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Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph KI-ZERBO N° 05- Oct. 2016, Vol. 2 152 FACTEURS ANTHROPIQUES ET DYNAMIQUE D’OCCUPATION DES TERRES DANS LE PARC NATIONAL DE LA COMOE, EN COTE D’IVOIRE KONAN Kouadio Eugène, KANGAH Armand & ATTA Jean-Marie Kouacou Institut de Géographie Tropicale (IGT), Université Félix Houphouet Boigny, E-mails : [email protected], [email protected] et jeanmarie_kouac@ yahoo.fr RÉSUMÉ De nos jours, la sauvegarde de l’environnement est au centre des préoccupations de développement. Les nouveaux efforts consentis par l’homme pour limiter les impacts de ses activités sur son milieu et préserver ses ressources sont à l’origine de nombreuses évolutions. A l’heure de cette nouvelle « prise de conscience » écologique, la question de la gestion des aires protégées, de la conservation de leur biodiversité, est un enjeu primordial. La présente étude se propose de montrer l’apport de la télédétection et des SIG dans l’étude des impacts des pressions humaines sur les aires protégées. Il s’agit notamment de caractériser la dynamique d’occupation du sol, et de déterminer les facteurs de dégradation de la couverture végétale. Pour atteindre ces objectifs, de nombreuses données ont été mobilisées : des images des satellites Landsat TM et ETM+, des données démographiques, et des données de terrain. L’approche combine l’étude diachronique de l’occupation du sol et l’analyse des données cartographiques et socio-économiques pour mettre en évidence les états successifs du couvert végétal et son évolution entre 1986 et 2013 dans le Parc National de la Comoé. Les résultats montrent que plus de 3/4 de la couverture végétale du site d’observation ont été conservés. Les surfaces forestières et savanicoles occupent en 2013 environ 93% de la superficie totale du parc. Mots clés : Télédétection, pressions humaines, biodiversité, aires protégées, Côte d’Ivoire

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FACTEURS ANTHROPIQUES ET DYNAMIQUE

D’OCCUPATION DES TERRES DANS LE PARC

NATIONAL DE LA COMOE, EN COTE D’IVOIRE

KONAN Kouadio Eugène, KANGAH Armand & ATTA Jean-Marie

Kouacou

Institut de Géographie Tropicale (IGT), Université Félix Houphouet Boigny,

E-mails : [email protected], [email protected] et

jeanmarie_kouac@ yahoo.fr

RÉSUMÉ

De nos jours, la sauvegarde de l’environnement est au centre des

préoccupations de développement. Les nouveaux efforts consentis par l’homme

pour limiter les impacts de ses activités sur son milieu et préserver ses ressources

sont à l’origine de nombreuses évolutions. A l’heure de cette nouvelle « prise de

conscience » écologique, la question de la gestion des aires protégées, de la

conservation de leur biodiversité, est un enjeu primordial.

La présente étude se propose de montrer l’apport de la télédétection et des SIG dans

l’étude des impacts des pressions humaines sur les aires protégées. Il s’agit

notamment de caractériser la dynamique d’occupation du sol, et de déterminer les

facteurs de dégradation de la couverture végétale.

Pour atteindre ces objectifs, de nombreuses données ont été mobilisées : des

images des satellites Landsat TM et ETM+, des données démographiques, et des

données de terrain. L’approche combine l’étude diachronique de l’occupation du sol

et l’analyse des données cartographiques et socio-économiques pour mettre en

évidence les états successifs du couvert végétal et son évolution entre 1986 et 2013

dans le Parc National de la Comoé.

Les résultats montrent que plus de 3/4 de la couverture végétale du site

d’observation ont été conservés. Les surfaces forestières et savanicoles occupent en

2013 environ 93% de la superficie totale du parc.

Mots clés : Télédétection, pressions humaines, biodiversité, aires protégées, Côte

d’Ivoire

FACTEURS ANTHROPIQUES ET DYNAMIQUE D’OCCUPATION DES TERRES

DANS LE PARC NATIONAL DE LA COMOE, EN COTE D’IVOIRE

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ABSTRACT

Anthropogenic factors and dynamics of land use in the Parc national de la

Comoé, Côte d’Ivoire

Nowadays, the protection of the environment is in the center of the concerns. The

new efforts authorized by the man in order to limit his impacts on its natural

environment and to preserve its resources are in the beginning many evolutions. At

the time of this new ecological “awakening”, the question of the management of the

protected areas, conservation of their biodiversity, is a paramount challenge. The

present study proposes to show Remote Sensing and GIS contribution’s in the study

of the impacts of the human pressures on the protected areas.

The goal is to characterize by using the techniques Remote Sensing, the dynamics of

land cover types in the park , then from the SIG to determine the main factors of

land cover degradation by analysis of the impact of the human activities and finally

to evaluate the risks of degradation of the vegetable diversity of the park.

To reach these goals, this study is based on satellites Landsat MT and ETM+

images, demographic data, as well as data of campaigns of ground. The diachronic

study of the occupation of the land cover led with the cartographic and socio-

economic data analysis makes it possible to highlight the successive states of

vegetable cover and its evolution between 1986 and 2013 in the National park of

Comoé.

The multi- analysis dates (on 1986 and 2013) realized, reveals that more than 3/4 of

the vegetable cover of Comoe National park were preserved. Forest and Savana

occupy in 2013 approximately 93% of the park.

Keywords: Remote Sensing, SIG, human pressures, biodiversity, protected areas,

Côte d’Ivoire

KONAN Kouadio Eugène, KANGAH Armand & ATTA Jean-Marie Kouacou

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INTRODUCTION

La déforestation compte parmi les dérives écologiques les plus

difficiles à maîtriser. Dans les années 1980, l’ampleur du déboisement

mondial a atteint 15 millions d’hectares par an (Word Rainforest Movement,

2008). Sur la période 1990-2005, l’Afrique a perdu 9,1% de sa superficie

forestière, tandis que l’Europe a augmenté la sienne de 1,2% (Duval et Wolff,

2009). Le déboisement est causé à 90% par les pratiques agricoles non

durables, tandis que l’exploitation et la plantation forestière contribuent

surtout à la dégradation des forêts (Word Rainforest Movement, 2008).

Dans le cas de la Côte d’Ivoire, qui disposait dans les années 1900

d’un couvert forestier de 16 millions d’hectares (U.E, 2006), la croissance

économique enregistrée en 1980 s’est faite au détriment de ses ressources

forestières. En effet, depuis plus de vingt ans, le développement de la Côte

d’Ivoire est principalement axé sur l’économie forestière. Ce qui fait que la

forêt ivoirienne subit de fortes pressions diverses entraînant une dégradation

massive des ressources naturelles renouvelables. Toutes les études au sujet de

la déforestation dans les pays tropicaux ont conclu que la Côte d’Ivoire a

connu l’un des taux de déboisement le plus rapide au monde (6% / an)

(Yedmel, 2004).

La déforestation en Côte d’Ivoire a réduit l’extension des forêts dans

les aires protégées. La plus grande partie de la surface forestière a été

transformée en terre agricole.

Les actions des populations riveraines sur les aires protégées entraînent

chaque année la disparition de plusieurs milliers d’hectares de forêt. Il est

donc important d’analyser et de mesurer le sens de l’évolution de la pression

humaine et son impact sur ces environnements écologiquement fragiles.

La présente étude se propose d’évaluer avec l’apport de la Télédétection et

des SIG, les impacts des pressions humaines sur l’intégrité et la biodiversité

du Parc National de la Comoé. Elle est constituée des caractéristiques de la

zone d’étude, de la méthodologie, des résultats et discussion.

1. LA ZONE D’ÉTUDE

Le Parc national de la Comoé est situé dans le nord-est de la Côte

d'Ivoire entre les latitudes 8°30' et 9°37' nord et les longitudes 3°07' et 4°26'

ouest (figure 1). Il est à cheval sur 5 Sous-préfectures qui sont Téhini et

Bouna au nord et à l’est, Nassian au sud et au sud-est, Kong à l’ouest et au

nord-ouest, et la sous-préfecture de Dabakala au sud-ouest. C’est un

ensemble constitué par la Réserve de Faune de Bouna crée en 1942 et de la

Forêt Classée de Kong. Il a été élevé au rang de PNC en 1968 par décret n°

68-81 du 09 Février 1968, puis en Réserve de Biosphère de la Comoé (RBC).

Sa superficie totale, d’abord de 1 150 000 hectares, a ensuite été ramenée à

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1 149 150 ha à la suite du déclassement, en 1977, par décret n°77-116 du 25

Février 1977 d’une superficie de 850 ha. Le climat qui prévaut sur l'ensemble

du Parc national de la Comoé est du type tropical subhumide. Il appartient à

la région des « plateaux du nord », vaste pénéplaine d'une altitude moyenne

de 300 mètres. Son réseau hydrographique est presque entièrement constitué

par le fleuve Comoé et ses affluents dont il porte le nom. L’espace Comoé

appartient au domaine soudanien, à la transition entre les secteurs sub-

soudanien pour la plus grande partie et soudanien au nord et nord-est. Les

formations végétales caractéristiques de ce domaine sont les savanes, les

forêts claires et les forêts denses sèches. La diversité des formations végétales

et des différents écosystèmes confère à la zone une importante diversité

faunique.

Figure 1 : Localisation du Parc National de la Comoé

2. METHODOLOGIE

Trois séries de données sont utilisées pour la réalisation de cette

recherche. Il s’agit des données optiques, auxiliaires et de terrain.

Deux images optiques (1986 et 2013) de la scène 196-054 sont utiles pour ce

travail. Il s’agit des images des satellites Landsat TM et ETM+.

Les données auxiliaires proviennent des Recensements Généraux de

la Population et de l’Habitat de 1998 de l’Institut National de la Statistique

(INS) et concernent la population des localités riveraines du parc de la

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Comoé. Elles contribuent à apprécier l’évolution de la population dans le

temps et dans l’espace.

Des missions de terrain ont été organisées en vue de :

- identifier et caractériser les types d’occupation et d’utilisation du sol

sur l’espace d’étude (surfaces naturelles et surfaces de culture),

- identifier et caractériser la vulnérabilité du milieu à la dégradation du

couvert végétal.

L’observation directe a eu pour cadre l’espace restreint du parc. Ces

visites ont consisté à identifier les espèces végétales et à repérer les indices de

l’action des populations dans le parc. Le repérage de tous les éléments a été

possible grâce à l’utilisation d’un GPS.

Le traitement et l’analyse des données ont porté essentiellement sur le

traitement des images, et leur intégration dans un environnement SIG pour

leur exploitation.

Deux grands thèmes sont identifiés dans l’analyse de l’occupation du sol.

Il s’agit des espaces naturels et des espaces anthropisés. Après ce premier

niveau de discrimination des espaces, une deuxième étape a consisté à

l’identification des objets au sein de chaque grand thème. Au niveau des

espaces naturels, on a obtenu 4 niveaux de discrimination :

- forêt dense sèche / forêt galerie,

- savane arbustive / savane boisée,

- savane arborée / savane herbeuse,

- eau.

S’agissant des espaces occupés par l’homme, 2 niveaux ont été ressortis :

- zone agricole / jachère,

- habitat / sol nu.

Au total, ce sont 6 thèmes qui sont retenus dans l’analyse et la

cartographie de l’occupation du sol.

La nomenclature étant définie, la tâche suivante a consisté à produire les

cartes d’occupation du sol. La cartographie a procédé à une reconnaissance et

une identification des types d’occupation du sol sur les images satellitaires.

L’identification des objets à cartographier a nécessité l’élaboration de

compositions colorées ou « images en fausses couleurs » (O’Neill, 1996).

L’interprétation visuelle de compositions colorées multidates a permis

d’utiliser les caractéristiques de l’image comme la texture, la taille, la forme,

le voisinage des objets et les connaissances propres de l’interprète.

L’étude a utilisé la technique de classification dirigée qui est une

classification hiérarchique par étapes successives ou classification

hiérarchique pseudo-dirigée (Fotsing, 1998). Ce modèle de classification

consiste à exécuter des partitions successives sur un ensemble de pixels et à

isoler au fur et à mesure les pixels considérés comme bien classés. Le choix

porté sur cette méthode s’explique par la forte hétérogénéité des éléments de

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l’occupation du sol et la grande probabilité de confusion de certaines

composantes.

L’algorithme utilisé pour la classification est le « maximum de

vraisemblance » qui se présente comme la plus efficace dans la production

des cartes (Bonn F et Rochon G, 1992). A travers cet algorithme, la

distribution des pixels au sein de chaque classe suit une loi normale. En effet,

les pixels sont affectés aux échantillons les plus proches selon la distance

bayésienne, qui calcule la probabilité qu’a un pixel d’appartenir à une classe

donnée. Le pixel est affecté à la classe pour laquelle la probabilité est la plus

forte. Cette méthode classe tous les pixels sauf si on pratique un seuil de

probabilité en dessous duquel les pixels n’ont pas d’affectation.

Des analyses sont appliquées aux images issues de la classification. Il s’agit

de l’estimation de la qualité de la classification. Ces analyses portent sur la

matrice de confusion.

Dans cette étude, on a utilisé l’image de 2013 pour estimer la qualité

de la classification mais, surtout pour vérifier la fiabilité de la méthode

utilisée.

L’analyse de la matrice de confusion consiste à déterminer la

précision globale et le coefficient de Kappa. Ils désignent le rapport entre le

nombre de pixels bien classés et le nombre total de pixels de référence. Sur

l’image de 2013, la précision globale de classification de 93,67 % et le

coefficient Kappa de cette image est de 92 %.

Les valeurs statistiques fournies par ces deux indicateurs montrent la

nette correspondance entre les images classifiées et les objets de référence

(tableau I).

Tableau I : Matrice de confusion de l’image de 2013

Images Landsat, 2013

Les pixels issus des classes de référence ont entièrement été affectés à

plus de 80 %, voire 90 %. Cependant, on constate que ce sont les pixels des

Types

d’occupation

du sol Fd/Fg

Sarbu/

Sb

Sarbo/

Sherb Eau

Zone

agri 1

Zone

agri 2 Hbt/ Sn

Fd/Fg 94.50 0.96 0.00 0.00 3.50 0.96 0.00

Sarbu/ Sb 4.17 89.55 4.94 0.00 0.00 0.33 0.00

Sarbo/ Sherb 0.00 10.45 83.28 0.00 0.00 0.34 5.93

Eau 0.00 0.00 0.00 100 0.00 0.00 0.00

Zone agri 1 2.13 0.00 0.00 0.00 95.03 2.84 0.00

Zone agri 2 0.00 0.00 3.07 0.00 0.84 96.09 0.00

Hbt/ Sn 0.00 0.00 2.83 0.00 0.00 0.00 97.17

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classes des secteurs de savane arbustive ou boisée et de savane arborée ou

herbeuse qui enregistrent les faibles taux (89,55 et 83,28).

Les résultats statistiques obtenus par le calcul de la précision globale,

du coefficient de Kappa et de la matrice de confusion, montrent qu’il existe

des imperfections dans les produits cartographiques obtenus.

L’opération finale consiste à exploiter les données issues du traitement de la

télédétection dans un environnement SIG. En effet, tous les traitements

effectués et les informations recueillies ont permis de mettre en place une

base de données fiable pour l’élaboration d’un SIG pour la gestion du parc.

L’exploitation de la base de données dans cette étude concerne des opérations

de requêtes et de géo-traitement sur une ou plusieurs données de la base.

Ainsi, le croisement des données d’occupation du sol de 1986 et de

2013 a été effectué. Ensuite, il permet d’analyser les facteurs de la

dégradation. Cette étape met en contribution la limite du parc, les activités

autour et à l’intérieur du parc, les localités et les effectifs de population.

Enfin, il permet d’évaluer les risques de dégradation de la diversité végétale

de par le croisement des données démographiques et des types d’occupation

du sol. La confrontation des densités de population, des points de localité, des

zones agricoles autour du parc contrôle les schémas de dégradation de la

diversité végétale. Ces critères permettent d’estimer directement l’impact de

la pression humaine sur la végétation du parc.

3. RESULTATS ET DISCUSSIONS

3.1. L’analyse diachronique de l’occupation du sol

Les résultats issus du traitement permettent d’avoir une approche

statistique de l’occupation du sol (tableau II) et de mettre en évidence la

dynamique d’occupation du sol.

Tableau II : Répartition des types d’occupation du sol en 1986 et 2013

Superficie 1986 Superficie 2013

Types d'occupation du sol ha % ha %

Forêt dense sèche/ Forêt galerie 52902 5 44201 4

Savane arbustive/ Savane boisée 188271 18 495762 47

Savane arborée/savane herbeuse 265426 25 449880 42

Habitat/ Sol nu 97856 9 55497 5

Zone agricole/jachère 450340 42 9461 1

Eau 1312 1 2379 1

Total 1057180 100 1057180 100

En 1986 (figure 2), la superficie occupée par les formations végétales

naturelles à l’intérieur du parc est dominée par les surfaces savanicoles qui

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couvrent environ 43 % de l’espace total. Elle est plus importante que la forêt

dense sèche ou forêt galerie qui avec 5 % de couverture, ne se rencontre que

dans des secteurs spécifiques du parc. Les espaces humanisés (cultures/

jachère, habitats et sols nus,) occupent 51 % de l’espace soit plus de la moitié

de la surface totale du parc.

Figure 2 : Etat de l’occupation du sol en 1986

Source : image Landsat TM, 1986 / scène 196-054

La situation a totalement changé en 2013 (figure 3). En effet, on

constate une régression des surfaces humanisées au profit des surfaces de

formations végétales naturelles qui couvrent près 93 % de la superficie totale

du parc. Car on assiste à la reconquête de l’espace par les formations

savanicoles avec 47 % pour les savanes arbustives ou boisées et 44 % pour

les savanes arborées ou herbeuses. Les espaces humanisés se caractérisent par

une forte régression des superficies soit 6 % de l’espace total. Cette situation

traduit l’élimination des zones agricoles à l’intérieur du parc car elles

occupent environ 1% du parc. Quelques rares parcelles agricoles se

rencontrent de façon générale dans la partie nord du parc.

Figure 3 : Etat de l’occupation du sol en 2013

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Source : image Landsat ETM+, 2013 / scène 196-054

3.2. Évolution de l’occupation du sol : un recul des surfaces

humanisées

Dans le Parc National de la Comoé, les superficies des surfaces

humanisées ont subi des changements remarquables pendant les 27 années

considérées par l’étude. En effet, de 1986 à 2013, les secteurs humanisés sont

passés de 51 à 6 % de l’espace total avec 9 à 5 % pour les habitats ou sols nus

et 42 à 1 % pour les zones agricoles. Cette situation est à mettre à l’actif de la

politique de gestion du parc mise en place par l’OIPR qui consiste en un

déguerpissement des populations infiltrées et surtout à une gestion

participative de cet espace. Ces secteurs occupaient plus de la moitié de la

superficie totale du parc. La situation semble être inverse en 2013. Cette

période est marquée par un recul des surfaces humanisées, soit une perte de -

49 %. Elles sont dominées par les habitats ou sols nus (5%). Car les zones

agricoles (1 %) ont presque disparu à l’intérieur du Parc National de la

Comoé (figure 3).

3.3. Analyse de la pression humaine autour du Parc

3.3.1. Une population sans cesse croissante

La présence de l’action humaine dans le Parc National de la Comoé

s’explique d’abord par la pression démographique que connaît la zone dans

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laquelle se situe cet espace protégé à savoir le nord-est ivoirien. Le PNC est

entouré d’un certain nombre de localités dont la population varie entre 200 et

plus de 13 000 habitants. Mise à part la limite nord-est du parc où l’on

observe une concentration de localités de petite taille (moins de 200

habitants), toute la zone autour est caractérisée par des localités de taille

moyenne (figure 4).

Figure 4 : Distribution et volume de population autour du Parc National de la

Comoé en 2010

Autour du Parc national de la Comoé, il faut noter que treize groupes

ethniques répartis dans les différentes localités ont été répertoriés, dont les

plus importants sont les Lobi, les Koulango, les Dioula (Malinké), les

Djimini, les Lorhon et les Komono. Les Lobi, avec 49,6% des localités,

représentent le groupe ethnique majoritaire. Ils constituent un peuple

sédentaire qui est toujours à la recherche de nouvelles terres pour la culture

de l’igname. Ils se rencontrent au nord-est autour du parc.

Aussi, le Parc National de la Comoé se situe dans une région

particulièrement affectée par la guerre civile qui a duré 5 ans avant de

prendre fin en 2007. Site du Patrimoine Mondial inscrit en 1983, il a été

ajouté à la liste en péril en 2003. Durant le conflit, les autorités de gestion du

parc ont été obligées d’abandonner leurs opérations, ce qui n’a laissé qu’un

nombre très insuffisant d’agents pour lutter contre le pillage des ressources

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naturelles. Les pillards étaient autant des populations voisines que des

personnes fuyant les zones de conflit.

Ces incursions dans le parc ont également eu pour effet un

accroissement des feux de forêts et l’intensification de l’agriculture. Ces feux

sont causés par les populations riveraines, les braconniers et les

transhumants. Ces feux partent du nord et descendent ensuite au sud du parc.

3.3.2. Une intensification des activités agricoles

Plusieurs activités économiques sont menées autour du parc dont la

principale est l’agriculture avec une importance qui varie d’un secteur à un

autre (figure 5).

Figure 5 : Activités agricoles autour du Parc National de la Comoé en 2013

Elle constitue la principale source de revenu des populations et occupe plus

de 90% de la population active. Elle est dominée par les exploitations

familiales de type traditionnel. C’est une agriculture itinérante utilisant les

outils archaïques et les feux pour le défrichement des parcelles. Les surfaces

cultivées annuellement par exploitation varient en moyenne entre 0,77

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hectares et 2,6 hectares. Cette agriculture est dominée par les cultures

vivrières.

Ainsi, trois zones (Faible, moyenne et forte) se partagent l’espace

autour du parc selon l’intensité des activités agricoles. En effet, toutes les

parties nord et sud autour du parc sont considérées comme étant de fortes

zones agricoles. Il s’agit principalement des secteurs entre Ondéfidouo et

Téhini, des secteurs autour de Kong et de Nassian. Les espaces qualifiés de

moyennes zones agricoles se rencontrent dans leur majorité à l’est et à l’ouest

autour du parc. Les faibles zones agricoles s’étendent au nord, à l’ouest et au

sud autour du parc.

Deux types de cultures, à savoir les cultures industrielles et les

cultures vivrières sont observées autour du PNC. L’Anacarde est la principale

culture industrielle. L’anacardier (Anacardium occidentale), de la famille des

anacardiacées, appelé aussi pommier de cajou, est un arbuste cultivé pour ses

fruits à pulpe connus sous le nom de pomme de cajou ou anacarde. C’est une

plante qui demande peu de soins, s’adapte à tous les climats et fructifie au

bout de 2 à 3 ans. La plante supporte les fortes chaleurs mais est sensible aux

basses températures.

Les techniques de culture sont mal maitrisées et les parcelles mal

entretenues. Les producteurs sont composés d’une multitude de petits

planteurs.

Le sol est propice à toutes les cultures vivrières dont les principales

sont : l’igname, le mil, le sorgho, l’arachide, le maïs, le riz, les légumes, les

produits fruitiers et maraîchers. L’igname occupe la première place car

supportant mieux que les autres cultures les irrégularités inter annuelles

des précipitations dans la zone.

3.4. L’impact de la forte anthropisation sur le Parc

La pression humaine est très forte autour du Parc National de la

Comoé. De tous les facteurs qui contribuent aux changements observés dans

les environs du parc, les facteurs démographiques sont les plus importants.

En effet, l’emprise humaine est à l’image de la distribution et des densités de

population. Les secteurs très peuplés et à forte croissance démographique

enregistrent plus de pression humaine. Ainsi, la dégradation du milieu naturel

est très poussée dans les secteurs de forte croissance démographique. Aussi,

la saturation foncière, née de la croissance démographique, pousse-t-elle les

populations à une quête de nouvelles terres cultivables. La transformation des

types d’occupation du sol est le résultat de la pression humaine exercée sur

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ces formations. Car plusieurs activités sont menées dans cet espace et elles

ont pour conséquences la transformation du paysage naturel du parc.

L’accroissement des effectifs et des densités de population de 1978 à

2000 entraîne une forte anthropisation de l’espace autour du parc. Cette

humanisation est matérialisée par des surfaces agricoles et des habitations

(villages et campement) de plus en plus proches : on constate en effet

qu’autour du parc les surfaces agricoles et les foyers de peuplement se

rapprochent de sa limite.

A ce stade de l’analyse des faits spatiaux, on peut constater que le

risque d’atteintes au parc, à sa diversité écologique, voire à son intégrité est

important. Très rapidement, l’immunité de cet espace de conservation n’est

plus totalement et parfaitement assurée. En effet, tant que les effectifs et les

densités de population autour du parc restent faibles, son intégrité et la

maitrise des conditions de son maintien sont sous la triple dépendance des

facteurs naturels, des besoins essentiels des populations environnantes et des

mesures étatiques de protection. Par contre, les besoins issus de l’entassement

démographique augmentent la vulnérabilité de cet espace naturel.

Le rapprochement des facteurs humains de la limite du parc met en

lumière les secteurs du parc qui sont sous l’influence d’une pénétration

humaine : les secteurs à risque très fort sont situés au nord-est, au nord-est et

au sud de la limite du parc. Ce sont des secteurs qui subissent une forte

pression humaine tant au niveau de la population que des activités agricoles.

CONCLUSION

L’étude diachronique de l’occupation du sol, permet de faire une

analyse multi dates couplée aux données cartographiques et socio-

économiques, pour mettre en évidence l’évolution du couvert végétal entre

1986 et 2013 dans le PNC. L’analyse de la situation montre une forte

tendance à la sauvegarde du couvert végétal.

Cependant, l’on assiste à une forte anthropisation de la périphérie,

résultat de l’accroissement de la population et de l’intensification des

activités agricoles.

Au regard de ces facteurs humains et des pressions qu’ils peuvent

engendrer, on pourrait assister à moyen terme à une dégradation exacerbée du

couvert végétal. Car, les besoins issus de la pression démographique

augmentent la vulnérabilité de cet espace naturel. Cette situation conduit

donc à penser que les aires protégées de la Côte d’Ivoire subissent une

FACTEURS ANTHROPIQUES ET DYNAMIQUE D’OCCUPATION DES TERRES

DANS LE PARC NATIONAL DE LA COMOE, EN COTE D’IVOIRE

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I, Pr Joseph KI-ZERBO N° 05, oct. 2016. Vol. 2 165

infiltration des populations et que si rien n’est fait, elles connaitront une

dégradation totale de leur biodiversité.

Cette étude au-delà de son aspect pratique, est un moyen

d’investigation si on souhaite analyser les dynamiques d’occupation du sol et

les interactions sociétés/aires protégées. La méthodologie développée est

simple et adaptable à d’autres aires protégées. La base cartographique mise

en place constitue un outil de gestion des unités de conservation et de suivi de

l’évolution des couverts végétaux et de l’occupation du sol. Couplée aux

Systèmes d’Informations Géographiques (SIG), la télédétection apparaît

comme un outil efficace à mettre à la disposition des gestionnaires des aires

protégées.

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