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Septentrion

SouS l a direction de

Charles-Philippe Courtois et Julie Guyot

la culture des patriotes

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S e p t e n t r i o n

LA CULTURE DES PATRIOTES

Sous la direction deCharles-Philippe Courtois

et Julie Guyot

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Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier la Chaire de recherche du Canada en rhétorique de l’université du Québec à Trois-Rivières (uQTR) et le Collège militaire royal (CMR) de Saint-Jean pour leur contribution à la publication de cet ouvrage.

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présentation

La culture des Patriotes, un objet encore méconnu ?

Charles-Philippe CourtoisCollège militaire royal de Saint-Jean

Nous examinerons si, dans quelques siècles, l’influence d’un climat trop doux, d’un sol fertile et l’existence de l’esclavage n’amollira pas nos braves voisins méridionaux ; si les républicains d’aujourd’hui ne seront pas alors

royalistes, et si nous, aujourd’hui ardents royalistes, ne serons pas alors d’enthousiastes républicains. Venez calculer à quelle époque le grand Roi,

entouré de ses satrapes, régnera sur les bords de la Potomac, dans quelque Babylone américaine, car le nom de Washington rappellera toujours de trop éclatantes vertus patriotiques pour qu’il ne soit pas à cette époque

défendu de le prononcer […] et à quelle époque Québec, renversant de ses mains ses murailles, aura la ressemblance, le nom et les vertus de Sparte

[…] direz-vous [qu’] en rappelant la fière indépendance de Sparte l’on ne devrait pas oublier la beauté de son ciel sans nuages et la douceur de son

climat. Oh oui, mais la Grèce offre une exception unique : il n’a été donné à nul autre peuple d’être aussi heureusement organisé.

– Louis-Joseph Papineau1

La rébellion des Patriotes de 1837-1838 reste un épisode fas cinant de notre histoire, sans doute parce qu’il était à la fois exceptionnel

1. Lettre à Mme Lancaster Lupton, d’Albany : Montréal, 4 novembre 1829. Reproduite dans Louis-Joseph PAPINEAu, Lettres à divers correspondants, t. I : 1810-1845, Montréal, Varia, 2006, p. 222-223. Des deux cités principales de l’alliance grecque contre le « roi des rois » perse durant les guerres médiques (502-449), Athènes et Sparte, Sparte était célèbre pour être la seule cité grecque sans muraille défensive. Mme Lupton encouragea, chez Papineau, l’étude de la politique du président Jackson, ce qui approfondit l’intérêt qu’il portait à la République américaine.

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et révélateur. La rébellion révèle crûment un conflit national structurel, qui existe depuis la Conquête, entre le Canada français et sa nouvelle Métropole, en particulier ses administrateurs et les membres de l’oli-garchie anglophone. Jamais, en effet, pas même durant la Révolution tranquille, a-t-on vu un leadership politique majoritaire et une forte portion du peuple opter pour une rupture aussi radicale, en faveur des libertés politiques que des autorités souveraines leur refusaient et, peu ou prou, de l’indépendance. À cela s’ajoute la fascination exercée par la figure de Papineau, chef parmi les plus marquants de la nation, figure demeurée proverbiale dans l’expression « tête à Papineau » qui sert depuis d’étalon pour juger des intelligences et des capacités. Sans parler des conséquences pour les acteurs des Rébellions, meneurs, combattants ou habitants des villages atteints, de l’échec de la rébellion et, du coup, d’un mouvement remontant au moins à la naissance du Parti canadien, dont les répercussions ont été déterminantes pour le Canada français sur une longue durée. L’union des Canadas, adoptée en 1840 (effective en 1841), marque le début de l’annexion du Québec au reste de l’Amérique du Nord britannique. La foi et les vocations religieuses se multiplient, laissant une empreinte décisive sur la culture canadienne-française au moins jusque dans les années 1960. Contrairement à ce qu’incarnait le mouvement patriote, le Canada français se gardera d’envisager, malgré quelques exceptions, la souve-raineté politique avant les années 1960, voire d’assumer son caractère majoritaire au Québec, tout simplement. Il n’osait plus caresser d’am-bitions nationales aussi grandes. Bref, les idéaux politiques défendus par les Patriotes se sont engloutis avec la répression victorieuse menée par Colborne et l’instauration de l’union préconisée par lord Durham en 1839.

Cet ouvrage se penche de manière approfondie sur la culture des Patriotes. Ce combiné d’influences intellectuelles et politiques et d’édu-cation permit aux Patriotes de définir puis de proposer à la nation, au peuple du Bas-Canada, l’idéal politique pour lequel ils ont lutté dans la légalité avant 1837, et pour lequel ils ont combattu les troupes britanniques durant les Rébellions. Il nous est apparu que, si la question de l’idéal politique des Patriotes était mieux cernée aujourd’hui après l’émergence de travaux sur leur républicanisme, de nombreuses ques-tions se posaient encore à son sujet, précisément parce que le caractère républicain de leur idéal n’est qu’un acquis récent de l’historiographie. Nous les diviserons en deux catégories : d’où vient cette culture et où mène-t-elle ? C’est l’ambition de cet ouvrage de répondre à ces deux

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questions et d’apporter des éléments de réponse, comme de définir de nouvelles pistes de recherche en ce sens.

La question « d’où vient cette culture ? » interroge les sources de la pensée politique des Patriotes, liées à la circulation des idées dans l’espace atlantique. Comment les Patriotes forgèrent-ils leurs idéaux et définirent-ils leurs objectifs politiques ? Quelles étaient les lectures courantes et fondamentales des Patriotes ? Quel est le poids des influences américaine et française, mais aussi antique, ce qui renvoie à l’humanisme de la République des lettres de l’époque moderne ? L’école de Cambridge a restitué l’importance d’une école de pensée non pas whig, mais républicaine, depuis la Renaissance italienne et Machiavel, tant aux États-unis qu’au Royaume-uni2. Il faut bien entendu accorder une large place à la richesse des influences britanniques dans la culture politique des Patriotes, puisqu’ils évoluent dans un système politique dirigé par Londres. C’est encore plus vrai de la génération du Parti canadien dont le Parti patriote est issu.

Comment ces influences multiples sont-elles implantées au Québec ? Il est établi que le républicanisme avait des racines plus anciennes que la transformation du Parti canadien en Parti patriote. L’invasion américaine de 1775-1776 est un point tournant dans l’enracinement d’un républicanisme analysé par Bernard Andrès et le groupe de l’Archive littéraire au Québec3. Rappelons l’existence d’une culture politique réformiste et libérale exprimée dès les années 1780, révélée naguère par Pierre Tousignant notamment, culture politique qu’exprime bien un Pierre du Calvet dans son Appel à la justice de l’État dès 17844. Rappelons que dès 1793, dans l’appel que l’ambassadeur de

2. Les travaux de John POCOCK (The Machiavellian Moment, 1975), diplômé de Cambridge, professeur à John Hopkins, Quentin SKINNER (The Foundations of Modern Political Thought, 1978) et John DuNN (The Political Thought of John Locke, 1969), professeurs à Cambridge, sur l’histoire des discours à l’époque moderne ont fondé ce qu’on appelle une « école de Cambridge » en histoire des idées, qui met l’accent sur la contextualisation. Ils ont été influencés par les ensei-gnements et les travaux de l’historien de Cambridge Peter LASLETT (1915-2011). Voir notamment Peter LASLETT, « Introduction », John LOCKE, Two Treatises on Government, Oxford, Oxford university Press, 2005.

3. Voir notamment Bernard ANDRÈS, La Conquête des lettres au Québec, 1759-1799 : anthologie, Québec, Presses de l’université Laval, 2007.

4. Pierre Du CALVET, Appel à la justice de l’État, Sillery, Septentrion, 2002 (1784). Voir Pierre TOuSIGNANT, La genèse et l’avènement de la constitution de 1791, thèse (Ph. D.) en histoire, université de Montréal, 1971.

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la nouvelle république française aux États-unis, Charles Genêt, adresse aux Canadiens, on retrouve un discours républicain et indépendan-tiste : « Tout autour de vous vous invite à la liberté ; le pays que vous habitez a été conquis par vos pères. Il ne doit sa prospérité qu’à leurs soins et aux vôtres, cette terre vous appartient, elle doit être indé-pendante5. » L’ambassadeur Genêt avait été conseillé par le Canadien Henry Mézière, fervent partisan de la Révolution française et, ici, d’une république du Bas-Canada indépendante, alliée des États-unis et de la France. Mais quel est le poids direct de ces influences sur les Patriotes, ou plus largement sur le mouvement qui englobe les partis canadien et patriote (1805-1838) ?

Suit logiquement la question de l’éducation des Patriotes. Comment, au juste, forme-t-on « une tête à Papineau » ? Que pouvons-nous déduire de la formation des meneurs du mouvement patriote dans les collèges classiques du Québec ? En définitive, l’éducation procure les références culturelles qui permettent de définir un idéal politique, comme les Patriotes le firent dans les années 1830 et dont témoignent les 92 Résolutions ainsi que les discours, manifestes et déclarations de la période 1834-1838.

Enfin, en ce qui concerne l’objectif, s’impose l’analyse de leur production, de l’expression de cette culture, ce qui implique, outre les discours et les écrits, les actes. Se pose plus particulièrement la question de leur dessein à la lumière de la question nationale. Comment s’est joué l’arrimage entre les enjeux nationaux au Bas-Canada et l’idéal universel que suppose le principe des nationalités, autrement dit d’auto-détermination des peuples, alors qu’il s’est agi, au Bas-Canada, non seulement d’inclure une minorité impériale dans le peuple, mais aussi d’envisager des associations avec d’autres États ? Relevons enfin que, si la culture des Patriotes ne s’étudie pas sans analyser les antécédents républicains au Québec, leur continuité au lendemain des Rébellions et l’évolution des ex-Patriotes après 1838 sont aussi à prendre en compte.

Dans son essai sur Papineau (1924), Ève Circé-Côté oppose l’oubli officiel qui enveloppait le mouvement des Patriotes, dans les manuels clérico-loyalistes de son temps, à la mémoire populaire qui conservait un souvenir glorieux de Papineau. Mais pourquoi, s’interrogeait-elle, parle-t-on de « tête à Papineau » ? Elle dégage deux raisons : « parce que

5. Edmond-Charles GENÊT, Les Français libres à leurs frères canadiens, dans C.-P. COuRTOIS et D. PARENTEAu, Les 50 discours qui ont marqué le Québec, Montréal, CEC, 2011, p. 38.

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sa culture philosophique dépassait la moyenne de ses compatriotes », mais aussi « parce qu’il pensait comme le peuple6 ». Bref, une culture exceptionnelle au service des aspirations du peuple, nationales. Mais, justement, quelle était cette « culture philosophique » des chefs de file Patriotes ? Voilà assurément une question centrale à notre réflexion. Or, à cette époque – celle du printemps des peuples –, « tous les peuples voulaient une république7 », conclut Circé-Côté. Elle déplore que sa statue n’orne pas le parc La Fontaine car « il [Papineau] commande les hommages de tout un peuple ». Puis elle ajoute cette réflexion savoureuse : « Il s’appelle Papineau tout court et non pas “sir Papineau”8. » Pour elle « Papineau fut l’écho retentissant de tous les appels à la liberté9 ».

La presse et les bibliothèques jouent un rôle déterminant dans la critique de l’Ancien Régime, au même titre qu’ailleurs en Occident, ce qui permet de dissiper la fausse représentation d’un Québec isolé, rétrograde, à l’abri des courants de pensée modernes10, aussi bien que d’un mouvement national affublé des mêmes épithètes. Les Patriotes sont en phase avec des idées de leur temps.

La citation placée en exergue, tirée de la correspondance de Papineau, est une illustration du degré de présence des références antiques aux côtés des modernes, en l’occurrence de Sparte et des cités-États grecques en général aussi bien que la République des États-unis. Ces références habitent et structurent l’univers politique des Patriotes.

Pourtant, l’influence des idées en circulation est, nous semble-t-il, le domaine des fausses évidences. Il faut d’abord faire place à l’influence de grands penseurs, de l’époque moderne, mais aussi, ne l’oublions pas, de l’Antiquité. La nouvelle culture politique qui s’impose avec ce qu’on englobe dans l’expression « Révolution atlantique », est en effet indisso-ciable de la culture humaniste, comme l’atteste la citation de Papineau placée ici en exergue. Or, cette influence est complexe. Le fameux dis-cours de Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle

6. Elle signait Ève ou Éva. Ève CIRCÉ-CÔTÉ, Papineau, son influence sur la pensée canadienne. Essai de psychologie historique, Montréal, Lux, 2003 (1924), p. 26.

7. Ève CIRCÉ-CÔTÉ, op. cit., p. 33.8. Ève CIRCÉ-CÔTÉ, op. cit., p. 19.9. Ibid., p. 18.10. Le libéralisme, le républicanisme et le mouvement nationalitaire sont des courants

de pensée encore neufs durant la première moitié du xixe siècle, mais l’ultramon-tanisme non plus n’a rien d’une exception locale.

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des Modernes11, nous rappelle que la question se définissait à l’époque selon le choix entre deux modèles, celui de la République inspiré des cités antiques, reposant sur la vertu, et celui du libéralisme moderne, à la façon anglaise (et hollandaise), misant davantage sur la sphère privée. Autrement dit, d’un côté l’idéal d’une liberté civique, celle du citoyen libre parce qu’il est membre actif d’une communauté politique libre, et de l’autre celle de l’individu libre parce qu’il est libre de vaquer à ses intérêts et à ses affinités électives.

La question des origines de l’idéal des Patriotes n’est certainement pas un « mystère », en ce sens qu’on sait que les collèges classiques, les bibliothèques, la circulation des livres et des journaux relayaient une culture humaniste classique, source de l’idéal républicain de la fin du xviiie et du début du xixe, tout comme les livres modernes et les journaux véhiculaient les idées nouvelles, libérales, démocratiques, nationalitaires, sans parler de la propagande américaine en 1774-1776 et du rôle de publicistes comme Fleury Mesplet. Mais elle mérite d’être mieux analysée à la lumière des recherches de Gilles Gallichan12, de Bernard Andrès et de Marc André Bernier13 qui portent en bonne partie sur les générations précédentes et qui s’ajoutent aux travaux des Claude Galarneau et Yvan Lamonde14.

Il y a longtemps que les historiens ont analysé les rapports entre les collèges classiques et la constitution d’une élite bas-canadienne, francophone et réformiste avant 1837. Cependant, cette analyse était traditionnellement axée sur les intérêts des professions, plus particuliè-rement des professions libérales où abondaient les Canadiens français et où ils constituaient une classe à certains égards distincte, dans ses options politiques, du clergé et des seigneurs canadiens-français, d’une part, et des marchands anglo-protestants, d’autre part. Les travaux de

11. Benjamin CONSTANT, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, Paris, Mille et une nuits, 2010 (1819).

12. un des ouvrages les plus significatifs pour connaître les sources de la pensée politique de la période est, de G. GALLICHAN, Livre et politique au Bas-Canada, 1791-1849, Sillery, Septentrion, 1991.

13. Bernard ANDRÈS et Marc-André BERNIER (dir.), Portrait des arts, des lettres et de l’éloquence au Québec (1760-1840), Québec, Presses de l’université Laval, 2002.

14. Claude GALARNEAu, Les collèges classiques au Canada français, Montréal, Fides, 1978. D’Yvan LAMONDE, voir notamment Histoire sociale des idées au Québec, t. I : 1760-1896, Montréal, Fides, 2000, et Signé Papineau : la correspondance d’un exilé, Montréal, Presses de l’université de Montréal, 2009.

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Fernand Ouellet, comme Le Bas-Canada, 1791-184015, en sont un bon exemple. L’insistance sur la surreprésentation des Canadiens français dans certaines professions libérales est bien sûr plus ancienne encore. Même si la remarquable histoire des collèges classiques de Claude Galarneau échappa à ce travers, on a largement associé cette formation avec le point de vue clérical ou celui d’une caste « clérico-nationaliste » dans la seconde moitié du XXe siècle.

Quelle relation cette formation sous tutelle cléricale, justement, peut-elle entretenir avec les luttes politiques du Parti canadien puis patriote, dont les dirigeants sont généralement émoulus des collèges classiques ? Cette institution est fondée sur un postulat humaniste issu directement de la Renaissance, reposant sur une conception chrétienne de l’humanisme, faisant de la religion la clé de voûte d’un édifice de culture générale nécessaire à l’épanouissement de l’homme, pour former une élite essentielle pour la nation. Or, le programme classique devient, au xixe siècle, l’objet de débats16.

Au cours du siècle, on peut percevoir deux inflexions divergentes : d’une part, les tentatives, essentiellement durant la première moitié du siècle, voire dès la fin du xviiie siècle, de mettre sur pied des collèges laïques, ce qui limiterait l’influence de l’Église catholique. De l’autre, à mesure que l’emprise de l’Église s’affermit, une volonté, largement ultramontaine, de séparer le bon grain de l’ivraie parmi les auteurs classiques modernes et anciens, question d’écarter les ferments de libre pensée et de républicanisme qui puisent à cette culture classique depuis la fin du xviiie siècle. Il n’est pas innocent, par exemple, qu’au milieu du xixe siècle les manuels français de philosophie aient cédé la place aux manuels néo-thomistes17 inspirés par le renouveau du dogme catho-lique à Rome, influencé par la réaction ultramontaine aux courants des idées libérales et démocratiques qui dominent le siècle.

Par exemple, Claude Galarneau rapporte ces paroles éloquentes du curé de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, qui voulait prendre de court le projet de fonder un collège laïque à Kamouraska. Il entendait fonder

15. Le Bas-Canada, 1791-1840. Changements structuraux et crise, Ottawa, Éditions de l’université d’Ottawa, 1976.

16. Ce n’est qu’à la fin du siècle que des penseurs comme le conservateur Paul Bourget ou l’ultra-légitimiste Charles Maurras feront du classicisme un idéal conservateur. À l’époque du romantisme, le Moyen Âge chrétien regagne plutôt en faveur parmi les royalistes et ultramontains.

17. C. GALARNEAu, Les collèges classiques, op. cit., p. 194.

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le sien avant la paroisse rivale. Le curé Painchaud écrit à Mgr Signay, coadjuteur de l’évêque de Québec, en 1829 :

[u]n esprit d’insubordination et d’irréligion machine dans les ténèbres un système de subversion générale et la tentative qu’on vient de faire contre le collège de Sainte-Anne est de ce genre. On cherche à faire ici ce qu’on vient de faire dans la malheureuse France, soustraire l’éducation au contrôle ecclésiastique, c’est-à-dire porter un coup mortel au sanctuaire […]. Empressons-nous de nous emparer sagement et à temps opportun des lieux forts, avant que l’ennemi s’y fortifie18.

Le bon curé Painchaud, qui avait déjà lancé la construction de son collège, obtiendra l’approbation de l’évêché et le collège de la Côte-du-Sud sera finalement établi à Sainte-Anne et non à Kamouraska. Mais voilà qui nous interroge encore davantage. Certes, l’enjeu du maintien des collèges dans le giron ecclésiastique a plusieurs dimensions, du point de vue des intérêts de l’Église. Mais, s’il est idéologique au point où le décrit le curé Painchaud, comment expliquer qu’il semble avoir parti-cipé si fortement à la formation d’élites, plus précisément d’une classe moyenne dont des membres appartenaient pour la plupart aux profes-sions libérales, et acquise aux idées libérales et démocratiques nouvelles ?

Nous pouvons avancer deux hypothèses. Premièrement, que le per-sonnel enseignant n’était pas lui-même imperméable aux influences idéologiques modernes. L’influence d’un Lamennais en est un signe. La complexité d’une figure comme Chateaubriand, héraut du Génie du christianisme, en donne un indice : royaliste, légitimiste même, il défend pourtant une conception libérale de la monarchie, La monarchie selon la charte19. Ce n’est que graduellement que se développent une pensée contre-révolutionnaire ferme et une doctrine ultramontaine armée pour réfuter les « erreurs modernes », au xixe siècle.

Deuxièmement, l’humanisme classique n’induit pas de position idéologique univoque. Au contraire, l’humanisme classique permet de maîtriser par le fond et la forme une culture qui renvoie à une diversité de modèles politiques incarnés historiquement, même si les républicains modernes ont bien sûr puisé dans les modèles antiques.

18. C. GALARNEAu, op. cit., p. 23.19. François-René de CHATEAuBRIAND, De la monarchie selon la Charte (1816), dans

Œuvres complètes, vol. VII, Paris, Acamédia, 1997 (édition numérisée de l’édition de Paris, Garnier, 1861).

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En ce sens, le collège classique ne conditionnait pas à une idéologie politique : plutôt, cette culture colore profondément l’idéal mis de l’avant et détermine aussi les moyens de le défendre. On ira jusqu’à avancer que cette culture est une arme dont disposa la députation canadienne dans ses luttes politiques.

Le lien entre cette formation et la vigueur de la députation cana-dienne depuis 1792, désarçonnant le parti anglais dans plusieurs débats (comme celui sur la langue officielle de l’Assemblée législative en 1793 ou la levée de taxes pour le financement des prisons en 1805), est une question à approfondir. Il a fallu attendre des travaux récents, notam-ment ceux de Marc André Bernier, pour faire ressortir l’importance politique de l’étude de la rhétorique dispensée dans les collèges clas-siques dans la maîtrise de l’art oratoire.

Dans une étude consacrée à la figure du patriote orateur20, Marc André Bernier a dégagé trois traditions fortes d’enseignement de la rhétorique au Bas-Canada à la fin du xviiie siècle et au début du xixe siècle. La première, d’origine jésuite, est celle du bel esprit, à asso-cier à la culture de la cour. Celle-ci décline au début du xixe siècle. La seconde, plus conservatrice et néoclassique, insiste sur la construction du raisonnement à l’école des maîtres antiques, notamment sur la force du syllogisme, sur Cicéron, Aristote et Quintilien. Elle domine dans le diocèse de Québec. Mgr J.-O. Plessis en est un des maîtres, mais Papineau, qui fit sa rhétorique à Québec, en a conservé une « rhétorique patricienne ». La troisième, de tradition oratorienne21 et diffusée dans le diocèse de Montréal par les Sulpiciens, insiste sur la rhétorique du cœur, les figures touchantes propres à remuer les pas-sions. Cet idéal, héritier des critiques philosophiques du xviie siècle et surtout jansénistes de la scolastique d’inspiration aristotélicienne, se confond avec les influences du courant romantique, plutôt que néoclassique, au début du xixe siècle. Toujours selon M.-A. Bernier, le patriote Édouard-Étienne Rodier, député de L’Assomption (blessé à Saint-Denis en 1837), élève du collège de Montréal, en retira une « rhétorique plébéienne ». Il défend éloquemment le principe de la souveraineté du peuple en mettant en pratique les enseignements de cette école de rhétorique.

20. « Patriotes et orateurs : de la classe de rhétorique à l’invention d’une parole rebelle », Voix et images, n° 78, printemps 2001, p. 496-513.

21. Voir Marie-Madeleine COMPÈRE et Dominique JuLIA, Les collèges français, 16e-18e siècles, 2 t., Paris, INRP et CNRS, 1984-1988.

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20 la culture des patriotes

Nous l’avons noté, cette culture humaniste ne mène pas nécessaire-ment à l’idéal démocratique : elle marque profondément les élites euro-péennes et occidentales de toutes tendances idéologiques. Pourtant il est aisé de voir l’importance que peut avoir la fréquentation de Cicéron et Aristote, de la république romaine et de la démocratie athénienne, pour les démocrates du tournant des xviiie et xixe siècles. Le néoclassicisme est d’ailleurs une esthétique étroitement associée au républicanisme de la fin du xviiie siècle.

Les Patriotes mobilisent bel et bien une esthétique et des références qui concordent avec le néo-classicisme, en phase avec l’esthétique des nouvelles républiques états-unienne et française. En effet, à l’époque du néo-classicisme et du pré-romantisme, les institutions des deux grandes et nouvelles républiques épousent principalement l’esthé-tique néo-classique, du Capitol de Washington au Panthéon français. Même si l’époque est aussi en cause, il était séant que le Parlement du nouveau Dominion canadien, en 1867, soit néo-gothique, bien sûr à l’anglaise, en référence à celui de Londres et au style gothique anglais qui devient alors l’image de marque de l’Église anglicane. La nouvelle basilique Notre-Dame de Montréal en est une illustration locale. Construite dans les années 1820, mais décidée dès le début du siècle, on présente ainsi le choix du style de la nouvelle église : « L’architecte optera, avec le Conseil, pour un style néo-gothique, style alors à la mode en Europe et aux États-unis22. » Ne pourrait-on en dire plus ? C’est que le gothique est encore plus français qu’anglais et sera porté par le mouvement romantique, plus conservateur et monarchique, du moins à ses débuts (jusqu’à Hernani environ), en continuité et en conformité avec Chateaubriand, dans le monde français et catholique aussi bien qu’ailleurs en Occident.

En contrepartie, le portrait de Papineau peint en 1836 par Antoine Plamondon le représente avec un volume de Cicéron à la main23. Cette référence est bien sûr une clé de lecture républicaine. Cicéron, défen-dant la République contre César, comme jadis Démosthène, dans ses Philippiques, défendit la démocratie athénienne contre les visées hégé-moniques du monarque macédonien, faisait alors figure de penseur modèle pour les républicains. Ici, dans l’importance de l’humanisme classique dans la culture des Patriotes, la forme et le fond se rejoignent

22. http://www.basiliquenotredame.ca/fr/basilique/historique.aspx, page consultée le 23 mai 2010.

23. Musée des beaux-arts du Canada.

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Table des matières

Remerciements 9

présentationLa culture des patriotes, un objet encore méconnu ?par Charles-Philippe Courtois 11

chapitre 1Aux sources du républicanisme québécoispar Bernard Andrès 25

Autour de la guerre d’Indépendance américaine 26Mesplet, Jautard et la Gazette littéraire de Montréal 27Laterrière et Pélissier 29

Vers la Révolution française 32Pierre du Calvet 32Henry-Antoine Mézière 34

Pour conclure 41

chapitre 2Pierre Bédard et les patriotes de 1810par Gilles Gallichan 43

Les origines familiales 44Le cheminement culturel et politique 47un programme et une pensée politique 50L’opposition majoritaire 51Le conflit 53L’héritage patriote 56

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chapitre 3La culture des patriotes, entre appropriation et occultationpar Lucille Beaudry et Marc Chevrier 59

La domination coloniale, les idées des patriotes et la culture politique au Bas-Canada 60

Le grand récit whig québécois 64Les Rébellions de 1837-1838, une lutte de libération nationale 70L’histoire sociale au Québec ou l’antihumanisme en histoire 72Des petits récits et du renouveau républicain 75une petite excursion en pays tory canadian 81Conclusion 84

chapitre 4Nation et république chez les patriotespar Charles-Philippe Courtois 85

une originalité masquée par le voile de l’oubli et du conformisme 86Le consensus whig et bonne-ententiste 88Le nationalisme de Mercier à Groulx et les patriotes 93

Nationalisme et républicanisme : une antithèse ? 103La question du progressisme 103La souveraineté du peuple bas-canadien,

une souveraineté nationale ? 111

chapitre 5Louis-Joseph Papineau et les enjeux locaux à la veille de la rébellion de 1837par Gilles Laporte 119

Le rôle des conflits locaux 121Papineau et la radicalisation du discours patriote 124Papineau et les enjeux locaux 130

chapitre 6Rome et la république dans la culture politique des patriotespar Louis-Georges Harvey 141

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chapitre 7Survivre à la défaite de 1837par Éric Bédard 157

Nation et progrès 1591840 : les véritables options 166

chapitre 8Le lion ne s’informe jamais du nombre des moutonspar Stéphane Kelly 175

La vertu et la loyauté 177Liberté et virilité 180Trois courants idéologiques 183Républicanisme et totalitarisme 185

chapitre 9Aristote, Papineau, le Léviathan canadien et la politeia bas-canadiennepar Marc Chevrier 189

Le Léviathan colonial canadien, entre Hobbes et Locke 191Les Politiques d’Aristote et la politeia patriote 195

postfaceLe temps des Rébellions. De l’Antiquité rêvée à la liberté des Modernes par Marc André Bernier 209

bibliographie sélectiveLe républicanisme et la culture politique du mouvement patriote 219

Index 225

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cet ouvrage est composé en minion corps 11selon une maquette réalisée par pierre-louis cauchon

et achevé d’imprimer en août 2012sur les presses de l’imprimerie marquis

à montmagny, québecpour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion

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