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La longue marche des femmes algériennes Baya Gacemi Si le discours politique dominant en Algérie prône le retour aux valeurs traditionnelles et par conséquent, ne favorise pas l'accès des femmes à la vie publique, il n'en demeure pas moins que ceUes-ci ont pu exploiter des brèches ouvertes dans le système patriarcal en place grâce, essentiellement, à la scolarisation. Les femmes algériennes ont encore une longue marche à faire pour accéder à une pleine citoyenneté. En mai dernier, les militantes féministes ont eu la surprise de découvrir que très peu de femmes étaient portées sur les listes présentées par les partis - les élections législatives devaient avoir lieu le 27 juin. Ce manque de candidates se remarquait même sur les listes des partis dits progressistes et qui avaient porté la question de la femme dans leur programme politique. Seul le Parti Socialiste des Travailleurs (groupuscule trotskyste) avait présenté une vingtaine de candidates. Mais les mauvaises langues avaient alors soutenu que ce parti, n'ayant aucune chance d'être élu, sa position relevait plus de la démagogie que du réalisme. Quant aux autres partis, leur position était tout simplement pragmatique. C'est du moins comme cela qu'ils l'ont expliquée: ils avaient choisi les candidats qui avaient le plus de chance d'être élus, donc des hommes. Amère réalité : la société n'était pas prête à se faire représenter par des femmes. Cet exemple souligne l'état des mentalités algériennes aujourd'hui. Mais il mérite toutefois d'être nuancé. Le discours anti-femmes est très récent et est devenu virulent depuis l'instauration du multipartisme et la liberté donnée aux partis intégristes de s'exprimer. Le Front de Libération Nationale (FLN) ex-parti unique au pouvoir, se faisait un point d'honneur de réserver à la femme, du moins, dans son programme, une place importante. il n'empêche que les résistances sociales et culturelles ont perduré et ont même gagné des points parfois. 3 Printemps 1992 87

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La longue marchedes femmes algériennes

Baya Gacemi

Si le discours politique dominant en Algérie prône le retour auxvaleurs traditionnelles et par conséquent, ne favorise pas l'accès desfemmes à la vie publique, il n'en demeure pas moins que ceUes-ciont pu exploiter des brèches ouvertes dans le système patriarcal enplace grâce, essentiellement, à la scolarisation. Les femmesalgériennes ont encore une longue marche à faire pour accéder à unepleine citoyenneté.

En mai dernier, les militantes féministes ont eu la surprise dedécouvrir que très peu de femmes étaient portées sur les listesprésentées par les partis - les élections législatives devaient avoir lieule 27 juin. Ce manque de candidates se remarquait même sur les listesdes partis dits progressistes et qui avaient porté la question de la femmedans leur programme politique. Seul le Parti Socialiste des Travailleurs(groupuscule trotskyste) avait présenté une vingtaine de candidates.Mais les mauvaises langues avaient alors soutenu que ce parti, n'ayantaucune chance d'être élu, sa position relevait plus de la démagogie quedu réalisme. Quant aux autres partis, leur position était tout simplementpragmatique. C'est du moins comme cela qu'ils l'ont expliquée: ilsavaient choisi les candidats qui avaient le plus de chance d'être élus,donc des hommes. Amère réalité : la société n'était pas prête à se fairereprésenter par des femmes.

Cet exemple souligne l'état des mentalités algériennes aujourd'hui.Mais il mérite toutefois d'être nuancé. Le discours anti-femmes est trèsrécent et est devenu virulent depuis l'instauration du multipartisme et laliberté donnée aux partis intégristes de s'exprimer.

Le Front de Libération Nationale (FLN) ex-parti unique au pouvoir,se faisait un point d'honneur de réserver à la femme, du moins, dansson programme, une place importante. il n'empêche que les résistancessociales et culturelles ont perduré et ont même gagné des points parfois.

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Le dilemme est là : une volonté de modernisation et le désir de retrouverses propres valeurs culturelles. La lutte des femmes s'est faite entre cesdeux segments, chaque fois en réaction à la tentative de codification parle pouvoir du statut personnel.

La promotion de la femme: un troc historique

Au lendemain de l'indépendance, l'euphorie de la libération etl'ambiance "révolutionnaire" ont pu faire croire que lesbouleversements sociaux allaient profiter seulement aux femmes etchanger fondamentalement leur condition. Leur participation à la guerreétait relevée dans tous les discours politiques de l'époque qui nemanquaient pas de présenter la revendication de la promotion de lafemme comme l'une des priorités du développement.

Pourtant le pouvoir de l'époque a dû mesurer le décalage qu'il yavait entre son discours et la réalité lorsqu'en 1963, une commissiond'Oulémas (docteurs de la loi musulmane), prétextant que le nombre deveuves de guerres était trop important, propose d'élargir la polygamie àsix femmes pour un époux '. Cette proposition devait être abandonnéedevant les protestations des femmes mais aussi du gouvernement dontle programme déclarait combattre "la mentalité rétrograde négativequant au rôle de la femme...".

De même, la constitution de 1963 affmnait clairement que "tous lescitoyens des deux sexes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs".

Un autre texte sera présenté en 1965 mais sera aussitôt retiré.L'hostilité des femmes a pu faire reculer le pouvoir. Mais la polémiquereprendra en 1970, à l'occasion d'un séminaire regroupant lesreprésentantes de l'Unjon nationale des femmes algériennes (UNFA,organisation satellite du FLN), des juristes et des membres du HautConseil islarruque. Le thème portaü sur les problèmes de la farrulle et laquestion de la femme. L'objectif était d'aboutir à l'élaboration d'unesorte de charte de la famille. Les djvergences sont telles qu'aucun textene sortira de ce séminaire. Le statu quo sera maintenu jusqu'en 1973,date à laquelle seront abrogés par décret tous les textes législatifsconcernant le statut personnel et antérieurs à l'indépendance. Le jugedevenait ainsi seul détenteur de la décision en ayant comme source dedroit que la chariaâ 2.

Pour comprendre l'attitude du pouvoir de l'époque, il faut savoirque sa démarche "socialisante" se heurtaü souvent aux pressions descourants conservateurs qui étaient assez puissants mais n'ayant pas deliberté d'expression, agissaient dans l'ombre. C'est ainsi que la

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question de la femme a été souvent troquée. En échange, les courantsconservateurs fermaient les yeux sur les grandes questions de l'heure,telles que la nationalisation des terres, par exemple.

En 1977, la première assemblée législative est élue pour cinq ans (de1965 à 1977, le pays était dirigé par un Conseil de la Révolution).Douze femmes siègent à cette assemblée, mais cela n'a pas en soi unegrande signification. Ces femmes membres du parti unique, servaientplutôt de caution au régime.

Le début des années 80 verra la stigmatisation des revendications.Le nouveau président, Chadli Benjedid, affichait une volontéd'ouverture. La société civile en profitera pour procéder à desregroupements informels. Des groupes de femmes commencent à seformer en dehors de l'UNFA, mais resteront circonscrits dans lesmilieux universitaires. C'est aussi en 1980 que la première grandemanifestation de militants islamistes aura lieu, regroupant près de 5000personnes autour de l'Université d'Alger. Les intégristes qui,jusqu'alors, agissaient sous fonne de lobbies, se montreront depuis, augrand jour. Les femmes, leur cible privilégiée, n'avaient d'autre issueque d'essayer de s'organiser pour défendre leurs droits. En vain,puisqu'elles ne réussiront pas à empêcher l'adoption d'un Code de lafamille qui fait d'elles des mineures à vie.

Batailles autour du Code de la famille

En 1981, les rues d'Alger allaient connaître la première grandemanifestation de femmes post-indépendance. Réunies autour du siègede l'Assemblée; les femmes entendaient protester contre un avant projetde lois portant Code de la famille, que le gouvernement venait dedéposer. Cette manifestation faisait suite à toute une série de démarchesauprès de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), au nomdes femmes syndicalistes et auprès de l'UNFA. Ces organisationslégales, n'ayant pu faire aboutir aucune des revendications des femmes,celles-ci décident d'agir en dehors de ces instances officielles. C'estainsi que les premiers collectifs de femmes naissent à Alger et Oranessentiellement. L'action de ces collectifs, ou plutôt groupes deréflexion sur les droits des femmes et s'exprimant par le biais d'unbulletin ronéotypé, restait circonscrite au niveau des femmesuniversitaires et cadres sans impact réel sur la société dans sonensemble. Pourtant, lors de ces manifestations, l'on pouvait remarquerla présence d'anciennes moudjahidates (combattantes de la guerre delibération) dont le crédit était reconnu.

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Ce sont elles qui, le 31 décembre 1981, adresseront une lettre auprésident de la République dans laquelle elles expriment leursrevendications en six points : abolition de la polygamie, droitinconditionnel au travail, partage égal du patrimoine commun, majoritéde la femme au même âge que l'homme, mêmes conditions posées audivorce pour l'homme et pour la femme, protection efficace del'enfance abandonnée. Cette lettre avait le mérite d'exprimer pour lapremière fois, les demandes des femmes en termes précis. Mais toutesces démarches contestataires auront eu pour seul résultat, le report dudébat à l'Assemblée du projet de loi. Il sera repris en octobre 1983 pourêtre finalement adopté en mai 1984. Les femmes qui, jusqu'à cette date,avaient pu faire reculer le législateur, ne pouvaient désormais se battreque sur l'anti-constitutionnalité de cette loi. En effet, l'article 39 de laconstitution, en vigueur à l'époque, se prononçait clairement "contretoute discrimination fondée sur les préjugés de sexe". Or, en l'absencede Conseil constitutionnel, les lois adoptées par l'Assemblée nepouvaient être abrogées que par d'autres lois. Ce code continue, septans après son adoption, de soulever les polémiques de la plupart descourants qui traversent la société. Pour les féministes, il ne s'agit riende moins que d'un texte archaïque qui codifie l'infériorité de la femmefaisant d'elle une mineure à vie. Pour les islamistes, la codification dela parole divine ne peut être faite par les hommes puisque tout est dansle Coran.

C'est à la suite de la promulgation de ce Code qu'en 1985, uneAssociation pour l'égalité devant la loi entre les femmes et les hommes(AELFH) voyait le jour. Elle reprenait à son compte les six pointscontenus dans la lettre des moudjahidates. Pendant deux ans, toutes lesdémarches pour obtenir l'agrément de l'association seront vaines.Toutes les associations devaient, au préalable, avoir l'aval du FLN. Ilfaudra attendre 1989 et l'adoption de la nouvelle constitution quiautorise le multipartisme et la liberté d'association pour voir apparaîtreune multitude d'associations, toutes affiliées directement ouindirectement à des partis politiques. Ce qui pouvait représenter undanger. C'est d'ailleurs par souci d'autonomie qu'un groupe issu del'AELFH créera sa propre structure, l'Association indépendante pour letriomphe des droits des femmes (AITDF), la seule qui dans ses statuts,exige des membres du bureau d'être indépendantes de tout lienorganique avec des partis politiques.

Pour toutes ces associations, le combat se situe autour du Code de lafamille. Certaines demandent son abrogation pure et simple et le "retourà des droits civils". D'autres demandent l'amendement des articles lesplus iniques, tels que la tutelle de l'homme sur la femme, ou le droitégal à l'héritage.

La promulgation de ce code a marqué en fait, le début d'une

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régression sociale. Les Algériennes (les féministes du moins) l'ontressenti comme une trahison de la part d'un pouvoir qui était censéassurer leur promotion.

Un combat inégal

S'il est communément admis que les lois succèdent aux faits, il fautse rendre à l'évidence que le Code de la famille n'a fait que seconformer à la mentalité ambiante. La même situation se retrouve danstous les pays arabes, sauf en Tunisie. Et encore. Lorsqu'en 1956, leprésident Bourguiba décide d'abolir par décret, la polygamie, tout unconcours de circonstances lui permettait de le faire. D'abord, unconcensus politique autour de sa personne, un régime autoritaire luidonnant les pleins pouvoirs et surtout une volonté farouche de faireentrer la société de plain pied dans la modernité. Malgré cela, il n'a pule faire qu'en se livrant à l'interprétation large du Coran par le biais del'''ijtihad'' (interprétation personnelle des préceptes coraniques).S'appuyant sur le verset qui n'autorise un homme à prendre quatreépouses que si celui-ci est certain de les traiter de façon absolumentéquitable (ce qui est dans la pratique, impossible), Bourguiba, avecl'aide de Muftis (docteurs de la loi) décida de prendre unilatéralementcette mesure.

En Algérie, les décideurs ont, depuis l'indépendance, prôné lamodernisation de la société en suivant une démarche progressive. Lapolitique développementaliste par le biais de l'industrialisation et lascolarisation devait, selon eux, aboutir obligatoirement à unbouleversement des rapports sociaux.

En effet, les deux premières décennies post-indépendance ont vuune participation de plus en plus grande de la femme dans la vie socialeet économique. La politique de démocratisation de l'enseignement duprimaire au supérieur a permis une réelle promotion de la femme qui apu, ainsi, accéder parfois, à des postes de haute responsabilité.Bénéficiant de la relative croissance économique, grâce à la mannepétrolière des années soixante-dix et le début des années quatre-vingts,les femmes ont pu voir leur statut social s'améliorer. Bien quereprésentant 8,4% seulement de la population active, dont plus de 30%ont un niveau universitaire, les femmes occupent plus de 50% despostes dans certains secteurs (santé et enseignement, par exemple). Siles données nous montrent la place réduite qu'occupent les femmesdans la vie active, elles donnent néanmoins une indication sur la qualitédes emplois qu'elles occupent.

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Les preuves de compétences qu'elles ont pu donner n'ont pourtantpas empêché le législateur de se référer avant tout aux valeurstraditionnelles fortement présentes dans une société conservatrice et trèssensible aux discours identitaires.

Il faut préciser que ce retour aux valeurs n'est pas perçu par ceux quile prônent comme une régression mais comme la continuation duprocessus de décolonisation dont la dernière étape serait ladécolonisation culturelle. Il n'est d'ailleurs pas rare d'entendre mêmedes femmes dire que si c'est l'Islam (donc Dieu) qui prône lapolygamie, alors elles ne peuvent la dénoncer.

Mais la question de la polygamie qui reste tout de même peurépandue, n'est pas la seule marque de disctimination que contient lecode. En fait, ce code contient une succession d'articles qui, de bout enbout, fixent les règles de domination de la femme par l' homme. Lesassociations féministes n'en ont retenu en plus de la légalisation de lapolygamie que les aspects les plus discriminatoires, notammènt cellesqui font de la femme une mineure à vie. .

Lors d'une réunion en 1989 de toutes les associations de femmes,elles ont inscrit dans une plate-forme commune, les points derevendication suivants: la conclusion du mariage pour la femmeincombe à son tuteur matrimonial qui est soit son père, soit son procheparent ou à défaut, le juge (art. Il) : la femme divorcée n'a pas la tutellematrimoniale sur ses enfants, même lorsqu'elle en a la garde (art. 87) ;la répudiation y est clairement établie (art. 51) ; seul le mari a le droit dedemander le divorce. La fenune ne peut le demander que dans certainessituations exceptionnelles telles que la stérilité prouvée du mari ou sonimpuissance sexuelle. Elle peut dans certains cas racheter sa liberté (art.54). Ce qui confère à la femme un véritable statut d'esclave; le droit dela femme au travail est conditionné par l'autorisation du mari ou du pèreou du tuteur; l'article 39 stipule que "l'épouse est tenue d'obéir à sonmari et de lui accorder des égards en sa qualité de chef de famille".

Ceci, sans oublier la discrimination de la femme quant aux questionsd'héritage. Celle-ci a droit, en effet, à la moitié de la part réservée à sonfrère. Cette mesure injuste puisqu'elle autorise, parfois même, lesparents du mari à hériter avant l'épouse, est pourtant considérée commepositive chez les femmes de Kabylie où le droit coutumier exclutcatégoriquement les femmes du droit à l'héritage.

C'est donc sur ces points que la bataille des femmes se faitaujourd'hui.

Elles se proposent en outre d'agir dans d'autres domaines tels quel'école, l'université ou les lieux de travail par des campagnesd'information et de sensibilisation. En réalité, peu de travail a été faitdepuis 1989. Les associations handicapées par leur obédience à despartis politiques, leurs peu de moyens matériels et humains, n'ont pu

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dépasser le cap des déclarations d'intention. Il faut souligner, à leurdécharge, que la vie politique en Algérie, n'a pas manqué d'événementset de soubressauts durant ces trois dernières années. Et que la questiondes femmes s'est retrouvée, à chaque fois, reléguée au second plan, lepouvoir politique ayant d'autres urgences à régler.

Certains partis ,politiques ont compris l'enjeu et essaient, soit parélectoralisme (les femmes représentant un réservoir important de voix)soit par conviction, de prendre en charge la question des femmes.Même les partis islamiques l'ont compris. Sauf que leur vision de lafemme est que celle-ci doit se conformer à son rôle de "reproductrice demusulmans" comme l'a déclaré un de leurs leaders.

Quoi qu'il en soit, en dehors des manœuvres politiciennes et ducadre juridique, les conditions socio-économiques de plus en pluscontraignantes poussent les femmes à prendre une plus grande placedans la vie active.

Bien que l'Algérie reste parmi les pays arabes celui qui connaît leplus faible taux d'occupation féminine (4,8%), le nombre de femmestravailleuse ne cesse d'augmenter, passant de 94.511 en 1966 à365.094 en 1987.

Certains secteurs (enseignement et santé par exemple) seraienttotalement paralysés si les femmes cessaient de travailler. Ainsi malgréles discours des partis islamistes qui tentent de rendre les femmescoupables du chômage grandissant (1.150.000 chômeurs recensés en1990), tout le monde sait que le travail des femmes est une réalitéirréversible. La crise économique qui sévit depuis la deuxième moitiédes années 80 a changé les données du problème. Jusqu'en 1987, lesfemmes travailleuses avaient pour la plupart, un niveau d'étudessupérieures ou, au moins, secondaires. L'instruction était donc jusque­là, le principal facteur d'émancipation des femmes. Depuis 1987, onvoit apparaître un phénomène nouveau : le travail à domicile desfemmes. Celui-ci correspondant en fait, à deux raisons. D'abord lanécessité pour un plus grand nombre de femmes d'apporter au ménagedes ressources d'appoint; ensuite, la montée du discours intégriste lespousse à privilégier les activités à domicile. Leur nombre est passé de62.579 en 1987 à 181.000 en 1990 J. Ces femmes sont essentiellementcouturières, cuisinières, coiffeuses, nourrices, etc.

Un autre facteur entre en ligne de compte: l'âge des travailleuses, lepic se situant entre 25 et 29 ans. Ceci s'explique par le fait que plus de50% des femmes qui travaillent sont célibataires. Dès leur mariage etsurtout après la naissance de leur premier enfant, beaucoup de femmesabandonnent leur travail. Cette situation pouvant toucher même desfemmes cadres (médecin, informaticien) mais elle reste plus largementrépandue chez les femmes de niveau d'instruction plus faible. Cela

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montre que la notion de travail féminin reste encore marginalisée.Certaines familles, surtout en milieu rural, vivent de façon

traumatisante l'accès de leur fille au marché de l'emploi. n n'est doncpas étonnant de savoir que 20% des femmes travailleuses soientdivorcées; 15% séparées de leur époux et 7% veuves. Si l'on inclut les50% de célibataires, il ne reste que la proportion de 8% de femmes quioccupent un emploi tout en étant mariées et mères de farrùlles.

Tous ces chiffres ne traduisent, en fait, qu'une partie de la réalité.L'analphabétisme touchant près de 4.000.000 de femmes, beaucoupd'entre elles ne se retrouvent dans aucune catégorie sociale, que dire,par exemple, de ces fillettes ou adolescentes, bergères de leur état etdont le travail est vital pour leur famille?

Bien que reconnu comme le facteur d'émancipation, le fait que lesfemmes travaillent ne prouve pas qu'elles soient devenues égales del'homme. Le travail à l'extérieur ne les dispense pas en effet de laresponsabilité des tâches domestiques. Ce qui les amène parfois à avoirdes journées de 16 heures de travail par jour. De même que, souvent,les femmes sont exclues des promotions parce que ne pouvant concilierles responsabilités professionnelles et familiales. Les structuresd'accompagnement (crèches, etc.) sont quasi inexistantes. Pourtant lalégislation sur les relations de travail est plutôt égalitaire et ne faitaucune discrimination sexiste. Mais la réalité dépasse le droit De cefait, ce sont les hommes qui bénéficient le plus souvent de formations,de recyclage qui leur permettent de grimper les échelons de la hiérarchiesociale. Mises à part celles qui sont prêtes à tout sacrifier pour leurcarrière, les autres se contentent d'emplois subalternes, quand ce n'estpas le mari qui bloque son épouse car il ne supporte pas qu'elle soitmieux payée que lui ou qu'elle ait un statut social supérieur au sien.

Dans cet environnement hostile à l'épanouissement des femmes,celles qui arrivent à se faire une place sont rares et elles le doivent à unedétennination hors du commun. Un exemple peut illustrer cet état defait: en août 1991, Hassiba Boulmerka remportait le championnat dumonde du 1500 m en athlétisme. L'Algérie entière l'a fêtée avec orgueilet elle a été reçue avec tous les honneurs par le président de laRépublique. Ironie, tout le monde avait alors oublié qu'une loi defévrier 1989 rendait la pratique du sport scolaire facultative pour lesfIlles, les députés conservateurs n'admettant pas que les filles puissentse montrer en short

Baya Gacemi est journaliste algérienne.

Notes1 N. Saadi, Les femmes et la loi en Algérie, Ed. Bouchène. Alger 1991.2 Idem.3 L'Observateur, N'48 du 12 au 18 février 1992.

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