LE DEVELOPPEMENT DE LA FILIERE ANACARDE...

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Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N° 04, Sept. 2015, Vol. 2 21 LE DEVELOPPEMENT DE LA FILIERE ANACARDE DANS LA PREFECTURE DE TCHAMBA AU TOGO : VERS UNE NOUVELLE STRATEGIE PAYSANNE DE DIVERSIFICATION DES REVENUS AGRICOLES SOKEMAWU Koudzo Laboratoire de Recherche sur la Dynamique des Milieux et des Sociétés (LARDYMES) Département de Géographie, Université de Lomé E-mail : [email protected] RÉSUMÉ Le secteur agricole au Togo occupe une place importante dans l'économie nationale. Il est source de revenus et d’amélioration des conditions de vie des populations paysannes. Dans la préfecture de Tchamba située dans la Région Centrale, le secteur agricole, notamment la culture de l’anacardier, depuis deux décennies, connait un développement fulgurant. Cet essor est impulsé par la crise cotonnière. L’objectif de cette étude est de cerner les contours de la filière anacarde dans la préfecture de Tchamba, qui est une nouvelle stratégie des paysans dans le processus de diversification de leurs revenus agricoles. L’approche méthodologique adoptée pour réaliser l’étude est basée sur la documentation, les observations des faits et les enquêtes de terrain. Les résultats des enquêtes auprès des acteurs de la filière, montrent que la culture d’anacardiers constitue une nouvelle stratégie paysanne de diversification des revenus agricoles dans la préfecture, après le déclin de la culture cotonnière. De plus, cette culture intègre un circuit commercial où les acteurs, à tous les niveaux de la chaîne de production, trouvent leur compte. Au-delà de son importance économique, cette culture participe à la préservation de la biodiversité locale. Mots clés : anacardier, filière, stratégie paysanne, revenus agricoles, Tchamba, Togo ABSTRACT The cashew nut fields development in Tchamba prefecture in Togo: a new farming strategy for agricultural incomes diversification The agricultural sector in Togo occupies a significant place in the national economy. It is and improvement source of income of the living conditions of the country populations. In the prefecture of Tchamba located in the Central Area, the agricultural sector, in particular the culture of the cashew tree, for already two decades, had known major fulgurating development. This rise is impelled by the cotton crisis. The objective of this study is to determine contours of the die cashew nut in the prefecture of Tchamba, which is a new strategy of the peasants in the process of diversification of their agricultural incomes.

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LE DEVELOPPEMENT DE LA FILIERE ANACARDE DANS LA PREFECTURE DE TCHAMBA AU TOGO : VERS UNE NOUVELLE STRATEGIE PAYSANNE DE DIVERSIFICATION DES REVENUS AGRICOLES SOKEMAWU Koudzo Laboratoire de Recherche sur la Dynamique des Milieux et des Sociétés (LARDYMES) Département de Géographie, Université de Lomé E-mail : [email protected] RÉSUMÉ

Le secteur agricole au Togo occupe une place importante dans l'économie nationale. Il est source de revenus et d’amélioration des conditions de vie des populations paysannes. Dans la préfecture de Tchamba située dans la Région Centrale, le secteur agricole, notamment la culture de l’anacardier, depuis deux décennies, connait un développement fulgurant. Cet essor est impulsé par la crise cotonnière. L’objectif de cette étude est de cerner les contours de la filière anacarde dans la préfecture de Tchamba, qui est une nouvelle stratégie des paysans dans le processus de diversification de leurs revenus agricoles.

L’approche méthodologique adoptée pour réaliser l’étude est basée sur la documentation, les observations des faits et les enquêtes de terrain. Les résultats des enquêtes auprès des acteurs de la filière, montrent que la culture d’anacardiers constitue une nouvelle stratégie paysanne de diversification des revenus agricoles dans la préfecture, après le déclin de la culture cotonnière. De plus, cette culture intègre un circuit commercial où les acteurs, à tous les niveaux de la chaîne de production, trouvent leur compte. Au-delà de son importance économique, cette culture participe à la préservation de la biodiversité locale.

Mots clés : anacardier, filière, stratégie paysanne, revenus agricoles, Tchamba, Togo

ABSTRACT The cashew nut fields development in Tchamba prefecture in Togo: a new farming strategy for agricultural incomes diversification The agricultural sector in Togo occupies a significant place in the national economy. It is and improvement source of income of the living conditions of the country populations. In the prefecture of Tchamba located in the Central Area, the agricultural sector, in particular the culture of the cashew tree, for already two decades, had known major fulgurating development. This rise is impelled by the cotton crisis. The objective of this study is to determine contours of the die cashew nut in the prefecture of Tchamba, which is a new strategy of the peasants in the process of diversification of their agricultural incomes.

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DÉVELOPPEMENT DE LA FILIÈRE ANACARDE DANS LA PRÉFECTURE DE TCHAMBA AU TOGO

 

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The methodological approach adopted to make a study is based on documentation, the observations of the facts and the investigations of ground. The results resulting from the surveys of ground carried out near the various actors of the die, show that the culture of cashew trees constitutes a new country strategy of diversification of the agricultural incomes in the prefecture, after the decline of the cotton culture. Moreover, this culture integrates a trade-circuit where the various actors, on all the levels of the channel of production, find their account. Beyond its economic importance, this culture also takes part in the safeguarding of the local biodiversity.

Key words: cashew tree, farming strategy, agricultural incomes, Tchamba, Togo

INTRODUCTION

L'arbre est un élément fondamental de la vie. En Afrique et partout ailleurs, il a toujours joué des rôles essentiels, soit culturels, soit économiques, voire spirituels allant de la protection des sols au maintien de l'équilibre écologique, en passant par une contribution non négligeable à la pharmacopée (Olossoumaï et Agbodja, 2011). C’est le cas de l’anacardier au Togo. Ces dernières années, cette culture a pris de l'importance dans les secteurs ruraux de la partie septentrionale du pays. Les zones favorables sont les Régions des Savanes, de la Kara, la Région Centrale et la Région des Plateaux. Ces régions couvrent une superficie de 50 293 km2, soit 88,86% du territoire togolais qui est propice à la culture de l’anacardier dont la valeur économique ne cesse de croître d’année en année. Dans la Région Centrale où se situe notre secteur d’étude, plus de 40% des superficies emblavées sont consacrées à cette culture (PNUD, 2010). C’est une filière qui présente un fort potentiel de développement et suscite auprès des paysans planteurs ou producteurs, un certain engouement. Cet enthousiasme est encore plus frappant dans la préfecture de Tchamba où la filière suscite de plus en plus l’intérêt des populations tant rurales qu’urbaines. L’implantation dans la ville de Tchamba d’une usine de transformation des noix d’acajou dénommée « Cajou Espoir » a été un facteur catalyseur. Elle a, en effet, donné un souffle nouveau à cette culture et a conduit à l’émergence d’un marché de noix de cajou en nette croissance.

La recherche a donc pour objectifs, d’analyser les facteurs qui ont motivé les paysans de la préfecture à s’investir dans cette culture, et d’évaluer la contribution de la filière au développement socio-économique des planteurs ainsi que son impact sur la protection de l’environnement. L’hypothèse qui sous-tend cette étude est que la culture de l’anacardier, à travers les retombées financières induites, constitue une opportunité pour les planteurs de diversifier leurs revenus agricoles et de protéger leur écosystème local.

La méthodologie adoptée pour vérifier cette hypothèse est basée sur la documentation, les observations et les enquêtes de terrain. La recherche documentaire, essentiellement centrée sur l’exploitation des écrits ayant trait au

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sujet, a permis de comprendre le bien-fondé de cette culture, aussi bien dans la sous-région ouest-africaine que dans d’autres contrées du monde tropical. Elle a également permis de cerner les méthodes de cultures et de gestion des récoltes des noix de cajou, d’appréhender les principaux circuits commerciaux et d’évaluer l’importance de la filière dans le développement de l’agroforesterie et de l’amélioration de l’économie paysanne. Cette phase documentaire a été suivie de celle des enquêtes de terrain. Elles ont été menées dans les secteurs ruraux de la préfecture ainsi que dans la ville de Tchamba. Les investigations ont touché à la fois les paysans planteurs (propriétaires de plantations d’anacarde), les acheteurs des noix et les responsables de la structure « Cajou Espoir » située à Tchamba, le chef-lieu de la préfecture.

Pour la collecte des données, 11 localités rurales ont été retenues. Dans chacune d’elles, une identification des planteurs a été faite suivie du tirage de l’échantillon. Elle a été rendue possible grâce à l’apport des responsables des antennes locales de l’Institut de Conseils et d’Appui Technique (ICAT), assistés de producteurs ou de planteurs locaux préalablement identifiés. Le choix des planteurs retenus pour l’enquête a été fait sur la base des superficies disponibles et de l’âge de la plantation. Du fait qu’un anacardier commence sa floraison entre la quatrième et la cinquième année de sa plantation, il a été retenu sur cette base, les planteurs qui ont commencé à jouir des fruits de leurs exploitations. Pour le choix des planteurs, un échantillonnage à choix raisonné a été utilisé. Le tableau I récapitule la démarche méthodologique ayant trait au choix des enquêtés par localité choisie.

Compte tenu des préoccupations des uns et des autres, seuls 187 paysans planteurs sur un total de 429 recensés, soit près de 44% ont été enquêtés. A cette étape, un échantillonnage par quota a été utilisé car seuls ceux qui sont disponibles et qui ont des superficies de plantations supérieures à un hectare ont été enquêtés. Les planteurs disposant de plantations de moins de 5 ans ont été interviewés afin de s’enquérir des espoirs qu’ils nourrissent en se lançant dans la filière. Au niveau des acteurs économiques intervenant dans la filière, l’accent a été mis sur les acheteurs dont on a pu identifier deux groupes en fonction de la destination des produits achetés. Il s’agit des acheteurs locaux et des acheteurs étrangers, notamment béninois. On a enquêté 68 de ces acteurs dans 11 localités rurales et dans la ville de Tchamba. Ils sont composés à 55,88% d’acheteurs locaux et à 44,12% d’étrangers.

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Tableau I : Répartition des enquêtés par localité

Localités Nombre de paysans planteurs Effectifs acheteurs

Total Enquêtés % Enquêtés Locaux Étrangers

Alibi I 47 18 38 3 1 2 Alibi II 36 12 33 5 4 1 Bago 68 21 31 - - - Balanka 59 23 39 7 1 6 Kaboli 39 19 48 12 9 3 Kouloumi 27 21 78 6 3 3 Koussountou 54 19 40 15 7 8 Koutchom 31 11 35 - - - Kpanguessi 26 13 50 1 0 1 Nandjoubi 24 17 71 1 1 1 Talaba 2 18 13 72 2 2 1 Ville de Tchamba - - - - 10 4

Total 429 187 44 68 38 30

Source : Enquêtes de terrain, 2015. La présentation des résultats de la recherche s’articule sur 5 points. Le

premier présente le milieu d’étude ; le second fait l’historique de la culture de l’anacardier au Togo et dans la préfecture ; le troisième aborde les opérations culturales et post-culturales ; le quatrième analyse l’évolution de la culture d’anacarde et son apport dans le processus de diversification de l’économie paysanne. Le cinquième et dernier point analyse l’importance de cette culture dans le développement socio-économique et la protection de l’écosystème local. 1. LA PRÉFECTURE DE TCHAMBA, UNE RÉGIONAU CŒUR D’UNE

MUTATION AGRICOLE MAJEURE Tchamba est l’une des quatre préfectures que compte la Région Centrale au Togo. Elle est située entre 8°22’ et 9°20’ latitude Nord et entre 1°15’ et 1°38’ longitude Est. Elle est limitée au nord et au nord-ouest par la préfecture de Tchaoudjo, au sud par celle de l’Est-Mono, au sud-ouest par la préfecture de Sotouboua et à l’est par la République du Bénin (Carte n°1).

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Carte n°1 : Localisation géographique de la préfecture de Tchamba

Source : DSID, carte réactualisée par SOKEMAWU K., 2015.

Elle couvre une superficie de 3 166 km², soit 23,5% de la superficie de la Région Centrale et 5,6% de celle du territoire national. On y compte 7 cantons : Affem, Alibi, Balanka, Kabolé, Koussountou, Kri-Kri et Tchamba. Le canton de Tchamba, dont le chef-lieu est la ville de Tchamba, constitue l’unique noyau urbain de la préfecture.

Localement appelé « atcha », l’anacardier (Anacardium occidentale) est une plante qui supporte des températures variant entre 12° et 35°C (Konan & Ricau, 2010). Dans la préfecture, les températures varient entre 20°C et 35°C, ce qui répond parfaitement aux normes climatiques de la plante et constitue un des atouts pour son développement. C’est une plante qui exige une pluviométrie annuelle comprise entre 500 à 4 000 m met répartie sur 4 à 5 mois consécutifs (Boillereau & Adam, 2007). Le secteur d’étude remplie cette

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condition car il enregistre une pluviométrie de l’ordre de 1 200 mm de pluie par an. Du point de vue pédologique, l’anacardier est une plante qui s’adapte à une large gamme de sols, notamment les sols légers, sableux, profonds et bien drainés, d'où d’ailleurs son caractère rustique (Olossoumaï & Agbodja, 2011). La préfecture de Tchamba réunit ces conditions qui conviennent à cette culture.

Tchamba est une préfecture démographiquement dynamique avec une densité moyenne de population de 25 hbts/km². Au dernier recensement de la population en 2010, la préfecture comptait 131 674 habitants, majoritairement jeune (RGPH, 2010). Les moins de 45 ans représentent plus de 85% de la population. C’est également une population en majorité rurale puisque 82,56% sont des ruraux contre 17,44% qui résident dans la ville de Tchamba. Les principales activités génératrices de revenus des populations rurales sont l’agriculture, l’élevage, l’exploitation du bois-énergie et le commerce. L’agriculture est essentiellement vivrière avec une prédominance de céréales (80%) sur les tubercules et les plantes à racines (20%). Les principales cultures sont le maïs, le sorgho, le riz paddy, le niébé, le soja, l’igname, le manioc (FAO, 2013). 2. HISTORIQUE ET FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT DE LA

CULTURE D’ANACARDE À TCHAMBA Les facteurs de développement de la culture de l’anacardier dans la

préfecture de Tchamba sont assez divers. 2.1. Une plante tropicale d’implantation récente au Togo

L’anacardier est une plante dont l’aire d’origine est l’Amérique du Sud, plus précisément la région de Ceara au nord-est du Brésil, où elle est présente en vastes peuplements naturels (Gagnon, 1998). Son introduction en Afrique a été faite par les colons portugais dès les 16ème et 17ème siècles. Au Togo, l’extension des plantations d’anacardiers a véritablement débuté dans les années1960sous forme de champs collectifs, grâce à la Sociétés Régionales d’Aménagement et de Développement (SORAD) et à TOGOFRUIT, principalement dans les Régions Centrale, de la Kara et des Savanes (MAEP, 2012). Les premières plantations d’anacardiers à grande échelle ont été réalisées entre 1967 et 1975. Les deux structures ont permis l’installation de près de 5000 ha de plantations domaniales et de plantations privées (MAEP, 2012). Actuellement, toutes les plantations domaniales sont à l’abandon. C’est donc à partir des anciennes plantations de la SORAD et de TOGOFRUIT, que les populations se sont lancées dans la production de noix de cajou dont les zones de prédilection au Togo sont les Régions Centrale, des Savanes, de la Kara et une partie de l’Est de la Région des Plateaux (carte n°2).

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Carte n°2 : Les aires de culture d’anacardier au Togo

Source : MAEP, 2012, carte réactualisée par SOKEMAWU K., 2015.

La carte fait apparaître trois principales zones de production d’anacardier au Togo : les zones de faible production (moins de 50 tonnes par an), les zones de moyenne production (entre 50 et 100 tonnes par an) et les zones de forte production où la production est supérieure à 100 tonnes par an

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(MAEP, 2012). Cette classification tient également compte des superficies emblavées.

2.2. Les facteurs ayant favorisé le développement de l’anacardier Dans la préfecture de Tchamba, le développement des plantations

privées d’anacardier a pris de l’ampleur à partir des années 1990. La ruée des paysans vers cette culture est due à la crise cotonnière caractérisée la chute des prix du coton-graine. Le prix du kilogramme de coton-graine est en effet, passé de 200 F CFA en 1989, à moins de 100 Fen 1995 (MAEP, 2012). Les fluctuations incessantes des prix imposées aux paysans par la Société Togolaise du Coton (SOTOCO) et les retards de payements, ont amené les paysans à l’abandon de cette culture qui, de surcroit, est exigeante en intrants, au profit de celle de l’anacardier. Les superficies emblavées ont été occupées par les cultures d’anacardier.

La superficie du coton est passée de 3 648 hectares à 1 564 entre 1995 et 2012. Cette chute des aires emblavées a été suivie de la baisse du nombre des producteurs qui est passé de 3 609 à 1 316 durant la même période. Au même moment, les aires de production de l’anacardier enregistraient une croissance fulgurante passant de 2 183 hectares en 1995 à 7 859 hectares en 2012 (FAO, 1996 et 2013). Selon les mêmes sources, le nombre de planteurs est passé durant la même période de 1 492 à 5 346. Cette extension rapide des aires de culture de l’anacardier, démontre l’importance qu’a prise cette culture dans la préfecture. En somme, la raison économique explique l’enthousiasme des paysans pour l’anacardier à laquelle s’ajoutent des conditions physiques et climatiques favorables.

3. LES TECHNIQUES DE CULTURE DE L’ANACARDIER ET LES OPÉRATIONS POST-CULTURALES

Dans la préfecture, on cultive trois variétés d’anacardier, remarquables à partir de la couleur des pommes. Il s’agit des anacardiers à pomme jaune, rouge clair (voire violette) ou rouge vif (photo n°1).

Avant la phase de floraison de l’arbre, aucune différence n’est faite entre les plants. Ce n’est qu’à partir des fruits qu’on les identifie dans l’exploitation. La culture de la plante suit plusieurs étapes.

3.1. Les opérations culturales dans la production La mise en terre des plantules fait appel à plusieurs opérations culturales. La première opération est la préparation du sol où le planteur retire les racines ou souches qui pourraient gêner la croissance du jeune plant. Il s’en suit l’installation des plantations qui se fait, soit par semis direct de la noix, soit à partir de plants de pépinières. D’après les enquêtes, 66,31% des planteurs procèdent par le semis direct contre 33,69% qui utilisent la méthode par pépinière. Dans le cas du semis direct, du fait du faible taux de germination des

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graines, il leur est conseillé de semer deux ou trois par trou. L’écartement entre deux plantules varie de 10 m et 12 m. Cet espacement vise à favoriser une floraison importante et à faire une certaine combinaison avec d’autres spéculations agricoles durant les trois premières années de croissance des anacardiers, donnant lieu à une exploitation mixte.

Photo n°1 : Les trois variétés d’anacarde cultivées dans la préfecture

Source : SOKEMAWU K., photo prise en mars 2014.

Le compte d’exploitation négatif des plantations d’anacardiers durant

les quatre ou cinq premières années d’installation est à l’origine du couplage en agroforesterie des arbres avec les cultures annuelles (coton, igname, maïs, niébé, mil, sorgho, manioc, etc.) qui se succèdent en rotation dans le temps (graphique n°1)

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Graphique n°1 : Proportion des planteurs selon les formes d’association de cultures

Source : Enquêtes de terrain, 2015.

Les cultures associées dépendent de chaque paysan et peuvent varier d’une année à une autre selon les besoins et le désir des producteurs. Au regard des données du graphique n°1, la plus importante association pratiquée par les planteurs des localités enquêtés est celle du coton et de l’anacardier. C’est par cette méthode que les parcelles destinées à la culture du coton sont progressivement complantées d’anacardiers (photon°2).

Photo n°2 : Vue d’un champ de coton complanté d’anacardier à Alibi 1

Source : AGBERE S., octobre 2014.

Cette association a pour but de maintenir, dans les deux ou trois premières années de mise sous terre des plants, la plantation propre, en effectuant des opérations de sarclage de façon régulière et en faisant profiter au maximum aux plantules, les intrants utilisés pour amender les sols ou pour

65,77%  

16,04%  

11,23%  

13,90%   9,10%  

Anacardier/Coton   Anacardier/Igname  Anacardier/Maïs   Anacardier/Mil/Sorgho  

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entretenir les autres cultures associées (engrais, pesticides, etc.). Ce n’est qu’après la cinquième année que le producteur commence par percevoir des revenus issus de cette plante, et ceux-ci croissent au fil des années jusqu’à devenir au bout de la 8e ou de la 10e année, la source principale de l’exploitation. Les activités dans une plantation d'anacardiers s’effectuent tout au long de l'année comme le montre le calendrier agricole (tableau II).

Tableau II : Calendrier cultural

Activité de production Périodes de l’année J F M A M J Jt A S O N D

Production des plantules (pépinières) Plantation (pépinières ou semis direct) Gestion de la plantation/Entretien et traitement Récolte Séchage et stockage des noix de cajou

Source : Enquêtes de terrain, 2015.

Selon les résultats des enquêtes de terrain, au sein des ménages, les activités de production sont partagées entre les hommes et les femmes. Les hommes sont plus engagés que les femmes dans des tâches comme la préparation des parcelles, la plantation et l’entretien des plantations (sarclage, mise en place des pare-feux, etc.). Le genre dans le segment d’activité de la filière anacarde est une problématique importante influencée par les facteurs socioculturels. Dans les localités visitées, le degré d’engagement des hommes est aussi important que celui des femmes. Généralement, les plantations sont sous le contrôle des chefs de ménage, qui sont majoritairement des hommes (graphique n°2).

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Graphique n°2 : Répartition des planteurs par sexe

Source : Enquêtes de terrain, 2015.

Cette répartition traduit le poids de l’emprise de la tradition dans le processus d’accès au foncier dans la préfecture. Que la plantation appartienne à l’homme ou à la femme, les activités d’entretien relèvent des hommes parce qu’exigeant beaucoup d’efforts physiques. Les femmes sont les plus concernées par la récolte des noix, le ramassage et les activités post-récoltes comme le triage et le séchage. La commercialisation des noix brutes incombe tant aux hommes qu’aux femmes, mais celles-ci excellent plus dans la commercialisation et la distribution des noix récoltées. Les femmes ont plus d’expertise dans la conquête du marché et du consommateur.

3.2. La récolte et les opérations post-récoltes A maturité, les fruits sont récoltés et ramassés à fréquences régulières.

Dans la préfecture de Tchamba tout comme dans toutes les zones de production, la pomme n’a pratiquement pas de valeur commerciale et est abandonnée sur place. Les périodes de récolte sont plus ou moins longues et s'étalent sur 4 mois (de janvier à avril). Au niveau de la production préfectorale, aucune donnée statistique de la filière anacarde n’est disponible. Le rendement varie en fonction des conditions pluviométriques, de la fertilité du sol, de l’âge des plantes, des soins qui lui sont affectés et de l'entretien des vergers.

Selon les planteurs enquêtés (100%), dans une plantation très bien installée, très bien suivie et ayant moins de vingt ans d’âge, un anacardier peut produire en moyenne 10 à 13 kg de noix par an. Un hectare peut contenir entre 300 et 400 anacardiers, ce qui donne un rendement moyen à l’hectare de la production de noix variant entre 3 000 et 4 000 kg. Selon les exploitants, ce calcul mathématique ne doit pas ignorer les pertes qui peuvent subvenir. Ce faisant, et selon les estimations fournies par les producteurs eux-mêmes, un hectare d’anacardiers peut produire entre 1 400 et 3 200 kg de noix, si et

93,51%  

6,49%  

Planteurs  Hommes   Planteurs  Femmes  

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seulement si les conditions climatiques sont réunies et que l’exploitation est bien entretenue.

Les noix récoltées sont transportées dans la zone de séchage où elles sont séchées pendant cinq jours au maximum, aussitôt après la récolte. Après cette phase de séchage, les noix de cajou sont conditionnées dans des sacs de jute et stockées sur des palettes dans un local bien aéré, en attendant d’être vendues, soit aux acheteurs locaux, soit à des acheteurs étrangers, notamment béninois.

4. STRATÉGIES ET SYSTÈMES DE COMMERCIALISATION DES NOIX DE CAJOU

La fonction commerciale au sein de la filière est organisée de façon pyramidale et hiérarchisée. On peut ainsi dénombrer trois niveaux d’activités commerciales. Ces trois niveaux constituent la chaîne de commercialisation qui se compose des producteurs, des acheteurs et des exportateurs. Dans la préfecture de Tchamba, cette filière est très peu structurée.

4.1. Collecteurs ou pisteurs, des acteurs très répandus dans le milieu

C’est le deuxième maillon de la chaîne de commercialisation après les producteurs (paysans planteurs). Les collecteurs ou pisteurs jouent un rôle incontournable et basique dans la collecte primaire de la noix de cajou dans la préfecture de Tchamba. Ils sont tous togolais et résident dans les villages où ils opèrent. Ce sont des agents de terrain œuvrant à 95% pour le compte d’autres acheteurs qui les préfinancent et les rémunèrent par des commissions. Ces pisteurs sont très appréciés par la majorité des producteurs (58,28%), surtout les plus démunis, car, selon eux, leur présence constitue une garantie de meilleurs prix. Ayant une excellente connaissance géographique des lieux de production, ils jouent un rôle capital dans le dispositif de commercialisation. Ils jouent également le rôle de créancier au sein de la communauté villageoise en accordant des prêts aux producteurs les plus nécessiteux. Les enquêtés appellent ces prêts, « prêts soudure ou d’urgence ».

D’après les informations recueillies, sur chaque kilogramme de noix de cajou acheté au producteur, les collecteurs ou pisteurs gagnent 15F ou 20 F CFA. A force de s’investir dans cette fonction, des collecteurs sont devenus eux-mêmes, avec le temps, de véritables acheteurs en formant autour d’eux, leurs propres réseaux de collecteurs. Il est difficile d’en connaître le nombre exact, car ils ne disposent d’aucun document officiel leur reconnaissant le titre de commerçant. Ils opèrent dans l’informel. Néanmoins, ils sont les plus nombreux de la chaîne de commercialisation à en croire les paysans enquêtés.

4.2. Des acheteurs de moins en moins visibles dans le paysage rural

Deuxième groupe dans le maillon des acteurs commerciaux, ils sont essentiellement des personnes physiques ou morales de nationalité togolaise ne

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disposant pas forcément de la carte d’opérateur économique ou de la carte professionnelle d’acheteur. L’accès au marché des noix de cajou au Togo est totalement ouvert, sans contrôle (MAEP, 2012). C’est un marché non structuré, ce qui permet à de nombreux acheteurs étrangers notamment des béninois, de traverser la frontière pour opérer sur le territoire togolais. Sur les 68 acteurs rencontrés, 44,12% sont des béninois. Ils préfinancent la production pour être remboursés en noix de cajou, dès l’ouverture de la campagne. Les noix dans ce cas précis, sont habituellement cédées selon un prix initialement négocié et à l’avantage de l’acheteur. D’après les résultats des travaux de terrain, les noix de cajou achetées dans la préfecture de Tchamba sont convoyées vers trois principales destinations géographiques (carte n°3). Carte n°3 : Circuits de commercialisation de la noix de cajou à partir de la

préfecture

Source : Enquêtes de terrain, 2015.

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Il s’agit du Bénin (48,66% de la production locale), du Port Autonome de Lomé (PAL) (8,03%) et de l’usine de transformation dénommée « Cajou Espoir » localisée dans la ville de Tchamba (43,31%). L’analyse de ces données permet de se rendre compte qu’une part importante de la production préfectorale d’anacarde achetée aux producteurs locaux est acheminée vers le Bénin. Ces résultats confirment ceux du Ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche (MAEP) en 2012 sur la filière, qui indiquent que les 2/3 de la production préfectorale sont achetés par les commerçants béninois. Les acheteurs sont en lien contractuel avec les exportateurs ou négociants. Ils opèrent sur le terrain avec l’aide des collecteurs et disposent de moyens de rapprochement (véhicules et motos). La campagne de commercialisation des noix débute en mars (tableau III).

Tableau III: Calendrier de commercialisation des produits d’anacarde

Produits ou saisons J F M A M J Jt A S O N D Pré-campagne Campagne Noix

Source : SOKEMAWU K., données de l’enquête, 2015.

A ces deux groupes d’acteurs, s’ajoutent ceux des producteurs-collecteurs constitués en groupements de producteurs depuis 2011. Le but de la mise en place de ce groupement est de contourner la longue chaîne de commercialisation. Ils organisent eux-mêmes la collecte et la vente de leurs produits directement aux exportateurs. Cette méthode a permis d’augmenter les marges bénéficiaires des producteurs et de dynamiser les organisations paysannes en fixant un prix minimum d’achat du kilogramme de noix de cajou. Ce prix est de 200 FCFA. 5. L’ANACARDIER, UNE PLANTE AUX IMPACTS MULTIPLES

L’intérêt porté par les paysans de la préfecture à la culture de l’anacardier témoigne de ces nombreuses retombées économiques et environnementales et qui impactent positivement, la vie sociale des producteurs et des autres acteurs impliqués dans la filière.

5.1. L’anacardier, la noix de cajou et leurs vertus L’anacardier est un arbre aux usages multiples. Les populations

utilisent, en effet, son bois léger comme combustible ou pour faire des cageots, ses cendres comme engrais, les tanins de son écorce pour tanner les peaux et ses fruits (pommes) pour l'alimentation. Même si la consommation des pommes est strictement surveillée surtout chez les enfants et adolescents, il est pourtant riche en vitamine C. La plante est également valorisée pour ses

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propriétés pharmacologiques. Selon les planteurs enquêtés, les écorces de l’anacardier sont utilisées comme antibiotique. D’après les mêmes sources, la noix de cajou est utilisée dans la médecine traditionnelle pour soigner le diabète, les troubles rénaux, soulager l'arthrite et les rhumatismes, et traiter des maladies de la peau comme l'eczéma.

5.2. L’impact économique de la noix de cajou

Le prix du kilogramme de noix de cajou varie entre 200 F et 400 F CFA. Ce prix croît au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la période de récolte et est aussi fonction des acheteurs. Avant la mise en place des groupements de producteurs dans la préfecture, fixant le prix d’achat minimum du kilogramme de noix de cajou à 200 FCFA, le montant d’achat le plus bas se situait entre 100 F et 125 FCFA pour Cajou Espoir ou leurs sous-traitants. Les Béninois proposaient 175 FCFA. Depuis l’uniformisation du prix minimum, le kilogramme de noix est vendu entre 275 F et 350 FCFA. C’est du reste, l’une des raisons qui expliquent l’arrivée massive des opérateurs économiques béninois durant la campagne d’achat de ces noix dans la préfecture puisque de l’autre côté de la frontière (au Bénin), le prix du kilogramme se situe entre 250 F et 400 FCFA.

A la fin d’une saison de production, les planteurs arrivent à tirer un gain financier annuel qui varie entre 540 000 FCFA pour ceux qui ont des superficies réduites (1 à 2 hectares au plus) et 14 000 000 FCFA pour les plus gros exploitants. Le tableau IV illustre les revenus nets tirés issus de la vente des noix de cajou en 2014. Tableau IV : Récapitulatif des revenus nets en 2014

Revenus nets annuels (en FCFA) Nombre d’exploitants Proportion en % Moins de 700 000 64 34,22 700 000 – 1 000 000 000 58 31,06 1 000 000 000 – 5 000 000 000 47 25,13 5 000 000 000 – 10 000 000 000 16 8,56 Plus de 10 000 000 000 2 1,07 Total 187 100,00

Source : Enquêtes de terrain, 2015.

En comparant ces revenus du tableau n°4 au Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) en vigueur au Togo qui est de 35 000 F CFA, on peut affirmer que les planteurs de la préfecture de Tchamba ont un revenu mensuel supérieur au SMIG. Pour les planteurs qui gagnent moins de 700 000 FCFA par an, ils ont mensuellement 58 333 F contre 35 000 F CFA pour le fonctionnaire vivant du SMIG. On peut conclure que ces planteurs ne vivent pas dans la pauvreté financière.

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La production de noix de cajou permet aux planteurs de financer l’acquisition des équipements agricoles, les campagnes agricoles (travaux préparatifs et récolte), d’investir dans la scolarisation de leurs enfants, d’assurer la bonne couverture sanitaire des membres de leurs familles et de subvenir à leurs besoins alimentaires. En comparant les revenus tirés de vente du coton et des noix de cajou lors de la campagne agricole 2013/2014, on se rend compte que ceux du coton se chiffraient en moyenne entre 275 000 F et 700 000 FCFA, alors que ceux des noix de cajou se situaient entre 650 000 F et 14 700 000 FCFA. Il est clair que la culture d’anacardier est une source importante de revenus et de diversification de revenus pour les agriculteurs, un investissement de retraite pour les paysans âgés, et un moyen d’affirmation pour les femmes, vulnérables en milieu rural.

Par ailleurs, la culture de l’anacardier crée des emplois et permet de résorber le chômage surtout chez les jeunes et les femmes. La production des noix de cajou constitue une opportunité de promotion de l’entrepreneuriat rural féminin du fait que ce sont elles qui participent le plus aux récoltes des noix. Elles sont généralement rémunérées entre 45 F et 60 FCFA le kilogramme de noix récoltées. Pour une journée de travail dans les plantations, une femme peut percevoir entre 2 000 F et 3 500 FCFA. Les opportunités d’emplois sont donc nombreuses sur toute la chaîne de valeur : collecte, transport, commercialisation et services divers.

5.3. La culture de l’anacardier, une forme de diversification des revenus des planteurs

L’engouement des paysans de la préfecture pour cette culture vient du fait qu’elle soit devenue une source de conservation du patrimoine foncier, de la biodiversité et de diversification des revenus. Il ressort des observations sur le terrain que les plantations d’anacardiers en âge de produire les fruits, sont parsemées de ruches (photo n°3).

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Photo n°3 : Une ruche placée dans un anacardier à Kabolé

Source : SOKEMAWU K., 2015. Non seulement, la vente des noix rapporte des revenus monétaires

importants aux paysans par rapport à la culture du coton et aux cultures vivrières, mais celle des autres produits de la ruche, notamment le miel, apporte également des compléments financiers non négligeables. En une saison agricole, les producteurs deviennent des apiculteurs. Cette activité leur procure une quantité importante de miel qu’ils vendent. D’après les données recueillies, les producteurs arrivent à récolter entre 70 et 500 litres de miel dans leurs exploitations. Le litre du miel récolté et traité est vendu entre 3 500 F et 4 500 FCFA. Les revenus tirés de la vente de ce miel, ajoutés à ceux des noix de cajou, permettent aux planteurs, de réaliser des revenus 5 à 10 fois supérieurs au SMIG. L’engouement des paysans pour cette culture a amené les autorités togolaises, à initier des projets dans ce domaine. Il s’agit des projets de soutien à la production par « Cajou Espoir SARL » à Tchamba, du « projet cent jeunes pour cent hectares » à Tchamba et du projet pilote de l’Association Paysanne pour la Communication des Ruraux (APCR) de Tchamba. Le développement de ces projets dénote de l’importance prise par cette culture dans la préfecture.

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5.4. La culture de l’anacardier et la protection de la biodiversité locale

La culture de l’anacardier a un impact écologique très positif. Cet atout repose sur trois principaux points : protéger, conserver, reconstituer. L’anacardier est une plante idéale pour la protection des sols contre les érosions. Il participe à la conservation de la biodiversité et à la reconstitution des terres de culture dégradées et appauvries. Selon Boillereau et Adam (2007), cette plante participe à la bonne séquestration du carbone. Actuellement, la production des noix de cajou requiert très peu d’intrants polluants tels que les pesticides, les herbicides et les engrais. Dans le secteur étudié, l’anacardier est en partie utilisé comme essence de reboisement. La culture de l’anacardier est donc une activité économique qui préserve et restaure l’environnement. Le recours aux plantations d'anacardiers constitue une solution durable préconisée dans la lutte contre la pression humaine sur les essences forestières. De par la durée de son exploitation (30 ans environ), cette plante contribue à stabiliser localement, au même titre que les autres essences forestières. Il est également un moyen sûr de gestion du foncier rural. Compte tenu de la valeur économique de la culture de l’anacardier, les paysans ne s’adonnent pas à la vente des terres de culture comme c’est le cas dans d’autres préfectures du Togo, telles que l’Avé, le Kloto, l’Ogou, etc. (Fatondji, 2012 ; Ayarma, 2015).

CONCLUSION

La production de l’anacarde dans la préfecture de Tchamba connaît un essor progressif. Les superficies emblavées sont en extension et le rendement s’améliore. Cela, malgré la faible application de l’itinéraire technique de la production et le manque de moyens financiers chez les producteurs pour se procurer le matériel approprié. L’implantation de l’unité locale de transformation de la noix (Cajou Espoir) a entrainé un accroissement des superficies emblavées durant ces dernières années. Cette culture constitue dès lors, l’une des principales sources de revenus pour des populations rurales de la préfecture de Tchamba.

La culture de l’anacardier semble s’intégrer avec succès aux systèmes agraires locaux pour fournir des ressources monétaires aux agriculteurs, sans nuire aux productions vivrières et à la sécurité alimentaire des régions de production. Elle offre des avantages socio-économiques non négligeables. Les acteurs, notamment les planteurs, réalisent des marges bénéficiaires importantes qu’ils utilisent pour la satisfaction des besoins de leurs familles. La filière anacarde a des potentialités intéressantes malgré les nombreux goulots d’étranglement internes et externes propres à chaque catégorie d’acteurs de la filière. Mais pour un maintien durable dans la filière et son rayonnement aussi

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bien dans les espaces UEMOA et CEDEAO qu’au niveau africain et mondial, il faut une mobilisation synergique des différents acteurs (privés, associations professionnelles), pour organiser la filière noix de cajou allant de la production à la commercialisation. C’est d’ailleurs, ce qui se fait au Bénin et en Côte d’Ivoire. Prenant le cas spécifique de la Côte d’Ivoire, l’intervention de l’État et des organisations paysannes intervenant dans la filière a fait de ce pays, l’un des premiers producteurs et exportateurs africains des noix de cajou du continent.

Pour atteindre ces objectifs, le soutien de l’État et d’autres partenaires économiques au développement s’avère nécessaire. Ce soutien qui traduit un besoin exprimé par les enquêtés, devra se manifester à travers l’appui technique et la formation professionnelle, tant des planteurs que des autres acteurs économiques intervenant dans la filière.

Beaucoup d’études ont été effectuées sur la filière anacarde et ont permis de se rendre compte que dans la préfecture de Tchamba, cette culture participe non seulement dans la lutte contre la pauvreté paysanne, mais également au processus de reboisement et de préservation de la biodiversité. Ce volet de la production est une source d’inspiration en matière de la bonne gestion de l’environnement local, du développement des produits forestiers non ligneux et de la conservation du sol.

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