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LE COURRIERSAMEDI 17 AVRIL 2010

13RELIGIONS

Jérôme et Augustin: le combat des saintsPUBLICATION • Les deux Pères de l’Eglise échangent une correspondance de trente lettres entre 394 et 419,un dialogue de haute volée qui tourne vite à l’affrontement, comme le montre une récente traduction.VINCENT MONNET*

C’est un choc de titans. Engagée à la findu IVe siècle, la correspondance entresaint Jérôme et saint Augustin met enprésence deux des plus grands espritsde l’Antiquité tardive. Deux Pères del’Eglise rassemblés par une même foichrétienne, mais que tout oppose. Fi-gure du passé, le premier est un stylistehors pair au caractère impossible. In-carnant l’avenir, le second est un per-sonnage plutôt sociable, pour qui seu-le la preuve compte, mais qui détesteles conflits. Portant sur les questionsde la liberté divine et du salut, la tren-taine de lettres qu’ils s’échangent entre394 et 419 donnent lieu à un débat toutà fait unique, dont la récente traduc-tion offerte par Carole Fry, chargéed’enseignement à l’université deGenève, (unité de latin) parvient à res-tituer tout le sel. Sous des atours trèspolicés, le dialogue entre les deux ec-clésiastiques dissimule en effet uneâpre dispute où se mêle mauvaise foi,menaces, arrière-pensées, non-dits etincompréhension.

«Au-delà du texte, qui est déjàconnu, mais qui méritait une relecturemoderne, l’objectif était de permettrede saisir le caractère et la dispositiond’esprit de ces deux géants de lapensée occidentale que sont Jérôme etAugustin», explique Carole Fry. Pour yparvenir, il a fallu passer et repasser aucrible le texte. Suivre la pensée de deuxauteurs du IVe siècle séparés par plusde 2000 kilomètres et qui communi-quent parfois à plusieurs années d’in-tervalle n’est pas à la portée du pre-mier venu.

Initiateur de cette relation épistolairequi va s’étaler sur une trentained’années, Aurelius Augustinus – le fu-tur saint Augustin – est sur le pointd’être nommé évêque d’Hippone lors-qu’il s’adresse pour la première fois àJérôme. Citoyen de Carthage, il a oc-cupé la prestigieuse chaire de rhéto-rique de Milan avant de se retirer pourse consacrer à Dieu. Passé maître dansl’art d’exposer et d’exploiter les idées,raisonnant comme un orateur judi-

ciaire, il dispose d’une prodigieusepuissance de travail. Si bien qu’ons’adresse à lui des quatre coins del’empire dès que se pose une questionen rapport avec la foi. «Cet homme, àqui nous devons notamment leconcept de péché originel, est sansdoute, avec Aristote, le plus grand es-prit que l’Antiquité ait connu», noteCarole Fry.

Eusebius Sophronius Hieronymus,autrement dit saint Jérôme, est faitd’un tout autre bois. Fondateur d’unmonastère qu’il dirigera jusqu’à sadisparition, en 419, il a été contraintde quitter Rome à la mort de son pro-tecteur, le pape Damase. Menant unevie d’ascète, il est doté d’une mémoirephénoménale qui en fait le personna-ge le plus érudit de son temps. En plusde maîtriser parfaitement les arcanesdu latin, Jérôme possède en effet legrec et l’hébreu, fait probablementunique à l’époque. Patron des traduc-teurs, il est surtout celui par qui laBible latine est arrivée en Occident.

Son avis est donc autant recherchéque respecté. Côté caractère pourtant,saint Jérôme «est un type abominable,confirme Carole Fry. Il a trahi, insulté,traîné dans la boue à peu près tout lemonde. C’est un véritable phénomènede nocivité à qui ses talents de stylistedonnent un pouvoir destructeur phé-noménal.»

Mais il demeure le commentateurdes Ecritures le plus prolifique et lemieux informé du moment, raison quipousse Augustin à se tourner vers lui.L’enjeu des premiers échanges vise àdéterminer si le mensonge est licite ounon. Pour le moine de Bethléem, c’estune option envisageable à court termeet à des fins diplomatiques. Pour sonconfrère d’Hippone, en revanche, si lesEcritures contiennent un mensonge,c’est tout l’édifice qui s’écroule. «Il s’agitd’un affrontement entre la «Realpolitik»et l’éthique, explique Carole Fry. Et c’estl’éthique qui va l’emporter.» Furieux des’être fait moucher par celui qu’ilconsidère comme un «blanc-bec», Jérô-me grogne, vitupère et menace.

Après une décennie sans contact,c’est sous de tout autres auspices quela discussion reprend. Nous sommesalors en 415. Rome est tombée auxmains des barbares cinq ans plus tôt etles idées diffusées par Pélage sèment letrouble dans la chrétienté. Moined’origine bretonne, ce dernier défendl’idée que tout chrétien peut atteindre àla sainteté par son libre arbitre, ce quirevient à nier l’existence de la grâce etdu péché originel. Unis face à la mena-ce, Jérôme et Augustin opèrent un rap-prochement qui facilitera la mise auban de l’ennemi commun. Les thèsesde Pélage sont déclarées hérétiques en417, soit deux ans avant que la mort deJérôme ne vienne mettre un point finalà cette relation tumultueuse qui, pourCarole Fry, se résume à «la lutte del’érudition contre l’intelligence». I

Lettres croisées de Jérôme et Augusti ,traduitesdu latin, présentées et annotées par Carole Fry,Les Belles Lettres et Ed. J.-P. Migne, 502 p.

*Article paru dans Campus, magazine de l’université de Genève.

Mariage entre affaires et islamTURQUIE • Le dynamisme de Kayseri, le «tigre anatolien», trouve une source importantedans la religion. Cette ville conservatrice du centre du pays est un pôle industriel majeur.CLÉMENT GIRARDOT

Dans la zone industrielle de Kayseri, latroisième plus grande du pays, lesusines s’alignent à perte de vue. Sur-plombant la plaine, se dresse une im-mense mosquée d’une quinzained’années répondant au nom de «Mos-quée de la zone industrielle», pourmieux souligner l’alliance entre les va-leurs islamiques et celles du marché.Des bus y amènent les employés detoutes les entreprises du coin lors de lagrande prière du vendredi.

Le reste du temps est consacré autravail, valeur cardinale des habitants deKayseri. «Quand tu ne travailleras pas,tu seras fatigué!» Özan Mahir, le patronde la petite entreprise familiale BeyzanTekstil, cite ce passage du Coran pourmettre en exergue la dimension sacréedu travail. L’éthique des hommes d’af-faires locaux est particulièrement rigo-riste: ni alcool ni jeux d’argent, commele prescrit le Coran, peu de loisirs et sur-tout pas de dépenses ostentatoires.Dans les rues de la ville qui abrite cer-taines des plus grosses fortunes de Tur-quie, guère de voitures de luxe mais untramway flambant neuf. Certains ana-lystes ont développé le concept de calvi-nisme islamique1 pour faire ressortir lesanalogies entre la morale des pionniersprotestants du capitalisme modernethéorisée par le sociologue Max Weberet celle des industriels de Kayseri.

«La religion permet de créer descontacts, d’établir des relations avecd’autres entrepreneurs croyants, c’estbon pour les affaires», résume Özan Ma-hir. Il évoque aussi l’influence de lacommunauté islamique Nur (Lumière)parmi les hommes d’affaires de Kayseri:«Ils sont très disciplinés et sont commedes frères.» Nur est un réseau transna-tional mené par le théologien islamistemodéré Fetullah Gülen, né en 1941 à Er-zurum (est de la Turquie) et dont le butest de promouvoir les valeurs musul-manes et turques. Fortement ancré enTurquie, Nur a développé ses activitésdans le monde entier, notamment dansles domaines de l’éducation et des mé-dias. A l’instigation de Fetullah Gülen,les businessmen de Kayseri ont récem-ment financé l’établissement du pre-mier hôpital privé turc en Afrique, auNigeria.

Ancienne ville commerçanteKayseri est une très vieille ville com-

merçante dont témoignent des vestigesantiques. «Le lien actuel très fort entrecommerce et religion existait déjà du-rant l’Empire Ottoman où les corpora-tions mélangeaient activités écono-miques et spirituelles, indique HüseyinKalyoncu, doyen de la faculté d’écono-

mie de l’université Meliksah. Les valeursislamiques sont indéniablement favo-rables au commerce.»

Tigre anatolienDurant ces cinquante dernières

années, l’économie de Kayseri s’esttransformée au profit d’activités indus-trielles fortement intégrées au marchémondial. Une mutation réussie maisqui n’a pas renié l’éthique islamique.Les entrepreneurs locaux se méfientfortement des banques: «Dans l’islam,il est interdit de faire de la spéculation,c’est pourquoi les entreprises les plusislamiques n’ont pas recours au crédit»,explique Özan Mahir. Les considéra-tions religieuses rejoignent ici desconsidérations plus pragmatiquesconcernant les méfaits de la domina-tion du secteur réel par le secteurfinancier.

Du centre à la périphérie, des quar-tiers entiers se créent où surgissent desforêts d’immeubles, poursuivant ainsil’essor démographique d’une ville qui adépassé le million d’habitants. Kayseriest devenue un formidable pôle d’at-tractivité lui valant le surnom de «tigreanatolien». Les trois mamelles de lacroissance économique sont le textile, lebâtiment et surtout l’ameublement.

Une nouvelle génération d’entre-preneurs ambitieux se nourrit des va-leurs traditionnelles pour poursuivrel’expansion de Kayseri: «L’anciennegénération d’entrepreneurs avait unevision figée de la religion tandis que lesjeunes ont compris qu’il était possiblede rester musulman tout en étant dyna-mique et en s’adaptant rapidement»,affirme Özcan Yildirim, membre duconseil de direction de l’entreprise demeubles Aldora.

Pour les jeunes, justement, en de-hors du monde des affaires, les activitéssociales et culturelles sont plutôt ré-duites. «A Kayseri, il n’existe pas de bars,seulement un pub où vont les hommes,déclare le réalisateur Seyfi Teoman, natifde cette ville. Tous les autres lieux ontété fermés à cause de l’islamisation.» Aucœur de la cité, à la place de l’ancien sta-de, un centre commercial géant est enconstruction. Tout un symbole.

Ville modèle du parti au pouvoirAKP (Parti de la Justice et du Développe-ment, un parti conservateur aux racinesislamistes), Kayseri incarne le processusde modernisation conservatrice et lamontée en force d’une bourgeoisiepieuse originaire de l’Anatolie, principalsoutien du gouvernement actuel. I

1European Stability Institute, Les Calvinistesislamiques. Changements et conservatisme enAnatolie centrale, Berlin-Istanbul, 2005, 35 pp.

La Mosquée de la zone industrielle. CLÉMENT GIRARDOT

L’entrepreneur Özan Mahir. CGForêt d’immeubles à Kayseri. CG

FRIBOURG

PrêtresuspenduL’évêque de Lausanne, Genè-ve et Fribourg a suspendu unprêtre officiant dans la partiefrancophone du canton de Fri-bourg. Il lui est reprochéd’avoir entretenu des relationssexuelles avec une femme dansune situation de détresse.L’homme conteste les faits.

Après avoir reçu des rap-ports de la commission SOSPrévention et du tribunal diocé-sain, Mgr Bernard Genoud a dé-cidé de retirer, avec effet immé-diat, la mission canonique de ceprêtre, a indiqué vendredi le vi-cariat de Fribourg dans uncommuniqué de presse.

L’Eglise a proposé à la femmede déposer une plainte pénale.Elle n’a à ce jour pas souhaitéentamer une telle démarche.L’avenir de ce prêtre, qui n’ap-partient pas au diocèse de Lau-sanne, Genève et Fribourg, dé-pend désormais de l’évêque deson diocèse d’origine.

L’homme a été ordonnéprêtre en 1996 dans un autrediocèse que celui dans lequel ilofficiait jusqu’à présent. Le vi-cariat, par la voix de son porte-parole, se refuse à préciser l’â-ge et l’origine du prêtre pourdes raisons de protection de lapersonnalité.

Conformément aux procé-dures canoniques, le dossier aété transmis à la Congrégationromaine de la doctrine de lafoi. Des mesures ont été priseset vont encore être prises pourassurer la bonne continuité dela vie pastorale des paroissestouchées par les conséquencesde cette décision, précise levicariat. ATS

EN BREF

PAS DE COMMISSION DUDIALOGUE INTERRELIGIEUXCONSEIL NATIONAL Nulbesoin d’une commissionfédérale des religions: la com-mission des institutions poli-tiques du Conseil national arefusé hier par 14 voix contre 8de donner suite à une initiativeparlementaire de JosefZisyadis (POP/VD). ATS