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30/03/11 10:34 Bengoa Page 1 sur 9 file:///Users/patrickkulesza/Desktop/Bengoa.webarchive La question mapuche José Bengoa L’année passée des conflits se sont produits à Lumaco, cette année, à Traiguén. Il s’agit d’une région très pauvre du sud du Chili : des collines douces de la Cordillère de la Côte qui traverse du nord au sud le pays. Ces collines furent des champs de blé par le passé, qui peu à peu se sont dégradés. Les entreprises forestières commencèrent à planter des forêts de pins. Depuis l’occupation de l’Araucanie par les troupes de l’armée chilienne il y a 118 ans (1881), se constituèrent dans la zone des fundos ( 1 ) de propriétaires coloniaux et des " réductions indigènes " où vivent les Mapuches. Ce sont des sortes de réserves, dans le style de celles réalisées à la même époque aux États-Unis, mais de taille plus petite. Un terrain était remis à chaque chef de famille ou à plusieurs familles. Dans ces années de fin du dix-neuvième siècle, on pensait que le progrès viendrait avec l’immigration européenne et c’est pourquoi on préparait le sud du Chili à recevoir ces nouveaux habitants. Les indigènes furent soumis à une situation très angoissante, encerclés, parfois littéralement, dans leurs réserves ou réductions. Ce n’est pas une question simple de déterminer avec exactitude l’étendue des terres indigènes du sud du Chili et donc l’importance du conflit territorial qui est en train de se développer dans ces régions. Faisons un peu d’histoire. Les lois du siècle passé établirent que les terres au sud du río Malleco étaient publiques. Cette forme juridique prohibait le système de colonisation sauvage. L’État remettait des Títulos de Merced ( 2 ) aux indigènes et vendait aux enchères les terres restantes. L’État réduisit le territoire des indigènes sans les consulter et par la force, avec une présence militaire permanente. Ce processus se déroula entre 1884 et 1929. L’État distribua 3 078 Títulos de Merced qui, avec le système de mesure de l’époque, équivalaient à 475 423 hectares, et en faveur de 77 751 indigènes. Le

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La question mapucheJosé Bengoa

L’année passée des conflits se sont produits à Lumaco,cette année, à Traiguén. Il s’agit d’une région très pauvredu sud du Chili : des collines douces de la Cordillère de laCôte qui traverse du nord au sud le pays. Ces collinesfurent des champs de blé par le passé, qui peu à peu sesont dégradés. Les entreprises forestières commencèrentà planter des forêts de pins. Depuis l’occupation del’Araucanie par les troupes de l’armée chilienne il y a 118ans (1881), se constituèrent dans la zone des fundos (1)de propriétaires coloniaux et des " réductions indigènes "où vivent les Mapuches. Ce sont des sortes de réserves,dans le style de celles réalisées à la même époque auxÉtats-Unis, mais de taille plus petite. Un terrain était remisà chaque chef de famille ou à plusieurs familles. Dans cesannées de fin du dix-neuvième siècle, on pensait que leprogrès viendrait avec l’immigration européenne et c’estpourquoi on préparait le sud du Chili à recevoir cesnouveaux habitants. Les indigènes furent soumis à unesituation très angoissante, encerclés, parfois littéralement,dans leurs réserves ou réductions.

Ce n’est pas une question simple de déterminer avecexactitude l’étendue des terres indigènes du sud du Chiliet donc l’importance du conflit territorial qui est en trainde se développer dans ces régions. Faisons un peud’histoire. Les lois du siècle passé établirent que les terresau sud du río Malleco étaient publiques. Cette formejuridique prohibait le système de colonisation sauvage.L’État remettait des Títulos de Merced (2) aux indigèneset vendait aux enchères les terres restantes. L’Étatréduisit le territoire des indigènes sans les consulter et parla force, avec une présence militaire permanente. Ceprocessus se déroula entre 1884 et 1929.

L’État distribua 3 078 Títulos de Merced qui, avec lesystème de mesure de l’époque, équivalaient à 475 423hectares, et en faveur de 77 751 indigènes. Le

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recensement de la population de 1907 dénombrait près de110 000 indigènes. On peut donc conclure que denombreux indigènes sont restés sans terre. Il est évidentque l’origine de la petite propriété indigène est liée à ceschiffres. L’État a remis aux indigènes 6,1 hectares parpersonne en moyenne. Cependant cette moyenne faussequelque peu les chiffres puisque dans les zones de lacordillère, les propriétés sont beaucoup plus grandes entaille mais en général très peu productives. Les famillesont augmenté et en 1963 par exemple, cette moyennes’établissait à 1,8 hectares par personne. À l’heureactuelle nos études montrent qu’une famille dispose de3,6 hectares et que la taille des familles mapuches est de5,8 personnes par foyer, plus que la moyenne nationale quiest de 4,3. Selon le recensement de la population de1992, 235 000 Mapuches vivent à la campagne dans descommunautés, réductions et asentamientos (3) indigèneshomogènes.

En 1927 fut promulguée une loi qui permit la division desTítulos de Merced. Il se produisit une forte polémique, quijusqu’à ce jour n’est pas terminée. Certains faisaientremarquer qu’il était important de dissoudre lescommunautés, de sorte que les indigènes puissent vendreleurs terres et se fondre avec le reste de la populationchilienne. D’autres, les organisations indigènesprincipalement, soutenaient qu’il serait nécessaire depréserver les terres communes et donc de ne pas diviserles titres communautaires. Nombre de " communautés ",néanmoins, ont divisé leurs terres entre les familles etjuridiquement, même si ce n’est pas vrai dans la pratique,se sont dissoutes. Ceci est advenu en particulier dans lesprovinces de Malleco et d’Arauco, zones des conflitsactuels. Ce fut la cause de nombreuses ventes de terres,d’appropriations légales sur la base d’écrits et de papiersqu’ont remplis les conservateurs de biens fonciers. C’estl’origine des conflits actuels. Les terres divisées enparcelles ont plus de facilités à être vendues, ousimplement usurpées, que les terres protégées par lesTítulos de Merced.

Entre 1927 et 1973, 160 communautés ont disparu.Leurs terres sont passées dans le domaine privé et lesindigènes ont dû émigrer. 2 134 autres se sont

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maintenues sous le régime de propriété commune de laterre des Títulos de Merced, et 784 ont été divisées enparcelles. Au total, dans les Archives des questionsindigènes sont conservés à l’heure actuelle 2 918 dossiersde communautés.

Il y a eu de nombreuses lois concernant les indigènesdurant le vingtième siècle. Elles traitaient toutes, ou biende liquidation des communautés, ou bien de recherche dediverses solutions à ces conflits de terres. En 1971 leprésident Allende édicta une législation indigène quidonnait la possibilité d’incorporer les communautés dans leprocessus des réformes agraires. Par ce concept lesfundos pouvaient être expropriés et rendus auxcommunautés et ainsi augmenter les terres que lesindigènes possédaient. Cette loi fut opérationnelle pendantun peu plus d’un an. Beaucoup de communautés se virentrestituer des terres qui leur avaient été spoliées dans lepassé. C’est le cas des communautés de Traiguén, quiaujourd’hui sont en conflit. Les paysans indigènes ontoccupé physiquement ces nouvelles terres et ontconstitué une sorte de société agricole coopérative.Souvent ceux-ci ont planté des bois de pin sur cesnouvelles terres que leur avait attribuées le gouvernement.Cependant le coup d’État militaire de 1973 trouva cesprocessus de restitution de terres à mi-chemin. Presqueaucune de ces terres n’avait légalement de titre depropriété attribué aux communautés indigènes. Commechacun sait, ces procédures étaient longues et furentinterrompues avec le putsch. Les terres sont passées dansles mains de l’État pour être adjugées, plus tard, à desentreprises forestières.

Dans le cadre de la privatisation générale des activités dupays, le gouvernement militaire décréta une nouvellelégislation indigène. Le décret-loi 2 568 de 1978 consistaà partager les communautés indigènes. Il prétend que ledéveloppement passerait par la remise à chaque familled’un titre de propriété individuelle qui incluait la permissionde vendre la terre. Durant un certain nombre d’années(1978-1988), il fut procédé manu militari au partage desterres indigènes, c’est-à-dire, à remesurer les terres queles indigènes habitaient. Les mesures des Títulos deMerced ont été exécutées avec des instruments modernes

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et dans presque tous les cas, surtout les communautés dela Cordillère, le nombre d’hectares s’est vu augmenté. Laraison est très simple. Les nouveaux instruments demesure permettaient une meilleure précision que ceux dela fin du siècle passé. Mais, et c’est là l’erreur denombreuses personnes qui aujourd’hui donnent leuropinion sur ces sujets, les terres étaient les mêmes.Seulement sur les papiers apparurent plus d’hectares. Lamême chose est arrivée avec le remesurage des terres quiavaient été divisées en parcelles, qui elles-mêmes, aucours du temps, ont été aussi subdivisées, mais qui ontété maintenues en fait en communauté. Et cela s’est aussipassé avec des terres qui étaient habitées par desindigènes, mais dont le titre de propriété était au nom del’État. C’est le cas du Fundo Ralco qui est actuellementcélèbre puisque c’est là que se construira le barrage dumême nom. Par conséquent les terres n’augmentent quesur le papier, puisqu’il s’agit seulement d’une"régularisation de titres".

Effectivement à l’heure actuelle, les terres indigènescouvrent approximativement 510 000 hectares. À celles-cidoivent s’ajouter celles cédées ces dernières années par leministère des Biens nationaux qui étaient aussi habitéespar des indigènes, cas de Quinquén et de San Juan de laCosta, et qui n’augmentent que sur le papier la superficiedes terres occupées dans le sud par les indigènes. Lesuniques terres nouvelles, c’est-à-dire non indigènes quisont devenues indigènes, sont celles acquises par le Fondsde terres dans les dernières années, environ 20 000hectares, achetées en accord avec la loi indigènepromulguée en 1993 par le président Aylwin. Par cette loiil est créé un fonds pour acquérir de nouvelles terres pourles communautés indigènes.

Ces chiffres montrent en outre quelque chose de trèsimportant et difficile à comprendre, c’est que les 475 000hectares remis il y a 100 ans aux Títulos de Merced nesont pas nécessairement les mêmes terres que les 510000 que protège actuellement la Loi Indigène. Dans cesdernières, il y a beaucoup de terres qui n’ont jamaisappartenu à l’origine aux Títulos de Merced sinon sousd’autres formes de cession de la part de l’État telles que,Titres de propriété gracieux, des arrêts des Juges des

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Indiens ou des transferts de terres de l’État par les Biensnationaux. En 1970 les avocats de la Direction desquestions indigènes, Dasin, Osses et Ormeno, calculaientque sur les terres des Títulos de Merced les Mapuchesavaient perdu 131 000 hectares, c’est-à-dire presque lequart. Durant la période de la réforme agraire beaucoup dedomaines furent expropriés et ces terres transférées auxcommunautés qui étaient en procès à cause de ladiminution de la surface de leurs terres. Dans d’autres cas,comme la situation de Temulemu et Santa Rosa de Colpi àTraiguén, centres de l’actuel conflit, les domaines furentexpropriés et se constituèrent là des établissementspaysans ou des centres de réforme agraire. Bien qu’il n’yeût pas de transfert légal et effectif de titres de propriété,les paysans indigènes considérèrent que ces terres leuravaient été restituées. À partir de 1974 commença unprocessus que nous appellerons de " contre-réformeagraire ", dans laquelle la majorité de ces terres furentvendues aux enchères. Nous avons évalué à 30 000hectares les terres de la réforme agraire qui sont restéesdans les mains des paysans indigènes, la majeure partie decelles-ci dans la province d’Arauco. Cela signifiait que lesterres spoliées sont approximativement de 100 000hectares. Il faut décompter cependant les terres des 160communautés qui disparurent totalement entre 1929 (ouavant) et 1970, qui, selon les calculs réalisés bien desannées après, représenteraient entre 40 et 50 000hectares. Cela signifie que les terres Títulos de Mercedperdues et dénommées par les Mapuches " tierrasusurpadas ", doivent être de l’ordre de 50 à 60 000hectares. La loi indigène protège ces terres et fixe desmécanismes pour leur restitution.

Le décret-loi 2 568 de 1978 divisa les terres qui étaientalors sous le contrôle des Mapuches. En supprimantjuridiquement des communautés, on chercha à étendre unmanteau d’oubli juridique sur les " terres spoliées ".Beaucoup d’entreprises achetèrent terres et titres, ensachant ou sans savoir qu’ils avaient une longue histoire.Juridiquement les titres de propriété étaient valides, maisquiconque lit les feuilles jaunies des conservateurs debiens fonciers, saura qu’elles contiennent l’histoire. C’estle cas du litige de Santa Rosa de Colpi ou de Temulemo,qui a été l’étincelle qui a fait exploser ce nouveau conflit

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mapuche généralisé. Ces 58,4 hectares ont été l’objetd’un jugement, disputé au Tribunal des Indiens de Victoriadepuis 1928. Plus encore, dans une sentence ancienne, ilest donné raison aux indigènes et non au plaideur qui, sansoffenser personne, se dénommait don Cardenio Lavín. Cejugement est public. Les avocats des entreprises, à l’égalde qui achète une voiture d’occasion, devront sepréoccuper d’analyser non seulement la légalité actuellemais aussi la légalité historique de la propriété. Dans le cascontraire ils seront en train d’acquérir un problème.

L’expansion forestière dans le sud du Chili s’estdéveloppée en encerclant les communautés indigènes. Unevue aérienne montre un énorme tapis vert de forêtsépaisses, et les communautés comme des îles au milieu deces plantations. La forêt de pin absorbe toute l’eau de lazone, desséchant les sols et les sources des Mapuches.Les fumigations de pesticides tuent les animaux et onobserve l’augmentation incroyable d’enfants nés avec desmalformations congénitales. L’énorme richesse forestièrene reste pas dans la zone et au contraire appauvrit lessecteurs où elle se trouve. Les travailleurs ne proviennentpas de la localité. En conséquence ce type de plantation necrée pas d’emploi local. Tout cela a conduit à un conflittrès aigu entre Mapuches et entreprises forestières.

Le conflit actuel tire de la terre son centre symbolique etpratique. Les Mapuches exigent un espace territorial pourvivre, pour reproduire leur culture. Ils comprennent que lespossibilités de continuer à survivre comme peuple passepar l’existence de terres communautaires qui leurpermettent la subsistance économique, mais aussi, et enmême temps, la survivance politique, culturelle etsymbolique. C’est pourquoi la terre se transforme une foisde plus en un axe de revendications quoique cette fois il nes’agisse pas d’un mouvement des travailleurs agricoles nide paysans.

Le mouvement est dirigé par de jeunes indigènes qui sontpassés par l’éducation publique de l’État chilien. C’est unnouveau type de dirigeant et un nouvel acteur. Lademande est beaucoup plus vaste que la simple terre dupaysan pour semer et manger. Bien sûr que le problème dela pauvreté est très fort et s’est aggravé encore plus

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particulièrement cette année avec une grande sécheresse.Néanmoins, chez les jeunes mapuches il existe l’idéed’autogestion de leurs propres systèmes dedéveloppement. Il y a des expériences réussies, et qui sevoient menacées par l’énorme système de discriminationauquel sont soumis les indigènes. Par exemple, un desconflits principaux s’est produit au tour du lac Lleu Lleu oùles jeunes mapuches ont développé avec succès un projettouristique. Il s’agit d’un projet autogéré par les indigèneseux-mêmes. Un entrepreneur a acquis par vente auxenchères un domaine contigu pour installer un " resort "qui dénature totalement le projet touristique indigène etqui le liquide à courte échéance. Les dirigeants ontréclamé devant les autorités que, face à un cas réussi dedéveloppement indigène autogéré, soit permis un projetqui le détruise. Ce nouvel acteur indigène n’a pas été facileà comprendre par les autorités qui étaient accoutumées àtraiter plutôt avec des paysans n’ayant qu’une éducationde base.

Le débat aujourd’hui au Chili sur la question indigène estpassionné. La construction du barrage du haut Bío-Bío etle transfert de populations indigènes dans des installationséloignées de leur habitat historique ont confondu etbloqué les politiques que l’État menait à bien vers cesecteur. Le président Aylwin édicta en 1993 une loiindigène qui protégeait les terres indigènes en empêchantleur vente, sauf entre indigènes. La loi créa un Fonds deterres et un fonds de développement. Il créa aussil’éducation interculturelle bilingue, des systèmes efficacesde justice et de nombreuses autres reconnaissances dedroits culturels. Il est institué une Corporation dedéveloppement indigène, chargée d’appliquer cesprogrammes et dont le Conseil est formé de fonctionnairesde l’État et de représentants élus par les communautésindigènes du pays, pas seulement mapuches. Cependantces conflits ont conduit à ce que cette Corporation aperdu la capacité d’interlocuteur entre l’État et lesMapuches. Deux directeurs mapuches de cette corporationont été retirés de leur poste pour s’être opposés à laconstruction du barrage. On ne voit pas avec clarté lamanière de rétablir la confiance mutuelle.

La droite politique critique la loi édictée par le président

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Aylwin, pour avoir " perpétué la pauvreté ", puisqu’elleempêche la vente des terres indigènes à des personnes oudes entreprises non indigènes. L’idée du décret-loi 2 568de 1978 de remettre des titres particuliers à chaquefamille a consisté à permettre aux Mapuches de vendreleurs terres, une à une, à des entreprises forestières et dequitter la campagne. Ils devaient alors se déplacer vers lesagglomérations urbaines, dans les quartiers marginaux. Àla fin, le peuple mapuche disparaîtrait de son habitathistorique dans le sud du Chili. Sur les rives des lacs du sudparticulièrement, il y avait beaucoup d’intérêts quipoussaient dans ce sens. Pour cette raison, en 1993, a étépromulguée une loi qui, d’un côté limite les possibilités deventes de ces terres, ce qui signifierait " nouvellesusurpations " dans la conscience indigène, et d’un autrecôté crée un Fonds pour acheter de nouvelles terres etrésoudre les conflits historiques. Il y a des gens qui disentque là réside la cause de la pauvreté, puisque lesMapuches, par ces restrictions à la propriété, ne peuventhypothéquer les terres et solliciter des prêts auprès desbanques. La majeure partie des producteurs mapuches neparvient pas à être au moins bénéficiaire de l’Institut dedéveloppement agricole, qui est le système de subventionsde l’État pour les petits agriculteurs. Les Mapuches ontune agriculture de subsistance pour laquelle le créditbancaire est encore très éloigné de leurs possibilités. Lapolitique de la droite, qui contamine de nombreuxsecteurs, face à cette situation de conflit consisterait àlibérer les terres indigènes pour permettre au marché derésoudre ces conflits. Il ne fait aucun doute pour nous quece serait une source de conflits toujours plus grands.

Je crois que les chiffres livrés ici montrent que l’Étatchilien fut le responsable de la situation de petite propriétéqui afflige aujourd’hui les Mapuches. C’est pourquoi, c’està l’État chilien de réaliser une conversion importante pourrésoudre le problème de la petite propriété, et depermettre que ces citoyens s’en sortent avec la dignitéd’êtres humains et ne soient pas seulement objets decharité. Il est techniquement possible que lescommunautés mapuches réalisent un plan dedéveloppement autogestionnaire performant. Il y a denombreux exemples de cela. Certes des moyens doiventêtre mis à leur disposition, mais il est aussi important que

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s’ouvrent des espaces au développement autonome, dessystèmes de décision politique, de contrôle culturel et degestion des affaires indigènes. Les jeunes dirigeants, quimaintenant se mobilisent dans le sud du Chili, prennentconscience de deux aspects : la nécessité de terres, deressources économiques, et en même temps la nécessitéde se constituer comme un collectif avec extension del’autonomie dans la prise de leurs décisions. Probablement,le conflit connaîtra de nombreuses vicissitudes dans lefutur puisque, comme on l’a vu, les intérêts en jeu ne sontpas négligeables.

Santiago du Chili, avril 1999

Traduit par Guy Mansuy

José Bengoa est spécialiste de l’histoire mapuche, membredu groupe de travail sur les peuples autochtones desNations Unies et ex-directeur du CEPI, commission crééeen 1990 par le gouvernement Aylwin.

Notes :

1. Propriété terrienne (NdT).

2. Titres gracieux de propriété (NdT).

3. Implantation de communautés indigènes (NdT).

Sources : Éd. originale : Bengoa, José 1999. – " La question mapuche

". - In : " La question mapuche ", Espaces Latinos, nº 164, Lyon, avril1999, p. 17-20.