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La transplantation d’organes Enjeux et paradoxes Sous la direction de Sylvaine De Plaen

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Les auteurs, qui sont issus de diverses spé-cialités (pédiatrie, psychiatrie, anthropologie,sociologie…) abordent dans cet ouvrage, enmultipliant perspectives et expertises, certainsdes enjeux liés au phénomène complexe dela transplantation.

Leurs textes révèlent, au-delà des aspectstechniques, la façon dont cette pratique estégalement traversée par des valeurs, dessignifications et des enjeux propres à lasociété elle-même et à chaque individu.

Le témoignage émouvant de la mère d’uneenfant transplantée de même que le texted’une jeune femme ayant reçu un rein com-plètent cette réflexion sur les enjeux et lesparadoxes de la transplantation d’organes.

Cette pratique met inévitablement en jeudes notions telles que l’identité et l’image desoi. Elle est donc analysée ici sous des anglesdivers, à la fois identitaires, développemen-taux, médicaux, sociologiques, culturels etéthiques.

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d’organesEnjeux et paradoxes

Sous la direction deSylvaine De Plaen

Textes de Fernando Alvarez, Gilles Bibeau,Johanne Boivin, Marie-José Clermont, IsabelleCossette, Sylvaine De Plaen, Michel Duval, AnnieGauthier, Jacques-T. Godbout, Suzanne Lépine,Margaret Lock et Louise Ménard.

ISBN-2-89619-050-3

Éditions du CHU Sainte-JustineCentre hospitalier universitaire mère-enfant

Adolescence urbain 21/11/06 12:09 Page 2

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La transplantation d’organes: enjeux et paradoxes

Sous la direction de Sylvaine de Plaen

Textes deFernando Alvarez

Gilles BibeauJohanne Boivin

Marie-José ClermontIsabelle CossetteSylvaine de Plaen

Michel DuvalAnnie Gauthier

Jacques T. GodboutSuzanne LépineMargaret LockLouise Ménard

Éditions du CHU Sainte-JustineCentre hospitalier universitaire mère-enfant

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Vedette principale au titre :

La transplantation d’organes : enjeux et paradoxes

(Collection Intervenir)Comprend des réf. bibliogr.

ISBN 2-89619-050-3

1. Greffe (Chirurgie) – Aspect psychologique. 2. Identité (Psychologie). 3.Altérité. 4. Greffés – Psychologie. I. De Plaen, Sylvaine. II. Collection.

RD120.7.T69 2006 362.19'795’0019 C2006-940132-2

Illustration : Geneviève Côté

Infographie : Madeleine Leduc

Diffusion-Distribution au Québec: Prologue inc.en France : Casteilla Diffusionen Belgique et au Luxembourg: S.A. Vanderen Suisse: Servidis S.A.

Éditions du CHU Sainte-Justine 3175, chemin de la Côte-Sainte-CatherineMontréal (Québec) H3T 1C5Téléphone: (514) 345-4671Télécopieur: (514) 345-4631www.chu-sainte-justine.org/editions

© 2006 Éditions du CHU Sainte-Justine Tous droits réservésISBN 2-89619-050-3

Dépôt légal: Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2006Bibliothèque et Archives Canada, 2006

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Liste des auteurs

FERNANDO ALVAREZ

Service de gastro-entérologieDirecteur du Départementde pédiatrieUniversité de Montréal/CHUSainte-Justine

GILLES BIBEAU

Professeur au Départementd’anthropologieUniversité de Montréal

JOHANNE BOIVIN

Pédopsychiatre au Programmede transplantation hépatique etchef du Service de consultation-liaisonDépartement de psychiatrieCHU Sainte-Justine.

MARIE-JOSÉ CLERMONT

Responsable de l’Unité degreffe rénale pédiatrique,CHU Sainte-Justine

ISABELLE COSSETTE

Greffée d’un rein

SYLVAINE DE PLAEN

PédopsychiatreCHU Sainte-Justine

MICHEL DUVAL

Chercheur en hémato-oncologieCHU Sainte-Justine

ANNIE GAUTHIER

Coordonnatrice de l’Unité derecherche psychosocialeHôpital DouglasMembre de l’Unité de pédiatrieinterculturelleCHU Sainte-Justine

JACQUES T. GODBOUT

Chercheur et professeur émériteINRS Culture, urbanisation etsociété

SUZANNE LÉPINE

Psychiatre, Consultation-LiaisonProgramme de psychiatrieCHU Sainte-Justine

MARGARET LOCK

Professeur aux départementsd’anthropologie et de sciencessociales de la médecineUniversité McGill

LOUISE MÉNARD

Mère d’une jeune greffée

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Table des matières

Introduction

Sylvaine De Plaen .............................................................. 9

Transplantation d’organes: enjeux éthiques et sociaux

Fernando Alvarez................................................................ 13

Vivre avec l’organe d’un autre : ce qu’en disent les enfants etleurs familles

Johanne Boivin .................................................................. 25

La transplantation d’organes à la lumière de l’anthropologie :discours contradictoires et transformation des subjectivités

Margaret Lock .................................................................... 33

Le don, la dette et l’identité dans le don d’organes

Jacques T. Godbout ............................................................ 59

La question du don dans le don d’organes: une perspectiveanthropologique

Gilles Bibeau ...................................................................... 79

Sous la tutelle de l’étranger

Isabelle Cossette .................................................................. 103

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Transplantation de moelle osseuse : des enjeux éthiquesspécifiques? L’expérience d’une réflexion entre parents,enfants et soignants

Michel Duval .................................................................... 109

Recevoir le don ou quelques réflexions sur le travail dumédecin engagé en greffe rénale

Marie-José Clermont .......................................................... 113

Les interventions pédopsychiatriques en greffe rénale:enjeux, réussites et limites

Suzanne Lépine ..................................................................127

La sortie de l’incertitude: jeux de langage etinterdisciplinarité dans l’équipe de transplantation du foiedu CHU Sainte-Justine

Annie Gauthier ..................................................................145

Lettre ouverte à ma fille : extraits

Louise Ménard....................................................................195

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Introduction

Le thème de la transplantation d’organes s’est imposécomme nouveau sujet de réflexion pour notre groupede pédiatrie interculturelle pour plusieurs raisons. Toutd’abord, un membre de notre groupe, Fernando Alvarez, estlui-même pédiatre hépatologue au CHU Sainte-Justine où iltravaille depuis plusieurs années dans le domaine de latransplantation hépatique pédiatrique. Ensuite, une étudianteau doctorat en anthropologie, Annie Gauthier, a débuté untravail de recherche au sein de cette même équipe de trans-plantation pour tenter de dégager les diverses composantesde l’alliance thérapeutique développée entre soignés etsoignants ainsi que pour réfléchir sur la nature des dyna-miques en jeu au sein de l’équipe elle-même. Réfléchir surcette question nous est apparu particulièrement pertinentdans la mesure où notre groupe, composé de pédiatres,infirmières, anthropologues et pédopsychiatres, essaie deréfléchir sur des questions médicales diverses en intégrantdes apports théoriques de disciplines non médicales, enparticulier les notions développées en éthique, en anthro-pologie et en sociologie.

La transplantation d’organes constitue certainementun espace privilégié pour considérer les questions liées à lagestion de l’altérité dans l’espace thérapeutique ainsi que

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dans l’expérience du patient et de son médecin. Le fait derecevoir l’organe d’un autre met inévitablement en jeu desnotions telles que l’identité et l’image de soi, puisque cetteidentité «prend corps» précocement à partir des premièresexpériences sensorielles, du «peau à peau» avec les figuresde soin privilégiées et du regard de l’autre. Le «Moi-Peau» telque défini par Didier Anzieu constitue en effet un «pré-moicorporel » précurseur de l’identité qui se construit à partir duportage précoce, des manipulations et des ancrages offertsdans l’expérience de son propre corps à la fois contenu, portéet supporté, toujours dans un rapport de relation avec l’autre.Selon Anzieu, le «Moi-Peau » délimite un dedans et un dehors,permettant ainsi la construction d’un espace psychiquedélimité où viendront se déployer et s’organiser les contenuspsychiques de l’individu. Comment, en ce cas, l’expériencede la transplantation d’organes, avec la rupture de l’enve-loppe corporelle produite et l’apport d’une partie autre dansle corps propre vient—elle jouer sur cette représentation desoi et de l’autre ?

Les textes qui suivent abordent les enjeux liés à la trans-plantation d’organes sous des angles divers, à la fois identi-taires, développementaux, médicaux, sociologiques, culturelset éthiques.

Le texte de Fernando Alvarez, hépatologue, revient surl’histoire de la transplantation d’organes et sur divers enjeuxsociaux et éthiques associés à cette pratique médicale.Johanne Boivin, psychiatre et consultante au sein de l’équipede greffe hépatique, expose le fonctionnement de l’équipe detransplantation hépatique: dans de telles équipes, la multi-disciplinarité apparaît toujours comme une conditionessentielle permettant de soutenir le travail des intervenants.Johanne Boivin partage également les résultats d’unerecherche effectuée auprès d’une cohorte de jeunes trans-plantés. Elle y souligne la reprise développementale ainsique le désir de normalisation présent chez les jeunes et lesfamilles qui ont vécu l’expérience de la greffe.

Le texte de Margaret Lock, anthropologue bien connuepour ses travaux en anthropologie médicale, évoque les

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Introduction 11

différences culturelles dans l’expérience de la transplantationentre le Japon et l’Amérique du Nord, ainsi que les questionset enjeux présents chez des transplantés tout comme destransplanteurs autour de la question de la définition dusoi et de la mort elle-même. Ces différences apparaissentcomme cruciales dans la gestion de ce processus médicalpourtant hautement technique. Jacques T. Godbout, socio-logue, revient sur la question du don et de son corollaireobligé, la dette, pour souligner l’importance des transactionssociales associées au don dans les sociétés contemporainesainsi que les qualités particulières spécifiques aux donsd’organes. L’anthropologue Gilles Bibeau réfléchit égalementà ce thème du don à la lumière de l’anthropologie et abordeplus particulièrement les enjeux qui entourent le secret, ladette et le par-don.

Le texte suivant, intitulé «Sous la tutelle de l’étranger», estextrait d’un livre publié autour de l’expérience d’uneex-greffée rénale, Isabelle Cossette, dont les textes ont étérecueillis et rassemblés pour publication par une de sesmeilleures amies, Christine Aubé-Savoy. En plus de leurvaleur littéraire, ces textes ont le mérite de nous donner unaccès unique à l’expérience d’une jeune femme qui a dûêtre transplantée à l’adolescence. Le procédé littéraire de latroisième personne semble illustrer ce sentiment d’altéritépar rapport à soi-même vécu autour de la maladie, desprocédures médicales et de la gestion de cet « autre » endedans de soi.

Michel Duval, hématologue, partage ensuite ses question-nements sur la question de la transplantation de moelleosseuse, en soulignant notamment les spécificités de cettetechnique par rapport aux autres types de transplantation eten faisant état des enjeux éthiques principaux identifiés danscette pratique. Le texte de Marie-José Clermont, néphro-logue, offre une réflexion privilégiée sur le vécu du médecintransplanteur en greffe rénale pédiatrique, dont les enjeuxde responsabilité et de culpabilité éventuelle, ainsi que lerôle important de dépositaire de la mémoire et des originespar le médecin. Suzanne Lépine, psychiatre consultante,

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explique le rôle du pédopsychiatre dans une équipe de trans-plantation et présente diverses étapes du processus où sonintervention s’avère nécessaire pour sortir d’impasses théra-peutiques et favoriser le plus possible une bonne évolutionpour l’aventure de la greffe.

Annie Gauthier, anthropologue, revient ensuite sur lesrésultats de son travail de recherche au sein de l’équipe detransplantation hépatique, analysant les enjeux, les tensionset les mouvements présents dans la vie de l’équipe.

Le témoignage de Louise Ménard, mère d’une fillettegreffée à un mois de vie, clôt cette réflexion sur la trans-plantation d’organes ; ces extraits de «Lettre à ma fille » fonteux aussi acte de mémoire et de trace pour cette procéduretechnique, rendant ainsi représentable, transmissible et peut-être plus facilement assimilable une expérience aux effets àla fois réparateurs et traumatiques.

Sylvaine De Plaen

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La transplantation compromet le plus intime chez l’homme,ses connaissances, sa science, son pouvoir sur la mort et ses limitesdans le respect des normes que la société a établies. À partir de ces

principes, il va établir le développement de sa responsabilité.

Daniel Alagille

L’humanité a rêvé pendant des siècles de la possibilité deréaliser des transplantations d’organes et de tissus. Déjà auXVe siècle, le moine Angelico représentait sur le triptyquesitué derrière l’autel du couvent de Saint Marc, à Florence,saint Côme et saint Damien en train de transplanter la jambed’un commerçant florentin souffrant d’un cancer. Plusieursautres exemples peuvent être répertoriés dans des œuvresartistiques et scientifiques tout au long de l’histoire del’humanité.

Au début du XXe siècle, plusieurs transplantations expé-rimentales ont été réalisées chez les animaux, avec des résul-tats qui ont permis d’améliorer la technique chirurgicale,mais qui ont également été décourageants à court ou moyenterme à cause du rejet du tissu ou de l’organe transplantépar le système immunitaire du receveur. C’est seulement dansles années 50 que les premières transplantations humaines

Transplantation d’organes: enjeuxéthiques et sociaux

Fernando ALVAREZ

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entre mère et fils et entre jumeaux identiques ont été réus-sies. Ces premiers résultats ainsi que la découverte, un peuplus tard, du système HLA, ont permis le succès à plus longterme de la greffe d’organes.

Au début des années 80, la découverte par le chercheursuisse Jean-François Borel de la cyclosporine, substancechimique extraite du champignon Tolypocladium inflatum,a rendu possible le contrôle du rejet d’organe et, par consé-quent, a permis l’expansion de la transplantation commepossibilité thérapeutique dans le monde entier. La trans-plantation de tissus et d’organes a contribué au progrès dela biologie et des techniques chirurgicales mais, en mêmetemps, en tant que nouvelle thérapie, elle a engendréd’énormes défis sur les plans culturel, social, psychologiqueet éthique. C’est sur ces nouveaux défis que nous souhaitonsnous questionner, sans prétendre donner de réponses catégo-riques ou dogmatiques, mais en essayant plutôt d’apporter deséléments de discussion nous permettant de progresser dansnotre pratique clinique. Cette réflexion s’inscrit dans le con-texte d’un développement accéléré des connaissances scienti-fiques et des possibilités technologiques.

Lord Turnberg, ex-président du Collège royal des médecinsde Grande-Bretagne, a écrit il y a deux ans: «Dans les vingtprochaines années, la médecine avancera autant que dansles vingt derniers siècles.» Même si la progression des con-naissances ne suit jamais un cours linéaire, nous pouvonsspéculer que la transplantation de tissus et d’organes telleque nous la connaissons aujourd’hui sera très rarementappliquée vers la fin du XXIe siècle. Nous pouvons proposerau moins deux raisons pour justifier cette affirmation : 1) uneplus grande connaissance des maladies menant aujourd’huià la destruction d’organes ou menaçant la vie des individus;2) le développement de la transplantation de cellules, laproduction in vitro des tissus ainsi que la thérapie géniquequi se convertiront en alternatives thérapeutiques réelles,même si aujourd’hui leur application demeure à échelle trèsréduite.

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Une des plus grandes limites à la transplantation d’organesest leur disponibilité. Des progrès récents dans les techniqueschirurgicales ont permis la transplantation d’organes adultesà des enfants ainsi que l’utilisation de donneurs vivants pourtransplanter enfants et adultes. Tout ces succès chirurgicauxconcernent surtout certains organes comme le foie et, àun moindre niveau, les reins, le pancréas et l’intestin; parcontre, le cœur et le poumon demeurent des exceptions detaille.

Don d’organes : un nouveau problème éthiqueet social

La mort, jusqu’à très récemment définie comme l’arrêt ducœur, s’est transformée au cours des dernières décennies enla cessation permanente de l’activité cérébrale. Cette nouvelledéfinition de la mort, qui répondait à la nécessité d’obtenirdes organes pour la transplantation qui puissent demeurerperfusés jusqu’au moment de leur prélèvement, n’a pas tou-jours été acceptée par l’ensemble de la société et engendretrès souvent des doutes et des soupçons que les débatsmédiatiques n’ont pas aidés à dissiper. Malgré l’établisse-ment de règles claires et d’une méthodologie rigoureuseacceptées et appliquées universellement pour diagnostiquerla cessation irréversible des fonctions cérébrales, des doutespersistent au sein de la population. On se demande souventsi la personne est « vraiment » morte, d’autant plus que lesorganes sont toujours présents et continuent de fonctionner.De fait, si la cessation de la fonction cardiaque et sesconséquences sont évidentes et facilement observables parquiconque, établir l’absence d’une activité cérébrale requiertl’aide de techniques hautement spécialisées.

Dans plusieurs pays, des lois ont été émises établissantque tout adulte en état de mort cérébrale soit considérécomme un donneur d’organe potentiel si, de son vivant,il n’a pas manifesté son opposition. Dans la pratique néan-moins, l’acceptation du don d’organe par la famille esthabituellement demandée. Cette acceptation est toujoursnécessaire quand elle concerne des patients pédiatriques.

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Malgré toutes ces considérations, nous continuons à nousquestionner sur l’impact psychologique que peut avoir ledémembrement d’une personne proche et la significationsymbolique qu’elle revêt selon le contexte religieux etculturel en général. Dans certains pays comme le Japon, desbarrières culturelles limitent encore aujourd’hui le nombrede donneurs en état de mort cérébrale. En contrepartie, lestransplantations utilisant les organes de donneurs vivants sesont non seulement développées et perfectionnées, maiselles ont également contribué largement au progrès des tech-niques chirurgicales ailleurs dans le monde. Par exemple,pour diminuer les risques pour les donneurs, les chirurgiensjaponais ont développé et utilisé des techniques laparosco-piques sophistiquées pour l’extirpation de rein ou de lobehépatique.

Que signifie la transplantation d’un organe qui est encorevivant et qui appartenait à un être aimé ? Comment peut-onfaire le deuil d’une personne qui continue à vivre «d’unecertaine façon » dans un autre individu ? Tous ces élémentsde réflexion peuvent être considérés comme une justificationsuffisante pour maintenir l’anonymat autour des donsd’organes. Et pourtant, cet anonymat empêche ce que lesanthropologues appellent le « contre don », c’est-à-dire ledevoir de payer en retour la dette contractée, dans ce cas enremerciant la famille du donneur. Ceci nous mène à uneautre question : Quel est l’impact sur le receveur de l’organereçu ? Comment vit-il la culpabilité d’être demeuré vivant auprix de la mort de quelqu’un d’autre ? Nous, professionnelsresponsables du suivi des patients transplantés, devrionsnous renseigner sur ces sujets jusqu’à maintenant peuconsidérés. Très peu de patients sont capables de verbaliserl’angoisse et l’anxiété que ces questions représentent poureux.

Les dons d’organes posent aussi une série de questionséthiques fondamentales. Les pays qui ont, les premiers,développé la transplantation d’organes à partir d’un don-neur en état de mort cérébrale se sont dotés de structuresvisant à établir et à faire respecter des règles de distribution

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des organes prélevés. Ces structures sont basées sur des prin-cipes éthiques presque universellement acceptés. Plusieurspoints sont soulignés : 1) le respect de l’anonymat ; 2) la jus-tice distributive ; 3) l’absence de toute notion mercantilisteentre le donneur et le receveur.

Le don d’organes est un acte fondamentalement généreuxet solidaire. Dans la pratique, les institutions créées dépen-dent de l’État et sont constituées par des représentants de lasociété qui peuvent ou non avoir des liens avec l’activité detransplantation. Ces individus établissent les normes quirespectent les principes éthiques mentionnés plus haut etassurent l’obtention et la distribution équitable des organes.Très souvent, toutefois, des problèmes peuvent surgir, notam-ment suite à des conflits d’intérêts entre d’une part les profes-sionnels qui sont en charge des patients nécessitant unetransplantation et, d’autre part, les autorités responsables dela distribution des organes. Pour éviter ce type de conflit,nous avons besoin de normes pour régir le fonctionnementde ces institutions ainsi que des hôpitaux qui réalisent lestransplantations. Par ailleurs, l’évaluation des résultats de touttype d’activité de greffe doit être transparente et rigoureuse. Leconsensus dans les indications d’une greffe ainsi que la réali-sation des études de recherche doivent être réglementés àpartir d’avis d’experts impartiaux. La seule réponse valable,pragmatique et positive face aux préjugés et aux conflits estle respect des règles et des normes établies. La diffusion dansla presse de faits aberrants, comme le paiement sous formede rétribution économique à un donneur ou encore le non-respect de l’anonymat ont toujours été très délétères pour ledon d’organes.

La transplantation et le système de santé

Le développement de la transplantation et le don d’organese sont développés différemment dans les pays qui ont adop-té ce type de thérapie, en accord avec le système de santé envigueur dans chacun. La plupart des systèmes de santé euro-péens comme le système de santé canadien sont basés sur lasolidarité sociale et sur l’égalité d’accès à tous les services.

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18 LA TRANSPLANTATION D’ORGANES

Dans ces pays, la transplantation est réalisée principalementdans des hôpitaux publics et les coûts sont intégralementassumés par l’État. Le suivi et les coûts des médicamentsen général sont aussi dépendants de l’apport étatique. Néan-moins, dans ces mêmes pays, on peut constater des inégalitéspar rapport à la possibilité d’accès à une transplantation etau suivi ultérieur. Dans un article récent, McCormick et coll.décrivent les inégalités liées au niveau socio-économiqueainsi qu’à la proximité géographique avec les centres detransplantation dans un pays comme l’Irlande, dans lequel ilexiste pourtant un système universel d’accès à ce type detraitement.

Dans des pays comme les États-Unis d’Amérique, la situa-tion est beaucoup plus dramatique. Presque 20 % de lapopulation n’a aucune assurance-maladie et par conséquentn’a qu’un accès très limité à la transplantation d’organes.Dans ces pays, même si on reçoit une transplantation, leniveau socio-économique et la provenance du patient influen-cent lourdement les résultats thérapeutiques à long terme.Un autre problème éthico-social intéressant est posé parles étrangers transplantés aux États-Unis, en général des gensd’un niveau socio-économique élevé mais transplantés avecdes organes de donneurs locaux. Cette situation est expliquéepar les bénéfices économiques significatifs pour l’hôpital etles professionnels qui réalisent la procédure.

Le type de système de santé a aussi une influence sur lescoûts d’une transplantation. Aux États-Unis, les évaluationspré-transplantation hépatique et le suivi post-greffe coûtentenviron 250 000 $ US, alors que le prix pour les mêmesactivités avoisine les 50000 $US pour le Canada. Cette diffé-rence peut être expliquée partiellement par les bénéficeséconomiques obtenus par les centres de transplantation auxÉtats-Unis et qui varient entre 0% et 85%, avec une moyenneaux alentours de 50 %. Cette activité lucrative a eu commeconséquence la constitution de groupes de transplantationayant une activité réduite dans plusieurs centres de santé àtravers le pays, ceci sans qu’on tienne compte du fait que la

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Les auteurs, qui sont issus de diverses spé-cialités (pédiatrie, psychiatrie, anthropologie,sociologie…) abordent dans cet ouvrage, enmultipliant perspectives et expertises, certainsdes enjeux liés au phénomène complexe dela transplantation.

Leurs textes révèlent, au-delà des aspectstechniques, la façon dont cette pratique estégalement traversée par des valeurs, dessignifications et des enjeux propres à lasociété elle-même et à chaque individu.

Le témoignage émouvant de la mère d’uneenfant transplantée de même que le texted’une jeune femme ayant reçu un rein com-plètent cette réflexion sur les enjeux et lesparadoxes de la transplantation d’organes.

Cette pratique met inévitablement en jeudes notions telles que l’identité et l’image desoi. Elle est donc analysée ici sous des anglesdivers, à la fois identitaires, développemen-taux, médicaux, sociologiques, culturels etéthiques.

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Textes de Fernando Alvarez, Gilles Bibeau,Johanne Boivin, Marie-José Clermont, IsabelleCossette, Sylvaine De Plaen, Michel Duval, AnnieGauthier, Jacques-T. Godbout, Suzanne Lépine,Margaret Lock et Louise Ménard.

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