ville avant l’invasion des djihadistes avaient aujourd’hui quitté les lieux. Depuis que les Américains ont envahi l’Irak, en 2003, a-t-il fait observer, la population chrétienne de Mossoul est tombée de 35 000 à 3 000. “Aujourd’hui, il n’en reste plus un seul”, a-t-il précisé. La plupart d’entre eux ont rejoint les 500 000 réfugiés qui ont fui l’avancée des troupes djihadistes ; beaucoup, dont l’archevêque, ont opté pour la sécurité relative du Kurdistan irakien.

Cet exode a été avant tout déclenché par la réputation sanguinaire des djihadistes. Quelques jours auparavant, ceux-ci ont utilisé les réseaux sociaux pour diff user des

commerce de l’Empire ottoman, une ville à la fois délabrée et familière. Et elle tirait fi erté de sa diversité : on ne savait jamais si la personne qu’on allait rencontrer était sunnite ou chiite, kurde ou chrétienne.

Les chrétiens étaient particulièrement fascinants, entre autres parce qu’on ne pouvait échapper à l’impression qu’ils pratiquaient des traditions que l’on ne retrouverait nulle part ailleurs. Certains chrétiens de Mossoul obéissent à Rome, d’autres ont pour chefs spirituels des patriarches orthodoxes, et d’autres encore, comme les membres de l’Ancienne Eglise de l’Orient, ne sont soumis qu’à leur propre autorité. A Mossoul et dans les environs, on trouve encore des chrétiens qui parlent l’araméen, la langue du Christ.

J’ai pu admirer l’intérieur de l’église syriaque orthodoxe de Mar Toma (Saint-Thomas). Les fi dèles étaient très fi ers de sa grande Bible en syriaque, une langue ancienne dont la calligraphie élaborée orne les murs de l’édifi ce. L’église abrite aussi une série de précieux manuscrits en syriaque et en garshouni, dialecte arabe utilisé par les chrétiens à l’époque féodale. Bien que l’époque de sa construction reste inconnue, l’édifi ce remonte au moins au viiie siècle. J’ai également visité la cathédrale

Saint-Paul, où siège l’évêque des chrétiens chaldéens, une imposante structure en pierres qui semblait pouvoir résister à n’importe quelle attaque. Un an plus tard, l’édifi ce a été sérieusement endommagé par un attentat djihadiste.

La longue histoire de coexistence pacifi que de la ville ne semble pas totalement close. L’archevêque Nona a parlé de l’existence à Mossoul de groupes de musulmans soucieux de protéger les églises d’éventuels pillages, et d’autres sources donnent à penser que les musulmans s’eff orcent d’apaiser les craintes des minorités religieuses de la ville.

Mais on ne saurait reprocher aux chrétiens de ne pas vouloir tabler sur ces faibles lueurs d’espoir : les djihadistes ont un lourd passé contre eux. Si en 2003 on ne présageait guère la catastrophe qui allait s’abattre sur les chrétiens d’Irak, aujourd’hui il ne semble pas y avoir grand-chose à faire pour inverser la situation.

—Christian CarylPublié le 18 juin

L’exode des chrétiens de MossoulFuyant les djihadistes, les derniers membres de cette communauté se réfugient au Kurdistan.

↓ Dessin de Tiounine paru dans Kommersant, Moscou.

On trouve encore des chrétiens qui parlent l’araméen, la langue du Christ.

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MOYEN-ORIENT Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

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—Milliyet Istanbul

La “République kémaliste et laïque” [fondée par Mustafa Kemal en 1923] est pour les

islamistes turcs la mère de tous les traumatismes. Trois sujets leur permettent d’invoquer sys-tématiquement un statut de vic-time : l’interdiction du port du foulard islamique dans la fonction publique et dans l’enseignement supérieur ; les restrictions impo-sées aux diplômés des lycées imam hatip [lycées confessionnels, prisés par les milieux conservateurs] ; et, enfi n, le fait que [la basilique byzantine] Sainte-Sophie ait été transformée en musée.

Grâce à sa conquête du pouvoir, l’AKP [le parti islamiste au pou-voir] a réussi à résoudre à son avan-tage les deux premiers problèmes. Ne reste plus comme sujet exploi-table politiquement que la “grande cause visant à retransformer le musée Sainte-Sophie en mosquée”. Cette cause s’avère être un instrument politique très opportun pour mobi-liser l’opinion publique conserva-trice en Turquie. Sainte-Sophie est aussi une question alimentant les rivalités politiques au sein même de la mouvance islamique. On a d’ailleurs pu constater ces derniers temps que cette rivalité se mani-festait entre diverses tendances et personnalités islamiques.

Ainsi, il y a peu, l’Association de la jeunesse anatolienne, qui joue le rôle de “section jeunesse” du Parti du bonheur [Saadet par-tisi, petit parti islamiste], a orga-nisé un matin sur la place devant Sainte-Sophie une grande prière “afi n que Sainte-Sophie soit rou-verte au culte musulman”. Des mil-liers de personnes y ont participé. Par ailleurs, le député indépen-dant Hilmi Yildirim a déposé le 2 mai une proposition de loi à l’Assemblée nationale, deman-dant que Sainte-Sophie retrouve

son statut de mosquée. Ce député avait démissionné de l’AKP en décembre dernier et est connu pour sa proximité idéologique avec le réseau de Fethullah Gülen [confrérie islamique devenue l’en-nemie du parti au pouvoir]. Au sein de cette même tendance, Mustafa Armagan, éditorialiste du quoti-dien Zaman [très lié à la mouvance Gülen], s’est illustré par ses textes réclamant également le retour de Sainte-Sophie dans le giron du culte musulman. Une campagne allant dans ce sens a aussi été lancée sur Twitter. Sans oublier que le message le plus fort délivré ces derniers mois à ce sujet l’a été

par le vice-Premier ministre Bülent Arinç. En eff et, le 15 novembre der-nier, lors de l’ouverture du musée du Tapis, qui se trouve juste à côté de Sainte-Sophie, Arinç a déclaré : “Nous venons encore de rouvrir en tant que mosquées deux endroits qui portaient le nom de Sainte-Sophie. […] Une mosquée n’a d’autre voca-tion que d’être un lieu de culte. C’est ainsi que nous regardons aujourd’hui avec tristesse Sainte-Sophie et que nous prions en demandant à Dieu que soient proches les jours où nous retrouverons le sourire.”

Il est diffi cile d’interpréter ces propos autrement que comme le souhait que Sainte-Sophie rede-vienne une mosquée ouverte au culte. Les deux édifi ces auxquels Arinç faisait allusion sont deux autres églises byzantines conver-ties en mosquées par les Ottomans, transformées en musées après l’instauration de la République, et qui viennent de redevenir mos-quées. Il s’agit d’une part de Sainte-Sophie d’Iznik [Nicée], redevenue mosquée le 6 novembre 2013, et d’autre part de Sainte-Sophie de Trabzon [Trébizonde], qui a connu le même processus en juin 2013. Cinq jours après cette déclara-tion, on apprenait que la déci-sion avait également été prise de transformer en mosquée l’église Saint-Jean-Baptiste, à Istanbul, qui constitue la partie la plus impor-tante de ce qui reste du monastère de Stoudios, l’un des plus grands monastères de l’époque byzantine.

L’ouverture de Sainte-Sophie au culte musulman est le sujet d’un règlement de comptes historique.

Les islamistes qui détiennent désormais le pouvoir attendent que les conditions soient réunies pour prendre leur revanche contre une République qui, en son temps, avait mis un terme à la pratique du culte islamique dans cet endroit. Sainte-Sophie est particulière-ment importante du point de vue symbolique, eu égard au carac-tère politique et idéologique que les islamistes entendent donner à ce qu’ils considèrent comme une “nouvelle reconquête d’Istanbul”. En eff et, ils veulent signifi er que la ville d’Istanbul n’appartient qu’à eux et qu’ils sont les seuls à pou-voir décider de sa transformation.

Par contre, les fondateurs de la République avaient voulu, en transformant en musée une église – qui avait été un haut lieu du christianisme pendant mille ans avant de devenir une mosquée en 1453 –, faire de celle-ci le sym-bole de relations entre la Turquie moderne et le monde chrétien basées sur la paix et le respect mutuel. Ceux qui en 2005 ont lancé l’Alliance des civilisations [créée en 2005 et soutenue par les Nations unies, et le Premier ministre Erdogan en fut à l’époque un des ardents défenseurs] ne doivent sans doute pas ignorer que la transformation de Sainte-Sophie en mosquée servirait sur-tout les intérêts de la théorie du “choc des civilisations” chère à Huntington. La Turquie de l’AKP a-t-elle besoin qu’un tel scénario se réalise ?

—Kadri GürselPublié le 2 juin

TURQUIE

Le djihad des islamistes contre Sainte-SophieRetransformer en mosquée l’ancienne basilique d’Istanbul est devenu un objet de surenchère entre les diff érents mouvements islamistes turcs.

↙ Dessin de Cost paru dans Le Soir, Bruxelles.

Les islamistes veulent prendre leur revanche contre la République

SOURCEMILLIYETIstanbul, TurquieQuotidien, 160 000 ex.http://dunya.milliyet.com.trMilliyet a été fondé en 1950. En 1979, Abdi Ipekçi, rédacteur en chef de ce quotidien de tendance plutôt libérale, est assassiné par Mehmet Ali Agca, l’homme qui tirera ensuite sur le pape Jean-Paul II. Longtemps propriété du holding Dogan (propriétaire d’autres quotidiens à grand tirage tels que Hürriyet et Posta), Milliyet a été racheté en 2012 par le holding Demirören. Depuis lors, il se montre plus conciliant vis-à-vis de l’AKP, parti islamique au pouvoir, ce qui a provoqué le départ de plusieurs journalistes de la rédaction.

20.

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Belgique.Bienvenue à lamesse sans DieuCélébrer le dimanche sans être croyant, c’est ce queproposent les Sunday Assemblies. La premièreédition bruxelloise du genre vient d’avoir lieu.

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

Contexte

Sunday Assembly●●● Les assemblées du dimanche ont été inventées parSanderson Jones et Pippa Evans, deux comiques britanniques– et athées. En route pour la ville de Bath, ils se sont mis àrêver tout haut d’une église qui renforcerait le sentimentd’appartenance à une communauté tout en laissant de côté le“châtiment de Dieu”. Il s’agit donc en quelque sorte d’uneplaisanterie qui a mal tourné. Aujourd’hui, il se tient desassemblées chaque dimanche dans des dizaines de villesdifférentes et le mouvement fait tache d’huile un peu partoutdans le monde. Hannah Eeckhout, une étudiante de 24 ans,est l’une des co-organisatrices de la première assembléebruxelloise. “Le sentiment d’appartenance à une communautéme manquait. Quand j’ai découvert la Sunday Assembly surInternet, je me suis dit qu’on pouvait faire quelque chosecomme cela ici aussi. Et il s’est avéré que je n’étais pas laseule à le penser”, explique-t-elle. Le slogan du mouvement :“Vivez mieux, aidez-vous autant que possible, étonnez-vous”.A Bruxelles, c’est surtout l’aspect entraide qui est mis en avantpour l’instant. Et le fait de vivre un moment convivial tousensemble. Le mouvement ne se veut pas anti-Dieu mais anti-dogme. Tout le monde est le bienvenu, y compris les croyants.Pas de textes fondateurs ni de doctrines enseignées excathedra. “Si l’Eglise est trop exclusive, alors nous, nousvoulons être radicalement inclusifs”, conclut HannahEeckhout.

—De Morgen Bruxelles

La Sunday Assembly a étéannoncée comme une“célébration dominicale

sans Dieu pour vous aider àmieux vivre”. Comme à l’églisemais sans l’Eglise. Mais celuiqui s’attendait à une sorte decommunion ésotérique en auraété pour ses frais. Dès les pre-miers morceaux de musique(I’m so excited et Comme cicomme ça), c’est clair : la con-grégation bruxelloise tiendraplus du camp scout pour adul-

tes que de la réunion d’unesecte. Le public n’a même pasencore eu le temps de s’asseoirqu’il est déjà invité à chanter.La devise des assemblées dudimanche ne propose-t-ellepas de “fêter la vie” ? Faute dechorale gospel, on se conten-tera de faire un grand karaokeen s’aidant de textes projetéssur un écran.

Malgré une météo qui inciteplutôt à aller se prélasser enterrasse, une petite cinquan-taine de curieux a pris la peinede pousser la porte du Café

Monk, en plein coeur deBruxelles.

Le public est hétéroclite : unnon-croyant qui ne s’y re-trouve pas dans l’athéisme in-dividuel, un jeune couplehomo, un ex-paroissien nostal-gique du sentiment de commu-nion... C’est précisément cesentiment-là que l’assembléedu dimanche voudrait réveiller,mais sans idée de religion, debible ni de confession.

A l’étranger, il y a déjà uncertain temps que le mouve-ment connaît le succès : il

compte une dizaine d’assem-blées de par le monde. Lethème de la célébration bruxel-loise ressemble furieusement àce qui est proposé dans la plu-part des églises : “Aidez-vous lesuns les autres”. Mais il reçoit iciun autre contenu. Pas de textesdu Nouveau Testament maisbien un professeur de la VUBqui vient expliquer de manièrescientifique pourquoi les genss’entraident ou au contraire nele font pas. (“C’est dans notreADN”)

Egalement au menu : une mi-nute de méditation, suivied’autres chants et d’autresdanses. Puis le public se voitprésenter une série de dilem-mes d’ordre moral (“Sauveriez-vous d’abord de la noyade votrepropre fils ou le fils de votre voi-sin ?”) ou inviter, sous formede jeu, à participer à du travailbénévole. (“Levez-vous et faitesquelque chose”).

La Sunday Assembly, imagi-

née en 2013 par deux comiquesbritanniques, entend tournerle dos au prêchiprêcha et avanttout rester légère. En tournantdonc assez bien la chose à laplaisanterie. Mais lorsquevient le moment de lire despoèmes, on n’hésite pas nonplus à sortir les grands mots(“Soyons comme des arbres”).

L’enthousiasme n’en dimi-nue pas pour autant. Tout lemonde prend part à toutes lesactivités avec plaisir. La ré-compense vient alors sousforme de cake à la banane et dethé. “C’est bien de s’arrêter detemps en temps pour se demandercomment on vit”, confie aprèscoup Jo, qui travaille dans lestechnologies de l’information.“De se demander les erreurs quel’on fait. Mais il ne faut pas medemander de m’installer à unconfessionnal. C’est tout de mêmebeaucoup plus agréable commececi.”

En septembre, il y aura unenouvelle assemblée du diman-che en Belgique. Les initia-teurs, cinq jeunes Bruxellois,voient les choses en grand. “Lebut, c’est d’avoir une Sunday As-sembly dans chaque ville ou com-mune qui le souhaite. Chacun estle bienvenu. Le monde a besoin dedavantage de fraternité.”

—Kim Van de PerrePublié le 23 juin

L’assemblée dudimanche entendtourner le dos auprêchiprêcha etavant tout resterlégère.

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1235 du 3 au 9 juillet 201422.

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—La Libre BelgiqueBruxelles

Des sous-marins alle-mands de la guerre14-18 enfouis au large

de la Côte belge, un destroyerfrançais gisant au fond de lapéninsule de Gallipoli, en Tur-quie depuis 1916, le navire“Justicia”, coulé en 1918 dansles eaux irlandaises… Des cen-taines de bateaux de la Pre-mière Guerre mondiale gisentencore au fond des mers.

Pour l’Unesco, ces épavesconstituent “un patrimoineculturel subaquatique, témoinimportant de l’histoire”. LaConvention de protection del’Unesco, signée par 48 Etatsdont la Belgique, vise les “tra-ces d’existence humaine présen-tant un caractère historique, cul-turel ou archéologique immergédepuis 100 ans au moins”. Lesépaves de 14-18 sont donc dé-sormais concernées par laConvention, qui rend leur ex-ploitation illégale.

Conférence. Ce jeudi 26 juins’est ouverte à Bruges uneconférence internationale,afin de réfléchir à des moyenspour mieux protéger “cet ins-tantané d’histoire qui a fait l’ob-jet de peu de recherches jus-qu’ici”. Car les menaces sontnombreuses. En Belgique, aularge de la Côte, 350 épaves,dont 44 datant de la PremièreGuerre mondiale ont été iden-tifiées, pour l’instant. “Il y apar exemple une dizaine de sous-marins allemands, détaille Mar-nix Pieters, responsable du pa-trimoine maritime et subaqua-tique à l’Agence du patrimoineflamande. Notre zone de la merdu Nord est relativement bien do-tée car il y avait une base navaleallemande à Bruges, et une basede sous-marins proche du front,en mer. Ces sous-marins ont puêtre attaqués par d’autres ba-teaux ou être touchés par des mi-nes. Tout le monde posait des mi-

nes, partout ! Chenal, port… Il ya aussi des navires militaires al-lemands et anglais... La raison laplus importante pour laquelle ilfaut protéger ces bateaux ? C’estune information du passé. Est-cequ’on détruirait des archivesécrites ? Ici aussi, c’est une sourcematérielle.” La principale me-nace sur ce patrimoine estl’incompréhension de celui-ci.“Jusqu’il y a une dizaine d’an-nées, on n’avait pas tellementconscience de ce patrimoine.”

Mais il y a des menaces bienplus concrètes, comme la cor-rosion. “Il y a des méthodespour la contrer. Recouvrir deproduit l’épave, si on a affaire àdu fer ou de l’acier. Une possibi-lité est aussi d’ensevelir l’épavesous la couche de sédiments, çaconserve mieux. Mais tout finitpar se dégrader, même les bâti-ments à la surface…” Toutes lesépaves ne peuvent pas êtresorties de l’eau ou protégées.Il faut faire une évaluation etune sélection, admet MarnixPieters. L’Unesco privilégieplutôt le maintien in situ,dans l’eau, et encourage l’ac-cès au public. Point positif :après un certain moment,l’épave atteint un état stable,en fonction de la sédimenta-tion, indique Ulrike Guérin,de l’Unesco. “Il y en a qui ont2 000 ans !”

Chasse au trésor. Mais lesépaves peuvent aussi être en-dommagées par la pêche eneau profonde et ses filets. Il ya également le pillage. “Lesépaves des deux guerres mondia-les sont très visibles car pas en-core enfoncées dans les sédi-ments, donc facilement trouva-bles par les plongeurs et lescollectionneurs de militaria”,alerte Ulrike Guérin. Pour laguerre 14-18, ce sont les piècesmilitaires et… les hublots quisont prisés.Si les “vrais” tré-sors sont rares, les chasseursde trésors sont bienréels.“C’est un peu un rêve, c’est

comme à la surface : les chas-seurs de trésors vont détruire100 épaves pour en trouver un.Il y en a très peu. Et s’il y en aun, sa place est dans un musée.Le vrai trésor est culturel.”“Tous les bateaux ne transpor-taient pas des diamants ou del’or ! rappelle Marnix Pieters.Ça pouvait être du charbon, del’acier…”

Les épaves font aussi l’objetde trafic illicite et de déman-tèlement. Par exemple, le mé-tal intéresse l’industrie car ilest préservé de l’irradiationpar son séjour dans l’eau. “Çacoûte moins cher de récupérer lemétal des épaves”, note UlrikeGuérin. Ainsi, en 2011, les ves-tiges de croiseurs britanni-ques coulés en 1914 ont été dé-mantelés afin d’en extrairecuivre et bronze.

—Sophie DevillersPublié le 26 juin

PATRIMOINE

La Grande Guerre esttoujours au fond de la merSous-marins allemands et destroyers britanniques jonchent toujours lesfonds marins de nos eaux territoriales. Un patrimoine historique qui estaujourd’hui menacé.

Contexte44 épaves àla Côte belge●●● A ce jour, 44épaves de la PremièreGuerre mondiale ont étéidentifiées dans les eauxbelges de la mer duNord (23 allemands, 16britanniques, deuxnéerlandais et troisfrançais). Trente-neufd’entre eux sont desnavires militaires, 5 sontdes bateaux civils.Cependant, 98 épavesde la banque dedonnées belge ne sontpas encore identifiées etcertaines pourraientdater du premier conflitmondial. D’autrespeuvent toujours êtrecachées dans le sable…

Courrier international – n° 1235 du 3 au 9 juillet 2014 23

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II. D’UN CONTINENT L’AUTRE Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

— Den Kiev

Le 27 juin, Bruxelles a été le théâtre d’un événe-ment historique. Trois

pays – l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie – ont signé l’Accord d’association avec l’Union euro-péenne. Comme l’a dit le président du Conseil européen Herman Van Rompuy lors de son discours, au moment des toasts officiels, “c’est un grand jour pour l’Europe, et une nouvelle étape de la collaboration avec ces trois pays”.

“A Kiev, les gens ont donné leur vie pour que leur pays ait des rela-tions fortes avec l’Union européenne, et nous ne l’oublierons pas, a-t-il

poursuivi. Et il a assuré les trois pays signataires du soutien absolu de l’Union européenne, laquelle, a-t-il rappelé, défend leur intégrité territoriale. José Manuel Barroso, président de la Commission euro-péenne, a lui aussi pris la parole, voyant dans ce traité “la reconnais-sance des progrès accomplis par ces trois pays”. A l’en croire, c’est “le traité le plus ambitieux jamais signé [par l’UE] avec n’importe quel Etat”. Il a également mis l’accent sur le fait qu’il s’agissait du “début du voyage entrepris par l’Union euro-péenne avec ces trois pays”.

De son côté, le président de l’Ukraine Petro Porochenko a parlé d’un “grand jour historique,

pour l’indépendance et l’avenir du pays”. Il a également évoqué la possibilité que l’Ukraine, un jour, entre véritablement dans l’UE. “En signant ce traité, l’Ukraine, en tant que pays partageant les valeurs de l’Europe, à savoir l’état de droit et le respect des libertés, s’engage sur cette voie. Cet accord d’association est un instrument qui va lui permettre de se préparer à rejoindre un jour l’Union euro-péenne”, a-t-il ajouté.

Lilia Chevtsova, chercheuse au Centre Carnegie de Moscou, a eu ce commentaire sur sa page Facebook, à propos de l’événe-ment : “Le plus important est la signature de ce traité par la Géorgie,

Diplomatie. Un grand jour pour l’UkraineLe président Petro Porochenko a signé l’accord d’association et de libre-échange avec l’UE le 27 juin. Un choix qui, à court terme, pourrait entraîner des conséquences dommageables pour ce pays en crise.

la Moldavie et l’Ukraine. Ce traité confère à ces Etats le statut de pays ayant opté pour le ‘choix européen’ [par opposition à l’option eura-siatique proposée par le Kremlin]. L’Ukraine a déjà payé cher pour ce traité, et elle continue à payer, mais c’est maintenant que com-mence le plus important : il faut donner du contenu à ce choix. Pour que l’Ukraine puisse entamer ses réformes, l’Ouest doit encore faire un pas et donner des garanties pour son intégrité territoriale, ou au moins aider les Ukrainiens à la défendre. Sinon, cette association ne restera qu’un geste purement symbolique…”

Timothy Ash, analyste britan-nique de Standard Bank PLC, considère lui aussi cet accord comme un moment clé. D’après lui, bien que Porochenko ait déclaré que Kiev espérait un jour intégrer l’UE, c’est un projet à long terme, dont la réalisation éventuelle, quoi que peu pro-bable, ne saurait se produire avant dix ou quinze ans. D’autant plus que le nationalisme augmente dans les Etats membres, qui ne sont pas favorables à un nouvel élargissement. “Comme dans le cas de la Turquie, souligne-t-il, le processus d’euro-intégration en lui-même est en fait plus impor-tant que l’intégration elle-même, car il déclenche la mise en œuvre de réformes nécessaires, ce qui va permettre à l’Ukraine de s’adapter progressivement aux valeurs euro-péennes, ces valeurs que réclamaient les manifestants de Maïdan.”

Beaucoup, tant en Occident qu’en Ukraine ou ailleurs, esti-ment que c’est l’UE qui a placé Kiev devant un choix entre l’Est et l’Ouest, et qu’elle porte donc une part de responsabilité dans les évé-nements qui secouent aujourd’hui notre pays. “Je ne souscris pas à cette idée, selon moi quelque peu naïve, reprend Timothy Ash, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, l’Ukraine occupe une position de pont entre l’Ouest et l’Est. En vingt-trois ans d’indépendance, elle n’a pas su jouer ce rôle, l’Ukraine n’a pas été un ‘pont’, mais une zone sans état de droit où les intérêts oligarchiques de l’ombre ont pillé les richesses natio-nales appartenant à la population. Ce statu quo ne servait qu’à quelques individus. Ce qui a abouti aux évé-nements de Maïdan. Ce n’est pas l’UE qui a poussé l’Ukraine à faire ce choix. A la fin de l’an dernier, la population, ulcérée par ses diri-geants, a fini par répondre à l’appel de l’Europe. Par ailleurs, pendant

vingt-trois ans, l’Ukraine a existé en tant que pays indépendant, et elle a droit à l’autodétermination. Les son-dages montrent que les deux tiers de la population sont aujourd’hui en faveur d’une intégration euro-péenne plutôt qu’une orientation vers l’Est. Si tel est le choix de l’Ukraine, c’est son droit, et elle ne devrait pas faire l’objet de pressions de la part de Moscou, et encore moins, comme on le voit actuellement, d’une inter-vention directe par la frontière.”

Si les avantages à moyen et à long terme sont nombreux pour Kiev, l’association va également entraîner des désavantages à court terme. La Russie a déjà annoncé son intention d’imposer des mesures de rétorsion, de bloquer les impor-tations de marchandises ukrai-niennes. Sachant qu’un tiers des exportations ukrainiennes partent à destination de la Russie, les consé-quences économiques risquent dans un premier temps d’être dom-mageables pour le pays.

La Géorgie connaît une situa-tion comparable depuis la guerre avec la Russie en août 2008. Ce qui ne l’a pas empêchée de survivre ni de progresser. L’attitude russe a poussé le peuple géorgien à se mobiliser en faveur des réformes, qui se poursuivent même après le départ du président Mikheïl Saakachvili. Cela concerne en par-ticulier la lutte contre la corruption, omniprésente et à grande échelle.

Il est essentiel, selon Timothy Ash, que le Parlement ukrainien ratifie le traité avant la pause esti-vale. En revanche, la ratification par les Etats membres de l’Union pourrait, elle, prendre jusqu’à deux ans. Mais, conclut l’analyste bri-tannique, rien ne saurait plus empêcher cet accord d’associa-tion, même si la Russie tente de recourir à tous les moyens pos-sibles pour en freiner la ratifica-tion dans les divers Etats membres. Et malgré la recomposition du Parlement européen, désormais plus favorable à la Russie, il est probable que les partisans de l’ac-cord resteront majoritaires.

En signant cet accord, une chose est sûre, l’Ukraine a fait son choix, un choix européen.

—Mykola SiroukPublié le 27 juin

unioneuropéenne

Les deux tiers de la population sont en faveur d’une intégration européenne

↙ Bazar Merkel. Vous désirez ? Pétrole, eau, électricité, charbon. Du gaz ! Dessin de Mohr paru dans Frankfurter Allgemeine Zeitung, Francfort.

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UNION EUROPÉENNE.Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014 Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

HISTOIRE

L’archiduc François-Ferdinand père de l’UELa chute de l’Empire austro-hongrois a ouvert la voie à une ère sanglante de nationalisme. Et seule l’Union européenne peut empêcher l’histoire de se répéter.

—The Times Londres

Il y a un siècle, l’archiduc François-Ferdinand se comportait de manière presque suicidaire, ou du moins

fataliste. Le prétendant au trône de l’Au-triche-Hongrie s’inquiétait en effet déjà pour sa sécurité avant sa visite dans cette province éloignée de Bosnie. Et son intui-tion se révéla juste puisque, peu après son départ en voiture découverte pour l’hô-tel de ville de Sarajevo, la voiture impé-riale échappa de justesse à un attentat à la bombe. Lancée sur le convoi, la bombe rata sa cible mais blessa les occupants de la voiture suivante. Le convoi s’est ensuite malgré tout dirigé vers l’hôtel de ville, où la délégation royale a écouté les discours comme si de rien n’était. Tout homme nor-malement constitué et attaché à la vie, et à celle de son épouse, aurait annulé la visite officielle. Mais non, l’archiduc décida de continuer sa visite dans la même voiture sans protection, d’emprunter le même iti-néraire, et donc de rencontrer la mort en la personne de l’étudiant Gavrilo Princip, stupéfait de le trouver sur son chemin mais toujours aussi déterminé à le tuer.

Selon les psychologues, nous serions par-fois inconsciemment poussés à accomplir le scénario que nous redoutons le plus. Et ce afin de faire cesser la peur, quel qu’en soit le prix. Lors de la finale de la Coupe

du monde 2006, Zinédine Zidane jouait son dernier match. Alors que les deux équipes se trouvaient à égalité, il a trouvé le moyen de frapper de la tête un joueur italien sous les yeux de l’arbitre. Il a été expulsé et la France a perdu. C’était la pire chose qui pouvait lui arriver.

Dans le cas de François-Ferdinand, l’ar-chiduc obtient son expulsion permanente du terrain de jeu européen. Ce faisant, il enclenche les événements qui condui-ront à la Grande Guerre, à la destruction de son empire, puis à la plongée du conti-nent dans un nationalisme destructeur qui précipitera l’Europe dans le chaos jusqu’à la fin des années 1940.

On supposait à l’époque – une idée ensuite partagée par tous – que c’était l’Empire qui posait problème. Qu’il était voué à l’échec. Car, contrairement à l’Em-pire britannique, aux Empires de Russie, de France et d’Allemagne, où un seul groupe ethnique régnait sans partage, l’Autriche-Hongrie était une entité poli-tique polyglotte, une anomalie cosmopo-lite à une époque où le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes faisait son chemin dans les esprits.

Dans cet empire qui avait deux capi-tales (Vienne et Budapest) et qui allait de l’Ukraine à la Dalmatie, aucun groupe eth-nique ne dominait. D’après le recensement de 1910, il y avait 12 millions d’Allemands,

10 millions de Hongrois, 5 millions de Polonais, 3 millions de Roumains, 4 mil-lions de “petits Russes” [Ukrainiens], 2 mil-lions de Slovaques, 1,2 million de Slovènes et 1,2 million de Serbo-Croates. Et parmi eux quelques centaines de milliers de Juifs.

L’“idée autrichienne”, qui selon François- Ferdinand pouvait être poussée encore plus loin, consistait en un état multina-tional dont les différentes nationalités se partageaient la gestion. Et, comme chaque peuple était minoritaire, il n’y avait aucune raison pour qu’une nationalité prenne l’ascendant sur les autres. A Vienne, le gouvernement était même prêt à faire des concessions sur la langue de travail.

Mais à Budapest se trouvait, selon Eric Hobsbawm, “un gouvernement qui prati-quait une magyarisation impitoyable” et voulait supprimer les minorités dans la partie hongroise de l’Empire. La notion des Etats-Unis d’Autriche était constamment sapée par les revendications exclusives et antagonistes des minorités nationales.

Cette citation d’A.J.P. Taylor, le corres-pondant du Times à Vienne à l’époque, est restée célèbre : “L’Empire soutenait l’Eu-rope centrale comme un plâtre une jambe cassée.” C’est-à-dire que le caractère cos-mopolite de l’Empire masquait la nature des peuples et des pays qui le composaient. Or ce n’était “ni le moment ni l’endroit”.

Et donc, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Empire austro- hongrois était dissous et à la place d’une seule entité politique il y en aurait désor-mais sept. L’homme de génie de la confé-rence de Versailles, le président Woodrow Wilson, annonçait le principe de l’auto-détermination des peuples. Donner aux peuples le droit de disposer d’eux-mêmes devait permettre d’étouffer les rancœurs d’un nationalisme frustré.

C’était très beau en théorie, mais en pratique de nombreuses difficultés per-sistaient, la plus évidente étant que ces peuples différents ne vivaient pas dans des espaces régionaux aux frontières claire-ment délimitées. Ainsi, au lieu du modèle autrichien où aucun peuple ne prévalait sur les autres, le traité de Versailles et les suivants ont créé de nombreux Etats avec des problèmes de minorité insurmon-tables. Il y avait les Hongrois en Roumanie, les Allemands en Tchécoslovaquie et en Pologne, et toutes sortes de minorités dans la nouvelle Yougoslavie, ainsi que des Juifs partout. Et tous étaient inquiets pour leur statut dans ces nouveaux Etats-nations, agressifs et sans Constitution bien définie. L’Empire austro-hongrois n’était guère estimé des autres grandes

puissances. Son gouvernement manquait de légitimité aux yeux des peuples qui le composaient, et surtout des nationalistes. Mais son démantèlement fut un désastre pour l’Europe. Hormis une certaine sim-plification administrative, les Etats qui ont remplacé l’Empire n’ont pas réussi à offrir le même niveau de sécurité, de démocra-tie ou de justice à leurs citoyens que l’em-pire des Habsbourg.

En effet, les mêmes forces qui avaient poussé ces pays à “se libérer du joug” de l’oppresseur ont rendu les nouveaux pays insensibles ou indifférents aux oppres-sions qu’eux-mêmes pouvaient exercer. Alors que l’empire multinational exigeait une certaine tolérance des différences ainsi qu’une sublimation des haines ata-viques, la nouvelle configuration encou-rageait l’égotisme national. Il s’ensuivit alors ce que nous appelons aujourd’hui un “nettoyage ethnique”, qui s’est pour-suivi pendant trente ans après la fin de la Première Guerre mondiale et n’a été gelé qu’avec la mise en place du Rideau de fer.

En 1918, le premier chef du gouverne-ment du nouvel Etat autrichien, désormais minuscule, Karl Renner, rendait hommage à l’empire des Habsbourg, rappelant qu’il était “tout à fait compréhensible que les plus petits pays cherchent à abolir leurs inégalités naturelles, leur vulnérabilité et leur impuis-sance face aux pays plus puissants, en rejoi-gnant une association supranationale fondée sur le droit”.

En 1945, Karl Renner, social-démocrate, devint le premier président de l’Autriche postnazie. Ses remarques s’appliquaient également aux pays plus grands, mais il n’aura pas vu la création de l’Union européenne.

L’UE actuelle est la digne héritière de l’empire des Habsbourg. Elle rassemble dif-férents pays dans un même faisceau d’in-térêts communs. Elle aussi souffre de sa complexité et de sa bureaucratie, elle est la cible facile de toutes les moqueries, sa légitimité est fréquemment mise en doute, et surtout elle se heurte à l’hostilité des nationalistes. Et c’est pour toutes ces rai-sons qu’il ne faut pas abandonner l’UE.

Le moment ne pouvait être mieux choisi pour s’en souvenir.

—David AaronovitchPublié le 26 juin

“L’Empire soutenait l’Europe centrale comme un plâtre une jambe cassée”

↙ Dessin de Chappatte paru dans Le Temps, Suisse.

ARCHIVES courrierinternational.com

A lire également La Grande Guerre divise de nouveau. Un article sur le centenaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand paru dans Jutarnji List (CI n° 1234, du 26 juin 2014)

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Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

à la une

INDONÉSIE  : LÀ OÙ SL’ASIE DE DEMAIN

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Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

Quel avenir pour l’Indonésie ? Le plus grand pays islamique du monde sera-t-il un géant de l’Asie de demain ? Classé parmi les puissances économiques montantes, l’archipel offre deux visages qu’incarnent les candidats à la présidentielle du 9 juillet. D’un côté, le gouverneur de Jakarta, Joko Widodo, surnommé Jokowi, de l’autre, Prabowo Subianto. Le premier est un pur produit des années de démocratisation, depuis la chute du dictateur Suharto, et illustre une manière de faire de la politique plus proche des citoyens. Son style inspire une nouvelle génération de dirigeants (lire p. ), au-delà même des frontières de l’archipel (p. 27). Le second personnifie un pouvoir fort, autoritaire, la nostalgie du passé (p. A quelques jours du scrutin, ils sont au coude -à-coude dans les sondages. Comme si le pays n’avait pas confiance en ses atouts.

Lire aussi nos 10 pages spéciales consacrées à Sumatra (p. ).

—The Diplomat Tokyo

L e gouverneur de Jakarta, Joko Widodo, connu sous le nom de Jokowi, pourrait devenir le prochain président indonésien. Et, s’il conti-nue sur sa lancée, il pourrait même être le leader le plus crédible d’Asie du Sud-Est. Qu’il remporte ou qu’il perde la présiden-

tielle, Jokowi a déjà changé la face du monde poli-tique en Indonésie. Il a prouvé que la démocratie indonésienne, malgré tous ses défauts, permet-tait à un modeste vendeur de meubles de réus-sir en politique, et même de devenir un candidat sérieux à la présidentielle.

Jokowi a été maire de la ville de Solo [Surakarta], dans la province de Java-Centre, puis gouverneur de la capitale, Jakarta. Bien qu’il lui manque la for-tune et les liens – dans l’univers politique, dans l’armée ou grâce à une famille influente – tradi-tionnellement nécessaires à une carrière politique, il a remporté toutes les élections auxquelles il a participé depuis 2005 et il est aujourd’hui can-didat à la présidentielle.

Comment expliquer son succès ? Outre son ori-gine modeste, Jokowi a mené à Solo puis à Jakarta des réformes importantes et très populaires. Il a notamment instauré des cartes d’assurance-maladie et des bourses d’étude. Il a également relevé le salaire minimum. Du reste, il a acquis la réputation de ne pas être un leader conven-tionnel, en faisant des visites-surprises dans des bureaux gouvernementaux assurant des services sociaux vitaux pour leur demander d’améliorer leurs prestations.

Anticonformiste. Jokowi gagne en popula-rité à un moment où la population est de plus en plus mécontente de l’administration du pré-sident Susilo Bambang Yudhoyono. Depuis quelques années, le pays jouit d’une croissance économique robuste, mais qui n’a pas permis d’atténuer l’écrasante pauvreté dans laquelle vivent de nombreux citoyens. Et puis il y a la corruption de la classe politique, qui indigne les Indonésiens et laisse une bonne partie de la jeunesse profondément sceptique quant à ses leaders politiques. L’arrivée sur la scène poli-tique de Jokowi, avec son parcours anticon-formiste, a été perçue comme un changement rafraîchissant, à même de moderniser la poli-tique indonésienne.

Jokowi, l’icône qui s’exporteLongtemps donné favori, il incarne un renouveau dans la classe politique indonésienne. Un exemple qui pourrait se diffuser dans les pays voisins.

1998— Les étudiants réclament la démission du dictateur Suharto. Des dizaines d’entre eux sont kidnappés et torturés par les forces spéciales. On dénombre 1 200 morts à Jakarta.Le 21 mai, Suharto démissionne au terme de trente-deux années de dictature. Le vice-président Habibie assure l’intérim.Août 1999— Habibie organise un référendum au Timor-Oriental. Les habitants votent massivement pour l’indépendance. Une vague de répression est rapidement stoppée par l’intervention de l’ONU.Septembre 1999 — Premières élections démocratiques depuis 1955. Abdhurahmad  Wahid, un sage aveugle, est élu président. Il clame haut et fort que ses ancêtres étaient chinois, tabou des tabous en Indonésie, où la contribution des Chinois à l’histoire du pays a été occultée. Il demande même pardon aux familles des victimes des massacres anticommunistes de 1965-1966. L’armée perd son rôle politique.2002 à 2004— Megawati, la fille aînée de Sukarno, est élue à son tour présidente.2004 —Susilo Bambang Yudhoyono est élu. Il sera reconduit en 2009.Dans le processus de démocratisation, l’Indonésie a perdu le Timor-Oriental mais, contrairement à ce que prédisaient certains, le plus grand archipel du monde n’a pas éclaté.

S’INVENTE Chronologie

← La moitié des 247 millions d’Indonésiens sont âgés de moins de 30 ans. Le dynamisme démographique est une force qui pourrait se retourner contre le quatrième plus grand pays du monde : difficile de créer suffisamment d’emplois qualifiés… Photo Rocco Rorandelli/Terra Project/Picture Tank

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À LA UNE Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

la Chambre nationale des représentants. “Nous sommes au service des citoyens, nous ne sommes pas leurs souverains.”

M. Bima fait partie de cette nouvelle généra-tion d’hommes politiques qui depuis quelques années quittent la capitale pour embrasser des carrières dans l’administration locale, encou-ragés par le récent succès de Joko Widodo. Ce dernier s’est fait connaître en devenant le maire incroyablement populaire d’une petite ville, et fait désormais la course en tête dans les son-dages pour la présidentielle. Ces nouveaux poli-tiques appartiennent à des partis différents. Mais ils ont en commun leur conviction de la lassi-tude du peuple, seize ans après la fin du règne de Suharto, face à la lenteur des changements, au niveau de corruption et à ce qui est considéré comme un manque de fiabilité.

Certes, le pays a fait peau neuve pour oublier l’au-toritarisme passé, mais les analystes remarquent que la plupart des dirigeants actuels sont les pro-duits ou les vestiges de l’ère Suharto – jusqu’aux anciens généraux de l’armée.

Indépendance. Ces politiciens de nouvelle génération tentent donc de se distinguer en prônant une bonne gouvernance et une poli-tique de tolérance zéro envers la corruption. Autre caractéristique : ils vont à la rencontre du peuple pour discuter dans les rues ou lors de réunions publiques.

“On observe clairement cette tendance en ce moment”, explique Ramlan Surbakti, professeur de sciences politiques à l’université Airlangga

—The New York Times New York

De Bogor, Indonésie

Bima Arya Sugiarto incarne depuis longtemps une valeur sûre parmi les prétendants à l’entrée dans le club très exclusif de l’élite politique indonésienne. A 26 ans, il a par-ticipé à la création d’un parti politique au moment de la transition démocratique qui a

suivi l’effondrement du gouvernement militaire du président Suharto, en 1998. A l’approche de la quarantaine, M. Bima a dirigé l’une des plus grandes sociétés de conseil politique de Jakarta. Il conseille des responsables politiques nationaux deux fois plus vieux que lui.

Pourtant, au printemps dernier, M. Bima, alors âgé de 41 ans, a abandonné les tractations poli-tiques de la capitale indonésienne pour rentrer chez lui, à Bogor, charmante ville de montagne située dans l’ouest de l’île de Java et il a prêté serment comme nouveau maire.

Dans un pays connu pour la corruption de ses fonctionnaires et les proportions néfastes de ses gaspillages, il passe désormais son temps à essayer de combler les “fuites” qui absorbent près de 30 % du budget de Bogor. Il découvre que son prédé-cesseur disposait d’une indemnité d’habillement de 16 000 dollars, et se concentre sur des ques-tions comme la santé et l’éducation, négligées par beaucoup d’hommes politiques indonésiens.

“Je suis déterminé à changer l’image que l’on a du dirigeant”, déclare M. Bima, évoquant sa décision de faire campagne pour devenir maire plutôt que pour obtenir un siège confortable à

La révolution citoyenne des mini JokowiDe jeunes hommes politiques quittent Jakarta pour se faire élire dans de petites communautés. Cette nouvelle génération de dirigeants représente un espoir de changement face aux caciques de l’ère Suharto.

Jokowi a encore surpris cette année quand il a été choisi comme candidat à la présidentielle de juillet. Même si les résultats de son parti ont déçu lors des législatives [le 9 avril dernier], révélant peut-être les limites de l’“effet Jokowi”, il reste le favori de la campagne.

Une victoire de Jokowi donnerait un sacré coup de fouet à la démocratie indonésienne ; il pourrait restaurer la confiance dans le gouvernement et déclencher une vague de réformes dans le monde politique élitiste du pays. Mais l’importance de Jokowi ne se limite pas à l’Indonésie. Président, il pourrait devenir l’icône des citoyens ordinaires de toute l’Asie du Sud-Est, qui aspirent à être davantage représentés dans le paysage politique.

Jokowi n’est certes pas le premier homme poli-tique de la région à s’intéresser au peuple. Il existe d’autres figures d’opposition qui contestent les partis dominants de leurs pays respectifs. Mais, contrairement à ses pairs, Jokowi ne traîne pas de lourdes casseroles politiques. En outre, il n’est ni le descendant d’une puissante dynastie, comme Noynoy Aquino aux Philippines, ni un riche homme d’affaires, comme Thaksin Shinawatra en Thaïlande. Ces deux hommes se voudraient les icônes réformatrices des pauvres, mais Jokowi, lui, a la crédibilité que lui offre son parcours de citoyen ordinaire.

Son succès éventuel risque de faire des émules dans d’autres pays. Et Joko Widodo pourrait être la figure idéale pour redonner vie aux mouve-ments citoyens d’Asie du Sud-Est. Si c’est le cas, le phénomène Jokowi deviendrait peut-être la plus grande exportation de l’Indonésie chez ses voisins.

—Mong PalatinoPublié le 16 mai

RepèreUN ISLAM PORTEUR DE PAIX“Moi, Jokowi, j’appartiens à l’islam ‘rahmatan lil alamin’, l’islam porteur de paix et non de haine. L’islam qui vit en héritier de la République indonésienne et travaille à maintenir fermement sa Constitution de 1945. Bhinneka tunggal ika* est la miséricorde de Dieu”, a déclaré Jokowi le 25 mai 2014. Cette profession de foi répond aux accusations lancées sur les réseaux sociaux contre le candidat à la présidentielle. Ses adversaires l’accusent d’être un agent des Américains, des Chinois et de la Mafia, et qu’il n’est pas musulman mais chrétien. “Chacun a le droit de douter de ma religion, mais je n’ai jamais eu aucun doute sur l’islam, qui est ma religion”, a poursuivi Jokowi. Il a également déclaré qu’il n’appartenait pas aux groupuscules se revendiquant d’un islam ayant pour but de fonder une nation islamique. Ni ce ceux qui se réclament de l’islam mais se plaisent à répandre la terreur et la haine.

* La devise de la Constitution, “Diverse et une”.Elle reprend celle du royaume javanais shivaïste-bouddhiste de Majapahit.

APPEL À LA “RÉVOLUTION MENTALE”Dès son entrée en campagne, Jokowi a fait de la “révolution mentale” son mot d’ordre. Ce mouvement se veut inspiré du concept de triple souveraineté – politique, économique et socio-culturelle – formulé par Sukarno, le premier président de l’Indonésie (1945-1967). Selon Jokowi, si la “révolution physique”, à savoir l’indépendance, a bien eu lieu il y a soixante-neuf ans, les quatre siècles de colonisation ont laissé des traces. La plupart des Indonésiens font preuve d’un sentiment d’infériorité et de comportements irresponsables. La corruption endémique serait le produit d’esprits qui considèrent l’Etat comme une puissance coloniale, si bien qu’abuser des fonds publics et piller les richesses naturelles du pays n’est pas perçu comme une faute. Cette révolution mentale, que chaque citoyen est appelé à faire, précise le quotidien Kompas, doit être portée et encouragée par la refonte totale des modes de pensée et d’apprentissage, au niveau de l’éducation nationale et dans l’appareil d’Etat.

Slogan

→ Jokowi a perdu son avance dans les sondages ces dernières semaines. Photo EPA/Corbis

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Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014 INDONESIE.

Prabowo, le candidat au passé sulfureuxEx homme fort de l’armée, il a rattrapé son retard dans les sondages notamment grâce à une campagne agressive. Si les citoyens l’élisent, ils manifesteront ainsi leur nostalgie pour la fermeté.

—Sydney Morning Herald Sydney

P rabowo Subianto se tient sur la scène dans son costume safari beige. Il arpente le podium et crie devant une foule de cent mille personnes. “Les richesses de l’Indo-nésie disparaissent d’année en année, […] les richesses des Indonésiens sont volées, volées,

volées au peuple”, hurle cet homme qui pourrait devenir le prochain président indonésien. “Nous tous, les Indonésiens, sommes soumis à du travail forcé. Nous sommes les larbins d’autres pays.”

Ce discours incendiaire, prononcé à l’occasion du 1er Mai, est typique des interventions de Prabowo en tournée électorale : il se décrit comme un homme du peuple, un ami des pauvres, le fl éau des voleurs étrangers et du système économique néolibéral.

Mais cet homme, qui a lancé sa campagne présidentielle avec un hélicoptère, un cheval qui vaut 300 000 dollars et tout le cérémonial de la royauté, est issu de l’une des familles les plus riches du pays, qui a des intérêts dans le commerce international de pétrole et de gaz, de pulpe de papier et d’huile de palme.

Prabowo a passé la majeure partie de sa vie adulte sous le regard du public, d’abord comme l’un des hommes forts de l’armée, puis, ces douze dernières années, comme un candidat permanent à la présidence indonésienne. Pourtant, on ne sait toujours pas quelles sont exactement ses positions. Il exprime son attachement à la liberté d’expression, mais stipule dans son programme que l’Etat doit “gérer” les religions pour assurer leur “intégrité” et, pendant sa campagne, il a courtisé les islamistes radicaux.

Il dénonce la corruption, mais sa coalition inclut une bande de corrupteurs. Et ce négociant international, ce magnat des aff aires lance des slogans anticapitalistes, insinuant – pour ensuite démentir de tels propos – qu’il faudrait nationaliser les compagnies minières étrangères.

Mais ce en quoi Prabowo croit vraiment est secondaire par rapport à son discours, qui tient en un mot : tegas, qui signifie “fermeté” en indonésien. “Des années 1990 […] à aujourd’hui, sa doctrine politique se résume à une seule idée : l’Indonésie a besoin d’un leader fort”, observe John Roosa, de l’université de la Colombie-Britannique au Canada. Ce discours trouve un écho parmi de nombreux Indonésiens, mais inquiète profondément ceux qui se souviennent du passé répressif de l’Indonésie. Ed Aspinall,

de l’Université nationale australienne (ANU), craint que Prabowo ne représente “une sérieuse menace de retour à l’autoritarisme”.

Suharto avait nommé le père de Prabowo à la tête du ministère du Commerce, où il avait servi de mentor à la “mafi a de Berkeley”, comme on surnommait les économistes indonésiens formés aux Etats-Unis. Cette mafi a avait cherché à entrer dans les bonnes grâces des entreprises internationales que Prabowo dénonce aujourd’hui et vendu aux enchères les ressources naturelles de l’Indonésie. Prabowo lui-même a fait ce que de jeunes ambitieux faisaient sous le régime de Suharto : il a rejoint l’armée.

Indésirable aux Etats-Unis. Cet homme de noble extraction, éduqué à l’étranger, intelligent et énergique, est devenu l’un des offi ciers les plus brillants de l’armée. Dans les années 1970 et 1980, les jeunes offi ciers pleins d’ambition avaient une série de conflits séparatistes – Aceh et Papouasie occidentale entre autres – sur lesquels se faire les dents. Mais c’est au Timor oriental, où Prabowo a été en service à plusieurs reprises avec Kopassus, le groupe de forces spéciales de sinistre mémoire, qu’il “s’est fait sa réputation de commandant le plus impitoyable de l’armée”, selon l’universitaire américain [auteur de A Not-So-Distant Horror: Mass Violence in East Timor] Joseph Nevins. Le jeune offi cier était notamment connu pour sa

L’INCORRUPTIBLEPressenti un moment comme candidat à la vice-présidence aux côtés de Jokowi, Abraham Samad demeure à la tête de la commission pour l’éradication de la corruption (KPK) créée par le gouvernement en 2003. Depuis sa nomination en décembre 2011, cet avocat de 48 ans a fait preuve d’un courage hors pair. En plus de deux ans, note le quotidien Republika, il a réussi à faire condamner et mettre sous les verrous aussi bien l’une des femmes d’aff aires les plus puissantes d’Indonésie, Hartati Murdaya, proche du président Susilo Bambang Yudhoyono, que le chef de la police de la circulation, le chef du parti fondamentaliste musulman Justice et prospérité (PKS), le président de la Cour constitutionnelle, la redoutable gouverneure de la province de Banten, à Java, longtemps tenue pour intouchable en raison de ses relations avec les caïds de la mafi a locale, et jusqu’au ministre des Aff aires religieuses, chef du parti musulman conservateur PPP, accusé de corruption dans l’organisation du pèlerinage à La Mecque.

de Surabaya, dont le maire, Tri Rismaharini, fait partie de ce groupe de nouveaux dirigeants. “Cette nouvelle génération essaie de se faire élire à des postes de pouvoir, mais pas à Jakarta.”

Certains de ces jeunes leaders expérimentent un nouveau style de gouvernement. Une liberté possible loin des lieux où ils seraient soumis à la pression du respect de règles politiques davan-tage conçues pour accaparer le pouvoir que pour répondre aux besoins élémentaires.

“L’une des caractéristiques communes aux membres de ce groupe, c’est leur relative indépendance vis-à-vis de la direction nationale de leurs partis poli-tiques respectifs, même s’ils en sont membres”, analyse M. Ramlan.

D’après les experts, cette tendance s’accélé-rerait si M. Joko – porte-drapeau de ces politi-ciens d’un nouveau genre – était élu président, notamment dans la mesure où il battrait Prabowo Subianto, ancien général de l’armée et ex-gendre de M. Suharto.

Surnommé “Jokowi” par la population, l’an-cien maire de Surakarta a été propulsé sur le devant de la scène politique nationale en 2012 après avoir remporté l’élection au poste de gou-verneur de Jakarta alors qu’il n’était qu’un can-didat inattendu de l’opposition.

Depuis, il suit le schéma qu’il avait construit à Surakarta. Il se rend régulièrement dans les bidonvilles de Jakarta et sur les marchés pour parler avec les habitants des problèmes locaux comme l’éducation, la santé et les embouteillages de la ville.

Pour s’attaquer à la corruption politique, il a trouvé des solutions innovantes, en versant des prestations sociales émises sur l’équivalent de cartes cadeaux électroniques par exemple, ce qui permet aux gens de régler directement leurs dépenses de santé et de s’assurer que les fonction-naires ne prennent pas de commission au passage.

La presse indonésienne, habituellement cri-tique, semble complètement hypnotisée par son style “homme du peuple” et contribue à sa popu-larité. “L’idée d’un dirigeant irréprochable qui ne vient pas du sérail plaît à la presse”, explique Wimar Witoelar, commentateur politique et présenta-teur d’un talk-show. Il remarque tout de même que le vernis se craquelle pour les politiciens qui essaient de copier son style, un groupe que les médias appellent les “mini Jokowis”.

M. Ramlan, professeur de sciences politiques, affi rme qu’une victoire de M. Joko aux élections présidentielles de juillet enverrait un signal clair marquant le rejet des dirigeants du gouvernement Suharto par les électeurs indonésiens. “Mais je pense que cette tendance persistera quel que soit le vainqueur, ajoute-t-il. Je pense que les gens en ont assez des vieilles méthodes des dirigeants qui ne servent que leurs propres intérêts.”

De fait, les hommes d’infl uence indonésiens et leurs partisans politiques vont fi nir par se trouver face à un défi herculéen échappant à leur contrôle.

“La moitié de la population actuelle a moins de 29 ans”, remarque Fauzi Ichsan, grand écono-miste indonésien de la Standard Chartered Bank de Jakarta. “L’évolution démographique est donc favorable aux politiciens les plus jeunes.”

—Joe CochranePublié le 21 juin

Courage

→ L’ancien général Prabowo Subianto se décrit volontiers comme un homme du peuple. Photo Ed Wray/Getty Images/AFP

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32. À LA UNE Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

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JakartaJakartaJakartaJava Bali Petites îles de la Sonde

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O C É A N I N D I E N1 000 km AUSTRALIE

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* BR. Brunei, SI. Singapour, T-O Timor-Oriental

Eaux archipélagiques indonésiennesVoies de circulation archipélagiques Principale route maritime du commerce mondial

Superficie : 1 905 000 km2 (France : 550 000 km2)+ 6 159 032 km2 de zone économique exclusive (ZEE),la sixième du monde

Population : 247 millions d’habitants, inégalement répartisIndice de développement humain : 121e sur 186 EtatsPIB par habitant : 5 350 dollars (France : 37 675)

(en parité de pouvoir d’achat)

L’Indonésie est un Etat archipélagique selon le droit de la mer. A ce titre, Jakarta exerce sa souveraineté sur les eaux séparant les 13 466 îles dont est constitué le pays. Les navires étrangers qui voudraient les traverser doivent emprunter des “voies de circulation archipélagiques” imposées.

10 20

50

100 millions

Nombre d’habitantspar zone géographique :

spécialiste de l’Indonésie Elisabeth Pisani, ils n’hésitent pas à utiliser “l’industrie de la manifestation” pour faire entendre leurs voix. Difficile dans ces conditions pour un chef de district de faire appliquer une directive qui déplaît à ses administrés. Ce découpage rend également extrêmement compliqués les investissements en infrastructures, dont le pays a un besoin crucial. Même si Jakarta a développé un tel plan, il doit s’assurer le soutien des chefs de district devenus – et c’est le revers de la médaille – de petits potentats locaux.

Allah et GarudaAvec quelque 200 millions de musulmans, 750 000 mosquées et 221 000 pèlerins qui partent tous les ans pour La Mecque,

l’Indonésie est la plus grande nation islamique du monde. Mais sa Constitution de 1945 repose sur nombre de principes issus du long héritage hindou-bouddhiste qui a imprégné l’archipel au gré des migrations des marchands venus d’Asie du Sud. Le symbole de la République est le garuda, oiseau de la mythologie hindoue. Et, en citant la croyance en un dieu unique, les pères de l’indépendance n’ont pas utilisé le mot “Allah” afin de rassembler toutes les religions du pays. A partir de 1998, la chute du régime militaire profite à des groupes islamiques violents, comme

Les ratés de la décentralisation

En 1998, à la chute du dictateur Suharto, l’Indonésie était l’un des pays les plus centralisés au monde. Depuis, il est

l’un des plus décentralisés. Le séparatisme de certaines provinces comme Aceh ou la Papouasie étant perçu comme une menace de désintégration, le vice-président intérimaire Habibie dote alors de pouvoirs élargis non pas les provinces, mais les districts. “Bien que les districts représentent désormais le niveau administratif le plus important pour les Indonésiens, il demeure difficile de savoir combien il en existe”, indique Foreign Affairs. Les chiffres donnés par le ministre de l’Intérieur varient de 497 à 506, note le journal américain. Désormais l’Etat s’occupe de la défense, de la politique fiscale, des affaires étrangères, de la justice, des affaires religieuses et de la planification économique. L’éducation, la santé et de nombreux autres domaines sont réservés à l’administration des districts. “S’ils reçoivent les budgets de Jakarta, les districts sont libres de les utiliser comme bon leur semble”, constate Foreign Affairs. Cette décentralisation offre aux Indonésiens un pouvoir nouveau sur le district, l’échelon le plus proche d’eux, dont ils élisent le chef tous les cinq ans. Les citoyens ont d’ailleurs bien intégré le fonctionnement de la démocratie. Car, comme le dit la journaliste

Instantanés d’une jeune démocratieDepuis la chute de la dictature, en 1998, le pays se redessine. Pour le meilleur et pour le pire.

capacité à créer et à entraîner des milices locales et des escadrons de la mort.

Prabowo est accusé – à tort, selon lui – d’avoir utilisé des milices civiles pour fomenter, en 1998, des émeutes antichinoises dans lesquelles un millier de personnes ont perdu la vie et cent soixante-huit femmes ont été violées. Il nie également avoir été l’instigateur d’une tentative de coup d’Etat contre le successeur de Suharto, B. J. Habibie. Il reconnaît néanmoins que, au cours d’une manifestation d’étudiants, son unité a “détenu” neuf militants pour la démocratie (le terme plus courant d’“enlever” lui déplaît) et les a torturés.

En août 1998, après avoir été congédié par une commission militaire, Prabowo est allé vivre en Jordanie. Deux ans plus tard, il a été le premier ressortissant étranger à se voir refuser l’entrée aux Etats-Unis en vertu de la Convention de l’ONU sur la torture. Il est toujours sous le coup de cette interdiction, même si l’ambassadeur américain a fait savoir que, s’il était élu président, elle serait levée.

Aujourd’hui, sa détermination ne laisse aucun doute. Sa candidature ayant été rejetée en 2004 par le Golkar [parti de l’ancien dictateur Suharto], il a créé le sien, le Gerindra, et s’est présenté comme un populiste.

L’élection présidentielle du 9 juillet est sa meilleure et sa dernière chance. Son programme, teinté de xénophobie, repose sur un nationalisme économique orthodoxe. Il promet une économie protectionniste forte et mieux gérée, la fin de la corruption et la distribution des richesses aux pauvres et aux provinces reculées.

Le rythme de sa campagne est intense, ses messages bien ciblés et son financement colossal, grâce à son frère, à deux magnats des médias et à d’autres grands capitaines d’industrie indonésiens. Son opposant, Joko Widodo, qui s’exprime moins bien, a souvent été pris au dépourvu et a fait les frais d’une campagne bien organisée d’insultes raciales et religieuses.

Aujourd’hui, il semble que Prabowo puisse gagner. Les doutes concernant ses atteintes aux droits de l’homme et les preuves de son tempérament explosif n’ont fait, semble-t-il, qu’étayer son image d’homme fort. Mais son passé est une question à laquelle Prabowo reste très sensible. Ainsi a-t-il été visiblement irrité quand on l’a interrogé à ce sujet lors d’un débat présidentiel. “Croyez-vous que le peuple indonésien soit stupide ? a-t-il répondu. Je fais campagne […] depuis quinze ans. C’est ma troisième élection générale. Laissons le peuple indonésien […] examiner mon passé. Laissons-le décider.”

—Michael BachelardPublié le 20 juin.

UNE PRESSE FRILEUSELa presse écrite a joué un rôle central dans la popularité de Jokowi. Mais elle s’est montrée de plus en plus prudente à l’approche du scrutin, alors que l’écart se réduisait entre les deux candidats. A une semaine du vote, l’hebdomadaire Tempo ose tout de même donner un conseil ses lecteurs : “Bowo, Jowo, Hatta et Kalla : examinez, avant de choisir, qui est droit et qui est fourbe parmi les candidats à la présidence et à la vice-présidence.”

A la une

Une classe moyenne spectatrice des tensions sociales

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Courrier international

le Front de défense de l’islam (FPI) ou la Jamaah Islamiyah, tandis que le puritanisme wahhabite gagne du terrain et que la charia est instaurée dans la province d’Aceh.

Dire oui à la merLes Indonésiens nomment leur patrie Tanah Air, “terre eau”, car les mers dans lesquelles trempe leur immense

archipel constituent 75 % de leur territoire, soit 5,8 millions de kilomètres carrés. C’est le plus grand territoire maritime du monde. Si les anciens royaumes hindou-bouddhistes ont bâti leur puissance sur cet atout majeur, depuis l’indépendance, l’Indonésie a tourné le dos la mer. Ce n’est qu’en 2000 que le gouvernement s’est doté d’un ministère de la Mer et de la Pêche, puis a lancé des expéditions pour faire l’inventaire de ses milliers d’îles et en inscrire les noms et le nombre exact aux Nations unies : 13 466. Dans sa campagne électorale, Jokowi promet de refaire de l’Indonésie une puissance maritime. Le magazine Tempo énumère les principales mesures qu’il propose : doter l’archipel de grands ports et d’une armada de navires marchands pour acheminer à moindre coût les denrées de première nécessité dans les îles les plus éloignées, déployer des drones pour détecter les bateaux de pêche étrangers qui pillent les eaux nationales et construire une diplomatie forte de la position stratégique de l’Indonésie au carrefour de l’océan Indien et du Pacifi que.

Les oscillations de la classe moyenne

En 1998, au lendemain des manifestations qui ont fait tomber la dictature du général Suharto, la classe moyenne

a connu un véritable réveil. Elle s’est enthousiasmée pour la démocratie et de conservatrice est devenue libérale. Mais l’enquête réalisée par le quotidien Kompas en 2012 tire le signal d’alarme : cette classe moyenne qui s’étourdit dans la consommation et jouit des institutions démocratiques s’est sclérosée. Une étude de la Banque mondiale indique que 134 des 237 millions d’Indonésiens font partie de cette classe moyenne – contre 81 millions en 2003 –, avec un niveau d’études équivalent au baccalauréat et un revenu mensuel de 130 euros. Mais cette liberté d’expression et cette boulimie de consommation progressent curieusement à contre-courant des valeurs démocratiques. La classe moyenne se contente d’être spectatrice des tensions sociales et s’amuse souvent à les parodier via les réseaux sociaux, remarquait le journal dans son dossier. Elle aspire même à ce que l’Etat intervienne davantage pour contenir la “folie” de la démocratie, nostalgique du temps de l’ordre et de l’autoritarisme. Elle prône la tyrannie de la majorité pour marginaliser – voire pour étouff er – les minorités religieuses et ethniques.

TOUS LES MOYENS SONT BONSLa campagne virulente du camps Prabowo Subianto contre Jokowi se base sur les méthodes de deux consultants qui ont œuvré pour le Parti républicain aux Etats-Unis, détaille dans son édition du 2 juillet le quotidien Kompas. Le candidat Prabowo s’est payé les services du conseiller en communication Rob Allyn, qui avait aidé George W. Bush à se faire élire gouverneur du Texas en 1994. Sa stratégie est d’attaquer non pas les points faibles de l’adversaire, mais ses points forts. Ainsi, il s’acharne à remplir les “pages blanches” de la biographie de Jokowi, moins connu des Indonésiens que Prabowo… Pour faire passer ces messages, tout est bon. Dans certains villages, les enfants sont incités par des milices proches de Prabowo à chanter des textes anti-Jokowi.

Stratégie

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A lire : l’article de Kompas sur la stratégie de campagne de Prabowo.

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Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

ordonné aux fournisseurs d’énergie privés – Southern California Edison, San Diego Gas & Electric et Pacific Gas & Electric – d’augmenter leur capacité de stockage de l’électricité d’ici à 2020. Si l’intérêt pour ces solutions grandit, c’est aussi parce qu’elles sont avanta-geuses sur le plan économique. Le prix des panneaux solaires a en effet beau-coup baissé. En outre, la technologie a progressé : aujourd’hui, les microréseaux se déconnectent sans problème du réseau principal lors des pannes de courant pour utiliser uniquement l’électricité qu’ils ont eux-mêmes produite. Le reste du temps, l’électricité excédentaire peut être reven-due aux fournisseurs traditionnels.

Selon les spécialistes, les gros consomma-teurs d’énergie, comme les entreprises et les universités, peuvent économiser beaucoup d’argent en adoptant ce système. A Caltech [Institut de technologie de Californie], plus de 80 % de l’électricité consommée est pro-duite à partir de sources disponibles sur place, comme l’énergie solaire, la vapeur et le gaz naturel. L’université de San Diego économise 850 000 dollars [625 000 euros] par mois grâce à un système combinant dif-férentes sources, explique Byron Washom, responsable de la stratégie énergétique de l’université.

Le géant de la grande distribution Walmart a déjà une expérience dans l’éner-gie renouvelable : en Californie, 41 de ses magasins sont partiellement alimentés par des piles à combustible fonctionnant avec du gaz naturel ou du biogaz produit par des sites d’enfouissement de déchets. Selon David Ozment, directeur de l’énergie de la société, la chaîne envisage de tester d’ici deux ans des piles capables de prendre entièrement le relais quand le réseau élec-trique traditionnel tombe en panne.

De son côté, l’entreprise californienne Wholesale Solar a vu ses ventes de bat-teries tripler en trois ans, avec des com-mandes provenant de cabinets de médecins comme d’investisseurs à court terme. “Ces traders se disent qu’ils peuvent perdre ce que coûte une batterie avec une seule coupure du courant d’une heure”, explique Mark Coleman, patron de Wholesale.

Les propriétaires privés pourraient bien devenir le moteur de la croissance du sec-teur, en particulier dans les régions où les tarifs de l’électricité sont élevés, comme la Californie, Hawaii et le nord-est des Etats-Unis. Selon Brian Carey, chargé du conseil en technologies propres aux Etats-Unis chez PricewaterhouseCoopers, les familles dont les factures sont importantes peuvent ren-tabiliser une installation plus rapidement

Sciences . ........ 35Médias . .......... 3Signaux .......... 3

Microréseaux, maximarchéÉnergie. Pour moins dépendre des fournisseurs d’électricité traditionnels, entreprises et particuliers américains investissent dans des réseaux individuels.

trans-versales.

économie —Los Angeles Times (extraits) Los Angeles

Jusqu’en février dernier, les pannes d’électricité qui affectent réguliè-rement Oceanside [dans le comté

de San Diego, en Californie] empêchaient Cassina Tarsia de recharger son téléphone portable et son fauteuil roulant. Mais ce n’est plus un problème. Désormais, son garage abrite une batterie de la taille d’une valise, qui stocke à la fois l’électricité pro-duite par les panneaux photovoltaïques installés sur son toit et celle fournie par le réseau. Lorsqu’il y a une coupure de cou-rant, sa batterie peut alimenter tous ses appareils électriques pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. “J’ai pensé à ce qui se passerait après un gros tremble-ment de terre et à ce qui s’est passé au Japon après le tsunami, explique cette femme de 71 ans. Je voulais être prête.” L’installation lui a coûté 5 000 dollars [3 700 euros].

De plus en plus de propriétaires privés, d’organismes publics et d’entreprises se tournent vers les microréseaux pour faire baisser leur facture d’électricité et moins dépendre des fournisseurs d’énergie. Selon la société d’analyse Navigant Research, les dépenses pour ce type d’installation devraient exploser aux Etats-Unis, passant de 4,3 milliards de dollars [3,2 milliards d’euros] l’année dernière à 19,9 milliards [14,6 milliards d’euros] en 2020, à cause notamment des problèmes de fiabilité du réseau traditionnel. “Les tempêtes qui se sont abattues sur la côte Est ces trois der-nières années ont accéléré la tendance”, explique Peter Asmus, analyste en chef de Navigant Research.

Autonomie. Le géant du commerce en ligne eBay a investi dans cette technologie pour l’un de ses centres de traitement des don-nées. Le PDG d’Oracle [éditeur américain de logiciels], Larry Ellison, et le milliardaire britannique Richard Branson [fondateur du groupe Virgin] envisagent d’installer des microréseaux sur les îles dont ils sont pro-priétaires. Même la prison de Santa Rita, en Californie du Nord, en possède un.

Ces équipements permettent de générer, stocker et utiliser de l’électricité. Les ver-sions les plus évoluées fonctionnent comme de petites centrales qui puisent dans dif-férentes sources d’énergie et opèrent de façon autonome en cas d’urgence. A la dif-férence des groupes électrogènes diesel, utilisés depuis longtemps pour produire de l’électricité en cas d’urgence, les micro-réseaux modernes sont constitués de batte-ries couplées à diverses sources d’énergie, dont les panneaux photovoltaïques, les éoliennes et les piles à combustible.

La Californie est devenue un marché de choix pour les microréseaux grâce notamment à la campagne en faveur des énergies renouvelables menée tambour bat-tant par l’Etat. L’année dernière, les orga-nismes de réglementation californiens ont

↙ Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.

Les gros consommateurs d’énergie peuvent économiser beaucoup d’argent en adoptant ce système

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que les grosses institutions, qui doivent par-fois investir plusieurs millions de dollars.

Mais le coût élevé des batteries est encore un obstacle de taille : pour une maison, il peut aller de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers de dollars en fonction du nombre d’appareils qui doivent être ali-mentés et de la durée pendant laquelle ils doivent fonctionner.

Monopole menacé. De l’avis des experts, les îles où l’électricité est chère sont les pre-mières intéressées par les microréseaux. Beaucoup dépendent de livraisons oné-reuses de mazout pour produire de l’élec-tricité, et elles ont été plus promptes à tester des sources d’énergie renouvelable comme celle d’origine solaire. John Bates, vice-président chargé des alliances stra-tégiques chez NRG Solar, explique par exemple que sur l’île Necker (dans les îles Vierges britanniques), propriété de Richard Branson, l’électricité peut coûter jusqu’à 50 cents [37 centimes d’euros] le kilowat-theure. D’après l’Agence d’information sur l’énergie américaine, elle coûte 14 cents [10 centimes] en Californie et 35 cents [26 cen-times] à Hawaii. Cet été, NRG Energy ins-tallera sur l’île de Branson un microréseau qui couvrira au moins 75 % des besoins en électricité. “Ce système peut v raiment chan-ger l’économie d’une île et accroître son auto-nomie”, insiste John Bates.

A en croire les experts, l’association batte-ries-sources d’énergie renouvelable pourrait fi nir par menacer le monopole dont béné-fi cient depuis longtemps les fournisseurs d’énergie traditionnels. Mais le chemin vers une plus grande indépendance énergé-tique est semé d’embûches. Selon certains, les grands opérateurs essaient de bloquer l’avancée de technologies potentiellement rivales. SolarCity, une entreprise de San Mateo [Californie], a ainsi accusé les trois principaux fournisseurs d’énergie califor-niens de faire obstacle à son programme pilote de batteries pour les particuliers lancé en 2011. Selon son porte-parole, Will Craven, SolarCity n’a pu connecter au réseau que 19 des logements équipés de son sys-tème, alors qu’environ 500 clients ont déjà signé un contrat d’installation. Chaque fois, ajoute-t-il, les fournisseurs d’énergie exigent un tas de documents et facturent un prix de raccordement élevé à l’entreprise.

Cette aff aire a poussé la California Public Utilities Commission [organisme de contrôle des services publics de Californie] à interve-nir : elle a décidé le mois dernier de limiter les frais de raccordement pour les batteries couplées à des sources d’énergie agréées, comme les panneaux photovoltaïques.

Cassina Tarsia fait partie des quelques chanceux qui ont été raccordés rapidement. Mais cela a tout de même pris un an à partir du jour où elle a déposé sa demande. Et, même si elle a dû remplir une tonne de docu-ments, aujourd’hui elle a l’esprit tranquille.

—Shan LiPublié le 17 juin

La LiveWire a été conçue au centre de recherche et développement de l’entre-prise à Wauwatosa, dans le Wisconsin, puis assemblée à la main dans le sous-sol du même centre. Harley n’a pas voulu révéler l’autonomie, la puissance, la capacité d’ac-célération ni la vitesse maximale du proto-type [avant sa présentation]. “Pour l’instant, l’important est ce qu’on ressent en la condui-sant”, affi rme Mark-Hans Richer.

En fait, le caractère d’une moto élec-trique cadre bien avec les attentes de la clientèle de Harley, habituée à des moteurs qui atteignent leur vitesse de croisière à bas régime. “Un moteur électrique crée un couple faible, indique Mark-Hans Richer, ce qui surprend agréablement les gens.” Le rechargement de la batterie prend trois à cinq heures, selon Jeff Richlen, ingénieur en chef chargé du développement.

Le silence des motos électriques repré-sente un attrait pour de nombreux clients, mais sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, Harley-Davidson n’a pas fait comme tout le monde. “Quand on est sur la moto, le bruit ressemble à celui d’une turbine, précise Mark-Hans Richer. Et pour ceux qui l’en-tendent passer, on dirait un avion de chasse.”

—Dexter FordPublié le 19 juin.

—The New York Times (extraits) New York

Les véhicules électriques ne représen-tent qu’une petite partie du marché de la moto aux Etats-Unis, où envi-

ron 370 000 immatriculations sont enregis-trées chaque année. Mais Harley-Davidson, le fabricant de grosses cylindrées rugissantes, américain et fi er de l’être, a décidé de chan-ger la donne. L’entreprise de Milwaukee [dans le Wisconsin] vient de présenter le projet LiveWire Experience, une tournée test qui va permettre à quelques motards de rouler en Harley électrique. L’itinéraire part de New York et rejoindra Chicago, avant d’emprunter la Route 66 jusqu’à Santa Monica, avec des étapes chez des conces-sionnaires. Trente prototypes ont été fabri-qués pour l’occasion.

A première vue, Harley n’est pas le candi-dat favori pour conduire la transition vers une propulsion électrique et silencieuse. Le succès de cette société née il y a cent onze ans repose essentiellement sur une gamme de motos au style rétro, qui rappellent les modèles en circulation il y a un demi-siècle. Mais ces dernières années, avec la crise et le vieillissement inévitable des baby-boo-mers qui composent sa clientèle, Harley a compris que sa survie dépendait de l’élargis-sement de son marché. L’entreprise a ainsi récemment commercialisé deux motos de plus petite cylindrée et plus modernes, la Street 500 et la Street 750, conçues pour séduire des clients plus jeunes partout dans le monde.

Dans la course. Le projet LiveWire, qui marque l’étape suivante, pourrait bien faire passer Harley devant ses concur-rents dans la course au succès de la moto électrique. D’autres marques américaines, comme Zero et Brammo, ont lancé des machines originales et attrayantes, mais le prix élevé des batteries lithium-ion et le petit nombre de concessionnaires limitent leur diff usion.

Harley-Davidson affi rme ne pas avoir l’intention, pour l’instant, de produire et de commercialiser la LiveWire. Mais la marque a manifestement investi beaucoup d’argent pour que ses prototypes aient un style, des performances et des fi nitions dignes d’elle avant de laisser les motards les essayer (et faire part de leurs impressions sur Internet).

Le but était de créer une machine ayant la personnalité et le sex-appeal dont sont dénuées les motos électriques disponibles sur le marché. “Toute la question est de savoir si conduire une moto électrique peut susciter des émotions ou si c’est une expérience purement rationnelle”, explique Mark-Hans Richer, vice-président chargé du marketing. “Pour être une vraie Harley, la machine doit avoir du caractère. Elle doit être cool. Elle doit vous faire sentir qu’il y a quelque chose d’important en vous.” Une présentation statique de l’en-gin n’était donc pas suffi sante. “Nous ne vou-lions pas qu’il soit immobile sur une plateforme tournante, à côté d’une jolie hôtesse qui distri-bue des brochures”, ajoute-t-il.

La Harley-Davidson électrique fait du bruitMarketing. La marque américaine va faire tester son prototype électrique par des motards. Reste à savoir s’ils seront séduits par la sonorité, proche de celle d’un avion de chasse.

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TRANSVERSALES.Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

Vivons bien informés.

Je l’ai appris sur Un Monde d’Infodu lundi au vendredi à 16h15 et 21h45avec

—New Scientist Londres

L’utilisation d’un logiciel de débogage pour les pro-grammes Windows de

Microsoft permet de lever un coin du voile sur l’un des plus grands mystères de la science moderne : comment les cellules souches déci-dent-elles de se diff érencier en divers types de tissus ? Après avoir montré que le processus de décision au niveau cellulaire était loin d’être aussi complexe qu’on ne le pensait, les travaux des chercheurs donnent à penser que ce logiciel pourrait devenir un outil incontournable en médecine régénérative.

“C’est la preuve qu’il existe une convergence entre la vie basée sur le carbone et les systèmes fondés sur le silicium”, note Chris Mason, spé-cialiste en médecine régénérative à l’University College de Londres. “Les meilleurs spécialistes des cel-lules souches et l’une des premières sociétés informatiques du monde ont trouvé un champ d’exploration commun. C’est en travaillant à ce niveau que l’on obtient de grandes avancées.”

Les cellules souches sont la matière première à partir de laquelle sont constitués tous les tissus de notre corps. Cela signifi e qu’elles peuvent servir à réparer des tissus endomma-gés et même à produire de nou-veaux organes. Quant aux cellules souches embryonnaires, dites mul-tipotentes, elles sont particulière-ment prometteuses car elles ont la capacité de se répliquer indé-fi niment ou de se diff érencier en n’importe quel type de cellules.

Les chercheurs pensaient que les processus déterminant la répli-cation ou la diff érenciation des cellules souches reposaient sur un réseau complexe d’interactions environnementales et génétiques. Aujourd’hui, les cellules souches

embryonnaires sont étudiées pour le traitement de lésions de la colonne vertébrale ou la res-tauration de la vision, mais les techniques utilisées pour orien-ter leur diff érenciation sont empi-riques [elles fonctionnent, mais on ignore comment], recon-naît Chris Mason.

Nous avons besoin d’une méthode plus fi able et plus déterministe, explique Sa r a-Ja ne D u n n , spécialiste en bio-informatique chez Microsoft Research, à Cambridge. Son approche consiste à formuler le problème en termes informatiques : les paramètres génétiques et envi-ronnementaux qui déterminent le sort des cellules souches peuvent être considérés comme des don-nées et la cellule comme un pro-cesseur, explique-t-elle.

Du nucléaire au noyau. Des deux façons de quitter l’état de cel-lule souche multipotente, l’auto-réplication est la plus simple. Afi n d’en comprendre les mécanismes, Sara-Jane Dunn et ses confrères Graziano Martello, de l’univer-sité de Padoue, et Austin Smith, de l’université de Cambridge, ont tenté d’isoler les processus géné-tiques et environnementaux à l’œuvre dans des cellules souches embryonnaires de souris.

Pour ce faire, ils ont employé une technique mise au point dans les laboratoires d’Austin Smith, qui utilise diverses cultures de protéines inhibitrices afin de maintenir les cellules souches dans leur état de cellules mul-tipotentes. Les chercheurs ont immergé les cellules souches dans quatre cultures différentes et observé quels types de gènes s’exprimaient dans quel environ-nement et dans quelle mesure.

SCIENCES

Dans le programme des cellules souchesBio-informatique. Comment les cellules souches choisissent-elles de se diff érencier ? D’une façon plus simple que prévu, qui pourrait être prédite grâce à un logiciel courant.

Afi n de comprendre les méca-nismes permettant aux cellules de demeurer à l’état de cellules multipotentes, les chercheurs ont employé une solution mathéma-tique appelée “vérifi cation for-melle”. On s’en servait à l’origine pour détecter et supprimer des erreurs dans des logiciels employés dans l’aéronautique et pour veil-ler à la sécurité des centrales nucléaires, mais aujourd’hui cette technique est communément uti-lisée pour éliminer les bugs de logiciels commerciaux comme ceux de Windows.

La vérifi cation formelle permet d’examiner les algorithmes d’un logiciel afi n de s’assurer que leur résultat est toujours conforme à l’intention du programmeur. Elle

peut toutefois aussi fonctionner en sens inverse et partir du résul-tat pour déterminer l’algorithme qui en est à l’origine. Exactement ce qu’il fallait à l’équipe de Sara-Jane Dunn.

Les chercheurs ont récrit le programme de vérifi cation for-melle de Microsoft et l’ont uti-lisé sur des données chimiques et génétiques issues des diff érentes cultures de cellules souches. Et les résultats sont surprenants : le processus d’autoréplication ne semble pas reposer sur un réseau très complexe d’interactions envi-ronnementales et génétiques. Au contraire, il n’implique que seize interactions entre douze protéines, appelées “facteurs de transcrip-tion”, et trois stimuli environne-mentaux (reproduits en laboratoire

sous forme chimique). Cette relative simplicité permet

aux scientifi ques d’espé-rer mieux contrôler, à l’avenir, l’orientation des cellules souches.

Les chercheurs ont également découvert que ce logiciel, appelé Reasoning Engine for Interaction Networks

(RE:IN), leur per-mettait de prédire la

réponse des cellules à des modifi cations génétiques

avec un taux de précision de 70 %. Ils ont par exemple été en mesure de prédire le main-

tien de cellules à l’état de cellules multipotentes

après l’élimination d’un ou deux gènes.

La prochaine étape sera de déter-miner les processus biologiques à l’ori-gine de la diff éren-ciation des cellules. Austin Smith et Graziano Martello vont maintenant

s’employer à transformer des cellules souches embryonnaires de souris en neurones à l’aide des outils d’analyse formelle de Microsoft. Ils se pencheront éga-lement sur la reprogrammation des cellules permettant à une cel-lule adulte de revenir à l’état de cellule multipotente.

“C’est remarquable, je n’ai jamais rien vu de pareil”, déclare Chris Mason. Si cette méthode nous permet d’identifi er les mécanismes de diff érenciation des cellules, nous pourrons les reproduire en laboratoire avec plus de certitude, ajoute-t-il. Simon Tomlinson, de l’Institute for Stem Cell Research d’Edimbourg, confi rme qu’il s’agit d’une grande avancée. Selon lui, “cela augure d’un avenir où de nombreuses découvertes dans ce domaine seront issues de l’utilisa-tion de modèles prédictifs”.

L’épreuve cruciale consis-tera à réitérer ces résultats avec des cellules souches embryon-naires humaines, annonce Robert Lanza, de l’Advanced Cell Technology de Marlborough, dans le Massachusetts, qui participe aux travaux sur la restauration de la vision. “C’est avec le temps que l’on pourra déterminer l’uti-lité [de cette technique]”, conclut-il.

—Paul MarksPublié le 11 juin.

↓ Dessin de Lauzan, Chili.

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A lire également : “Le clonage dans la peau”. En avril dernier, des scientifi ques américains ont réussi à créer pour la première fois des cellules souches embryonnaires à partir de cellules humaines adultes. Un pas vers la réparation d’organes endommagés ou vers le traitement de la maladie d’Alzheimer. Une revue de presse parue le 23 avril.

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ÉDITO

TRANSVERSALES Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

MÉDIAS

“News of the World”: un procès sous influenceJustice. Au terme d’une procédure de plus de deux ans, la journaliste Rebekah Brooks a été blanchie. Pour le Daily Telegraph, cette affaire illustre la volonté d’une coterie de réglementer la liberté de la presse.

—The Daily Telegraph Londres

L’une des plus grandes enquêtes jamais menées par Scotland Yard, suivie d’un procès qui a coûté plu-

sieurs millions de livres, s’est conclue le 24 juin par l’acquittement de Rebekah Brooks, ancienne directrice générale de News International [groupe apparte-nant à Rupert Murdoch]. Des dizaines de journalistes ont été arrêtés, dont beau-coup sont libres sous caution, et l’ensemble du secteur a fait l’objet d’une enquête. Par ail-leurs, l’une des plus anciennes publications britanniques [News of the World, né en 1843] a dis-paru et nos dirigeants politiques ont conspiré avec un groupe de célébrités mécontentes pour imposer un nouveau système de régulation de la presse pour la première fois en plus de trois cents ans.

La classe dirigeante a réagi de façon gro-tesquement disproportionnée aux activités clairement répréhensibles, voire illégales [des écoutes téléphoniques], qui se sont déroulées dans des publications de News International. Voilà une conclusion évi-dente à tirer du verdict unanime remis par le jury qui a acquitté Rebekah Brooks de tous les chefs d’accusation portés contre elle. Selon Brian Cathcart, président du

groupe de pression Hacked Off [réunis-sant plusieurs personnalités ayant été écoutées par News of the World, comme l’acteur Hugh Grant ou la romancière J.K. Rowling], le procès, “loin de révéler un incident isolé impliquant quelques ‘pommes gâtées’, a prouvé que l’ensemble du verger [était] pourri”.

Il n’en est rien. Cette instruction, qua-lifiée de “procès du siècle”, dans le but pro-bable de mettre au jour des conspirations

tramées dans les plus hautes sphères du pays, n’a pas été à la hauteur des attentes. Il fau-drait demander au parquet bri-tannique pourquoi Rebekah Brooks, son époux Charlie et son assistante Cheryl Carter ont été poursuivis. Lorsqu’ils

ont appris qu’ils allaient être traduits en justice, Charlie Brooks a évoqué une “chasse aux sorcières” lancée contre son épouse et il est difficile de ne pas recon-naître qu’il avait en partie raison.

Les journalistes ne sont pas au-des-sus des lois. En revanche, les procé-dures doivent reposer sur des éléments de preuve solides et non être motivées par le climat politique ambiant. Etait-il réellement nécessaire de mobiliser des dizaines de policiers et de mener trois enquêtes distinctes pour justifier une affaire qui ne débouchera que sur quelques

condamnations ? Est-il juste que des jour-nalistes soient en liberté sous caution pen-dant des années en attendant de savoir s’ils seront jugés ? Personne n’osera pré-tendre que le scandale des écoutes est un épisode exemplaire de l’histoire de la presse, mais le secteur n’est toutefois pas impliqué dans un vaste complot criminel contre le public. Des pratiques illégales ont été découvertes, mais cela révèle seu-lement que la presse est soumise aux lois pénales et civiles. Les journaux sont tenus, par exemple, de respecter la loi relative à l’outrage au tribunal, un principe que [le Premier ministre] David Cameron et [le chef de l’opposition] Ed Milliband ont tous deux violé le 24 juin lorsqu’ils se sont exprimés avant même que le jury n’ait ter-miné ses délibérations. David Cameron s’est excusé d’avoir engagé Andy Coulson [l’ancien rédacteur en chef de News of the World, devenu directeur de la communi-cation du Premier ministre, a été déclaré coupable d’écoutes téléphoniques illégales en bande organisée]. Cameron persiste à dire que sa confiance a été trompée, mais selon ses détracteurs il a commis une grave erreur de jugement.

Une illusion. Si l’on admet que la loi a été enfreinte, les verdicts démontrent que l’en-quête présidée par le juge Brian Leveson et consacrée à l’éthique de la presse aurait dû avoir lieu après le procès, voire pas du tout. Cette enquête aurait dû définir les leçons à tirer à l’issue d’une procédure en bonne et due forme. Ils ont mis la char-rue avant les bœufs. Et pourquoi ? Parce que Hacked Off et ses sympathisants au sein du Parlement voulaient utiliser le procès contre Rebekah Brooks pour sou-tenir leur campagne visant à contrôler la presse. Même le juge Brian Leveson s’est dit favorable à un système autorégulé. Malgré tout, les manigances du person-nel politique pourraient permettre au Parlement de museler la presse pour la première fois depuis 1695.

Naturellement, la presse reconnaît que des réformes sont nécessaires pour obtenir la confiance de l’opinion publique. La plu-part des publications soutiennent la créa-tion de l’organisation indépendante sur les normes de la presse (Ipso, Independent Press Standards Organisation), qui aurait le pouvoir d’enquêter sur des plaintes et d’imposer des amendes, créant ainsi l’un des organes de régulation les plus stricts au sein du monde libre. “Personne ne cau-tionnera un journaliste reconnu coupable d’un crime”, explique Bob Satchwell, directeur exécutif de l’association professionnelle Society of Editors. “Toutefois, les pratiques de la presse dans son ensemble ont été mises en cause. Après une enquête et un procès pénal hors de prix, le jury a conclu que ce qui était censé être un vaste complot dans les hautes sphères de News International n’était qu’une illusion.” Fermez le ban.—

Publié le 25 juin

LA SOURCE DE LA SEMAINE

“The Daily Telegraph”

Le quotidien conservateur de référence au Royaume-Uni

A tlantiste et anti-européen sur le fond, pugnace et engagé sur la forme, The Daily Telegraph est

le grand journal conservateur de réfé-rence. Fondé en 1855, il est le dernier des quotidiens de qualité à ne pas avoir abandonné le grand format.

Son agenda est très prisé, en raison notamment du “Court Circular”, qui présente tous les jours les activités de la famille royale. Autres rendez-vous très attendus, le petit dessin de Matt, toujours élégant et drôle, ainsi que la chronique du lundi de Boris Johnson, le maire conservateur de Londres. Détenu jusqu’au début 2004 par le magnat de la presse Conrad Black, le titre est désor-mais propriété des frères milliardaires David et Frederick Barclay.

C’est le premier quotidien britan-nique à avoir ouvert un site, en 1994, lequel est, de l’avis général, l’un des plus complets du monde anglo-saxon. Très interactif, il propose l’ensemble du contenu du quotidien et, à la fin de chaque article, suggère des liens vers d’autres papiers.

Afin de répondre à la crise de la presse, qui n’épargne pas le Telegraph, la direc-tion a annoncé le 18 juin la suppression de 15 % des 550 emplois. Parallèlement, 40 postes sont créés dans les domaines du journalisme multimédia (outils interactifs, production de vidéos) et de l’investigation. De plus, une partie des contenus est récemment deve-nue payante.

Lire ci-contre et p.  des articles du Daily Telegraph

THE DAILY TELEGRAPHLondres, Royaume-UniQuotidien, 523 048 ex.www.telegraph.co.uk

↙ Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

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Lithium Béryllium Bore Carbone Azote Oxygène Fluor Néon

Sodium Magnésium Aluminium Silicium Phosphore Soufre Chlore Argon

Potassium Calcium Scandium Titane Vanadium Chrome Manganèse Fer Cobalt Nickel Cuivre Zinc Gallium Germanium Arsenic Sélénium Brome Krypton

Rubidium Strontium Yttrium Zirconium Niobium Molybdène Technétium Ruthénium Rhodium Palladium Argent Cadmium Indium Etain Antimoine Tellure Iode Xénon

Césium Baryum Lanthane Hafnium Tantale Tungstène Rhénium Osmium Iridium Platine Or Mercure Thallium Plomb Bismuth Polonium Astate Radon

Francium Radium Actinium Rutherfordium Dubnium Seaborgium Bohrium Hassium Meitnérium Darmstadtium Roentgenium Copernicium Ununtrium Flerovium Ununpentium Livermorium Ununseptium Ununoctium

Cérium Praséodyme Néodyme Prométhéum Samarium Europium Gadolinium Terbium Dysprosium Holmium Erbium Thulium Ytterbium Lutécium

Thorium Protactinium Uranium Neptunium Plutonium Américium Curium Berkélium Californium Einsteinium Fermium Mendélévium Nobélium Lawrencium

Hydrogène

Autriche — 2

Danemark — 2

Finlande — 1

France — 17

Allemagne — 19

Italie — 1

Roumanie — 1

Russie — 6

Espagne — 2

Suède — 19

Suisse — 2

Royaume-Uni — 23

Etats-Unis — 17

Connudepuis l’Antiquité

En grisé (113, 115, 117 et 118), les éléments en attente du “certificat de naissance” officiel délivré par l’Union internationale de chimie pure et appliquée (UICPA), après que deux expériences indépendantes ont démontré l’existence de l’élément. Un élément chimique désigne l’ensemble des atomes qui possèdent le même nombre de protons dans leur noyau. L’hydrogène en a 1, l’oxygène en a 8.

Données recueillies par Jamie Gallagher @jamiebgall ; Conçu par Jo Levy @josefeen

signaux Chaque semaine, une page

visuelle pour présenter l’information autrement

La bataille des élémentsCinq pays s’octroient la paternité de la quasi-totalité des éléments chimiques. Et peu importe que les “découvreurs” viennent d’ailleurs.

DR

JAMIE GALLAGHER. Ce scientifi que écossais de l’université de Glasgow est avant tout un vulgarisateur. Via des articles, des conférences, des one-man-shows ou, comme ici, des infographies. Celle-ci a été conçue avec le graphiste Jo Levy. Derrière chaque

élément se cache un récit : le plus polémique concerne le radium et le polonium, dont la découverte a été attribuée à la France, où Marie Sklodowska-Curie a eff ectué et publié ses recherches, mais à l’époque elle avait toujours la nationalité polonaise. L’auteur

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SUMATRA(Indonésie)

OcéanIndien

OcéanPacifique

Equateur

INDE

CHINE

AUSTRALIE

360

SUMATRLe nouveau Far East

Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

A Tripa, boue, fumées et crocodiles .............A Kuala Namu, des avions au milieu des palmiers .....L’enfant qui rêvait d’être anthropologue ............Belitung, l’île aux mille et un cafés .......La houle bleue de Mentawai ..............Barus ou la gloire perdue des camphriers ............

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RA

360°.Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014 39

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SUM

ATRA

360° Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

—The Observer (extraits) Londres

L’aube se lève à peine sur la forêt marécageuse de Tripa, à Sumatra. Mais les premières lueurs du jour suffi sent pour constater que quelque chose ne va pas. Pas de feuillages luxuriants à l’horizon, rien que des

squelettes d’arbres. De la fumée balaie cette scène de désolation. Tripa fait partie du Parc national de Gunung Leuser, une des forêts pluviales les plus importantes de la planète d’un point de vue écologique. En 1990, il y avait 60 000 hectares de forêts maréca-geuses à Tripa ; aujourd’hui, il n’en reste que 10 000. La forêt a été arrachée pour faire place aux plantations de palmiers à huile qui fournissent certaines des plus grandes multinationales. En quinze ans, la population d’orangs-outans est passée de deux milliers d’individus à tout juste 200.

Sous la pression internationale, l’Indonésie a interdit en 2011 l’abattage de nouvelles forêts, mais la bataille sur les concessions existantes se poursuit devant les tribunaux. Et ici, à l’orée de l’une des parcelles de forêt encore sur pied, il est évident que la déforestation continue. De profondes tranchées éventrent le sol de tourbe, vidant le marais de son eau et détruisant les arbres, qui sont ensuite brûlés et dégagés au bulldozer. L’odeur de bois calciné est partout.

Voilà le paysage au milieu duquel des militants écologistes se battent. Ils s’eff orcent de suivre ce qui se passe sur le terrain pour s’attaquer aux plantations et sauver les singes. Mais se rendre sur ces plantations est dangereux et souvent diffi cile. Là où les terres n’ont pas été asséchées, les marécages abritent des crocodiles. Là où des canaux ont été creusés pour évacuer l’eau, la tourbe sèche est épaisse et friable, et

on risque à tout moment de s’y enfoncer jusqu’au genou. Marcher hors des routes, même sur de courtes distances, est épuisant. Il faut disposer des troncs d’arbre pour traverser les canaux. Et les plantations n’aiment guère les visiteurs. The Observer a dû jouer à cache-cache avec les gardiens pour arriver jusqu’ici.

Pour parer à ces diffi cultés, les militants écologistes se sont tournés vers une technologie controversée du fait de son usage militaire, mais qui pourrait s’avérer salutaire pour la forêt et les orangs-outans : les drones. Graham Usher, du Programme de conservation de l’orang-outan de Sumatra, nous montre un grand coff re de transport dont il sort un avion Raptor en polystyrène, équipé d’ailes de 2 mètres d’envergure et de caméras orientées vers le sol. Ce drone, qui a coûté 2 000 livres [2 500 euros], peut voler pendant plus d’une demi-heure sur 30 à 40 kilomètres, en étant contrôlé par ordinateur, et fi lmer l’étendue des destructions. “Le principal objectif est de recueillir des données en temps réel

A Tripa, boue, fumées et crocodilesLa ruée mondiale sur l’huile de palme, notamment, bouleverse les paysages et l’écosystème de Sumatra. Au point que les écologistes utilisent des drones pour surveiller les forêts.

Sixième plus grande île du monde, Sumatra porte un nom chargé d’histoire et d’aventure. Aux Occidentaux il évoque la jungle, des royaumes disparus et des comptoirs coloniaux baignant dans la torpeur tropicale. Cette île n’est pourtant plus qu’un rêve : Sumatra change à grande vitesse, emportée par la vague de développement économique qui balaie l’Indonésie. Ses richesses inexploitées en font un nouveau Far East, une terre des opportunités. Au carrefour maritime de l’Inde et de la Chine, Sumatra est l’objet de toutes les convoitises.

80%C’est la part de Sumatra dans la production indonésienne d’huile de palme. En 2006, l’Indonésie est devenue le premier producteur mondial de cette huile utilisée dans les industries agroalimentaire et cosmétique. En 2012, 28 millions de tonnes d’huile de palme ont été produites dans le pays. Le secteur représente environ 3,7 millions d’emplois en Indonésie.

PROFIL EXPRESSSumatra est l’une des 13 466 îles d’Indonésie.Superfi cie : 473 600 kilomètres carrés. Sixième île du monde pour sa superfi cie, elle est divisée en 10 provinces.Population : 50,6 millions d’habitants.PIB : 129 milliards d’euros, soit environ 20 % du PIB total de l’Indonésie.Religion dominante : l’islam.

L’ÎLE AUX MERVEILLESAvec un sous-sol riche en pétrole, gaz, charbon et minerais tels que l’étain, la bauxite et même l’argent et l’or, Sumatra ne manque pas de ressources naturelles. Ses terres volcaniques et son climat tropical permettent de cultiver café, cacao, canne à sucre, poivre et tabac. En outre, l’essentiel des 3 millions de tonnes de caoutchouc produites en Indonésie provient des plantations d’hévéas de l’île.

Pages précédentes : A Banda Aceh, l’embarcadère pour les îles situées au nord de Sumatra. Photo Chris Stowers/Panos-Réa

↘ Les orangs-outans, tout comme les tigres et les rhinocéros de Sumatra, sont victimes de la déforestation.Photo Robert Nickelberg/Getty Images

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sur la déforestation et de repérer les destructions par le feu”, explique Graham Usher.

Ces vidéos aident l’équipe à localiser les terres qui sont brûlées et à identifi er les plantations qui semblent enfreindre la loi. Les zones de la forêt où l’épaisseur de tourbe excède 3 mètres sont protégées – la tourbe est un piège à carbone –, mais dans la réalité bien des planta-tions ne prennent pas la peine de mesurer la couche de tourbe. “Elles ont la législation contre elles, mais le com-merce et les capitaux corrompent la justice de ce pays. Il n’y a pas de loi qui vaille ni de police pour la faire respecter.”

Les multinationales, promptes à utiliser de l’huile de palme dont elles ne vérifi ent pas la provenance, n’aident guère les orangs-outans. Mais, d’après Simon Counsell, directeur exécutif de Rainforest Foundation [ONG bri-tannique] , même les entreprises qui signent une charte de certifi cation éthique comme celle de la Table ronde sur l’huile de palme durable ne peuvent être certaines que l’huile qu’elles reçoivent a été produite éthiquement [en protégeant l’environnement et en respectant les droits des peuples des forêts] : les usines de traitement combinent des huiles provenant de diff érentes planta-tions. “Les petites entreprises vendent à des entreprises plus importantes et tout est mélangé. Personne ne peut être sûr de recevoir ce qu’il a acheté.”

Quand on sort de Tripa, on dirait que toute la région a été livrée aux planteurs de palmiers à huile. Les palmiers

HistoireUNE ÎLE À DEUX FACETTESPoivre, camphre, résine de benjoin : dès le début de notre ère, Sumatra est connue en Asie pour la qualité de ses exportations. La richesse de ses gisements d’or lui vaut d’être surnommée par les Indiens Suvarnabhumi ou Suvarnadvipa – “l’île d’or”. Sa réputation s’étend jusqu’au Moyen-Orient puis, au fi l des siècles, jusqu’en Europe. A partir du xviie siècle, les colons néerlandais succèdent aux Portugais. Les plantations d’hévéas, de poivriers, de girofl iers, de caféiers, de tabac ou encore de palmiers à huile se multiplient. “Dans les années 1930, l’île est également le plus gros producteur de pétrole des Indes néerlandaises”, précise Kompas. Soixante-cinq ans après l’indépendance, ces richesses font-elles de Sumatra “un eldorado capable d’apporter la prospérité à toutes les populations qui l’habitent” ? s’interroge toutefois le quotidien indonésien. Il craint que l’essor économique actuel ne continue de creuser l’écart entre l’ouest et l’est de l’île.La côte est profi te en eff et de sa position stratégique en bordure du détroit de Malacca, passage maritime le plus fréquenté au monde après le canal de Suez. “Un département comme celui de Bengkalis, dans la province de Riau, riche en pétrole et en huile de palme, affi che une croissance économique de 9,38 % depuis 2011. La situation est tout aussi fl orissante dans les villes de Pekanbaru, Palembang, Medan ou Deli Serdang”, relate Kompas. A l’ouest, en bordure du “très impétueux océan Indien”, la situation est très diff érente, assure le quotidien. “De passage à la fi n du xiiie siècle, Marco Polo avait déjà pressenti que les conditions géoclimatiques de la région étaient peu favorables. Des fl euves non navigables, des ports sans cesse battus par la mousson du nord-ouest et des habitants réputés sauvages et cannibales forcèrent l’explorateur vénitien à construire une rade pour abriter son navire à Samudra [l’actuel Lhokseumawe, dans le nord de Sumatra] plutôt que d’accoster à Barus, sur le littoral ouest.” Ce n’est donc pas un hasard si, à la fi n du xixe siècle, les Hollandais décident de concentrer leurs activités sur le littoral oriental. “La situation économique des régions de l’Ouest s’est ensuite de plus en plus dégradée. Et le retard n’est pas encore comblé.”

L’ÉCOLOGIE VICTIME DE LA PAIXEn 2005, un accord de paix a été conclu entre le gouvernement indonésien et le Mouvement pour un Aceh libre (GAM). La fi n de trente années de violences séparatistes a accéléré la déforestation et l’exploitation des ressources dans le nord de l’île. “Au nom de l’indépendance économique et de leur nouveau pouvoir politique, les anciens rebelles qui ont pris les rênes de la province d’Aceh [désormais dotée d’une large autonomie] ont donné leur feu vert à l’exploitation forestière et minière ainsi qu’au développement des plantations de palmiers à huile”, écrit The Sydney Morning Herald.

← Construction d’une route dans la province de Sumatra du Sud, en 2010. Photo Ulet Ifansasti/Getty Images/AFP

RUDI PUTRA, LE “GUERRIER VERT”“Ce prix signifi e beaucoup pour moi.

Il nous encourage, mes amis et moi, à continuer notre combat pour protéger le Parc national de Gunung Leuser”,

déclare Rudi Putra au Jakarta Post. Natif de la région d’Aceh, ce biologiste

de 37 ans s’est vu décerner en avril le prestigieux prix Goldman pour l’environnement. Une récompense pour ses eff orts visant à convaincre les producteurs d’huile de palme de rendre les terres prises illégalement sur le parc national afi n qu’elles puissent être reboisées.

s’alignent en rangs bien nets ; certains ont été plan-tés récemment, d’autres, plus anciens, mesurent de 6 à 8 mètres de haut. Ici et là, on tombe sur une pelleteuse qui ouvre une nouvelle route dans le peu de forêt qui reste, première étape du processus qui s’achèvera par la destruction par le feu des arbres et la plantation de palmiers à huile. Dans un fl ux incessant, des camions chargés de fruits de palmiers se dirigent vers l’usine de traitement, à proximité de la ville de Meulaboh. De là, des camions-citernes transportent l’huile vers le port de Medan.

Les conséquences pour les orangs-outans de Tripa sont désastreuses. Coupés des populations de singes du reste de l’île, [isolés sur des parcelles de forêt de plus en plus réduites], ils se trouvent dans une situation à peine viable. Certains succombent aux feux de forêt, d’autres meurent de faim parce que leurs sources de nourriture ont été détruites. Mais le pire est peut-être à venir : de l’or a été découvert dans les forêts d’Aceh et son exploitation a démarré.

—Gethin ChamberlainPublié le 15 décembre 2013

BROUILLARD DIPLOMATIQUESingapour regarde d’un mauvais œil Sumatra, son voisin. En particulier pendant la saison sèche, lorsque les fermiers indonésiens et le personnel des palmeraies pratiquent l’écobuage. Emportées par le vent, les fumées dégagées s’en vont obscurcir l’air déjà pollué de la mégalopole, créant un smog persistant. The Straits Times, quotidien anglophone de Singapour, révèle que cela provoque “une escalade de tensions”, Singapour demandant avec insistance à Jakarta qu’il intensifi e ses eff orts pour éteindre les feux”.

Retrouvez sur Télématin la chronique de Marie Mamgioglou sur l’huile de palme dans l’émission de William Leymergie, mardi 8 juillet à 7 h 38

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360° Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

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500 km

Equateur

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Kuala Lumpur

Singapour

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Détroit de Malacca

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Archipel de Riau

Iles BangkaBelitung

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OCÉANINDIEN

Medan

Lhokseumawe

Barus

BandaAceh

Aéroport deKuala Namu(en service

depuis 2013)

Centrale géothermique de Sarulla(début duchantier en 2015)

Port international d’Ujung Jabung(en construction)

Padang

Pekanbaru

Bengkulu Palembang

Jambi

Bandar Lampung

MALAISIE

JAVA

KALIMANTA

N

ACEH

SUMATRADU NORD RIAU

JAMBI

BENGKULU

LAMPUNG

SUMATRADU SUD

SUMATRA-OCCID.

Détroit de la Sonde

Routes Trans-Sumatra(début des travaux : sept. 2014)

Villes de plus de 300 000 habitants

300 0001 000 0002 000 000

Pont du détroit de la Sonde(en projet)

Chemin de fer Trans-Sumatra(en construction jusqu’en 2030)

Des projets de développement ambitieux

—Kompas (extraits) Jakarta

A travers la brume de cha-leur matinale, un train fi le en direction de l’aéroport

international de Kuala Namu. Son siffl ement surprend les voyageurs qui font la queue devant les portes d’embarquement du terminal. Il faut dire que Kuala Namu est le premier aéroport d’Indonésie à être relié par le rail à la ville la plus proche, à savoir Medan [la plus grande ville de Sumatra et la troi-sième ville d’Indonésie], à 39 kilo-mètres de là. Vu du ciel, l’aéroport de Kuala Namu ressemble à une ville encerclée par des plantations de palmiers à huile. En eff et, il a été construit sur les terres d’une vaste plantation de la compagnie Perkebunan Nusantara II et la route qui le dessert n’était autre-fois qu’une piste étroite en terre battue. La nuit, elle était déserte. Pire encore, pendant la saison des pluies, “la piste se transformait en fl euve de boue, si bien que les gens du coin renonçaient à sortir de chez eux”, se souvient Yopi Mulya Atmaja, un villageois. Et les deux pistes qui menaient à la plantation de pal-miers à huile étaient le royaume des chapardeurs, des voleurs et même des bandits de grand chemin. “On racontait que c’était là que les djinns jetaient les enfants qu’ils avaient kid-nappés”, ajoute Yopi.

Des murs de verre. Aujourd’hui, la piste sombre et boueuse est devenue une route asphaltée et illuminée, bien que toujours en travaux. “Le projet est d’en faire une autoroute à quatre voix de 12 mètres de large, voire plus”, pré-cise le chef de la Direction des routes nationales, I Wijaya Seta.

Actuellement, 15 000 personnes l’empruntent quotidiennement, tandis que 5 000 autres choisissent de rallier Medan par le train. Qui arpente le terminal a bien du mal à imaginer que jadis, à droite et à gauche des actuelles salles d’em-barquement, se dressaient des palmiers à huile. Les sols sont recouverts de moquette épaisse, les murs sont de verre et les employés aux uniformes impeccables sen-tent bon le déodorant. Ce décor high-tech n’est pas sans rappeler celui de l’aéroport international de Kuala Lumpur, en Malaisie. Le souvenir des palmiers n’a cepen-dant pas complètement disparu : l’architecte Wiratman a donné au bâtiment principal du termi-nal la forme d’un palmier à huile. Les parois en verre permettent au soleil de pénétrer naturellement à l’intérieur et d’économiser de l’énergie en matière d’éclairage.

A Kuala Namu, des avions au milieu des palmiersEn juillet 2013, un nouvel aéroport a été inauguré près de Medan, dans la province de Sumatra du Nord. A terme, il doit devenir la principale plateforme de transit de tout l’Ouest indonésien.

chantiers.

Le nom de Kuala Namu peut être interprété comme signifi ant “la confl uence des eaux douces et salées”. Près de l’aéroport coulent en eff et plusieurs rivières qui vont se jeter dans le détroit de Malacca, à seule-ment 5 kilomètres de là. Le nouvel aéroport, qui occupe 1 365 hec-tares, prend enfi n le relais de celui de Polonia, situé dans le centre de la ville de Medan, devenu désuet et surchargé. Kuala Namu est en fait conçu comme une aérotropolis, c’est-à-dire un aéroport destiné à

devenir aussi un centre d’aff aires et de loisirs. “L’idée est de permettre aux hommes d’aff aires de gagner du temps”, explique le responsable du projet, Wisnu Budi Setianto. Plus de 35 hectares ont été réservés à des bureaux, des restaurants et des hôtels cinq étoiles ; 35 hectares accueillent des appartements, un centre commercial, une mosquée et un centre sportif, et un parc d’at-tractions occupera 39,5 hectares supplémentaires. Ainsi, les passa-gers en transit n’ont pas besoin de

sortir de Kuala Namu s’ils veulent tuer le temps en attendant leur vol.

Nouvelle ère. Cet aéroport est un projet phare pour l’avenir de la province de Sumatra du Nord, qui entre dans une nouvelle ère en s’ouvrant à nouveau au détroit de Malacca [référence à la cité-Etat de Srivijaya (viie-xive siècle), qui grâce au contrôle du détroit a pu, à son apogée, dominer le commerce maritime régional]. Dahlan Iskan, ministre des Entreprises d’Etat, prédit que dans deux ans le nombre de passagers transitant par Kuala Namu augmentera fortement. Il est donc impératif que les travaux de la voie express soient terminés au plus vite. La rapidité des travaux a en tout cas fait monter en fl èche le prix des terrains autour de l’aé-roport. Il y a six ans, 1 mètre carré de terrain valait 5 000 roupies [30 centimes d’euros]. Aujourd’hui, le mètre carré atteint 9 millions de roupies [550 euros]. Mais les tra-vaux ont aussi pour eff et d’enri-chir les villageois qui habitent le long de la route et qui ont ouvert des dizaines de magasins et de petits restaurants. Reste à espé-rer que cette prospérité touchera les autres habitants et que ceux-ci ne resteront pas les spectateurs de ce développement fulgurant.

—Mohammad Hilmi FaiqPublié le 11 janvier

↑ Les grands travaux changent la physionomie de Sumatra . Ici, un pont en construction dans la province de Riau. Photo Dimas Ardian/Bloomberg via Getty Images

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Courrier international

DESSINE-MOI UN CHANTIERLe développement économique de Sumatra pâtit d’un manque cruel d’infrastructures. Pour y remédier, les gouvernements indonésien et provinciaux ont lancé une série de chantiers : routes, lignes de chemin de fer, aéroports, infrastructures portuaires, etc. L’objectif est de faciliter l’exportation des matières premières et des productions locales, mais aussi de mieux intégrer Sumatra dans la communauté économique de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean). Voici quelques exemples de projets, parmi les plus pharaoniques.

Chemin de fer Trans-Sumatra. Surtout destiné au transport de marchandises, il devrait être achevé en 2030. Intégrant des tronçons déjà existants, il reliera les provinces d’Aceh, dans le Nord, à celle de Lampung, dans le sud de l’île, tout en facilitant les échanges avec les grands ports de l’île.

Route Trans-Sumatra. La construction de cette route à péage a déjà été reportée à plusieurs reprises, des retards ayant été pris dans l’acquisition des terrains nécessaires. Longue de 2 700 kilomètres, elle reliera elle aussi les provinces d’Aceh et de Lampung.

Pont du détroit de la Sonde. L’idée, lancée une première fois dans les années 1960, a été reprise en 2007 par Jakarta : relier Sumatra et Java, les deux îles les plus peuplées d’Indonésie. Il s’agirait en fait d’une série de ponts suspendus, ouverts à la circulation routière et ferroviaire. Reste à savoir si le nouveau président – le premier tour de l’élection est prévu le 9 juillet (lire aussi notre dossier pp. 28-33) – comptera toujours ce projet critiqué parmi ses priorités.

Port international d’Ujung Jabung. Sa construction a été lancée en mai 2014 dans la province de Jambi, sur la côte est de l’île. En ligne de mire : le trafic maritime dans le détroit de Malacca, passage obligé pour relier les géants indien et chinois. Trois docks sont prévus : un pour les passagers et les cargos, un autre pour l’exportation de l’huile de palme et le dernier pour le charbon.

Centrale géothermique de Sarulla. La province de Sumatra du Nord accueillera bientôt ce qui est présenté comme “la plus grande centrale géothermique au monde”. La construction de cette centrale électrique “verte” s’inscrit dans un vaste programme voulu par le gouvernement afin d’augmenter la puissance électrique produite en Indonésie de 60 gigawatts d’ici à 2022. Les travaux devraient commencer en 2015.

Repères

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SUM

ATRA

no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

Acehnais

Peuples de langues :

aceh (chamique)gayo

javanaiseslampungiques

malaises*sumatriennes

* L’indonésien,langue officielle

de l’archipel, ainsi que les différents dialectes

parlés par les Orang Rimba, appartiennent au groupe des langues

malaises.

200 km

3 805 m

PROVINCEDE JAMBI

Territoires des Orang Rimba

Equateur

i n h a b i t é

1

2

1. Parc national de Bukit Duabelas et village de Pematang Kabau2. Région de Sarolangun

Minangkabau

Minangkabau : principaux peuples

Batak

Palembang

Malais

SOU

RCE

: WW

W.E

THN

OLO

GU

E.C

OM

Une cinquantaine de groupes ethniques

—Kompas (extraits) Jakarta

Les Orang Rimba* s’in-quiètent pour leur avenir. La plupart des 3 000 membres

que compte aujourd’hui cette ethnie vivent dans le parc natio-nal de Bukit Duabelas, dans la pro-vince de Jambi [sur la côte est de Sumatra]. Ils commencent à prendre conscience que cette forêt tropicale de 60 500 hectares pourrait être bientôt complètement anéantie, sacrifiée au profit des plantations de palmiers à huile. La nourriture a déjà commencé à se faire rare. Les Orang Rimba luttent pour sau-vegarder leur mode de vie, mais désespèrent de voir une quelconque autorité appuyer leurs efforts.

Beteguh, 14  ans, compte parmi les ardents défenseurs des traditions et du droit coutumier rimba. Il appartient au clan des Kedundung Muda, qui vivent dans la région de Sarolangun, au cœur du parc national. Il est l’un des rares enfants rimbas à maîtriser l’alphabet. Depuis trois ans, il fait office d’instituteur. Il apprend en effet à lire, à écrire et à compter à plus de 50  enfants, venus

L’enfant qui rêvait d’être anthropologue Beteguh, 14 ans, appartient à l’ethnie semi-nomade des Orang Rimba. Il s’est lancé à corps perdu dans les études pour défendre son peuple et sa forêt, menacés par la multiplication des palmeraies à huile.

de différentes communautés éparpillées au sein du parc national.

Au départ, Beteguh poursuivait un rêve simple. Il voulait faire en sorte que les enfants rimbas ne se fassent plus escroquer par les gens des villages lorsqu’ils allaient sur le marché vendre leurs produits issus de la forêt ou faire des courses. “Les gens des villages disent souvent que telle récolte de latex ne pèse que 10 kilos alors qu’elle en fait le double. Beaucoup d’entre nous se font duper parce qu’ils ne savent ni lire ni compter”, fait valoir l’adolescent.

Avec le temps, Beteguh est devenu plus ambitieux : il veut désormais devenir anthropologue, pour faire connaître et préserver la culture et les traditions des Orang Rimba. Il se bat aussi pour que le parc national Bukit Duabelas soit épargné. Il est dévoué corps et âme à la cause de son peuple et de la terre sur laquelle il a grandi. “Beaucoup d’anthropologues viennent nous ‘étudier’. Mais aucun Orang Rimba n’est encore devenu chercheur pour étudier la culture et les traditions de son propre peuple”, déplore-t-il.

Il raconte comment, il y a six ans, il est entré en contact avec le

monde de l’éducation. A l’époque, comme pour tous les autres enfants rimbas, la première rencontre avec un être humain “de l’extérieur” lui est apparue comme effrayante. Lorsque quelques bénévoles de Warsi, la Communauté pour la conservation de l’Indonésie [un réseau d’ONG de Sumatra créé en 1992], sont venus pour la première fois, Beteguh les a vus arriver de loin. Ses copains et lui ont pris la fuite parce qu’ils avaient peur. “Je me suis caché derrière un arbre”, se souvient Beteguh. A force d’observer les allers et venues de ces bénévoles, il s’est habitué à leur présence. Son père, Basemen, chef du droit coutumier de son clan, lui a expliqué que ces visiteurs voulaient apprendre à lire, à écrire et à compter aux enfants. Basemen était très favorable à cette proposition. Il était conscient que jusque-là, si beaucoup d’Orang Rimba se faisaient escroquer, c’était à cause de leur ignorance. C’est pourquoi ils devaient s’instruire pour devenir plus intelligents que les gens des villages.

Beteguh s’est tout de suite passionné pour la méthode

déjà commencé son travail de chercheur. Chaque fois qu’il revient dans la forêt, il prend le temps de parler avec les chefs du droit coutumier des différents clans, y compris avec son père, afin de mieux comprendre sa propre culture. Il retranscrit soigneusement par écrit toutes ces conversations orales. Son

père d it qu’i l ne cherche absolument pas à réfréner la soif

de savoir de Beteguh. Selon lui, elle est conforme à un dicton rimba qui célèbre la liberté des Orang Rimba sous la forme d’un quatrain : “Dimano gelanggang ramai, dio numpang bergurau. Dimano periuk terjerang, dio numpang makan”, c’est-à-dire : “Là où le champ est animé, ils vont s’amuser. Là où la marmite bout, ils partent se rassasier.” Basemen se contente d’exhorter son fils à ne pas oublier la jungle, leur lieu de vie. Tout ce que Beteguh a réalisé jusque-là en dehors de la forêt n’a fait que renforcer leur culture. Qu’il continue ainsi.

—Irma TambunanPublié le 2 mai 2013

* Soit “les gens de la jungle”. Cette ethnie semi-nomade vit de la chasse et de la récolte de produits de la forêt comme le rotin ou le latex. Les Orang Rimba étaient autrefois connus des anthropologues sous le nom de Suku Kubu (“l’ethnie repliée sur elle-même”). Le gouvernement indonésien les appelle aujourd’hui les Suku Anak Dalam (“les enfants de l’intérieur”).

d’éducation alternative employée par les enseignants bénévoles. Ils venaient dans la forêt et dormaient sur place, si bien que les enfants pouvaient étudier autant qu’ils le désiraient, à tout moment du jour et de la nuit. Fréquenter l’école de la jungle n’empêchait pas Beteguh d’accomplir les tâches quotidiennes attendues de tout enfant rimba, comme aider son père à récolter le latex, à couper le rotin ou à chasser.

Beteguh a d’emblée montré des aptitudes hors du commun. Troisième garçon d’une famille de six enfants, il a pu dès 2011 passer les examens de f in d’études primaires sur le même banc que les enfants de l’école de Pematang  Kabau, dans le district d’Air Hitam. Et il a réussi. Il s’est ensuite inscrit au collège du département. Beteguh n’y suit les cours que deux semaines par mois. Le reste du mois, il retourne dans la forêt pour aider ses parents et enseigner aux enfants de la jungle à lire, écrire et compter. Et cet emploi du temps atypique ne l’empêche pas d’obtenir d’excellentes notes. Beteguh estime que l’on peut étudier n’importe où, l’essentiel étant d’en avoir envie.

Des rencontres et les échanges qu’il a pu avoir avec les nombreux anthropologues qui viennent dans le parc national de Bukit Duabelas lui ont donné l’idée d’embrasser lui aussi cette profession. Il a

SOCIÉTÉ

← Une famille orang rimba prépare son déjeuner, fait de chair et d’œufs de serpent. Photo Arka

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360°.

—Kompas Jakarta

D’ a p r è s l e B u re au de s sta tis tiques de

Bangka Belitung, le café n’est cultivé que dans trois départements de l’archipel [situé au large de la côte est de Sumatra]. Et dans ces départements, il n’occupe que 35 des 136 061 hectares de terres agricoles. Au vu de ces chiff res, il paraît clair que le café est ici une culture marginale. Pourtant les habitants de Belitung, l’une des principales îles de Bangka Belitung, sont justement connus pour être de grands amateurs de petit noir et des piliers de tavernes à café. Nombre de ces établissements ont ouvert bien avant que la République indonésienne n’ait vu le jour. Les autorités municipales de Manggar, la deuxième ville de l’île, peuplée de Malais, de Bugis et de Chinois Hakkas, ont d’ailleurs érigé un

monument en forme de cafetière géante pour célébrer cette tradi-tion locale. Manggar est surnommée depuis “la cité aux mille et une tavernes à café”.

Autrefois une petite bourgade inconnue

de la plupart des Indonésiens, Manggar est depuis quelques années une cité phare, car c’est là que sont nées deux célébrités natio-nales : Basuki Tjahaja Purnama, dit Ahok, le pugnace vice-gouver-neur de Jakarta, et Andrea Hirata, l’auteur en 2008 du best-seller Laskar Pelangi [“La milice de

l’arc-en-ciel”, non traduit en fran-çais, qui raconte le combat mené par des enfants de Belitung pour sauver leur école].

“Cette passion du café et des tavernes est une tradition impor-tée. Belitung ne produit pas de café. En revanche, elle déborde de poivre et d’étain”, explique Salim Yan Albert Hoogstad, animateur d’une association locale, le Groupe des amoureux de la culture de Belitung. Les grains de café sont importés de diverses provinces de Sumatra, principalement de Lampung [dans le sud] qui produit un excellent robusta. Quant à l’habitude de boire du café, elle provient d’un lieu beaucoup plus lointain : la Chine. Elle est apparue il y a deux siècles, quand les Hollandais, pour exploi-ter les mines de cuivre locales, ont fait venir en masse des travailleurs chinois. Ceux-ci ont apporté avec

Belitung, l’île aux mille et un cafésDans les gargotes de Manggar, la deuxième ville de l’île, on parle politique en sirotant des petits noirs. Une tradition importée de Chine voilà deux cents ans.

eux leur tradition favorite. “Avant de descendre à la mine, ils faisaient halte à la taverne pour boire leur café du matin, et le soir ils revenaient noyer leur fatigue dans une tasse de café tout en discutant le coup”, raconte Salim.

Les mines géantes jadis exploi-tées par NV Billiton Maatschappij et PN Timah ont fermé depuis longtemps. Mais la coutume de boire du café n’a pas disparu. Bien au contraire. “Une affaire se traite bien plus rapidement au café”, assure Agus Pahlevi, cafe-tier. Pourtant, ces tavernes n’ont rien de luxueux. Contrairement aux cafés de Jakarta, meublés de canapés et d’écrans plasma, ce sont de simples baraques au toit de zinc et aux parois de bambou. “C’est justement cette ambiance dépouil-lée que mes clients recherchent en venant ici. Ils restent là des heures, assis sur des bancs, à boire du café et à discuter. Tous se connaissent. Ce n’est pas comme dans les cafés des grandes villes où chacun reste dans son coin”, précise Agus.

Pour Isyak Meirobie, les cafés de Belitung sont les tavernes de la démocratie. Les habitants peuvent y discuter de tout et y entendre les opinions les plus diverses. “La défaite de beaucoup de candidats sortants aux élections régionales, le 9 avril, a été le résultat de la sanc-tion impitoyable des tavernes à café”, souligne le jeune politicien. Car la politique est bien sûr au centre de toutes les conversations dans les tavernes de Manggar et le bilan des membres des parlements régio-naux y est passé au crible. “Les parlementaires qui ont mauvaise presse dans les tavernes n’ont pas été réélus. Ils ont été sanctionnés par les citoyens amateurs de café, qui ont posé leur veto au terme de débats animés”, ajoute Isyak.

—Kris Razianto MadaPublié le 31 mai

“Une aff aire se traite bien plus rapidement au café”, assure Agus Pahlevi, cafetier

SOURCESKOMPASJakartaQuotidien, 450 000 ex.www.kompas.comFondé en 1965, “Boussole” est le plus grand quotidien national. Il publie en indonésien des enquêtes de fond sur des faits de société et des reportages sur les îles “extérieures”, souvent oubliées par le centre, Java. Sous la dictature du général Suharto (1967-1998), Kompas a régulièrement ouvert ses pages aux intellectuels du pays, devenant une tribune où s’exprimaient des idées courageuses. Une tradition à laquelle il reste fi dèle.

SERAMBI INDONESIABanda AcehQuotidien, 25 000 ex.www.serambinews.comFondé dans les années 1970, ce quotidien de la province d’Aceh était à l’origine un hebdomadaire, le Mimbar Swadaya. Au début des années 2000, il a interrompusa publication pendant quelques semaines, le Mouvement pour un Aceh libre (GAM) l’accusant de prendre le parti de l’armée indonésienne. Un diff érend vite réglé. Le 26 décembre 2004, les bureaux du journal sont dévastés par le tsunami ; 55 journalistes de la rédaction disparaissent dans la grande vague. Le 1er janvier 2005, le quotidien reparaît pourtant, envers et contre tout.

TEMPOJakartaHebdomadaire, 100 000 ex.www.tempointeraktif.comLe titre a été créé en avril 1971, dans le but d’off rir au public indonésien liberté d’analyse et respect des divergences d’opinion. Interdit par la censure en 1994, le magazine reparaît en 1998, après la démission de Suharto. Une édition anglophone existe en ligne.

THE JAKARTA POSTJakartaQuotidien, 40 000 ex.www.thejakartapost.comCe titre anglophone a été lancé en 1983. Il est lu par les intellectuels, les hommes d’aff aires et les expatriés.

Courrier international — no 1235 du 3 au 9 juillet 2014

→ Ce monument a valu à Manggar le surnom de “cité aux

mille et une tavernes à café”.Photo Rizky Pratama Adhi

↓ L’île est séparée de Sumatra par le détroit de Bangka. Photo Rizky Pratama Adhi

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voyage.

—Tempo (extraits) Jakarta

Cet après-midi, Sandi Slamet a réussi à domp-

ter les vagues de l’Ebay et son taux d’adréna-line atteint des som-mets. Avant le coucher du soleil, le surfeur de Java occidental veut maintenant réussir un 360 – une rotation aérienne complète. Sur un petit bateau en bois à moteur, il se dirige vers Pit Stops, un spot de surf à 1 kilomètre de l’Ebay. Mais à peine est-il dans l’eau qu’une vague aussi grosse qu’un autobus l’emporte et projette sa planche dans le ciel. Il a les lèvres en sang. “Ce qui est eff rayant, ce n’est pas quand tu attrapes la vague, mais quand c’est elle qui t’attrape”, sourit Sandi alors qu’il se fait soi-gner à la clinique la plus proche.

Cocotiers. Pit Stops se trouve à la pointe de Simaimu, l’une des 70 îles qui composent l’archipel

de Mentawai. Une plage vaste comme deux terrains de foot s’y étend à l’ombre des cocotiers, bercée par une houle bleu émeraude et tapissée d’un sable blanc dont les grains ressemblent

à du sucre. Le lieu a été baptisé Playgrounds [terrain de jeu], un clin d’œil aux dizaines de spots de surf qui s’y étalent. Si Hawaii est connue comme la Mecque du surf, Mentawai en est la Jérusalem. “Je suis musulman, mais ici je m’incline devant les vagues”, commente Wahid dans un éclat de rire. Chaque fois qu’il vient à Mentawai, le surfeur français, âgé de 40 ans, se débrouille pour se rendre dans des lieux très isolés et surfer en solitaire.

Séparé de Sumatra par le jeu de la tectonique des plaques depuis le Pléistocène [1,8 million d’années-12  000 av.  J.-C.], l’archipel a vu se développer des espèces endémiques protégées,

La houle bleuede Mentawai L’archipel, à l’ouest de Sumatra, regorge de spots de surf exceptionnels et encore relativement préservés. Pour combien de temps ?

comme le macaque de Mentawai. Des ethnies indigènes peuplent encore aujourd’hui ses forêts denses. Sur l’île de Siberut [la plus grande de l’archipel], on peut parfois les voir descendre des montagnes pour venir à la rencontre des “gens de la ville”. Ils portent un pagne et des fl eurs dans les cheveux, derrière l’oreille.

Frictions et rixes. Mais le caractère virginal de Mentawai devient peu à peu un objet de convoitise. Les surfeurs s’y disputent les vagues les plus exceptionnelles et, même si le gouvernement local a limité l’accès à chaque site à un maximum de 10 surfeurs, sur l’eau, la réalité est tout autre. Les surfeurs n’arrêtent pas de se piquer mutuellement les vagues, et cela fi nit parfois en rixes. A en croire Sandi, les frictions entre surfeurs existent partout. Il dit par exemple avoir subi un traitement discriminatoire lorsqu’il était parti surfer en France : il n’avait droit qu’aux queues de rouleau, là où la vague

↓ L’archipel doit son nom à une tribu autochtone. Ici, lors d’une cérémonie rituelle. Photo Agung Parameswara

↓ Les vagues forment de longs tubes dans lesquels les surfeurs peuvent s’engouff rer. Photo Sean Davey/Aurora Photos/Corbis

n’est pas très haute, alors que les surfeurs blancs monopolisaient les meilleurs endroits des spots. A Mentawai, il prend donc sa revanche. Muhammad Ridwan, membre de la communauté des gardes surfeurs sur l’île de Sipora, reconnaît qu’un certain ressentiment oppose surfeurs étrangers et locaux, et que plusieurs sites où les vagues sont excellentes sont gardés secrets par les locaux pour que les étrangers ne s’en emparent pas. “S’ils venaient à les découvrir, ajoute Muhammad, ils y construiraient aussitôt des complexes hôteliers.” Mentawai compte déjà 15 parcs immobiliers de ce genre, la plupart appartenant à des étrangers. Sans compter ceux construits en dehors de toute légalité. Une nuit dans ce genre d’hôtel coûte généralement entre 150 et 200 dollars [110-150 euros]. Selon les autorités locales, la plupart de ces établissements ont été construits au détriment de la mangrove, sans aucune étude préalable de leur impact sur l’environnement.

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↓ A Banda Aceh, devant le musée du Tsunami. Photo Chris Stowers/Panos Réa

si bien que les surfeurs n’ont pas à patienter longtemps pour saisir une nouvelle vague. La reconnaissance mondiale de Mentawai peut se mesurer au nombre de compétitions org a n isées chaque a n née dans l’archipel. Mentawai ne compte pas moins de 99 spots de surf de niveau international. Après le tsunami de 2010 [qui avait détruit 77 villages et fait 600  morts et disparus dans les îles indonésiennes], les spots en question n’ont pas changé. Beaucoup conviennent particulièrement aux surfeurs goofy, ceux qui placent leur pied droit devant sur la planche, parce que les vagues y déferlent de la droite vers la gauche – du point de vue du surfeur quand il fait face à la plage.

Kelly Slater, Andy Irons et Mick  Fanning, entre autres légendes du surf, sont tous des adeptes de cette pratique. Ce n’est donc pas un hasard si Kelly Slater, le champion américain, est fou de Mentawai. Tous les six mois ou presque, il vient surfer sur le spot de Lance’s Left. Le prince Charles semble être tout aussi épris de l’archipel – il y vient une fois par an, mais pas pour surfer.

Nuits sur la plage. La culture du surf est apparue à Mentawai dans les années 1990. Les surfeurs étrangers ont commencé à explorer ces îles en louant des barcasses vétustes plutôt que les bateaux de plaisance qui se multiplient aujourd’hui. Ils dormaient sur leur planche, mangeaient une assiette de riz sur la plage et passaient des semaines en mer. A cette époque, Dedi Saraina, un surfeur originaire de Mentawai, suivait les blancs venus d’Australie. Il se souvient comment, avec ses amis, il avait formé une petite communauté dont les membres partageaient les frais de carburant pour le bateau. Quant à leurs planches, elles leur étaient offertes par les touristes ou bien ils les taillaient eux-mêmes dans des troncs d’arbre. Aujourd’hui, Mentawai

Surfer à Mentawai n’est pas donné. Qui veut louer un bateau à moteur pour deux jours doit débourser au moins 9 millions de roupies [550 euros]. Pendi, propriétaire d’un bateau, justifie ce prix par le coût de l’essence : à Mentawai, 1 litre de carburant coûte 15 000 roupies [1 euro, soit presque deux fois plus qu’à Java ou à Sumatra], un bateau pouvant consommer jusqu’à 300 litres par jour pour aller chercher les bonnes vagues. A ce prix, il ne faut pas imaginer louer un bateau en fibres de verre, tout blanc et clinquant. Mieux vaut s’attendre à embarquer sur le rafiot du film L’Odyssée de Pi, avec seulement un moteur et un roof en plus.

La position géographique de Mentawai, face à l’océan Indien, fait que les vagues gonflent à l’approche de son littoral – une véritable bénédiction pour les surfeurs. Les vagues de Mentawai sont très appréciées des surfeurs parce qu’elles forment un très long tube dans lequel ils peuvent s’engouffrer. La distance entre deux rouleaux est très faible,

ACEH, LA MÉMOIRE DU TSUNAMI“Si, avec nos mains ignorantes, nous détruisons les œuvres d’art et les vestiges historiques, que pourront apprendre les prochaines générations sur la prévention des catastrophes naturelles et sur la terrible tragédie qui a frappé Aceh en 2004, tuant plus de 180 000 personnes ?” Serambi Indonesia s’inquiète du triste état dans lequel se trouve le musée du Tsunami, à Banda Aceh. Le quotidien reproche aux touristes, essentiellement indonésiens, de manquer de respect pour les lieux : vols, souillures, dégradations… Le musée du Tsunami a été bâti en 2007

par Ridwan Kamil, l’un des plus brillants architectes indonésiens. Construit sur une colline de la capitale de la province d’Aceh, dans le nord de Sumatra, c’est à la fois un mémorial, un centre d’étude et de prévention des catastrophes naturelles et un refuge en cas de tsunami. Sa forme évoque une gigantesque vague dévastatrice en même temps qu’une arche salvatrice. Pour y accéder, il faut emprunter un tunnel entre deux murs d’eau, bruissant du ressac. De là on arrive sous une vaste coupole sur laquelle est inscrit le nom d’Allah : c’est l’espace Décideur du destin. Ensuite, au-delà du pont de l’Espoir,

au-dessus duquel flottent les drapeaux des 50 pays qui ont aidé la province d’Aceh après le tsunami, on pénètre dans l’espace éducatif. On peut y voir des simulations de séismes et de tsunamis dans l’océan Indien, des maquettes représentant des bateaux de pêcheurs face à la grande vague, ainsi que des vidéos sur le saman. Cette danse traditionnelle d’Aceh, pratiquée autant par les femmes que par les hommes, a été inscrite par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2011. Au sommet du musée, la colline du Refuge : c’est là que les visiteurs doivent courir se mettre à l’abri en cas d’alerte.

A visiter

accueille 5 000 visiteurs par an et la mode “surf” se répand dans l’archipel. Les surfeurs sont de plus en plus nombreux. Exhibant leurs abdominaux en tablettes de chocolat, ils se dressent sur leur planche ou se promènent torse nu, vêtus d’un simple short en jean. Et ils vous diront que tout est possible dans la vie, même de monter une vague aussi haute qu’une villa de Pondok Indah [luxueux quartier résidentiel de Jakarta].

—Heru TriyonoPublié le 18 novembre 2013

Mentawai est un paradis pour les surfeurs goofy, ceux qui placent leur pied droit devant sur la planche

A voirLES CANAUX DE PALEMBANGLes Hollandais avaient surnommé Palembang “la Venise de l’Orient”, à cause de ses centaines de rivières, de ses marchés flottants et de ses marécages couverts de lotus. Un héritage du puissant royaume bouddhiste de Srivijaya (vie-xie siècle), qui avait voulu faire de sa capitale une ville d’eau à la mesure de ses ambitions maritimes, en bordure du détroit de Malacca. Aujourd’hui, ce glorieux passé subsiste avant tout dans le nom des rues, constate Kompas : canaux et rivières ont été comblés ces dernières décennies pour être transformés en avenues. Dans les années 1970, la capitale de la province de Sumatra du Sud comptait encore 280 cours d’eau ; il n’y en a plus que 32 aujourd’hui.

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—Kompas (extraits) Jakarta

Cette nuit, l’au-berge Fansyuri aff iche com-

plet. Pick-up et camions sont garés dans la cour devant chaque chambre. Tous sont arrivés à Barus dans la journée, chargés de produits de première nécessité : savon, sham-pooing, cigarettes, farine, riz, nouilles instantanées. Peu d’ani-mation, le soir, dans cette petite ville portuaire de la côte ouest de Sumatra, à part un café et une gar-gote à côté du marché. Marché est d’ailleurs un bien grand mot pour désigner l’attroupement qui a lieu deux fois par semaine. Des ven-deurs s’assoient sur des nattes, le long de la rue principale à peine goudronnée. Dans le port, voilà longtemps qu’on ne voit plus de navires chargés de produits de la forêt, comme la résine de benjoin ou le camphre. Les riches commer-çants indiens, arabes, chinois, por-tugais, hollandais et anglais ont eux aussi déserté les quais.

Bien que les découvertes faites sur le site archéologique de Lobu  Tua [au nord-ouest de l’actuelle ville de Barus] ne permettent pas de remonter au-delà du xe ou du ixe siècle, tout laisse à penser que l’occupation des lieux est beaucoup plus ancienne. Le traité de géographie de Ptolémée, au iie siècle de notre ère, comporte ainsi une carte où Barus fi gure sous le toponyme de Barousai. Il semblerait aussi que Barus soit la première région de l’archipel indonésien où l’islam se soit répandu, vers le viie siècle. L’épitaphe qui fi gure sur une stèle du complexe funéraire de Mahligai,

“Cheikh Rukunuddin, mort en 672 de l’ère chrétienne ou 48 de l’hégire”, confirme que, déjà à l’époque, u ne com mu nauté mu su l m a ne é t a it implantée dans la région. La Fédération

des Eglises d’Indonésie, quant à elle, se base sur les écrits d’Abou Salih l’Arménien [un érudit égyptien qui a vécu fi n xiie-début xiiie siècle] pour avancer que des chrétiens étaient déjà présents à Barus en l’an 645.

A prix d’or. L’histoire du port est indissociable de celle du camphre. Encore aujourd’hui, en indonésien ou en malais, camphre se dit kapur barus [littéralement, “la craie de Barus”]. Irini Dewi Wanti, du Centre de recherche sur l’histoire et les traditions de Banda Aceh, explique que le camphre de Barus [obtenu par distillation du bois des camphriers qui poussaient alentour] était très prisé à l’étranger pour sa pureté et sa qualité. Il semblerait que, à l’époque des pharaons, les Egyptiens venaient jusqu’à Sumatra pour acheter de la résine de benjoin et du camphre. On raconte même que Ramsès II et Ramsès  III auraient été embaumés avec du camphre de Barus et des épices d’Ophir, une région montagneuse à l’intérieur des terres. Le camphre valait alors aussi cher que l’or.

Les fouilles menées sur le site de Lobu Tua par l’Ecole française d’Extrême-Orient et des chercheurs du Centre national de recherches archéologiques (Puslit  Arkenas) entre  1995 et 2000 ont mis au jour diverses

pièces provenant de Chine, d’Inde et du monde arabe. Puis, au xiie siècle, la brillante cité portuaire de Barus-Lobu Tua a souda in d ispa r u . “Pour l’instant, nous n’avons découvert aucun artefact postérieur au début du xiie  siècle”, précise Sonny Wibisono, un archéologue de Puslit Arkenas. Le Français Claude  Guillot, qui a dirigé l’ouvrage Histoire de Barus, Sumatra. Le site de Lobu Tua [éd. de la Maison des sciences de l’homme, 1998], souligne que des récits locaux évoquent les ravages provoqués par un ou des êtres appelé(s) gergasi, décrits comme des créatures monstrueuses surgies de la mer [à l’époque, le chercheur français supposait qu’il s’agissait de pirates venus de la région d’Aceh mais, depuis le tsunami de 2004, l’hypothèse d’un raz-de-marée géant est privilégiée].

Des Bataks venus de régions situées plus au nord se sont installés sur le site déserté. Près de quatre siècles plus tard, les mis-sions commerciales portugaise puis hollandaise tentent de s’accaparer l’enclave portuaire. L’apothicaire portugais Tomé Pires, qui débarque à Barus au début du xvie siècle, évoque un comptoir très animé et prospère [dans sa Suma oriental, première description par un Européen des îles d’Asie du Sud-Est] : “Les gens du Gujarat l’appellent Panchur, ainsi que les Parsis, les Arabes, les Bengalis… A Sumatra, on l’appelle Baros.”

En 1618, la Compagnie néer-landaise des Indes orientales [VOC] obtient des privilèges commerciaux des rois bataks de Barus. Mais cette hégémonie coloniale élimine les marchands

des autres régions et commence à léser les habitants du port. Si bien que, en 1694, le roi Mudik attaque les représentants de la VOC sur le marché de Barus. Les pertes sont lourdes de part et d’autre. Et Barus sombre peu à peu dans l’oubli alors que le sultanat d’Aceh [1514-1914] entreprend de construire des ports sur la côte est de Sumatra, face au détroit de Malacca [à son apogée, le sultanat englobera les actuelles provinces d’Aceh, de Sumatra Nord et de Sumatra occidental].

Parfum exquis. Aujourd’hui, il est diffi cile de trouver trace de ces camphriers qui produisaient jadis un cristal aussi précieux que l’or. “Ils ont disparu à cause des exploitations illicites”, déplore l’historien Juardi Mustafa Simanulang, qui nous emmène voir un des derniers camphriers de la région, dans le village de Siordang. Le vieil arbre se dresse, immense, au milieu d’un champ. Il mesure plusieurs dizaines de mètres de haut, avec un tronc droit et ferme, une écorce d’un marron blanchâtre et des feuilles qui exhalent un parfum exquis quand on les cueille. Pour s’emparer de la sève nichée au cœur du tronc, il faut abattre l’arbre. Le camphre était jadis utilisé non seulement pour embaumer les morts mais aussi pour fabriquer de l’encens. Vantardise ou réalité ? Juardi raconte que l’encens off ert par les rois mages à la naissance de Jésus provenait de Barus.

Aujourd’hui, nombre d’habitants de Barus s’eff orcent de replanter des camphriers, ces arbres qui fi rent jadis la gloire de leur région. —

Publié le 1er octobre 2013

Barus ou la gloire perdue des camphriersRamsès II aurait été embaumé avec du camphre

acheté dans ce port de la province de Sumatra du Nord. Durant des siècles, Barus a été

une référence sur la carte du commerce mondial.

histoire.

A voir

MUARO JAMBI Les fouilles archéologiques et l’étude de manuscrits chinois et tibétains permettent désormais de l’affi rmer : du viie au xiiie siècle, le site de Muaro Jambi a bien accueilli la deuxième plus grande université bouddhiste mahayaniste d’Asie, après celle de Nalanda, en Inde. Là, sur les rives du Batanghari, le plus long fl euve de Sumatra, se croisaient des marchands et lettrés indiens et chinois. Ce site extraordinaire, candidat à l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, abritait 84 temples en brique rouge (dont 8 seulement ont été restaurés) qui auraient servi de “facultés” reliées entre elles par un gigantesque réseau de canaux. Muaro Jambi est aujourd’hui menacé par des mines de charbon à ciel ouvert et des plantations de palmiers à huile qui empiètent de plus en plus sur son territoire.

↑ Maison de chef à Sumatra. Gravure que le biologiste britannique Alfred Russel Wallace (1823-1913) a rapportée d’une expédition en Australie et en Indonésie. Photo AKG-images/De Agostini Picture Library

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