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LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE par ÉRIC DAVID

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LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

par

ÉRIC DAVID

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E. DAVID

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333

Chapitre I. Une institution dépendant de la bonne volonté des Etats . . . 337

A. Le mode de création de la CPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 337B. Les possibilités d’action de la CPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340

1. La compétence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340a) Les compétences ratione gentis et ratione loci . . . . . . . . 340b) La compétence ratione temporis . . . . . . . . . . . . . . . . 344c) La compétence ratione materiae . . . . . . . . . . . . . . . . 346

2. La recevabilité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3483. Les éventuels obstacles politiques et juridiques à la saisine de la

CPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 351

C. La coopération entre la Cour et les Etats . . . . . . . . . . . . . . . 358D. Les tempéraments à l’emprise des Etats sur la Cour . . . . . . . . . 361

1. La compétence de la CPI à se prononcer sur les exceptions decompétence et de recevabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361

2. La saisine de la CPI par le Conseil de sécurité . . . . . . . . . . 362

Chapitre II. Les compétences ratione personae et ratione materiae . . . . 369

A. Les compétences ratione personae . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369B. Les compétences ratione materiae . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370

1. L’agression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3702. Le génocide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3723. Le crime contre l’humanité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372

a) L’élément matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3731) La gravité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3732) Le contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3743) Les objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3754) Les auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3775) Les victimes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 378

b) L’élément subjectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3784. Les crimes de guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380

a) L’élément matériel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3801) La variété des crimes de guerre . . . . . . . . . . . . . . . 3812) Le contexte de la perpétration des crimes de guerre . . . . 3823) Le caractère international du conflit . . . . . . . . . . . . 3834) Le caractère non international du conflit . . . . . . . . . . 385

b) L’élément subjectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 390

Chapitre III. Un système, à la fois, proche et distinct des tribunaux pé-naux internationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391

A. L’organisation institutionnelle de la CPI . . . . . . . . . . . . . . . 391B. L’information et l’instruction de l’affaire . . . . . . . . . . . . . . . 396

1. L’examen par le Procureur de l’opportunité d’ouvrir une enquête 397

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2. Les conséquences de l’examen du Procureur . . . . . . . . . . . 397a) Le Procureur décide d’ouvrir une enquête . . . . . . . . . . . 398b) Le Procureur refuse d’ouvrir une enquête . . . . . . . . . . . 400

3. L’instruction de l’affaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402C. Les prises de corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403D. Le procès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 404

1. Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4042. Les droits de l’accusé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4043. La preuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4054. La participation des victimes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 408

a) La participation des victimes au procès pénal . . . . . . . . . 4091) Les droits reconnus aux victimes . . . . . . . . . . . . . . 4092) Les droits que la Chambre peut concéder aux victimes . . 414

b) La procédure en réparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4145. Les moyens de défense de l’accusé . . . . . . . . . . . . . . . . 418

a) La qualité officielle de l’accusé . . . . . . . . . . . . . . . . 420b) L’absence de mens rea . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424

1) La déficience mentale et l’erreur . . . . . . . . . . . . . . 4242) L’ordre supérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4243) La légitime défense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4254) L’état de nécessité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4315) La contrainte irrésistible . . . . . . . . . . . . . . . . . . 433

E. Le jugement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 434F. La procédure par défaut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 437G. L’exécution des condamnations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 438

Chapitre IV. La coopération entre la Cour et les Etats . . . . . . . . . . . 439

A. L’objet de la coopération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 439B. Les principes de coopération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 439C. Les modalités de coopération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 442D. Les problèmes de coopération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 442

1. Le champ d’application ratione personae des « accords art. 98 » . 4432. Le champ d’application ratione temporis des « accords art. 98 » . 4443. Le champ d’application ratione materiae des « accords art. 98 » . 444

Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 447

Eléments bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 450

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 451

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NOTICE BIOGRAPHIQUE

Eric David, né le 19 octobre 1943 à Bruxelles.Professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles (ULB) pour les cours

suivants : droit international public ; droit des organisations internationales ; élé-ments de droit pénal international ; droit des conflits armés.

Ancien directeur du Centre de droit international de l’ULB (1996-2000) ;directeur du Diplôme d’études spécialisées (DES) en droit international à lafaculté de droit de l’ULB depuis 1996 ; président du Centre de droit internatio-nal de l’ULB depuis janvier 2003.

Titulaire de chaires Francqui à titre belge aux facultés Notre-Dame de la Paixà Namur (2002) et à la faculté de droit de la Katholieke Universiteit Leuven (2003).

Professeur invité dans diverses universités étrangères.Président de la Commission consultative de droit international humanitaire de

la Croix-Rouge de Belgique (section francophone) (depuis 1996).Pratique du droit international : consultations pour les Nations Unies, des Etats

étrangers, des assemblées législatives, des avocats belges et étrangers, des orga-nisations non gouvernementales.

Pratique du contentieux de droit international public dans l’ordre juridiqueinterne, arbitrage, et comparution, en qualité de conseil, pour divers Etats devantla Cour internationale de Justice et le Tribunal pénal international pour leRwanda.

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PRINCIPALES PUBLICATIONS

Mercenaires et volontaires internationaux en droit des gens, Bruxelles, Editionsde l’Université de Bruxelles, 1978 (prix Henri Rolin 1977).

Principes de droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant (première édition,couronnée du prix de la Paix 1994 décerné par la Fondation Auschwitz et leCentre de la paix de la Ville d’Anvers et prix Paul Reuter 1994 décerné par leComité international de la Croix-Rouge), 3e éd., 2002 ; trad. en russe en 2000.

Eléments de droit pénal international, Presses universitaires de Bruxelles, 10e éd.,5 vol., 2003.

Droit des gens, Presses universitaires de Bruxelles, dix-neuvième édition ducours de J. Salmon, revue et augmentée par E. David, 2004.

Code de droit international humanitaire (avec F. Tulkens et D. Vandermeersch),2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2004.

Code de droit international public (avec C. Van Assche), 2e éd., Bruxelles,Bruylant, 2004.

Code de droit international pénal, Bruxelles, Bruylant, 2004.Droit des organisations internationales, Presses universitaires de Bruxelles,

16e éd., 2005.Plusieurs dizaines d’articles scientifiques dans des revues de droit internatio-

nal, belges et étrangères.

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1. Yearbook of the ILC 1950, II, p. 379.2. Rapport annuel du Secrétaire général sur l’activité de l’Organisation,

1951-1952, A/2141 (anglais), p. 155 ; 1952-1953, A(2404), p. 149 ; 1953-1954,A/2663, p. 111 ; 1954-1955, A/2911, p. 110.

3. A/Rés. 898 (IX), 14 décembre 1954.4. A/Rés. 36/106, 10 décembre 1981.

INTRODUCTION

1. L’idée de créer une cour pénale internationale permanenteremonte à 1948 ; l’article VI de la convention signée cette année-làsur le crime de génocide prévoyait que les personnes accusées de cecrime pourraient être renvoyées devant une telle cour. Encore fallait-il la créer...

A cet effet, l’Assemblée générale des Nations Unies invitait le9 décembre 1948 la Commission du droit international (CDI) à exa-miner s’il était « souhaitable et possible » de constituer cette cour(A/Rés. 260 (III) B).

Bien que la CDI 1 et un comité spécial composé de représentantsd’Etats membres créé par l’Assemblée générale des Nations Unies 2

se fussent prononcés en faveur de la création d’une telle juridiction,celle-ci ne voyait pas le jour. En 1954, en effet, l’Assemblée géné-rale décidait d’ajourner l’examen de cette question qui était étroite-ment liée au projet de code des crimes contre la paix et à la défini-tion de l’agression 3.

Pourtant, en 1973, c’était au tour de la Convention contre l’apar-theid (art. V) de prévoir la possibilité de déférer les personnes accu-sées de ces crimes devant un tribunal pénal international.

L’agression fut définie l’année suivante et, en 1981, l’Assembléegénérale des Nations Unies invita la CDI à reprendre ses travaux surle projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’huma-nité 4.

On pouvait donc aussi envisager une réactivation du projet decréation d’une cour pénale internationale.

C’est ce qui arriva en 1989 quand l’Assemblée générale demandaà la CDI d’étudier cette question dans le cadre du projet de code descrimes contre la paix et la sécurité de l’humanité et d’envisager lacompétence de cette cour pour les personnes coupables de trafic illi-

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5. A/Rés. 44/39, 4 décembre 1989; sur les premières discussions de la Com-mission à ce sujet, voir Rapport CDI 1990, Nations Unies, doc. A/45/10, pp. 29-43 ;B. Graefrath, « Universal Criminal Jurisdiction and an International CriminalCourt », Eur. JIL, 1990, pp. 67-88; M. Benouna, «La création d’une juridictionpénale internationale et la souveraineté des Etats», AFDI, 1990, pp. 299-306.

6. A/Rés. 47/33, 25 novembre 1992.7. S/Rés. 827, 25 mai 1993 (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougosla-

vie (TPIY)), et S/Rés. 955, 8 novembre 1994 (Tribunal pénal international pourle Rwanda (TPIR)).

8. Report of the ILC 1994, Nations Unies, doc. A/49/10, pp. 43-161.9. Rapport du Comité ad hoc pour la création d’une cour criminelle interna-

tionale, Nations Unies, doc. A/50/82, 6 septembre 1995.10. Rapport du Comité préparatoire pour la création d’une cour criminelle

internationale, Nations Unies, doc. A/51/22, 13 septembre 1996, vol. I ; vol. II(compilation des propositions). D’autres rapports ont été adoptés en 1997 et1998.

cite de stupéfiants 5. En 1992, l’Assemblée générale demandait à laCDI d’étudier en priorité un projet de statut de cour pénale interna-tionale 6.

La création des tribunaux pénaux internationaux (TPI) ad hoc parle Conseil de sécurité 7 a probablement donné un coup de fouet auxtravaux de la CDI puisque moins d’un an après la naissance du Tri-bunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), la CDI sor-tait son projet final de statut pour une cour permanente internatio-nale 8.

2. Le projet a alors été soumis à l’Assemblée générale desNations Unies qui décidait de le renvoyer d’abord à un comité adhoc 9, puis à une commission préparatoire 10 pour la création d’unecour que les traducteurs des Nations Unies, victimes de certains« faux amis », s’évertuaient à appeler « Cour criminelle internatio-nale », traduction littérale d’« International Criminal Court ». L’inten-tion n’étant sans doute pas de créer une cour maffieuse, on commet-tait alors, sinon un crime contre le français, du moins uneincorrection linguistique…

C’est en adoptant le statut définitif de la cour que la conférence diplo-matique convoquée à Rome du 15 juin au 17 juillet 1998 la baptisaplus justement, en français, «Cour pénale internationale» (CPI).

3. Au-delà de ces contingences linguistiques, le Statut de la CPIa connu un enfantement laborieux.

La CDI avait rédigé un projet de texte particulièrement restrictif,notamment dans la mesure où, en dehors de l’hypothèse où la Courétait saisie par le Conseil de sécurité, les pouvoirs du procureur

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11. E. David, « The International Criminal Court : What is the Point ? », dansK. Wellens (dir. publ.), International Law : Theory and Practice, Essays inHonour of Eric Suy, La Haye, Nijhoff, 1998, pp. 637 ss.

12. W. R. Pace and J. Schense, « The Role of Non-Governmental Organiza-tions », dans A. Cassese, P. Gaeta, J. R. W. D. Jones (dir. publ.), The Rome Sta-tute of the ICC, a Commentary, Oxford Univ. Press, 2002, I, p. 115 (ouvrage citéci-après comme suit : « A. Cassese et al. (dir. publ.) »).

13. P. Kirsch. et D. Robinson, « Reaching Agreement at the Rome Confe-rence », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), I, p. 77.

14. A. Pellet, « Entry into Force and Amendment of the Statute », ibid.,p. 145.

dépendaient presque totalement de la bonne volonté des Etats, desorte que son indépendance devenait purement formelle 11.

D’emblée, ce projet suscita l’opposition d’un certain nombre d’Etatsprogressistes — les «Etats pilotes» (les « like-minded States») (dontla Belgique) — soucieux de créer une juridiction pénale internatio-nale digne de ce nom, tandis que d’autres Etats s’accrochaient à laconception d’une cour docile et attentive à leurs seuls desiderata.

Aucune des principales contradictions n’était résolue lorsques’ouvrit la Conférence de Rome, le 15 juin 1998. Peu d’Etatscroyaient, alors, en la possibilité d’adopter le Statut de la CPI en unesession. C’est pourtant le tour de force qui a été réalisé, non sansqu’il faille saluer, ici, le rôle moteur joué par les organisations nongouvernementales, au nombre de huit cents regroupées au sein de lacoalition pour la CPI, dont deux cent trente-six étaient accréditéespour participer à la Conférence 12. Ce n’est, cependant, que dans lestout derniers jours de la Conférence que celle-ci réussit à s’entendresur un texte qui fut voté par 120 voix contre 7 et 21 abstentions : levote n’ayant pas été enregistré, on ne connaît pas avec exactitudel’identité des votants 13. On peut toutefois en identifier certains grâceà leurs déclarations après le vote ; on sait ainsi que la Chine, lesEtats-Unis d’Amérique, l’Inde et Israël ont voté contre (sans sur-prise…) et que le Mexique, Singapour, la Turquie et divers Etatsarabes se sont abstenus 14.

Texte de compromis, le Statut représente un certain progrès parrapport au projet de la CDI en termes d’indépendance du Procureuret de la Cour, même si, comme on le verra, l’on reste encore loind’une justice jouissant d’une liberté d’action analogue à celle dontbénéficie la justice dans tout Etat démocratique.

4. Les textes de base de la CPI sont relativement longs : unStatut de 128 articles, un Règlement de procédure et de preuve de

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225 « règles », un Règlement de la CPI de 126 « normes », auxquelss’ajoutent divers autres textes tels que les Eléments des crimes. Enoutre, bon nombre de ces dispositions sont parfois fort détaillées, etbeaucoup plus complexes et développées que les statuts et les règle-ments de procédure et de preuve des TPI qui ne comptent, respecti-vement, chacun, qu’environ 30 et 130 dispositions.

Comme il est exclu de faire une exégèse détaillée de tous cestextes, on se bornera ici à présenter les principaux caractères de laCPI en examinant, successivement, la soumission de la CPI à labonne volonté des Etats (chapitre I), les particularités de ses compé-tences (chapitre II), des similitudes et des différences avec les TPIaux plans institutionnel et procédural (chapitre III) et les questionsde coopération avec les Etats (chapitre IV).

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15. Report of the ILC 1994, pp. 45, 158 ; Rapport du Comité ad hoc, op. cit.,p. 3 ; Rapport du Comité préparatoire, op. cit., p. 9.

16. S. A. Williams, dans O. Triffterer (dir. publ.), Commentary on the RomeStatute of the International Crimnal Court, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesell-schaft, 1999 (cité ci-après : « O. Triffterer (dir. publ.) »), p. 341.

CHAPITRE I

UNE INSTITUTION DÉPENDANT DE LA BONNE VOLONTÉDES ÉTATS

1.1 La soumission de la CPI à la bonne volonté des Etats semanifeste principalement dans son mode de création (A), ses possi-bilités d’action (B) et la coopération avec les Etats (C). Il existe tou-tefois quelques tempéraments à cette dépendance (D).

A. Le mode de création de la CPI

1.2 Contrairement aux statuts des TPI qui, ayant été créés autori-tairement par une décision du Conseil de sécurité, s’imposaient ipsojure à l’ensemble des Etats membres des Nations Unies grâce auxvertus conjuguées des articles 25 et 103 de la Charte, le Statut de laCPI est une convention internationale qui ne lie évidemment que lesEtats qui acceptent d’y devenir parties.

On avait bien songé un moment faire de la Cour un septièmeorgane principal des Nations Unies par amendement à la Charte 15.Cette procédure aurait permis à l’amendement d’entrer en vigueurpour tous les Etats membres une fois que les conditions requises parl’article 108 de la Charte (vote de l’amendement par les deux tiersde l’Assemblée générale des Nations Unies et approbation ultérieurepar les deux tiers des Etats membres, y compris les cinq membrespermanents du Conseil de sécurité) auraient été satisfaites. Cettesolution a toutefois été écartée au profit d’une approche purementconventionnelle, donc volontariste.

En ne s’imposant qu’aux Etats qui acceptent le Statut, la Cour estdonc d’emblée soumise aux aléas de la bonne volonté des Etats. Onpouvait donc craindre que les Etats dont les dirigeants pourraientêtre impliqués dans des infractions relevant de la compétence de laCour ne se hâtent guère de se lier au Statut ou de le reconnaître 16. Laréalité politique est cependant plus complexe puisque certains Etats

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17. Sauf indication contraire, les numéros d’articles renvoient systématique-ment aux dispositions du Statut.

18. E. David, « L’influence du Statut de la CPI sur les législations internes »,Vingt-troisième Table ronde de San Remo, 2-4 septembre 1998.

connaissant des situations troublées ont non seulement ratifié le Sta-tut ou reconnu la compétence de la CPI, mais ont même saisi le Pro-cureur pour qu’il enquête sur les crimes commis dans ces pays(infra, paragraphes 1.12 et 3.20).

1.3 Le Statut de la CPI est entré en vigueur le 1er juillet 2002, soit,le soixantième jour qui suivait le mois au cours duquel avait été déposéle soixantième instrument de ratification ou d’adhésion (Statut,art. 126 17). A cette date, soixante-seize Etats étaient parties au Statut.

Ce résultat était prometteur : même si cent vingt Etats avaient votéen faveur du Statut, on se rappellera que la Convention de Viennesur le droit des traités qui codifiait des matières politiquement moinssensibles avait été adoptée le 22 mai 1969 par 79 voix contre une et19 abstentions, et n’avait obtenu les trente-cinq ratifications/adhé-sions nécessaires à son entrée en vigueur que le 27 décembre 1979(entrée en vigueur trente jours plus tard), soit plus de dix ans aprèsson adoption ; la Convention de Montego Bay adoptée le 30 avril1982 (ouverte à la signature le 10 décembre 1982) par 130 voix,4 non et 17 abstentions, n’obtint les soixante ratifications/adhésionsnécessaires à son entrée en vigueur que le 16 novembre 1993 (entréeen vigueur douze mois plus tard).

Certes, d’autres conventions multilatérales ont connu un succèsplus rapide. Ainsi, il n’a pas fallu quatre ans à la Convention deParis du 13 janvier 1993 sur l’interdiction des armes chimiques pourréunir les soixante-cinq ratifications/adhésions (31 octobre 1996)nécessaires à son entrée en vigueur (29 avril 1997), mais cetteconvention codifiait une obligation (l’interdiction d’employer desarmes chimiques) qui, pour l’essentiel, liait la communauté interna-tionale depuis 1899 (Déclaration de La Haye du 29 juillet 1899 surl’interdiction d’employer des gaz) même si elle y ajoutait une obli-gation de désarmement ainsi que des mécanismes particulièrementcomplexes d’inspection.

En ce qui concerne le Statut de la CPI, si l’on pense, d’une part,au caractère délicat des matières traitées, d’autre part, à la nécessitépour les Etats d’adapter leur législation interne 18, il faut saluer larapidité de son entrée en vigueur.

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19. http://untreaty.un.org/FRENCH/bible/frenchinternetbible/partI/chapterX-VIII/treaty10.asp.

20. A. Pellet, «Applicable Law», dans A. Cassese et al. (dir. publ.), II, p. 1064.21. Nations Unies, doc. PCNICC/2000/INF/3/Add.1, 12 juillet 2000.22. A. Pellet, loc. cit., p. 1065.23. Texte sur www.icc-cpi.int/library/about/officialjournal/ICC-BD-010104-

Rev0105_French.pdf.24. Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 2, par. 1, al. g) : « l’ex-

pression « partie » s’entend d’un Etat qui a consenti à être lié par le traité et àl’égard duquel le traité est en vigueur ».

A l’exception de la République tchèque, tous les Etats de l’Unioneuropéenne sont parties au Statut.

A ce jour, quatre-vingt-dix-neuf Etats sont parties au Statut et centtrente-neuf l’ont signé. Deux Etats signataires ont dénoncé leursignature : les Etats-Unis (6 mai 2002) et Israël (28 août 2002) 19.

1.4 Autre expression de la surveillance des Etats sur la CPI : lerèglement de procédure et de preuve, qui, dans le cas des TPI, estadopté par les juges conformément à ce que prévoient leurs statuts(art. 15/art. 14), est, dans le cas de la CPI, confié à l’Assemblée desEtats parties au Statut de la CPI (art. 51, par. 1) (sauf indicationcontraire, les numéros d’articles renvoient au Statut de la Cour).

Même remarque pour le Règlement de la Cour qui concerne lefonctionnement quotidien de la Cour et qui, lui, est adopté par lesjuges ; toutefois, le Règlement n’est réputé définitif que si la majoritédes Etats parties n’émet pas d’objection (art. 52, par. 3) 20.

Accélération inattendue de l’Histoire : les Etats n’ont pas attendul’entrée en vigueur du Statut et l’établissement de l’Assemblée desEtats parties pour rédiger le règlement de procédure et de preuve.Celui-ci a été adopté le 12 juillet 2000 à l’issue de plusieurs sessionsde la Commission préparatoire de la CPI 21. Sa longueur (deux centvingt-cinq règles) atteste, elle aussi, du souci des Etats sinon de bri-der, du moins d’encadrer la liberté d’action de la Cour 22.

Quant au Règlement de la Cour, les juges l’ont adopté le 26 mai2004 23.

1.5 De même, les éléments constitutifs des crimes de droit inter-national humanitaire entrant dans la compétence de la Cour auxtermes du Statut, à savoir, le génocide, les crimes contre l’humanitéet les crimes de guerre, ne peuvent être définis que par l’Assembléedes Etats parties (art. 9, par. 1), c’est-à-dire, une assemblée compo-sée d’Etats qui, en principe, ne peut exister qu’après l’entrée envigueur du Statut, conformément à la définition de l’Etat partie 24.

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25. Nations Unies, doc. PCNICC/2000/INF/3/Add.2, 6 juillet 2000.26. Pour un commentaire des éléments constitutifs des crimes de guerre, voir

K. Dörmann (avec L. Doswald-Beck et R. Kolb), Elements of War Crimes underthe Rome Statute of the International Criminal Court, Cambridge UP and ICRC,2003 ; voir aussi M. Politi, « Elements of Crimes », dans A. Cassese et al. (dir.publ.), I, pp. 443-474.

27. E. Gadirov, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 309; A. Pellet, «Applicable Law»,dans A. Cassese et al. (dir. publ.), II, pp. 1061-1062; K. Dörmann, op. cit., p. 8.

Ici aussi, la Commission préparatoire a pris les devants et adopté,en juillet 2000, un projet sur les éléments constitutifs des crimes 25,mais conformément à ce que prescrit l’article 9 du Statut, ce projetn’a été adopté formellement par l’Assemblée des Etats parties que le9 septembre 2002.

Le texte est supposé définir les éléments constitutifs de chacundes crimes énumérés aux articles 6 à 8 du Statut 26. Selon l’article 9,ces éléments constitutifs doivent aider « la Cour à interpréter etappliquer les articles 6, 7 et 8 » (art. 9, par. 1).

1.6 L’objectif de l’exercice est quelque peu étrange : nombreuxsont les Etats où le législateur n’a pas cherché à décortiquer chaqueinfraction sans que cela n’empêche la justice pénale de ces Etats defonctionner normalement.

Quant au résultat, il n’est pas moins déconcertant : outre le faitque les éléments des crimes se bornent à paraphraser les infractionsdu Statut en répétant les éléments matériels et psychologiques quifigurent dans le Statut, ces éléments ne doivent servir, selon l’ar-ticle 9, qu’à aider les juges à qualifier les faits qui leur sont soumis.Autrement dit, ces éléments ne devraient pas avoir de force juridiqueobligatoire 27.

B. Les possibilités d’action de la CPI

1.7 Les possibilités d’action de la CPI doivent être analysées sousl’angle de sa compétence (1), de la recevabilité des affaires (2) et desobstacles éventuels à sa saisine (3). A chacune de ces étapes, les Etats,ou certains d’entre eux, peuvent faire obstacle aux poursuites.

1. La compétence

a) Les compétences ratione gentis et ratione loci

1.8 La Cour n’est compétente qu’à l’égard des crimes commissur le territoire d’un Etat partie ou par un national d’un Etat partie

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28. L. Condorelli, loc. cit., p. 16.29. S. A. Williams, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 341.30. TPIY, aff. IT-99-37-PT, Milutinovic , 6 mai 2003, op. indiv. Robinson,

par. 25-26.31. E. David, « The International Criminal Court… », loc. cit., pp. 639-645.

(art. 12, par. 2). C’est pourquoi, on peut parler de compétencesratione loci, « ratione gentis » ou « ratione fori » de la Cour 28. Cettecompétence n’est donc pas universelle 29. L’est-elle davantage en casde renvoi à la Cour d’une affaire par le Conseil de sécurité (infra,paragraphe 1.48) ? 30 Ce n’est pas certain : la compétence de la Courreste liée, en l’occurrence, au territoire d’un Etat ; elle ne s’étend pasaux crimes commis partout dans le monde.

Cette limitation de la compétence de la CPI est cohérente avec lefait d’inscrire le Statut dans une convention soumise à un processusd’acceptations volontaires. Une Cour instituée conventionnellementne peut avoir d’effet que vis-à-vis des Etats parties, et il a étéconvenu que cet effet consisterait à reconnaître l’aptitude de la Courà juger des faits commis soit sur le territoire de ces Etats, soit par unde leurs nationaux.

1.9 Le système est certes restrictif par rapport à l’idée — sansdoute utopique — d’une Cour apte à connaître de toutes les infrac-tions prévues à son Statut quels que soient la nationalité de leurauteur ou le lieu de leur perpétration, mais il est aussi largement enprogrès au regard de celui imaginé par la CDI où, en gros, il fallaitque non seulement les Etats concernés par une infraction soient par-ties au Statut de la Cour, mais en outre qu’ils aient expressémentreconnu sa compétence (projet CDI, art. 21-25) 31. Désormais, l’Etatpartie au Statut est, ipso jure, censé avoir reconnu la compétence dela Cour (art. 12, par. 1).

Une reconnaissance expresse de compétence n’est plus requiseque pour les Etats tiers concernés par une des infractions prévues auStatut : l’article 12, paragraphe 3, prévoit, en effet, qu’ils peuventreconnaître la compétence de la Cour par une déclaration déposéeauprès du greffier. Cette reconnaissance, aux termes de l’article 12,paragraphe 3, combinés avec ceux de l’article 12, paragraphe 2,concerne un crime visé au Statut et commis par un national de cetEtat ou sur le territoire de ce dernier. On verra qu’elle doit être pluslarge et viser une situation plutôt qu’un crime en particulier (infra,paragraphe 1.12).

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32. R. Wedgwood, « The International Criminal Court : An American View »,EJIL, 1999, p. 102.

33. Les dispositions du Règlement de procédure et de preuve sont appelées« règles » ; sauf indication contraire, toute « règle » suivie de son numéro renvoieà une disposition de ce règlement.

34. H.-P. Kaul, « Preconditions to the Exercise of Jurisdiction », dans A. Cas-sese et al. (dir. publ.), 2002, I, p. 611.

1.10 Le fonctionnement de la Cour n’en dépend pas moins de labonne volonté des Etats puisqu’elle ne peut connaître des infractionsque si celles-ci concernent un Etat

— qui accepte le Statut ; ou— qui reconnaît la compétence de la Cour.

Autrement dit, la Cour ne jouit pas de la compétence universellepourtant reconnue par le droit international à tout parquet dans toutEtat pour les infractions visées au Statut.

1.11 Il existe toutefois des limites à la tutelle étatique. Ainsi, lesconditions relatives aux compétences ratione gentis et ratione locine sont pas cumulatives (malgré la formulation un peu ambiguë dutexte français de l’article 12, paragraphe 2, du Statut). En quelquesorte, la compétence de la Cour apparaît comme une subrogation dela compétence territoriale ou de la compétence personnelle activeque pourrait exercer ou bien l’Etat du lieu de l’infraction, ou bienl’Etat de la nationalité de son auteur. Par conséquent, si l’infractionest commise sur le territoire d’un Etat par le national d’un autre Etat,la Cour peut en connaître si un seul des deux Etats concernés est par-tie au Statut ou a reconnu la compétence de la Cour (art. 12, par. 3).

1.12 L’Etat non partie peut-il ne reconnaître la compétence de laCPI que pour un seul crime, conformément à ce que semble prévoirl’article 12, paragraphe 3 ? Ainsi, imaginerait-on qu’un Etat enguerre, non partie au Statut de Rome, reconnaisse la compétence dela CPI pour un crime bien spécifique, commis par son adversaire,sans que la CPI ne puisse connaître d’autres crimes commis par lesforces de l’Etat reconnaissant ? Ce serait, selon un auteur, consacrerune « responsabilité asymétrique » 32. Selon un autre auteur, la Com-mission préparatoire de la CPI avait été sensible au problème, etconsidéré que le « crime » visé à l’article 12, paragraphe 3, devaitêtre compris au sens de « situation » et que telle était d’ailleurs laportée de la règle 44 33 du Règlement de procédure et de preuve 34.Selon la règle 44, lorsqu’un Etat reconnaît la compétence de la CPI,

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35. Communiqué de presse de la CPI, 15 février 2002, sur www.icc-cpi.int/press/pressreleases/93.html, consulté le 19 juillet 2005.

le greffier informe cet Etat que sa reconnaissance vaut acceptationde la compétence « à l’égard des crimes visés à l’article 5 auxquelsrenvoie la situation considérée » (l’italique est de nous). Autrementdit, la règle 44 suggère de manière un peu alambiquée qu’on ne peutreconnaître la compétence de la Cour que pour une situation et nonpour un crime précis. La règle 44 interpréterait l’article 12, para-graphe 3, sur ce point.

A vrai dire, le raisonnement n’est que partiellement convaincantcar, en parlant de « situation », la règle 44 modifie le sens clair del’article 12, paragraphe 3, qui ne parle que de « crime » ; or, « en casde conflit entre le Statut et le Règlement de procédure et de preuve,le Statut prévaut » (art. 51, par. 5). Il serait sans doute nécessaireque, lors de la conférence de révision du Statut, l’article 12, para-graphe 3, soit dûment modifié pour éviter toute ambiguïté, si jamais,le problème devait se poser.

Pour l’instant, un seul Etat a reconnu la compétence de la CPI etil l’a fait non pour un crime, mais pour une situation ; c’est la Côted’Ivoire qui « a consenti à ce que la CPI exerce sa compétence pourles crimes commis sur le territoire ivoirien depuis les événements du19 septembre 2002 » 35. Ce précédent lié à la règle 44 permet, peut-être, de considérer qu’il existe une pratique interprétative n’autori-sant que des reconnaissances de situations, et non des reconnais-sances de crimes « à la carte » — ce qui, après tout, est plusconforme à l’idée d’une justice égale pour tous.

1.13 Si, en mars 2003, à la veille de l’intervention américaine etbritannique en Irak, celui-ci avait reconnu la compétence de la CPI,conformément à l’article 12 du Statut : il en aurait résulté que lesnationaux de l’Etat le plus hostile à la CPI — les Etats-Unis —eussent relevé de sa juridiction au cas où ils auraient commis descrimes de guerre au cours du conflit. On comprend, dans ces condi-tions, l’hostilité des Etats-Unis à la CPI, même si, dans l’exempleconsidéré, les Irakiens en eussent aussi relevé.

L’intérêt d’une reconnaissance de compétence n’est pas seulementpolitique, comme on vient de le voir. Il réside aussi dans le faitqu’elle produit immédiatement ses effets vis-à-vis de l’Etat qui yprocède, alors qu’un engagement à se lier au Statut par ratification

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36. TPIR, aff. ICTR-97-27-AR72 et 96-11-AR72, Nahimana et Ngeze, 5 sep-tembre 2000, spéc. op. indiv. Shahabbudeen, Recueil 2000 (II), pp. 1960 et1969 ss.

37. S. Bourgon, « Jurisdiction Ratione Temporis », dans A. Cassese et al. (dir.publ.), I, p. 550.

ou adhésion ne produit pas d’effet avant, au minimum, soixantejours (Statut, art. 126, par. 2).

On pourrait imaginer que la Palestine agisse de même : certes,cela soulèverait le problème du statut d’Etat de la Palestine, maiscela ne manquerait pas de gêner Israël dans beaucoup de ses actionsmilitaires contre les Palestiniens. Cela concernerait aussi, bien sûr,les terroristes palestiniens, bien qu’il ne soit pas sûr que cela les dis-suade beaucoup de commettre des attentats-suicides…

b) La compétence ratione temporis

1.14 Indépendamment des aléas liés à l’acceptation du Statutpar les Etats pour son entrée en vigueur, la Cour n’est compétentequ’à l’égard des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut(art. 11, par. 1). Il en va de même à l’égard de tout Etat qui devientpartie au Statut par la suite : la Cour ne peut connaître d’infractionscommises sur le territoire de cet Etat et par un national de cet Etatque postérieurement à l’entrée en vigueur du Statut à l’égard de cetEtat (art. 11, par. 2).

Un Etat peut donc différer son adhésion au Statut aussi longtempsqu’il existe une probabilité ou des craintes que des infractions leconcernant et relevant de la compétence de la Cour puissent êtrecommises, à moins que le Conseil de sécurité ne décide de soumettreà la CPI la situation de cet Etat (infra, paragraphe 1.48).

1.15 Il ressort toutefois de la pratique relative aux limitesratione temporis de la compétence d’une juridiction, en général, quela CPI pourrait examiner des événements antérieurs à la date à partirde laquelle elle est compétente, en ce compris des crimes imputés àl’accusé, pour autant que ceux-ci ne soient pas l’objet d’une préven-tion à charge de l’accusé 36. Un tel examen pourrait s’avérer néces-saire pour qualifier de génocide ou déterminer la mens rea d’unensemble de crimes commis avant et après cette date 37.

En outre, dans l’hypothèse d’une infraction continue dont le débutest antérieur à la date de la compétence ratione temporis de la Cour

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38. Déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la protectionde toutes les personnes contre les disparitions forcées, 18 décembre 1992,art. 17, par. 1, A/Rés. 47/133.

39. S. A. Williams, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 328.

mais qui se prolonge au-delà de cette date — par exemple, une dis-parition forcée 38 — la CPI devrait aussi pouvoir en connaître.

1.16 Selon l’article 11, paragraphe 2, lorsqu’un Etat devient par-tie au Statut, la CPI n’est compétente, vis-à-vis de cet Etat, que pourles crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut pour cet Etat,à moins que celui-ci ne déclare reconnaître la compétence de la Couren vertu de l’article 12, paragraphe 3. Cette formule signifie certai-nement que l’Etat, en devenant partie au Statut, peut simultanémentfaire une déclaration de reconnaissance du Statut qui a pour effet quela Cour devient immédiatement compétente à l’égard des crimesconcernant cet Etat, sans attendre le délai de deux mois minimumprévu à l’article 126, paragraphe 2.

Peut-on aller plus loin et considérer que l’Etat peut faire rétroagirla compétence de la CPI à des crimes commis avant son acceptationdu Statut ? La doctrine semble l’admettre dans le respect de la règlenullum crimen sine lege 39. Il semble toutefois difficile d’imaginer,eu égard aux termes stricts de l’article 11, paragraphe 1, que la CPIpuisse être saisie de crimes commis avant l’entrée en vigueur du Sta-tut, le 1er juillet 2002.

En revanche, le Statut n’exclut pas clairement la compétence de laCPI à l’égard de crimes commis entre cette date et le moment où unEtat reconnaîtrait la compétence de la CPI. La lettre de l’article 12,paragraphe 3, confirme la possibilité pour la CPI de connaître decrimes commis entre l’entrée en vigueur du Statut et la reconnais-sance de la compétence de la CPI par un Etat : en parlant du consen-tement de l’Etat « à ce que la Cour exerce sa compétence à l’égarddu crime dont il s’agit », l’article 12, paragraphe 3, se réfère à uncrime déjà commis. Le fait de parler de « situation » plutôt que de« crime » (supra, paragraphe 1.12) n’y change rien. Dans ces limites,un Etat pourrait, rétrospectivement, reconnaître la compétence de laCour. Inutile de souligner l’intérêt politique de cette potentialité pourcertains Etats ou certains gouvernements qui souhaiteraient que jus-tice soit rendue pour des crimes commis par leurs prédécesseurs,mais qui, pour des raisons politiques diverses, préféreraient que laCPI s’en charge…

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40. L. Condorelli et S. Villalpando, « Can the Security Council Extend theICC’s Jurisdiction ? », A. Cassese et al. (dir. publ.), I, pp. 571-582.

41. Ibid., p. 579.42. Ibid., p. 581.43. Ibid.44. Nations Unies, doc. A/58/874, 20 août 2004.

1.17 L’article 13, alinéa b), autorise-t-il le Conseil de sécurité àétendre les compétences de la CPI à des crimes commis avant l’en-trée en vigueur du Statut ? 40 La réponse semble, a priori, négativedès lors que, le Conseil de sécurité doit agir « conformément auxbuts et principes des Nations Unies » (Charte, art. 24, par. 2), que cesbuts comprennent la nécessité d’agir « conformément aux principesde la justice et du droit international » (Charte, art. 1, par. 1), que leStatut fait partie du droit international et que, par conséquent, leConseil de sécurité ne peut pas déroger au Statut 41.

Il a toutefois été observé que, si le Conseil de sécurité peut, selon,l’article 13, alinéa b), du Statut, saisir la CPI d’une situation concer-nant un Etat non partie au Statut, cela ne devrait pas l’empêcher desaisir la CPI d’une situation antérieure à la date d’entrée en vigueurdu Statut, contrairement à ce que prévoit l’article 11 du Statut 42,qu’il s’agisse d’une situation antérieure à l’entrée en vigueur géné-rale du Statut, au 1er juillet 2002, ou antérieure à l’entrée en vigueurdu Statut pour un Etat qui devient partie au Statut après cette date.Encore une fois, la CPI ne pourrait connaître que de faits incriminéspar le droit en vigueur à l’époque.

L’article 103 de la Charte tend à justifier cette solution 43, mais laCPI serait-elle tenue d’y donner suite dès lors qu’elle n’est passubordonnée au Conseil et n’est pas membre des Nations Unies ?

De toute façon, le problème est académique depuis que lesNations Unies et la CPI ont conclu un accord régissant leursrelations mutuelles et disposant, en son article 2, que « l’ONU etla Cour s’engagent à respecter mutuellement leur statut et leurmandat » 44.

Dans le cas du Darfour, le Conseil de sécurité n’a, d’ailleurs,déféré à la CPI la situation dans cette partie du Soudan que pour lapériode commençant le 1er juillet 2002 (infra, paragraphe 1.48).

c) La compétence ratione materiae

1.18 La Cour est compétente pour connaître de quatre types decrimes : agression, génocide, crimes contre l’humanité et crimes de

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45. Cf. A. Zimmerman, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 105.46. Annuaire CDI 1994, II, deuxième partie, p. 46 ; G. Gaja, « The Long Jour-

ney towards Repressing Aggression », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), I,pp. 430 et 433.

47. http ://untreaty.un.org/FRENCH/bible/frenchinternetbible/partI/chapterX-VIII/treaty10.asp.

guerre (art. 5, par. 1) (sur le détail de ces incriminations, infra, para-graphes 2.4 et suivants).

La Cour ne pourra toutefois connaître du crime d’agression que lejour où le crime aura été défini par une conférence de révision desstatuts qui aura lieu sept ans après l’entrée en vigueur du Statut(article 5, paragraphe 2, combiné avec les articles 121 et 123). Enoutre, il est vraisemblable que l’on s’acheminera vers une définitionoù la Cour ne pourra connaître du crime que dans l’hypothèse où ilaura été, préalablement, constaté par le Conseil de sécurité 45, ainsique le prévoyait le projet initial de statut de « cour criminelle inter-nationale » établi par la CDI, en 1994 (projet CDI, art. 23, par. 2) 46.

Ici aussi, l’emprise des Etats sur la compétence de la CPI est évi-dente.

1.19 En ce qui concerne les crimes de guerre, les Etats peuvent,par une déclaration unilatérale déposée lors de l’acceptation du Sta-tut, différer pour une période de sept ans la compétence de la Cour àl’égard de ces crimes lorsqu’ils sont commis par leurs nationaux ousur leur territoire (art. 124).

Ici aussi, les Etats sont donc autorisés à limiter, au gré de leursintérêts du moment, la compétence de la Cour. A ce jour, deux Etatsont usé de cette faculté : la France et la Colombie lorsqu’elles ontratifié le Statut de la Cour, respectivement, le 9 juin 2000 et le 5 août2002 ! 47

On ne voit cependant pas très bien l’intérêt de ces déclarationsdès lors que le principe de complémentarité (ci-dessous) autorise —voire, oblige — les Etats à poursuivre eux-mêmes les auteurs de cescrimes, ce qui évite que la CPI exerce sa compétence à la seulecondition que ces poursuites soient sérieuses (art. 17, par. 1).

En outre, plus les Etats seront nombreux à devenir parties au Sta-tut sans faire ce type de déclaration, plus les chances seront grandesque le crime de guerre d’un ressortissant d’un Etat partie ayant faitcette déclaration soit commis sur le territoire d’un Etat partie n’ayantpas fait la déclaration. En pareil cas, le texte clair de l’article 12,paragraphe 1, alinéa b), permet à la CPI de connaître du crime sur la

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48. A. Pellet, « Entry into Force and Amendment of the Statute », dans A.Cassese et al. (dir. publ.), I, p. 170.

49. A. Pellet, « Applicable Law », ibid., II, p. 1061.50. E. David, « The International Criminal Court… », loc. cit., pp. 633-636.

seule base du critère territorial puisque les critères de territorialité ducrime ou de nationalité de l’auteur énoncés par cet article sont alter-natifs ; du coup la déclaration d’exclusion deviendrait sans effet 48.

1.20 Ainsi qu’on le verra, les crimes de droit internationalhumanitaire ont fait l’objet de dispositions particulièrementdétaillées aux articles 6 à 8. On pouvait penser qu’avec autant deprécisions on ne risquait guère de voir les juges confondre un vol àl’étalage avec un crime contre l’humanité... Apparemment, on n’estjamais trop prudent et le Statut prévoit que les éléments constitutifsdes crimes de droit international humanitaire doivent être définis parles Etats afin d’«aider» les juges à faire des qualifications correctes(art. 9, par. 1). Comme on l’a écrit : « Once again, and even morethan for the statutory definitions themselves, this logic reveals greatsuspicion of the judges. » 49

1.21 On voit donc que, pour tout ou partie des compétencesratione gentis, loci, temporis et materiae de la Cour, les Etats ontvoulu garder la CPI sous contrôle. Ils se sont même réservé le droit,à des degrés divers, de faire obstacle à l’exercice de ces compé-tences, mais on constate aussi que, dans ces limites, le système pré-sente des potentialités qu’il ne faut pas négliger.

2. La recevabilité

1.22 Contrairement aux tribunaux pénaux internationaux, dontla compétence prime celle des Etats, la compétence pénale des Etatsprime celle de la Cour. Celle-ci ne doit en effet servir que de com-plément à la justice pénale des Etats (préambule, dixième considé-rant, et art. 1).

Cette conception qui figurait déjà dans le projet de la CDI (préam-bule, troisième considérant) 50 a été reprise et réglementée par le Statut.

Concrètement, cela implique que la Cour doit déclarer irrecevabletoute affaire portée devant elle par le Procureur dès lors qu’elledonne, ou a déjà donné lieu, à enquête, poursuite ou jugement dansun Etat (art. 17, par. 1, et 20, par. 3).

Le Statut ne dit pas que cet Etat doit y être partie : la complémen-

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51. Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Darfouren application de la résolution 1564 du Conseil de sécurité, Nations Unies,doc. S/2005/60, 25 janvier 2005, par. 616.

52. Nations Unies, doc. S/PV. 5158, 31 mars 2005 (français, provisoire),intervention du Danemark, p. 6.

tarité joue vis-à-vis de n’importe quel Etat (cf. art. 18, par. 1, pre-mière phrase), à savoir

— l’Etat où le crime a été commis ;— l’Etat de la nationalité de l’auteur ou de la victime ;— tout autre Etat qui souhaiterait exercer la compétence univer-

selle 51 : autrement dit, l’exercice effectif de cette compétence faitobstacle à des poursuites par la CPI; lors du renvoi, par le Conseilde sécurité, de la situation du Darfour à la CPI (infra, para-graphe 1.48), on a observé que ce renvoi n’avait pas «d’incidencesur la compétence universelle des Etats membres à l’égard notam-ment des crimes de guerre, du terrorisme ou de la torture» 52.

Toutefois, si la procédure engagée au plan national semble pure-ment symbolique, ou si elle ne traduit pas l’intention réelle de répri-mer l’infraction, ou si l’appareil judiciaire est incapable de menerl’enquête ou les poursuites, en raison de son indisponibilité ou deson effondrement total ou partiel, la Cour est alors fondée à enconnaître (art. 17, par. 2-3).

1.23 En va-t-il autrement si l’enquête ou les poursuites sonteffectives et sérieuses mais ne peuvent déboucher sur une véritablerépression faute de pouvoir appréhender l’auteur d’un crime visé parle Statut ? Par exemple, des poursuites par défaut, quel que soit lefondement de la compétence exercée (territoriale, personnelle activeou passive, universelle, etc.), pourraient-elles satisfaire la complé-mentarité ?

A priori, une réponse affirmative est possible car la lettre de l’ar-ticle 17 n’exclut pas formellement ce type d’hypothèse.

Toutefois, dire que le principe de complémentarité est satisfaitparce que des poursuites in absentia sont entreprises contredirait lavolonté des pères du Statut de « mettre un terme à l’impunité desauteurs de ces crimes » (préambule, cinquième considérant). Mettreun terme à l’impunité suppose une répression effective, réelle, passimplement théorique ou potentielle. Sinon, on pourrait soutenirqu’un Etat disposant d’une justice efficace et sérieuse mais qui déci-derait de ne pas poursuivre l’auteur d’un crime visé au Statut rem-

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53. Cf. F. Lattanzi, loc. cit., p. 429.54. Sentinelle du 17 avril 2005, note A. Sampo, dans www.sfdi.org/actua-

lites/Sentinelle_15n.htm.

plirait parfaitement le critère de la complémentarité puisque l’on nese trouverait dans aucun des cas prévus par l’article 17 ! Du coup, leStatut perdrait, dans une large mesure, sa raison d’être.

Telle ne pouvait être l’intention exprimée par les Etats, notam-ment aux considérants 4 à 6 du préambule du Statut de Rome.L’effet utile qu’il faut reconnaître à l’ensemble du texte incite àconclure que la recevabilité d’une cause ne doit pas se limiter auxseules hypothèses visées à l’article 17 ; si l’Etat qui fait, simplement,semblant de poursuivre ne peut empêcher le Procureur de pour-suivre, a fortiori en va-t-il de même lorsque l’Etat refuse sciemmentde poursuivre, ou exerce des poursuites qui ne peuvent débouchersur la répression réelle du crime.

1.24 Ce système devrait en principe inciter les Etats à exercerleurs compétences vis-à-vis d’une personne soupçonnée d’avoir com-mis un des crimes visés au Statut et se trouvant sous leur juridiction.La carence de l’Etat ne conduirait pas nécessairement à une condamna-tion de celui-ci par la Cour 53 — le Statut ne prévoit pas l’exercicepar la Cour de pareille compétence — mais dans la mesure où cettecarence apparaîtrait comme une violation de l’obligation générale derépression des crimes visés au Statut (cf. préambule, quatrième àsixième considérant), le fait pour la Cour de se saisir de l’affaire met-trait en lumière le fait illicite de l’Etat aux yeux de la communautéinternationale. L’Etat souhaitera sans doute éviter ce type de publicité.

1.25 La question va se poser dans le cas du Darfour : saisie decette affaire par le Conseil de sécurité, la CPI va devoir apprécier laréalité des enquêtes entreprises par les autorités soudanaises, ainsique l’a précisé le procureur L. Moreno Ocampo 54.

1.26 La Cour peut également déclarer l’affaire irrecevable si ellene l’estime pas suffisamment grave (art. 17, par. 1, al. d)), mais celaest indépendant des questions de complémentarité.

Le cas où la justice est rendue dans un Etat de manière effective(trop…), mais non conforme aux principes du procès équitable n’estpas une cause d’irrecevabilité aux termes du Statut. Rien n’empê-cherait toutefois, dans ce cas, le Conseil de sécurité de saisir la Coursur la base de l’article 13, alinéa b) (infra, paragraphe 1.48).

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55. E. David, « The International Criminal Court… », loc. cit., pp. 635-636.

1.27 En faisant prévaloir la justice pénale des Etats sur celle dela Cour, le Statut continue à placer la Cour dans une situation desubordination par rapport à la volonté des Etats.

En outre, la Cour perd la puissance symbolique d’une justiceinternationale représentant la volonté de la communauté internatio-nale de condamner les auteurs des crimes les plus graves qui peuventêtre commis 55.

3. Les éventuels obstacles politiques et juridiquesà la saisine de la CPI

1.28 La Cour peut être saisie d’une infraction relevant de sacompétence ratione materiae (agression, génocide, crime contrel’humanité, crime de guerre) par le Procureur agissant proprio motu(art. 15, par. 1) au vu de renseignements qui lui parviennent de toutesource. On détaillera plus loin la portée et la réglementation de cepouvoir (infra, paragraphes 3.12 et suivants).

1.29 Si le Procureur jouit d’une indépendance totale dans ladécision d’ouvrir une information ou de demander l’autorisationd’ouvrir une enquête, le Conseil de sécurité peut, toutefois, décider,en vertu du chapitre VII de la Charte, qu’aucune enquête ou pour-suite ne seront engagées pendant un an renouvelable (art. 16) : autre-ment dit, le Conseil de sécurité peut faire prévaloir des raisons poli-tiques, mais aussi juridiques puisqu’elles figurent dans un texte dedroit (la Charte) — à savoir, le maintien de la paix et de la sécuritéinternationales — pour empêcher le Procureur d’entreprendre despoursuites ou une enquête à propos des crimes les plus graves dontun individu peut se rendre coupable…

Or comme la décision formelle d’ouvrir une enquête est subor-donnée par le Statut à une autorisation de la Chambre préliminaire(art. 15, par. 4) et comme cette dernière est aussi habilitée, dans cer-tains cas, à demander au Procureur de revoir sa décision de ne paspoursuivre (art. 53, par. 1, in fine, et art. 53, par. 3, al. b)), sans pré-judice des décisions que la Cour pourrait être appelée à rendre pourconfirmer sa compétence et la recevabilité de la requête (art. 17-19),on constate que le Conseil de sécurité est fondé à empiéter sur lespouvoirs tant du Procureur que de la Cour.

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56. TPIY, app., aff. IT-94-1-A-AR77, Vujin/Tadic , 27 février 2001, www.un.org/icty/tadic/appeal/vujin-f/vuj-aj010227f.htm ; Comité des droits de l’homme,observation no 29, 24 juillet 2001, Rapport du Comité des droits de l’homme,Nations Unies, doc. A/56/40, fr., 2001, p. 191.

57. Principes adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la pré-vention du crime et le traitement des délinquants, Milan, 26 août-6 septembre1985, approuvés par l’Assemblée générale des Nations Unies, A/Rés. 40/146,13 décembre 1985, par. 2 (résolution adoptée sans vote).

En d’autres termes, ce qui est impensable depuis deux ou troissiècles (selon les pays) dans tout Etat où l’on applique strictement leprincipe de la séparation des pouvoirs est possible au plan interna-tional. Dans les relations internationales, la raison des Etats prévautencore sur le droit !

1.30 On peut d’ailleurs s’interroger sur la validité juridique del’article 16. Dans la mesure où cette disposition porte atteinte auprincipe fondamental de l’indépendance de la magistrature reconnupar les instruments protecteurs des droits de la personne (Déclarationuniverselle des droits de l’homme, art. 10 ; Pacte relatif aux droitscivils et politiques, art. 14, par. 1 ; etc.), elle paraît contraire auxrègles du droit au procès équitable, règles que la Chambre d’appeldu TPIY et le Comité des droits de l’homme ont qualifiées de règlesimpératives du droit international ! 56

Or, comme le Conseil de sécurité doit agir « conformément auxbuts et principes des Nations Unies » (Charte, art. 24, par. 2), les-quels comprennent le respect des « principes de la justice et du droitinternational » (Charte, art. 1, par. 1), il en découlerait que l’ar-ticle 16 ne pourrait justifier une intervention du Conseil de sécuritédans les enquêtes et poursuites du Procureur.

1.31 En sens inverse, on observera qu’aux termes mêmes desPrincipes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature,d’une part :

« Les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisisimpartialement, d’après les faits et conformément à la loi, sansrestrictions et sans être l’objet d’influences, incitations, pres-sions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes,de la part de qui que ce soit et pour quelque raison que ce soit »(par. 2 ; l’italique est de nous),

d’autre part : « La justice s’exerce à l’abri de toute intervention injus-tifiée ou ingérence … » (par. 4 ; l’italique est de nous) 57.

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58. L. Condorelli et S. Villalpando, « Referral and Deferral by the SecurityCouncil », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), 2002, I, pp. 646-647, 650.

59. Ibid., p. 648 ; voir aussi TPIY, app., aff. IT-94-1-AR72, 2 octobre 1995,Tadic , p. 13, par. 28.

60. Voir, entre autres, T. M. Franck, « The “Powers of Appreciation” : Who Isthe Ultimate Guardian of UN Legality », AJIL, 1992, pp. 522-523 ; Hommage àFrançois Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993, pp. 92-93 ; plus restrictivement, id.,dans Mélanges Schermers, op. cit., I, p. 22 ; voir aussi M. Weller, « The Locker-bie Case : A Premature End to the “New World Order” ? », RADIC, 1992, p. 324 ;B. Graefrath, « Leave to the Court What Belongs to the Court — The LibyanCase », EJIL, 1993, pp. 200 ss. ; M. G. Watson, « Constitutionalism, JudicialReview and the World Court », Harvard ILJ, 1993 ; A. Schaus, « La légitimité duConseil de sécurité », A la recherche du nouvel ordre mondial — II, l’ONU :mutation et défis, Bruxelles, éditions Complexe, 1993, pp. 9-29 ; P. J. I. M. deWaart, « The UN System at a Crossroads : Peoples’ Centre or Big Brothers’Club », Mélanges Schermers, op. cit., I, pp. 61-62 ; P. Klein, La responsabilitédes organisations internationales, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 31 ; A. Martin etS. Aly, « Compétence contentieuse de la CIJ et mise en cause par un Etat de lavalidité d’une autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies de recevoirà la force », Le droit en action, Lausanne, fac. dr., 1996, pp. 249 ss. ; plus ancien,voir E. Jiménez de Aréchaga, « General Course in Public International law »,Recueil des cours, tome 159 (1978), p. 122 ; H. Kelsen, The Law of UN — ACritical Analysis of Fundamental Problems, Londres, 1950, p. 95.

A contrario, il serait donc permis de considérer que l’interventiondu Conseil de sécurité dans les enquêtes et poursuites du Procureurde la CPI ne serait ni « indue » ni « injustifiée » dès lors qu’elle estfondée sur le chapitre VII de la Charte, donc sur les exigences dumaintien de la paix et de la sécurité internationales.

1.32 Il reste que, eu égard à son caractère exorbitant, ce pouvoirde blocage du Conseil de sécurité devrait être interprété restrictive-ment : le Conseil doit justifier sa décision de suspendre une procé-dure en cours devant la CPI en montrant que cette suspension contri-bue réellement aux objectifs du chapitre VII de la Charte 58.

La doctrine estime d’ailleurs que, dans l’hypothèse d’une procé-dure en cours, la CPI serait fondée à contrôler la légalité du pouvoirexercé par le Conseil de sécurité et à vérifier s’il existe vraiment unemenace contre la paix et la sécurité internationales 59 — une questionqui était au cœur de l’affaire de Lockerbie où bon nombre d’auteursavaient reconnu le pouvoir de la Cour internationale de Justice de seprononcer sur la légalité des actes du Conseil de sécurité 60.

1.33 L’histoire enseigne qu’il n’a pas fallu attendre longtempspour que l’article 16 soit appliqué, et de manière fort peu compatibleavec ce que la lettre et l’esprit de cette disposition supposent !

Moins de quinze jours après l’entrée en vigueur du Statut, lesEtats-Unis ont décidé de subordonner (grâce à leur droit de veto au

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61. S/Rés. 1422, 12 juillet 2002, par. 1.62. Nations Unies, doc. S/PV. 4772, 12 juin 2003, p. 7.63. Peut-être qu’un jour, encore lointain, les traducteurs de l’ONU compren-

dront que « threat to the peace » se traduit en français par « menace contre lapaix ».

Conseil de sécurité) la prolongation des opérations de maintien de lapaix à la promesse que les militaires américains participant à cesopérations sur le territoire d’Etats parties au Statut de la CPI neseraient pas traduits devant la Cour pour des crimes visés par sonStatut. A la suite de cette obstruction à la reconduction du mandatdes forces de maintien de la paix, obstruction qui ressemblait fort àdu chantage, le Conseil de sécurité a admis que les membres descontingents d’Etats non parties au Statut de Rome et participant àdes opérations de maintien de la paix ne feraient l’objet d’aucuneenquête ou poursuite pendant une période renouvelable de douzemois 61.

La Cour n’étant même pas en place à l’époque, elle n’a pas eu àse prononcer sur la légalité — pour le moins douteuse — de cettedécision : l’article 16 ne doit s’appliquer qu’en cas de menace contrela paix et la sécurité internationales ; or, la résolution 1422 étantadoptée sur la base de l’article 16, cela suppose qu’elle répond à unemenace contre la paix. Quelle est la nature de cette menace ? Le faitque la CPI puisse connaître de crimes de droit international humani-taire commis par des membres de missions de maintien de la paixd’Etats non parties au Statut ! C’est le monde à l’envers : alors qu’onlit dans le préambule que les crimes visés par le Statut « menacent lapaix, la sécurité et le bien-être du monde » (préambule, troisièmeconsidérant), la résolution 1422 suggère que le fait de poursuivre lesauteurs de ces crimes devant la CPI, lorsqu’ils sont ressortissantsd’Etats non parties, serait constitutif de menace contre la paix et lasécurité internationales !

Lors des débats au Conseil de sécurité sur la reconduction de larésolution, en juin 2003, certains Etats ont souligné ce paradoxe.Ainsi, pour la Suisse, ce type de résolution revenait « à considérerque la Cour pénale internationale était, par elle-même, un obstacle àla paix » 62. De même, pour le Liechtenstein :

« La résolution 1422 (2002) invoque le chapitre VII de laCharte des Nations Unies sans déterminer s’il y a menace à[sic] la paix et à [re-sic] 63 la sécurité internationale. Cela

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64. Nations Unies, doc. S/PV.4772, 12 juin 2003, p. 8.65. Voir les interventions du Secrétaire général des Nations Unies, du

Canada, de la Nouvelle-Zélande, de la Jordanie, de la Grèce (au nom de l’Unioneuropéenne, des Etats en cours d’adhésion, de certains Etats associés et de l’As-sociation européenne de libre-échange), de l’Iran, de l’Uruguay, du Malawi, duPérou (au nom du groupe de Rio), de Trinité-et-Tobago, de l’Argentine, del’Afrique du Sud, du Nigeria, de la République démocratique du Congo, desPays-Bas, du Cameroun, de la France, de l’Allemagne, de la Syrie, de la Guinée,ibid., pp. 2-30, passim.

66. S/Rés. 1497, 1er août 2003, par. 7.67. Voir les interventions concordantes du Mexique, de l’Allemagne et de la

France, Nations Unies, doc. S/PV.4803, 1er août 2003.

implique que la Cour pénale internationale constitue elle-mêmecette menace. » 64

Le Conseil n’en a pas moins adopté la résolution 1487 qui recon-duisait la résolution 1422 pour un an, non sans que le Secrétairegénéral de l’Organisation des Nations Unies et la plupart des Etatseussent souligné que l’article 16 du Statut n’avait nullement étéconçu pour une reconduction annuelle automatique de l’exemptionqu’elle prévoyait, et qu’en agissant ainsi on en violait la lettre etl’esprit 65.

1.34 Moins de deux mois plus tard, le Conseil de sécurité auto-risait les Etats à déployer une force multinationale au Liberia et« décid[ait] » que les personnels de ces Etats relèveraient de la com-pétence exclusive de ces Etats dès lors que ceux-ci n’étaient pas par-ties au Statut de la CPI et que des faits imputables à la force multi-nationale leur étaient reprochés 66.

Ce nouveau hold-up du Conseil de sécurité sur les compétencesde la CPI, hold-up inspiré par les Etats-Unis, a provoqué des réac-tions assez hostiles de certains Etats, notamment du Mexique, del’Allemagne et de la France, qui se sont abstenus lors du vote.Comme l’ont souligné les représentants de ces Etats, la résolutionallait encore plus loin que les résolutions 1422 et 1487 car elle abou-tissait à exclure non seulement la compétence de la CPI, mais aussila compétence personnelle passive des Etats dont des nationauxauraient été victimes de faits commis par des ressortissants d’Etatsnon parties au Statut de la CPI participant à la force multinationale.Il s’agissait, pour ces représentants, d’une véritable violation dudroit international ! 67

1.35 L’application abusive de l’article 16 a pris fin en juin 2004lorsque les Etats-Unis ont dû renoncer à obtenir, pour la troisième

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68. http ://fr.news.yahoo.com/040623/2023x00h.html.69. M. Bergsmo et J. Pejic, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 379.

fois, le renouvellement de leur demande d’exemption car il était clairque la majorité des Etats membres du Conseil de sécurité ne les sui-vraient plus : le scandale des mauvais traitements infligés par dessoldats américains aux prisonniers irakiens de la prison d’AbuGhraib, l’opposition déclarée de l’Espagne (après le changement degouvernement) et du Secrétaire général de l’Organisation desNations Unies, K. Annan, à la reconduction de l’exemption avaientpermis de vaincre les hésitations de certains Etats (Brésil, Chine,Roumanie) qui avaient rejoint le camp des opposants 68.

1.36 Indépendamment de cette utilisation pour le moins inatten-due de l’article 16, son application « normale » suscite encore biendes questions. L’article 16 prévoit qu’« aucune enquête ni aucunepoursuite ne peuvent être engagées ni menées » lorsque le Conseil desécurité le demande. Au plan pratique, on peut en tirer les consé-quences suivantes :

— le Conseil de sécurité ne peut empêcher le Procureur d’ouvrir uneinformation sur toute situation où des crimes visés au Statut ont étécommis (art. 15, par. 2) 69 puisque l’article 16 parle d’ «enquête»et que celle-ci ne commence, aux termes du Statut, qu’à partirdu moment où la Chambre préliminaire l’autorise (supra, para-graphe 1.27) ;

— dans la mesure où des poursuites ne peuvent commencerqu’après enquête (cf. art. 53, par. 2), et dans la mesure où l’ar-ticle 16 autorise le Conseil de sécurité à empêcher des pour-suites, cela signifie que le Conseil peut interrompre une enquêteen cours ;

— la généralité des termes de l’article 16 tend à conférer au Conseilde sécurité le pouvoir d’interrompre aussi bien l’ensemble desenquêtes relatives à une situation que l’enquête relative à uncrime bien précis ; le Conseil de sécurité dispose bel et bien d’unpouvoir d’injonction négative !

— il en va de même des poursuites ; en théorie, celles-ci devraientcommencer quand le Procureur retient des charges contre unepersonne, mais ces charges ne devraient être connues qu’aumoment où la Chambre préliminaire confirme « les charges surlesquelles le Procureur entend se fonder pour requérir le renvoi

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70. M. Bergsmo et J. Pejic, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 379.

en jugement » (art. 61, par. 1) ; comme l’établissement descharges précède nécessairement la décision de la Chambre préli-minaire puisque celle-ci se borne à les « confirmer », le Conseilde sécurité peut donc bloquer la procédure dès qu’un « vent favo-rable » lui apprend que des charges sont retenues contre une per-sonne ;

— rien n’oblige, bien sûr, le Procureur à avertir le Conseil de sécu-rité du fait qu’il compte entamer des poursuites contre telle outelle personne ; il serait même incompatible avec son indépen-dance (art. 42, par. 5 ; Principes fondamentaux relatifs à l’indé-pendance de la magistrature, par. 1-7 ; supra, paragraphe 1.30)qu’il fasse une démarche de ce genre ; il en découle que leConseil ne devrait être officiellement averti de l’existence depoursuites qu’au moment de la confirmation des charges par laChambre préliminaire ; il peut interrompre les poursuites dès cemoment-là ;

— une autre manière pour le Conseil de sécurité de savoir que despoursuites pourraient être entamées réside dans le fait que le Pro-cureur peut demander à la Chambre préliminaire, dès le stade del’enquête (art. 58, par. 1), de délivrer un mandat d’arrêt ou unecitation à comparaître ; comme l’un et l’autre supposent « qu’il ya des motifs raisonnables de croire » que la personne en cause acommis un crime visé au Statut (art. 58, par. 1, al. a), et par. 7),ces actes laissent clairement présager la possibilité de poursuites ;

— le Conseil de sécurité peut interrompre les poursuites aussi long-temps qu’un jugement définitif — c’est-à-dire, une décision quin’est plus susceptible de recours — n’a pas été rendu, ce qui peutaller jusqu’au prononcé d’un arrêt de la Chambre d’appel ! 70

— quid, en pareil cas, des preuves, des témoins, des personnes arrê-tées ? Pour les preuves et les témoins, le Procureur et la Chambrepréliminaire peuvent prendre les mesures propres à assurer lapréservation des unes et la protection des autres (art. 54, par. 3,al. f) ; art. 56) ;

— quant aux personnes arrêtées, elles devraient être remises enliberté car l’article 16 autorise le Conseil de sécurité à reconduirele blocage de la CPI d’année en année et il ne serait plus possiblede juger la personne dans un délai raisonnable (Pacte relatif auxdroits civils et politiques, art. 9, par. 3 ; Statut CPI, art. 60, par. 4,

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71. A. Cassese, dans Les Nations Unies et le droit international humanitaire,Paris, Pedone, 1996, p. 304.

67, par. 1, al. c)) ; en outre, le réexamen périodique du maintienen détention (art. 60, par. 3) deviendrait sans objet.

1.37 L’application de l’article 16 dans l’hypothèse d’un ou plu-sieurs procès en cours sera lourd de conséquences. Il exprime jus-qu’à la caricature le pouvoir des Etats sur la Cour. Si cette règle estmaintenue lors de la conférence de révision du Statut (normalementprévue, sept ans après l’entrée en vigueur du Statut, soit, en 2009,art. 123), il conviendrait, au moins, de la limiter au cas du déclen-chement d’une enquête, mais celle-ci une fois entamée, plus rien nedevrait interrompre le cours de la justice.

C. La coopération entre la Cour et les Etats

1.38 A l’instar des TPI, la CPI est un géant sans bras ni jambes,pour reprendre l’image que le président A. Cassese donnait desTPI 71 : la CPI est un instrument d’application de certaines règles,non d’exécution de celles-ci. Elle n’a les moyens ni d’appréhenderles personnes recherchées, ni de faire exécuter les peines pronon-cées ; les bras et les jambes de la CPI sont le pouvoir exécutif desEtats et l’efficacité de la CPI dépend donc de leur collaboration.

En substance, la Cour doit donc obtenir des Etats une assistanceportant sur :

— la remise des personnes recherchées : l’Etat, dans les limites etconditions prévues par le Statut, doit arrêter les personnes re-cherchées par la Cour et les transférer à celle-ci (art. 87, par. 1et 3 ; art. 92, par. 1) ;

— la collaboration aux recherches et enquêtes : les Etats font droitaux demandes de la Cour sur l’identification et la localisation depersonnes ou de biens, la récolte de dépositions, la production derapports, l’interrogatoire de personnes recherchées, la notifica-tion de pièces, le transfèrement temporaire à la Cour de per-sonnes, l’examen de sites, l’exécution de perquisitions ou saisies,la transmission de dossiers, la convocation des témoins, larécolte des preuves, etc. (art. 93, par. 1) ;

— l’accès du territoire de l’Etat requis au Procureur aux fins d’in-terrogatoire ou d’inspection de sites publics, après consultationavec l’Etat requis (art. 99, par. 4).

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72. A. Ciampi, « The Obligation to Co-operate », dans A. Cassese et al. (dir.publ.), II, p. 1609.

73. Par exemple, A/Rés. 3074 (XXVIII), 3 décembre 1973, par. 1 ss. ; projetde Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (CDI, 1996),art. 9.

En outre, bien que la remise à la CPI d’une personne recherchéepar cette dernière ne soit pas une extradition, cette remise est régie,comme l’extradition, par le principe de spécialité : la Cour ne peutpas connaître d’autres crimes que ceux pour lesquels la personne luia été remise. Si la Cour veut poursuivre cette personne pour d’autrescrimes, elle doit obtenir l’accord de l’Etat qui lui a remis cette per-sonne (art. 101).

1.39 Or, si les TPI n’ont pas d’effectivité sans la collaborationdes Etats, au moins peuvent-ils compter sur les injonctions duConseil de sécurité pour rappeler aux Etats leurs obligations puisqueles TPI ont été créés par le Conseil de sécurité et qu’ils peuvent seprévaloir de l’autorité de la Charte des Nations Unies, en particulier,des articles 25 et 103.

Par contre, la CPI étant créée par une convention, seuls les Etatsparties au Statut sont tenus de coopérer avec elle (art. 86). Les Etatstiers au Statut n’ont évidemment pas d’obligation conventionnellevis-à-vis de la CPI. Au regard du droit international coutumier, onpourrait soutenir, malgré les hésitations de la doctrine sur ce point 72,que si un Etat tiers n’assure pas la répression de crimes de droitinternational humanitaire pour lesquels la CPI est compétente, celle-ci serait en droit d’exiger que cet Etat collabore avec elle aux fins derépression dès lors que tous les Etats doivent concourir à la luttecontre l’impunité et à la répression de ces crimes 73.

1.40 Conventionnelle ou coutumière, l’obligation de coopéra-tion est, de plus, assortie de modalités qui, eu égard au principe decomplémentarité, ne confèrent pas nécessairement priorité à la Couren cas de demandes concurrentes d’une personne (art. 90) ou en casde demande de remise d’une personne protégée par une forme d’im-munité (art. 98).

1.41 En outre, la CPI n’est pas assurée de pouvoir, comme lesTPI, bénéficier de l’aide du Conseil de sécurité en cas de défaillanced’un Etat. En pareil cas, la CPI doit s’adresser à l’Assemblée desEtats parties ; le Conseil de sécurité ne lui est ouvert que dans les

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74. A. Ciampi, loc. cit., p. 1614.

hypothèses où c’est lui qui a saisi la CPI (art. 87, par. 5 et 7). Iciaussi, la dépendance de la CPI à l’égard des Etats est sensible.

Enfin, il a été observé que le règlement de procédure et de preuvea été élaboré par les Etats, non par les juges, comme dans le cas desTPI, et que, par conséquent, les juges de la CPI devraient être plusprudents que leurs collègues des TPI dans l’affirmation de pouvoirsnon prévus par le Statut ou le Règlement 74. L’idée est intéressante,mais une règle est une règle et on ne voit pas très bien en quoi laqualité de ses auteurs devrait modifier l’étendue de l’interprétation àlui donner.

1.42 En résumé, la dépendance de la Cour par rapport aux Etatsou à certains d’entre eux ressort, notamment (et pas uniquement), dufait que :

— le Statut figure dans une convention qui ne lie que les Etats quil’acceptent ;

— l’agression ne fera partie des compétences ratione materiae de laCPI que le jour où les Etats s’entendront sur une définitiontaillée sur mesure pour la Cour (art. 5, par. 2) ;

— un Etat qui accepte le Statut peut postposer pour sept ans l’apti-tude de la Cour à connaître des crimes de guerre commis sur sonterritoire ou par un de ses ressortissants (art. 124) ;

— les actes du Procureur ou de la CPI ne peuvent avoir d’effets vis-à-vis d’un Etat tiers à la Cour que s’il accepte la compétence dela Cour ;

— la Cour ne peut connaître d’une affaire que dans la mesure oùcelle-ci ne fait pas l’objet d’une procédure pénale effective dansun Etat partie (art. 17) ;

— le Conseil de sécurité peut interdire une enquête ou des pour-suites pendant un an renouvelable (art. 16) ;

— la coopération des Etats avec la CPI ne s’impose qu’aux Etatsparties au Statut (art. 87) ; pour les Etats tiers, la CPI ne peutfaire valoir qu’une obligation coutumière de collaboration ; quantau Conseil de sécurité, son assistance ne s’impose que dans lalogique d’une saisine de la CPI par ce dernier.

1.43 A ces constatations un peu décevantes si l’on compare laliberté d’action de la CPI à celle des juridictions internes dans des

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Etats de droit, il faut toutefois apporter deux tempéraments impor-tants qui tiennent, d’une part, à l’aptitude reconnue à la Cour de seprononcer elle-même sur les questions de compétence et de receva-bilité, d’autre part, à la possibilité pour le Conseil de sécurité de ren-voyer à la Cour une situation où des crimes relevant de sa compé-tence ont été perpétrés.

D. Les tempéraments à l’emprise des Etats sur la Cour

1. La compétence de la CPI à se prononcer sur les exceptionsde compétence et de recevabilité

1.44 Les exceptions portant sur la compétence et la recevabilitésont tranchées par la Cour, et, plus précisément, par la Chambre pré-liminaire si les exceptions sont soulevées avant confirmation descharges (art. 58, par. 1), par la Chambre de première instance si lesexceptions sont soulevées postérieurement à la confirmation descharges (art. 19, par. 6).

On notera que les exceptions doivent être soulevées au plus tard àl’ouverture du procès, sauf circonstance exceptionnelle admise par laCour (art. 19, par. 4).

Les décisions sur la compétence et la recevabilité peuvent êtrefrappées d’appel (art. 19, par. 6, et 82).

Cela montre qu’en cas de contestation sur le point de savoir sil’affaire est recevable et si la Cour est compétente celle-ci a le pou-voir du dernier mot.

1.45 Il est clair que la Cour ne pourra que s’incliner devant cer-taines évidences telles que, par exemple, le fait que l’infraction estcommise sur le territoire d’un Etat non partie par un national d’unEtat non partie et n’ayant pas reconnu la compétence de la Cour ; enrevanche, elle gardera un pouvoir d’appréciation important quant aupoint de savoir, par exemple, si les poursuites entreprises dans unEtat contre un accusé sont sérieuses ou non.

1.46 De manière plus générale, la Cour est habilitée à trancher «toutdifférend relatif aux fonctions judiciaires de la Cour» (art. 119, par. 1)tandis qu’il revient à l’Assemblée des Etats parties de régler « tout autredifférend entre deux ou plusieurs Etats parties concernant l’interpréta-tion ou l’application du présent statut» (art. 119, par. 2). Quelles sont lescatégories de différends visés par ces deux dispositions? Les auteurs en

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75. R. S. Clark, dans O. Triffterer (dir. publ.), pp. 1243-1246 ; A. Pellet,« Settlement of Disputes », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), II, pp. 1842-1843.

76. R. S. Clark, dans O. Triffterer (dir. publ.), pp. 1245-1246.77. Ibid., p. 1246 ; A. Pellet approuve ce point de vue, « Settlement… », loc.

cit., p. 1844.78. Sur la question, D. Sarooshi, « Aspects of the Relationship between the

ICC and the UN », NYIL, 2001, pp. 27-53.79. S. Bourgon, « Jurisdiction Ratione Loci », dans A. Cassese et al. (dir.

publ.), I, p. 566.

sont généralement réduits aux conjectures 75, mais il semble clair quel’article 119, paragraphe 1, devrait couvrir toute contestation relative àl’exercice par la Cour de ses fonctions judiciaires, ce qui devrait inclure,dans ce cadre, tout litige entre un accusé et la Cour, entre deux organesde la Cour, entre un Etat (même non partie au Statut) ou une organisa-tion internationale et la Cour, entre deux Etats parties, etc., à l’exclusiontout aussi claire des questions que le Statut, lui-même, renvoie ouréserve à l’Assemblée des Etats parties (par exemple, l’augmentation dunombre des juges, art. 36, par. 2 ; la perte de fonctions d’un juge, duProcureur, d’un procureur adjoint, du greffier ou d’un greffier adjoint,art. 46; les traitements et indemnités du personnel de la Cour, art. 49; lesmodifications du règlement de procédure et de preuve adoptées provi-soirement par les juges en cas d’urgence, art. 51, par. 3 ; l’établissementet la gestion du fonds au profit des victimes, art. 79; le refus de coopé-ration d’un Etat partie, art. 87, par. 7 ; l’organisation et les compétencesde l’Assemblée des Etats parties, art. 112; le financement de la Cour,art. 113-118; etc.) 76. On peut en conclure que, pour l’essentiel, la Courest maître chez elle (« the Court is master of its own house») 77.

1.47 Bref, même lorsque la volonté des Etats prévaut sur cellede la Cour, celle-ci reste fondée, dans un certain nombre de cas, àvérifier si, juridiquement, elle doit se soumettre à cette volonté.

2. La saisine de la CPI par le Conseil de sécurité

1.48 La Cour peut être directement saisie par le Conseil de sécu-rité d’une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes visés auStatut ont été commis (art. 13, al. b)) 78. Dans ce cas, il n’est nulle-ment nécessaire que l’Etat sous la juridiction duquel le crime a eulieu ou l’Etat dont l’auteur présumé du crime porte la nationalitésoient parties au Statut ou aient reconnu la compétence de la Cour(art. 12, par. 2, a contrario) 79 (infra, paragraphe 1.49).

En revanche, comme la saisine de la CPI par le Conseil de sécu-

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80. L. Condorelli et S. Villalpando, loc. cit., pp. 638-639.81. S/Rés. 1564, 18 septembre 2004, par. 12.82. Rapport Darfour, op. cit., par. 630 ss.83. Ibid., par. 642.84. Ibid., par. 648.85. S/Rés. 1593, 1er avril 2005, par. 1.

rité concerne une « situation » et non un crime en particulier, lesrègles de complémentarité vont continuer à s’appliquer à propos des« crimes » commis dans cette « situation » et la Cour tranchera lesexceptions qui pourraient être soulevées à ce sujet 80 (voir, pour leDarfour, supra, paragraphe 1.22).

1.49 Il n’a pas fallu attendre très longtemps pour que la CPI soitsaisie d’une situation en vertu de l’article 13, alinéa b), du Statut. LaCommission d’enquête créée par le Conseil de sécurité aux finsd’examiner la situation des droits de l’homme et du droit internatio-nal humanitaire, de déterminer « si des actes de génocide ont eulieu » au Darfour et d’identifier leurs auteurs 81 avait conclu que descrimes de guerre et des crimes contre l’humanité avaient été commisau Darfour 82, mais qu’il ne s’agissait pas d’un génocide 83. Ellerecommandait que la situation fût déférée par le Conseil de sécuritéà la CPI conformément à l’article 13, alinéa b), du Statut 84.

Après bien des atermoiements à cause des Etats-Unis, qui auraientvoulu que la situation fût déférée à un tribunal ad hoc ou au Tribu-nal pénal international pour le Rwanda (TPIR), moyennant extensionde ses compétences, les membres du Conseil de sécurité ont finale-ment réussi à convaincre les Etats-Unis de ne pas opposer leur vetoau renvoi de la situation du Darfour à la CPI. Par 11 voix et 4 abs-tentions (Algérie, Brésil, Chine, Etats-Unis), le Conseil a « défér[é]au Procureur de la CPI la situation au Darfour depuis le 1er juillet2002 » 85.

1.50 Quand on examine la résolution du Conseil de sécurité ren-voyant la situation du Darfour à la Cour, on notera que :

— le Conseil procède au renvoi en invoquant le chapitre VII de laCharte (préambule, sixième considérant), conformément à lalettre de l’article 13, alinéa b), du Statut ; ici, contrairement auxapplications douteuses de l’article 16 du Statut (supra, para-graphes 1.30-1.31), l’étendue des violations des droits de la per-sonne commises au Darfour justifiait l’invocation, par le Conseilde sécurité, d’une menace contre la paix et la sécurité internatio-

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86. Par exemple, S/Rés. 1296, 19 avril 2000, par. 5.87. Sur le caractère obligatoire du mot « demande », E. David, Droit des orga-

nisations internationales, Presses univ. de Bruxelles, 2005, p. 205, par. 22. 88. Nations Unies, doc. S/PV.5158 (français, provisoire), 31 mars 2005, inter-

ventions de l’Algérie, de l’Argentine, de la Tanzanie, du Bénin et du Brésil,pp. 5, 8, 10-12.

89. Ibid., intervention des Philippines, p. 7.

nales (préambule, cinquième considérant), et ce, en vertu d’unepratique désormais bien établie 86 ;

— le Conseil « décide que le gouvernement soudanais et toutes lesautres parties au conflit du Darfour doivent coopérer pleinementavec la Cour et le Procureur » (par. 2),

mais il ajoute :

« tout en reconnaissant que le Statut de Rome n’imposeaucune obligation aux Etats qui n’y sont pas parties, [leConseil] demande instamment à tous les Etats et à toutes lesorganisations régionales et internationales concernées decoopérer pleinement » (par. 2) ;

autrement dit, le Conseil confirme que sa décision de confier laquestion du Darfour à la CPI ne transforme pas les Etats tiers auStatut en Etats parties, mais que ces Etats n’en doivent pas moinscollaborer avec la Cour dans le cas du Darfour 87 ;

— le Conseil exclut de la compétence de la Cour

« les ressortissants, responsables ou personnels en activité ouanciens responsables ou personnels, d’un Etat contributeurqui n’est pas partie au Statut de Rome … pour toute alléga-tion d’actes ou d’omissions découlant des opérations au Sou-dan établies ou autorisées par le Conseil ou l’Union africaineou s’y rattachant… » (par. 6) ;

politiquement, cette limitation de la compétence de la CPI étaitsans doute une partie du prix à payer pour obtenir d’Etats,comme la Chine et les Etats-Unis, qu’ils ne s’opposent pas àl’adoption de la résolution ; juridiquement, cette limitation de lacompétence de la CPI se fonde, non sur l’article 16 du Statut,mais sur le droit souverain du Conseil de définir le mandat de laCPI pour les besoins de la situation qu’il lui défère ; plusieursEtats ont regretté cette limitation de compétence 88, et on s’estmême demandé si elle était légale 89 ;

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90. M. H. Arsanjani, « Financing », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), I,p. 325.

91. Nations Unies, doc. S/PV.5158 (français, provisoire), 31 mars 2005, p. 3.92. Ibid., p. 6.

— le Conseil exclut la participation financière de l’ONU au budgetde la CPI pour le renvoi à celle-ci de la situation du Darfour(par. 7) : probablement, l’autre partie du prix à payer (à touségards…) pour que la Chine et les Etats-Unis n’opposent pasleur veto à la saisine de la CPI ! On est loin du temps où, lors desdébats relatifs à l’article 13, alinéa b),

« the general sentiment among the delegations was that if theSecurity Council refers a matter to the Court, the UN shouldpay the expenses » 90.

1.51 Les quatre Etats qui se sont abstenus ont invoqué des rai-sons diverses :

— les Etats-Unis

« continuent d’opposer une objection fondamentale à l’opi-nion selon laquelle la CPI devrait être en mesure d’exercer sajuridiction sur les ressortissants, y compris les responsablesgouvernementaux, d’Etats qui ne sont pas parties au Statut deRome. Cela porte atteinte à l’essence même de la notion desouveraineté » 91 ;

— de même, la Chine ne peut accepter

« que la CPI exerce sa juridiction sur des Etats non parties etil … serait difficile de souscrire à ce que le Conseil autoriseun tel cas de figure » 92 ;

ce type d’objection est sans fondement, qu’on la considère auplan général ou au cas particulier du Soudan ; au plan général,lorsque la CPI connaît de crimes imputables à des ressortissantsd’Etats non parties au Statut, crimes commis sur le territoire d’unEtat partie à celui-ci, elle ne fait rien d’autre qu’exercer une juri-diction territoriale de droit commun par délégation de l’Etat par-tie sur le territoire duquel le crime a été commis ; dans le cas duSoudan, l’aptitude de la CPI à connaître de crimes commis pardes ressortissants d’Etats non parties au Statut sur le territoired’un Etat qui n’est pas davantage partie au Statut n’est pas plus

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93. Nations Unies, doc. S/PV.5158, p. 12 ; voir aussi l’intervention du Brésillors des débats relatifs à la protection des civils en période de conflit armé,Nations Unies, doc S/PV.5209, 21 juin 2005 (français, provisoire), p. 10.

94. Nations Unies, doc. S/PV.5158 (français, provisoire), 31 mars 2005, p. 5.95. E. David, « The International Criminal Court… », loc. cit., p. 646.

attentatoire à la souveraineté de ces Etats que n’est l’exercicebanal par un Etat de compétences pénales à caractère extraterri-torial ; a fortiori en va-t-il ainsi lorsque ce pouvoir est conféré àla CPI par le Conseil de sécurité qui ne fait rien d’autre que cequ’il a déjà fait en créant les TPI (supra, paragraphe 1) ;

— le Brésil s’abstient pour des raisons diamétralement opposées àcelles des Etats-Unis et de la Chine : ce sont les gages accordéspar le Conseil à ces deux Etats qui le conduisent à s’abstenir ; ily voit une atteinte à « l’intégrité du Statut de Rome » ; il déplorequ’on affirme « l’incompétence [de la CPI] à l’égard des natio-naux qui ne sont pas parties au Statut » ; il regrette que la résolu-tion se réfère aux accords visés à l’article 98, paragraphe 2, duStatut (préambule, quatrième considérant), car cela « met enrelief une clause dont l’application a été fort controversée » 93 ;

— quant à l’Algérie, elle regrette que le Conseil n’ait pas pris da-vantage en considération les propositions de l’Union africaine 94.

1.52 Qui peut le plus peut le moins : si le Conseil de sécuritépeut déférer à la CPI une situation concernant un pays, il peut aussilui déférer une situation concernant une partie de ce pays. C’est cequi s’est passé pour le Darfour, sans, bien sûr, que cela n’empêche laCPI d’assurer la répression des crimes commis dans cette partie duSoudan quel que soit le lieu où se trouvent les auteurs de ces crimes.En ce sens, la compétence conférée par le Conseil de sécurité à laCPI s’apparente à une compétence universelle.

1.53 En instituant la Cour juge de sa propre compétence et desquestions de recevabilité, le Statut applique un principe classique decompétence judiciaire qui corrige quelque peu le sentiment de sou-mission de la Cour aux Etats que laisse le Statut.

Quant à la possibilité laissée au Conseil de sécurité de saisir la Courd’une «situation» qui n’est pas autrement précisée, elle fait de la CPI,comme le prévoyait déjà le projet de la CDI (art. 23, par. 1) 95, une sortede tribunal pénal international en stand-by…

1.54 Une différence importante toutefois entre CPI et TPI : si lesTPI sont des organes subsidiaires du Conseil de sécurité (puisqu’ils

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96. F. Lattanzi, loc. cit., p. 441.

ont été créés par des décisions du Conseil — résolutions 827 (1993)et 955 (1994) ; Charte des Nations Unies, art. 29), la CPI ne l’est paspuisqu’elle est créée par voie conventionnelle. Trois conséquences :

— les décisions de la CPI, quand elle est saisie par le Conseil desécurité, ne s’identifient pas automatiquement à des décisions duConseil de sécurité en matière de coopération ; les Etats tiers auStatut ne sont donc pas a priori tenus d’y répondre ; pour qu’il enaille autrement, il faut que le Conseil de sécurité, en saisissant laCour, décide que les Etats tiers doivent apporter leur assistance àla Cour, comme dans le cas du Darfour (supra, paragraphe 1.49) ;si le Conseil ne prend pas ce genre de décision, tout ce que laCour peut faire, en cas de refus de collaboration d’un Etat nonpartie au Statut, c’est en informer le Conseil de sécurité (art. 87,par. 5 et 7) à qui il appartiendra, éventuellement, de décider quel’Etat tiers — s’il est membre des Nations Unies — doit obtem-pérer aux demandes de la Cour (Charte, art. 25) ;

— la même conclusion peut être tirée à propos de la primauté de laCPI sur la juridiction des autres Etats : en soi, il semble que lerenvoi d’une situation par le Conseil de sécurité à la Cour n’en-traîne pas ipso jure la primauté de la juridiction de la CPI sur lajuridiction des autres Etats 96 — contrairement à ce qui se passepour les TPI (eu égard aux articles 25 et 103 de la Charte desNations Unies) ; pour qu’il en aille autrement, il faudrait que leConseil de sécurité affirme la primauté de la juridiction de laCour dans cette affaire, cette primauté s’imposant alors à tous lesEtats membres des Nations Unies, non en vertu du Statut, maisen vertu de la Charte (art. 25 et 103) ;

— si le Conseil de sécurité saisit la Cour en décidant que les Etatsmembres des Nations Unies doivent collaborer avec elle indé-pendamment du point de savoir si les Etats concernés par lescrimes visés au Statut (Etat du lieu de l’infraction, Etat de lanationalité de l’auteur, Etat du lieu d’arrestation, Etat de la natio-nalité de la victime, Etat responsable direct ou indirect de l’in-fraction…) sont parties au Statut ou ont reconnu la compétencede la Cour, il en résulte que le droit du Statut devient ipso facto,et même ipso jure, opposable à l’ensemble des Etats membresdes Nations Unies ; plus concrètement encore, non seulement le

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droit matériel porté par le Statut (incriminations et principesgénéraux du droit pénal), mais aussi toutes les obligations decoopération avec la Cour s’imposent à tous ces Etats.

Conséquence de ces conséquences : tous les Etats membres desNations Unies doivent se préparer à l’entrée en vigueur du Statut, etpas seulement les Etats qui l’acceptent. C’est donc le droit interne detous les Etats membres qui devrait être adapté aux exigences du Sta-tut (sauf pour les Etats qui estimeraient que le Statut est self-suffi-cient ou self-executing) dès lors que la Cour peut être saisie à toutmoment par le Conseil de sécurité.

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97. M. Frulli, « Jurisdiction ratione personae », dans A. Cassese et al. (dir.publ.), I, p. 532.

98. Contra, ibid., p. 533.99. Le Nouvel Observateur (Paris), 18-24 mai 2000 ; Le Soir (Bruxelles),

13 juillet 2005.100. US Crt. of App., 9th Cir., 18 septembre 2002, ILM, 2002, pp. 1367 ss.

CHAPITRE II

LES COMPÉTENCES RATIONE PERSONAEET RATIONE MATERIAE

A. Les compétences ratione personae

2.1 Comme les TPI (Statuts, art. 6/art. 5), la CPI n’est compé-tente qu’à l’égard des crimes commis par des personnes physiques(art. 25, par. 1). La Cour ne pourrait donc connaître d’une éventuelleresponsabilité pénale de personnes morales.

Certains Etats, comme la France, étaient favorables à l’inclusiondans le Statut de la responsabilité pénale des personnes morales,mais beaucoup d’Etats ne connaissaient pas encore ce type de res-ponsabilité et le principe n’a pas été retenu 97. Même si le principed’une responsabilité pénale collective peut donner lieu à discussion,il est acquis dans le droit interne de certains Etats (voir en Belgique,Code pénal, art. 5 ; aux Pays-Bas, Code pénal, art. 51 ; France, Codepénal, art. 121-2) ainsi qu’en droit européen (traité CE, art. 81-82 etRèglement 1/2003/CE du 16 décembre 2002) et facilite l’imputationde certains faits 98. Les affaires TotalFinaElf en Belgique et enFrance 99, Unocal aux Etats-Unis 100 montrent que la responsabilitépénale et civile des personnes morales est parfaitement adaptée à descrimes de droit international humanitaire.

2.2 La Cour n’est compétente qu’à l’égard de personnes âgéesd’au moins dix-huit ans (art. 27) : il n’est pas sûr qu’il faille y voirun concept de « majorité pénale » comme il en existe en droit interne(cf. loi belge du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse, art. 36-36 bis). Serait-il « contre-productif » que des jeunes de moins de dix-huit ans qui n’ont pas nécessairement les facultés de discernementd’un adulte soient traduits devant un tel tribunal ? C’est ce que lespères du Statut de Rome ont probablement pensé. Les Statuts des

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101. A. Pellet, « Applicable Law », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), II,p. 1060.

TPI sont muets sur ce point, mais le Statut du Tribunal spécial pourla Sierra Leone (TSSL) prévoit sa compétence pour des crimes com-mis par des mineurs de quinze à dix-huit ans, moyennant certainesrègles qui tiennent compte de l’âge des accusés (Statut du TSSL,art. 7).

2.3 La CPI est également compétente à l’égard des Etats et duConseil de sécurité, non, bien sûr, en tant que complices ou coau-teurs des crimes visés au Statut — ce serait une responsabilité pénalede personnes morales qui, on vient de le voir, est exclue —, mais entant que parties concernées par la compétence et la recevabilité(art. 18-19, 82, par. 3), les questions d’enquête, de coopération,de divulgation d’éléments de preuve (art. 53, par. 3, 57, par. 3, 72,par. 4-7, 73) (cf. pour le TPIY, Règlement, art. 108 bis).

B. Les compétences ratione materiae

2.4 Les compétences ratione materiae de la CPI sont plus éten-dues que celles des TPI dans la mesure où, comme les Tribunauxmilitaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, elles compor-tent, outre le génocide (qui n’avait cependant pas d’autonomie dansles statuts des Tribunaux militaires internationaux), la triade clas-sique des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et du crimed’agression.

La définition des crimes dont peut connaître la CPI ne s’arrête pasaux dispositions qui les énoncent : sous l’impulsion, semble-t-il, desEtats-Unis 101, il a été décidé que l’Assemblée des Etats parties défi-nirait les éléments constitutifs des crimes de droit internationalhumanitaire visés aux articles 6 à 8 (art. 9).

1. L’agression

2.5 La Cour ne pourra connaître de ce crime que le jour où il seradéfini selon la procédure prévue pour amender et réviser le Statut,c’est-à-dire, par l’Assemblée des Etats parties ou par une conférencede révision qui ne pourra se tenir que sept ans après l’entrée envigueur du Statut (art. 5 combiné avec les articles 121 et 123). Cettedécision est étrange à plus d’un titre.

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102. Procès, Documents officiels, I, p. 197.103. A. Zimmerman, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 104.

D’abord, on ne manquera pas de s’étonner du fait qu’on « gèle »l’incrimination d’un fait dont le Tribunal militaire international deNuremberg avait dit que c’était « le crime international suprême, nedifférant des autres crimes de guerre que du fait qu’il les contienttous » 102. Autrement dit, plus le crime est grave, et moins les Etats sesentent concernés !…

Ensuite, il est curieux qu’on ait semblé considérer que ni leconcept défini dans les statuts des Tribunaux militaires internatio-naux et appliqué par ceux-ci, ni la définition arrêtée par l’Assembléegénérale des Nations Unies le 14 décembre 1974, dans sa résolu-tion 3314 (XXIX), après plus de vingt ans de discussions,n’étaient d’une quelconque utilité pour la définition de l’infraction por-tée par le Statut !

En réalité, si beaucoup d’Etats arabes et africains étaient favo-rables à la définition portée par la résolution 3314 (XXIX), d’autresEtats souhaitaient qu’on réduisît le champ d’application de cettedéfinition et qu’on revînt plutôt à celle figurant à l’article 6, alinéa a),du Statut du Tribunal de Nuremberg 103.

La vraie raison est claire : l’agression est une infraction trop gravepour que sa poursuite soit laissée à l’appréciation discrétionnaired’un « simple » procureur ; si l’Irak avait reconnu, sur la base de l’ar-ticle 14 du Statut, la compétence de la CPI, la veille de son invasionpar les Etats-Unis et le Royaume-Uni en mars 2003, et si l’agressionavait fait partie des infractions dont la CPI pouvait connaître, eût-ilété concevable que le Procureur pût attraire G. Bush et T. Blair ?…On comprend, dès lors, que les Etats, en particulier, les grandes puis-sances, n’aient pas voulu instituer un procureur en forme d’« élec-tron libre » pour des faits qui relèvent de leurs choix politiques lesplus fondamentaux ! C’est très exactement ce qu’indiquait le sous-secrétaire d’Etat américain au contrôle des armes et à la sécuritéinternationale, J. Bolton, lors d’une audition devant une sous-com-mission du Sénat :

« our main concern from the UN perspective is not that the Pro-secutor will indict the occasional US soldier who violates ourown values and laws and his or her military training and doc-trine by allegedly committing a war crime. Our main concern

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104. Cité par G. M. Danilenko, « ICC Statute and Third States », dans A. Cas-sese et al. (dir. publ.), II, p. 1885.

105. Pour plus de détails, A. Cassese, « Génocide », ibid., I, pp. 335 ss.106. Rapport CDI 1996, pp. 114 ss.

should be for the President, the cabinet officers on the NationalSecurity Council, and other senior leaders responsible for ourdefense and foreign policy. » 104

La compétence de la Cour pour le crime d’agression est, donc,pour l’instant, sous condition suspensive de sa définition, et ils’agira, sans doute, moins de définir le concept que de placer saqualification sous le contrôle du Conseil de sécurité (supra, para-graphe 1.18).

2. Le génocide

2.6 On ne s’étendra pas sur la compétence relative au crime degénocide (art. 6) : à l’instar des statuts des TPI (art. 4/art. 2), celui dela CPI se borne à reproduire la définition de la Convention desNations Unies du 9 décembre 1948 pour la répression du crime degénocide (art. 2) 105.

On observera simplement qu’il a fallu un demi-siècle pour que lajuridiction pénale internationale visée par cette convention (art. VI)finisse par voir le jour.

3. Le crime contre l’humanité

2.7 Le Statut de la CPI donne, du crime contre l’humanité, unenouvelle définition (art. 7) qui succède à celles qui figurent dans lesstatuts des Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (art. 6,al. c)) et de Tokyo (art. 5, al. c)), dans ceux des TPI (art. 5/art. 3) etdans le projet de Code sur les crimes contre la paix et la sécurité del’humanité (art. 18) adopté par la CDI en 1996 106. Proche des ver-sions précédentes, cette définition précise toutefois le concept mieuxqu’on ne l’avait jamais fait auparavant.

Avant la Conférence de Rome qui devait conduire à l’adoptiondu Statut de la CPI, le crime contre l’humanité n’avait jamais étésoumis à l’épreuve d’une conférence diplomatique à laquelle tousles Etats de la communauté internationale avaient été invités àparticiper. Le résultat actuel peut donc être considéré comme repré-sentatif de l’opinio juris de la grande majorité des Etats (infra,

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107. Par exemple, C. Bassiouni, Crimes against Humanity in InternationalCriminal Law, La Haye, Kluwer, 1999 ; G. Metraux, « Crimes against Humanityin the Jurisprudence of the ICTs for the Former Yugoslavia and for Rwanda »,Harvard Int. LJ, 2002, pp. 237 ss. ; A. Cassese, « Crimes against Humanity »,dans A. Cassese et al. (dir. publ.), I, pp. 353 ss.

paragraphe 2.31) même s’il ne vaut, stricto sensu, que pour l’incri-mination qui sera appliquée par la CPI.

Dans l’examen rapide du crime, on distinguera l’élément matérieldu crime (actus reus) et l’élément subjectif (dol ou mens rea).

a) L’élément matériel

2.8 L’élément matériel du crime contre l’humanité se caractérisepar sa complexité. Comme les autres définitions des crimes contrel’humanité, le crime contre l’humanité visé par le Statut apparaît, eneffet, comme un concept générique recouvrant un ensemble d’infrac-tions de droit commun constituées de violences graves (meurtres,tortures, déportations, réduction en esclavage, détentions arbitraires,violences sexuelles, disparitions forcées, persécutions à des fins dis-criminatoires, apartheid, actes inhumains causant de grandes souf-frances), commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systé-matique contre une population civile, à l’occasion ou en dehors d’unconflit armé, contre des nationaux ou des étrangers, parfois à desfins politiques, raciales ou religieuses.

Sans entrer dans les détails d’une définition qui pourrait donnerlieu à de longs développements 107, on constate que l’élément maté-riel du crime contre l’humanité se caractérise, pour l’essentiel, par sagravité intrinsèque (ou qualitative) et extrinsèque (ou quantitative),son contexte, ses objectifs, ses auteurs et ses victimes.

1) La gravité

2.9 La gravité intrinsèque (ou qualitative) du crime ressort de lanature des faits matériels : homicides, torture, esclavage, persécu-tions discriminatoires, etc., soit autant de faits qui portent atteinteaux valeurs les plus fondamentales de la personne — droit à la vie,à l’intégrité physique, à la liberté, à la dignité. La gravité de tellesatteintes ne prête pas à discussion.

La gravité extrinsèque (ou quantitative) du crime ressort de soncaractère massif : le texte du Statut dispose que les faits constitutifsdu crime doivent être « commis dans le cadre d’une attaque généra-

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108. Rapport CDI 1989, p. 147, par. 147.109. Ibid., 1996, Nations Unies, doc. A/51/10, pp. 114 et 116.110. TPIY, aff. IT-95-13-R61, Hôpital de Vukovar, 3 avril 1996, par. 30 ; id.,

aff. IT-94-1-T, Tadic , jugement, 7 mai 1997, par. 644-647 ; id., aff. IT-95-16-T,Kupreskic , 14 janvier 2000, par. 550.

111. Id., aff. IT-95-14-T, Blaskic , 3 mars 2000, par. 198-202 ; id., aff. 96-23 et23/1-T, Kunarac et al., 22 février 2001, par. 431.

112. TPIY, aff. IT-98-32-T, Vasiljevic , 29 novembre 2002, par. 227.

lisée ou systématique lancée contre toute population civile » (art. 7,par. 1), ce qui, en soi, implique le caractère multiple des crimes ;l’article 7, paragraphe 2, alinéa a), confirme que le crime contrel’humanité « consiste en la commission multiple d’actes visés auparagraphe 1 ».

2.10 Si le crime contre l’humanité est par définition massif, unfait isolé peut néanmoins être constitutif de crime contre l’humanités’il est commis dans le cadre de ce dernier. Pour le rapporteur spé-cial de la CDI sur le projet de Code des crimes contre la paix et lasécurité de l’humanité,

« un acte inhumain commis contre une seule personne pouvaitconstituer un crime contre l’humanité s’il s’inscrivait dans unsystème ou s’exécutait selon un plan, ou s’il présentait uncaractère de répétitivité qui ne laissait aucun doute sur lesintentions de son auteur ... un acte individuel pouvait constituerun crime contre l’humanité s’il s’inscrivait dans un ensemblecohérent et dans une série d’actes répétés et inspirés par lemême mobile : politique, religieux, racial ou culturel » 108.

La CDI va dans le même sens dès lors que l’acte isolé s’inscritdans un ensemble d’actes inhumains commis de « manière systéma-tique ou sur une grande échelle » (texte de 1996, art. 18) 109. La juris-prudence du TPIY confirme 110 : c’est l’intégration du fait individueldans le contexte d’une attaque massive ou systématique contre lapopulation civile qui confère à ce fait sa spécificité de crime contrel’humanité 111. Une chambre a toutefois considéré que cette incrimi-nation devait être limitée aux individus qui portaient la responsabi-lité d’un grand nombre d’homicides 112.

2) Le contexte

2.11 Le contexte du crime est celui «d’une attaque généraliséeou systématique lancée contre toute population civile» (art. 7, par. 1).

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113. TPIY, aff. IT-94-1-A, Tadic , 15 juillet 1999, par. 251.114. Id., aff. 96-23 et 23/1-T, Kunarac et al., 22 février 2001, par. 416, 570-

578 ; id., app., 12 juin 2002, par. 86.115. TPIY, aff. 96-23 et 23/1-A, Kunarac et al., 12 juin 2002, par. 90 ; id.,

aff. IT-98-32-T, Vasiljevic , 29 novembre 2002, par. 34.116. Jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg, 30 sep-

tembre-1er octobre 1946, Documents officiels, t. 1, p. 238.117. Code pénal, art. 212-1 et 2 ; Cass. fr., crim., 3 juin 1988, Barbie, Gaz.

Pal., 1988, II, p. 761.

La notion d’«attaque» n’implique ni l’existence d’un conflit armé 113,ni même une offensive armée. La jurisprudence indique que le« simple » fait d’infliger massivement de mauvais traitements à unepopulation civile ou à des personnes ne participant pas aux hostilitésest constitutif d’attaque contre une population civile, sinon la notionne se distinguerait plus très clairement du crime de guerre résultantd’une attaque militaire contre une population civile 114.

La population ne doit pas s’identifier à l’ensemble de la popula-tion de l’entité géographique où l’attaque a eu lieu : il faut seulementmontrer qu’un nombre suffisant de particuliers ont été pris pour cibleen tant qu’éléments de cette population et non comme individussélectionnés 115.

3) Les objectifs

2.12 Les objectifs du crime contre l’humanité sont « politiques »lato sensu puisque, aux termes du Statut, le crime est supposé com-mis « en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat oud’une organisation » (art. 7, par. 2, al. a)). Dans une certaine mesure,ce critère n’est pas sans rappeler celui du plan concerté qui figuraitdans les statuts des Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, mais uni-quement pour les crimes contre la paix 116, et qu’on retrouve en droitfrançais pour les crimes contre l’humanité 117. En d’autres termes, lecrime contre l’humanité doit répondre à certains objectifs d’un gou-vernement ou d’un groupe, des objectifs non autrement définis et quipeuvent donc être considérés très largement. Ils devraient toutefoispermettre de faire la distinction entre un crime contre l’humanité etdes crimes commis lors d’émeutes donnant lieu à une violence débri-dée, même si les victimes de cette violence sont choisies sur la basede certains critères.

2.13 Au nombre des crimes énoncés au titre du crime contre l’hu-manité figurent la persécution de tout groupe pour des motifs poli-

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118. Cf. aussi TPIY, aff. IT-95-16-T, Kupreskic , 14 janvier 2000, par. 570.119. TPIY, aff. IT-94-1-A, Tadic , 15 juillet 1999, par. 283-284.120. Ibid., par. 285.121. Ibid., par. 290.122. « Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 8 de

la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité », Nations Unies, doc. S/25704,3 mai 1993, par. 48.

123. TPIY, aff. IT-94-1-A, Tadic , 15 juillet 1999, par. 295-296.124. Ibid., par. 303.

tiques, raciaux, nationaux, ethniques, culturels, religieux, sexistes oudes motifs similaires. Ce critère discriminatoire n’existe, juridique-ment, que pour les persécutions, mais il est énoncé beaucoup pluslargement que dans les définitions des statuts des Tribunaux deNuremberg et de Tokyo et dans ceux des TPI. On peut dès lors sedemander s’il permet d’assurer une réelle autonomie aux persécu-tions par rapport aux autres types de crimes contre l’humanité : dèslors que ceux-ci doivent, par définition, être commis dans le cadred’une politique, ne sont-ils pas toujours commis de manière discri-minatoire et ne sont-ils pas toujours des persécutions contre ungroupe de personnes présentant un caractère commun ?

Après quelques hésitations, la jurisprudence du TPIY a opté pourun principe d’autonomie des persécutions : dans son arrêt du 15 juil-let 1999, la Chambre d’appel, se fondant sur le texte clair de la plu-part des sources du crime contre l’humanité, a finalement conclu quel’intention discriminatoire n’était un critère du crime que pour lespersécutions, et non pour les autres faits incriminés 118. La Chambrea notamment observé que :

— l’indication du motif discriminatoire pour les persécutions seraitinutile si ce motif caractérisait l’ensemble des faits incriminés ;or le législateur n’a pas l’habitude de parler pour ne rien dire, etchaque terme doit recevoir l’effet utile qu’il implique 119 ;

— des crimes contre l’humanité ont été commis pour d’autresmotifs que l’intention politique, raciale ou religieuse (des raisonsd’infirmité physique ou mentale, l’âge, etc.) 120 et ils ont étécondamnés comme tels 121 ;

— le rapport du Secrétaire général sur le Statut du TPIY et laconception restrictive du crime contre l’humanité qu’il contient(tout crime contre l’humanité serait commis à des fins discrimi-natoires 122) ne peuvent l’emporter sur le texte clair de l’article 5du Statut 123 confirmé par les déclarations de trois Etats membresdu Conseil de sécurité 124.

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125. Voir, par exemple, US Mil. Trib., 11-13 avril 1949, « Ministries Trial »,Trials of War Criminals before the Nuremberg Military Tribunals under ControlCouncil Law, no 10, vol. XIV, 1949, p. 678 ; voir aussi p. 676 ; Cour d’appel,Fribourg-en-Brisgau, 4 août 1946, Deutsche Rechts-Zeitschrift, Tübingen, vol. 1,1946, p. 93 ; H. Lauterpacht, BYBIL, 1944, p. 79.

2.14 L’article 7, paragraphe 1, alinéa h), précise toutefois que lapersécution doit être liée à tout acte qualifié de crime contre l’huma-nité ou à tout crime visé par le Statut. La persécution doit en quelquesorte « accompagner » des homicides, des tortures, des viols, etc., oudes crimes de guerre, dirigés contre un groupe spécifique de la popu-lation. Si l’on y ajoute le fait que les crimes contre l’humanité sontcommis dans le cadre d’une « politique », on peut se demander enquoi la persécution présente encore une quelconque autonomie. Nese confond-elle pas avec les homicides, tortures, viols, etc., commiscontre un groupe de la population civile ?

Ce serait oublier que les persécutions peuvent prendre d’autresformes que celles des actes visés à l’article 7, paragraphe 1. Le Sta-tut précise que la persécution résulte d’un « déni intentionnel etgrave de droits fondamentaux» des membres du groupe (art. 7, par. 2,al. h)). Or, ce déni ne se limite pas aux actes visés au paragraphe 1de l’article 7 ; il peut consister, par exemple, en des atteintes mas-sives et arbitraires au droit au procès équitable (Déclaration univer-selle des droits de l’homme, art. 8, 10, 11 ; Pacte relatif aux droitscivils et politiques, art. 14) ou aux droits patrimoniaux des membresdu groupe 125 (cf. Déclaration universelle des droits de l’homme,art. 17 ; premier Protocole à la Convention européenne des droits del’homme, art. 1). Ces atteintes commises à des fins discriminatoireset combinées avec d’autres actes réputés crimes contre l’humanitésont constitutives de « persécutions » distinctes des autres actes visésà l’article 7, paragraphe 1.

4) Les auteurs

2.15 Le crime contre l’humanité visé par le Statut n’est pas« réservé » à l’Etat : en affirmant que le crime peut être imputé à une« organisation », le Statut (art. 7, par. 2, al. a)) indique clairementque le crime peut aussi être le fait de particuliers. Ainsi, les milliersde crimes commis contre les populations civiles par des groupesrebelles, fanatiques ou extrémistes, en Algérie dans les annéesquatre-vingt-dix du siècle dernier ou en Colombie encore aujour-d’hui peuvent être assimilés à des crimes contre l’humanité.

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126. C. Grynfogel, « Le concept de crime contre l’humanité, hier, aujour-d’hui et demain », RDPC, 1993, p. 16 ; TPIY, aff. IT-94-1-T, Tadic , jugement,7 mai 1997, par. 619.

127. Voir aussi, notamment, Statut du TPIR, art. 4.128. TPIY, aff. IT-95-16-T, Kupreskic , 14 janvier 2000, par. 547-549.

5) Les victimes

2.16 Dans l’hypothèse où le crime contre l’humanité est commisà l’occasion d’un conflit armé, il se distingue du crime de guerrecommis contre des civils en ce que le crime de guerre est une infrac-tion qui, dans sa conception ancienne, était commise au préjudice deressortissants étrangers alors que le crime contre l’humanité vise desfaits commis aussi bien contre des étrangers que contre des natio-naux. C’est, d’ailleurs, pour cette raison que l’incrimination avait étéinscrite dans le Statut du Tribunal militaire international de Nurem-berg : il s’agissait de pouvoir réprimer au plan international lescrimes commis par les Allemands contre des Allemands 126. Aujour-d’hui, ce caractère du crime contre l’humanité n’a plus rien de spé-cifique puisque les atrocités commises lors d’un conflit armé internecontre des civils peuvent également être qualifiées de crimes deguerre (art. 8, par. 2, al. c)) 127.

Les victimes du crime contre l’humanité sont en principe descivils, mais le fait que des combattants peuvent aussi être victimes del’infraction ne supprime pas la qualification de «crime contre l’huma-nité » 128 dès lors que les autres critères de l’infraction sont réunis.

b) L’élément subjectif

2.17 Tous les crimes prévus par le Statut doivent comporter unélément intentionnel et de connaissance (art. 30). Dans le cas ducrime contre l’humanité, cet élément est, d’ailleurs, partie intégrantede la définition de l’élément matériel puisque le crime doit être per-pétré dans la poursuite d’une politique d’un Etat ou d’une organisa-tion (art. 7, par. 2, al. a)) (supra, paragraphe 2.12). Autrement dit,une personne ne peut être convaincue de crime contre l’humanitéque si elle sait que le fait de violence grave qu’elle a commis s’ins-crivait dans le cadre de la politique d’un Etat ou d’une organisation.

2.18 Si la règle est claire pour les planificateurs ou instigateursdu crime, qu’en est-il pour les participants ? Ni les statuts des Tribu-naux militaires internationaux ni ceux des TPI ne donnent de préci-

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129. TPIR, aff. ICTR-95-1-T, Kayishema et Ruzindana, 21 mai 1999, par. 134 ;id., aff. IT-95-16-T, Kupreskic, 14 janvier 2000, par. 557 ; id., aff. 96-23 et 23/1-T,Kunarac et al., 22 février 2001, par. 434.

130. Adoptés par la commission préparatoire de la CPI, New York, 30 juin2000.

131. TPIY, aff. IT-95-16-T, Kupreskic , 14 janvier 2000, par. 556.

sion sur l’élément moral de l’infraction. Les TPI ont, toutefois,estimé que le crime contre l’humanité ne pouvait être imputé à unepersonne que si celle-ci avait agi en connaissance de cause ; autre-ment dit, elle

« doit savoir que son acte est partie intégrante dans le cadred’une attaque généralisée et systématique contre la populationcivile et qu’il a été accompli pour donner effet à une politiqueet un plan donné » 129.

Le critère a été inscrit dans le Statut de la CPI qui exige que le faitsoit commis « en connaissance de cause de cette attaque » (art. 7,par. 1). Le participant à un crime contre l’humanité dont donc êtreconscient du fait qu’il agit dans un contexte d’agressions multiplescontre une population civile, aux fins d’une politique donnée. Lepoint est rappelé dans les éléments constitutifs des crimes 130, nonseulement de manière générale (introduction générale aux élémentsconstitutifs des crimes, par. 2), mais aussi, dans le cas du crimecontre l’humanité, à propos de chaque infraction matérielle compo-sant le crime contre l’humanité.

Comme, en outre, le fait matériel commis par le participant(homicide, torture, etc.) implique une qualification pénale spécifiqueavec son élément intentionnel propre (volonté de commettre unhomicide, de la torture, etc.) 131, il en découle que le participant aucrime contre l’humanité ne doit répondre de cette prévention que sil’on peut mettre en évidence un double dol : l’intention de com-mettre le fait proprement dit et la conscience de participer à unensemble de crimes qui expriment la volonté d’un Etat ou d’ungroupe d’attaquer une population civile. Si ce deuxième élément —la conscience de participer à un crime contre l’humanité — ne peutêtre mis en évidence, l’auteur ne doit alors répondre que d’un crimede droit commun qui ne présente pas la caractéristique aggravante etspécifique d’être un crime contre l’humanité.

2.19 La jurisprudence des TPI a permis de préciser la portée ducritère intentionnel. Dans l’affaire Blaskic , le TPIY a considéré que

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132. Aff. IT-95-14-T, Blaskic , 3 mars 2000, par. 257.133. Ibid., par. 259.134. TPIY, aff. IT-94-1-A, Tadic, 15 juillet 1999, par. 248 et 522 ; id., aff. 96-23

et 23/1-T, Kunarac et al., 22 février 2001, par. 433.135. A. Cassese, « Crimes against Humanity », dans A. Cassese et al. (dir.

publ.), I, p. 364.136. Ibid., p. 365.137. M. Bothe, « War Crimes », ibid., pp. 379 ss.

l’élément moral n’impliquait pas que l’accusé se fût identifié ou eûtadhéré à l’idéologie ou à la politique criminelle ; il suffisait qu’il aitaccepté « en conscience » de participer à la mise en œuvre de cetteidéologie ou de cette politique 132.

La preuve de cette intention pouvait se déduire de divers faits :circonstances du crime, fonctions de l’accusé au moment du crime,rang hiérarchique de l’accusé, notoriété du crime, etc. 133

Les motifs de la participation au crime ne sont pas pertinents ;celui-ci peut fort bien être commis pour des raisons purement per-sonnelles et n’en rester pas moins un crime contre l’humanité si lescritères de ce dernier sont satisfaits 134.

2.20 Le crime contre l’humanité n’exclut pas qu’il puisse êtrecommis sans dol direct, mais avec un dol éventuel, à savoir, le faitd’adopter un comportement sans nécessairement vouloir qu’il soitconstitutif de crime contre l’humanité, mais en admettant consciem-ment qu’il puisse y conduire, ce qui implique plus qu’une impru-dence grossière, même délibérée 135. A. Cassese illustre cette hypo-thèse par l’exemple d’un commandant ordonnant à ses subordonnésde transférer des civils dans un camp où, eu égard aux conditionsd’internement connues de ce commandant, ces personnes mourrontprobablement à la suite de famine ou de mauvais traitements 136.

4. Les crimes de guerre 137

2.21 On distinguera, ici aussi, l’élément matériel (a)) et l’élé-ment subjectif (b)) du crime de guerre.

a) L’élément matériel

2.22 Les crimes de guerre dont peut connaître la CPI se singula-risent par leur variété, le contexte de leur perpétration ainsi que parle caractère international ou non international du conflit où ils sontcommis.

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138. Pour une critique de cette longue énumération, A. Pellet, « ApplicableLaw », ibid., II, pp. 1055 ss.

1) La variété des crimes de guerre

2.23 Les crimes de guerre dont peut connaître la CPI sont énu-mérés dans une disposition du Statut (art. 8) qui ne fait pas moins detrois pages ! 138 L’évolution est saisissante par rapport aux textes pré-cédents :

— quelques lignes dans le Statut du Tribunal militaire internationalde Nuremberg de 1945 (art. 6, al. b)) où les crimes de guerre selimitaient, pour l’essentiel, à certaines violations graves du «droitde Genève » ;

— quelques mots dans le Statut du Tribunal militaire internationalde Tokyo de 1946 (art. 5, al. b)) où les crimes de guerre étaientsimplement désignés comme étant « les violations des lois etcoutumes de la guerre » ;

— un article commun à peu près identique dans chacune des quatreConventions de Genève de 1949 (art. 50/51/130/147) où le crimede guerre restait confiné en quelques lignes à certaines « infrac-tions graves » à ces conventions, c’est-à-dire au droit de Genève ;

— deux dispositions du premier Protocole additionnel de 1977 oùl’on avait ajouté aux infractions graves aux Conventions deGenève de 1949 d’autres violations du droit de Genève (art. 11,par. 4, et art. 85, par. 4, al. a)-c), e)) ainsi que, pour la premièrefois, certaines violations du droit de La Haye (art. 85, par. 3, etart. 85, par. 4, al. d)) ;

— deux dispositions du Statut du TPIY de 1993 où l’on avait repris,d’une part, les infractions graves aux Conventions de Genève de1949 (art. 2), d’autre part, des « violations des lois et coutumesde la guerre » qui s’apparentaient à des violations du droit de LaHaye (art. 3) ;

— une disposition du Statut du TPIR de 1994 (art. 4) où pour la pre-mière fois l’on érigeait en infractions certains faits commis dansun conflit armé non international, à savoir principalement lesviolations de l’article 3 commun aux quatre Conventions deGenève de 1949.

L’article 8 du Statut de la CPI reprend à peu près toutes les incri-minations précédentes et en ajoute de nouvelles, qu’il s’agisse de

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139. Les règles applicables aux personnes au pouvoir de l’ennemi.140. Les règles applicables aux hostilités ; sur le « droit de Genève » et le

« droit de La Haye », E. David, Principes de droit des conflits armés, Bruxelles,Bruylant, 3e éd., 2002, par. 1.4.

141. Sur l’interprétation « stricte » (mais qui ne l’est pas toujours…) de lanorme pénale, F. Tulkens et M. van de Kerchove, Introduction au droit pénal,Kluwer éd. jurid. Belgique, 1999, pp. 227 ss.

142. E. David, Eléments de droit pénal international, Presses univ. deBruxelles, 2003, par. 10.10 ss.

violations du droit de Genève 139 ou du droit de La Haye 140, etqu’elles soient commises dans un conflit armé international ou noninternational. Il en résulte une longue énumération de faits extrême-ment divers, mais énoncés de manière limitative, contrairement à ceque prévoyaient les Statuts du Tribunal militaire international deNuremberg (art. 6, al. b)) et des TPI (art. 3/art. 4) où il était stipuléque les violations des lois et coutumes de la guerre dont pouvaientconnaître ces tribunaux comprenaient, « sans y être limitées » (l’ita-lique est de nous), une série de comportements cités à titred’exemples. Dans le Statut de la Cour, il est stipulé que celle-ci peutconnaître de certaines violations des lois et coutumes de la guerre,« à savoir » (l’italique est de nous) (art. 8, par. 2, al. a), b), c), e)), lesfaits mentionnés dans l’article, donc à l’exclusion d’autres faits.

En outre, les incriminations portées au Statut sont, conformémentà un principe classique de droit pénal 141, d’interprétation restrictive(Statut, art. 22, par. 2).

2.24 La nouveauté de certaines de ces incriminations ne soulèveaucune difficulté au regard de nullum crimen sine lege puisqu’ellesne seront applicables qu’aux faits commis après l’entrée en vigueurdu Statut (art. 11, par. 1). Ce dernier eût-il été applicable à des faitscommis avant son entrée en vigueur qu’il n’est pas certain d’ailleursque cela aurait soulevé de problèmes particuliers de rétroactivité euégard à l’illicéité en droit pénal interne de la plupart des faits encause 142.

2) Le contexte de la perpétration des crimes de guerre

2.25 Les crimes de guerre doivent être commis en temps de…guerre (!) et liés à cette dernière. C’est une évidence dont il faut êtreconscient : un crime commis pendant une guerre n’est un crime deguerre qu’à la condition d’être perpétré, pour le compte d’une partieau conflit, même considérée lato sensu, aux fins d’en servir les

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143. Sur le lien de connexité entre le crime et le conflit armé, voir TPIY,aff. IT-23 et 23/1-A, Kunarac et al., 12 juin 2002, par. 58 ss. ; TPIR, aff. ICTR-97-20-T, Semanza, 15 mai 2003, par. 518 ss. ; id., aff. ICTR-96-3-A, Rutaganda,26 mai 2003, par. 570 ss.

144. M. Bothe, loc. cit., p. 388.

objectifs 143 ; si le crime est commis à des fins purement personnelleset sans véritable lien avec le conflit, cela reste un crime de droit com-mun qui, in casu, ne pourrait relever de la compétence de la CPI 144.

2.26 Par ailleurs, l’article 8 tend à faire du caractère massif etplanifié des crimes de guerre une condition de la compétence rationemateriae de la Cour, mais il ne s’agit pas d’une condition absolue :

« La Cour a compétence pour connaître des crimes de guerre,en particulier lorsque ceux-ci s’inscrivent dans le cadre d’unplan ou d’une politique ou font partie d’une série de crimes ana-logues commis sur une grande échelle.» (L’italique est de nous.)

Autrement dit, si formellement la Cour peut connaître de toutcrime de guerre, en pratique, elle ne devrait exercer sa compétenceque s’ils sont commis en grand nombre ou à la suite d’un plan oud’une politique : de minimis non curat curia…

3) Le caractère international du conflit

2.27 L’article 8 distingue deux crimes de guerre : ceux commisdans un conflit armé international (art. 8, par. 2, al. a)-b)) et ceux com-mis dans un conflit armé non international (art. 8, par. 2, al. c)-e)).

En ce qui concerne les premiers (pour les seconds, infra, para-graphes 2.31 et suivants), l’article 8 reprend systématiquement laliste des infractions graves aux Conventions de Genève de 1949(articles — à peu près — communs 50/51/130/147 des Conventionsde Genève repris à l’article 8, paragraphe 2, alinéa a)), ainsi quecelles énoncées dans le premier Protocole additionnel (art. 11, par. 4,et art. 85, par. 3-4, repris à l’article 8, paragraphe 2, alinéa b), pointsi, v, vii-x), dans le Statut du Tribunal de Nuremberg (art. 6, al. b),repris à l’article 8, paragraphe 2, alinéa b), points xiii, xvi) et dans leStatut du TPIY (art. 3, repris à l’article 8, paragraphe 2, alinéa b),points v, viii, xx) quitte à répéter en d’autres termes des incrimina-tions déjà citées dans le Statut (art. 8, par. 2, al. a)) au titre desinfractions graves aux Conventions de Genève de 1949 (parfois enles complétant ; cf. art. 8, par. 2, al. a), point v, et al. b), point xv).

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145. Cf. « Convention des Nations Unies du 9 décembre 1994 sur la sécuritédu personnel des Nations Unies et du personnel associé », A/Rés. 49/59.

2.28 Il y a toutefois d’autres prohibitions du droit des conflitsarmés qui, pour la première fois, sont érigées, explicitement, encrimes de guerre, même si certaines d’entre elles pouvaient tombersous le coup d’incriminations plus génériques, telles que le fait d’in-fliger intentionnellement des grandes souffrances (art. 50/51/130/147des Conventions de Genève). On citera notamment, et en substance :

— les attaques contre du personnel ou des biens d’une «mission d’aidehumanitaire de maintien de la paix» si cette mission n’agit pascomme partie belligérante (art. 8, par. 2, al. b), point iii) 145 ;

— l’utilisation de l’uniforme ennemi à des fins hostiles (ibid.,point vii) ainsi que « le fait de tuer ou de blesser par traîtrise »des militaires ou des civils ennemis (ibid., point xi) ;

— le fait de ne pas faire quartier (ibid., point vi) ou de déclarer qu’ilne sera pas fait quartier (ibid., point xii) ;

— le fait d’écarter toute action en justice des ressortissants de lapartie adverse (ibid., point xiv) ;

— l’utilisation de balles « dum-dum » (ibid., point xix) ;— l’emploi d’armes de nature à frapper sans discrimination (ibid.,

point xx) ;— les traitements humiliants et dégradants (ibid., point xxi) ;— le viol, la prostitution, la grossesse ou la stérilisation forcées

(ibid., point xxii) ;— la pratique des « boucliers humains » (ibid., point xxiii) ;— les attaques contre des personnes et des biens de caractère sanitaire

portant les signes prévus par les Conventions de Genève de 1949(ibid., point xxiv) ;

— l’emploi de la famine comme méthode de guerre (ibid., point xxv) ;— l’enrôlement d’enfants de moins de quinze ans ou leur utilisation

dans les hostilités (ibid., point xxvi).

2.29 Cette remarquable extension des incriminations contrasteavec la restriction apportée à deux d’entre elles : l’emploi d’armes oude moyens de nature, soit à causer des maux superflus (art. 8, par. 2,al. b), point xx), emploi déjà incriminé dans le Statut du TPIY(art. 3, al. a)), soit à frapper sans discrimination — emplois interditsde plus ou moins longue date et de manière générale par le droit desconflits armés (Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868 ; premierProtocole additionnel, art. 51, par. 4) ; ces emplois ne sont incriminés

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146. Voir E. David, Principes…, op. cit., par. 2.100 ss.147. M. Bothe, « War Crimes », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), I, p. 407 ;

pour une interprétation plus restrictive, M. Cottier, dans O. Triffterer (dir. publ.),p. 242.

par le Statut que dans la mesure où les armes et moyens visés serontprécisés dans une annexe au Statut, adoptée par l’Assemblée desEtats parties.

La limitation de l’incrimination réside dans le fait qu’il s’agirad’identifier avec précision les armes de nature à causer des mauxsuperflus ou à frapper sans discrimination alors que ces faits sontinterdits de manière générique sans qu’on ait chercher à préciserquelles étaient les armes en cause 146.

On observera également la curieuse incohérence consistant à incrimi-ner l’emploi d’armes chimiques (art. 8, par. 2, al. b), point xviii) maisnon l’emploi d’armes bactériologiques alors qu’il s’agit dans les deuxcas d’armes à caractère indiscriminé, aptes à causer des souffrancesinutiles et déjà interdites par le Protocole de Genève de 1925 147. Oubliou souhait de laisser la question réglée par l’Assemblée des Etats par-ties? Cette lacune est de toute façon peu cohérente avec l’incriminationdes armes chimiques.

2.30 Si cette incrimination est limitée dans le Statut, elle n’im-plique cependant pas une évolution dans le sens d’une diminution dela prohibition existant par ailleurs dans le droit des conflits armés : ilest clairement stipulé qu’aucune disposition de ce chapitre du Statut« ne doit être interprétée comme limitant les règles du droit interna-tional existantes ou en formation » (art. 10). Le principe est répété àpropos de la règle nullum crimen sine lege : le fait qu’un comporte-ment ne soit pas incriminé dans le Statut n’implique pas qu’il nepuisse pas l’être au regard du droit international (art. 21, par. 3).

4) Le caractère non international du conflit

2.31 Comme pour les conflits armés internationaux où le Statutdistingue entre les faits constitutifs d’infractions graves aux quatreConventions de Genève de 1949 et ceux constitutifs d’autres viola-tions du droit international humanitaire, pour les conflits armésinternes le Statut prévoit deux types d’incriminations : d’une part, l’in-crimination des violations de l’article 3 commun aux Conventions deGenève (Statut, art. 8, par. 2, al. c)), d’autre part, l’incriminationd’autres violations du droit des conflits armés (art. 8, par. 2, al. e)).

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148. TPIY, app., aff. IT-94-1-AR72, 2 octobre 1995, Tadic , par. 88 ss.

En ce qui concerne les violations de l’article 3 commun, l’article 8,paragraphe 2, alinéa c), du Statut se distingue de l’article 4 corres-pondant du Statut du TPIR : ce dernier texte comprenait aussi troisautres incriminations — pillage, actes de terrorisme et punitions col-lectives. L’article 8, paragraphe 2, alinéa c), du Statut de la CPI n’arepris que le pillage et a ajouté une série d’autres incriminations oùne figurent ni les actes de terrorisme, ni les punitions collectives,même si l’on peut considérer que ces faits sont partiellement cou-verts par la disposition.

En conservant certaines incriminations et en en ajoutant d’autres,les Etats ont, en quelque sorte, précisé, voire codifié, ce que laChambre d’appel du TPIY avait décidé dans son arrêt du 2 octobre1995 lorsqu’elle avait affirmé, de manière générale, que les viola-tions des lois et coutumes de la guerre autres que les infractionsgraves aux Conventions de Genève de 1949 étaient des crimes deguerre, qu’ils fussent commis dans un conflit armé international ouinterne 148.

Du coup, le Statut limite le champ d’application de l’incrimina-tion. S’il est vrai que, comme les autres incriminations visées au Sta-tut, celles applicables dans les conflits armés non internationaux nesont valables qu’aux fins prévues par le Statut, il demeure que lechoix des incriminations opéré par les Etats tend à représenter leuropinio juris en la matière en 1998. Il semble peu significatif que lacodification est sans préjudice du droit existant comme l’affirmel’article 10 du Statut, et comme on l’a vu à propos de l’emploid’armes ou de moyens de nature à causer des maux superflus ou àfrapper sans discrimination. Ici, le droit coutumier est moins clairque semblait le prétendre — pour le plus grand bien toutefois dudroit international humanitaire — la Chambre d’appel du TPIY en1995. Celle-ci, en affirmant que le droit coutumier incriminait lesviolations des lois et coutumes de la guerre commises dans unconflit armé non international, se fondait sur un certain nombred’éléments épars tirés de la pratique qui étaient loin d’avoir la por-tée des choix réfléchis (du moins, en théorie…) effectués par laconférence diplomatique de Rome.

Alors que l’interdiction d’employer des armes et moyens denature à causer des maux superflus ou à frapper sans discriminationest énoncée dans divers instruments dont l’effet juridique n’est pas

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149. Aff. IT-95-17/1-T, 10 décembre 1998, par. 227 ; dans le même sens,aff. IT-94-1-A, Tadic , 15 juillet 1999, par. 223 ; voir cependant opinion indivi-duelle Shahabuddeen, par. 3.

150. S/Rés. 1325, 31 octobre 2000, par. 9.

affecté par le Statut (notamment, en vertu de son article 10), enrevanche l’incrimination des violations des lois et coutumes de laguerre commises dans un conflit armé non international ne résulteque d’une affirmation de portée fort générale de la Chambre d’appeldu TPIY. C’est la raison pour laquelle nous aurions tendance àconsidérer que l’article 8, paragraphe 2, alinéa d), fait le point de lacoutume en la matière. Dans l’affaire Furundzia, une chambre duTPIY a affirmé que le Statut de la CPI

« peut, d’une manière générale, être considéré comme uneexpression des conceptions juridiques d’un grand nombred’Etats qui fait autorité » 149.

Le Conseil de sécurité a aussi souligné, à propos de l’obligationde respecter les règles du droit international humanitaire (notammentcelles à caractère « sexo-spécifique »), que « toutes les parties à unconflit armé » devaient « tenir compte des dispositions pertinentes duStatut de Rome de la CPI » 150.

2.32 En ce qui concerne le contenu des incriminations appli-cables à des faits commis dans un conflit armé non international,elles correspondent, ainsi qu’on l’a vu, d’une part, à des violations del’article 3 commun (art. 8, par. 1, al. c)) sur lesquelles on ne revien-dra pas, d’autre part, à un certain nombre de violations du droit deLa Haye et du droit de Genève que l’on va examiner rapidement.

Les violations du droit de La Haye incriminées comme crimes deguerre lorsqu’elles sont commises dans un conflit armé non interna-tional sont, en gros,

— les attaques contre des non-combattants, à savoir des civils, dupersonnel et des unités sanitaires dûment identifiées, les missionsd’aide humanitaire ou de maintien de la paix non belligérantes(art. 8, par. 2, al. e), points i-iii) ;

— les attaques contre des biens à caractère culturel, religieux, cari-tatif ou sanitaire (ibid., point iv) ;

— « le fait de tuer ou blesser par traîtrise un adversaire combattant »(ibid., point ix) ;

— le refus de quartier (ibid., point x).

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On remarquera que l’emploi d’armes ou de moyens de guerre pro-hibés par le droit des conflits armés n’est pas incriminé. On peut endéduire que, sur ce point précis, la Conférence de Rome n’a passuivi les conclusions de la Chambre d’appel du TPIY dans le juge-ment Tadic précité dès lors que :

— la Chambre avait dit que l’incrimination des violations des lois etcoutumes de la guerre visées par l’article 3 du Statut du TPIYs’appliquait aux conflits armés non internationaux ;

— l’article 3, alinéa a), incriminait « l’emploi d’armes toxiques oud’autres armes conçues pour causer des souffrances inutiles ».

Le raisonnement de la Chambre impliquait donc que l’emploi deces armes dans un conflit armé non international était constitutif decrime de guerre. Le Statut de la CPI tend à démentir cette conclu-sion.

On peut faire la même observation à propos des autres violationsdes lois et coutumes de la guerre puisque l’article 3 du Statut duTPIY précise qu’il n’est pas limité aux seuls faits énumérés danscette disposition. Autrement dit, des violations des lois et coutumesde la guerre non citées à l’article 3 peuvent aussi être constitutivesde crimes de guerre, et elles le resteraient dans l’hypothèse d’unconflit armé non international. Aujourd’hui, le Statut de la CPI per-met de préciser quelles sont les violations des lois et coutumes de laguerre que la communauté internationale assimile à des « crimes deguerre », stricto sensu, en cas de conflit armé non international.

En ce qui concerne les autres violations des lois et coutumes de laguerre énoncées à l’article 3 du Statut du TPIY, elles se retrouvent,en substance, dans l’article 8, paragraphe 2, alinéa e), du Statut de laCour.

2.33 Les violations du droit de Genève incriminées commecrimes de guerre lorsqu’elles sont commises dans un conflit arménon international comprennent en substance, outre les violations del’article 3 commun déjà citées, les faits suivants : le pillage, le viol,la prostitution, la grossesse ou la stérilisation forcées, l’enrôlementd’enfants de moins de quinze ans ou leur utilisation dans les hostili-tés, les déplacements forcés de populations civiles non justifiés parleur sécurité ou la guerre, les expériences médicales imposées etdangereuses pour la santé des sujets, les saisies ou destructions debiens non justifiées par les nécessités du conflit (art. 8, par. 2, al. d),points v-viii, xi-xii).

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151. Voir, par exemple, www.conflits.org/document.php ?id=91 (consulté le6 août 2005).

2.34 Si tous les faits incriminés par le Statut dans les conflitsarmés non internationaux le sont aussi dans les conflits armés inter-nationaux, l’inverse n’est pas vrai.

Ainsi, ne sont pas des crimes entrant dans la compétence de laCPI lorsqu’il sont commis dans un conflit armé non international lesfaits suivants qui sont pourtant réputés crimes lorsqu’ils sont com-mis dans un conflit armé international : les attaques contre des bienscivils qui ne sont pas des objectifs militaires (art. 8, par. 2, al. b),point ii), l’utilisation d’armes prohibées (poison, armes chimiques,balles « dum-dum » (ibid., points xvii-xx), la pratique des boucliershumains (ibid., point xxii), la famine délibérée de civils (ibid.,point xxv).

On s’interrogera évidemment sur les raisons qui ont pu pousserles Etats à ne pas voir des crimes dans des faits qu’ils incriminentpourtant lorsqu’ils sont commis dans un conflit armé international.Si la CPI avait existé lors du gazage par l’aviation irakienne des cinqmille habitants de la petite ville kurde de Halabjah, le 16 mars1988 151, et si la Cour avait été compétente ratione personae, gentisou loci pour connaître de ce fait, la Cour n’en serait pas moins res-tée incompétente ratione materiae pour ce qui concerne l’utilisationd’armes chimiques dans cette affaire ; certes, elle aurait pu connaîtredu fait au titre d’attaque délibérée contre la population civile, maisnon au titre de l’emploi d’armes prohibées, alors qu’elle aurait pu enconnaître dans le cadre du conflit armé international entre l’Irak etl’Iran où des gaz avaient aussi été employés. Ces deux poids deuxmesures sont une réalité juridique même s’ils restent moralementinjustifiables.

2.35 Le champ d’application ratione contextus des incriminationsapplicables dans les conflits armés internes varie selon les crimes :pour les violations de l’article 3 commun, il s’agit des conflits armésnon internationaux qui présentent une ampleur plus grande que lestroubles intérieurs et les tensions internes (art. 8, par. 2, al. d)).

Pour les autres incriminations applicables dans les conflits armésnon internationaux, il faut que le conflit oppose, de manière durableet prolongée, des groupes armés organisés, soit entre eux, soit augouvernement (art. 8, par. 2, al. f)). On observera que, sur ce point, leStatut étend indirectement le champ d’application du deuxième Pro-

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tocole additionnel qui était limité aux conflits armés internes qui,d’une part, opposaient uniquement le gouvernement à des groupesarmés organisés, d’autre part, se caractérisaient par le fait que cesgroupes armés contrôlaient effectivement une partie de territoire(deuxième Protocole additionnel, art. 1, par. 1).

Dans la mesure où le Statut peut apparaître comme l’expressionde l’opinio juris des Etats, il développe, quant au contexte de sonapplication, le droit matériel applicable aux conflits armés et ren-force la protection des victimes des conflits armés non internatio-naux.

b) L’élément subjectif

2.36 Indépendamment de l’élément psychologique général quidoit être présent pour chacun des comportements visés par le Statutafin qu’ils s’apparentent à un crime (art. 30), les éléments constitu-tifs des crimes insistent sur le fait que les auteurs des comportementss’apparentant à des crimes de guerre ne doivent pas seulement avoirvoulu ce comportement ; il faut aussi qu’ils aient eu connaissance descirconstances qui permettent de considérer que celles-ci établissentl’existence d’un conflit armé (éléments constitutifs des crimes, art. 8,introduction) : le crime de guerre requiert, donc, comme le crimecontre l’humanité (supra, paragraphe 2.18), un double dol.

Assez curieusement, on ne demande pas à l’auteur de savoir quela situation dans laquelle ce comportement a eu lieu est, juridique-ment, une situation de conflit armé, international ou non internatio-nal, mais on lui demande d’être conscient du fait qu’il existe unerelation conflictuelle de violence armée, soit, entre deux pays, soit,entre des groupes armés organisés entre eux ou entre des groupesarmés organisés et un gouvernement. En particulier, il n’est pasrequis que l’auteur fasse la différence entre des troubles ou des ten-sions internes et un conflit armé, mais il doit être au courant qu’ilexiste des violences armées de caractère collectif qu’un juge pourraitqualifier de conflit armé.

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152. L. Condorelli et S. Villalpando, « Relationship of the Court with theUnited Nations », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), I, p. 226.

CHAPITRE III

UN SYSTÈME, À LA FOIS, PROCHE ET DISTINCTDES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

A. L’organisation institutionnelle de la CPI

3.1 Alors que les TPI sont des organes subsidiaires du Conseilde sécurité, la CPI peut être qualifiée d’organisation internationaleautonome puisqu’elle jouit de la personnalité juridique (art. 4) et quesa liaison avec les Nations Unies, conformément à ce que prévoit leStatut (art. 2), a été l’objet d’un accord entre la CPI et l’ONU,conclu le 7 juin 2004.

Bien que le Statut ne précise pas quelle est la personne chargée dereprésenter la CPI, il semble que le président soit habilité à remplircette fonction puisque c’est lui qui conclut l’accord de liaison avecles Nations Unies (art. 2).

3.2 A côté de la Cour en tant qu’organe international autonome,le Statut prévoit la constitution d’une Assemblée composée des Etatsparties avec voix délibérative et des Etats signataires avec statutd’observateurs (art. 112, par. 1).

Entre autres tâches, l’Assemblée arrête le budget de la Cour etdonne à la Présidence, au Procureur et au Greffier des orientationsgénérales pour l’administration de la Cour (art. 112, par. 2).

Faute de précision sur ce point dans le Statut de la Cour, l’As-semblée ne semble pas faire partie de la Cour en tant qu’organisationinternationale : elle ne figure, d’ailleurs, pas sur la liste des organescités dans l’article 34 152. Le Statut est également muet sur le pointde savoir si l’Assemblée et son Bureau (composé des représentantsde vingt et un Etats membres) (art. 112, par. 3) jouissent d’une per-sonnalité juridique. Ces instances s’apparentent à des groupesd’Etats sans personnalité juridique.

Il est difficile de prévoir si l’Assemblée va devenir une sorte debelle-mère de la Cour. Elle en a, en tout cas, les moyens aux plansadministratif et budgétaire. Des problèmes de ce genre rencontrés

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153. Moniteur belge (MB) (journal officiel belge), 15 avril 2005.

par le TPIR au début de son existence ne sont sans doute pas étran-gers à ces dispositions.

Il est de toute façon logique d’avoir prévu un encadrement admi-nistratif et financier dès lors que, au contraire des TPI, la Cour, quiest elle-même une organisation internationale, n’est pas un élémentd’une organisation internationale où un secrétariat peut s’occuperdes questions matérielles. Il fallait donc trouver, à l’instar d’ailleursde ce qui existe dans tout Etat pour ce genre de questions, une arti-culation entre le politique (les Etats) et le judiciaire (la Cour) : c’estun peu le rôle confié à l’Assemblée des Etats parties.

3.3 La Cour, ses juges, les membres du Bureau du Procureur, duGreffe, du Secrétariat de l’Assemblée des Etats parties et les repré-sentants de ces derniers à cette Assemblée jouissent d’un régime deprivilèges et immunités analogue à celui que l’on trouve dans la plu-part des organisations internationales (Accord sur les privilèges etimmunités de la Cour pénale internationale du 9 septembre 2002) 153.On notera que le Secrétaire général de l’Organisation des NationsUnies est le dépositaire de cet accord et que celui-ci est ouvert à tousles Etats, et pas seulement aux Etats parties au Statut (art. 34).

3.4 Au plan budgétaire, le financement de la Cour est assuré parles contributions des Etats parties fixées selon l’échelle des contri-butions au budget de l’ONU (art. 117), par l’Assemblée des Etatsparties (art. 111, par. 2, al. d) ; art. 115).

Les Nations Unies contribuent également au financement de la Cour,avec l’approbation de l’Assemblée générale, surtout dans l’hypothèse oùdes situations sont renvoyées à la Cour par le Conseil de sécurité confor-mément à l’article 13, paragraphe 1, alinéa b) (art. 115, al. b)). On acependant vu que, pour la saisine de la CPI dans le cas du Darfour, lesNations Unies, sous l’influence des Etats-Unis, ont refusé de financer letravail de la CPI pour cette affaire (supra, paragraphe 1.50).

L’Accord du 7 juin 2004 régissant les relations entre l’ONU et laCPI prévoit que les dépenses et frais résultant de la coopération entreles deux organisations doivent faire l’objet d’accords spécifiques(Accord, art. 13, par. 2). En outre, l’ONU accepte de mettre sesservices et installations à la disposition de la CPI, dans la mesure deses disponibilités et… contre remboursement (Accord, art. 10 ;A/Rés. 58/318, 13 septembre 2004, par. 3).

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154. Pour d’autres détails, www.iccnow.org/pressroom/ciccmediastatements/2003/0207200318_judges_f.

La Cour peut également bénéficier de contributions volontairesd’Etats, d’organisations internationales ou de personnes privées(art. 116).

3.5 La Cour comporte dix-huit juges (contre quatorze pourchaque TPI, sans compter les juges ad litem) et un procureur élus parl’Assemblée des Etats parties sur une liste de candidats proposés parles Etats parties, étant entendu que tout candidat doit avoir la natio-nalité d’un Etat partie (art. 36, par. 4, al. b)).

Le Procureur soumet à l’Assemblée une liste de candidats pourl’élection de un ou plusieurs procureurs adjoints (art. 42, par. 4).Juges et procureurs sont élus pour un mandat unique de neuf ans(sauf première élection des juges car la Cour est renouvelable partiers tous les trois ans) (art. 36, par. 9, et 42, par. 4).

3.6 L’élection doit également tenir compte des critères de lareprésentation géographique équitable, de la représentation des prin-cipaux systèmes juridiques du monde et d’une représentation équi-table des hommes et des femmes (art. 36, par. 8). Il ne peut y avoirplus d’un juge d’une même nationalité (art. 36, par. 7).

Le critère de la représentation géographique équitable ne devra êtrerespecté que dans le cadre des Etats parties au Statut (et non dans celuide l’ensemble de la communauté internationale) puisque seuls les res-sortissants des Etats parties peuvent être juges (supra, paragraphe 3.5).

Les juges élus en février 2003 pour des mandats de trois, six ouneuf ans (déterminés par tirage au sort, art. 36, par. 9, al. b)) sontRené Blattmann (Bolivie, six ans) ; Maureen Harding Clark (Irlande,neuf ans), Fatoumata Dembele Diarra (Mali, neuf ans), Adrian Ful-ford (Royaume-Uni, neuf ans), Karl T. Hudson-Phillips (Trinité-et-Tobago, neuf ans), Claude Jorda (France, six ans), Hans-Peter Kaul(Allemagne, trois ans), Philippe Kirsch (Canada, six ans), ErkkiKourula (Finlande, trois ans), Akua Kuenyehia (Ghana, trois ans),Elizabeth Odio Benito (Costa Rica, neuf ans), Navanethem Pillay(Afrique du Sud, six ans), Geoghios M. Pikis (Chypre, six ans),Mauro Politi (Italie, six ans), Tuiloma Neroni Slade (Samoa, troisans), Sang-hyun Song (République de Corée, trois ans), Sylvia H. deFigueiredo Steiner (Brésil, neuf ans), Anita Usacka (Lettonie, troisans) 154. Ph. Kirsch, ancien président de la Commission plénière de la

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155. www.iccnow.org/buildingthecourt/iccjudges/statusofnominations/officia.156. Le Soir, 25 mars 2003.157. S/Rés. 1165, 30 avril 1998 ; S/Rés. 1166, 13 mai 1998.

Conférence de Rome a été élu président de la CPI 155. Les dix-huitjuges ont prêté serment le 11 mars 2003 à La Haye.

Le Procureur de la CPI est Luis Moreno Ocampo (Argentine) 156.

3.7 L’idée d’un mandat unique est originale : les juges des TPI,élus pour quatre ans par l’Assemblée générale des Nations Unies,comme ceux de la CIJ, élus pour neuf ans par le Conseil de sécuritéet l’Assemblée générale, sont rééligibles (statuts des TPI, art. 13,par. 2 et 4/art. 12, par. 3 et 5 ; Statut de la CIJ, art. 8 et 13, par. 1).

En écartant cette possibilité de réélection, les auteurs du Statutassurent aux juges et aux procureurs une plus grande indépendanced’esprit. Lorsqu’ils poursuivent ou rendent un jugement, ils ne doi-vent pas se soucier de ménager les intérêts particuliers de tel ou telEtat appelé plus tard à les réélire.

Autre originalité du Statut, il est prévu que l’Assemblée des Etatsparties peut, si la charge de travail l’exige, augmenter temporaire-ment le nombre de juges (art. 36, par. 1-2). Dans le cas des TPI, il afallu amender les statuts pour procéder à une augmentation dunombre de juges 157.

3.8 Outre les conditions classiques d’impartialité et d’intégrité,les juges doivent présenter des compétences particulières soit dans lapratique du droit pénal, soit dans celle du droit international, notam-ment du droit humanitaire et des droits de l’homme (art. 36, par. 3,al. a)-b)).

Ces exigences ne sont pas des clauses de style : lors de l’électiondes juges, il faut qu’au moins neuf juges répondent aux qualifica-tions de pénaliste et cinq à celles d’internationaliste (art. 36, par. 5).Ont été élus en qualité de juges pénalistes : Maureen Harding Clark,Fatoumata Diarra, Adrian Fulford, Karl Hudson-Phillips, ClaudeJorda, Elizabeth Odio Benito, Gheorghios Pikis, Tuiloma Slade,Sang-hyun Song, Sylvia Steiner. Les juges réputés internationalistessont : Rene Blattman, Hans-Peter Kaul, Philippe Kirsch, Erkki Kou-rula, Akua Kuenyehia, Navanethem Pillay, Mauro Politi, AnitaUsacka.

3.9 Comme les TPI, la CPI comporte des chambres de premièreinstance de trois juges (la section de première instance comprenant

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158. J. R. W. D. Jones « Composition of the Court », dans A. Cassese et al.(dir. publ.), I, p. 262.

159. Le « Règlement de la CPI » adopté le 26 mai 2004 désigne ses disposi-tions sous le vocable de « norme » ; toute norme suivie d’un numéro renvoiedonc à une disposition de ce règlement.

au moins six juges), une Chambre d’appel de cinq juges (la sectiond’appel), un Bureau du Procureur et un Greffe (art. 34, 39, 42, 43).

Le Statut a prévu deux autres instances qui sont des nouveautéspar rapport aux TPI : la Présidence et des Chambres préliminaires (lasection préliminaire). La Présidence composée du Président et desdeux Vice-Présidents, élus à la majorité absolue des juges pour unmandat de trois ans, renouvelable une fois (art. 38, par. 1), s’occupede la bonne administration de la Cour, à l’exception du Bureau duProcureur (art. 38, par. 3 ; voir aussi art. 35, par. 3 ; 36, par. 2, al. c),point ii ; 41, par. 1 ; 42, par. 6 ; 74, par. 1). Comme le Greffe est res-ponsable des aspects non judiciaires de l’administration de la Cour(sans préjudice des fonctions du Procureur) (art. 43, par. 1), on peutsupposer que la Présidence s’occupe des aspects judiciaires de cetteadministration — une distinction qui manque de clarté 158.

La Chambre préliminaire est composée de un ou de trois juges(art. 39, par. 2, al. b), point iii) selon les matières à traiter. Il s’agitd’une chambre à trois juges (ainsi que cela ressort, plus implicite-ment qu’explicitement, de l’article 57, paragraphe 2, alinéa a)) pourles décisions interlocutoires concernant l’autorisation accordée auProcureur d’ouvrir une enquête (art. 15, par. 3-4 ; 18, par. 2) et d’en-quêter sur le territoire d’un Etat (art. 54, par. 2, al. b)), la récolted’éléments de preuve en une occasion particulière (art. 56 ; voir aussiart. 57, par. 3), la compétence de la Cour ou la recevabilité del’affaire avant confirmation des charges (art. 19, par. 6), le contrôlede la décision du Procureur de ne pas poursuivre (art. 53, par. 2-3),la confirmation ou le rejet des charges (art. 61, par. 7), la divulgationde renseignements concernant un Etat (art. 72, par. 5). Dans lesautres cas (par exemple, la délivrance d’un mandat d’arrêt ou d’unecitation à comparaître, art. 58 ; le maintien en détention ou la libéra-tion de l’accusé, art. 60), il peut s’agir d’une chambre à un juge ; laChambre préliminaire décide de ce point (règle 7 et norme 47 159).

3.10 Les juges d’une chambre (préliminaire ou de première ins-tance) restent affectés à cette chambre jusqu’au règlement de l’af-faire dont elle connaît (art. 39, par. 3, al. a)) ; il est donc exclu qu’un

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160. O. Fourny, « Powers of the Pretrial Chambers », dans A. Cassese et al.(dir. publ.), II, p. 1237.

juge ayant participé à la phase préliminaire de l’affaire puisse siégerà la Chambre de première instance saisie de cette affaire (art. 39,par. 4), ce qui est conforme au principe selon lequel un juge qui adéjà exprimé son opinion lors d’une phase de la procédure ne peutplus participer à une phase ultérieure 160. Règle différente aux TPI oùle juge appelé à confirmer l’acte d’accusation du Procureur peutencore siéger à la chambre appelée à juger ultérieurement l’accusé(règlements TPI, art. 15, C).

3.11 L’appel est admis dans des conditions légèrement plus largesque ce qui est prévu pour les TPI où l’appel est admis pour erreur dedroit qui invalide la décision ou erreur de fait qui entraîne un déni dejustice (statuts TPI, art. 25, par. 1/art. 24, par. 1) : à la CPI, l’accusécomme le Procureur peuvent interjeter appel de la décision de fondnon seulement pour erreur de fait ou de droit, mais aussi pour vicede procédure, disproportion entre crime et peine ; en outre, l’accusépeut aussi interjeter appel pour tout motif de nature à compromettrel’équité ou la régularité de la décision (art. 81, par. 1-2, al. a)).

L’appel peut porter non seulement sur la décision de culpabilitéou de condamnation (art. 81, par. 1), mais aussi sur les décisions etordonnances concernant la compétence, la recevabilité, les demandesde mise en liberté et certaines autres décisions interlocutoires(art. 82, par. 1-2). Pour les appels relatifs à des décisions autres quecelles portant sur la culpabilité, la peine ou les réparations civiles,la procédure est écrite, sauf décision contraire de la Chambred’appel (règle 156, par. 3).

B. L’information et l’instruction de l’affaire

3.12 Pour rappel (supra, paragraphe 1.28), le Procureur « peut »ouvrir une enquête sur plainte d’un Etat ou sur renvoi d’une situationpar le Conseil de sécurité, ou de sa propre initiative à la suite desrenseignements qui lui parviennent concernant un crime relevant dela compétence de la Cour (art. 13, 15, par. 1, et 53, par. 1-2).

Comme pour les TPI (art. 18, par. 1/art. 17, par. 1), l’ouvertured’une enquête est donc soumise à un principe d’opportunité. Toute-fois, à la différence des TPI, la décision du Procureur de ne pasouvrir d’enquête ou de ne pas entamer des poursuites à propos d’un

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161. D. D. Ntanda Nsereko, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 399 ; contra,G. Turone, « Powers and Duties of the Prosecutor », dans A. Cassese et al.(dir. publ.), II, pp. 1172-1173.

crime peut, dans certaines conditions, être revue par la Chambre pré-liminaire (art. 53, par. 3), ainsi qu’on le verra plus loin.

Avant d’examiner les principes relatifs à l’instruction de l’af-faire (3), il faut, d’abord, distinguer deux étapes préalables : l’examenpar le Procureur de l’opportunité d’ouvrir une enquête (1) et les consé-quences de cet examen (2).

1. L’examen par le Procureur de l’opportunitéd’ouvrir une enquête

3.13 Le Procureur, sur la base des renseignements qu’il reçoit detoute source (Etats, organisations internationales, particuliers, enquê-teurs du Procureur) décide s’il lui paraît que des crimes relevant dela compétence de la Cour justifient l’ouverture d’une enquête (art. 15,par. 1-3). A cet effet, le Procureur vérifie :

— s’il existe « une base raisonnable » de croire qu’un crime de droitinternational humanitaire a été commis ; autrement dit, il vérifies’il existe des éléments suffisants permettant de conclure qu’uncrime a été commis sans que ces éléments atteignent nécessaire-ment le standard du « prima facie case » 161 ;

— si ce crime ne donne pas déjà lieu à enquête ou poursuites dansun Etat, eu égard au principe de complémentarité (supra, para-graphe 1.22) ;

— si l’enquête, vu « la gravité du crime » et les « intérêts des vic-times », sert « les intérêts de la justice » (Statut, art. 53, par. 1 ;Règlement de procédure et de preuve, règle 48).

A l’issue de cet examen, le Procureur décide, sur la base des élé-ments recueillis, s’il y a lieu, ou non, d’ouvrir une enquête.

2. Les conséquences de l’examen du Procureur

3.14 Les conséquences de la décision du Procureur d’ouvrir uneenquête, ou non, sont réglées de manière plutôt disparate et com-plexe aux articles 15, 18 et 53 du Statut. On distinguera l’hypothèseoù le Procureur décide d’ouvrir une enquête de celle où il décide dene pas ouvrir d’enquête.

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a) Le Procureur décide d’ouvrir une enquête

3.15 Si le Procureur a été saisi par un Etat partie (art. 13, al. a),et 14) ou s’il décide d’agir d’initiative (art. 13, al. c), et 15, al. a)), ildoit notifier sa décision d’ouvrir une enquête à tous les Etats partiesau Statut ainsi qu’à tout Etat qui pourrait être compétent à l’égard ducrime en cause (art. 18, par. 1). L’Etat « normalement » compétentest, au minimum, celui où se trouve l’auteur présumé du crime, maison pourrait y ajouter l’Etat du lieu du crime et l’Etat de la nationa-lité du crime.

Il s’agit de s’assurer qu’aucun Etat ne souhaite s’occuper de l’af-faire conformément au principe de la complémentarité (art. 17).

3.16 Si dans le mois de cette notification aucun Etat ne réagit(art. 18, par. 2, a contrario), le Procureur doit demander l’autorisa-tion de la Chambre préliminaire pour ouvrir officiellement sonenquête ; il doit en informer les victimes (ou leurs représentantslégaux) qu’il connaît ou qui sont connues de la division d’aide auxvictimes et aux témoins, sauf si cette information pouvait menacerleur sécurité (Statut, art. 15, par. 3, et Règlement de procédure et depreuve, règle 50, par. 1). Les victimes peuvent adresser des conclu-sions écrites à la Chambre et celle-ci peut, si elle le juge utile, tenirune audience (règle 50, par. 3-4).

Si un Etat déclare vouloir poursuivre, le Procureur lui défère lesoin de l’enquête, à moins que le Procureur ne conteste cette volontédevant la Chambre préliminaire et lui demande l’autorisation d’ou-vrir une enquête (art. 18, par. 2).

3.17 Si la Chambre préliminaire estime qu’il y a une base rai-sonnable pour ouvrir une enquête et que la Cour est compétente pouren connaître (ou que le Procureur est mieux placé que l’Etat pourmener l’enquête conformément à l’article 17, elle autorise le Procu-reur à ouvrir son enquête sans préjudice de toute question de com-pétence ou de recevabilité qui peut toujours être soulevée au fond(art. 15, par. 4, et 18, par. 2).

Autrement dit, si le fait d’accepter l’ouverture de l’enquêteimplique, à première vue, qu’aucun autre Etat ne s’occupe sérieuse-ment du crime en cause, cela n’empêche pas qu’ultérieurement, aumoment de l’examen du fond, l’accusé ou l’Etat compétent à l’égarddu crime puissent contester la recevabilité des poursuites devant laCour, eu égard au fait que cet Etat aurait déjà commencé les pour-suites (art. 19).

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162. ICC, Press Release, 23 juin 2004, sur www.icc-cpi.int/ (consulté le20 mai 2005).

163. Ibid., 19 avril 2004.164. Ibid., 29 janvier 2004.

3.18 Si la Chambre préliminaire refuse l’enquête, il est loisibleau Procureur de saisir à nouveau la Chambre de la même situation,s’il peut se fonder « sur des faits ou des éléments de preuve nou-veaux ayant trait à la même situation » (art. 15, par. 5). La formula-tion de la règle est générale : les « faits ou éléments de preuve nou-veaux » peuvent se rapporter aussi bien à la réalité des crimes encause et aux auteurs présumés qu’à la volonté de l’Etat de pour-suivre sérieusement ces derniers.

3.19 La même procédure s’applique si le Procureur décide d’ou-vrir une enquête après saisine de la CPI du Conseil de sécurité(art. 13, al. b), 15, par. 3-4, et 53, par. 1) avec une différence qui estun corollaire logique de ce type de saisine : le Statut n’oblige pas leProcureur à avertir les Etats de cette saisine car ils sont supposés êtreau courant de ce que fait le Conseil de sécurité !

Cela n’empêche cependant pas que des exceptions de compétenceou de recevabilité (fondées notamment sur la complémentarité,art. 17) pourraient être soulevées, à ce stade, devant la Chambre pré-liminaire, ou au fond.

3.20 La première situation de graves violations du droit interna-tional humanitaire à laquelle s’est intéressé le Procureur est le cas dela République démocratique du Congo, en juillet 2003 162. Commeon l’a vu, le Procureur pouvait entreprendre, ex officio, une analysepréliminaire de la situation sur la base de l’article 15, paragraphe 1,du Statut. En mars 2004, la République démocratique du Congo aformellement déféré au Procureur le cas des crimes de droit interna-tional humanitaire commis partout dans le pays 163, conformément àl’article 14 du Statut.

L’Ouganda a également saisi, en décembre 2003, le Procureur àpropos des crimes de droit international humanitaire commis parl’Armée de la Résistance du Seigneur 164 : le fait de limiter la saisinedu Procureur à ces seuls faits n’empêche évidemment pas le Procu-reur d’ouvrir, le cas échéant, une enquête sur des crimes de droitinternational humanitaire commis par d’autres éléments en Ouganda,conformément à la liberté que l’article 15 du Statut reconnaît au Pro-

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165. ICC, Press Release, 7 janvier 2005.166. Ibid., 23 juin 2004.167. Ibid., 29 juillet 2004.168. Ibid.

cureur pour tout crime de droit international humanitaire commis surle territoire d’un Etat partie ou par un national de ce dernier.

Mode ou théorie des dominos ? Peu de temps après, cela a été autour de la République centrafricaine de saisir le Procureur pour toutcrime de droit international humanitaire commis sur son territoiredepuis le 1er juillet 2002 165.

Le Procureur a, officiellement, annoncé qu’il donnait suite auxrenvois de la République démocratique du Congo 166 et de l’Ou-ganda 167 ; conformément à l’article 18, paragraphe 1, du Statut, leProcureur a notifié sa décision à tous les Etats parties au Statut ainsiqu’aux Etats qui pourraient connaître de ces crimes 168.

b) Le Procureur refuse d’ouvrir une enquête

3.21 Le Procureur peut refuser d’ouvrir une enquête, soit parcequ’il n’y a pas de base raisonnable montrant qu’un crime de droitinternational humanitaire a été commis, soit parce que l’affaire estirrecevable au regard de l’article 17 (complémentarité), soit parceque cette enquête ne servirait pas les intérêts de la justice eu égard àla gravité du crime et aux intérêts des victimes (art. 53, par. 1).

Si le refus du Procureur est fondé sur la troisième raison — l’en-quête ne servirait pas les intérêts de la justice —, le Procureur doiten avertir, par écrit, la Chambre préliminaire (règle 105, par. 3) quipeut s’y opposer et, dès lors, contraindre le Procureur à mener l’en-quête (art. 53, par. 3, al. b) ; règle 110).

Il faut observer que cette intervention « autoritaire » de laChambre préliminaire est indépendante de l’origine de la saisine duProcureur : Etat, Conseil de sécurité, particuliers, organisation inter-nationale ou initiative personnelle. Il en va probablement ainsi parceque la troisième cause de refus d’ouvrir une enquête est la plus« politique » ; elle suppose qu’un crime de droit international huma-nitaire a été commis et qu’aucun Etat n’en poursuit les auteurs, maisque pour des raisons d’« intérêt de la justice » ou d’« intérêt des vic-times » le Procureur juge plus utile de ne pas poursuivre l’auteur dece crime. En pareil cas, si la Chambre ne suit pas les justificationsdu Procureur, elle peut l’obliger à ouvrir une enquête.

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169. J. Dugard, « Possible Conflicts of Jurisdiction with Truth Commis-sions », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), I, p. 703.

170. Ibid. ; C. van den Wyngaert et T. Ongena, « Ne bis in idem Principle,Including the Issue of Amnesty », ibid., p. 727.

171. S/Rés. 1593, 31 mars 2005, par. 6.172. ICC, Press Release, 18 mars 2005, sur www.icc-cpi.int/ (consulté le

20 mai 2005).173. www.monuc.org/news.aspx ?newsID=6481 (consulté le 20 mai 2005).174. Ibid.

3.22 Une des raisons qui pourrait conduire le Procureur à ne pasouvrir d’enquête dans un pays est la création d’une commission« réconciliation et vérité » 169. A la suite de l’exemple de l’Afrique duSud, la question s’est posée de savoir si ce type de commission, envue d’assurer la réconciliation nationale, de promouvoir la paix et demettre un terme aux haines ancestrales ne pouvait pas se substitueraux exigences de la justice pénale. Il semble, aujourd’hui, que cetype de solution est plutôt de nature à compléter l’œuvre de justice ;il ne la remplace pas.

Pour la doctrine, la CPI reste libre de juger des personnes qui ontété amnistiées à la suite d’un processus du type « réconciliation etvérité » 170. Ainsi, lorsque le Conseil de sécurité a renvoyé la situa-tion du Darfour à la CPI pour qu’elle poursuive les auteurs descrimes commis dans ce territoire, le Conseil a ajouté :

« qu’il importe de promouvoir l’apaisement et la réconciliationet, à cet égard, [le Conseil] encourage la création d’institutionsauxquelles soient associées toutes les composantes de la sociétésoudanaise, par exemple des commissions vérité et/ou réconci-liation, qui serviraient de complément à l’action de la justice,et renforceraient ainsi les efforts visant à rétablir une paixdurable, avec le concours de l’Union africaine et de la commu-nauté internationale, si nécessaire » 171 (l’italique est de nous).

3.23 La question de ne pas ouvrir d’enquête se pose pour l’Ou-ganda : selon une dépêche de l’Agence France-Presse du 18 avril2005, le Procureur, après avoir reçu une délégation de dirigeants descommunautés lango, acholi, iteso et madi du nord de l’Ouganda 172,aurait déclaré qu’il était prêt à clore le dossier dès lors que des pour-suites ne serviraient pas les intérêts de la justice et ceux des vic-times 173. Le Procureur a toutefois précisé que l’arrêt de l’enquêten’impliquait pas immunité des principaux responsables de crimes dedroit international humanitaire 174 ; c’était une manière de dire que

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175. M. Bergsmo et P. Kruger, dans O. Triffterer (dir. publ.), pp. 712-713.

ces responsables pouvaient, encore, être poursuivis dans un Etat oumême à la CPI si le Procureur décidait de reprendre son enquête.

3.24 Lorsque le refus du Procureur est fondé sur une des deuxautres raisons (absence de base raisonnable ou irrecevabilité de l’af-faire), la procédure varie selon que le Procureur a été saisi, soit parun Etat partie ou par le Conseil de sécurité, soit, de toute autremanière.

Lorsque le Procureur refuse d’ouvrir une enquête (pour une desdeux raisons citées ci-dessus) après saisine par un Etat non partie,une organisation internationale, des particuliers ou une saisine exofficio (art. 13, al. c), et art. 15, par. 1), il suffit au Procureur de ledécider ; il doit, toutefois, en informer tous ceux qui lui ont fournides informations (art. 15, par. 6), sauf si cela pouvait nuire à leursécurité, leur bien-être ou leur vie privée (règle 49). Le Procureurpeut, bien sûr, toujours changer d’avis à la lumière de faits ou d’élé-ments de preuve nouveaux (art. 15, par. 6).

Lorsque le Procureur refuse d’ouvrir une enquête après saisine parun Etat partie (art. 13, al. a), et 14) ou par le Conseil de sécurité(art. 13, al. b)), le Procureur doit en avertir l’Etat concerné ou leConseil de sécurité ainsi que la Chambre préliminaire (art. 5, par. 2 ;règle 106). Si l’Etat ou le Conseil de sécurité ne réagissent pas, l’af-faire s’arrête là, sans préjudice du droit du Procureur de revoir sadécision sur la base d’éléments nouveaux (art. 15, par. 6 ; règle 105,par. 2). Si l’Etat ou le Conseil de sécurité ne sont pas d’accord avecla décision du Procureur, ils peuvent en saisir la Chambre prélimi-naire pour que celle-ci demande, éventuellement, au Procureur derevoir son refus (art. 53, par. 3, al. a) ; règle 107). Le pouvoir dudernier mot appartient au Procureur, conformément au principe d’in-dépendance qui régit son action 175.

3. L’instruction de l’affaire

3.25 A l’instar des TPI (art. 16/art. 15 et art. 18/art. 17) et dessystèmes pénaux anglo-saxons, la procédure se déroule sans juged’instruction : c’est le Procureur qui mène l’information et l’instruc-tion, mais — influence du droit romano-germanique — il est dûmentprécisé que, comme un juge d’instruction, le Procureur doit enquêter« tant à charge qu’à décharge » (art. 54, par. 1).

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3.26 Le Procureur peut mener son enquête en s’efforçant d’ob-tenir l’aide de tout Etat, organisation internationale ou particulier(art. 54, par. 3, al. c)-d)). Les Etats parties sont tenus d’accéder auxdemandes de coopération du Procureur (art. 86). Même chose pourles Etats qui ont reconnu la compétence de la Cour, mais seulementdans les limites de l’objet de cette reconnaissance (art. 12, par. 3).

L’Accord de liaison du 7 juin 2004 entre l’ONU et la CPI pré-voit que, dans le respect des règles de la Charte, l’ONU « s’engageà coopérer avec le Procureur et à conclure avec lui tous arrange-ments … pour faciliter cette coopération » (Accord, art. 18, par. 1).

Les Etats non parties ne doivent collaborer avec la CPI que dansle cadre des accords ad hoc conclus avec celle-ci (art. 87, par. 5). Iciaussi, on voit à quel point la CPI a des pouvoirs plus limités queceux conférés aux TPI (Statuts, art. 29/art. 28).

C. Les prises de corps

3.27 Le Procureur peut convoquer et interroger suspects, vic-times et témoins (art. 54, par. 3, al. b)), prendre les mesures néces-saires pour recueillir des témoignages lorsqu’une occasion unique deles obtenir se présente et en aviser la Chambre préliminaire, notam-ment, pour qu’elle assure les droits de la défense de la personne arrê-tée à cette occasion (art. 56, par. 1-2), demander à la Chambre préli-minaire de délivrer un mandat d’arrêt que celle-ci accordera s’il y ades motifs raisonnables de croire en la culpabilité du suspect et si sacomparution doit être garantie (art. 58).

3.28 Lorsque l’Etat partie ou l’Etat qui a reconnu la compétence dela Cour aux fins de la répression de crimes visés au Statut a reçu unedemande d’arrestation et de remise, il doit se conformer à celle-ci etvérifier seulement l’identité de la personne, la régularité de la procédureet le respect des droits de cette personne (art. 59, par. 2) ; il ne peutpas contrôler l’opportunité de la demande d’arrestation (art. 59, par. 3).

3.29 Une fois la personne arrêtée, la Chambre préliminaire doitréexaminer périodiquement sa décision de maintien en détention oude remise en liberté (art. 60, par. 3), à l’instar de ce qui existe endroit interne (cf. loi belge sur la détention préventive, art. 22), maisqui n’est pas prévu dans les Statuts des TPI.

Le renvoi de la personne arrêtée devant la Chambre de premièreinstance doit être décidée par la Chambre préliminaire si elle estime

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176. TPIY, aff. IT-96-22-T, Erdemovic , 29 novembre 1996, par. 10 ss. ; id.,app., 7 octobre 1997, arrêt, IV (3), et opinion individuelle McDonald et Vorah,par. 8 ss.

qu’il existe suffisamment de preuves en faveur de la culpabilité de lapersonne arrêtée (art. 61, par. 7). A défaut, le mandat cesse de pro-duire ses effets (art. 61, par. 10).

3.30 A supposer que le suspect fasse défaut, la Chambre préli-minaire peut néanmoins décider de confirmer, ou non, les chargespesant contre lui ; la Chambre peut accepter qu’il soit représenté parun conseil (art. 61, par. 2).

D. Le procès

1. Principes généraux

3.31 Le procès a lieu devant la Chambre de première instance(art. 61, par. 11) en présence de l’accusé (art. 63, par. 1).

Le procès est public, sauf décision de huis clos prise par laChambre pour protéger les victimes, les témoins ou certains rensei-gnements confidentiels (art. 64, par. 7).

3.32 L’influence de la common law est visible puisque commepour les TPI (statuts, art. 20, par. 3/art. 19, par. 3), l’accusé plaidecoupable ou non coupable. La Chambre doit toutefois veiller à ceque l’accusé comprenne non seulement la nature des charges portéescontre lui, mais aussi les conséquences d’un aveu de culpabilité(art. 64, par. 8, al. a) ; art. 65, par. 1) : les rédacteurs du Statut se sontsans doute souvenus de certains problèmes rencontrés sur ce point parle TPIY dans l’affaire Erdemovic où l’accusé plaidait coupable poursa participation aux massacres de Srebrenica et invoquait ensuite lacontrainte irrésistible pour justifier cette participation alors que lalogique de cette défense commandait qu’il plaidât non coupable 176.

La Chambre s’assure, en outre, que les faits de la cause confir-ment l’aveu de culpabilité. Si l’une de ces conditions n’est pas remplie,l’aveu de culpabilité n’est pas pris en considération (art. 65, par. 3)et le procès se poursuit comme si l’accusé plaidait non coupable.

2. Les droits de l’accusé

3.33 Les droits de l’accusé sont énoncés à peu près de la mêmemanière que dans les statuts des TPI (art. 21/art. 20), c’est-à-dire

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177. Par exemple, TPIY, aff. IT-95-14-T, Blaskic , 27 janvier 1997, par. 22,47 ; id., aff. IT-95-17/1-T, Furundzija, 16 juillet 1998, par. 17-21 ; aff. IT-02-60-PT, Blagojevic et al., 12 décembre 2002, par. 26 ; id., aff. IT-98-33-A, Krstic ,19 avril 2004, par. 190 ; TPIR, aff. ICTR-96-14-A, Niyitegeka, 9 juillet 2004,par. 31 ; etc.

178. Cf. Cass. b., 16 décembre 1992, P., 1992, I, 1390.

que les dispositions pertinentes du Pacte relatif aux droits civils etpolitiques (art. 14, par. 2-3) et de la Convention européenne desdroits de l’homme (art. 6, par. 2-3) ont été reprises dans le Statut dela Cour : présomption d’innocence, droit à un procès équitable etimpartial, égalité des armes avec l’accusation, respect des droits dela défense, droit au contre-interrogatoire, droit au silence, etc. (art. 66,par. 1, 67, par. 1 ; voir aussi au moment de l’enquête et avant le ren-voi d’une personne devant la Chambre de première instance, art. 55).

3. La preuve

3.34 La preuve de la culpabilité de l’accusé incombe, bien sûr,au Procureur (art. 66, par. 2), mais il est, en outre, prévu que celui-ci doit communiquer à la défense les éléments de preuve en sa pos-session qui tendent à disculper l’accusé, à atténuer sa culpabilité oumême à discréditer les éléments de preuve à charge (art. 67, par. 2).Ce type de règle figure aussi, mais de manière plus sommaire, dansles Règlements de procédure et de preuve des TPI (art. 68). Elle adonné lieu à une jurisprudence importante 177.

3.35 Pour l’essentiel, la preuve est testimoniale, mais lestémoins peuvent être autorisés à présenter des documents, des trans-criptions écrites, des enregistrements vidéo et audio, pourvu qu’il nesoit pas porté atteinte aux droits de la défense (art. 69, par. 2).

En cas de contestation sur la pertinence ou l’admissibilité d’unélément de preuve, la Cour tranche le différend (art. 69, par. 4). Lapreuve ne peut nuire à l’équité du procès et ne peut avoir été obte-nue en violation des règles relatives aux droits de l’homme (art. 69,par. 7).

3.36 Le Règlement de procédure et de preuve établit des règlesde confidentialité (règle 73). Ne peuvent en principe donner lieu àtémoignage les communications entre une personne et son conseil,son médecin 178, son psychologue, son psychiatre, un membre duclergé ; les membres du Comité international de la Croix-Rouge

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179. Cf. J. Stroun, « Juridiction pénale internationale, droit internationalhumanitaire et action humanitaire », RICR, 1997, p. 672.

180. TPIY, aff. IT-95-9-PT, 27 juillet 1999, par. 36, 42, 73, 74.181. Cf., TPIY, aff. IT-99-36-T, Brdanin, 30 juin 2003, par. 17 ss.182. W. Schabas, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 861.183. Cour européenne des droits de l’homme, Murray, 8 février 1996,

par. 47 ; id., Averill, 6 juin 2000, par. 44 ss.184. Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité des Etats, art. 24,

A/Rés. 56/83, 12 décembre 2001.

(CICR) ne doivent pas donner leur témoignage 179 ; pour ce dernierpoint, les auteurs de la règle 73 se sont souvenus de la jurisprudenceSimic 180.

Une chambre peut reconnaître à d’autres témoins, dans certainesconditions, le droit de se prévaloir du « secret professionnel ». Lapersonne ou l’institution auxquelles ce privilège est reconnu peuventy renoncer (règle 73, par. 1-2).

Parmi les catégories professionnelles non citées qui pourraientbénéficier de la règle de confidentialité se trouvent les journalistes 181

et les travailleurs de l’humanitaire. Indépendamment de la règle 73,leur droit au silence pourrait encore se fonder sur :

— le droit au silence reconnu à toute personne interrogée dans lecadre d’une enquête (art. 55), ainsi qu’à l’accusé pendant le pro-cès, sans qu’on puisse en inférer quoi que ce soit quant à soninnocence ou sa culpabilité (art. 67, par. 1, al. g)), ce qui protègemieux l’accusé que l’article 14, paragraphe 3, alinéa g), corres-pondant du Pacte de 1966 qui ne précise pas ce point 182 ; pour laCour européenne des droits de l’homme, à lui seul, le silence nepeut justifier une déclaration de culpabilité, mais rien n’interditau juge de tirer des conséquences de ce silence dans des situa-tions qui exigent clairement une explication 183 ;

— la notion d’état de détresse (par analogie avec ce qui est prévupour les Etats comme circonstance excluant l’illicéité 184) à partirdu moment où le témoignage menace la sauvegarde des victimes ;

— l’obligation des témoins de dire la vérité (art. 69, par. 1), maispas de garder le silence ;

— le droit d’un Etat partie de ne pas divulguer un document à pro-pos duquel il est tenu par une obligation de confidentialité vis-à-vis de son auteur lorsque celui-ci refuse la divulgation dudocument (art. 73).

3.37 Au cas où la divulgation d’informations ou de documentsporterait atteinte, selon un Etat, à ses intérêts en matière de sécurité

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185. R. Dixon et H. Duffy, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 941.186. TPIY, aff. IT-95-14-AR108bis, Blaskic , 29 octobre 1997, par. 21 ss.

nationale, cet Etat doit tenter de trouver, en liaison avec la Cour, unesolution par la concertation. Il peut notamment faire trancher par laCour la question de la pertinence de l’information demandée (art. 72,par. 5).

De manière assez étonnante, le Statut ne distingue pas la situationdes Etats parties et celle des Etats non parties 185. Il est pourtant clairque, dans l’hypothèse d’une affaire pour laquelle le Conseil n’a pasexigé la coopération des Etats, les Etats non parties et ceux qui n’ontpas reconnu la compétence de la Cour in casu ne sont pas liés par lesrègles de l’article 72, conformément au principe de l’effet relatif destraités (Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 34). L’ar-ticle 72 n’est donc contraignant que pour les Etats parties, les Etatsayant reconnu la compétence de la Cour (art. 12, par. 3) ou les Etatsliés par une décision du Conseil de sécurité.

3.38 Si cet Etat et les parties concernées (Procureur, défense,chambre) ne réussissent pas à trouver un accord sur l’étendue et lesmodalités de transmission de l’information requise, la Cour peutconclure que l’Etat ne remplit pas son obligation de coopération etelle peut en informer l’Assemblée des Etats parties ou le Conseil desécurité si c’est ce dernier qui a saisi la Cour (art. 72, par. 7, al. a),point ii, et art. 87, par. 7) ; la Cour peut également tirer toute conclu-sion sur l’existence ou l’inexistence d’un fait lorsqu’elle juge l’ac-cusé (art. 72, par. 7, al. a), point iii).

Lorsque le refus de divulgation n’est pas fondé sur des motifs desécurité nationale, la Cour peut ordonner la divulgation ou, commedans le cas précédent, tirer toute conclusion sur l’existence oul’inexistence du fait lorsqu’elle juge l’accusé (art. 72, par. 7, al. b)).

L’article 72 constitue clairement une réponse modérée au pro-blème des injonctions de produire des documents auquel le TPIYavait dû faire face en 1996-1997 186. La solution n’est pas tout à faitla même que celle à laquelle le TPIY était parvenu : le Statut n’attri-bue pas à la Cour le pouvoir formel de prendre des injonctionscontraignantes à charge de l’Etat requis, mais il lui reconnaît le droit,d’abord, de constater que l’Etat requis ne remplit pas son obligationde coopération avec la Cour (s’il s’agit d’un Etat partie ou d’un Etatayant reconnu la compétence de la Cour ou d’un Etat lié par unedécision du Conseil de sécurité), obligation prévue à l’article 86 du

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187. L’auteur souhaite remercier M. G. Bitti, juriste au Bureau du Procureurde la CPI, pour les judicieuses observations émises sur cette section du cours ;bien entendu, les erreurs que cette section pourrait contenir ne sont imputablesqu’à l’auteur.

188. Pour d’autres exemples, C. Jorda. et J. de Hemptinne, « The Status andRole of the Victims », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), II, p. 1401.

Statut, ensuite de dénoncer ce fait à l’Assemblée des Etats parties ouau Conseil de sécurité si c’est ce dernier qui a saisi la Cour. Enrevanche, pour des informations ne touchant pas à la sécurité desEtats, le Statut reconnaît à la Cour le pouvoir d’ordonner leur pro-duction.

4. La participation des victimes 187

3.39 Concession au système romano-civiliste, et grande diffé-rence avec les TPI (statuts, art. 24, par. 3/art. 23, par. 3), le Statutreconnaît aux victimes

— le droit de se faire entendre lorsque le Procureur demande à laChambre préliminaire l’autorisation de pouvoir ouvrir uneenquête (art. 15, par. 3) ;

— le droit « de soumettre des observations » sur des questions derecevabilité et de compétence (art. 19, par. 3) et d’exprimer« leurs vues et préoccupations » lorsque leurs intérêts personnelssont concernés, éventuellement par l’entremise de leurs représen-tants légaux (art. 68, par. 3) ;

— le droit de demander réparation des dommages qu’elles ont subis(art. 75, par. 1 et 3).

Contrairement à ce que prévoient certains droits internes (parexemple, Code belge d’instruction criminelle, art. 63) 188, le Statut neva pas jusqu’à reconnaître aux victimes le droit de se constituer« parties civiles » et de mettre en mouvement l’action publique, maisil leur confère un droit à une « réparation appropriée » sous forme de« restitution », d’« indemnisation » ou de « réhabilitation » (art. 75,par. 1-2).

Le principe d’une réparation aux victimes d’une violation de leursdroits et libertés fondamentaux est conforme à ce que prévoientdivers instruments internationaux, soit, sous forme d’un droit généralde toute personne de porter devant un juge toute contestation relativeà ses droits civils (Déclaration universelle des droits de l’homme,art. 8 ; Pacte relatif aux droits civils et politiques, art. 2, par. 3, et 14,

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189. A/Rés. 40/34, 29 novembre 1985.190. Projet Van Boven, Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/1996/17, 24 mai

1996, et résolution de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discri-minatoires et de la protection des minorités 1996/28, 29 août 1996.

par. 1), soit, de manière plus spécifique, sous forme d’un droit àréparation pour une violation grave des droits de l’homme (Conven-tion des Nations Unies contre la torture du 10 décembre 1984, art. 14 ;voir aussi la Déclaration des principes fondamentaux de justice rela-tifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir,par. 8 et 19 189 ; projet de texte révisé des principes et directives fon-damentaux concernant le droit à réparation des victimes de viola-tions flagrantes des droits de l’homme, par. 6 ss. 190).

3.40 Le droit international n’exige cependant pas que cette répa-ration soit obtenue lors du procès pénal intenté à l’auteur du dom-mage : si le système romano-civiliste permet aux victimes de partici-per à l’instance pénale, tel n’est pas le cas des systèmes inspirés dela common law.

Dans ces derniers, la participation des victimes au procès est assi-milée à une rupture de l’égalité des parties car l’accusé doit faireface à deux requérants : le Procureur et la victime. C’est sans doutela raison pour laquelle le Statut prévoit seulement que la Cour prendconnaissance des vues des victimes

«à des stades de la procédure qu’elle estime appropriés et d’unemanière qui ne porte pas atteinte aux droits de l’accusé ni auxexigences d’un procès équitable et impartial» (art. 68, par. 3).

Quelles sont les implications concrètes de cette disposition ? Ondistinguera deux situations : la participation des victimes au procèspénal (a)) et la procédure relative à la réparation (b)).

a) La participation des victimes au procès pénal

3.41 Il ressort du Statut et du règlement de procédure et depreuve que les victimes jouissent de certains droits que la Cour peutétendre si elle le juge approprié.

1) Les droits reconnus aux victimes

3.42 Les victimes, ou des personnes admises à les représenterpour cause de minorité ou d’invalidité, peuvent agir individuelle-

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ment (voir texte des articles 19, paragraphe 3, et 68, paragraphe 3 ;règles 59, par. 3, 89 ss.) ou se faire représenter par un conseil(règle 90, par. 1), à savoir, un « représentant légal » qui doit remplirles mêmes conditions que celles requises d’un conseil de la défense(règle 90, par. 6) : avoir exercé des fonctions judiciaires — avocat,magistrat — ou « analogues » pendant dix ans et posséder des com-pétences reconnues en matière de droit international, de droit pénalet de procédure pénale (règle 22, par. 1 ; norme 67).

Lorsqu’il y a plusieurs victimes — ce qui sera souvent le cas vula gravité des crimes dont la Cour peut connaître —, la Chambre,pour assurer l’efficacité de la procédure, peut demander aux victimesde se choisir, avec l’aide du greffier, un ou plusieurs représentantslégaux communs (règle 90, par. 2). En cas de désaccord quant auchoix du représentant, la Chambre demande au greffier de le dési-gner (règle 90, par. 3). Si les victimes ne sont pas d’accord avec lechoix du greffier, elles peuvent adresser un recours à la chambreconcernée (norme 79, par. 3).

Il semble que c’est seulement dans cette hypothèse (la Chambredemande aux victimes de se choisir un ou plusieurs représentantslégaux) que les victimes peuvent obtenir une assistance financière duGreffe pour rémunérer leurs représentants lorsqu’elles n’ont pas lesmoyens de le faire (règle 90, par. 5). Le Règlement de la CPIn’éclaircit pas vraiment la question (normes 83-85).

Si rien dans le Statut n’interdit aux victimes d’agir seules, leRèglement dispose que le représentant légal « a le droit d’assister etde participer à toute la procédure, dans les conditions fixées » par laChambre, ce qui veut dire, « à toutes les audiences », sauf si laChambre juge que l’intervention du représentant légal « doit se limi-ter au dépôt d’observations et de conclusions écrites » (règle 91,par. 2). En d’autres termes, le représentant légal semble jouir,d’office, en raison de sa qualité, du droit de participer à toute la pro-cédure sauf décision contraire de la Chambre, tandis que la victimene peut participer à la procédure que dans les conditions fixées parla Chambre.

De même, il semble que le droit d’interjeter appel est réservé aureprésentant légal puisque le Statut ne se réfère qu’à lui, et non auxvictimes (art. 82, par. 5). Les Etats ont, sans doute, voulu, à traversle Statut et le Règlement, encadrer étroitement la participation àla procédure des victimes agissant seules, sans l’aide d’un profes-sionnel pour éviter toute intervention intempestive.

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191. M. Franchimont, A. Jacobs et A. Masset, Manuel de procédure pénale,collection Faculté de droit de Liège, 1989, p. 111 ; H.-D. Bosly et D. Vander-meersch, Droit de la procédure pénale, Bruges, La Charte, 2003, p. 241.

192. Tribunal militaire suisse de div. 2, Niyonteze, audience du 12 avril 1999,décision ronéo (doc. armée suisse), p. 4.

193. Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/1996/17, 24 mai 1996.194. H.-D. Bosly et D. Vandermeersch, op. cit., p. 242.

3.43 La condition de fond à remplir pour que des particulierspuissent participer à la procédure est leur qualité de victime (art. 68,par. 3). La Chambre décide de ce point après avoir entendu leProcureur et la défense. Si la Chambre estime que la demande estrecevable, elle précise les modalités de la participation des vic-times (règle 89, par. 1-2) en veillant à ce que les règles du procèséquitable et les droits de la défense ne soient pas affectés (art. 68,par. 3).

Le Statut ne précise pas ce qu’il faut entendre par « victimes ».Classiquement, la victime est la personne « qui peut se prétendre per-sonnellement lésée par l’infraction » 191 ou toute personne lésée « quirend vraisemblable un lien de causalité entre sa lésion et le compor-tement » de l’accusé 192. Le projet Van Boven range au nombre desvictimes, outre les victimes directes, « les proches parents, les per-sonnes à charge ou toute autre personne ou groupe de personnesayant un lien avec les victimes directes » (par. 6) 193.

Pour le Règlement de procédure et de preuve, est « victime »« toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la com-mission d’un crime relevant de la compétence de la Cour » (règle 85,al. a)).

Peut-on inclure, dans les victimes, des personnes morales dontl’objet social consiste à protéger les victimes des crimes visés par leStatut ? Rien ne l’exclut à condition que ces personnes réussissent àprouver qu’elles ont un intérêt direct à prendre part au procès, ce quiest certainement le cas si elles prouvent qu’elles « ont subi person-nellement un dommage résultant de l’infraction » 194.

La règle 85, alinéa b), du Règlement de procédure et de preuve estplus restrictive ; elle admet qu’une organisation ou une institutionpeuvent se considérer comme victimes, mais seulement si les condi-tions suivantes sont remplies :

— un bien de cette organisation a subi un dommage direct ;— ce bien est consacré à la religion, à l’enseignement, aux arts, aux

sciences ou à la charité, ou alors, il s’agit d’un monument histo-

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195. H.-D. Bosly et D. Vandermeersch, op. cit., p. 243 ; voir, par exemple, laloi du 30 juillet 1981 contre le racisme et la xénophobie, art. 5.

196. En ce sens, Déclaration des principes fondamentaux de justice rela-tifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir, par. 2,A/Rés. 40/34, 29 novembre 1985 ; Principes fondamentaux pour le droit au re-cours et la réparation des victimes de violations des droits de l’homme, par. 9,E/Rés. 2005/35, 25 juillet 2005.

197. C. Jorda et J. de Hemptinne, loc. cit., p. 1409.198. Voir l’exemple de l’affaire Niyonteze en Suisse, audience du 14 avril

1999, loc. cit., p. 23.199. A.-M. La Rosa, Juridictions pénales internationales, Paris, PUF, 2003,

p. 376.

rique, d’un hôpital ou de quelque autre bien ou objet utilisé à desfins humanitaires.

Il est donc clair qu’une association ne peut se prévaloir de sonobjet social pour assister les victimes. Il en va souvent de mêmedans les Etats. Ainsi, en Belgique, un tel droit n’est admis que dansdes hypothèses particulières visées par la loi 195.

Au plan de la procédure, à partir de quand devient-on victime ? Sil’on est réputé victime dès l’ouverture de l’enquête (cf. art. 15, par. 3),cela signifie qu’il ne faut pas attendre l’émission d’un mandat d’ar-rêt pour être admis à ce statut 196 puisque l’enquête précède, en prin-cipe, le mandat d’arrêt.

3.44 On a dit que la qualité de victime excluait celle detémoin 197, ce qui a, parfois, obligé la victime à faire un choix corné-lien 198 entre soit apparaître comme victime et pouvoir, éventuelle-ment, obtenir réparation, soit apparaître comme témoin, perdre ledroit à réparation, mais pouvoir concourir à l’établissement de lapreuve et de la vérité.

Ni la jurisprudence des TPI 199 ni le Statut et les règlements de laCPI n’imposent cependant ce choix de rôle qui, au demeurant, paraîtquelque peu artificiel. La victime est souvent un témoin direct, par-fois, même un témoin décisif : exclure le témoignage de la victimeau nom de l’impartialité et de l’équité de la procédure ferait obstacleà la manifestation de la vérité. En outre, ce témoignage devrait aussiêtre écarté même quand la personne intervient comme témoin, et noncomme victime, alors qu’en réalité on sait qu’elle est une victime :son témoignage resterait nécessairement suspect si l’on postule apriori qu’une victime n’est pas objective…

Il vaut donc mieux éviter toute exclusive, admettre le témoignaged’une victime au même titre que celui d’une personne qui ne l’est

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pas et laisser au juge le soin d’accorder à ce témoignage la foi et lecrédit qu’il mérite en fonction de tous les éléments de la cause.

3.45 La participation des victimes est admise à tous les stadesde la procédure (cf. règle 92, par. 1), et notamment lors du débat surles exceptions préliminaires, lors de celui sur la confirmation descharges et lors du procès quant au fond.

Dès la phase des exceptions préliminaires sur la compétence et dela recevabilité, les victimes peuvent soumettre leurs observations(art. 19, par. 3).

A cet effet, le greffier doit informer les victimes de toute procé-dure portant sur ces questions et leur transmettre, non une copie inté-grale (ou même partielle) des mémoires déposés par la défense et leProcureur, mais seulement « un résumé des motifs pour lesquels »ces exceptions sont soulevées (règle 59, par. 2). Il est précisé quecette transmission est effectuée selon des « modalités compatiblesavec l’obligation qu’a la Cour de tenir les informations confiden-tielles, de protéger les personnes et de préserver les preuves »(art. 59, par. 2). Cela explique peut-être que les victimes n’ont droitqu’à un résumé des exceptions. Les victimes présentent des observa-tions écrites dans le délai fixé par la Chambre (règle 59, par. 3).

Par la suite, les victimes ou leurs représentants légaux « sontinformés en temps voulu par le Greffier … des demandes, conclu-sions, requêtes et autres pièces relatives à ces demandes, conclusionsou requêtes » (règle 92, par. 5) : le texte parle d’information, non detransmission ; cela suppose-t-il que les victimes ou leurs représen-tants légaux ne reçoivent pas ces pièces ? En réalité, si le Règlementne prévoit pas de transmission des pièces, il autorise toutefois lesvictimes, sans préjudice des « restrictions assurant la confidentialitéet la protection de renseignements touchant la sécurité nationale », àconsulter le dossier, lequel comprend toutes les pièces transmises àla Chambre préliminaire avant l’audience de confirmation descharges (règle 121, par. 10), puis toutes celles transmises par laChambre préliminaire à la Chambre de première instance (règle 131).

3.46 Le droit des victimes ou de leur représentant légal de parti-ciper à la procédure sur le fond suppose, au minimum, leur droitd’exprimer, par écrit, « leurs vues et préoccupations» (art. 68, par. 3).La Chambre peut, bien sûr, toujours dans le respect des droits de ladéfense, autoriser les victimes ou leur représentant légal à faire desdéclarations «au début et à la fin des audiences de la Cour» (règle 89,

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200. Sur les propositions concernant la meilleure participation possible desvictimes dans le respect d’un système de type accusatoire anglo-saxon, voirC. Jorda. et J. de Hemptinne, loc. cit., pp. 1413 ss.

201. Ibid., p. 1406.

par. 1) ; elle peut aussi autoriser, aux conditions qu’elle définit, lereprésentant légal à interroger un témoin, un expert ou l’accusé(règle 91, par. 3).

C’est une sorte de compromis entre la volonté d’autoriser les vic-times à faire valoir leur point de vue sans toutefois les identifier àune vraie partie comme dans le système romano-civiliste 200.

2) Les droits que la Chambre peut concéder aux victimes

3.47 Le Règlement autorise la Chambre à « solliciter les vuesdes victimes ou de leurs représentants légaux … sur toutes ques-tions » (règle 93), et notamment sur

— « les demandes de réexamen d’une décision du Procureur dene pas ouvrir d’enquête ou de ne pas engager de poursuites»(règles 93, 107 et 109) (supra, paragraphe 3.21) ;

— le point de savoir s’il faut tenir une audience de confirmation descharges en l’absence de la personne concernée (règles 93 et 125) ;

— une modification éventuelle des charges retenues contre l’accusé(règles 93 et 128) ;

— la jonction ou la disjonction d’instances (règles 93 et 136) ;— l’assurance éventuelle donnée par la Cour à un expert ou un

témoin qu’il ne sera pas poursuivi pour tout fait antérieur à sondépart de l’Etat requis (règles 93 et 191).

3.48 Les droits conférés aux victimes comme ceux que la Courpeut leur accorder sont énoncés de manière limitative. Autrement dit,dans divers domaines de l’instance, les victimes ou leurs représen-tants légaux n’ont aucun droit de participation ; ainsi, elles ne peu-vent pas participer aux enquêtes du Procureur, avoir accès auxpreuves réunies par les parties en dehors de celles figurant au dossier(supra, paragraphe 3.45), faire appeler des témoins ou faire appel dela sentence 201.

b) La procédure en réparation

3.49 Ni le Statut ni les règlements de la CPI ne disent, expressisverbis, si la procédure sur la réparation est distincte, ou non, de laphase pénale.

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La lecture de l’article 76, paragraphe 3, combinée à celle de l’ar-ticle 75 permet, toutefois, de penser que la procédure en réparationpourrait avoir lieu dans le cadre de la procédure sur la peine. Autre-ment dit, cette procédure ne se tiendrait qu’à l’issue de celle portantsur la culpabilité : une fois que la Chambre aurait déterminé la cul-pabilité de l’accusé, les victimes pourraient, au moment du débat surla peine, faire valoir leurs droits à réparation.

Le principe d’une procédure distincte sur la peine dépend, soitd’une décision ex officio de la Chambre concernée, soit d’unedemande du Procureur ou de l’accusé. Bien entendu, si les victimessont autorisées à demander des réparations à ce stade, c’est toujoursdans le respect des droits de la défense et des principes du procèséquitable (supra, paragraphes 3.40 et 3.43).

A défaut d’ouvrir une procédure séparée sur la peine, on peut sup-poser que les débats sur les réparations civiles devraient être dis-tincts de ceux sur la culpabilité dès lors que la décision sur les répa-rations prend la forme d’une « ordonnance » distincte de la décisionsur la culpabilité (art. 75, par. 2 et 4) et que l’intervention des vic-times dans la phase pénale fait l’objet de règles spécifiques (supra,paragraphes 3.41-3.47).

En outre, le système de l’appel des décisions de condamnation etdes ordonnances en réparation laisse à penser que la procédure sur laréparation ne devrait s’ouvrir qu’au moment où la condamnationdevient définitive, c’est-à-dire, lorsqu’il n’y a plus d’appel possibleou que l’appel a été épuisé.

En effet, en cas d’appel contre le jugement pénal de premièreinstance, la Chambre d’appel peut soit annuler ou modifier directe-ment la décision (art. 83, par. 2, al. a)), soit décider qu’un nouveauprocès doit être tenu devant une autre chambre (art. 83, par. 2,al. b)), alors qu’elle ne peut que confirmer, infirmer ou modifierl’ordonnance de réparation civile (règle 153, par. 2), sans renvoidevant la Chambre de première instance. Etant donné l’existence dece choix et vu que la réparation dépend de la culpabilité de l’accusé,il serait plus cohérent avec le système (et conforme au principeselon lequel « le criminel tient le civil en état ») que la procé-dure sur la réparation n’intervienne qu’après la fin de la procédurepénale.

Il appartiendra à la jurisprudence de la CPI de préciser ces pointspuisqu’elle est d’ailleurs investie du pouvoir d’établir « les principesapplicables aux formes de réparation » (art. 75, par. 1).

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202. C. Jorda et J. de Hemptinne, loc. cit., p. 1410 ; projet Van Boven, par. 15,Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/1996/17, 24 mai 1996.

203. C. Jorda et J. de Hemptinne, loc. cit., p. 1407.

3.50 La CPI peut accorder aux victimes une réparation sousforme de restitution, d’indemnisation, de réhabilitation ou sousd’autres formes (art. 75, par. 2 ; règle 94, par. 1) : par exemple, desexcuses, des déclarations publiques, des cérémonies officielles,l’édification de monuments, des réformes législatives, etc. 202

Si la réparation, quelle qu’en soit la forme, est, normalement,accordée à la suite d’une demande des victimes, la Cour peut aussil’accorder d’initiative « dans des circonstances exceptionnelles »(art. 75, par. 1). Dans ce dernier cas (qui pourrait être dû à l’éloi-gnement géographique ou culturel de la victime 203), le greffier s’ef-force d’en avertir les victimes qui peuvent, soit déposer une demandeformelle de réparation, soit demander que la Cour n’accorde pas deréparation (règle 95).

La réparation peut être individuelle ou collective si la Chambreestime cette dernière plus appropriée (règle 97, par. 1).

3.51 L’ordonnance peut donner lieu à appel tant par le représen-tant légal des victimes que par la personne condamnée ou le pro-priétaire de bonne foi d’un bien affecté par l’ordonnance sur la répa-ration (art. 82, par. 4). Pour rappel, la Chambre d’appel peutconfirmer, infirmer ou modifier l’ordonnance (règle 153, par. 2) : iln’y a donc pas de renvoi de la procédure à la Chambre de premièreinstance comme cela peut être le cas pour une décision de condam-nation si la Chambre d’appel décide qu’un nouveau procès doit êtretenu devant une autre chambre (art. 82, par. 2, al. b)).

3.52 Le Statut prévoit que l’Assemblée des Etats parties crée unfonds au profit des victimes et de leurs familles (art. 79, par. 1). LaCour peut décider que le produit des amendes et des confiscationssoit versé au fonds (art. 79, par. 2). Elle peut aussi décider que l’in-demnisation est versée, ou bien, directement à la victime par l’auteurdu crime, ou bien, par l’intermédiaire du fonds, notamment lors-qu’une réparation collective est plus appropriée (règle 98, par. 3).Enfin, le Règlement prévoit qu’il est permis d’utiliser les autres res-sources du fonds au profit des victimes, sous réserve de ce que diral’Assemblée des Etats parties lorsqu’elle définira les ressources dufonds (art. 79, par. 3 ; règle 98, par. 5).

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204. A/Rés. 56/83, 12 décembre 2001 ; voir aussi P.-M. Dupuy, « Internatio-nal Responsibility of the Individual and International Responsibility of theState », dans A. Cassese et al. (dir. publ.), II, p. 1086.

3.53 La Cour peut requérir la collaboration des Etats partiesdans l’exécution des ordonnances portant réparation « après qu’unepersonne a été reconnue coupable d’un crime » prévu au Statut, et lesEtats doivent y faire droit (art. 75, par. 4, et 93, par. 1).

3.54 La condamnation à réparer est prononcée à charge de l’ac-cusé. Elle est un accessoire du jugement de culpabilité. Les com-plices de l’accusé ne peuvent donc être tenus à réparation que s’ilssont, eux aussi, poursuivis et condamnés par la CPI, sans préjudice,toutefois, de la possibilité reconnue à la Cour de confisquer des pro-fits, biens et avoirs tirés, directement ou indirectement, du crime —ce qui pourrait affecter des tiers détenteurs de mauvaise foi.

Hormis ce cas, une personne morale complice de l’accusé ne peutêtre condamnée à réparer par la CPI puisque celle-ci n’a pas compé-tence à l’égard des personnes morales (art. 25, par. 1).

En revanche, il pourrait en aller autrement dans l’ordre juridiqueinterne : le jugement de condamnation par la CPI est une res judicataque les victimes sont en droit d’invoquer devant un juge interne pourdemander réparation. Il leur faudra, bien sûr, démontrer le lien decomplicité entre la personne jugée et la personne morale dont ilsveulent obtenir réparation pour le dommage subi.

3.55 Une question proche de la précédente est de savoir si lacondamnation d’un accusé à des réparations peut entraîner une res-ponsabilité de l’Etat dès lors que cet accusé a agi en tant qu’organede cet Etat au moment des crimes pour lesquels il est condamné.

En tant qu’organe de l’Etat, l’accusé, par son comportement,entraîne, bien sûr, la responsabilité de cet Etat (responsabilité del’Etat pour fait internationalement illicite, projet CDI, art. 4 ss.) 204.La CPI n’a cependant pas plus compétence à l’égard des personnesmorales de droit public qu’à l’égard des personnes morales de droitprivé. De plus, comme tout jugement, la condamnation de l’accusése caractérise par la relativité de la chose jugée. Elle ne devrait, enprincipe, pas avoir d’effet vis-à-vis des tiers, mais comme elle avaleur de vérité (res judicata pro veritate habetur), elle constitue unélément dont la victime pourrait se prévaloir directement auprès del’Etat concerné afin d’obtenir réparation si l’accusé n’est pas capable

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205. H.-D. Bosly et D. Vandermeersch, op. cit., p. 253.206. S. Lamb, « Nullum crimen, nulla poena sine lege in International Crimi-

nal Law », ibid., I, p. 753.

d’en assumer la charge ; cela n’entraîne évidemment pas condamna-tion automatique des tiers au procès devant la CPI : ceux-ci ont droità un procès régulier dans l’ordre juridique interne de l’Etat concerné,conformément à la règle selon laquelle une personne peut faire tran-cher toute contestation relative à ses droits civils (Pacte relatif auxdroits civils et politiques, art. 14, par. 1 ; Convention européenne desdroits de l’homme, art. 6, par. 1) 205.

Inversement, si la victime est dédommagée pour les faits imputésà l’accusé, elle ne peut plus se retourner contre l’Etat pour obtenirréparation des mêmes faits, conformément au principe ne bis in idem(cf. art. 20).

5. Les moyens de défense de l’accusé

3.56 Ces moyens — classiques — correspondent, pour l’essen-tiel, à certains principes généraux de droit pénal relatifs, d’une part,à l’infraction, d’autre part, à son auteur présumé. Il est exclu d’enétablir une liste exhaustive. On va se borner à en examiner quelques-uns.

3.57 Les moyens de défense liés à l’infraction sont, entre autres,ceux relatifs :

— au principe de la légalité des délits et des peines : nullum crimennulla poena sine lege ; nul ne peut être poursuivi et condamnédevant la Cour pour un fait qui n’est pas incriminé dans le Statut(art. 22-23) ; les incriminations portées par le Statut sont, commeen droit pénal interne, d’interprétation restrictive (art. 22, par. 2) :ainsi qu’on l’a souligné, il s’agissait d’éviter que de nouvellesincriminations puissent être créées autrement que par une déci-sion de l’Assemblée des Etats parties 206 ; on observera que si lanon-rétroactivité est une règle fondamentale des droits del’homme (Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 11,par. 2 ; Convention européenne des droits de l’homme de 1950,art. 7, par. 1 ; Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966,art. 15, par. 1), elle ne fait cependant pas obstacle à la poursuitede personnes coupables de faits réputés criminels d’après lesprincipes généraux du droit international (Pacte précité, art. 15,

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207. Sur ces notions, F. Tulkens et M. van de Kerchove, op. cit., pp. 279-295, 459-464 ; C. Hennau et J. Verhaegen, Droit pénal général, Bruxelles, Bruy-lant, 1995, par. 201-267.

208. A. Cassese, « Justifications and Excuses in International Criminal Law »,dans A. Cassese et al. (dir. publ.), I, pp. 953 s.

209. Ibid., pp. 952-953.

par. 2 ; Convention européenne précitée, art. 7, par. 2) ; or, si laplupart des faits incriminés dans le Statut sont des faits criminelsau regard des principes précités, il reste que la Cour ne pourraconnaître que de ceux commis après l’entrée en vigueur du Sta-tut (art. 24, par. 1 ; supra, paragraphes 1.15-1.16) ;

— à ne bis in idem (art. 20) : un accusé ne peut pas, bien sûr, êtrepoursuivi deux fois pour le même fait, et, conformément au prin-cipe de complémentarité, la règle fait obstacle à des poursuitesdevant la CPI lorsque l’accusé a déjà été jugé par une autre juri-diction qui a statué de manière indépendante, impartiale et sanschercher à soustraire l’accusé à sa responsabilité pénale.

La prescription, en revanche, n’est pas un moyen de défense carles faits visés au Statut sont déclarés imprescriptibles (art. 29).

3.58 Les moyens de défense liés à la personne de l’accusé tien-nent, d’une part, à la qualité officielle de l’accusé (a)), d’autre part,à l’absence de mens rea (b)).

On n’entrera pas dans la distinction classique, en droit pénal,entre causes de justification et causes d’excuse : les premières ren-dent légal ce qui ne l’est pas ; par exemple, tuer un combattant entemps de guerre lors d’un affrontement est un homicide qui trouve sajustification dans l’état de guerre ; les secondes ne suppriment pasl’illégalité mais permettent d’éviter totalement (les excuses absolu-toires) ou partiellement (les excuses atténuantes) la condamnation ;par exemple, tuer un civil sans défense en raison d’une contrainteirrésistible reste un homicide illégal mais non punissable en raison decet élément de contrainte (excuse absolutoire) ; le même fait commispar un mineur reste aussi un homicide illégal, mais la peine peut êtrediminuée en raison de la jeunesse de l’auteur (excuse atténuante) 207.Le droit pénal international ne semble pas présenter beaucoup deprécédents où apparaîtrait cette distinction 208 alors qu’elle s’avèrepertinente et a des conséquences pratiques : entre autres, pas de répa-ration civile pour un fait justifié ; réparation civile éventuelle pour unfait excusé 209.

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210. Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire inter-national, Documents officiels, t. 1, Nuremberg, 1947, p. 235.

211. A/Rés. 56/83, 12 décembre 2001.212. Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire inter-

national, Documents officiels, t. 1, Nuremberg, 1947, p. 235.213. Yearbook ILC 1949, pp. 206 et 212.214. Pour plus de détails, E. David, Eléments…, op. cit., par. 1.69-1.70.

a) La qualité officielle de l’accusé

3.59 Aux termes du Statut, la qualité officielle de l’accusé n’estni un moyen de défense au fond (art. 27, par. 1), ni une exceptionquant à la recevabilité des poursuites devant la Cour (art. 27, par. 2).Le Statut de la CPI est le premier instrument international à distin-guer ces deux exceptions pour écarter l’une et l’autre :

— que le crime soit commis pour, et au nom de, l’Etat ne supprimeni n’atténue la responsabilité pénale de son auteur physique ;comme l’avait dit le jugement du Tribunal militaire internationalde Nuremberg, « ce sont des hommes et non des entités abstraitesqui commettent les crimes dont la répression s’impose, commesanction du droit international » 210 ; depuis lors, on a maintes foisrépété que la responsabilité propre de l’Etat n’excluait pas la res-ponsabilité personnelle de l’agent (Responsabilité de l’Etat pourfait internationalement illicite, art. 58 211), et réciproquement (Sta-tut CPI, art. 25, par. 4 ; projet CDI de Code des crimes contre lapaix et la sécurité de l’humanité, art. 4) ;

— que le crime soit commis par un représentant officiel de l’Etat neconfère aucune immunité pénale à son auteur physique vis-à-visde la CPI.

Ni les statuts des Tribunaux militaires internationaux (art. 7/art. 6),ni ceux des TPI (art. 7, par. 2/art. 6, par. 2), ni les projets de Codedes crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (projet de laCDI, 1996, art. 7), ni les conventions des Nations Unies sur le crimede génocide (9 décembre 1948, art. IV) et sur l’imprescriptibilité descrimes de guerre et des crimes contre l’humanité (26 novembre1968, art. II) ne distinguaient ces deux exceptions : ces textes n’évo-quaient généralement que la première et il fallait retourner au juge-ment de Nuremberg 212 ainsi qu’aux travaux de la CDI sur l’élabora-tion des « principes de Nuremberg » (1950) 213 pour constater qu’ilsvisaient l’une et l’autre 214.

En écartant expressément l’exception en ses deux aspects, le Sta-tut de la CPI a le mérite de mettre les points sur les « i ».

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215. Procès…, loc. cit., p. 235.

3.60 Par ailleurs, pendant plus d’un demi-siècle, on pouvaitlogiquement penser que l’exclusion du moyen de défense relatif à laqualité d’organe de l’Etat de l’auteur du crime valait autant pour lesjuridictions pénales internationales que pour les tribunaux natio-naux. Ce qui justifiait le rejet de l’exception était non la nature inter-nationale du for apte à en connaître, mais la gravité intrinsèque ducrime.

Le Tribunal de Nuremberg l’écartait parce que le crime était inter-national et non parce que le tribunal chargé d’en connaître étaitinternational :

« Le principe du droit international qui dans certaines cir-constances protège les représentants d’un Etat ne peut pas s’ap-pliquer aux actes considérés comme criminels par le droit inter-national. » 215

Toute la philosophie du projet de code des crimes contre la paix etla sécurité de l’humanité est fondée sur l’idée que ces crimes relè-vent du juge interne (voir l’article 8 du projet, version de 1996).

Il en va de même de la complémentarité (supra, paragraphes 1.22-1.23). L’économie du principe exclut l’immunité pénale des per-sonnes convaincues de crimes visés par le Statut de la CPI. Commela Belgique l’avait écrit dans son contre-mémoire en l’affaire duMandat d’arrêt du 11 avril 2000 (Yerodia) :

« Si l’immunité des membres de gouvernements étrangers nedevait pas s’effacer pour la répression des crimes prévus par leStatut, le principe de complémentarité serait inutile dans la plu-part des cas : dès lors que la compétence de la CPI est limitéeaux « crimes les plus graves » (art. 1) et qui présentent une cer-taine ampleur (cf. texte des articles 6, 7, paragraphe 1, et 8,paragraphe 1), il en résulte que ces crimes sont le plus souventimputables aux autorités étatiques les plus hautes ; si ces auto-rités pouvaient se prévaloir de l’immunité traditionnellementreconnue aux membres de gouvernements étrangers, elles neseraient passibles de poursuites que dans leur Etat d’origine etle rôle subsidiaire de la Cour ne jouerait que dans cette seulehypothèse ; en revanche, les autres Etats ne pourraient jamaisconnaître de ces crimes et le rôle de la Cour, loin d’être com-

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216. CIJ, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique duCongo c. Belgique), contre-mémoire du Royaume de Belgique, 28 septembre2001, par. 3.5.32 (3), p. 131 (multicopié).

217. Arrêt du 14 février 2002, CIJ Recueil 2002, par. 58 ; pour une critique decette partie de l’arrêt, voir E. David, « Règles de compétence en droit internebelge et régime de complémentarité, y compris les règles d’immunités aprèsl’adoption de la loi du 29 mars 2004 », La Belgique et la Cour pénale interna-tionale : complémentarité et coopération, actes du colloque du 17 mai 2004,Bruxelles, Bruylant et SPF Justice, 2005, pp. 82 ss.

plémentaire, deviendrait principal — ce qui ne correspond pasà l’intention des auteurs du Statut. » 216

Comme on le sait, la CIJ, a été, à ce point, insensible à l’argumentqu’elle n’y a même pas répondu ! Elle a considéré que le droit inter-national coutumier ne confirmait pas l’absence d’immunité d’unministre des Affaires étrangères accusé de crimes de droit internatio-nal humanitaire car la pratique était insuffisante. Par conséquent,l’immunité de juridiction pénale coutumière reconnue à un ministredes Affaires étrangères continuait à le protéger à l’égard d’actionsjudiciaires intentées contre lui devant des tribunaux étrangers tantqu’il était en fonction, même lorsque les faits dont il devait répondreétaient des crimes de droit international humanitaire 217.

Il en résulte aussi que, dans bien des cas, un Etat étranger nepourra pas poursuivre ce type de responsable et que, si son Etatd’origine ne le poursuit pas non plus, l’affaire viendra devant la CPIdès lors qu’elle est compétente sur la base des articles 12 ou 13 duStatut.

3.61 Si l’immunité pénale dont bénéficie l’auteur présumé d’uncrime de droit international humanitaire offre un rempart légal à despoursuites dirigées contre lui dans un Etat étranger, en revanche, ellen’empêche pas la CPI de réclamer à cet Etat la remise de cette per-sonne afin de la juger (art. 58 et 59). Dès lors que l’Etat requis estpartie au Statut et que l’affaire en cause est recevable (art. 89, par. 2,et art. 95), l’Etat requis doit accorder cette remise sans faire droit àl’immunité de la personne réclamée, conformément à son obligationgénérale de coopération avec la CPI (art. 86) combinée avec l’exclu-sion de l’immunité (art. 27), sous réserve toutefois de ses obligationsau regard de l’article 98.

En d’autres termes, la nature conventionnelle du Statut impliqueque l’exclusion de l’immunité ne joue qu’entre la CPI et les Etatsparties au Statut, non vis-à-vis des Etats tiers.

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218. P. Gaeta, « Official Capacity and Immunities », dans A. Cassese et al.(dir. publ.), I, pp. 993 s.

219. Ibid., p. 995.220. G. M. Danilenko, « ICC Statute and Third States », ibid., II, p. 1886.

L’article 98 permet à l’Etat requis de refuser la remise d’une per-sonne à la Cour lorsque cette personne bénéficie d’une immunitéprévue par le droit international liant l’Etat requis et que cette per-sonne ressortit d’un Etat tiers. Qu’entend-t-on par « Etat tiers » ?L’interprétation raisonnable et utile de cet article combiné à l’ar-ticle 27 conduit à penser qu’il ne peut s’agir que d’un Etat non partieau Statut 218 et qui n’a pas reconnu la compétence de la Cour 219.

Le principe figure aussi dans l’Accord de liaison du 7 juin 2004entre l’ONU et la CPI : l’Accord prévoit que l’ONU lève l’immunitéde ses agents à l’égard desquels la CPI souhaite exercer sa compé-tence (Accord, art. 19). Ici aussi, en l’absence de cet accord, l’im-munité des agents de l’ONU prévaudrait vu le caractère convention-nel du Statut.

Si la personne réclamée par la Cour a la nationalité d’un Etat tiersau Statut et si elle bénéficie d’une immunité pénale dans le cadre desrelations entre l’Etat requis et l’Etat tiers au Statut, l’article 98 duStatut fait primer l’immunité de cette personne sur l’exclusion d’im-munité prévue à l’article 27, paragraphe 2, qu’il s’agisse d’un repré-sentant officiel de l’Etat tiers (art. 98, par. 1) ou d’un ressortissant d’unEtat tiers lié à l’Etat requis par un accord de siège (art. 98, par. 2) 220.

3.62 L’immunité subsiste même lorsque le crime en cause estcommis sur le territoire d’un Etat partie au Statut par un ressortissantd’un Etat non partie : bien que la Cour ait compétence pour ce crime(art. 12, par. 2, al. a)), l’article 98 apparaît comme une lex specialisinterdisant à l’Etat partie de remettre cette personne à la Cour si sonEtat d’origine s’y oppose.

Cette conclusion pourrait, toutefois, être remise en cause au nomdes exigences de la lutte contre l’impunité (préambule, quatrième àsixième considérant). De plus, si les crimes sont commis dans lecadre d’une guerre opposant l’Etat partie à un Etat non partie et sicette guerre permet de considérer que les accords visés à l’article 98sont caducs ou suspendus en raison du changement fondamental decirconstances (Convention sur le droit des traités, art. 62) résultantdu conflit, l’immunité pénale visée par lesdits accords ne serait plusopposable à l’Etat du lieu du crime.

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221. G. M. Danilenko, loc. cit., p. 1887.

De même, lorsqu’en vertu de l’article 13, alinéa b), le Conseil desécurité saisit la CPI d’une situation où des crimes visés par le Sta-tut sont commis, la combinaison des articles 25 et 103 de la Charteavec l’article 27 du Statut devrait écarter l’obstacle de l’immunitéfondée sur l’article 98 : sauf décision contraire du Conseil de sécu-rité, l’Etat requis devrait remettre à la CPI la personne recherchéesans tenir compte du fait que les Etats concernés par cette remise oupar le crime sont, ou non, parties au Statut de la Cour.

Un commentateur va encore plus loin :

« Parties to the Rome Statute can argue . . . that in all casesunder the ICC’s jurisdiction, immunity could be denied to offi-cials of any country, irrespective of whether his or her countryhas ratified the Rome Statute. Whether such a claim prevailswill depend on the subsequent practice and reaction of thirdStates. » 221 (L’italique est de nous.)

b) L’absence de mens rea

3.63 Pour rappel, il n’y a de crime au sens du Statut que si celui-ci est commis intentionnellement (mens rea) et en connaissance decause (art. 30). Si l’élément psychologique fait défaut, il n’y a pas deresponsabilité pénale (art. 30, par. 1), donc pas d’infraction ; c’est lecas aux termes du Statut lorsque le comportement en cause résultede certaines pathologies, d’une erreur de fait ou de droit, du com-mandement de l’autorité, de la légitime défense et de certainesnécessités militaires, d’une contrainte irrésistible (ci-après). Exami-nons ces différents cas.

1) La déficience mentale et l’erreur

3.64 Certaines causes de non-imputabilité sont classiques et nesoulèvent pas de difficultés particulières. Ainsi en va-t-il de la défi-cience mentale de l’accusé au moment des faits (art. 31, par. 1, al. a)).Même chose pour l’erreur de fait ou de droit qui peut excuser l’ac-cusé à condition qu’elle fasse disparaître l’élément psychologique del’infraction (art. 32).

2) L’ordre supérieur

3.65 Le commandement de l’autorité pourrait « excuser » lecrime imputé à l’accusé à la triple condition que

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222. Procès, Documents officiels, pp. 235-236 ; The Tokyo Judgment, B. V. A.Röling et C. F. Rüter (dir. publ.), Amsterdam University Press, 1977, I, p. 28.

223. A. Zimmerman, « Superior Orders », dans A. Cassese et al. (dir. publ.),I, p. 972.

224. E. David, Principes…, op. cit., pp. 476-477.

— le subordonné soit légalement tenu d’obéir à l’ordre ;— qu’il ne sache pas que l’ordre est illégal ; « et »— que l’ordre ne soit pas « manifestement illégal » (art. 33,

par. 1).

La présence de la conjonction « et » implique que les conditionsénoncées sont cumulatives.

Le Tribunal de Nuremberg n’écartait pas complètement l’excusede l’ordre supérieur : avec raison, il ne la rejetait que dans l’hypo-thèse où le subordonné disposait de « la liberté morale » de choi-sir 222. Toutefois, lorsque cette liberté n’existe pas, le subordonnépourrait se trouver dans une situation de nature à s’apparenter à uncas de contrainte irrésistible, par exemple s’il risque d’être pour-suivi, jugé et condamné pour désobéissance.

3.66 Assez curieusement, le Statut distingue l’ordre de com-mettre un crime de guerre de celui visant à commettre un crimecontre l’humanité ou un génocide : seul l’ordre de commettre ungénocide ou des crimes contre l’humanité est réputé manifestementillégal (art. 33, par. 2). Cette distinction est critiquable car elleconduit à protéger moins bien les victimes de crimes de guerre quecelles de génocide ou de crimes contre l’humanité 223.

Quoi qu’il en soit, parmi les crimes de guerre cités au Statut, peun’apparaissent pas comme manifestement illégaux, surtout si l’onsait que tous les Etats doivent diffuser le droit international humani-taire auprès de leurs forces et de leur population 224.

3) La légitime défense

3.67 La légitime défense constitue un motif d’exonération deresponsabilité pénale dès lors qu’on agit

« raisonnablement pour se défendre, pour défendre une autrepersonne ou, en cas de crime de guerre, pour défendre desbiens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels àl’accomplissement d’une mission militaire, contre un recoursimminent et illicite à la force d’une manière proportionnée à

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225. Pour une analyse approfondie de cette disposition, voir « L’article 31,§ 1, c, du Statut de la Cour pénale internationale », Travaux de l’atelier organisépar la Commission consultative de droit international humanitaire de la Croix-Rouge de Belgique Communauté francophone, RBDI, 2000, pp. 355-488.

226. Ainsi, A. Eser, dans O. Triffterer (dir. publ.), pp. 548-550 ; K. Ambos,« Other Grounds for Excluding Criminal Responsibility », dans A. Cassese et al.(dir. publ.), I, pp. 1031-1035.

227. Voir les références citées ibid., pp. 1015-1016.228. Annuaire CDI 1996, II, deuxième partie, pp. 41-42.229. Ibid.

l’ampleur du danger qu’elle courait ou que couraient l’autrepersonne ou les biens protégés » (art. 31, par. 1, al. c)) 225.

Assez curieusement, cette disposition est parfois analysée demanière abstraite, au « premier degré » en quelque sorte, comme s’ils’agissait d’une cause classique de justification, sans vraiment tenircompte de la nature très particulière des crimes visés par ce texte 226.Il semble pourtant difficile d’examiner cette cause de justification enignorant l’immense gravité des crimes auxquels elle se rapporte.

3.68 Il est quelque peu surprenant de trouver dans le Statut unecause de justification fondée sur la légitime défense pour des crimestels que ceux visés au Statut, sauf à reconnaître aux Etats un sens del’humour qu’on leur ignorait : dire qu’un génocide ou un crimecontre l’humanité pourraient trouver une justification dans la légi-time défense ne peut laisser impassible ou indifférent… On nes’étonnera donc pas qu’au cours de ses travaux sur le projet de Codedes crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité la CDI avaitbeaucoup hésité à reconnaître la possibilité de justifier de tels faitspar la légitime défense 227.

D’ailleurs, lors de l’adoption du projet de Code, en 1996 (art. 14),la CDI s’était bornée, dans son commentaire, pour l’essentiel, àexaminer le cas de l’agression et des crimes de guerre 228. Pour lapremière, elle avait observé, à juste titre, que la légitime défense indi-viduelle était subordonnée à l’existence d’une situation de légitimedéfense étatique au regard de l’article 51 de la Charte. On y revien-dra (ci-après). Quant aux seconds, elle avait simplement constatéque la légitime défense avait « été reconnue comme fait justificatifpossible » (l’italique est de nous) dans un procès consécutif à laseconde guerre mondiale 229.

On va donc examiner de manière plus approfondie la pertinencede ce moyen de défense pour chacune des infractions visées par leStatut.

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230. A/Rés. 3314 (XXIX), 14 décembre 1974.231. CIJ, 27 juin 1986, arrêt, Activités militaires et paramilitaires au Nicara-

gua et contre celui-ci, CIJ Recueil 1986, p. 103.232. Voir le commentaire de la CDI sur l’article 34 de l’ancien projet d’ar-

ticles sur la responsabilité des Etats, Annuaire CDI 1980, II, deuxième partie,p. 57.

233. CIJ, 27 juin 1986, arrêt, Activités militaires et paramilitaires au Nicara-gua et contre celui-ci, CIJ Recueil 1986, p. 103.

3.69 L’agression, bien que réputée non définie par le Statut etaux fins de celui-ci (supra, paragraphe 2.5), suppose, aux termes dela définition adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en1974, le recours à la force par un Etat agissant le premier contre unautre Etat (définition de l’agression, art. 2 230). Autrement dit, si unEtat attaque le premier un autre Etat, il ne peut y avoir une « agres-sion » qui puisse être qualifiée de « légitime défense » puisque laseconde est, par définition, supposée répondre à la première 231.Certes, le Conseil de sécurité peut renverser la présomption d’agres-sion qui s’attache au recours à la force en premier (définition del’agression, art. 2), mais dans ce cas l’article 31, paragraphe 1, ali-néa c), du Statut perd toute autonomie et n’a plus de fonction justi-ficative puisque celle-ci est subordonnée à une décision du Conseil.Comme rien dans le texte ne permet de dire que l’article 31, para-graphe 1, alinéa c), vise, en cas d’agression, l’hypothèse d’unerequalification par le Conseil de sécurité, on ne voit pas très bienl’utilité de cette disposition pour un cas d’agression.

Certes, en termes de logique, on pourrait prétendre que la légitimedéfense préventive justifierait un recours à la force en premier etpermettrait d’effacer la qualification d’agression, mais cette hypo-thèse n’est soutenue que par une doctrine minoritaire 232 et n’est pasadmise par les textes : l’article 51 de la Charte n’autorise la légitimedéfense que « dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’ob-jet d’une agression armée … » 233.

Bref, vu le sens très strict donné à l’agression et à la légitimedéfense par le droit international, il est impossible de « justifier » uneagression par la légitime défense ; seul, le Conseil de sécurité pour-rait dire qu’un emploi de la force présumé constitutif d’agressionn’est pas une agression au regard des circonstances de la cause, maiscette compétence n’appartient pas à un Etat, à un juge ou à une per-sonne. Il n’est d’ailleurs pas certain que le Conseil de sécurité quali-fierait l’emploi de la force par un Etat agissant le premier de « légi-time défense ». Il pourrait légitimer ce recours à la force au nom des

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234. Par exemple, pour la Bosnie-Herzégovine, S/Rés. 770, 13 août 1992, par. 2 ;S/Rés. 781, 9 octobre 1992, par. 1ss. ; etc. Pour une liste exhaustive, E. David,Droit des organisations internationales, 16e éd., Presses univ. de Bruxelles, 2004,pp. 294-304.

235. Cf. E. David, Principes…, op. cit., par. 1.24-1.28.

nécessités du maintien de la paix et de la sécurité internationalessans faire appel à la légitime défense, ainsi qu’on le constate pourdiverses interventions coercitives de type humanitaire autorisées aucours de ces dernières années 234.

De toute façon, comme le fait justificatif de la légitime défensepour une agression dépend d’une qualification du Conseil de sécu-rité, l’article 31, paragraphe 1, alinéa c), n’a aucune fonction pourl’infraction d’agression.

3.70 Dans une situation de génocide qui se caractérise par le dolspécial « de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,ethnique, racial ou religieux » (art. 6), on ne peut prétendre défendresa vie ou celle d’autrui en cherchant à détruire le groupe considéré.Il faudrait être très fort pour réussir à qualifier un génocide d’acte delégitime défense répondant aux critères exigés par l’article 31, para-graphe 1, alinéa c), à savoir, être raisonnable et proportionné !

Même chose pour un crime contre l’humanité : dès lors que cecrime s’inscrit, par définition, dans le cadre d’une attaque dirigéemassivement contre une « population civile » (art. 7, par. 1), il paraît,là aussi, difficile d’y voir un acte de légitime défense raisonnable etproportionné.

Génocide ou crime contre l’humanité, ces crimes excluent, en rai-son de leur seule définition, une requalification en actes de légitimedéfense.

3.71 Les crimes de guerre appellent les mêmes types de re-marques, mais avec certaines nuances.

Un crime de guerre est, par définition, un crime commis dans lecadre d’un conflit armé (supra, paragraphe 2.25). Or, dans un conflitarmé, tout acte de guerre est réputé justifié dès lors qu’il est commisdans le respect du droit applicable à cette situation, à savoir, le droitdes conflits armés ou le droit international humanitaire considérélato sensu 235. Il importe peu que cet acte soit commis dans le cadrede la légitime défense ou non : un acte purement offensif (parexemple, s’emparer d’une position ennemie ou bombarder un objec-tif militaire en dehors de toute légitime défense) est parfaitement

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236. TPIR, aff. ICTR-96-3-A, Rutaganda, 26 mai 2003, par. 570 ss.237. TPIY, aff. IT-96-23 et 23/1-A, Kunarac et al., 12 juin 2002, par. 58-59.

légitime s’il est accompli conformément aux règles du droit interna-tional humanitaire.

Lorsqu’un acte de guerre viole gravement ces règles, il peut, àcondition d’être incriminé par un texte, s’apparenter à un « crime deguerre ». Le fait qu’il soit commis dans le cadre d’une action offen-sive ou défensive n’a aucune incidence sur sa qualification ! Si l’acteen cause réunit les éléments constitutifs du crime de guerre, il resteun crime de guerre : torturer des prisonniers, attaquer des civils, uti-liser des gaz, affamer une population, etc., sont des crimes de guerre(art. 8, par. 2, al. a), point ii ; art. 8, par. 2, al. b), points i, xviii, xxv,etc.), indépendamment du point de savoir s’ils ont été commis dansle cadre d’actions de légitime défense.

Dans ces différents cas, la justification prévue par l’article 31,paragraphe 1, alinéa c), est incohérente avec la philosophie du droitinternational humanitaire.

3.72 On peut toutefois imaginer certaines hypothèses où un faitréputé a priori « crime de guerre » pourrait se justifier au regard de lalégitime défense. Supposons qu’un civil attaque un militaire ennemipour des raisons purement personnelles qui n’ont rien à voir avec leconflit armé et que ce militaire, pour se défendre, tue ce civil. Dansce cas, le meurtre de ce civil n’est plus un acte de guerre car il n’apas de rapport avec le conflit armé. Toutefois, étant donné que lecontexte général reste une situation de conflit armé, que ce militaireappartient aux forces d’une des parties et que la victime est un civil,on pourrait hésiter entre qualifier ce fait crime de droit commun oucrime de guerre. C’est une question où la jurisprudence des TPIapporte quelques éléments de réponse. Il a été précisé qu’un crimede guerre n’existait qu’aux conditions suivantes :

— le crime devait être lié au conflit armé 236 ;— le conflit devait avoir pesé sur la capacité et la décision de l’au-

teur de commettre le crime ;— le crime pouvait être considéré comme « servant l’objectif ultime

d’une campagne militaire » 237.

Si ces conditions sont remplies — ce qui est loin d’être évidentdans l’exemple choisi —, alors, il y a crime de guerre, et, dès lorsque le meurtre de ce civil est un acte de défense raisonnable et pro-

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238. TPIY, aff. IT-96-23 et 23/1-A, Kunarac et al., 12 juin 2002, par. 58-59 ;voir aussi TPIR, aff. ICTR-96-3-A, Rutaganda, 26 mai 2003, par. 570 ss.

239. TPIY, aff. IT-96-14/2-T, Kordic et al., 26 février 2001, par. 452.

portionné, on pourrait conclure que la légitime défense efface la cri-minalité de dudit crime.

Dans ce cas, la légitime défense apparaîtrait comme un fait justi-ficatif excluant la responsabilité pénale de son auteur pour « crimede guerre ».

Ce type d’hypothèse reste rare : le plus souvent, les violencescommises dans un conflit armé sont directement liées à ce dernier et,dès lors, c’est au seul regard du droit international humanitaire qu’ilfaut apprécier si un crime de guerre a été commis sans que la légi-time défense puisse jouer un quelconque rôle. Si des civils attaquentun ou plusieurs militaires ennemis, et si l’on peut montrer, en para-phrasant de nouveau ce qu’a dit la Chambre d’appel du TPIY, que :

— l’existence du conflit armé a considérablement pesé sur la déci-sion d’entreprendre cette attaque, sur la manière dont elle a étécommise ou le but dans lequel elle a été commise ;

— l’attaque s’inscrit dans le cadre d’une campagne militaire dirigéecontre l’adversaire 238,

il n’est pas nécessaire d’invoquer la légitime défense pour justifierles pertes infligées à ces civils par les militaires car, du fait de leuraction, ces civils perdent leur qualité de civils et deviennent descombattants qui peuvent être traités comme tels (Protocoles addition-nels, art. 51, par. 3/I, art. 13, par. 3/II). Il est, alors, permis de les com-battre, aussi bien dans des actions défensives qu’offensives, pendanttoute la durée de la participation de ces civils aux hostilités (ibid.).

La jurisprudence a exclu l’élément justificatif tiré de la légitimedéfense pour des violations graves du droit international humani-taire : « military operations in self-defence do not provide a justifica-tion for serious violations of international humanitarian law » 239.

3.73 En résumé, la légitime défense visée par l’article 31, para-graphe 1, alinéa c), ne peut jouer aucun rôle justificatif pour ungénocide ou un crime contre l’humanité ; elle ne présente aucune auto-nomie pour l’agression où la requalification de l’agression en légitimedéfense dépend du Conseil de sécurité ; quant aux crimes de guerre,ce n’est que pour des faits non liés au conflit armé que la légitimedéfense pourrait avoir une fonction justificative, mais à condition que

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ces faits puissent, a priori, être qualifiés de «crimes de guerre» — cequi devrait être exclu s’ils ne sont pas liés au conflit armé.

4) L’état de nécessité

3.74 Si la légitime défense prévue à l’article 31, paragraphe 1,alinéa c), ne peut servir de justification aux crimes visés par lesarticles 5 à 8 du Statut (en dehors de certaines hypothèses de crimesde guerre), on peut s’interroger sur le point de savoir s’il ne faudraitpas plutôt interpréter ce moyen de défense comme se rapportant àl’état de détresse (au sens de l’article 24 du projet de la CDI sur laresponsabilité des Etats) — protéger sa vie ou celle d’autrui — ouaux nécessités militaires — défendre des biens essentiels à l’accom-plissement d’une mission militaire.

On observera que les mots « détresse » ou « nécessité » ne sont pascités dans l’alinéa examiné ; le mot « nécessité » n’apparaît qu’à l’ali-néa d) du paragraphe 1, de l’article 31, qui concerne plutôt la con-trainte irrésistible (infra, paragraphe 3.77).

Examinons pourtant l’hypothèse où l’article 31, paragraphe 1, ali-néa c), viserait l’extrême détresse ou la nécessité.

3.75 Considéré sous cet angle, l’article 31, paragraphe 1, alinéa c),contredirait la règle classique selon laquelle l’état de nécessité nepeut jamais justifier un crime contre la paix, un crime de guerre ouun crime contre l’humanité. Ainsi, la définition de l’agression dis-pose : « Aucune considération de quelque nature que ce soit, poli-tique, économique, militaire ou autre ne saurait justifier une agres-sion » (A/Rés. 3314 (XXIX), 14 décembre 1974, art. 5, par. 1).

De manière analogue, les instruments protecteurs des droits de lapersonne excluent totalement la suspension des droits et libertés lesplus fondamentaux (notamment, le droit à la vie, l’interdiction de latorture) même en cas de guerre, de danger public ou de crise gravemenaçant l’existence de la nation (Convention européenne des droitsde l’homme, art. 15 ; Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, art. 4 ; Convention américaine des droits de l’homme,art. 27 ; Convention des Nations Unies contre la torture et autrespeines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, art. 2, par. 2 ;Déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies sur les dis-paritions forcées, A/Rés. 47/133, 18 décembre 1992, art. 7 ; Conven-tion de l’Organisation des Etats américains du 9 juin 1994, art. X).

En ce qui concerne plus particulièrement les crimes de guerre, on

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240. Pour plus de détails, E. David, Principes..., op. cit., par. 1.29-1.39.

ne voit pas comment la violation grave de règles conçues précisé-ment pour les situations les plus extrêmes — la guerre — pourraittrouver justification dans des éléments qui ont déjà été pris encompte pour fonder l’incrimination : la nécessité de combattre l’en-nemi. A fortiori en va-t-il ainsi dès lors que les Conventions deGenève de 1949 (art. 1 commun) et le premier Protocole additionnel(art. 1, par. 1) contiennent des formules qui tendent à renforcer lecaractère absolu de leurs interdictions ; ces instruments obligent, eneffet, les Etats parties « à respecter et à faire respecter » ces instru-ments et l’article 3 commun énonce des interdictions valables « entout temps et en tout lieu » 240. Par ces formulations pléonastiques (ilest inutile de dire qu’une convention doit être respectée ; c’est lepropre de tout accord : « pacta sunt servanda », Convention deVienne sur le droit des traités, art. 26), les Etats ont voulu insister surle caractère indérogeable des dispositions de ces instruments.

On comprend, dès lors, que l’article 31, paragraphe 1, alinéa c),revient à justifier l’injustifiable et à vider les compétences répres-sives de toute signification tant il est facile pour un accusé d’arguerune nécessité vitale afin de justifier, notamment un crime de guerre ;c’est sans doute moins vrai pour le génocide et les crimes contrel’humanité qui, on vient de le voir, sont présumés « manifestementillégaux », mais pour les crimes de guerre, la porte semble désormaisouverte à tous les abus !

Comme il est douteux que les auteurs du Statut aient eu pourintention d’instaurer des incriminations destinées à rester lettremorte (sauf pour une durée limitée comme dans le cas des crimes deguerre et de l’agression, supra, paragraphe 1.19), et comme il s’agitde donner un effet utile au texte, conformément à un principe clas-sique d’interprétation juridique, on en conclura que les nécessitésretenues par le Statut au titre de cause d’exonération de responsabi-lité doivent être interprétées de manière extrêmement restrictive, eten tenant dûment compte de l’article 21, paragraphe 3, qui disposeque l’application et l’interprétation du Statut « doivent être compa-tibles avec les droits de l’homme internationalement reconnus ».Cela signifie, par exemple, qu’en aucun cas l’état de nécessité ou dedétresse ne pourrait justifier des faits de torture pour faire parler unepersonne sous prétexte que les informations qu’on pourrait en tirerpermettraient de sauver d’autres personnes !…

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241. MB, 1er décembre 2000.242. untreaty.un.org/FRENCH/bible/frenchinternetbible/partI/chapterXVIII/

treaty10.asp.

3.76 Deux Etats parties ont d’ailleurs pris leurs distances par rap-port à cette disposition. La Belgique, en ratifiant le Statut, le 28 juin2000, a fait une déclaration interprétative tendant à exclure touteremise en cause des règles fondamentales du droit internationalhumanitaire par l’effet de cette disposition, et ce, tant en général quedans le cas particulier de la CPI :

« En vertu de l’article 21, paragraphe 1, alinéa b), du Statutet eu égard aux règles du droit international humanitaire aux-quelles il ne peut être dérogé, le Gouvernement belge considèreque l’article 31, paragraphe 1, alinéa c), du Statut ne peut êtreappliqué et interprété qu’en conformité avec ces règles. » 241

De manière analogue, mais sans citer l’article 31, paragraphe 1,alinéa c), la Colombie a fait la déclaration suivante :

« La Colombie déclare que les normes énoncées dans le Sta-tut de la Cour pénale internationale doivent être appliquées etinterprétées conformément aux dispositions du droit internatio-nal humanitaire et qu’en conséquence, aucune disposition duStatut ne saurait porter atteinte aux droits et obligations sanc-tionnés par le droit international humanitaire, en particulier lesdroits et obligations énoncés à l’article 3 commun aux quatreConventions de Genève et dans les Protocoles I et II se rappor-tant auxdites conventions. » 242

5) La contrainte irrésistible

3.77 La contrainte irrésistible est une cause de justification clas-sique lorsqu’elle consiste en une menace de mort ou d’atteinte graveà l’intégrité physique de l’agent ou d’une autre personne : elle estprévue à l’article 31, paragraphe 1, alinéa d). En retenant cette causede justification, les auteurs du Statut infirment, avec raison, l’opi-nion majoritaire de la Chambre d’appel du TPIY dans l’affaire Erde-movic qui n’y voyait qu’une circonstance atténuante (supra, para-graphe 3.32).

L’article 31, paragraphe 1, alinéa d), précise toutefois que la per-sonne ne peut pas avoir « eu l’intention de causer un dommage plus

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243. Cf. A. Eser, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 552.

grand que celui qu’elle cherchait à éviter » : cette formule n’a aucunsens ! Ou bien, l’auteur du fait est soumis à une contrainte irrésistibleet il ne peut, par définition, avoir d’intention, ou bien, il a commisintentionnellement le dommage qui lui est imputé, et on ne sauraitparler de contrainte irrésistible ! Chercher une voie moyenne entrel’une et l’autre requiert une certaine dose d’imagination… 243 Laprise en compte de l’intention est incohérente avec le concept decontrainte irrésistible.

Alors que pour l’état de nécessité le Statut affaiblit, sans beau-coup d’égard pour le droit positif, la protection qu’offre le droitinternational humanitaire contre ses violations les plus graves, enrevanche, pour la contrainte irrésistible, le Statut semble vouloir ren-forcer cette protection, mais sans craindre de verser dans l’incohé-rence…

E. Le jugement

3.78 Le jugement de culpabilité est rendu uniquement sur la basedes « preuves soumises et examinées au procès » (art. 74, par. 2).

A ce stade, on juge le fait, non l’homme. Il en va autrement, biensûr, pour le prononcé de la peine (art. 76) où la Chambre tientcompte « de facteurs tels que la gravité du crime et la situation per-sonnelle du condamné » (art. 78) : ici, on juge l’homme.

3.79 La gamme des peines que la Cour peut prononcer est plusvaste que ce qui est prévu pour les TPI (peines d’emprisonnement,statuts des TPI, art. 24, par. 1/art. 23, par. 1) ; le Statut de la CPI pré-voit des peines d’emprisonnement à temps (avec un maximum detrente ans, même en cas de pluralité de peines à temps), ou à perpé-tuité, des amendes, la confiscation des biens et avoirs tirés du crime(art. 77 et 78, par. 3). La peine de mort est donc exclue, ici aussi.

Le produit des amendes et avoirs confisqués peut être versé à unfonds géré par l’Assemblée des Etats parties (art. 79).

L’indemnité accordée aux parties civiles peut, sur décision de laCour, leur être versée par le fonds (art. 75, par. 2).

3.80 Le temps passé en détention préventive sur décision de laCour est déduit de la peine à subir ; la Cour peut aussi — elle n’y estpas obligée — déduire toute autre période passée en détention en rai-son du crime (art. 78, par. 2) : cela vise notamment le temps passé en

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244. TPIY, aff. IT-94-1-A et A bis, Tadic , 26 janvier 2000, par. 38.

détention dans un Etat avant le transfert de l’accusé à la Cour. A cetégard, le Statut est plus généreux que le Règlement de procédure etde preuve des TPI qui ne déduit que le temps passé en détentiondans un Etat en attendant que la personne recherchée soit remise àun TPI (art. 101 C/art. 101 D), bien que les chambres puissent semontrer plus généreuses et déduire également le temps passé endétention en raison de l’infraction et antérieur au moment où le TPIa demandé la remise de la personne 244.

3.81 Les peines, contrairement à ce que prévoient les statuts desTPI (art. 24, par. 1/art. 23, par. 1), sont indépendantes du droit pénaldes Etats concernés. Pour la CPI, aucun problème de rétroactivité nedevrait se poser puisque son Statut ne s’applique qu’à des faits com-mis après son entrée en vigueur (art. 11).

A supposer, toutefois, que la Cour soit saisie par le Conseil desécurité de crimes commis sur le territoire ou par des nationaux d’unEtat non partie, il ne se poserait pas non plus de problème de rétro-activité car la plupart des faits incriminés par le Statut correspondentà des infractions punissables dans tous les Etats, et apparaissent, enoutre, comme le reflet de règles coutumières universelles de droitpénal international. Cependant, pour certaines incriminations inter-nationales nouvelles (par exemple, l’enrôlement d’enfants de moinsde quinze ans) qui ne trouvent probablement pas d’équivalent endroit pénal interne, le caractère coutumier de l’infraction ne vaudraitque pour les Etats qui les ont acceptées, soit lors de la Conférence deRome, soit postérieurement à celle-ci, conformément aux règlesclassiques du droit international.

Dans la mesure où la Cour doit tenir compte de la « situation per-sonnelle » du condamné (art. 77, par. 1), elle devrait sans doute êtreattentive à l’échelle des peines prévues par les lois pénales de l’Etatoù le fait a été commis et par celles de l’Etat dont la personnecondamnée est un ressortissant.

3.82 Le jugement peut être frappé d’appel (supra, paragraphe 3.11).Si l’appel est accueilli, soit le jugement de première instance estréformé directement par la Chambre d’appel, soit celle-ci renvoie l’af-faire devant une Chambre de première instance pour un nouveauprocès (art. 83, par. 2) à l’instar de ce qui est prévu pour les TPI(statuts, art. 25, par. 2/art. 24, par. 2 ; règlements, art. 117/art. 118).

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245. C. Staker, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 1035.246. Voir, par exemple, la réserve de la Belgique à l’article 14, paragraphe 5,

du Pacte ; H.-D. Bosly et D. Vandermeersch, op. cit., p. 1207.247. TPIR, aff. ICTR-96-3-A, Rutaganda, 26 mai 2003, XIV ; voir l’opinion

dissidente Pocar.248. Ibid., opinion individuelle Jorda et Meron.249. Voir sur ce point l’opinion individuelle très convaincante du juge Shaha-

buddeen, ibid.

On a observé que le renvoi en première instance devrait être pré-féré à l’examen du fond de l’affaire par la Chambre d’appel dansl’hypothèse où cette dernière devrait examiner et apprécier des faitsde nature à entraîner une déclaration de culpabilité qui n’aurait pasété faite en première instance : dans ce cas, il n’y aurait plus d’appelpossible, et ce serait contraire à ce que prévoit l’article 14, para-graphe 5, du Pacte relatif aux droits civils et politiques 245 (droit d’in-terjeter appel de toute décision de culpabilité ou de condamnation)mais conforme à ce qui existe dans des pays de droit continental 246.Si la règle de l’article 14, paragraphe 5, se retrouve dans la Conven-tion américaine des droits de l’homme (1969) (art. 8, par. 2, al. h)) etdans le septième protocole à la Convention européenne des droits del’homme (1984) (art. 2), elle ne figure ni dans la Convention euro-péenne elle-même, ni dans la Charte africaine des droits de l’hommeet des peuples (1981), ni dans la Charte des droits fondamentaux del’Union européenne (2000).

Cette question avait donné lieu à un vif débat au sein de laChambre d’appel du TPIR lorsqu’elle avait reconnu la culpabilitéd’un accusé pour une prévention qui avait été rejetée par la Chambrede première instance 247. En l’occurrence, cela ne changeait toutefoisrien au sort de l’intéressé puisqu’il avait déjà été condamné, sur labase d’autres charges (confirmées en appel), à la réclusion à vie enpremière instance 248. Etant donné, cependant, que la règle de l’ar-ticle 14, paragraphe 5, du Pacte ne se retrouve pas dans tous les ins-truments protecteurs des droits de la personne et qu’elle n’est repriseni par les statuts des TPI, ni par celui de la CPI, on peut se deman-der s’il est vraiment exclu pour la Chambre d’appel de prononcer,pour la première fois, une décision de culpabilité qui ne serait plussusceptible d’appel 249.

3.83 La décision peut aussi faire l’objet d’une procédure de révi-sion devant la Chambre d’appel pour une des causes classiques sui-vantes : découverte d’un fait nouveau, falsification de certaines preuves,faute lourde d’un juge (art. 84; cf. statuts TPI, art. 26/art. 25).

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250. Pour un exemple d’application, TPIY, aff. IT-95-5 et 18-R61, Karadzicet Mladic , 11 juillet 1996.

251. Ibid., par. 4.252. Cour européenne des droits de l’homme, 13 février 2001, Krombach c.

France, par. 91 ; id., 29 mars 2005, Harizi c. France, par. 49 ss.253. W. Shabas, dans O. Triffterer (dir. publ.), p. 983.

F. La procédure par défaut

3.84 Propre au système romano-civiliste, la procédure par défautou par contumace ne trouve guère de place en common law et n’estpas prévue dans les statuts des TPI. Pour ce dernier cas, les juges ontcependant mis au point une procédure de substitution dans le Règle-ment de procédure et de preuve qui, en gros, permet au tribunal dese prononcer publiquement sur la réalité des charges retenues contreles accusés, mais sans prononcer un verdict de culpabilité ou d’inno-cence, en droit (règlements, art. 61) 250.

Le Statut de la CPI reprend certains aspects de cette procédure austade de la confirmation des charges avant le procès : il est en effetprévu que, si la personne en cause renonce à son droit d’être pré-sente ou reste introuvable alors que tout a été fait pour garantir sacomparution, la Chambre préliminaire peut tenir son audience sur lerenvoi éventuel de l’accusé devant la Chambre de première instanceen l’absence de l’accusé, celui-ci pouvant être représenté par unconseil si la Chambre considère que c’est dans l’intérêt de la justice(art. 61, par. 2). Il semblerait difficile que la Chambre refuse à l’ac-cusé absent le droit d’être représenté par un conseil (comme le TPIYl’avait fait pour les affaires Karadzic et Mladic 251) : la Cour euro-péenne des droits de l’homme a considéré que l’interdiction pour unavocat de représenter un accusé défaillant à l’instance violait le droitau procès équitable (art. 6, par. 1, combiné avec art. 6, par. 3, al. c)) 252.

3.85 Lors du procès, l’accusé est normalement présent (art. 63,par. 1). Il peut toutefois être exclu de l’audience s’il en trouble ledéroulement de manière persistante. Des mesures sont alors prisespour que l’accusé puisse suivre le procès de l’extérieur de la salle(art. 63, par. 2).

Etant donné que la procédure in absentia n’est pas organiséeautrement dans le Statut, il semble que c’est pour ce type d’hypo-thèse que l’article 76, paragraphe 4, dispose que : « La sentence estprononcée en audience publique et, lorsque cela est possible, en pré-sence de l’accusé » (l’italique est de nous) 253.

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Il devrait en aller de même si l’accusé s’évade ou, se trouvant enliberté, décide de ne plus participer au procès. S’il importe donc quel’accusé soit présent à l’ouverture du procès, sa disparition ultérieuren’empêche pas le procès de continuer jusqu’à son terme, en ce com-pris la procédure d’appel et le jugement rendu à la suite de l’appelpuisqu’il est prévu que : « La Chambre d’appel peut prononcer sonarrêt en l’absence de la personne acquittée ou condamnée » (art. 83,par. 5).

Il s’agit donc d’une solution de compromis entre partisans etadversaires de la procédure par défaut ou par contumace.

G. L’exécution des condamnations

3.86 Comme pour les TPI (statuts, art. 27/art. 26), les peinesd’emprisonnement sont purgées dans un des Etats qui se sont décla-rés prêts à recevoir des condamnés. La Cour désigne cet Etat enfonction de divers paramètres : répartition équitable entre Etats par-ties, respect des règles sur le traitement des détenus, souhaits etnationalité de la personne condamnée, etc. (art. 103).

La Cour conserve toujours le contrôle de l’exécution de la peine(art. 105-106). Elle décide d’une réduction de peine, étant entenduqu’il existe des durées incompressibles de deux tiers pour une peineà temps, vingt-cinq ans pour une condamnation à perpétuité (art. 110).

Le Statut règle également les questions de transfèrement ducondamné à l’issue de sa peine, les limites aux poursuites etcondamnations que l’Etat d’exécution voudrait mener ou appliquer,l’exécution du paiement des amendes et des confiscations, les consé-quences d’une évasion (art. 107-109, 111).

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CHAPITRE IV

LA COOPÉRATION ENTRE LA COUR ET LES ÉTATS

A. L’objet de la coopération

4.1 Ainsi qu’on l’a vu, la CPI dépend de la coopération desEtats pour pouvoir remplir ses objectifs : remise des personnesrecherchées, récolte des preuves, accès au territoire des Etats pourdes perquisitions, des interrogatoires, etc. (voir, entre autres, art. 87,par. 1 et 3 ; art. 92, par. 1 ; art. 93, par. 1 ; art. 99, par. 4) (supra, para-graphe 1.37).

Cette coopération ne se limite pas aux cas visés par le chapitre IXdu Statut : elle couvre tous les domaines d’action de la CPI et, parexemple,

— les atteintes à l’administration de la justice (faux témoignage,production de fausse preuve, subornation de témoins, intimida-tion ou corruption) qui peuvent être sanctionnées par la Cour etdonner lieu à une demande de coopération à l’égard des Etatsconcernés (art. 70 ; règle 162, par. 4) ;

— l’exécution par les Etats des peines d’amende et des mesures deconfiscation (art. 109 ; règles 217-222).

B. Les principes de coopération

4.2 Si le plus souvent, c’est la Cour qui sollicite l’Etat, l’inversepeut également se produire : un Etat souhaite obtenir la coopérationde la Cour à des fins d’enquête. Ainsi, dans le cadre des tribunauxpénaux internationaux, le TPIR a autorisé la Belgique, en 1998, àenvoyer une commission rogatoire pour entendre certains accusésdétenus dans la prison du TPIR à Arusha.

Le Statut de la Cour prévoit aussi qu’elle peut coopérer avecl’Etat partie qui « mène une enquête ou un procès » à propos d’uncrime relevant tant de la compétence de la Cour que du droit internede l’Etat (art. 93, par. 10).

Cette assistance est logique puisque la Cour n’agit que complé-mentairement aux Etats, c’est-à-dire seulement si leur justice s’avèredéfaillante (supra, paragraphe 1.22).

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254. Position commune 2003/444/PESC du 16 juin 2003 concernant la CPI,JOUE, 18 juin 2003, L150/67.

255. C. Kress et K. Prost, dans Triffterer (dir. publ.), p. 1062.256. A. Ciampi, loc. cit., p. 1616.

Pourrait-elle aller jusqu’à inclure le renvoi d’un accusé détenu parla Cour devant un Etat qui désirerait le poursuivre ? Le Statut ne leprévoit pas, mais, dès lors que la Cour est complémentaire à l’actiondes Etats, que cette complémentarité est soulignée par le préambule(dixième considérant), énoncée à l’article premier et détaillée en sesconséquences à l’article 17, il ne serait pas absurde de penser que laCour puisse accepter de renvoyer un accusé vers un Etat qui souhai-terait le poursuivre, dès lors que cette volonté paraîtrait réelle etsérieuse. Comme on le sait, le Règlement de procédure et de preuvedes TPI a été modifié pour permettre le renvoi d’un accusé vers unEtat disposé à le poursuivre ; il faut toutefois préciser que ce renvoiest soigneusement réglementé (Règlement des TPI, art. 11 bis) — cequi n’est pas le cas de la CPI et laisse planer un doute sur l’aptitudede cette dernière à faire un tel renvoi.

Celui-ci devrait, en tout cas, être admis dans l’hypothèse d’uneinterruption des procédures par le Conseil de sécurité (art. 16) alorsque des personnes ont déjà été arrêtées dans le cadre des affaires oùle Conseil intervient (supra, paragraphe 1.36).

4.3 Autre forme de coopération : l’Union européenne a adoptéune position commune par laquelle elle s’engage à promouvoir l’ins-titution, susciter de nouvelles adhésions, aider à la formation desmembres du personnel de la Cour 254.

4.4 Comme la CPI est établie par traité, seuls les Etats partiessont tenus de coopérer avec la Cour dans ses enquêtes et poursuites(art. 86). Les Etats non parties n’y sont tenus que sur la base d’unaccord conclu avec la Cour « ou sur toute autre base appropriée »(art. 87, par. 5), ce qui peut viser une concertation informelle 255.

Si un Etat non partie reconnaît la compétence de la Cour confor-mément à l’article 12, paragraphe 3, il est tenu de coopérer avec laCour, non de manière générale, mais pour tous les crimes concernéspar cette reconnaissance : la reconnaissance de la compétence de laCour par un Etat tiers n’assimile pas ce dernier à un Etat partie 256.

Les Etats non parties peuvent être tenus de coopérer avec la Courdans deux autres hypothèses : soit sur demande expresse du Conseilde sécurité, soit, logiquement, en cas de saisine de la Cour par le

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Conseil de sécurité (art. 13, al. b)), et ce, conformément à l’article 25de la Charte.

Si un Etat se soustrait à son obligation de coopération, la Courpeut en informer l’Assemblée des Etats parties ou le Conseil desécurité lorsque c’est ce dernier qui l’a saisie (art. 87, par. 5 et 7).

4.5 Le Statut de la Cour n’est ouvert qu’aux Etats, mais le Sta-tut reconnaît le droit de la Cour de demander des renseignements oud’autres formes d’assistance à une organisation intergouvernemen-tale (art. 87, par. 6). Sauf accord conclu par la Cour avec cette orga-nisation, celle-ci n’est pas formellement tenue d’apporter son assis-tance à la Cour.

4.6 L’obligation de coopération n’est pas absolue, mais ses modu-lations sont cohérentes avec la règle de complémentarité, à savoirqu’un Etat ne doit pas collaborer avec la Cour pour la répressiond’un crime relevant de sa compétence dès lors que l’Etat requis enassure la répression. Par exemple, si l’Etat requis est confronté à desdemandes concurrentes : demande de remise d’une personne par laCour et demande d’extradition par un Etat tiers pour un crime viséau Statut, l’Etat requis ne doit donner la préférence à la Cour que sicelle-ci a jugé l’affaire recevable (art. 90, par. 2) : cette décision derecevabilité signifie que, pour la Cour, la demande d’extradition del’Etat tiers n’est pas sérieuse et vise à soustraire la personne à sa res-ponsabilité pénale (cf. art. 17-18) ; la demande de la Cour devientalors prioritaire.

4.7 Si l’Etat tiers requérant n’est pas partie au Statut et si l’Etatrequis est lié à l’Etat requérant par une obligation internationaled’extrader, le Statut n’oblige pas l’Etat requis à choisir la Cour alorsmême que la Cour a jugé l’affaire recevable : cet Etat reste libre dechoisir en tenant « compte de toutes les circonstances pertinentes »,et notamment de la chronologie des demandes, des intérêts parti-culiers de l’Etat requérant, de la possibilité que celui-ci accepte deremettre ensuite la personne recherchée à la Cour (art. 90, par. 6-7).

On ne peut que regretter cet effacement de la Cour devant lesrequêtes concurrentes d’Etats non parties ; les auteurs du Statutauraient dû donner la primauté à celui-ci eu égard à l’importancemajeure des crimes considérés.

De même, on regrettera que l’Etat requis doive faire prévaloirl’immunité d’une personne recherchée ou de ses biens sur une

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257. MB, 1er avril 2004 ; commentaires dans La Belgique et la Cour pénaleinternationale : complémentarité et coopération — Actes du colloque du 17 mai2004, Bruxelles, Bruylant et SPF Justice, 2005.

258. Voir www.iccnow.org, consulté le 26 mai 2005 ; voir aussi le texte del’accord du 18 septembre 2002 conclu par les Etats-Unis avec l’Ouzbékistan,ILM, 2003, pp. 39-40.

demande d’assistance de la Cour (art. 98) alors que la qualité offi-cielle d’un accusé ne fait pas obstacle aux poursuites au regard duStatut (art. 27), même si, en vertu du droit international coutumier, laCIJ a adopté un autre point de vue (supra, paragraphe 3.60).

L’Etat peut aussi limiter, mais sous certaines conditions, son assis-tance à la Cour lorsque celle-ci lui demande des documents touchantà sa sécurité nationale (art. 93, par. 4 ; art. 99, par. 5) (supra, para-graphe 3.37).

C. Les modalités de coopération

4.8 Le Statut précise le contenu des demandes d’assistance adres-sées par la Cour aux Etats (art. 91 et 96). Les difficultés qui pour-raient surgir à la suite de ces demandes doivent être résolues par desnégociations (art. 97).

Les Etats doivent adopter les lois nécessaires pour déterminerles procédures applicables aux diverses formes de coopération(art. 88). La Belgique s’est acquittée de cette obligation avec la loidu 29 mars 2004 257.

L’Etat supporte les dépenses de l’assistance à l’exception de tousles frais de déplacement des membres de la Cour, des témoins et desexperts ou des frais de transfèrement des personnes recherchées,frais qui sont à la charge de la Cour (art. 100).

D. Les problèmes de coopération

4.9 Quid des accords conclus par les Etats-Unis avec une cen-taine d’Etats (Roumanie, 1er août 2002 ; Israël, 4 août 2002 ; Timororiental, 23 août 2002 ; etc.) 258, sur la base de l’article 98, para-graphe 2, du Statut, aux fins d’exclure toute remise d’un ressortis-sant américain ou d’un ressortissant de l’autre Etat contractant à laCPI ? Ces accords (ci-après : « accords art. 98 ») sont-ils compatiblesavec l’article 98, paragraphe 2 ? Pour rappel, celui-ci dispose :

« La Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de

442 Eric David

Page 119: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

259. Conclusions du Conseil, 30 septembre 2002, ILM, 2003, annexe,deuxième principe, p. 241.

260. MB, 15 mars 1953.261. Conclusions du Conseil, 30 septembre 2002, annexe, quatrième et cin-

quième principe, ILM, 2003, p. 241.

remise qui contraindrait l’Etat requis à agir de façon incompa-tible avec les obligations qui lui incombent en vertu d’accordsinternationaux selon lesquels le consentement de l’Etat d’envoiest nécessaire pour que soit remise à la Cour une personne rele-vant de cet Etat, à moins que la Cour ne puisse au préalableobtenir la coopération de l’Etat d’envoi pour qu’il consente à laremise. »

Ces accords, dont la légalité a été mise en doute par le Conseil del’Union européenne 259, soulèvent des questions au regard de leurchamp d’application ratione personae, ratione temporis et rationemateriae.

1. Le champ d’application ratione personaedes « accords art. 98 »

4.10 En se référant à l’« Etat d’envoi », l’article 98 vise claire-ment les « SoFA » (Status of Forces Agreements) et les « SoMA »(Status of Missions Agreements) qui instituent des systèmes de com-pétences prioritaires et exclusives entre l’Etat d’envoi d’une forcearmée et l’Etat de séjour de cette force (voir, par exemple, dans lecas de l’OTAN, la Convention de Londres du 19 juin 1951 entre lesEtats parties au Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leursforces 260). L’article 98 n’est donc applicable qu’à ces seules situa-tions, et plus précisément aux personnes appartenant aux forces d’unEtat d’envoi. Vouloir étendre son application à tout ressortissant del’Etat d’envoi procède d’une interprétation abusive des mots « per-sonne relevant de cet Etat ». Si l’article 98 devait s’appliquer auxnationaux de tout Etat d’envoi lié à l’Etat requis par une conventionprévoyant une compétence pénale prioritaire ou exclusive de l’Etatd’envoi, on aurait parlé non d’« Etat d’envoi », mais d’« Etat de lapersonne » ou d’« Etat du national ».

Pour l’Union européenne, les seules personnes concernées par les« accords art. 98 » devraient se limiter aux personnes qui ne sont pasdes nationaux d’un Etat partie et qui sont présents sur le territoire del’Etat requis parce qu’elles y ont été envoyées par l’Etat tiers 261.

La Cour pénale internationale 443

Page 120: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

262. Voir www.iccnow.org/.263. Ibid.

2. Le champ d’application ratione temporisdes « accords art. 98 »

4.11 Il semblerait que dans l’esprit des auteurs de l’article celui-ci ne devait viser que les accords conclus avant la signature du Sta-tut. Selon le témoignage de la coalition pour la CPI :

« Delegates involved in the negotiation of Article 98 of theStatute indicate that this article was not intended to allow theconclusion of new agreements based on Article 98, but rather toprevent legal conflicts which might arise because of existingagreements, or new agreements based on existing precedent,such as new SoFAs. » 262

Cette interprétation est vraisemblable, mais on ne possède mal-heureusement pas de textes officiels prouvant que telle était l’inten-tion des auteurs.

3. Le champ d’application ratione materiaedes « accords art. 98 »

4.12 Ces accords visent à soustraire les auteurs présumés decrimes graves de droit international humanitaire à la compétence dela CPI. En soi, ce but n’est pas nécessairement incompatible avec leStatut à condition que ces personnes soient réellement poursuiviespour leurs crimes. Le principe de complémentarité s’applique indé-pendamment du point de savoir si l’Etat poursuivant est, ou non,partie au Statut (supra, paragraphe 1.22). De fait, le préambule des« accords art. 98 » est supposé se lire comme suit (d’après les infor-mations diffusées par la coalition pour la CPI, mais cela pourraitvarier d’un accord à l’autre 263) :

« Reaffirming the importance of bringing to justice thosewho commit genocide, crimes against humanity and war crimes,

Recalling that the Rome Statute of the International CriminalCourt done at Rome on July 17, 1998 by the United NationsDiplomatic Conference of Plenipotentiaries on the Establish-ment of an International Criminal Court is intended to comple-ment and not supplant national criminal jurisdiction,

444 Eric David

Page 121: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

264. Cf. Conclusions du Conseil de l’Union européenne, 30 septembre 2002,annexe, troisième principe, ILM, 2003, p. 241.

265. Nations Unies, doc. S/PV.5158, 31 mars 2005 (français, provisoire), p. 4.266. Ibid.

Considering that the Government of the United States ofAmerica has expressed its intention to investigate and to prose-cute where appropriate acts within the jurisdiction of the Inter-national Criminal Court alleged to have been committed by itsofficials, employees, military personnel, or other nationals ».

Si ce préambule est scrupuleusement appliqué par les partiescontractantes 264, l’accord qui lui fait suite ne serait donc plus incom-patible avec le Statut puisque les auteurs des crimes en causeseraient dûment poursuivis par les tribunaux de l’Etat partieconcerné.

A l’occasion du renvoi à la CPI de la situation au Darfour par leConseil de sécurité, les Etats-Unis ont répété que l’exclusionexpresse, par le Conseil de sécurité, de la compétence de la CPI àl’égard des ressortissants américains

« ne veut pas dire pour autant que les ressortissants des Etats-Unis qui agissent en violation du droit bénéficieront d’uneimmunité » 265.

Les Etats-Unis ont ajouté : « Nous continuerons de punir nospropres ressortissants le cas échéant. » 266

Dans l’hypothèse où le Conseil de sécurité saisirait la CPI sur labase de l’article 13, alinéa b), du Statut et déciderait de conférer unejuridiction prioritaire à la CPI, celle-ci l’emporterait sur les « accordsart. 98 » eu égard à l’article 103 de la Charte des Nations Unies(supra, paragraphe 1.53). Cela ne soulèverait aucune difficultépuisque la décision du Conseil de sécurité serait, en principe, priseavec l’accord des Etats-Unis et que l’autre Etat, étant partie au Sta-tut de la Cour, il ne peut que se soumettre à une décision du Conseilfondée sur le Statut (art. 13, al. b)) et revêtue de la force prévue parl’article 103 de la Charte.

4.13 La compatibilité des « accords art. 98 » avec le Statut de laCPI est discutable quant à leur champ d’application ratione perso-nae et temporis, mais pour l’essentiel, c’est-à-dire, ratione materiae,c’est davantage à l’autopsie qu’il faut en juger : il convient d’exami-ner le contenu précis de chaque accord, et, surtout, vérifier si les per-

La Cour pénale internationale 445

Page 122: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

267. Rapport CDI 2001, Nations Unies, doc. A/56/10, commentaire de l’ar-ticle 12, in fine, p. 140 ; cf. aussi A. Ciampi, loc. cit., p. 1625.

sonnes visées par ces accords font l’objet de poursuites pénalesappropriées dans l’Etat partie concerné. Dans l’affirmative, le but duStatut qui est de lutter contre l’impunité serait atteint, et c’est celaqui importe.

Dans le commentaire de son projet d’articles sur la responsabilitédes Etats, la CDI a montré que l’adoption, par un Etat, d’une loicontraire à une obligation internationale de cet Etat pouvait engagersa responsabilité lorsqu’elle était directement applicable, mais qu’ilen allait autrement

« si l’Etat concerné a la possibilité de donner effet à cette loid’une manière qui ne violerait pas l’obligation internationale enquestion. En pareil cas, l’existence ou non d’une violationdépend de la mise en application de cette loi et de la façon dontelle le sera (voir, par exemple, le rapport du Groupe spécial del’OMC in US-Sect. 301-310 of the Trade Act of 1974, WT/DS152/R, 22 décembre 1999, par. 7.34-7.57). » 267

Il devrait en aller de même des « accords art. 98 ».

446 Eric David

Page 123: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

268. E. David, « The International Criminal Court… », loc. cit., pp. 631 ss.

CONCLUSIONS

5.1 « Une cour pour rien ? » A cette question, que nous posionsen examinant en 1997 le projet préparé par la CDI 268, nous répon-dions « oui, en partie », tant étaient nombreuses les conditions misesà la saisine et à l’activité de la Cour — sauf cas d’une saisine par leConseil de sécurité. A ce « oui » désabusé d’alors, nous avons envieaujourd’hui de substituer un… « oui » plein d’espoir. C’est qu’eneffet, si le système mis en place par le Statut actuel fonctionne cor-rectement, la CPI sera bel et bien une cour pour… rien car elle pour-rait, en toute sérénité, sinon mourir de son triomphe, du moins s’en-dormir en souhaitant qu’elle ne doive jamais se réveiller ! La Courétant complémentaire à la justice des Etats, il suffit que ceux-ci fas-sent correctement leur travail de répression des crimes visés au Sta-tut de la Cour pour que cette dernière ne doive pas intervenir. Donc,oui, une cour pour rien si, grâce à elle, les Etats remplissent correc-tement leurs obligations internationales. Bref, « un idéal à atteindre »comme la Déclaration universelle des droits de l’homme l’affirmaitpour elle-même dans son préambule, le 10 décembre 1948.

Restons réalistes : il y aura encore beaucoup de crimes de droitinternational humanitaire que les Etats s’abstiendront de poursuivreet pour lesquels la Cour devra prendre le relais de justices nationalesimpuissantes ou réticentes. Ce ne sera donc pas simplement une courde papier, une cour pour rien. La Cour devra agir et on évaluera sonutilité à ses résultats. Alors, que penser du mécanisme adopté ?

5.2 Entre le projet de la CDI et le texte adopté à Rome, beaucoupde chemin a été parcouru : le Statut existe et il instaure un procureurbeaucoup plus indépendant que ce qui était prévu initialement.

Il reste que de cette cour à celle dont on aurait pu rêver, c’est-à-dire, une cour totalement indépendante des Etats, non subordonnéeà une quelconque complémentarité et prête à fonctionner du jourau lendemain vis-à-vis de l’ensemble de la communauté internatio-nale, la distance reste longue. En cause, une nouvelle bipolarité quin’est plus Est-Ouest, mais plutôt, dans le cas particulier de la CPI,grands Etats (les Etats-Unis, bien sûr, mais aussi la Chine et, dans

447

Page 124: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

une mesure moindre, la Russie, l’Inde, l’Indonésie, etc.) - reste dumonde.

Qui s’en étonnerait ? Le droit est l’arme des plus faibles et l’en-nemi des puissants. Ces derniers ne veulent pas que de « simples »magistrats remettent en cause certains de leurs choix politiques. Ilfaut craindre que leur résistance à la Cour ne soit pas un feu depaille.

Il ne faut cependant pas désespérer. La Terre ne s’est pas faite enun jour, et la justice, telle qu’elle est pratiquée dans les Etats démo-cratiques, est le fruit d’une évolution plurimillénaire…

5.3 Plutôt que de s’appesantir sur les nombreux défauts de l’ins-titution, on relèvera ses points positifs, et d’abord le fait que la créa-tion de la Cour revient à pérenniser, sinon l’œuvre, du moins l’espritde l’action du Conseil de sécurité à travers les tribunaux pénauxinternationaux. Le Conseil dispose désormais d’un bras judiciairequ’il lui est toujours possible d’actionner selon les exigences huma-nitaires de l’heure — et surtout, sa sensibilité politique aux souf-frances des hommes... Le Darfour en est un premier exemple quidémontre l’utilité du mécanisme.

Quant aux imperfections du Statut, on peut espérer que l’Assem-blée des Etats parties, reflet — si atténué soit-il — de l’opinionpublique internationale, fera évoluer le texte dans un sens plus pro-gressiste, si tant est qu’on l’y pousse. Certaines insuffisances duStatut pourraient ainsi être corrigées : entre autres, l’exception desnécessités militaires et l’absence d’incrimination générique desarmes et méthodes de nature à causer des souffrances inutiles.

5.4 La CPI devrait contribuer à éradiquer le mal absolu queconstitue le déni des droits et libertés les plus fondamentaux. Ellen’est cependant pas seule à devoir agir. Ses principes de fonctionne-ment tendent à rappeler aux Etats leurs obligations dans ce domaine.C’est d’abord à ces derniers qu’incombent la prévention et la répres-sion des crimes de droit international humanitaire. De ce point devue, la CPI apparaît plus comme le fruit d’une évolution que d’unerévolution.

Elle n’en représente pas moins un espoir fragile vers plus de droit,mais il s’agit d’une œuvre de longue haleine, difficile, pleine d’em-bûches, où l’espoir se confond souvent avec l’illusion.

Que la Cour puisse devenir un puissant moyen de dissuasion,c’est tout le mal qu’on lui souhaite, mais il ne faut pas se leurrer.

448 Eric David

Page 125: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

269. International Conference on Military Trials, London 1945, Report ofR. H. Jackson, Washington, USGPO, 1949, p. 439.

Aucun tribunal n’a jamais dissuadé celui qui décide de perpétrer uncrime. Comme l’écrivait le procureur américain de Nuremberg,R. H. Justice Jackson, au président des Etats-Unis, le 7 octobre 1946,quelques jours après que le tribunal militaire international avaitrendu son jugement :

« Of course, it would be extravagant to claim that agree-ments or trials of this character can make aggressive war orprosecution of minorities impossible, just as it would be extra-vagant to claim that our federal laws make federal crimeimpossible. But we cannot doubt that they strengthen the bul-warks of peace and tolerance. » 269

Quelque soixante ans plus tard, la lucidité et la sagesse de cesmots conservent toute leur actualité.

La Cour pénale internationale 449

Page 126: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

450

ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES *

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sécurité », RGDIP, 1999, pp. 29-46.

* La CPI a déjà donné lieu à une littérature trop considérable pour qu’on puisse pré-tendre en faire ici un relevé exhaustif. C’est pourquoi la présente liste de titres n’a d’autreprétention que d’indiquer quelques repères bibliographiques.

Page 127: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

451

Abu Ghraib, 1.35agression, 1, 1.18, 1.42, 2.4 ss., 3.73

état de nécessité, 3.75légitime défense, 3.69

Algérie, 1.51amnistie, 3.22armes, 2.29, 2.31 s.

balles « dum-dum », 2.28, 2.34bactériologiques, 2.29causant des maux superflus, 2.29,

2.31 s.indiscriminées, 2.29, 2.31

attaque contre une population civile,voir crime contre l’humanité, crimede guerre

Belgique, 2.1, 3.76, 4.2Blaskic, aff., 2.19, 3.38Bolton, J., 2.5« boucliers humains », 2.28, 2.34Brésil, 1.51

Causes de non-imputabilité, 3.64 ss.causes d’excuse et causes de justifica-

tion, 3.58Centrafrique, 3.20Charte des Nations Unies, 1.2, 1.17

chapitre VII, 1.32, 1.50, 3.69Chine, 1.51, 5.2chose jugée, 3.55circonstance atténuante, 3.77code des crimes contre la paix et la

sécurité de l’humanité, 1, 2.6 s.,2.10, 3.59 s., 3.68

Colombie, 1.19, 3.76Commission du droit international, 1,

1.9, 2.6, 2.10, 3.68compétence, voir aussi Cour pénale in-

ternationalein absentia, 1.23personnelle passive, 1.34universelle, 1.10, 1.22

complémentarité, 1.19, 1.22 s., 1.40,1.42, 1.45, 1.48, 3.13, 3.15, 3.19,3.21, 3.57, 3.60, 4.2, 4.6, 4.12,5.1 s.

Congo (République démocratique du),3.20

Conseil de sécurité, 1.17 s., 1.22, 1.29,2.3agression, 1.18, 3.69, 3.73création des TPI, 1.12légalité des décisions, 1.17, 1.30 ss.pouvoir de qualification, 2.5, 3.69,

3.73pouvoir d’étendre les compétences

de la CPI, 1.17pouvoir d’obliger les Etats, 1.39,

1.50, 1.54, 3.37 s., 3.44, 3.62pouvoir d’obstruction à l’égard de la

CPI, 1.29 ss., 1.42 s., 4.2recours de la CPI au Conseil de

sécurité, 4.4saisine de la CPI, 3, 1.8, 1.14, 1.17,

1.22, 1.26, 1.48 ss., 3.19, 3.21 s.,3.24, 3.62, 3.81, 4.4, 4.12, 5.1, 5.3

contrainte irrésistible, 3.65, 3.77Convention contre la torture du 10 dé-

cembre 1984, 3.39Convention européenne des droits de

l’homme, 2.14, 3.55, 3.82Conventions de Genève du 12 août

1949, 2.23, 2.27 ss., 2.31, 3.75Côte d’Ivoire, 1.12Cour criminelle internationale, 2

voir aussi Cour pénale internationaleCour européenne des droits de

l’homme, 3.36, 3.84Cour internationale de Justice, Statut,

3.8Cour pénale internationale

accord de liaison CPI-ONU, 1.17,3.1, 3.4, 3.26, 3.61

adaptation du droit interne au Statutde la CPI, 1.54, 4.8

appel, voir chambresAssemblée des Etats parties, 1.4 s.,

1.41, 1.46, 2.4 s., 2.29, 3.2 ss.,3.7, 3.38, 3.52, 3.57, 3.79, 4.4, 5.3

budget, 1.50, 3.4chambres, 3.9 ss.

appel, 3.11, 3.82voir aussi victimes

chambres préliminaires, 1.29, 1.38,1.44, 3.9 ss., 3.16 ss., 3.20 s.,3.24, 3.27, 3.29 s., 3.45, 3.84common law, 3.32, 3.40

INDEX

(Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)

Page 128: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

452 Eric David

compétence, 1.51, 3.11personnelle, 1.8 ss., 1.22, 1.45« ratione fori» ou « gentis», 1.8 ss.ratione loci, 1.8 ss.ratione materiae, 1.18 ss., 3.69ratione personae, 2.1 ss., 3.54 s.ratione temporis, 1.14 ss., 3.57territoriale, 1.8 ss., 1.22, 1.45universelle, 1.10, 1.22, 1.52

compétence de la compétence, 1.44 ss.,3.39

coopération des Etats avec la CPI,1.38 ss., 1.50, 1.54, 3.28, 3.53,3.61, 3.86, 4.1 ss.immunité, 3.61sécurité nationale, 3.16, 3.37 s.,

3.45, 4.7création de la CPI, 1.2 ss.défaut, voir procéduredétention préventive, 3.29, 3.80différends, règlement des, 1.46enquête, 1.36, 1.38Etat non partie, 1.17, 1.39, 1.45,

1.50, 3.26, 3.37, 3.61 s., 3.81, 4.4,4.12

Etat partie, 1.4, 3.37exception préliminaire, voir receva-

bilité, compétenceexclusion de la compétence de la

CPI par le Conseil de sécurité,1.33, 1.50, 4.12

indépendance, 1.2 ss.instruction, voir Procureur« intérêts de la justice », 3.13, 3.21,

3.23jugement, 3.78 ss.

définitif, 1.36exécution, 3.86

juges, 1.4, 1.6, 1.41, 1.46, 3.3 ss.compétences, 3.8, 3.42indépendance, 1.30 s.mandat unique, 3.7

juridiction, voir compétencejuridiction concurrente, 1.22, 1.54mandat d’arrêt, 1.36, 1.38, 3.27organisation internationale, 3.1 s.peines, 3.79, 3.86personnes détenues, 1.36personnalité juridique, 3.1 s.poursuites, voir Procureurpreuves, 1.36, 3.18, 3.34 ss.

communication à l’accusé, 3.34confidentialité, 3.36droit au silence, 3.36

procéduredroit au procès équitable, 3.33égalité des parties, 3.40

information et instruction, 3.12 ss.in absentia, 3.30, 3.84 s.procès, 3.31 ss.

Procureur, 3.5 ss., 3.12 ss.enquête, 1.27, 3.12 ss.indépendance, 1.28 s., 1.30 s.,

1.36, 3.24information aux plaignants, 3.24instruction, 3.25 s.instruction à charge et à décharge,

3.34opportunité des poursuites, 3.12saisine de la CPI, 1.28

recevabilité, 1.7, 1.22 ss., 1.43 ss.,1.53, 2.3, 3.9, 3.11, 3.17, 3.19,3.24, 3.45, 3.59, 4.6

reconnaissance de la CPI par unEtat non partie, 1.8 ss., 1.12 s.,1.42, 2.5, 3.26, 3.28, 3.37 s., 3.61,4.4

remise, 1.38, 3.61, 4.6 s.révision, 3.83TPI en stand-by, 1.53victimes, 1.36

assistance financière, 3.42appel, 3.42, 3.49, 3.51constitution de partie civile, 3.39coopération des Etats, 3.53droit à l’information, 3.16, 3.45fonds au profit des victimes, 3.52participation à la procédure, 3.42 ss.personne morale, 3.43, 3.54qualité de victime, 3.43qualité de témoin, 3.44réparation civile, 3.11, 3.49 ss.représentant légal, 3.16, 3.42 ss.

coutume, 1.39 s., 1.42, 2.23, 2.31 s.,3.60, 3.81, 4.7

crimeélément matériel, 2.7 ss., 2.22 ss.élément intentionnel, 2.17 ss., 2.36

voir aussi dolcrime contre l’humanité, 1.49, 2.4, 2.6 ss.

auteur, 2.15contexte, 2.11état de nécessité, 3.74 ss.gravité, 2.9 s.légitime défense, 3.67 ss.objectifs, 2.12 ss.ordre supérieur, 3.66persécutions, 2.13 s.plan concerté, 2.12victimes, 2.16

crimes de guerre, 2.4, 2.21 ss.conflit armé international, 2.27 ss.conflit armé non international, 2.31 ss.contexte, 2.25 ss., 3.71 s.

Page 129: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

La Cour pénale internationale 453

état de nécessité, 3.74 ss.exclusion de la compétence de la

CPI, 1.19, 1.42, 1.49légitime défense, 3.67 ss.ordre supérieur, 3.66variété, 2.23 ss.

crimes de droit international humani-taireéléments constitutifs, 1.5 ss., 1.20

Darfour, 1.17, 1.22, 1.25, 1.49, 1.52,3.22, 4.12

Déclaration des principes fondamen-taux de justice relatifs aux victimesde la criminalité et aux victimesd’abus de pouvoir, 3.39

Déclaration de Saint-Pétersbourg, 2.29Déclaration universelle des droits de

l’homme, 1.30, 2.14, 3.39, 3.57, 5.1déficience mentale, 3.63 s.déportations, 2.33disparitions forcées, 1.15, 3.75dol, 2.7, 2.18, 2.20, 2.36, 3.64, 3.70

voir aussi mens readol éventuel, 2.20

droit de Genève, droit de La Haye,2.23, 2.32

droits et libertés fondamentaux, 2.14,3.39, 3.75, 5.4

Enfant, 2.28, 2.33Erdemovic, aff. , 3.32, 3.77erreur, 3.63 s.état de nécessité, voir nécessitéEtats pilotes, 3Etats-Unis, 1.33 ss., 1.49 ss., 4.9 ss.,

4.12, 5.2extradition, 1.38, 4.6 s.

voir aussi Cour pénale internatio-nale, remise

spécialité, 1.88

Famine comme arme de guerre, 2.28,2.34

France, 1.19, 2.1Furundzia, aff., 2.31

Génocide, 1, 1.49, 2,4, 2.6état de nécessité, 3.74 ss.légitime défense, 3.67 ss.ordre supérieur, 3.66

Halabjah, 2.34

Immunité, 1.40, 3.57 ss.exception de fond et de procédure,

3.59remise, 3.61 s.

impunité, lutte contre l’, 1.23 ss., 3.62indépendance des magistrats, 1.30 s.infraction continue, 1.15Irak, 1.13, 2.5, 2.34Iran, 2.34

Jus cogens, 1.30

Karadzic, aff., 3.84Kunarac, aff., 3.72

Légalité des résolutions du Conseil desécurité, voir Conseil de sécurité

légitime défense, 3.67 ss.Liberia, 1.34Liechtenstein, 1.33Lockerbie, 1.32

Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, aff.du, 3.60

menace contre la paix et la sécuritéinternationale, 1.32 ss.

mens rea, 1.15, 3.63voir aussi dol

Mladic, aff., 3.84

Ne bis in idem, 3.56 s.nécessité, 3.74 ss.norme impérative, 1.30nullum crimen nulla poena sine lege,

1.16, 2.24, 2.30, 3.57, 3.81

Ordre supérieur, 3.65 ss.organe subsidiaire, 3.1Ouganda, 3.20, 3.23

Pacte international relatif aux droitscivils et politiques, 1.30, 1.36, 2.14,3.33, 3.36, 3.66, 3.75, 3.82

Palestine, 1.13perfidie, 2.32personne morale, voir Cour pénale

internationale, victimesresponsabilité pénale, 2.1

pillage, 2.31, 2.33prescription, 3.57principes de Nuremberg, 3.59principes et directives fondamentaux

concernant le droit à réparation desvictimes de violations flagrantes desdroits de l’homme, 3.39

procès équitable, 3.33, 3.55protocoles additionnels du 8 juin 1977,

2.23, 2.27, 2.35, 3.75

Qualité officielle de l’accusé, 3.59 ss.

Page 130: Eric David_La Cour Penale Inter Nation Ale

454 Eric David

Réconciliation et vérité, commissions,3.22

Règlement de la CPI, 4, 1.4Règlement de procédure et de preuve

de la CPI, 4, 1.4, 1.41représentation géographique équitable,

3.6responsabilité asymétrique, 1.12responsabilité de l’Etat, 3.55, 4.13

responsabilité individuelle, 3.54,3.59

rétroactivité, 1.16 ss., 2.24, 2.30, 3.81,4.11

Rutaganda, aff., 3.72, 3.82Russie, 5.2

Séparation des pouvoirs, 1.29sexo-spécificité, 2.31SoFA et SoMA, 4.10Soudan, voir DarfourSrebrenica, 3.32Statut de la CPI, 1, 4, 1.3

convention, 1.8 ss., 1.42, 3.61, 4.4effet utile, 1.23primauté, 1.12

Suisse, 1.33Système romano-civiliste, 3.39 s.

Tadic, aff., 2.13, 2.31 s.TotalFinaElf, aff., 2.1

traités, effet relatif, 3.37tribunaux militaires internationaux

(Nuremberg et Tokyo), 2.4 s., 2.6,3.60, 5.4statuts, 2.4 s., 2.7, 2.12 s., 2.16,

2.18, 2.23, 2.27, 3.59Tribunaux pénaux internationaux, 1, 4,

1.2, 1.22, 1.38 s., 1.41, 1.51, 1.53 s.,2.18 s., 2.23, 3.1, 3.5, 3.7, 3.9 ss.,3.25, 3.32 ss., 3.44, 3.59, 3.72, 3.80,5.3statuts, 1.4, 2.1 ss., 2.6 s., 2.18,

3.11, 3.26, 3.29, 3.32 s., 3.39,3.79, 3.81 ss., 3.86

TPIR, 1.49, 3.2, 3.72, 3.82, 4.2Statut du TPIR, 2.23, 2.31

TPIY, 1.30, 2.3, 2.10, 2.13, 2.19,2.29, 2.31 s., 3.10, 3.32, 3.38,3.72, 3.77, 3.84Statut du TPIY, 2.13, 2.23, 2.27,

2.29, 2.32Tribunal spécial pour la Sierra Leone,

2.2

Unocal, aff., 2.1

Viol, 2.28, 2.33

Yerodia, aff., 3.60