Infection de plaies chroniques : particularités chez la ...

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REVUE MÉDICALE SUISSE WWW.REVMED.CH 8 novembre 2017 1938 Infection de plaies chroniques : particularités chez la personne âgée L’infection de plaies chroniques chez le patient âgé fait peser le risque d’une décompensation fonctionnelle ou d’une aggravation irréversible de la plaie. L’hétérogénéité des situations cliniques, l’absence de données issues d’essais cliniques et un certain fata- lisme devant le pronostic précaire de ces affections ne doivent pas retarder l’élaboration d’un projet de soins adapté au patient (traitement visant à une cicatrisation complète, une rémission ou alors purement symptomatique). La stratégie de prise en charge doit s’adapter de façon dynamique aux enjeux fonction- nels, aux contraintes et particularités liées au patient mais aussi aux ressources et moyens techniques à disposition. Par ailleurs, l’emploi de l’antibiothérapie doit être maîtrisé et ne doit pas éluder une prise en charge globale et pluridisciplinaire. Infection of chronic wounds in elderly patients Chronic wounds infection in the elderly patients presents the risk of functional decompensation, or irreversible worsening of a wound. The diversity of clinical situations, the absence of data from clinical trials in the literature and a certain fatalism in view of the poor prognosis of these conditions should not be allowed to delay the early preparation of a patient-centred care plan (aiming at complete scarring, remission or symptomatic relief). Diagnostic and therapeutic strategies must be flexible, to take account not only of functional issues, constraints and special features relating to the patient but also of the resources and technical means available. Antibiotic therapy is widely used and must be reduced. It needs, however, to be considered for inclusion in a care plan that must be comprehensive and multidisciplinary. INTRODUCTION L’infection de plaie chronique (plaie évoluant depuis plus de 6 semaines) chez la personne âgée (PA) (> 75 ans) concerne par ordre de fréquence les escarres sacrées et du talon, les ulcères du pied diabétique, ceux veineux et artériels et les plaies cancéreuses. Elle est la résultante d’une interaction entre : X un hôte âgé qui peut être fragile et présenter une poly- pathologie avec un risque élevé de décompensation fonc- tionnelle et de syndromes gériatriques ; 1 X un agent infectieux plus ou moins virulent ; X l’environnement de la plaie, les conditions locales cutanées ; X les interventions thérapeutiques préalables ; X l’état vasculaire sous-jacent. Les patients porteurs de plaies chroniques sont fréquemment exposés à des antibiotiques (ATB) aboutissant à l’émergence de clones bactériens résistants. 2 Il existe peu de données sur les aspects de la prise en charge de la plaie chronique infectée chez la PA si l’on exclut les plaies en contexte palliatif ou celles de pied diabétique. A noter que les infections cutanées sans plaies et les érysipèles ne sont pas abordés dans cet article. QUELQUES CHIFFRES La Suisse se prépare à un vieillissement démographique ra- pide et important avec un nombre croissant de PA atteintes de démence ( jusqu’à 300 000 en 2040), de diabète et de ma- ladies vasculaires. Les PA souffrant de plaies chroniques vont représenter un véritable défi pour les infirmiers, médecins de ville et équipes hospitalières médico-chirurgicales dédiées et un coût très significatif pour notre système de santé. En 2016, une enquête réalisée au sein du Service de gériatrie des HUG évaluait à 13,3 % le nombre de patients hospitalisés porteurs d’escarres. La même année, la prévalence d’escarres parmi 2438 patients de 29 EMS du canton de Genève était estimée à 4,2 % (données non publiées). DÉFINITION DU PROJET DE SOINS Une prise en charge de qualité d’un patient porteur d’une plaie chronique doit intégrer les dimensions médico-chirurgi- cale, psychosociale et fonctionnelle. L’avis du médecin trai- tant interniste ou gériatre est capital pour définir le projet de soins du patient basé sur des preuves médico-scientifiques et adapté aux particularités de la PA. Temporiser ou sous-esti- mer l’importance d’un diagnostic précis peut aboutir à une extension de l’infection ou un risque de décompensation de comorbidités. Par ailleurs, l’analyse des facteurs de risque de récidive et de leur réversibilité impose une expertise médicale globale. L’évaluation gériatrique précoce doit permettre d’éviter la multiplication d’explorations coûteuses ou inutiles (imagerie, prélèvements), d’évaluer le bénéfice/risque d’un traitement médical (ATB, anticoagulation, revascularisation) et/ou d’un recours à la chirurgie. Le plan de prise en charge, défini avec le patient, doit fixer des objectifs rationnels : cica- trisation, rémission de la plaie ou traitement purement symp- tomatique. 3 Il doit pouvoir s’appuyer si nécessaire sur l’avis de spécialistes et de centres de référence. Le tableau 1 permet de construire ce projet de soins. Drs RAPHAËL MASSON  a , HUBERT VUAGNAT  b , ILKER UÇKAY  c , LAURENCE TOUTOUS-TRELLU  d et VIRGINIE PRENDKI  a Rev Med Suisse 2017 ; 13 : 1938-44 a Service de médecine interne et de réhabilitation, Hôpital des Trois Chêne, HUG, 1226 Thônex, b Centre plaies et cicatrisation, HUG, 1211 Genève 14, c Service des maladies infectieuses, Service d’orthopédie, HUG, 1211 Genève 14, d Service de dermatologie, HUG, 1211 Genève 14 [email protected] | [email protected] | [email protected] [email protected] | [email protected]

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Infection de plaies chroniques : particularités chez la personne âgée

L’infection de plaies chroniques chez le patient âgé fait peser le risque d’une décompensation fonctionnelle ou d’une aggravation irréversible de la plaie. L’hétérogénéité des situations cliniques, l’absence de données issues d’essais cliniques et un certain fata-lisme devant le pronostic précaire de ces affections ne doivent pas retarder l’élaboration d’un projet de soins adapté au patient (traitement visant à une cicatrisation complète, une rémission ou alors purement symptomatique). La stratégie de prise en charge doit s’adapter de façon dynamique aux enjeux fonction-nels, aux contraintes et particularités liées au patient mais aussi aux ressources et moyens techniques à disposition. Par ailleurs, l’emploi de l’antibiothérapie doit être maîtrisé et ne doit pas éluder une prise en charge globale et pluridisciplinaire.

Infection of chronic wounds in elderly patientsChronic wounds infection in the elderly patients presents the risk of functional decompensation, or irreversible worsening of a wound. The diversity of clinical situations, the absence of data from clinical trials in the literature and a certain fatalism in view of the poor prognosis of these conditions should not be allowed to delay the early preparation of a patient-centred care plan (aiming at complete scarring, remission or symptomatic relief). Diagnostic and therapeutic strategies must be flexible, to take account not only of functional issues, constraints and special features relating to the patient but also of the resources and technical means available. Antibiotic therapy is widely used and must be reduced. It needs, however, to be considered for inclusion in a care plan that must be comprehensive and multidisciplinary.

INTRODUCTIONL’infection de plaie chronique (plaie évoluant depuis plus de 6 semaines) chez la personne âgée (PA) (> 75 ans) concerne par ordre de fréquence les escarres sacrées et du talon, les ulcères du pied diabétique, ceux veineux et artériels et les plaies cancéreuses. Elle est la résultante d’une interaction entre :X un hôte âgé qui peut être fragile et présenter une poly­

pathologie avec un risque élevé de décompensation fonc­tion nelle et de syndromes gériatriques ;1

X un agent infectieux plus ou moins virulent ;X l’environnement de la plaie, les conditions locales cutanées ;

X les interventions thérapeutiques préalables ;X l’état vasculaire sous­jacent.

Les patients porteurs de plaies chroniques sont fréquemment exposés à des antibiotiques (ATB) aboutissant à l’émergence de clones bactériens résistants.2 Il existe peu de données sur les aspects de la prise en charge de la plaie chronique infectée chez la PA si l’on exclut les plaies en contexte palliatif ou celles de pied diabétique. A noter que les infections cutanées sans plaies et les érysipèles ne sont pas abordés dans cet article.

QUELQUES CHIFFRESLa Suisse se prépare à un vieillissement démographique ra­pide et important avec un nombre croissant de PA atteintes de démence ( jusqu’à 300 000 en 2040), de diabète et de ma­ladies vasculaires. Les PA souffrant de plaies chroniques vont représenter un véritable défi pour les infirmiers, médecins de ville et équipes hospitalières médico­chirurgicales dédiées et un coût très significatif pour notre système de santé. En 2016, une enquête réalisée au sein du Service de gériatrie des HUG évaluait à 13,3 % le nombre de patients hospitalisés porteurs d’escarres. La même année, la prévalence d’escarres parmi 2438 patients de 29 EMS du canton de Genève était estimée à 4,2 % (données non publiées).

DÉFINITION DU PROJET DE SOINS Une prise en charge de qualité d’un patient porteur d’une plaie chronique doit intégrer les dimensions médico­chirurgi­cale, psychosociale et fonctionnelle. L’avis du médecin trai­tant interniste ou gériatre est capital pour définir le projet de soins du patient basé sur des preuves médico­scientifiques et adapté aux particularités de la PA. Temporiser ou sous­esti­mer l’importance d’un diagnostic précis peut aboutir à une extension de l’infection ou un risque de décompensation de comorbidités. Par ailleurs, l’analyse des facteurs de risque de récidive et de leur réversibilité impose une expertise médicale globale. L’évaluation gériatrique précoce doit permettre d’éviter la multiplication d’explorations coûteuses ou inutiles (imagerie, prélèvements), d’évaluer le bénéfice/risque d’un traitement médical (ATB, anticoagulation, revascularisation) et/ou d’un recours à la chirurgie. Le plan de prise en charge, défini avec le patient, doit fixer des objectifs rationnels : cica­trisation, rémission de la plaie ou traitement purement symp­tomatique.3 Il doit pouvoir s’appuyer si nécessaire sur l’avis de spécialistes et de centres de référence. Le tableau 1 permet de construire ce projet de soins.

Drs RAPHAËL MASSON a, HUBERT VUAGNAT b, ILKER UÇKAY c, LAURENCE TOUTOUS-TRELLU d et VIRGINIE PRENDKI a

Rev Med Suisse 2017 ; 13 : 1938-44

a Service de médecine interne et de réhabilitation, Hôpital des Trois Chêne, HUG, 1226 Thônex, b Centre plaies et cicatrisation, HUG, 1211 Genève 14, c Service des maladies infectieuses, Service d’orthopédie, HUG, 1211 Genève 14, d Service de dermatologie, HUG, 1211 Genève 14 [email protected] | [email protected] | [email protected] [email protected] | [email protected]

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8 novembre 20171940

DIAGNOSTIC CLINIQUE D’INFECTION DE PLAIE

Le diagnostic est à l’heure actuelle essentiellement clinique. Les symptômes prouvant l’infection sont classiquement l’abcès, la tuméfaction inflammatoire, la dermohypodermite et l’écoulement purulent (figures  1 et 2). Des signes plus subjectifs peuvent être une modification de la coloration de la plaie, la friabilité du tissu de granulation, le retard de cica­trisation, la douleur, l’odeur nauséabonde et la dégradation rapide de la plaie. L’apparition d’une douleur ou son accen­tuation seraient assez discriminantes,4 mais c’est un symp­tôme souvent diminué, voire absent pour les plaies sur terrain neuropathique. Chez la PA, les signes généraux peuvent man­quer et certains symptômes comme la douleur peuvent être mal identifiés. Des scores cliniques seraient bénéfiques pour homogénéiser les pratiques comme dans le pied diabétique.5 L’apport de la télémédecine et des smartphones ajoute une interface prometteuse à la prise en charge des patients por­teurs de plaie au domicile,6 mais la qualité opérateur dé­pendant des images associée à l’absence de palpation ou d’odeur et l’impossibilité d’explorer la plaie peuvent biaiser le jugement clinique et nécessitent des études complémentaires (figure 3).

Quand considérer un projet de soins non curatif ?

Objectifs et plan de prise en charge

X Refus du projet curatif par le patientX Plaie infectée ischémique non revascularisableX Destruction avancée sans possibilité de reconstructionX Plaie compliquée d’une ostéite de contiguïté non opérableX Immobilisation engageant le pronostic fonctionnel à long termeX Plaie infectée chirurgicale mais risque opératoire majeur modifiant la stratégieX Plaie avec infection de matériel non explantableX Dénutrition sévère (albumine < 30) sans projet de renutrition possibleX ATB adaptée impossible (intolérance, bactérie multirésistante) X Prévention secondaire impossible (compression veineuse, chaussage)X Troubles cognitifs/comportementaux rendant impossible le plan thérapeu-tiqueX Plaie cancéreuse non contrôlableX Souhait du patientX Pronostic sombre à court terme

Rémission de la plaieX Prise en charge pluridisciplinaireX Gestion locale (prélèvement, débridement)X Cicatrisation dirigéeX Réversibilité des facteurs de risqueX ATB ponctuelle sur les parties molles pour les épisodes de surinfectionX Topiques anti-infectieuxX Réhabilitation adaptéeX Surveillance régulière et réévalua-tionX Identification et organisation des recours en cas d’aggravationX Faisabilité des soins à domicileX Information du patient ± des prochesX Concertation équipe médico- soignanteX Soutien psychologique

Confort – soins palliatifsIdem + axe symptomatique :X Contrôle de la douleurX Diminution de la fréquence des pansementsX Elimination des odeursX Prévention de la surinfectionX Absorption des exsudatsX Prévention de nouvelles plaies

Autres axes à explorerX Aspirations du patient X Bien-être psychosocial du patient

Tableau 1Projet de soins et plan de prise

en charge du patient âgé avec plaie chronique infectée

ATB : antibiotique/antibiothérapie.

(Photo Dr R. Masson).

fig 2Dermohypodermite sur plaie

nécrotique de la face postérieure de jambe

Plaie survenue dans un contexte d’ischémie de membre inférieur.

(Photo Dr R. Masson).

fig 3 Diagnostic d’infection dans le cadre d’une télé-expertise

Surexposition photographique d’une plaie de pied (à gauche) pouvant faire surestimer le diagnostic d’infection.

(Photo Dr R. Masson).

fig 1 Escarre du tablier abdominal infectée

Dermohypodermite périlésionnelle, nécrose humide, odeur fétide avec extension rapide et fièvre.

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gérontologie

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8 novembre 2017 1941

CRITÈRES BIOLOGIQUES POUR LE DIAGNOSTIC D’INFECTION DE PLAIE CHRONIQUEIl n’existe aucun critère de ce type. La CRP et la leucocytose n’ont pas de valeur dans le diagnostic d’infection. Certains auteurs ont suggéré l’association de la CRP et de la PCT (pro­calcitonine) pour distinguer les plaies non infectées et infec­tées dans les plaies du pied diabétique mais leur utilisation reste à valider.7

IMAGERIE DIAGNOSTIQUELa radiographie standard est un examen utile et facilement accessible pour le diagnostic d’ostéite sur plaie de contiguïté. Pouvant être faussement négative pour les ostéites débu­tantes ou corticales, sa répétition à distance peut s’avérer nécessaire. Son interprétation est très limitée pour les escarres sacrées et ischiatiques. Néanmoins, elle est néces­saire à l’évaluation des rapports osseux et des déformations, particulièrement dans les plaies du pied. Le scanner est un examen utile mais insuffisamment sensible pour le diag nostic des ostéites corticales. L’échographie est contributive dans le diagnostic des abcès sous­cutanés et profonds. Enfin, l’IRM permet une évaluation précise de l’extension de l’infection dans les parties molles et peut guider le chirurgien dans certains cas. Elle est très sensible pour le diagnostic d’ostéite corticale dans les escarres du bassin mais peu spécifique, ce qui la rend peu utile en pratique de routine lorsque la plaie est de nature chirurgicale.8 Le TEP scanner et la scintigraphie aux polynucléaires marqués ne sont discutés que dans les cas d’infection compliqués d’ostéite de contiguïté.

DIAGNOSTIC MICROBIOLOGIQUE DE LA PLAIE INFECTÉELa microbiologie en soi ne pose pas le diagnostic de la pré­sence ou absence d’une infection. Les plaies chroniques sont pratiquement toujours colonisées par des bactéries dont la présence ne signe pas pour autant l’infection. Souvent, les patients ont également bénéficié d’une antibiothérapie ré­cente qui modifie le résultat microbiologique en fonction de l’ATB utilisé. L’utilisation d’une concentration critique (> 105 ufc/g de tissu) d’un agent infectieux pour définir l’infection de plaie a été une mode mais reste toujours controversée. Des études récentes suggèrent le rôle de l’organisation de commu­nautés bactériennes en biofilm dans la résistance aux ATB.9

La bactériologie est surtout un outil aidant le clinicien à adapter son antibiothérapie. Un prélèvement ne doit donc être réalisé que si l’on suspecte une infection de la plaie et si l’on souhaite prescrire un ATB systémique. X L’écouvillon simple est fréquemment réalisé et facile à uti­

liser, mais comporte des désavantages. Le risque majeur est de recueillir l’ensemble des bactéries colonisantes à la superficie de la plaie et d’induire le prescripteur en erreur pour l’identification de la bactérie pathogène. Il est donc à éviter.

X Le curetage­écouvillonnage consiste à laver et débrider avant de prélever en fond de plaie. Il présente l’avantage d’éliminer les débris et tissus superficiels potentiellement

contaminants. Il est surtout recommandé pour les plaies infectées de pied diabétique.

X La biopsie profonde est souvent décrite comme la réfé­rence dans la littérature pour le diagnostic d’infection. Elle consiste à réaliser un prélèvement tissulaire de fond de plaie (punch, curette ou bistouri). Son utilisation est limitée par la douleur, le risque hémorragique et la perte de tissu qu’elle induit pour les plaies les plus superficielles.

X L’aspiration à l’aiguille est un prélèvement réalisé avec une aiguille fine en passant en zone saine pour le recueil de liquides purulents de plaies profondes ou anfractueuses. Elle est peu utilisée en ambulatoire et souvent délaissée à l’hôpital au profit d’une exploration chirurgicale et d’un drainage (abcès) pour les infections de tissus mous avec collection.

X La biopsie osseuse est la méthode de référence pour le diag nostic d’ostéite. Si la biopsie chirurgicale reste le gold standard, on préfère souvent réaliser des biopsies osseuses guidées par le radiologue ou réalisées au lit du malade (par la plaie ou en zone saine)10 chez les sujets les plus fragiles non opérables. La bactériologie et la pathologie sont re­cueillies si possible.

X Les hémocultures sont indispensables en cas de signes gé­néraux.

STRATÉGIE DE PRISE EN CHARGE D’UNE PLAIE INFECTÉE DU PATIENT ÂGÉ Le tableau 2 résume un ensemble de situations cliniques jus­tifiant un avis auprès d’un centre de référence.

Lavage

C’est un prérequis simple et indispensable à la bonne prise en charge d’une plaie infectée. Le nettoyage comporte des gestes de base : exploration de la plaie, retrait des croûtes, lavage au savon à pH neutre ou scrub, irrigation si nécessaire, rinçage abondant. Cela permet une diminution de contingent bac­térien et une dilution des toxines. L’eau du robinet, le plus souvent sous la douche, est suffisante pour la grande majorité des plaies non chirurgicales. De récents travaux n’ayant pas démontré la supériorité du sérum physiologique.11

X Sévérité avec mise en jeu du pronostic vital ou fonctionnelX Terrain neuropathique et ischémiqueX Agent infectieux multi ou hautement résistantX Sujet allergique aux antibiotiquesX Terrain complexe (insuffisance rénale ou hépatique, immunosuppression, polypathologie)X Plaie avec matériel sous-jacent (prothèse)X Indication à un avis pour geste de détersion chirurgicaleX Ostéite ou suspicion d’ostéiteX Pas de possibilité de cicatrisation dirigéeX Non-faisabilité des pansements en ambulatoire (difficulté technique, douleur, risque hémorragique)X Projet curatif compromis par l’état cognitif, psychique ou social du patient

Tableau 2 Quand demander un avis auprès d’un centre expert  ?

Situations motivant une orientation vers un centre de référence pour une plaie chronique infectée du sujet âgé.

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8 novembre 20171942

Débridement

Le débridement des tissus infectés et nécrosés doit être répété autant que nécessaire.12 Il est précédé et suivi d’un la­vage et permet d’éliminer en partie le biofilm imperméable aux ATB s’il est présent (figure  4). Ce geste nécessite une formation et un entraînement technique, un matériel adapté et du temps. Des précautions doivent être prises avec un avis spécialisé en cas d’insuffisance artérielle non compensée. En ambulatoire, les contraintes les plus fréquentes sont la douleur, le risque hémorragique et le respect des conditions d’asepsie. Les infirmiers devraient pouvoir accéder à un avis expert dans les meilleurs délais en cas de doute sur l’innocui­té du geste.

Place des antiseptiques

Leur indication fait débat. Ils peuvent théoriquement allon­ger le délai de cicatrisation (cytotoxicité) et être mal tolérés (eczéma, irritation). Leur utilisation pourrait être ponctuelle et courte lors d’épisodes de surinfection. Ils présentent l’avantage d’une action topique directe bactéricide sans risque majeur d’émergence de résistance bactérienne et permettent le contrôle local des plaies infectées légères à modérées et une réduction de contingent bactérien pour les plaies les plus sévères.13 Néanmoins, peu d’études suggèrent leur supériorité (s’il en existe) aux effets mécaniques des soins de plaie standard. Les principaux antiseptiques sont les dérivés iodés (Bétadine), les dérivés chlorés (Dakin, Amukine), les bigua­nides : chlorhexidine (Hibiscrub) et le polyhexaméthylène biguanide (PHMB).

Place de l’antibiothérapie topique

Il n’existe pas à l’heure actuelle de recommandations à une antibiothérapie topique.14 Le risque potentiel de sélection de clones bactériens résistants est aussi important que pour les ATB systémiques. Les infections cutanées superfi­cielles (impétigo, folliculite) sont leur utilisation clas­sique. De potentiels bénéfices et l’intérêt des recherches dans ce domaine ont été soulignés par certains groupes d’experts.15

Choix du pansement

Le pansement anti­infectieux a un intérêt dans la plaie infectée, même si le niveau de preuves est assez faible.16 Il doit absorber l’excès d’exsudats, être perméable aux échanges gazeux, proté­ger les berges de la plaie, protéger la plaie des agressions méca­niques et d’une contamination extérieure. En cas d’infection, il devra idéalement pouvoir absorber les bactéries et leurs toxines, mais aussi les enzymes et facteurs inflammatoires libérés par l’hôte. Il faut éviter les dispositifs occlusifs (hydrocolloïdes) ou les pansements aggravant la macération, qui favorisent un mi­lieu trop humide propice à la prolifération bactérienne (crèmes, pommades). Le tableau 3 résume la liste des pansements.

Antibiothérapie systémique

Les plaies avec des signes d’infection progressive peuvent jus­tifier un ATB systémique qui devient urgent en cas de signes généraux.17 La durée se base sur l’évolution clinique et est classiquement de 10 à 14 jours. Nous préférons une antibio­thérapie ciblée. Si ce n’est pas possible, le tableau 4 résume notre choix d’ATB probabilistes basé sur la clinique. Dans les cas de plaies non chirurgicales où coexistent infection des parties molles et suspicion d’ostéite de contiguïté sous­ jacente, le clinicien est souvent hésitant entre le souhait d’obtenir une documentation bactériologique par biopsie profonde et la nécessité de traiter en urgence son patient afin d’éviter l’extension de l’infection. Selon notre expérience, si la biopsie n’est pas réalisable en urgence, la prise en charge peut être séquentielle avec traitement des parties molles par ATB et réalisation d’une biopsie osseuse lors du contrôle de l’infection, idéalement 15 jours après fenêtre thérapeutique.

(Photo Dr R. Masson).

fig 4 Débridement et décharge

Le débridement et la décharge permettent d’assainir le lit de la plaie.

Famille Indication Action Prix

Alginates Oui Draine, piège les bactéries, hémostase

+

Pansement au charbon Oui Absorbe et capte les odeurs +

Hydrofibres-fibres de carbométhylcellulose

Oui Très absorbant, piège les bactéries

+

Pansement argent Oui Pouvoir bactéricide argent +++

Pansement dérivé iodé Oui Antiseptique large spectre, potentiellement cytotoxique et risque de sensibilisation

+

Pansement DACC-Chlo-rure dialkyl carbamoyle

Oui Hydrophobicité +++

Pansement biguanide ou octénidine

Oui Antiseptique bactéricide large spectre-action sur le biofilm

+++

Pansement miel Oui Bactéricide-hyperosmolaire +++

Pansement irrigo-absorbant

Oui Osmolarité et drainage +++

HydrogelNon indiqués

Hydrocellulaire*

Hydrocolloïde

Film de polyuréthane

Tableau 3 Place des pansements dans les plaies chroniques infectées

* formes combinées avec agents bactéricides non prises en compte.

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8 novembre 2017 1943

Place de la chirurgie outre le débridement

L’abcédation, la nécrose humide infectée, la présence de gaz dans les tissus mous imposent un avis chirurgical pour débri­dement agressif avec incision et drainage en urgence. Pour les membres inférieurs, l’état vasculaire doit être évalué et une stratégie de revascularisation organisée en urgence si besoin.18 Les plaies profondes avec destruction tendineuse ou osseuse doivent bénéficier d’un avis médico­chirurgical concerté (pro­jet de soins, risque opératoire, souhait du patient, pronostic vasculaire, infectieux et fonctionnel, bénéfices et contraintes d’une reconstruction). La nécrose sèche doit faire discuter une revascularisation puis un débridement. Une stratégie de momification (assèchement par délimitation naturelle) par soins locaux peut être proposée si la revascularisation n’est pas possible. Une amputation majeure est discutée en cas d’infection non contrôlable, de douleur insupportable non contrôlable, de nécrose extensive ou de destruction majeure avec projet de réhabilitation. Les chirurgies de couverture par lambeaux pour les escarres du bassin sont à réserver aux sujets moins fragiles (risque chirurgical, taux d’échec, con­traintes d’immobilité, risque de récidive, état nutritionnel, faible qualité des tissus et de leur vascularisation).

Mesures associées

Ces mesures comprennent :X l’information au patient et à son entourage.X La renutrition et le traitement des troubles métaboliques.X Le rappel vaccinal antitétanique.X La décharge mécanique : les changements de position ré guliers

et le choix d’un support sont primordiaux pour les escarres et doivent s’adapter au degré de gravité et de mobilité du patient. La décharge du pied et un chaussage adapté sont à confronter au risque de chute et de perte d’état fonctionnel.

X L’évaluation du statut vasculaire pour les plaies de membre

inférieur (contention, revascularisation).X La thérapie par pression négative et plus récemment les

pansements aspiratifs sont le plus souvent contre­indiqués en cas de plaie infectée non contrôlée. Lors de la réfection du pansement (toutes les 72 heures), l’apparition de signes d’infection doit faire arrêter la thérapie et réévaluer la prise en charge médico­chirurgicale (nécessité d’ATB ou d’une nouvelle détersion).

Prévention

La recherche de facteurs de risque réversibles doit être active pour éviter une récidive de la plaie. L’infection doit être pré­venue par une correction des facteurs de risque (colonisation, mobi lité, soin local inadapté, diabète mal contrôlé).19,20 Les escarres du bassin et des talons doivent être systématique­ment recherchées chez les PA alitées. Les chaussages inadaptés sources de conflit mécanique doivent être proscrits, notam­ment chez les patients souffrant de neuropathie sensitive. Les troubles de position nement à l’origine de zones de conflit mécanique doivent être évalués et corrigés dans la mesure du possible. L’évaluation des risques de lésions traumatiques est également importante ( patient chuteur, matériel pouvant blesser).

CONCLUSION L’infection de plaie chronique de la PA nécessite une ap­proche globale pragmatique. Son diagnostic reste clinique et se confronte à une grande hétérogénéité. Le projet de soins doit tenir compte du terrain et de l’état fonctionnel du pa­tient pour justifier du choix d’intervention thérapeutique. Des scores cliniques diagnostiques seraient à développer pour choisir la meilleure prise en charge en réduisant la pres­cription inutile d’ATB. L’évaluation gériatrique multidimen­sionnelle pourrait participer à l’élaboration de recommanda­tions dans la prise en charge des plaies infectées du sujet âgé.

Tableau 4Tableau des antibiotiques probabilistes de plaies chroniques chez le sujet âgé

en fonction de la situation clinique

ATB : antibiotique/antibiothérapie ; SASM : Staphylocoque aureus sensible à la méticilline ; SARM : Staphylocoque aureus résistant à la méticilline ; BGN : bacille gram négatif.

Type de plaie Bactérie(s) suspecté(es) ATB proposée

Dermohypodermite sur plaie chronique et/ou profonde sans signes de gravité

SASMStreptocoques

AnaérobiesBGN

Amoxicilline-acide clavulanique

Plaie infectée nécrotique et macérée

SASMStreptocoques

BGN dont P. aeruginosaAnaérobies

Amoxicilline-acide clavulanique

Pipéracilline-tazobactam

Plaie chronique infectée avec échec ATB récente et état local préoccupant

SASMS. pyogenesBGN dont P. aeruginosaAnaérobiesSARMBGN résistants

Pipéracilline-tazobactam ou imipénem

± vancomycine

Sepsis grave/infection de plaie chronique

Pipéracilline-tazobactam ou imipénem ± vancomycine

Un prélèvement ne doit être réalisé que si l’on suspecte une infection de la plaie

Une évaluation gériatrique précoce peut permettre un projet de soins cohérent adapté au patient

Il est conseillé d’identifier les situations relevant d’une prise en charge interdisciplinaire avec l’appui d’un consultant spécialisé en soins de plaies

Le traitement d’une plaie chronique infectée comporte un lavage et un débridement adapté. Il doit faire discuter en fonction du degré de gravité un topique anti-infectieux et/ou la prescription d’une ATB systémique probabiliste ou ciblée

Les mesures associées de décharge, d’évaluation du statut vascu-laire et nutritionnel et de prévention secondaire sont indispensables

implicaTions praTiques

Remerciements : Nous remercions Mme Anne-Claire Raë, infirmière chargée de recherche et qualité de soins et Mme Odile Thévenot, infirmière spécialiste Clinique plaies et cicatrisations aux HUG, Genève pour leur contribution dans la communication des résultats des enquêtes de prévalence d’escarre. Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

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8 novembre 20171944

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