Innovation sociale et politiques publiques : l'expérience de la Grande Bretagne

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Innovation sociale et politiques publiques : l’expérience de la Grande Bretagne Compte rendu du voyage d’étude co-organisé par la 27e Région et User Studio destiné à faire découvrir le meilleur de l’innovation sociale à une vingtaine d’élus régionaux, décideurs publiques et membres de la Fing. USER STUDIO

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Compte rendu du voyage d’étude co-organisé par la 27e Région et User Studio destiné à faire découvrir le meilleur de l’innovation sociale en Grande Bretagne

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Innovation sociale et politiques publiques : l’expérience de la Grande Bretagne

Compte rendu du voyage d’étude co-organisé par la 27e Région et User Studio destiné à faire découvrir le meilleur de l’innovation sociale à une vingtaine d’élus régionaux, décideurs publiques et membres de la Fing.

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Sommaire Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 Liste des participants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Profils des organisations britanniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

Synthèse et analyses

Synthèse du voyage d’étude.Article d’Anne Daubrée, responsbale de la veille à la 27e Région . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

L’innovation sociale dans le contexte britannique.Extraits des comptes rendus de déplacement de Muriel Martin Dupray, directrice générale adjointe, Région Champagne-Ardenne et Sylvie Depraetere,

Assistante auprès de la délégation du SRADT , Région Nord-Pas de Calais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

DEFINITIONS : Voyage dans l’innovation sociale britannique (1/3) : Qu’est-ce que l’innovation sociale ?Article d’Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’Internet Actu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

CAS D’ETUDES : Voyage dans l’innovation sociale britannique (2/3) : Comment concrètement changer la société ?Article d’Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’Internet Actu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

ENJEUX : Voyage dans l’innovation sociale britannique (3/3) : Quelles sont les limites de l’innovation sociale ?Article d’Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’Internet Actu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

Mise en perspective

MISE EN PERSPECTIVE dans le contexte français : témoignage de Muriel Martin Du-pray - région Champagne-ArdenneExtraits des comptes rendus de déplacement de Muriel Martin Dupray, directrice générale adjointe, Région Cham-

pane Ardenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 CONCLUSIONStéphane Vincent, directeur de la 27e Région . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

Références

Pour en connaître davantage sur le thème de l’innovation sociale : références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

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SourcesCe document est une compilation d’articles, comptes-rendus et extraits des écrits des participants suivants :

Articles d’Anne Daubrée, responsable de la veille à la 27e Région;

Compte-rendu de déplacement de Sylvie Depraetere, assistante auprès de la déléga-tion du SRADT;

Articles d’Hubert Guillaud, rédacteur end chef d’Internet Actu;

Compte-rendu de déplacement de Muriel Martin-Dupray, directrice générale adjointe et Bertrand Rigal, Chargé de mission TIC, Région Champagne-Ardenne;

Articles de Stéphane Vincent, directeur de la 27e Région.

Édité par Matthew Marino (User Studio) et Stéphane Vincent (27e Région).

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Introduction

“Chaque année, avec le soutien de la Commission européenne dans le cadre du pro-gramme Europ’Act, nous proposons aux Régions de prendre un bol d’air en découvrant les pratiques innovantes d’autres régions européennes. Du 11 au 13 mai 2009, nous avons choisi Londres pour explorer le meilleur de l’innovation sociale britannique, haut lieu du design de service et autres «user-driven projects» appliqués à l’éducation, l’envi-ronnement, le social ou la citoyenneté.”

Stéphane Vincent, directeur de la 27e Région, extrait du billet À la rencontre de l’innovation sociale britannique, 10 mai 2009, blog de la 27e Région (http://www.la27eregion.fr/A-la-rencontre-de-l-innovation)

Pour ce voyage, nous avons choisi de présenter l’innovation sociale en Grande-Breta-gne à travers des témoignages d’acteurs. Pendant trois jours, nous avons ainsi rencontré des think tanks, agences nationales, collectivités locales et agences de design de service qui se sont appuyés sur des cas d’études pour nous expliquer leur action.

Le document présent, qui est une compilation d’articles et de comptes rendus des participants français au voyage d’étude, tente de mettre en lumière l’approche britanni-que d’innovation dans les services publiques.

Matthew Marino, designer et co-fondateur de l’agence de design User Studio, et co-organisateur du voyage

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Liste des participants au voyage d’étude

Francine BAVAY, vice-présidente , Région Ile-de-France , Claire BERNARD, Directrice des études , Association des Régions de France Sylvie DEPRAETERE, Assistante auprès de la délégation du SRADT , Région Nord-Pas de CalaisHubert GUILLAUD, Rédacteur en Chef , Internet Actu Pierre-Jean LORENS, Directeur développement durable, prospective, évaluation , Ré-gion Nord-Pas de Calais Thierry MARCOU, Chef de projet «Villes 2.0» , Fondation Internet Nouvelle Génération Matthew MARINO, Designer , UserStudio Muriel MARTIN-DUPRAY, Directrice générale adjointe , Région Champagne-Ardenne Sylvie CHAPPELET, Chargée de mission Économie Sociale et Solidaire , Région Limou-sin Céline COLUCCI, Lyons-Infocités Anne DAUBRÉE, Veille , la 27e Région Christian PAUL, Vice-Président , Région Bourgogne Denis PELLERIN, Designer , UserStudio Bertrand RIGAL, Chargé de mission TIC Région Champagne-Ardenne Carole-Anne RIVIÈRE, Chef de projet «Plus longue la vie» , Fondation Internet Nouvelle Génération Romain THÉVENET, Chargé de mission design de services , La 27e Région Sophie TROUILLET, Développement culturel , Grand Projet des Villes Bassens - Cenon - Floirac - Lormont Stéphane VINCENT, Directeur de projet , la 27e Région Mathilde SARRÉ-CHARRIER, Responsable de l’Objet Recherche Futurology , Orange Labs Charlotte RAUTUREAU, Responsable Europe, la 27e Région Laura PANDELLE, étudiante , École Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI) - les Ateliers

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Profils des organisations britanniques

Think tanks

Counterpoint

Counterpoint est le think tank des relations culturelles du British Council. Depuis sa création en 2002, il anime une réflexion autour du futur des politiques publiques et des relations culturelles.

L’organisation rassemble des profils internationaux travaillant dans le champ des po-litiques publiques - acteurs de terrain, penseurs, écrivains, journalistes et élus - pour confronter leurs différents points de vue. Counterpoint fournit à la fois du conseil, organi-se des séminaires, conférences, et est à l’initiative d’un grand nombre de publications.

Site web :www.counterpoint-online.org

Représentants :Catherine Fieschi, directrice

Anciennement directrice du think thank Demos , Dr Catherine Fieschi a rejoint Coun-terpoint en novembre 2008. Elle s’intéresse à la manière dont les citoyens, les institutions et les organisations créent de nouvelles formes de réaction politique et sociale face au changement.

Catherine Fieschi est titulaire d’un doctorat en sciences politiques comparatives de l’Université Mc Gill, au Canada. Ses articles sont régulièrement publiés, notamment dans les revues Parliamentary Affairs, et Prospect.

Young Foundation

Young Foundation est un think tank britannique fondé en 2005 par son actuel di-recteur, Geoff Mulgan. Auto-proclamée centre pour l’innovation sociale, son activité est composée de projets concrets, d’une plateforme de création d’entreprises, de recherche et de publication. Issue de la fusion de l’institut d’études de la communauté et du cen-tre d’aide mutuelle, la fondation anime aujourd’hui différents programmes de soutien de l’innovation sociale.

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Site web :www.youngfoundation.org.uk

Représentants :Geoff Mulgan

Geoff Mulgan, directeur de l’unité stratégique du premier ministre, est un personnage influent du paysage politique londonien. Directeur de Young Foundation et anciennement fondateur du think tank Demos, il a conseillé les plus grandes nations au terme d’un parcours académique brillant et d’une retraite au Sri Lanka en temps que moine boudd-histe.

Collectivité locale

SILK (Social Innovation Lab for Kent)

Le SILK est le laboratoire d’innovation sociale “embarqué” du comté du Kent. Convain-cu que les meilleurs solutions proviennent des personnes qui sont au plus proche des problèmes, le SILK a été créé en 2007 pour appuyer et développer des projets compor-tant une approche centrée sur les usagers. Il tire ainsi partie des enseignements de ses projets pour enrichir la manière de concevoir les politiques publiques à venir.

Le SILK définit de futurs services, améliore et veille à la viabilité des services existants. Il développe aussi des méthodes pour transmettre cette approche de projet à tous les organismes des collectivités locales.

Le SILK est le premier laboratoire d’innovation sociale à intégrer un gouvernement local au Royaume-Uni.

Site web :http://socialinnovation.typepad.com/silk/

Représentants :Sophia Parker

Après avoir débuté sa carrière en tant que fonctionnaire, Sophia Parker a travaillé au Design Council ainsi qu’au sein du think tank Demos. Depuis 2006, elle est consultante indépendante dans le domaine des politiques publiques, notamment pour le SILK qu’elle a contribué à fonder. Sophia Parker s’intéresse particulièrement à l’innovation ascen-dante, le design de service et l’approche open source dans le contexte des réformes du service publique.

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Agences nationales

Design Council

Le Design Council est l’agence nationale du design oeuvrant pour la promotion et le développement du design en Grande Bretagne. Il informe les organisations des secteurs privé et public pour les aider à comprendre comment le design peut être un facteur de développement économique et d’amélioration de la qualité d’usage des services pu-blics.

Site web :www.designcouncil.org.uk

Représentants :Militza Vukovic, Responsable des relations avec le gouvernementEmily Thomas, Policy AdviserLucy Robinson, Assistant Project Manager, DottRobert O-Dowd, Executive Producer, Dott 07Sue.Hewer, Interim National Programme Manager, Dott

NESTA (National Endowment for Science, Technology and the Arts)

Le NESTA est l’agence nationale de la science, de la technologie et des arts, un or-ganisme qui a pour mission de rendre le Royaume Uni plus innovant. Le NESTA investit dans de jeunes entreprises et donne forme aux politiques publiques. Il initie des pro-grammes qui ont pour vocation d’inspirer d’autres acteurs pour solutionner les grands défis d’avenir.L’organisation travaille de manière transversale avec une vision long terme et collabore avec une multiplicité d’acteurs, dont des innovateurs, des décideurs politiques, des or-ganisations de quartier ou des éducateurs. Ceci permet de mettre en relation les bonnes pratiques, les acteurs de référence et les meilleures idées.

Site web :www.nesta.org.uk

Représentants :Michael Harris, Director, Social and Public Innovation

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Agences de design de service

Engine Service Design

Fondée en 2000, Engine est une agence de design de service et de conseil en inno-vation mondialement reconnue. Composée d’une équipe de designers, stratégistes et chercheurs, Engine travaille sur divers projets d’innovation et de design de service pour d’importantes organisations issues des secteurs publiques et privés. L’agence se spécia-lise dans la conception et la mise en œuvre de services pour satisfaire les clients.

Site web :www.enginegroup.co.uk

Représentants :Aviv Katz, designer de service seniorCale Thompson, designer de serviceSteve Lee, designer de service

Live|work

live|work est une agence de design de design de service créée en 2003, composée d’une équipe pluridisciplinaire de consultants, designers et ethnologues. Une antenne nordique a ouvert ses portes en 2007 à Oslo en Norvège.

Elle aide les entreprises du secteur privé et public à améliorer les services existants ou en concevoir de nouveaux en s’appuyant sur l’expérience des usagers. A titre d’exemple, le projet Street car est un service de partage de voitures à Londres, comparable au Velib’ parisien, à l’échelle de l’automobile. live|work a aidé cette entreprise à penser la stratégie globale et formaliser les éléments tangibles qui composent le service afin qu’il réponde aux besoins pressentis tout en facilitant son utilisation.

Site web :http://www.livework.co.uk/

Représentants :Ben Reason, directeur associéDaniel Letts, directeur de l’utilisabilité et chef de projet

Thinkpublic

Thinkpublic est une agence de design et de communication œuvrant dans le secteur des services publiques. L’agence utilise essentiellement les méthodes de co-conception

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pour améliorer l’expérience des services existants, main dans la main avec les consom-mateurs et les fournisseurs de services. Sa pratique relève tant du design que des scien-ces sociales afin de proposer des solutions conformes aux secteur publique du 21e siè-cle, qu’il soit à l’échelle nationale, régionale ou locale. Ses principaux clients proviennent des secteurs de la santé, de l’éducation et du gouvernement.

Site web :http://thinkpublic.com

Représentants :Deborah Szebeko, DirectricePaul Thurston, Directeur du DesignIvo Gormley, Directeur des Films

Agences

In Control

Créé en 2003, In Control est une organisation qui a pour mission d’organiser un nou-veau système d’allocations sociales où chaque citoyen est autonome et responsable.In Control assiste les autorités locales dans le déploiement de cette «aide auto-gérée» en travaillant sous la forme de partenariat avec des citoyens, des autorités locales, des membres et fournisseurs du National Health System, des organisations commerciales ainsi que des sponsors.

En Juillet 2008, In Control comptait 120 autorités locales membres, oeuvrant pour changer leurs systèmes d’allocations sociales.

Site web :www.in-control.org.uk

Représentants :Simon Duffy, président

Participle

Participle crée les futurs services pour et avec le public. L’agence accompagne la réforme des institutions en conjuguant la recherche de terrain auprès des utilisateurs (bottom-up) et une grande expertise en analyse institutionnelle et financière (top-down). Leurs secteurs de prédilection sont à la convergence de l’innovation et du social.

Site web :

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www.participle.net

Représentants :Charles Leadbeater

Charles Leadbeater est LA référence dans les domaines de l’innovation et la créativité. Il a été le conseiller en stratégie d’innovation de nombreuses villes et gouvernements à travers le monde. Dans son dernier ouvrage We-think : the power of mass creativity, il se fait le porte-parole du pouvoir de l’individu et de la révolution Pro-Am comme modèle d’une innovation participative.

Ses recherches lui ont valu les honneurs des plus prestigieuses organisations telles que le Top Management Thinker of the world d’Accenture, le David Watt prize for journa-lism ou encore le Best Idea of the Year 2004 du New York Times.

Site web :www.charlesleadbeater.net

Polywonk

Mitchell Sava est président de PolyWonk est une entreprise proposant une plateforme et des outils en ligne destinés aux élus politiques.

Représentant :Mitchell Sava, président

Mitchell Sava est président de PolyWonk. Il a été conseillé au NESTA spécialiste des politiques publiques, ainsi que des problématiques d’innovation et d’entrepreneuriat.

Social Innovation Camp

Le Social Innovation Camp organise des événements créatifs originaux, favorisant la rencontre de développeurs informatiques et de designers avec des innovateurs sociaux pour construire des solutions de plateformes en ligne qui répondent à de véritables pro-blèmes sociaux. A la suite de ces événements, le Social Innovation Camp soutient le développement des projets les plus prometteurs.

En somme, le Social Innovation Camp offre un espace et une opportunité pour diffé-rents acteurs de se rencontrer et d’entamer une collaboration.

Site web :www.sicamp.org

Représentants :Anna Maybank, directrice

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Technopolitan

Technopolitan est une agence d’architecture et d’urbanisme. Son travail se focalise sur l’impact des nouvelles technologies sur la ville et la création de nouveaux espaces publics plus interactifs et participatifs en ligne avec les dynamiques sociales et urbaines émergentes.

Site web :http://technopolitan.co.uk/

Représentants :Edouard Moreau et Damien Horner, architectes-urbanistes associés de l’agence Tech-nopolitan, et enseignants en matière de design urbain, à la Bartlett (University College of London)

Tiers-lieux

The Hub

Le Hub est un espace de travail collaboratif comparable à la Cantine à Paris, où les membres se partagent les lieux en fonction de leurs besoins. A la fois bureaux, salles de réunion, salles d’exposition, salles de conférence et bar, des professionnels de multiples horizons s’y croisent, favorisant les opportunités de rencontre, collaboration et d’échan-ge.

Site web :http://kingscross.the-hub.net/public/

Représentant :Dermot Egan

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“Synthèse” du voyage d’étude

La 27e région organise le marathon lon-donien de l’innovation socialeBillet d’Anne Daubrée, responsable de la veille à la 27e Région, publié dans le blog de la 27e Région le 24 mai 2009

C’est un véritable marathon de l’innovation sociale que nous avons mené à Londres, du 11 au 13 mai. Pour son premier voyage d’études, la 27e région, aidée de User Studio pour l’organisation du séjour, est partie à la rencontre des innovateurs sociaux britanni-ques. Objectif : découvrir principes et techniques novatrices de politique publique, pour nourrir nos propres réflexions. Lundi matin : Tout le monde se retrouve sur le quai de l’Eurostar, à Paris : avec nous, des représentants du Limousin, du Nord-Pas-de-Calais, de la Bourgogne, d’Aquitaine et Champagne-Ardennes et aussi des membres de la Fing et d’une représentante d’Orange Lab et une étudiante de l’ École Nationale Supérieure de Création Industrielle. En tout, une vingtaine de personnes. 7h43, le train démarre, on se réveille en consultant le programme – dense - des trois jours à venir : treize rencontres avec les acteurs de l’innovation sociale. [...]

Synthèse et Analyses

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Un accueil chaleureux

À Londres, c’est tout d’abord Catherine Fieschi, de Coun-terpoint, le think tank du British Council, organisme de «di-plomatie culturelle » indépendant, et qui nous avait aidé à préparer ce voyage, qui nous accueille chaleureusement. Elle nous dresse un panorama de l’innovation sociale au Royau-me –Uni : Après dix ans de Tatchérisme et de privatisation de services public, un gouvernement Blair qui a tenté de re-mettre en état les infrastructures publiques, Gordon Brown a initié un nouveau tournant, en 2001, donnant plus de moyens aux agences indépendantes. C’est l’avènement de l’innova-tion sociale, avec l’expérimentation de nouvelles méthodes pour répondre aux besoins sociaux.

Toutes les agences qui les pratiquent partagent des grands principes, comme la parti-cipation des individus à la définition des services qui les concernent, la nécessité d’avoir une démarche de design de service, et la conviction que les personnes doivent être « mis en capacité », rendus maitres de leurs décisions et acteurs dans leurs relations avec les organismes publics. Chacun nous exposera les détails de sa méthode, au fur et à mesure des rencontres. Sophie Parker nous parle de l’un des projets les plus aboutis, le Silk, laboratoire de politiques publiques qu’elle a fondé pour le comté du Kent, et qui attirait notre intérêt depuis longtemps. Direction ensuite le Design Council, agence nationale du design, chargé des sa promotion dans le domaine des services. Nous y apprendrons notamment qu’après l’opération DOTT07 (Design of the times 2007) organisé dans la Région du North East England, et qui avait un peu inspiré notre travail sur Territoires en Résidences, un DOTT09 est en préparation dans la Région des Cournouailles.

en haut : les participants lors de la rencontre au British Council;

ci-dessus : Catherine Fieschi, directrice de Counterpoint

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La mécanique de l’innovation au scalpel

Mardi et mercredi, nous rencontrons plusieurs de ces agences (sociétés privées, ou organismes à but non lucratif) et think thank qui pratiquent l’innovation sociale, comme Participle, Think public, Live work, Engine design service, ou encore In control et la Young Generation.

Le contact avec les équipes est toujours chaleureux. Elles décortiquent leurs projets, pour nous expliquer leurs méthodes. Certai-nes nous reçoivent dans leurs locaux : espa-ces de travail informel, touches d’humour et de créativité avec Playmobils à l’entrée, en guise en hôtesses d’accueil chez Engine De-sign service, et nounours déguisé en Bobbie chez Think public. Mais surtout, au mur, des photos de groupes de personnes entrain de discuter, de travailler ensemble. Envolée de ballons bleus, par exemple, sur les photos de Think public. Ce sont des « ballons de vote » lancés par des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. L’équipe de l’agence nous explique , comment elle a travaillé avec eux pour élaborer des services les concernant. Engine design service nous raconte, elle, comment elle a travaillé avec des agents de maisons de services publics, pour amélio-rer le fonctionnement de ces institutions. Live Work nous parlera de l’importance d’une approche par des cas individuels et de l’apport du design, dans son projet d’accompa-gnement des chômeurs très désocialisés vers une recherche d’emploi. Engine Design Service reviendra sur les suites données au projet «Our New School», dans lequel toute la communauté locale avait été associée à l’avenir du collège de la ville de Walker -voir l’interview que nous avons réalisée de Steve Lee (pour en savoir plus : http://www.you-tube.com/user/27eregion)

Rencontres à suivre

Geoff Mulgan, de la Young Generation, un think thank historique sur le sujet, ou Char-les Leadbeater, pour l’agence Participle, nous ont eux plutôt livré leur analyse de ce qu’est l’innovation sociale, des conditions de la réussite des projets (par exemple, savoir faire le lien entre les autorités, qui peuvent initier des projets, et ceux qui ont la volonté de les porter, sur le terrain) et de leur diffusion : comment faire pour que l’innovation sociale devienne un projet politique global ? Des questions dont ils discutent aussi, car c’est loin d’être le cas aujourd’hui, même au Royaume-Uni. De fait, nos interlocuteurs étaient aussi très curieux de savoir ce qui se passait en France aussi, et avides de comparaison. Rencontrer des personnes, dont certaines étaient porteuses de projets que nous suivions déjà, comme le Social innovation camp et tisser des liens qui nous permettront de conti-nuer à échanger de façon fructueuse. C’est l ‘un des grands apport de ces rencontres. Geoff Mulgan, par exemple, nous a signalé une rencontre internationale des innovateurs sociaux, qui se tiendra à Lisbonne en décembre prochain. Après quoi, nous sommes repartis au pas de course, direction la gare. Avec en tête, de nouveaux questionnements et de nouvelles idées.

ci-dessus : Steve Lee, Engine Design

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En marge du voyage

* UsNow, un film d’un ethocinéaste, Ivo Gormley, était projeté en public, le 12 mai. Se basant sur différentes histoires comme celle d’un étudiant qui part voyager chez des inconnus rencontrés via internet, ou d’une équipe de foot gérée par des Internautes, ce film explore toutes les potentialités positives issues du développement de nouvelles rela-tions entre les individus sur Internet. Avec un pari volontairement optimiste : celui d’une société de la confiance, dont le film analyse finement les mécanismes. Et une question : quelles évolutions pour nos démocraties ? Les hommes politiques interviewés dans le film sont bien en peine d’y répondre. La 27e région a présenté le film UsNow en avant première parisienne le 22 juin 2009, à l’Assemblée Nationale.

(Le texte du film UsNow traduit en français est disponible à l’adresse suivante :http://dotsub.com/view/34591ca8-0ef5-48fb-82e6-163a9f21298d )

** Le Cabinet office, un service support du gouvernement, sur les processus publics, avait invité la 27e région à participer à une journée de réflexion sur la réforme des servi-ces publics. Le 14 mai, nous y avons rencontré le quasi homologue de la 27e région, le service design authority , rattaché au cabinet office. [...]

ci-dessus : Charles Leadbeater, comparant eBay à l’organisation des services publics...(pour en savoir plus : http://www.youtube.com/user/27eregion)

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NOTES

L’innovation sociale dans le contexte britan-niqueAfin de comprendre l’innovation sociale telle qu’elle est pratiquée en Grande-Bretagne, observons le contexte dans lequel elle a émergé.

Le contexte et l’expérience du Royaume-UniNotes - Extrait du compte-rendu de déplacement de Muriel Martin Dupray, directrice générale adjointe, Région Champagne-Ardenne

[...] L’innovation sociale est une réponse à la crise des services publics et des services sociaux en particulier, suite aux décisions du gouvernement Thatcher dans les années 1970 (irruption de la logique de marché dans le secteur santé et éducation). Les gou-vernements Blair puis Brown sans revenir aux situations antérieures ont affiché dans les années 1990 la volonté d’améliorer la qualité des services publics, ils ont donné des moyens significatifs à des agences nationales, mis en place des délégations de service public à des associations et « communities ».

L’objectif : diversifier l’offre et adapter les réponses à l’évolution de la demande, à son individualisation, notamment avec l’arrivée des TIC, mutualiser, cordonner les services.

I – Un contexte britannique différent, et qui a favorisé l’initiativeExtrait du compte-rendu de déplacement de Sylvie Depraetere, Région Nord Pas de

Calais

La pression des années Thatcher, et maintenant de la crise, ont créé un terrain favo-rable à l’innovation sociale.

Madame Thatcher a réduit au maximum la place et les budgets des services publics, en cherchant à réduire la dépense publique, « responsabiliser » les individus, et laisser au marché l’initiative.

En parallèle, dans un Etat déjà traditionnellement très centralisé, Mme Thatcher recen-tralise une série de compétences locales au profit, non des services publics centraux, mais d’agences nationales (type ANRU).

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Ces dernières avaient la charge de financer ou encourager les initiatives privées, pu-bliques ou associatives, sur action, et avec des mesures et exigences d’efficacité comp-table qu’elles définissaient et sur lesquelles elles rendent des comptes à l’Etat.

A la fin de cette période, la demande sociale pour un minium de services, au moins sociaux, s’est exprimée très fortement.

Le marché n’a évidemment pas répondu à cette exigence et l’Etat n’est plus outillé pour y répondre. La culture selon laquelle l’Etat ne peut pas tout reste d’ailleurs assez prégnante.

Dans ce contexte, ce sont des initiatives citoyennes, portées par des individus des groupes, des associations, des fondations, ou des coopérations avec le privé, qui ont vu le jour.

Les agences ont évolué pour réagir à ces initiatives, et/ou en soutenir l’émergence.

La culture de la recherche de méthode et d’efficacité est assez développée en Grande Bretagne

Le management est plus présent qu’en France même dans les structures publiques.

Le personnel n’a pas le même statut qu’en France, change, passe plus facilement du public au privé, et les dispositifs changent assez facilement.

Les élus locaux ont nettement moins d’influence et de marge de manœuvre qu’en France.

Dans les collectivités locales, seul le Président a une vraie influence.

Le management est d’autant plus nécessaire dans les collectivités qu’elles sont sous la tutelle de l’Etat qui peut à tout moment réduire leurs budgets ou leurs champs de com-pétences.

Il y a une tradition de coopération plus fluide entre public, privé et milieux associatifs.

Il est courant que des entreprises contribuent, ou collaborent à des démarches ou initiatives en direction des usagers, des citoyens pour que cela ne soit considéré comme un dévoiement du service public ou soupçonné d’intentions malsaines.

De même, les associations sont, ou « œuvres de charités » sont considérés comme des acteurs sous tutelle, ni arrières pensées particulières

Muriel Martin Dupray

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Définitions

Voyage dans l’innovation sociale britan-nique (1/3) : Qu’est-ce que l’innovation sociale ?Article d’Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’Internet Actu, publié le 5 juin 2009 dans Internet Actu

A l’occasion d’un voyage d’études organisé par la 27e Région, nous sommes allés à la découverte de l’innovation sociale britannique, en rencontrant la plupart des cabinets de design et les principaux acteurs qui participent à redéfinir le rôle des usagers dans les services publics. Comment l’innovation s’inscrit-elle concrètement dans la vie des gens ? Peut-on faire de l’innovation sans technologie ? L’innovation sert-elle à faire de la politique ? Immersion.

L’innovation sociale : redonner le pouvoir aux utilisateurs

L’innovation sociale désigne un ensemble de stratégies, de concepts, d’idées et de formes d’organisation qui cherchent à étendre et renforcer le rôle de la société civile dans la réponse à la diversité des besoins sociaux (éducation, culture, santé…). Dans ce vaste creuset, le terme désigne à la fois des techniques et processus d’innovation et des in-novations elles-mêmes (comme le microcrédit, l’apprentissage à distance…) ainsi que tout le champ d’action que cette innovation recouvre : entrepreneuriat social, mouvement coopéra-tif, et plus généralement l’économie sociale et solidaire, comme on l’appelle plus tradition-nellement en France ; un terme qui désigne à la fois les organisations qui jouent ce rôle et les processus qui expérimentent de nouveaux “modèles” de fonctionnement de l’économie (comme le commerce équitable ou l’insertion par l’activité économique). Le périmètre de l’in-novation sociale est à la fois plus vaste et plus précis que celui de la démocratie participative à la française, qui concerne surtout le moment de la prise de décision politique.

ci-contre : L’un des slogans du cabinet Think Public, tiré de leur plaquette de présentation : “Nous pensons que les gens qui utilisent et délivrent des services ont l’expérience et les idées pour les améliorer”.

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L’innovation sociale est un mode de pensée qui met l’accent sur la personnalisation et la cocréa-tion, explique Catherine Fieschi directrice de Coun-terPoint, le think tank du British Council, l’agence britannique internationale chargée des échanges éducatifs et des relations culturelles (et ancienne directrice de Demos, un think tank britannique lui aussi spécialisé sur ce sujet, comme elle nous le confiait en mai 2008). C’est-à-dire que l’individu est appelé à cocréer les biens et services collectifs qu’il veut utiliser et ne pas en être seulement consom-mateur. Le projet consiste à redonner du pouvoir à l’utilisateur, l’aider à s’émanciper, développer ses “capacités” ou plus précisément encore dévelop-per sa “capacitation“, c’est-à-dire faire que chacun exprime et cherche des solutions à ses demandes individuelles tout en créant de nouvelles formes de sociabilité pour éviter de se diriger vers une société trop fragmentée.

L’idée qui sous-tend le principe de l’innovation sociale est d’autonomiser l’individu tout en renfor-çant le lien social, en mettant l’accent sur l’analyse des comportements pour mieux y répondre. Pour Charles Leadbeater de Participle - qui travaille no-tamment à construire des solutions sociales pour les plus âgés -, si nous concevons l’innovation so-ciale comme nous concevons un bien de consom-mation, nous allons rater l’essentiel. “Les profes-sionnels ont tendance à penser que les solutions aux problèmes passent toujours par l’augmentation des moyens consacrés aux solutions traditionnelles et professionnelles : si nous voulons plus de sécu-rité, il faut plus de policiers, si nous voulons une meilleure école, il faut plus de professeurs, si nous voulons un meilleur système de soin, il faut plus de services et de personnels… Quand on a un problè-me de service public, on a tendance à vouloir y ré-pondre par plus de services publics, alors que bien souvent les solutions sont ailleurs.” Et de prendre l’exemple de la diminution des incendies domestiques. Faut-il mieux équiper les pompiers pour qu’ils puissent maîtriser les incendies ou développer des programmes d’installation de détecteurs de fumée ou de raccordement des appareils ménagers au gaz de ville… ou encore convaincre les gens d’arrêter de fumer ? “La solution ne consiste pas toujours à réorganiser les services, mais plutôt de regarder les besoins et les deman-des des gens. Portons le regard sur les utilisateurs plutôt que sur le système en place”, assure le consultant.

Pour l’agence de design social Think Public, l’innovation sociale consiste à impliquer les gens dans les processus d’amélioration, de rénovation et de création des services pu-

Le Leitmotiv de l’approche britan-nique :

Autonomiser l’individu tout en renforçant le lien social, rendre l’usager co-créateur du service et pas seulement consommateur (« co creating, not delivering »), créer de nouvelles formes de solidari-tés pour éviter une société fragmentée et prévenir la violence et la précarité.

Valoriser les capacités, les compétences de la personne, individualiser les parcours, prendre en compte la personne dans sa globalité.

Mixer les financements : public, privé, tiers sec-teur.

Durabilité (« sustainability ») : non seulement d’un point de vue environnemental, mais financier (le projet doit être viable dans la durée : donc pas nécessairement plus de fonds publics mais leur meilleure utilisation) et humain (améliorer le niveau de compétence acteurs du projet - usagers et fonc-tionnaires – et leur fournir les outils de conduite du changement – souvent TIC mais pas uniquement – leur permettant de continuer à « faire vivre » le projet au-delà de sa phase de lancement initiale).

S’appuyer sur les nouvelles technologies. C’est un point fort des expérimentations : accessibilité, gains de temps et économie d’échelle mais besoin d’un accompagnement et d’un suivi auprès des personnes ou de la mise en place de plates-formes de collaboration entre services publics.

Le droit à l’erreur dans l’expérimentation de so-lutions innovantes et le pragmatisme : ne pas cher-cher à bâtir des « cathédrales » qui nécessiteraient des années de conception puis de réalisation…

Notes - Extraits du compte rendu de déplacement de Muriel Martin Dupray, directrice générale adjointe, Ré-gion Champagne-Ardenne

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blics. Là encore, il s’agit de déplacer le regard, de changer l’angle de vue, d’engager une conception centrée sur l’utilisateur. Le codesign (la coconception) dont se revendiquent ces consultants consiste à capter différentes perspectives pour comprendre comment les gens veulent ou peuvent utiliser un service public. Car l’objet du design, ici, n’est pas la conception d’un produit, mais bien celle d’un service, dans le but de transformer le service et le coproduire pour que les gens se l’approprient mieux. C’est d’ailleurs ce qui est intéressant dans le codesign : l’implication des usagers, qui n’est pas un alibi partici-patif, mais qui doit être au coeur de la transformation.

Pour Ivo Gormley, anthropologue à Think Public, vidéaste et consultant sur ces ques-tions : “la participation est la clef de la transformation, parce qu’elle amène la confiance, l’excellence et l’efficacité. Plus vous comprenez un système et mieux il fonctionne. Plus vous en impliquez les utilisateurs, et plus le service s’améliore et se rapproche d’eux. Plus il est proche des utilisateurs et plus il a des chances d’être efficace”.

“Le plus important est de faire découvrir aux gens, par eux-mêmes, les problèmes qu’ils cherchent à résoudre”explique Robert O’Dowd du Design Council, l’organisme de promotion du Design sous toutes ces formes en Grande Bretagne. “Toutes les initiatives qui tombent d’en haut risquent surtout de ne pas fonctionner. A Dott”, un programme

Le design de service vu par Muriel Martin Dupray

La notion de « design de service » a un sens particulier au Royaume Uni : il s’agit d’un mode d’intervention innovant (un « dessein d’ensemble ») pour profiler des services plus efficaces pour les usagers. En France on entend par « design » plutôt la modélisation de formes ou d’ob-jets que de services et ce sont les architectes ou urbanistes qui élargissent progressivement leurs interventions autour de l’usage des constructions.

Les secteurs privilégiés pour appliquer le design de service : éducation, santé, maîtrise de l’énergie, alimentation, logement, insertion sociale et professionnelle des jeunes et des publics fragiles, mobilité.

Les méthodes utilisent beaucoup les TIC, la video, les workshop avec les usagers des ser-vices, les « social innovation camp » organisés avec des usagers et des professionnels sur la durée d’un week end.

L’idée est de connecter techniques et changement social (« using the online world to chan-ge the off line world »)

La préoccupation du développement durable est transverse et très présente dans les ap-proches du design de service.

Il s’agit de faire du ré-engineering de processus dans les services publics, i-e de repenser l’organisation, en la centrant sur le bénéficiaire du service. Il s’agit d’une démarche ascendante « bottom-up », qui part de l’usager et des fonctionnaires au contact de l’usager. L’usager est impliqué et responsabilisé dès lors qu’il est co-créateur du service qui lui est destiné.

Des équipes pluridisciplinaires (sociologues, anthropologues, éducateurs, psychologues, spécialistes de la communication, designers) conçoivent avec les utilisateurs de services pu-blics des modalités innovantes, adaptées, dont l’avantage est de réduire les coûts pour la col-lectivité tout en améliorant la réponse aux besoins des usagers (le point de vue de l’utilisateur de service n’est plus envisagé comme un problème mais comme une contribution positive).

Notes - Extraits du compte rendu de déplacement de Muriel Martin Dupray, directrice géné-rale adjointe, Région Champagne-Ardenne

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d’innovation sociale qui se déroule tous les trois ans dans une région anglaise différente, “on conçoit avec les gens, plutôt que pour eux. Tout doit être transparent, en impliquant les gens dans tout le processus, même si cela ne marche pas toujours. L’important n’est pas le prototype que nous allons réaliser avec eux, mais de laisser la communauté avec de nouveaux talents, de nouveaux outils, de nouvelles approches et de nouvelles envies qui vont donner du pouvoir au gens.”

Changer les pratiques et les méthodes

Face à des problèmes sociaux complexes, à l’image de comportements antisociaux que dénonçait un récent rapport britannique, il y a besoin de tester de nouvelles appro-ches, explique Sophia Parker du Silk, le Laboratoire d’innovation sociale du comté de Kent, créé en 2007. Les méthodes et les outils ne fonctionnent que si elles sont associées aux gens, rappelle-t-elle. Il faut voir les utilisateurs comme des contributeurs aux solu-tions que l’on recherche et non pas comme des problèmes, tout en gérant la complexité, sans la simplifier. “La façon dont on implique les gens est importante. Le design permet de valoriser ce que les gens font et d’utiliser du matériel professionnel qui assure du sé-rieux de ce que l’on attend d’eux”, explique Sophia Parker. Le design est un processus qui a pour fonction d’impliquer les gens dans la conception des services, en rendant les supports, les projets, les séances de travail plus accessibles aux usagers de base. Est-ce que l’approche consiste alors seulement à rendre les supports jolis, agréables, com-municables ? C’est parfois peut-être un peu le cas, en tout cas c’est une critique qu’il faut entendre. Il n’empêche que l’équipement participe aussi de la transformation de la relation. Il valorise ce que font les gens. Il encode la communication comme un principe d’accessibilité.

Mais les pratiques et les méthodes ne se résument pas au seul ajout d’éléments gra-phiques. Elles reposent aussi dans un esprit d’innovation, assez entrepreneurial dans la forme, qui doit se traduire par des réalisations concrètes, rapides, assumant leur carac-tère expérimental ou inachevé… D’où des fonctionnements en ateliers, d’ou l’utilisation du prototypage, qui consiste à rendre rapidement les choses concrètes, pour pouvoir

ci-dessus : La conception par les citoyens à l’occasion du projet Alzheimer100

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les tester. “On prototype simplement pour tester et voir comment ça s’adapte aux gens”, explique Paul Thurs-ton de Think Public. D’où, enfin, le fonctionnement en petites équipes réactives, mieux à même de rester pro-che des gens, de les impliquer.

Sophia Parker pense même que la force du Silk repose sur cette petite taille. Avec son petit budget, sa petite équipe, il présentait peu de risque pour les politiques du Comté. D’ailleurs, quand Sophia Parker envisage son développement, elle n’en parle pas comme celui d’une organisation, mais comme celui d’un réseau qui se démultiplie et parsème le territoire de petites équipes. Le laboratoire d’innovation sociale est la seule agence de ce type dans les territoires britanniques, même si d’autres territoires en ont le projet comme Liverpool, le Suffolk, le Sussex… D’ailleurs, souligne Charles Leadbeater, le réseau d’in-novation est plus important que le laboratoire.

Les méthodes sont assez classiques finalement, mais elles ont l’avantage d’exister. Comme le rappelle Stéphane Vincent, responsable de la 27e Région : “L’enjeu repose moins sur le fait que les solutions passent à l’échelle, que sur les méthodes. Donner à tout le monde des boites à outils, des solutions d’empowerment, apprendre à concevoir des services… L’acteur public n’a bien souvent construit aucune méthode. Produire des outils permet de réfléchir à la façon dont les services vont fonctionner, permet de se projeter.”. Ces méthodes consistent d’abord à établir le diagnostic, c’est-à-dire mettre en lumière le problème. Comme le dit Leadbeater, “le plus important dans l’innovation, c’est la question qu’on pose, car elle induira les réponses qu’on y apportera. Face au vieillissement de la population, la bonne question c’est comment on vieillit bien. Ce n’est pas une question de services ou d’amélioration de services, mais de comment les gens veulent vivre et vieillir. Le défi n’est pas d’incrémenter l’innovation, mais d’engager les gens dans le changement.”

Ensuite, vient la “découverte”, comme l’explique Ivo Gormley d’I Think Public. Pour “découvrir”, les consultants de Think Public ont recours aux techniques des sociologues et des anthropologues, comme ils l’expliquent dans cette vidéo détaillant leur méthode : ils s’appuient sur l’observation pour mieux comprendre les utilisateurs, avec des capta-tions vidéo, des suivis quotidiens pour regarder toutes les interactions que les gens ont avec tel ou tel service public par exemple. Ils s’en servent comme un outil d’analyse et de débat : non seulement la vidéo est l’un des support de la méthode anthropologique, mais elle sert également aux usagers pour s’étudier entre eux afin qu’ils fassent leurs propres observations, qu’ils établissent leurs propres diagnostics. Le but est de capter différentes perspectives : observer les gens, leurs parcours, leurs vies pour apprendre d’eux et trouver les idées qui vont les satisfaire. Ces observations débouchent souvent sur l’organisation d’un ou plusieurs ateliers de cocréation, des ateliers de créativité type Barcamp comme ceux du Social innovation Camp, d’autres utilisant le jeu, la libre parole ou les techniques de scénario et de mises en situation… Des ateliers qui se fondent sur

ci-dessus : un exemple de supports et de fiches de scénarios utilisées par le collectif Engine Group dans l’un de leurs nombreux projets.

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les expériences des gens, et qui débouchent le plus souvent sur un prototype, pas né-cessairement fonctionnel, mais qui permet de se projeter, d’imaginer, de tester, de mesu-rer l’impact, de remettre en dialogue… Et cela, en plusieurs itérations selon le budget et le projet, jusqu’au développement d’un outil ou de recommandations finales.

Pour Stéphane Vincent, “qu’on soit d’accord ou pas sur le potentiel de ces méthodes, force est de reconnaître que leur richesse permet de créer des marges de manoeuvre nouvelles”. C’est le processus qui est important, plus que le résultat, car il permet de réintroduire la valeur du changement organisationnel dans les organisations. Mieux, il permet même d’aborder l’idée de transformation, processus encore plus radical pour interroger les pratiques.

Changer l’innovation ?

Le Nesta est né en 1998, grâce à des fonds provenant de la loterie nationale. Son but est de créer un environnement d’innovation en Grande-Bretagne, et on pourrait le com-parer à Oséo en France. Le laboratoire du Nesta a été lancé il y a quelques mois pour s’intéresser à de nouvelles formes de soutien à l’innovation et à de nouvelles formes d’innovation, dont l’innovation sociale, nous explique Mike Harris directeur du Policy Research, le think tank de l’innovation publique du Nesta. L’objectif demeure pour cet acteur public de trouver les moyens pour que la politique d’innovation britannique ait plus d’impact, en réfléchissant aussi à la manière dont on produit l’innovation.

Pour Mike Harris, l’innovation dans les services publics anglais en est encore à un stade immature par rapport au secteur privé, ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas s’y intéresser. Les changements à long terme qui transforment notre société (le vieillissement par exemple), la diminution des investissements publics (qui signifie que l’amélioration des services doit se faire par d’autres moyens que le financement) et le développement de la personnalisation des services (que les gens consomment comme des produits de consommation), sont trois pressions qui transforment le champ des services publics.

ci-contre : Une vidéo auto-promotionnelle présentant le cabinet de design Think Public.

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“L’innovation doit s’intéresser aux services comme une priorité”, assène Mike Harris. “Quand on parle d’innovation sociale, on parle de toute innovation qui touche les biens publics, qu’elle soit privée ou publique. Quand on parle d’enjeux comme le changement climatique, le vieillissement, le fonctionnement et l’avenir des systèmes de santé… on constate rapidement qu’il y a tant de défis que l’entrepreneuriat social ou l’action des associations n’y suffiront pas. L’innovation dans les services publics parle de tout ce qui délivre des services.” Il y a un “impératif d’innovation” rappelle Mike Harris à la suite d’un des rapports clefs du Nesta.

“L’innovation n’est pas toujours bien comprise”, rappelle-t-il encore. Elle n’est pas nécessairement technologique : d’une part, on peut innover en utilisant autrement les technologies existantes plutôt qu’en en développant de nouvelles. D’autre part, on peut innover sans technologie… C’est pourquoi les travaux du Nesta ne partent plus d’enjeux technologiques, mais d’enjeux de sociétés (comme le vieillissement ou la lutte contre la pauvreté) et s’adresse de plus en plus à des populations a priori éloignées de l’innova-tion. “L’innovation n’est pas d’abord de la technologie, mais une reconception du rôle de la technologie.” Dans ce contexte, le Nesta cherche aussi à sortir des cadres établis, des schémas de pensée des spécialistes de ces domaines comme de ceux des spécialistes des technologies, pour aller chercher des innovations radicales. C’est souvent en met-tant les gens en capacité d’inventer et d’expérimenter eux-mêmes les solutions aux pro-blèmes qui les concernent qu’on rencontre ces innovations : “L’innovation radicale, c’est ce que les autres n’ont pas pensé ou exploré. C’est la voie évidente dans laquelle on doit concevoir. Quand on commence à regarder comment on développe la capacitation des gens, on regarde l’innovation autrement. Même si l’innovation radicale c’est parfois celle dont tout le monde pense qu’elle ne marchera pas.”

Charles Leadbeater ne dit pas autre chose : “L’innovation, c’est comment partager de nouvelles idées. C’est de la collaboration que nait l’innovation. L’innovation, ce n’est pas apporter des solutions aux gens, mais plutôt de les aider à créer leurs propres solutions, en en créant le cadre.” Et de reconnaître que “l’innovation est un mot trop compliqué, car il se rapproche trop de la technologie, alors que nous parlons là des gens, de leurs vies.”

“Oui, il faudrait plutôt parler de transforma-tion”, concède Stéphane Vincent. “De transfor-mation appliquée notamment à l’acteur public. Devant l’ampleur des nouveaux enjeux et à or-ganisation constante, les acteurs publics sont condamnés, d’une façon ou d’une autre. Toutes ces structures doivent se transformer car elles sont nées avant l’ère des réseaux. Elles pensent souvent que la transformation, c’est bon pour les autres, confondent dématérialisation numé-rique et transformation, et voient les habitants comme des bénéficiaires de leurs politiques, ra-rement comme des acteurs du changement.”

Bien souvent, force est de constater que l’innovation dans les services publics émerge d’en-dehors de l’institution. “La question n’est

ci-dessus : Charles Leadbeater en séminaire pour la 27e Région.

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pas toujours comment améliorer le service, mais comment le détourner, le dépasser ?”, explique Leadbeater. Un symptôme que relève également Stéphane Vincent : “Tous les acteurs publics sont dans des stratégies de contournement de leurs propres politiques, de leurs propres services, de leurs propres outils pour les faire fonctionner.”

Les objectifs finaux entre l’innovation sociale et la démocratie participative sont les mêmes, mais le processus et la méthode sont différents, souligne encore l’animateur de la 27e Région. “Outre le fait qu’elles ne se déroulent pas au même moment du processus, l’innovation sociale implique une coconception qui n’est pas aussi claire dans la démo-cratie participative. La coconception, ce n’est pas la consultation, la concertation ou la participation.”

On voit bien que dans les méthodes, dans cette façon de revisiter l’innovation, il y a là une forme de réenchantement de l’action d’intérêt général. Une recherche permanente pour expérimenter de nouvelles solutions, de nouvelles voies, alliant créativité et tech-nologies pour transformer sans cesse la société. Mais la transformation de la société est elle-même permanente. L’innovation sociale permettra-t-elle de fédérer les initiatives, d’être un bon médiateur entre ceux qui font de la participation citoyenne depuis long-temps, ceux qui utilisent l’intervention sous des formes plus artistiques ou communi-cantes ? Les valeurs sont proches, rappelle Stéphane Vincent. “Reste à savoir si la dé-mocratie sert à rendre les gens autonomes. Si la République est prête à ce que les gens s’émancipent.”

Hubert Guillaud

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Cas d’études

Voyage dans l’innovation sociale bri-tannique (2/3) : Comment concrètement changer la société ?Article d’Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’Internet Actu, avec la collaboration d’Anne Daubrée, responsable de la veille à la 27e Région, publié le 15 juin 2009 dans Internet Actu

Pour comprendre ce qu’est l’innovation sociale britannique et ce qu’elle transforme, le mieux est certainement de regarder quelques-uns des projets sur lesquelles elle a travaillé. Comment, concrètement, les Britanniques s’y prennent-ils pour changer la so-ciété ? En quoi les designers les y aident-ils ? Quelle part de pouvoir est-elle rendue aux utilisateurs ?

Des services conçus par les usagers

Faire concevoir des services de soins par les malades

Alzheimer100 est certainement l’un des projets les plus emblématiques de la confiance que l’on peut accorder aux usagers, bien qu’il ne soit pas si révolutionnaire que cela au final, comme vous allez le voir. Sur ce projet, Think Public, l’agence londonienne de conception de services publics, a travaillé avec des per-sonnes présentant des symptômes de dé-mence (perte de mémoire, confusion mentale, problèmes de compréhension…), symptô-mes liés notamment à la la maladie d’Alzhei-mer. L’agence a travaillé à la demande de l’Alzheimer Society, une association qui tente d’améliorer la vie des personnes atteintes de cette maladie et de leurs proches, dans le but de trouver des idées pour améliorer le quotidien des malades.

L’équipe a commencé par travailler avec les membres et le personnel de l’Alzheimer Society, pour mieux comprendre la maladie et la façon dont ils travaillent avec les ma-lades, par le chant, le récit ou l’organisation d’évènements notamment. Ensuite, elle a recueilli des récits de vie et a incité les familles et l’entourage des malades à témoigner en ligne via un site internet créé pour élargir la participation, un kit et une journée de forma-tion. L’agence a dressé une cartographie des services existants pour mettre en lumière la complexité des situations auxquelles sont confrontées les familles. Enfin, elle a organisé

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une journée d’ateliers où experts, malades et parents étaient réunis pour produire des idées autour de la prise de conscience de la maladie, l’accompagnement dans le dédale administratif, etc. Parmis les propositions issues de ces journées : des jardins d’errance où les malades pourraient se promener de façon sûre et sans angoisse, une banque de temps pour faciliter la rencontre entre volontaires pouvant s’occuper des parents mala-des…

Reste que la démarche s’est un peu terminée là, en remettant ses conclusions. Elle a certes fait naître de nouveaux services comme le Dementia Café. Mais reconnaissons qu’elle n’a permis que de modifier légèrement le regard des institutions publiques sur le statut des malades et sur leur rôle.

Changer la perception, changer le quotidien

Think Public travaille d’ailleurs beaucoup à améliorer la perception que l’on a des services publics, des rap-ports entre usagers et administration, avant tout perçus comme inorganisés, mal conçus, bureaucratiques… “Le changement d’attitude est finalement très important” rapporte Paul Thurston de Think Public. “Le but n’est pas seulement de changer le service, mais aussi de changer sa perception”, comme le montre leurs opérations de communication originelle I think public ou celle lancée pour remercier les employés des services publics.

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Pour autant, les projets sont souvent plus ambitieux et veulent réellement changer le quotidien des gens, reformulant des grands enjeux de société de manière simple, concrè-te, accessible. Le but est surtout de modifier les façons de vivre, de trouver de nouveaux modes pour accompagner les projets personnels des gens : les aider à retrouver le goût du sport, à faire des économies d’énergie, à témoigner sur les services et personnels qui les ont soignés, à transformer les comportements des adolescents par rapport à la sexualité, à la maternité juvénile ou aux maladies sexuellement transmissibles…

Transformer le quotidien, c’est notamment le cas de bien des projets soutenus par le Social Innovation Camp comme AccessCity (un projet qui vise à rendre la ville plus accessible aux handicapés), Useful Visitor (un projet qui vise à impliquer les citoyens dans des associations) ou Enabled by Design (un eBay pour l’équipement des person-nes handicapées). Avec le projet Climate Change, le Nesta a ainsi souhaité soutenir des communautés qui font concrètement quelque chose pour le développement durable. La Young Foundation porte également de nombreux projets pour transformer le quotidien des enfants comme Innovation Catalyst qui aide les jeunes à quitter les gangs dans le Sussex, le Local Well Being project de Manchester qui vise à rendre les jeunes plus heu-reux à l’école ou les Studio Schools, un réseau d’écoles pour raccrocher les enfants qui ont décroché dans leur scolarité…

Impliquer les pères absents

Autre exemple, là encore très concret, le programme pour l’implication des pères, lancé par un centre social de Sheerness sur l’île de Sheppey dans le Comté de Kent, en collaboration avec l’agence Engine Design et le Silk, le Laboratoire d’innovation du comté de Kent. Constatant le manque d’implication des pères dans la vie quotidienne de famille de quartiers pauvres, les animateurs du centre social ont cherché des solutions pour les impliquer, leur faire tenir un rôle et les mettre en confiance dans un lieu où ne se retrouvent bien souvent que femmes et enfants.Engine Design a donc invité une douzaine de pères à collaborer au projet à participer à des ateliers pour trouver des solutions concrètes et adaptées leur permettant d’être plus au courant de ce qu’il se passe dans le centre social.

Les équipes du centre social ont été surprises de constater que ce à quoi aspiraient les pères n’était pas si éloignés des services qu’elles apportaient déjà aux mères : mais que les horaires, l’emplacement, l’environnement dans lesquels ils se tenaient n’étaient tout simplement pas adaptés à leurs rythmes de vie à eux. Entre tous les projets expri-més (voir les résultats complets publiés par le Silk dans le fascicule dédié à ce projet et la vidéo) (pour en savoir : plus http://issuu.com/juliaatengine/docs/engaging_fathers_review?mode=embed&documentId=081014155627-80df724bb3c84afaa82457a688ce9185&layout=grey), l’un a été réalisé très rapidement sous forme de prototype. Il s’agit d’une carte communautaire à destination des pères, leur permettant d’avoir accès à des services dédiés privés et publics sur toute l’île, par exemple des prix réduits sur des activités à faire en famille ou sur des achats. La carte permet d’avoir accès à une radio

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communautaire qui délivre des messages spécifiques et à une lettre d’information acces-sible même par téléphone mobile, leur permettant d’être informés des activités du centre social, comme des activités auxquels ils peuvent être conviés. Reste à ce prototype de trouver ses financements pour qu’il existe réellement comme un service pour tous les pères de l’île. Le laboratoire du comté de Kent y travaille, mais la réalisation concrète, de plus grande ampleur, prendra certainement plus de temps, si elle parvient à aboutir…

Quand les fonctionnaires réinventent les services publics

Autre exemple de coconception de service public, cette fois-ci non pas par les usa-gers, mais par les agents de services publics invités à endosser le rôle des usagers. L’agence Engine Design, suite à une commande du Silk, a produit une méthode pour réorganiser les Gateways, des maisons de services publics qui regroupent différents or-ganismes (impôts, services de l’emploi, état civil…). Le constat d’origine observait que les services avaient beau être localisés au même endroit, ils communiquaient peu entre eux, ce qui rendait les parcours des usagers complexes et frustrants.

Le projet a duré six mois en impliquant une dizaine d’agents volontaires. Ceux-ci ont du créer des fiches d’individus fictifs, basés sur des cas réels et exprimant des besoins réels, avant de retracer leurs parcours dans la maison de service public en détaillant leurs interactions et en suggérant tout le long des améliorations possibles. Le tout ex-primé dans des formes très simples d’accès, très graphiques, lors de plusieurs ateliers. Mais qu’a donné le projet ensuite ? Et bien, s’il a eu un impact réel sur quelques-unes des maisons de services publics où ont eu lieu des ateliers, force est de reconnaître que la généralisation n’est pas encore de mise. Pour l’instant, le projet a servi de démons-trateur pratique du potentiel de la méthode, explique le Silk (pour en savoir plus : http://socialinnovation.typepad.com/silk/2009/03/gateway-codesigning-a-customer-insight-and-service-innovation-tool.html)… Reste à trouver les moyens, non pas de généraliser les conclusions des ateliers, mais de faire en sorte que la méthode essaime dans d’autres centres…

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Des élèves qui jouent à l’école de demain

A quoi pourrait bien ressembler une école si les élèves l’ima-ginaient ? Tel était l’objectif du projet OurNewSchool (pour en savoir plus : http://ournewschool.org) imaginé par Engine Design avec l’aide du collège de technologie de Walker. A l’aide d’un jeu, développé à l’occasion, les élèves ont pu faire des recomman-dations sur comment ils voyaient l’avenir de leur collège (pour en savoir plus : http://www.youtube.com/watch?v=6dW_NK-T7bs). Leur travail a donné lieu à une publication intitulée Dear Architect (pour en savoir plus : http://ournewschool.org/assets/pdf/Dear_Architect.pdf), à l’intention de ceux qui travaillaient à la rénova-tion du collège, non pas pour leur dire à quoi devait ressembler le collège, mais pour leur rappeler comment il devait fonction-ner, comment élèves et personnels voulaient l’utiliser, nous ex-plique Steve Lee d’Engine Design. Une publication a ensuite été diffusée auprès de nombreux directeurs d’établissements et de responsables de collectivités locales préparant leurs nouveaux projets d’établissement. Une expérience que l’on comparera à celle du lycée Jean-Moulin à Revin dans les Ardennes, mené par le programme Territoires en résidences de la 27e Région.

Des services transformés par les usagers

Quand les usagers gèrent leurs dépenses publiques

Donner aux citoyens la possibilité de définir eux-mêmes leurs propres besoins et leur offrir les moyens de les satisfaire : tel est le principe qui guide les projets de InControl, une autre de ces agences qui développe des services selon des objectifs sociaux. InControl, comme l’explique son président Simon Duffy, s’intéresse aux changements majeurs, à l’innovation systématique. Pour lui, “il ne faut pas exclure des gens de la citoyenneté juste parce qu’ils ont plus besoin d’aide que les autres.” Le système d’aide social britannique “n’active pas” les citoyens, constate-t-il… “La communauté est souvent perçue comme l’endroit où l’on paye des impôts plutôt que comme une source de sens ou un support d’activité. La plupart du temps, la personne n’a aucun contrôle sur les services financés par le gouvernement, qui reçoit pourtant son mandat des impôts de la communauté.” L’Etat doit revoir ses règles de fonctionnement et cesser de fournir des prestations à des usagers passifs, mais au contraire chercher avant tout à les rendre plus responsables.

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InControl a un projet éminemment politique finalement : l’association souhaite créer un nouveau système d’aide sociale dont les bénéficiaires gardent le contrôle, où le ci-toyen négocie les services plutôt que de seulement les utiliser. Ainsi, les bénéficiaires d’allocations (personnes âgées, handicapés notamment) déposent un plan pour organi-ser comment ils vont dépenser l’argent qu’ils perçoivent en précisant leurs besoins. Si le programme est approuvé, ils deviennent alors maîtres de leur budget et achètent les prestations correspondantes. Ainsi, une personne qui se sent très mal à l’aise à cause de son poids va acheter les services d’un coach personnel. Une femme qui souffre d’un cancer va se donner les moyens logistiques de se rendre à un cours d’art qui lui donne un but autre que l’obligation continue de soins. Les services sociaux suivent l’application du programme et peuvent intervenir si besoin, en retirant le budget. “Mais ce n’est jamais arrivé“, s’amuse Simon Duffy face à notre scepticisme.

Selon InControl, les personnes qui bénéficient de ce système disent se sentir en meilleure santé. 76 % d’entre elles considèrent que leur qualité de vie s’est améliorée. Selon les calculs d’InControl,le système serait également plus économique pour les de-niers publics.

Bien sûr, ce programme transforme radicalement la manière dont est alloué l’argent. Le projet met en lumière la dis-torsion importante entre les prestations choisies par les usagers, et celles dans lesquelles investit le secteur public. Alors que l’un des premiers postes de dépense publique bénéficiait aux day centers, des organismes qui dispensent des prestations sociales et de santé, ceux-ci sont massivement abandonnés par les usagers, qui optent prioritaire-ment pour des dépenses de loisirs ou de l’aide à domicile.

Des dépenses de loisirs oui ! Mais des dépenses qui permettent à des prestataires d’allocation de se sentir mieux. InControl teste actuellement une place de marché des prestations accessibles aux usagers en ligne, le Shop4Support (Pour en savoir plus : www.shop4support.com). Simon Duffy semble conscient des nombreux risques de sa méthode : favoriser des services existants et ceux qui fonctionnent plutôt que de révéler ceux qui dysfonctionnent ou qu’il faudrait améliorer par exemple, ou encore faire des usagers disposant d’un budget la cible marketing d’un secteur privé qui obéit à sa logi-que économique, sans souci de santé publique.

InControl a démarré en 2003 et est désormais accessible dans une centaine de collec-tivités locales britanniques et bénéficie à plus de 10 000 usagers. D’autres programmes ont travaillé sur le même modèle, comme Plan My Care lancé par la Young Foundation et le Nesta permettant également de donner une voix à l’expertise des usagers pour déter-miner à quels services ils souhaitent allouer leurs budgets.

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Reconcevoir le retour à l’emploi pour ceux qui en sont le plus éloignéDu chômage au marché du travail, il peut y avoir de nombreuses embûches : l’alcool,

la drogue, la présence d’une personne handicapée dans la famille, des problèmes conju-gaux, la violence… Quand ces spécificités disparaissent sous les statistiques et les “cas moyens”, les politiques publiques ont peu de chances d’être efficaces. C’est l’analyse de Live Work, une agence de design londonienne qui travaille pour le secteur public et le secteur privé, dans les domaines du transport, de la santé, du développement écono-mique.

En 2007, un an durant, l’agence a travaillé avec la ville de Sunderland, au nord de l’Angle-terre, où sévit un fort chômage. Sur les 37 000 demandeurs d’emploi que compte la ville, le constat des services administratifs signalait que seulement 5 000 demandeurs d’emploi cher-chaient activement un travail. Comment trouver les moyens pour rapprocher les 32 000 autres du marché du travail ?

Première étape, “nous avons travaillé avec les gens, pour comprendre leurs parcours. Nous n’avons pas nécessairement vu beau-coup de personnes, mais à partir de leur vécu, nous avons retracé les étapes qu’ils devaient franchir pour pouvoir avoir une démarche vers l’emploi”, explique Daniel Letts, l’un des res-ponsables de l’agence qui a travaillé sur le pro-

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jet du Comté de Sunderland. Avec une poignée de volontaires, l’agence a mené un travail pour établir des parcours de retour à l’emploi totalement personnalisés.

Ils ont animé de nombreux évènements et ateliers dans la ville pour rassembler les ser-vices publics concernés, mettre en relation les multiples organismes pour qu’ils discutent plutôt qu’ils ne se renvoient les cas, pour trouver des solutions concrètes et personnali-sées aux cas spécifiques qu’ils avaient en charge. L’agence a ainsi travaillé autant avec les organismes qui traitent de l’emploi que ceux qui travaillent sur l’insertion, la violence, la santé ou la lutte contre la drogue. “Nous avons observé qu’il existait plusieurs structu-res qui fournissaient des services, mais de manière non connectée, non compréhensible pour les utilisateurs”, souligne comme à l’évidence Daniel Letts. L’agence a organisé plusieurs rencontres entre ces services pour que les passages des individus d’une struc-ture à l’autre soient mieux accompagnés. “Cela n’implique pas de grands moyens tech-nologiques, c’est surtout du management entre les différentes structures qui doivent se coordonner”, constate Daniel Letts.

Pour James par exemple, l’un des bénéficiaires de cette aide, il a d’abord fallu résou-dre des problèmes de santé, avant de lui apporter des solutions de formation adaptées et le remotiver pour qu’il retrouve un emploi… et s’assurer bien sûr que chaque service qui l’accompagne ne l’abandonne pas à la porte d’un autre service.

Fort de cette expérience, Live/Work l’a modélisée (http://www.livework.co.uk/file_download/14/MakeitWork_booklet_LoRes.pdf), et proposé des spécifications pour im-plémenter, reproduire et faire perdurer ce type de service. Ils ont même évalué le coût du projet (292 000 euros) et montré qu’il a coûté beaucoup moins cher (4000 euros par

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personne) que ce que coûte une personne au chômage à l’Etat (72 000 euros par an). Au terme de l’année test, sur les 1370 personnes suivies, 276 ont retrouvé un emploi … Une goutte d’eau dans l’océan diront certains ? Une opération rentable au regard du coût économique et social de cette population estime l’agence. L’extrême personnalisation semble en tout cas la seule solution pour parvenir à traiter ce type de problèmes. Mais le plus important, expliquent Bean Reasons et Daniel Letts, c’est l’impact culturel qu’à eu cette expérience sur les organisations, plus que le nombre d’emplois générés. C’est le changement de pratique et de stratégie que cette expérience induit dans les services qui y ont participé.

L’agence Participle a également travaillé sur des projets de ce type, notamment dans un quartier industriel et pauvre de Londres, où le chômage est très élevé, où les reve-nus sont faibles, où la plupart des familles monoparentales sont en situation de crise et connaissent des problèmes de violence… Les services publics sont confrontés tous les jours à ce type de famille sans être armés pour y répondre, renvoyant leurs cas de services en services, essayant de décomposer les problèmes sans parvenir à changer quoi que ce soit à long terme, rappelle Charles Leadbeater. Participle a ainsi dressé une chronologie des interactions d’une jeune adolescente de 17 ans, vivant dans une fa-mille violente et instable, avec les multiples services sociaux qui se sont occupés d’elle. “Comment reconcevoir les services à la famille pour extraire ce type de famille de la crise ?”, demande Charles Leadbeter. “Trop souvent”, constate-t-il, “les services contrôlent la crise, mais n’aident pas les personnes à s’en extraire”.

Le programme de Sunderland devrait être reconduit pour 3 ans. Comme le dit Sophia Parker du Silk : “Il n’est pas toujours facile de changer le monde, mais on peut transfor-mer de petites idées en grandes innovations.” Une goutte d’eau dans l’océan ?… Peut-être, mais s’il n’était pas un amalgame de gouttes d’eau, l’océan n’existerait pas.

Hubert Guillaud avec la collaboration d’Anne Daubrée

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Enjeux

Voyage dans l’innovation sociale britan-nique (3/3) : Quelles sont les limites de l’innovation sociales ?Article d’Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’Internet Actu, publié le 18 juin 2009 dans Internet Actu

Ce voyage dans l’innovation sociale britannique n’est pas sans nous adresser de nom-breuses questions… Que faut-il comprendre derrière les intentions ?

On a constaté en observant nombre de projets que s’ils étaient toujours très ambitieux et se prêtaient bien à la communication publique, ils avaient bien du mal à se reproduire, à dépasser les modes du prototype ou de l’atelier, à concerner plus qu’une poignée de personnes. Il nous a semblé important de ne pas porter un regard béat sur la spécificité britannique, mais de dresser les limites et critiques du modèle, pour mieux comprendre les forces et faiblesses de la méthode.

L’innovation sociale : un modèle britannique ou une réponse au développement de la société de consommation ?

Si en France on parle plutôt d’économie sociale et solidaire et de l’autre côté de la Manche plutôt d’innovation sociale, ce n’est peut-être pas qu’une question de terminolo-gie, mais le signe que les modèles sont finalement différents. “L’innovation sociale britan-nique résulte d’une situation de crise dans le domaine des services publics et sociaux”, rappelle Catherine Fieschi, directrice de CounterPoint, le think tank du British Council. L’innovation sociale est née après les années Tatcher qui ont laminé les services publics britanniques. La santé et l’éducation notamment sont devenues des places de marchés. Chaque école, chaque hôpital, chaque structure sont devenus très autonomes et très individualisés. L’innovation sociale est une réponse à la déliquescence des services pu-blics. En 1997, quand il arrive au pouvoir, Tony Blair hérite d’une situation de crise, avec des infrastructures publiques en très mauvais état et des publics qui ont soif de réfor-mes. Après avoir fait l’état des lieux des services, à partir de 2001, Blair introduit plus de moyens, mais aussi une exigence d’innovation - car il n’était pas non plus question de revenir au statu quo ante : c’est alors l’explosion de l’innovation sociale en Grande-Bretagne, avec la naissance d’agences indépendantes, du Nesta et la création de think tank dans presque chaque ministère… Ce qui est important, c’est ce qui marche, avait dit Tony Blair en parlant des services publics. C’est ce sur quoi vont travailler ces agences.

Mais ce mouvement s’essouffle, reconnaît Catherine Fieschi, d’autant que la crise économique rappelle l’Etat à son rôle de protecteur des citoyens et des services. A croire que le modèle de l’innovation sociale, dans sa structuration même, est une réponse qui

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s’inscrit dans l’histoire et l’architecture des services publics britanniques. La crise et l’état des finances du secteur public britannique sont certainement des conditions qui expliquent le développement - mesuré faut-il le rappeler - de cette forme d’innovation. “L’amélioration des services publics doit passer par d’autres moyens que le finance-ment”. En cela, l’innovation sociale est une forme de réponse : si l’Etat n’a plus d’argent, trouvons des idées !

Pourtant, si c’était le cas, cette forme de coconception portée par le design serait limitée à l’archipel britannique. Ce n’est pas le cas. Si l’innovation sociale se développe en Amérique du Nord et dans les pays en développement, le modèle fleurit aussi dans les pays du Nord de l’Europe comme la Finlande, la Suède et la Norvège qui ne sont pas réputés avoir des services publics moribonds, au contraire. Là-bas aussi, l’innovation so-ciale semble une voie d’avenir pour rénover et adapter les services publics aux besoins des utilisateurs. Reste encore à savoir si ce mouvement est une réponse à une demande de participation ou un soubresaut en réaction à la désaffection des citoyens ? Ici, la plu-part des interlocuteurs ont du mal à répondre nettement. Une hésitation qui montre cer-tainement que quelle que soit la réponse qu’on apporte à cette question, chacun ressent la même urgence à essayer d’inverser la machine consumériste qui nous conduit de plus en plus à consommer du service public, alors que son fondement n’est certainement pas celui-là.

Enfin, l’essoufflement actuel semble également avoir d’autres causes. La “révolution permanente” que prônent ces agences, la remise en cause du fonctionnement des ser-

ci-dessus : Un jeu de cartes imaginé par la 27e Région.

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vices, la démultiplication des expérimentations depuis 2003 sans qu’elles aient eu tous les effets escomptés ou apporté tous les changements espérés y est aussi certainement pour quelque chose. Les fonctionnaires finissent par devenir cyniques sur la réforme per-manente des services. Les utilisateurs eux-mêmes sont fatigués des bouleversements incessants et des expérimentations qui ne changent pas les choses. “On expérimente et réexpérimente, ce qui ne conduit nulle part qu’à une déception permanente et un grand découragement”, juge Charles Leadbeater de l’agence de design Participle. “C’est fati-gant de cocréer son propre bien-être”, explique Mike Harris du laboratoire d’innovation sociale du Nesta. Que veulent les gens ? Que proposent les services ? Plus de choix ? Un accès plus facile ? Comment ?… Difficile de faire s’impliquer les gens ou les services quand l’offre n’est pas toujours claire sur ce que les utilisateurs peuvent concrètement changer.

Qu’invente l’innovation sociale ?

L’innovation sociale n’invente rien. Les méthodes de créativité, les ateliers participa-tifs, les processus scénaristiques, les focus groupes existaient avant elle. “Oui, les mé-thodes ne sont pas nouvelles”, souligne Stéphane Vincent responsable du programme 27e Région. “Reconnaissons que non seulement elles sont mieux emballées, mais sur-tout qu’elles sont nourries de concepts, de disciplines, de process et plus encore d’une d’interdisciplinarité qui me semblent essentielles.”

“Reste que ces méthodes vont nécessiter de longs cycles d’apprentissages pour se diffuser”, avoue-t-il. Il faut aussi reconnaître, comme le dit très bien Geoff Mulgan, de la Young Foundation, que les gens du social connaissent mal les méthodes, ne les utilisent guère et bien souvent s’en défient. Alors qu’elles permettent de s’adresser plus facile-ment à des publics plus difficiles. “Les images graphiques permettent d’expliquer les idées compliquées, de mieux les faire passer, ce sont aussi des outils d’appropriation, de facilitation”, explique Simon Duffy d’InControl. Présenter les choses de manières plus sexy, plus ludique, plus simple, plus adaptée n’est pas un écueil, c’est une force…

Cela n’empêche pas Geoff Mulgan d’être très critique sur le rôle du design et des designers : “certes, ils réalisent de belles présentations, mais ce modèle est tout de même souvent inefficace et sur le fond, immoral”, n’hésite-t-il pas à dire. “Passer par des agences de design, c’est payer très cher pour produire des solutions pour les pauvres. Leurs modèles sont séduisants bien sûr, mais pas leurs modèles économiques”, ironise-t-il. Pour lui, c’est certainement l’une des raisons de l’essoufflement de l’innovation so-ciale britannique. Dans cette compétition acharnée autour d’un marché encore étroit, on comprendra que les critiques entre confrères soient nourries. Et dans ce secteur, Geoff Mulgan, n’est qu’un promoteur d’offre comme les autres. “Bien sûr, les designers sont indispensables, mais ils n’ont pas tous les talents”, modère encore Geoff Mulgan. “Il faut mettre en place des équipes pluridisciplinaires capables de partager leurs talents. Les designers sont bons pour émettre des idées, mais moins doués pour le diagnostic, pour la systémisation, pour la diffusion…”

Le danger, rappelle Stéphane Vincent, c’est que ces formes d’innovation puissent finir par devenir des processus d’innovation très rationnels, trop méthodiques. Les risques sont à la fois celui du dogmatisme et celui de l’effet de mode, qui pourraient exclure

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d’autres acteurs de l’innovation, comme ceux qui font de la démocratie participative de-puis longtemps où ceux qui interrogent la société par des performances artistiques par exemple. “En attendant, l’innovation sociale me paraît une brique majeure de la transfor-mation de la société. Pour quelque temps au moins, elle peut être une bonne forme de médiation pour fédérer les initiatives”.

L’innovation sociale est-elle de droite ou de gauche ? Si Blair l’a promue, le conser-vateur Barroso la soutient également. En fait, l’innovation sociale est un défi de société et un défi économique qui nous est adressé. Si nous ne changeons pas la manière dont nous utilisons et concevons les services publics, alors la rupture entre usagers et servi-ces ne va cesser de s’approfondir, jusqu’à ce que nous ne sachions plus y répondre. “Le message n’est pas si libéral”, tempère encore Stéphane Vincent. “Cette transformation ne signifie par la fin de l’acteur public, au contraire. Mais on ne sait pas encore en faire un sujet politique”. Sauf à constater, désabusé, que finalement les messages de l’innovation sociale (coconception, ouverture, participation…) ne sont finalement que ceux-là même qui font l’essence du politique, comme l’explique très bien Philippe Quéau.

L’innovation sociale peut-elle dépasser le local, le micro, le proto ?

Faire de l’innovation locale, proche des gens, produisant des expérimentations plus que des grands déploiements… sont finalement les objectifs inscrits dans le code même du modèle. Il faut concevoir avec les gens et pour les gens, clament tous les acteurs de l’innovation sociale, “alors que c’est souvent au niveau local que les financements et l’imagination manquent”, rappelle Mike Harris du Nesta.

L’essentiel des projets que nous avons croisés s’adresse à des problèmes de proxi-mité : améliorer une école plutôt que réformer l’éducation, fluidifier l’offre de transports locale plutôt que transformer la mobilité… Cette façon de faire de la politique donne l’impression de s’attaquer à des problèmes très limités, très circonscrits : réunissant peu d’utilisateurs pour la plupart, agissant sur un espace géographiquement limité (une école, un service, un lieu…), se concentrant sur le quotidien immédiat, en temps réel, plutôt que de porter de grands discours. Mais où sont les grands problèmes de société, nationaux, internationaux ? Le modèle peut-il s’affranchir du local, du micro, du prototype ?

Comme le reconnait Geoff Mulgan, le système de santé britannique, c’est 1,2 million d’employés. C’est un secteur en crise chronique qui a besoin de changements fonda-mentaux… Comment passer à l’échelle ? Suffit-il de démultiplier les unités, les labora-toires d’innovation, les réseaux d’innovateurs ? Faut-il mettre en place des plans d’in-novation comme commencent à y réfléchir les services du Premier Ministre britannique ? Faut-il passer par une solution légale qui consisterait à obliger les budgets publics à prévoir un “1 % innovation” - c’est-à-dire que chaque marché public consacrerait 1 % de son budget à des processus d’innovation pour impliquer les citoyens comme d’autres proposent déjà de consacrer les mêmes sommes à la participation. “Si l’on veut réduire les risques pour l’avenir, il va falloir être plus attentif à ces méthodes, plus efficaces dans les stratégies”, souligne-t-il.

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Pour dépasser le local, le micro et le proto, il faudrait aussi être capable de mieux mesurer les impacts. Le Nesta a ainsi lancé un projet d’indices de l’innovation au Royau-me-Uni. La raison en est simple, explique Mike Harris : “nous ne savons toujours pas très bien mesurer l’innovation et ses impacts”. La plupart des mesures se concentrent sur les technologies ou les brevets, mais rien ne permet de mesurer vraiment l’innovation publique. Or, trouver des outils de mesure demeure important, au moins parce que les politiciens en ont besoin pour savoir comment employer l’argent public.

Reste que, comme nous le signalions dans la seconde partie de ce dossier, l’impact des expérimentations semble encore bien fragile. Elle peinent à passer à l’échelle. A être reproduites. Adaptées. A se prolonger après le moment d’expérimentation. A continuer après le départ de l’agence de design… Robert O’Dowd du Design Council, pourtant fier du programme de l’exposition Dott 07 consacrée à l’innovation sociale, reconnait pourtant que peu des projets qui ont composé ce programme ont continué après l’évè-nement.

“Le problème, c’est que cette méthode ne se construit que dans l’action permanente, dans la pratique continue, dans l’immersion, la confrontation avec le terrain. Le risque est de nous conduire à vouloir faire de l’innovation pour l’innovation. Or, à force de trans-formation permanente, elle ne tire pas toujours les enseignements du passé. Il faudrait que les services publics passent en mode bêta permanente, comme un modèle de l’open source appliqué à la politique”, explique encore Stéphane Vincent. “Sans compter que le passage à l’échelle est une thèse qui suppose que les services vont coûter moins cher ensuite si tout est construit sur le même moule. Rien n’est moins sûr ! Peut-être que le

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passage à l’échelle ce n’est pas partout la même chose, mais partout un écosystème dynamique où tout se reconstruit en permanence. Voilà qui devrait surtout nous inviter à revisiter la notion de passage à l’échelle. Pourquoi un programme réussi serait-il un projet qui se déploie partout, uniformément, qui se reproduit partout à l’identique ? L’enjeu est moins que les solutions passent à l’échelle, que les méthodes !”

L’innovation sociale : un processus plutôt que des solutions

On retiendra surtout que l’innovation sociale, c’est un processus plutôt que des solu-tions. C’est une façon d’interroger la société sur son rôle et de l’impliquer. Ce sont des méthodes, des objectifs, avant que d’être des réponses. Et ce sont des pratiques et une conception de ce que doit être le service public.

“Ces questions vont obliger les acteurs publics à changer de modes de fonctionne-ment, à mieux travailler avec les autres… Toute la vertu de l’innovation sociale est de poser des questions et de pousser à la transformation. Mais à terme, ce n’est qu’une méthode”, prévient Stéphane Vincent. “La concertation à la française a produit des ins-tances, des lieux de concertations, des corps institués (conseils de quartiers, etc). Il faut souhaiter que l’innovation sociale soit plus mobile, qu’elle ne crée pas de corps supplé-mentaires… qu’elle ne complexifie par une offre dans laquelle les citoyens ont déjà du mal à se retrouver”.

L’innovation sociale comme mouvement gagne la planète, se structure. Des évène-ments, comme le Social Innovation Camp, propagent les méthodes. Des plateformes comme SocialActions propagent les outils. Des blogs comme SocialDesign, DesignAc-tivism, dogs ou TreeHugger propagent les projets. D’autres comme Putting People First diffusent les concepts et les débats. Des revues comme celle de l’université de Stanford y participent également. Des sites sociaux tels que le Social Innovation Exchange déve-loppent les relations entre innovateurs. Des modules cherchent à impliquer les citoyens comme DailyChallenge ou Web of Change. Des designers de renoms comme John Tac-kara ou François Jegou et de nombreux autres, portent le mouvement.

Qui dit qu’avec leur volonté chevillée au corps, leurs méthodes décoiffantes et leurs projets enthousiastes ces petites innovations-là ne finiront pas vraiment par changer la planète ?

Hubert Guillaud

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NOTES

Mise en perspective dans le contexte français : le point de vue de Muriel Martin Dupray - région Champagne-Ardenne

Notes - Extraits du compte rendu de déplacement de Muriel Martin Dupray, directrice générale adjointe, Région Champagne-Ardenne

Que peut-on tirer de ces expériences pour la Région Champagne-Ardenne ?

Tout d’abord, s’inspirer de la méthode pragmatique impliquant fortement les uti-lisateurs de services: Face à une situation problématique liée à un service défaillant ou absent, « recruter les publics concernés », s’immerger dans le service (« équipes en résidences ») pour une empathie maximale et pour écouter les besoins (« talking and re-cording »), mettre en commun opinions et solutions, faire un retour d’information, lancer l’expérimentation, se donner des possibilités d’évaluation et de droit à l’erreur.

Mais aussi appliquer sur des projets concrets le caractère innovant du « design de service » comme cela est expérimenté actuellement à l’occasion de la construction

Perspectives

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du nouveau lycée Jean Moulin (Revin) pour lequel la définition du projet (contenant et contenu) associe le personnel enseignant, les élèves, les parents d’élèves, les associa-tions locales, avec le concours d’une équipe de designers en résidence. Cette démarche menée avec la 27ème Région est d’ailleurs directement inspirée du projet « Dear Archi-tect : a vision of our future school » qui a été mené par le cabinet de design de service, Engine Service Design à Newcastle (cf. www.ournewschool.org).

Toutefois la transférabilité complète des expériences britanniques n’est pas possible en l’état car il existe en France un contexte et une histoire institutionnelle différente, une culture de l’innovation qui ne cible que marginalement le champ du social associé aux technologies.

Par ailleurs le niveau de la collectivité régionale est plus éloigné de l’usager que ne l’est le niveau de la collectivité locale, en raison des compétences de la Région et la per-ception encore floue par le grand public des services qu’elle rend en direct de par ses compétences.

> Nous pouvons d’abord recenser ce qui en Région Champagne-Ardenne existe déjà notamment avec l’appui de la Région et n’est pas identifié comme « innovation sociale ».

En effet, la « stratégie régionale de l’innovation » que la Commission européenne incite avec le concours du FEDER, à définir d’ici juin 2009 pour combler le retard français en matière de Recherche et Développement, ne prend en compte que les innovations tech-nologiques et industrielles. Nous pourrions innover en ciblant le caractère indispensable de l’innovation sociale sous toutes ses formes, pour une région fortement touchée sur le plan de l’activité industrielle et handicapée par sa faible densité et ses disparités territo-riales.

> La première tache est de rendre lisible les innovations soutenues par la Région sur les territoires et dans nos domaines de compétences : transports, formation et éducation, aménagement équilibré des territoires, développement durable, dev eco et ESS).

Ceci pourrait être développé en lien avec la direction de la Communication de la Ré-gion devant les commissions de la Région les plus concernées et dans le cadre des commissions de l’ARF.

Les présentations pourraient mettre en évidence deux points essentiels : le bénéfice pour les usagers et les économies réalisées ou les coûts évités.

La création de nos deux agences régionales (Carinna : pour la recherche et l’innova-tion, et Arcad : pour la construction et l’aménagement durables) est en soi une innovation car elles n’existent pas en tant que telles dans d’autres régions françaises, mais c’est de la réalité du service rendu aux professionnels qui sont les usagers de leurs services que dépendra leur pérennité même avec l’appui de la Région.

Le travail engagé par les services de la Région, en lien avec l’ARF, avec la 27ème Région qui joue le rôle de Think tank pour les 26 régions françaises en est une autre illustration autour de l’idée de lycée du futur : Revin aujourd’hui et demain d’autres éta-blissements d’enseignement qui feront l’objet de réhabilitation ou de transformation avec le concours des « residences de designers de service ».

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L’organisation du premier « carrefour des possibles » en mars 2009 dans le cadre du salon Innovact a mis l’accent sur 10 projets d’usages innovants des TIC dans notre région, dans le secteur social, culturel et des services aux usagers.

Autres exemples : La mise en place à l’initiative de la Région de la centrale de mo-bilité avec les autorités organisatrices de transports pour disposer via les TIC de toutes informations sur les transports collectifs en région.

Les modalités d’élaboration des contrats Région /territoires à l’issue d’un dialogue avec les élus locaux et le conseil de développement.

Les appels à projets du programme PROGRESS pour l’économie sociale et solidai-re ont ciblé les initiatives innovantes pour passer de l’idée au projet, pour maintenir ou créer des emplois et des activités sur les territoires.

Enfin le dispositif Mutarev a reçu le prix de l’innovation dans la gestion des risques (catégorie RH) dans la conception de l’articulation d’outils d’anticipation et de prévention (plate-forme collaborative entre tous les partenaires).

> Quelques pistes à développer dans les politiques régionales...

* le montage de projets européens avec d’autres régions notamment britanniques autour de l’innovation dans les services en ciblant les compétences de la Région : ly-cées, retour à l’emploi et transports,

* le lancement d’un véritable programme transverse sur les TIC et leurs usages sociaux innovants,

* le renforcement des dispositifs de conception / d’amélioration des services publics avec les usagers, notamment autour des enjeux de qualité des services: les CLAD dans les transports, les conseils de développement dans les territoires (mini CES),

* la création au sein des services de la Région, d’un service transverse en charge de la prospective, des études et de l’innovation dans les organisations et les services

* Réserver 1% du budget régional à la prospective et à l’innovation sociale.

Muriel MARTIN-DUPRAY

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Conclusion

Par Stéphane Vincent

Que retenir de cet aperçu de l’innovation made in UK ?

Tout d’abord, que la réputation des anglais en matière de services n’est pas usurpée. Il y avait chez tous nos interlocuteurs une grande maîtrise des méthodes de co-conception de services ; de leur point de vue, le point commun entre un projet social, économique ou encore culturel est qu’à leur issu, il y a forcément des services, que ceux-ci doivent fonc-tionner simplement et que la meilleur façon d’y parvenir est d’associer significativement l’utilisateur dès leur conception. Dans le monde anglo-saxon, le design est l’étendard le plus visible de ce mouvement, qui mobilise abondemment la créativité et l’imagination. Le story-telling y est utilisé dans sa capacité à décrire de façon simple la complexité, en lui donnant des représentations imagées: des scénarios, des dessins, des croquis, des cartes, des photos, des vidéos...

Ensuite, la recherche d’une action positive sur l’environnement et la société ; dans beau-coup de projets, il ne s’agit pas seulement d’être neutre en termes d’impact climatique ou de socialisation, mais bien de «produire du mieux» -et de le produire durablement. L’objectif ultime d’émancipation («enablement») est d’ailleurs un trait caractéristique des projets présentés: l’innovation sociale doit permettre aux gens de retrouver leur indé-pendance et de se libérer de la tutelle, réelle ou perçue, de la puissance publique et de l’Etat.

Un point me frappe, à ce sujet: la recherche d’amélioration continue, basé sur un travail «fin» avec la communauté des utilisateurs et leur participation. En France, la réforme de l’Etat et des institutions passe par un travail législatif (réforme Balladur), managérial et financier (Révision générale des politiques publiques, ou RGPP), technologique (l’admi-nistration électronique) ou démocratique (la participation, entendue comme celle des citoyens à la décision publique). Mais jamais n’est sérieusement évoquée l’idée d’une vision plus ouverte, plus participative, plus continue, plus déconcentrée, plus créative, plus méthodique aussi, embrassant toute la complexité sans jamais la réduire ni la nier.

Quand à ceux qui pensent que le changement ne peut venir que de l’extérieur, certaines collectivités (comme le Comté du Kent et son Laboratoire de l’innovation sociale) nous montrent qu’il est possible de transformer l’action publique de l’intérieur. Le travail du SILK est remarquable, tout comme celui du MindLab, au Danemark. Nous nourrissons souvent l’espoir que toutes les grandes collectivités et corps de l’Etat se dotent de telles approches.

Aller à la rencontre de projets menés dans d’autres pays a de nombreuses vertus. L’une d’elles est de nous placer dans la posture de l’apprenti ethnologue, capable de voir

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avec un oeil neuf des choses que nous parvenons à peine à voir chez nous, même si elles sont souvent là, sous nos pieds. En allant à Londres, nous espérions bien sûr faire le plein d’études de cas, de concepts et d’idées susceptibles de nourrir nos réflexions franco-françaises. C’est chose faite, comme ce cahier le montre. Mais nous espérions aussi conserver ce réflexe au retour car nous croyons plus que jamais à la nécessité, pour l’acteur public, de travailler à partir des pratiques réelles des utilisateurs, plutôt que sur des pratiques «rêvées». Tout au long de 2009, nous continuerons à observer la façon dont les acteurs publics s’emparent de l’innovation sociale pour mieux se transformer. Et nous vous invitons à prendre date pour une nouvelle excursion, courant 2010, dans un autre territoire d’innovation...

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Pour en connaître davantage sur le thè-me de l’innovation sociale : références bibliographiques

L’innovation sociale : Emergence et effets sur la transformation des sociétés, Juan-Luis Klein, Denis Harrisson , Presses de l’Université du Québec, décembre 2006

Les expérimentations sociales en Europe, Etude de Marjorie Jouen, Notre Europehttp://www.notre-europe.eu/uploads/tx_publication/Etud66-MJouen-Experimentations-sociales-fr.pdf

L’innovation sociale pour nous sortir de la crise ! Marjorie Jouen, Notre Europe, et Sté-phane Vincent, La 27e Régionhttp://www.la27eregion.fr/L-innovation-sociale-pour-nous

Innovate from within - An open letter to the new Cabinet Secretary, Charles Leadbeater, Demos 2002

Red Paper 01 Health: Co-creating Services, Hilary Cottam and Charles Leadbeater, De-sign Council, nov. 2004

Personalisation through participation: a new script for public services, Charles Leadbea-ter, 2004, Demos

Références