La politique et l'enjeu du style (1/3)

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N°258 - du 5 au 11 avril 2011 2012 : la nouvelle idéologie : le style ! (1/3)

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le style !

En 1960, John Kennedy part en campagne avec deux handicaps sérieux. D’une part, son âge car à 43 ans sa jeunesse est considérée comme une preuve d’incompétence. D’autre part, sa religion catholique car jusqu’alors tous les Présidents avaient été d’origine pro-testante. Première étape : JFK ou comment parler à l’oeil Pour ces deux raisons, en début de campagne, les Républicains voient l’ave-nir en rose au moment du démarrage des opéra-tions. Certes John Kennedy va traiter chacun de ses deux handicaps dont la réunion du 12 septembre où il aborde de front la question religieuse. Mais la donne a changé. Ken-nedy a mis en place une nouvelle campagne. Il conduit une communica-

tion inédite, sans précé-dent. Sa vie est mise en scène. Son bateau de guerre (PT 109) devient le symbole de son endu-rance et de ses qualités de chef. Face à lui, Nixon est ré-duit au rôle de second d’Eisenhower. Il est atta-qué sur ses capacités de leadership avec des cam-pagnes négatives très of-fensives. Les Démocrates exploitent une déclaration très maladroite d’Eisenho-wer au sujet de Nixon. Puis c’est toute la «famille Kennedy» qui monte au front dont Jackie Kenne-dy. Lorsqu’elle n’est pas dans la caravane électo-rale, l’opinion a l’explica-tion : elle attend un en-fant. La télévision fait la différence. Kennedy arri-ve aux débats en ayant étudié tous les détails dont la couleur du fond du décor. Au dernier mo-ment, il change même la couleur de sa chemise pour qu’elle soit davanta-

ge en harmonie avec le décor. Nixon fatigué par une récente opération du genou paraît exténué, le teint pâle, laiteux, la bar-be naissante ; bref l’air du battu face à la jeunes-se éclatante pleine de santé, de vigueur, d’opti-misme. A la fin du débat, les son-dages sont organisés et ils révèlent une situation étonnante. Les personnes qui ont écouté le débat à la radio donne Nixon gagnant. Celles qui ont vu le débat à la télévision donnent Kennedy très largement en tête. Les secondes sont infiniment plus nom-breuses que les premières car la télévision est déjà à cette époque chez 44 mil-lions de foyers américains soit 88 % de la popula-tion. Le 4 novembre, Kennedy gagne. Il devient «l’élu de la télévision». L’impact du seul visuel a été tellement

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JFK et la nouvelle frontière En dépit de l’immensité de la fortune familiale, JFK a joué la carte de la simplicité, de la proximité, du contact direct, du partage des préoccupations des plus déshérités. Il a invité l’opinion à «faire partie de la famille Kennedy» en ouvrant la connaissance à tous les membres de la famille à l’exemple de l’émission qui proposait de «prendre une tasse de café avec Jackie Ken-nedy». La communication pu-blique venait de changer d’â-ge.

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grand que tous les candi-dats vont refuser de dé-battre à la télévision jus-qu’en 1976 où le défi est alors relevé par Ford et Carter. Le leadership moderne en politique était né. Seconde étape : Rea-gan ou l’intelligence émotionnelle La seconde étape majeu-re date des années Rea-gan. Il est le grand com-municateur. Il ne parle pas de politique mais des valeurs qui guident la vie de tous les jours : un su-jet, une anecdote, un sourire et l’adhésion est emportée. C’est le produit d’un tra-vail méticuleux. Il invente le «Président Téfal» celui à qui aucun échec ne colle à la peau. Tout est scénarisé. C’est un spectacle permanent avec un «happy ending». Reagan est le héros qui lance les grandes aventu-res, qui réussit contre tous les courants contrai-res. Avec Reagan, la politique devient une histoire. Dans la dernière ligne droite avant le vote, Reagan achète des espaces publi-citaires sur les grands ré-seaux. De quoi parle-t-il alors ? Des dossiers les

plus importants ? Il ra-conte «qu’il vient de per-dre un ami (John Wayne) et juste avant sa mort, cet ami lui a fait prendre un engagement simple : donne à l’Amérique une raison de vivre et elle triomphera de tout». C’est l’optimisme holly-woodien avec une présen-tation manichéenne d’une extrême simplicité. Le 4 novembre 1980 à soixante dix ans, Reagan devient le plus âgé des Présidents élus mais le plus moderne de ses Pré-sidents. Il va mener sa gestion présidentielle comme ses campagnes. Une fois les dossiers les plus sérieux

de la planète traités, le Président repart dans son ranch, monte à cheval, taille le bois. C’est sain, sportif, viril faisant réfé-rence aux clichés les plus forts du Far West. En 1980 l’élection est bril-lante. En 1984, la confir-mation l’est autant. La personnalité est adulée même si l’opinion est plus mesurée sur le bilan concret. Le 6 novembre 1984, Reagan remporte 49 Etats sur 50 réunissant 59 % des électeurs sur l’ensem-ble de l’Etat fédéral. Au lendemain de sa ré-élection, alors qu’il est in-vité à commenter les ré-sultats, il énonce avec un

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grand naturel «et nous n’avez encore rien vu !». La seconde étape dans le leadership moderne était franchie. Il n’était plus question de compétences intellectuel-les mais de compétences émotionnelles et physi-ques : savoir parler à l’in-telligence émotionnelle de l’opinion. Troisième étape : Oba-ma ou le leadership as-socié En 2008, Obama fait naî-tre et vivre une nouvelle étape : le leadership as-socié. Cette étape ajoute de nouvelles données aux deux premières étapes parce de nouveaux sup-ports sont nés avec les nouvelles technologies.

Obama a créé un nou-veau leadership en 2008 : le leadership de possibili-té orienté vers des es-poirs grâce à la mobilisa-tion de chacun en s’éloi-gnant de la reproduction de vieux modèles basés sur la contrainte ou sur l’excessive délégation.

Facebook, Twitter, Inter-net … ont été les moyens, les outils d’une campagne qui reposait sur un objec-tif considérablement plus ambitieux : répondre au besoin d’idéal de la socié-té Américaine.

La campagne 2008 d’O-bama, c’est d’abord la soif d’idéal. Dans cette soif d’idéal, c’est aussi la rencontre entre le «je» et le «nous». Pour donner un sens à sa vie, il faut assu-rer la rencontre de soi et des autres. Le développement per-sonnel passe par un en-gagement social. Ce parti pris d’idéal col-lectif associé à une forte implication individuelle, c’est l’axe stratégique de la campagne de Barack Obama. Le choix fort a été ensui-te, grâce à des outils, d’offrir de s’associer à cet idéal pour le transformer en idéal commun. Ces ou-tils ont «vendu de la rela-tion». Mais Barack Obama a d’a-bord «vendu de l’idéal» y compris par la force de son propre cursus person-nel mais bien au-delà par le symbole de tous ses grands projets. Les outils ont permis de bâtir l’adhésion du grand nombre à cet idéal puis de s’affirmer comme une «marque». Parce qu’on adhérait à la campagne de Barack Obama, on montrait que l’on partageait une vision et des engagements.

Gary Hart ou la force de l’image Le mardi 13 mars 1984, jour de nombreuses primaires, l’o-pinion américaine découvre Gary Hart qui gagne en Floride, au Massachsetts, dans le Rho-de Island … Il gagne sans aucune base électorale, avec des moyens financiers particulièrement fai-bles. Mais il a le «look Kenne-dy» (voir photo bas page 08). Il cultive toutes les similitudes possibles : de la mèche de cheveux à la façon de marcher. En quelques semaines, Hart devient le « candidat de la mo-dernité » par référence à un look du … passé. Mais le mythe Kennedy était tellement fort qu’il pouvait être le tremplin vers tout. Le Sénateur du Colorado est mode. En quelques semaines, d’inconnu, il devient célèbre suivi par onze équipes de télé-vision et plus de 70 journalis-tes. En 1988, fort de sa popularité mieux installée, il s’engage dans les primaires mais il doit les quitter sur un scandale de vie privée. Sans ce scandale, cette année 1988 remplissait toutes les conditions pour être « son ren-dez-vous » face à un profil comme GW Bush peu affirmé. Bien que candidat en deux oc-casions, difficile de donner des idées fortes de Gary Hart. Il était un style, le rappel d’un leadership qui parlait aux Dé-mocrates. Avec des moyens très faibles, un style avait changé la dimen-sion d’une candidature.

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I l a annoncé l a «conscientious living», c'est-à-dire un style de vie mesuré qui est la re-cherche de sens. C’est la fin du consumé-risme ostentatoire (style de vie «bling bling»). La campagne Obama a démarré comme créatrice de valeur. Par son succès, elle est devenue créatrice de mode. Au moment où elle est devenue créatrice de mo-de, les «premiers enga-gés» ont d’ailleurs mal vécu la perte de leur dif-férenciation initiale. Les rencontres avec les acteurs de la première heure étaient très signifi-

catives. Ils exprimaient presque une forme de re-gret d’être désormais sui-vis par tant de personnes. Ils s’estimaient dilués, dé-passés. La marque dis-tinctive initiale était en voie de disparition. Par conséquent, toutes les approches qui consis-tent à analyser la com-munication de Barack Obama comme la mobili-sation de réseaux com-munautaires, l’émergence d’un style de «cool attitu-de» qui rompt avec l’ima-ge classique du pouvoir … nous semblent passer à côté de la vraie vague de fond : répondre à la soif d’idéal comme rencontre entre un engagement personnel et une mobili-sation collective.

C’est le moment où la po-litique vient à la rescous-se de la vie ; ce qui expli-que d’abord la mobilisa-tion militante puis celle civique du vote. Parce que la vague de fond était celle-là, la crise d’octobre a amplifié la portée du phénomène Obama. La crise financière deve-nait la démonstration ob-jective d’un radeau à la dérive. La confrontation entre ce nouveau style (Obama) et l’incarnation de ceux qui avaient failli au point d’a-mener le bateau au point de couler (McCain) pro-duisait des effets encore plus implacables.

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Sur l’image du leader, Ba-rack Obama marque d’a-bord le retour en force du leader de charme. Il est en campagne per-manente avec de très nombreux déplacements sur le terrain. Ses déplacements produi-sent toujours le même vi-suel : le rassemblement, l’action, le dialogue, la mobilisation. Le temps de crise produit une sur-personnalisation que Barack Obama met en scène avec efficacité et réussite pour l’instant sans innovation particu-

lière. Sur le fond, il restaure la place de l’intérêt général. Ou plutôt, son discours repose en permanence sur trois piliers : • il n’est pas possible

de résoudre les pro-blèmes avec ceux qui les ont créés,

• il y a un intérêt gé-

néral qui dépasse la somme des intérêts particuliers,

• les solutions passent

par la renaissance de la démocratie.

C’est ce contenu même du discours qui est le plus novateur. Le premier socle consiste à «tourner la page». La crise provient de compor-tements qui ne doivent pas se reproduire. Le sys-tème qui a créé la crise non seulement n’est plus crédible mais il est fautif. Il faut donc évoluer vers un autre ensemble de rè-gles porté par de nou-veaux leaders. Ce nouvel ensemble de règles doit reposer sur une place nouvelle accor-dée à la notion d’intérêt général.

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sont concernés tous les décideurs politiques mais bien au-delà. C’est ce dernier volet qui ajoute à la nouveauté. Le Prési-dent Américain veut faire renaître la démocratie. Il récuse la notion de ci-toyen spectateur pour évoluer en permanence vers celle de citoyen ac-teur. Toutes les images vont dans cette direction prin-cipale : retrouver le sens d’une communauté où chacun agit.

Le discours de Barack Obama n’est pas le «retour de l’Etat», c’est la naissance de l’intérêt gé-néral dans la politique Américaine. Jusqu’alors, la politique Américaine reposait sur la notion de l’équilibre consenti entre des inté-rêts particuliers qui doi-vent négocier pour déga-ger un terrain d’entente. La notion même d’intérêt général était très exté-rieure à la politique Amé-ricaine. L’intérêt général fait une entrée fracassante dans

la politique Américaine ; d’où l’actuel débat sur la «socialisation» de la poli-tique. Classiquement, deux questions se posent im-médiatement : • qu’est ce que l’intérêt

général ? • qui en a la charge ? A la première question, Barack Obama répond par des grandes causes natio-nales comme la défense de l’emploi, la mise en place de la couverture santé … A la seconde question, il a tendance à répondre que

Editeur : Newday www.exprimeo.fr

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Tim Pawlenty a lancé son co-mité politique pour 2012. Mitt Romney organise ses 15 dîners de levées de fonds pour affirmer une puissance de tir grâce à un «trésor de guerre» sans rival possible. Jon Huntsman publie la liste de ses premiers collaborateurs dans le cadre de son équipe pour 2012. … Le combat est engagé. Mais l’enjeu ne paraît plus être le programme mais ...le style.

Parution le : 12 avril 2011.