CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf ·...

18
Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119 CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE LA VILLE DE KARA AU NORD-TOGO KADOUZA Padabô Département de Géographie Université de Kara/Togo RESUME La ville de Kara connaît une croissance remarquable depuis les indépendances. Elle est aujourd’hui la troisième ville du pays avec plus de 100.000 habitants. Cette rapide croissance démographique entraîne une forte demande en produits alimentaires des campagnes environnantes. L’objectif de cette étude est d’analyser la croissance urbaine de Kara et de dégager son impact sur les campagnes environnantes. La démarche méthodologique est basée sur la recherche documentaire, l’enquête de terrain par questionnaire individuel, les interviews et l’observation du paysage. L’analyse des résultats montre que dans les terroirs proches de la ville, se développent des productions agricoles diversifiées orientées vers ses marchés, afin de répondre aux besoins sans cesse croissants et variés des citadins. Le développement de ces productions passe par une amélioration des systèmes et techniques de culture et d’élevage. Les mutations foncières nées de l’acquisition d’une partie des terres rurales par les habitants de Kara constituent une autre facette importante de l’influence de la ville sur l’espace rural environnant. La transformation des droits fonciers traditionnels née de l’accroissement de la valeur de la terre dans cet espace mérite d’être analysée dans les recherches futures. Mots-clés : Croissance urbaine, mutations agricoles, terroirs environnants, Kara, Togo ABSTRACT Urban growth and agricultural changes around the town of Kara, North Togo The city of Kara experienced remarkable growth since independence. Today it is the third largest city of the country with over 100,000 inhabitants. This rapid population growth leads to a strong demand for food from the surrounding countryside. The objective of this study is to analyze urban growth of Kara and identify its impact on the surrounding countryside. The methodology is based on desk research, field research by individual questionnaire, interviews and observation of the landscape. Analysis of the results shows that in nearby soils of the city develop diversified agricultural production driven to its markets to meet the endless growing needs and diverse city dwellers. The development of these productions goes through improved crop and livestock systems and techniques. Land transfers arising from the acquisition of part of rural

Transcript of CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf ·...

Page 1: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR

DE LA VILLE DE KARA AU NORD-TOGO

KADOUZA Padabô

Département de Géographie

Université de Kara/Togo

RESUME

La ville de Kara connaît une croissance remarquable depuis les indépendances. Elle

est aujourd’hui la troisième ville du pays avec plus de 100.000 habitants. Cette

rapide croissance démographique entraîne une forte demande en produits

alimentaires des campagnes environnantes.

L’objectif de cette étude est d’analyser la croissance urbaine de Kara et de dégager

son impact sur les campagnes environnantes.

La démarche méthodologique est basée sur la recherche documentaire, l’enquête de

terrain par questionnaire individuel, les interviews et l’observation du paysage.

L’analyse des résultats montre que dans les terroirs proches de la ville, se

développent des productions agricoles diversifiées orientées vers ses marchés, afin

de répondre aux besoins sans cesse croissants et variés des citadins. Le

développement de ces productions passe par une amélioration des systèmes et

techniques de culture et d’élevage. Les mutations foncières nées de l’acquisition

d’une partie des terres rurales par les habitants de Kara constituent une autre facette

importante de l’influence de la ville sur l’espace rural environnant. La

transformation des droits fonciers traditionnels née de l’accroissement de la valeur

de la terre dans cet espace mérite d’être analysée dans les recherches futures.

Mots-clés : Croissance urbaine, mutations agricoles, terroirs environnants, Kara,

Togo

ABSTRACT

Urban growth and agricultural changes around the town of Kara, North Togo

The city of Kara experienced remarkable growth since independence. Today it is the

third largest city of the country with over 100,000 inhabitants. This rapid population

growth leads to a strong demand for food from the surrounding countryside.

The objective of this study is to analyze urban growth of Kara and identify its impact

on the surrounding countryside.

The methodology is based on desk research, field research by individual

questionnaire, interviews and observation of the landscape. Analysis of the results

shows that in nearby soils of the city develop diversified agricultural production

driven to its markets to meet the endless growing needs and diverse city dwellers.

The development of these productions goes through improved crop and livestock

systems and techniques. Land transfers arising from the acquisition of part of rural

Page 2: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE KARA, TOGO __________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 120

land by Kara inhabitants are another important facet of the influence of the city on

the surrounding countryside. The transformation of traditional land rights arose from

the increased value of land in this space deserves to be analyzed in future research.

Keywords: Urban growth, agricultural changes, surrounding countryside, Kara,

Nord-Togo

INTRODUCTION

Longtemps considérée comme essentiellement rurale, l’Afrique au

sud du Sahara s’urbanise à un rythme exceptionnellement rapide.

Aujourd’hui, sa population urbaine estimée à 110 millions de personnes

représente 37% de la population totale. Plus que le poids de cette urbanisation

encore modeste, c’est plutôt la vitesse de croissance de la population urbaine

qui suscite l’inquiétude (Razafindrakoto et Roubaud, 2001). En effet, les pays

d’Afrique subsaharienne connaissent en moyenne un taux annuel de

croissance urbaine de plus de 5 %. Ce taux est plus élevé que celui

d’Amérique Latine (2,3 %) et d’Asie du Sud-Est (3,8 %) (Delcourt, 2007).

Le Togo, comme la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne, connaît ce

phénomène de croissance urbaine accélérée qui tourne autour de 4% par an

(DGSCN, 2010).

La ville de Kara (Figure 1), créée au cours de la période coloniale

allemande était encore jusqu’au lendemain des indépendances un modeste

village, malgré son rôle administratif. Mais très tôt, bénéficiant d’une volonté

politique d’en faire un pôle d’équilibre dans la partie septentrionale du pays,

elle va connaître une croissance spectaculaire avec l’implantation au cours

des années 1970 et 1980 d’une multitude de services administratifs, socio-

économiques et d’équipements scolaires (Nyassogbo, 1991). Entre 1970 et

1981, son taux d’accroissement annuel était de 8% (ce taux était le plus élevé

de toutes les villes du Togo), alors que celui de Lomé, la capitale était de

6,1% (Nyassogbo, 2010).

La croissance du marché urbain se traduit par une forte demande en

produits vivriers qui a pour corollaire des mutations agricoles dans les terroirs

environnants. Ces mutations ont non seulement pour but d’augmenter la

production, afin de répondre à la demande urbaine grandissante, mais aussi

de la diversifier pour satisfaire aux nouveaux modes alimentaires qui

accompagnent la vie urbaine. La production du maïs et celle du haricot dans

la préfecture de la Kozah où se localise la ville de Kara ont plus que doublé

Page 3: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

KADOUZA PADABO _________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 121

entre 2000 et 2010, passant de 3288 tonnes à 7 856 tonnes pour le premier et

de 814 tonnes à 1681 tonnes pour le second (DSID, 2011).

Figure 1: Localisation de la ville de Kara

Source : Atlas du Développement Régional, 1986

Page 4: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE KARA, TOGO __________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 122

Les études entreprises sur la ville de Kara concernent pour l’essentiel

les facteurs et les problèmes de sa croissance urbaine (Nyassogbo, 1980 ;

Bali, 1983 ; Lokou, 1991 ; Samaro, 1995). L’impact de la croissance urbaine

de Kara sur les campagnes environnantes n’a pas été abordé, d’où l’intérêt de

ce travail qui permet de comprendre les mutations agricoles liées au

développement d’une ville secondaire qui polarise de plus en plus son espace

environnant.

De ce qui précède, deux questions méritent d’être posées. Quelles sont

les spécificités de la croissance urbaine de Kara ? Quelles sont les mutations

agricoles induites par cette croissance dans l’espace rural environnant ?

L’objectif de cette étude est d’analyser la croissance urbaine de Kara

et de dégager son impact sur les campagnes environnantes.

1. APPROCHE METHODOLOGIQUE

La démarche méthodologique adoptée est basée sur les sources des

données existantes. Les informations recueillies ont été complétées par celles

collectées sur le terrain à l’aide d’un questionnaire. La population-cible est

constituée de chefs de ménage de 9 terroirs environnants de la ville de Kara

(Figure 2). Il s’agit de Kpenzindè, Atchangbadè, Awandjelo, Lassa, Lama,

Bohou, Yadè, Tcharè et Tchitchao dont le nombre de chefs de ménage est

estimé à 6 335 personnes (DSCN, 2010). De cette population-cible, nous

avons tiré de façon aléatoire un échantillon de 147 chefs de ménage répartis

proportionnellement dans les terroirs choisis (Tableau I)

Tableau I : distribution de l’échantillon dans les villages

Terroirs Nombre de

ménages Echantillon

Kpenzindè 612 14

Awandjelo 720 17

Atchangbadè 979 23

Lassa 946 22

Bohou 322 7

Yadè 208 5

Tcharè 481 11

Tchitchao 481 11

Lama 1586 37

Total 6335 147

Afin d’estimer les revenus des paysans des terroirs environnants de la

ville de Kara, des données concernant leurs comptes d’exploitation ont été

collectées au cours de l’enquête de terrain. Ces données ont trait aux charges

Page 5: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

KADOUZA PADABO _________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 123

occasionnées par la mise en valeur et les recettes issues de la vente des

produits agricoles. Le revenu a été obtenu en faisant la différence entre les

deux éléments du compte d’exploitation. Le recueil d’informations avec le

questionnaire a été complété par les interviews et l’observation du paysage

agraire. Cette observation a concerné le système agricole. Il s’est, en effet,

agi d’examiner « toutes les formes d’utilisation du sol et la manière d’assurer

cette utilisation » pour reprendre l’expression de George et Verger (1996).

Figure 2 : Les terroirs enquêtés autour de la ville de Kara

Source : Direction Régionale Plan et Aménagement du Territoire, Kara

L’observation indirecte du paysage rural à travers les images

satellitaires et les cartes topographiques au 1/50 000 nous a permis d’analyser

la dynamique de l’espace agraire de 1986 à 2013. S’agissant des images

satellitaires, nous avons travaillé sur celles de type Landsat TM (Thematic

Mapper) à 7 bandes qui ont été traitées à l’aide des logiciels Envi 5.1 et

ArcGIS 10.2. Pour ce qui est des cartes topographiques au 1/50 000, leur

acquisition sous forme numérique à la Direction Nationale du Cadastre à

Lomé nous a facilité leur traitement dans le logiciel ArcGIS 10.2, afin

d’obtenir une carte du paysage agraire en 2013.

Page 6: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE KARA, TOGO __________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 124

Le dépouillement du questionnaire a été fait à l’ordinateur avec le

logiciel SPSS 20 qui a permis d’élaborer des tableaux, lesquels ont facilité

l’interprétation des données collectées sur le terrain.

2. KARA, UNE VILLE A CROISSANCE RAPIDE

Située dans le nord du pays à 425 km environ de la capitale, Lomé, la

ville de Kara comme la plupart des villes d’Afrique au sud du Sahara, date de

la période coloniale comme nous l'avons déjà évoqué. Dès 1898, les

Allemands avaient pour objectif de créer un centre administratif à partir

duquel ils allaient contrôler le pays kabiyè dont la conquête leur a été difficile

en raison de la tradition guerrière de son peuple (on se souvient encore de

l’héroïque résistance du peuple kabiyè à l’occupation allemande). Mais, c’est

sous le mandat de la France que Kara va amorcer son développement avec

son érection en chef-lieu de cercle en 1950 et en chef-lieu de circonscription

administrative en 1956, répondant ainsi au souci de l’administration

mandataire française de promouvoir l’organisation et le développement de la

partie septentrionale du Togo.

Les disparités régionales et le déséquilibre prononcé entre le Nord et

le Sud constaté à l’indépendance ont poussé les nouvelles autorités du pays à

restructurer l’organisation territoriale (Nyassogbo, 1991). Aussi, le nombre

de régions économiques a-t-il été porté de quatre à cinq avec la création

d’une nouvelle région : la région de la Kara, la ville de Kara étant le chef-

lieu. A partir de 1970, Kara, à la tête de la nouvelle collectivité territoriale, va

connaître une croissance exceptionnelle et se transformer en un centre

administratif et commercial de plus en plus important (Kataka, 2011). Pour

Nyassogbo (1991), cette croissance rapide est due à une politique volontariste

des responsables politiques de créer une métropole d’équilibre dans le Nord

du pays en vue de contrebalancer le poids prépondérant de Lomé. C’est ainsi

qu’ils commencèrent par y multiplier des investissements et créer des

infrastructures conséquentes.

En dehors de la construction des locaux très modernes de

l’administration préfectorale (Photo 1), toutes les directions des grands

services qui se trouvent à Lomé y furent implantées. A ces directions

s’ajoutent le palais des congrès (Photo 2), les succursales des banques, deux

grands hôpitaux (Centre Hospitalier et Universitaire de Kara et le Centre

Hospitalier Régional de Tomdè), l’Université de Kara, etc. Ces équipements

et services vont permettre à la ville de jouer pleinement son rôle de pôle de

commandement de la région, faisant ainsi appel à des fonctionnaires, élèves,

commerçants, étudiants, etc.

Page 7: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

KADOUZA PADABO _________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 125

Photo 1 : Les bureaux de la préfecture de la Kozah

Source : cliché de l’auteur, 2013

Photo 2 : Le palais des congrès

Source : cliché de l’auteur, 2013

L’urbanisation spectaculaire a radicalement transformé le paysage de

ce petit village qui ne représentait rien avant l’indépendance du pays

(Guezere, 2009).

En 1960, la ville de Kara comptait 2 850 habitants. En 1970, elle

accédait au 11è rang avec 9 440 habitants soit 3 fois le nombre d’habitants en

1960 avec une croissance annuelle la plus élevée du pays (11%). En 1981,

elle abritait 28 950 habitants, occupant la troisième place après Lomé et

Sokodé. Son taux d’accroissement restait encore le plus élevé (8%) contre

4,4% pour Lomé et 3,5% pour Sokodé.

Au dernier recensement de 2010, Kara a confirmé son 3è rang avec 94

878 habitants derrière Lomé (1,5 million d’habitants) et Sokodé (95 070

habitants).

Sur le plan spatial, la ville a connu un développement remarquable.

Les quartiers résidentiels et administratifs se sont développés à Dongoyo,

Chaminade, Kpeyinboua, Tomdè, Zongo-Yéyé et Kara-Sud. L’extension de

la ville s’est faite dans quatre directions (l’est, l’ouest, le nord et le sud) et le

long des principaux axes routiers avec un tissu urbain plus ou moins densifié

qui compte présentement 15 quartiers (Guezere, 2009) contre 5 en 1960.

Page 8: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE KARA, TOGO __________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 126

Estimée à 96 ha en 1960; 3 780 ha en 1980; 5 000 ha en 1990, sa superficie

actuelle est d’environ 9 000 ha (Figure 3).

Figure 3 : Dynamique spatiale de la ville de Kara de la période coloniale à

nos jours

Source: Direction Régionale du Plan et de l’Aménagement du Territoire, Kara

Page 9: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

KADOUZA PADABO _________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 127

La dynamique actuelle de la ville se traduit par la transformation des

espaces périphériques. Elle étend ses tentacules aux villages de Lama-Kolidè,

Lama-Kpédah, Lassa-Elimdè, Lassa-Ahodo, Bohou et Yadè qui connaissent

des mutations visibles. Cette rapide croissance de la ville de Kara a un impact

remarquable sur l’espace rural environnant.

3. MUTATIONS AGRICOLES INDUITES PAR LA CROISSANCE

URBAINE DANS LES TERROIRS ENVIRONNANTS

La croissance démographique de Kara a entraîné l’augmentation et la

diversification de la demande en produits vivriers. Pour satisfaire cette

demande, les paysans des terroirs environnants améliorent leurs systèmes de

production.

3.1. Utilisation croissante des intrants agricoles, des semences

améliorées à haut rendement et de la traction animale

L’enquête de terrain a révélé une utilisation croissante des engrais

minéraux (NPK 15 15 15, urée) dans les terroirs environnants de la ville de

Kara. En effet, de 2010 à 2012, la consommation d’engrais minéraux est

passée de 403 tonnes à 488 tonnes dans le terroir d’Atchangbadè, soit un

accroissement de 21,09% en 3 ans. Dans celui de Kpenzindè, elle est passée

de 245 tonnes à 280 tonnes, soit une augmentation de 14,28%. Dans les deux

principaux magasins de vente d’engrais de la ville (Kara-Sud et Direction

Régionale de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche), la quantité vendue

est passée de 825 tonnes à 924 tonnes, soit une augmentation de 12% au

cours de la même période. Cette augmentation des stocks d’engrais dans les

magasins a permis leur utilisation par une proportion importante de paysans

(96% des chefs de ménage interrogés en ont fait usage). L’utilisation

généralisée des engrais minéraux se justifie, non seulement par le souci des

paysans de dégager un surplus commercialisable, mais aussi par la pauvreté

des sols de la région de la Kara qui ont besoin d’être enrichis. On note

également l’utilisation, bien que timide, des herbicides (16,32% des chefs de

ménage interrogés), des semences améliorées (31,29%) et de la traction

animale (7,48%), ce qu’on n’avait pas observé dans les terroirs d’étude il y a

une dizaine d’années.

L’innovation touche donc tous les aspects de la production agricole

autour de la ville de Kara. C’est le cas de toutes les campagnes

environnantes des villes d’Afrique au Sud du Sahara où le paysage agraire

connaît d’importantes mutations. Les exemples de Ouagadougou au Burkina-

Faso et de Yaoundé au Cameroun décrits par Pélissier (2000) sont révélateurs

à cet égard.

Page 10: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE KARA, TOGO __________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 128

Photo n° 3: Des paysans labourant à la traction animale dans le terroir

d’Atchangbadè

Source : Cliché de l’auteur, 2013

L’utilisation des intrants agricoles, de la traction animale et l’adoption

des semences améliorées entraînent non seulement une augmentation de la

production, mais aussi sa diversification.

3.2. Augmentation et diversification de la production agricole

L’analyse des statistiques agricoles de la préfecture de la Kozah où se

localise la ville de Kara, montre une augmentation de la production vivrière

dans son ensemble (Figure 4). Cette augmentation est plus remarquable pour

le maïs et le sorgho, principales cultures de la zone d’étude. En effet, la

production du maïs qui était de 2 573 tonnes en 1993 s’évaluait à 7 856

tonnes en 2010 soit une augmentation de 205,32%. Quant au sorgho, sa

production est passée de 3 363 tonnes à 10 734 tonnes soit un accroissement

de 219,17% au cours de la même période (Direction régionale des

Statistiques Agricoles de l’Informatique et de la Documentation, Kara, 2011).

Les résultats de l’enquête montrent que 31% des chefs de ménage

interrogés ont produit plus de 600 kg de maïs en 2013, alors que 26% ont

produit la même quantité de sorgho (figures 5 et 6). Cette production peut

être considérée comme importante, vu les médiocres conditions pédologiques

et le niveau des techniques traditionnelles de culture dans la zone d’étude.

Page 11: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

KADOUZA PADABO _________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 129

Figure 4 : Evolution de la production céréalière dans la préfecture de la

Kozah de 1993 à 2010

Source : Direction régionale des Statistiques Agricoles, de l’Informatique et de

la Documentation, Kara

Figure 5: Répartition des chefs de ménage enquêtés

selon la production du maïs en 2013

Source : Enquête de terrain, 2013

Figure 6: Distribution des chefs de ménage enquêtés

selon la production du sorgho en 2013

Source : Travaux de terrain, 2013

400-600 kg

20%

200-400 kg

23% Moins de

200kg

26%

Plus de 600 kg

31%

200-400 kg

17%

Moins de

200kg

37%

Plus de 600 kg

26%

400-600 kg

20%

0

5000

10000

15000

19

93

19

94

19

95

19

96

19

97

19

98

19

99

20

00

20

01

20

02

20

03

20

04

20

05

20

06

20

07

20

08

20

09

20

10

Pro

du

ctio

n (

en

to

nn

es)

Années

Page 12: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE KARA, TOGO __________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 130

L’augmentation de la production agricole n’est pas due à un

accroissement des superficies cultivées (Figure 7), mais à l’utilisation des

intrants agricoles et à un meilleur suivi de l’itinéraire technique des

différentes cultures pratiquées.

Figure7: Dynamique du paysage agraire dans les terroirs environnants de la

ville de Kara de 1986 à 2013

1986 2013

Source : a) Images satellitaires sur le Togo (1986), b) Cartes topographiques au

1/50000, Direction de la Cartographie Nationale - Lomé, 2013

L’analyse de la dynamique de l’espace agraire dans les terroirs

environnants de la ville de Kara à travers la figure 7 montre que la superficie

occupée par l’ager (ensemble des terres cultivées) en 1986 n’a pas trop

changé en 2013. Les statistiques issues du traitement des images satellitaires

et de la carte topographique au 1/50000, indiquent à ce propos qu’il couvrait

52 379,673 ha en 1986. En 2013, sa superficie était de 44 510,251 ha soit une

diminution de 15,02% seulement.

Deux faits expliquent cette situation. D’abord, les terroirs

d’investigation connaissent une crise d’espace agricole liée à une surcharge

démographique et à un milieu physique défavorable. En effet, la densité

moyenne de la population y est de 252 hab/km2 avec des pointes de 421 hab

/km2

dans le terroir de Tcharè (DGCN, 2010). Ces fortes densités entraînent

une réduction considérable des superficies cultivées sur lesquelles les paysans

font souvent l’association culturale.

b a

Page 13: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

KADOUZA PADABO _________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 131

L’enquête agricole de 1970 avait déjà révélé que les parcelles

cultivées ayant une superficie égale ou supérieure à 2 hectares ne

représentaient pas 3% du nombre total. Par contre, 73% des parcelles ont

moins de 50 ares et 8% ont moins de 5 ares. La charge par exploitation restait

encore élevée. Elle atteignait 5,6 personnes en moyenne pour 2,6 actifs, la

superficie physique par habitant étant de 16 ares 39 par actif agricole. Les

travaux de Gu-Konu (1983) ont confirmé ces résultats. Il ressort de ces

travaux que « la proportion des exploitations de moins d’un hectare dépasse

60% du nombre total et celle de moins de 0,5 hectare atteint presque 40%.

Plus du tiers des exploitations agricoles de la circonscription de Lama-Kara

sont inférieurs à 20 ares. Ces unités d’exploitation sont formées de parcelles

minuscules et dispersées sur l’ensemble du territoire du teto (espace à la fois

géographique et social selon l’organisation socio-politique kabiyè) et du hara

(groupe d’entraide formé par les hommes pour les travaux agricoles et groupe

de résidences constituées par leurs familles) selon les règles du jeu

successoral et celles de la répartition des cultures par rapport au lieu

d’habitation ».

Ensuite, la ville de Kara dans sa dynamique spatiale occupe une partie

importante des terroirs ruraux environnants. Elle a aujourd’hui envahi une

partie des terres du finage de Lama (sous-groupe kabiyè propriétaire des

terres sur lesquelles la ville a été fondée). Le front d’urbanisation qui évolue

rapidement vers l’est, l’ouest, le nord et le sud est aujourd’hui entrain

d’enjamber les villages de Wélou et Soumbou. Entre la ville et ces villages,

on observe des maisons disséminées dans les champs. Cette situation accroît

la réduction des terres à usage agricole.

La production agricole a non seulement augmenté, mais elle est aussi

diversifiée dans le but de mieux satisfaire les citadins. Cette diversification

s’observe à travers la fourniture d’une multitude de produits agricoles et

d’élevage (céréales, légumineuses, tubercules, volailles, petits ruminants,

etc.) et surtout les cultures maraîchères qui connaissent un développement

remarquable ces dernières années. Cette situation rejoint les conclusions de

Pélissier (2000), lorsqu’il fait remarquer que le premier domaine où éclate

l'influence directe de la ville est celui du maraîchage, où s'associent et

aujourd'hui se confondent légumes, condiments, fruits locaux et produits

d'origine européenne.

Il est à noter qu’une partie importante des enquêtés (88, 43%)

consacrent une part de leur production agricole à la vente sur les marchés de

la ville. La commercialisation de divers produits constitue une source de

revenus pour les paysans. Que ce soit le maïs, le sorgho ou le haricot, plus de

25% des paysans ont pu avoir des revenus compris entre 40 000 et 60 000

FCFA. Ces revenus sont plus élevés pour ceux qui pratiquent la culture

maraîchère. D’après une étude réalisée par Kadouza (2012), il ressort que

Page 14: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE KARA, TOGO __________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 132

cette spéculation procure sur une exploitation de 0,25ha à Soumdina, un

bénéfice de 114 250 FCFA par saison agricole pour la culture de Brassica

oleracea (chou) et 87 500 FCFA pour celle de Daucus carota (carotte). Ces

revenus sont importants au regard du bas niveau de vie des paysans de la

région de la Kara.

La vente des produits maraîchers aux citadins a toujours constitué une

importante source de revenus pour les paysans. En Côte-d’Ivoire par

exemple, entre 1989 et 1990, la culture de la tomate, bien conduite avec une

production vendue au bon moment, fournit des revenus par hectare dépassant

un million de francs, soit plus que le coton ou le café (Chaléard, 1996).

Comme le dit Pélissier (2000), « la ville a gommé la distinction traditionnelle

et longtemps justifiée entre cultures traditionnelles et cultures commerciales.

Elle a effacé la vieille antinomie entre secteur vivrier et secteur marchand ».

La production vivrière est aussi encouragée dans les campagnes

environnantes par la présence à Kara d’une antenne de l’Agence Nationale

pour la Sécurité Alimentaire du Togo (ANSAT) qui achète les produits

agricoles aux paysans à des prix rémunérateurs. Celle-ci finance même la

production en attendant la récolte pour se faire payer en nature. Avec les

revenus tirés de la vente des produits agricoles, les paysans investissent dans

leurs exploitations, se procurent des biens et services non agricoles d’origine

urbaine et améliorent leurs conditions de vie.

Les résultats de l’enquête montrent que 70,75% des chefs de ménage

interrogés consacrent leurs revenus aux dépenses sociales (scolarisation des

enfants, santé, etc.), à l’achat du matériel et des intrants agricoles, alors que

29,25% l’utilisent pour l’amélioration de leur cadre de vie et l’achat des

moyens de transport. Ce faisant, l’augmentation de la demande urbaine de

Kara en produits agricoles permet à l’économie rurale des terroirs

environnants d’être intégrée à l’économie nationale.

3.3. Des mutations foncières dans les campagnes environnantes de

la ville de Kara

Pendant longtemps, la terre a été une propriété collective dans les

terroirs environnants de la ville de Kara. Chaque paysan cultivait une portion

du domaine familial qu’il n’a pas le droit de vendre, parce qu’il l’a hérité de

ses ancêtres qui gardent toujours un droit de regard sur sa gestion. Ce faisant,

les deux principaux modes d’accès à la terre étaient l’héritage et le prêt. En

cas de décès d’un père de famille, ses enfants lui succèdent naturellement et

se partagent les terres qu’il cultivait. S’agissant du prêt, lorsqu’un

‘’propriétaire’’ ne peut pas mettre en valeur toutes ses terres, il peut décider

de mettre une ou plusieurs parcelles à la disposition des personnes qui lui en

Page 15: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

KADOUZA PADABO _________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 133

font la demande, afin de les exploiter. Le prêt se fait le plus souvent aux

personnes des familles ne disposant pas d’un grand capital foncier.

Depuis quelques années, on assiste à l’apparition de nouvelles formes

d’accès à la terre. Il s’agit de l’achat et du bail qui étaient presque inconnus

dans les terroirs d’étude. L’enquête montre, à cet effet, que 29,25% des

exploitants ont acquis leurs terres par ces deux modes d’accès. Le foncier

constitue de nos jours un enjeu majeur dans certains endroits proches de la

ville de Kara. Il est l’objet de spéculation aussi bien par les citadins pour la

satisfaction des besoins de logement que par les ruraux pour l’alimentation.

Cette spéculation est très remarquable à Lama-Kolidè, Lassa-Elimdè,

Koungouyouyo, Wélou, Attéda et Soumbou où on note un accroissement de

la valeur de la terre. En effet, le prix du lot de terrain de 600 m2

dans ces

zones varie de 700 000 à 2 millions de FCFA. Dans l’espace plus éloigné

situé dans un rayon de 12 km (Atchangbadè, Kpenzindè, Awandjelo), il est

déjà à 500 000 FCFA. Au demeurant, on remarque une insécurité foncière

qui se décline de deux manières. D’abord, elle est temporelle (relative à la

durée pendant laquelle le producteur agricole a accès à la terre). Le paysan de

ce fait ne sait, ni combien de temps il pourra y encore rester, ni les chances de

renouveler un contrat de bail. Ensuite, on peut évoquer ce que Dauvergne

(2011) appelle les droits fonciers déficients ou droits insuffisants pour

permettre une utilisation optimale de la terre en raison des contrats de durée

trop courte.

L’accroissement de la valeur de la terre entraîne de nombreux

problèmes fonciers dans les terroirs environnants de la ville. Les causes de

ces problèmes tournent essentiellement autour de la vente des parcelles à

plusieurs personnes et surtout de la remise en cause des droits de propriété.

Ces problèmes figurent en bonne place parmi ceux traités par les chefs de

village, de canton et le tribunal de première instance de Kara.

3.4. Un début d’investissement des citadins dans les campagnes

environnantes de la ville de Kara

Les investissements des habitants de la ville de Kara sont assez

remarquables dans les terroirs d’Atchangbadè, de Kpenzindè et d’Awandjelo.

En effet, certains citadins y ont acquis de vastes domaines dont la superficie

varie de 5 à 30 hectares qu’ils mettent en valeur par le biais d’ouvriers

agricoles permanents ou temporaires recrutés sur place. Les ouvriers

permanents sont rétribués entre 15 000 et 20 000 FCFA par mois. En dehors

de ce salaire, ils bénéficient d’une portion du domaine qu’ils cultivent pour

leur propre compte. Quant aux ouvriers temporaires, ils sont souvent

employés pendant la saison de culture pour le défrichement, la construction

des buttes et des billons, le sarclage et le binage. Leur rémunération est

fonction du travail effectué. Le défrichement d’un hectare rapporte au paysan

Page 16: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE KARA, TOGO __________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 134

(ouvrier agricole) environ 20 000 FCFA, alors que le sarclage et le binage

leur donnent respectivement 16 000 et 12 000 FCFA. Quant à la construction

des buttes sur la même superficie, elle permet au paysan de gagner 25 000

FCFA. Ces investissements des citadins dans le domaine agricole ne sont pas

encore à la hauteur de ceux observés autour des grandes villes du Bénin

notamment Cotonou et Porto-Novo relevés par N’bessa (2007) et celles du

Cameroun (Fodouop, 2004). Mais, ils permettent déjà de montrer comment

les citadins peuvent représenter un puissant facteur de mutation et de

développement des campagnes.

Les citadins investissent non seulement dans l’agriculture, mais aussi

dans l’ouverture des bars et des boutiques où sont vendus de la bière et des

produits de première nécessité (allumettes, savons, etc.). Que ce soit à

Kpenzindè, Awandjelo, Bohou, Atchangbadè, Lassa-Elimdè, etc., ces bars et

boutiques permettent aux paysans de se procurer certains produits

manufacturés, sans avoir besoin de se rendre en ville.

CONCLUSION

La présente étude a permis d’analyser la rapide croissance urbaine de

Kara. Cette croissance est liée à une politique volontariste des dirigeants

après l’indépendance d’élargir le champ d’action de ses services dans le but

de faire d’elle, un pôle d’équilibre. Le renforcement des fonctions urbaines

dû à la mise en place de plusieurs équipements a entraîné un important flux

migratoire qui a contribué à l’accroissement de sa population. La forte

demande en produits agricoles de cette population a pour corollaire les

mutations agricoles dans les campagnes environnantes de la ville.

Ces mutations s’appréhendent à travers la transformation des

techniques et des systèmes de production avec l’emploi des engrais, des

semences sélectionnées, des pesticides, la culture attelée, etc. Il en découle

une augmentation de la production agricole, ainsi que sa diversification. Les

mutations foncières et les investissements productifs des citadins dans les

terroirs environnants constituent les autres facettes des mutations rurales nées

de la dynamique urbaine de Kara. S’agissant des mutations foncières, les

formes traditionnelles d’accès à la terre cèdent de plus en plus la place à de

nouvelles formes qui se cristallisent autour de l’achat et du bail. Quant aux

investissements productifs des citadins, ils concernent surtout l’achat de

vastes domaines où sont employés des ouvriers agricoles recrutés sur place,

l’ouverture des bars et des boutiques où sont vendus des produits

manufacturés. A ce titre, la croissance urbaine de Kara se révèle sans doute

être un facteur d’impulsion du développement socio-économique des

campagnes environnantes.

Page 17: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

KADOUZA PADABO _________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 135

BIBLIOGRAPHIE

BALI (K. B.), 1983. La croissance urbaine de Kara, Mémoire de Maîtrise

de géographie humaine, Département de Géographie, Ecole des Lettres,

Université du Bénin, Lomé, 108 p.

CHALEARD (J.-L.), 1996. Temps des villes, temps des vivres. L’essor du

vivrier marchand en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, coll. «Hommes et

Sociétés», 662 p.

DAUVERGNE (S.), 2011 Les espaces urbains et péri-urbains à usage

agricole dans les villes d’Afrique subsaharienne (Yaoundé et Accra) : une

approche de l’intermédiarité en Géographie, Thèse de doctorat en

Géographie, Université Lumière Lyon 2, UMR Environnement Ville et

Société (EVS), Lyon, 390 p.

DELCOURT (L.), 2007. « Explosion urbaine et mondialisation », Collection

Alternatives-Sud vol. XIV, Edition CETRI, Syllepse, Centre Tricontinental,

Louvain-la-Neuve, Belgique, 200 p.

DGSCN, 2010. Quatrième recensement général de la population et de

l’habitat, Vol. 1, Résultats prioritaires, Lomé, 231 p.

DSID, 2011. Production des principales cultures vivrières, campagnes 2000-

2010, Lomé, 8 p.

FODOUOP (K.), 2004. Citadins et développement des campagnes au

Cameroun, Editions l'Harmattan, Paris, 230 p.

GEORGE (P.) et VERGER (F.), 1996. Dictionnaire de la Géographie, 6è

édition, Presses Universitaires de France, Paris, 500 p.

GUEZERE (A.), 2009. « Déplacements quotidiens des élèves dans les villes

secondaires en Afrique Noire : une analyse à partir du cas de Kara » in Revue

du Laboratoire de Recherche sur la Dynamique des Milieux et Sociétés

(LARDYMES) n°3, 3ème

année, Faculté des Lettres et Sciences Humaines,

Département de Géographie, Université de Lomé, pp. 257-275.

GU-KONU (E. Y.), 1983. Tradition et modernité, la modernisation agricole

face à la mutation rurale en Afrique Noire, l’exemple du Togo, Thèse d’Etat

de géographie, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, Paris, 1037 p.

KADOUZA (P.), 2012. « Contribution de la microfinance au développement

de la culture maraîchère dans la préfecture de la Kozah au Togo » in Journal

de la Recherche Scientifique de l’Université de Lomé, Série Lettres et

Sciences Humaines (Série B), volume 14, Numéro 2, 2012, pp. 199-210.

Page 18: CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2015/12/07_RGO_80_VF3.pdf · Revue de Géographie de lUniversité de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 119

CROISSANCE URBAINE ET MUTATIONS AGRICOLES AUTOUR DE KARA, TOGO __________________________________________________________________________________

Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°004, sept. 2015, Vol. 1 136

KATAKA (H. B.), 2011. Les organisations confessionnelles et leurs impacts

spatiaux dans la ville de Kara, Mémoire de Maîtrise de géographie urbaine,

Université de Kara, 167 p.

LOKOU (B.), 1991. Les problèmes de l’habitat dans le développement de la

ville de Kara, Mémoire de Maîtrise de géographie humaine, Université du

Bénin, Lomé, 158 p. +annexes

N’BESSA (B.), 1999. « Les exploitations agricoles des citadins en milieu

rural: l'exemple béninois » in Les Cahiers d’Outre-Mer, vol. 52, n° 207, pp.

275-292.

NYASSOGBO (K.), 1980 : Introduction à l’étude des villes du Togo,

Université du Bénin, Lomé, 83 p.

NYASSOGBO (K.), 1991. « La maîtrise du développement urbain en

Afrique subsaharienne, le cas du Togo » in LE BRIS (E.),

GIANNITRAPANI (H.), 1991. Maîtriser le développement urbain en Afrique

Subsaharienne, Actes du colloque de Ouagadougou, pp.462-480.

NYASSOGBO (K. G.), 2010. « Maîtrise de l’espace et formation d’une

nouvelle collectivité territoriale. L’exemple de la région de la Kara » in IGUE

(O. J.), FODOUOP (K.), ALOKO-N’GUESSAN (J.), 2010. Maîtrise de

l’espace et développement, Karthala, Paris, pp. 85-100.

PELISSIER (P.), 2000. « Les interactions rurales-urbaines en Afrique de

l'Ouest et Centrale », Bulletin de l'APAD [En ligne], 19 | 2000, mis en ligne le

12 juillet 2006, consulté le 18 octobre 2013. URL :http://apad.revues.org/422

RAZAFINDRAKOTO (M.), ROUBAUD (F.), 2001. Pauvreté et récession

dans les métropoles africaines et malgaches : Eléments de diagnostic, DIAL

(Développement et insertion internationale), Document de travail, Paris, 30 p.

SAMARO (M.), 1995. Migrations scolaires et croissance urbaine : le cas de

Kara. Mémoire de Maîtrise de géographie humaine, Université du Bénin,

Lomé, 146 p.