La gale : une dermatose fréquente

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formation | synthèse 16 La gale : une dermatose fréquente L a gale est une ectoparasitose due à un acarien, Sarcoptes scabiei var hominis, parasite des surfaces cutanées et des phanères. C’est une dermatose fréquente (300 mil- lions de cas/an, probablement sous-estimés car la maladie n’est pas à déclaration obligatoire), très prurigineuse et très contagieuse. Elle constitue un véritable problème de santé publique, sévis- sant sous forme d’épidémies, notamment dans les collectivités, et particulièrement dans les collectivités de personnes âgées. La maladie est favorisée par la promiscuité, le manque d’hygiène et la pauvreté ; elle peut être considérée comme une infection sexuellement transmissible. Elle touche les hommes et les femmes, de tous âges, toutes ethnies et tous niveaux socioéconomiques. Cette affection est bénigne si elle est dia- gnostiquée et prise en charge précocement. L’agent pathogène Sarcoptes scabiei var hominis est un acarien (4 paires de pattes, courtes), ectoparasite obligatoire et permanent. La femelle adulte mesure de 350 à 500 μm, le mâle, de 200 à 250 μm. Son corps est plus ou moins globuleux, recouvert d’épines. Cycle de vie de S. scabiei S. scabiei effectue son cycle complet chez l’homme. La femelle vit 2 à 3 mois, creuse un sillon dans la couche cornée et pond 1 à 5 œufs par jour. L’œuf (100 μm) éclôt au bout d’une semaine ; la larve subit deux mues pour devenir une nymphe, puis un adulte au bout de 2 semaines. Les jeunes adultes s’accouplent et la femelle fécondée creuse son « nid ». Le cycle dure ainsi 3 semaines, depuis la ponte de l’œuf jusqu’au stade adulte. Transmission Les jeunes femelles sont présentes sur la peau. La transmission est directe, par contact cutané, peau contre peau, par rap- ports sexuels (MST), contact mère-enfant ou contact soignant- malade. Elle est favorisée en cas de charge parasitaire élevée, chez les immunodéprimés et les personnes âgées (épidémies). La transmission est également indirecte (tissus-peau), par l’intermédiaire des vêtements, draps, linges de toilette,… due souvent à une faute ou un manque d’hygiène. S. scabiei survit plusieurs heures à plusieurs jours (1 semaine), à température ambiante et humidité moyenne. Physiopathologie S. scabiei, comme tous les arthropodes qui se nourrissent de sang, émet de la salive et des déjections riches en protéines, provoquant une réaction inflammatoire, une réaction d’hyper- sensibilité (allergie), un prurit survenant dès la 3 e semaine (cycle) ou plus tôt en cas de ré-infestation. Ainsi, se développe une éruption in situ et à distance, sans sarcopte (correspondant à une réaction d’hypersensibilité), ce qui peut compliquer le diagnostic (parfois, S. scabiei n’est pas retrouvé). Chez les patients immunodéprimés, les réactions sont inhibées et le prurit peut être absent, ce qui retarde le diagnostic, favo- risant le développement de formes généralisées. Clinique Chez le sujet immunocompétent (adulte et enfant) L’incubation, silencieuse, dure trois semaines. Puis apparaît un prurit très important, des lésions maculo-papuleuses et des sillons (exceptionnels), siégeant au niveau des plis, des espaces interdigitaux, des poignets, des organes génitaux (chez l’homme), des seins (chez la femme), épargnant le visage, le dos, la paume des mains, la plante des pieds. Des lésions de grattage sont généralement observées. À l’interrogatoire, les notions de contage voire de petite épidé- mie sont essentielles. Sans traitement, l’infection évolue vers une aggravation et la dissémination des lésions. | Sarcoptes scabiei. OptionBio | vendredi 29 novembre | n° 499 La gale est un véritable problème de santé publique : elle sévit sous forme d’épidémies, notamment dans les collectivités de personnes âgées. Son diagnostic est clinico-épidémiologique, fondé sur le prurit, une notion de contage, de voyage. Le diagnostic de certitude, parasitologique, nécessite un prélèvement rigoureux des lésions et repose sur l’observation au microscope des sarcoptes, de leurs œufs et/ou leurs déjections. Les traitements disponibles sont théoriquement efficaces, mais il existe de nombreux échecs thérapeutiques, notamment en l’absence de mesures complémentaires (traitement des sujets contacts, désinfection…) absolument nécessaires. STEVE GSCHMEISSNER/SPL/PHANIE

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La gale : une dermatose fréquente

La gale est une ectoparasitose due à un acarien, Sarcoptes scabiei var hominis, parasite des surfaces cutanées et des phanères. C’est une dermatose fréquente (300 mil-

lions de cas/an, probablement sous-estimés car la maladie n’est pas à déclaration obligatoire), très prurigineuse et très contagieuse.Elle constitue un véritable problème de santé publique, sévis-sant sous forme d’épidémies, notamment dans les collectivités, et particulièrement dans les collectivités de personnes âgées.La maladie est favorisée par la promiscuité, le manque d’hygiène et la pauvreté ; elle peut être considérée comme une infection sexuellement transmissible. Elle touche les hommes et les femmes, de tous âges, toutes ethnies et tous niveaux socioéconomiques. Cette affection est bénigne si elle est dia-gnostiquée et prise en charge précocement.

L’agent pathogèneSarcoptes scabiei var hominis est un acarien (4 paires de pattes, courtes), ectoparasite obligatoire et permanent. La femelle adulte mesure de 350 à 500 μm, le mâle, de 200 à 250 μm. Son corps est plus ou moins globuleux, recouvert d’épines.

Cycle de vie de S. scabieiS. scabiei effectue son cycle complet chez l’homme. La femelle vit 2 à 3 mois, creuse un sillon dans la couche cornée et pond 1 à 5 œufs par jour. L’œuf (100 μm) éclôt au bout d’une semaine ; la larve subit deux mues pour devenir une nymphe, puis un adulte au bout de 2 semaines. Les jeunes adultes s’accouplent et la femelle fécondée creuse son « nid ». Le cycle dure ainsi 3 semaines, depuis la ponte de l’œuf jusqu’au stade adulte.

TransmissionLes jeunes femelles sont présentes sur la peau. La transmission est directe, par contact cutané, peau contre peau, par rap-ports sexuels (MST), contact mère-enfant ou contact soignant-malade. Elle est favorisée en cas de charge parasitaire élevée, chez les immunodéprimés et les personnes âgées (épidémies).La transmission est également indirecte (tissus-peau), par l’intermédiaire des vêtements, draps, linges de toilette,… due souvent à une faute ou un manque d’hygiène. S. scabiei survit plusieurs heures à plusieurs jours (1 semaine), à température ambiante et humidité moyenne.

PhysiopathologieS. scabiei, comme tous les arthropodes qui se nourrissent de sang, émet de la salive et des déjections riches en protéines, provoquant une réaction inflammatoire, une réaction d’hyper-sensibilité (allergie), un prurit survenant dès la 3e semaine (cycle) ou plus tôt en cas de ré-infestation. Ainsi, se développe une éruption in situ et à distance, sans sarcopte (correspondant à une réaction d’hypersensibilité), ce qui peut compliquer le diagnostic (parfois, S. scabiei n’est pas retrouvé).Chez les patients immunodéprimés, les réactions sont inhibées et le prurit peut être absent, ce qui retarde le diagnostic, favo-risant le développement de formes généralisées.

Clinique

Chez le sujet immunocompétent (adulte et enfant)L’incubation, silencieuse, dure trois semaines. Puis apparaît un prurit très important, des lésions maculo-papuleuses et des sillons (exceptionnels), siégeant au niveau des plis, des espaces interdigitaux, des poignets, des organes génitaux (chez l’homme), des seins (chez la femme), épargnant le visage, le dos, la paume des mains, la plante des pieds. Des lésions de grattage sont généralement observées.À l’interrogatoire, les notions de contage voire de petite épidé-mie sont essentielles. Sans traitement, l’infection évolue vers une aggravation et la dissémination des lésions.

| Sarcoptes scabiei.

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La gale est un véritable problème de santé publique : elle sévit sous forme d’épidémies, notamment dans les collectivités de personnes âgées. Son diagnostic est clinico-épidémiologique, fondé sur le prurit, une notion de contage, de voyage. Le diagnostic de certitude, parasitologique, nécessite un prélèvement rigoureux des lésions et repose sur l’observation au microscope des sarcoptes, de leurs œufs et/ou leurs déjections. Les traitements disponibles sont théoriquement efficaces, mais il existe de nombreux échecs thérapeutiques, notamment en l’absence de mesures complémentaires (traitement des sujets contacts, désinfection…) absolument nécessaires.

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sarcopte : espaces interdigitaux, poignets, organes géni-taux. Il faut gratter avec une curette (bien prendre la couche cornée, ce qui peut éventuellement faire saigner), puis déposer le produit de grattage sur une lame sur laquelle a été déposée de l’huile à immersion et observer au micros-cope à faible grossissement (x10).NB : porter systématiquement des gants pour les prélève-ments ; désinfecter la salle de prélèvements avec un produit insecticide après ceux-ci.

Autres moyens diagnostiquesLa dermoscopie (vidéodermoscopie) permet de visuali-ser les sarcoptes au niveau des lésions ; elle est de plus en plus utilisée par les dermatologues, mais nécessite un examen minutieux et long ; ses résultats sont assez limités.Noter qu’il n’existe pas de diagnostic sérologique ; par ail-leurs, les PCR ne sont pas performantes.

TraitementIl repose sur l’utilisation de benzoate de benzyl (Ascabiol®), en application unique, le soir ; se laver 24 h après (12 h chez l’enfant de moins de 2 ans et la femme enceinte). L’Ascabiol® a une efficacité comparable à celle de l’iver-mectine (cf. infra). Attention à ne pas ingérer car il existe un risque de convulsions (bander les mains des nourrissons et petits enfants).Une sensation immédiate de cuisson ou d’eczématisation est possible ; parfois le prurit est exacerbé (surtout en cas d’applications répétées). Ne pas appliquer sur peaux lésées (risque de passage systémique, donc de convulsions).En cas de rupture de stock, un autre produit est disponible en France : esdépalléthrine + PBO (Spraygal®). Cette lotion aérosol est à appliquer le soir sur tout le corps, sauf le visage et le cuir chevelu ; laisser agir toute la nuit, puis prendre une douche. Attention, ce produit est inflammable. Il est déconseillé chez les asthmatiques et des résistances des sarcoptes ont été décrites.L’ivermectine (Stromectol®) est le traitement « moderne » per os de la gale. Elle est administrée à la dose de 200 μg/kg à J1 et J14. Le pic de concentration dans le plasma est à 4 h, la demi-vie, de 12 h (métabolites : 3 j). Elle est totale-ment éliminée, dans les selles, à J12.L’ivermectine agit en se fixant sur les canaux chlorures-glutamates-dépendants des cellules nerveuses et muscu-laires, entraînant la paralysie et la mort du parasite. Ses effets secondaires sont (potentiellement) une lyse massive de microfilaires (en cas d’infection par une microfilaire : attention aux patients de Centre-Afrique). Des résistances et échecs thérapeutiques ont aussi été rapportés.Après traitement, les patients ne sont plus porteurs de sar-coptes ; toutefois, il n’est pas rare d’en observer de nouveau chez des sujets bien traités… qui se sont recontaminés.

Chez le nourrissonLes lésions n’épargnent ni le visage, ni la plante des pieds, ni la paume des mains. Le prurit est intense : les nourrissons très irritables, dorment mal, mangent mal et pleurent beau-coup. Les formes bulleuses sont fréquentes ; parfois sont observées des formes nodulaires. Les lésions évoluent vers une eczématisation, une impétiginisation ; les surinfections sont fréquentes à Staphylococcus aureus et streptocoques β hémolytiques du groupe A. Attention à ne pas confondre avec une dermatite atopique, traitée par corticoïdes qui exa-cerberaient la gale !

Les formes profusesElles sont des complications d’une forme simple non traitée ou traitée par corticoïdes ; elles surviennent principalement chez des patients « sans domicile fixe », des personnes âgées ou immunodéprimées. Les lésions sont généralisées, riches en sarcoptes, très contagieuses.Des épidémies surviennent dans les services de gériatrie, long séjour ou psychiatrie ; elles touchent les résidents, le person-nel médical et non médical, les familles des patients et des personnels.

La gale croûteuseDans cette forme extrême de la maladie (autrefois appelée « gale norvégienne »), les lésions sont exacerbées, généra-lisées, hyperkératosiques, très riches en sarcoptes et très contagieuses.Elle survient chez les patients immunodéprimés, les personnes âgées ou ayant des troubles du développement (syndrome de Down) et est difficile à traiter. Le prurit est absent d’où un dia-gnostic tardif, une fois l’infection disséminée (épidémies dans les services de gériatrie).

Présentations atypiques Formes croûteuses localisées : simulent une dermatite sébor-

rhéique ou une dermatomyosite du cuir chevelu. Formes limitées : au cuir chevelu, visage, doigts, ongles,

plante des pieds,… Formes pauci-symptomatiques, dites « gale des gens

propres ». Formes compliquées par un traitement corticoïde.

DiagnosticIl est avant tout clinico-épidémiologique, fondé sur le prurit (le patient se gratte devant le médecin), une notion de contage (+++), de voyage. L’examen clinique doit rechercher des lésions des plis, des organes génitaux,…Le diagnostic de certitude est parasitologique : il repose sur la mise en évidence du parasite et/ou de ses œufs et/ou déjections.Les prélèvements doivent être réalisés au niveau de lésions desquamées, dans les localisations préférentielles du

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Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

CAROLE EMILEBiologiste, rédactrice scientifique

[email protected]

Source D’après une communication de A. Izri (Hôpital Avicenne de Bobigny).55es Journées de biologie clinique, Paris, janvier 2013.

Mesures thérapeutiques complémentairesElles sont absolument indispensables. Une enquête doit être réalisée auprès des partenaires, de la famille, de la collecti-vité, et tous les sujets contacts doivent être traités. En outre, il faut désinfecter l’environnement : lavage à 60 °C des textiles, peluches,… et/ou passage au sèche-linge (1 h : radical). Pour tout ce qui n’est pas lavable, il faut utiliser des insecticides : Apar®, Acardust®.Les enfants, une fois traités, peuvent retourner à l’école car les traitements, l’Ascabiol® ou ivermectine, agissent rapide-ment ; ne pas oublier de faire une enquête à l’école (enfants, instituteur…).

PréventionElle passe par l’enquête et la prise en charge des sujets contacts, la décontamination de l’environnement des sujets infectés et leur suivi après traitement, jusqu’à 4 semaines.Concernant les hôpitaux, maisons de retraites et autres collec-tivités, sont préconisés un examen systématique à l’entrée et un examen périodique des sujets hospitalisés.

ConclusionLa gale est une affection fréquente et en recrudescence tou-chant toutes les couches de la société. Bénigne, elle entraîne néanmoins des nuisances importantes et est redoutable chez les patients immunodéprimés et les personnes âgées. |

| Sarcoptes scabiei.

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