La SEMCO1 : avec ou sans Ricardo

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1 La SEMCO 1 : avec ou sans Ricardo La SEMCO constitue « une des entreprises les plus extraordinaires de ce monde » (Semler, 2007, p. 13). En 1994, Radio-Canada y fit un reportage édifiant. Visionnez-le à l’adresse suivante : http://www.dailymotion.com/video/xlq9q3_engageriez-vous-votre-patron- enjeux_news. L’entreprise brésilienne SEMCO intervient dans de multiples secteurs et s’est faite remarquer, depuis les années 1980, grâce à son style de gestion particulier. Initialement active dans le secteur maritime, la SEMCO fabrique à l’heure actuelle plus de 2 000 produits, allant du lave- vaisselle jusqu’au lecteur numérique (CNN, 2004). L’entreprise s’est également diversifiée afin d’offrir des produits dans le secteur environnemental et bancaire. De plus, elle offre des services-conseils sur le marché immobilier, des solutions de gestion d’inventaires ou de gestion de documents pour lesquels elle est actuellement leader sur le marché 2 . Par cette diversification, la SEMCO est donc aussi devenue une entreprise de services et elle a développé de nombreux partenariats 3 . Il s’agit d’une des compagnies ayant la plus forte croissance en Amérique latine (Stockport et Chaddad, 2000, p. 13). 1. SEMCO : histoire et contexte économique La compagnie SEMCO, multinationale brésilienne, a été fondée en 1952 (Stockport, 2010). Son siège social se trouve à São Paulo au Brésil, où Antonio Semler, fondateur de la compagnie, est né. Antonio Semler obtint un brevet pour une centrifugeuse qui sépare les huiles et s’associa avec deux fabricants britanniques de pompes marines vers la fin des années 1960 (Trouvé, 2005). Avec ses collègues, il fonde l’entreprise Semler & Co, qui agit d’abord dans la construction navale et devient ensuite un fournisseur important pour les entreprises brésiliennes. Aujourd’hui, l’entreprise intervient dans différents secteurs et ses produits varient de la pompe pour les pétroliers jusqu’aux dispositifs de refroidissement pour des climatiseurs (Bamford et Fenton, 2002). Les premières années qui suivent la fondation de la compagnie furent difficiles et SEMCO accuse des retards importants sur le plan de la production. Les employés manquent de motivation et montrent un comportement apathique (Bamford et Fenton, 2002). L’entreprise est dans cet état critique quand Antonio Semler décide de la transmettre à son fils, Ricardo Semler, en 1980, année où le fondateur approche l’âge de 70 ans. Au moment où Ricardo Semler débute dans ses fonctions de PDG de SEMCO, il n’a que 21 ans et dispose d’une expérience limitée en gestion. 1 Ce cas a été rédigé par Kerstin Kuyken (étudiante au doctorat en administration à l’ESG UQAM), sous la direction de Mehran Ebrahimi et Anne-Laure Saives. Révision : Anne-Laure Saives. 2 Site de la SEMCO, www.semco.com.br (consulté le 28 février 2012). 3 Ibid. (voir aussi les sections 1. et 2.3.).

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La SEMCO1 : avec ou sans Ricardo

La SEMCO constitue « une des entreprises les plus extraordinaires de ce monde » (Semler,

2007, p. 13). En 1994, Radio-Canada y fit un reportage édifiant. Visionnez-le à l’adresse

suivante : http://www.dailymotion.com/video/xlq9q3_engageriez-vous-votre-patron-

enjeux_news.

L’entreprise brésilienne SEMCO intervient dans de multiples secteurs et s’est faite remarquer,

depuis les années 1980, grâce à son style de gestion particulier. Initialement active dans le

secteur maritime, la SEMCO fabrique à l’heure actuelle plus de 2 000 produits, allant du lave-

vaisselle jusqu’au lecteur numérique (CNN, 2004). L’entreprise s’est également diversifiée

afin d’offrir des produits dans le secteur environnemental et bancaire. De plus, elle offre des

services-conseils sur le marché immobilier, des solutions de gestion d’inventaires ou de

gestion de documents pour lesquels elle est actuellement leader sur le marché2. Par cette

diversification, la SEMCO est donc aussi devenue une entreprise de services et elle a

développé de nombreux partenariats3. Il s’agit d’une des compagnies ayant la plus forte

croissance en Amérique latine (Stockport et Chaddad, 2000, p. 13).

1. SEMCO : histoire et contexte économique

La compagnie SEMCO, multinationale brésilienne, a été fondée en 1952 (Stockport, 2010).

Son siège social se trouve à São Paulo au Brésil, où Antonio Semler, fondateur de la

compagnie, est né. Antonio Semler obtint un brevet pour une centrifugeuse qui sépare les

huiles et s’associa avec deux fabricants britanniques de pompes marines vers la fin des années

1960 (Trouvé, 2005). Avec ses collègues, il fonde l’entreprise Semler & Co, qui agit d’abord

dans la construction navale et devient ensuite un fournisseur important pour les entreprises

brésiliennes. Aujourd’hui, l’entreprise intervient dans différents secteurs et ses produits

varient de la pompe pour les pétroliers jusqu’aux dispositifs de refroidissement pour des

climatiseurs (Bamford et Fenton, 2002).

Les premières années qui suivent la fondation de la compagnie furent difficiles et SEMCO

accuse des retards importants sur le plan de la production. Les employés manquent de

motivation et montrent un comportement apathique (Bamford et Fenton, 2002). L’entreprise

est dans cet état critique quand Antonio Semler décide de la transmettre à son fils, Ricardo

Semler, en 1980, année où le fondateur approche l’âge de 70 ans. Au moment où Ricardo

Semler débute dans ses fonctions de PDG de SEMCO, il n’a que 21 ans et dispose d’une

expérience limitée en gestion.

1 Ce cas a été rédigé par Kerstin Kuyken (étudiante au doctorat en administration à l’ESG UQAM), sous la

direction de Mehran Ebrahimi et Anne-Laure Saives. Révision : Anne-Laure Saives. 2 Site de la SEMCO, www.semco.com.br (consulté le 28 février 2012).

3 Ibid. (voir aussi les sections 1. et 2.3.).

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Durant cette période, le contexte économique au Brésil est difficile pour les entreprises

privées. Pendant les années 80, le Brésil est frappé par une crise économique4, comme bien

d’autres pays latino-américains (Sader, 2002) et d’autres pays en développement.

L’émergence de cette crise s’explique par l’imposition, par les pays du Nord aux pays en voie

de développement (PED), d’une dette (à la suite du choc pétrolier des années 70) qui

s’amplifie au fil des ans à cause de l’incapacité de ces pays à rembourser. En effet, cette dette

s’est encore alourdie au début des années 1980, à la suite d’une baisse des prix des matières

premières imposée par les pays du Nord, notamment par les États-Unis. Pour le Brésil, cette

crise économique grave a comme conséquence l’instabilité économique et l’hyperinflation

(Pozzebon, 2008), et fait en sorte que, pour survivre, les entreprises privées comme la

SEMCO sont forcées de changer leur façon de faire de manière fondamentale.

Ces circonstances expliquent que la période qui suit le changement de direction est si difficile

que SEMCO risque de faire faillite ainsi que le raconte le jeune directeur Ricardo Semler :

Les difficultés de l’économie brésilienne et les réglementations restrictives du

gouvernement constituent déjà un lourd handicap; la faible notoriété de SEMCO

nous complique encore la tâche. Nous dansons sur un volcan, non sans trébucher de

temps en temps… (Semler, 1993, p. 45.)

Comme son père, le jeune gestionnaire a aussi de plus en plus de problèmes de santé; ce que

les médecins expliquent par le stress de la responsabilité de l’avenir de l’entreprise (Bamford

et Fenton, 2002). Ne voyant pas d’autre voie de sortie à cette situation, Ricardo Semler décide

alors d’entamer des changements importants.

Un vendredi de 1980, il convoque chacun des membres de la haute direction (ce fait est,

depuis, considéré comme un tournant important dans l’histoire de la compagnie). Dans le

cadre de ces rencontres individuelles, au cours d’un après-midi, Semler met à la porte 60 % de

l’équipe de direction (Semler, 1993, p. 38). Ensuite, il procède à une remise en question des

processus de gestion, qui impliquent l’abandon des pratiques managériales devenues des

automatismes chez SEMCO (et d’autres compagnies). Par exemple, on abandonne la règle de

venir au bureau à 8 heures du matin ainsi que l’adoption d’un code vestimentaire uniforme

pour les employés. En fait, le changement consiste en une mise en avant des intérêts et des

idées des employés, ce qui est une transformation majeure par rapport au style de gestion

d’Antonio Semler, jusqu’ici plutôt classique et hiérarchique. Ce processus de transformation

dure cinq ans et constitue une période difficile pour la compagnie, comme l’exprime monsieur

Neto, le directeur manufacturier qui rejoint SEMCO en 1984 :

Nous avons expérimenté une période très turbulente […] Nous l’appelons le camion

des melons d’eau. Imaginez un camion rempli de melons d’eau et vous ouvrez le

hayon et tous les melons sortent en même temps. C’était comme ça quand nous

avons demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ce qu’ils aimaient et n’aimaient pas. La

compagnie a décidé qu’il n’y avait pas de tabous. Ils pouvaient tout demander et les 4 TEARFUND (s. d.). « Guide du plaidoyer. La Crise de la Dette », Le plaidoyer et la dette : un guide pratique,

http://tilz.tearfund.org/webdocs/Tilz/Topics/Other%20advocacy%20training%20materials/AdvdebtFR%20-

%202-3.pdf (consulté le 28 février 2012).

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livres de la compagnie étaient ouverts […] Mais c’est beaucoup plus facile à dire

qu’à faire5. (Cité par Fisher, 2005, p. 7.)

Ce changement fondamental de la culture d’entreprise implique d’autres transformations,

telles que le changement de la structure organisationnelle initiale et l’abandon de la rédaction

de plans stratégiques. Les employés de la SEMCO n’ont désormais plus de titre officiel, de

bureau fixe, ni de carte d’affaires qui indique leur fonction dans l’entreprise (Semler, 2004). Il

n’existe pas de département des ressources humaines ni de direction des services

informatiques. Les objectifs ne sont écrits nulle part et il n’est pas nécessaire de faire

approuver les budgets par un processus formel (Semler, 2004).

Les mutations de SEMCO concernent également les activités de l’entreprise. Au début des

années 80, le secteur maritime dans lequel s’insèrent les activités de la SEMCO est en crise,

ce qui amène l’entreprise à une forte récession (Stockport et Chaddad, 2000). L’entreprise

procède donc à une diversification importante de ses activités; un processus qui débute par

une série d’acquisitions d’autres firmes. La SEMCO achète, par exemple, la société Flakt,

manufacturier de systèmes de réfrigération pour bateaux et de systèmes de ventilation pour

des machineries de navires. De plus, la SEMCO complète l’acquisition de BAC (Baltimore

Aircoil), un fabricant de systèmes de climatisation et achète la firme Hobart, une division de

fabrication d’électroménagers de Dart & Kraft Brazilian en 1984 (Stockport et Chaddad,

2000). Aujourd’hui, la création de partenariats forme une partie intégrante du modèle de la

SEMCO (pour plus de détails, voir la section 2.3.). L’entreprise est constamment à la

recherche de nouveaux partenaires qui disposent d’un savoir particulier et qui visent un

développement international de leurs activités6.

Par ailleurs, ces changements n’auraient probablement pas pu avoir lieu sans l’arrivée de

Clovis Bojikian, que Ricardo Semler embauche comme directeur des ressources humaines

(DRH). Clovis Bojikian, qui est d’origine arménienne, a été conseiller puis directeur d’une

école de formation continue de professeurs fraîchement diplômés de l’Université de São

Paolo, puis a travaillé comme DRH chez KSB Pompes, société concurrente de la SEMCO

(Semler, 1993). Plutôt par hasard, il a trouvé son chemin vers la SEMCO où Ricardo Semler

l’a embauché en raison de la sympathie qu’il éprouvait pour lui :

Je rencontre Clovis dans mon bureau. Les chasseurs de tête recommandent toujours à

leurs candidats de porter costume bleu marine, chemise blanche, cravate classique et

se raser de près. Et voilà qu’arrive un homme squelettique, la quarantaine bien

tassée, affublé d’un affreux costume marron et d’une chemise beige, arborant une

moustache blanche retroussée à la Buffalo Bill (il porte quand même une cravate!). Il

me plaît tout de suite. (Semler, 1993, p. 59.)

5 Traduction libre de Fisher : « We experienced a very turbulent period, […] We call it the watermelon truck.

Imagine a truck full of watermelons, and you open the tailgate and all of them roll out. That’s what it was like

when we started asking people what they wanted, what they liked and didn’t like. The company decided there

were no taboos, they could ask anything […]. But it’s much easier to say than to do. » 6 Site de la SEMCO, www.semco.com.br (consulté le 28 février 2012).

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Clovis Bojikian a une passion pour la pédagogie qu’il peut développer pendant son expérience

à l’école. Sous sa direction, l’école vit plusieurs innovations, telles que l’apprentissage qui

passe par la réflexion plutôt que par la mémorisation, par la remise en question de différentes

disciplines, par la libre organisation et le choix des matières par les élèves (Semler, 1993,

p. 58). Cependant, à cette époque, le contexte brésilien est trop conservateur pour supporter ce

type de pratiques. Le pays est encore gouverné par des généraux qui renvoient Clovis

Bojikian, malgré l’appréciation de ses élèves. Après plusieurs autres expériences de travail

(chez Ford et KSB), il trouve enfin sa place chez SEMCO et peut revenir à ses idées

pédagogiques, cette fois-ci pour les appliquer dans un contexte managérial.

Il affirme :

Je pouvais voir l’opportunité de faire plus de travail innovateur ici, dans une

organisation, […] Nous voulions démontrer que le lieu de travail peut être un lieu de

satisfaction, et non de souffrance. Le travail devrait être un plaisir, et non pas une

obligation. Mais cela n’était pas seulement une thèse humanitaire. Nous croyions que

les personnes qui travaillent avec du plaisir sont plus productives7. (Clovis Bojikian,

cité par Fisher, 2005, p. 6.)

Plusieurs changements fondamentaux sont adoptés et le chiffre d’affaires de l’entreprise passe

de 4 millions de dollars en 1980 à 35 millions en 1994, puis à 212 millions en 2003 (Trouvé,

2005) et l’effectif de 90 employés en 1990 à 3 000 employés en 2003 (Semler, 2004).

L’implication de Ricardo Semler est, par la suite, dégressive. Déjà en 1994, il ne consacre

plus qu’un tiers de son temps aux activités de l’entreprise, travaille de plus en plus de chez lui

et met l’accent sur d’autres apprentissages (Radio-Canada, 1994). Finalement, à partir de

l’année 2000, le leadership à la SEMCO est assuré par une équipe de cinq personnes,

appelées les « cinq mousquetaires » (Stockport, 2010, p. 332). Chacun de ses membres (João

Vendramin, José Alignani, Marcio Batoni, José Violi et Clovis da Silva Bojikian) a son

propre style de leadership. La présence de cette équipe permet à Ricardo Semler de se retirer

presque totalement des activités de la SEMCO entre 2000 et 2005 ; son souhait étant qu’à

terme l’entreprise n’ait plus besoin de lui (Fisher, 2005). Durant cette période, il se questionne

sur la succession de l’entreprise; un processus pour lequel il a engagé un psychothérapeute

qui, en fin de compte, n’apporte pas beaucoup à l’organisation (Stockport, 2010). En même

temps, tel qu’il le souhaite, Ricardo Semler est finalement écarté du dernier comité stratégique

sur lequel il siège parce que ses membres ne voient plus aucune raison à sa présence

(Stockport, 2010). L’autonomie décisionnelle de SEMCO est finalement effective en 2005

alors que Ricardo Semler est victime d’un accident de voiture et passe plusieurs mois à la

clinique. À la suite de l’accident, une élection démocratique a lieu afin d’élire Danilo Saicali à

titre de remplaçant, bien que cette élection est plutôt symbolique puisque l’entreprise est déjà

largement autogérée depuis plusieurs années.

7 Traduction libre de Fisher : « I could see the opportunity to do more innovative work here, inside an

organization, […] says Mr. Bojikian, 72, who is, under Semco’s policy of rotating leadership, currently chief

executive. We wanted to demonstrate that the workplace could be a place of satisfaction, not of suffering.

Work should be a pleasure, not an obligation. But this wasn’t just some humanitarian thesis. We believed that

people working with pleasure could be much more productive. »

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Encadré 1 : Les faits saillants de l’histoire de l’entreprise SEMCO

2. La SEMCO aujourd’hui

2.1. À l’intérieur des murs de l’entreprise

En arrivant aujourd’hui à la SEMCO, un visiteur cherche probablement d’abord un espace

pour garer sa voiture. Il constate que le terrain de stationnement n’a pas d’organisation

particulière, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’espaces assignés aux personnes et que l’on n’y

fait pas la différence entre directeur, employé ou visiteur (Pozzebon, 2008). Une fois la

voiture laissée sur le stationnement, le visiteur est entouré d’un des jardins qui servent de lieu

de repos pour tout employé de la compagnie brésilienne. Il risque fort d’y apercevoir des

hamacs partout (Fisher, 2005, p. 4) pour les employés qui souhaiteraient faire une sieste dans

l’après-midi. Il est également possible que certains bureaux vifs et clairs soient vides car rien

n’empêche les employés de passer un après-midi à la plage (Fisher, 2005), de travailler à la

maison ou dans un café (Semler, 2004). Il n’y a pas de secrétaires, ni d’assistantes

administratives dans les locaux, dont les murs sont décorés avec de l’art brésilien. La cafétéria

est un lieu de rencontre décoré par les employés eux-mêmes. Puisque cet endroit était l’objet

de nombreuses plaintes à l’époque du fondateur Antonio Semler, son fils Ricardo et son DRH

l’ont transformé pour qu’il soit géré et décoré par les employés (Semler, 2004). Les autres

locaux de l’entreprise se distinguent aussi des bureaux habituels :

Personne n'est le propriétaire de son bureau. Chaque jour, les employés occupent un

espace différent, choisi parmi les places disponibles dans les installations physiques :

stations de travail partagées, cafétérias, jardins internes, salles de séjour, salles de

réunion, etc. Si d'une part l'on n'y retrouve plus le confort d'un « territoire bien

défini », avec son téléphone, sa chaise et sa secrétaire, on a cependant la liberté de

1912 Fondation à São Paulo (Brésil).

1980 Changement de PDG – SEMCO est gérée par le fils du fondateur : Ricardo

Semler.

1980-2000 Changements importants chez SEMCO (par ex. : transformation progressive en

entreprise de services, réorganisation des horaires des salariés).

2000-2005 Leadership assumé par les « cinq mousquetaires ». Ricardo Semler se retire de

plus en plus de l’activité quotidienne de l’entreprise et entreprend des

démarches de succession.

2005 Accident de Ricardo Semler, élection démocratique de Danilo Saicali qui agit à

titre de remplaçant symbolique.

2008 SEMCO se gère de façon autonome, sans besoin d’un dirigeant.

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choisir et de partager chaque journée avec des gens qui œuvrent à différents postes

avec des responsabilités distinctes. Il s'agit de « bureaux non territoriaux ». C'est la

fin du contrôle physique, les employés travaillent selon leurs besoins, leur rythme et

leur engagement. (Pozzebon, 2008.)

À la place des bureaux classiques organisés en cubes, on retrouve donc plutôt des stations de

travail composées de tables rondes et de prises pour ordinateurs portables. Dans les couloirs,

il n’est pas rare de tomber sur un gestionnaire senior avec des cheveux gris, qui mène une

discussion avec ses jeunes collègues, fraîchement recrutés de l’université (Fisher, 2005, p. 3).

2.2. Les fondements de la gestion chez SEMCO

Cette liberté sur le plan de l’espace reflète les principes de gestion de SEMCO. Depuis

l’arrivée de Ricardo Semler, soutenu par Clovis Bojikian, l’entreprise est gérée avec un

« style managérial ouvert » (Stockport, 2010, p. 331), résumé par l’appellation « la manière

SEMCO » (Jeito Semco de Ser). Cette dernière s’appuie sur des principes et des valeurs

fondamentaux ainsi que sur un manuel de survie (Manual De Sobrevivência).

Les principes et valeurs

Trois principes et valeurs sont maintenus au sein de la compagnie et forment la base du style

managérial. Il s’agit de la démocratie, du partage de profit et de l’information.

Figure 1 : Les principes et valeurs de la SEMCO (adaptée de Stockport, 2010, p. 331)

Par la démocratie, Ricardo Semler entend le fait de « valoriser la sagesse des gens » (Semler,

2007, p. 13). Depuis 1980, tous les employés participent à la prise de décision. Par exemple,

l’adoption d’un nouveau produit ou bien l’achat d’une nouvelle usine de production sont des

points qui sont décidés par les employés (Semler, 1993; Stockport, 2010). Pour Ricardo

Semler, cette valeur fait partie de la nature humaine et devrait donc aussi être fondamentale

sur le plan du travail :

Nous demandons tous de la démocratie dans tous les autres aspects de nos vies et de

notre culture. Les gens sont considérés comme adultes dans leurs vies privées, à la

banque, à l’école de leurs enfants, avec la famille et entre amis — alors pourquoi

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sont-ils tout d’un coup traités comme des adolescents au travail?8(Semler, 2004,

p. 9.)

Le partage de profit constitue la deuxième valeur de base chez SEMCO. Contrairement à

d’autres organisations où le profit est automatiquement distribué aux actionnaires, les

employés prennent en main cette décision car, selon Ricardo Semler, cette possibilité les

incite à mieux effecteur leur travail (Semler, 1993). Ce sont donc les employés qui décident

comment distribuer le profit et la part des employés au profit est habituellement de 23 %

(Stockport, 2010). D’ailleurs, Ricardo Semler constate que cette façon de faire donne plus de

sens au travail effectué : « Le but du travail n’est pas de gagner de l’argent. C’est de faire que

ceux qui ont un travail pénible aussi bien que les cadres dirigeants se sentent bien dans la

vie » (Semler, 2004, traduit par Trouvé, 2005, p. 149). La troisième valeur fondamentale de la

gestion concerne la transparence de l’information. Ainsi, les employés sont au courant des

solutions à adopter et des pratiques à éviter (Semler, 1993).

Le manuel de survie

Afin de compléter les valeurs de base et de les rendre plus concrètes, un document appelé le

manuel de survie est disponible pour tout employé. Il est accessible sur le site Internet afin de

partager la culture d’entreprise avec des personnes externes. Le manuel de survie contient dix

règles d’or qui donnent le cadre général des valeurs de la SEMCO. Il s’agit donc d’un guide

qui sert d’orientation pour toute personne qui désire en apprendre davantage sur cette

entreprise brésilienne. Par exemple, comme pour les espaces physiques de travail, la SEMCO

explique, dans ce manuel, la liberté accordée à la fixation des salaires et des horaires de

travail :

« […] les horaires sont flexibles et chaque employé

détermine ses journées et son horaire de travail selon les

caractéristiques de ses fonctions et ses activités, et selon

ses préférences. Dans ce système, il est reconnu que

chacun travaille à une vitesse qui lui est propre et excelle

à différentes fonctions dépendamment de l'heure de la

journée. » (Pozzebon, 2008.)

Image tirée du site Internet de la SEMCO,

Manual De Sobrevivência, p. 20,

www.semco.com.br (consulté le 30 juillet 2012).

8 Traduction libre de Semler : « We all demand democracy in every other aspect of our lives and culture. People

are considered adults in their private lives, at the bank, at their children’s schools, with family and among

friends - so why are they suddenly treated like adolescents at work? ». 9 Citation originale : « The purpose of work is to make the workers, whether working stiffs or top executives,

feel good about life » (Semler, 2004, p. 151).

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Dans ce même manuel, on peut lire qu’à la SEMCO, on valorise :

« […] le partage des informations et la

transparence. […] La communication interne est

ouverte et toute information doit être disponible à

tous. L’utilisation des outils collaboratifs basés sur

le Web est une des clés quant à l’infrastructure.

Selon le chef de la direction, personne ne peut

s'attendre à ce qu’un esprit d’implication et de

collaboration émerge sans qu'il y ait une abondance

d’information disponible à tous les employés et à

tout moment, indépendamment de leur fonction ou

degré dans la hiérarchie. » (Pozzebon, 2008.)

Les technologies de l’information reflètent cette vision du partage de l’information. Afin de

souligner la transparence dans l’entreprise, SEMCO tient un intranet qui sert à la diffusion de

l’information. Même si les employés ne disposent pas d’un bureau permanent, ils détiennent

un espace de travail numérique où ils déposent tous leurs documents, leurs adresses contacts

et même leurs agendas qui sont ensuite accessibles à l’ensemble des employés de la SEMCO

(Pozzebon, 2008).

2.3. La structure organisationnelle et le réseau de SEMCO

La structure organisationnelle reflète aussi le style managérial de la SEMCO. Plusieurs

changements y ont été apportés. Avant l’arrivée de Ricardo Semler, la structure

organisationnelle de la SEMCO comprenait douze niveaux hiérarchiques (Petersson et

Spängs, 2005); chaque niveau impliquant différentes responsabilités. Comme toute

organisation classique, la SEMCO disposait des départements de finance, de marketing, de

production etc. (SEMCO, 1993). Cependant, Ricardo Semler et son équipe ne voit plus de

sens à cette structure :

L’organigramme, c’est le certificat de naissance d’une affaire, ni plus ni moins. Cela

ne sert qu’aux gens qui ne savent pas très bien quelles sont les origines d’une

division ou d’un poste. Les organigrammes ont certes leur place dans l’entreprise

moderne — je veux dire bien à l’abri, enfermés dans un tiroir. (Semler, 1993,

p. 216.)

À la suite de ce constat, les employés de la SEMCO ne se fient plus à l’organigramme initial.

Aujourd’hui, il existe uniquement quatre types d’employés qui travaillent dans des « divisions

autonomes » (Semler, 1993) :

1) les « conseillers », qui peuvent être comparés aux vice-présidents d’une

compagnie. Ils prennent en charge les politiques et stratégies générales;

Image tirée du site Internet de la SEMCO,

Manual De Sobrevivência, p. 37,

www.semco.com.br (consulté le 30 juillet

2012).

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2) les partenaires, qui gèrent les différentes divisions (Business Units);

3) les coordinateurs, qui se concentrent sur les activités de marketing, de vente et de

production;

4) les associés, qui comprennent tout autre employé travaillant chez SEMCO.

La structure pyramidale est remplacée par des cercles de concentration qui reflètent cette

catégorisation en quatre types d’employés. Le premier cercle est formé par six conseillers

(tous des anciens PDG de SEMCO pour une période donnée), qui agissent à titre de catalyseur

pour les actions du deuxième cercle. Ce dernier comprend sept à dix partenaires dont chacun

est en charge d’une des seize divisions indépendantes de la SEMCO10

. Le troisième cercle

comprend les autres employés et dans ce cercle, des employés particuliers sont pointés par un

triangle pendant toute la période où ils assument la fonction de direction d’une équipe

(Petersson et Spängs, 2005).

Cette structure interne de l’organisation est enrichie par des « Nucléus d’innovation

technologique » (NIT), une expression qui désigne des groupes, formés la plupart du temps

d’ingénieurs. Il s’agit d’un ensemble d’employés qui sont parfois libérés de leurs

responsabilités quotidiennes de travail et qui consacrent leur temps à l’invention de nouveaux

produits. Par exemple, ils proposent des façons d’améliorer les processus et les produits ou ils

développent des façons de réduire les coûts. Souvent, ils proposent également des stratégies

ou des initiatives de gestion. Les membres de ces « nuclei » sont rémunérés en fonction de

leur entrepreneurship.

De plus, SEMCO a développé une structure particulière de partenariats externes. Il s’agit des

partenariats fortement bénéficiaires qui étaient forgés entre des organisations externes et la

SEMCO. Pour ces partenariats, la SEMCO a fourni un accès au marché brésilien et les

partenaires ont apporté de nouvelles qualifications et une diversification des opérations

d’affaires de la SEMCO11

(Stockport, 2010, p. 337). Par exemple, plusieurs partenariats, qui

ont déjà été développés au début des années 80, visent l’acquisition de compétences par

rapport à l’équipement de transformation (voir la figure 2). Plus récemment, la SEMCO s’est

intéressée à différents secteurs de services dont, par exemple, le partenariat avec H&R Block

qui offre des services fiscaux ou bien l’alliance avec Cushman & Wakefield, qui agit dans le

secteur immobilier. Les employés jouent un rôle important quant à la détermination des

partenariats potentiels (Semler, 2004).

10

En 2004, Ricardo Semler affirme que la SEMCO est composée de dix unités indépendantes ainsi que de six

compagnies Internet. Par contre, le nombre de ces compagnies ainsi que les marchés desservis peuvent changer

très rapidement. Selon Ricardo Semler, ce n’est pas le nombre des compagnies qui compte mais la synergie

qu’il y a entre elles (Semler, 2004, p. 16). 11

Traduction libre de Stockport : « Strong mutually beneficial partnerships had been forged between foreign

organisations and SEMCO. In these partnerships, SEMCO provided access to the Brazilian market, and the

partner brought new skills and diversification to SEMCO’s business operations. »

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Figure 2 : Les partenaires de la SEMCO depuis les années 8012

Finalement, la SEMCO travaille également avec des sociétés « satellites ». Ces dernières sont

des compagnies, créées par d’anciens employés (Stockport et Chaddad, 2000). En effet, dans

le contexte de la crise économique au Brésil, le gouvernement a encouragé la création de

nouvelles entreprises (Radio-Canada, 1994). Cet encouragement a également lieu à la

SEMCO où l’entreprise essaie de donner du soutien concret aux employés qui ont des idées

d’affaires. Ce soutien peut, par exemple, prendre la forme de la location de l’équipement de

l’entreprise à un prix raisonnable (Stockport et Chaddad, 2000). C’est ainsi que João Soares,

ancien employé de la SEMCO et chef du comité d’usine d’une division de fabrication de lave-

vaisselles à Ipiranga (Semler, 1993, p. 265) est maintenant directeur d’une entreprise

« satellite » dont les valeurs se rapprochent de la SEMCO. João Soares, qui avait déjà montré

de l’initiative durant la période de crise de la SEMCO (voir l’encadré 2) est maintenant

directeur de son entreprise et explique que la transparence dans sa compagnie est cruciale afin

12

Cette figure a été développée à partir du site Internet officiel de la compagnie SEMCO : www.semco.com.br

(consulté le 28 février 2012).

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d’encourager l’engagement et la loyauté des employés (Soares, cité par Stockport et Chaddad,

2000). Donc, les entreprises « satellites » font aussi partie du réseau de la SEMCO, ce qui

permet à la multinationale de rester proche du marché, d’intégrer différents types de

compétences et de servir plusieurs secteurs.

Figure 3 : La structure de la SEMCO

(adaptée de Semler, 1993, p. 206; Stockport et Chaddad, 2000, p. 8)

Cette nouvelle répartition des rôles change le fonctionnement de SEMCO de manière

fondamentale :

La mise en place d’un nouveau système signifie qu’on va démolir la pyramide,

supprimer radicalement des niveaux hiérarchiques, éliminer des tas de titres, briser

les chaînes de commandements établis. De plus, dans ce nouveau cadre, un

Coordinateur ne sera jamais placé sous l’autorité d’un autre, pas plus qu’un Associé

ne sera jamais placé sous celle d’un autre Associé. Cet élément aussi contribuera à

aplatir la hiérarchie et changera la nature des relations toute entière. (Semler, 1994,

p. 212.)

2.4. L’implication du personnel

Les valeurs fondamentales et la structure organisationnelle encadrent les différents processus

de gestion de la SEMCO et se reflètent ensuite dans différentes situations concrètes. Par

exemple, les employés prennent la parole et proposent différentes solutions en cas de crise

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(voir l’encadré 2), comme dans des situations quotidiennes telles que l’embauche d’une

nouvelle personne (voir la capsule : L’entrevue d’embauche).

Encadré 2 : Engagement des employés en temps de crise

Par ailleurs, les employés sont impliqués pour chaque nouvelle embauche, même s’il s’agit de

candidats qui deviendront leurs supérieurs (Shah et Goss, 2007). D’abord, les candidatures

João Soares, maintenant directeur de sa propre entreprise, avait déjà démontré son engagement

quand il était encore employé dans l’usine de SEMCO à Ipiranga. Durant le temps d’une crise

économique, l’entreprise devait trouver des solutions afin de stabiliser sa situation économique.

Ricardo Semler, qui était à l’écoute de ses employés, aussi en situation de crise, témoigne

l’expérience suivante avec Soares (Semler, 1993, p. 265) :

Je suis tellement absorbé par mes pensées en partant ce jour-là que je ne vois pas João

Soares, le chef du comité d’usine, debout devant le poste de soudure. Mais lui, il me voit.

Il sait bien que la situation est alarmante, mais il veut tenir à tout prix. Cette usine a été la

preuve vivante de ce que l’on peut accomplir quand on traite les ouvriers en personnes

responsables et qu’on les incite à participer aux décisions. Pour lui, la fermeture est

impensable. Plus maintenant, après tout ce que nous y avons réalisé.

Dis-moi, João, si l’affaire t’appartenait et que tu savais que tu ne vendrais que

quelques lave-vaisselles par mois le trimestre prochain, au lieu des quarante que tu

vends d’habitude, qu’est-ce que tu ferais?

Voilà exactement ce qui ne colle pas dans notre façon de voir les choses, vous ne

pensez qu’au prochain trimestre! Vous oubliez complètement qu’on repartira, après

ça! Ou alors vous croyez que ça ne redémarrera jamais?

Non, João, ce n’est pas ça le problème! Mais ça fait un bon moment que cette unité ne

gagne plus un sou!

Ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire! "

[…]

João rentre chez lui, juste à la limite de São Paulo. […] Toute la nuit, il pense au

problème de l’usine. Ainsi d’ailleurs que toute la journée du samedi, et toute celle du

dimanche. SEMCO, c’est sa vie. […] Tout à coup, l’idée jaillit: il a trouvé une issue.

Le lundi matin, en arrivant, il rassemble les cent-cinquante ouvriers au grand complet au

milieu des ateliers et leur explique qu’il a une idée qui pourrait sauver l’usine et leur

emploi. Voilà : les ouvriers accepteraient une réduction volontaire de salaire de 30 % et

renonceraient à une augmentation de 10 % qui leur était due. […] Tout cela, c’est la

partie classique de son plan. Mais voici la différence : le personnel prendrait en charge

tous les services fournis à l’usine par des entreprises extérieures […]

Un grand silence accueille ses explications. Puis, une femme prend la parole :

Tu veux dire qu’on devra nettoyer les toilettes? Pas question! Je ne l’ai jamais fait de

ma vie, et ce n’est pas maintenant que je vais commencer!

Moi, je serai le premier à le faire. Ça me dérange pas de passer une demi-heure par

jour à faire le ménage dans les toilettes ou dans les bureaux. Tu comprends, si on suit

ce plan, la compagnie n’aura besoin de renvoyer personne. Il n’y aura pas de

licenciements.

On vote alors, et plus de cent mains se lèvent pour approuver. […] C’est ainsi que

SEMCO fera sa première expérience de la cogestion.

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venant de l’interne sont considérées car les employés de SEMCO font partie de la prata da

casa, un terme qui est utilisé pour mentionner la richesse (argent) de la maison (Pozzebon,

2008). Au cas où des candidatures externes seraient considérées, tous les employés participent

aux entrevues (voir la capsule : L’entrevue d’embauche).

Capsule : L’entrevue d’embauche - Entrevue avec Ricardo Semler

Parlez-nous du processus de l’embauche chez SEMCO :

Quand vous voulez embaucher quelqu’un, disons pour un poste de gestion, vous allez dans le système

et vous publiez le fait que vous pensez avoir besoin de quelqu’un. Puis, un jour donné — disons le

mercredi à 4 heures dans la salle de réunion 11 — vous annoncez que vous allez en discuter avec

quiconque est intéressé. À cause du principe fondamental selon lequel nous ne souhaitons pas que

quelqu’un s’implique dans quelque chose qu’il ne souhaite pas vraiment faire, toutes les réunions ont

lieu sur une base volontaire. Cela veut dire que les réunions sont publiques, que quelqu’un qui est

intéressé peut et va y assister, mais qu’il devrait aussi partir dès le moment où il n’est plus intéressé.

C’est un peu troublant de voir ces choses, parce que les gens entrent, posent leurs affaires et 15

minutes plus tard, quelqu’un d’autre dit « Salut, à la prochaine. » Mais en fait, tous ceux qui restent

ont un intérêt dans la décision qui est en train de se prendre et la décision est finale dans le sens où

elle sera appliquée dès la fin de la réunion.

Vous avez mentionné que la réunion est annoncée dans un système. Qu’est-ce que c’est?

Un site web central qui est la voie de communication pour tout le monde afin de savoir ce qui se

passe.

Ok, alors il y a une réunion sur une base volontaire, le mercredi à 4 heures par rapport au

nouveau poste et…

Les gens qui se présentent mettent ensemble un canevas des caractéristiques de la personne à

embaucher et décident du poids de chacune de ces caractéristiques. Ils vont ensuite chercher cette

personne en posant une annonce dans un journal ou par un chasseur de têtes. Et quand les CV

arrivent, la personne qui a commencé toute l’opération va en fait distribuer les différents CV par

paquets, puisqu’il n’y a pas de département des ressources humaines. Tu en prends dix, moi j’en

prends dix, Andrew en emporte dix à la maison et je te donne tous ceux sur lesquels j’ai marqué A+,

et nous allons juste envoyer une note de remerciement aux autres.

Par ailleurs, beaucoup de choses arrivent au cours de ce processus. Parce que quarante d’entre nous

regardent dix candidatures chacun, ou dix d’entre nous regardent quarante candidatures chacun, je

vais identifier des personnes qui ne sont pas idéales pour ce poste, mais qui pourraient être idéales

pour un autre travail, et c’est quelque chose qui disparaît complètement si un département des RH

s’en charge, parce qu’en fait ils trient entre oui et non. C’est une réponse numérique. Avec notre

système, nous créons une réponse analogique, ce qui veut dire que peut-être que cette personne serait

bien pour je ne sais pas qui, et donc nous envoyons le CV à quelqu’un d’autre. Une fois que nous

avons trouvé dix personnes qui ont eu un A+ sur les 400, nous allons faire une entrevue collective

pour tous les candidats, ce que la plupart des gens n’aiment pas, et ce que j’ai trouvé très bizarre au

départ.

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Attendez. Tous les candidats sont interrogés ensemble?

Ensemble.

Je souhaiterais que ma voix soit forte ce jour-là.

Dans un système comme ça, disons que deux sur dix ne parlent pas du tout, parce que ce n’est pas

leur nature d’interrompre. Bon, les autres cinq, dix, quinze de notre côté souhaiteront quand même

entendre ces deux-là. Donc, à un certain moment, ils vont dire, « Brad, vous n’avez pas du tout parlé,

qu’est-ce que vous avez à dire? ». Si ce que tu dis est réfléchi, tu pourrais être mieux évalué que les

autres grâce à cette simple minute valable.

(tirée de Wieners, 2004)

Une fois embauchés, les employés décident quelle forme de salaire ils aimeraient recevoir :

Concrètement, les travailleurs ont le choix entre onze différentes formes de

rémunération (ou une combinaison de ces formes). Les possibilités varient du salaire

fixe classique, en passant par différents bonus et commissions liés aux prestations ou

aux résultats, jusqu'aux royalties ou actions. Et les collaborateurs ne décident pas

seulement de la forme de la rémunération, mais aussi de son montant. (Gavel, 2004,

p. 9.)

En général, le salaire reçu est 10 % plus élevé que celui des compagnies comparables et

l’information sur tous les salaires est publique (Fisher, 2005). De plus, il n’existe pas de

planification de carrière classique, ni l’établissement d’objectifs entre employé et employeur

(Semler, 2004, p. 8).

2.5. Initiatives actuelles

Même si Ricardo Semler ne fait plus partie de la direction de l’entreprise SEMCO, l’esprit

initial qu’il a créé avec son DRH, Clovis Bojikian demeure dans l’organisation. Plusieurs

initiatives actuelles encouragent les employés à s’impliquer dans la gestion de SEMCO et à

proposer de nouvelles initiatives.

Par exemple, l’initiative Out of your mind vise la proposition de nouvelles idées par les

employés. L’intention est de mettre de côté des solutions habituelles et de présenter de

nouvelles idées13

. Toute idée est d’abord considérée, aussi inhabituelle qu’elle puisse être.

D’ailleurs, la remise en question des pratiques et des objectifs est une partie intégrante de la

gestion chez SEMCO. Ricardo Semler introduisit ce questionnement avec « La manière du

pourquoi » (2004, p. 16) (whyway). Il s’agit de se poser la question du pourquoi à plusieurs

reprises et à n’importe quel moment. Afin de soutenir l’émergence de nouvelles idées, les

employés sont aussi invités à changer régulièrement d’activité au sein de l’entreprise. Une

perspective différente peut mener au développement de nouvelles compétences :

13

Site Internet de la SEMCO : www.semco.com.br (consulté le 16 juin 2011).

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15

[…] l’entreprise encourage les employés à changer périodiquement d’activité, de

fonction ou d’unité d’affaires. Cette rotation du personnel dans l’entreprise permet de

faire accélérer le développement de compétences multiples et d’augmenter la

synergie entre les différentes parties de l’entreprise. D’ailleurs, la gestion des

compétences a une caractéristique particulière : il n’y existe pas de service des

ressources humaines (en effet, SEMCO n’utilise pas le mot « ressources » humaines

ni « employés », mais seulement « personnes »). Le sort des personnes relève de

chaque unité d’affaires, et chacun a un mot à dire quant à ce qui peut affecter sa vie

professionnelle et l’avenir de l’entreprise. » (Pozzebon, 2008.)

Le comité Out of your mind se rencontre sur une base régulière et crée souvent de nouvelles

initiatives telles que la retraite à temps partiel (Retire a little bit) et l’échange avec des

personnes extérieures à l’entreprise qui ne travaillent pas (encore) chez SEMCO.

L’idée de la retraite à temps partiel, Retire a little bit, est de proposer des modèles flexibles de

départ à la retraite. Avec cette initiative, SEMCO fait face au vieillissement de la population

car l’entreprise donne la possibilité aux employés plus âgés de respecter le rythme de leur

corps, tout en demeurant des acteurs impliqués dans l’organisation. Le projet est né à la suite

d’une analyse du cycle de la vie montrant que nous n’avons souvent pas l’argent ni le temps

de faire les choses que l’on désire au moment idéal. Chez SEMCO, il s’agit d’une sorte de

transaction qui fait en sorte que si un employé a envie de prendre une journée par semaine

pour, par exemple, aller jouer au tennis ou faire d’autres activités, son départ à la retraite sera

décalé d’une journée. La personne achète donc une journée de sa liberté tant qu’elle a encore

la forme physique pour en profiter amplement. Par contre, en 2004, ce programme (ainsi que

celui de la flexibilité du salaire appelé : Up 'n' Down Pay) n’est pas aussi populaire qu’il

pourrait l’être (Semler, 2004). Selon le dirigeant, il n’est pas facile de changer la façon

traditionnelle de concevoir le travail et les différentes dynamiques, telles que le départ à la

retraite. Plusieurs innovations sont encore possibles par rapport à la trajectoire professionnelle

des employés.

Finalement, il existe aussi un échange avec des personnes externes, un projet appelé Date

SEMCO. Une personne qui est intéressée par l’entreprise d’une manière générale a donc la

possibilité de rencontrer des employés de SEMCO pour discuter des éventuelles possibilités

d’embauche ou pour apporter de nouvelles idées qu’elle aurait par rapport à l’entreprise. Il

s’agit d’une autre manière pour l’organisation d’élargir son réseau. En fait, SEMCO crée des

points de contact avec différentes personnes afin de rendre les frontières de la firme plus

poreuses.

3. La vision du capitalisme : une vision à adopter?

Nous venons de découvrir une entreprise qui adopte une vision différente de la gestion par

rapport à d’autres entreprises de sa taille. En effet, la gestion à la SEMCO est basée sur des

valeurs socialistes. De manière générale, on respecte plus les aspects anthropologiques et

humains que les aspects politiques. Cependant, comme d’autres multinationales, la SEMCO

est une entreprise capitaliste qui « réussit suivant les critères du marché » (Semler, 2004,

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p. 12). Toutefois, selon Semler, ce fait n’implique pas que l’entreprise soit « forcée à danser

une valse au son des cloches de Wall Street » (Semler, 2004, p. 12).

Souvent, la gestion de la SEMCO est perçue comme un cas unique, étrange et qui n’est pas

concevable dans d’autres organisations ou d’autres contextes culturels. Les politiciens locaux,

par exemple, s’adressent à Ricardo Semler en demandant « Vous venez de quelle planète? »

(Fisher, 2005). C’est une manière discrète de douter des pratiques d’affaires de la SEMCO.

D’autres réactions sont plus intenses, telle l’accusation de la Fédération industrielle selon

laquelle Ricardo Semler sape l’autorité managériale (Fisher, 2005).

De l’autre côté, le leadership de la SEMCO est également encouragé et honoré. En effet,

Ricardo Semler a reçu des prix de leadership progressiste de la presse locale. De plus, de

nombreux ouvrages de gestion s’inspirent de la SEMCO pour montrer des exemples d’une

gestion humaine et innovatrice. Par exemple, Charles Hardy, philosophe et « gourou »

britannique du management, souhaite que plus de personnes croient à la vision de la SEMCO.

Seulement peu d’entreprises ont essayé de copier sa gestion, parce qu’il semble que le

management tel que pratiqué à la SEMCO va à l’encontre de toute tradition managériale

(Fisher, 2005). De plus, les clients directs de la SEMCO, tels que Walmart ou General

Electric hésitent quant à l’application du même style managérial à leurs propres entreprises

(Fisher, 2005). L’un d’eux affirme : « Je ne connais aucune entreprise américaine qui pourrait

fonctionner selon ces croyances… » (Fisher, 2005, p. 10).

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