La SEMCO1 : avec ou sans Ricardo
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La SEMCO1 : avec ou sans Ricardo
La SEMCO constitue « une des entreprises les plus extraordinaires de ce monde » (Semler,
2007, p. 13). En 1994, Radio-Canada y fit un reportage édifiant. Visionnez-le à l’adresse
suivante : http://www.dailymotion.com/video/xlq9q3_engageriez-vous-votre-patron-
enjeux_news.
L’entreprise brésilienne SEMCO intervient dans de multiples secteurs et s’est faite remarquer,
depuis les années 1980, grâce à son style de gestion particulier. Initialement active dans le
secteur maritime, la SEMCO fabrique à l’heure actuelle plus de 2 000 produits, allant du lave-
vaisselle jusqu’au lecteur numérique (CNN, 2004). L’entreprise s’est également diversifiée
afin d’offrir des produits dans le secteur environnemental et bancaire. De plus, elle offre des
services-conseils sur le marché immobilier, des solutions de gestion d’inventaires ou de
gestion de documents pour lesquels elle est actuellement leader sur le marché2. Par cette
diversification, la SEMCO est donc aussi devenue une entreprise de services et elle a
développé de nombreux partenariats3. Il s’agit d’une des compagnies ayant la plus forte
croissance en Amérique latine (Stockport et Chaddad, 2000, p. 13).
1. SEMCO : histoire et contexte économique
La compagnie SEMCO, multinationale brésilienne, a été fondée en 1952 (Stockport, 2010).
Son siège social se trouve à São Paulo au Brésil, où Antonio Semler, fondateur de la
compagnie, est né. Antonio Semler obtint un brevet pour une centrifugeuse qui sépare les
huiles et s’associa avec deux fabricants britanniques de pompes marines vers la fin des années
1960 (Trouvé, 2005). Avec ses collègues, il fonde l’entreprise Semler & Co, qui agit d’abord
dans la construction navale et devient ensuite un fournisseur important pour les entreprises
brésiliennes. Aujourd’hui, l’entreprise intervient dans différents secteurs et ses produits
varient de la pompe pour les pétroliers jusqu’aux dispositifs de refroidissement pour des
climatiseurs (Bamford et Fenton, 2002).
Les premières années qui suivent la fondation de la compagnie furent difficiles et SEMCO
accuse des retards importants sur le plan de la production. Les employés manquent de
motivation et montrent un comportement apathique (Bamford et Fenton, 2002). L’entreprise
est dans cet état critique quand Antonio Semler décide de la transmettre à son fils, Ricardo
Semler, en 1980, année où le fondateur approche l’âge de 70 ans. Au moment où Ricardo
Semler débute dans ses fonctions de PDG de SEMCO, il n’a que 21 ans et dispose d’une
expérience limitée en gestion.
1 Ce cas a été rédigé par Kerstin Kuyken (étudiante au doctorat en administration à l’ESG UQAM), sous la
direction de Mehran Ebrahimi et Anne-Laure Saives. Révision : Anne-Laure Saives. 2 Site de la SEMCO, www.semco.com.br (consulté le 28 février 2012).
3 Ibid. (voir aussi les sections 1. et 2.3.).
2
Durant cette période, le contexte économique au Brésil est difficile pour les entreprises
privées. Pendant les années 80, le Brésil est frappé par une crise économique4, comme bien
d’autres pays latino-américains (Sader, 2002) et d’autres pays en développement.
L’émergence de cette crise s’explique par l’imposition, par les pays du Nord aux pays en voie
de développement (PED), d’une dette (à la suite du choc pétrolier des années 70) qui
s’amplifie au fil des ans à cause de l’incapacité de ces pays à rembourser. En effet, cette dette
s’est encore alourdie au début des années 1980, à la suite d’une baisse des prix des matières
premières imposée par les pays du Nord, notamment par les États-Unis. Pour le Brésil, cette
crise économique grave a comme conséquence l’instabilité économique et l’hyperinflation
(Pozzebon, 2008), et fait en sorte que, pour survivre, les entreprises privées comme la
SEMCO sont forcées de changer leur façon de faire de manière fondamentale.
Ces circonstances expliquent que la période qui suit le changement de direction est si difficile
que SEMCO risque de faire faillite ainsi que le raconte le jeune directeur Ricardo Semler :
Les difficultés de l’économie brésilienne et les réglementations restrictives du
gouvernement constituent déjà un lourd handicap; la faible notoriété de SEMCO
nous complique encore la tâche. Nous dansons sur un volcan, non sans trébucher de
temps en temps… (Semler, 1993, p. 45.)
Comme son père, le jeune gestionnaire a aussi de plus en plus de problèmes de santé; ce que
les médecins expliquent par le stress de la responsabilité de l’avenir de l’entreprise (Bamford
et Fenton, 2002). Ne voyant pas d’autre voie de sortie à cette situation, Ricardo Semler décide
alors d’entamer des changements importants.
Un vendredi de 1980, il convoque chacun des membres de la haute direction (ce fait est,
depuis, considéré comme un tournant important dans l’histoire de la compagnie). Dans le
cadre de ces rencontres individuelles, au cours d’un après-midi, Semler met à la porte 60 % de
l’équipe de direction (Semler, 1993, p. 38). Ensuite, il procède à une remise en question des
processus de gestion, qui impliquent l’abandon des pratiques managériales devenues des
automatismes chez SEMCO (et d’autres compagnies). Par exemple, on abandonne la règle de
venir au bureau à 8 heures du matin ainsi que l’adoption d’un code vestimentaire uniforme
pour les employés. En fait, le changement consiste en une mise en avant des intérêts et des
idées des employés, ce qui est une transformation majeure par rapport au style de gestion
d’Antonio Semler, jusqu’ici plutôt classique et hiérarchique. Ce processus de transformation
dure cinq ans et constitue une période difficile pour la compagnie, comme l’exprime monsieur
Neto, le directeur manufacturier qui rejoint SEMCO en 1984 :
Nous avons expérimenté une période très turbulente […] Nous l’appelons le camion
des melons d’eau. Imaginez un camion rempli de melons d’eau et vous ouvrez le
hayon et tous les melons sortent en même temps. C’était comme ça quand nous
avons demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ce qu’ils aimaient et n’aimaient pas. La
compagnie a décidé qu’il n’y avait pas de tabous. Ils pouvaient tout demander et les 4 TEARFUND (s. d.). « Guide du plaidoyer. La Crise de la Dette », Le plaidoyer et la dette : un guide pratique,
http://tilz.tearfund.org/webdocs/Tilz/Topics/Other%20advocacy%20training%20materials/AdvdebtFR%20-
%202-3.pdf (consulté le 28 février 2012).
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livres de la compagnie étaient ouverts […] Mais c’est beaucoup plus facile à dire
qu’à faire5. (Cité par Fisher, 2005, p. 7.)
Ce changement fondamental de la culture d’entreprise implique d’autres transformations,
telles que le changement de la structure organisationnelle initiale et l’abandon de la rédaction
de plans stratégiques. Les employés de la SEMCO n’ont désormais plus de titre officiel, de
bureau fixe, ni de carte d’affaires qui indique leur fonction dans l’entreprise (Semler, 2004). Il
n’existe pas de département des ressources humaines ni de direction des services
informatiques. Les objectifs ne sont écrits nulle part et il n’est pas nécessaire de faire
approuver les budgets par un processus formel (Semler, 2004).
Les mutations de SEMCO concernent également les activités de l’entreprise. Au début des
années 80, le secteur maritime dans lequel s’insèrent les activités de la SEMCO est en crise,
ce qui amène l’entreprise à une forte récession (Stockport et Chaddad, 2000). L’entreprise
procède donc à une diversification importante de ses activités; un processus qui débute par
une série d’acquisitions d’autres firmes. La SEMCO achète, par exemple, la société Flakt,
manufacturier de systèmes de réfrigération pour bateaux et de systèmes de ventilation pour
des machineries de navires. De plus, la SEMCO complète l’acquisition de BAC (Baltimore
Aircoil), un fabricant de systèmes de climatisation et achète la firme Hobart, une division de
fabrication d’électroménagers de Dart & Kraft Brazilian en 1984 (Stockport et Chaddad,
2000). Aujourd’hui, la création de partenariats forme une partie intégrante du modèle de la
SEMCO (pour plus de détails, voir la section 2.3.). L’entreprise est constamment à la
recherche de nouveaux partenaires qui disposent d’un savoir particulier et qui visent un
développement international de leurs activités6.
Par ailleurs, ces changements n’auraient probablement pas pu avoir lieu sans l’arrivée de
Clovis Bojikian, que Ricardo Semler embauche comme directeur des ressources humaines
(DRH). Clovis Bojikian, qui est d’origine arménienne, a été conseiller puis directeur d’une
école de formation continue de professeurs fraîchement diplômés de l’Université de São
Paolo, puis a travaillé comme DRH chez KSB Pompes, société concurrente de la SEMCO
(Semler, 1993). Plutôt par hasard, il a trouvé son chemin vers la SEMCO où Ricardo Semler
l’a embauché en raison de la sympathie qu’il éprouvait pour lui :
Je rencontre Clovis dans mon bureau. Les chasseurs de tête recommandent toujours à
leurs candidats de porter costume bleu marine, chemise blanche, cravate classique et
se raser de près. Et voilà qu’arrive un homme squelettique, la quarantaine bien
tassée, affublé d’un affreux costume marron et d’une chemise beige, arborant une
moustache blanche retroussée à la Buffalo Bill (il porte quand même une cravate!). Il
me plaît tout de suite. (Semler, 1993, p. 59.)
5 Traduction libre de Fisher : « We experienced a very turbulent period, […] We call it the watermelon truck.
Imagine a truck full of watermelons, and you open the tailgate and all of them roll out. That’s what it was like
when we started asking people what they wanted, what they liked and didn’t like. The company decided there
were no taboos, they could ask anything […]. But it’s much easier to say than to do. » 6 Site de la SEMCO, www.semco.com.br (consulté le 28 février 2012).
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Clovis Bojikian a une passion pour la pédagogie qu’il peut développer pendant son expérience
à l’école. Sous sa direction, l’école vit plusieurs innovations, telles que l’apprentissage qui
passe par la réflexion plutôt que par la mémorisation, par la remise en question de différentes
disciplines, par la libre organisation et le choix des matières par les élèves (Semler, 1993,
p. 58). Cependant, à cette époque, le contexte brésilien est trop conservateur pour supporter ce
type de pratiques. Le pays est encore gouverné par des généraux qui renvoient Clovis
Bojikian, malgré l’appréciation de ses élèves. Après plusieurs autres expériences de travail
(chez Ford et KSB), il trouve enfin sa place chez SEMCO et peut revenir à ses idées
pédagogiques, cette fois-ci pour les appliquer dans un contexte managérial.
Il affirme :
Je pouvais voir l’opportunité de faire plus de travail innovateur ici, dans une
organisation, […] Nous voulions démontrer que le lieu de travail peut être un lieu de
satisfaction, et non de souffrance. Le travail devrait être un plaisir, et non pas une
obligation. Mais cela n’était pas seulement une thèse humanitaire. Nous croyions que
les personnes qui travaillent avec du plaisir sont plus productives7. (Clovis Bojikian,
cité par Fisher, 2005, p. 6.)
Plusieurs changements fondamentaux sont adoptés et le chiffre d’affaires de l’entreprise passe
de 4 millions de dollars en 1980 à 35 millions en 1994, puis à 212 millions en 2003 (Trouvé,
2005) et l’effectif de 90 employés en 1990 à 3 000 employés en 2003 (Semler, 2004).
L’implication de Ricardo Semler est, par la suite, dégressive. Déjà en 1994, il ne consacre
plus qu’un tiers de son temps aux activités de l’entreprise, travaille de plus en plus de chez lui
et met l’accent sur d’autres apprentissages (Radio-Canada, 1994). Finalement, à partir de
l’année 2000, le leadership à la SEMCO est assuré par une équipe de cinq personnes,
appelées les « cinq mousquetaires » (Stockport, 2010, p. 332). Chacun de ses membres (João
Vendramin, José Alignani, Marcio Batoni, José Violi et Clovis da Silva Bojikian) a son
propre style de leadership. La présence de cette équipe permet à Ricardo Semler de se retirer
presque totalement des activités de la SEMCO entre 2000 et 2005 ; son souhait étant qu’à
terme l’entreprise n’ait plus besoin de lui (Fisher, 2005). Durant cette période, il se questionne
sur la succession de l’entreprise; un processus pour lequel il a engagé un psychothérapeute
qui, en fin de compte, n’apporte pas beaucoup à l’organisation (Stockport, 2010). En même
temps, tel qu’il le souhaite, Ricardo Semler est finalement écarté du dernier comité stratégique
sur lequel il siège parce que ses membres ne voient plus aucune raison à sa présence
(Stockport, 2010). L’autonomie décisionnelle de SEMCO est finalement effective en 2005
alors que Ricardo Semler est victime d’un accident de voiture et passe plusieurs mois à la
clinique. À la suite de l’accident, une élection démocratique a lieu afin d’élire Danilo Saicali à
titre de remplaçant, bien que cette élection est plutôt symbolique puisque l’entreprise est déjà
largement autogérée depuis plusieurs années.
7 Traduction libre de Fisher : « I could see the opportunity to do more innovative work here, inside an
organization, […] says Mr. Bojikian, 72, who is, under Semco’s policy of rotating leadership, currently chief
executive. We wanted to demonstrate that the workplace could be a place of satisfaction, not of suffering.
Work should be a pleasure, not an obligation. But this wasn’t just some humanitarian thesis. We believed that
people working with pleasure could be much more productive. »
5
Encadré 1 : Les faits saillants de l’histoire de l’entreprise SEMCO
2. La SEMCO aujourd’hui
2.1. À l’intérieur des murs de l’entreprise
En arrivant aujourd’hui à la SEMCO, un visiteur cherche probablement d’abord un espace
pour garer sa voiture. Il constate que le terrain de stationnement n’a pas d’organisation
particulière, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’espaces assignés aux personnes et que l’on n’y
fait pas la différence entre directeur, employé ou visiteur (Pozzebon, 2008). Une fois la
voiture laissée sur le stationnement, le visiteur est entouré d’un des jardins qui servent de lieu
de repos pour tout employé de la compagnie brésilienne. Il risque fort d’y apercevoir des
hamacs partout (Fisher, 2005, p. 4) pour les employés qui souhaiteraient faire une sieste dans
l’après-midi. Il est également possible que certains bureaux vifs et clairs soient vides car rien
n’empêche les employés de passer un après-midi à la plage (Fisher, 2005), de travailler à la
maison ou dans un café (Semler, 2004). Il n’y a pas de secrétaires, ni d’assistantes
administratives dans les locaux, dont les murs sont décorés avec de l’art brésilien. La cafétéria
est un lieu de rencontre décoré par les employés eux-mêmes. Puisque cet endroit était l’objet
de nombreuses plaintes à l’époque du fondateur Antonio Semler, son fils Ricardo et son DRH
l’ont transformé pour qu’il soit géré et décoré par les employés (Semler, 2004). Les autres
locaux de l’entreprise se distinguent aussi des bureaux habituels :
Personne n'est le propriétaire de son bureau. Chaque jour, les employés occupent un
espace différent, choisi parmi les places disponibles dans les installations physiques :
stations de travail partagées, cafétérias, jardins internes, salles de séjour, salles de
réunion, etc. Si d'une part l'on n'y retrouve plus le confort d'un « territoire bien
défini », avec son téléphone, sa chaise et sa secrétaire, on a cependant la liberté de
1912 Fondation à São Paulo (Brésil).
1980 Changement de PDG – SEMCO est gérée par le fils du fondateur : Ricardo
Semler.
1980-2000 Changements importants chez SEMCO (par ex. : transformation progressive en
entreprise de services, réorganisation des horaires des salariés).
2000-2005 Leadership assumé par les « cinq mousquetaires ». Ricardo Semler se retire de
plus en plus de l’activité quotidienne de l’entreprise et entreprend des
démarches de succession.
2005 Accident de Ricardo Semler, élection démocratique de Danilo Saicali qui agit à
titre de remplaçant symbolique.
2008 SEMCO se gère de façon autonome, sans besoin d’un dirigeant.
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choisir et de partager chaque journée avec des gens qui œuvrent à différents postes
avec des responsabilités distinctes. Il s'agit de « bureaux non territoriaux ». C'est la
fin du contrôle physique, les employés travaillent selon leurs besoins, leur rythme et
leur engagement. (Pozzebon, 2008.)
À la place des bureaux classiques organisés en cubes, on retrouve donc plutôt des stations de
travail composées de tables rondes et de prises pour ordinateurs portables. Dans les couloirs,
il n’est pas rare de tomber sur un gestionnaire senior avec des cheveux gris, qui mène une
discussion avec ses jeunes collègues, fraîchement recrutés de l’université (Fisher, 2005, p. 3).
2.2. Les fondements de la gestion chez SEMCO
Cette liberté sur le plan de l’espace reflète les principes de gestion de SEMCO. Depuis
l’arrivée de Ricardo Semler, soutenu par Clovis Bojikian, l’entreprise est gérée avec un
« style managérial ouvert » (Stockport, 2010, p. 331), résumé par l’appellation « la manière
SEMCO » (Jeito Semco de Ser). Cette dernière s’appuie sur des principes et des valeurs
fondamentaux ainsi que sur un manuel de survie (Manual De Sobrevivência).
Les principes et valeurs
Trois principes et valeurs sont maintenus au sein de la compagnie et forment la base du style
managérial. Il s’agit de la démocratie, du partage de profit et de l’information.
Figure 1 : Les principes et valeurs de la SEMCO (adaptée de Stockport, 2010, p. 331)
Par la démocratie, Ricardo Semler entend le fait de « valoriser la sagesse des gens » (Semler,
2007, p. 13). Depuis 1980, tous les employés participent à la prise de décision. Par exemple,
l’adoption d’un nouveau produit ou bien l’achat d’une nouvelle usine de production sont des
points qui sont décidés par les employés (Semler, 1993; Stockport, 2010). Pour Ricardo
Semler, cette valeur fait partie de la nature humaine et devrait donc aussi être fondamentale
sur le plan du travail :
Nous demandons tous de la démocratie dans tous les autres aspects de nos vies et de
notre culture. Les gens sont considérés comme adultes dans leurs vies privées, à la
banque, à l’école de leurs enfants, avec la famille et entre amis — alors pourquoi
7
sont-ils tout d’un coup traités comme des adolescents au travail?8(Semler, 2004,
p. 9.)
Le partage de profit constitue la deuxième valeur de base chez SEMCO. Contrairement à
d’autres organisations où le profit est automatiquement distribué aux actionnaires, les
employés prennent en main cette décision car, selon Ricardo Semler, cette possibilité les
incite à mieux effecteur leur travail (Semler, 1993). Ce sont donc les employés qui décident
comment distribuer le profit et la part des employés au profit est habituellement de 23 %
(Stockport, 2010). D’ailleurs, Ricardo Semler constate que cette façon de faire donne plus de
sens au travail effectué : « Le but du travail n’est pas de gagner de l’argent. C’est de faire que
ceux qui ont un travail pénible aussi bien que les cadres dirigeants se sentent bien dans la
vie » (Semler, 2004, traduit par Trouvé, 2005, p. 149). La troisième valeur fondamentale de la
gestion concerne la transparence de l’information. Ainsi, les employés sont au courant des
solutions à adopter et des pratiques à éviter (Semler, 1993).
Le manuel de survie
Afin de compléter les valeurs de base et de les rendre plus concrètes, un document appelé le
manuel de survie est disponible pour tout employé. Il est accessible sur le site Internet afin de
partager la culture d’entreprise avec des personnes externes. Le manuel de survie contient dix
règles d’or qui donnent le cadre général des valeurs de la SEMCO. Il s’agit donc d’un guide
qui sert d’orientation pour toute personne qui désire en apprendre davantage sur cette
entreprise brésilienne. Par exemple, comme pour les espaces physiques de travail, la SEMCO
explique, dans ce manuel, la liberté accordée à la fixation des salaires et des horaires de
travail :
« […] les horaires sont flexibles et chaque employé
détermine ses journées et son horaire de travail selon les
caractéristiques de ses fonctions et ses activités, et selon
ses préférences. Dans ce système, il est reconnu que
chacun travaille à une vitesse qui lui est propre et excelle
à différentes fonctions dépendamment de l'heure de la
journée. » (Pozzebon, 2008.)
Image tirée du site Internet de la SEMCO,
Manual De Sobrevivência, p. 20,
www.semco.com.br (consulté le 30 juillet 2012).
8 Traduction libre de Semler : « We all demand democracy in every other aspect of our lives and culture. People
are considered adults in their private lives, at the bank, at their children’s schools, with family and among
friends - so why are they suddenly treated like adolescents at work? ». 9 Citation originale : « The purpose of work is to make the workers, whether working stiffs or top executives,
feel good about life » (Semler, 2004, p. 151).
8
Dans ce même manuel, on peut lire qu’à la SEMCO, on valorise :
« […] le partage des informations et la
transparence. […] La communication interne est
ouverte et toute information doit être disponible à
tous. L’utilisation des outils collaboratifs basés sur
le Web est une des clés quant à l’infrastructure.
Selon le chef de la direction, personne ne peut
s'attendre à ce qu’un esprit d’implication et de
collaboration émerge sans qu'il y ait une abondance
d’information disponible à tous les employés et à
tout moment, indépendamment de leur fonction ou
degré dans la hiérarchie. » (Pozzebon, 2008.)
Les technologies de l’information reflètent cette vision du partage de l’information. Afin de
souligner la transparence dans l’entreprise, SEMCO tient un intranet qui sert à la diffusion de
l’information. Même si les employés ne disposent pas d’un bureau permanent, ils détiennent
un espace de travail numérique où ils déposent tous leurs documents, leurs adresses contacts
et même leurs agendas qui sont ensuite accessibles à l’ensemble des employés de la SEMCO
(Pozzebon, 2008).
2.3. La structure organisationnelle et le réseau de SEMCO
La structure organisationnelle reflète aussi le style managérial de la SEMCO. Plusieurs
changements y ont été apportés. Avant l’arrivée de Ricardo Semler, la structure
organisationnelle de la SEMCO comprenait douze niveaux hiérarchiques (Petersson et
Spängs, 2005); chaque niveau impliquant différentes responsabilités. Comme toute
organisation classique, la SEMCO disposait des départements de finance, de marketing, de
production etc. (SEMCO, 1993). Cependant, Ricardo Semler et son équipe ne voit plus de
sens à cette structure :
L’organigramme, c’est le certificat de naissance d’une affaire, ni plus ni moins. Cela
ne sert qu’aux gens qui ne savent pas très bien quelles sont les origines d’une
division ou d’un poste. Les organigrammes ont certes leur place dans l’entreprise
moderne — je veux dire bien à l’abri, enfermés dans un tiroir. (Semler, 1993,
p. 216.)
À la suite de ce constat, les employés de la SEMCO ne se fient plus à l’organigramme initial.
Aujourd’hui, il existe uniquement quatre types d’employés qui travaillent dans des « divisions
autonomes » (Semler, 1993) :
1) les « conseillers », qui peuvent être comparés aux vice-présidents d’une
compagnie. Ils prennent en charge les politiques et stratégies générales;
Image tirée du site Internet de la SEMCO,
Manual De Sobrevivência, p. 37,
www.semco.com.br (consulté le 30 juillet
2012).
9
2) les partenaires, qui gèrent les différentes divisions (Business Units);
3) les coordinateurs, qui se concentrent sur les activités de marketing, de vente et de
production;
4) les associés, qui comprennent tout autre employé travaillant chez SEMCO.
La structure pyramidale est remplacée par des cercles de concentration qui reflètent cette
catégorisation en quatre types d’employés. Le premier cercle est formé par six conseillers
(tous des anciens PDG de SEMCO pour une période donnée), qui agissent à titre de catalyseur
pour les actions du deuxième cercle. Ce dernier comprend sept à dix partenaires dont chacun
est en charge d’une des seize divisions indépendantes de la SEMCO10
. Le troisième cercle
comprend les autres employés et dans ce cercle, des employés particuliers sont pointés par un
triangle pendant toute la période où ils assument la fonction de direction d’une équipe
(Petersson et Spängs, 2005).
Cette structure interne de l’organisation est enrichie par des « Nucléus d’innovation
technologique » (NIT), une expression qui désigne des groupes, formés la plupart du temps
d’ingénieurs. Il s’agit d’un ensemble d’employés qui sont parfois libérés de leurs
responsabilités quotidiennes de travail et qui consacrent leur temps à l’invention de nouveaux
produits. Par exemple, ils proposent des façons d’améliorer les processus et les produits ou ils
développent des façons de réduire les coûts. Souvent, ils proposent également des stratégies
ou des initiatives de gestion. Les membres de ces « nuclei » sont rémunérés en fonction de
leur entrepreneurship.
De plus, SEMCO a développé une structure particulière de partenariats externes. Il s’agit des
partenariats fortement bénéficiaires qui étaient forgés entre des organisations externes et la
SEMCO. Pour ces partenariats, la SEMCO a fourni un accès au marché brésilien et les
partenaires ont apporté de nouvelles qualifications et une diversification des opérations
d’affaires de la SEMCO11
(Stockport, 2010, p. 337). Par exemple, plusieurs partenariats, qui
ont déjà été développés au début des années 80, visent l’acquisition de compétences par
rapport à l’équipement de transformation (voir la figure 2). Plus récemment, la SEMCO s’est
intéressée à différents secteurs de services dont, par exemple, le partenariat avec H&R Block
qui offre des services fiscaux ou bien l’alliance avec Cushman & Wakefield, qui agit dans le
secteur immobilier. Les employés jouent un rôle important quant à la détermination des
partenariats potentiels (Semler, 2004).
10
En 2004, Ricardo Semler affirme que la SEMCO est composée de dix unités indépendantes ainsi que de six
compagnies Internet. Par contre, le nombre de ces compagnies ainsi que les marchés desservis peuvent changer
très rapidement. Selon Ricardo Semler, ce n’est pas le nombre des compagnies qui compte mais la synergie
qu’il y a entre elles (Semler, 2004, p. 16). 11
Traduction libre de Stockport : « Strong mutually beneficial partnerships had been forged between foreign
organisations and SEMCO. In these partnerships, SEMCO provided access to the Brazilian market, and the
partner brought new skills and diversification to SEMCO’s business operations. »
10
Figure 2 : Les partenaires de la SEMCO depuis les années 8012
Finalement, la SEMCO travaille également avec des sociétés « satellites ». Ces dernières sont
des compagnies, créées par d’anciens employés (Stockport et Chaddad, 2000). En effet, dans
le contexte de la crise économique au Brésil, le gouvernement a encouragé la création de
nouvelles entreprises (Radio-Canada, 1994). Cet encouragement a également lieu à la
SEMCO où l’entreprise essaie de donner du soutien concret aux employés qui ont des idées
d’affaires. Ce soutien peut, par exemple, prendre la forme de la location de l’équipement de
l’entreprise à un prix raisonnable (Stockport et Chaddad, 2000). C’est ainsi que João Soares,
ancien employé de la SEMCO et chef du comité d’usine d’une division de fabrication de lave-
vaisselles à Ipiranga (Semler, 1993, p. 265) est maintenant directeur d’une entreprise
« satellite » dont les valeurs se rapprochent de la SEMCO. João Soares, qui avait déjà montré
de l’initiative durant la période de crise de la SEMCO (voir l’encadré 2) est maintenant
directeur de son entreprise et explique que la transparence dans sa compagnie est cruciale afin
12
Cette figure a été développée à partir du site Internet officiel de la compagnie SEMCO : www.semco.com.br
(consulté le 28 février 2012).
11
d’encourager l’engagement et la loyauté des employés (Soares, cité par Stockport et Chaddad,
2000). Donc, les entreprises « satellites » font aussi partie du réseau de la SEMCO, ce qui
permet à la multinationale de rester proche du marché, d’intégrer différents types de
compétences et de servir plusieurs secteurs.
Figure 3 : La structure de la SEMCO
(adaptée de Semler, 1993, p. 206; Stockport et Chaddad, 2000, p. 8)
Cette nouvelle répartition des rôles change le fonctionnement de SEMCO de manière
fondamentale :
La mise en place d’un nouveau système signifie qu’on va démolir la pyramide,
supprimer radicalement des niveaux hiérarchiques, éliminer des tas de titres, briser
les chaînes de commandements établis. De plus, dans ce nouveau cadre, un
Coordinateur ne sera jamais placé sous l’autorité d’un autre, pas plus qu’un Associé
ne sera jamais placé sous celle d’un autre Associé. Cet élément aussi contribuera à
aplatir la hiérarchie et changera la nature des relations toute entière. (Semler, 1994,
p. 212.)
2.4. L’implication du personnel
Les valeurs fondamentales et la structure organisationnelle encadrent les différents processus
de gestion de la SEMCO et se reflètent ensuite dans différentes situations concrètes. Par
exemple, les employés prennent la parole et proposent différentes solutions en cas de crise
12
(voir l’encadré 2), comme dans des situations quotidiennes telles que l’embauche d’une
nouvelle personne (voir la capsule : L’entrevue d’embauche).
Encadré 2 : Engagement des employés en temps de crise
Par ailleurs, les employés sont impliqués pour chaque nouvelle embauche, même s’il s’agit de
candidats qui deviendront leurs supérieurs (Shah et Goss, 2007). D’abord, les candidatures
João Soares, maintenant directeur de sa propre entreprise, avait déjà démontré son engagement
quand il était encore employé dans l’usine de SEMCO à Ipiranga. Durant le temps d’une crise
économique, l’entreprise devait trouver des solutions afin de stabiliser sa situation économique.
Ricardo Semler, qui était à l’écoute de ses employés, aussi en situation de crise, témoigne
l’expérience suivante avec Soares (Semler, 1993, p. 265) :
Je suis tellement absorbé par mes pensées en partant ce jour-là que je ne vois pas João
Soares, le chef du comité d’usine, debout devant le poste de soudure. Mais lui, il me voit.
Il sait bien que la situation est alarmante, mais il veut tenir à tout prix. Cette usine a été la
preuve vivante de ce que l’on peut accomplir quand on traite les ouvriers en personnes
responsables et qu’on les incite à participer aux décisions. Pour lui, la fermeture est
impensable. Plus maintenant, après tout ce que nous y avons réalisé.
Dis-moi, João, si l’affaire t’appartenait et que tu savais que tu ne vendrais que
quelques lave-vaisselles par mois le trimestre prochain, au lieu des quarante que tu
vends d’habitude, qu’est-ce que tu ferais?
Voilà exactement ce qui ne colle pas dans notre façon de voir les choses, vous ne
pensez qu’au prochain trimestre! Vous oubliez complètement qu’on repartira, après
ça! Ou alors vous croyez que ça ne redémarrera jamais?
Non, João, ce n’est pas ça le problème! Mais ça fait un bon moment que cette unité ne
gagne plus un sou!
Ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire! "
[…]
João rentre chez lui, juste à la limite de São Paulo. […] Toute la nuit, il pense au
problème de l’usine. Ainsi d’ailleurs que toute la journée du samedi, et toute celle du
dimanche. SEMCO, c’est sa vie. […] Tout à coup, l’idée jaillit: il a trouvé une issue.
Le lundi matin, en arrivant, il rassemble les cent-cinquante ouvriers au grand complet au
milieu des ateliers et leur explique qu’il a une idée qui pourrait sauver l’usine et leur
emploi. Voilà : les ouvriers accepteraient une réduction volontaire de salaire de 30 % et
renonceraient à une augmentation de 10 % qui leur était due. […] Tout cela, c’est la
partie classique de son plan. Mais voici la différence : le personnel prendrait en charge
tous les services fournis à l’usine par des entreprises extérieures […]
Un grand silence accueille ses explications. Puis, une femme prend la parole :
Tu veux dire qu’on devra nettoyer les toilettes? Pas question! Je ne l’ai jamais fait de
ma vie, et ce n’est pas maintenant que je vais commencer!
Moi, je serai le premier à le faire. Ça me dérange pas de passer une demi-heure par
jour à faire le ménage dans les toilettes ou dans les bureaux. Tu comprends, si on suit
ce plan, la compagnie n’aura besoin de renvoyer personne. Il n’y aura pas de
licenciements.
On vote alors, et plus de cent mains se lèvent pour approuver. […] C’est ainsi que
SEMCO fera sa première expérience de la cogestion.
13
venant de l’interne sont considérées car les employés de SEMCO font partie de la prata da
casa, un terme qui est utilisé pour mentionner la richesse (argent) de la maison (Pozzebon,
2008). Au cas où des candidatures externes seraient considérées, tous les employés participent
aux entrevues (voir la capsule : L’entrevue d’embauche).
Capsule : L’entrevue d’embauche - Entrevue avec Ricardo Semler
Parlez-nous du processus de l’embauche chez SEMCO :
Quand vous voulez embaucher quelqu’un, disons pour un poste de gestion, vous allez dans le système
et vous publiez le fait que vous pensez avoir besoin de quelqu’un. Puis, un jour donné — disons le
mercredi à 4 heures dans la salle de réunion 11 — vous annoncez que vous allez en discuter avec
quiconque est intéressé. À cause du principe fondamental selon lequel nous ne souhaitons pas que
quelqu’un s’implique dans quelque chose qu’il ne souhaite pas vraiment faire, toutes les réunions ont
lieu sur une base volontaire. Cela veut dire que les réunions sont publiques, que quelqu’un qui est
intéressé peut et va y assister, mais qu’il devrait aussi partir dès le moment où il n’est plus intéressé.
C’est un peu troublant de voir ces choses, parce que les gens entrent, posent leurs affaires et 15
minutes plus tard, quelqu’un d’autre dit « Salut, à la prochaine. » Mais en fait, tous ceux qui restent
ont un intérêt dans la décision qui est en train de se prendre et la décision est finale dans le sens où
elle sera appliquée dès la fin de la réunion.
Vous avez mentionné que la réunion est annoncée dans un système. Qu’est-ce que c’est?
Un site web central qui est la voie de communication pour tout le monde afin de savoir ce qui se
passe.
Ok, alors il y a une réunion sur une base volontaire, le mercredi à 4 heures par rapport au
nouveau poste et…
Les gens qui se présentent mettent ensemble un canevas des caractéristiques de la personne à
embaucher et décident du poids de chacune de ces caractéristiques. Ils vont ensuite chercher cette
personne en posant une annonce dans un journal ou par un chasseur de têtes. Et quand les CV
arrivent, la personne qui a commencé toute l’opération va en fait distribuer les différents CV par
paquets, puisqu’il n’y a pas de département des ressources humaines. Tu en prends dix, moi j’en
prends dix, Andrew en emporte dix à la maison et je te donne tous ceux sur lesquels j’ai marqué A+,
et nous allons juste envoyer une note de remerciement aux autres.
Par ailleurs, beaucoup de choses arrivent au cours de ce processus. Parce que quarante d’entre nous
regardent dix candidatures chacun, ou dix d’entre nous regardent quarante candidatures chacun, je
vais identifier des personnes qui ne sont pas idéales pour ce poste, mais qui pourraient être idéales
pour un autre travail, et c’est quelque chose qui disparaît complètement si un département des RH
s’en charge, parce qu’en fait ils trient entre oui et non. C’est une réponse numérique. Avec notre
système, nous créons une réponse analogique, ce qui veut dire que peut-être que cette personne serait
bien pour je ne sais pas qui, et donc nous envoyons le CV à quelqu’un d’autre. Une fois que nous
avons trouvé dix personnes qui ont eu un A+ sur les 400, nous allons faire une entrevue collective
pour tous les candidats, ce que la plupart des gens n’aiment pas, et ce que j’ai trouvé très bizarre au
départ.
14
Attendez. Tous les candidats sont interrogés ensemble?
Ensemble.
Je souhaiterais que ma voix soit forte ce jour-là.
Dans un système comme ça, disons que deux sur dix ne parlent pas du tout, parce que ce n’est pas
leur nature d’interrompre. Bon, les autres cinq, dix, quinze de notre côté souhaiteront quand même
entendre ces deux-là. Donc, à un certain moment, ils vont dire, « Brad, vous n’avez pas du tout parlé,
qu’est-ce que vous avez à dire? ». Si ce que tu dis est réfléchi, tu pourrais être mieux évalué que les
autres grâce à cette simple minute valable.
(tirée de Wieners, 2004)
Une fois embauchés, les employés décident quelle forme de salaire ils aimeraient recevoir :
Concrètement, les travailleurs ont le choix entre onze différentes formes de
rémunération (ou une combinaison de ces formes). Les possibilités varient du salaire
fixe classique, en passant par différents bonus et commissions liés aux prestations ou
aux résultats, jusqu'aux royalties ou actions. Et les collaborateurs ne décident pas
seulement de la forme de la rémunération, mais aussi de son montant. (Gavel, 2004,
p. 9.)
En général, le salaire reçu est 10 % plus élevé que celui des compagnies comparables et
l’information sur tous les salaires est publique (Fisher, 2005). De plus, il n’existe pas de
planification de carrière classique, ni l’établissement d’objectifs entre employé et employeur
(Semler, 2004, p. 8).
2.5. Initiatives actuelles
Même si Ricardo Semler ne fait plus partie de la direction de l’entreprise SEMCO, l’esprit
initial qu’il a créé avec son DRH, Clovis Bojikian demeure dans l’organisation. Plusieurs
initiatives actuelles encouragent les employés à s’impliquer dans la gestion de SEMCO et à
proposer de nouvelles initiatives.
Par exemple, l’initiative Out of your mind vise la proposition de nouvelles idées par les
employés. L’intention est de mettre de côté des solutions habituelles et de présenter de
nouvelles idées13
. Toute idée est d’abord considérée, aussi inhabituelle qu’elle puisse être.
D’ailleurs, la remise en question des pratiques et des objectifs est une partie intégrante de la
gestion chez SEMCO. Ricardo Semler introduisit ce questionnement avec « La manière du
pourquoi » (2004, p. 16) (whyway). Il s’agit de se poser la question du pourquoi à plusieurs
reprises et à n’importe quel moment. Afin de soutenir l’émergence de nouvelles idées, les
employés sont aussi invités à changer régulièrement d’activité au sein de l’entreprise. Une
perspective différente peut mener au développement de nouvelles compétences :
13
Site Internet de la SEMCO : www.semco.com.br (consulté le 16 juin 2011).
15
[…] l’entreprise encourage les employés à changer périodiquement d’activité, de
fonction ou d’unité d’affaires. Cette rotation du personnel dans l’entreprise permet de
faire accélérer le développement de compétences multiples et d’augmenter la
synergie entre les différentes parties de l’entreprise. D’ailleurs, la gestion des
compétences a une caractéristique particulière : il n’y existe pas de service des
ressources humaines (en effet, SEMCO n’utilise pas le mot « ressources » humaines
ni « employés », mais seulement « personnes »). Le sort des personnes relève de
chaque unité d’affaires, et chacun a un mot à dire quant à ce qui peut affecter sa vie
professionnelle et l’avenir de l’entreprise. » (Pozzebon, 2008.)
Le comité Out of your mind se rencontre sur une base régulière et crée souvent de nouvelles
initiatives telles que la retraite à temps partiel (Retire a little bit) et l’échange avec des
personnes extérieures à l’entreprise qui ne travaillent pas (encore) chez SEMCO.
L’idée de la retraite à temps partiel, Retire a little bit, est de proposer des modèles flexibles de
départ à la retraite. Avec cette initiative, SEMCO fait face au vieillissement de la population
car l’entreprise donne la possibilité aux employés plus âgés de respecter le rythme de leur
corps, tout en demeurant des acteurs impliqués dans l’organisation. Le projet est né à la suite
d’une analyse du cycle de la vie montrant que nous n’avons souvent pas l’argent ni le temps
de faire les choses que l’on désire au moment idéal. Chez SEMCO, il s’agit d’une sorte de
transaction qui fait en sorte que si un employé a envie de prendre une journée par semaine
pour, par exemple, aller jouer au tennis ou faire d’autres activités, son départ à la retraite sera
décalé d’une journée. La personne achète donc une journée de sa liberté tant qu’elle a encore
la forme physique pour en profiter amplement. Par contre, en 2004, ce programme (ainsi que
celui de la flexibilité du salaire appelé : Up 'n' Down Pay) n’est pas aussi populaire qu’il
pourrait l’être (Semler, 2004). Selon le dirigeant, il n’est pas facile de changer la façon
traditionnelle de concevoir le travail et les différentes dynamiques, telles que le départ à la
retraite. Plusieurs innovations sont encore possibles par rapport à la trajectoire professionnelle
des employés.
Finalement, il existe aussi un échange avec des personnes externes, un projet appelé Date
SEMCO. Une personne qui est intéressée par l’entreprise d’une manière générale a donc la
possibilité de rencontrer des employés de SEMCO pour discuter des éventuelles possibilités
d’embauche ou pour apporter de nouvelles idées qu’elle aurait par rapport à l’entreprise. Il
s’agit d’une autre manière pour l’organisation d’élargir son réseau. En fait, SEMCO crée des
points de contact avec différentes personnes afin de rendre les frontières de la firme plus
poreuses.
3. La vision du capitalisme : une vision à adopter?
Nous venons de découvrir une entreprise qui adopte une vision différente de la gestion par
rapport à d’autres entreprises de sa taille. En effet, la gestion à la SEMCO est basée sur des
valeurs socialistes. De manière générale, on respecte plus les aspects anthropologiques et
humains que les aspects politiques. Cependant, comme d’autres multinationales, la SEMCO
est une entreprise capitaliste qui « réussit suivant les critères du marché » (Semler, 2004,
16
p. 12). Toutefois, selon Semler, ce fait n’implique pas que l’entreprise soit « forcée à danser
une valse au son des cloches de Wall Street » (Semler, 2004, p. 12).
Souvent, la gestion de la SEMCO est perçue comme un cas unique, étrange et qui n’est pas
concevable dans d’autres organisations ou d’autres contextes culturels. Les politiciens locaux,
par exemple, s’adressent à Ricardo Semler en demandant « Vous venez de quelle planète? »
(Fisher, 2005). C’est une manière discrète de douter des pratiques d’affaires de la SEMCO.
D’autres réactions sont plus intenses, telle l’accusation de la Fédération industrielle selon
laquelle Ricardo Semler sape l’autorité managériale (Fisher, 2005).
De l’autre côté, le leadership de la SEMCO est également encouragé et honoré. En effet,
Ricardo Semler a reçu des prix de leadership progressiste de la presse locale. De plus, de
nombreux ouvrages de gestion s’inspirent de la SEMCO pour montrer des exemples d’une
gestion humaine et innovatrice. Par exemple, Charles Hardy, philosophe et « gourou »
britannique du management, souhaite que plus de personnes croient à la vision de la SEMCO.
Seulement peu d’entreprises ont essayé de copier sa gestion, parce qu’il semble que le
management tel que pratiqué à la SEMCO va à l’encontre de toute tradition managériale
(Fisher, 2005). De plus, les clients directs de la SEMCO, tels que Walmart ou General
Electric hésitent quant à l’application du même style managérial à leurs propres entreprises
(Fisher, 2005). L’un d’eux affirme : « Je ne connais aucune entreprise américaine qui pourrait
fonctionner selon ces croyances… » (Fisher, 2005, p. 10).
17
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