GRANDE CHAMBRE - Giurisprudenza penale

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GRANDE CHAMBRE AFFAIRE DE TOMMASO c. ITALIE (Requête n o 43395/09) ARRÊT STRASBOURG 23 février 2017 Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

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GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE DE TOMMASO c ITALIE

(Requecircte no 4339509)

ARREcircT

STRASBOURG

23 feacutevrier 2017

Cet arrecirct est deacutefinitif Il peut subir des retouches de forme

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 1

En lrsquoaffaire de Tommaso c Italie

La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme sieacutegeant en une Grande

Chambre composeacutee de

Andraacutes Sajoacute preacutesident

Guido Raimondi

Josep Casadevall

Işıl Karakaş

Mark Villiger

Boštjan M Zupančič

Jaacuten Šikuta

Ledi Bianku

Nebojša Vučinić

Kristina Pardalos

Paulo Pinto de Albuquerque

Helen Keller

Ksenija Turković

Dmitry Dedov

Egidijus Kūris

Robert Spano

Jon Fridrik Kjoslashlbro juges

et de Johan Callewaert greffier adjoint de la Grande Chambre

Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil les 20 mai 2015 24 aoucirct

2016 et 23 novembre 2016

Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette derniegravere date

PROCEacuteDURE

1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 4339509) dirigeacutee

contre la Reacutepublique italienne et dont un ressortissant de cet Eacutetat

M Angelo de Tommaso (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 28 juillet 2009

en vertu de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)

2 Le requeacuterant a eacuteteacute repreacutesenteacute par Me D Conticchio avocat agrave

Casamassima Le gouvernement italien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute

repreacutesenteacute par ses co-agents Mme P Accardo et M G Mauro Pellegrini

3 Le requeacuterant alleacuteguait en particulier que les mesures de preacutevention

auxquelles il avait eacuteteacute soumis pendant deux ans eacutetaient contraires aux

articles 5 6 et 13 de la Convention et agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

4 La requecircte a eacuteteacute attribueacutee agrave la deuxiegraveme section de la Cour (article 52

sect 1 du regraveglement de la Cour)

5 Le 18 octobre 2011 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement

2 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

6 Le 25 novembre 2014 une chambre de la deuxiegraveme section composeacutee

de Işıl Karakaş preacutesidente Guido Raimondi Andraacutes Sajoacute Nebojša

Vučinić Helen Keller Egidijus Kūris Robert Spano juges ainsi que de

Stanley Naismith greffier de section srsquoest dessaisie au profit de la Grande

Chambre aucune des parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la

Convention et 72 du regraveglement)

7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement agrave

lrsquoarticle 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et agrave lrsquoarticle 24 du regraveglement

8 Tant le requeacuterant que le Gouvernement ont deacuteposeacute un meacutemoire sur la

recevabiliteacute et sur le fond de lrsquoaffaire

9 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de

lrsquohomme agrave Strasbourg le 20 mai 2015 (article 59 sect 3 du regraveglement)

Ont comparu

ndash pour le Gouvernement

Mme P ACCARDO co-agent

M G MAURO PELLEGRINI co-agent

ndash pour le requeacuterant

Me D CONTICCHIO conseil

Mme L FANIZZI

Me M CASULLI conseillegraveres

La Cour a entendu Mme Accardo et Me Conticchio en leurs deacuteclarations

ainsi qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par les juges

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

10 Le requeacuterant M Angelo de Tommaso est un ressortissant italien neacute

en 1963 et reacutesidant agrave Casamassima

11 Le 22 mai 2007 le procureur de la Reacutepublique de Bari proposa au

tribunal de cette ville de soumettre le requeacuterant pour une peacuteriode de deux

ans agrave une mesure de surveillance speacuteciale de police (sorveglianza speciale

di pubblica sicurezza) fondeacutee sur la loi no 1423 de 1956 assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence Le procureur souligna que les preacuteceacutedentes

condamnations du requeacuterant pour trafic de drogue eacutevasion et deacutetention

drsquoarmes montraient qursquoil freacutequentait des criminels et eacutetait une personne

dangereuse Il fit aussi remarquer que le requeacuterant avait reccedilu un

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 3

laquo avertissement raquo de la police mais avait persisteacute dans sa conduite

deacutelictueuse

12 Dans un meacutemoire en date du 6 mars 2008 le requeacuterant srsquoopposa agrave la

proposition du procureur Il alleacutegua une erreur sur la personne et indiqua

que les infractions aux obligations deacutecoulant de la surveillance speacuteciale qui

lui eacutetaient reprocheacutees concernaient un individu qui portait les mecircmes nom et

preacutenom que lui mais eacutetait neacute en 1973 Il plaida eacutegalement qursquoil nrsquoavait plus

fait lrsquoobjet de poursuites depuis une condamnation prononceacutee en 2002 Il

ajouta que mecircme srsquoil avait eacuteteacute condamneacute pour eacutevasion en 2004 cet eacuteleacutement

nrsquoeacutetait pas deacuteterminant pour lrsquoapplication de la mesure litigieuse Il soutint

qursquoil nrsquoeacutetait pas neacutecessaire de le soumettre agrave une surveillance speacuteciale

13 Par une deacutecision du 11 avril 2008 notifieacutee le 4 juillet 2008 le

tribunal de Bari ordonna lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale

pour une dureacutee de deux ans Il rejeta les arguments du requeacuterant estimant

que les conditions requises par la loi pour lrsquoapplication de la mesure eacutetaient

bien remplies degraves lors que la dangerositeacute de lrsquointeacuteresseacute ne faisait pas de

doute

14 Pour le tribunal le requeacuterant preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la

deacutelinquance et les piegraveces du dossier montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute

deacutelictueuse la plupart de ses moyens de subsistance

15 Le tribunal remarqua en particulier ce qui suit

laquo Le 18 septembre 2006 lrsquointeacuteresseacute a reccedilu un laquo avertissement verbal pour la seacutecuriteacute

publique raquo mais cela nrsquoa aucunement ameacutelioreacute sa conduite il a continueacute agrave freacutequenter

assiducircment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et agrave

commettre des deacutelits (voir lrsquoacte drsquoaccusation infraction aux obligations associeacutees agrave

la surveillance le 25 avril 2007 infraction aux obligations associeacutees agrave la surveillance

le 29 avril 2007) raquo

16 Le tribunal ajouta ceci

laquo Les conclusions de lrsquoinstruction (voir les documents et certificats joints au dossier)

montrent que M Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement impliqueacute dans

diffeacuterents actes deacutelictueux dont les plus alarmants pour lrsquoordre et la seacutecuriteacute

publiques sont les infractions drsquoordre patrimonial et en matiegravere drsquoarmes et de

stupeacutefiants

Agrave ce cadre neacutegatif srsquoajoute le contenu du signalement fait reacutecemment le 26 janvier

2008 par le corps des carabiniers de Gioia del Colle dont il ressort que la tendance du

sujet agrave la deacutelinquance loin drsquoavoir disparu est consideacutereacutee comme active et

opeacuterationnelle Il ressort des piegraveces du dossier que le sujet nrsquoexerce aucune activiteacute

professionnelle fixe et leacutegale (il srsquoest deacuteclareacute disponible pour un emploi agrave partir de

feacutevrier 2008) et que les faits graves pris en consideacuteration sont tels qursquoils permettent de

penser qursquoil a jusqursquoagrave preacutesent tireacute une grande partie de ses moyens de subsistance de

son activiteacute deacutelictueuse recourant constamment aux deacutelits commis seul ou en

association avec des repris de justice (dans sa localiteacute de reacutesidence ou dans drsquoautres

localiteacutes) Drsquoougrave la neacutecessiteacute pour permettre un controcircle plus assidu de prononcer en

plus de la surveillance speacuteciale de police drsquoune dureacutee de deux ans (mesure jugeacutee

approprieacutee au vu de la personnaliteacute du sujet telle qursquoelle ressort des actes attribueacutes agrave

celui-ci) une assignation agrave reacutesidence pour la mecircme dureacutee raquo

4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations

suivantes

ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance

ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois

ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence

ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon

ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et

soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute

ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin

avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile

ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme

ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques

ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques

pour communiquer

ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le

preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police

18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour

drsquoappel de Bari

19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis

de conduire du requeacuterant

20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier

2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la

mesure de preacutevention

21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la

mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet

laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction

preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee

reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute

publique

22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale

du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de

la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits

anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur

lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel

23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la

dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute

deacutelictuelle

24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations

deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le

requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite

lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5

il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes

clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en

date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de

quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre

2005

25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de

stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la

mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement

un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode

drsquoassignation agrave reacutesidence)

26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007

aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient

une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le

requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973

27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de

la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant

Elle deacuteclara notamment ce qui suit

laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la

situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la

peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le

cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits

posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso

Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de

Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris

en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de

lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision

drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres

proceacutedures judiciaires

La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant

le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement

occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins

depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui

assurant une source de revenus digne

En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une

dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement

purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement

attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo

II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU

GOUVERNEMENT

28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour

29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la

jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie

no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet

2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait

la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais

relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle

III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A La loi no1423 de 1956

30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie

remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie

en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie

par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute

publique raquo de 1865

31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en

exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute

personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le

principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25

alineacuteas 2 et 3)

32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent

pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956

elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour

constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le

respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application

33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits

preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses

pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo

34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent

laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se

livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses

2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train

de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en

partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse

3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute

physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo

35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police

assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7

province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee

(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux

personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel

de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute

publique

36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee

drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder

une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa

pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la

police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en

question

37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en

chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le

parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire

assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la

compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province

38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours

lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour

drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4

cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes

conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se

prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme

alineacutea)

39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en

preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4

quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra

observer (article 5 premier alineacutea)

40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance

speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de

subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un

bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet

Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le

tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont

eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de

ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant

une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas

freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne

pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer

toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux

41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du

8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire

du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document

eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs

particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence

ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave

ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive

42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est

sanctionneacute par une peine privative de liberteacute

B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute

drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans

certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que

la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique

Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres

situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes

soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)

ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee

face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme

droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute

simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327

de 1988

44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les

mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient

compatibles avec les liberteacutes fondamentales

45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi

laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et

seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations

que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute

Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo

()

Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de

moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique

relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16

()

Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute

physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme

agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans

laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant

de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute

lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre

sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le

but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9

Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la

seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la

seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-

dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution

En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les

convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories

en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la

penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens

ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales

lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16

de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement

de la deacutelinquance commune

En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la

deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la

Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute

pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou

politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de

manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles

leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent

facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour

la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre

limiteacutee

En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs

sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent

un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus

Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la

Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la

formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui

peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de

seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute

de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et

la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo

46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que

les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales

qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la

Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les

citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un

systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future

drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et

proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes

eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la

conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute

preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations

des droits relatifs agrave la liberteacute

47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la

Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de

mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une

10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que

les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees

exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire

48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute

publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera

celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son

avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement

de lrsquoarticle 16 de la Constitution

49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que

les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave

celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le

principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la

liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de

sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea

toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des

critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites

mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que

leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais

plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale

50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les

cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres

distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs

drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)

critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement

identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la

deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle

visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela

dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de

maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme

laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et

vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets

51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la

Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de

compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la

culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle

indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves

lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais

justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de

fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis

52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la

seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne

suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta

qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11

lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester

theacuteorique

53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une

violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux

ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention

54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4

de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence

obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures

de preacutevention

55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que

lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en

vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour

srsquoexprima ainsi

laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis

agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute

Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que

lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute

personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles

mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques

Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute

drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver

lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de

la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits

traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo

Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative

lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute

(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi

si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision

motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo

La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo

destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute

confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960

no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les

articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le

paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de

mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme

finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les

diffeacuterences entre ces deux types

12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct

no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories

drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo

(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a

deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423

du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la

motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le

leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie

pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire

reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre

agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de

rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de

preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo

Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de

1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la

base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des

faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des

manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir

eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et

incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo

4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la

constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents

degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe

de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit

de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence

de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire

Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas

preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la

majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de

dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de

lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne

peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base

En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen

des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre

autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de

preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel

sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les

conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire

Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a

eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction

juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir

dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi

On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles

tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent

pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4

et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees

comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13

par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute

soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret

5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute

suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait

dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de

lrsquoindividu

Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute

sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash

qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de

ce qui vient drsquoecirctre exposeacute

Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait

que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de

conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la

conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses

actions et ses omissions

De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description

leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si

elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique

donc orienteacutee vers lrsquoavenir

Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de

preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de

reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories

drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites

consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur

survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions

soient consommeacutees par ces individus

6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de

lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre

deacuteclareacutee fondeacutee

En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier

paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune

laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La

question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et

avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la

deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de

lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie

conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la

fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo

(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle

laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable

() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956

semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code

peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de

cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie

ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere

agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le

cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue

comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la

disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute

14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui

les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo

56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari

et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour

europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la

proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de

1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la

loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour

lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de

preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en

appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle

preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait

pas devant la Cour de cassation

57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave

deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait

compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil

sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5

alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et

dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le

principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme

peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)

58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que

lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas

precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la

personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de

caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas

speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc

que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne

pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et

speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle

qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite

susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale

compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la

deacutefinition de cette infraction

59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en

question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples

des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description

globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but

poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus

large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement

par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle

crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15

la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite

de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable

et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une

perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour

la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre

honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi

geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au

contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations

poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair

impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un

mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de

sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise

60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de

vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se

conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas

adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais

aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire

de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie

61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la

haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement

mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une

surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus

C La jurisprudence de la Cour de cassation

62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation

statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la

laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la

commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement

entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation

crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui

reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la

seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc

laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en

consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas

neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins

reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo

63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que

lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de

preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute

subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait

eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la

16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories

criminologiques deacutefinies par la loi

Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure

de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la

commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non

dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave

partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice

reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber

lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions

leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute

64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait

la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure

de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question

repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela

ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du

13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret

leacutegislatif no 159 de 2011

D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011

65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave

la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et

patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes

concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement

abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution

En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience

peut ecirctre publique

66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi

no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes

contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont

ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les

deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins

terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention

personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de

retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17

E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages

causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la

responsabiliteacute civile des magistrats

67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci

srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun

administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute

juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux

autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction

juridictionnelle raquo

Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce

laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun

comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu

coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun

deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages

patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui

deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle

2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de

droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave

responsabiliteacute

3 Sont constitutifs drsquoune faute grave

a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable

b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier

c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier

d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas

preacutevus par la loi ou sans motivation raquo

Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi

no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou

le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa

compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour

lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une

demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable

aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de

cette demande au greffe raquo

68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les

modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre

de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent

ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol

ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de

justice

18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute

69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de

trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf

pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles

appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes

par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni

et la Russie)

70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour

faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi

mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de

manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de

mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles

hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police

administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute

introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention

visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave

pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes

ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un

danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les

meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements

publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non

officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees

dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue

72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE

relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de

circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit

la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de

seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute

publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public

ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre

fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute

qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour

lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle

mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas

apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit

pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction

73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la

Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par

1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie

Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg

ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne

Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19

le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave

Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de

sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un

Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de

commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy

participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et

drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des

personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA

CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4

74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet

avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de

la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa

liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales

a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent

b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour

insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en

vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi

c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire

compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une

infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher

de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci

d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation

surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute

compeacutetente

e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une

maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun

vagabond

f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour

lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une

proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo

Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose

laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy

circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence

2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien

20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui

preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui

4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones

deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par

lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas

applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la

jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994

sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010

et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les

obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples

restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible

ratione materiae avec la Convention

b) Le requeacuterant

77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve

de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de

conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de

liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a

subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute

une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est

comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)

dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances

particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures

semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5

78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de

son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une

privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

2 Appreacuteciation de la Cour

79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est

applicable en lrsquoespegravece

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21

80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo

le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves

lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler

lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un

individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir

de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres

comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la

mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune

diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi

preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809

sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH

2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)

De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi

de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi

preacuteciteacute sect 95)

81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte

le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question

(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux

circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte

dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est

courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans

lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute

de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun

(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)

82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la

Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du

5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission

du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait

que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait

une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission

conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave

reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne

comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de

choisir sa reacutesidence

83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant

la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour

souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une

commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5

(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des

22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave

un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans

une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie

essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi

que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute

assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de

Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la

zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi

permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans

laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute

sect 95)

84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans

plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance

speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees

(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de

reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction

de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises

agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave

des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires

preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un

endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des

contacts sociaux

86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon

lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-

deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

et donc agrave une privation de liberteacute

87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son

degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507

sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova

c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov

c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu

c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note

eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee

ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23

sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH

2001-IX)

88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la

preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient

lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle

rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de

circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de

changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la

surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct

que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la

journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir

des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas

du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission

de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence

89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas

entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation

90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est

incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute

en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4

91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du

requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en

lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties

92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens

de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie

de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956

en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute

judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait

symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de

la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication

desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime

que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans

lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour

le citoyen

24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui

ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne

pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que

la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine

de deacutetention

95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune

erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il

ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab

origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute

sociale

96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute

soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un

jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le

requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la

proceacutedure

b) Le Gouvernement

97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont

assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune

proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait

sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et

justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et

eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales

98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en

particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014

(paragraphe 63 ci-dessus)

99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun

controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises

la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives

lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et

lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence

lieacutee agrave la deacutefense sociale

100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant

la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention

personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les

mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les

tribunaux

101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence

interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee

peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc

lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25

102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre

circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la

sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la

jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour

drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre

(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait

pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67

ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu

pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que

par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation

103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des

preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations

qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de

Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a

disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir

gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence

104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute

personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se

trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre

dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer

(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann

c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la

Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre

preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme

paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre

entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie

no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute

sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)

105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees

au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91

ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la

loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet

article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique

26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo

i Principes geacuteneacuteraux

106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots

laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait

une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en

cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans

ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58

CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]

no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195

sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30

CEDH 2004-I)

107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo

est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune

norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler

sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave

mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause

les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces

conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude

absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En

outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois

drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements

de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des

choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et

lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni

(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993

sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34

CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)

108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en

aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du

contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du

nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique

no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt

c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7

Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef

aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne

(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)

109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre

une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique

(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute

sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee

bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de

figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver

et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27

ii Application de ces principes en lrsquoespegravece

110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave

la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique

qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees

au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient

une base leacutegale en droit interne

111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible

Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave

la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et

sur son droit agrave la liberteacute de circulation

112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956

reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne

conteste pas

113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce

faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les

mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures

114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la

preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute

dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient

pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles

eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)

la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel

qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de

premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du

tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que

telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans

les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que

lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la

loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision

reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de

la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et

vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro

preacuteciteacute sect 45)

115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun

manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par

conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux

destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la

lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle

italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de

personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que

certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo

(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en

28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute

appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes

auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour

constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait

une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme

socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des

cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir

lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la

reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a

indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees

sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation

objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle

et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa

propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour

constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)

117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour

constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les

critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention

lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les

juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle

nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements

speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute

sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles

mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de

maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer

comme socialement dangereux

118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication

de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune

tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer

un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal

a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait

que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se

caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau

local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16

ci-dessus)

En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat

drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle

avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour

deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures

preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)

En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute

requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation

consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29

lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec

une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences

arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec

un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention

119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi

no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que

certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur

contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les

dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le

respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la

conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas

precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute

(paragraphe 59 ci-dessus)

120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle

dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil

eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la

Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines

des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance

speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses

interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La

Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale

121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010

nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de

preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi

en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait

neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale

122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre

honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour

constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le

laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie

respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi

impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5

lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications

suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour

lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter

ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes

peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice

suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi

indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun

30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un

indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute

Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee

de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu

des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas

mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par

la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de

participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite

temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est

entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge

124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large

pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les

modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures

de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute

entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles

125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des

termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les

mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)

ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que

cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se

deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute

de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques

respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de

preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse

127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour

de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les

mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et

eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA

CONVENTION

128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal

et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6

sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement

publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial

eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31

caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre

elle raquo

129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant

A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement

130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de

proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du

regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)

131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait

des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa

eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale

132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties

pertinentes

laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du

rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure

()

c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus

de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte

Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de

lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo

133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans

laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de

radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent

de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune

deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski

c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie

(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri

SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)

no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)

no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203

16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)

no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811

sectsect 18-19 7 octobre 2014)

134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre

indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la

32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement

deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se

poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise

pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement

amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui

permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base

suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme

garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de

lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)

135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la

nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont

analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes

la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le

gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par

la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave

lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]

no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)

136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration

unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les

griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations

de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens

Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces

concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend

fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et

Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)

137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le

Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au

titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle

relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice

moral

138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de

mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1

(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26

Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607

sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007

sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de

jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux

proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par

conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres

proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures

de preacutevention patrimoniales

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33

139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des

circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant

de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies

140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la

radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1

c) de la Convention

B Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est

applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de

preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du

citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il

ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que

lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives

agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales

b) Le Gouvernement

142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet

2 Appreacuteciation de la Cour

143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de

la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se

comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait

lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108

Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil

144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet

laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un

laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu

en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit

srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien

lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice

enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le

droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant

pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto

c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]

no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]

no 3757504 sect 90 CEDH 2012)

34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit

ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de

lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe

administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef

preacuteciteacute sect 74)

146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se

caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant

ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la

Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En

conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere

civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts

c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V

Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)

147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son

volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte

carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les

reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de

caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette

disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de

lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31

20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites

pendant un an)

148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26

CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et

Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute

lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire

lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees

aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un

nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle

continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la

limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)

la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant

affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute

seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la

Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a

jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles

visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et

partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)

149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits

de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre

drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par

exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par

mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication

eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35

peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens

familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea

preacuteciteacute sect 106)

150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406

sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges

concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et

uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure

quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre

ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus

placeacutes en cellule de seacutecuriteacute

151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre

jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne

portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des

reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun

individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012

Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)

152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les

affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions

imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec

la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des

liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La

Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la

commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six

heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas

utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour

communiquer

153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et

seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance

speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute

deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu

que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere

154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par

le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas

srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions

publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la

personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis

Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)

155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif

aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de

lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave

lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute

36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

C Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave

un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier

drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et

que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave

la violation subie

157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil

eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et

les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre

septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la

suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004

pour eacutevasion

158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de

la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un

individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en

1973

159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le

requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les

preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait

honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait

mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme

ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute

la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer

alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)

b) Le Gouvernement

160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010

la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la

jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les

articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la

mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute

des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures

de preacutevention

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37

161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes

162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le

Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a

eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont

ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a

simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute

pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le

requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis

drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a

pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour

drsquoappel

163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue

un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir

une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui

permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la

nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila

c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)

164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement

reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute

inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi

no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de

demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave

lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)

166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de

preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre

et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone

preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)

167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la

tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions

internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant

son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour

lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila

preacuteciteacute sect 41)

38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a

eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure

169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure

devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le

respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties

contractantes

170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre

des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction

interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux

droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple

Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez

c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles

peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6

de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable

elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur

appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des

juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute

par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle

conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle

de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle

ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des

tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour

arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans

c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie

no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108

sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65

CEDH 2015)

171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la

Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions

nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par

cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa

pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres

Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)

172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee

conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint

pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de

Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour

drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de

preacutevention

173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39

III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA

CONVENTION

174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation

devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation

de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose

laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute

violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors

mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice

de leurs fonctions officielles raquo

175 Le Gouvernement conteste cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne

lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se

heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas

deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le

requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel

b) Le requeacuterant

178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif

permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la

Convention et 2 du Protocole no 4

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Les principes applicables

179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit

interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes

proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent

drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux

obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau

40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut

examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement

approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en

fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en

tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment

que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes

ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi

Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les

renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95

Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit

interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de

lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A

no 116)

180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en

droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au

regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni

27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre

aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales

comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni

25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux

qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la

Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)

b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece

181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est

deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit

italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses

droits proteacutegeacutes par la Convention

182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon

lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation

drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes

nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure

contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis

Riener preacuteciteacute sect 138)

183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee

effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la

possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la

Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de

maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de

lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13

eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance

effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41

c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM

c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)

184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la

cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale

assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement

Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure

litigieuse

185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a

donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer

les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu

violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage

mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour

188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de

20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au

reacutegime de surveillance speacuteciale

189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41

190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa

pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y

a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral

B Frais et deacutepens

191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et

deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux

exposeacutes devant la Cour

192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point

193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa

42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant

reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus

C Inteacuterecircts moratoires

194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires

sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte

formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration

unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences

devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la

Convention

3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole

no 4

4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention

6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du

deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de

Bari

7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable

8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention

9 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les

sommes suivantes

i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43

ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout

montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais

et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable

pour le surplus

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017

Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute

Adjoint au greffier Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees

suivantes

ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta

Keller et Kjoslashlbro

ndash opinion concordante du juge Dedov

ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute

ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić

ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque

ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris

AS

JC

44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES

RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO

1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre

selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait

reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de

surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut

de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a

permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse

2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires

dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne

3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la

matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la

Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure

soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie

6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)

4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo

c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)

no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale

avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction

de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence

interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de

freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave

des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de

la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation

applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire

Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non

seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas

laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce

dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre

leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45

requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas

formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse

6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi

no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de

preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave

lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi

eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec

une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de

preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de

preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)

7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence

qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant

que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle

avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de

savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention

eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas

eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres

Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute

que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956

en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se

sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct

(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct

nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence

drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures

de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier

sur les mesures applicables

9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante

que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy

avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des

destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables

10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct

no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si

lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement

le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere

46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des

lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision

leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer

(principio di tassativitagrave)

11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante

pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de

maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des

significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le

contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la

personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant

lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule

laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a

preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave

soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le

contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956

comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale

de freacutequenter certains lieux ou individus

12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la

Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux

faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave

partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la

teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le

cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis

cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en

lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui

existait deacutejagrave au moment des faits

13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute

clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties

importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour

que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute

par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le

raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956

telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait

drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le

raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de

la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en

compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales

anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et

les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees

Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base

factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest

justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies

par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47

jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la

reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En

tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils

eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les

circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de

personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la

dureacutee des mesures applicables

14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien

laquo preacutevues par la loi raquo

15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de

circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de

lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno

deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)

16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses

nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo

17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin

social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave

cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la

justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes

nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent

remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question

de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention

(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et

3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]

no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)

18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure

incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend

effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre

(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501

sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49

26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure

restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir

disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge

automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96

CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et

Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)

19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller

agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et

proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement

ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre

les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des

48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802

sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre

au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la

proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le

Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A

no 43)

20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de

soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de

certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une

activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au

requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait

les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans

son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le

requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun

eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute

deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation

approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait

entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa

libeacuteration

21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs

invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant

nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il

nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante

du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre

appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4

22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans

le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a

fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au

requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de

lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait

commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee

ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le

deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari

23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption

drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le

requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification

de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la

deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois

dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour

drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre

disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant

Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49

responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous

notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune

telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables

agrave celles de la preacutesente espegravece

24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave

la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires

dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence

50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour

constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre

ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et

deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits

fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest

pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de

faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient

et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce

chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont

ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et

drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour

drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation

Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute

uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les

autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil

conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et

psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait

ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres

personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base

volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le

preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures

coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes

elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une

assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas

convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela

signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de

faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute

(Traduction)

Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime

eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de

preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont

applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes

(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir

souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet

peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion

seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque

52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ

Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les

raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto

de Albuquerque

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matiegraveres

I Introduction (sect 1)

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect

9-11)

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)

VI Conclusion (sectsect 59-60)

I Introduction (sect 1)

1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de

lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au

requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une

mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave

reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives

revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation

du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient

1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation

relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales

et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956

54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et

de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention

Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en

faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les

mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi

des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans

reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions

La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la

deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui

srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de

violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de

recours internes dans la preacutesente affaire

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de

preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention

personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions

pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent

simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de

sucircreteacute (misure di sicurezza)

Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le

principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations

sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes

sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de

preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]

principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali

deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti

illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro

verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions

2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient

en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de

reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig

Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche

Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato

laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55

de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment

avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute

personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3

Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins

preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en

geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions

peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en

appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une

approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans

celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de

faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les

mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une

rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en

regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4

La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de

preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption

drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della

Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de

compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient

pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun

individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention

ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples

soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement

subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e

incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5

Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a

retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les

laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro

che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al

3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question

de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles

13 25 et 27 de la Constitution italienne

4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione

delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi

criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una

figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve

sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore

ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto

alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo

5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour

constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione

possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva

valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che

siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo

da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o

applica le misure di prevenzione raquo

56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes

auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)

3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964

concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention

personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois

au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en

raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande

Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre

assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de

telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle

des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer

enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En

2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de

demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une

audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En

substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec

lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta

4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees

en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant

leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di

proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de

proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la

seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure

peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la

premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin

de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible

lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo

des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans

ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des

sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le

6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct

7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22

feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la

Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir

par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de

cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention

ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien

qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce

groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa

pas fourni les donneacutees requises

8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo

9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne

voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57

soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi

no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus

dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de

mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956

5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956

eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions

draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du

suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de

la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement

laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect

commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de

restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme

une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi

comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures

personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la

commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base

leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait

pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi

de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13

En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un

effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un

facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses

infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec

lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc

exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect

ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux

effets personnels dommageables desdites mesures leur effet

10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi

di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986

11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999

Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure

peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de

preacutevention

12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo

AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974

Milan 1975

13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle

de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5

Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et

Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004

14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e

secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da

persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della

sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal

momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12

58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique

mais aussi sur lrsquoapplication de la loi

6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de

sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in

idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux

distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait

la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal

permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave

la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve

peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de

compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient

combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale

(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo

ergastolo)19

7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956

eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la

proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui

eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce

contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les

exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de

mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la

proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de

preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les

effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21

Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi

de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage

laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses

crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait

grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme

moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle

coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours

8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le

principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les

termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne

sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia

16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM

17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi

18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano

19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp

Tumminelli Rv 194062

20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis

par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di

prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)

21 Balbi preacuteciteacute p 17

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59

socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait

les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter

delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste

quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles

ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale

passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie

drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait

qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale

fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si

eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die

Tat25

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention

(sectsect 9-11)

9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette

laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la

compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest

concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans

laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si

les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le

deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a

toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques

mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se

contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere

occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas

saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28

10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de

preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de

lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la

22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra

lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione

inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla

criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome

2002

23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la

proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17

24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen

1975 III

25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945

Scritti giuridici I p 678

26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197

CEDH 2004-VI

27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39

28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013

60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau

moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a

jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu

rupture du juste eacutequilibre30

11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public

drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31

Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable

concernant les mesures de preacutevention personnelles

En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les

garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans

le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le

preacutesent arrecirct change le cours des choses

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-

31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une

privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5

de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes

dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve

laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation

concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la

dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des

mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la

deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes

drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte

29 Ibidem sect 26

30 Ibidem sect 27

31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie

no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30

5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et

Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH

2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres

c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010

34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61

et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35

13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de

preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait

eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet

soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute

contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25

kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant

dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance

Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions

comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires

mentionneacutees ci-dessus36

14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient

similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se

preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de

lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas

precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six

heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en

temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes

cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des

reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire

Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de

vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees

exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437

15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la

Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en

vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre

cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par

le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne

constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la

liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux

35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22

et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III

36 Voir note no 26

37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes

38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui

affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre

eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5

sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais

omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion

62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit

expresseacutement dans Ciulla39

16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au

requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De

Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes

restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone

ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des

mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute

ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave

lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas

sortir le matin avant six heures

En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours

combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville

particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee

de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles

de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si

esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles

qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere

onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction

relative aux communications teacuteleacutephoniques

17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui

devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son

correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique

longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les

teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute

eacutevidence aggravait sa situation

18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser

exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider

pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation

concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a

eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier

2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il

convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour

strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la

cateacutegorie des privations de liberteacute raquo

39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une

disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs

que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire

allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)

40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63

concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien

moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41

19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la

Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji

lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de

lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une

interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des

autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en

regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant

qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois

lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres

laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition

en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de

chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition

relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)

renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces

dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave

la violence jusqursquoagrave cinq ans

En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait

pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins

drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de

surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata

necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans

20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de

liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux

preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si

lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de

1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la

liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece

41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311

douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598

sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004

Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni

28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de

trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)

no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos

c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de

quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne

no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement

pendant six heures et demie

42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016

64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre

de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des

personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi

de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour

restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne

suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le

citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement

risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et

quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple

raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions

vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme

la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret

de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude

eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43

23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin

dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent

eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort

convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a

eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans

les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144

25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation

agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction

donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs

agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas

43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes

auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement

deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera

organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali

ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare

allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di

prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della

pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance

implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956

44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute

sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie

no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII

45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65

celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo

de la laquo condamnation raquo46

26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention

du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de

la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par

la loi49

27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant

ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas

de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de

laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre

une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La

raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour

un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction

concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de

1956

28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas

mineur

29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait

drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition

30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54

31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour

ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec

le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5

sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave

mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la

question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales

Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention

ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o

praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales

46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50

47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101

48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil

1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie

no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010

49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et

Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005

50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102

51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox

Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182

52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103

53 Ibidem sect 98

54 Ibidem sect 103

66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention

(sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention

(sectsect 32-43)

32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans

la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la

qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature

mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont

lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non

cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en

matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature

laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une

sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la

laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche

cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave

une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo56

33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les

diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des

mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes

Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi

de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la

Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite

dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir

criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y

a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela

correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la

personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les

termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona

sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)

34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de

1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses

droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi

35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le

suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un

55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs

c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007

57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67

large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller

jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite

pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de

surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable

36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme

considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant

de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps

dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento

commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di

sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son

arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de

preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute

preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun

mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des

principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar

des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le

principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61

37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et

speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient

eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du

suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute

sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun

lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et

ses objectifs62

38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi

de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans

drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de

58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une

mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient

appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement

(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)

59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza

personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non

sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto

comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono

considerarsi una delle due species di un unico genus raquo

60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle

61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193

62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo

Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di

pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in

onore di B Petrocelli vol III 1972

63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes

ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees

Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre

de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement

68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait

consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des

peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal

39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles

geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure

peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention

personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct

no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale

ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde

est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad

essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue

de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention

srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di

citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire

imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui

devait ecirctre motiveacutee64

40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable

srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa

deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella

(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de

preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)

41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il

serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de

1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui

(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave

la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter

les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun

deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave

la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956

ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par

un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)

42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires

relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de

la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune

proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions

disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant

64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23

65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73

seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130

CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50

CEDH 2006-XIII

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69

confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6

devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66

43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les

critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67

La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif

des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste

des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que

la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de

prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est

si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6

La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent

ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent

se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence

drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours

Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute

violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons

45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct

no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale

pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la

proceacutedure devant les juridictions internes

46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des

preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005

comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le

requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant

une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave

costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli

assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation

du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions

alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale

(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la

personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que

les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de

surveillance speacuteciale concernaient une autre personne

66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet

peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus

67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises

dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes

et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur

telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure

Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que

deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause

48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu

violation de cette disposition

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de

lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves

Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales

vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon

disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il

faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant

pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour

drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas

eacuteteacute respecteacute

50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en

cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive

puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a

pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste

eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu

51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de

recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la

Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour

drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme

instance

52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la

reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit

pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref

deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et

mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir

si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute

68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa

reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont

eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences

leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71

doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai

raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la

lumiegravere des circonstances de chaque affaire69

53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible

avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de

lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun

constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee

du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale

(sectsect 54-58)

54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation

eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune

violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie

par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En

lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation

de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le

requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de

la Convention

55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave

reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo

preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou

maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code

de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave

lrsquoalineacutea 2)

56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute

que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale

les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention

injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En

outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que

le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif

que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la

conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui

comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation

de liberteacute

69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII

Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33

30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003

70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008

71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X

72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne

permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une

demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La

lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence

pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de

demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de

surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes

ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune

dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72

58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de

lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute

relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas

permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest

ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

VI Conclusion (sectsect 59-60)

59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave

la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes

le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces

articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques

liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la

lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la

preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute

et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees

par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits

fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion

60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute

eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui

srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera

le mieux

72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45

73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898

sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46

74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de

la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux

arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie

dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo

imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car

comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne

appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du

requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave

lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures

auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En

particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans

lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes

pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute

appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)

contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo

des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien

plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes

notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises

individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute

imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort

reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances

factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5

Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le

laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de

la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et

prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les

effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne

puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention

preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece

on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)

2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait

pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi

le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi

une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait

pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6

74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute

dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est

applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas

signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est

consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie

au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre

une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave

lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce

Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation

de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle

disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la

Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le

Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des

affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute

Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans

les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une

interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus

positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa

pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de

lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute

ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier

3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5

est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans

leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures

laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de

lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au

regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens

commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle

comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun

Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces

mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un

copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles

ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la

situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que

lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo

alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait

laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source

de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures

eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans

son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu

de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le

matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75

drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave

domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je

souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la

majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile

parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre

en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des

canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la

mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne

pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans

avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme

une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au

regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de

Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse

Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard

du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute

ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le

requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre

emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de

celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable

Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses

4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et

difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au

requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet

notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)

Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au

requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de

lui interdire de communiquer par certains moyens

5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre

drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai

drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre

lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et

de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]

teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de

conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave

Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille

habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se

seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire

laquo inutile raquo

6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter

des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures

de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de

parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave

freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune

76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de

jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions

mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait

reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il

assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et

sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave

quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas

trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)

degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo

(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)

7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil

y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu

besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere

injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel

essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes

il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que

toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par

deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus

geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5

Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas

eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)

8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave

lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil

y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute

laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la

surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la

proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute

drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la

Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la

majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie

(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest

pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la

reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de

lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere

geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du

droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme

paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait

que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les

conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi

9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute

drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77

lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures

relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce

qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les

dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de

lrsquoarrecirct)

Cette abstention signifie sucircrement quelque chose

10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la

majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre

aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est

totalement omis dans le raisonnement

Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant

preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier

montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses

moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)

Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une

reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute

deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement

laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo

11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la

majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au

droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)

Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves

eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo

personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent

des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute

soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute

recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette

circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire

examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au

meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est

deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime

On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses

Absence totale de preacutejudice

En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans

cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable

Eacutequitable

12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune

voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain

de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le

paragraphe 103)

La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche

Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave

les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer

les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En

78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les

mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le

deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction

supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la

juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme

drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le

contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]

pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)

Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo

Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au

deacutetriment de la jurisprudence

13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments

favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait

que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit

selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de

commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune

reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees

avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de

lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle

13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur

application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc

14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche

de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant

au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave

voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre

guillemets

15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956

interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la

disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention

personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures

de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)

Non non non et encore non

La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles

sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette

appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees

agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la

base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes

deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur

conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo

iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79

lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la

tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois

cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute

et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)

Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories

nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise

par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme

laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de

la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas

meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre

M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait

ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le

passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre

M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave

incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce

dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les

eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et

inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand

En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins

pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle

permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de

laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de

lrsquoarticle 1 de la loi

16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant

Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune

erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex

tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)

Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne

Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest

tout

17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures

laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave

une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence

de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune

personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent

guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme

18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent

que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses

restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des

laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo

preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et

indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu

subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive

80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits

auxquels on lrsquoapplique

Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la

regravegle de droit

19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12

ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari

laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement

reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure

la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si

ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette

deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin

agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui

commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne

20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la

situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de

savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le

requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les

indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient

laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces

consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo

litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale

21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec

le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la

question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la

question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo

comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche

drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur

indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont

appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce

raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien

rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des

avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je

ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de

lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre

utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles

cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce

requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce

nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas

suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement

geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que

cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler

de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors

qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81

22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en

question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes

auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique

ajouteacute)

On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo

veut-elle aussi dire au requeacuterant

Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le

raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste

Page 2: GRANDE CHAMBRE - Giurisprudenza penale

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 1

En lrsquoaffaire de Tommaso c Italie

La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme sieacutegeant en une Grande

Chambre composeacutee de

Andraacutes Sajoacute preacutesident

Guido Raimondi

Josep Casadevall

Işıl Karakaş

Mark Villiger

Boštjan M Zupančič

Jaacuten Šikuta

Ledi Bianku

Nebojša Vučinić

Kristina Pardalos

Paulo Pinto de Albuquerque

Helen Keller

Ksenija Turković

Dmitry Dedov

Egidijus Kūris

Robert Spano

Jon Fridrik Kjoslashlbro juges

et de Johan Callewaert greffier adjoint de la Grande Chambre

Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil les 20 mai 2015 24 aoucirct

2016 et 23 novembre 2016

Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette derniegravere date

PROCEacuteDURE

1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 4339509) dirigeacutee

contre la Reacutepublique italienne et dont un ressortissant de cet Eacutetat

M Angelo de Tommaso (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 28 juillet 2009

en vertu de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)

2 Le requeacuterant a eacuteteacute repreacutesenteacute par Me D Conticchio avocat agrave

Casamassima Le gouvernement italien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute

repreacutesenteacute par ses co-agents Mme P Accardo et M G Mauro Pellegrini

3 Le requeacuterant alleacuteguait en particulier que les mesures de preacutevention

auxquelles il avait eacuteteacute soumis pendant deux ans eacutetaient contraires aux

articles 5 6 et 13 de la Convention et agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

4 La requecircte a eacuteteacute attribueacutee agrave la deuxiegraveme section de la Cour (article 52

sect 1 du regraveglement de la Cour)

5 Le 18 octobre 2011 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement

2 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

6 Le 25 novembre 2014 une chambre de la deuxiegraveme section composeacutee

de Işıl Karakaş preacutesidente Guido Raimondi Andraacutes Sajoacute Nebojša

Vučinić Helen Keller Egidijus Kūris Robert Spano juges ainsi que de

Stanley Naismith greffier de section srsquoest dessaisie au profit de la Grande

Chambre aucune des parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la

Convention et 72 du regraveglement)

7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement agrave

lrsquoarticle 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et agrave lrsquoarticle 24 du regraveglement

8 Tant le requeacuterant que le Gouvernement ont deacuteposeacute un meacutemoire sur la

recevabiliteacute et sur le fond de lrsquoaffaire

9 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de

lrsquohomme agrave Strasbourg le 20 mai 2015 (article 59 sect 3 du regraveglement)

Ont comparu

ndash pour le Gouvernement

Mme P ACCARDO co-agent

M G MAURO PELLEGRINI co-agent

ndash pour le requeacuterant

Me D CONTICCHIO conseil

Mme L FANIZZI

Me M CASULLI conseillegraveres

La Cour a entendu Mme Accardo et Me Conticchio en leurs deacuteclarations

ainsi qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par les juges

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

10 Le requeacuterant M Angelo de Tommaso est un ressortissant italien neacute

en 1963 et reacutesidant agrave Casamassima

11 Le 22 mai 2007 le procureur de la Reacutepublique de Bari proposa au

tribunal de cette ville de soumettre le requeacuterant pour une peacuteriode de deux

ans agrave une mesure de surveillance speacuteciale de police (sorveglianza speciale

di pubblica sicurezza) fondeacutee sur la loi no 1423 de 1956 assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence Le procureur souligna que les preacuteceacutedentes

condamnations du requeacuterant pour trafic de drogue eacutevasion et deacutetention

drsquoarmes montraient qursquoil freacutequentait des criminels et eacutetait une personne

dangereuse Il fit aussi remarquer que le requeacuterant avait reccedilu un

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 3

laquo avertissement raquo de la police mais avait persisteacute dans sa conduite

deacutelictueuse

12 Dans un meacutemoire en date du 6 mars 2008 le requeacuterant srsquoopposa agrave la

proposition du procureur Il alleacutegua une erreur sur la personne et indiqua

que les infractions aux obligations deacutecoulant de la surveillance speacuteciale qui

lui eacutetaient reprocheacutees concernaient un individu qui portait les mecircmes nom et

preacutenom que lui mais eacutetait neacute en 1973 Il plaida eacutegalement qursquoil nrsquoavait plus

fait lrsquoobjet de poursuites depuis une condamnation prononceacutee en 2002 Il

ajouta que mecircme srsquoil avait eacuteteacute condamneacute pour eacutevasion en 2004 cet eacuteleacutement

nrsquoeacutetait pas deacuteterminant pour lrsquoapplication de la mesure litigieuse Il soutint

qursquoil nrsquoeacutetait pas neacutecessaire de le soumettre agrave une surveillance speacuteciale

13 Par une deacutecision du 11 avril 2008 notifieacutee le 4 juillet 2008 le

tribunal de Bari ordonna lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale

pour une dureacutee de deux ans Il rejeta les arguments du requeacuterant estimant

que les conditions requises par la loi pour lrsquoapplication de la mesure eacutetaient

bien remplies degraves lors que la dangerositeacute de lrsquointeacuteresseacute ne faisait pas de

doute

14 Pour le tribunal le requeacuterant preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la

deacutelinquance et les piegraveces du dossier montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute

deacutelictueuse la plupart de ses moyens de subsistance

15 Le tribunal remarqua en particulier ce qui suit

laquo Le 18 septembre 2006 lrsquointeacuteresseacute a reccedilu un laquo avertissement verbal pour la seacutecuriteacute

publique raquo mais cela nrsquoa aucunement ameacutelioreacute sa conduite il a continueacute agrave freacutequenter

assiducircment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et agrave

commettre des deacutelits (voir lrsquoacte drsquoaccusation infraction aux obligations associeacutees agrave

la surveillance le 25 avril 2007 infraction aux obligations associeacutees agrave la surveillance

le 29 avril 2007) raquo

16 Le tribunal ajouta ceci

laquo Les conclusions de lrsquoinstruction (voir les documents et certificats joints au dossier)

montrent que M Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement impliqueacute dans

diffeacuterents actes deacutelictueux dont les plus alarmants pour lrsquoordre et la seacutecuriteacute

publiques sont les infractions drsquoordre patrimonial et en matiegravere drsquoarmes et de

stupeacutefiants

Agrave ce cadre neacutegatif srsquoajoute le contenu du signalement fait reacutecemment le 26 janvier

2008 par le corps des carabiniers de Gioia del Colle dont il ressort que la tendance du

sujet agrave la deacutelinquance loin drsquoavoir disparu est consideacutereacutee comme active et

opeacuterationnelle Il ressort des piegraveces du dossier que le sujet nrsquoexerce aucune activiteacute

professionnelle fixe et leacutegale (il srsquoest deacuteclareacute disponible pour un emploi agrave partir de

feacutevrier 2008) et que les faits graves pris en consideacuteration sont tels qursquoils permettent de

penser qursquoil a jusqursquoagrave preacutesent tireacute une grande partie de ses moyens de subsistance de

son activiteacute deacutelictueuse recourant constamment aux deacutelits commis seul ou en

association avec des repris de justice (dans sa localiteacute de reacutesidence ou dans drsquoautres

localiteacutes) Drsquoougrave la neacutecessiteacute pour permettre un controcircle plus assidu de prononcer en

plus de la surveillance speacuteciale de police drsquoune dureacutee de deux ans (mesure jugeacutee

approprieacutee au vu de la personnaliteacute du sujet telle qursquoelle ressort des actes attribueacutes agrave

celui-ci) une assignation agrave reacutesidence pour la mecircme dureacutee raquo

4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations

suivantes

ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance

ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois

ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence

ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon

ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et

soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute

ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin

avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile

ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme

ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques

ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques

pour communiquer

ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le

preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police

18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour

drsquoappel de Bari

19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis

de conduire du requeacuterant

20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier

2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la

mesure de preacutevention

21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la

mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet

laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction

preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee

reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute

publique

22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale

du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de

la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits

anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur

lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel

23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la

dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute

deacutelictuelle

24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations

deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le

requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite

lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5

il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes

clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en

date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de

quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre

2005

25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de

stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la

mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement

un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode

drsquoassignation agrave reacutesidence)

26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007

aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient

une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le

requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973

27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de

la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant

Elle deacuteclara notamment ce qui suit

laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la

situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la

peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le

cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits

posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso

Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de

Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris

en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de

lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision

drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres

proceacutedures judiciaires

La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant

le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement

occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins

depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui

assurant une source de revenus digne

En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une

dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement

purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement

attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo

II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU

GOUVERNEMENT

28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour

29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la

jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie

no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet

2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait

la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais

relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle

III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A La loi no1423 de 1956

30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie

remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie

en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie

par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute

publique raquo de 1865

31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en

exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute

personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le

principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25

alineacuteas 2 et 3)

32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent

pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956

elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour

constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le

respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application

33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits

preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses

pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo

34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent

laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se

livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses

2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train

de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en

partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse

3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute

physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo

35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police

assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7

province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee

(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux

personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel

de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute

publique

36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee

drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder

une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa

pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la

police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en

question

37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en

chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le

parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire

assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la

compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province

38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours

lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour

drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4

cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes

conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se

prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme

alineacutea)

39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en

preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4

quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra

observer (article 5 premier alineacutea)

40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance

speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de

subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un

bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet

Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le

tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont

eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de

ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant

une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas

freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne

pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer

toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux

41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du

8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire

du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document

eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs

particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence

ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave

ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive

42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est

sanctionneacute par une peine privative de liberteacute

B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute

drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans

certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que

la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique

Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres

situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes

soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)

ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee

face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme

droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute

simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327

de 1988

44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les

mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient

compatibles avec les liberteacutes fondamentales

45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi

laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et

seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations

que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute

Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo

()

Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de

moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique

relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16

()

Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute

physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme

agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans

laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant

de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute

lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre

sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le

but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9

Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la

seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la

seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-

dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution

En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les

convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories

en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la

penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens

ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales

lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16

de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement

de la deacutelinquance commune

En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la

deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la

Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute

pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou

politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de

manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles

leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent

facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour

la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre

limiteacutee

En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs

sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent

un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus

Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la

Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la

formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui

peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de

seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute

de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et

la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo

46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que

les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales

qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la

Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les

citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un

systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future

drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et

proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes

eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la

conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute

preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations

des droits relatifs agrave la liberteacute

47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la

Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de

mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une

10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que

les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees

exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire

48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute

publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera

celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son

avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement

de lrsquoarticle 16 de la Constitution

49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que

les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave

celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le

principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la

liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de

sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea

toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des

critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites

mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que

leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais

plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale

50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les

cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres

distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs

drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)

critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement

identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la

deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle

visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela

dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de

maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme

laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et

vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets

51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la

Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de

compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la

culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle

indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves

lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais

justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de

fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis

52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la

seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne

suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta

qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11

lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester

theacuteorique

53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une

violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux

ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention

54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4

de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence

obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures

de preacutevention

55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que

lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en

vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour

srsquoexprima ainsi

laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis

agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute

Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que

lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute

personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles

mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques

Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute

drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver

lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de

la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits

traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo

Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative

lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute

(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi

si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision

motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo

La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo

destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute

confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960

no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les

articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le

paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de

mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme

finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les

diffeacuterences entre ces deux types

12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct

no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories

drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo

(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a

deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423

du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la

motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le

leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie

pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire

reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre

agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de

rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de

preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo

Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de

1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la

base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des

faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des

manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir

eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et

incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo

4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la

constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents

degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe

de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit

de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence

de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire

Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas

preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la

majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de

dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de

lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne

peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base

En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen

des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre

autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de

preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel

sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les

conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire

Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a

eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction

juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir

dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi

On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles

tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent

pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4

et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees

comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13

par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute

soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret

5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute

suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait

dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de

lrsquoindividu

Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute

sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash

qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de

ce qui vient drsquoecirctre exposeacute

Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait

que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de

conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la

conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses

actions et ses omissions

De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description

leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si

elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique

donc orienteacutee vers lrsquoavenir

Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de

preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de

reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories

drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites

consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur

survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions

soient consommeacutees par ces individus

6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de

lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre

deacuteclareacutee fondeacutee

En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier

paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune

laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La

question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et

avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la

deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de

lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie

conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la

fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo

(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle

laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable

() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956

semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code

peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de

cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie

ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere

agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le

cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue

comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la

disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute

14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui

les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo

56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari

et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour

europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la

proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de

1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la

loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour

lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de

preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en

appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle

preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait

pas devant la Cour de cassation

57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave

deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait

compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil

sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5

alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et

dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le

principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme

peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)

58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que

lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas

precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la

personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de

caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas

speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc

que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne

pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et

speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle

qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite

susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale

compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la

deacutefinition de cette infraction

59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en

question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples

des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description

globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but

poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus

large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement

par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle

crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15

la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite

de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable

et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une

perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour

la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre

honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi

geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au

contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations

poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair

impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un

mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de

sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise

60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de

vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se

conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas

adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais

aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire

de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie

61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la

haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement

mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une

surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus

C La jurisprudence de la Cour de cassation

62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation

statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la

laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la

commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement

entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation

crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui

reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la

seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc

laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en

consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas

neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins

reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo

63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que

lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de

preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute

subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait

eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la

16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories

criminologiques deacutefinies par la loi

Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure

de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la

commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non

dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave

partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice

reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber

lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions

leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute

64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait

la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure

de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question

repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela

ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du

13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret

leacutegislatif no 159 de 2011

D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011

65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave

la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et

patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes

concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement

abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution

En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience

peut ecirctre publique

66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi

no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes

contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont

ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les

deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins

terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention

personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de

retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17

E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages

causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la

responsabiliteacute civile des magistrats

67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci

srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun

administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute

juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux

autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction

juridictionnelle raquo

Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce

laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun

comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu

coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun

deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages

patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui

deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle

2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de

droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave

responsabiliteacute

3 Sont constitutifs drsquoune faute grave

a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable

b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier

c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier

d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas

preacutevus par la loi ou sans motivation raquo

Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi

no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou

le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa

compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour

lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une

demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable

aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de

cette demande au greffe raquo

68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les

modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre

de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent

ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol

ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de

justice

18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute

69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de

trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf

pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles

appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes

par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni

et la Russie)

70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour

faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi

mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de

manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de

mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles

hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police

administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute

introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention

visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave

pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes

ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un

danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les

meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements

publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non

officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees

dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue

72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE

relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de

circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit

la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de

seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute

publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public

ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre

fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute

qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour

lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle

mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas

apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit

pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction

73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la

Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par

1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie

Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg

ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne

Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19

le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave

Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de

sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un

Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de

commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy

participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et

drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des

personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA

CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4

74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet

avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de

la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa

liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales

a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent

b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour

insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en

vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi

c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire

compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une

infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher

de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci

d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation

surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute

compeacutetente

e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une

maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun

vagabond

f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour

lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une

proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo

Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose

laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy

circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence

2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien

20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui

preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui

4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones

deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par

lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas

applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la

jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994

sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010

et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les

obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples

restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible

ratione materiae avec la Convention

b) Le requeacuterant

77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve

de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de

conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de

liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a

subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute

une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est

comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)

dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances

particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures

semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5

78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de

son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une

privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

2 Appreacuteciation de la Cour

79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est

applicable en lrsquoespegravece

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21

80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo

le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves

lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler

lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un

individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir

de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres

comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la

mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune

diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi

preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809

sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH

2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)

De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi

de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi

preacuteciteacute sect 95)

81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte

le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question

(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux

circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte

dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est

courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans

lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute

de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun

(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)

82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la

Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du

5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission

du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait

que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait

une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission

conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave

reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne

comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de

choisir sa reacutesidence

83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant

la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour

souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une

commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5

(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des

22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave

un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans

une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie

essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi

que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute

assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de

Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la

zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi

permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans

laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute

sect 95)

84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans

plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance

speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees

(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de

reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction

de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises

agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave

des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires

preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un

endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des

contacts sociaux

86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon

lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-

deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

et donc agrave une privation de liberteacute

87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son

degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507

sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova

c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov

c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu

c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note

eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee

ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23

sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH

2001-IX)

88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la

preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient

lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle

rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de

circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de

changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la

surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct

que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la

journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir

des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas

du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission

de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence

89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas

entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation

90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est

incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute

en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4

91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du

requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en

lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties

92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens

de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie

de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956

en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute

judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait

symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de

la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication

desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime

que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans

lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour

le citoyen

24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui

ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne

pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que

la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine

de deacutetention

95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune

erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il

ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab

origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute

sociale

96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute

soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un

jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le

requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la

proceacutedure

b) Le Gouvernement

97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont

assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune

proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait

sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et

justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et

eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales

98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en

particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014

(paragraphe 63 ci-dessus)

99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun

controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises

la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives

lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et

lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence

lieacutee agrave la deacutefense sociale

100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant

la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention

personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les

mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les

tribunaux

101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence

interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee

peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc

lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25

102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre

circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la

sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la

jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour

drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre

(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait

pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67

ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu

pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que

par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation

103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des

preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations

qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de

Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a

disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir

gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence

104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute

personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se

trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre

dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer

(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann

c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la

Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre

preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme

paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre

entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie

no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute

sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)

105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees

au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91

ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la

loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet

article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique

26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo

i Principes geacuteneacuteraux

106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots

laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait

une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en

cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans

ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58

CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]

no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195

sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30

CEDH 2004-I)

107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo

est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune

norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler

sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave

mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause

les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces

conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude

absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En

outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois

drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements

de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des

choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et

lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni

(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993

sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34

CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)

108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en

aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du

contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du

nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique

no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt

c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7

Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef

aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne

(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)

109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre

une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique

(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute

sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee

bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de

figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver

et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27

ii Application de ces principes en lrsquoespegravece

110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave

la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique

qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees

au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient

une base leacutegale en droit interne

111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible

Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave

la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et

sur son droit agrave la liberteacute de circulation

112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956

reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne

conteste pas

113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce

faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les

mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures

114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la

preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute

dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient

pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles

eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)

la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel

qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de

premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du

tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que

telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans

les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que

lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la

loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision

reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de

la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et

vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro

preacuteciteacute sect 45)

115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun

manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par

conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux

destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la

lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle

italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de

personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que

certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo

(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en

28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute

appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes

auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour

constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait

une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme

socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des

cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir

lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la

reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a

indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees

sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation

objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle

et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa

propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour

constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)

117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour

constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les

critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention

lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les

juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle

nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements

speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute

sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles

mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de

maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer

comme socialement dangereux

118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication

de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune

tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer

un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal

a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait

que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se

caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau

local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16

ci-dessus)

En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat

drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle

avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour

deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures

preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)

En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute

requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation

consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29

lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec

une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences

arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec

un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention

119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi

no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que

certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur

contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les

dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le

respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la

conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas

precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute

(paragraphe 59 ci-dessus)

120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle

dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil

eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la

Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines

des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance

speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses

interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La

Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale

121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010

nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de

preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi

en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait

neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale

122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre

honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour

constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le

laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie

respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi

impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5

lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications

suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour

lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter

ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes

peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice

suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi

indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun

30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un

indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute

Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee

de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu

des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas

mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par

la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de

participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite

temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est

entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge

124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large

pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les

modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures

de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute

entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles

125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des

termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les

mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)

ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que

cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se

deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute

de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques

respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de

preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse

127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour

de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les

mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et

eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA

CONVENTION

128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal

et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6

sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement

publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial

eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31

caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre

elle raquo

129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant

A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement

130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de

proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du

regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)

131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait

des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa

eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale

132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties

pertinentes

laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du

rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure

()

c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus

de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte

Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de

lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo

133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans

laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de

radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent

de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune

deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski

c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie

(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri

SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)

no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)

no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203

16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)

no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811

sectsect 18-19 7 octobre 2014)

134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre

indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la

32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement

deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se

poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise

pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement

amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui

permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base

suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme

garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de

lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)

135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la

nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont

analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes

la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le

gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par

la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave

lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]

no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)

136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration

unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les

griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations

de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens

Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces

concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend

fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et

Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)

137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le

Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au

titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle

relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice

moral

138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de

mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1

(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26

Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607

sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007

sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de

jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux

proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par

conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres

proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures

de preacutevention patrimoniales

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33

139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des

circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant

de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies

140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la

radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1

c) de la Convention

B Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est

applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de

preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du

citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il

ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que

lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives

agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales

b) Le Gouvernement

142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet

2 Appreacuteciation de la Cour

143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de

la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se

comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait

lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108

Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil

144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet

laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un

laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu

en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit

srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien

lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice

enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le

droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant

pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto

c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]

no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]

no 3757504 sect 90 CEDH 2012)

34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit

ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de

lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe

administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef

preacuteciteacute sect 74)

146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se

caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant

ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la

Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En

conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere

civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts

c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V

Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)

147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son

volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte

carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les

reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de

caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette

disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de

lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31

20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites

pendant un an)

148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26

CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et

Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute

lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire

lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees

aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un

nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle

continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la

limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)

la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant

affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute

seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la

Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a

jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles

visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et

partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)

149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits

de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre

drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par

exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par

mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication

eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35

peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens

familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea

preacuteciteacute sect 106)

150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406

sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges

concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et

uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure

quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre

ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus

placeacutes en cellule de seacutecuriteacute

151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre

jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne

portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des

reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun

individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012

Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)

152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les

affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions

imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec

la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des

liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La

Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la

commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six

heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas

utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour

communiquer

153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et

seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance

speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute

deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu

que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere

154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par

le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas

srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions

publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la

personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis

Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)

155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif

aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de

lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave

lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute

36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

C Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave

un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier

drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et

que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave

la violation subie

157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil

eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et

les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre

septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la

suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004

pour eacutevasion

158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de

la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un

individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en

1973

159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le

requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les

preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait

honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait

mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme

ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute

la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer

alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)

b) Le Gouvernement

160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010

la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la

jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les

articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la

mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute

des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures

de preacutevention

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37

161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes

162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le

Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a

eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont

ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a

simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute

pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le

requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis

drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a

pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour

drsquoappel

163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue

un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir

une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui

permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la

nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila

c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)

164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement

reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute

inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi

no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de

demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave

lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)

166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de

preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre

et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone

preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)

167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la

tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions

internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant

son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour

lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila

preacuteciteacute sect 41)

38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a

eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure

169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure

devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le

respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties

contractantes

170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre

des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction

interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux

droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple

Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez

c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles

peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6

de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable

elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur

appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des

juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute

par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle

conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle

de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle

ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des

tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour

arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans

c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie

no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108

sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65

CEDH 2015)

171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la

Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions

nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par

cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa

pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres

Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)

172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee

conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint

pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de

Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour

drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de

preacutevention

173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39

III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA

CONVENTION

174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation

devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation

de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose

laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute

violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors

mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice

de leurs fonctions officielles raquo

175 Le Gouvernement conteste cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne

lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se

heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas

deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le

requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel

b) Le requeacuterant

178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif

permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la

Convention et 2 du Protocole no 4

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Les principes applicables

179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit

interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes

proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent

drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux

obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau

40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut

examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement

approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en

fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en

tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment

que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes

ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi

Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les

renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95

Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit

interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de

lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A

no 116)

180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en

droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au

regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni

27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre

aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales

comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni

25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux

qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la

Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)

b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece

181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est

deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit

italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses

droits proteacutegeacutes par la Convention

182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon

lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation

drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes

nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure

contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis

Riener preacuteciteacute sect 138)

183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee

effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la

possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la

Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de

maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de

lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13

eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance

effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41

c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM

c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)

184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la

cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale

assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement

Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure

litigieuse

185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a

donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer

les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu

violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage

mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour

188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de

20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au

reacutegime de surveillance speacuteciale

189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41

190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa

pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y

a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral

B Frais et deacutepens

191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et

deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux

exposeacutes devant la Cour

192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point

193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa

42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant

reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus

C Inteacuterecircts moratoires

194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires

sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte

formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration

unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences

devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la

Convention

3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole

no 4

4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention

6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du

deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de

Bari

7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable

8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention

9 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les

sommes suivantes

i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43

ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout

montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais

et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable

pour le surplus

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017

Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute

Adjoint au greffier Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees

suivantes

ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta

Keller et Kjoslashlbro

ndash opinion concordante du juge Dedov

ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute

ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić

ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque

ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris

AS

JC

44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES

RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO

1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre

selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait

reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de

surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut

de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a

permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse

2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires

dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne

3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la

matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la

Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure

soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie

6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)

4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo

c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)

no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale

avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction

de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence

interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de

freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave

des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de

la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation

applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire

Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non

seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas

laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce

dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre

leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45

requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas

formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse

6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi

no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de

preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave

lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi

eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec

une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de

preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de

preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)

7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence

qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant

que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle

avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de

savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention

eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas

eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres

Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute

que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956

en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se

sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct

(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct

nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence

drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures

de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier

sur les mesures applicables

9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante

que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy

avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des

destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables

10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct

no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si

lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement

le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere

46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des

lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision

leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer

(principio di tassativitagrave)

11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante

pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de

maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des

significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le

contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la

personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant

lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule

laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a

preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave

soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le

contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956

comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale

de freacutequenter certains lieux ou individus

12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la

Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux

faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave

partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la

teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le

cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis

cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en

lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui

existait deacutejagrave au moment des faits

13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute

clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties

importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour

que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute

par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le

raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956

telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait

drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le

raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de

la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en

compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales

anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et

les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees

Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base

factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest

justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies

par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47

jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la

reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En

tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils

eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les

circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de

personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la

dureacutee des mesures applicables

14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien

laquo preacutevues par la loi raquo

15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de

circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de

lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno

deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)

16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses

nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo

17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin

social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave

cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la

justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes

nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent

remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question

de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention

(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et

3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]

no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)

18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure

incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend

effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre

(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501

sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49

26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure

restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir

disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge

automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96

CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et

Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)

19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller

agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et

proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement

ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre

les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des

48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802

sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre

au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la

proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le

Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A

no 43)

20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de

soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de

certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une

activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au

requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait

les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans

son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le

requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun

eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute

deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation

approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait

entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa

libeacuteration

21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs

invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant

nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il

nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante

du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre

appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4

22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans

le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a

fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au

requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de

lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait

commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee

ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le

deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari

23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption

drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le

requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification

de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la

deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois

dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour

drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre

disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant

Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49

responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous

notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune

telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables

agrave celles de la preacutesente espegravece

24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave

la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires

dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence

50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour

constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre

ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et

deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits

fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest

pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de

faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient

et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce

chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont

ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et

drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour

drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation

Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute

uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les

autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil

conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et

psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait

ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres

personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base

volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le

preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures

coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes

elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une

assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas

convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela

signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de

faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute

(Traduction)

Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime

eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de

preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont

applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes

(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir

souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet

peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion

seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque

52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ

Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les

raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto

de Albuquerque

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matiegraveres

I Introduction (sect 1)

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect

9-11)

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)

VI Conclusion (sectsect 59-60)

I Introduction (sect 1)

1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de

lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au

requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une

mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave

reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives

revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation

du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient

1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation

relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales

et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956

54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et

de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention

Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en

faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les

mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi

des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans

reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions

La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la

deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui

srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de

violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de

recours internes dans la preacutesente affaire

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de

preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention

personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions

pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent

simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de

sucircreteacute (misure di sicurezza)

Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le

principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations

sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes

sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de

preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]

principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali

deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti

illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro

verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions

2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient

en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de

reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig

Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche

Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato

laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55

de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment

avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute

personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3

Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins

preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en

geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions

peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en

appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une

approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans

celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de

faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les

mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une

rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en

regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4

La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de

preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption

drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della

Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de

compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient

pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun

individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention

ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples

soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement

subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e

incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5

Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a

retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les

laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro

che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al

3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question

de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles

13 25 et 27 de la Constitution italienne

4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione

delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi

criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una

figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve

sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore

ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto

alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo

5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour

constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione

possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva

valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che

siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo

da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o

applica le misure di prevenzione raquo

56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes

auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)

3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964

concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention

personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois

au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en

raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande

Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre

assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de

telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle

des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer

enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En

2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de

demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une

audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En

substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec

lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta

4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees

en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant

leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di

proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de

proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la

seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure

peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la

premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin

de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible

lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo

des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans

ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des

sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le

6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct

7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22

feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la

Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir

par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de

cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention

ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien

qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce

groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa

pas fourni les donneacutees requises

8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo

9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne

voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57

soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi

no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus

dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de

mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956

5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956

eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions

draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du

suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de

la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement

laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect

commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de

restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme

une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi

comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures

personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la

commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base

leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait

pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi

de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13

En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un

effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un

facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses

infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec

lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc

exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect

ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux

effets personnels dommageables desdites mesures leur effet

10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi

di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986

11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999

Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure

peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de

preacutevention

12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo

AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974

Milan 1975

13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle

de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5

Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et

Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004

14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e

secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da

persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della

sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal

momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12

58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique

mais aussi sur lrsquoapplication de la loi

6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de

sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in

idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux

distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait

la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal

permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave

la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve

peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de

compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient

combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale

(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo

ergastolo)19

7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956

eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la

proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui

eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce

contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les

exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de

mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la

proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de

preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les

effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21

Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi

de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage

laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses

crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait

grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme

moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle

coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours

8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le

principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les

termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne

sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia

16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM

17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi

18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano

19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp

Tumminelli Rv 194062

20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis

par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di

prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)

21 Balbi preacuteciteacute p 17

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59

socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait

les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter

delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste

quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles

ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale

passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie

drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait

qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale

fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si

eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die

Tat25

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention

(sectsect 9-11)

9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette

laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la

compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest

concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans

laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si

les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le

deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a

toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques

mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se

contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere

occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas

saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28

10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de

preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de

lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la

22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra

lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione

inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla

criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome

2002

23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la

proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17

24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen

1975 III

25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945

Scritti giuridici I p 678

26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197

CEDH 2004-VI

27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39

28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013

60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau

moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a

jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu

rupture du juste eacutequilibre30

11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public

drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31

Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable

concernant les mesures de preacutevention personnelles

En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les

garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans

le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le

preacutesent arrecirct change le cours des choses

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-

31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une

privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5

de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes

dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve

laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation

concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la

dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des

mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la

deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes

drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte

29 Ibidem sect 26

30 Ibidem sect 27

31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie

no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30

5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et

Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH

2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres

c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010

34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61

et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35

13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de

preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait

eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet

soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute

contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25

kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant

dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance

Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions

comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires

mentionneacutees ci-dessus36

14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient

similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se

preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de

lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas

precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six

heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en

temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes

cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des

reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire

Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de

vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees

exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437

15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la

Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en

vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre

cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par

le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne

constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la

liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux

35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22

et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III

36 Voir note no 26

37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes

38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui

affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre

eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5

sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais

omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion

62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit

expresseacutement dans Ciulla39

16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au

requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De

Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes

restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone

ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des

mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute

ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave

lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas

sortir le matin avant six heures

En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours

combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville

particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee

de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles

de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si

esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles

qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere

onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction

relative aux communications teacuteleacutephoniques

17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui

devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son

correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique

longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les

teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute

eacutevidence aggravait sa situation

18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser

exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider

pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation

concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a

eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier

2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il

convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour

strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la

cateacutegorie des privations de liberteacute raquo

39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une

disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs

que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire

allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)

40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63

concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien

moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41

19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la

Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji

lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de

lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une

interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des

autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en

regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant

qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois

lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres

laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition

en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de

chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition

relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)

renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces

dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave

la violence jusqursquoagrave cinq ans

En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait

pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins

drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de

surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata

necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans

20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de

liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux

preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si

lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de

1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la

liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece

41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311

douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598

sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004

Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni

28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de

trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)

no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos

c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de

quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne

no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement

pendant six heures et demie

42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016

64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre

de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des

personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi

de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour

restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne

suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le

citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement

risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et

quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple

raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions

vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme

la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret

de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude

eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43

23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin

dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent

eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort

convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a

eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans

les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144

25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation

agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction

donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs

agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas

43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes

auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement

deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera

organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali

ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare

allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di

prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della

pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance

implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956

44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute

sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie

no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII

45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65

celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo

de la laquo condamnation raquo46

26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention

du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de

la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par

la loi49

27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant

ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas

de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de

laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre

une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La

raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour

un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction

concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de

1956

28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas

mineur

29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait

drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition

30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54

31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour

ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec

le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5

sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave

mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la

question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales

Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention

ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o

praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales

46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50

47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101

48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil

1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie

no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010

49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et

Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005

50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102

51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox

Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182

52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103

53 Ibidem sect 98

54 Ibidem sect 103

66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention

(sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention

(sectsect 32-43)

32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans

la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la

qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature

mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont

lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non

cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en

matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature

laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une

sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la

laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche

cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave

une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo56

33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les

diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des

mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes

Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi

de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la

Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite

dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir

criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y

a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela

correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la

personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les

termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona

sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)

34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de

1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses

droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi

35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le

suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un

55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs

c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007

57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67

large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller

jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite

pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de

surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable

36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme

considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant

de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps

dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento

commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di

sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son

arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de

preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute

preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun

mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des

principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar

des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le

principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61

37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et

speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient

eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du

suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute

sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun

lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et

ses objectifs62

38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi

de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans

drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de

58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une

mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient

appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement

(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)

59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza

personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non

sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto

comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono

considerarsi una delle due species di un unico genus raquo

60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle

61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193

62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo

Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di

pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in

onore di B Petrocelli vol III 1972

63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes

ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees

Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre

de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement

68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait

consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des

peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal

39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles

geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure

peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention

personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct

no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale

ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde

est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad

essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue

de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention

srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di

citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire

imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui

devait ecirctre motiveacutee64

40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable

srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa

deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella

(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de

preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)

41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il

serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de

1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui

(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave

la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter

les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun

deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave

la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956

ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par

un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)

42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires

relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de

la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune

proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions

disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant

64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23

65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73

seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130

CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50

CEDH 2006-XIII

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69

confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6

devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66

43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les

critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67

La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif

des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste

des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que

la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de

prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est

si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6

La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent

ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent

se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence

drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours

Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute

violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons

45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct

no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale

pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la

proceacutedure devant les juridictions internes

46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des

preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005

comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le

requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant

une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave

costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli

assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation

du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions

alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale

(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la

personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que

les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de

surveillance speacuteciale concernaient une autre personne

66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet

peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus

67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises

dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes

et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur

telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure

Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que

deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause

48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu

violation de cette disposition

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de

lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves

Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales

vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon

disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il

faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant

pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour

drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas

eacuteteacute respecteacute

50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en

cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive

puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a

pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste

eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu

51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de

recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la

Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour

drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme

instance

52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la

reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit

pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref

deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et

mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir

si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute

68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa

reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont

eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences

leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71

doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai

raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la

lumiegravere des circonstances de chaque affaire69

53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible

avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de

lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun

constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee

du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale

(sectsect 54-58)

54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation

eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune

violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie

par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En

lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation

de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le

requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de

la Convention

55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave

reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo

preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou

maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code

de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave

lrsquoalineacutea 2)

56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute

que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale

les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention

injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En

outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que

le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif

que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la

conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui

comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation

de liberteacute

69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII

Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33

30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003

70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008

71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X

72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne

permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une

demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La

lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence

pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de

demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de

surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes

ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune

dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72

58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de

lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute

relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas

permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest

ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

VI Conclusion (sectsect 59-60)

59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave

la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes

le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces

articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques

liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la

lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la

preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute

et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees

par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits

fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion

60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute

eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui

srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera

le mieux

72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45

73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898

sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46

74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de

la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux

arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie

dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo

imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car

comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne

appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du

requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave

lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures

auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En

particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans

lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes

pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute

appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)

contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo

des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien

plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes

notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises

individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute

imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort

reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances

factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5

Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le

laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de

la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et

prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les

effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne

puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention

preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece

on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)

2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait

pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi

le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi

une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait

pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6

74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute

dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est

applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas

signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est

consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie

au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre

une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave

lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce

Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation

de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle

disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la

Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le

Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des

affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute

Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans

les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une

interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus

positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa

pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de

lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute

ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier

3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5

est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans

leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures

laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de

lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au

regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens

commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle

comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun

Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces

mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un

copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles

ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la

situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que

lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo

alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait

laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source

de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures

eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans

son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu

de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le

matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75

drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave

domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je

souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la

majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile

parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre

en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des

canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la

mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne

pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans

avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme

une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au

regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de

Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse

Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard

du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute

ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le

requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre

emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de

celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable

Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses

4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et

difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au

requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet

notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)

Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au

requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de

lui interdire de communiquer par certains moyens

5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre

drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai

drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre

lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et

de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]

teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de

conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave

Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille

habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se

seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire

laquo inutile raquo

6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter

des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures

de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de

parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave

freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune

76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de

jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions

mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait

reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il

assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et

sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave

quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas

trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)

degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo

(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)

7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil

y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu

besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere

injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel

essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes

il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que

toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par

deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus

geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5

Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas

eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)

8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave

lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil

y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute

laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la

surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la

proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute

drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la

Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la

majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie

(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest

pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la

reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de

lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere

geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du

droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme

paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait

que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les

conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi

9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute

drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77

lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures

relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce

qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les

dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de

lrsquoarrecirct)

Cette abstention signifie sucircrement quelque chose

10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la

majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre

aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est

totalement omis dans le raisonnement

Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant

preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier

montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses

moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)

Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une

reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute

deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement

laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo

11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la

majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au

droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)

Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves

eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo

personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent

des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute

soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute

recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette

circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire

examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au

meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est

deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime

On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses

Absence totale de preacutejudice

En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans

cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable

Eacutequitable

12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune

voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain

de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le

paragraphe 103)

La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche

Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave

les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer

les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En

78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les

mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le

deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction

supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la

juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme

drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le

contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]

pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)

Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo

Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au

deacutetriment de la jurisprudence

13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments

favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait

que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit

selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de

commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune

reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees

avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de

lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle

13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur

application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc

14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche

de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant

au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave

voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre

guillemets

15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956

interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la

disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention

personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures

de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)

Non non non et encore non

La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles

sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette

appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees

agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la

base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes

deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur

conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo

iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79

lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la

tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois

cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute

et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)

Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories

nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise

par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme

laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de

la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas

meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre

M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait

ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le

passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre

M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave

incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce

dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les

eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et

inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand

En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins

pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle

permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de

laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de

lrsquoarticle 1 de la loi

16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant

Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune

erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex

tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)

Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne

Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest

tout

17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures

laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave

une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence

de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune

personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent

guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme

18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent

que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses

restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des

laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo

preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et

indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu

subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive

80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits

auxquels on lrsquoapplique

Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la

regravegle de droit

19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12

ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari

laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement

reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure

la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si

ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette

deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin

agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui

commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne

20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la

situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de

savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le

requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les

indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient

laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces

consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo

litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale

21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec

le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la

question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la

question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo

comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche

drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur

indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont

appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce

raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien

rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des

avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je

ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de

lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre

utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles

cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce

requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce

nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas

suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement

geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que

cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler

de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors

qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81

22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en

question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes

auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique

ajouteacute)

On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo

veut-elle aussi dire au requeacuterant

Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le

raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste

Page 3: GRANDE CHAMBRE - Giurisprudenza penale

2 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

6 Le 25 novembre 2014 une chambre de la deuxiegraveme section composeacutee

de Işıl Karakaş preacutesidente Guido Raimondi Andraacutes Sajoacute Nebojša

Vučinić Helen Keller Egidijus Kūris Robert Spano juges ainsi que de

Stanley Naismith greffier de section srsquoest dessaisie au profit de la Grande

Chambre aucune des parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la

Convention et 72 du regraveglement)

7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement agrave

lrsquoarticle 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et agrave lrsquoarticle 24 du regraveglement

8 Tant le requeacuterant que le Gouvernement ont deacuteposeacute un meacutemoire sur la

recevabiliteacute et sur le fond de lrsquoaffaire

9 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de

lrsquohomme agrave Strasbourg le 20 mai 2015 (article 59 sect 3 du regraveglement)

Ont comparu

ndash pour le Gouvernement

Mme P ACCARDO co-agent

M G MAURO PELLEGRINI co-agent

ndash pour le requeacuterant

Me D CONTICCHIO conseil

Mme L FANIZZI

Me M CASULLI conseillegraveres

La Cour a entendu Mme Accardo et Me Conticchio en leurs deacuteclarations

ainsi qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par les juges

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

10 Le requeacuterant M Angelo de Tommaso est un ressortissant italien neacute

en 1963 et reacutesidant agrave Casamassima

11 Le 22 mai 2007 le procureur de la Reacutepublique de Bari proposa au

tribunal de cette ville de soumettre le requeacuterant pour une peacuteriode de deux

ans agrave une mesure de surveillance speacuteciale de police (sorveglianza speciale

di pubblica sicurezza) fondeacutee sur la loi no 1423 de 1956 assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence Le procureur souligna que les preacuteceacutedentes

condamnations du requeacuterant pour trafic de drogue eacutevasion et deacutetention

drsquoarmes montraient qursquoil freacutequentait des criminels et eacutetait une personne

dangereuse Il fit aussi remarquer que le requeacuterant avait reccedilu un

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 3

laquo avertissement raquo de la police mais avait persisteacute dans sa conduite

deacutelictueuse

12 Dans un meacutemoire en date du 6 mars 2008 le requeacuterant srsquoopposa agrave la

proposition du procureur Il alleacutegua une erreur sur la personne et indiqua

que les infractions aux obligations deacutecoulant de la surveillance speacuteciale qui

lui eacutetaient reprocheacutees concernaient un individu qui portait les mecircmes nom et

preacutenom que lui mais eacutetait neacute en 1973 Il plaida eacutegalement qursquoil nrsquoavait plus

fait lrsquoobjet de poursuites depuis une condamnation prononceacutee en 2002 Il

ajouta que mecircme srsquoil avait eacuteteacute condamneacute pour eacutevasion en 2004 cet eacuteleacutement

nrsquoeacutetait pas deacuteterminant pour lrsquoapplication de la mesure litigieuse Il soutint

qursquoil nrsquoeacutetait pas neacutecessaire de le soumettre agrave une surveillance speacuteciale

13 Par une deacutecision du 11 avril 2008 notifieacutee le 4 juillet 2008 le

tribunal de Bari ordonna lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale

pour une dureacutee de deux ans Il rejeta les arguments du requeacuterant estimant

que les conditions requises par la loi pour lrsquoapplication de la mesure eacutetaient

bien remplies degraves lors que la dangerositeacute de lrsquointeacuteresseacute ne faisait pas de

doute

14 Pour le tribunal le requeacuterant preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la

deacutelinquance et les piegraveces du dossier montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute

deacutelictueuse la plupart de ses moyens de subsistance

15 Le tribunal remarqua en particulier ce qui suit

laquo Le 18 septembre 2006 lrsquointeacuteresseacute a reccedilu un laquo avertissement verbal pour la seacutecuriteacute

publique raquo mais cela nrsquoa aucunement ameacutelioreacute sa conduite il a continueacute agrave freacutequenter

assiducircment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et agrave

commettre des deacutelits (voir lrsquoacte drsquoaccusation infraction aux obligations associeacutees agrave

la surveillance le 25 avril 2007 infraction aux obligations associeacutees agrave la surveillance

le 29 avril 2007) raquo

16 Le tribunal ajouta ceci

laquo Les conclusions de lrsquoinstruction (voir les documents et certificats joints au dossier)

montrent que M Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement impliqueacute dans

diffeacuterents actes deacutelictueux dont les plus alarmants pour lrsquoordre et la seacutecuriteacute

publiques sont les infractions drsquoordre patrimonial et en matiegravere drsquoarmes et de

stupeacutefiants

Agrave ce cadre neacutegatif srsquoajoute le contenu du signalement fait reacutecemment le 26 janvier

2008 par le corps des carabiniers de Gioia del Colle dont il ressort que la tendance du

sujet agrave la deacutelinquance loin drsquoavoir disparu est consideacutereacutee comme active et

opeacuterationnelle Il ressort des piegraveces du dossier que le sujet nrsquoexerce aucune activiteacute

professionnelle fixe et leacutegale (il srsquoest deacuteclareacute disponible pour un emploi agrave partir de

feacutevrier 2008) et que les faits graves pris en consideacuteration sont tels qursquoils permettent de

penser qursquoil a jusqursquoagrave preacutesent tireacute une grande partie de ses moyens de subsistance de

son activiteacute deacutelictueuse recourant constamment aux deacutelits commis seul ou en

association avec des repris de justice (dans sa localiteacute de reacutesidence ou dans drsquoautres

localiteacutes) Drsquoougrave la neacutecessiteacute pour permettre un controcircle plus assidu de prononcer en

plus de la surveillance speacuteciale de police drsquoune dureacutee de deux ans (mesure jugeacutee

approprieacutee au vu de la personnaliteacute du sujet telle qursquoelle ressort des actes attribueacutes agrave

celui-ci) une assignation agrave reacutesidence pour la mecircme dureacutee raquo

4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations

suivantes

ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance

ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois

ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence

ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon

ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et

soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute

ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin

avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile

ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme

ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques

ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques

pour communiquer

ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le

preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police

18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour

drsquoappel de Bari

19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis

de conduire du requeacuterant

20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier

2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la

mesure de preacutevention

21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la

mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet

laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction

preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee

reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute

publique

22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale

du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de

la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits

anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur

lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel

23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la

dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute

deacutelictuelle

24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations

deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le

requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite

lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5

il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes

clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en

date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de

quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre

2005

25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de

stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la

mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement

un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode

drsquoassignation agrave reacutesidence)

26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007

aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient

une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le

requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973

27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de

la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant

Elle deacuteclara notamment ce qui suit

laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la

situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la

peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le

cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits

posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso

Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de

Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris

en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de

lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision

drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres

proceacutedures judiciaires

La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant

le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement

occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins

depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui

assurant une source de revenus digne

En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une

dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement

purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement

attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo

II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU

GOUVERNEMENT

28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour

29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la

jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie

no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet

2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait

la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais

relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle

III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A La loi no1423 de 1956

30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie

remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie

en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie

par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute

publique raquo de 1865

31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en

exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute

personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le

principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25

alineacuteas 2 et 3)

32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent

pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956

elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour

constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le

respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application

33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits

preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses

pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo

34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent

laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se

livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses

2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train

de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en

partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse

3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute

physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo

35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police

assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7

province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee

(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux

personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel

de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute

publique

36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee

drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder

une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa

pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la

police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en

question

37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en

chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le

parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire

assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la

compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province

38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours

lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour

drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4

cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes

conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se

prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme

alineacutea)

39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en

preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4

quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra

observer (article 5 premier alineacutea)

40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance

speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de

subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un

bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet

Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le

tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont

eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de

ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant

une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas

freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne

pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer

toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux

41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du

8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire

du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document

eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs

particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence

ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave

ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive

42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est

sanctionneacute par une peine privative de liberteacute

B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute

drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans

certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que

la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique

Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres

situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes

soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)

ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee

face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme

droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute

simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327

de 1988

44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les

mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient

compatibles avec les liberteacutes fondamentales

45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi

laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et

seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations

que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute

Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo

()

Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de

moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique

relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16

()

Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute

physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme

agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans

laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant

de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute

lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre

sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le

but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9

Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la

seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la

seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-

dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution

En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les

convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories

en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la

penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens

ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales

lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16

de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement

de la deacutelinquance commune

En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la

deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la

Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute

pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou

politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de

manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles

leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent

facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour

la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre

limiteacutee

En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs

sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent

un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus

Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la

Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la

formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui

peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de

seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute

de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et

la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo

46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que

les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales

qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la

Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les

citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un

systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future

drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et

proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes

eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la

conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute

preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations

des droits relatifs agrave la liberteacute

47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la

Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de

mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une

10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que

les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees

exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire

48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute

publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera

celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son

avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement

de lrsquoarticle 16 de la Constitution

49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que

les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave

celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le

principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la

liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de

sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea

toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des

critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites

mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que

leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais

plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale

50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les

cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres

distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs

drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)

critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement

identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la

deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle

visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela

dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de

maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme

laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et

vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets

51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la

Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de

compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la

culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle

indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves

lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais

justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de

fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis

52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la

seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne

suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta

qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11

lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester

theacuteorique

53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une

violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux

ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention

54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4

de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence

obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures

de preacutevention

55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que

lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en

vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour

srsquoexprima ainsi

laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis

agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute

Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que

lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute

personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles

mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques

Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute

drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver

lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de

la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits

traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo

Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative

lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute

(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi

si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision

motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo

La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo

destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute

confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960

no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les

articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le

paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de

mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme

finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les

diffeacuterences entre ces deux types

12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct

no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories

drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo

(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a

deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423

du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la

motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le

leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie

pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire

reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre

agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de

rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de

preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo

Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de

1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la

base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des

faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des

manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir

eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et

incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo

4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la

constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents

degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe

de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit

de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence

de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire

Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas

preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la

majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de

dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de

lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne

peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base

En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen

des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre

autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de

preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel

sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les

conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire

Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a

eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction

juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir

dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi

On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles

tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent

pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4

et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees

comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13

par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute

soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret

5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute

suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait

dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de

lrsquoindividu

Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute

sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash

qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de

ce qui vient drsquoecirctre exposeacute

Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait

que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de

conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la

conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses

actions et ses omissions

De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description

leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si

elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique

donc orienteacutee vers lrsquoavenir

Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de

preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de

reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories

drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites

consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur

survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions

soient consommeacutees par ces individus

6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de

lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre

deacuteclareacutee fondeacutee

En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier

paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune

laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La

question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et

avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la

deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de

lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie

conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la

fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo

(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle

laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable

() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956

semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code

peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de

cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie

ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere

agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le

cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue

comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la

disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute

14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui

les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo

56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari

et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour

europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la

proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de

1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la

loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour

lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de

preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en

appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle

preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait

pas devant la Cour de cassation

57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave

deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait

compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil

sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5

alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et

dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le

principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme

peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)

58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que

lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas

precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la

personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de

caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas

speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc

que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne

pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et

speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle

qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite

susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale

compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la

deacutefinition de cette infraction

59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en

question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples

des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description

globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but

poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus

large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement

par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle

crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15

la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite

de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable

et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une

perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour

la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre

honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi

geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au

contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations

poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair

impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un

mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de

sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise

60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de

vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se

conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas

adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais

aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire

de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie

61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la

haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement

mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une

surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus

C La jurisprudence de la Cour de cassation

62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation

statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la

laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la

commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement

entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation

crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui

reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la

seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc

laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en

consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas

neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins

reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo

63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que

lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de

preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute

subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait

eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la

16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories

criminologiques deacutefinies par la loi

Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure

de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la

commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non

dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave

partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice

reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber

lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions

leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute

64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait

la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure

de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question

repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela

ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du

13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret

leacutegislatif no 159 de 2011

D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011

65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave

la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et

patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes

concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement

abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution

En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience

peut ecirctre publique

66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi

no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes

contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont

ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les

deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins

terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention

personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de

retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17

E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages

causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la

responsabiliteacute civile des magistrats

67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci

srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun

administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute

juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux

autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction

juridictionnelle raquo

Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce

laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun

comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu

coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun

deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages

patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui

deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle

2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de

droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave

responsabiliteacute

3 Sont constitutifs drsquoune faute grave

a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable

b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier

c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier

d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas

preacutevus par la loi ou sans motivation raquo

Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi

no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou

le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa

compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour

lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une

demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable

aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de

cette demande au greffe raquo

68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les

modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre

de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent

ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol

ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de

justice

18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute

69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de

trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf

pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles

appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes

par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni

et la Russie)

70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour

faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi

mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de

manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de

mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles

hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police

administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute

introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention

visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave

pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes

ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un

danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les

meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements

publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non

officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees

dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue

72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE

relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de

circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit

la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de

seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute

publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public

ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre

fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute

qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour

lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle

mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas

apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit

pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction

73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la

Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par

1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie

Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg

ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne

Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19

le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave

Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de

sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un

Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de

commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy

participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et

drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des

personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA

CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4

74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet

avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de

la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa

liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales

a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent

b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour

insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en

vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi

c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire

compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une

infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher

de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci

d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation

surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute

compeacutetente

e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une

maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun

vagabond

f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour

lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une

proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo

Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose

laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy

circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence

2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien

20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui

preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui

4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones

deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par

lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas

applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la

jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994

sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010

et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les

obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples

restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible

ratione materiae avec la Convention

b) Le requeacuterant

77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve

de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de

conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de

liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a

subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute

une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est

comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)

dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances

particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures

semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5

78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de

son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une

privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

2 Appreacuteciation de la Cour

79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est

applicable en lrsquoespegravece

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21

80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo

le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves

lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler

lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un

individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir

de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres

comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la

mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune

diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi

preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809

sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH

2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)

De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi

de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi

preacuteciteacute sect 95)

81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte

le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question

(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux

circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte

dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est

courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans

lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute

de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun

(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)

82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la

Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du

5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission

du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait

que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait

une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission

conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave

reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne

comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de

choisir sa reacutesidence

83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant

la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour

souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une

commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5

(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des

22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave

un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans

une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie

essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi

que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute

assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de

Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la

zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi

permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans

laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute

sect 95)

84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans

plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance

speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees

(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de

reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction

de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises

agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave

des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires

preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un

endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des

contacts sociaux

86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon

lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-

deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

et donc agrave une privation de liberteacute

87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son

degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507

sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova

c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov

c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu

c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note

eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee

ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23

sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH

2001-IX)

88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la

preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient

lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle

rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de

circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de

changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la

surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct

que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la

journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir

des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas

du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission

de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence

89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas

entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation

90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est

incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute

en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4

91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du

requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en

lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties

92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens

de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie

de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956

en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute

judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait

symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de

la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication

desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime

que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans

lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour

le citoyen

24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui

ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne

pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que

la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine

de deacutetention

95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune

erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il

ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab

origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute

sociale

96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute

soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un

jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le

requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la

proceacutedure

b) Le Gouvernement

97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont

assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune

proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait

sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et

justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et

eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales

98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en

particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014

(paragraphe 63 ci-dessus)

99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun

controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises

la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives

lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et

lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence

lieacutee agrave la deacutefense sociale

100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant

la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention

personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les

mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les

tribunaux

101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence

interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee

peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc

lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25

102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre

circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la

sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la

jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour

drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre

(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait

pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67

ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu

pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que

par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation

103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des

preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations

qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de

Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a

disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir

gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence

104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute

personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se

trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre

dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer

(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann

c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la

Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre

preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme

paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre

entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie

no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute

sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)

105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees

au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91

ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la

loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet

article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique

26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo

i Principes geacuteneacuteraux

106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots

laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait

une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en

cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans

ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58

CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]

no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195

sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30

CEDH 2004-I)

107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo

est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune

norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler

sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave

mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause

les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces

conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude

absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En

outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois

drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements

de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des

choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et

lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni

(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993

sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34

CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)

108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en

aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du

contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du

nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique

no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt

c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7

Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef

aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne

(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)

109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre

une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique

(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute

sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee

bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de

figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver

et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27

ii Application de ces principes en lrsquoespegravece

110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave

la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique

qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees

au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient

une base leacutegale en droit interne

111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible

Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave

la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et

sur son droit agrave la liberteacute de circulation

112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956

reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne

conteste pas

113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce

faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les

mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures

114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la

preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute

dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient

pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles

eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)

la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel

qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de

premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du

tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que

telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans

les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que

lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la

loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision

reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de

la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et

vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro

preacuteciteacute sect 45)

115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun

manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par

conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux

destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la

lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle

italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de

personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que

certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo

(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en

28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute

appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes

auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour

constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait

une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme

socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des

cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir

lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la

reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a

indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees

sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation

objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle

et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa

propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour

constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)

117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour

constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les

critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention

lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les

juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle

nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements

speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute

sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles

mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de

maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer

comme socialement dangereux

118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication

de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune

tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer

un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal

a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait

que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se

caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau

local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16

ci-dessus)

En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat

drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle

avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour

deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures

preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)

En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute

requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation

consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29

lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec

une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences

arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec

un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention

119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi

no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que

certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur

contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les

dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le

respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la

conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas

precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute

(paragraphe 59 ci-dessus)

120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle

dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil

eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la

Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines

des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance

speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses

interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La

Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale

121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010

nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de

preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi

en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait

neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale

122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre

honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour

constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le

laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie

respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi

impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5

lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications

suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour

lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter

ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes

peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice

suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi

indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun

30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un

indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute

Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee

de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu

des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas

mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par

la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de

participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite

temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est

entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge

124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large

pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les

modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures

de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute

entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles

125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des

termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les

mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)

ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que

cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se

deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute

de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques

respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de

preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse

127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour

de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les

mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et

eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA

CONVENTION

128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal

et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6

sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement

publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial

eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31

caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre

elle raquo

129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant

A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement

130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de

proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du

regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)

131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait

des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa

eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale

132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties

pertinentes

laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du

rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure

()

c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus

de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte

Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de

lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo

133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans

laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de

radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent

de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune

deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski

c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie

(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri

SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)

no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)

no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203

16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)

no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811

sectsect 18-19 7 octobre 2014)

134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre

indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la

32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement

deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se

poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise

pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement

amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui

permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base

suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme

garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de

lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)

135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la

nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont

analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes

la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le

gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par

la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave

lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]

no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)

136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration

unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les

griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations

de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens

Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces

concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend

fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et

Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)

137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le

Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au

titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle

relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice

moral

138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de

mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1

(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26

Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607

sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007

sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de

jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux

proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par

conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres

proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures

de preacutevention patrimoniales

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33

139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des

circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant

de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies

140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la

radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1

c) de la Convention

B Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est

applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de

preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du

citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il

ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que

lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives

agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales

b) Le Gouvernement

142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet

2 Appreacuteciation de la Cour

143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de

la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se

comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait

lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108

Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil

144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet

laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un

laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu

en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit

srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien

lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice

enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le

droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant

pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto

c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]

no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]

no 3757504 sect 90 CEDH 2012)

34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit

ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de

lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe

administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef

preacuteciteacute sect 74)

146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se

caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant

ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la

Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En

conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere

civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts

c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V

Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)

147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son

volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte

carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les

reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de

caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette

disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de

lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31

20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites

pendant un an)

148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26

CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et

Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute

lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire

lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees

aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un

nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle

continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la

limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)

la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant

affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute

seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la

Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a

jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles

visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et

partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)

149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits

de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre

drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par

exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par

mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication

eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35

peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens

familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea

preacuteciteacute sect 106)

150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406

sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges

concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et

uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure

quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre

ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus

placeacutes en cellule de seacutecuriteacute

151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre

jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne

portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des

reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun

individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012

Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)

152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les

affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions

imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec

la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des

liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La

Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la

commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six

heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas

utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour

communiquer

153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et

seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance

speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute

deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu

que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere

154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par

le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas

srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions

publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la

personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis

Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)

155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif

aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de

lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave

lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute

36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

C Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave

un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier

drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et

que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave

la violation subie

157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil

eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et

les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre

septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la

suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004

pour eacutevasion

158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de

la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un

individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en

1973

159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le

requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les

preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait

honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait

mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme

ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute

la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer

alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)

b) Le Gouvernement

160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010

la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la

jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les

articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la

mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute

des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures

de preacutevention

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37

161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes

162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le

Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a

eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont

ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a

simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute

pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le

requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis

drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a

pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour

drsquoappel

163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue

un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir

une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui

permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la

nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila

c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)

164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement

reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute

inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi

no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de

demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave

lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)

166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de

preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre

et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone

preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)

167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la

tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions

internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant

son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour

lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila

preacuteciteacute sect 41)

38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a

eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure

169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure

devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le

respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties

contractantes

170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre

des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction

interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux

droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple

Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez

c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles

peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6

de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable

elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur

appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des

juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute

par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle

conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle

de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle

ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des

tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour

arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans

c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie

no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108

sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65

CEDH 2015)

171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la

Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions

nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par

cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa

pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres

Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)

172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee

conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint

pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de

Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour

drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de

preacutevention

173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39

III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA

CONVENTION

174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation

devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation

de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose

laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute

violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors

mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice

de leurs fonctions officielles raquo

175 Le Gouvernement conteste cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne

lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se

heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas

deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le

requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel

b) Le requeacuterant

178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif

permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la

Convention et 2 du Protocole no 4

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Les principes applicables

179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit

interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes

proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent

drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux

obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau

40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut

examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement

approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en

fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en

tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment

que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes

ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi

Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les

renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95

Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit

interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de

lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A

no 116)

180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en

droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au

regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni

27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre

aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales

comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni

25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux

qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la

Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)

b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece

181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est

deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit

italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses

droits proteacutegeacutes par la Convention

182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon

lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation

drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes

nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure

contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis

Riener preacuteciteacute sect 138)

183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee

effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la

possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la

Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de

maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de

lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13

eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance

effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41

c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM

c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)

184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la

cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale

assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement

Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure

litigieuse

185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a

donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer

les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu

violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage

mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour

188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de

20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au

reacutegime de surveillance speacuteciale

189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41

190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa

pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y

a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral

B Frais et deacutepens

191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et

deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux

exposeacutes devant la Cour

192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point

193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa

42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant

reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus

C Inteacuterecircts moratoires

194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires

sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte

formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration

unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences

devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la

Convention

3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole

no 4

4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention

6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du

deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de

Bari

7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable

8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention

9 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les

sommes suivantes

i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43

ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout

montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais

et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable

pour le surplus

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017

Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute

Adjoint au greffier Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees

suivantes

ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta

Keller et Kjoslashlbro

ndash opinion concordante du juge Dedov

ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute

ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić

ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque

ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris

AS

JC

44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES

RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO

1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre

selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait

reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de

surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut

de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a

permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse

2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires

dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne

3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la

matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la

Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure

soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie

6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)

4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo

c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)

no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale

avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction

de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence

interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de

freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave

des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de

la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation

applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire

Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non

seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas

laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce

dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre

leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45

requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas

formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse

6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi

no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de

preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave

lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi

eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec

une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de

preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de

preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)

7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence

qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant

que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle

avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de

savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention

eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas

eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres

Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute

que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956

en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se

sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct

(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct

nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence

drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures

de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier

sur les mesures applicables

9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante

que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy

avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des

destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables

10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct

no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si

lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement

le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere

46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des

lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision

leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer

(principio di tassativitagrave)

11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante

pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de

maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des

significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le

contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la

personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant

lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule

laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a

preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave

soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le

contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956

comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale

de freacutequenter certains lieux ou individus

12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la

Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux

faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave

partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la

teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le

cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis

cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en

lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui

existait deacutejagrave au moment des faits

13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute

clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties

importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour

que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute

par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le

raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956

telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait

drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le

raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de

la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en

compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales

anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et

les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees

Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base

factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest

justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies

par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47

jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la

reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En

tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils

eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les

circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de

personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la

dureacutee des mesures applicables

14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien

laquo preacutevues par la loi raquo

15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de

circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de

lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno

deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)

16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses

nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo

17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin

social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave

cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la

justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes

nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent

remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question

de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention

(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et

3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]

no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)

18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure

incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend

effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre

(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501

sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49

26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure

restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir

disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge

automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96

CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et

Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)

19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller

agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et

proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement

ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre

les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des

48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802

sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre

au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la

proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le

Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A

no 43)

20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de

soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de

certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une

activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au

requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait

les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans

son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le

requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun

eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute

deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation

approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait

entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa

libeacuteration

21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs

invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant

nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il

nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante

du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre

appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4

22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans

le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a

fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au

requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de

lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait

commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee

ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le

deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari

23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption

drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le

requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification

de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la

deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois

dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour

drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre

disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant

Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49

responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous

notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune

telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables

agrave celles de la preacutesente espegravece

24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave

la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires

dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence

50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour

constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre

ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et

deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits

fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest

pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de

faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient

et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce

chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont

ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et

drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour

drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation

Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute

uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les

autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil

conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et

psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait

ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres

personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base

volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le

preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures

coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes

elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une

assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas

convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela

signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de

faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute

(Traduction)

Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime

eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de

preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont

applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes

(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir

souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet

peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion

seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque

52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ

Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les

raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto

de Albuquerque

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matiegraveres

I Introduction (sect 1)

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect

9-11)

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)

VI Conclusion (sectsect 59-60)

I Introduction (sect 1)

1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de

lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au

requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une

mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave

reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives

revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation

du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient

1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation

relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales

et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956

54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et

de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention

Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en

faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les

mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi

des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans

reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions

La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la

deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui

srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de

violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de

recours internes dans la preacutesente affaire

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de

preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention

personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions

pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent

simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de

sucircreteacute (misure di sicurezza)

Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le

principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations

sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes

sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de

preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]

principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali

deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti

illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro

verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions

2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient

en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de

reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig

Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche

Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato

laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55

de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment

avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute

personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3

Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins

preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en

geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions

peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en

appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une

approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans

celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de

faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les

mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une

rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en

regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4

La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de

preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption

drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della

Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de

compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient

pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun

individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention

ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples

soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement

subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e

incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5

Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a

retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les

laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro

che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al

3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question

de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles

13 25 et 27 de la Constitution italienne

4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione

delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi

criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una

figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve

sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore

ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto

alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo

5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour

constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione

possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva

valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che

siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo

da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o

applica le misure di prevenzione raquo

56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes

auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)

3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964

concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention

personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois

au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en

raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande

Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre

assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de

telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle

des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer

enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En

2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de

demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une

audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En

substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec

lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta

4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees

en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant

leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di

proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de

proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la

seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure

peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la

premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin

de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible

lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo

des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans

ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des

sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le

6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct

7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22

feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la

Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir

par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de

cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention

ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien

qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce

groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa

pas fourni les donneacutees requises

8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo

9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne

voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57

soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi

no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus

dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de

mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956

5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956

eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions

draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du

suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de

la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement

laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect

commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de

restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme

une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi

comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures

personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la

commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base

leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait

pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi

de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13

En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un

effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un

facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses

infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec

lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc

exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect

ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux

effets personnels dommageables desdites mesures leur effet

10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi

di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986

11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999

Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure

peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de

preacutevention

12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo

AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974

Milan 1975

13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle

de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5

Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et

Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004

14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e

secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da

persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della

sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal

momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12

58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique

mais aussi sur lrsquoapplication de la loi

6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de

sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in

idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux

distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait

la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal

permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave

la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve

peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de

compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient

combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale

(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo

ergastolo)19

7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956

eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la

proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui

eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce

contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les

exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de

mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la

proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de

preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les

effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21

Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi

de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage

laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses

crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait

grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme

moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle

coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours

8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le

principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les

termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne

sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia

16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM

17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi

18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano

19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp

Tumminelli Rv 194062

20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis

par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di

prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)

21 Balbi preacuteciteacute p 17

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59

socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait

les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter

delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste

quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles

ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale

passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie

drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait

qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale

fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si

eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die

Tat25

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention

(sectsect 9-11)

9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette

laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la

compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest

concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans

laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si

les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le

deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a

toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques

mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se

contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere

occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas

saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28

10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de

preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de

lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la

22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra

lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione

inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla

criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome

2002

23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la

proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17

24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen

1975 III

25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945

Scritti giuridici I p 678

26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197

CEDH 2004-VI

27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39

28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013

60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau

moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a

jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu

rupture du juste eacutequilibre30

11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public

drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31

Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable

concernant les mesures de preacutevention personnelles

En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les

garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans

le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le

preacutesent arrecirct change le cours des choses

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-

31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une

privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5

de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes

dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve

laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation

concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la

dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des

mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la

deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes

drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte

29 Ibidem sect 26

30 Ibidem sect 27

31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie

no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30

5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et

Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH

2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres

c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010

34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61

et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35

13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de

preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait

eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet

soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute

contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25

kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant

dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance

Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions

comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires

mentionneacutees ci-dessus36

14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient

similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se

preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de

lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas

precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six

heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en

temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes

cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des

reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire

Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de

vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees

exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437

15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la

Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en

vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre

cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par

le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne

constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la

liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux

35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22

et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III

36 Voir note no 26

37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes

38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui

affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre

eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5

sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais

omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion

62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit

expresseacutement dans Ciulla39

16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au

requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De

Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes

restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone

ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des

mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute

ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave

lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas

sortir le matin avant six heures

En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours

combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville

particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee

de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles

de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si

esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles

qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere

onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction

relative aux communications teacuteleacutephoniques

17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui

devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son

correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique

longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les

teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute

eacutevidence aggravait sa situation

18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser

exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider

pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation

concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a

eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier

2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il

convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour

strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la

cateacutegorie des privations de liberteacute raquo

39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une

disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs

que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire

allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)

40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63

concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien

moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41

19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la

Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji

lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de

lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une

interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des

autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en

regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant

qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois

lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres

laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition

en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de

chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition

relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)

renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces

dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave

la violence jusqursquoagrave cinq ans

En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait

pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins

drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de

surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata

necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans

20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de

liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux

preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si

lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de

1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la

liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece

41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311

douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598

sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004

Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni

28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de

trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)

no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos

c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de

quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne

no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement

pendant six heures et demie

42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016

64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre

de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des

personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi

de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour

restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne

suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le

citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement

risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et

quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple

raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions

vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme

la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret

de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude

eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43

23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin

dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent

eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort

convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a

eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans

les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144

25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation

agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction

donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs

agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas

43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes

auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement

deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera

organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali

ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare

allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di

prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della

pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance

implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956

44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute

sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie

no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII

45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65

celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo

de la laquo condamnation raquo46

26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention

du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de

la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par

la loi49

27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant

ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas

de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de

laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre

une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La

raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour

un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction

concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de

1956

28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas

mineur

29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait

drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition

30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54

31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour

ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec

le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5

sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave

mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la

question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales

Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention

ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o

praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales

46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50

47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101

48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil

1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie

no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010

49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et

Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005

50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102

51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox

Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182

52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103

53 Ibidem sect 98

54 Ibidem sect 103

66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention

(sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention

(sectsect 32-43)

32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans

la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la

qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature

mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont

lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non

cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en

matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature

laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une

sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la

laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche

cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave

une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo56

33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les

diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des

mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes

Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi

de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la

Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite

dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir

criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y

a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela

correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la

personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les

termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona

sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)

34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de

1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses

droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi

35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le

suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un

55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs

c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007

57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67

large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller

jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite

pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de

surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable

36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme

considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant

de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps

dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento

commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di

sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son

arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de

preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute

preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun

mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des

principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar

des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le

principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61

37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et

speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient

eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du

suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute

sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun

lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et

ses objectifs62

38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi

de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans

drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de

58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une

mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient

appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement

(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)

59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza

personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non

sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto

comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono

considerarsi una delle due species di un unico genus raquo

60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle

61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193

62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo

Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di

pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in

onore di B Petrocelli vol III 1972

63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes

ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees

Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre

de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement

68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait

consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des

peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal

39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles

geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure

peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention

personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct

no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale

ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde

est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad

essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue

de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention

srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di

citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire

imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui

devait ecirctre motiveacutee64

40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable

srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa

deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella

(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de

preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)

41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il

serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de

1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui

(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave

la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter

les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun

deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave

la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956

ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par

un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)

42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires

relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de

la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune

proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions

disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant

64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23

65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73

seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130

CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50

CEDH 2006-XIII

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69

confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6

devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66

43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les

critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67

La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif

des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste

des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que

la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de

prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est

si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6

La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent

ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent

se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence

drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours

Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute

violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons

45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct

no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale

pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la

proceacutedure devant les juridictions internes

46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des

preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005

comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le

requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant

une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave

costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli

assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation

du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions

alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale

(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la

personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que

les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de

surveillance speacuteciale concernaient une autre personne

66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet

peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus

67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises

dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes

et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur

telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure

Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que

deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause

48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu

violation de cette disposition

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de

lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves

Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales

vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon

disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il

faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant

pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour

drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas

eacuteteacute respecteacute

50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en

cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive

puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a

pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste

eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu

51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de

recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la

Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour

drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme

instance

52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la

reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit

pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref

deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et

mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir

si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute

68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa

reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont

eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences

leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71

doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai

raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la

lumiegravere des circonstances de chaque affaire69

53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible

avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de

lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun

constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee

du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale

(sectsect 54-58)

54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation

eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune

violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie

par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En

lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation

de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le

requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de

la Convention

55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave

reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo

preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou

maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code

de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave

lrsquoalineacutea 2)

56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute

que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale

les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention

injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En

outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que

le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif

que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la

conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui

comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation

de liberteacute

69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII

Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33

30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003

70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008

71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X

72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne

permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une

demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La

lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence

pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de

demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de

surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes

ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune

dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72

58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de

lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute

relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas

permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest

ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

VI Conclusion (sectsect 59-60)

59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave

la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes

le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces

articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques

liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la

lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la

preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute

et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees

par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits

fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion

60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute

eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui

srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera

le mieux

72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45

73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898

sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46

74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de

la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux

arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie

dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo

imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car

comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne

appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du

requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave

lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures

auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En

particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans

lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes

pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute

appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)

contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo

des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien

plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes

notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises

individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute

imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort

reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances

factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5

Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le

laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de

la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et

prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les

effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne

puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention

preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece

on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)

2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait

pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi

le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi

une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait

pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6

74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute

dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est

applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas

signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est

consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie

au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre

une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave

lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce

Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation

de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle

disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la

Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le

Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des

affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute

Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans

les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une

interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus

positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa

pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de

lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute

ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier

3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5

est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans

leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures

laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de

lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au

regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens

commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle

comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun

Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces

mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un

copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles

ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la

situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que

lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo

alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait

laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source

de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures

eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans

son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu

de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le

matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75

drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave

domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je

souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la

majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile

parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre

en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des

canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la

mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne

pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans

avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme

une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au

regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de

Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse

Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard

du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute

ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le

requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre

emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de

celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable

Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses

4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et

difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au

requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet

notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)

Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au

requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de

lui interdire de communiquer par certains moyens

5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre

drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai

drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre

lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et

de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]

teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de

conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave

Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille

habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se

seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire

laquo inutile raquo

6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter

des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures

de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de

parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave

freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune

76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de

jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions

mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait

reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il

assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et

sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave

quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas

trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)

degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo

(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)

7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil

y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu

besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere

injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel

essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes

il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que

toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par

deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus

geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5

Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas

eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)

8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave

lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil

y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute

laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la

surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la

proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute

drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la

Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la

majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie

(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest

pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la

reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de

lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere

geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du

droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme

paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait

que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les

conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi

9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute

drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77

lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures

relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce

qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les

dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de

lrsquoarrecirct)

Cette abstention signifie sucircrement quelque chose

10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la

majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre

aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est

totalement omis dans le raisonnement

Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant

preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier

montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses

moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)

Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une

reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute

deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement

laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo

11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la

majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au

droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)

Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves

eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo

personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent

des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute

soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute

recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette

circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire

examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au

meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est

deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime

On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses

Absence totale de preacutejudice

En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans

cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable

Eacutequitable

12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune

voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain

de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le

paragraphe 103)

La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche

Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave

les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer

les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En

78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les

mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le

deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction

supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la

juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme

drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le

contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]

pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)

Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo

Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au

deacutetriment de la jurisprudence

13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments

favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait

que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit

selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de

commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune

reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees

avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de

lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle

13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur

application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc

14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche

de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant

au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave

voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre

guillemets

15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956

interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la

disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention

personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures

de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)

Non non non et encore non

La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles

sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette

appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees

agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la

base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes

deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur

conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo

iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79

lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la

tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois

cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute

et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)

Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories

nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise

par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme

laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de

la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas

meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre

M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait

ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le

passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre

M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave

incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce

dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les

eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et

inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand

En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins

pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle

permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de

laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de

lrsquoarticle 1 de la loi

16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant

Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune

erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex

tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)

Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne

Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest

tout

17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures

laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave

une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence

de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune

personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent

guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme

18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent

que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses

restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des

laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo

preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et

indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu

subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive

80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits

auxquels on lrsquoapplique

Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la

regravegle de droit

19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12

ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari

laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement

reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure

la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si

ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette

deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin

agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui

commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne

20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la

situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de

savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le

requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les

indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient

laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces

consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo

litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale

21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec

le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la

question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la

question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo

comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche

drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur

indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont

appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce

raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien

rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des

avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je

ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de

lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre

utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles

cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce

requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce

nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas

suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement

geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que

cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler

de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors

qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81

22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en

question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes

auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique

ajouteacute)

On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo

veut-elle aussi dire au requeacuterant

Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le

raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste

Page 4: GRANDE CHAMBRE - Giurisprudenza penale

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 3

laquo avertissement raquo de la police mais avait persisteacute dans sa conduite

deacutelictueuse

12 Dans un meacutemoire en date du 6 mars 2008 le requeacuterant srsquoopposa agrave la

proposition du procureur Il alleacutegua une erreur sur la personne et indiqua

que les infractions aux obligations deacutecoulant de la surveillance speacuteciale qui

lui eacutetaient reprocheacutees concernaient un individu qui portait les mecircmes nom et

preacutenom que lui mais eacutetait neacute en 1973 Il plaida eacutegalement qursquoil nrsquoavait plus

fait lrsquoobjet de poursuites depuis une condamnation prononceacutee en 2002 Il

ajouta que mecircme srsquoil avait eacuteteacute condamneacute pour eacutevasion en 2004 cet eacuteleacutement

nrsquoeacutetait pas deacuteterminant pour lrsquoapplication de la mesure litigieuse Il soutint

qursquoil nrsquoeacutetait pas neacutecessaire de le soumettre agrave une surveillance speacuteciale

13 Par une deacutecision du 11 avril 2008 notifieacutee le 4 juillet 2008 le

tribunal de Bari ordonna lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale

pour une dureacutee de deux ans Il rejeta les arguments du requeacuterant estimant

que les conditions requises par la loi pour lrsquoapplication de la mesure eacutetaient

bien remplies degraves lors que la dangerositeacute de lrsquointeacuteresseacute ne faisait pas de

doute

14 Pour le tribunal le requeacuterant preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la

deacutelinquance et les piegraveces du dossier montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute

deacutelictueuse la plupart de ses moyens de subsistance

15 Le tribunal remarqua en particulier ce qui suit

laquo Le 18 septembre 2006 lrsquointeacuteresseacute a reccedilu un laquo avertissement verbal pour la seacutecuriteacute

publique raquo mais cela nrsquoa aucunement ameacutelioreacute sa conduite il a continueacute agrave freacutequenter

assiducircment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et agrave

commettre des deacutelits (voir lrsquoacte drsquoaccusation infraction aux obligations associeacutees agrave

la surveillance le 25 avril 2007 infraction aux obligations associeacutees agrave la surveillance

le 29 avril 2007) raquo

16 Le tribunal ajouta ceci

laquo Les conclusions de lrsquoinstruction (voir les documents et certificats joints au dossier)

montrent que M Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement impliqueacute dans

diffeacuterents actes deacutelictueux dont les plus alarmants pour lrsquoordre et la seacutecuriteacute

publiques sont les infractions drsquoordre patrimonial et en matiegravere drsquoarmes et de

stupeacutefiants

Agrave ce cadre neacutegatif srsquoajoute le contenu du signalement fait reacutecemment le 26 janvier

2008 par le corps des carabiniers de Gioia del Colle dont il ressort que la tendance du

sujet agrave la deacutelinquance loin drsquoavoir disparu est consideacutereacutee comme active et

opeacuterationnelle Il ressort des piegraveces du dossier que le sujet nrsquoexerce aucune activiteacute

professionnelle fixe et leacutegale (il srsquoest deacuteclareacute disponible pour un emploi agrave partir de

feacutevrier 2008) et que les faits graves pris en consideacuteration sont tels qursquoils permettent de

penser qursquoil a jusqursquoagrave preacutesent tireacute une grande partie de ses moyens de subsistance de

son activiteacute deacutelictueuse recourant constamment aux deacutelits commis seul ou en

association avec des repris de justice (dans sa localiteacute de reacutesidence ou dans drsquoautres

localiteacutes) Drsquoougrave la neacutecessiteacute pour permettre un controcircle plus assidu de prononcer en

plus de la surveillance speacuteciale de police drsquoune dureacutee de deux ans (mesure jugeacutee

approprieacutee au vu de la personnaliteacute du sujet telle qursquoelle ressort des actes attribueacutes agrave

celui-ci) une assignation agrave reacutesidence pour la mecircme dureacutee raquo

4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations

suivantes

ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance

ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois

ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence

ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon

ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et

soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute

ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin

avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile

ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme

ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques

ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques

pour communiquer

ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le

preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police

18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour

drsquoappel de Bari

19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis

de conduire du requeacuterant

20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier

2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la

mesure de preacutevention

21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la

mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet

laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction

preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee

reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute

publique

22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale

du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de

la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits

anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur

lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel

23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la

dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute

deacutelictuelle

24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations

deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le

requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite

lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5

il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes

clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en

date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de

quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre

2005

25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de

stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la

mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement

un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode

drsquoassignation agrave reacutesidence)

26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007

aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient

une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le

requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973

27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de

la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant

Elle deacuteclara notamment ce qui suit

laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la

situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la

peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le

cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits

posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso

Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de

Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris

en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de

lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision

drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres

proceacutedures judiciaires

La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant

le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement

occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins

depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui

assurant une source de revenus digne

En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une

dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement

purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement

attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo

II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU

GOUVERNEMENT

28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour

29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la

jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie

no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet

2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait

la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais

relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle

III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A La loi no1423 de 1956

30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie

remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie

en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie

par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute

publique raquo de 1865

31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en

exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute

personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le

principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25

alineacuteas 2 et 3)

32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent

pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956

elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour

constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le

respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application

33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits

preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses

pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo

34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent

laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se

livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses

2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train

de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en

partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse

3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute

physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo

35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police

assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7

province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee

(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux

personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel

de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute

publique

36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee

drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder

une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa

pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la

police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en

question

37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en

chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le

parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire

assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la

compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province

38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours

lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour

drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4

cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes

conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se

prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme

alineacutea)

39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en

preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4

quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra

observer (article 5 premier alineacutea)

40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance

speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de

subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un

bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet

Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le

tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont

eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de

ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant

une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas

freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne

pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer

toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux

41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du

8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire

du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document

eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs

particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence

ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave

ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive

42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est

sanctionneacute par une peine privative de liberteacute

B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute

drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans

certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que

la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique

Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres

situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes

soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)

ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee

face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme

droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute

simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327

de 1988

44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les

mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient

compatibles avec les liberteacutes fondamentales

45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi

laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et

seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations

que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute

Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo

()

Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de

moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique

relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16

()

Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute

physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme

agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans

laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant

de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute

lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre

sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le

but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9

Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la

seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la

seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-

dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution

En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les

convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories

en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la

penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens

ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales

lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16

de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement

de la deacutelinquance commune

En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la

deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la

Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute

pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou

politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de

manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles

leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent

facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour

la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre

limiteacutee

En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs

sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent

un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus

Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la

Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la

formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui

peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de

seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute

de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et

la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo

46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que

les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales

qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la

Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les

citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un

systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future

drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et

proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes

eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la

conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute

preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations

des droits relatifs agrave la liberteacute

47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la

Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de

mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une

10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que

les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees

exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire

48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute

publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera

celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son

avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement

de lrsquoarticle 16 de la Constitution

49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que

les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave

celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le

principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la

liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de

sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea

toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des

critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites

mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que

leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais

plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale

50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les

cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres

distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs

drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)

critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement

identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la

deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle

visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela

dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de

maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme

laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et

vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets

51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la

Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de

compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la

culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle

indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves

lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais

justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de

fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis

52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la

seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne

suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta

qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11

lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester

theacuteorique

53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une

violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux

ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention

54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4

de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence

obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures

de preacutevention

55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que

lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en

vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour

srsquoexprima ainsi

laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis

agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute

Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que

lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute

personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles

mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques

Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute

drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver

lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de

la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits

traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo

Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative

lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute

(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi

si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision

motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo

La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo

destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute

confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960

no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les

articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le

paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de

mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme

finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les

diffeacuterences entre ces deux types

12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct

no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories

drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo

(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a

deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423

du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la

motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le

leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie

pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire

reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre

agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de

rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de

preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo

Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de

1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la

base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des

faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des

manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir

eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et

incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo

4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la

constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents

degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe

de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit

de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence

de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire

Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas

preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la

majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de

dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de

lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne

peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base

En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen

des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre

autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de

preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel

sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les

conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire

Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a

eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction

juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir

dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi

On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles

tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent

pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4

et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees

comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13

par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute

soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret

5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute

suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait

dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de

lrsquoindividu

Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute

sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash

qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de

ce qui vient drsquoecirctre exposeacute

Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait

que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de

conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la

conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses

actions et ses omissions

De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description

leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si

elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique

donc orienteacutee vers lrsquoavenir

Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de

preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de

reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories

drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites

consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur

survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions

soient consommeacutees par ces individus

6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de

lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre

deacuteclareacutee fondeacutee

En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier

paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune

laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La

question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et

avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la

deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de

lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie

conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la

fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo

(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle

laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable

() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956

semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code

peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de

cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie

ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere

agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le

cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue

comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la

disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute

14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui

les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo

56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari

et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour

europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la

proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de

1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la

loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour

lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de

preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en

appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle

preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait

pas devant la Cour de cassation

57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave

deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait

compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil

sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5

alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et

dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le

principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme

peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)

58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que

lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas

precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la

personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de

caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas

speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc

que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne

pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et

speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle

qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite

susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale

compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la

deacutefinition de cette infraction

59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en

question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples

des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description

globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but

poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus

large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement

par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle

crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15

la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite

de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable

et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une

perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour

la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre

honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi

geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au

contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations

poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair

impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un

mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de

sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise

60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de

vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se

conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas

adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais

aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire

de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie

61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la

haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement

mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une

surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus

C La jurisprudence de la Cour de cassation

62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation

statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la

laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la

commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement

entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation

crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui

reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la

seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc

laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en

consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas

neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins

reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo

63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que

lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de

preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute

subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait

eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la

16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories

criminologiques deacutefinies par la loi

Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure

de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la

commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non

dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave

partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice

reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber

lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions

leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute

64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait

la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure

de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question

repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela

ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du

13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret

leacutegislatif no 159 de 2011

D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011

65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave

la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et

patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes

concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement

abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution

En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience

peut ecirctre publique

66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi

no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes

contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont

ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les

deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins

terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention

personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de

retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17

E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages

causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la

responsabiliteacute civile des magistrats

67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci

srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun

administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute

juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux

autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction

juridictionnelle raquo

Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce

laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun

comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu

coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun

deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages

patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui

deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle

2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de

droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave

responsabiliteacute

3 Sont constitutifs drsquoune faute grave

a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable

b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier

c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier

d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas

preacutevus par la loi ou sans motivation raquo

Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi

no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou

le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa

compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour

lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une

demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable

aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de

cette demande au greffe raquo

68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les

modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre

de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent

ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol

ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de

justice

18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute

69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de

trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf

pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles

appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes

par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni

et la Russie)

70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour

faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi

mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de

manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de

mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles

hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police

administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute

introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention

visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave

pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes

ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un

danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les

meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements

publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non

officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees

dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue

72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE

relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de

circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit

la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de

seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute

publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public

ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre

fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute

qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour

lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle

mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas

apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit

pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction

73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la

Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par

1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie

Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg

ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne

Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19

le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave

Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de

sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un

Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de

commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy

participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et

drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des

personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA

CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4

74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet

avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de

la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa

liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales

a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent

b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour

insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en

vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi

c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire

compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une

infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher

de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci

d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation

surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute

compeacutetente

e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une

maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun

vagabond

f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour

lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une

proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo

Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose

laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy

circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence

2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien

20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui

preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui

4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones

deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par

lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas

applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la

jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994

sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010

et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les

obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples

restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible

ratione materiae avec la Convention

b) Le requeacuterant

77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve

de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de

conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de

liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a

subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute

une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est

comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)

dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances

particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures

semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5

78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de

son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une

privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

2 Appreacuteciation de la Cour

79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est

applicable en lrsquoespegravece

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21

80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo

le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves

lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler

lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un

individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir

de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres

comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la

mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune

diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi

preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809

sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH

2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)

De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi

de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi

preacuteciteacute sect 95)

81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte

le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question

(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux

circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte

dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est

courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans

lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute

de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun

(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)

82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la

Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du

5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission

du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait

que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait

une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission

conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave

reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne

comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de

choisir sa reacutesidence

83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant

la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour

souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une

commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5

(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des

22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave

un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans

une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie

essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi

que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute

assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de

Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la

zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi

permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans

laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute

sect 95)

84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans

plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance

speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees

(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de

reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction

de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises

agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave

des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires

preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un

endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des

contacts sociaux

86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon

lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-

deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

et donc agrave une privation de liberteacute

87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son

degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507

sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova

c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov

c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu

c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note

eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee

ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23

sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH

2001-IX)

88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la

preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient

lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle

rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de

circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de

changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la

surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct

que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la

journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir

des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas

du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission

de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence

89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas

entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation

90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est

incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute

en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4

91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du

requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en

lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties

92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens

de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie

de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956

en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute

judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait

symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de

la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication

desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime

que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans

lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour

le citoyen

24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui

ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne

pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que

la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine

de deacutetention

95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune

erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il

ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab

origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute

sociale

96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute

soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un

jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le

requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la

proceacutedure

b) Le Gouvernement

97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont

assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune

proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait

sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et

justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et

eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales

98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en

particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014

(paragraphe 63 ci-dessus)

99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun

controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises

la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives

lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et

lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence

lieacutee agrave la deacutefense sociale

100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant

la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention

personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les

mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les

tribunaux

101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence

interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee

peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc

lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25

102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre

circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la

sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la

jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour

drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre

(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait

pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67

ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu

pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que

par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation

103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des

preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations

qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de

Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a

disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir

gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence

104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute

personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se

trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre

dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer

(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann

c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la

Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre

preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme

paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre

entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie

no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute

sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)

105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees

au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91

ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la

loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet

article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique

26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo

i Principes geacuteneacuteraux

106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots

laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait

une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en

cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans

ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58

CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]

no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195

sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30

CEDH 2004-I)

107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo

est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune

norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler

sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave

mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause

les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces

conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude

absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En

outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois

drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements

de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des

choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et

lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni

(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993

sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34

CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)

108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en

aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du

contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du

nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique

no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt

c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7

Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef

aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne

(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)

109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre

une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique

(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute

sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee

bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de

figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver

et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27

ii Application de ces principes en lrsquoespegravece

110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave

la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique

qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees

au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient

une base leacutegale en droit interne

111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible

Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave

la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et

sur son droit agrave la liberteacute de circulation

112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956

reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne

conteste pas

113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce

faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les

mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures

114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la

preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute

dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient

pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles

eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)

la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel

qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de

premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du

tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que

telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans

les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que

lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la

loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision

reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de

la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et

vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro

preacuteciteacute sect 45)

115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun

manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par

conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux

destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la

lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle

italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de

personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que

certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo

(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en

28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute

appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes

auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour

constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait

une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme

socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des

cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir

lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la

reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a

indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees

sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation

objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle

et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa

propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour

constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)

117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour

constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les

critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention

lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les

juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle

nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements

speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute

sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles

mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de

maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer

comme socialement dangereux

118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication

de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune

tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer

un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal

a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait

que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se

caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau

local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16

ci-dessus)

En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat

drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle

avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour

deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures

preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)

En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute

requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation

consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29

lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec

une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences

arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec

un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention

119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi

no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que

certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur

contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les

dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le

respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la

conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas

precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute

(paragraphe 59 ci-dessus)

120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle

dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil

eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la

Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines

des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance

speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses

interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La

Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale

121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010

nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de

preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi

en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait

neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale

122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre

honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour

constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le

laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie

respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi

impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5

lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications

suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour

lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter

ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes

peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice

suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi

indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun

30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un

indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute

Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee

de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu

des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas

mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par

la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de

participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite

temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est

entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge

124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large

pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les

modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures

de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute

entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles

125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des

termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les

mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)

ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que

cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se

deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute

de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques

respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de

preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse

127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour

de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les

mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et

eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA

CONVENTION

128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal

et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6

sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement

publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial

eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31

caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre

elle raquo

129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant

A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement

130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de

proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du

regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)

131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait

des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa

eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale

132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties

pertinentes

laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du

rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure

()

c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus

de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte

Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de

lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo

133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans

laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de

radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent

de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune

deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski

c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie

(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri

SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)

no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)

no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203

16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)

no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811

sectsect 18-19 7 octobre 2014)

134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre

indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la

32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement

deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se

poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise

pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement

amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui

permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base

suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme

garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de

lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)

135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la

nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont

analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes

la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le

gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par

la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave

lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]

no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)

136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration

unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les

griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations

de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens

Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces

concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend

fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et

Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)

137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le

Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au

titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle

relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice

moral

138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de

mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1

(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26

Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607

sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007

sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de

jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux

proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par

conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres

proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures

de preacutevention patrimoniales

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33

139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des

circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant

de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies

140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la

radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1

c) de la Convention

B Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est

applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de

preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du

citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il

ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que

lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives

agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales

b) Le Gouvernement

142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet

2 Appreacuteciation de la Cour

143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de

la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se

comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait

lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108

Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil

144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet

laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un

laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu

en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit

srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien

lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice

enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le

droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant

pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto

c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]

no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]

no 3757504 sect 90 CEDH 2012)

34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit

ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de

lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe

administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef

preacuteciteacute sect 74)

146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se

caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant

ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la

Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En

conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere

civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts

c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V

Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)

147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son

volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte

carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les

reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de

caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette

disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de

lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31

20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites

pendant un an)

148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26

CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et

Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute

lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire

lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees

aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un

nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle

continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la

limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)

la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant

affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute

seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la

Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a

jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles

visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et

partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)

149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits

de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre

drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par

exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par

mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication

eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35

peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens

familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea

preacuteciteacute sect 106)

150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406

sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges

concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et

uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure

quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre

ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus

placeacutes en cellule de seacutecuriteacute

151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre

jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne

portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des

reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun

individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012

Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)

152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les

affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions

imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec

la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des

liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La

Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la

commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six

heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas

utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour

communiquer

153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et

seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance

speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute

deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu

que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere

154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par

le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas

srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions

publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la

personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis

Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)

155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif

aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de

lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave

lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute

36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

C Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave

un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier

drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et

que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave

la violation subie

157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil

eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et

les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre

septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la

suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004

pour eacutevasion

158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de

la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un

individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en

1973

159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le

requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les

preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait

honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait

mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme

ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute

la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer

alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)

b) Le Gouvernement

160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010

la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la

jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les

articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la

mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute

des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures

de preacutevention

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37

161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes

162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le

Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a

eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont

ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a

simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute

pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le

requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis

drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a

pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour

drsquoappel

163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue

un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir

une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui

permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la

nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila

c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)

164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement

reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute

inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi

no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de

demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave

lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)

166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de

preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre

et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone

preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)

167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la

tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions

internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant

son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour

lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila

preacuteciteacute sect 41)

38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a

eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure

169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure

devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le

respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties

contractantes

170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre

des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction

interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux

droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple

Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez

c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles

peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6

de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable

elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur

appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des

juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute

par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle

conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle

de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle

ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des

tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour

arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans

c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie

no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108

sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65

CEDH 2015)

171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la

Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions

nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par

cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa

pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres

Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)

172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee

conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint

pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de

Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour

drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de

preacutevention

173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39

III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA

CONVENTION

174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation

devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation

de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose

laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute

violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors

mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice

de leurs fonctions officielles raquo

175 Le Gouvernement conteste cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne

lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se

heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas

deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le

requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel

b) Le requeacuterant

178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif

permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la

Convention et 2 du Protocole no 4

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Les principes applicables

179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit

interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes

proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent

drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux

obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau

40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut

examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement

approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en

fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en

tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment

que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes

ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi

Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les

renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95

Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit

interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de

lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A

no 116)

180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en

droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au

regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni

27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre

aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales

comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni

25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux

qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la

Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)

b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece

181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est

deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit

italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses

droits proteacutegeacutes par la Convention

182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon

lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation

drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes

nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure

contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis

Riener preacuteciteacute sect 138)

183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee

effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la

possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la

Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de

maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de

lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13

eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance

effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41

c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM

c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)

184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la

cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale

assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement

Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure

litigieuse

185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a

donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer

les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu

violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage

mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour

188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de

20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au

reacutegime de surveillance speacuteciale

189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41

190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa

pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y

a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral

B Frais et deacutepens

191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et

deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux

exposeacutes devant la Cour

192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point

193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa

42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant

reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus

C Inteacuterecircts moratoires

194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires

sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte

formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration

unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences

devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la

Convention

3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole

no 4

4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention

6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du

deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de

Bari

7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable

8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention

9 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les

sommes suivantes

i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43

ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout

montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais

et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable

pour le surplus

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017

Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute

Adjoint au greffier Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees

suivantes

ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta

Keller et Kjoslashlbro

ndash opinion concordante du juge Dedov

ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute

ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić

ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque

ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris

AS

JC

44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES

RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO

1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre

selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait

reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de

surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut

de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a

permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse

2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires

dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne

3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la

matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la

Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure

soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie

6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)

4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo

c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)

no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale

avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction

de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence

interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de

freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave

des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de

la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation

applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire

Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non

seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas

laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce

dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre

leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45

requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas

formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse

6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi

no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de

preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave

lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi

eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec

une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de

preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de

preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)

7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence

qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant

que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle

avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de

savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention

eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas

eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres

Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute

que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956

en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se

sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct

(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct

nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence

drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures

de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier

sur les mesures applicables

9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante

que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy

avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des

destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables

10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct

no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si

lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement

le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere

46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des

lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision

leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer

(principio di tassativitagrave)

11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante

pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de

maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des

significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le

contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la

personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant

lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule

laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a

preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave

soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le

contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956

comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale

de freacutequenter certains lieux ou individus

12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la

Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux

faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave

partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la

teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le

cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis

cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en

lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui

existait deacutejagrave au moment des faits

13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute

clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties

importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour

que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute

par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le

raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956

telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait

drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le

raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de

la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en

compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales

anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et

les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees

Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base

factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest

justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies

par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47

jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la

reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En

tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils

eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les

circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de

personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la

dureacutee des mesures applicables

14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien

laquo preacutevues par la loi raquo

15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de

circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de

lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno

deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)

16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses

nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo

17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin

social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave

cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la

justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes

nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent

remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question

de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention

(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et

3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]

no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)

18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure

incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend

effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre

(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501

sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49

26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure

restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir

disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge

automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96

CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et

Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)

19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller

agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et

proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement

ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre

les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des

48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802

sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre

au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la

proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le

Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A

no 43)

20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de

soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de

certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une

activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au

requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait

les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans

son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le

requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun

eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute

deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation

approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait

entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa

libeacuteration

21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs

invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant

nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il

nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante

du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre

appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4

22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans

le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a

fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au

requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de

lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait

commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee

ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le

deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari

23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption

drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le

requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification

de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la

deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois

dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour

drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre

disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant

Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49

responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous

notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune

telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables

agrave celles de la preacutesente espegravece

24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave

la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires

dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence

50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour

constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre

ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et

deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits

fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest

pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de

faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient

et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce

chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont

ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et

drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour

drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation

Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute

uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les

autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil

conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et

psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait

ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres

personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base

volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le

preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures

coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes

elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une

assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas

convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela

signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de

faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute

(Traduction)

Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime

eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de

preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont

applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes

(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir

souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet

peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion

seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque

52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ

Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les

raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto

de Albuquerque

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matiegraveres

I Introduction (sect 1)

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect

9-11)

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)

VI Conclusion (sectsect 59-60)

I Introduction (sect 1)

1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de

lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au

requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une

mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave

reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives

revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation

du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient

1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation

relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales

et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956

54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et

de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention

Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en

faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les

mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi

des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans

reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions

La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la

deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui

srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de

violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de

recours internes dans la preacutesente affaire

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de

preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention

personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions

pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent

simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de

sucircreteacute (misure di sicurezza)

Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le

principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations

sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes

sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de

preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]

principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali

deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti

illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro

verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions

2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient

en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de

reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig

Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche

Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato

laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55

de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment

avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute

personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3

Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins

preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en

geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions

peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en

appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une

approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans

celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de

faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les

mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une

rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en

regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4

La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de

preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption

drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della

Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de

compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient

pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun

individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention

ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples

soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement

subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e

incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5

Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a

retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les

laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro

che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al

3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question

de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles

13 25 et 27 de la Constitution italienne

4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione

delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi

criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una

figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve

sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore

ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto

alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo

5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour

constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione

possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva

valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che

siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo

da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o

applica le misure di prevenzione raquo

56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes

auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)

3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964

concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention

personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois

au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en

raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande

Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre

assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de

telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle

des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer

enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En

2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de

demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une

audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En

substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec

lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta

4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees

en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant

leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di

proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de

proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la

seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure

peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la

premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin

de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible

lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo

des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans

ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des

sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le

6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct

7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22

feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la

Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir

par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de

cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention

ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien

qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce

groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa

pas fourni les donneacutees requises

8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo

9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne

voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57

soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi

no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus

dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de

mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956

5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956

eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions

draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du

suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de

la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement

laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect

commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de

restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme

une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi

comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures

personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la

commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base

leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait

pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi

de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13

En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un

effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un

facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses

infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec

lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc

exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect

ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux

effets personnels dommageables desdites mesures leur effet

10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi

di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986

11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999

Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure

peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de

preacutevention

12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo

AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974

Milan 1975

13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle

de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5

Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et

Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004

14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e

secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da

persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della

sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal

momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12

58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique

mais aussi sur lrsquoapplication de la loi

6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de

sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in

idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux

distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait

la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal

permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave

la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve

peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de

compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient

combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale

(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo

ergastolo)19

7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956

eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la

proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui

eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce

contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les

exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de

mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la

proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de

preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les

effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21

Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi

de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage

laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses

crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait

grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme

moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle

coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours

8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le

principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les

termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne

sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia

16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM

17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi

18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano

19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp

Tumminelli Rv 194062

20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis

par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di

prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)

21 Balbi preacuteciteacute p 17

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59

socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait

les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter

delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste

quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles

ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale

passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie

drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait

qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale

fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si

eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die

Tat25

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention

(sectsect 9-11)

9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette

laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la

compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest

concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans

laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si

les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le

deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a

toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques

mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se

contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere

occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas

saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28

10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de

preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de

lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la

22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra

lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione

inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla

criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome

2002

23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la

proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17

24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen

1975 III

25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945

Scritti giuridici I p 678

26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197

CEDH 2004-VI

27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39

28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013

60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau

moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a

jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu

rupture du juste eacutequilibre30

11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public

drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31

Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable

concernant les mesures de preacutevention personnelles

En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les

garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans

le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le

preacutesent arrecirct change le cours des choses

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-

31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une

privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5

de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes

dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve

laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation

concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la

dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des

mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la

deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes

drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte

29 Ibidem sect 26

30 Ibidem sect 27

31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie

no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30

5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et

Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH

2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres

c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010

34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61

et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35

13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de

preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait

eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet

soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute

contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25

kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant

dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance

Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions

comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires

mentionneacutees ci-dessus36

14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient

similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se

preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de

lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas

precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six

heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en

temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes

cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des

reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire

Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de

vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees

exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437

15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la

Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en

vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre

cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par

le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne

constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la

liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux

35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22

et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III

36 Voir note no 26

37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes

38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui

affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre

eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5

sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais

omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion

62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit

expresseacutement dans Ciulla39

16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au

requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De

Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes

restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone

ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des

mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute

ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave

lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas

sortir le matin avant six heures

En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours

combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville

particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee

de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles

de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si

esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles

qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere

onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction

relative aux communications teacuteleacutephoniques

17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui

devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son

correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique

longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les

teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute

eacutevidence aggravait sa situation

18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser

exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider

pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation

concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a

eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier

2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il

convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour

strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la

cateacutegorie des privations de liberteacute raquo

39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une

disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs

que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire

allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)

40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63

concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien

moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41

19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la

Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji

lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de

lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une

interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des

autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en

regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant

qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois

lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres

laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition

en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de

chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition

relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)

renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces

dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave

la violence jusqursquoagrave cinq ans

En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait

pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins

drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de

surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata

necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans

20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de

liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux

preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si

lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de

1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la

liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece

41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311

douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598

sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004

Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni

28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de

trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)

no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos

c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de

quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne

no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement

pendant six heures et demie

42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016

64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre

de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des

personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi

de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour

restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne

suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le

citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement

risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et

quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple

raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions

vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme

la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret

de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude

eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43

23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin

dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent

eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort

convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a

eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans

les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144

25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation

agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction

donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs

agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas

43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes

auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement

deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera

organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali

ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare

allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di

prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della

pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance

implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956

44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute

sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie

no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII

45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65

celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo

de la laquo condamnation raquo46

26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention

du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de

la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par

la loi49

27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant

ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas

de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de

laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre

une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La

raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour

un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction

concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de

1956

28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas

mineur

29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait

drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition

30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54

31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour

ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec

le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5

sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave

mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la

question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales

Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention

ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o

praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales

46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50

47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101

48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil

1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie

no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010

49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et

Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005

50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102

51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox

Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182

52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103

53 Ibidem sect 98

54 Ibidem sect 103

66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention

(sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention

(sectsect 32-43)

32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans

la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la

qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature

mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont

lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non

cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en

matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature

laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une

sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la

laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche

cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave

une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo56

33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les

diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des

mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes

Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi

de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la

Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite

dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir

criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y

a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela

correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la

personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les

termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona

sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)

34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de

1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses

droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi

35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le

suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un

55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs

c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007

57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67

large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller

jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite

pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de

surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable

36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme

considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant

de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps

dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento

commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di

sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son

arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de

preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute

preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun

mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des

principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar

des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le

principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61

37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et

speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient

eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du

suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute

sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun

lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et

ses objectifs62

38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi

de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans

drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de

58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une

mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient

appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement

(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)

59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza

personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non

sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto

comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono

considerarsi una delle due species di un unico genus raquo

60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle

61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193

62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo

Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di

pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in

onore di B Petrocelli vol III 1972

63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes

ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees

Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre

de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement

68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait

consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des

peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal

39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles

geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure

peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention

personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct

no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale

ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde

est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad

essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue

de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention

srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di

citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire

imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui

devait ecirctre motiveacutee64

40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable

srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa

deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella

(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de

preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)

41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il

serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de

1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui

(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave

la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter

les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun

deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave

la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956

ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par

un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)

42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires

relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de

la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune

proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions

disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant

64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23

65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73

seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130

CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50

CEDH 2006-XIII

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69

confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6

devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66

43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les

critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67

La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif

des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste

des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que

la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de

prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est

si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6

La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent

ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent

se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence

drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours

Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute

violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons

45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct

no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale

pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la

proceacutedure devant les juridictions internes

46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des

preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005

comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le

requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant

une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave

costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli

assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation

du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions

alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale

(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la

personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que

les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de

surveillance speacuteciale concernaient une autre personne

66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet

peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus

67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises

dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes

et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur

telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure

Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que

deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause

48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu

violation de cette disposition

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de

lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves

Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales

vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon

disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il

faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant

pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour

drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas

eacuteteacute respecteacute

50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en

cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive

puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a

pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste

eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu

51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de

recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la

Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour

drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme

instance

52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la

reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit

pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref

deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et

mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir

si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute

68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa

reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont

eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences

leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71

doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai

raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la

lumiegravere des circonstances de chaque affaire69

53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible

avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de

lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun

constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee

du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale

(sectsect 54-58)

54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation

eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune

violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie

par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En

lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation

de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le

requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de

la Convention

55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave

reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo

preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou

maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code

de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave

lrsquoalineacutea 2)

56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute

que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale

les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention

injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En

outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que

le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif

que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la

conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui

comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation

de liberteacute

69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII

Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33

30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003

70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008

71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X

72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne

permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une

demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La

lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence

pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de

demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de

surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes

ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune

dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72

58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de

lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute

relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas

permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest

ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

VI Conclusion (sectsect 59-60)

59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave

la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes

le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces

articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques

liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la

lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la

preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute

et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees

par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits

fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion

60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute

eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui

srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera

le mieux

72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45

73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898

sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46

74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de

la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux

arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie

dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo

imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car

comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne

appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du

requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave

lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures

auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En

particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans

lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes

pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute

appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)

contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo

des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien

plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes

notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises

individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute

imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort

reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances

factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5

Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le

laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de

la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et

prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les

effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne

puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention

preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece

on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)

2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait

pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi

le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi

une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait

pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6

74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute

dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est

applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas

signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est

consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie

au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre

une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave

lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce

Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation

de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle

disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la

Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le

Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des

affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute

Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans

les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une

interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus

positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa

pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de

lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute

ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier

3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5

est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans

leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures

laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de

lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au

regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens

commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle

comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun

Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces

mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un

copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles

ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la

situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que

lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo

alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait

laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source

de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures

eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans

son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu

de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le

matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75

drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave

domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je

souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la

majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile

parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre

en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des

canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la

mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne

pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans

avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme

une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au

regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de

Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse

Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard

du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute

ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le

requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre

emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de

celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable

Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses

4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et

difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au

requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet

notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)

Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au

requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de

lui interdire de communiquer par certains moyens

5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre

drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai

drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre

lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et

de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]

teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de

conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave

Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille

habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se

seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire

laquo inutile raquo

6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter

des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures

de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de

parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave

freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune

76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de

jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions

mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait

reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il

assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et

sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave

quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas

trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)

degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo

(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)

7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil

y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu

besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere

injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel

essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes

il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que

toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par

deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus

geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5

Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas

eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)

8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave

lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil

y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute

laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la

surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la

proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute

drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la

Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la

majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie

(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest

pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la

reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de

lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere

geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du

droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme

paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait

que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les

conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi

9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute

drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77

lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures

relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce

qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les

dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de

lrsquoarrecirct)

Cette abstention signifie sucircrement quelque chose

10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la

majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre

aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est

totalement omis dans le raisonnement

Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant

preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier

montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses

moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)

Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une

reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute

deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement

laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo

11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la

majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au

droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)

Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves

eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo

personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent

des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute

soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute

recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette

circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire

examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au

meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est

deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime

On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses

Absence totale de preacutejudice

En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans

cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable

Eacutequitable

12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune

voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain

de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le

paragraphe 103)

La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche

Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave

les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer

les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En

78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les

mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le

deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction

supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la

juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme

drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le

contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]

pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)

Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo

Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au

deacutetriment de la jurisprudence

13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments

favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait

que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit

selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de

commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune

reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees

avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de

lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle

13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur

application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc

14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche

de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant

au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave

voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre

guillemets

15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956

interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la

disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention

personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures

de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)

Non non non et encore non

La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles

sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette

appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees

agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la

base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes

deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur

conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo

iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79

lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la

tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois

cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute

et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)

Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories

nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise

par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme

laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de

la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas

meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre

M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait

ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le

passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre

M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave

incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce

dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les

eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et

inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand

En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins

pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle

permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de

laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de

lrsquoarticle 1 de la loi

16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant

Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune

erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex

tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)

Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne

Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest

tout

17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures

laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave

une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence

de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune

personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent

guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme

18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent

que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses

restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des

laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo

preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et

indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu

subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive

80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits

auxquels on lrsquoapplique

Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la

regravegle de droit

19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12

ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari

laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement

reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure

la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si

ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette

deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin

agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui

commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne

20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la

situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de

savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le

requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les

indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient

laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces

consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo

litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale

21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec

le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la

question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la

question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo

comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche

drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur

indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont

appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce

raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien

rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des

avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je

ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de

lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre

utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles

cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce

requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce

nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas

suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement

geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que

cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler

de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors

qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81

22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en

question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes

auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique

ajouteacute)

On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo

veut-elle aussi dire au requeacuterant

Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le

raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste

Page 5: GRANDE CHAMBRE - Giurisprudenza penale

4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations

suivantes

ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance

ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois

ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence

ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon

ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et

soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute

ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin

avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile

ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme

ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques

ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques

pour communiquer

ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le

preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police

18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour

drsquoappel de Bari

19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis

de conduire du requeacuterant

20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier

2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la

mesure de preacutevention

21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la

mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet

laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction

preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee

reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute

publique

22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale

du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de

la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits

anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur

lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel

23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la

dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute

deacutelictuelle

24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations

deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le

requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite

lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5

il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes

clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en

date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de

quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre

2005

25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de

stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la

mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement

un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode

drsquoassignation agrave reacutesidence)

26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007

aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient

une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le

requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973

27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de

la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant

Elle deacuteclara notamment ce qui suit

laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la

situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la

peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le

cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits

posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso

Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de

Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris

en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de

lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision

drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres

proceacutedures judiciaires

La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant

le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement

occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins

depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui

assurant une source de revenus digne

En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une

dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement

purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement

attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo

II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU

GOUVERNEMENT

28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour

29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la

jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie

no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet

2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait

la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais

relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle

III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A La loi no1423 de 1956

30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie

remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie

en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie

par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute

publique raquo de 1865

31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en

exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute

personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le

principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25

alineacuteas 2 et 3)

32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent

pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956

elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour

constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le

respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application

33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits

preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses

pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo

34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent

laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se

livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses

2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train

de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en

partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse

3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute

physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo

35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police

assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7

province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee

(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux

personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel

de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute

publique

36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee

drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder

une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa

pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la

police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en

question

37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en

chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le

parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire

assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la

compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province

38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours

lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour

drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4

cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes

conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se

prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme

alineacutea)

39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en

preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4

quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra

observer (article 5 premier alineacutea)

40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance

speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de

subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un

bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet

Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le

tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont

eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de

ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant

une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas

freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne

pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer

toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux

41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du

8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire

du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document

eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs

particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence

ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave

ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive

42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est

sanctionneacute par une peine privative de liberteacute

B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute

drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans

certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que

la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique

Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres

situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes

soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)

ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee

face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme

droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute

simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327

de 1988

44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les

mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient

compatibles avec les liberteacutes fondamentales

45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi

laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et

seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations

que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute

Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo

()

Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de

moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique

relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16

()

Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute

physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme

agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans

laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant

de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute

lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre

sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le

but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9

Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la

seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la

seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-

dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution

En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les

convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories

en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la

penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens

ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales

lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16

de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement

de la deacutelinquance commune

En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la

deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la

Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute

pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou

politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de

manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles

leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent

facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour

la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre

limiteacutee

En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs

sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent

un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus

Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la

Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la

formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui

peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de

seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute

de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et

la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo

46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que

les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales

qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la

Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les

citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un

systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future

drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et

proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes

eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la

conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute

preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations

des droits relatifs agrave la liberteacute

47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la

Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de

mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une

10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que

les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees

exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire

48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute

publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera

celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son

avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement

de lrsquoarticle 16 de la Constitution

49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que

les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave

celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le

principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la

liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de

sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea

toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des

critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites

mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que

leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais

plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale

50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les

cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres

distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs

drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)

critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement

identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la

deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle

visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela

dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de

maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme

laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et

vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets

51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la

Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de

compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la

culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle

indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves

lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais

justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de

fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis

52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la

seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne

suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta

qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11

lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester

theacuteorique

53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une

violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux

ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention

54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4

de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence

obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures

de preacutevention

55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que

lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en

vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour

srsquoexprima ainsi

laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis

agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute

Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que

lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute

personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles

mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques

Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute

drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver

lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de

la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits

traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo

Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative

lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute

(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi

si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision

motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo

La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo

destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute

confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960

no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les

articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le

paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de

mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme

finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les

diffeacuterences entre ces deux types

12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct

no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories

drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo

(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a

deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423

du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la

motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le

leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie

pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire

reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre

agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de

rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de

preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo

Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de

1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la

base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des

faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des

manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir

eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et

incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo

4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la

constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents

degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe

de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit

de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence

de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire

Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas

preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la

majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de

dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de

lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne

peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base

En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen

des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre

autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de

preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel

sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les

conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire

Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a

eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction

juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir

dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi

On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles

tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent

pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4

et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees

comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13

par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute

soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret

5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute

suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait

dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de

lrsquoindividu

Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute

sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash

qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de

ce qui vient drsquoecirctre exposeacute

Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait

que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de

conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la

conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses

actions et ses omissions

De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description

leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si

elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique

donc orienteacutee vers lrsquoavenir

Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de

preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de

reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories

drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites

consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur

survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions

soient consommeacutees par ces individus

6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de

lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre

deacuteclareacutee fondeacutee

En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier

paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune

laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La

question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et

avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la

deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de

lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie

conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la

fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo

(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle

laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable

() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956

semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code

peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de

cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie

ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere

agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le

cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue

comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la

disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute

14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui

les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo

56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari

et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour

europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la

proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de

1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la

loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour

lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de

preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en

appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle

preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait

pas devant la Cour de cassation

57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave

deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait

compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil

sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5

alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et

dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le

principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme

peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)

58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que

lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas

precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la

personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de

caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas

speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc

que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne

pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et

speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle

qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite

susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale

compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la

deacutefinition de cette infraction

59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en

question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples

des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description

globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but

poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus

large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement

par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle

crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15

la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite

de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable

et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une

perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour

la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre

honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi

geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au

contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations

poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair

impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un

mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de

sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise

60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de

vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se

conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas

adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais

aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire

de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie

61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la

haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement

mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une

surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus

C La jurisprudence de la Cour de cassation

62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation

statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la

laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la

commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement

entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation

crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui

reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la

seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc

laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en

consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas

neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins

reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo

63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que

lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de

preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute

subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait

eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la

16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories

criminologiques deacutefinies par la loi

Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure

de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la

commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non

dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave

partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice

reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber

lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions

leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute

64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait

la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure

de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question

repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela

ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du

13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret

leacutegislatif no 159 de 2011

D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011

65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave

la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et

patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes

concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement

abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution

En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience

peut ecirctre publique

66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi

no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes

contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont

ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les

deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins

terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention

personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de

retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17

E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages

causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la

responsabiliteacute civile des magistrats

67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci

srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun

administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute

juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux

autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction

juridictionnelle raquo

Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce

laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun

comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu

coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun

deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages

patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui

deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle

2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de

droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave

responsabiliteacute

3 Sont constitutifs drsquoune faute grave

a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable

b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier

c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier

d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas

preacutevus par la loi ou sans motivation raquo

Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi

no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou

le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa

compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour

lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une

demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable

aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de

cette demande au greffe raquo

68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les

modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre

de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent

ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol

ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de

justice

18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute

69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de

trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf

pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles

appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes

par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni

et la Russie)

70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour

faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi

mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de

manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de

mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles

hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police

administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute

introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention

visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave

pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes

ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un

danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les

meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements

publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non

officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees

dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue

72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE

relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de

circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit

la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de

seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute

publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public

ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre

fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute

qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour

lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle

mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas

apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit

pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction

73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la

Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par

1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie

Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg

ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne

Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19

le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave

Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de

sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un

Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de

commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy

participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et

drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des

personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA

CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4

74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet

avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de

la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa

liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales

a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent

b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour

insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en

vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi

c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire

compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une

infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher

de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci

d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation

surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute

compeacutetente

e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une

maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun

vagabond

f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour

lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une

proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo

Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose

laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy

circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence

2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien

20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui

preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui

4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones

deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par

lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas

applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la

jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994

sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010

et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les

obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples

restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible

ratione materiae avec la Convention

b) Le requeacuterant

77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve

de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de

conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de

liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a

subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute

une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est

comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)

dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances

particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures

semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5

78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de

son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une

privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

2 Appreacuteciation de la Cour

79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est

applicable en lrsquoespegravece

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21

80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo

le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves

lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler

lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un

individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir

de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres

comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la

mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune

diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi

preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809

sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH

2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)

De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi

de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi

preacuteciteacute sect 95)

81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte

le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question

(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux

circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte

dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est

courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans

lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute

de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun

(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)

82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la

Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du

5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission

du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait

que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait

une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission

conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave

reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne

comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de

choisir sa reacutesidence

83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant

la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour

souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une

commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5

(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des

22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave

un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans

une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie

essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi

que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute

assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de

Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la

zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi

permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans

laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute

sect 95)

84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans

plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance

speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees

(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de

reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction

de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises

agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave

des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires

preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un

endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des

contacts sociaux

86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon

lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-

deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

et donc agrave une privation de liberteacute

87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son

degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507

sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova

c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov

c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu

c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note

eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee

ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23

sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH

2001-IX)

88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la

preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient

lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle

rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de

circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de

changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la

surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct

que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la

journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir

des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas

du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission

de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence

89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas

entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation

90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est

incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute

en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4

91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du

requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en

lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties

92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens

de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie

de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956

en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute

judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait

symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de

la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication

desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime

que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans

lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour

le citoyen

24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui

ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne

pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que

la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine

de deacutetention

95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune

erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il

ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab

origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute

sociale

96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute

soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un

jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le

requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la

proceacutedure

b) Le Gouvernement

97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont

assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune

proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait

sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et

justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et

eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales

98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en

particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014

(paragraphe 63 ci-dessus)

99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun

controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises

la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives

lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et

lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence

lieacutee agrave la deacutefense sociale

100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant

la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention

personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les

mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les

tribunaux

101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence

interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee

peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc

lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25

102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre

circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la

sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la

jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour

drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre

(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait

pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67

ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu

pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que

par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation

103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des

preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations

qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de

Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a

disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir

gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence

104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute

personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se

trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre

dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer

(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann

c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la

Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre

preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme

paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre

entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie

no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute

sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)

105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees

au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91

ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la

loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet

article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique

26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo

i Principes geacuteneacuteraux

106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots

laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait

une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en

cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans

ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58

CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]

no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195

sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30

CEDH 2004-I)

107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo

est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune

norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler

sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave

mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause

les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces

conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude

absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En

outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois

drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements

de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des

choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et

lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni

(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993

sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34

CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)

108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en

aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du

contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du

nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique

no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt

c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7

Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef

aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne

(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)

109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre

une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique

(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute

sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee

bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de

figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver

et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27

ii Application de ces principes en lrsquoespegravece

110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave

la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique

qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees

au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient

une base leacutegale en droit interne

111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible

Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave

la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et

sur son droit agrave la liberteacute de circulation

112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956

reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne

conteste pas

113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce

faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les

mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures

114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la

preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute

dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient

pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles

eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)

la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel

qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de

premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du

tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que

telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans

les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que

lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la

loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision

reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de

la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et

vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro

preacuteciteacute sect 45)

115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun

manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par

conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux

destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la

lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle

italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de

personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que

certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo

(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en

28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute

appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes

auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour

constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait

une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme

socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des

cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir

lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la

reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a

indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees

sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation

objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle

et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa

propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour

constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)

117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour

constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les

critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention

lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les

juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle

nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements

speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute

sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles

mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de

maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer

comme socialement dangereux

118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication

de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune

tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer

un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal

a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait

que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se

caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau

local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16

ci-dessus)

En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat

drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle

avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour

deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures

preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)

En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute

requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation

consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29

lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec

une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences

arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec

un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention

119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi

no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que

certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur

contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les

dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le

respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la

conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas

precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute

(paragraphe 59 ci-dessus)

120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle

dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil

eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la

Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines

des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance

speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses

interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La

Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale

121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010

nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de

preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi

en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait

neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale

122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre

honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour

constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le

laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie

respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi

impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5

lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications

suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour

lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter

ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes

peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice

suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi

indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun

30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un

indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute

Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee

de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu

des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas

mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par

la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de

participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite

temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est

entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge

124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large

pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les

modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures

de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute

entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles

125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des

termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les

mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)

ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que

cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se

deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute

de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques

respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de

preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse

127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour

de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les

mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et

eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA

CONVENTION

128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal

et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6

sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement

publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial

eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31

caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre

elle raquo

129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant

A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement

130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de

proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du

regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)

131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait

des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa

eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale

132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties

pertinentes

laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du

rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure

()

c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus

de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte

Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de

lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo

133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans

laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de

radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent

de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune

deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski

c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie

(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri

SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)

no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)

no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203

16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)

no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811

sectsect 18-19 7 octobre 2014)

134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre

indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la

32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement

deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se

poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise

pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement

amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui

permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base

suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme

garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de

lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)

135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la

nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont

analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes

la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le

gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par

la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave

lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]

no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)

136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration

unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les

griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations

de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens

Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces

concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend

fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et

Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)

137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le

Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au

titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle

relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice

moral

138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de

mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1

(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26

Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607

sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007

sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de

jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux

proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par

conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres

proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures

de preacutevention patrimoniales

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33

139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des

circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant

de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies

140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la

radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1

c) de la Convention

B Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est

applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de

preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du

citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il

ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que

lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives

agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales

b) Le Gouvernement

142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet

2 Appreacuteciation de la Cour

143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de

la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se

comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait

lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108

Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil

144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet

laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un

laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu

en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit

srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien

lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice

enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le

droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant

pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto

c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]

no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]

no 3757504 sect 90 CEDH 2012)

34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit

ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de

lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe

administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef

preacuteciteacute sect 74)

146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se

caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant

ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la

Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En

conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere

civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts

c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V

Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)

147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son

volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte

carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les

reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de

caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette

disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de

lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31

20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites

pendant un an)

148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26

CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et

Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute

lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire

lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees

aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un

nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle

continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la

limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)

la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant

affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute

seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la

Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a

jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles

visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et

partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)

149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits

de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre

drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par

exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par

mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication

eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35

peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens

familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea

preacuteciteacute sect 106)

150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406

sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges

concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et

uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure

quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre

ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus

placeacutes en cellule de seacutecuriteacute

151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre

jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne

portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des

reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun

individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012

Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)

152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les

affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions

imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec

la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des

liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La

Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la

commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six

heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas

utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour

communiquer

153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et

seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance

speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute

deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu

que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere

154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par

le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas

srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions

publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la

personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis

Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)

155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif

aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de

lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave

lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute

36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

C Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave

un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier

drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et

que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave

la violation subie

157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil

eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et

les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre

septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la

suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004

pour eacutevasion

158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de

la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un

individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en

1973

159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le

requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les

preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait

honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait

mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme

ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute

la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer

alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)

b) Le Gouvernement

160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010

la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la

jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les

articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la

mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute

des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures

de preacutevention

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37

161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes

162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le

Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a

eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont

ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a

simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute

pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le

requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis

drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a

pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour

drsquoappel

163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue

un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir

une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui

permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la

nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila

c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)

164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement

reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute

inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi

no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de

demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave

lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)

166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de

preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre

et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone

preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)

167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la

tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions

internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant

son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour

lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila

preacuteciteacute sect 41)

38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a

eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure

169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure

devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le

respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties

contractantes

170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre

des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction

interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux

droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple

Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez

c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles

peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6

de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable

elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur

appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des

juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute

par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle

conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle

de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle

ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des

tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour

arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans

c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie

no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108

sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65

CEDH 2015)

171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la

Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions

nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par

cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa

pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres

Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)

172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee

conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint

pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de

Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour

drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de

preacutevention

173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39

III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA

CONVENTION

174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation

devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation

de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose

laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute

violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors

mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice

de leurs fonctions officielles raquo

175 Le Gouvernement conteste cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne

lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se

heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas

deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le

requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel

b) Le requeacuterant

178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif

permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la

Convention et 2 du Protocole no 4

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Les principes applicables

179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit

interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes

proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent

drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux

obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau

40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut

examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement

approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en

fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en

tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment

que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes

ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi

Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les

renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95

Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit

interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de

lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A

no 116)

180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en

droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au

regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni

27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre

aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales

comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni

25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux

qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la

Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)

b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece

181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est

deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit

italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses

droits proteacutegeacutes par la Convention

182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon

lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation

drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes

nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure

contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis

Riener preacuteciteacute sect 138)

183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee

effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la

possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la

Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de

maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de

lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13

eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance

effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41

c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM

c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)

184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la

cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale

assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement

Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure

litigieuse

185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a

donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer

les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu

violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage

mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour

188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de

20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au

reacutegime de surveillance speacuteciale

189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41

190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa

pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y

a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral

B Frais et deacutepens

191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et

deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux

exposeacutes devant la Cour

192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point

193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa

42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant

reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus

C Inteacuterecircts moratoires

194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires

sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte

formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration

unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences

devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la

Convention

3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole

no 4

4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention

6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du

deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de

Bari

7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable

8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention

9 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les

sommes suivantes

i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43

ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout

montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais

et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable

pour le surplus

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017

Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute

Adjoint au greffier Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees

suivantes

ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta

Keller et Kjoslashlbro

ndash opinion concordante du juge Dedov

ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute

ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić

ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque

ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris

AS

JC

44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES

RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO

1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre

selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait

reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de

surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut

de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a

permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse

2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires

dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne

3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la

matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la

Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure

soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie

6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)

4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo

c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)

no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale

avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction

de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence

interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de

freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave

des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de

la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation

applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire

Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non

seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas

laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce

dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre

leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45

requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas

formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse

6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi

no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de

preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave

lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi

eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec

une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de

preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de

preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)

7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence

qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant

que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle

avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de

savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention

eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas

eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres

Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute

que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956

en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se

sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct

(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct

nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence

drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures

de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier

sur les mesures applicables

9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante

que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy

avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des

destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables

10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct

no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si

lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement

le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere

46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des

lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision

leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer

(principio di tassativitagrave)

11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante

pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de

maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des

significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le

contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la

personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant

lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule

laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a

preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave

soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le

contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956

comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale

de freacutequenter certains lieux ou individus

12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la

Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux

faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave

partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la

teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le

cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis

cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en

lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui

existait deacutejagrave au moment des faits

13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute

clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties

importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour

que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute

par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le

raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956

telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait

drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le

raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de

la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en

compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales

anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et

les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees

Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base

factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest

justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies

par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47

jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la

reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En

tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils

eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les

circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de

personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la

dureacutee des mesures applicables

14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien

laquo preacutevues par la loi raquo

15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de

circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de

lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno

deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)

16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses

nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo

17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin

social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave

cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la

justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes

nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent

remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question

de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention

(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et

3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]

no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)

18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure

incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend

effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre

(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501

sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49

26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure

restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir

disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge

automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96

CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et

Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)

19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller

agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et

proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement

ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre

les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des

48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802

sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre

au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la

proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le

Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A

no 43)

20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de

soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de

certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une

activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au

requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait

les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans

son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le

requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun

eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute

deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation

approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait

entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa

libeacuteration

21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs

invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant

nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il

nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante

du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre

appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4

22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans

le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a

fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au

requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de

lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait

commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee

ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le

deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari

23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption

drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le

requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification

de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la

deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois

dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour

drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre

disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant

Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49

responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous

notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune

telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables

agrave celles de la preacutesente espegravece

24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave

la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires

dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence

50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour

constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre

ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et

deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits

fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest

pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de

faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient

et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce

chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont

ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et

drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour

drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation

Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute

uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les

autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil

conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et

psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait

ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres

personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base

volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le

preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures

coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes

elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une

assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas

convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela

signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de

faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute

(Traduction)

Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime

eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de

preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont

applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes

(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir

souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet

peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion

seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque

52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ

Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les

raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto

de Albuquerque

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matiegraveres

I Introduction (sect 1)

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect

9-11)

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)

VI Conclusion (sectsect 59-60)

I Introduction (sect 1)

1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de

lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au

requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une

mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave

reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives

revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation

du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient

1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation

relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales

et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956

54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et

de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention

Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en

faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les

mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi

des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans

reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions

La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la

deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui

srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de

violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de

recours internes dans la preacutesente affaire

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de

preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention

personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions

pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent

simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de

sucircreteacute (misure di sicurezza)

Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le

principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations

sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes

sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de

preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]

principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali

deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti

illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro

verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions

2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient

en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de

reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig

Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche

Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato

laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55

de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment

avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute

personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3

Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins

preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en

geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions

peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en

appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une

approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans

celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de

faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les

mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une

rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en

regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4

La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de

preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption

drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della

Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de

compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient

pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun

individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention

ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples

soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement

subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e

incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5

Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a

retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les

laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro

che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al

3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question

de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles

13 25 et 27 de la Constitution italienne

4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione

delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi

criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una

figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve

sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore

ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto

alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo

5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour

constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione

possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva

valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che

siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo

da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o

applica le misure di prevenzione raquo

56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes

auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)

3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964

concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention

personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois

au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en

raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande

Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre

assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de

telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle

des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer

enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En

2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de

demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une

audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En

substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec

lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta

4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees

en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant

leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di

proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de

proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la

seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure

peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la

premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin

de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible

lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo

des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans

ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des

sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le

6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct

7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22

feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la

Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir

par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de

cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention

ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien

qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce

groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa

pas fourni les donneacutees requises

8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo

9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne

voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57

soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi

no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus

dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de

mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956

5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956

eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions

draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du

suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de

la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement

laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect

commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de

restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme

une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi

comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures

personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la

commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base

leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait

pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi

de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13

En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un

effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un

facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses

infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec

lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc

exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect

ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux

effets personnels dommageables desdites mesures leur effet

10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi

di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986

11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999

Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure

peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de

preacutevention

12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo

AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974

Milan 1975

13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle

de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5

Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et

Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004

14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e

secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da

persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della

sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal

momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12

58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique

mais aussi sur lrsquoapplication de la loi

6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de

sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in

idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux

distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait

la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal

permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave

la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve

peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de

compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient

combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale

(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo

ergastolo)19

7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956

eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la

proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui

eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce

contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les

exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de

mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la

proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de

preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les

effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21

Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi

de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage

laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses

crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait

grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme

moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle

coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours

8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le

principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les

termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne

sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia

16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM

17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi

18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano

19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp

Tumminelli Rv 194062

20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis

par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di

prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)

21 Balbi preacuteciteacute p 17

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59

socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait

les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter

delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste

quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles

ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale

passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie

drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait

qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale

fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si

eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die

Tat25

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention

(sectsect 9-11)

9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette

laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la

compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest

concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans

laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si

les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le

deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a

toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques

mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se

contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere

occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas

saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28

10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de

preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de

lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la

22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra

lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione

inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla

criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome

2002

23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la

proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17

24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen

1975 III

25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945

Scritti giuridici I p 678

26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197

CEDH 2004-VI

27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39

28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013

60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau

moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a

jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu

rupture du juste eacutequilibre30

11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public

drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31

Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable

concernant les mesures de preacutevention personnelles

En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les

garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans

le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le

preacutesent arrecirct change le cours des choses

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-

31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une

privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5

de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes

dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve

laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation

concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la

dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des

mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la

deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes

drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte

29 Ibidem sect 26

30 Ibidem sect 27

31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie

no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30

5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et

Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH

2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres

c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010

34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61

et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35

13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de

preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait

eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet

soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute

contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25

kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant

dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance

Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions

comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires

mentionneacutees ci-dessus36

14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient

similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se

preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de

lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas

precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six

heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en

temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes

cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des

reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire

Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de

vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees

exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437

15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la

Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en

vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre

cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par

le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne

constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la

liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux

35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22

et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III

36 Voir note no 26

37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes

38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui

affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre

eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5

sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais

omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion

62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit

expresseacutement dans Ciulla39

16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au

requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De

Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes

restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone

ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des

mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute

ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave

lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas

sortir le matin avant six heures

En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours

combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville

particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee

de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles

de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si

esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles

qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere

onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction

relative aux communications teacuteleacutephoniques

17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui

devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son

correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique

longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les

teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute

eacutevidence aggravait sa situation

18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser

exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider

pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation

concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a

eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier

2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il

convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour

strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la

cateacutegorie des privations de liberteacute raquo

39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une

disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs

que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire

allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)

40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63

concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien

moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41

19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la

Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji

lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de

lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une

interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des

autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en

regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant

qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois

lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres

laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition

en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de

chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition

relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)

renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces

dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave

la violence jusqursquoagrave cinq ans

En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait

pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins

drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de

surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata

necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans

20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de

liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux

preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si

lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de

1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la

liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece

41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311

douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598

sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004

Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni

28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de

trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)

no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos

c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de

quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne

no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement

pendant six heures et demie

42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016

64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre

de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des

personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi

de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour

restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne

suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le

citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement

risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et

quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple

raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions

vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme

la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret

de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude

eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43

23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin

dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent

eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort

convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a

eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans

les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144

25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation

agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction

donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs

agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas

43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes

auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement

deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera

organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali

ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare

allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di

prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della

pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance

implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956

44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute

sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie

no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII

45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65

celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo

de la laquo condamnation raquo46

26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention

du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de

la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par

la loi49

27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant

ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas

de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de

laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre

une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La

raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour

un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction

concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de

1956

28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas

mineur

29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait

drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition

30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54

31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour

ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec

le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5

sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave

mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la

question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales

Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention

ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o

praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales

46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50

47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101

48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil

1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie

no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010

49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et

Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005

50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102

51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox

Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182

52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103

53 Ibidem sect 98

54 Ibidem sect 103

66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention

(sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention

(sectsect 32-43)

32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans

la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la

qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature

mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont

lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non

cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en

matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature

laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une

sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la

laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche

cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave

une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo56

33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les

diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des

mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes

Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi

de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la

Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite

dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir

criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y

a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela

correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la

personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les

termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona

sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)

34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de

1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses

droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi

35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le

suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un

55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs

c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007

57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67

large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller

jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite

pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de

surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable

36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme

considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant

de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps

dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento

commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di

sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son

arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de

preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute

preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun

mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des

principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar

des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le

principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61

37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et

speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient

eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du

suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute

sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun

lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et

ses objectifs62

38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi

de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans

drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de

58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une

mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient

appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement

(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)

59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza

personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non

sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto

comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono

considerarsi una delle due species di un unico genus raquo

60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle

61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193

62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo

Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di

pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in

onore di B Petrocelli vol III 1972

63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes

ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees

Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre

de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement

68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait

consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des

peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal

39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles

geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure

peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention

personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct

no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale

ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde

est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad

essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue

de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention

srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di

citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire

imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui

devait ecirctre motiveacutee64

40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable

srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa

deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella

(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de

preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)

41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il

serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de

1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui

(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave

la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter

les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun

deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave

la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956

ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par

un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)

42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires

relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de

la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune

proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions

disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant

64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23

65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73

seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130

CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50

CEDH 2006-XIII

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69

confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6

devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66

43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les

critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67

La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif

des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste

des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que

la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de

prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est

si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6

La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent

ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent

se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence

drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours

Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute

violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons

45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct

no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale

pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la

proceacutedure devant les juridictions internes

46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des

preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005

comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le

requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant

une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave

costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli

assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation

du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions

alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale

(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la

personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que

les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de

surveillance speacuteciale concernaient une autre personne

66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet

peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus

67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises

dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes

et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur

telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure

Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que

deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause

48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu

violation de cette disposition

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de

lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves

Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales

vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon

disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il

faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant

pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour

drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas

eacuteteacute respecteacute

50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en

cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive

puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a

pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste

eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu

51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de

recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la

Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour

drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme

instance

52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la

reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit

pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref

deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et

mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir

si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute

68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa

reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont

eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences

leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71

doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai

raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la

lumiegravere des circonstances de chaque affaire69

53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible

avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de

lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun

constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee

du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale

(sectsect 54-58)

54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation

eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune

violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie

par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En

lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation

de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le

requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de

la Convention

55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave

reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo

preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou

maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code

de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave

lrsquoalineacutea 2)

56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute

que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale

les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention

injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En

outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que

le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif

que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la

conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui

comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation

de liberteacute

69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII

Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33

30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003

70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008

71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X

72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne

permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une

demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La

lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence

pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de

demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de

surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes

ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune

dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72

58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de

lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute

relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas

permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest

ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

VI Conclusion (sectsect 59-60)

59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave

la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes

le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces

articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques

liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la

lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la

preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute

et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees

par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits

fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion

60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute

eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui

srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera

le mieux

72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45

73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898

sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46

74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de

la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux

arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie

dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo

imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car

comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne

appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du

requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave

lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures

auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En

particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans

lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes

pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute

appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)

contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo

des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien

plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes

notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises

individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute

imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort

reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances

factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5

Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le

laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de

la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et

prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les

effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne

puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention

preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece

on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)

2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait

pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi

le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi

une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait

pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6

74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute

dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est

applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas

signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est

consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie

au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre

une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave

lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce

Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation

de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle

disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la

Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le

Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des

affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute

Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans

les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une

interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus

positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa

pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de

lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute

ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier

3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5

est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans

leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures

laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de

lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au

regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens

commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle

comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun

Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces

mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un

copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles

ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la

situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que

lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo

alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait

laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source

de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures

eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans

son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu

de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le

matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75

drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave

domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je

souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la

majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile

parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre

en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des

canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la

mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne

pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans

avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme

une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au

regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de

Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse

Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard

du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute

ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le

requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre

emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de

celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable

Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses

4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et

difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au

requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet

notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)

Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au

requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de

lui interdire de communiquer par certains moyens

5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre

drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai

drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre

lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et

de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]

teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de

conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave

Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille

habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se

seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire

laquo inutile raquo

6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter

des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures

de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de

parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave

freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune

76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de

jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions

mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait

reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il

assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et

sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave

quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas

trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)

degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo

(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)

7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil

y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu

besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere

injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel

essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes

il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que

toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par

deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus

geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5

Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas

eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)

8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave

lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil

y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute

laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la

surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la

proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute

drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la

Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la

majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie

(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest

pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la

reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de

lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere

geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du

droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme

paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait

que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les

conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi

9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute

drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77

lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures

relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce

qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les

dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de

lrsquoarrecirct)

Cette abstention signifie sucircrement quelque chose

10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la

majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre

aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est

totalement omis dans le raisonnement

Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant

preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier

montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses

moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)

Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une

reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute

deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement

laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo

11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la

majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au

droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)

Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves

eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo

personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent

des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute

soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute

recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette

circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire

examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au

meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est

deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime

On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses

Absence totale de preacutejudice

En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans

cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable

Eacutequitable

12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune

voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain

de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le

paragraphe 103)

La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche

Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave

les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer

les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En

78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les

mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le

deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction

supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la

juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme

drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le

contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]

pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)

Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo

Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au

deacutetriment de la jurisprudence

13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments

favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait

que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit

selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de

commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune

reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees

avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de

lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle

13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur

application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc

14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche

de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant

au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave

voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre

guillemets

15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956

interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la

disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention

personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures

de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)

Non non non et encore non

La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles

sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette

appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees

agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la

base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes

deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur

conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo

iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79

lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la

tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois

cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute

et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)

Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories

nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise

par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme

laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de

la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas

meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre

M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait

ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le

passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre

M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave

incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce

dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les

eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et

inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand

En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins

pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle

permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de

laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de

lrsquoarticle 1 de la loi

16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant

Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune

erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex

tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)

Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne

Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest

tout

17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures

laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave

une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence

de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune

personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent

guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme

18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent

que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses

restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des

laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo

preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et

indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu

subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive

80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits

auxquels on lrsquoapplique

Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la

regravegle de droit

19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12

ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari

laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement

reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure

la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si

ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette

deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin

agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui

commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne

20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la

situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de

savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le

requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les

indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient

laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces

consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo

litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale

21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec

le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la

question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la

question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo

comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche

drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur

indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont

appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce

raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien

rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des

avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je

ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de

lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre

utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles

cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce

requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce

nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas

suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement

geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que

cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler

de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors

qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81

22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en

question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes

auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique

ajouteacute)

On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo

veut-elle aussi dire au requeacuterant

Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le

raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste

Page 6: GRANDE CHAMBRE - Giurisprudenza penale

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5

il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes

clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en

date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de

quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre

2005

25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de

stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la

mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement

un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode

drsquoassignation agrave reacutesidence)

26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007

aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient

une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le

requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973

27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de

la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant

Elle deacuteclara notamment ce qui suit

laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la

situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la

peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le

cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits

posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso

Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de

Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris

en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de

lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision

drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres

proceacutedures judiciaires

La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant

le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement

occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins

depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui

assurant une source de revenus digne

En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une

dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement

purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement

attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo

II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU

GOUVERNEMENT

28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour

29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la

jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie

no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet

2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait

la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais

relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle

III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A La loi no1423 de 1956

30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie

remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie

en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie

par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute

publique raquo de 1865

31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en

exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute

personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le

principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25

alineacuteas 2 et 3)

32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent

pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956

elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour

constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le

respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application

33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits

preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses

pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo

34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent

laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se

livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses

2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train

de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en

partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse

3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute

physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo

35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police

assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7

province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee

(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux

personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel

de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute

publique

36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee

drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder

une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa

pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la

police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en

question

37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en

chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le

parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire

assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la

compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province

38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours

lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour

drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4

cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes

conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se

prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme

alineacutea)

39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en

preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4

quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra

observer (article 5 premier alineacutea)

40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance

speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de

subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un

bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet

Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le

tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont

eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de

ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant

une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas

freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne

pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer

toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux

41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du

8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire

du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document

eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs

particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence

ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave

ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive

42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est

sanctionneacute par une peine privative de liberteacute

B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute

drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans

certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que

la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique

Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres

situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes

soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)

ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee

face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme

droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute

simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327

de 1988

44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les

mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient

compatibles avec les liberteacutes fondamentales

45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi

laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et

seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations

que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute

Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo

()

Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de

moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique

relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16

()

Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute

physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme

agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans

laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant

de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute

lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre

sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le

but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9

Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la

seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la

seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-

dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution

En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les

convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories

en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la

penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens

ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales

lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16

de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement

de la deacutelinquance commune

En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la

deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la

Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute

pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou

politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de

manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles

leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent

facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour

la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre

limiteacutee

En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs

sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent

un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus

Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la

Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la

formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui

peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de

seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute

de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et

la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo

46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que

les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales

qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la

Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les

citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un

systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future

drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et

proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes

eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la

conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute

preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations

des droits relatifs agrave la liberteacute

47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la

Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de

mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une

10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que

les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees

exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire

48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute

publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera

celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son

avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement

de lrsquoarticle 16 de la Constitution

49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que

les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave

celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le

principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la

liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de

sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea

toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des

critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites

mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que

leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais

plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale

50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les

cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres

distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs

drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)

critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement

identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la

deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle

visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela

dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de

maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme

laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et

vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets

51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la

Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de

compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la

culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle

indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves

lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais

justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de

fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis

52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la

seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne

suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta

qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11

lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester

theacuteorique

53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une

violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux

ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention

54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4

de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence

obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures

de preacutevention

55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que

lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en

vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour

srsquoexprima ainsi

laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis

agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute

Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que

lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute

personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles

mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques

Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute

drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver

lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de

la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits

traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo

Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative

lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute

(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi

si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision

motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo

La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo

destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute

confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960

no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les

articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le

paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de

mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme

finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les

diffeacuterences entre ces deux types

12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct

no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories

drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo

(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a

deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423

du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la

motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le

leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie

pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire

reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre

agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de

rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de

preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo

Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de

1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la

base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des

faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des

manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir

eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et

incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo

4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la

constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents

degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe

de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit

de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence

de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire

Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas

preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la

majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de

dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de

lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne

peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base

En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen

des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre

autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de

preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel

sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les

conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire

Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a

eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction

juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir

dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi

On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles

tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent

pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4

et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees

comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13

par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute

soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret

5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute

suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait

dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de

lrsquoindividu

Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute

sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash

qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de

ce qui vient drsquoecirctre exposeacute

Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait

que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de

conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la

conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses

actions et ses omissions

De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description

leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si

elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique

donc orienteacutee vers lrsquoavenir

Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de

preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de

reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories

drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites

consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur

survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions

soient consommeacutees par ces individus

6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de

lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre

deacuteclareacutee fondeacutee

En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier

paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune

laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La

question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et

avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la

deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de

lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie

conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la

fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo

(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle

laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable

() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956

semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code

peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de

cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie

ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere

agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le

cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue

comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la

disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute

14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui

les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo

56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari

et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour

europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la

proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de

1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la

loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour

lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de

preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en

appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle

preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait

pas devant la Cour de cassation

57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave

deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait

compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil

sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5

alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et

dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le

principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme

peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)

58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que

lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas

precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la

personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de

caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas

speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc

que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne

pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et

speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle

qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite

susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale

compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la

deacutefinition de cette infraction

59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en

question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples

des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description

globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but

poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus

large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement

par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle

crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15

la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite

de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable

et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une

perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour

la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre

honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi

geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au

contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations

poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair

impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un

mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de

sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise

60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de

vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se

conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas

adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais

aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire

de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie

61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la

haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement

mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une

surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus

C La jurisprudence de la Cour de cassation

62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation

statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la

laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la

commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement

entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation

crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui

reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la

seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc

laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en

consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas

neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins

reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo

63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que

lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de

preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute

subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait

eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la

16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories

criminologiques deacutefinies par la loi

Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure

de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la

commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non

dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave

partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice

reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber

lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions

leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute

64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait

la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure

de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question

repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela

ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du

13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret

leacutegislatif no 159 de 2011

D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011

65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave

la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et

patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes

concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement

abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution

En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience

peut ecirctre publique

66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi

no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes

contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont

ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les

deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins

terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention

personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de

retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17

E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages

causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la

responsabiliteacute civile des magistrats

67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci

srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun

administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute

juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux

autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction

juridictionnelle raquo

Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce

laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun

comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu

coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun

deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages

patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui

deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle

2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de

droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave

responsabiliteacute

3 Sont constitutifs drsquoune faute grave

a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable

b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier

c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier

d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas

preacutevus par la loi ou sans motivation raquo

Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi

no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou

le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa

compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour

lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une

demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable

aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de

cette demande au greffe raquo

68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les

modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre

de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent

ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol

ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de

justice

18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute

69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de

trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf

pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles

appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes

par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni

et la Russie)

70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour

faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi

mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de

manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de

mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles

hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police

administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute

introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention

visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave

pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes

ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un

danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les

meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements

publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non

officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees

dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue

72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE

relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de

circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit

la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de

seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute

publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public

ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre

fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute

qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour

lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle

mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas

apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit

pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction

73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la

Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par

1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie

Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg

ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne

Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19

le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave

Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de

sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un

Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de

commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy

participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et

drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des

personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA

CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4

74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet

avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de

la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa

liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales

a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent

b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour

insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en

vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi

c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire

compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une

infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher

de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci

d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation

surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute

compeacutetente

e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une

maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun

vagabond

f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour

lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une

proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo

Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose

laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy

circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence

2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien

20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui

preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui

4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones

deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par

lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas

applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la

jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994

sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010

et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les

obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples

restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible

ratione materiae avec la Convention

b) Le requeacuterant

77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve

de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de

conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de

liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a

subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute

une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est

comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)

dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances

particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures

semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5

78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de

son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une

privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

2 Appreacuteciation de la Cour

79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est

applicable en lrsquoespegravece

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21

80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo

le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves

lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler

lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un

individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir

de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres

comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la

mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune

diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi

preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809

sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH

2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)

De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi

de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi

preacuteciteacute sect 95)

81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte

le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question

(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux

circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte

dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est

courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans

lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute

de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun

(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)

82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la

Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du

5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission

du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait

que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait

une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission

conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave

reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne

comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de

choisir sa reacutesidence

83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant

la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour

souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une

commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5

(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des

22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave

un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans

une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie

essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi

que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute

assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de

Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la

zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi

permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans

laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute

sect 95)

84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans

plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance

speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees

(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de

reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction

de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises

agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave

des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires

preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un

endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des

contacts sociaux

86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon

lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-

deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

et donc agrave une privation de liberteacute

87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son

degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507

sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova

c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov

c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu

c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note

eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee

ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23

sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH

2001-IX)

88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la

preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient

lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle

rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de

circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de

changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la

surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct

que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la

journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir

des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas

du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission

de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence

89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas

entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation

90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est

incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute

en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4

91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du

requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en

lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties

92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens

de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie

de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956

en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute

judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait

symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de

la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication

desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime

que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans

lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour

le citoyen

24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui

ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne

pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que

la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine

de deacutetention

95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune

erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il

ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab

origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute

sociale

96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute

soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un

jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le

requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la

proceacutedure

b) Le Gouvernement

97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont

assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune

proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait

sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et

justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et

eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales

98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en

particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014

(paragraphe 63 ci-dessus)

99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun

controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises

la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives

lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et

lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence

lieacutee agrave la deacutefense sociale

100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant

la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention

personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les

mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les

tribunaux

101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence

interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee

peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc

lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25

102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre

circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la

sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la

jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour

drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre

(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait

pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67

ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu

pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que

par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation

103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des

preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations

qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de

Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a

disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir

gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence

104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute

personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se

trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre

dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer

(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann

c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la

Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre

preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme

paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre

entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie

no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute

sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)

105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees

au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91

ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la

loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet

article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique

26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo

i Principes geacuteneacuteraux

106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots

laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait

une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en

cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans

ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58

CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]

no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195

sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30

CEDH 2004-I)

107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo

est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune

norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler

sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave

mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause

les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces

conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude

absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En

outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois

drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements

de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des

choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et

lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni

(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993

sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34

CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)

108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en

aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du

contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du

nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique

no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt

c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7

Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef

aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne

(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)

109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre

une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique

(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute

sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee

bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de

figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver

et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27

ii Application de ces principes en lrsquoespegravece

110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave

la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique

qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees

au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient

une base leacutegale en droit interne

111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible

Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave

la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et

sur son droit agrave la liberteacute de circulation

112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956

reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne

conteste pas

113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce

faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les

mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures

114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la

preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute

dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient

pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles

eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)

la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel

qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de

premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du

tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que

telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans

les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que

lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la

loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision

reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de

la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et

vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro

preacuteciteacute sect 45)

115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun

manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par

conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux

destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la

lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle

italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de

personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que

certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo

(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en

28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute

appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes

auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour

constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait

une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme

socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des

cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir

lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la

reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a

indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees

sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation

objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle

et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa

propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour

constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)

117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour

constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les

critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention

lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les

juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle

nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements

speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute

sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles

mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de

maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer

comme socialement dangereux

118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication

de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune

tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer

un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal

a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait

que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se

caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau

local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16

ci-dessus)

En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat

drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle

avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour

deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures

preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)

En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute

requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation

consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29

lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec

une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences

arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec

un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention

119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi

no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que

certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur

contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les

dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le

respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la

conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas

precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute

(paragraphe 59 ci-dessus)

120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle

dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil

eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la

Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines

des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance

speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses

interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La

Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale

121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010

nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de

preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi

en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait

neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale

122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre

honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour

constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le

laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie

respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi

impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5

lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications

suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour

lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter

ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes

peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice

suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi

indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun

30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un

indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute

Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee

de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu

des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas

mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par

la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de

participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite

temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est

entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge

124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large

pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les

modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures

de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute

entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles

125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des

termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les

mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)

ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que

cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se

deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute

de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques

respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de

preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse

127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour

de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les

mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et

eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA

CONVENTION

128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal

et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6

sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement

publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial

eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31

caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre

elle raquo

129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant

A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement

130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de

proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du

regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)

131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait

des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa

eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale

132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties

pertinentes

laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du

rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure

()

c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus

de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte

Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de

lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo

133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans

laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de

radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent

de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune

deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski

c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie

(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri

SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)

no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)

no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203

16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)

no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811

sectsect 18-19 7 octobre 2014)

134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre

indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la

32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement

deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se

poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise

pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement

amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui

permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base

suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme

garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de

lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)

135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la

nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont

analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes

la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le

gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par

la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave

lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]

no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)

136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration

unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les

griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations

de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens

Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces

concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend

fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et

Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)

137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le

Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au

titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle

relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice

moral

138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de

mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1

(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26

Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607

sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007

sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de

jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux

proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par

conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres

proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures

de preacutevention patrimoniales

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33

139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des

circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant

de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies

140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la

radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1

c) de la Convention

B Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est

applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de

preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du

citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il

ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que

lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives

agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales

b) Le Gouvernement

142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet

2 Appreacuteciation de la Cour

143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de

la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se

comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait

lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108

Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil

144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet

laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un

laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu

en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit

srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien

lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice

enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le

droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant

pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto

c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]

no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]

no 3757504 sect 90 CEDH 2012)

34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit

ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de

lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe

administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef

preacuteciteacute sect 74)

146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se

caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant

ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la

Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En

conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere

civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts

c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V

Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)

147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son

volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte

carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les

reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de

caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette

disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de

lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31

20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites

pendant un an)

148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26

CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et

Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute

lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire

lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees

aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un

nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle

continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la

limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)

la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant

affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute

seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la

Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a

jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles

visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et

partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)

149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits

de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre

drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par

exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par

mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication

eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35

peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens

familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea

preacuteciteacute sect 106)

150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406

sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges

concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et

uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure

quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre

ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus

placeacutes en cellule de seacutecuriteacute

151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre

jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne

portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des

reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun

individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012

Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)

152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les

affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions

imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec

la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des

liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La

Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la

commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six

heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas

utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour

communiquer

153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et

seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance

speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute

deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu

que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere

154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par

le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas

srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions

publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la

personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis

Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)

155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif

aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de

lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave

lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute

36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

C Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave

un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier

drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et

que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave

la violation subie

157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil

eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et

les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre

septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la

suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004

pour eacutevasion

158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de

la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un

individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en

1973

159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le

requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les

preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait

honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait

mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme

ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute

la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer

alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)

b) Le Gouvernement

160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010

la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la

jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les

articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la

mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute

des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures

de preacutevention

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37

161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes

162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le

Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a

eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont

ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a

simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute

pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le

requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis

drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a

pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour

drsquoappel

163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue

un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir

une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui

permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la

nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila

c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)

164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement

reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute

inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi

no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de

demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave

lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)

166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de

preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre

et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone

preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)

167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la

tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions

internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant

son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour

lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila

preacuteciteacute sect 41)

38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a

eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure

169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure

devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le

respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties

contractantes

170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre

des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction

interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux

droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple

Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez

c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles

peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6

de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable

elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur

appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des

juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute

par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle

conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle

de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle

ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des

tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour

arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans

c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie

no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108

sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65

CEDH 2015)

171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la

Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions

nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par

cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa

pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres

Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)

172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee

conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint

pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de

Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour

drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de

preacutevention

173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39

III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA

CONVENTION

174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation

devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation

de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose

laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute

violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors

mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice

de leurs fonctions officielles raquo

175 Le Gouvernement conteste cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne

lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se

heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas

deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le

requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel

b) Le requeacuterant

178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif

permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la

Convention et 2 du Protocole no 4

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Les principes applicables

179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit

interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes

proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent

drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux

obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau

40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut

examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement

approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en

fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en

tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment

que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes

ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi

Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les

renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95

Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit

interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de

lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A

no 116)

180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en

droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au

regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni

27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre

aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales

comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni

25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux

qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la

Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)

b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece

181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est

deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit

italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses

droits proteacutegeacutes par la Convention

182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon

lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation

drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes

nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure

contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis

Riener preacuteciteacute sect 138)

183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee

effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la

possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la

Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de

maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de

lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13

eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance

effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41

c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM

c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)

184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la

cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale

assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement

Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure

litigieuse

185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a

donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer

les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu

violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage

mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour

188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de

20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au

reacutegime de surveillance speacuteciale

189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41

190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa

pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y

a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral

B Frais et deacutepens

191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et

deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux

exposeacutes devant la Cour

192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point

193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa

42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant

reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus

C Inteacuterecircts moratoires

194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires

sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte

formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration

unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences

devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la

Convention

3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole

no 4

4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention

6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du

deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de

Bari

7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable

8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention

9 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les

sommes suivantes

i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43

ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout

montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais

et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable

pour le surplus

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017

Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute

Adjoint au greffier Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees

suivantes

ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta

Keller et Kjoslashlbro

ndash opinion concordante du juge Dedov

ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute

ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić

ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque

ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris

AS

JC

44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES

RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO

1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre

selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait

reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de

surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut

de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a

permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse

2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires

dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne

3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la

matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la

Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure

soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie

6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)

4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo

c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)

no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale

avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction

de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence

interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de

freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave

des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de

la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation

applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire

Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non

seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas

laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce

dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre

leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45

requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas

formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse

6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi

no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de

preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave

lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi

eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec

une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de

preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de

preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)

7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence

qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant

que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle

avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de

savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention

eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas

eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres

Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute

que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956

en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se

sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct

(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct

nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence

drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures

de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier

sur les mesures applicables

9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante

que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy

avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des

destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables

10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct

no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si

lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement

le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere

46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des

lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision

leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer

(principio di tassativitagrave)

11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante

pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de

maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des

significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le

contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la

personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant

lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule

laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a

preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave

soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le

contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956

comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale

de freacutequenter certains lieux ou individus

12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la

Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux

faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave

partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la

teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le

cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis

cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en

lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui

existait deacutejagrave au moment des faits

13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute

clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties

importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour

que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute

par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le

raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956

telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait

drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le

raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de

la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en

compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales

anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et

les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees

Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base

factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest

justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies

par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47

jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la

reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En

tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils

eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les

circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de

personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la

dureacutee des mesures applicables

14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien

laquo preacutevues par la loi raquo

15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de

circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de

lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno

deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)

16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses

nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo

17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin

social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave

cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la

justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes

nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent

remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question

de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention

(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et

3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]

no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)

18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure

incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend

effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre

(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501

sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49

26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure

restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir

disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge

automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96

CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et

Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)

19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller

agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et

proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement

ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre

les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des

48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802

sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre

au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la

proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le

Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A

no 43)

20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de

soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de

certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une

activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au

requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait

les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans

son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le

requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun

eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute

deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation

approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait

entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa

libeacuteration

21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs

invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant

nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il

nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante

du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre

appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4

22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans

le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a

fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au

requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de

lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait

commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee

ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le

deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari

23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption

drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le

requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification

de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la

deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois

dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour

drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre

disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant

Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49

responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous

notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune

telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables

agrave celles de la preacutesente espegravece

24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave

la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires

dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence

50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour

constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre

ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et

deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits

fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest

pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de

faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient

et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce

chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont

ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et

drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour

drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation

Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute

uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les

autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil

conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et

psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait

ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres

personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base

volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le

preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures

coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes

elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une

assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas

convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela

signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de

faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute

(Traduction)

Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime

eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de

preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont

applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes

(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir

souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet

peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion

seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque

52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ

Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les

raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto

de Albuquerque

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matiegraveres

I Introduction (sect 1)

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect

9-11)

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)

VI Conclusion (sectsect 59-60)

I Introduction (sect 1)

1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de

lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au

requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une

mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave

reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives

revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation

du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient

1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation

relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales

et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956

54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et

de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention

Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en

faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les

mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi

des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans

reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions

La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la

deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui

srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de

violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de

recours internes dans la preacutesente affaire

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de

preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention

personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions

pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent

simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de

sucircreteacute (misure di sicurezza)

Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le

principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations

sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes

sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de

preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]

principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali

deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti

illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro

verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions

2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient

en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de

reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig

Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche

Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato

laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55

de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment

avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute

personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3

Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins

preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en

geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions

peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en

appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une

approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans

celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de

faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les

mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une

rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en

regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4

La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de

preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption

drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della

Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de

compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient

pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun

individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention

ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples

soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement

subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e

incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5

Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a

retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les

laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro

che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al

3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question

de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles

13 25 et 27 de la Constitution italienne

4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione

delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi

criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una

figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve

sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore

ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto

alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo

5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour

constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione

possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva

valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che

siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo

da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o

applica le misure di prevenzione raquo

56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes

auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)

3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964

concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention

personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois

au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en

raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande

Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre

assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de

telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle

des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer

enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En

2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de

demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une

audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En

substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec

lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta

4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees

en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant

leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di

proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de

proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la

seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure

peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la

premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin

de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible

lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo

des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans

ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des

sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le

6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct

7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22

feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la

Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir

par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de

cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention

ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien

qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce

groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa

pas fourni les donneacutees requises

8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo

9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne

voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57

soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi

no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus

dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de

mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956

5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956

eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions

draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du

suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de

la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement

laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect

commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de

restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme

une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi

comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures

personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la

commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base

leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait

pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi

de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13

En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un

effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un

facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses

infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec

lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc

exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect

ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux

effets personnels dommageables desdites mesures leur effet

10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi

di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986

11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999

Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure

peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de

preacutevention

12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo

AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974

Milan 1975

13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle

de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5

Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et

Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004

14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e

secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da

persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della

sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal

momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12

58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique

mais aussi sur lrsquoapplication de la loi

6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de

sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in

idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux

distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait

la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal

permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave

la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve

peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de

compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient

combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale

(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo

ergastolo)19

7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956

eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la

proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui

eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce

contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les

exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de

mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la

proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de

preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les

effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21

Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi

de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage

laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses

crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait

grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme

moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle

coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours

8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le

principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les

termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne

sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia

16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM

17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi

18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano

19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp

Tumminelli Rv 194062

20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis

par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di

prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)

21 Balbi preacuteciteacute p 17

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59

socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait

les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter

delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste

quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles

ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale

passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie

drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait

qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale

fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si

eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die

Tat25

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention

(sectsect 9-11)

9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette

laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la

compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest

concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans

laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si

les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le

deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a

toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques

mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se

contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere

occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas

saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28

10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de

preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de

lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la

22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra

lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione

inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla

criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome

2002

23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la

proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17

24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen

1975 III

25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945

Scritti giuridici I p 678

26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197

CEDH 2004-VI

27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39

28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013

60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau

moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a

jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu

rupture du juste eacutequilibre30

11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public

drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31

Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable

concernant les mesures de preacutevention personnelles

En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les

garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans

le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le

preacutesent arrecirct change le cours des choses

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-

31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une

privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5

de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes

dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve

laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation

concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la

dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des

mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la

deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes

drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte

29 Ibidem sect 26

30 Ibidem sect 27

31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie

no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30

5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et

Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH

2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres

c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010

34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61

et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35

13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de

preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait

eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet

soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute

contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25

kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant

dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance

Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions

comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires

mentionneacutees ci-dessus36

14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient

similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se

preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de

lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas

precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six

heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en

temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes

cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des

reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire

Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de

vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees

exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437

15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la

Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en

vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre

cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par

le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne

constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la

liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux

35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22

et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III

36 Voir note no 26

37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes

38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui

affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre

eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5

sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais

omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion

62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit

expresseacutement dans Ciulla39

16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au

requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De

Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes

restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone

ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des

mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute

ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave

lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas

sortir le matin avant six heures

En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours

combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville

particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee

de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles

de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si

esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles

qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere

onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction

relative aux communications teacuteleacutephoniques

17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui

devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son

correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique

longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les

teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute

eacutevidence aggravait sa situation

18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser

exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider

pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation

concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a

eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier

2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il

convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour

strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la

cateacutegorie des privations de liberteacute raquo

39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une

disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs

que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire

allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)

40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63

concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien

moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41

19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la

Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji

lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de

lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une

interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des

autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en

regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant

qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois

lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres

laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition

en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de

chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition

relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)

renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces

dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave

la violence jusqursquoagrave cinq ans

En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait

pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins

drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de

surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata

necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans

20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de

liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux

preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si

lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de

1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la

liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece

41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311

douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598

sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004

Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni

28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de

trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)

no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos

c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de

quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne

no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement

pendant six heures et demie

42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016

64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre

de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des

personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi

de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour

restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne

suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le

citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement

risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et

quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple

raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions

vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme

la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret

de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude

eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43

23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin

dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent

eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort

convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a

eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans

les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144

25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation

agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction

donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs

agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas

43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes

auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement

deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera

organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali

ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare

allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di

prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della

pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance

implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956

44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute

sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie

no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII

45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65

celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo

de la laquo condamnation raquo46

26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention

du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de

la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par

la loi49

27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant

ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas

de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de

laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre

une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La

raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour

un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction

concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de

1956

28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas

mineur

29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait

drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition

30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54

31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour

ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec

le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5

sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave

mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la

question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales

Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention

ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o

praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales

46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50

47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101

48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil

1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie

no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010

49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et

Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005

50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102

51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox

Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182

52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103

53 Ibidem sect 98

54 Ibidem sect 103

66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention

(sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention

(sectsect 32-43)

32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans

la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la

qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature

mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont

lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non

cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en

matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature

laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une

sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la

laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche

cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave

une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo56

33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les

diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des

mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes

Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi

de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la

Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite

dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir

criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y

a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela

correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la

personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les

termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona

sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)

34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de

1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses

droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi

35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le

suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un

55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs

c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007

57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67

large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller

jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite

pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de

surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable

36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme

considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant

de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps

dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento

commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di

sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son

arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de

preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute

preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun

mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des

principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar

des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le

principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61

37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et

speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient

eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du

suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute

sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun

lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et

ses objectifs62

38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi

de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans

drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de

58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une

mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient

appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement

(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)

59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza

personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non

sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto

comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono

considerarsi una delle due species di un unico genus raquo

60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle

61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193

62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo

Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di

pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in

onore di B Petrocelli vol III 1972

63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes

ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees

Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre

de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement

68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait

consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des

peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal

39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles

geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure

peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention

personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct

no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale

ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde

est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad

essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue

de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention

srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di

citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire

imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui

devait ecirctre motiveacutee64

40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable

srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa

deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella

(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de

preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)

41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il

serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de

1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui

(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave

la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter

les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun

deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave

la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956

ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par

un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)

42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires

relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de

la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune

proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions

disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant

64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23

65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73

seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130

CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50

CEDH 2006-XIII

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69

confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6

devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66

43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les

critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67

La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif

des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste

des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que

la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de

prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est

si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6

La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent

ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent

se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence

drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours

Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute

violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons

45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct

no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale

pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la

proceacutedure devant les juridictions internes

46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des

preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005

comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le

requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant

une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave

costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli

assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation

du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions

alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale

(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la

personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que

les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de

surveillance speacuteciale concernaient une autre personne

66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet

peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus

67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises

dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes

et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur

telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure

Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que

deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause

48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu

violation de cette disposition

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de

lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves

Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales

vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon

disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il

faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant

pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour

drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas

eacuteteacute respecteacute

50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en

cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive

puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a

pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste

eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu

51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de

recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la

Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour

drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme

instance

52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la

reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit

pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref

deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et

mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir

si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute

68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa

reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont

eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences

leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71

doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai

raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la

lumiegravere des circonstances de chaque affaire69

53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible

avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de

lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun

constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee

du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale

(sectsect 54-58)

54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation

eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune

violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie

par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En

lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation

de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le

requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de

la Convention

55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave

reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo

preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou

maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code

de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave

lrsquoalineacutea 2)

56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute

que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale

les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention

injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En

outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que

le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif

que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la

conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui

comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation

de liberteacute

69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII

Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33

30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003

70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008

71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X

72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne

permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une

demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La

lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence

pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de

demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de

surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes

ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune

dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72

58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de

lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute

relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas

permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest

ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

VI Conclusion (sectsect 59-60)

59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave

la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes

le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces

articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques

liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la

lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la

preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute

et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees

par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits

fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion

60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute

eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui

srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera

le mieux

72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45

73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898

sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46

74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de

la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux

arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie

dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo

imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car

comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne

appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du

requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave

lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures

auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En

particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans

lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes

pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute

appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)

contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo

des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien

plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes

notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises

individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute

imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort

reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances

factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5

Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le

laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de

la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et

prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les

effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne

puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention

preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece

on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)

2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait

pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi

le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi

une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait

pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6

74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute

dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est

applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas

signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est

consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie

au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre

une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave

lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce

Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation

de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle

disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la

Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le

Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des

affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute

Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans

les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une

interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus

positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa

pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de

lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute

ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier

3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5

est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans

leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures

laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de

lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au

regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens

commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle

comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun

Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces

mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un

copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles

ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la

situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que

lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo

alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait

laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source

de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures

eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans

son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu

de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le

matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75

drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave

domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je

souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la

majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile

parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre

en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des

canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la

mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne

pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans

avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme

une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au

regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de

Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse

Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard

du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute

ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le

requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre

emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de

celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable

Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses

4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et

difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au

requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet

notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)

Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au

requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de

lui interdire de communiquer par certains moyens

5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre

drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai

drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre

lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et

de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]

teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de

conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave

Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille

habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se

seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire

laquo inutile raquo

6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter

des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures

de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de

parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave

freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune

76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de

jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions

mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait

reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il

assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et

sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave

quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas

trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)

degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo

(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)

7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil

y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu

besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere

injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel

essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes

il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que

toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par

deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus

geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5

Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas

eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)

8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave

lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil

y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute

laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la

surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la

proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute

drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la

Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la

majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie

(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest

pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la

reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de

lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere

geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du

droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme

paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait

que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les

conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi

9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute

drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77

lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures

relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce

qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les

dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de

lrsquoarrecirct)

Cette abstention signifie sucircrement quelque chose

10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la

majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre

aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est

totalement omis dans le raisonnement

Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant

preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier

montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses

moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)

Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une

reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute

deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement

laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo

11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la

majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au

droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)

Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves

eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo

personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent

des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute

soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute

recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette

circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire

examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au

meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est

deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime

On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses

Absence totale de preacutejudice

En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans

cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable

Eacutequitable

12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune

voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain

de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le

paragraphe 103)

La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche

Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave

les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer

les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En

78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les

mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le

deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction

supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la

juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme

drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le

contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]

pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)

Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo

Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au

deacutetriment de la jurisprudence

13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments

favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait

que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit

selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de

commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune

reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees

avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de

lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle

13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur

application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc

14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche

de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant

au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave

voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre

guillemets

15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956

interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la

disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention

personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures

de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)

Non non non et encore non

La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles

sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette

appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees

agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la

base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes

deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur

conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo

iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79

lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la

tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois

cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute

et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)

Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories

nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise

par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme

laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de

la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas

meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre

M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait

ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le

passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre

M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave

incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce

dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les

eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et

inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand

En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins

pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle

permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de

laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de

lrsquoarticle 1 de la loi

16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant

Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune

erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex

tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)

Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne

Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest

tout

17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures

laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave

une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence

de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune

personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent

guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme

18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent

que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses

restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des

laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo

preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et

indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu

subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive

80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits

auxquels on lrsquoapplique

Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la

regravegle de droit

19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12

ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari

laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement

reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure

la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si

ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette

deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin

agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui

commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne

20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la

situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de

savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le

requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les

indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient

laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces

consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo

litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale

21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec

le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la

question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la

question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo

comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche

drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur

indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont

appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce

raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien

rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des

avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je

ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de

lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre

utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles

cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce

requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce

nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas

suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement

geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que

cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler

de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors

qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81

22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en

question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes

auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique

ajouteacute)

On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo

veut-elle aussi dire au requeacuterant

Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le

raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste

Page 7: GRANDE CHAMBRE - Giurisprudenza penale

6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour

29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la

jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie

no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet

2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait

la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais

relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle

III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A La loi no1423 de 1956

30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie

remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie

en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie

par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute

publique raquo de 1865

31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en

exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute

personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le

principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25

alineacuteas 2 et 3)

32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent

pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956

elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour

constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le

respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application

33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits

preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses

pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo

34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent

laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se

livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses

2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train

de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en

partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse

3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute

physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo

35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police

assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7

province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee

(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux

personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel

de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute

publique

36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee

drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder

une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa

pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la

police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en

question

37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en

chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le

parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire

assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la

compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province

38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours

lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour

drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4

cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes

conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se

prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme

alineacutea)

39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en

preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4

quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra

observer (article 5 premier alineacutea)

40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance

speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de

subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un

bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet

Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le

tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont

eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de

ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant

une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas

freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne

pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer

toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux

41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune

assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du

8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire

du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document

eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs

particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence

ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave

ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive

42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est

sanctionneacute par une peine privative de liberteacute

B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute

drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans

certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que

la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique

Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres

situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes

soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)

ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee

face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme

droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute

simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327

de 1988

44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les

mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient

compatibles avec les liberteacutes fondamentales

45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi

laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et

seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations

que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute

Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo

()

Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de

moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique

relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16

()

Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute

physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme

agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans

laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant

de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute

lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre

sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le

but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9

Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la

seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la

seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-

dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution

En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les

convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories

en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la

penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens

ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales

lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16

de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement

de la deacutelinquance commune

En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la

deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la

Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute

pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou

politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de

manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles

leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent

facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour

la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre

limiteacutee

En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs

sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent

un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus

Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la

Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la

formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui

peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de

seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute

de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et

la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo

46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que

les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales

qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la

Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les

citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un

systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future

drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et

proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes

eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la

conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute

preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations

des droits relatifs agrave la liberteacute

47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la

Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de

mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une

10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que

les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees

exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire

48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute

publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera

celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son

avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement

de lrsquoarticle 16 de la Constitution

49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que

les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave

celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le

principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la

liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de

sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea

toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des

critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites

mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que

leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais

plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale

50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les

cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres

distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs

drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)

critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement

identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la

deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle

visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela

dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de

maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme

laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et

vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets

51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la

Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de

compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la

culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle

indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves

lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais

justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de

fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis

52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la

seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne

suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta

qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11

lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester

theacuteorique

53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une

violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux

ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention

54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4

de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence

obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures

de preacutevention

55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que

lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en

vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour

srsquoexprima ainsi

laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis

agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute

Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que

lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute

personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles

mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques

Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute

drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver

lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de

la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits

traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo

Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative

lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute

(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi

si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision

motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo

La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo

destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute

confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960

no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les

articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le

paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de

mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme

finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les

diffeacuterences entre ces deux types

12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct

no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories

drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo

(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a

deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423

du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la

motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le

leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie

pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire

reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre

agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de

rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de

preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo

Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de

1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la

base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des

faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des

manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir

eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et

incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo

4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la

constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents

degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe

de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit

de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence

de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire

Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas

preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la

Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la

majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de

dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de

lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne

peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base

En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen

des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre

autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de

preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel

sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les

conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire

Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a

eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction

juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir

dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi

On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles

tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent

pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4

et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees

comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13

par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute

soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret

5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute

suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait

dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de

lrsquoindividu

Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute

sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash

qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de

ce qui vient drsquoecirctre exposeacute

Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait

que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de

conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la

conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses

actions et ses omissions

De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description

leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si

elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique

donc orienteacutee vers lrsquoavenir

Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de

preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de

reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories

drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites

consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur

survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions

soient consommeacutees par ces individus

6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de

lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre

deacuteclareacutee fondeacutee

En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier

paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune

laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La

question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et

avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la

deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de

lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie

conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la

fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo

(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle

laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable

() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956

semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code

peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de

cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie

ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere

agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le

cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue

comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la

disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute

14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui

les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo

56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari

et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour

europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la

proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de

1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la

loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour

lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de

preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en

appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle

preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait

pas devant la Cour de cassation

57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave

deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait

compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil

sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5

alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et

dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le

principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme

peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)

58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que

lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas

precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la

personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de

caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas

speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc

que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne

pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et

speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle

qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite

susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale

compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la

deacutefinition de cette infraction

59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en

question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples

des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description

globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but

poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus

large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement

par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle

crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15

la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite

de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable

et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une

perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour

la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre

honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi

geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au

contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations

poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair

impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un

mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de

sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise

60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de

vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se

conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas

adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais

aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire

de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie

61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la

haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement

mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une

surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus

C La jurisprudence de la Cour de cassation

62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation

statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la

laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la

commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement

entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation

crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui

reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la

seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc

laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en

consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas

neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins

reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo

63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que

lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de

preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute

subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait

eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la

16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories

criminologiques deacutefinies par la loi

Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure

de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la

commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non

dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave

partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice

reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber

lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions

leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute

64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait

la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure

de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question

repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela

ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du

13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret

leacutegislatif no 159 de 2011

D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011

65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave

la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et

patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes

concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement

abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution

En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention

lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience

peut ecirctre publique

66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi

no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes

contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont

ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les

deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins

terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention

personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de

retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17

E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages

causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la

responsabiliteacute civile des magistrats

67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci

srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun

administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute

juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux

autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction

juridictionnelle raquo

Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce

laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun

comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu

coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun

deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages

patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui

deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle

2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de

droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave

responsabiliteacute

3 Sont constitutifs drsquoune faute grave

a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable

b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier

c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est

incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier

d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas

preacutevus par la loi ou sans motivation raquo

Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi

no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou

le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa

compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour

lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une

demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable

aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de

cette demande au greffe raquo

68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les

modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre

de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent

ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol

ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de

justice

18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute

69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de

trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf

pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles

appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes

par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni

et la Russie)

70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour

faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi

mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de

manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de

mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles

hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police

administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute

introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention

visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave

pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes

ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un

danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les

meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements

publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non

officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees

dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue

72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE

relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de

circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit

la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de

seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute

publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public

ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre

fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute

qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour

lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle

mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas

apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit

pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction

73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la

Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par

1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie

Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg

ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne

Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19

le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave

Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de

sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un

Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de

commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy

participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et

drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des

personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire

EN DROIT

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA

CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4

74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet

avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de

la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa

liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales

a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent

b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour

insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en

vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi

c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire

compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une

infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher

de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci

d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation

surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute

compeacutetente

e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une

maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun

vagabond

f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour

lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une

proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo

Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose

laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy

circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence

2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien

20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui

preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la

preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la

protection des droits et liberteacutes drsquoautrui

4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones

deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par

lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas

applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la

jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994

sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010

et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les

obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples

restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible

ratione materiae avec la Convention

b) Le requeacuterant

77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve

de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de

conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de

liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a

subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute

une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est

comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)

dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances

particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures

semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute

priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5

78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de

son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une

privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

2 Appreacuteciation de la Cour

79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est

applicable en lrsquoespegravece

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21

80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo

le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves

lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler

lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un

individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir

de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres

comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la

mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune

diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi

preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809

sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH

2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)

De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi

de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi

preacuteciteacute sect 95)

81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte

le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question

(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux

circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte

dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est

courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans

lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute

de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun

(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)

82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la

Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du

5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission

du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait

que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait

une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission

conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave

reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne

comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de

choisir sa reacutesidence

83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant

la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour

souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une

commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5

(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des

22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave

un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans

une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie

essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi

que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute

assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de

Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la

zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi

permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans

laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute

sect 95)

84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans

plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance

speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees

(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de

reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et

lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction

de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises

agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave

des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires

preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un

endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des

contacts sociaux

86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon

lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-

deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile

et donc agrave une privation de liberteacute

87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son

degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507

sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la

Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova

c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov

c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu

c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note

eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee

ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23

sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH

2001-IX)

88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la

preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient

lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle

rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de

circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de

changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la

surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct

que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la

journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir

des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas

du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission

de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence

89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas

entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation

90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est

incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute

en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4

91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du

requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en

lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties

92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens

de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie

de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956

en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute

judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait

symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de

la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication

desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime

que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans

lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour

le citoyen

24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui

ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne

pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que

la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine

de deacutetention

95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune

erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il

ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab

origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute

sociale

96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute

soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un

jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le

requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la

proceacutedure

b) Le Gouvernement

97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont

assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune

proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait

sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et

justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et

eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales

98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en

particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014

(paragraphe 63 ci-dessus)

99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun

controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises

la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives

lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et

lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence

lieacutee agrave la deacutefense sociale

100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant

la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention

personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi

no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les

mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les

tribunaux

101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence

interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee

peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc

lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25

102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre

circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la

sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la

jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour

drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre

(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait

pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67

ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu

pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que

par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation

103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des

preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations

qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de

Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a

disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir

gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence

104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute

personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se

trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre

dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer

(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann

c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la

Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre

preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme

paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre

entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie

no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute

sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)

105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees

au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91

ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la

loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet

article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique

26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo

i Principes geacuteneacuteraux

106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots

laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait

une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en

cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans

ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58

CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]

no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195

sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30

CEDH 2004-I)

107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo

est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune

norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler

sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave

mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause

les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces

conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude

absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En

outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois

drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements

de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des

choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et

lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni

(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993

sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34

CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)

108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en

aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du

contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du

nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique

no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt

c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7

Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef

aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne

(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)

109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre

une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique

(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute

sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee

bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de

figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver

et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27

ii Application de ces principes en lrsquoespegravece

110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave

la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique

qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees

au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient

une base leacutegale en droit interne

111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible

Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave

la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et

sur son droit agrave la liberteacute de circulation

112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956

reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne

conteste pas

113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce

faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les

mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures

114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la

preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute

dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient

pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles

eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)

la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel

qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de

premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du

tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que

telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans

les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que

lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la

loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision

reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de

la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et

vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro

preacuteciteacute sect 45)

115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun

manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par

conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux

destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la

lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle

italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de

personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que

certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo

(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en

28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute

appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes

auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour

constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait

une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme

socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des

cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier

lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir

lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la

reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a

indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees

sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation

objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle

et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa

propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour

constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)

117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour

constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les

critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention

lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les

juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle

nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements

speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute

sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles

mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de

maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer

comme socialement dangereux

118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication

de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune

tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer

un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal

a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait

que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se

caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau

local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16

ci-dessus)

En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat

drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle

avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour

deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures

preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)

En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute

requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation

consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29

lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec

une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences

arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec

un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention

119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi

no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que

certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur

contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les

dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le

respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la

conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas

precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute

(paragraphe 59 ci-dessus)

120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle

dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil

eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la

Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines

des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance

speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses

interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La

Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale

121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010

nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de

preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi

en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait

neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la

deacutefense sociale

122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre

honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo

aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour

constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le

laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie

respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi

impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des

lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5

lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications

suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour

lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter

ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes

peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice

suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi

indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun

30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un

indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute

Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee

de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu

des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas

mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle

123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par

la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de

participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite

temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est

entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge

124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large

pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les

modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures

de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute

entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles

125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des

termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les

mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)

ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que

cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se

deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute

de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques

respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de

preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse

127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour

de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les

mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et

eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique

II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA

CONVENTION

128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal

et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6

sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute

laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement

publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial

eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31

caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre

elle raquo

129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant

A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement

130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre

contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la

requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant

le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi

qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du

regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de

proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du

regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)

131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait

des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa

eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale

132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties

pertinentes

laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du

rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure

()

c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus

de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte

Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de

lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo

133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans

laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de

radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent

de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune

deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski

c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie

(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri

SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)

no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)

no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203

16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)

no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811

sectsect 18-19 7 octobre 2014)

134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre

indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la

32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement

deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se

poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise

pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement

amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui

permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base

suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme

garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de

lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)

135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la

nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont

analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes

la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le

gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par

la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave

lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]

no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)

136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration

unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les

griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations

de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens

Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces

concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend

fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et

Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)

137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le

Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au

titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle

relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice

moral

138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de

mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1

(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26

Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607

sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007

sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de

jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux

proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par

conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres

proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures

de preacutevention patrimoniales

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33

139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des

circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant

de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies

140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la

radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1

c) de la Convention

B Sur la recevabiliteacute

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est

applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de

preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du

citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il

ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que

lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives

agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales

b) Le Gouvernement

142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet

2 Appreacuteciation de la Cour

143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de

la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se

comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait

lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108

Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil

144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet

laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un

laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu

en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit

srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien

lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice

enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le

droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant

pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto

c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]

no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]

no 3757504 sect 90 CEDH 2012)

34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit

ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de

lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe

administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef

preacuteciteacute sect 74)

146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se

caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant

ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la

Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En

conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere

civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts

c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V

Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)

147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son

volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte

carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les

reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de

caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette

disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de

lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31

20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites

pendant un an)

148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26

CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et

Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute

lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire

lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees

aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un

nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle

continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la

limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)

la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant

affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute

seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la

Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a

jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles

visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et

partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)

149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits

de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre

drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par

exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par

mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication

eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35

peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens

familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea

preacuteciteacute sect 106)

150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406

sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges

concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et

uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure

quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre

ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus

placeacutes en cellule de seacutecuriteacute

151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre

jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne

portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des

reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun

individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012

Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)

152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les

affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions

imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec

la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des

liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La

Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la

commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six

heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas

utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour

communiquer

153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et

seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance

speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute

deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu

que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere

154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par

le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas

srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions

publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la

personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis

Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)

155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif

aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de

lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione

materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave

lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute

36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre

motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable

C Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le requeacuterant

156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave

un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier

drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et

que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave

la violation subie

157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil

eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et

les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre

septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la

suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004

pour eacutevasion

158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au

dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de

la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un

individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en

1973

159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le

requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les

preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait

honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait

mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme

ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute

la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer

alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)

b) Le Gouvernement

160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010

la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la

jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les

articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la

mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute

des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures

de preacutevention

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37

161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les

juridictions internes

162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le

Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a

eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont

ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour

drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a

simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute

pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le

requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis

drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a

pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour

drsquoappel

163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue

un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir

une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui

permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la

nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila

c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)

164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement

reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de

publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute

inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi

no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de

demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave

lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)

166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de

publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de

preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre

et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone

preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)

167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la

tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions

internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant

son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour

lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila

preacuteciteacute sect 41)

38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a

eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention

b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure

169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure

devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le

respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties

contractantes

170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre

des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction

interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux

droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple

Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez

c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles

peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6

de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable

elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur

appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des

juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute

par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle

conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle

de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle

ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des

tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour

arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans

c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie

no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108

sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65

CEDH 2015)

171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la

Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions

nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par

cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa

pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres

Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)

172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee

conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint

pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de

Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour

drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de

preacutevention

173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39

III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA

CONVENTION

174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation

devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation

de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose

laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute

violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors

mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice

de leurs fonctions officielles raquo

175 Le Gouvernement conteste cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne

lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de

lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se

heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer

recevable

B Sur le fond

1 Thegraveses des parties

a) Le Gouvernement

177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas

deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le

requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel

b) Le requeacuterant

178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif

permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la

Convention et 2 du Protocole no 4

2 Appreacuteciation de la Cour

a) Les principes applicables

179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit

interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes

proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent

drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux

obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau

40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut

examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement

approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en

fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en

tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment

que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes

ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi

Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les

renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95

Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit

interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de

lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A

no 116)

180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en

droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au

regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni

27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre

aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales

comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni

25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux

qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la

Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)

b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece

181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est

deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit

italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses

droits proteacutegeacutes par la Convention

182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon

lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation

drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes

nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure

contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis

Riener preacuteciteacute sect 138)

183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee

effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la

possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la

Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de

maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de

lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13

eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance

effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41

c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM

c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)

184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la

cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale

assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement

Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure

litigieuse

185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a

donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer

les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu

violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION

186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention

laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer

qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie

leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo

A Dommage

187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage

mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour

188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de

20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au

reacutegime de surveillance speacuteciale

189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41

190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa

pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y

a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral

B Frais et deacutepens

191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et

deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux

exposeacutes devant la Cour

192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point

193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent

eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En

lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa

42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE

jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant

reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus

C Inteacuterecircts moratoires

194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires

sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale

europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte

formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration

unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences

devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari

2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la

Convention

3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole

no 4

4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la

Convention

6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du

deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de

Bari

7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable

8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention

9 Dit agrave lrsquounanimiteacute

a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les

sommes suivantes

i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc

agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43

ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout

montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais

et deacutepens

b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces

montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la

faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable

pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage

10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable

pour le surplus

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017

Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute

Adjoint au greffier Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees

suivantes

ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta

Keller et Kjoslashlbro

ndash opinion concordante du juge Dedov

ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute

ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić

ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque

ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris

AS

JC

44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES

RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO

1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre

selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait

reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de

surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut

de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a

permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse

2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires

dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne

3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la

matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la

Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure

soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des

circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie

6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)

4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo

c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]

no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie

no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa

c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)

no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale

avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction

de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence

interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de

prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de

freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave

des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des

circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la

Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de

lrsquoarticle 2 du protocole no 4

5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de

la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation

applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire

Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non

seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas

laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce

dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre

leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45

requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas

formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse

6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi

no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de

preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave

lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi

eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec

une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de

preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de

preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour

(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)

7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence

qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant

que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle

avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de

savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention

eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas

eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres

Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute

que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956

en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs

port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas

suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait

ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison

de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour

constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute

applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute

personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)

8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se

sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct

(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct

nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence

drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures

de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier

sur les mesures applicables

9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante

que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy

avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des

destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables

10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct

no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si

lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec

lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement

le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere

46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des

lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision

leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer

(principio di tassativitagrave)

11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante

pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de

maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des

significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le

contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi

no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la

personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant

lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule

laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a

preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave

soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le

contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956

comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale

de freacutequenter certains lieux ou individus

12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la

Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux

faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave

partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la

teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le

cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis

cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en

lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui

existait deacutejagrave au moment des faits

13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute

clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties

importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour

que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute

par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le

raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956

telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait

drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le

raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de

la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en

compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales

anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et

les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees

Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base

factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest

justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies

par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47

jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la

reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En

tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils

eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les

circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de

personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la

dureacutee des mesures applicables

14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien

laquo preacutevues par la loi raquo

15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de

circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de

lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno

deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)

16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses

nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo

17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute

deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin

social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave

cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la

justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes

nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent

remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question

de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention

(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et

3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]

no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)

18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure

incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend

effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre

(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501

sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49

26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure

restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir

disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge

automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96

CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et

Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)

19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller

agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et

proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement

ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre

les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des

48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802

sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre

au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la

proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le

Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A

no 43)

20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de

soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de

certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une

activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au

requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait

les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans

son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le

requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun

eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute

deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation

approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait

entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa

libeacuteration

21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs

invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant

nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il

nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante

du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre

appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4

22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans

le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a

fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au

requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de

lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait

commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee

ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le

deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari

23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption

drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le

requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification

de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la

deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois

dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour

drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre

disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant

Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49

responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous

notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune

telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables

agrave celles de la preacutesente espegravece

24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave

la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires

dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo

25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de

lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la

mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence

50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour

constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre

ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et

deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits

fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest

pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de

faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient

et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce

chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont

ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et

drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour

drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation

Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute

uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les

autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil

conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et

psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait

ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres

personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base

volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le

preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures

coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes

elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une

assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas

convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela

signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de

faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute

(Traduction)

Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime

eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de

preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont

applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes

(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir

souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet

peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion

seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque

52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ

Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les

raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto

de Albuquerque

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matiegraveres

I Introduction (sect 1)

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect

9-11)

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)

VI Conclusion (sectsect 59-60)

I Introduction (sect 1)

1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de

lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au

requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une

mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave

reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives

revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation

du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient

1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation

relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales

et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956

54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et

de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention

Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en

faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les

mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi

des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans

reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du

deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions

La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la

deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des

articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui

srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de

violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de

recours internes dans la preacutesente affaire

Premiegravere partie (sectsect 2-31)

II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de

preacutevention (sectsect 2-11)

A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)

2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention

personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions

pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent

simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de

sucircreteacute (misure di sicurezza)

Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le

principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations

sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes

sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de

preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]

principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali

deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti

illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro

verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions

2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient

en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de

reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig

Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche

Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato

laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55

de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment

avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute

personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3

Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins

preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en

geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions

peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en

appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une

approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans

celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de

faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les

mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une

rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en

regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4

La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de

preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption

drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della

Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de

compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient

pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun

individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention

ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples

soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement

subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e

incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5

Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a

retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les

laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro

che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al

3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question

de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles

13 25 et 27 de la Constitution italienne

4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione

delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi

criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una

figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve

sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore

ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto

alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo

5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour

constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione

possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva

valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che

siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo

da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o

applica le misure di prevenzione raquo

56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes

auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements

factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)

3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964

concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention

personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois

au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en

raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande

Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre

assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de

telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle

des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer

enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En

2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de

demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une

audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En

substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec

lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta

4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees

en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant

leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di

proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de

proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la

seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure

peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la

premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin

de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible

lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo

des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans

ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des

sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le

6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct

7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22

feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la

Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir

par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de

cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention

ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien

qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce

groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa

pas fourni les donneacutees requises

8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo

9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne

voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57

soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi

no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus

dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de

mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956

5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956

eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions

draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du

suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de

la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement

laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect

commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de

restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme

une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi

comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures

personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la

commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base

leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait

pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi

de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13

En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un

effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un

facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses

infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec

lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc

exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect

ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux

effets personnels dommageables desdites mesures leur effet

10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi

di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986

11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999

Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure

peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de

preacutevention

12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo

AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974

Milan 1975

13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle

de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5

Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et

Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004

14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e

secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da

persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della

sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal

momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12

58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique

mais aussi sur lrsquoapplication de la loi

6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de

sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in

idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux

distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait

la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal

permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave

la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve

peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de

compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient

combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale

(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo

ergastolo)19

7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956

eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la

proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui

eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce

contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les

exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de

mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la

proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de

preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les

effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21

Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi

de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage

laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses

crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait

grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme

moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle

coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours

8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le

principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les

termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne

sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia

16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM

17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi

18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano

19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp

Tumminelli Rv 194062

20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis

par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di

prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)

21 Balbi preacuteciteacute p 17

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59

socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait

les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter

delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste

quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles

ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale

passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie

drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait

qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale

fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si

eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die

Tat25

B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention

(sectsect 9-11)

9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette

laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la

compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest

concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans

laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si

les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le

deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a

toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques

mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se

contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere

occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas

saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28

10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de

preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de

lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la

22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra

lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione

inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla

criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome

2002

23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la

proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17

24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen

1975 III

25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945

Scritti giuridici I p 678

26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197

CEDH 2004-VI

27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39

28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013

60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau

moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a

jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu

rupture du juste eacutequilibre30

11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public

drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention

patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31

Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable

concernant les mesures de preacutevention personnelles

En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les

garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans

le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le

preacutesent arrecirct change le cours des choses

III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-

31)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)

12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une

privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5

de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes

dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve

laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation

concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la

dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des

mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la

deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes

drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte

29 Ibidem sect 26

30 Ibidem sect 27

31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie

no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30

5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et

Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012

Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH

2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres

c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010

34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61

et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui

srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35

13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de

preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait

eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet

soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute

contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25

kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant

dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance

Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions

comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires

mentionneacutees ci-dessus36

14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient

similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se

preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la

surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de

lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas

precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six

heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en

temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes

cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des

reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire

Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de

vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees

exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437

15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la

Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en

vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre

cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par

le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne

constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la

liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux

35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22

et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III

36 Voir note no 26

37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes

38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui

affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre

eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du

Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5

sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais

omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion

62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit

expresseacutement dans Ciulla39

16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au

requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De

Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes

restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le

requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone

ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des

mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute

ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave

lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas

sortir le matin avant six heures

En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours

combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville

particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee

de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de

condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne

deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles

de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si

esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles

qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere

onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction

relative aux communications teacuteleacutephoniques

17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui

devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son

correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique

longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les

teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute

eacutevidence aggravait sa situation

18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser

exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider

pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation

concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a

eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier

2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il

convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour

strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la

cateacutegorie des privations de liberteacute raquo

39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une

disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs

que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire

allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)

40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63

concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien

moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41

19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la

Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji

lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de

lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une

interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des

autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en

regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant

qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois

lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres

laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition

en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de

chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition

relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)

renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces

dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave

la violence jusqursquoagrave cinq ans

En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait

pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins

drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de

surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata

necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune

peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans

20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de

liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux

preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si

lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de

1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la

liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece

41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311

douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598

sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004

Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni

28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de

trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)

no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos

c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de

quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne

no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement

pendant six heures et demie

42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016

64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la

Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)

21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre

de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des

personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi

de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)

22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour

restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne

suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le

citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement

risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et

quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple

raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions

vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme

la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret

de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude

eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43

23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin

dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent

eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort

convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a

eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans

les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144

25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation

agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction

donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs

agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas

43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes

auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement

deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera

organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali

ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare

allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di

prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della

pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance

implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956

44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute

sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie

no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII

45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65

celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo

de la laquo condamnation raquo46

26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention

du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de

la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par

la loi49

27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant

ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas

de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de

laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre

une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La

raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour

un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction

concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de

1956

28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas

mineur

29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait

drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition

30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54

31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour

ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec

le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention

deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5

sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave

mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la

question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du

droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des

infractions peacutenales

Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention

ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o

praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales

46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50

47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101

48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil

1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie

no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010

49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et

Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005

50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102

51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox

Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182

52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103

53 Ibidem sect 98

54 Ibidem sect 103

66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)

IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention

(sectsect 32-48)

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention

(sectsect 32-43)

32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans

la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la

qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature

mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont

lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non

cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en

matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature

laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une

sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la

laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche

cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave

une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo56

33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les

diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des

mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes

Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi

de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la

Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite

dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir

criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y

a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela

correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la

personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les

termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona

sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)

34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de

1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses

droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi

35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le

suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un

55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs

c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007

57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67

large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller

jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite

pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de

surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable

36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme

considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant

de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps

dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento

commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di

sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son

arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de

preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute

preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun

mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des

principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar

des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le

principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61

37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et

speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient

eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du

suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute

sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun

lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et

ses objectifs62

38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi

de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans

drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de

58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une

mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient

appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement

(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)

59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza

personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non

sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto

comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono

considerarsi una delle due species di un unico genus raquo

60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle

61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193

62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo

Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di

pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in

onore di B Petrocelli vol III 1972

63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes

ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees

Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre

de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement

68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait

consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des

peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal

39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles

geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure

peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention

personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct

no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale

ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde

est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad

essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue

de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention

srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di

citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire

imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui

devait ecirctre motiveacutee64

40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable

srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa

deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella

(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de

preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)

41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il

serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de

1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui

(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave

la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter

les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun

deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave

la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956

ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par

un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)

42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires

relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de

la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune

proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions

disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant

64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23

65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73

seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130

CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50

CEDH 2006-XIII

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69

confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6

devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66

43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention

personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les

critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67

La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif

des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste

des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que

la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de

prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est

si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6

La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent

ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal

B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et

eacutequitable (sectsect 44-48)

44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent

se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence

drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours

Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute

violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons

45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct

no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale

pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait

subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la

proceacutedure devant les juridictions internes

46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des

preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005

comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le

requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant

une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave

costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli

assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation

du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions

alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale

(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la

personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que

les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de

surveillance speacuteciale concernaient une autre personne

66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet

peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus

67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83

70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises

dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes

et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur

telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure

Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que

deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause

48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu

violation de cette disposition

V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)

A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)

49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de

lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves

Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales

vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon

disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il

faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant

pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour

drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas

eacuteteacute respecteacute

50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en

cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive

puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a

pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste

eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu

51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de

recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la

Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour

drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme

instance

52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la

reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit

pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref

deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et

mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir

si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute

68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa

reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont

eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences

leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71

doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai

raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la

lumiegravere des circonstances de chaque affaire69

53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible

avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de

lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun

constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee

du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale

(sectsect 54-58)

54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation

eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune

violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie

par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En

lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation

de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le

requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de

la Convention

55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave

reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo

preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou

maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code

de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave

lrsquoalineacutea 2)

56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute

que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale

les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention

injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En

outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que

le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif

que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la

conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui

comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation

de liberteacute

69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII

Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33

30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003

70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008

71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X

72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne

permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une

demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La

lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence

pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de

demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de

surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes

ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune

dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72

58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de

lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute

relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de

lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas

permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest

ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai

VI Conclusion (sectsect 59-60)

59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave

la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes

le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces

articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques

liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la

lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la

preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute

et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees

par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits

fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion

60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute

eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui

srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera

le mieux

72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45

73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898

sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46

74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de

la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux

arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie

dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo

imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car

comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne

appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du

requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave

lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures

auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees

laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En

particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans

lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes

pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute

appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)

contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo

des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien

plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes

notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises

individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute

imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort

reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances

factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5

Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le

laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de

la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa

liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et

prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les

effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre

privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou

drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne

puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention

preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece

on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)

2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait

pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()

privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi

le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi

une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait

pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6

74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute

dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est

applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas

signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est

consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie

au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre

une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave

lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce

Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation

de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle

disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la

Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le

Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des

affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute

Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans

les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une

interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus

positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa

pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de

lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute

ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier

3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5

est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans

leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures

laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de

lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au

regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens

commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle

comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun

Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces

mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un

copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles

ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la

situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que

lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo

alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait

laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source

de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures

eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans

son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu

de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le

matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les

autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75

drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave

domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je

souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la

majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile

parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre

en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des

canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la

mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne

pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans

avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme

une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au

regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de

Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse

Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard

du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute

ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le

requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre

emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de

celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable

Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses

4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et

difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au

requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils

radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet

notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)

Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au

requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de

lui interdire de communiquer par certains moyens

5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre

drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai

drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre

lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et

de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]

teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de

conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave

Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille

habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se

seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire

laquo inutile raquo

6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter

des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures

de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de

parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave

freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune

76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de

jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions

mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait

reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il

assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et

sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave

quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas

trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)

degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo

(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)

7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil

y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu

besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4

agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere

injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel

essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes

il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que

toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par

deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation

de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus

geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5

Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas

eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2

du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)

8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave

lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil

y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute

laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la

surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la

proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute

drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la

Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la

majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie

(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest

pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la

reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de

lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere

geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du

droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme

paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait

que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les

conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi

9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute

drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77

lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures

relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce

qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les

dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de

lrsquoarrecirct)

Cette abstention signifie sucircrement quelque chose

10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la

majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre

aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est

totalement omis dans le raisonnement

Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant

preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier

montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses

moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)

Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une

reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute

deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement

laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo

11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la

majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au

droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)

Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves

eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo

personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent

des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute

soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute

recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette

circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire

examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au

meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est

deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime

On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses

Absence totale de preacutejudice

En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans

cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable

Eacutequitable

12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune

voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain

de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le

paragraphe 103)

La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche

Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave

les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer

les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En

78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les

mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le

deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction

supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la

juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme

drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le

contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]

pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute

tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la

dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)

Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo

Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au

deacutetriment de la jurisprudence

13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments

favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait

que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit

selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de

commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune

reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees

avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de

lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle

13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur

application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc

14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche

de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant

au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave

voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre

guillemets

15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956

interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la

disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention

personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures

de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)

Non non non et encore non

La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles

sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette

appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees

agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la

base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes

deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur

conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo

iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles

commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79

lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la

tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois

cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute

et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)

Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories

nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise

par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme

laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de

la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas

meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre

M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait

ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le

passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre

M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave

incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce

dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les

eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et

inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand

En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins

pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle

permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de

laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de

lrsquoarticle 1 de la loi

16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant

Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune

erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex

tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)

Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne

Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest

tout

17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures

laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave

une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence

de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune

personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent

guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme

18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent

que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses

restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des

laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo

preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et

indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu

subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive

80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES

dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits

auxquels on lrsquoapplique

Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la

regravegle de droit

19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12

ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari

laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement

reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure

la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si

ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette

deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin

agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui

commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne

20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la

situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de

savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le

requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les

indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient

laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces

consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo

litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale

21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu

violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec

le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la

question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la

question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo

comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche

drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur

indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont

appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce

raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien

rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des

avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je

ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de

lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre

utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles

cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce

requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce

nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas

suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement

geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que

cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler

de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors

qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre

ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81

22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en

question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes

auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique

ajouteacute)

On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo

veut-elle aussi dire au requeacuterant

Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le

raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste

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