Frédéric Lachèvre_Les Lettres Libertines en Vers de Claude de Chaulne

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Les lettres libertines en vers de Claude de Chaulne,... / publiées par Frédéric Lachèvre,... Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Libertinage

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  • Les lettres libertines envers de Claude de

    Chaulne,... / publiespar FrdricLachvre,...

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Chaulne, Claude de. Les lettres libertines en vers de Claude de Chaulne,... / publies par Frdric Lachvre,.... 1924.

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  • LE LIBERTINAGE AU XVIIe SICLE

    LES LETTRES LIBERTINESEN VERSDE

    Prsident du Bureau des Finances de Dauphin

    PUBLIES PAR

    FRDRICLACHVRE

    PARIS

    LIBRAIRIE ANCIENNE HONOR CHAMPIONEDOUARD CHAMPION

    5, Quai Malaquais

    1924

  • LE LIBERTINAGE AU XVIIe SICLE

  • LE LIBERTINAGE AU XVIIe SICLE(Srie complte)

    I. Le Procs du pote Thophile de Viau (11 juillet 1623-1er septembre 1625), publicationintgrale des pices indites des Archives nationales; portr. et fac-simile, 2 vol. in-8, de XLVI,592 et 448 pp. Tir 500 exempl. numrots.

    Ouvrage honor d'une souscription du Ministre de l'Instruction publique. Prix Saintour,(Acadmie franaise), 1910.

    II. Disciples et Successeurs de Thophile de Viau. La Vie et les Posies libertines in-dites de Des Barreaux (1599-1673) et de SaintPavin (1595-1670). In-8 de XIV et 551 pp. Tir 500 exempl. numrots.

    III. Une seconde rvision des OEuvres du pote Thophile de Viau (corriges, diminueset augmentes), publie en 1633 par Esprit Aubert, chanoine d'Avignon, suivie de pices deThophile qui ne sont ni dans l'dition d'Esprit Aubert (1633) ni dans celle d'Alleaume (1855),In-8 de 155 pp. chiff. Tir 205 exempl.

    IV. Les recueils collectifs de posies libres et satiriques publis depuis 1600 jusqu' lamort de Thophile (1626). Bibliographie de ces recueils et bio-bibliographie des auteurs qui yfigurent donnant : 1 L'historique et la description de chaque recueil. 2 Les pices de

    chaque auteur (titre et premier vers). 3 Une table gnrale des pices anonymes avec lenom des auteurs pour celles qui ont pu tre attribues. Suivie du dpouillement de plusieursrecueils imprims et manuscrits, etc., etc. In-4 de 8 ff. et 601 pp. chif. Tir 305 exempl.numrots.

    Mention trs honorable (Prix Brunet, 1915) de l'Acadmie des Inscriptions et Belles-Lettres.

    Id., id. Supplment. Additions et corrections, 1922. In-4 de 97 pp. Tir 255 exempl.V. Les OEuvres libertines de Claude Le Petit, parisien, brl le 1" septembre 1662 :

    L'Escole de l'Intrest, L'Heure du berger, Le Bordel des Muses (Paris ridicule, etc.), prc-des d'une notice biographique. In-8 de LVII et 242 pp. Tir 200 exempl.

    VI. Les Chansons libertines de Claude de Chouvigny , baron de Blot-L'Eglise, avec leur

    musique, notice biog., etc. In-8 de XLVIII et 145 pp. Tir 280 exempl.VIL Mlanges : Trois grands procs de libertinage : Geoffroy Valle (1573), Jean Fon-

    tanier (1621), Michel Millot et Jean L'Ange (1655). Beaumont-Harlay et mademoiselle de LaHaye, 1607. Claude Belurgey et les Quatrains du Diste (1620), etc., etc. In-8 de 315 pp. Tir 227 exempl.

    VIII. Les OEuvres libertines de Cyrano de Bergerac, prcdes d'une notice biographi-que. Tome premier. L'Autre Monde : I. Voyage dans la Lune ; II. Histoire comique des Estats et

    Empires du Soleil. Premire dition contenant les passages supprims d'aprs les Mss. deParis et de Munich. Tome second. Le Pdant jou, texte du Ms. de la Bibl. Nat. ; La Mortd'Agrippine, Mazarinades, Lettres, texte du Ms. de la Bibl. Nat. ; etc. 2 vol. in-8 de eux,205 et 335 pp. Tirs 502 exempl.

    Prix Saintour (Acadmie franaise), 1922.IX. Disciples et successeurs de Thophile de Viau. Les OEuvres de Jean Dehnault,

    parisien (1611 7-1682). prcdes d'une notice et suivies de Mlisse, tragi-comdie. In-8 deLII et 135 pp. Tir 227 exempl.

    X. Les Successeurs de Cyrano de Bergerac : Gabriel de Foigny et La Terre australeconnue, 1676 : Denis Veiras et l'Histoire des Svarambes (1677-1679) ; Claude Gilbert et l'His-toire de Calejava (1700), etc., etc. In-8 de XVIII et 279 pp. Tir 302 exempl.

    XI. Disciples et successeurs de Thophile de Viau. Les Derniers Libertins : FranoisPayot de Lignires ; Madame Deshoulires et ses posies libertines, etc. ; Chaulieu, ses posieslibertines, etc. ; La Fare, ses posies libertines en partie indites, avec notices bio-bibliogra-phiques, suivies des Lettres libertines en vers de Claude de Chaulne In-8 de XVI et 412 pp..Tir 277 exempl.

  • LE LIBERTINAGE AU XVIIe SICLE

    LESLETTRES LIBERTINES EN VERSDE

    Prsident du Bureau des Finances de Dauphin

    PUBLIEES PAR

    FRDRIC LACHVRE

    PARIS

    LIBRAIRIE ANCIENNE HONOR, CHAMPIONEDOUARD CHAMPION

    5, Quai Malaquais

    1924

  • TIRAGE A PART

    50 exemplairesde

    l'Appendice l'ouvrage :Les derniers Libertins du XVIIe sicle

  • LEMANUSCRIT DES LETTRES EN VERS

    DE CLAUDE DE CHAULNE

    C'est Ch. Nodier qui, par une spirituelle notice insre auBulletin du Bibliophile, anne 1836, a fait connatre l'existencedu manuscrit des lettres en vers de Claude de Chaulne :

    On lira bien des bibliographies sans y trouver le moindre renseigne-ment sur le pote dont je parle. Tout ce qu'il est possible d'en dire avecquelque certitude, c'est qu'il tait de l'illustre famille de Chaulne et

    probablement cousin du marchal Honor d'Albert, duc de Chaulne, etdu conntable de Luynes ; qu'il florissait vers le milieu du xvir

    3sicle, et

    qu'il faisait des vers pour son plaisir sans y attacher d'autre importance.Ce qui m'tonne, ce n'est pas qu'on ait oubli un pote de ce caractre;mais qu'on sache si peu de chose d'un homme de cette qualit qui a dai-

    gn se mler de posie c'est jouer de malheur. L'obscurit totale danslaquelle il est tomb, est d'autant plus extraordinaire, qu'il parat avoir

    joui, de son vivant, d'une certaine rputation dans un monde fait pourl'apprcier. Du fond du Dauphin, o il faisait son sjour, Claude deChaulne correspondait avec la duchesse de Chaulne, le duc de Saint-

    Aignan, Hugues de Lyonne et le surintendant Foucquet, gens, comme on

    sait, de fort bonne compagnie, auprs desquels il tait sur le pied de la

    privaut la plus familire. Le manuscrit singulier dont je suis charg devous entretenir est le dpt de cette correspondance rime qui n'a vrai-ment rien de diplomatique; il contient des lettres de notre pote,et nombre de rponses de ses nobles amis qui luttent avec lui deverve et de bouffonnerie dans ce commerce d'esprit. On n'ignore pasque Franois de Beauvillier, duc de Saint-Aignan, l'homme le plus poliet le plus galant de France, faisait la cour aux Muses avec quelque succs,et que c'est lui qui inspira au grand roi l'ide de donner des rcompensesaux gens de lettres. Ils lui doivent bien quelque souvenir, ne ft-ce quepour la raret du fait. Les grands seigneurs ou les grands citoyens denotre poque (c'est absolument la mme chose) ne lui envieront pascette illustration ; mais les pauvres auteurs et les auteurs pauvres luisavent gr de l'avoir mrite. Or on trouve ici deux ou trois cents versdu duc de Saint-Aignan qui n'ont jamais t imprims. Cette dcouverteaurait certainement fait sensation dans le sicle de Louis XIV : le ntreest plus avanc, je n'en parle que pour mmoire.

  • VI CLAUDE DE CHAULNE

    Si je m'en rapporte au got des amateurs, qui paient au poids de l'or,et quelquefois davantage, de petites rimailles vermoulues dont la seulerecommandation est d'tre imprimes en lettres sales et bancroches, parPhilippe Pigouchet, Simon Vostre, Alain Lotrian, ou Jehan de Channey,et dont je partage, d'ailleurs bien sincrement, l'innocente manie, lemrite littraire de Claude de Chaulne n'a pas grand'chose faire dansmon article. Ce qui leur importe de savoir, c'est qu'on ne connat pasdeux copies de son livre, et qu'il n'a pas, que je sache, figur jamais dansune vente publique. C'est cela qui est un litre d'honneur pour un pote.Il faut cependant que je dise deux mots du mien, sous le rapport litt-raire, pour l'acquit de mon ancienne profession de critique, qui ne m'a

    jamais rapport, autant de plaisir, tant s'en faut, que mes fantaisies deBibliomane. Cela sera bientt fait, et je suis d'autant plus monaise, cette fois, pour prendre le ton tranchant du feuilleton, qu'il m'est

    positivement dmontr que je n'aurai point de contradicteurs.. Le sicle de Louis XIV est un sicle de grande posie, quoiqu'on en

    dise; les tragdies et les comdies n'taient pas trop mauvaises pour letemps. Il n'en est pas tout--fait de mme de la posie familire et p-destre. En exceptant La Fontaine, le pote par excellence, elle y a tfort mesquine. C'tait bien pis encore vingt ou trente ans avant lui, c'est--dire dans la priode de Claude de Chaulne et de Saint-Aignan. La mau-vaise cole de Scarron, qui a son ct sduisant, avait alors tout gt. Leburlesque qui tait le romantique de ce temps-l, comme le romantiqueest le burlesque du ntre, avait gagn les meilleurs esprits : car Sarrazinet Voiture n'en sont pas compltement exempts. La province ne manquaitpas d'enchrir, suivant son usage, et il serait bien possible que notreClaude de Chaulne n'et t que le Scarron de la province comme Saint-Aignan tait le Scarron de la cour. Le propritaire venir du manuscriten jugera selon son got et fort son aise. Je ne suppose pas, du moins,qu'on le fasse imprimer. Oh ! ce serait une trange publication aujour-d'hui que celle des Posies de Claude de Chaulne, posies intimes, pour-tant, s'il en fut jamais, mais non pas de ce genre intime qu'on exploitepour les autres, et dans le seul but de leur faire croire qu'on est infini-ment sensible, infiniment triste et infiniment chrtien. Il m'est biendmontr que le pote dauphinois n'tait rien de tout cela. Je ne dis pasnon plus qu'il ft pote.

    Claude de Chaulne tait un homme de beaucoup d'esprit, qui faisaitdes vers avec une incroyable facilit, comme un avocat fait de la prose.On peut supposer qu'il avait peu prs le genre de vie d'Anacron, dontil est loin d'avoir la grce. Tout entier au vin et l'amour, il ne parle nide l'un ni de l'autre en picurien dlicat. Son ivresse est celle d'unSuisse, et sa volupt celle d'un mousquetaire; ses qualits seules peuventfaire passer ses dfauts ; elles feraient, de nos jours, la fortune d'unauteur comique, s'il en revenait quelques-uns. Il est naturel, quelquefoisjusqu' la trivialit; il est gai, souvent jusqu' la folie, mais il y a l deuxpoints reconnus qui me semblent d'importance : il est naturel et gai.

    Ce qu'il y a de plus piquant dans les posies de Claude de Chaulne,c'est l'ide qu'elles donnent de la socit au milieu de laquelle il vivait,

  • SON MANUSCRIT VII

    et, sous ce rapport, elles formeraient un appendice fort curieux auxMmoires de Tallemant des Raux. Thophile, Sigogne et Motin ne sont

    pas plus cyniques, pas plus effronts en paroles que Claude de Chaulne,et Claude de Chaulne s'adresse des gens de cour qui lui rpondent surle mme ton. Chose plus bizarre encore! il libelle une ptre la bellemadame de Revel, et cette ptre est d'un style qui ferait jeter les hautscris aux figurantes dans les coulisses d'un petit thtre. Vous croyez quemadame de Revel va se fcher, se mettre en fureur? pas du tout ! madamede Revel, qui rime aussi, et fort agrablement, je vous en rponds,riposte cette boutade factieuse par une ptre encore plus grivoise. Ilest impossible de mieux prendre la plaisanterie. Voici une lettre en vers madame la duchesse de Chaulne, la marchale de Chaulne, la grandeparente de la branche ane. Vous attendez du srieux : erreur; il s'agitd'intresser madame de Chaulne aux amours de son cousin Claude pourune servante elle, une servante dont il est fou, une servante, c'est lemot; et on comprend assez, sans qu'on le dise, le but de l'amour deClaude de Chaulne pour une servante. En vrit, nous nous targuons unpeu lgrement de notre perfectibilit. Les mauvaises moeurs ne sont pasun progrs. On ne peut pas tout faire la fois.

    Un travers plus rare, au sicle de Claude de Chaulne, que le liberti-nage de moeurs ou la dbauche, c'tait le libertinage d'esprit ou l'incrdu-lit; mais Claude de Chaulne n'tait pas homme s'arrter moitichemin. Sceptique moqueur de cette cole de Des Barreaux et de Saint-Pavin, qui est devenue celle de Fontenelle et de Saint-Evremont, d'oest sortie celle de Voltaire, il a toute croyance en ddain, et ne parle deDieu et de,ses saints que pour les tourner en ridicule par des persifflagesqui auraient fait envie Parny. Il ne manque donc rien son bouquin, silongtemps inconnu, de ce qui peut piquer la curiosit des amateurs devieilleries prohibes ; car si le Ciel n'avait pas voulu qu'il restt ce qu'ilest, selon toute apparence, un livre unique, il ne serait jamais sorti de laclasse des livres rares, o le bon sens de nos aeux retenait prudemmentles mauvais livres. Je dois dclarer, cependant, que ces dbauches d'ima-gination ne vont jamais jusqu' la grossiret ni jusqu'au blasphme, etqu'elles ne passent gure les limites d'un badinage indcent. Je meferais scrupule de trop promettre.

    Je viens de dire que le manuscrit de Glaude de Chaulne tait proba-blement unique, et j'en suis, quant moi, fort convaincu. Il n'est pastoutefois autographe, et l'auteur dclare lui-mme qu'il est d'une autremain que la sienne; c'est--dire, si je ne me trompe, de celle d'un domes-tique peu lettr qui crivait sous la dicte, au courant de l'improvisation,et dont Claude de Chaulne se souciait peu de revoir la besogne, quand saveine tait tarie. L'criture en est parfaitement lisible, et l'orthographecorrecte; mais le texte est souvent gt par les fautes d'intelligence d'unscribe qui entend mal et qui met un mot pour un autre sur la foi d'uneconsonnance. Ce genre de distraction, qui ne peut se confondre avec lesfautes d'un copiste, atteste la manire dont ce volume est compos. Ildemande donc une bonne page d'errata, ou quelques douzaines decorrections interlinaires; mais ce ne serait l ni un travail difficile ni un

  • VIII CLAUDE DE CHAULNE

    travail ennuyeux ; car aux scrupules prs qu'il faut vaincre pour y prendreplaisir, la lecture en est fort divertissante.

    Cet in-folio, de cent feuillets tout juste, est parfaitement conserv,quoiqu'il n'ait jamais t protg par une reliure de bonne mine, et qu'ilsoit encore vtu du parchemin natif qui l'habilla jadis chez un papetierde Grenoble. Depuis qu'il est tomb sous mes yeux, il aurait dj revtuun maroquin bleu du Levant, dont son insigne raret le rend bien digne,si la majest de son format ne l'excluait pas irrvocablement des sixtablettes de ma petite tannerie (c'est ainsi que La Bruyre appelle nosbibliothques). Il ira grossir les rangs d'une autre collection, son propri-taire actuel tant un homme positif, qui se trouverait fort heureux s'ilavait par devers lui, de vendre toute la posie de second ordre du dix-

    septime sicle un sou le vers, et on aurait dans le nombre les six versde Colletet, que Richelieu paya six cents livres. C'est ce tarif d'un souqu'il a tax modestement les deux mille cinq cents vers de Claude deChaulne, du duc de Saint-Aignan, de M. de Lionne, et du surintendantFoucquet qui ouvre le volume par une pice assez bien tourne. Je lui aipromis que leurs noms seraient, pour son manuscrit, un meilleur passe-port que mon article.

    Ce Ms. est dpos aujourd'hui la Bibliothque de Grenoble.Il n'est pas certain qu'il soit autographe. Claude a d laisserle soin d'crire ses rimes sous sa dicte ou de les faire reco-pier un secrtaire qui la prosodie tait certainement tran-gre : on y constate des omissions de mots, des fautes d'ortho-graphe, des vers faux, etc., etc. Cependant la page 92 onlit : Cette lettre me valust les suivantes, je les ay jointes icy d'une autre main que la mienne et j'en useray de mesme pour quantit d'autres de quelques amis particuliers qui m'ont es- cript pour d'autres motifs . Une lettre autographe du duc 1de Saint-Aignan, date du 18 aot 1648 , a t insre dans ce Ms.

    Il renferme environ 4.700 vers en quarante-six lettres oupices qui se dcomposent ainsi :

    1 pice de Nicolas Foucquet, alors intendant de Dauphin, et 9 pices oulettres lui adresses par Claude, soit dix pices dont une gazette.

    2 lettres en vers adresses Basile Foucquet.2 lettres de Mr de Lionne et 3 rponses de Claude, soit cinq lettres.2 lettres adresses Mr de Niert.1 lettre de Mr de Nord avec rp. de Claude, soit deux lettres.1 lettre adresse Pellisson.1 id. Ricouart.

    1. C'est une erreur: en 1648, Saint-Aignan n'tait que comte. Cette note est post-rieure 1663.

  • SON MANUSCRIT IX

    3 lettres du comte de Saint-Aignan dont une lettre en prose et 2 r-

    ponses de Claude, soit cinq lettres.1 lettre adresse Mr de Saint-Firmin.1 lettre id. au comte de Tournon.1 lettre de l'Inconnu avec rponse de Claude, soit deux lettres.1 lettre adresse la prsidente de Ghevrires.1 lettre id. madame de Clrieu.1 lettre id. madame de La Baume Chasteaudouble.1 lettre id. la duchesse de Lesdiguires.2 lettres adresses madame Potel.1 lettre de madame de Revel et 5 rp. de Claude, soit six lettres.2 lettres adresses la comtesse de Tournon, duchesse de Chaulne.

    Voici d'ailleurs la collation du Ms. :

    f. 2. Impromptu de l'illustre M. F. (5 st. de 6 v.) : Claude vous avez bienfait faute (reproduit). Cette pice est date de 1644.

    Impromptu responsif s'il en fut jamais (20 v.), : Grand Gnie de l'Inten-dance (id.).

    f. 3. Sonnet. Quand Phoebus ce jour qu'on ddie la Lune (repro-duit).

    p. 4. Lettre au mesme (110 v.) : Depuis longtemps je Claude que voicy(id.).

    p. 9. A madame la prsidente de Chevrires (78 v.) : Charmante, rareet divine Ornacieux (id.).

    p. 12. A monsieur de Niert (108 v.) : Dans ce climat o la fivre laFronde (id.).

    p. 16. A madame la duchesse de Les diguires (112 v.) : Ung piteux cas, trs illustre dame.

    p. 21. A madame la comtesse de Tournon, madame la duchesse deChaulne (84 v.) : Dame de qui bouche vermeille esclatte (reproduit).

    p. 24. A monsieur Foucquet, maistre des requestes. Gazette (16 v.). Puis-qu'il vous plaist, Domine, sieur Messire. (p. 25). De Saumur, cabaret(36 v.). Ici les vins qui font nostre campagne. (p. 27). Dujardin(74 v.)L'on voit icy la blonde et la brunette (extraits, 36 v.).p. 30. De la bellemesse (114 v.) : Icy*** vient dire son brviaire (extrait, 35 v.), plus unpost-scriptum de 8 v. : Trs obissant fait grimace.

    p. 35. Responce monsieur l'abb Foucquet (94 v.) : Des sentimensplus nobles que les voslres.

    p. 39. A madame de Revel (102 v.) : Charmante Revel dont la lire.p. 44. A madame de La Baume Chasteaudouble, responce (16 st. de

    4 v.) : Je, des Barbons le plus caduc (reproduit).p. 47. A monsieur Foucquet la veille des Roys (106 v.) : Phoeb, pour

    qui? c'est pour monsieur Foucquet (id.).b

  • X CLAUDE DE CHAULNE

    p. 52. A madame de Revel (122 v.) : Vif esguillon de mon peu de soucy(reproduit).

    p. 57. Pour mesdames de Revel et de Rochefort (84 v.) : Dame illustrebis, dame illustre.

    p. 61. A madame de Clrieu sur le nombre quatre qu'elle aymoitextrmement (64 v.) : Deux fois un deux et deux fois deux font quatre (re-produit).

    p. 64. A un ecclsiastique (Mr. de Saint-Firmin), qui m'avoit escrit desdouceurs en vers (92 v.) : D'une rougeur omnino pudibonde (reproduit) ; la suite un post-scriptum de 6 v.

    p. 68. A madame Potel (13 st. de 4 v.): Trop belle et charmante Catin(reproduit).

    p. 71. A monsieur Foucquet, maistre des requestes (94 v.) : En vritje suis et quoi bien aise.

    p. 75. A madame Potel. Responce (90 v., plus quelques lignes en prose):Belle Catin, des Catins la merveille (reproduit).

    p. 79. A madame la duchesse de Chaulne (78 v.) : Dame qu'on ne peuttrop aymer (id.).

    p. 82. A monsieur Foucquet, maistre des requestes (116 v.) : En cesaint temps que l'on nomme Caresme (id.).

    p. 86. A madame de Revel Paris et resp. une de ses lettres en vers

    (114 v.) : Je ne cuidois qu'onc eust est possible (reproduit), (A la suite,p. 92) : Cette lettre me valust les suivantes, je les ay jointes icy d'une autre main que la mienne, et j'en useray de mesme pour quantit d'autres de quelques amis particuliers qui m'ont escript pour d'autres motifs.

    p. 92. Responce de monsieur de Lionne, secrtaire d'Estat cette lettreet deux ou trois autres dont j'ay perdu les minutes (143 v.) : Grand pr-sident leste raze (extrait, 25 v.) : Jugez donc du Parnasse, illustreConnestable (extrait, 33 v.). p. 98 (86 v.) : Vous mandez au comte oumarquis; p. 101 (172 v.) : Possible, direz-vous, par argumens subli-mes.

    p. 108. Lettre de monsieur le duc de Saint-Aignan (112 v.) : Illustreamy de dame incorruptible (extrait, 16 v.).

    p. 113. Autre lettre du mesme seigneur (126 v.) : Aprs cent tours etcent retours divers (reproduit).

    p. 118. Lettre en prose du comte de Saint-Aignan date du 18 aot 1648(id.).

    p. 119. Lettre de monsieur de Nord (112 v.) : C'est trop resver, lapierre en est jette (id.).

    p. 123. Lettre d'un Inconnu (90 v.) : Esprit de tout le Dauphin.p. 127. Responce la lettre de Mr de Lionne (212 v.) .: De tels ragots

    et de si friands mets (extrait, 50 v.).p. 136. Resp. la lettre de l'Inconnu qui a donn lieu une partie de

    celles qu'on m'a crites, notamment celle de M 1'de Lionne (94 v.) : Bravebaron, comte ou marquis (extrait, 9 v.).

  • SON MANUSCRIT XI

    p. 140. Resp. une des lettres de Mr de Saint-Aignan (114 v.) : Char-mant monsieur, esprit perant et clair (reproduit).

    p. 145. Autre resp. une des lettres de Mr de Saint-Aignan (114 v.) :Comte adorable et qui croies peut-estre (id.).

    p. 149. Resp. la lettre de Mr de Nord (100 v.) : Illustre Nord, de quila Renomme (id.).

    p. 154. Pour Mr de Nyert (116 v.). Bons bons truffs de jou Niert beausire (id.).

    p. 159. A Mr le comte de Tournon (124 v.) : Grand Comte de qui lammoire (id.).

    p. 165. A Mr de Lionne rencontr prs de Tain en revenant de Gre-noble (98 v.) : Depuis Sidon jusqu'aux portes de Tyr (extraits, 43 v.).

    p. 169. A Mr de Lionne sur la grossesse de madame sa femme (112 v.) :Par Saint-Victor, voire par Saint-Marceau (reproduit).

    p. 174. Lettre de madame de Revel (90 v.) : Original de bonne grce(id.).

    p. 178. A Mr le Surintendant Foucquet (94 v.) : Depuis longtempsvostre bont le sait (id.).

    p. 182. Resp. d'Entonnna (Claude de Chaulne) aux vers de Mr Pellis-son qu'on a perdus (116 v.) : Le billet sign de mon maistre.

    p. 187. Resp. la lettre de Mr Ricouart sur ce qu'il m'avoit escriptd'Entonnna (88 v.) : De vous, Monsieur, la trs humble servante (extrait,8 v.).

    p. 190. A Mr le Surintendant (148 v.) : Ma Muse en deuil de voir queses penses (reproduit).

    p. 196. A Mr l'Abb Foucquet (114 v.) : Abb sans pair, cher ami desvertus (id.).

    p. 201. A madame de Revel (60 v.) : Ce terme est long de six semaines(id.).

  • CLAUDE DE CHAULNE

    L'existence du manuscrit reproduisant les lettres en vers de Claudede Chaulne, composes de 1644 1659, est une vritable bonne fortune.Ce manuscrit nous permet de saisir sur le vif les manifestations du liberti-

    nage des esprits areligieux tel qu'il a exist au XVIIe sicle dans lesclasses cultives. La forme et l'expression seules varient suivant les po-ques. Ce libertinage-l n'a ni importance, ni consquence fcheuse aupoint de vue social quand les personnages qui s'y livrent forment une

    petite minorit. Ils n'ont eu, au XVIIe sicle, d'autre intention que d'a-muser leurs interlocuteurs ou leurs correspondants, en laissant fuser destraits plus ou moins spirituels. Le peu de cas qu'ils ont fait de leurs bou-tades les distinguent d'un Thophile de Viau, d'un Des Barreaux, d'unBlot, etc. Ces derniers, sans tre plus convaincus de la valeur de leursides, tenaient ce qu'on les prit au srieux. Se jugeant des esprits dniaiss , ils taient heureux d'avoir des auditeurs. Ne faisant pasde proslytisme au sens troit de ce mot, ils cherchaient scandaliser pourse distinguer du commun des mortels. Chez les uns comme chez les autres,nous constatons des moeurs dissolues, qui sont la rsultante d'un dsqui-libre mental se traduisant par le rejet de toute discipline.

    Prenons donc la correspondance de Claude de Chaulne pour ce qu'elleest : un amusement de grand seigneur un peu frott de lettres. Evitonsle ridicule de ceux qui, par exemple, sur une anecdote, rapporte par Tal-lemant Des Raux, jugent un homme. Retenons galement que ces rimesont commenc tre changes pendant la rgence d'Anne d'Autriche, la veille de la Fronde, un moment o la libert de langage ne ren-contrait aucune entrave. D'ailleurs Claude de Chaulne appartenait lagnration dont la mentalit s'tait forme dans les dernires annes durgne de Henri IVet sous la rgence de Marie de Mdicis, poque o rgnaitune grande licence.

    Il est probable que Claude a fini chrtiennement, sans mme se souve-nir un instant de ses bons mots sadiques ou irrligieux.

    Les Chaulne de Dauphin taient un rameau des Chaulnede Picardie qui tirent leur nom de l'ancienne baronnie deChaulne prs de Noyon. Ce rameau se fixa Tonnerre d'o ilse divisa en deux branches; l'une rsida Paris au XVIe sicle

  • XIV CLAUDE DE CHAULNE

    avec Antoine de Chaulne ; l'autre avec Pierre de Chaulne,procureur du roi dans l'lection de Tonnerre, migra Gre-noble vers 1558. Pierre eut pour fils Antoine de Chaulne,sieur de Veurey, trsorier gnral des fortifications, puismatre ordinaire de la Chambre des comptes de Dauphin, parlettres de Paris du 17 septembre 1611, eu remplacement etsur la rsignation d'Antoine de Rives. Reu seulement le 31janvier 1613, Antoine cda sa charge deux ans aprs, le 15 juil-let 1615, Etienne Empereur, sieur de La Croix. Vers 1620il fit partie du Rureau des finances de Dauphin dont il devinten 1628 un des quatre prsidents. En 1624 il fut nommconseiller d'Etat. Cet Antoine, mari Madeleine Renoist, at le pre de Claude.

    Claude naquit Grenoble vers la fin du xvie sicle. Il fitses tudes au collge de Tournon o il eut pour condisciplele futur ambassadeur Ennemond Servien ', frre du Surinten-dant de ce nom. Son intelligence, sa vivacit le firent distin-

    guer par ses matres si bien que ceux-ci le choisirent pourremplir un rle dans une pice reprsente au collge de Tour-non la suite du service solennel clbr dans cette ville lammoire de Henri IV, assassin par Ravaillac. Claude avaitcomme interlocuteurs Imbert Le Blanc, Ennemond Servien 1,tous deux de Grenoble, et Esprit La Selve, de Vivarez. Ilsuccda en 1629 son pre dans sa charge de prsident duBureau des finances 2 et y fut reu le premier mai de l'annesuivante. Peu de temps aprs, le Roi le nomma conseillerd'Etat. Il pousa alors Marguerite, fille de Joachim de Chiss,seigneur de La Marcousse et de Diane de Lestang 3, dont ileut cinq enfants : deux fils et trois filles. L'an Joseph,

    1. Ennemond Servien, n vers 1596, mort le 3 juin 1G79, a t ambassadeur deFrance Turin, de 1648 1676.

    2. Au commencement du XVIIe sicle, il existait deux charges de trsoriers-gn-raux de Dauphin; sous Louis XIII sept furent cres, puis six autres (dit dedcembre I627| et encore deux (dit de 1628). Aprs la rception de Claude deChaulne, elles furent encore augmentes de cinq (1633 et 1635), soit en tout vingt-quatre.De sorte qu'en 1645 le Bureau des finances de Dauphin se composait de quatreprsidents, vingt trsoriers-gnraux, un procureur du roi, un avocat du roi etquatre huissiers.

    3. Joachim de Chiss, seigneur de La Marcousse, tait fils de Michel de Chiss,seigneur de La Marcousse, enseigne de la Compagnie de cent hommes d'armes dusieur de Maugiron, et gouverneur de Gap, et de Joachine de Guiffrey de Boutires,fille du lieutenant-gnral, et arrire-nice du chevalier Bayard. Il avait pousDiane de Lestang le 18 juillet 1609.

  • NOTICE BIOGRAPHIQUE XV

    marquis de Chaulne, par suite de l'rection de la seigneuriede Noyarey en marquisat sous le nom de Chaulne, par let-tres du mois de mars 1684, registres au Parlement de Dau-

    phin le 19 aot suivant, fut prsident du Rureau des finan-ces sur la rsignation de son pre et mourut sans postrit ;le second, Paul, abb de Chaulne, le plus beau garon de sontemps , devint vque de Sarlat, puis de Grenoble. Ses allu-res par trop coquettes, ses airs de muguet, motivrent, dit MrRoux, les blmes du cardinal Le Camus, vque de Grenoble,mais elles ne l'empchrent pas, avec le temps, de se trans-former au point d'tre considr par Saint-Franois de Salescomme une demi-vertu. De ses trois filles : l'ane seulementse maria, Diane qui pousa Franois Ferrand Teste, sieur deGrumetire ; les deux autres entrrent en religion : Jeanne Montfleury en 1647 et Clotilde la Visitation Sainte-Marie en1651.

    Claude de Chaulne fut charg de diverses missions : Parlettre du 15 aot 1630, Louis XIII le nomma intendant desfinances de l'arme occupe au sige de Montauban sous lemarchal de Chastillon, aprs qu'il et t commis Em-brun pour y procder la prparation des ordres (28 juin1630) ; en 1647, il est intendant des troupes pour en faire larevue en Dauphin (25 mars 1647).

    Il mourut vers 1675, soixante dix-huit ans.

    Nous avons le portrait de Claude, trac par Chorier en 1679 :

    Claude de Chaulne excellait vraiment parmi les potes dans ce genrede vers (familiers). Il tenait la premire prsidence du Bureau des finan-ces de France et brillait par l'intelligence. La source de la plaisanteriecoulait limpide de sa bouche. Il dissertait sur l'heure de quelque sujetque ce ft. Pour s'amuser il se moquait des choses les plus srieuses,simplement, par la manire dont il en parlait, mais sur un ton qui, tout enplaisant aux plus graves, ne pouvait offenser personne. Sa conversationtait maille de traits si imprvus que, pour n'en pas sourire, il auraitfallu tre de pierre. Il improvisait des vers trs spirituels dans la languedes honntes gens, aussi bien que dans celle du terroir ou de la plbe.Souvent il jouait seul tous les rles des comdies et variait sa dictionselon les personnages et selon le genre de vers. A la fois, il incarnait lepote, le comdien et le spectateur.

    Il surpassait tout le monde en courtoisie. Sa raillerie ne portait passeulement sur la forme mais sur le fond des choses. Celui qui rassemble-rait les traits d'esprit et les bons mots qu'on rapporte de lui et en donne-

  • XVI CLAUDE DE CHAULNE

    rait une dition destine au public ferait, mon avis, une oeuvre remar-

    quable et gote des connaisseurs. D'ailleurs sans mchancet, incapablede blesser ou de rudoyer personne, il tait apprci et bien vu de tout lemonde. Toute sa vie, qui se prolongea jusqu' sa soixante-dix-huitimeanne, il garda cette rputation d'amnit et de bont. Il tait expert enboutades, en jeux de mots et en facties. Les gens d'esprit le louaient,les autres qui ne comprenaient pas ses plaisanteries, restaient surpris ethsitants. Tous cependant le jugeaient favorablement et, lorsqu'il criti-quait, l'applaudissaient. Avec Chaulne, les Muses dansaient en douleuret, s'il riait, alors s'esclaffaient, oubliant leur deuil 1.

    Il confirme celui qu'il avait esquiss huit annes auparavant : Il est un des plus beaux esprits de la Province (de Dauphin). On ne

    peut lui contester qu'il ait sceu donner de l'enjouement aux Muses sansleur oster rien de leur honnestet. Ses jeux tout spirituels sont libres etensemble retenus, et la vertu ne craint point qu'on la voye rire avec unsi honneste homme (Chorier : L'Estat politique de la Province de Dau-phin, 1671).

    L'opinion de quelques contemporains n'est pas moins favo-rable :

    Il avait un esprit dlicat, sublime et clair et une facilit admirable faire des vers franais. Jamais gnie ne fut plus naturellement tourn dire des mots agrables, comme estoit le sien, et jamais personne n'aest plus propre bien remplir une conversation de quelque nature qu'elleft, comme il a est (Guy Allard : Bibliothque du Dauphin).

    Claude de Chaulne a galement brill dans la conversation et dansles vers qu'il faisoit avec une facilit admirable. Ses bons mots ont estrecueillis avec soin (Philibert Brun: Eclaircissements historiques).

    Voici maintenant une apprciation rcente de l'homme et deson oeuvre :

    Quelle est cette curieuse figure (celle de Claude de Chaulne) ? cepen-dant pourquoi jusqu'ici fut-elle en quelque sorte insaisissable? Peut-tre parce qu'elle appartient trop son sicle et son milieu; que tout le

    prsent l'absorba ; ne vivant bien, lui, que pour ce prsent, peu jalouxd'une gloire posthume, avide seulement d'amoureuses victoires et satis-fait du vin et de l'amour; il demeure toutefois picurien encore queraffin; amoureux plus rveur que passionn. Si Ren Le Pays a poussson art de plaire jusqu' devenir une sorte de Don Juan, Claude deChaulne s'en est tenu cette satisfaction que l'on gote aimer, pourrendre heureux l'objet aim. Parfois, il est vrai, son ivresse est celle d'un

    1. Chorier : Vie de Pierre de Boissat (en latin), Grenoble, 1680, in-12.

  • NOTICE BIOGRAPHIQUE XVII

    Suisse, et sa volupt celle d'un mousquetaire, mais toujours ses qualitsrachtent amplement ses dfauts. Naturel, jusqu' la trivialit, il et trang de nos jours parmi nos potes ralistes en ce qui touche certainesde ses posies et certaines de ses expressions (Emile Roux : Les Pr-cieuses Grenoble au XVIIe sicle, Claude de Chaulne).

    Claude de Chaulne a tenu, de 1630 1675, une grandeplace dans la socit grenobloise, place qu'il a due beau-

    coup son esprit, sa belle humeur, un peu la noblesse desa famille et sa qualit de prsident du Bureau des financesde Dauphin. Lui-mme a dit ce qu'il pensait de sa charge,peut-tre pour avoir l'occasion de placer une gauloiserie :

    Mais ces Messieurs les Trsoriers de France,Sont Trsoriers sans argent, sans finance,Et Dieu merci je suis leur Prsident;Si quelqu'un a besoin d'un curedent,J'entends de ceux qui viennent de Provence,Qu'il vienne au corps des Trsoriers de France.L j'ay encor l'honneur de prsider,Et ne croy pas de leur devoir cderAu Parlement, ni mesmes la Chambre;Si de ces corps je me fusse veu membre,J'aurois t le membre du milieu,Car la vertu seule occupe en ce lieuComme croyoit la reyne Marguerite;Mais ma vertu dans ces lieux est petiteEt nantmoins ayant petit mercierJe ne saurois trouver petit panier2...

    La gauloiserie, c'est tout Claude de Chaulne, elle est sonunique souci. Il n'hsite pas nous faire sourire ses dpens, avouer par exemple que Vnus l'a maltrait, en prcisant non

    1. Ds 1631, il est au nombre des acteurs d'un ballet dans Grenoble le dimanchegras. Voici le titre de ce ballet dont l'auteur est Louis Videl, secrtaire du conntablede Lesdiguires : Almanach on prdictions vritables, contenant les divers chan-gemens qui doivent arriver durant le cours des douze mois de la prsente anne4631...., par l'illust. et sereniss. seigneur Tychobra, astrologue, prince Danois ettrs exact observateur des causes secondes. Balet dans Grenoble le dimanchegras de ladite anne 1631. S. l. n. d. (Grenoble, P. Verdier), in-4 de 45 pp. Lesprincipaux acteurs, en dehors de Claude de Chaulne, taient : le comte de Rochefort,de Manissy, Roux, Coste, de La Colombinire, le comte de Grignan, Crolles, etc.(Ed. Magnien, Bibliographie grenobloise).

    2. A monsieur de Lionne, rencontr prs de Tain en revenant de Grenoble :Depuis Sidon jusqu'aux portes de Tyr.

  • XVIII CLAUDE DE CHAULNE

    seulement l'anne, mais les consquences pour sa chevelure :

    Me tondre seroit difficile,Car ds l'an seize cent et dix neuf,Poison de vrole subtileMe rendit plus chauve qu'un oeuf .

    et il adresse cette confidence une femme, la baronne de LaBaume Chasteaudouble. Comme il a vcu jusqu' soixante dix-huit ans, la Desse s'est montre clmente envers lui, plusclmente qu'elle ne l'est ordinairement. Elle a moins mnagce pauvre Cyrano de Bergerac, lui assurant cependant une

    compensation : l'immortalit, qu'elle a refuse notre greno-blois, celle qui s'attache aux contempteurs de la socit de leurtemps !

    Claude tient se mettre en scne, toute digression lui estbonne pour cela. Cette proccupation de son moi, on la cons-tate dans la plupart de ses lettres. Il se plait se portraitureren insistant sur les imperfections de son visage et de sa per-sonne 3 .

    Il ne dissimule ni ses gots ni ses prfrences; la franchiseest sa qualit matresse :

    Mes passions sont peu prs les vostres.Le jeu, le bal, la musique, les vers,Tournois, ballets, comdies, et concerts,Chasse, chevaux, chiens, chants et chansonnettes,Joieux devis, amoureuses sornettes,Furent jadis tous mes amusemens4...

    Et il prouve un malin plaisir mler le sacr au profane, eny ajoutant souvent une petite poinle d'obscnit. Il faut croireque Mr Piicouart qui il crivait n'tait pas insensible cegenre de plaisanterie... facile :

    Vous estes bon, vous avez l'me bonne,Bien peu vous chaut de tierce, sexte et none,

    1. Rp. madame de La Baume Chasteaudouble : Je, des Barbons le plus caduc(reproduite).

    2. Voir la prface place en tte des OEuvres libertines de Cyrano de Bergerac.T. I, p. VII.

    3. Voir sa lettre au comte de Saint-Aignan : Charmant Monsieur, esprit perantet clair (reproduite! et d'autres lettres rimes dans le mme esprit.

    4. Lettre au duc de Saint-Aignan : Comte adorable et qui croies peut-estre (re-produite).

  • NOTICE BIOGRAPHIQUE XIX

    Mais vous allez prime avec rigueur,Et la tirez quand il ne faut qu'un coeur;Vous voudriez voir Iris complie ;Pour cet office, il faut que rien ne plie,Que tout soit ferme, et vous Testes aussy :Les vrais amis doivent bien l'estre ainsy ...

    non plus que Hugues de Lionne.Claude ayant communiqu ce dernier une lettre qu'il

    avait reue d'un Inconnu dans laquelle madame de Reveltait compare au Soleil, et sa rponse o Josu tait mis encause :

    Mais il me semble qu'il doit faireUn tour dessus nostre hmisphreEt nous soulager des ennuisDe nos longues et froides nuits.Voudrez-vous arrester sa course?Je ne le crois pas, pourquoy? Pour ceQue vous seriez possible huDe vous mocquer de Josu,Et de le pouvoir contrefaire...

    Lionne saisit ce prtexte pour prendre la dfense du sys-tme de Copernic 3 :

    Ce Soleil a bien autre affaireQu visiter nostre hmisphre.D'ailleurs nous suivons ric ric,L'opinion de Copernic

    1. Rponse a la lettre de Mr Ricouart sur ce qu'il m'avait crit d'Entonnna : Devous. Monsieur, la trs humble servante. Ce Ricouart est Antoine de Ricouart,sieur, puis comte d'Hrouville, matre des requtes et conseiller d'Etat, dont parleTallemant dans ses Historiettes : Cet homme trouva un jour un pot de chambredans l'antichambre de madame de Saint-Ange (femme du premier matre d'htel dela Reine) ; il crut faire une belle galanterie en faisant des vers sur cela. Je vous laisse penser s'il oublie d'y parler d'Eau d'Ange. Il y avoit bien des choses plus dlicates,car il disoit en un endroit, en parlant de cette eau qu'il vuideroit volontiers

    sa boursePour en puiser la source.

    Il luy envoya ces beaux vers, et pour appaiser la belle, il fallut aprs fairel'amende honorable.

    Entonnna, c'est le pseudonyme pris par Claude de Chaulne dans sa correspon-dance versifie avec Pellisson. le commis de Foucquet.

    2. Response la lettre de l'Inconnu : Brave Baron, Comte on Marquis qui a donnlieu une partie de celles qu'on m'a escrites notamment celles de monsieur deLionne.

    3. Celte discussion sur le mouvement de la terre permet de dater cette lettre quidoit tre de 1652. Les OEuvres potiques du sieur Dalibray. Paris, 1653, contien-nent trente sonnets de Dalibray sur ce sujet et une longue rponse en vers du ma-thmaticien Le Pailleur qui ne prend partie ni pour Ptolme ni pour Copernic !

  • XX CLAUDE DR CHAULNE

    Qui tablit son domicileAu centre du monde immobile ;Et de vrai, dites-vous un peu,Vous qui avez bonne caboche,Et qui jamais n'eustes taloche,Trouveriez mieux que le feuRoulast l'entour de la brocheEt rencontrant quelque anicroche,Que lors que sur son propre essieuLa broche tourne auprs du feu ....La Terre ainsy sur son pivot,Comme quand on fouette un sabot,

    A plutost descouvert au Soleil ses surfacesQu'Astre si grand et lourd n'auroit chang de place,Et n'auroit parcouru tant d'immenses espaces

    Quand mme il marcheroit au trot,Et qu'il seroit sur des eschasses.En vain donc on ne s'est tuComme prouve nostre systmeDe contrefaire Josu,Mais le bon Josu luy-mesmeA pris Carnaval pour Caresme,Et pour lavement aposme...Il n'avoit qu' dire la Terre : Terre ne va pas si grand erre, Ne te sabote pas si dru, Afin que j'aye temps congru Pour occir l'ost Gahaonite Qui refuse nostre eau bnite

    A quoi Claude rpond sur un ton de bouffonnerie encoreplus os :

    L'opinion de vostre CopernicMe fait capot aprs un grand repic,Mais, cher Monsieur, apprenez-moy de grce,Comment il peut fixer en mesme place,Sans qu'il s'esbranle ou meuve tant soit peuCe corps brillant, ce beau globe de feu;Ce point de flamme o la clart premireSe concentra pour faire la lumire,Dont la chaleur n'a que le mouvementPour son appuy et pour son fondement.En vain ce corps nous paroistroit en bouleSi l'on ne veut ou qu'il roule ou qu'il coule,

    1. Voir les OEuvres libertines de Cyrano de Bergerac, t. I, p. 12.2. Rponse de M. de Lionne : Jugez donc du Parnasse, illustre Connestable.

  • NOTICE BIOGRAPHIQUE XXI

    Et ce seroit nous damer le pionS'il s'attachoit ainsi qu'un morpion.En vrit je ne vois point de signeQui peut prtendre cette faveur insigne;Il destruiroit tout l'ordre des saisons,Et ne pourroit briller qu'en deux maisonsOu chez la Vierge ou chez le Sagittaire ;Mais depuis peu le drle s'est fait raire,La Vierge sent un peu le galbanumEt l'unguentum napolitanum ;Vous m'eslevez jusqu'au sjour des Grus,Cela s'entend dessus le lict des Nus ;Quand j'y serai, j'employeray mon nezPour y flairer ces belles vrits,Et vous diray, sans dtour ny bricole,Si c'est pour morpions ou pour vrole.Mais ce Soleil, propos de l'archet,Seroit-il pas bien pris au trbuchetSi dans le bal des estoilles errantesIl ne pouvoit danser quelques courantes,Ou quelque gigue, ou bien des tricotels 1?Ce Dieu brillant n'auroit point tant d'autels,Et passeroit pour Dieu de trique-niqueS'il pouvoit estre creu paralytique ;Luy dont le feu fait germer les mestauxQui donne l'estre tous les vgtaux,Qui cuit nos vins, qui fait jaunir nos gerbes,Dont la chaleur fait la vertu des herbes;Cet oeil de qui l'ardeur et les clartezFont leurs pouvoirs et leurs propritez.S'il n'en pouvoit prtendre un manipulePour se gurir seroit bien ridicule.Comment, bons Dieux, peut Copernic songerD'oster son coursa un corps si lgerPour le donner une masse lourde?Il se vouloit masquer en pierregourde,En arzilliers de la Coste Moirans,Il est menteur fieff jusques aux dents2,..

    Souvent il glisse jusqu' l'obscnit :L'on voit icy la blonde et la brunettePrendre le frais, s'riger en coquette,Et le galand se cloue leurs costezEn dbitant florel pas comptez.

    1. Tricotels pour tricotets, ancienne danse qui s'excutait en remuant les pieds etaussi vite que les mains d'une femme qui tricote.

    2. Rponse la lettre de M. de Lionne : De tels ragots et de si friands mets.

  • XXII CLAUDE DE CHAULNE

    L maint Niert, mais de La Buisserate,M'espanouyt un lopin de la rate,Lopin petit, et par quelques chansonsDes Rossignols imite les leons;J'entends de ceux qui viennent d'ArcadieDont la fillette ayme la mlodie,Et croit le chantre aymable et plein d'appasS'il est oiseau de la ceinture en bas '...

    Rarement il s'attaque aux personnes 2; c'est dans le but de

    plaire Foucquet, alors intendant de Dauphin, qu'il dnigrePierre Yvon, sieur de Lozires, son successeur, et encore sesmchancets sont bien anodines 3. Avait-il un grief contre le

    prince-vque de Grenoble : Pierre Scarron 4, ou le savait-il enmauvais termes avec Foucquet pour en dire autant de mal?C'est probable :

    DE LA BELLE MESSE.

    Icy XXX vient dire son brviaire,Pour mieux parler, usons du mot de braire;Or chacun sait que son attentionN'a rien d'gal que sa dvotion,Qui vraiement est si sainte et si bonneQu'elle ne fait de chagrin personne.Ce grand Prlat loquent et savantPour ne mentir presche trs peu souvent!La charit luy fait tant de fatigueQu'il se voudroit fourrer en chaque intrigue.Quand il auroit mille fois moins de bienIl est si bon qu'il ne refuse rien;Bien entendu qu'il donne tout de mesme;Des prometteurs, c'est la perle et la cresme.Mais brisons-l, laissons ses qualits,Et revenons d'autres vrits :

    1. A M. Foucquet, matre des Requestes. Gazette. Du jardin.2. Voyez plus loin sa lettre l'abb Foucquet (contre Servien, surintendant) :

    Abb sans peur, cher amy des vertus.3. Voyez plus loin sa lettre M. Foucquet maistre des requtes : En ce saint temps

    que l'on nomme Caresme.4. Pierre Scarron, vque et prince de Grenoble, cousin du pote burlesque, tait

    fils de Jean Scarron, seigneur de Mandin, de Lorgues et de Boislarcher, conseillerau Parlement de Paris, et de Marie Boyer. Ce Jean tait frre de Franois Scarron,seigneur de Privas.

    Pierre Scarron eut un seul frre : Jean, conseiller la Grand Chambre, prvtdes marchands Paris en 1644, mort en 1646, qui avait pous Marguerite Marron(morte en juin 1653), fille de Ren Marron, sieur de Chastelier, secrtaire du roi, etde Marguerite Rousseau, et deux soeurs : Ysabelle, femme de Nicolas Poussepin,sieur de Montbrun et de Bel Air, conseiller au Chtelet de Paris, et Marie, reli-gieuse Soissons.

  • NOTICE BIOGRAPHIQUE XXI11

    L'on voit icy mainte dame vieillotteJouer des yeux tandis qu'elle marmotteLe chapelet ou le livre en la mainAvec un tas de mouches sur le sein,Il fait la roue ainsy qu'un vieux coq d'inde,Et l'approchant et faisant le nez doux

    Luy dit : Aprs disner, que ferez-vous, Que vous portez un rare point de Gesne? Il tient pourtant mon esprit la gesne; Je ne vous puis celer qu'il me desplaist; Tout beau, tout fin et tout charmant qu'il est, Il m'importune, il desrobe ma veue Tous les appas dont vous estes pourveue. Si ce n'estoit qu'il vous sert depuis peu Ce criminel mriterait le feu. Un bon frater d'un coin de sacristieA beau prescher qu'on va lever l'hostie,L'on continue et pour n'our tel bruitJe croy, pour moy, que le bon Dieu s'enfuit !...

    Arrtons ici nos citations. En reproduisant intgralementun certain nombre des lettres changes entre Claude et sesamis 2 : Nicolas et Basile Foucquet, le comte de Tournon,Hugues de Lionne, Pierre de Niert, premier valet de chambredu roi, Antoine de Nord, conseiller du roi et son avocat gnralau Bureau des finances de Guyenne, Franois de Beauvillier,comte de Saint-Aignan, Alphonse de Simiane, abb de Saint-Firmin, etc., on se rendra mieux compte de sa tournure

    d'esprit. On verra qu'il a trouv des partenaires dignes de lui,mme parmi ses relations fminines si nous en jugeons parles rponses de madame de Revel.

    En dehors de son Ms., on ne connat de Claude de Chaulneque trois petites pices laudatives qu'il a mises en tte desAmitiez, Amours et Amourettes (Grenoble, 1664), de RenLe Pays.

    1. A M. Foucquet, maistre des requestes. Gazette. Cette gazette est date de Sau-mur. Nous ne connaissons pas le motif qui avait amen Claude de Chaulne danscette ville d'o il crit au comte de Tournon.

    2. Nous ne donnons qu'une partie importante d'ailleurs du Ms. de Claude deChaulne, soit 3.000 vers environ sur 4.700. Nous ajouterons que nos citations lais-sent au travail prpar par M. Emile Roux tout son intrt. Nous ne nous occu-pons pas des posies de Claude au point de vue, si curieux, d'un tableau de lasocit grenobloise au XVIIe sicle, mais simplement au point de vue du libertinagedu prsident du Bureau des finances, c'est--dire de sa dbauche d'esprit.

  • XXIV CLAUDE DE CHAULNE

    POUR Mr LE PAYS, SUR SON LIVRE AMITIEZ....

    Dans l'Empire d'Amour, on tient cette maxime,Pour les heureux succez de garder le secret,Autrement on s'expose au reproche d'un crime,

    Et l'on passe pour indiscret :Mais l'illustre Pays a fait un tour de Maistre,Il nous monstre ses fers sans qu'on puisse connoistrePar quelle main son coeur en souffre le tourment,

    Et le public se plaindroit justement,Si par un vain scrupule il et tenu secrettes

    Ses Amours et ses Amourettes.

    SUR LE MESME SUJET

    Geluy dont nous tenons cet agrable ouvrage,En souffrant qu'on le mette au jour,

    Parmy les beaux Esprits acquiert cet avantage,Qu'en donnant ses Amours, il gagne leur amour.

    AU LECTEUR

    Cy gist, bien qu'il ne soit pas mort,Le merveilleux Esprit, qui te donne ce Livre,

    Lecteur, chacun est demeur d'accord,Que ses productions le feront toujours vivre,Et tu dois avouer que jamais un tombeau,

    Ne fust plus riche ny plus beau.

  • LES LETTRES LIBERTINES EN VERSDE

    CLAUDE DE CHAULNECHANGES AVEC SES AMIS :

    NICOLAS FOUCQUETBASILE FOUCQUETHUGUES DE LIONNEPIERRE DE NIERTANTOINE DE NORDCOMTE DE SAINT-AIGNANABB DE SAINT-FIRMINCOMTE DE TOURNON

    COMTESSE DE TOURNON, DU-CHESSE DE CHAULNE

    PRSIDENTE DE CHEVRIRESMADAME DE CLRIEUMADAME DE LA BAUME CHAS-

    TEAUDOUBLEMADAME POTELMADAME DE REVEL

    Les pices marques d'un astrisque mentionnes la suite des noticesont t reproduites entirement, et partiellement celles avec un double ast-risque.

    1

  • Comme nous ne reproduisons qu'en partie le manuscrit de Claude deChaulne (3.000 v. environ sur 4.700), nous ne nous sommes pas asser-vi suivre l'ordre dans lequel les lettres se lisent dans ce Ms.. D'ailleursClaude les a rparties arbitrairement et sans aucun souci de leurs dates.Il a voulu faire honneur Nicolas Foucquet en plaant l'Impromptu del'Intendant de Dauphin, de 1 6 4 4, en tte de sa correspondance rime.On ne sait d'ailleurs quelle poque il s'est livr ce travail de recons-titution de son pass. A en juger par le titre de duc donn Franois deBeauuillier, il doit tre postrieur 1 6 6 3, anne de l'rection en Duch-pairie du Comt de Saint-Aignan, mais cependant il est certain qu'au-cune des lettres du Ms. n'a t crite aprs la disgrce du Surintendant(1660).

  • NICOLAS FOUCQUET

    Foucquet tout en ne faisant, pour ainsi dire, que passer Grenobleen 1644 au titre d'intendant de justice et de police de Dauphin, a eu letemps de connatre et d'apprcier Claude de Chaulne, prsident duBureau des finances. Nicolas venait de partir pour assister la prise de

    possession de l'vch d'Agde, par son frre Franois, quand une meuteclata soudainement dans la province; Moirans notamment le peuplesoulev s'empara des tats de taxe et les brla. A cette nouvelle, lechancelier Sguier, accueillant les dnonciations qui accusaient Foucquetd'avoir fui devant les mutins, le remplaa immdiatement par PierreYvon, sieur de Lozires.

    Se rendant Paris, Foucquet quitta Grenoble le 11 aot 1644, accom-pagn jusqu' Valence de Claude de Chaulne, de Ducros, de Coste etd'autres personnages de marque appartenant au Parlement de Dauphinqui avaient tenu honneur de lui marquer ainsi leur estime dans sa dis-grce immrite. Au sortir de cette ville, en se dirigeant sur Tournon,l'ex-intendant manqua d'tre assomm par la populace ainsi que Coste; leconseiller Ducros fut tu. Cette tragique sortie de Dauphin, Foucquet nel'oublia pas : elle explique la sympathie qu'il a tmoigne Claude deChaulne et la correspondance rime change entre eux.

    Cette correspondance, dont il reste peu de chose, s'est espace au fur et mesure que la puissance de Foucquet grandissait au point d'en fairepresque le premier personnage de l'Etat, aussi Claude a-t-il pris contactavec Pellisson, son premier commis, tout aussi fru de posie que sonmatre. Pourquoi alors s'est-il servi du pseudonyme d'Entonnna ?Serait-ce simplement pour se distinguer de la foule des innombrablessolliciteurs qui gravitaient autour du Surintendant? C'est possible.

    Ajoutons que notre Prsident du Bureau des finances de Grenoblequoique tant le subordonn de Foucquet, n'en avait rien craindre, cedernier ayant supprim tout contrle des trsoriers et cela pour des motifspersonnels. Si, avec la dot de sa premire femme et son apport, Nicolastait entr en mnage ayant personnellement prs de deux millions de

    1. Nicolas Foucquet, n le 27 janvier 1615, tait fils de Franois Foucquet, con-seiller au Parlement et commissaire des requtes du Palais Paris, et de Marie deMaupeou. Il pousa en premires noces Louise Fouch. morte le 11 avril 164 , et, ensecondes noces, le 5 fvrier 1651, mademoiselle de Castille qui lui apportait en dotcent mille livres tournois, etc.

  • 4 CORRESPONDANTS DE CL. DE CHAULNE

    notre monnaie d'avant guerre, sa fortune dpassait en 16S8 les prvisionsles plus optimistes. Le Surintendant n'avait pas runi ces immensesrichesses sans laisser des sommes importantes aux mains des trsoriers de

    l'pargne, grce des procds condamnables. Leur simple expos mon-trera les complicits qu'il avait d s'assurer :

    On connat trs exactement de quelle faon le Surintendant avait fait sagrande fortune. Il n'avait pas, il est vrai, le maniement des fonds publics : ildonnait aux trsoriers d'Epargne des ordres de paiement assigns sur telle outelle recette expressment dsigne (gabelles, aides, taille, etc.), ceux-cipayaient et devaient garder les assignations pour les produire la Chambredes Comptes et obtenir dcharge. Le vol consistait assigner des paiementssur des fonds dj puiss : les porteurs presss d'argent vendaient vil prixleur titre des financiers qui avaient le crdit d'obtenir des rassignationssur les fonds disponibles, moyennant pot de vin attribu au Surintendant.D'autre part les impts indirects qu'il tait d'usage d'affermer taient souventl'objet d'adjudications irrgulires dans lesquelles le secret des enchresn'tait pas observ et o les noms mmes des fermiers taient supposs. Enfinles emprunts fournissaient encore un champ plus vaste aux spculationsmalhonntes. Le taux lgal, admis comme maximum par la Chambre desComptes tait de 5 5/9 0/0. Mais le Trsor tait souvent contraint par lescirconstances donner jusqu' 20 et 25 0/0. Pour dissimuler l'irrgularit, leSurintendant majorait le capital encaiss, puis, pour rtablir la balanceentre les recettes et les dpenses, il faisait porter sur les registres des Tr-soriers de l'Epargne, et avec leur complicit, des dpenses imaginaires. Plusde registres de tonds verss depuis 1654 : les contrleurs des finances avaientt alors dispenss de les tenir. Ministres et commis, sous des noms supposs,prtaient l'Etat des taux usuraires ou mme supposaient des prts. Bref,le mcanisme des institutions financires tait dtestable, et le crdit malassur; un honnte homme n'tait jamais certain de ne pas passer pour unvoleur, et un voleur avare, sans ostentation, pouvait tre tenu pour unhonnte homme : c'est l'ostentation qui perdit Foucquet.

    Claude, htons-nous de le dire, est rest l'honnte homme au sens qu'ondonnait ce mot au XVIIe sicle. Ne voyons, dans ses manifestationsenthousiastes l'gard de Foucquet, que l'expression de sa profondeamiti pour l'homme et non pour le financier. En runissant ses lettres envers, au lendemain peut-tre de la condamnation de son malheureux ami,Claude a plac en tte l'impromptu de l'intendant de Dauphin en quali-fiant son auteur d'Illustre. Il y a eu l un noble geste l'adresse d'unegrande infortune.

    Foucquet a compos peu de vers franais :

    1 Le Chrestien des-abus du monde. | A Paris. | Chez la veuve DenisThierry | rue saint-Jacques, l'image saint | Denis, prs saint-Yves. | M.DC.LXVII (1667). | Avec privilge du Roy. 1 In-12 de 33 pp. chiffr. (B.N., Ye9981).

    En voici le premier vers : Trompeuses vanilez o mon me abuse.

    2 Une traduction en vers du Ps. CXIII (29 st. de 4 v.) : Venez, accoureztous, peuples de l'Univers, publie par P. Clment.

  • NICOLAS FOUCQUET 5

    3 Et quelques pices parses dans des manuscrits de la Bibl. nationale :S. t. (104 v.) : Mourray'-je sans parler et ma reconnoissance. (Ms. fr. 20862).

    C'est une ptre dans laquelle Foucquet remercie une grande dame qui s'taitintresse son sort.

    Sur le portrait bien fait d'un homme qui avoit manqu sa parole (3 st. de4 v.) : Ce portrait est fait d'une sorte (Ms. fr. 22559).

    Sur ce qu'on a ost la feste de saint Nicolas du diocse de Paris (dc. 1666) :Escoliers, mariniers et toute femme enceinte (id.).

    Enigme (5 st. de 6 v.) : Nous estions autrefois un grand nombre de soeurs.Avec cette note la fin qui est suivie de remarques : Le sujet de cettenigme est le papier sur lequel est crit : Papier que j'ai fait dans ma prisonavec de vieilles chemises de Hollande (id.).

    Le Ms. de Chaulne contient 10 pices en vers : une de Foucquet et neufqui lui sont adresses :

    *Impromptu de l'illustre Mr Foucquet : Claude vous avez bien fait faute.*Impromptu responsif de Mr de Chaulne : Grand Gnie de l'Intendance.* Sonnet Foucquet : Quand Phoebus ce jour qu'on ddie la Lune.*Lettre Foucquet : Depuis longtemps, je Claude que voicy.A Mr Foucquet, maistre des requtes : Gazette(246 v.) : Puisqu'il vous plaist,

    Domine, sieur Messire.A Mr Foucquet le jour des Roys (106 v.) : Phoeb pour qui? c'est pour mon-

    sieur Foucquet.A Mr Foucquet, maistre des requestes (94 v.) : En vrit je suis et quoi bien

    aise.*Id. (116 v.) : En ce saint temps que l'on nomme caresme.A M. le surintendant Foucquet (94 v.) : Depuis longtemps vostre bont le sait.* Id. (148 v.) : La Muse en deuil de voir que ses penses.

    DE L'ILLUSTRE M. FOUCQUET

    (IMPROMPTU).

    Claude, vous avez bien fait fauteD'avoir oubli Monsieur CosteQui ne vous avoit oubli,Alors que dessous sa bannireNous allasmes La Ferrire,N'y fustes-vous pas convi ?

    La, vous promistes en prsenceDe gens d'honneur et conscience,S'il en est parmy les humains,Que si vous escrivis au ComteVous lui manderiez sans mesconteTous ceux qui luy baisoient les mains.

    1. Jacques Coste, comte de Charmes, sieur de Saint-Donat et de Batarnay, fils deFranois Coste. matre des comptes de Dauphin en 1592, et d'Anne de Rostaingjilavait pous Marie-Franoise de Simiane, fils de Louis, seigneur de Truchenu, et deLouise de Monteynard. Il mourut prsident au Parlement de Dauphin le 26 mars1676. Le roi l'avait anobli le 1er novembre 1658.

  • 6 CORRESPONDANTS DE CL. DE CHAULNE

    Pour vous punir on vous ordonne

    Comparoistre en propre personnePour estre oui sur certains faits,Et respondre par vostre bouche,Et comme la chose nous toucheNous voulons estre satisfaits !

    Mandons au premier nostre garde,Arm d'espe, de halebarde,Sy de faire il en est requis,Qu'il aille adjourner ledit ClodeEn quel lieu du monde qu'il rodeEt sans prendre aucun parentis 1.

    Fait Romans pour nous esbattreL'an mil six cens quarante-quatre,Un dimanche ou bien un lundy,Lequel des deux il ne m'importe,Mais seulement qu'on fasse en sorteQu'il s'y rende le samedy.

    Nil mihi rescribas, attamen veni.

    IMPROMPTU RESPONSIF S'IL EN FUT JAMAIS

    Grand Gnie de l'IntendanceQue le Ciel nous avoit promis,Dont la Fable a mis l'abstinenceDans le rang de nos Ennemis,Que ta sant soit ternelle,Qu'elle soit si douce et si belleQue les Destins en soient jaloux,Et que les Parques soient gnesA ne plus filer tes annesQu'avecques du poil de velous!On nous dit que ces vieilles dames,Car on leur peint rids museaux,Filent la trame de nos mes

    Sujette aux coups de leurs cizeaux;Ceux qui croiront telles sornettesMriteroient porter sonnettesSur la creste de leur bonnet :Tout beau, Muse, je m'incommode,Je voy que je commence une odeEt je ne veux faire qu'un pet.

    1. Parentage.

  • NICOLAS FOUCQUET 7

    SONNET

    Quand Phoebus ce jour qu'on ddie la LuneAttellera son char de son cheval grison,En ce mesme moment que dans nostre horizonIl renflera ses feux sur les flots de Neptune.

    Si je ne suis gesn par bizarre fortune,Vous verres Romans, dedans vostre maison,L'esclat majestueux de nostre poil grisonSi ce n'est le matin, ce sera sur la brune.

    L je prtends respondre vostre adjournement ;Mais quoy, je dois finir et je ne say comment,Ce sonnet est sans pointe et je n'y prends pas garde!

    Ah! qu'inutilement je m'en mets en soucy :Vostre Garde m'exploite avec sa hallebarde,J'en emprunte la pointe et je la mets icy.

    LETTRE AU MESME

    Depuis longtemps, je Claude que voicy,Pour vous gaudir en vers nihil feci,Et de gaudir estoit bien peu capableUn malheureux, ou bien un misrableA qui malheur entass sur malheurA bigu joie en amre douleur;A qui plaisirs ne viennent qu'en litire,Et qui ne fait un brin de chre entire,Qui n'a peu voir un seul heureux momentSuivre celuy de vostre loignement,Dont maintenant ne vous escriray mieQu'en lamentant, ainsy que Jrmie,Qui le premier a trouv la faonDe se douloir et dire une chanson,Qui pitous cas et douloureuse peineMist le premier sur le ton de BirneLors qu'on chantoit au bonheur endormy :O estes-vous, Birne, mon amy ?Pour exprimer l'excs de mon martyreDe mots pareils ne conviendroit le dire,

    1. C'est une allusion une clbre chanson de cette poque dont ce vers tait lerefrain. Cette chanson exprimait les larmes d'Olimpie, abandonne par Birne (Or-lando Furioso, canto X). L'air s'en retrouve not, dans la seconde partie, p. 127 deLa Pieuse alouette avec son tirelire; le petit cors et plume de nostre alouette sontchansons spirituelles qui luy font prendre son vol.... Valenciennes, 1661.

  • 8 CORRESPONDANTS DE CL. DE CHAULNE

    Si le respect qui doit m'humilier,N'avoit jug cet amy familier.Donc pour tirer ce respect de la gesneJe vous diray, sans vous nommer Birne,Laissant n'agir ce respect qu' demy, O estes-vous, Monsieur et cher Amy? En quel pays, en quel lieu de la terre? De quelles eaux rincez-vous vostre verre? En quelle Eglise os-vous le sermon? De soubs quel air danse vostre poulmon? Quel marchepied supporte vos galoches? De quels clochers entendez-vous les cloches? Bref, sous quel Ciel, quel air ou quel climat Conjuguez-vous amo, amas, amatt Conjugaison plus ncessaire l'estreQue de pinter, de dormir ou de paistre,Lors qu'un objet, par l'organe des sens,En fait souffrir les mouvemens pressants,Qu'une beaut vous inspire dans l'meDes voeux de feu et des dsirs de flame,Lors que nos coeurs obsds par l'amourVeulent quitter le lieu de leur sjour.Or, revenons au vostre et que je sacheDessoubs quel toit vostre pourpoint se cache;Mais quoy sert de me mettre en soucyQue sos l puisque je suis icyEmbarrass dedans ma chacunire,O Fortuna me laissa dans l'ornire,O je n'ay pas seulement de l'espoir,O j'ay des yeux et ne puis vous revoir,Et que flaux qui fessent la Provence 1

    Font tel obstacle mon impatience.Que ne voudrois que fussiez en chemin,De maie peur que vostre parcheminNe s'exposast ce poison funesteQue Mdecins ont appel la peste;Si qu'il faudroit pour estre en Languedoc,Avec seurt mener monsieur Saint-Roc.Or ce bon Saint est dans un lieu sans doute.Dont pour sortir clair-voyant ne voit goutte;Pour l'en tirer les voeux des bonnes gens,Tous les exploits que donnent les sergents,Voire un arrt nous seroit inutileTant Paradis est une bonne ville,

    1. Cette lettre est probablement de 1650, et du mois de fvrier : cette poquela peste tait signale comme svissant en Dauphin et en Languedoc.

    2. Ce Saint est invoqu pour se protger des pidmies.

  • NICOLAS FOUCQUET 9

    O le plaisir attache tellementQu'aucun ne sort sans bien savoir comment;Puis le portier soit qu'on entre ou qu'on sorteTrs rarement en ose ouvrir la porte ;Le bruit des gonds possible hors de proposDes bienheureux troubleroit le repos;Il en pourroit estre mis l'amendeEt s'exposer quelque rprimande;Ainsi je crois et crains avec raisonQue ne pourrez quitter vostre maison.Voil les maux dont mon me oppresseNe peut qu' peine exprimer la pense.Oui, sans mentir, je connois que ce malDe mon burlesque estouffe le canal;Mes vers en ont pris la mine svre,Le groin estroit comme Pre Macaire 1,Cela soit dit sans luy faire d'affront,Carmes et vers la mesme chose sont,Et ne voudrois, Monsieur, pour bonne choseAvoir est si familier en prose,Mais l'on permet de semblables rbusEt poetis et Pic Pictoribus.Si pic deux fois en cet endroit j'allgue,C'est que ma Muse estoit tant soit peu bgue :Bien lui a pris de l'estre en cet endroit,Car autrement syllabe en vers faudroit;Vers ont des pieds autant que les chenilles,Faute de pieds on leur met des chevilles :Carmes aussi pieds et chevilles ont.Mais revenons, Monsieur, celuy dontEst question, il a pour vous l'estimeQu'on ne sauroit vous refuser sans crime;En me parlant de vous, son seul abordM'auroit tir des griffes de la mort,Tant j'ay plaisir de treuver qui me conteDe vos bonts le nombre qui surmonteStellas coeli vel arenas maris,Et la caverne immense des marisQui, front cornu portent comme Mose,Comme Vulcain ou son rival AnchiseEt leurs pareils, que prude AntiquitA dcors de cornicit.Or Dieu nous gard de telle exprience,Et vous de vers dont la longueur offence,

    1. Il est question du Pre Macaire la date de novembre 1650 dans le Journaldes Guerres civiles de Dubuisson-Aubenay. C'tait un carme dchauss homme enrputation de mrite .

  • 10 CORRESPONDANTS DE CL. DE CHAULNE

    Et que je sois boeuf, cerf, bouc ou blier,Plustost que veoir que puissiez oublier

    Vostre trs...

    A MONSIEUR FOUCQUET, LA VEILLE DES ROYS

    Phoeb, pour qui? C'est pour Monsieur Foucquet,Muse, reprens ta verve et ton caquet,Prosne cent vers, sois un peu moins rtive,Inspire-moy, Rondeau, Sonnet, Missive,Bien peu me chaut quelque ce soit des trois,Rien ne te force et tu en as le choix.Ah ! je voy bien que tu ne peux rien faireSans le secours de Monseigneur ton Frre ',Brillant Phoebus, toy que CopernicusFaisant rouler le thtre des cocusRend immobile ainsy qu'une statue,C'est un menteur ou le Diable me tue.Je say fort bien o tu vas te coucherPour donner tresve au mestier de Cocher;L'aime Thtis te reoit dans sa couche,Moites baisers tu reois de sa bouche,Mesme l'on dit que pour la mettre en rutElle consent que tu portes ton lut.Quand je seray comme toy las de boire,Je te promets d'en escrire l'histoireD'un styl si haut, si fort, si relev,Que l'on croira que ma veine a crev.Mais maintenant la pauvre est espuise,Fais la grossir de la sainte roseQue te produit, par ces douces vapeurs,Un beau vallon que cultivent tes Soeurs.Je ne saurois boire de leur FontaineEt ce nom seul me maltraite et malmne :Estre de feu dans ce moite lmentIl n'appartient qu' toy tant seulement.Mais sans mentir, je t'en croirois indigneSi tu n'avois au Parnasse une vigne;C'est de son jus et non pas de son eauQue je prtends m'eschauffer le cerveau.Ce suc divin fait produire en mon meDes vers de feu et des pensers de flame,

    1. Franois Foucquet, n le 22 juillet 1612, conseiller au Grand-conseil en 1632, etau Parlement en 1633, abb de Saint-Sever en 1641, vque de Bayonne en 1637,d'Agde en 1643, de Narbonne en survivance en 1656, titulaire en 1659 et relgu Alenon en 1661.

  • NICOLAS FOUCQUET 11

    J'en ay tant bu que j'en ay le hocquet.Laissons Phoebus, revenons Foucquet :Rare Monsieur, et si je t'incommodeC'est par ces vers fagotts ma mode,Que tu verras que ton esloignementFust de mes jours le plus fascheux moment.J'ay veu cent fois ma constance abattuePar ce malheur dont le penser me tue.

    Depuis ce temps cent maux m'ont assailli,J'en ay l'esprit dconfit et vieilli.L'on ne dit plus Vaux

    1quand on me raille

    Que j'ay le groin barbouill de grisaille,Certainement on le dit tout de bon,Moy qui jadis fut plus noir qu'un charbon,Qui suis plus gris que n'est la cendre esteinte,J'ay bien raison de former cette plainte;Chacun me chasse et me dit : Hors d'icy, Vieillard chagrin, triste, morne, transy, Et plust au Ciel qu'on m'eust chass encore

    Jusques aux lieux o se lve l'Aurore,Et que le sort peust permettre en ces lieuxLe doux plaisir de vous voir mes yeux ;Je reprendrais cette couleur vermeilleEt cet clat brillant de la bouteilleQu'on t'apportoit pleine de vin lucquois;Piteuse mort de son fatal carquoisEn dcochant une maligne flescheDedans le coeur de ton maistre a fait bresche:Disons pour luy Messe de requiem,Car Dieu mercy son vin se porte bien ;Mais le plaisir d'en humer ne me touche :Estant sans vous, je ne suis qu'une souche;Ost l'espoir que j'ay de vous revoir,Rien ne me plaist, rien ne peut m'esmouvoir.Ah ! que ce bien o je n'ose prtendrePour mon malheur se fera bien attendre !Tous mes amis que je ne nomme pas,Qu'on peut nommer amis de Gigondas,Vont languissant dans une mesme attente.Se peut-il pas qu'un bon dmon vous tente?Que vous soyez encor nostre intendant,Car maistre Yvon passe pour curedent;

    1. Foucquet fit travailler Vaux ds 1610, mais les grands travaux du chteau necommencrent qu'en 1656.

    2. Pierre Yvon, sieur de Lozires, le plus jeune fils de Paul Yvon, sieur de LaLeu, l'Hommeau, le Plomb, Saint-Maurice et Lozires, mari Marie Tallemant,fille de Franois Tallemant.

    Ce Pierre Yvon, conseiller au Parlement le 18 janvier 1636, avait t nomm, en

  • 12 CORRESPONDANTS DE CL. DE CHAULNE

    Au nom d'Yvon l'on peut dire sans douteUn qui vous quille ou bien un qui vous f...,Quand je dirois ce mot tout aujourd'huyCe ne seroit, sur ma foy, que pour luy.Telle antienne ou bien telle prireConvient fort bien monsieur Saint-Lozire ;N'en faisons plus commmoration,Il treuve icy peu de dvotion :Il se trmousse, il traite et quoy qu'il fasse,Il ne fait rien que de mauvaise grce,Les compliments sont parfois dans l'excez,Et bien souvent il n'en fait pas assez

    ' ;Considrant ses moeurs et sa personne,Dans cet employ ce mauvais choix m'estonne,Voire il me sucre, un autre auroitdit f...,Mais en ce temps on n'ose dire tout.

    Quoy qu'il en soit ou quoy qu'il en puisse estre,Soons d'accord que c'est un pauvre prestre 2;Souhaitons-luy que durant tout cet anJe n'aye point d'autre amy que Jourdan ,Que la Louvat 4 luy soit toujours farouche,Qu'il ait son cul lorsqu'il voudra sa bouche,Et que Brlon

    6luy coupe son outil.

    Amen trois fois, amen, ainsi soit-il.Le brave Coste 6 enrage, peste, jure,Le luy nommer, c'est luy faire une injure.De tous les biens aucun ne nous est douxQue d'estre seuls et de parler de vous.

    1645, intendant de justice et de police de Dauphin, la suite de la disgrce deNicolas Foucquet.

    Il est longuement question de Pierre Yvon dans l'Historiette de Tallemant : LaLeu et Lozires et madame de Lalane.

    1. Il cajolloit partout et cajolloit d'une faon pitoyable : vous eussiez dit qu'ilprononoit un arrest: il estoit pesant la main. C'estoit un grand homme tout d'unepice; jamais homme n'eut tant de besoing de sacrifier aux Grces... (Tallemant).

    2. Il prit tout d'un coup (dans sa jeunesse) le petit collet aprs s'tre fait catho-lique; mais il ne portait point la soutane et n'avoit point de bnfices.... Lozires seremet estudier le latin et se fait recevoir conseiller d'Eglise au Parlement deParis... (Tallemant).

    3. Ce Jourdan ne serait-il pas le pre de Gaspard Jourdan, baron de Saint-Lagier,conseiller du roi et trsorier de la Gnralit de Provence en 1706 ?

    4. Anne, fille de Jacques Louvat, sieur de Barberon, et de Angle de Ponchon.Mademoiselle de Louvat, eut en 1641, avec M. de Valencin une aventure qui n'abou-tit pas un mariage. En 1662, elle est l'objet d'un quatrain cynique dans une satirecontre les dames de Grenoble : Galanteries grenobloises :

    Si vos actions sont sans crainteVos plaisirs seront sans profit,Si d'hazard, vous estes enceinte,C'est plutost d'un doigt que d'un....

    5. Jean Dageant, sieur de bruslon, fils de Gaspard Deageant. Il mourut le 1er juil-let 1650.

    6. Voir sur Coste, p. 5, note 1.

  • NICOLAS FOUCQUET 13

    A MONSIEUR FOUCQUET, MAISTRE DES REQUESTES

    En ce saint temps que l'on nomme Caresme,O l'on deffend chair, oeufs, fromage et cresme,O le poisson est mon seul aliment,Je ne vous fais qu'un maigre compliment;Ces dures loix de qui la tyrannieDestruit le corps, affoiblit le gnie,Et je ne puis croire qu'un affamQuoy que pote ait jamais bien rim!Ces bons seigneurs s'eschauffent la bedainePar l'hypocras mieux que par l'Hipocresne.Certain autheur que j'ay, filett d'or,Fait de l'esprit le ventre largitor 1,Ventre autant plein, car personne ne cuide

    Qu'oncques Nature ait pu souffrir le vide,Qui se remplit plustost d'air et de vent,En cet estt rduit trs peu souvent;Mais maintenant ce temps de pnitence,Malgr mes dents me force l'abstinence,D'o je me sens si foible et si flouetQu'en vous parlant je demeure arouet 2.Muse, m'amour, mets ta verve en campagne,Eschauffe-toi d'un doigt de vin d'Espagne,Mets sur ta peau cette peau de vautourA qui je fais assez souvent ma cour.Ah! je ressens une chaleur nouvelle,A mon secours, moy, Jean de Nivelle!Sus petit doigt, Guridon, Pont-breton,De vostre style je veux pour un teston 3Dont maistre Yvon 4 fournira la matire,Autant ou plus que cette ville entire,Car ce Monsieur depuis qu'il est icyDe cent muzeaux est l'amoureux transy;C'est l'Intendant de toutes nos coquettes;Il change moins d'habits que d'amourettes;Son secrtaire et messieurs ses valetsEscrivent moins en procs qu'en poulets;Avec amour il ne fait point de tresve :Aprs la femme, il veut avoir la vesve,Et puis la fille, et, surprise, en ce choixIl n'en a point, les voulant toutes trois!

    1. Gnreux (?). Dans l'ancienne langue Largiteur signifiait celui qui donne large-ment.

    2. Arouet, pour enrou.3. Guridon, chansons nouvelles.4. Pierre Yvon, sieur de Lozires, voir p. 117, note 2.

  • 14 CORRESPONDANTS DE CL. DE CHAULNE

    Mes fuseliers 1 pour garder mes conquestes Auront toujours, dit-il, les armes prestes; Quelques bijoux et quelques diamants M'rigeront en Phnix des Amants. Pour les beaux pas, pour la mine et la grce, Dans tous les bals, j'ay la premire place, Si l'on m'avoit frott de Tripoli Je ne serois plus net ny plus poli. En mots nouveaux, en contes, en sornettes, En quolibets, rbus et chansonnettes, En bouts rimez je suis, mon doux Jsus, Une autre fois plus riche que Crsus. Des vrais amants, je suis le prototype, Et le jardin de dame Rhtorique N'a pas de fleur dont le mignard bouquet N'ait adouci le bruit de mon caquet. Je say par coeur six tomes de Cassandre 2, J'ay le gousset aussi doux qu'Alexandre; Bref, devant moy, je croy, sans me flatter, Qu'il n'est beaut qui puisse rsister. A tout cela Jourdan 3, le vridique,Ayant touss, puis crach, luy rplique : Mervois4-vous et vous croirez un fou, Je veux, Monsieur, qu'on me casse le cou Si vos discours n'ont trop de modestie, Je m'en rapporte Coste, la Btie 5, Vos qualitez peuvent pour leurs tesmoins Produire ceux qui vous aiment le moins. Mais, brisons-l, car vous faites la moue A qui vous dit du bien, qui vous loue;

    Ainsy ces gens, se flattant crdit,Croiront tout seuls aux douceurs qu'ils ont dit.Ce bon prlat 6 toujours l'autre cajolleQui craint, dit-on, d'en prendre la vrolle;Qu'elle leur vienne, et que ce doux printempsDessus leur front cent boutons esclatantsD'un chapelet, pour le dire ses festes,Puisse parer leurs hroques testes ;Qu'ils soient toujours esloignez de ces lieux,Qu'ils soient l'horreur et des coeurs et des yeux,

    1. Pour fusilier, soldat d'infanterie porteur d'un fusil.2. Cassandre, roman publi en dix volumes de 1643 1645, de Gautier de Coste,

    seigneur de La Calprende, et rimprim plusieurs fois.3. Jourdan, voir p. 12, note 3.4. Mervoier ou marvoier, dans l'ancienne langue, signifiait entrer dans une mauvaise

    voie, s'garer dans ses paroles, extravaguer, etc.5. La Btie de Chaulne : Claude de Chaulne : Pour Coste, voir note i, p. 5.6. Pierre Scarron, vque de Grenoble.

  • NICOLAS FOUCQUET 15

    Qu'ils soient l'objet des fines mdisancesEt l'ornement des plus hautes potences,Ou que, du moins, ils soient tousjours couvertsDe beaux bguins et francs chaperons verts;Que cet oiseau qui roussine merveillesDe qui Midas emprunta les oreilles,De cent baisers les aille caressant,Et que ce bien aille toujours croissant.Que direz-vous de l'ardeur qui m'emporte?Je ne saurois en parler d'autre sorte,Et ne croy pas devoir d'autre douceurA vostre indigne et lasche successeur;Que si pourtant vostre bont se piqueDe ce discours semi-pangyrique,Quand Jupiter devroit sur moy tonner,Je vous promets de n'y plus retourner.Grand Jupiter, toy qui as form l'hommeOu n'en fais plus ou bien fais-nous les commeNostre Foucquet; fais qu'il nous soit rendu;Dans ce moment que nous l'avons perdu,Coste, Daubi , Bruslon et La Btie,Ont bien senti ta main appesantie;Il n'est point d'homme, hors quelque beuveur d'eauQui n'ait subi la rigueur du flau,Pire cent fois, et cent fois plus funeste,Que n'est la faim et la guerre et la peste.Finir par l, certes c'est mal finir;Mais je ne puis plus vous entretenir :Maistre Apollon dont je suis secrtaireM'a command de finir et me taire.J'aimerois mieux voir mon mestier noie,Que le faisant vous avoir ennuie,

    Au mois de Mars auquel les hirondellesDes pays chauds apportent des nouvelles,Le vingt-et-neuf, ainsy que je le crois.Si j'ay failli, comptez-le par vos doigts.

    A MONSIEUR LE SURINTENDANT FOUCQUET

    Depuis longtemps, vostre bont le sait,Ma triste Muse a tenu le tacet,De vos concerts se connoissant indigne,Entonn n'a pour vous verset ni ligne;

    1. Coste, Bruslon (Dageant), La Btie (Ch. de Chaulne) ont dj t cits. Ils'agit probablement d'un Dauby, conseiller au Parlement de Grenoble, moins quece ne soit Barthlemy Dauby, cuyer ordinaire de la Grande Ecurie du Roi, lieu-tenant de la Compagnie du duc de Lesdiguires Grenoble.

  • 16 CORRESPONDANTS DE CL. DE CHAULNE

    Puisqu'aucun nom de Parnasse elle n'aSouffrez que je la nomme Entonnna ;Entonnna donc gardant le silence,S'est fait, Seigneur, beaucoup de violence,Et le respect qu'on doit vos emploisA retenu sa plume dans mes doigts.Les soins divers o l'Estal vous appelleNe peuvent plus souffrir la bagatelle,Et quand un Saint prest canoniserAuroit os vous bagateliser,Sa saintet dans ce moment ternieL'auroit banni de toute litanie,L'auroit banni de tout droit d'oremus,Le Saint enfin seroit rest camus.Quand nous saurions mesme que son imageDes autres nez pourraient prtendre hommage ;Pour moy qui ne suis pas des plus hardis,Qui suis des moindres Saints du Paradis,J'ay deub tout craindre et n'oser vous escrire,Mais quel malheur pourroit m'arriver pireQue veoir mon nom dans vostre souvenirHors de ce rang qu'il y souloit

    1 tenir.Mille jaloux riroient de ma disgrceEt dans l'espoir de m'y ravir la place,Dans ce silence honteux et criminelMe noirciroient d'un opprobre ternel.J'aymerois mieux qu'Entonnna fut more,Et, s'il se peut, mesme plus brune encore.Quand vostre accueil eust fait sa vanitElle se crut Muse de qualit :Elle faisoit la brune et la gentille,Et dbitoit des rimes par la Ville ;L'on disoit bien : Il est bien de besoin, Ces vers ne sont que l'essence du foin Dont se nourrit celuy qui les compose ;Dans ce rebut je reprenois ma prose,Et me faisant la grce de m'aimerVous m'ordonniez encore de rimer.Mais maintenant, Seigneur, par parenthse,Il est esgal qu'on chante ou qu'on se taise;Quand mes chansons feroient vostre plaisirMille desseins tueroient vostre loisir.Vos deux emplois 2 n'en n'ont jamais de reste,Chacun des deux au loisir est funeste;

    1. Avait coutume, du verbe souloir , avoir coutume.2. Foucquet avait la charge de procureur gnral au Parlement depuis 1650 et celle

    de surintendant des finances avec Servien, depuis 1653.

  • NICOLAS FOUCQUET 17

    Seul ennemy de vos nobles travauxIl va chercher soubs les arbres de Vaux,Ne pouvant plus vous aborder en ville,Un lieu secret qui luy serve d'azile.Il me souvient que le bruit importunDe Messeigneurs les Tambours de Melun,Ne croyant pas de pouvoir le surprendre,S'en vint un jour le sommer de se rendre,Le menaant de luy donner assaut;Mais il traita le drle comme il faut :Sans se troubler, sans se mettre en deffence,Il luy fit veoir le calme et le silence,Qui reposoient soubs l'ombre d'un OrmeauVictorieux du murmure de l'eau ;Le bruit resta confus de son audaceEt le loisir seul maistre de la place,Qui, toutefois, n'est pas bien volontiersD'intelligence avec vos ouvriers ;Mais il prtend, malgr leur entreprise,De les chasser comme pteurs d'Eglise,Par un secours que luy promet le temps ;Alors, Seigneur, mes voeux seront contens.Lors sans troubler le cristal des coulettes,Nos colibets, nos chansons, nos sornettes,Et mon rebec, si je say l'accorder,Ne craindront plus de vous incommoder.En attendant, permettez-moy de grceQue je consulte avecque le Parnasse,Et qu'aprenant de nouvelles douceursDans les concerts de ses savantes Soeurs,J'ose esprer, sans estre tmraire,Le bien charmant qu'il y a de vous plaire :C'est le seul but de mon ambition !Quand je devrois tre comme Ixion,Par Jupiter clou sur une roue,Je m'en rirois, et luy ferois la mou.Dans ce dessein, rien ne peut m'arrester,Et mon respect aura beau contester,Je seray sourd et je luy feray niche.De vos pareils la Nature est peu riche,Un sicle entier peine en peut donner;Quand il les donne, il les faut mittonner.

    Pour ne pas tmoigner un sentiment contraire,Pour viter tout accident,

    Il faut finir, Seigneur, vous bnir et me taire,Bien que l'on n'ait jamais bni Surintendant.

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  • 18 CORRESPONDANTS DE CL. DE CHAULNE

    A MONSIEUR LE SURINTENDANT

    Ma Muse en deuil de veoir que ses pensesSont par le faix de mes jours abaisses,Que son Phoebus n'estant plus jouvenceauSes vers ont peu de l'esclat du ponceau,Qu'ils n'en ont plus qu'une foible teinture,Que sa rimaille en changeant de natureL'expose encor pourtant rimailler ;Hlas! Seigneur que vous allez baillerSi vous lisez cette ennuyante lettre ;Il vaudroit mieux beaucoup n'y plus rien mettre,Et sans produire un si fascheux effetLa terminer par un Ma foy, c'est fait. Mais qu'en diroient les amis de Voiture?De son rondeau gaster l'architecture,Luy desrober et la base et le front,Seroit luy faire un trop sensible affront 1.Monsieur Costart prenant la dfensiveSeroit petit escrivain de missive,Et feroit tant de bruit pour ce larcin

    Qu'il vaudroit mieux que j'eusse le farcin.Farcin pourtant maladie est mortellePour tout cheval alezan, isabelle,Aubre, blanc, rouan, noir, gris et bai.Donc tout cheval farcineux n'est point gai.C'est une peste trange et dangereuse.Faisons du moins ma lettre farcineuse,C'est le moyen de luy donner le feuEt de ne vous ennuyer que bien peu.Mon cher Seigneur, si ma lettre vous blesse,Supprimez tout, n'en lisez que l'adresse,Vous y verrez un nom qui sait charmer,Un nom qui touche et qui se fait aymer ;Mais ut octo huict lettres qu'on rassemble,Font ce beau nom quand elles sont ensemble,Et quitteroient volontiers l'AlphabetPour ne servir dsormais que Foucquet :F fuiroit jusques au bout du monde,O rouleroit sur la terre et sur l'onde,S'il n'estoit point ce nom attach,U ne vit plus, s'il en est arrach,

    1. Il s'agit du clbre rondeau de Voiture : Ma foi, c'est fait de moy, car Isabeau ,qui avait paru anonyme dans le Recueil de divers Rondeaux de 1639 et ensuitedans les OEuvres de Voiture, 1650, in-4.

    2. Costar, chanoine du Mans, qui venait de publier : La dfense des OEuvres deVoiture, 1653.

  • NICOLAS FOUCQUET 19

    C court toujours de crainte qu'il n'eschappe,Le Q sans bruit s'assied comme un satrape,U qui s'y voit une seconde fois,En est plus fier qu'aux noms des derniers Roys,E sans ce nom nous dit qu'il veut point estre,T qui tient tout des autres se croit maistre,Et se riant et se mocquant de tout, Enfin, dit-il, j'ay tenu le bon bout! Teint, Taille, Traits, qui faites qu'on souspire,Sans qui l'Amour se verroit sans Empire,Je ne veux plus servir en si bas lieu,Et je vous dis un ternel adieu!Quelques beauts qui m'en fassent la mine,Je suis trop fier du nom que je termine :Vnus souloit, qui m'avoit emprunt,Me veoir encor soustenir sa beautDont elle craint la juste dcadence,Et j'en suis mesme avec elle en instance;Mais par faveur l'on m'a mis au parquetO l'on conclut que je serve Foucquet;Mais si quelqu'un dsormais se proposeDe m'employer soit en vers, soit en prose,Ce ne sera que pour luy seulement,Pour ses bonts et non pas autrement,Pour sa vertu, car sa vertu m'employe,Dont j'ay beaucoup et de gloire et de joye,Et sans avoir l'honneur d'estre mandJe sers au Saint de monsieur Saint-Mand 1.Pour Vaux du moins j'en enrichis les plainesPar le cristal dont brille ses fontaines,C'est moy qui fais esclater leur argentQui sonneroit assez mal autrement,Qui rend ce lieu si beau, si dlectable;Il m'a donn le haut bout de sa table,De ses tableaux j'ay form chaque trait,Je le sers mesme en son divin portrait ;Je suis charm de l'employ qu'il me donne,Et l'aime plus cent fois qu'une couronneDont la puissance et toute la grandeurNe m'a rien plus touch que sa rondeur.Monsieur le T ma Muse est offenseDe tout rouler sur la mesme pense.Vous sermons du matin jusqu'au soir,Vous la mettrez enfin au dsespoir;

    1. Maison de campagne de Foucquet.2. Il s'agit certainement de la lettre T, cite ci-dessus, qui termine le nom du

    surintendant Nicolas Foucquet.

  • 20 CORRESPONDANTS DE CL. DE CHAULNE

    Vous avez trop prosn vostre louange :Le dsespoir est une chose estrange,Le dsespoir a fait mille pendusMal propos dessus l'air estendus.Lors que Didon l'amante infortuneVit le talon et le gigot d'Ene,Car les talons sont bien prs du gigot,De son beau corps elle fit un fagot,Et, dans sa cendre, elle estouffa la flameDu feu secret qui dvoroit son me;Le dsespoir la prenant tel pointQu'elle en brla le moule du pourpoint,Si vous voulez celuy de la chemise ;Le dsespoir de la belle Arthmise

    Luy fit gober de cendres un boisseauDe son mary mort jaloux et rousseau,L'Histoire dit qu'il avoit nom Mausole;Quand Marc-Anthoine eut perdu la parole,Cloptra qui n'avoit pas le ticSe fit piquer d'un venimeux aspic;Lors que Tarquin tarquinisa Lucrce,Et qu'il en eust la dernire caresse,Le dsespoir de ce brutal dessein

    Excut, luy mit le fer au sein;La vertu lors se vist estre victimePar cette mort de l'ordure et du crime,Qu'un autre sicle eust fait voir abattuDessoubs les pieds d'une haute vertu.Certain romain nous apprend qu'Aristote,Qui n'avoit pu fourrer dans sa calotteLe mouvement du flus et du reflus,Luy dit Adieu ! je ne te verray plus .Le dsespoir avoit esmeu sa bile,Il se jetta dans l'eau comme une anguille,Sans doubte il creut de recevoir leonSur ce sujet de quelque vieux poisson;Il y prit et fut poisson luy-mesme,Et l'on permet de le lire en caresme.Remmorer ces tragiques effets,Vous les savez. Dieux! qu'est-ce que je faisDe m'amuser vous citer l'histoire?Le dsespoir est chose affreuse et noire,Et d'en avoir l'esprit embarrassMieux me vaudroit un nez de trpass,Quand il seroit comme un bec de bcasse.Mais ce discours impertinent vous lasseEt vos bienfaits pourroient me reprocherD'avoir est facile vous fascher.

  • NICOLAS FOUCQUET 21

    C'est un faux pas que je ne dois point faire,Ma passion m'ordonne de me taire,Et mon respect qui ne peut la quitterLuy tient la bride e,t me fait arrester.Lors qu'un dsir pressant me solliciteDe rendre hommage aux vertus, au mrite,Le vostre seul ose se prsenter,Dieu sait, Seigneur, si je puis contester.Mais