la Gazette des libraires n°1

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la Gazette des libraires Édito Moment phare de l'actualité culturelle, la rentrée littéraire est surtout pour nous libraires un moment de partage. Cette période de l'année où plus encore que d'habitude, nous pouvons échanger avec vous, parler de nos choix, nos avis, de ces livres que nous allons défendre. Le moment où ce métier qui nous est cher prend tout son sens, celui de la prescription, celui du conseil : qu’il s’agisse de répondre à vos attentes, ou de vous faire découvrir ce livre que vous n’auriez jamais ouvert. La librairie du MuCEM a à cœur d'avoir des horizons divers, de développer bien sûr l'ancrage méditerranéen qui fait notre spécificité, mais sans pour autant s'y cantonner. Dans cette gazette, vous constaterez que nos auteurs fétiches, nos coups de cœur et nos intérêts dépassent largement les frontières de la Méditerranée, et plus encore les frontières d'une librairie de musée. Vous verrez aussi toute la richesse que le bassin méditerranéen apporte à la littérature, entre autres. Rentrée littéraire française et étrangère, place de la Méditerranée dans le paysage littéraire, et sorties au rayon jeunesse pour lesquelles nous rejoignent les libraires de Maupetit, autant de choses qui nous l'espérons pourront faire de ce journal un nouvel espace d'échange, une continuité à cet esprit que nous souhaitons donner à notre librairie, avec vous lecteurs. Les quelques chiffres à retenir : 607 romans publiés entre août et octobre 2014, légèrement à la hausse par rapport à 2013 (555). 404 auteurs français, 203 auteurs étrangers. 60 % de rentrée littéraire française, 30 % de rentrée littéraire étrangère et 10 % d’essais. 147 441 pages au total, 280 pages en moyenne pour des ouvrages faisant entre 28 et 1696 pages. 205 éditeurs au total. 41 livres qui gravitent autour de la Méditerranée (thème ou auteur). 11 éditeurs ont publié plus de 12 ouvrages pour cette rentrée littéraire (Actes-Sud, Albin Michel, Belfond, De Borée, Fayard, Flammarion, Gallimard, Grasset, Robert Laffont, Presses de la Cité, Seuil). L’été des noyés, de John Burnside est le septième ouvrage traduit de ce poète et romancier écossais majeur. On se souvient notamment de son magnifique Scintillation (Points, 2012) et de sa bouleversante autobiographie Un mensonge sur mon père, (Points, 2010) . Son écriture infiniment poétique et sa vision désespérée du monde créent un univers empreint d’une grande beauté teintée de noirceur. Dans L’été des noyés, Liv, la narratrice, se remémore l’été de ses 18 ans, qui fut marqué par les noyades de deux élèves de son lycée et par d’étranges disparitions, elle tente 10 ans plus tard d’en faire le récit. L’intrigue se déroule sur une île norvégienne proche du cercle arctique, lieu choisi par la mère de Liv, célèbre peintre, pour se consacrer à son art et vivre en semi recluse. À l’image de sa mère, Liv est de nature solitaire et ne se lie pas aux personnes de son âge, son seul ami étant un voisin excentrique qui lui narre la mythologie nordique. Une figure légendaire en particulier capte l’attention de Liv : la Huldra, créature à l’apparence humaine dotée d’une irrésistible beauté qui tente les hommes vers la mort. Liv se demande dès lors si les noyades et disparitions ne sont pas le fait de la Huldra. Faux suspense mais vrai mystère Malgré son intrigue faussement policière, l’enquête sur les noyades n'est que la toile de fond du récit, le livre se concentre davantage sur la narratrice. Liv est un personnage qui refuse de grandir et choisit de se réfugier dans les légendes nordiques. Les fables de son voisin semblent d'ailleurs avoir plus d'emprise sur elle que le monde réel et la véracité de ses dires s'en voit vite remise en cause. Un autre élément, extérieur celui-là, amplifie l'ambiance irréelle et fantasmagorique du livre. Dans cette partie du monde, les étés sont marqués par le «Midnattssol » ou plus communément appelé soleil de minuit: les nuits restent constamment ensoleillées. L'organisme humain en est profondément déréglé et les insomnies ou les phases de demi sommeil sont fréquentes, l'esprit divague voire sombre dans une douce folie. « En ce soir précis, il faisait doux et frais après la véritable première journée d'été, et la lumière était à ce crépuscule immobile d'un blanc argenté qui rend spectrales toutes choses : chemins fantômes sinuant devant notre maison et s'éloignant le long de la grève comme s'ils revenaient pour une nuit de ce lointain passé, oiseaux fantômes suspendus dans les airs au-dessus des eaux vitreuses du détroit, prairies fantômes sur des kilomètres en tout sens, le moindre brin d’herbe, la moindre tige de fleur, caressés d'une lumière mercurique, comme le feuillage sur les photos anciennes que j'avais examinées plus tôt ». Grâce à cette sublime description, on comprend que la perception même des choses est altérée et que la frontière entre ce que l’on vit et ce que l’on rêve devient ténue voire perméable. Liv ne nous confierait-t-elle pas, au fond, qu'un rêve hallucinatoire? La beauté de la prose rend un magnifique hommage à la magie des lieux de cette île norvégienne et à la puissance de l'imaginaire. L'été des noyés – John Burnside (Métailié) Traduit de l'anglais (Écosse) par Catherine Richard (320 p.) 20 € Floriane Caprioli / Librairie du MuCEM L'été des noyés, John Burnside : La Féerie d'un lieu La rentrée littéraire est le rendez-vous incontournable du monde du livre. Chaque fin d'été, on assiste au même rituel : une pléthore de nouvelles parutions. À titre d'exemple, cette année, entre la fin août et octobre, on recense pas moins de 607 nouveaux ouvrages publiés (en légère hausse par rapport à 2013). Ce phénomène provoque toujours la même effervescence. En effet, pendant plusieurs semaines, la littérature est sous le feu des projecteurs : la presse écrite y consacre des rubriques entières, la télévision et les radios reçoivent les auteurs en tournée promotionnelle. Cette importante couverture médiatique crée un réel engouement du public et le livre bénéficie d'une visibilité considérable. C'est une période charnière pour les professionnels du livre: selon le bureau d'études GFK, la rentrée littéraire représente 20% du chiffre d'affaires annuel de la fiction moderne. De fait, les sorties de la rentrée sont stratégiques car elles annoncent les prix littéraires de l'automne (Goncourt, Renaudot, Médicis, etc...) dont l'impact commercial est très important et préparent également le terrain pour les ventes de Noël. On comprend donc que tous les acteurs du livre, de l'auteur à l'éditeur en passant par le libraire, soient sollicités pour perpétuer cette tradition singulièrement française qui atteste de l'attachement des français au livre. N ° 1 Rentrée Littéraire

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Dans la Gazette des libraires, on vous parle littérature, forcément, mais pas seulement, romans, essais, expositions à venir au MuCEM, sujets qui nous tiennent à cœur...entre autres. Il s'agit surtout pour nous de créer une passerelle de plus entre nous libraires, et vous lecteurs. Équipe de rédaction : Jérémie Banel , Anaïs Ballin-Lecoq, Alexandre Biville, Floriane Caprioli, Marion De Foresta, Marion Duhoux, Fiona Guillet, Laetitia Martel Avec la participation de : Gaëlle Farre, et Claire Rémy Coordination et mise en page : Anaïs Ballin-Lecoq

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la Gazette des libraires

Édito

Moment phare de l'actualitéculturelle, la rentrée littéraire estsurtout pour nous libraires unmoment de partage.

Cette période de l'année où plusencore que d'habitude, nouspouvons échanger avec vous,parler de nos choix, nos avis, deces livres que nous allonsdéfendre. Le moment où cemétier qui nous est cher prendtout son sens, celui de laprescription, celui du conseil :qu’il s’agisse de répondre à vosattentes, ou de vous fairedécouvrir ce livre que vousn’auriez jamais ouvert.

La librairie du MuCEM a à cœurd'avoir des horizons divers, dedévelopper bien sûr l'ancrageméditerranéen qui fait notrespécificité, mais sans pour autants'y cantonner. Dans cettegazette, vous constaterez quenos auteurs fétiches, nos coupsde cœur et nos intérêtsdépassent largement lesfrontières de la Méditerranée, etplus encore les frontières d'unelibrairie de musée. Vous verrezaussi toute la richesse que lebassin méditerranéen apporte àla littérature, entre autres.

Rentrée littéraire française etétrangère, place de laMéditerranée dans le paysagelittéraire, et sorties au rayonjeunesse pour lesquelles nousrejoignent les libraires deMaupetit, autant de choses quinous l'espérons pourront faire dece journal un nouvel espaced'échange, une continuité à cetesprit que nous souhaitonsdonner à notre librairie, avecvous lecteurs.

Les quelques chiffres à retenir :

607 romans publiés entre août et octobre 2014, légèrement à la hausse par rapport à 2013(555).404 auteurs français, 203 auteurs étrangers.60 % de rentrée littéraire française, 30 % de rentrée littéraire étrangère et 10 % d’essais.147 441 pages au total,280 pages en moyenne pour des ouvrages faisant entre 28 et 1696 pages.205 éditeurs au total.41 livres qui gravitent autour de la Méditerranée (thème ou auteur).11 éditeurs ont publié plus de 12 ouvrages pour cette rentrée littéraire (Actes-Sud, AlbinMichel, Belfond, De Borée, Fayard, Flammarion, Gallimard, Grasset, Robert Laffont, Pressesde la Cité, Seuil).

L’été des noyés, de John Burnside est le septième ouvrage traduit de ce poète et romancier écossais majeur. On sesouvient notamment de son magnifique Scintillation (Points, 2012) et de sa bouleversante autobiographie Unmensonge sur mon père, (Points, 2010). Son écriture infiniment poétique et sa vision désespérée du monde créent ununivers empreint d’une grande beauté teintée de noirceur.Dans L’été des noyés, Liv, la narratrice, se remémore l’été de ses 18 ans, qui fut marqué par les noyades de deuxélèves de son lycée et par d’étranges disparitions, elle tente 10 ans plus tard d’en faire le récit. L’intrigue se déroulesur une île norvégienne proche du cercle arctique, lieu choisi par la mère de Liv, célèbre peintre, pour se consacrer àson art et vivre en semi recluse. À l’image de sa mère, Liv est de nature solitaire et ne se lie pas aux personnes de sonâge, son seul ami étant un voisin excentrique qui lui narre la mythologie nordique. Une figure légendaire en particuliercapte l’attention de Liv : la Huldra, créature à l’apparence humaine dotée d’une irrésistible beauté qui tente leshommes vers la mort. Liv se demande dès lors si les noyades et disparitions ne sont pas le fait de la Huldra.

Faux suspense mais vrai mystère

Malgré son intrigue faussement policière, l’enquête sur les noyades n'est que la toile de fond du récit, le livre seconcentre davantage sur la narratrice. Liv est un personnage qui refuse de grandir et choisit de se réfugier dans leslégendes nordiques. Les fables de son voisin semblent d'ailleurs avoir plus d'emprise sur elle que le monde réel et lavéracité de ses dires s'en voit vite remise en cause. Un autre élément, extérieur celui-là, amplifie l'ambiance irréelle et fantasmagorique du livre. Dans cette partie dumonde, les étés sont marqués par le «Midnattssol » ou plus communément appelé soleil de minuit: les nuits restentconstamment ensoleillées. L'organisme humain en est profondément déréglé et les insomnies ou les phases de demisommeil sont fréquentes, l'esprit divague voire sombre dans une douce folie. « En ce soir précis, il faisait doux et fraisaprès la véritable première journée d'été, et la lumière était à ce crépuscule immobile d'un blanc argenté qui rendspectrales toutes choses : chemins fantômes sinuant devant notre maison et s'éloignant le long de la grève commes'ils revenaient pour une nuit de ce lointain passé, oiseaux fantômes suspendus dans les airs au-dessus des eauxvitreuses du détroit, prairies fantômes sur des kilomètres en tout sens, le moindre brin d’herbe, la moindre tige de fleur,

caressés d'une lumière mercurique, comme le feuillage sur les photos anciennes que j'avaisexaminées plus tôt ». Grâce à cette sublime description, on comprend que la perception mêmedes choses est altérée et que la frontière entre ce que l’on vit et ce que l’on rêve devient ténuevoire perméable. Liv ne nous confierait-t-elle pas, au fond, qu'un rêve hallucinatoire?La beauté de la prose rend un magnifique hommage à la magie des lieux de cette île norvégienneet à la puissance de l'imaginaire.

L'été des noyés – John Burnside (Métailié)Traduit de l'anglais (Écosse) par Catherine Richard

(320 p.) 20 €

Floriane Caprioli / Librairie du MuCEM

L'été des noyés, John Burnside : La Féerie d'un lieu

La rentrée littéraire est le rendez-vous incontournable du monde du livre. Chaque fin d'été, on assiste au mêmerituel : une pléthore de nouvelles parutions. À titre d'exemple, cette année, entre la fin août et octobre, on recensepas moins de 607 nouveaux ouvrages publiés (en légère hausse par rapport à 2013). Ce phénomène provoque toujours la même effervescence. En effet, pendant plusieurs semaines, la littérature estsous le feu des projecteurs : la presse écrite y consacre des rubriques entières, la télévision et les radiosreçoivent les auteurs en tournée promotionnelle. Cette importante couverture médiatique crée un réelengouement du public et le livre bénéficie d'une visibilité considérable.C'est une période charnière pour les professionnels du livre: selon le bureau d'études GFK, la rentrée littérairereprésente 20% du chiffre d'affaires annuel de la fiction moderne. De fait, les sorties de la rentrée sontstratégiques car elles annoncent les prix littéraires de l'automne (Goncourt, Renaudot, Médicis, etc...) dontl'impact commercial est très important et préparent également le terrain pour les ventes de Noël. On comprend donc que tous les acteurs du livre, de l'auteur à l'éditeur en passant par le libraire, soient sollicitéspour perpétuer cette tradition singulièrement française qui atteste de l'attachement des français au livre.

N ° 1

Rentrée Littéraire

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Nos coups de cœur Ferveur rouge

Dans Rouge ou mort, David Peace retrace la vie de Bill Shankly, mythiquemanager du Liverpool Football Club entre 1959 et 1974. C’est par cet hommeque commence la période glorieuse du club, tant auniveau des titres remportés que de la légende qui secrée autour de l’équipe et de ses supporters.Tout au long des 800 pages du livre, il ne sera plusquestion que de football. Bill Shankly est obsessionnel,il ne se détourne jamais de ce qu’il considère commesa mission : prouver au monde que le LiverpoolFootball Club est le plus grand club de football dumonde.Le football est pour lui un sacerdoce, son célèbreaphorisme en atteste : « Le football n’est pas unequestion de vie ou de mort, c’est quelque chose de bien plus important quecela ». Une double lecture s’impose, c’est certes un livre-somme sur lefootball mais c’est aussi et surtout le récit d’une vocation, un prétexte pournarrer l’histoire de cet homme hors du commun dont la dévotion pour leLiverpool Football Club est totale voire mystique. Le rythme hypnotique du récit, composé de répétitions et d’accumulations,nous plonge dans l’esprit monomaniaque et visionnaire de Shankly. Nousaussi, nous ne vivons plus que pour le football : on assiste à tous lesentraînements, on suit tous les matches, on compte tous les buts. Onsacralise le Liverpool Football Club car aller à Anfield c’est assister à lagrand-messe du football. «Et les supporters du Spion Kop jettent leurs écharpes à Bill. Leurs écharpesrouges. Une pluie d'écharpes tombe sur Bill. En guise de remerciement.Toutes leurs écharpes. Leurs écharpes rouges. Et Bill ramasse leursécharpes. Toutes leurs écharpes. Leurs écharpes rouges. Et Bill noue uneécharpe autour de son cou. Une écharpe rouge. Et Bill brandit une autreécharpe. Une autre écharpe rouge. Entre ses poings. Une écharpe. Uneécharpe rouge. Tenue bien haut. Entre ses bras levés. En signe deremerciement.». Ce roman incantatoire est un brillant hommage rendu à un hommeprofondément intègre, héros de la classe ouvrière.

Rouge ou mort – David Peace (Rivages)Traduit de l'anglais par Jean-Paule Gratias

(800 p.) 24,00 €

Floriane Caprioli / Librairie du MuCEM

Voyage en « post-exotisme »

Lire Volodine n’est jamais complètement anodin et pasnon plus d’une simplicité folle, et pour cause : pour lelire il faut accepter de laisser derrière soi un certainnombre de choses. Il n’est plus avec lui question defiction, de non fiction, de fantastique ou de réel, il estquestion de bien plus , à savoir le génie. Depuis 30 anset une très longue liste de romans, sous lespseudonymes d’Antoine Volodine, d’Eli Kronauer ouencore de Manuela Draeger, l’auteur s’est créé ununivers. Un style aussi, qu’il définit lui-même de « post-exotisme » - vaste terme pour une infinité de mondesdifférents dans lesquels il inscrit ses histoires et son écriture.

Mais dans ses romans, particulièrement dans Terminus radieux, et bien plusencore que le style en lui-même, c’est l’ambiance, l’espace-temps inventé parAntoine Volodine, ses personnages aussi, qui en font toute la particularité.Chez Volodine tout est toujours étrange, onirique, sur un fil entre réalité etfantastique. C’est dans la taïga et la steppe que le roman s’installe cette fois,et ne serait-ce que ce cadre, paysage fantasmé et on ne peut plusénigmatique, suffit à créer une ambiance, une atmosphère qui vous emporte,et vous emporte très loin. Il réussit aussi le tour de force de rendre tous sespersonnages plus fous, intrigants, attachants, brisés et émouvants les unsque les autres, du sorcier despotique Solovieï, à ses trois filles irréelles, enpassant par l'immortelle Mémé Oudgoul ou bien encore Kronauer l'ex soldat,mi-vivant mi-mort, dont l'errance semble être un chemin vacillant vers desdernières heures incertaines. La force inouïe de ce roman réside dans sacohérence et le fait que tout en flirtant dans un entre-deux indéfini, tout setient et tout se tient avec beauté de surcroît. Antoine Volodine nous emmènepar delà les frontières, au delà de ce que vous connaissez, au delà même dece que vous imaginez.

Et n'est ce pas là la preuve irréfutable que Terminus Radieux est un grandroman ?

Terminus Radieux – Antoine Volodine (Seuil)

(616 p.) 22 €

Anaïs B.L. / Librairie du MuCEM

Déserts solitaires

Rick Bass est un essayiste et romancier américain, originaire du Texasreconnu pour son rôle de fervent activiste dans le milieu de l’environnement. Ilmilite tout au long de son œuvre pour faire évoluer les mentalités à propos dela disparition inquiétante du monde sauvage. Il s'installe en 1978 dans unedes contrées les plus reculées des États-Unis : la vallée de Yaak, Montana,qui figurera dans grand nombre de ses textes comme immense tableau de lapsyché du grand ouest américain où viennent s’égarer ses personnages.C'est là-bas, dans un lieu encore peu souillé par le pas de l’homme, qu’ildeviendra écrivain à plein temps, laissant derrière lui sa carrière d’ingénieurpétrolier.

Avec une vingtaine de publications à son actif, Toute la terre qui nouspossède, n'est que son quatrième roman, l’auteur étant jusque là plutôtreconnu pour ses longues nouvelles. Cette fiction a ici pour décor legigantesque désert texan où plusieurs générations se succèdent et secroisent au milieu des dunes brûlantes et des falaises de calcaire. Desespaces magnétiques qui n’ont cessé d’attirer les hommes dont les vestiges

squelettiques reposent, enfouis, sous la massetourbillonnante de sable et de sel.

Dans ce lieu hostile, nous croisons le destin d'un jeunehomme, Richard. Double de l’auteur par bien desaspects mais aussi pure création littéraire, pionniergrandiose et désabusé de cet indomptable sud quidonne juste mesure à son chagrin. On le devine, on nese perd pas en ces lieux par hasard, le désert drainedes désirs irrépressibles. Ode à une nature sauvage,impardonnable, magnifique, qui dépasse de loin lesaspirations humaines, ce livre capture parfaitementl’ambiguïté d’un lieu qui peut attirer autant qu’il peut

rendre fou. Il sonde les êtres de même manière que la terre. Ne reste alorsque l’essentiel : la Nature, autant celle des hommes que celle qu’ilsessaieront toujours de dompter, de tirer ressource et sur laquelle souvent, ilsviendront échouer pour devenir à leur tour une partie de ce paysage.

Toute la terre qui nous possède – Rick Bass (C. Bourgois)Traduit de l'anglais (États-Unis) par Aurélie Tronchet

(443 p.) 22 €

Marion Duhoux / Librairie du MuCEM

Viva Patrick Deville !

Un lieu, le Mexique. Une époque, l'entre-deux-guerres. Á partir de ce thème,Patrick Deville tisse et entrecroise les destins de ceux qui y ont séjourné, pourquelques jours, ou pour une vie. Autour des figures de Léon Trotski, réfugié àMexico grâce à Diego Rivera dans sa (vaine) tentative d'échapper aux tueursque Staline a lancé à ses trousses, et de Malcolm Lowry, qui fuit (en vain luiaussi) ses propres démons et travaille à son chef d’œuvre, Au dessous duvolcan, c'est une formidable galerie de portraits et de destins qui nous estproposée.On découvre ainsi au fil des pages quels liens, ténus ou évidents, unissaientFrida Khalo, Arthur Cravan, Antonin Artaud, Tina Modotti, Bernard Traven, ettant d'autres, acteurs conscients ou non, héros et parfois victimes dubouillonnement intellectuel et politique que fût leMexique des années 30, terre de rêves et d'illusions quis'anime sous nos yeux.Avec son art de débusquer les coïncidences et detraquer les hasards, Patrick Deville livre un romanbourré d'anecdotes sans jamais se départir du tonmalicieux teinté d'ironie si caractéristique de ses livres,et nous emmène de digressions en digressions desconfins de la Sibérie à New York, en passant parOaxaca.Et sans en avoir l'air, c'est toute cette période,historiquement si mouvementée et artistiquement si féconde, que nousbrosse l'auteur de Peste et Choléra, au plus près des lieux et ambiances, oùla chaleur du climat n'a d'égal que celle du mezcal et de la tequila.

Une lecture passionnante sur les traces de tous ces personnages, génies dela littérature ou photographes, boxeurs anarchistes et poètes, qui rêvaientd'absolu, chacun à leur manière, «même s'ils savent bien qu'ils finiront dansles chaînes scellées à la roche et continueront ainsi à nous montrer,éternellement, qu'ils ont tenté l'impossible et que l’impossible peut être tenté».Par sa façon de condenser tant d’événements, de personnages et desituations tout en restant parfaitement limpide, Patrick Deville l'illustreparfaitement !

Viva – Patrick Deville (Le Seuil)(217 p.) 17,50 €

Jérémie Banel / Librairie du MuCEM

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Se libérer de l'enfermement

Dans une maison aux portes de bois sont réunies des femmes reniées par leurs familles. Incomprises et rejetées par leurs frères, pères ou maris, ellessubissent au quotidien le poids de la tradition dans l'attente d'être un jour délivrées.Parfois complices, parfois à la limite de la folie, ces femmes isolées, confinées, errent et se confrontent en permanence, n'osant se révolter. Dans cette demeureà la fois nid et prison, où les captives jonglent entre douceur, douleur et détresse liées à cet enfermement, grandit une jeune fille.

Spectatrice de la démence de sa propre mère, vivant dans cette promiscuité où l'espoir, le silence et les mystères sont omniprésents, lajeune fille va tenter de quitter ce lieu clos pour retrouver son père dont elle ne connaît que l'ombre furtive et son évocation échappée desconfidences. En prenant la décision de quitter cette demeure de femmes sacrifiées, la jeune fille se retrouvera confrontée à l'oppressiond'un autre clan : celui de sa famille paternelle. Elle découvrira ainsi l'ampleur et le poids des traditions religieuses et patriarcales ainsi quel'asservissement féroce qu'exerce le groupe sur chacun de ses membres. Un roman poignant où l'écriture à la fois fine et frontale de Kaoutar Harchi nous transporte, tout en mettant en lumière avec simplicité ledestin de ces existences confisquées.«Aucun gardien, ici, ne surveille les femmes.Elles vivent sous le poids des règles familiales inculquées depuis l'enfance et sont devenues leurs propres sentinelles (…). Pourtant, iln'existe pas de codes ou de lois officielles, pas de tribunaux, de procès, de juges, d'avocats, de traces écrites.Tout n'est question que de gestes, de regards, de paroles.De traditions.»

À l'origine notre père obscur - Kaoutar Harchi (Actes Sud)(163 p.) 17,80 €

Anaïs Baseilhac / Librairie du MuCEM

Mémoire vive

Montse a 15 ans en août 1936. Suivant son frère, Josep, elle quitte le petitvillage catalan où elle vivait dans le dénuement rural de l'époque pourdécouvrir l'effervescence libertaire de Barcelone. Georges Bernanos,écrivain catholique et nationaliste, décrit au même moment dans Les grandscimetières sous la Lune, le quotidien des habitants de Palma de Majorque etdénonce les massacres qui y ont lieu ainsi que la culpabilité de l’Église.Lydie Salvayre décide dans Pas pleurer de se pencher sur l'été 1936 en

Espagne et particulièrement en Catalogne à traversdifférents prismes. Ce livre sera donc une longueremémoration des souvenirs de Montse, le toutentremêlé de réflexions plus larges. C'est lemoment pour l'auteur de découvrir cette«parenthèse libertaire», et de réanimer cettepériode par les mémoires de sa mère.

La mère de l'auteure, aujourd'hui vieille femme, vituniquement dans le souvenir de ce bel été 36 oùpour la première fois elle osait vivre. Ce début deguerre civile a été occulté parfaitement pour ellepar sa découverte de la ville, de la liberté, de cemouvement de liberté, ainsi que par une brève

rencontre qui marquera le reste de sa vie. Derrière cet aspect personnel,Bernanos apporte lui le contrepoint de l'histoire qui continue de s'écrire. Ildécortique les relations entre les différents camps républicains et dépeint lescôtés obscurs de cette période, il accuse.Le livre réussit complètement le pari d'illustrer la grande histoire par le biaisintime et émotionnel d'un récit mère-fille. On assiste à cette doublerévolution, celle personnelle de Montse et de son passage à l'âge adulte,mais aussi celle d'une révolution collective. Le tout est porté par une languechaleureuse, poétique et vivante qui malaxe le français et l'espagnol pour,encore une fois, être au plus proche de Montse.

Pas pleurer - Lydie Salvayre (Seuil)(278 p.) 18 ,50 €

Fiona Guillet / Librairie du MuCEM

Enquête à l'écossaise

L’île d’Entrée, unique île anglophone de la Province du Québec a connu un seul meurtre dans son histoire. Sime (le prénomSimon en gaélique) le seul agent de la Sûreté de Montréal à être parfaitement bilingue et d'origine écossaise est envoyé sur leslieux du crime accompagné d'une équipe minée par les dissensions, les mensonges et les trahisons. Il y rencontre Kristy,principale suspecte et épouse de la victime. Au fil des chapitres s'égrainent les indices de sa culpabilité. Pour autant « la vérité estailleurs ». Sime, dès leur premier interrogatoire est convaincu de son innocence. Un mystérieux symbole orne le pendentif deKristy et la chevalière de Sime. Son intuition lui fait croire qu'il connaît Kristy depuis bien plus longtemps que leur récenterencontre.L'action sur deux unités de temps, de nos jours et au XIXème siècle plonge le lecteur dans un pan de l'histoire souvent méconnu del’Écosse, dans sa culture, aussi bien au travers de l'exode forcé des Écossais, depuis les Hébrides jusqu'au Québec, qu'au seinde la vie sur l'île d'Entrée.

On ressent la même avidité de connaissance des événements et de la vie des personnages avec le Sime du XXI ème siècle et leSimon du XIXème. L'enquêteur verra sa vie bouleversée par les faits et le destin improbable de son aïeul. L'exploration de la vie del'ancêtre de Sime sera inévitable quant à la résolution de l'affaire sur l'île d'Entrée.L'auteur fait mouche par la finesse de la psychologie des personnages. Il distille une émotion singulière par l’extrême justesse des descriptions des paysagesécossais. Laissez-vous transporter dans les habitations rurales écossaises,les fameuses blackhouses enfumées par la tourbe, ressentir le vent et les embruns,le temps rude de l’Écosse, à l'image de ses habitants mais ô combien chaleureux et humains.May, ancien scénariste pour la télévision britannique signe une œuvre où l'immersion est ressentie dès les premières pages. Sa précédente trilogie entraînait lelecteur sur l'île de Lewis, la plus au nord des Hébrides Extérieures avec le même talent d'écriture. Pour L’Île du serment, l'auteur a gardé les ambiancescaractéristiques des paysages insulaires écossais et québécois. Pour qui ne connaîtrait pas la magie de ces deux pays, la lecture des livres de Peter Maypourraient être la meilleure des publicités pour découvrir ces contrées envoûtantes.

L'île du serment – Peter May (Éditions du Rouergue)Traduit de l'anglais (Écosse) par Jean-René Dastugue

(423 p.) 23 €

Alexandre Biville / Librairie du MuCEM

Litanie silencieuse

Ici, on parle de Nine, jeune fille d'origine kabyle, et de Madame Plume, samère. Celle-ci a fui l'Algérie à feu et à sang avec Nine tout juste née. Ellessont parties sans le père, dont le cœur et le corps ont été déposés « dans unecabane en bois », pour s'exiler dans une ville du nord de la France. Ce récitc'est celui de Nine qui cherche l'histoire de ses origines. Marie-AiméeLebreton nous raconte un exil forcé et la quête identitaire qui en découle. Uneidentité qui a du mal à se construire de par l'absence du père, du poids decette disparition sur la relation mère-fille, du silence de Madame Plume sur lesévénements qui ont précédé leur arrivée en France, et de la profondenostalgie de la vie en Kabylie.Comme un conte, presque une chanson, dont la matière des mots est mise enbouche.

«Nine se tournait vers sa mère, la regardaitlonguement, observait ses yeux chiffonnés sedéverser dans les siens comme des gisementsd’eau lourde. Des papillons se mettaient à danser àla surface. C’étaient les papillons d’or de tout àl’heure. Nine espérait que ce moment dure et dureencore, cent sept ans peut-être».

On écoute, on entend. D'ailleurs, les cours de pianoforcés par la mère remplacent ses paroles etcomblent l'absence de mots. La guerre d'Algérieaussi est une litanie silencieuse qui accompagne le lecteur tout au long del'histoire. Ce qui résulte de ce roman avant tout c'est une poésie, celle de sadouleur et de sa souffrance, c'est aussi la musicalité des mots et des silences.L'importance de la parole est soulignée, pour raconter la vie de Nine, sesdouleurs, ses joies ; pour se raconter et se rencontrer.

Cent sept ans – Marie - Aimée Lebreton (Buchet Chastel)

(125 p.) 11 €

Marion de Foresta / Librairie du MuCEM

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Méditerranée

Auteurs issus du bassin méditerranéen ou de l'autre bout du monde, ils sont nombreux en cette rentrée à y avoir puisé l'inspiration. Nousvous avons déjà parlé dans ces colonnes de Kaoutar Harchi, Lydie Salvayre et Marie-Aimée Lebreton, et vous trouverez à la suite de cetarticle deux autres coups de cœur : tout d'abord un essai de Ian Coller, universitaire australien, sur les suites de l'expédition d’Égypte, quiest également le thème d'un autre livre de Juan Colé, auteur américain : Bonaparte et la République française d’Égypte (éd. LaDécouverte), et ensuite Marc Biancarelli, auteur de langue corse (traduit par Jérôme Ferarri, prix Goncourt 2012) qui, pour ce dernierroman, passe au français.

Nous vous proposons ici un tour d'horizon subjectif de titres «méditerranéens» de cette rentrée.

Au premier rang, on trouve évidemment Emmanuel Carrère etson Royaume (P.O.L.), roman sur les Pères de l’Église doubléd'une réflexion plus personnelle sur le rapport de l'auteur à lareligion, déjà abondamment cité, commenté et récompensé.Hanan el Cheikh de son côté, auteure libanaise, chercheaussi dans les textes traditionnels la matière de sa nouvelleparution, La maison de Schéhérazade (Actes Sud) danslaquelle elle réécrit 19 histoires parmi ses préférées. Uneinspiration historique que l'on retrouve chez Annabel Lyon,avec Aristote, mon père (éd. De la Table Ronde), qui fait suiteà Juste milieu. C'est la relation entre le grand philosophe et safille qu'elle met en scène cette fois ci, après l'avoir confrontéau jeune Alexandre de Macédoine.

Sur des thèmes plus contemporains, onretrouve cette année Simonetta Greggio,

qui poursuit avec Les nouveaux monstres, 1978-2014 (Stock) son exploration romanesque de l'Italie commencée avecDolce Vita, 1959-1979.Une lecture à compléter avec Extra-pure (Gallimard), le grand retour de Roberto Saviano, qui sepenche sur le trafic de drogue. Une nouvelle enquête exhaustive, aussi essentielle et nécessaire que Gomorra.La drogue est aussi au centre de Tout est silence (Gallimard), de Manuel Rivas, parcours de jeunes galiciens fils d'unmafieux. Comme dans ses précédents romans (La langue des papillons, L'éclat dans l'abîme), l'auteur entrecroise leshistoires pour composer un tableau aux multiples facettes.

Toujours en Espagne, partons à la recherche de Roberto Bolaño avec un premier roman, celui de Hedwige Jeanmart.Intitulé Blanès (Gallimard), du nom de la ville de la côte catalane où celui ci vécut les dernières années de sa vie, ilentremêle histoire d'amour et quête plus personnelle avec en filigrane l’œuvre de Bolaño et ses mystères. Grands auteurs toujours, ValérieZénatti, la traductrice de Aharon Appelfeld propose pour son troisième roman un retour sur le parcours d'un juif de Constantine dans latourmente de la guerre, enrôlé dans l'armée française en 1944. Alors que l'on célèbre les 70 ans du débarquement de Provence auxquelsles troupes d'Afrique du Nord prirent une grande part, Jacob, Jacob (éd. de l'Olivier) replace ces événements à hauteur d'homme.Un détour par le Maroc pour un dernier roman : Les tribulations du dernier Sijilmassi (Julliard) de Fouad Laroui, roman picaresque et profondsur l'identité, à travers les yeux d'un ingénieur marocain lassé de sa vie bourgeoise qui finit en plein burn-out. L'occasion pour lui d'un retouraux sources et de questionnements nombreux, pour un roman où le talent de conteur de l'auteur accompagne à merveille une réflexion pluslarge sur la société marocaine toute entière.

À l'autre extrémité de l'Afrique méditerranéenne, et pour revenir à l’Égypte, notre point de départ, Alaa el-Aswannycontinue d’œuvrer entre fiction et documentaire, chroniques et nouvelles. Preuve en est avec La religion en Égypte(Actes Sud), compilation d'articles dans lequel il continue d'ausculter à sa manière la société Égyptienne post PrintempsArabes, et le poids du religieux dans celle-ci ; une démarche proche de celle de l'algérien Boualem Sansal, auteurl'année dernière chez Gallimard, de Gouverner au nom d'Allah.

Enfin, comme un contrepoint à Emmanuel Carrère, les Éditions du Seuil publient les mémoires de celui qui a consacrédes années d'étude à la diffusion du christianisme autour de la Méditerranée : Paul Veyne, un des plus grandsconnaisseurs de l'antiquité gréco-romaine. Sous le très beau titre de Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas, ce sont 50années de recherches sur l'histoire qui nous sont proposées, par un de ceux à qui un projet comme celui du MuCEMdoit beaucoup.

Et sinon, la rentrée littéraire ça marche aussi pour les livres de poche : Wajdi Mouawad, que les pluschanceux d'entre nous ont pu voir au MuCEM lors d'une rencontre d'anthologie l'automne dernier, pourAnima, Mathias Ènard pour Rue des Voleurs, Sorj Chalandon pour Le quatrième mur, Laurent Gaudé avecPour seul cortège... Et tant d'autres que nous vous ferons découvrir lors de votre prochaine visite !

Jérémie Banel / Librairie du MuCEM

Page 5: la Gazette des libraires n°1

«Un moment si doux»Exposition Raymond Depardon29 octobre 2014/ 2 mars 2015

Raymond Depardon a porté ses appareils et son regard du Liban à l'Amérique du Sud, de l'Afrique jusqu'aux États-Unis.Son parcours commence dès la fin des années 50 au sein de l'agence Dalmas puis chez Gamma en 1966 (qui verra tout le talent de Gilles Carons'exprimer) et enfin Magnum (sous l'égide d'Henri Cartier-Bresson). Réalisateur de documentaires et de fiction, l’œuvre cinématographique de M.Depardon est un prolongement naturel de son travail de photo-reporter. Il a traité nombre de reportages avec le même talent et le mêmehumanisme qu'il s'agisse de photographier les habitants de Glasgow ou de filmer les internés de San Clemente.

Dans son livre La France de Raymond Depardon, le photographe a collecté lesimages idéales des communes de notre territoire. Il a procédé à un inventairedétaillé des paysages français grâce à sa chambre photographique, à l'instar desgrands photographes américains comme Robert Adams. Un trépied solide, desplans-films et beaucoup de kilomètres parcourus, il ne fallait plus que le talent deRaymond Depardon pour faire de ce sujet un chef d’œuvre. Qui d'entre vous nes'est pas imaginé enfant, dans le village de ses grands-parents, entre le PMU et laboulangerie grâce à ses clichés ?

Ses images font appel à notre sentiment de nostalgie. C'est certainement ce qui fit lesuccès de ce travail de longue haleine.

«Le monde occidental veut toujours plus de sensationnel et il ne faut pas luien donner trop. Le reste du monde avance et évolue. Le photographe se doitde montrer ce processus.»

Voir, témoigner, rendre compte, tel pourrait être le credo de cette grandepersonnalité de la photographie contemporaine que le MuCEM a la chance derecevoir dès la fin du mois d'octobre. L'exposition «Un moment si doux» présenteraplus d'une centaine de photographies en couleurs des années cinquante à nos joursavec quelques inédits sur Marseille... Chut n'en disons pas plus, nous vouslaisserons quelques mois pour (re)découvrir tout le talent de cet immensephotographe.En lien avec l'exposition, vos libraires vous proposeront les ouvrages de M.Depardon ainsi que des textes de référence sur la photographie. Nous en profiterons

pour vous proposer les livres des compagnons de route et de travail de Raymond Depardon, qu'il s'agisse de Gilles Caron ou des photographesde l'agence Gamma et Magnum.

Alexandre Biville [Le libraire-Photographe]

Raymond Depardon ©

Équipée sauvage

Qu'est-ce donc que ce livre à l'étrange couverture?

Ça se passe en Corse, au XIXème siècle. C'est l'histoire de Vénérande etd'Ange Colomba. Leur histoire à tous les deux, ensemble, embarqués dansune sale affaire. Il s'agit de venger le frère de la jeune paysanne, défiguréenfant par de cruels bandits alors qu'il gardait un troupeau.

Et son histoire à lui. Ange Colomba. Tueur à gages moribond au surnom aussimenaçant que son nom était une promesse de félicité : l'Infernu.

Les deux récits alternent. Ange se confiant àVénérande à la faveur de la nuit et d'un feu de fortuneau gré de leur périple. Il lui raconte tout. Les traques,les massacres, les humiliations. Les amitiés, lestrahisons, comment il est devenu ce qu'il est.

Ici tout est cru : la violence, la lumière, le sexe. Lesbruits sont âpres, les os craquent, les crânes sefracassent sur les roches abruptes. La nature est undécor somptueux autant que dangereux.L'homme n'yest pas grand chose ; réduit à ses miasmes, sesfluides, sa crasse. Il sera question de rédemption.Question d'amour, aussi. Un peu. Peut-être.

De liberté, beaucoup. De terre volée, de souffranceendurée et de la vanité des hommes. Surtout de vanité.

L'homme tout à son galop ne voit pas qu'il est déjà mort et qu'il n'aura été toutsa vie que cette carcasse en sursis. La carcasse qu'on voit sur l'énigmatiquecouverture, celle qui entraîne tout sur son passage, quand vélocité, rage, ruseet détermination n'y feront rien.

De la Corse au XIXème on ne savait pas grand chose.

Orphelins de Dieu - Marc Biancarelli (Actes Sud)

(235 p.) 20 €

Lætitia Martel / Librairie du MuCEM

Les Égyptiens de Bonaparte

Septembre 1801, l'expédition d’Égypte s'achève avec le retour des restesde l'Armée d'Orient en France. Mais ce ne sont pas seulement des soldatsFrançais qui rentrent. On trouve également des partisans locaux deBonaparte, qui fuient leur pays. Ils sont militaires, marchands, issus duLevant tout entier, coptes, chrétiens et musulmans. Ils sont le sujet du livrede Ian Coller, qui produit ici un travail complètement inédit, issu d'un longprocessus de documentation. On y découvre ainsi l'existence d'un village« Égyptien » aux portes de Marseille (à l'emplacement actuel de la placeCastellane) au début du XIXème siècle, puisqu'il leur a longtemps étéinterdit de rejoindre Paris. En effet, et contrairement à ce qu'ils espéraient,Bonaparte se soucie bien peu de leur sort, et l’Égypte n'est plus, pour lui,un objectif. Ils pensaient constituer une avant-garde imprégnée des idéesdes Lumières et jeter les bases de l'Égypte moderne qu'il leur avait faitespérer, ils seront réduits pour certains, à quémander de quoi survivre.D'autres auront, bien sûr, un parcours jalonné de succès : professeurs,universitaires, et finiront par fréquenter les hautes sphères parisiennes...C'est donc toute l'histoire de cette communauté, comment elle seconstruit, ses querelles et ses réussites que l'on découvre, en mêmetemps qu'une réflexion sur l'identité française, et la perception de l'autredans cette France elle même en pleine mutation. Présenté par l’auteur lui-même comme une contribution aux questionnements franco français surl'identité, Une France arabe, recontextualise les liens forts qui unissent, etdepuis longtemps, la France (et Marseille) et le Maghreb.Un mot sur la forme pour finir, pour signaler la richesse et la diversité desillustrations qui apportent incontestablement des éclairages utiles,favorisant une bien meilleure compréhension, et procurent un vrai plaisirvisuel, associées à une très belle présentation, marque de fabrique desÉditions Alma

Une France Arabe - Ian Coller (Alma éditions)

(383 p.) 29 €

Jérémie Banel / Librairie du MuCEM

Page 6: la Gazette des libraires n°1

Moins évidente mais tout autant attendue par les principaux concernés (et pas seulement), la rentrée littéraire pour les adolescents existe belet bien, et tend même à se pérenniser. Pour preuve, comme il en est d'usage pour leurs grands frères, les bandeaux «rentrée littéraire»fleurissent sur les couvertures des éditeurs jeunesse … Les libraires de Maupetit et de la Librairie du MuCEM ont travaillé pour vous cet été,et voici un petit aperçu de ce qu'elles y ont repéré !

Du côté des ados...

Vivre plus fort

Il est de ces livres qui vous emportent vers des torrents d’émotions, qui vous émeuvent et vous font vibrer. Le nouveau roman d’Anne-LaureBondoux est de ceux-là.Il n’y a ni époque ni lieu précis pour cadrer cette histoire qui ne ressemble à aucune autre. Nous sommes dans une ville ouvrière, où lamorosité et l’abattement ont gagné toute la population. Jusqu’à l’arrivée de Bo, l’étranger… Au premier regard, il va embraser le cœurd’Hama et cet amour passionnel va insuffler de la vie et de la joie dans la ville. Une nouvelle époque commence, où la peur et la désolationquittent peu à peu les yeux et les cœurs. Quand arrive un terrible accident provoquant la destruction de l’usine, c’est pourtant sur Bo quetous les regards vont converger, parce qu’il ne fait pas partie de la communauté. Dès lors, les ennuis et les rejets s’accumulent et Bo etHama sont contraints de fuir. Commence alors un long périple à la recherche d’une terre plus sûre pour eux et leur fille. Le récit basculeensuite sur son voyage à elle, à la recherche de la vérité sur l’origine de ses parents et à la découverte d’un secret au plus profond d’elle-même…Ces voyages, ces rencontres qui s’entrecroisent tout au long du récit envoûtent littéralement. Les personnages chaleureux et hautsen couleur séduisent dès les premières lignes et c’est sans hésiter qu’on les accompagne dans leur odyssée. On rit, on pleure, on tremble,on s’inquiète… Bref on vibre avec eux, suspendu aux mots magiques de l’auteure. Mêlant quête initiatique, conte fabuleux et aventureromanesque, Anne-Laure Bondoux revient après 3 ans d’absence et nous livre l’un de ses plus beaux récits !

Tant que nous somme vivants – A.L. Bondoux (Gallimard Jeunesse)(320 p.) 15 €

Claire Remy / Maupetit – Actes Sud

Ne montez pas dans la voiture de n'importe qui …

C’est au début l’histoire d’une famille meurtrie par l’absence d’un père et mari.On ne connaît pas les raisons de ce départ récent, toujours est-il que ses filles,Sacha et Phénix, et sa femme, vivent depuis plusieurs mois sans nouvelles delui. La grande différence d’âge entre les deux sœurs – Sacha a 8 ans, Phénix estau lycée – ne les empêche pas d’être extrêmement proches l’une de l’autre. Ellespassent tout leur temps hors de l’école ensemble tandis que leur mère estsouvent éloignée pour son travail.Au lycée de Phénix, il y a un professeur d’anglais, M. Smith, qui bénéficie d’uneaura particulière. Charismatique, charmeur, mystérieux : il est le prof dont onrêve. Un soir que les filles s’apprêtent à rentrer chez elles à pied à cause d’unpneu de vélo crevé, M. Smith leur offre de les raccompagner à bord de saChevrolet. D’abord réticente, Phénix cède. «Je ne dévore jamais les jeunes fillesaprès 18 heures…» chuchote le professeur. Ce dernier se montre tout sourire etfort serviable mais une tension certaine s’installe. M. Smith va passer petit à petitdu statut de prof à celui de petit ami de leur mère, il estprésent quotidiennement dans la vie des filles et se faitdésormais appeler par son prénom, Jessup. Un soir, undésaccord l’oppose à Phénix. Il lui assène un coup de piedsous la table et conclut par un «ça t’apprendra» quand elledemande une explication. Pourquoi cette violence ? Phénixculpabilise et doute d’elle-même, cela s’est-il vraiment passé ?A partir de là, la relation entre Jessup et les filles va aller demal en pis. Phénix étant très réservée, le vrai danger seraitqu’elle se replie sur elle-même mais il y a Baldini au lycée. Ilfaudra qu’elle rassemble son courage pour l’approcher et luiparler car elle ne peut pas gérer à elle seule un père dont elle ne connaît pasl’adresse, une mère sans cesse absente pour son travail, une petite sœur quimultiplie les crises d’angoisse et son quotidien à elle qui devient un véritableenfer mêlé d’appréhension, de violence psychologique et de violence tout court…Tous les héros s’appellent Phénix est un roman bouleversant qui se lit d’unetraite. On est effarés, apeurés et en empathie pour ces jeunes héroïnesextrêmement attachantes. L’écriture de Nastasia Rugani est sobre et terriblementefficace. Cette jeune auteur qui n’a pas 30 ans est à suivre !

Tous les héros s'appellent Phénix - Nastasia Rugan (École des loisirs)(205 p.) 15 €

Gaëlle Farre / Maupetit – Actes Sud

Ensemble c'est tout

Willow Chance est une jeune personne peu ordinaire. Fille unique et surdouée, obsédée par le chiffre 7, les maladies humaines et les plantes, Willow n’a pas beaucoupd’amis et se qualifie elle-même de différente et de bizarre. Elle a 12 ans, a été abandonnée à sa naissance et le roman débute avec la mort de ses parents adoptifs… «Sil’on analyse les probabilités d’être abandonné à la naissance puis de perdre un ensemble entier de tuteurs légaux 147 mois et 7 jours plus tard, je suis tout en bas de lacourbe.»Après ce drame, Willow est très maladroitement suivie par Dell Duke, un conseiller psychopédagogique qui se révélera vite dépassé par l’intelligence et la vivacitéd’esprit de la jeune fille. Bien qu’anéantie par la perte de ses deuxièmes parents, Willow sait qu’elle doit faire front. Au collège, elle est fascinée par deux adolescents de14 et 15 ans, les Nguyen, et va tout faire pour être recueillie par cette famille de vietnamiens. Rien ne peut s’opposer à la détermination de Willow et surtout pas DellDuke : la tornade Willow est lancée ! Une galerie de personnages attendrissants et imparfaits va graviter autour de l’héroïne et malgré les défis et les difficultés qui sesuccèdent, elle garde le cap et se fabrique petit à petit sa famille.«La vie, j’en ai conscience maintenant, n’est qu’une longue marche dans un champ de mines, et l’on ne sait jamais quel pas va vous faire exploser.»Le texte d’Holly Goldberg Sloan est profondément touchant et résolument optimiste. Willow modifie un peu les vies de tous ceux qu’elle côtoie et on la voit s’adouciravec elle-même. Ses obsessions deviennent moins handicapantes, les événements comme les rencontres forgent la jeune fille et la rendent plus forte. Une belle énergiese dégage de La vie par 7 et on se sent capable d’affronter 1000 épreuves après pareille lecture !

La vie par 7 – Holly Goldberg Sloan (Gallimard Jeunesse)Traduit de l'anglais (États-Unis) par Julie Lopez

(360 p.) 15 €

Gaëlle Farre / Maupetit- Actes Sud

Qui est l'humain ?

Le professeur de mathématiques Andrew Martin vient derésoudre l’hypothèse des nombres premiers de Riemann, leplus mystérieux des problèmes scientifiques, longtemps restéinsoluble. Cette découverte est en passe de bouleverser l’humanité, derévolutionner son fonctionnement complet. Afin de l'éviter unVonnadorien, à savoir un extraterrestre ultra - développé estenvoyé sur Terre pour prendre l’apparence du professeur -après l’avoir éliminé évidemment. La suite de sa mission serade supprimer toutes les personnes pouvant avoir eu vent de la

solution de cette énigme à commencer par Isobel, la femme d’Andrew ainsi queGulliver, leur fils.

Notre extraterrestre, bien qu’apprenant très vite (assimilation de n’importe quellelangue après en avoir entendu seulement 100 mots, lecture de livres pardizaines...) ne connaît en arrivant aucune des coutumes et des habitudes quirégissent la vie de ces étranges humains. Dans sa galaxie les vêtements n’ontaucune utilité puisqu’il n’y a pas de forme humaine, il est impossible de seblesser et de toute façon chacun est immortel. Mais la différence majeure résidedans l’existence sur cette planète de choses étranges appelées sentiments ouémotions. C’est la découverte de cette palette complète d’émotions qui aideranotre extraterrestre à comprendre ou au moins à accepter les humains.

Bien qu’un certain nombre de notions lui soient toujours très peu cohérentes :l’argent, le fait d’appeler une vache un steak, le rapport aux autres, ou le rejet desmathématiques entre autres…. D’autres expériences lui permettront derelativiser. Il découvrira le plaisir d’une tartine de beurre de cacahuète, celui delire de la poésie, de boire du vin, même australien, celui de prendre soin d’unautre humain et inversement.L’humanité passée aux rayons X par un extra-terrestre… On perçoit le regardaiguisé de Matt Haig qui parvient avec humour et précision à dévoiler les grandesincohérences et petites, mais amusantes, imperfections de la vie terrestre.

Humains - Matt Haig (Hélium)Traduit de l’anglais par Valérie Le Plouhinec

(277 p.) 15,90 €

Fiona Guillet / Librairie du MuCEM

Page 7: la Gazette des libraires n°1

Belle gueule de bois : premier roman prometteur L'auteur :

Pierre Deschavannes est né le25 décembre 1986 à Lyon et agrandi à St Genis-Laval. Aprèsdes études d'infographie et unstage dans le domaine dugraphisme publicitaire à Paris, ildécide de se consacrer àd'autres projets comme lamusique et le dessin. En 2011 ilécrit et illustre Belle gueule debois, largement inspiré par sarelation avec son père. Aprèsavoir entrepris avec un ami latraversée du Canada à vélo, ilpart vivre à Toulouse où, entredeux jobs, l’envoi de sonmanuscrit portera ses fruits.

Amour, Liberté et rêve américain..

Après le monde du foot dans Onze, Xavier Deutsch nous entraîne ici dansl'Amérique des années 1960, avec une histoire dans laquelle on plonge dèsles premiers mots. Joseph a 18 ans. C'est un garçon plein de vie, apprécié detous, et qui semble évoluer avec aisance dans une vie plutôt parfaite.Jusqu'au jour où. Tous les matins, il achève sa tournée de distribution du«Sheridan» par le garage de Mr. Carlson, ses vieilles Chevrolet, ses deuxfilles et son calendrier de Pin-up. A chaque début de mois, dans un étrangecérémonial tous les 4 tournent la page et découvrent un nouveau visage.Celui de septembre est un véritable raz-de-marée émotionnel pour Joseph.Passés quelques jours et le coup de l'émotion... Joseph en est certain : il doitretrouver Hope. Et c'est ce qu'il va faire, encouragé par tous, et surtout, parce sentiment inébranlable qu'il doit le faire. La force de Xavier Deutsch dansce roman, est la facilité avec laquelle il nous emmène. L’Amérique danslaquelle Joseph évolue est belle, idéalisée, terre de tous les possibles, pétriede patriotisme à l'orée de l'arrivée d'un certain Nixon à la tête du pays. Onl'imagine et on la construit mentalement au fil des pages et des mots avecune précision folle – même si cette Amérique est loin de nous laisser lesentiment de la patrie parfaite qu'elle voudrait être. On vibre avec Joseph, quidécouvre l'amour. Celui qui vous prend au ventre, vous cloue au sol, pourensuite vous rendre capable de tout. On s'attache aussi à cette galerie de

portraits faite de tellement d'humanité, de détails et deces petites choses qui font les gens.

Entre récit initiatique et épopée humaine, dans cemoment de basculement qu'est la fin de l'adolescencevers l'âge adulte, vers l'émancipation et ce désirimmense de vie et de liberté, Hope est un roman deceux qui donnent la soif de vivre. Et ce n'est peut êtrepas pour rien que tout au long du récit, Joseph a danssa poche L'attrape-coeur, d'un certain J. D. Salinger.

Hope – Xavier Deutsch (Mijade)(239 p.) 11 €

Anaïs B. L. / Librairie du MuCEM

Coquillages et filles traquées

Lou et Mathilde viennent d’avoir le bac, une vie nouvelle àl’université s’offre à elles. Mais avant de plonger dans cette phaseinédite de leur existence, les deux amies ont décidé de s’offrirquelques semaines à Madagascar. Au programme, plongée,randonnées, farniente, rhum et sorties ! Lou la discrète et Mathildel’impulsive se laissent porter… Chacune imaginant sa vie future,calquée sur le modèle du lycée achevé. L’une suivant l’autre. Il ena toujours été ainsi.Un soir, de l’autre côté de la cloison de leur hôtel, ce sont des crisde douleur et de peur que les deux adolescentes entendent. Etc’est Lou qui prend les devants. Elles sortent sur la terrasse et découvrent Fanja, unejeune fille de leur âge, malgache, aux mains d’un Blanc riche et surtout cruel, dont leseul plaisir n’est pas sexuel mais de faire souffrir. Lou échafaude un plan pour la revoir,lui parler et l’inciter à fuir avec elles. Commence alors une course-poursuite dans laforêt, traquées, pourchassées sans fin par le bourreau de Fanja. De ce changement deposition presque hiérarchique vont sortir toutes les rancœurs qu’elles pouvaient avoirl’une pour l’autre depuis des années. À force de se laisser vivre sans se poser dequestion, sans toucher à l’équilibre qu’elles avaient mis en place depuis toujours, destensions s’étaient accumulées et l’orage éclate. Lou la tranquille en avait des choses àreprocher à Mathilde la frondeuse… Dans une ambiance moite et oppressante, Marion Brunet tisse une histoire mêlantthriller et chronique adolescente intimiste. Dans la noirceur, l’angoisse et la détresse,nos deux héroïnes vont grandir, se tester, se révéler, se renforcer aussi. Dès lespremières pages, on est pris par cette tension implacable qui émane de chaque débutde chapitre et c’est avec brio que l’auteur arrive à dresser en même temps le portraitjuste et fragile de deux adolescentes au seuil de leur vie… Après Frangine, publié en2013 dans cette même collection X’prim chez Sarbacane, la deuxième incursion deMarion Brunet dans la littérature adolescente éblouit encore par la justesse de ses motset de ses personnages.

La gueule du loup – Marion Brunet (Sarbacane)(229 p.) 15,50 €

Claire Remy / Maupetit – Actes Sud

«Je crois qu'une mère se porte dans le cœur,et qu'un père se porte dans les tripes»

Belle gueule de bois raconte l'histoire d'un fils, l'histoire d'un père, celle de l'irrépressiblevolonté de liberté d'un adolescent, celle du désespoir inaltérable d'un adulte, mais avant

toute chose, Belle gueule de bois raconte l'histoire d'un amour inconditionnel. Celui qui liePierre à son père. Les failles et les faiblesses de son père, Pierrot les connaît. Mais celles-cin'enlèvent rien à ce qui fait de son père le roc auquel il s'attache. Celui qui le retient aussi.

L'écriture est vive et d'une intensité bouleversante que les dessins de l'auteur ont la force desouligner un peu plus. On se croit par instant dans une sorte de roman graphique, où la

justesse du trait rejoint celle de l'émotion qu'apportent les mots. A chaque page, on sent unecertaine pudeur, une retenue aussi, qui ne font qu'ajouter à la beauté de ce texte à fleur de

peau. Il est peu de portraits d'adolescents aussi touchant dans la littérature qui leur estdédiée. Raison de plus pour ne pas passer à côté de cette véritable perle, que l'on soit

d'ailleurs ado, ou pas.

Belle gueule de bois – Pierre Deschavannes (Éditions du Rouergue)(60 p.) 8,30 €

Anaïs B.L . / Librairie du MuCEM

Interview :

À quel moment t'es-tu mis à écrire ce roman ? Est-ce que tu travailles dessus depuis plusieurs années ? Avais-tu un journal quand tu étais ado ?J’avais quitté Lyon pour aller vivre à Paris, c’était en 2011, à la base j’y étais allé pour travailler sur d’autres projets, mais un jour, entre deux jobs, je me suis mis à unetable en me disant qu’il fallait que je raconte ce que j’avais vécu avec mon père qui était décédé deux ans auparavant. J’étais conscient qu’il s’agissait d’une histoire trèsintime mais j’ai essayé de faire en sorte que n’importe qui puisse rentrer dedans. Lorsque j’étais au lycée, je tenais effectivement un journal intime, de manièreirrégulière, je pense que ça m’a permis de me décharger un peu d’un trop plein de quelque chose. Pour Belle gueule de bois, ça n’était pas la même démarche, même sic’était pour raconter un bout de mon histoire, je voulais que ça puisse intéresser les autres par le thème, mais aussi par la forme. En une semaine le premier jet était là,pour les dessins, ça a été beaucoup plus long car j’avais repris un travail de vendeur à plein temps, et puis je suis parti voyager plusieurs mois ensuite. Ce n’est qu’auretour que j’ai pu peaufiner tout ça et envoyer des manuscrits.Tout au long du livre, on retrouve tes illustrations. Des illustrations à l'image du texte, sombres, fortes, et particulièrement touchantes. Quelle estl'importance du dessin dans ce roman ?En fait, je suis plutôt dessinateur qu’écrivain à la base. J’ai toujours aimé le format texte-illustré qui est trop rare à mon goût chez les livres ados et adultes. Et puis il meparaissait évident d'accompagner l'histoire graphiquement parce que c’est justement mon père qui m’a donné le goût du dessin, lui-même avait un bon coup de crayon.Au départ il y avait plus d’illustrations, mais mes éditeurs m’ont proposé de laisser plus de place au texte, et aussi d’estomper un peu le coté figuratif, un choix que je neregrette pas aujourd’hui car les dessins ont gagné en maturité. Je pense aussi que le dessin dit des choses qui ne le sont pas dans l’écrit, j’ai voulu qu’on imagine lehéros dessiner sur un coin de table, qu’on sente sa détresse et ses espérances dans le trait même.Comment as-tu appréhendé la réaction de ta famille quand on sait la part importante d'autobiographie qu'il y a dans ton récit ? De la même manière et du faitde « l'intimité » de ton récit, t'imagines-tu rencontrer tes lecteurs ?C’est vrai que j’aurais pu craindre que ma famille soit gênée par l’idée que je raconte cette histoire qui les concerne de près. Mais il faut préciser que je me suis surtoutconcentré sur une période où je vivais seul avec mon père. Bien sûr je les évoque par moment, mais c’est surtout de mon père et moi qu’il s’agit. En tout cas, ma mèreet mes sœurs ont été parmi les premières personnes à lire cette histoire, et elles m’ont tout de suite dit de foncer. Je crois qu’elles étaient conscientes que mon pèreétait un être très particulier, et qu’il avait sa place dans un roman. Et oui, je m’imagine bien rencontrer mes lecteurs, même si je ne serais pas forcément à l’aise, jen’aurais pas de honte à parler de ce livre, au contraire.Quel genre d'impact voudrais-tu que ton livre ait sur tes lecteurs ? Veux-tu faire passer un message avec ton texte ?Ce que j’ose espérer c’est que le lecteur ressente des émotions. Après, je n’ai pas de message à donner, je me méfie des messages.Tes études ne t’amenaient pas vers l'écriture à proprement parler, as- tu toujours eu envie d'écrire ?Non, mon envie d’écrire a été très soudaine, je ne pensais pas en être capable. A l’époque où je m’étais dit que je ne voulais pas continuer dans le milieu del’infographie, je m’étais mis dans l’idée qu’il fallait que je produise quelque chose relié au dessin, mais je ne pensais pas du tout écrire, c’est venu comme ça, un peucomme si ça devait sortir de moi, comme un accouchement presque. Mais c’est un exercice qui m’a beaucoup plu.Est-ce que la parution de Belle gueule de bois te donne envie de continuer dans cette voie, pour les ado, et/ou pour les adultes ?Oui, j’ai vraiment envie de retenter l’expérience de l’écriture, je travaille déjà sur un nouveau roman, mais je ne me pose pas la question de savoir si ça sera pour ado oupour adulte. Ce qui est sûr c’est que ce sera aux Éditions du Rouergue que j’enverrai mon manuscrit.

Page 8: la Gazette des libraires n°1

Vertical / 1. Poète et cinéaste italien assassiné en 1975 2. Écrivain américain refusant la vie publique 3. Auteur de "Limonov" 5. Architecte du Pavillon Noir à Aix-

En-Provence 6. Philosophe aussi appelé Ibn Rochd 7. Père de la langue italienne (et des Enfers) 8. Historien spécialiste des couleurs 9. Chef de file du polar

Marseillais 10. Matériau principal du MuCEM 13. Référence de la cuisine provençale 14. Photographe qui sera exposé au MuCEM en octobre 17. Auteur

originaire de Manosque 21. Historien de la Méditerranée 22. Célèbre dessinateur de livres pour enfants édités par L’École des loisirs 24. Auteur des "Vies

minuscules" 25. Élément caractéristique de la façade du MuCEM

Horizontal / 4. Comtesse et mécène protectrice des artistes à Marseille pendant l'occupation 11. Auteur de "Caprice de la reine" 12. Poète originaire de l'Isle-

sur-la-Sorgue 15. Éléphant héros de livres jeunesse. 16. Architecte d'une grande partie de la reconstruction du Vieux Port 18. Académicien originaire d'Aubagne

19. Auteur de la série "La vie secrète des jeunes " 20. Pseudonyme de Charles-Edouard Jeanneret-Gris 23. Grand spécialiste de la Grèce Antique. Résistant.

24. Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée. 25. Auteur de "Rouge Brésil" 26. Auteur de "Léon l'africain"

Nos libraires aiment aussi la BD ! AgendaOctobre

lundi 13 : Au comptoir de l'ailleurs | 19h

Rencontre avec Enrique Vila-Matas, écrivain né à Barcelone en1948 et l'un des plus importants de sa génération. Animée parOlivier Renault et avec la participation d'André Gabastou.

lundi 20 : Semaine de la Pop Philosophie | 19h

Rencontre avec Marc Parmentier (philosophe), Fred Pailler(sociologue), Catherine Lejealle (sociologue). Cette rencontre seraarticulée autour du phénomène des sites de rencontres dans lasociété actuelle et du ressort des affects réels générés par desinteractions virtuelles sur un site de rencontre.

Novembre

Samedi 8 : Rencontre - Raymond Depardon | 18h :

Rencontre et signature avec le photographe Raymond Depardondans le cadre de l'exposition «Un moment si doux...» visiblejusqu'au 2 mars 2015.

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Cet été là – Jillian et Mariko Tamaki ( Rue de Sèvres )

Avec poésie et un sens graphique plus qu'efficace, cettebande dessinée raconte un été celui de deux ados Rose etWindy, toutes deux engoncés dans un entre-deux. Cet âgecompliqué où l'on ne sait vraiment s'il faut grandir ou secramponner à son enfance. Entre la pudeur de l'une et leculot de l'autre, le ton est juste, et touchant.

Anaïs B.L. / Librairie du MuCEM

Énergies extrêmes - Sylvain Lapoix / Daniel Blancou(Futuropolis) (122 p.) 19 €

Publiée à l'origine en trois épisodes dans "La RevueDessinée" -jeune trimestriel de BD reportage- cette bande-dessinée revient sur l’origine du gaz de schiste et les enjeuxactuels qui y sont liés. Sylvain Lapoix et Daniel Blancouexplorent donc cette énergie fossile sous tous les angles :énergétiques, environnementaux et humains.

Fiona Guillet / Librairie du MuCEM

La Nueve – Paco Roca (Delcourt) (313 p.) 29,95 €

Une BD documentaire et biographique qui se lit comme unroman d'aventure, pour que perdure la mémoire des 146Républicains espagnols qui entrèrent les premiers dansParis le 24 août 1944. Par son sens du récit et son dessinsensible et touchant mais jamais naïf, Paco Roca leur rendici le plus beau des hommages.

Jérémie Banel / Librairie du MuCEM

Cet été là – Jillian et Mariko Tamaki (Rue de Sèvres)(320 p.) 20 €Avec poésie et un sens graphique plus qu'efficace, cettebande-dessinée raconte un été, celui de deux ados Rose etWindy, toutes deux engoncées dans un entre-deux. Cet âgecompliqué où l'on ne sait vraiment s'il faut grandir ou secramponner à son enfance. Entre la pudeur de l'une et leculot de l'autre, le ton est juste, et touchant.

Anaïs B.L. / Librairie du MuCEM