La bio peut-elle nourrir le monde ?

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    LELOT ENACTIONn81-vendredi215avril2104PNP

    LE LOT EN ACTION n 89 - vendredi 27 mars 2015 P 15

    Petite histoire des engrais chimiques

    Le baron Justus Von Liebig (18031873), chimiste allemand dcouvre en 1840 la facult du salptre (ou nitrate) dacclrer laccroissement des plantes. Le message est dabord entenduen Angleterre. Les anglais, peuple pionnier en agriculture, importent des tonnes de guano et denitrates du Chili. Dans les annes 1860 la Grande Bretagne consomme 500 000 tonnes dengrais,autant que tout le reste de lEurope et 10 fois plus que la France.

    Puis les grands travaux de la fin du 19me sicle, et surtout les conflits arms, viennent changerla donne : il faut de plus en plus de nitrates pour les explosifs ! Le conflit mondial de 1914-1918 ac-clre le dveloppement de cette industrie et ds la guerre finie, lagriculture devient un dbou-ch naturel pour les produits azots de synthse. Mais la vraie bascule s'opre aprs la deuximeguerre mondiale. Les liberty ships du plan Marshall dversent sur lEurope les normes surplusde nitrates librs par lindustrie de guerre amricaine et des tracteurs par dizaines de milliers. Ilfaut reconstruire les villes, il faut nourrir les populations tout en prlevant dans le milieu agricole

    lessentiel de la main duvre ncessaire. Il faut surtout fourbir les armes dune nouvelle guerre,une guerre froide qui se mne dabord sur le terrain de lconomie. La course au rendementest lance, cest le dbut des trente glorieuses , ces annes de dveloppement productiviste quise sont acheves dans la plus grande confusion, laissant la place au libralisme faon Thatcher.

    Notons qu'en ce qui concerne les pesticides, avant la premire guerre mondiale, les pesticidesemploys taient des drivs de composs minraux ou de plantes. Ce sont les armes chimiquesde la premire Guerre Mondiale comme le fameux gaz moutarde (compos de chlore) qui assu-reront un nouveau dbouch industriel pour les pesticides, une fois le conflit termin...

    LPourtant d'autres voies existent. Ilsuffit de regarder un peu par-des-sus notre paule, de nous tournervers le pass. Car n'oublions pas quece que nous qualifions d'agriculturebio aujourd'hui n'est autre choseque ce qu'ont toujours pratiqu nosaeux depuis des sicles, avant l'ap-parition des engrais chimiques et

    des produits phytosanitaires de lamme origine, c'est dire la fin du19me sicle (voir l'encadr Petitehistoire des engrais chimiques ).Songez qu' cette poque, la surfacecultive par les marachers parisiensreprsentait jusqu 6 % de la sur-face de Paris intra-muros et permet-tait de nourrir Paris toute lanneavec une importante varit de fruitset lgumes Il y a donc 170 ans, lestechniques agricoles dite inten-sives , aujourd'hui pratiquementabandonnes, permettaient d'obte-nir des rendements suprieurs ceque les mthodes de productions ac-

    tuelles n'arrivent pas galer, mmeavec l'aide des biotechnologies mor-tifres ! Des marachers tentent au-jourd'hui de se rapproprier ces m-thodes presque oublies.

    L'exemple de Cuba est galementimpressionnant et nous aide nousdfaire de la pense unique en ma-

    tire agricole. la suite de la chutedu mur de Berlin, en 1989, et del'effondrement du bloc sovitique,l'le des Carabes perd sa principalesource d'approvisionnement en p-trole, matriels agricoles et engraischimique. Le blocus amricain seresserre. Pour ne pas mourir de faim,la population n'a d'autres choix que

    de cultiver elle-mme crales et l-gumes sur le moindre terrain vaguedisponible. clairage sur cette rvo-lution agrocologique qui fait rverles colos du monde entier !

    Enfin en matires de semences,de biodiversit, les pratiques crimi-nelles de l'industrie (qui cherche de-puis des annes mettre la main surle vivant) ont terriblement appauvrinotre patrimoine et nos savoir-faire.Petit clairage sur les mthodes dePascal Poot, paysan Lodve, quidepuis des annes slectionne na-turellement ses semences, arrivant

    ainsi faire pousser ses tomatessans eau ni pesticides.

    Comment produire aujourd'hui unenourriture saine, proximit desconsommateurs, en respectant l'hu-main et l'environnement ? L'enjeu estde taille, puisqu'il s'agit aujourd'huide nourrir plus de 7 milliards d'tres

    humains, avec des concentrationsurbaines inhumaines (Tokyo 40

    millions d'habitants, Dheli 24 mil-lions, Mexico, Bombay, Pkin etNew-York 20 millions, Rgion pari-

    sienne 13). C'est ce que nous vousproposons de dcouvrir dans ce dos-sier.Notes :(1) Visitez le site du Rodale institute :http://rodaleinstitute.org/

    Suite du dossier pages suivantes >

    Dossier prpar par Bluboux

    La question est rcurrente dans la presse colo.

    La rponse est oui, bien videmment, et les tudes l'ont dmontr

    de maintes reprises. Je ne prendrai que l'exemple de l'tude

    comparative amricaine du Rodale Institute of Pensylvania(1), mene

    sur plus de 30 ans, qui a constat que les rendements en bio galent

    ceux en conventionnel, soulignant au passage que les cultures

    biologiques sont plus rsilientes.Ainsi, le rendement du mas en bio est suprieur de 31 % celui

    constat en conventionnel en priode de scheresse et de 13 %

    par rapport celui de Monsanto, pourtant vendu par la firme

    amricaine comme tolrant la scheresse .

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    P 16 LE LOT EN ACTION n 89 - vendredi 27 mars 2015

    Pascal Poot est producteur bio de se-mences depuis 20 ans. Install sur 3 ha

    Olmet dans les Cvennes (Hrault), dansune rgion au climat aride, il conserve en-viron 400 varits de tomates (il a cr le Conservatoire de la tomate ) et autresvarits lgumires anciennes.La particularit de sa production : il n'ar-

    rose pas les plants, ne les entretient pas,et n'utilise aucun engrais ni pesticide ! Et

    ses plants produisent jusqu' 25 kg de to-mates chacun !

    duquer les lgumes pour leur apprendre

    se dfendre eux-mmes

    Pourquoi les agriculteurs et les jardi-niers se donnent-ils tant de mal cultiverleurs lgumes alors qu' ct les mauvaisesherbes poussent facilement sans rien exi-ger ? C'est sur la base de ce constat quePascal a dvelopp une mthode qui luipermet aujourd'hui de cultiver et de slec-tionner ses tomates sans arrosage (uni-quement la plantation). Tout le mondeessaye de cultiver les lgumes en les pro-tgeant le plus possible, moi au contrairej'essaye de les encourager se dfendre

    eux-mmes explique Pascal dont le secretest de crer ses propres semences, rsis-tantes la scheresse et aux maladies.

    Pascal fait germer ses graines en utilisantla technique des couches chaudes (voir ar-ticle Marachage : produire plus sur unepetite surface dans ce dossier central),puis les plante sur son terrain et ne s'en oc-cupe plus jusqu' la rcolte.Comment est-ce possible ? La plupart

    des plantes quon appelle aujourdhui

    mauvaises herbes taient des plantesque lon mangeait au Moyen-Age, commelamarante ou le chiendent... Je me suistoujours dit que si elles sont si rsistantesaujourdhui cest justement parce que per-sonne ne sen est occup depuis des gn-rations et des gnrations. Tout le mondeessaye de cultiver les lgumes en les pro-tgeant le plus possible, moi au contrairejessaye de les encourager se dfendre

    eux-mmes. Jai commenc planter destomates sur ce terrain plein de cailloux il ya une vingtaine dannes, lpoque il nyavait pas une goutte deau.Tout le monde pense que si on fait a

    toutes les plantes meurent mais ce nestpas vrai. En fait, presque tous les plantssurvivent. Par contre on obtient de toutespetites tomates, ridicules. Il faut rcolterles graines du fruit et les semer lanne sui-vante. L on commence voir de vraies to-mates, on peut en avoir 1 ou 2 kg par plant.Et si on attend encore un an ou deux, alors

    l cest formidable. Au dbut on ma prispour un fou mais au bout dun moment,les voisins ont vu que javais plus de to-mates queux, et jamais de mildiou, en

    plus, alors les gens ont commenc par-ler et des chercheurs sont venus me voir ,explique Pascal.

    Celui qu'on a pris pour un fou inspireaujourd'hui les plus grands chercheurs : Pascal Poot slectionne ses semencesdans un contexte de difficult et de stresspour la plante, ce qui les rend extrme-ment tolrantes, amliore leur qualit gus-tative et fait qu'elles sont plus concentresen nutriment explique Bob Brac de la Per-rire, biologiste et gnticien des plantes,et coordinateur de l'association environne-mentale Bede, qui qualifie le travail de Pas-cal Poot d'unique.

    Pascal Poot, fils d'agriculteurs et autodi-dacte, intervient et prsente aujourd'hui

    le fruit de ses recherches en cole d'ing-nieurs agronomes et travaille en collabo-ration avec les organismes de rechercheagronomique.

    En savoir plus :

    Lire le reportage de Rue 89 consacr Pascal :

    http://bit.ly/1BIqbKE

    Voir le reportage d'Arte sur la ferme et les mthodes de Pascal :

    http://bit.ly/1EJnaOO

    1989. Chute du Mur de Berlin. Deux ans plustard, effondrement du bloc sovitique. Cuba

    perd alors son principal fournisseur de ptrole,de matriel agricole, dengrais chimiques etautres pesticides. Avec la disparition de lURSS etdes anciens pays de lEst, qui achetaient ses pro-duits prix constants, lle perd aussi des mar-chs juteux, notamment celui du sucre, dontelle exportait 85 % de sa production. Tous lesingrdients sont runis pour que le pays plongedans le chaos. Dautant que le blocus amricainse resserre. Pour Cuba, cest le dbut dune nou-velle re, de cette priode spciale en tempsde paix annonce en 1992 par Fidel Castro etqui durera cinq ans, autrement dit une priodede grave crise conomique : le produit intrieurbrut (PIB) chute de 35 %, le commerce extrieur

    de 75 %, le pouvoir dachat de 50 % et la popu-lation souffre de malnutrition.

    Ils ne savaient pas que ctait impossible,

    alors ils lont fait (Marc Twain)

    Ncessit fait loi. Afin de satisfaire ses be-soins alimentaires, la population se lance dansla culture de fruits et lgumes. Les Cubainsavaient faim, explique Nils Aguilar, ralisateurdu film Cultures en transition(1). Ce sont eux quiont fait les premiers pas en occupant les terresdans un mouvement spontan . Des milliersde jardins, organoponicos , fleurissent surdes petits lopins de terre, sur les terrasses, entreles maisons, sur danciennes dcharges, au mi-lieu des terrains vagues, bref dans le moindreinterstice laiss vacant. Outre la culture, on ypratique souvent llevage de petits animaux :

    poules, lapins, canards, cochons. Les princi-paux acteurs du mouvement agro-cologique,ce sont les paysans eux-mmes, affirme DorianFelix, agronome, spcialis dans lagrocologietropicale, en mission Cuba pour lassociationTerre et Humanisme(2). Ils ont expriment cespratiques, les ont valides et diffuses. Leurmobilisation et celle de la socit civile tout en-tire ont t, et reste, trs importantes.

    Le boom de lagriculture urbaineDans la foule, le gouvernement entame une

    transition force. Produire de la nourriture de-vient une question de scurit nationale. par-tir des annes 1990, laccent est mis sur la pro-duction locale, partir de ressources locales,pour la consommation locale. LEtat distribuedes terrains qui veut les cultiver et dveloppeune agriculture vivrire et biologique de proxi-mit : sans ptrole pour faire fonctionner lestracteurs, on recourt la traction animale ; sansengrais chimiques ni pesticides, on redcouvrele compost, les insecticides naturels et la luttebiologique. Cest une vritable rvolution verte, confirme

    Nils Aguilar. Dans ce pays, tout le monde estimpliqu, jai eu la surprise dentendre unchauffeur de taxi me vanter les prouesses delagrocologie ! Cuba dveloppe une agricul-ture post-industrielle et prouve que ces tech-niques peuvent nourrir les populations .Aujourdhui, la main-duvre agricole a tmultiplie par dix. Danciens militaires, fonc-tionnaires et employs se sont convertis oureconvertis lagriculture, car nombre dentreeux avaient t paysans auparavant. Chaque

    cole cultive son potager, les administrationsont leur propre jardin, fournissant les lgumesaux cantines des employs.Phnomne sans prcdent, lagriculture ur-

    baine sest dveloppe comme nulle part ail-leurs dans le monde. Lle compte prs de400 000 exploitations agricoles urbaines, quicouvrent quelque 70 000 hectares de terres

    jusqualors inutilises et produisent plus de 1,5millions de tonnes de lgumes. La Havane est mme de fournir 50% de fruits et lgumes bios ses 2 200 000 habitants, le reste tant assurpar les coopratives de la priphrie.

    Rvolution verte la cubaineEn 1994, les fermes dtat productivistes sont

    progressivement transformes en cooprativespour fournir en aliments les hpitaux, coles,

    jardins denfants. Quant au reliquat de la pro-duction, il est vendu librement sur les marchs.Universitaires, chercheurs, agronomes sont mis contribution pour diffuser les techniques delagrocologie. Un rseau de boutiques vendsemences et outils de jardinage bas prix,prodiguant galement aux clients des conseilsdexperts. Et dans toutes les villes du pays, onenseigne lagriculture biologique par la pra-tique, sur le terrain. Bien plus quun simpletransfert de connaissances technologiques, ilsagit de produire en apprenant, denseigneren produisant et dapprendre en enseignant. L'impact de cette rvolution verte est mul-

    tiple : rduction de la contamination des sols,de lair et de leau, recyclage des dchets, aug-mentation de la biodiversit, diversificationdes productions, amlioration de la scuri-t alimentaire, du niveau de vie et de la san-t, cration demplois - notamment pour lesfemmes, les jeunes et les retraits. Cest aussiune politique moins centralise qui sest miseen place, donnant davantage de marge de ma-nuvre aux initiatives individuelles et collec-tives autogres. Le mot dordre dominant :

    Dcentraliser sans perdre le contrle, centra-liser sans tuer linitiative . Dans les villes, ceprincipe a permis de promouvoir la productiondans le quartier, par le quartier, pour le quartier,en encourageant la participation de milliers depersonnes dsireuses de rejoindre linitiative.Aujourdhui, Cuba produit pour sa consomma-

    tion plus de 70% de fruits et lgumes, ce qui nelui garantit pas une totale autonomie alimen-taire, dans la mesure o elle dpend encore desimportations de riz et de viande, notamment.Mais, selon les critres de lONU, le pays a unindice de dveloppement humain lev et unefaible empreinte cologique sur la plante . Sidemain les importations de nourriture devaientsarrter, les habitants seraient beaucoup moinsen pril que ceux dun pays comme la France,qui dispose seulement de quelques jours de r-serves dans ses supermarchs (daprs le Ceser- Conseil conomique, social et environnemen-tal Ile-de-France -, la rgion dispose de quatre

    jours de rserves alimentaires).Il aura fallu une crise pour que Cuba dcouvre

    les vertus de lagrocologie, de la permacul-ture, de lagroforesterie ou encore du sylvo-pastoralisme. Lle a-t-elle russi pour autant satransition nergtique ? En partie seulement.La consommation de ptrole a redmarr en1993 grce (ou cause de ?) la productionnationale et laide du Venezuela qui lui four-nit prs de 110 000 barils de ptrole par jour.Mais on peut parier que le pays ne pourra plusfaire machine arrire. Car au-del de la rvolu-tion agricole, les initiatives individuelles et col-lectives ont prouv que les Cubains pouvaient

    prendre en main leur destin. Une vritable r-volution culturelle !Source :Magazine Kaizen, article extrait du dossier du n11, juillet

    2014 (que vous pouvez commander sur leur site) :

    http://bit.ly/1G4LHQg

    Notes :

    (1) Film documentaire de 66 mn, commander sur le site :

    http://bit.ly/18SLH8Q

    (2) Site de Terre et Humanisme : http://terre-humanisme.org/

    La deuxime rvolution cubaineComment les cubains ont converti leur le au bio

    Par Frdrique Basset

    Tomates sans eau ni pesticide :

    cette mthode fascine les biologistes

    Les cologistes du monde en entier en rvent, les Cubains lont ralis.

    Depuis plus de vingt ans, lle sest convertie lagriculture biologique.

    Ncessit, possibilit et volont ont t les cls de cette success story !

    Dans l'Hrault, Pascal Poot a dvelopp une mthode qui lui permet aujourd'hui

    de cultiver et de slectionner prs de 400 varits de tomates bio, sans arrosage

    ni utilisation de produits phytosanitaires. Celui qu'on a pris pour un fou inspire

    aujourd'hui les plus grands chercheurs.

    Cuba, Jardin aux pieds des immeubles.

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    On entend de plus en plus parler ces dernires annes du succs dun modle

    de marachage bio intensif sur petites surfaces. Un tel modle permettrait davoir

    de forts rendements, sur un faible volume de terre, et permettrait de faire vivreplusieurs personnes sur une mme ferme. Mais de quoi sagit-il vraiment ?

    liot Coleman (maracher tats-unien)et Jean Martin Fortier (maracher qu-bcois) ont recens une partie de leurssavoirs et de leurs expriences et expri-mentations dans leurs ouvrages (cf biblio-graphie). Certains marachers en Aveyronont choisi dexprimenter ce type de mo-dle productif. Cest donc au croisementde tout cela que nous vous prsentons lesgrands principes de ce modle de produc-tion, ses avantages et ses inconvnients.

    Une pratique qui ne date pas dhierCes techniques de production dites bio

    intensives font rfrence une mthodehorticole qui cherche maximiser le rende-

    ment dune surface en culture, avec le sou-ci de conserver, voire damliorer la quali-t des sols. Cette mthode horticole prendson inspiration chez les marachers franci-liens du XIXmesicle. cette poque, la surface cultive par lesmarachers parisiens reprsentait jusqu6 % de la surface de Paris intra-muros. Cesystme permettait de nourrir Paris toutelanne avec une importante varit defruits et lgumes. Le principe de base taitde cultiver des planches sur couche chaude base de fumier de cheval en dcomposi-tion, protges par des chssis. Ce qui leurpermettait de compter sur des cultures h-tives. Les cultures hors chssis taient pro-tges par des cloches en verre de 45 cm

    de diamtre, disposes touche touche,qui pouvaient toutes tre recouvertesdune longue natte de paille les nuits degrand froid.La surface moyenne des jardins taient

    comprises entre 4 000 et 8 000 m. Lesalles et les chemins daccs qui parcou-raient le jardin ne mesuraient que 25 cmde large. A peine de quoi passer pied.

    La technique de plantation intensiveconsistait mettre sur un mme rang plu-sieurs varits de lgumes. Par exemple, ilssemaient sur des couches chaudes un m-lange de carottes, radis, et y installaientdes plants de laitues. Ce qui leur permettaitde rcolter dabord les radis, qui laissaientla place aux carottes de pousser entre les

    salades. Et une fois les salades rcoltes,ils repiquaient des plants de choux-fleursparmi les carottes, qui une fois rcolteslaissaient la place aux choux pour de se d-velopper.Le systme mis en place par ces mara-

    chers en le-de-France tait incroyablementproductif, puisque leur moyenne bassetait de 4 rcoltes par an sur la mme par-celle et pouvait aller jusqu 8.

    Tmoignage de paysans : les lmentscls dune culture bio-intensive

    Jean Martin Fortier et Sylvain Couderc :2 pionniers

    Jean Martin Fortier et Maude-HlneDesroches sont installs depuis 2002comme marachers au Qubec. Ils ont optpour un modle de micro ferme en ma-rachage diversifi intensif. Depuis 2004,ils sont installs Saint-Armand, comtde Brome-Missisquoi au Qubec : les jar-dins de la Grelinette. Cest aujourdhui sur8 000 m quils produisent de quoi vendre

    200 paniers de lgumes en ASC (lquiva-lent des AMAP au Qubec).

    Sylvain Couderc (Jardins de la Valette),quant lui, entame sa troisime saisoncette anne. Il a lui aussi choisi de sins-taller selon le modle de micro-ferme .Les Jardins de la Valette se situent Sainte-Croix, prs de Villefranche-de-Rouergue.Lendroit est situ 280 m daltitude, et apour particularit davoir une terre amou-reuse (plutt argileuse), un climat assezdoux et trs peu de vent. Il est install surune surface de 4 000 m dont 300 m deserre en verre (en construction).

    Toute sa commercialisation se fait envente directe (marchs et paniers) davril mi-dcembre.

    Bien quune culture bio-intensive soitplutt associe la culture potagre ounourricire, certaines techniques de cetteapproche semblent galement valablespour une production chelle commer-ciale. Pour une culture de lgumes inten-sive sur petites surfaces, on part du premierprincipe quon nutilise pas de tracteur. partir de l, la configuration desplanches, et du jardin, ne prendra pluscomme rfrence de base la largeur dutracteur. Ceci est motiv par plusieurs rai-sons, et notamment le fait de pouvoir opti-miser une bonne partie de lespace foncierproductif en conomisant sur les alles etles bouts de rang.

    Il est crucial doptimiser lamnagement

    de son espace de cultureJean Martin Fortier souligne limportance

    de bien organiser son espace de travail, no-tamment par rapport la circulation. Lesespaces de cultures sont standardiss : celapermet de faciliter la gestion des cultures,lachat des semences, le calcul de la pro-duction, etc.Cet amnagement permet denjamber fa-

    cilement une planche sans la pitiner, touten assurant le passage ais dune brouette.Au niveau de la longueur des planches,chacun peut choisir ce quil estime le plusadapt. Lide retenir est quelles de-vraient toutes tre de la mme dimen-sion afin de permettre luniformisationdes bches, lignes dirrigation, couvertures

    flottantes et autres types dquipement.Cela permet doptimiser le matriel et doncden avoir besoin en moindre quantit.Dans ce cadre-l, la planche devient donclunit de mesure (plutt que lhectare)pour tout ce qui concerne le calcul desdoses damendement, etc... Les planchessont ensuite regroupes en parcelles demme dimension ( des jardins ).

    Aux jardins de la Valette :

    1. Lorganisation finale de Sylvain consis-tera avoir 10 jardins de 10 planches, soit100 planches permanentes. Pour le mo-ment, il fonctionne avec 78 planches, sansserre fixe, qui est en construction.

    2. Une zone de 300 m est consacre uneserre en verre qui est en cours de construc-

    tion.3. Une petite zone de jardin, faite de 3planches, est consacre la culture de ver-dures vivaces (oseille, rhubarbe, aill). Cetespace demande trs peu dentretien : undsherbage grossier lautomne, et pasdarrosage. Elle permet davoir un compl-ment de production pour le dbut du moisdavril quand les ventes recommencent.

    4. Une petite zone de 600 m en petitsfruits rouges est mise en place tout autourde ltang, en vue de diversifier lactivit etla biodiversit.

    5. Une zone dune cinquantaine darbres enplein vent non taills a t implante. Ellea pour vocation, termes, datteindre 200arbres.

    6. Une autre parcelle de 1 000 m non ir-rigue est consacre aux cultures de pleinchamps (courges, oignons, ail). Elle estconstitue de 3 jardins, avec un systmede rotation : courges, puis oignons, puisail, puis engrais verts.

    Le choix dun travail minime du solCe mode de production choisit de travail-

    ler le sol en surface surtout, privilgiant lelabour biologique, cest--dire consid-rer que les micro-organismes, les racinesdes plantes et la faune du sol sont appels faire une bonne partie du travail. En mi-lieu dt, chez Jean Martin Fortier, la pr-paration dune planche avant un semis sepratique de la manire suivante :

    1. Sur planches permanentes : engrais vertset rsidus de cultures sont broys par unetondeuse flau.

    2. Quand un rsidu dengrais vert est pais :enfouissement partiel avec un rotoculteur 8 12 cm de profondeur avec un passagerapide. Sinon, ils sont laisss la surface.

    3. Dpt dune bche noire sur la planchedurant 2 3 semaines - permet dtoufferet dassainir les vieilles cultures.

    4. Aration du sol par le passage dune gre-linette.

    5. Amendements ensuite pandus sur laplanche, puis incorpors laide duneherse rotative rgle 5 cm. La herse rota-tive est munie larrire dun rouleau quiplombe et galise la surface de la planche.

    Les bches et les couvertures

    de sol avant les cultures

    Un des grands problmes rsoudre taitdarriver nettoyer une planche de ses r-sidus de culture et des mauvaises herbessans avoir recours au rotoculteur. Pour cela,lutilisation de bches de polythylne noirtrait UV a paru vite une technique effi-cace : lexprience montre que 3 semainesde couverture du sol avec ces bches d-

    truisent tous les rsidus de cultures, lais-sant une surface de planche trs propre.Aprs plusieurs essais, cette techniquea montr la diminution importante desmauvaises herbes dans les cultures subs-quentes. Cela sexplique par le fait que :les mauvaises herbes germent sous labche, qui cre des conditions humides etchaudes, avant dtre dtruites par lab-sence de lumire.

    Aux jardins de la grelinette, les bchessont dimensionnes pour couvrir une lar-geur de deux, quatre, six ou huit planches.Elles sont livres la plupart du temps enrouleaux. Avant de les installer, il est impor-tant de faire des trous la perceuse dans lerouleau, de manire permettre leau desvacuer sous la bche, et la rendre moinslourde dplacer une fois installe.

    Plusieurs marachers en Aveyron com-mencent tester cette technique etsemblent dailleurs en tre satisfaits. Danscette mthode de production, le travail mi-nime du sol va de pair avec la mise en placede planches permanentes.

    Les planches permanentes

    Les planches permanentes sont utilisespour diffrentes raisons par ceux qui lespratiquent. Elles permettent dobtenir :- un sol meuble en profondeur, ncessaireaux espaces optimaux- un meilleur ressuyage du sol- un rchauffement htif au printemps- une meilleure rtention de lhumiditdans le sol- btir une structure de sol rapidement enconcentrant la surface qui reoit les amen-dements de matire organique- viter les gros travaux de labour nces-saires au faonnage de nouvelles plancheschaque anne.

    Mettre en place des planches permanentesest un travail assez fastidieux : prparation

    du terrain en amont (labour au rotovator,passage du cultivateur) et amnagementdes planches le plus souvent la pelle, puistravail du sol en surface (avec la herse ro-tative et la grelinette). Bien que fastidieux,la mise en place na lieu quune fois. Pourla hauteur des buttes, Jean Martin Fortierrecommande de les pelleter 20 cm du sol.Aprs une ou deux saisons, la terre saffais-sera et offrira des planches dune hauteurallant de 10 15 cm. Cela dpend gale-ment de la nature de votre sol. Chez Syl-vain Couderc, les planches saffaissentcompte tenu dune structure trs argileuse.

    Une fertilisation organique

    Ce systme de production biologique in-tensif accorde une grande importance la

    fertilisation organique du sol. Cette fertili-sation organique passe par des apports encompost vgtal et animal.Une forte proportion damendements est

    apporte au moment de la constitution desplanches, et puis de manire rgulire en-suite, selon les besoins des cultures.

    Suite du dossier page suivante >

    Marachage :

    produire plus sur une petite surfaceCo-rdig par Sarah Delecourt et Pierre Boisseleau (APABA) en 2013

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    Attention ! Comme tout principe de fer-tilisation, il sagit de bien connatre sonsol, pour faire les apports qui lui sont n-cessaires. Rien ne change avec ce mode deproduction !Dans son systme, Sylvain Couderc ap-

    porte lquivalent 10 tonnes / ha de com-post et d1 tonne / ha de fiente de poule.Rapport la surface totale de production,ces quantits sont bien amoindries.

    Un outillage adapt son systmede production pour le travail du sol

    La largeur de 75 cm / 80 cm tant de plusen plus utilise, un ensemble importantdoutils adapts existent aujourdhui.

    Le motoculteur commercial (two wheeltractor) : il est plus puissant quun moto-culteur de jardin et permet dy atteler lesdiffrents outils de travail du sol adaptsde 75 cm de large (adapts la configura-tion des planches).

    La herse rotative : outil qui a des dents quipivotent sur un axe vertical. Il permet demlanger le sol, plus que de le pulvriser.Elle est aussi quipe dun rouleau qui per-met de plomber la surface de planche. Le

    passage dune herse rotative permettraitdobtenir une planche parfaitement condi-tionne pour la transplantation et les semisen plein sol.

    La tondeuse flau : elle est utilise pourbroyer les engrais verts et les rsidus deculture avec facilit, et sans touffer lap-pareil. Chose qui arrivait rgulirementavec le rotoculteur. En effet, elle permet dedchiqueter les cultures en morceaux, cequi permet de les enfouir facilement.

    La grelinette : la grelinette a t inventepar M. Grelin dans les annes 1960.Cest un outil manuel : une longue fourche

    en forme de U qui permet de travailler lesol en profondeur sans le retourner. Cestun outil ergonomique qui permet de tra-

    vailler avec le dos bien droit. Lusage de cetoutil pour une production commerciale pa-rait laborieux. En revanche Jean Martin For-tier met en avant le fait que cest un outiltrs pratique pour arer le sol. Il est prin-cipalement utilis pour les cultures dontles racines ncessitent un travail du sol enprofondeur. A un bon rythme, lutilisationdune grelinette sur une parcelle entire(16 planches de 30 m) exige moins dunedemi journe de travail. Les nouvelles gre-linettes, appeles broadfork sont pluslarges que loutil original : elles ont une lar-geur de 75 cm (quivalent donc la largeurde la planche).

    Les binettes manuelles : il en existe desmodles de diffrentes tailles selon les

    cultures travailler. Elles permettentde dsherber sur les planches, entre lescultures. Elles sont trs utilises, une foisles cultures en place.

    Les tunnels et diverses couvertures : cesoutils sont principalement utiliss pourforcer les cultures au printemps et pro-longer la saison pendant lautomne. La plu-part des marachers bios utilisent ces ou-

    tils, quils soient en production intensivesur petite surface ou non. Nous ne noustendrons pas plus sur le sujet, si ce nestsur le tunnel-chenille encore peu utilis.

    Le tunnel - chenille : tunnel simple et nonpermanent qui recouvre 2 4 planchespermanentes. Ces structures se montent etse dmontent facilement, et peuvent donctre transportes nimporte o sur le ter-rain. La mobilit dun tunnel-chenille per-met de concilier la rotation des culturesavec les bnfices de cultiver sous abri.Vous pouvez vous-mmes fabriquer voschenilles avec des tuyaux de PVC et unebche de polythne.

    Les serres mobiles : elles ont la mme uti-lit que les tunnels chenilles, avec plus dehauteur. Sylvain en a fait construire unesur-mesure, en fonction de ses planches,mobile (2 heures 2 personnes) et qui

    est dplace 3 fois dans lanne, sur diff-rentes cultures :Carottes primeur : semes en fvrier, abri-tes pendant 2 mois, jusquau dpart deculture.Aubergines : plantes en avril, abritespendant toute la dure de la culture.pinards : sems au mois daot, abrits

    partir du mois doctobre pour la fin dela culture.

    Le principal inconvnient de ces serresmobiles, cest quelles ne permettent pasde faire des cultures suspendues. Cestpourquoi, il est bien de pouvoir les com-plter avec un tunnel fixe.Filets anti-insectes : ils sont trs util iss. Ce

    ne sont pas des filets thermiques !

    Un filet peut prendre 4 planches, 2 planchesou 1 planche - au choix. Ils sont utiliss sys-tmatiquement pour les crucifres.

    La mise en culture

    Limportance du planning des cultures

    La planification de la production est unaspect fondamental du marachage diver-sifi, quel que soit son systme de produc-tion. On lui attribue souvent une large partdu succs.Voici les points cl de la planification des

    cultures.

    1. laboration du budget annuel : fixer lesobjectifs financiers pour pouvoir subvenir ses besoins.

    2. Les objectifs financiers doivent ensuite

    se traduire en objectifs de vente, qui leurtour, servent dterminer une productionconsquente.

    3. Dcider du type et de la quantit de l-gumes quil faudra cultiver pour atteindreses objectifs de production. Cest lexercicele plus difficile.

    4. laborer un calendrier de production qui

    permette de faire le plan de ses jardins.

    5. La dernire tape de la planification estle suivi par prises de notes, qui seffectue

    durant la saison de production (dans unagenda par exemple).

    Semis et plantations

    Chez Sylvain Couderc, le choix a t fait desemer trs peu de choses, et de privilgierle repiquage de plants. Ce choix est motivpar diverses raisons :

    1. cela permet davoir quelque chose deplus standard, de plus rgulier.

    2. On gagne du temps sur la prparationde la planche.

    3. Faire soi-mme ses propres plants consti-tue une autre activit part entire : un es-pace et un matriel spcifique dans lequelSylvain na pas eu envie dinvestir pour le

    moment. Pour semer, on peut utiliser diff-rents types de semoirs selon ce quon veutsemer.

    4. Le sme-tout est un outil trs pra-tique. Il dispose de diffrents disques. Ilfonctionne bien, mais ne sme pas beau-coup. Trs utile pour les haricots verts, lesnavets et les radis. Pour les carottes, il estplus pratique dutiliser un petit semoir.Pour le mesclun, le mieux est dutiliser lesemoir mesclun, qui permet davoir plu-sieurs rangs la fois: 10 rangs par planche.

    Avantages et inconvnients

    Jean Martin Fortier met en avant le faitque cest aprs plusieurs annes dexp-riences et dexprimentations dun travail

    minime du sol quil a fini par trouver unquilibre satisfaisant entre la thorie etla pratique. Pour celles et ceux qui d-marrent un projet agricole, une dimensionme semble importante prciser : si le tra-vail du sol est une ide qui vous inspire,celle-ci devrait davantage sinscrire dansune dmarche que dans une doctrine. Lim-portant durant les premires annes, estdarriver produire et il ne faut pas car-

    ter trop vite les solutions prouves par lesmarachers chevronns.Il est difficile pour Sylvain de raliser plei-

    nement quels sont les avantages et incon-vnients de ce systme de production, no-tamment parce quil na pas exprimentun autre systme.En revanche, il met en avant le fait quil ne

    se serait pas install maracher autrementquavec ce systme de production. Cela,pour plusieurs raisons : cest un systmequi permet de faire trs peu dinvestisse-ments au dmarrage, et de cette manire,jai limpression davoir moccuper duntrs grand jardin diversifi .Il y a un aspect assez scurisant, du fait de

    la petite taille puisquil a le sentiment degarder la main mise sur ce qui se passe.Cest un systme qui demande de beau-

    coup anticiper (en termes de planification,de rotation, etc.) mais qui apporte aussiune certaine souplesse, du fait du nombreimportant des cultures. Un des autres avan-tages, cest que le l ivre de Jean Martin For-tier transmet une expertise, accessible, quiconstitue donc un guide pour dmarrer, letemps de se faire sa propre expertise.

    Pour aller plus loin :

    - Le jardinier maracher, Jean Martin Fortier, cosocit, 2012

    - Des lgumes en hiver, Eliot Colleman, Actes Sud, 2013

    - Manuel pratique de la culture marachre de Paris, Moreau et

    Daverne, 1845

    - Fiche technique Cultures en Planches Permanentes,

    Civam Bio 09

    - www.lesjardinsdelavalette.fr

    Source :FRAB Midi-Pyrnes - Fdration Rgionale des Agri-

    culteurs Biologiques - 61 alle de Brienne - BP 7044 - 31069 Tou-

    louse Cedex

    Tel/Fax : 05 61 22 74 99 - [email protected]

    www.biomidipyrenees.org

    Manuel pratique

    de la culture marachre

    de Paris

    Longtemps oublies, des tech-niques agricoles refont sur-

    face 170 ans aprs et inspirentaujourd'hui des pionniers d'uneagriculture la fois hyper pro-ductive et totalement naturelle.Ces savoir-faire sont aujourdhuiaccessibles tous travers unmanuel, publi en 1844 et r-cemment numris. Son nom :Manuel pratique de la culturemarachre de Paris.Consultable sur le site Gallica (BNF)au lien suivant :http://bit.ly/1xUMr3I.