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Théologie de l’Agonie Du Christ. La Liberté Humaine Du Fils de Dieu Et Son Importance Sotériologique Mises en Lumière Par Saint Maxime Le Confesseur

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SOPHRONE DE JeRUSALEMVIE MONASTIQUE ET CONFESS ION DOGMATIQUE

par CHRISTOPH von SCHONBORN

THEOLOGI E HI STORIQUE - 20

LE MONDE ET L'.ECLISESELON MAXIME LE CONFESSEUR

par ALAIN RIOU

PREFA CE Dr; M.J . lJE GUlLLOU

THEOLOGIE HlSTORIQUE - 22

MAXIME LE CONFESSEURLA C HARIT E

AVENIR DIVI N DE I.'HOMME

par JUAN MI GUEL GARRIGUES

PREFACE DE M.J . LE GUlLLOU

THEOLOGIE HISTORIQUE - 38

THEOLOGIE HISTORIQUECOLLECTION FormEE PAR JEAN DANIELOU

DIRIGEE PAR CHARLES KANNENGIESSER

52

THEOLOGIEDE

L'AGONIE DU CHRISTLA LIBERT:E HUMAINE DU FILS DE DIEUET SON IMPORTANCE SOT:ERIOLOGIQ1!.E

MISES EN LUMIEREPAR SAINT MAXIME LE CONFESSEUR

par

FRANyOIS-MARIE LETHEL

PREFACE DE M.J . LE GUILLOU

EDITIONS BEAUCHESNEPARIS

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PREFACE

REDECOUVERTE DE LA CHRISTOLOGIE

La Christologie doit etre pensee non seulement en fonction duCondie de Chalcedoine (451), mais plus encore sur l'horizon desConciles qui l'ont suivi, et particulierement du Condie de Cons­tantinople III (681), ectaire lui-meme par le Condie de Latran de649. En soulignant cette necessite, la these de F.M. Lethel apporteune piece capitale au debet contemporain sur 10 Christologie.

Je voudrais d'abord preciser Ie sens de cet apport, et ensuitepresenter la recherche qui a permis de parvenir aun tel resultat.

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•• •

Le travail de F.M. Lethel nous invite a redecouvrir la signi­fication profonde et l'originalite des affirmations dogmatiques duvtr stede concernant les deux volontes du Christ. Et des tors, iJsemble necessaire de reviser completement l'opinion couranteselon laquelle ces affirmations ne seraient qu 'un simple pro­longement du dogme de Chalcedoine. Trop souvent, en effet, onn'a vu dans l'affirmation des deux volontes qu'une consequence,assez secondaire. de l'affirmation des deux natures.

Or, il s'agit de tout autre chose. Ce qui est au centre de lacontroverse monothelite, ce n'est pas d'abord une discussion surles natures et leurs proprietes respectives, mais bien plut(jt l'inter­pretation d'un evenement majeur de la vie du Christ: l'Agonie.C'est ta, dans la priere de Jesus d Gethsemani, que so volontihumaine est consideree concretement, dons un acte libre d'uneportee decisive pour notre salut. Ainsi, te grand dibat christo­logique du VII' steele a fondamentaiement pour objet /Q libetihumaine de Jesus, manifestee dans son histoire.

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6 THEOLOGlE DE L'AGONIE DU CHRIST PREFACE 7

A partir du recit de l'Agonie, le monothelisme a pose en pro­fondeur Ie probleme de cette liberte humaine, sous 10 formed'une « mise en question » d 10 fois nouvelle et radicale. C'est enconsiderant Ie meme even ement de 10 vie du Christ que Maximedevait resoudre ce probleme, en mettant en pleine lumiere, nonseulement la realite de la liberte humaine du Christ, mais encoreson role capital pour notre salut. Alors, en effet, ce que le libreconsentement, Ie « fiat» de Jesus aGethsemani revele d Maxime,c 'est que notre salut a etc voulu humainement par une Per sonneDivine. Tel est Iepoint precis qui va se trouver au centre des affir­mations dogmatiques de I'Egfise contre Ie monothelisme. Plutotque du dogme des deux volontes, on devrait parler du dogme dela deuxieme volonte, 10 volonte humaine du Christ (so premierevolonte, divine, n 'etant jamais serieusement mise en cause au VI!'

steele). Plus exactement encore, il s 'aglt du dogme de 10 libertehumaine du Christ.

En voyant dans la fibre acceptation de 10 coupe un acte devolonte pleinement humain, Maxime comprend ce que signifie enverite l'obeissance du Christ, obeissance « jusqu'a 10 mort et 10mort de 10 Croix» (Phil. 2/8). L 'obeissance exprime par excel­lence i 'attitude humaine du Fils al'egard de son Pere. E/ Maximetient avec 10 meme fermete tous tes termes d'un paradoxe inout :il s'agit, dans l'ordre de la liberte et devant la mort, du comporte­ment pleinement humain d'une Personne Divine.

II faut remarquer ace propos que 10 decouverte de 10 libertehumaine de Jesus prend tout son sens dan s fa christologie deMaxime parce qu 'elle vient completer les grandes affirmationsdogmatiques des siecles precedents, sans jamais les remettre encause. La lecture historique du Mystere, centree sur l'acte fibre deJesus aGethsemani, s'articule sur la lecture ontologique garantiepar Chalcedoine : une personne, deux natures, car Ie fondementde cette liberte contemplee dans {,histoire se trouve dans fa naturehumaine assumee par Ie Verbe. Tenus avec une egale fermete,tous les elements du dogme trinitaire et christologique maintien­nent I'intelligence du theologien dans une tension crucijiante,mais extraordinairement feconde. En empechant tout retrecisse­ment, tout ecrasement, toute reduction du Mystere, cette tensionouvre la voie a I'approfondissement et ala recherche.

D'abord. Ie dogme trinitaire, tel qu'i! a ete explicite au lV'sieele,

demande au theologien de maintenir dans toute sa rigueur l'affir­mation de la consubstantialite et de la stricte egalite des troisPersonnes Divines. 1Iy a done une seule volonte divine communeaux trois Personnes ..par rapport d notre salut, il faut dire que lePere, le Fils et Ie Saint-Esprit ont une seule et meme eudokia,volonte bienveillante absolument fibre. A ce plan de la volontedivine, il n y a, aproprement parler, ni obeissance, ni soumissiondu Fils au Pete .. certes, le dogme trinitaire maintient l'ordre desPersonnes, mais il exclut toute forme de subordinatianisme. Lavolonte du Pere, c'est egalement et meme identiquement celle duFils comme Dieu, et Maxime exprime parfaitement le « compor­tement divin » du Fils en disant qu'il est suneudokon, ayant avecle Pere et le Saint-Esprit fa meme volonte bienveillante de notresalut.

Mais ensuite, Ie dogme de Chalcedoine demande de tenir aussifermement, d propos du Christ, d'une part la distinction entre cequi est divin et ce qui est humain, et d 'autre part l'unite de 10 Per­sonne, du sujet. La volonte humaine du Christ doit done etrenettement distinguee de so volonte divine, mais il faut dire enmeme temps qu 'elle est 10 volonte humaine d'une PersonneDivine.

Tout ceci permet d'affirmer que 10 christologie de Maxime pre­sente un grand interet pour aujourd'hui ,. elle invite aengager undialogue fratemel et constructif avec les christologies contem­poraines. En particulier, on doit se rejouir en constatant que 10liberte humaine du Christ, consideree concretement dans l'histoire,est au coeur des recherches actuelles. Mais l'afflrmation de cetteliberte humaine n 'est pas toujours correctement articulee, inte­gree dans l'ensemble du Mystere. Ainsi, envisagee comme 10liberte d'une personne humaine, 10 liberte humaine du Christperd toute son importance soterioiogique : c'est Id une premierefacon de reduire Ie Mystere, d'el'acuer Ie paradoxe. De meme,lorsqu'on voi/ dans I'obeissonce un comportement divin du Fils- ce qui est assezfrequent aujourd'hui - on opere une reduction .aussi grave. On pou"ait meme parler ace propos d'un nouveaumonothelisme, puisque la volonte dil'ine du Christ n'est pas dis­tinguee.de sa l'olonte humaine ,. mais alors, contrairement acequi se passait dans I'ancien monothelisme, cela se produit main­tenant au detriment de la volonte di\tine. qui se trou,re en qu~/qw

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8 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST PREFACE 9

sort~« ~umanisee », On remarque d'ailleurs, en dehors de ce cas~rtl~"er, une tendance assez generate d « humaniser » laDivinite,bien III~tree par les theologies de la « souffrance de Dieu»,

Or, I~ Iaut Ie rappeler avec force, et Maxime nous y invite: il.n,!.a..nl so~f!ra~e divine.ini obeissance divine, ni meme histoired!!!!!e, mats IIy a tres reellement sou/france humaine, obeissance~u",-~ne-et histoire humaine d 'une Personne Divine : Ie Filsincome. Sans doute, l'obeissance du Christ a un mode, une« to~rn~re » (trop?s) per~onnel/e,absolumentinoute, puisqu'elleest I a.ttltude du Fils, mats el/e n en reste pas moins pleinementhumaine selon sa realite essentiel/e (logos),

•• •

La these de F.M. Lethel, qui aboutit aux resultats dont je viensde parler se p,:esente sous une forme breve et quelque peu austere.Le.sou~I majeur de l'auteur a eM la clarte, afin que son travailPUISS~ ~tre Ie plus facilement verifie, et eventuellement corrige.AussI~ II me semble necessaire de montrer quels ont eM l'axe et Iec~emmement de cette recherche, car il n 'etait pas facile de parve­ntr d u~ tel centre de perspectives ,. de serieuses apparences s'yopposatent,

. L 'une des premieres et principales difficultes vient des catego­nes employees par Maxime au sujet de la volonte humaine danscertaines de ses oeuvres: la distinction entre volonte naturel/e etvol~te gnomique. Le fait qu 'il attribue la premiere au Christ etnon la-seconde, a souvent donne l'impression que pour lui 10volonte humaine du Seigneur est une simple «volonte denature» et non une volonte libre. Cette impression vient proba­blement de ce que l'on projette sur les categories de Maxime 10distinction scolastiqueentre « voluntas ut natura» et « voluntasJ!! rati? >~• .Alors, 10 I~berte humaine du Christ devient complete­ment invISible,. et meme apparemment, Maxime la nie !, II ajallu attendre !.!!..!emarq!Jable these de .M. Doucet pOur que~ette apparence puisse etre definitivement depassee, c'est-d-direpour que '!-.caractere essentiel/ement humain du « fiat» de Jesus0, Gethsemani, acte libre par excellence, soil c1airement reconnu.

(e ela, ni H. Urs von Balthasar, ni A. Riou, ni J.M. Garrigues ne'L'avaient vu.. Des lors, la direction de la recherche peut se preciser : c'estdans les textes sur l'Agonie que 10 pensee la plus complete et 10plus profonde de Maxime concernant la volonte humaine duChrist doit se reveler. L 'etude attentive de res textesfait apparaitrel'importance toute speciale du premier en date, l'Opuscule 6.Compose vers 641, ce brefecrit correspond a la decouverte de laliberte humaine du Christ, et il s'acheve par I'elaboration de laformule qui sera canonisee au Condie de Latran de 649.

Mais en meme temps, cet Opuscule surl'Agonie se presentecomme une relecture et une reinterpretation d'un texte particulie­rement difficile de saint Gregoire de Nazianze. Or, iI est mani­feste que Maxime repond a un probleme pose par Ie monothe­lisme et que Ie texte de Gregoire a deja eM relu et reinterpretedans un sens monothelite. Ceci conduit F.M. Lethel a reconnoitreI'importance toute speciale du Psephos promulgue par Ie Patriar­che Serge de Constantinople en 633. Le grand probleme mono-

. thelite, seulement latent dans Ie texte de Gregoire, est clairementpose, de facon puissante et geniale, dans Ie Psephos ,. et ce pro­bleme, c'est precisement celui de la liberte humaine du Christ,consideree dans l'Agonie. Le texte de Gregoire de Nazianze, IePsephos de Serge et I'Opuscule 6 de Maxime sont les pieces

---majeures qui permettent d'atteindre Ie centre de perspective de lacontroverse monothelite, et done des affirmations dogmatiquesde l'Eglise au VI/' siecle.

A partir de ce centre, iI semble possible de voir clair dans toutun ensemble fort eomplexe.

D'abord, Ie Psephos revele une forme nouvelle et tout djaitoriginale de monothelisme. En particulier, ce « monothelismebyzantin » est essentiellement different du monothelisme mono­physite, dejd bien atteste chez les grands monophysites du vr siede.Mais, tres tot, l'originalite theologique de ce monothelismebyzantin n 'apparaitra plus ; iI sera comme noye, submerge, dansun ensemble ideologique assez informe que F.M. Lethel appelle«monothelisme vulgaire 01.1 de propagande ». En ce quiconcerne Ie rilOnothelisme, cet ecrasement des perspectives estdejd net en 645, dans la Dispute avec pyrrhus. Finalement, on 'Ieverra dans Ie monothelisme qu 'un simple prolongement du

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10 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST PREFACE 1 1

monophysisme ; et comme Serge avait en vue l'union avec lesmonophysites, cette apparence sera encore renforcee.r Or, if est manifeste que les Peres du VI' Condie Oecumenique

\ (68/) n 'ont pas reussi a depasser cette apparence : its n 'ont plus1saisi I'originalite profonde de la controverse monothelite par rap­I port aux controverses monophysites des steeles precedents. NousI en avons une double preuve. D'abord, la formulation dogmatique

ne montre plus l'originalite ni la nouveaute de l'affirmation desdeux volontes par rapport a l'affirmation des deux natures.Ensuite, if y a la condamnation du Pape Honorius Ier, a cause de

- sa phrase malheureuse : « nous confessons une seule volonte de-- Notre-Seigneur Jesus-Christ », ecrite pres d'un demi-siecle aupa-

ravant (634). Pour les Peres du VI' Concile, il etait evident quecelui qui confessait deux natures aurait dfl necessairementconfesseraussi deux volontes !

La condamnation du Pape repose done sur un malentendu, cartel n'etait pas du tout Ieprobleme devant lequel Honorius s'etaittrouve soudain confronte en lisant Ie Psephos de Serge. La reac­tion d'Honorius montre simplement la profondeur et la nou­veaute du probleme pose. D'ailleurs, fait remarquable, ala memedate Maxime lui-meme n'a pas reagi autrement. La solution,dans l'Opuscule 6, n'est venue qu'apres la mort d'Honorius,

rmais Maxime n'a jamais cesse de defendre sa memoire, en inter­pretant de facon bienveillante et orthodoxe sa formule mal­heureuse. Et de la meme maniere, Ie Condie de Latran de 649,

\

, dont les textes dogmatiques montrent clairement l'originalite deI'affirmation des deux volontes par rapport au dogme de Chalce­doine, n'a pas condamne Honorius.

, En terminant, je voudrais dire que cette these nous invite arelire attentivement une importante page de l'histoire de l'Eglise,une page ala fois dramatique et tres belle, toute illuminee par IeMystere de la Croix.

La controverse monothelite se deroule dans un monde en pleinbouleversement, au moment ou l'empire chretien est gravement

"menace par les Perses, puis par les Musulmans. L 'Eglise est dansle monde, et tout Ie drame qu 'elle vit au VI/' siecle est en relation'etroite avec ces problemes politiques.

La grande difficulte soulevee par Serge en 633 va d'abord laissertoute l'Egiise dans l'hesitation. Ceite periode de flottement est

bien illustree par Honorius. II faut attendre 64/ pour que !oiumiere se fasse avec Maxime :' la liberte humaine du Chnstcontemptee dans Ie « fiat» de'l'Agonie, Mais ,alors, n 'ayant plusqu 'Un interet politique, Ie monothelisme va rap/dem~nt se ~egraderen ideologie, avec en sa faveur toute la puissance /mpena!e.

Face acela, l'Eglise va ressaisir la decouverte .theolog/que deMaxime au plan dogmatique ..et des lors, Ie d~tm de c; theolo­gien va se trouver assode acelui du Pape Mart/,n,Ier, d abord auCondie de 649 dans la mise au point de la defimtlOn, et plus lar~~dans la confession et le martyre. Concretemenl~_ '" .ciogm~ de .talliberte humaine du Christ s 'est inscrit dans la v/e. de 1EgllSe)confmeetan1 egalement I'affirmation herotque de ~a Itbe'!e aelle,en face du pouvoir imperial, et cela dans 1expenence dJI'Agonie. ,

Ainsi le martyre de Martin Ier et de Maxime montre de faconparticulierement belle quelle est la vraie logique d~ dogme dansl'Eglise ..c'est une logique d'amour, c~lIe du temOlgnage rendu ala Verite jusau'au don de sa propre VIe.

M.J, LE GUILLOU.

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TABLE DES MATIERES

PREFACE.... .... .......... ...... ..... .... ..... . ..... ... 5

BIBLIOGRAPHIE 15

INTRODUCTION 17

Premiere partie

LE MONOTHELISME BrzANTlN

Chapitre premier. UN TEXTE CRUCIAL DE SAINTGREGOIRE DE NAZIANZE SUR LA VOLONTE DU CHRlST .,. 29

I. Texte 29

II. Les problemes poses 311. Une volonte du Christ 312. Alterite et contrariete 333. L'interpretation des paroles de Jesus ~ .... 34

Chapitre II. LE PsEPHOS DU PATRIARCHE SERGE (JUIN633) 36

I. Texte 37

II . Commentaire 38A. Hypothese des deux volontes du Christ

au moment de l'agonie 38B. Reduction au principe de non-contradiction 41C. Negation de l'hypothese : le refus de la Passion

n 'est pas une vraie volonte humaine maisseulement « mouvement nature! de fa chair» .. 44

III. Les consequences du Psephos 46A. L 'approbation d'Honorius (debut 634) 46B. L 'Ecthese de 638 .. .. .. .. . . . .. .. .. .. .. .. . .. . .. . 48

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14THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST

Chapitre III AUTRE 1

DE LA VO~ONTE HUM~:~:%~~~: D:E~~~~~~~.~I~ ~I~~50

107

112

77

BIBLIOGRAPHIE SOMMAlRE

Les theses recentes sur Maxime contenant de bonnes bibliographies, ilnous a paru inutile, dans Ie cadre de ce travail, d'en etablir une autre.Nous renvoyons acelles de A. Rrou et de J.M. GARRIGUES. Nous nouscontentons de rnent ionner ici quelques ouvrages que nous avons particu­Iierement utilises .

SAINTMAXIME LECONFESSEUR, Oeuvres, (Patrologie Grecque de Migne,vol. 90 et 91 , Paris , 1860).M . DoUCET, La Dispute de Maxime le Confesseur avec Pyrrhus, Intro­duction, texte critique, traduction et notes (these dactylographiee, Mon­treal 1972).H. URS VON BALTHASAR, Liturgie Cosm ique (paris, Aubier 1947)J.M. GARRIGUES, Maxime le Confesseur, la charite avenir divin deI'homme (Theologie Historique 38), Paris, Beauchesne, 1976J.M. GARRIGUES, « La Personne composee du Christ d'apres saintMaxime » (Revue Thomiste, avril-juin 1974 p . 181-204) .J.M . GARRIGUES, Le martyre de Saint Maxime le Confesseur (Re1'UeThomiste, 1976 n° 3 p. 410-452) .R .A. GAUTHIER, « Saint Maxirne Ie Confesseur et la psychologic deI'acte humain » (Recherches de theoiogie ancienne et medievale 21, 1954,p .51-H)(» .J. LEBON, La christologie du monophysisme syrien (dans Das Konzil l'onChalkedon, t. I, p. 425-580).Ch. MOELLER, Le chalcedonisme et Ie neo-chalcedonisme en Orient de451 d 10 fin du vts siecle (Das Konzil von Chalkedon, I, p. 637-720).H. RAHNER, L 'Eglise et l'Etat dans techristianisme primitif(Paris 1964).A. RIOU, Le Monde et I'Eglise seton Maxime le Confesseur (TheologieHistorique 22), Paris, Beauchesne, 1973.P. SHERWOOD, An annotated date-list of the works of Maximus theConfessor (Studio An.selmiana }O. Rome \952).P. SHERWOOD en collaboration avec F.X. Ml~llP"Y.~~n~

III (Histoire des Con dies Oecumeniques, t. 3, Paris, Orante, 1973).Ch. VON SCHONBORN, Sophrone de Jerusalem (Theologie Historique20), Paris Beauchesne 1972.Ch. VON SCHONBORN, L 'Icone du Christ (Editions universitaires, Fri­bourg Suisse 1976) .

59

65

656574

8687

9191929396

123

127

L'APPROBATlON DU PSEPHOS (FIN 633 -.. .. . . .. .. . . . . .. .. . . . . . . ... .. . . . . . .. . .

Seconde partie

MAXlME LE CONFESSEUR

Chapitre premier,DEBUT 634)

Annexes

I. Trois grands textes de Maxime sur l'Ag . J.._ 'entre 642 et 646 onre, ecnts

II. ~~ t~~~~eme de';~ .~~.~;,~: '~~~I~~ ., ~:~~~~~~~•• • 0 • • • • •• •• •• • ••• • •• •• •• ••• •••• •• •• • •••

Chapitre II. LES APPROCHES DU PROBLEME

l. La premiere affirmation de la volonte h' "::: 'd' .Christ (634-640) c umame uA. Opuscule 4 .B. Opuscule 20 ' .

II. Fon?e~ent ontol~~i~~'~ ': '" ' " .

la dlstmction nature/hypostase ... .. ...... . ... .

Chapitre III. LA SOLUTION (VERS 641) .I. Texte de l'Opuscule 6 .

II. Commentaire .

A. Presentatio~' d~ i~ 'ih~;~ -';'~~~th~iit .B. There de Maxime e .c. Confirmation de 10'th~;~ .D. Conclusion synthetique . : : : : : : : : : : : : ... . ... .. . .

Epilogue

LE DOGME DE LA LlBERTE HUMAINE DU CHRIST

I. La Definition. . ... . .. ... .. ... . 0 • • •• •• • •• • ••

0

• • •

II. La Confession .. ... . . . .• • • • • • • • • • •• • • •• • 0 •••• •

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INTRODUCTION

Le recit evangelique de l' Agonie du Christ revele que notresalut a ete voulu humainement par une Personne divine.

Telle est la grande decouverte christologique de Saint MaximeIe Confesseur, celie qui constitue son apport proprement dogma­tique car, en elle, l'Eglise a solennellement reconnu l'expressionde sa Foi.

La volonte divine par laquelle Ie Fils de Dieu a voulu notresalut avait ete definitivernent mise en lurniere par les Peres du IV'

siecle. Us avaient rnontre que cette volonte ne lui appartient pasen propre mais qu'il la possede en commun avec Ie Pere et IeSaint-Esprit. Contre les ariens, ils affirmaient que les trois Per­sonnes consubstantielles n'ont qu'une seule volonte divine.

A cette doctrine devenue la Foi de toute l'Eglise, Maximeapportait un complement capital trois siecles plus tard enmontrant que notre salut n'est pas seulement voulu en communpar les trois Personnes selon I'unique volonte divine, mais qu'iIest aussi voulu en propre par la seule Personne du Fils incarneselon sa volonte humaine. Ce faisant, Maxime inaugurait unevision toute nouvelledu Mystere de notre salut en Jesus-Christ

\

q~i perm~it de ~~o~ser pleinement, po.ur la p:emiere fois, laVIe terrestre du Seigneur. Pour la premiere fois, en effet, laconsistance soteriologique es actions et souffrances du Christ

\

pouvait - efre reconnue dans son irreductibilite au fait del'Incarnation I. Car Ie Fils n'a evidemment pas voulu humainement

I . Ceci se retrouve au centre de la synthese christologique de Saint Thomas.Dans son Commentaire du III' livre des Sentences, Ie docteur Angelique distingue,d 'une part : « ces choses que Ie Christ a assumees avec 10nature humaine '" etd'autre part « ces choses qu 'il a operees par 10nature humaine " ldl.t. 13 dl'lblatextus) . La question de la volonte humaine fait Ie lien entre ces deux temps de \a

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18 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRISTINTRODUCTION 19

I 'Incarnation, mais seulement divinement, en commun avec IePere et Ie Saint-Esprit. Certes, l'Incarnation a recu Ie libreconsentement d'une volonre humaine, mais de la volonte d'unepersonne humaine : c'est Ie « fiat » prononce par la Vierge Marieal'Annonciation. Mais aGethsernani, lorsque Jesus dit : « Pere,que ta volonte soit faite » (Mt26/42), il prononce Ie « fiat )) de faRedemption: c'est Ie libre consentement de la volonte humained'une Personne divine 2. Car le « fiat » de Jesus aGethsernan]exprime l'ultime decision de sa volonte humaine devant laPassion imminente. Pour nous sauver, « il fallait que Ie Christsouffrii saPassion », Cette mysterieuse necessite procedan de laphilantropia de Dieu, de cette mernevolonte bienveillante (eudokia)que les trois Personnes ont anotre egard . Mais pour que Je Christnous sauve, il fallait aussi que sa Passion fflt precedee parl'acceptation de sa volonte humaine.

Ce que Maxime a mis en lumiere est done veritablemen] Ia~~b~.r~~ ~umaine du Christ J, contemplee dans son supreme enga­

,gement, dans ledon total que Jesus a fait de sa propre vie pourInous sauver.

•• •

chrislologie parce que la volonte, propricte de fa nature, est egalement le principedes actes humains : « la volonte est Ie principe de I'oeuvre hurnaine, sans lequelI'oeuvre n'est ni meritoire, ni digne de louange » (dist . 17, divisio texrus).

La premiere grande subdivision de la Tertia : « Ie Sauveur lui-merne » (Q. I a59) fait apparaitre la merne distinction : d'abord Ie Mystere de l'lncarnation. etensuite les « acta et passa Christi » (cf prol.) .

La valorisation sotCriologique des « acta et passa » est Ie meilleur moyen d'evi­ter la vieiJle tentation de "Incarnation UnivcrselJe (cf IlIa Q. 4 art 5 obj. 2 et ad 2).

2. Au v' siecle, saint Leon Ie Grand avail deja vu ce consentement de lavolonte humaine, rnais san,~6carter totaJement Ie risque du dualisme christologigue(cf. A. GRILLMEIER, Le Christ dans 10 T radition chretienne, Cerf 1973, p,~40-541). On pourrait dire la merne chose en ce qui concerne les grands represen­(ants de l'ecole d'Antioche.

, 3. En ce qui concerne la justification de ce terrne, voir l'Annexe II : Le pro­bleme de 10gn{}me. exclue 'de,'humanitedu Christ , p, 127. L'interference de ceprobleme a iongtemps ernpeche de com prendre l 'lnterpretation maximienne deI'Agonie. Ainsi, I'apportessentiel de Maxime : la volonte humaine d 'accomplir laPassion, a ete.]gnore par Ie P . VON BALTHASAR (Liturg"ie Cosmique. Aubier, 1947)ml!me dans les pagesconsacrees precisement au Iheme de I' Agonie (p. 197-203). II

• a fallu allendre la Ihese monumenlale de M, p,ouprr, La Dispute de Maxime Ie\ COII/esseur Ql'eC Pyrrhus. (Monlreal 1972), pour que soit redecouverte la pensee

Le present travail a pour principal objet Ie laborieux chernine­ment theologique qui a conduit Maxime a f~re cett~ grandedecouverte. Cc cheminement a dure pres de huit ans ; J1 cor:7s­pond a la premiere phase de la controverse monothehte(633-641). .

Le point de depart en a ete Ie formidable probleme PQse en 63~

par Ie patriarche Serge de Constantinople dans un, document qUIest la charte de fondation du rnonothelisrne by~ntl~ : IePs~phos .

Ce probleme etait precisement celui de la liberte humaine ~u

Christ et il etait pose a partir du recit evangelique de I'Agonie.Comme il s'agit d'une profonde question christ?logique, tout afait nouvelle et originale, qui a comrnande la suite .de la. contro­verse et plus particulierement les recherches de Maxirne, II nous aparu indispensable de consacrer la premiere partie de no:r:travail a l'etude du monothelisrne byzantin, Ie centre de gravitede cette premiere partie etant Ie Psephos de 633. .

Dans la seconde partie, nous verrons comment Maxt~e a p~o­

gressivement pris position par rapport a ce problerne, jusqu aumoment ou ill'a pleinement resolu, vers 641, ~~ns.I'Opuscule 6 4

C'est dans cet ecrit, entierernent consacre a la priere ~e Jesu~ aGethsernani, que Maxime a mis en lurniere la volonte hurnaineque Ie Fils de Dieu avait de notre salut .

Dans l'epilogue, nous essaierons de voir co~~ent cette d~ou­verte a ete portee par l'Eglise dans une definition dogrnatique,definition qui a ete finalement scellee par Ie Martyre du PapeMartin ler et de Maxime lui-rneme.

de Maxime sur ce poinl (cf en particulier les pages 23O-23~ ou le tCllte. du ~.: VonBalthasar est critique). Nous devons beaucoup a cet admirable travail qUI. mal-heureusement, teste toujours inedit , . . .

4. Les Opuscules Theologiques et Potemiques.de Ma:ome constituent la pnn­cipale matiere de notre travail. Pour leur designation (chiffree) et leur dassementchronologique, nous suivons l'excellente etude du P . ~HERWOO~. All C11l~otatm

date-fist of the works oj Maximus the Confessor (Studia Anselmiana, 30 , Rome

1952), . L duits insLa plupart des textes que nous a1~ons pr~ter ont ete tra .UI par nos S~lI .

Lorsque nous utili serons des traductions existantes, nous mentronnerons toujoursIe nom du traducteur. . . . .

Le lome 91 de la Patrologie Grecqlle de Migne reuntt ces te~tes, . I~rsque .nousdonnerons des references sans indiquer Ie numero du volume, II s agJra tOUJoursde ce tome 91 .

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A I'origine de la controverse rnonothelite, il ya un homme, unetres grande figure: Ie patriarche Serge de Constantinople.

Depuis son election, Ie 18 avril 610 jusqu'a sa mort, en decembre638, Serge a ete Ie plus fidele et Ie plus remarquable collaborateurde l'Empereur Heraclius. Serge est Ie type parfait du grandhomme politique, intelligent , energique et courageux, capable defaire face a la plus lragique des situations.

Heraclius, qui avait recu la couronne irnperiale des mains duPatriarche Ie 5 octobre 610. avait besoin d'un tel appui. L' Empireetait alors dans une situation catastrophique, et apparemmentdesesperee . A l'exterieur, il etait plus que jamais menace par deredoutables ennemis patens : les Slaves, les Avars, et surtoutlesPerses. Les Perses s'empareront de Jerusalem Ie 5 mai 614, ils enret ireront Ja vraie Croix pour I'emporter dans leur pays. Avec lesAvars, ils iront rnerne jusqu'a mettre Ie siege devant Constantinopleen 626. A l' interieur , la situation n'etait guere plus brillante :l'Empire, qui avait souffert de la tyrannie de Phocas, etait dansun tel etat de confusion et de desorganisation qu'il sembIait sur Iepoint de sombrer completernent . Enfin, iI y avait toujours cetteguerre fratricide entre catholiques et monophysites qui dechiraitla chretiente orientale. Les Perses trouvaient meme des allies ducote des monophysites, traditionnellement persecutes par l'auto­rite Imperiale .

~ Or, Ie veritable sauveur de l'E:mpjrea ~te~g~•.car « Heraclius\ etait homme ase laisser abattre ; Serge lui redonnait espoir » '.

I. F. X. MURPHY et P. SHERWOOD, Constantinople Il et Il/ (Histoire 00Conciles Oecumeniques, Orante, 1974) p. 137. Pour la presentation des ev~e·

merits et de la chronologie , nous nous rHerons habituetlement a cet excellentouvrage , recent et Ires bien documente.

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24 THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRISTLE MONOTHELISME BYZANTIN 2.5

« C'est dans cette conjoncture d'encerclement et de confusionqu'Heraclius decida, en une heure de decouragement, de quitterConstantinople pour l'Occident. Deux faits s'y opposerent :I'appui moral de Serge qui lui fit jurer de ne pas abandonner lacapitale et lui promit l'aide financiere du Tresor de l'Eglise, et lachute de Jerusalem, Ie 5 mai 614 avec prise de la Croix que I'on"-porta en triomphe a travers les rues de Ctesiphon, tel un tropheede guerre. Ce camouflet magistral, qu'aggraverent des lettresfanfaronnes de Chosroes, insuffla une vigueur nouvelle a I'em­pereur et ason peuple, et changea la campagne contre les Persesen croisade » 2.

Le 21 mars 630, Heraclius rapportera la vraie Croix aJerusalema pres une grande victoire sur les Perses. Mais huit ans plus tard," .la Ville Sainte sera definit ivernent prise par les Musu/mans.

Dans une action politique veritablement herotque, Serge etaitsoutenu par I'ardeur de sa Foi. Pendant Ie siege de Constantinople,«Serge etait l'arne de la resistance . Le Kontakion, introduitplus tard dans I'hymne acathiste, peut avoir ete compose parSerge lui-meme, En tout cas, il temoigne bien de I'etroite interpe­netration des sentiments religieux et patriotiques. C'est un hyrnnede victoire et d'action de graces que Constantinople adresse asongeneral victorieux, la Sainte Vierge elle-meme ;

Protectrice, chef de mon arrnee,a toi la victoire IEn action de graces pour rna delivranceje te dediece chant, moi , ta ville,a toi, Mere de Dieu.Et puisque tu possedes une puissance invincible,delivre-mo] de tout peril,afin que je t'acclame ;Salut, Crouse inviolee I » 3

Anime par cette volonte indefectible du salut de la chretiente,Serge a compris qu'i1 etait urgent de faire cesser la lutte entrecatholiques et monophysites ; aussi, toute son oeuvre theologiquea consiste achercher une possibilite d'union entre ces chretiens----- -

2. Ibid. p, 138.3. Ibid. p. 147-148.

separes. Car Serge n'est pas seulement un grand homme ~Iiti~ue

et un croyant convaincu, il est encore un remarquable theolo~en.

Avec les principaux theologiens de son temps, ~t cathohqu~

que monophysites, iI a poursuivi un~eri tab le « dialogue oec~e­nique » au terme duquel urie formule s'est degagee : Ie Chnst aun es eule operation (energeia) et une seuJe volonte (the~ema) 4 .

Cette formule, monoenergiste et monothelite, tenue depuis long­temps par les monophysites semb~ait parfai~eme~tacceptable,dupoint de vue de lorthodoxie chalcedonienne et neo­chalcedonienne : elle devait done devenir la base de l'union sou-haitee. . d .

Une premiere tentative fut accomplie dans ce sens aAlexan nee!lJuin 633.par Ie Patriarche catho.lique qru~, ami de Serge s. Labase de cette union etait la doctrine de 1 umque ~peratto~ s.:msqu'il fat question de I~ volonte: Mais cet.te doctnne dev~tt etreaussitot vigoureusement attaquee, du point de vue d.e I ortho­doxie, par Ie saint moine Sophrone, futur patriarche deJerusalem 6. Les protestations de Sophrone resterent sans echoaupres de Cyrus, mais elles furent entendues par Serge,. car cedernier ecrivit immediatement au Patriarche d'Alexandne p~ur

lui demander de renoncer acette doctrine de I'unique opera~o~

du Christ. Serge engageait alors toute son autorite dans une deci-

4. Dans sa Dispute avec Pyrrhus, Maxime foumit des renseignements pr~i5

sur les tractations de Serge : . .Dis-moi, en effet, au nom de la vente e~e-m~me,q~~~ ~rge ecr:iVlt a

Theodore de Pharan, en lui envoyant aussi le livre qu II disait de M~as~

par l'intermediaire de Serge Macaronas, ev&tue d'Arsin~, pour ~u iJ lUIdonnat son avis sur l'operation unique et la volonte unique ,,?entJ~nn~

dans le livre, et quand Theodore repondit en les a.ppro~vant, ou etait aJorsSophronius ? Ou bien, quand i\ ecrivit a~eod~IO~IiS, aPaul le Borgne,disciple de severe, en lui envoyant a lUI aussi le livre de ~enas, av~

I'approbation du Pharanite ainsi que la sienne propre? Ou ble~, quand l~

ecrivit aGeorges, surnomme Arsas, qui etait.paulianis~e, le pnant de luifaire parvenir des citations sur l'operation unique, en aJ~ut~t eg~~l

dans sa lettre qu'i\ faisait meme, en se basant sur elles, I union de I Egliseavec eux '1 (Dispute 332 B - 333 A, trad. DoUCET) .

Du point de vue histonque, on trouve un bon commentaire de ce texte~MURPHY et SHERWOOD, op. cit.. p , 141 sq. Theodore de Pharan est un l-v~ue

chalcedonien, tandis Que Paul le Borgne et Georges Arsas sont des monoph;Slt.es.5. MANSI Xl 564C-568B. La traduction du texte essentiel de ce pacte d union

se trouve dans MURPHY et SHERWOOD, op. cit. p. JOS.6. Sur Saint Sophrone, voir le livre recent de Ch. VON SCHONBORN, Soplr~

de Jerusalem (Beauchesne, Theologie historique 20. 1972).

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26 THEOLOOIE DE L'AOONIE DU CHRIST LE MONOTHELISME BYZANTIN 27

sion ~olennel~e .ou jugement, Ie Psephos. Cette reaction rnontre ala fois la rapidite et la souplesse de I'intelligence du Patriarche'to?t de ,suite, iJ lL£.ompris que Ie pacte monoenerglsn, d'A1exan~dne et~l~ ~n echec, car iJ etait sur Ie point d'introduire une nou­velle dIVISIOn, entre les catholiques cette fois . Les protestationsd'un homme auss~ important ~ue Sophrone annoncalem une que­relle entre les partisans de I'unique operation et les defenseurs desdeux operations.

Pensant qu'iJ etait encore temps d'empecher Ie developpement~'une. telle , qu~reJle , qui allait evidemment a l'encontre de sesmtentions ireniques, Serge, dans son Psephos, demandait aC,YTus « de ne plus permettre a personne, desorrnais, de parlerd line ou de deux operations apropos du Christ notre Dieu »7

I Mais en ~eme temps, dans Ie merne document, Serge faisait1 e?trer subtIlement la doctrine de I'unique volonte. Le monoener­grsme ayant echoue, Serge lui substituait Ie monothelisme.

Le Psephos de Serge doit done etre considere comme Ie veri­table a~te de naissance du monothelisme byzantin, Par cette

- expre~slOn « mon?theJisme byzantin ».8, nous designons une_ doctnn.e ~heologique parfaitement coherente qu'i1 faut soigneuse­

ment dIS~I.~.uer du monothelisme monophysite 9 d'une part, et du." 'mon9th eh s~e v~l~aire ou de propagande d'autre part.

En effet, II n y a pas un monothelisme, mais des monothehs-- me~, c'est-a-dirs des doctrines profondement differentes qui ne se

recoupent que sur un seul point : I'affirmation d'une seulevol?nte du Christ. Car le monotheJisme, tel que Serge I'envisa­geait com.me bas~ d'union, n'etait pas a proprement parler uncompromis doctrinal, mais plutot un accord purement verbal surune, f~!!1ule dont Ie principal avantags etait son. etonnante

uivocite.

?r, apres de longues annees de dialogue et de reflexion, Sergeetait enfin capable de donner dans Je Psephos un contenu theolo-

7 . MANSI XI 533C.

8. C'est en effet le monolhelisme des « gens de Byzance II (Dispute 304A cf~16B). Cett~ expression designe les hautes spheres ecclesiastiques de Cons~­tinople (cf. Infra, p. 50).

9. Dans, son article sur la Christ%gle du monophysisme syrien, J. LEBON a~uelques tres bonnes pages sur Ie monothelisme de Severe d' Antioche tDas KonzilIon Cha/kedon, t. I, p. 564-566). Cf. aussi M. DoUCET, p. 100 SQ.

gique original a Ja formule « une seule volonte du Christ » 10,

contenu qui n'etait pas rnonophysite, mais semblait en parfaiteconforrnite avec les dogrnes christologiques de Chalcedoine et deConstantinople II. Le monothelisrne de Serge se voulait done7absolument irreprochable du point de vue de l'orthodoxie.

Au contraire, Ie monothelisrne vulgaire au de propaganden' attachait d'importance qu'a l'affirmation d'une seule volonte,sans aucune preoccupation d''orthodoxie ni de coherence doctri­nale. Sur cette derniere forme de monothelisme approuvee parSerge pour des raisons purement politiques, nous avons d'abon­dants renseignements, mais la meilleure vue d'ensemble en estdonnee par Maxime, dans sa Dispute al'ec Pyrrhus :

Tantot, en effet, en approuvant ceux qui appellent divine (I)cette volonte unique, Serge suggerait que celui qui s'estincarne etait seulement Dieu ; tantot, en approuvant ceuxqui declarent deliberative (II) cette volonte., il suggerait qu'iJetait un homme, dont la disposition dependait d'une delibe­ration comme dans notre cas, et qui ne differe en rien dePyrrhus et de Maxirne ; tantot, en la disant hypostatique (lIO,il insinuait aussi, avec la distinction des hypostases, la dis­tinction des volontes chez les (Personnes divines) consubs ­tantielles ; tantot, en approuvant ceux qui la disent mal'trc:sse(IV), iJsuggerait que I'union est relationnelle, car la rnaitrise,Ie pouvoir et choses semblables sont manifestement desmouvements de la gnome et non de la nature; tantot, enaccueillant ceux qui la nomment elective et gnomique M, eten se laissant dominer par eux, il presentait Ie Seigneur nonseulement comme un pur homme, mais aussi comme chan­geant et pecheur, puisque la gnome peut porter un jugementsur les opposes, rechercher l'ignore et deliberer sur I'obscur ;tantot, en accueillant ceux qui la disent econornique (VI), ilpresentait Ie Seigneur comme sans volonte avant l'economie :sans compter toutes les autres absurdites qui decoulent decette doctrine II.

10. Serge Die ta volonte humaine du Christ. m~is , par pru~ence, il n'affirmepas encore explic itement l'unique volonte du Christ comme II Ie fe~a plus tarddans l'Eclhese . Cela ne change evidemment rien au plan de la doctrine qUJ resteidentique,

II . Dispute, 329C • 332A (trad . DoUCET) .

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28 THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRIST

Dans ce texte, I'affirmation de I'unique volonte apparait

\comme un veritable « fourre-tout »-ou se retrouvent pele-melemonophysisme (I), nestorianisme (IV), arianisme (III), etc .. .ISerge n'entendait evidemrnent pas approuver de pareilles doctri-nes, mais il ne voulait pas entrer dans des discussions qui auraientimmanquablement fait apparaitre, au-dela de I'accord verbal, lesdifferences doctrinales reelles, Pour cette raison, il approuvait enbloc tous ceux qui affirmaient la volonte unique. Quantitative-

,ment , c'est ce monothelisme vulgaire qui a tenu la plus grandeplace dans la controverse 12, bien qu'il ne soitpas a proprementparler une doctrine, mais un assemblage incoherent de positionsheterocl ites et meme opposees (nestorianisme et monophysisme).

•, Refuti"facilement IJ, ce monothelisrne vulgaire ne presente guere/d ' interet thelogique, aussi n'en parlerons-nous pas.

Ce qui va retenir notre attention au cours de cette premierepartie, c'est principalement le monothelisme byzantin tel qu'ilapparait dans Ie Psephos. Ce monothelisme est caracterise par lanegation de la volonte humaine du Christ: l'unique volonte estdonc sa volonte divine 14.

Dans Ie premier chapitre, nous etudierons un texte de saintGregoire de Nazianze qui est la principale racine de ce monothe­Jisme byzantin.

Le second chapitre sera consacre al'etude du Psephos et de sesconsequences.

Le troisierne chapitre aura pour objet une importante variantede ce merne monothelisrne byzantin.

12. Cela apparait de facon particulierernent neue dans la Dispute avecPyrrhus.

13. II faul voir surtout comment Maxime refute III these de la volonte uniquecomme volonte hypostatique en utilisant la theologie trinitaire, principalementdans trois textes ecrits en 640 : Opuscule 8, IOOB ; Opuscule 24,269 et Opuscule15, 269D-273B. Cf. encore Dispute, 289D et 348C-349A.

14. C'est dej8.ce qu 'affirmait l'un des correspondants de Serge.I'eveque chal­cedonien Theodore de Pharan : « La volonte divine qui est celie du Christ lui­ml!me. Sa volonte est en effet une et elle est divine » (Mansi XI, S69A trad . deMURPHY et SHERWOOD, op. cit. p . 303). Sur la theologie de Theodore, voir Ieml!me ouvrage, p, 143-146 et DoUCET, p. 59 sq.

CHAPITRE PREMIER

UN TEXTE CRUCIALDE SAINT GREGOIRE DE NAZIANZE

SUR LA VOLONTE DU CHRIST

Le Quatrieme Discours Theologique de Sai~t ?regoire.~eNazianze est entierernent consacre au Fils. Les ~nnclpales obj ­tions ariennes contre la consubstantialite du Fils par rapport auPere y sont examinees et refutees I'une apres l'autre. . , .

L'une de ces objections concerne la volonte ; elle .falt I objetd'un important developpement au numero 12 du Diseours. Cequi est en cause, c'est J'identite de volonte, et done de nature,

entre le Pere et Ie Fils. .Apres avoir presente la traduction dece texte, nous essaterons

d'en donner un commentaire synthetique, en degageant les pro-

hlernes qu'il pose.

I. TEXTE

L 'objection arienne : le Fils a une vo[onte autre que celle du

Pere. .

tieme objection: « Le Fi[sest descendu du C~el. ~o."poS:::/aire so volonte Ii lui, mais [0 vo[onte de Celui qut [ 0

envoye » (Jn 6/38).

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30 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRISTGREGOIRE DE NAZIANZE SUR LA VOLONTE DU CHRIST 3 I

A. LE PROBLEME : HYPOTHESE D'UNE VOLONTE HUMAINE DU

CHRIST CONTRAIRE A LA VOLONTE DIVINE DU PERE.

~i ces paroles ri'etaient pas prononcees par celui-la merneq~1 est descendu, nous dirion~ qu'elles expriment Ie langaged un homme, non pas de celui que nous considerons dans IeSau ve.ur (ou tou kata ton Sotera nooumenou) - car sonv~ulOlr !1'es~. en rien contraire (hupenantion) a celui de~Ieu puisqu II est tout divinise (theothen holon} - maisd un homme ~e notre s.orte (kath 'hemas), attendu que lavol~mte humaine ne SUIt pas toujours la volonte divine,mars que Ie plus sou vent elle lui resiste et luttecont,re elle (a;ntipip!ontos... kai antipalaiontos).

C est a~ssl de meme que nous avons compris la parole:« Pere, s II est possible, que cette coupe s'eloigne de moi .cependant, I~on pas ce que je veux, mais que ta volont~tnom!?he.» . II ~st en effet egalernent invraisemblable queI~ Christ Ignore Sl la chose est possible au non et qu'i1 subs­titue volonte a volonte (t6 thelemati anteispherein to the­lema).

B. LA SOLUTION : NEGATION DE L'ALTERITE DE VOLONTE

ENTRE LE PERE ET LE FILS

Mais ~om~e les paroles en question ant ete prononceespa~ celui qUI a assume (proslabontos) - c'est-a-dire celuiqUI est descendu du Ciel - et non par la realite assumee(proslemmatos) , nous repondrons : ces paroles n'impli­quent pas I'existence d'une volonte propre du Fils diffe­rente de celie du Pere, elles indiquent au contraire qu 'unetelle volonte n'e~iste pas. De la sorte, I'ensemble signifie :« non pour que je .fasse rna volonte », car la mienne n'estpas. separee de la rienne, elle nous est commune a toi et amoi ; comme nous n'avons qu'une divinite, nous n'avonsqu'une vol0n.te. On trouve, d'ailleurs, bien d'autres exernplesde chases qUI sont exprimees de rnerne sous forme generale,

15. Celte formulation propre aGregoire contient des elements de Malthieu deMarc et de Luc, '

d'une facon non point affirmative (tMtikOs), mais negative(ametikos) . . . par exemple : « ... Ce n 'est pas mon peche,ni mon iniquite » (Ps. 58/5) qui causent mon malheur ;comprenez, non qu 'iI y a un peche, mais qu'iI n'y en apas ... 16.

La distinction des deux parties du texte est eviderrte : elless'articulent toutes les deux sur la citation de Jean 6/38: « Le Filsest descendu du Ciel ... » Mais alors que la premiere partie sepresente com me une speculation sur une hypothese parfaitementirreelle : « Si ces paroles n'etaient pas prononcees par celui-lameme qui est descendu ... » 17, la seconde partie est ouverte parun retour au reel : « Mais eomme les paroles en question ant etcprononcees par celui qui a assume - c'est-a-dire celui qui est des ­een~du Ciel. .. »,

II. LES PROBLEMES POSES

Du point de vue theologique, ce texte est difficile et pose biendes problernes. Toutes ces difficultes et taus ces problemes ant,nous semble-t-il, deux causes principales : <1.:une part, Gregoireri'envisage q ':0!-~ seule volonte du ChriSt,'" et d'autrepart , iI ne distingue pas les notions d'alterite et de contra­riete. T~t done les deux points qu'il nous faut examiner sue­'CeSSivement , avant de voir leurs consequences pour l'interpreta­tion de l'Ecriture.

I. UNE VOLONTE DU CHRIST

Gregoire et ses adversaires ant un point commun : its sont ega­lement incapables d'envisager deux volontes du Christ, et e'estpourquoi l'affrrrnation d'une'volonte autre que celie du Pere et

16. P.G. 36, 117C-120A. Nous avons refait la traduction de ce passage car celiequ'en donne P. GALLAY (Les Discours Theologiques, Lyon 1942) p. 1411-149,n 'est pas assez precise.

17. L'irreel est marque par I'indicatif imparfait dans la protase et I'lndicatifaoriste avec an dans l'apodose .

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18. cr. ARIUS, Thal/e, d'apres Athanase, Contr , Artanos, I , S(P.G. 26. 21C).

l'afflrmatlon d'une volonte identique a celie du Pere semblentr:goureusement .contradictoires, et done exclusives J'une deI autre. En ce qUI c~ncerne la volonte du Christ, la problematiquede. la~ controv~rse ane_nne telle qu 'elle apparait dans ce texte pour­rait etre expnmee dans l'alternative suivante : ou bien Ie Christ alao m~me volonte que Ie Pere, .ou bien il a une volonte autre.Ainsi, ~our les ariens, I'affirmation de la volonte autre impliquenecessatremem la negation de Ia votonre identique, et inverse­ment pour Gregoire, I 'affirmation de la volonte identique impli­que de facon non moins necessaire la negation de la volonteautre. La volonrs du Christ est done consideree exclusivement auplan du problems t~initaire qui domine toute la controverseanenne.

T?utefois, dans Ie texte de Gregoire, l'hypothese de la premierep~rhe (volonte autre) n 'exprime pas exactement la position desanens. Pour ces derniers, en effet, la volonts du Fils autre quecelIe ?U Pere n'etait pas une volonte humaine, mais'la volontepr~exlstantedu Verbe 18. Or, dans l'hypothese formulee par Gre­goire, la volonte du Fils autre que celIe du Pere est bien unevolonre humaine. Gregoire a done entrevu quelque chose de capi­ta~ : la volonre propre du Fils, a~tre que celie du Pere, qui appa­ralt.dans les textes evangehques cites, serait une volonte humaine.Mats, "?alheureusem~nt, cette intuition fondamentale est expri­mee a I irreel et aussitot ~iee. Au lieu de s'orienter vers l'hypo­t~ese d~ deux. v~lontes qUI seule permettrait de conserver ce quivient d etre amsi entrevu , Gregoire se croit oblige de nier cettevolonte humaine du Christ parce qu'elle est evidemment autreque.la volonte divine. Dans l'hypothese d'une seule volonte du~hnst, h~othese commune a Gregoire et a ses adversaires,I affi~atlOn de la volonte humaine implique necessairement lanegatIon de la volonte divine dans Ie Christ.Fin~lement, Gre~oire fait done exactement comme les ariens :

pattnbu~ a la ~olonte preexistante du Verbe les paroles rappor­tees par I EvangJle : « Mats comme les paroles en question ont eteprononcees p~ celui qui a assume - e'est-a-dire celui qui estdese~ndu du Ciel - et non par la reaIite assumes ... ». Par cesderruers mots, I'hvpothese de la volonte humaine dont precede,

32THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRIST GREGOIRE DE NAZIANZE SUR LA VOLONTE DU CHRIST 33

raient ces paroles de Jesus se trouve categoriquement niee. Ainsi,parce qu'il n'a pas ete capable d'envisager l'hypothese de deuxvolontes du Christ, Gregoire est 'retombe dans la meme preble­matique que ses adversaires,""caracterisee par une interpretationreductrice de l'Ecriture lue du seul point de vue de la question tri­nitaire. Gregoire rejoint done les ariens en disant que la volonte

'du'Fils dont parlent les textes evangeliques n'est pas une volontehumaine, mais la volonte preexistante du Verbe.

2. ALTERITE ET CONTRARIETE

Gregoire eonfond, apropos de la volonte.Jes notions d'alteriteet de contrariete. Le texte cite montre que, pour lui, Ie conceptd 'alterite implique automatiquement celui de contrariete lorsqu'ilest'transpose de I'ordre de la nature a eelui de la volonte, Unevolonte autre est une volonte contraire, et reciproquement.L 'hypothese d'une volonte du Christ autre que eeJl~ du Pere c:stdone en meme temps l'hypothese d'une volonte du Chnstcontraire a la volonte du Pere.

Cette confusion apparait tres nettement a la simple comparai­son des deux parties du texte . La premiere partie est dominee parIe theme de la contrariete, l'hypothese etant celie d'une volontehumaine du Christ contraire a la volonte divine du Pere, Or, cetheme est ignore dans la seconde partie au seule la question del'alterite est discutee, Et pourtant, dans I'esprit de Gregoire, laseeonde partie repond a la premiere : on passe_ainsL de l'hypo-

- these d'une volonte eontraire a la n~gation d'une volonte autre.Parce qu ~I nedistingue pas Ie probleme~I de la contrariete

du probleme physique de l'alterite, Gregoire ne peut pas penserune volonte a la -Cols autre et-non contraire. L'hypothese d'unevolonte "tiiiillaine du diiist non -contraire it 18 volonte divine duPere est totalement hors de ses -perspect ives. D'ailleurs, dans Iec1imat de la cOiltroverse arienne, au le probleme principal estcelui de l'alterite, cette hypothese d'une volonte du Christ autre

\

et non contraire semblerait favoriser davantage.les heretiques queles orthodoxes. Gregoire n'avait done aucun IOter-et achercherdans cette direction. -

\ Ceci dit, il reste toutefois aexpliquer la curieuse iematque de Ia

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34 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST GREGOIRE DE NAZIANZE SUR LA VOLONTE DU CHRIST 3 S

premiere partie concernant « I'homme que nous consideronsrdans Ie Sa~ve~r », Que veu~ dire Gregoire lorsqu'il declare :«.s~n. V?UIOir n est pas contraire acelui de Dieu puisqu'il est toutdl.vIDlse».? Maxime verra dans ces mots I'affirmation d'un vou-

\ 10Ir humain du Christ 19, mais une telle interpretation nous semblelen. contradiction avec Ie contexte. Une telle volonte serait neces­s~lre~ent autre que la volonte divine. Or, c'est precisernent surI.alterite que porte la negation de Gregoire dans la deuxierne par­tie ~e son texte. Done, puisque Gregoire ne semble pas pouvoirenVlsag~r un.e~~Ionte autre et non contraire, no us pensons que ce«. v~ul~lr divinise » ~e de~igne rien d'autre que la volontedivine . « Son vouloir », c est done le vouloir du « Sauveur »pl~:~t ~ue Ie ~ouloir de « I'homme que nous considerons » e~lUI . 81 notre mterpretation est exacte, cette remarque serait sim­plernent une anticipation de Ia deuxierne partie. Ici encore Gre­g?lfe ~~ntrerait qu'il ne separe pas les notions de contrariete etd alterite : en meme temps qu'il nie la contrariete : « son vouloirn'est pas eo~traire acelui de Dieu », iI nierait egalernent I'alterite :« son vouloir est tout divinise », c'est-a-dire divin non autre quele vouloir divino '

. Enfin, cette c.onfusion ,semble avoir pour elle un fait d'expe-

\

n ence :.cette evidence qu en nous, « la volonte humaine ne suitpa~ toujours la volonte divine, rnais que Ie plus souvent, elle luiresiste et Iutte contre eUe ».

, 3. L'INTERPRETATION DES PAROLES DE JEsuS

Tout ce que no~s venons de voir a evidemrnenr de graves conse­q~ences.e~ ce qUI cO,ncerne I'interpretation des deux paroles deJes~s citees par Gregoire: Jean 6/38 et la priere de I'Agonie.

, D abo~d, acause de I'hypothese d'une seule volonte, Gregoire. se met Iui-merne dans le plus grand embarras Iorsque, com me les

19. cr. irlfra p, 74.

20. P. <;'ALLAY a t':3duit : sa volonte est « toute divine ~ (I'. 148), ce qui est litte­ralemenl mexact mars correspond assez bien a la penseede Gregoire.

21. Dans le texte grec, le pro nom lkeinou se rapporte au mot le plus proche quiest Mt~r.

ariens , il affirme finalement que ces paroles sont I'expression dela volonte preexistante du Verbe. Les ariens ont fort bien vu queces paroles expriment nettement une volonte autre que celle duPere : ils tiennent done la position forte. Gregoire est sur leur ter­rain, et il est enferrne dans la merne problematique de I'uniquevolonte du Christ. Pour que les forces soient egales, il faudraitque Gregoire cherche des textes scripturaires manifestant l'iden­tite de volonte entre Ie Pere et Ie Fils. Mais, malheureusement, iIse contente des textes invoques par ses adversaires en faveur deI'alterite. Son interpretation negative de cestextes, qui consiste anier l'alterite, e"st uric -pu re acrobatie ; il ne pourrait pas en etreautrement puisque Gregoire rat tache ala volonte divine les paro­les qui, en fait, expriment la volonte humaine. Manifestement

.fausse, cette interpretation ne semble guere avoir etc reprise parla suite.

Par contre, la confusion de l'alterite et de la contrariete devaitetre la veritable source du moiiothelisme byzantin, car cetteconfusion impliquail automatiquement une certaine lecture destextes evangeliques : la volonte humaine du Christ ne pouvait etrepercue (a titre de pure hypothese) que com me volonte contraire ala volonte divine. Toute parole du Christ manifestant une volonte

\

en accord avec la volonte du Pere etait systematiquement. comprise comme l'expression de I'unique volonte divine qu'il aen commun avec Ie Pere et Ie Saint-Esprit. L'accord de la volontehumaine du Christ avec la volonte divine devenait done a priorirnvisible, et 1;\ ou l'Evangile Ie revele, iI etait vu comme l'expres-sion de l'identite physique de la volonte divine. Le probleme etaitainsi evacue a la base.\.

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LE PSEPHOS DU PATRIARCHE SERGE

l. TEXTE

37

CHAPITRE II

LE PSEPHOS DU PATRIARCHE SERGE(JUIN 633)

En apparence, le Psephos de Serge ne concerne directementque la question des operations. Voulant arreter la querelJe quivient de naitre a AJexandrie, Serge declare qu'i1 ne faut parler nid'une operation, ni _de deux operations a propos du Christ.

L'expression « une operation» est rejetee comme inquietanted'un point de vue chalcedonien : elle semblerait exc1ure la distinc­tion des deux natures unies hypostatiquement u. Par la, on a lapreuve que Serge ne se situe pas dans une perspective mono­physite.

Pour rejeter l'expression « deux operations », Serge se place aun t~~! autre point de vue qui depasse celui des controversesentre chalcedoniens et monophysites, Ce nouveau point de vue,c'est celui du monothelisme qu'il vient de mettre au point. Appa­remment au second plan, Ie passage du Psephos qui concerne lesvolontes est en realite la veritable pointe du document. Adrnira­blement elabore, c'est un chef-d'oeuvre. C'est ce passage quenous allons traduire et commenter avant d'en voir les consequenceshistoriques.

22. MANSI XI, S33 C, traduction de MURPHY et SHERWOOD, op. cit. p, 307.

A. HYPOTHESE DES DEUX VOLONTES DU CHRIST AU MOMENT DEL'AGONIE

De rneme I'expression « deux operations », en scandaliseun grand nombre parce qu'eUen' a jarnais ete employee paraucun des saints et recommandables predicateurs desmysteres de l'Eglise et qu'eUe aurait pour consequence queI'on confesserait deux volontes se comportant de faconcontraire (enantitis} l'une par rapport a l'autre, cornme sid'une part le Dieu Verbe avait voulu accomplir la Passionsalvatrice . et que d'autre part l'humanite qui est en luiavait resiste (antipiptouses) a sa volonte en lui etantcontraire (enantioumenesl.

B. REDUCTION AU PRINCIPE DE NON-CONTRADICTION

Ce faisant, on introduirait deux etres qui veulent des cha­ses contraires (duo tous tanantia thelontas) - ce qui estimpie - car il est impossible que, pour un seul et memesujet (heni kai to auto hupokeimen{J), deux volontes 23 sub­sistent en merne temps et par rapport au meme objet (hamakai kata tauton).

C . NEGATION DE L'HYPOTHESE : LE REFUS DE LA PASSION N'EST

PAS VRAIE VOLONTE HUMAINE, MAIS SEULEMENT « MOUVEMENTNATUREL DE LA CHAIR It

Voici done ce qu'enseigne clairement la doctrine saIva­trice des Peres Theophores : a aucun moment sa chairqu'animait une iime raisonnable n'a accompli son mouve­ment naturel separement, ni de son propre Ban contraire-

23. « contraires » (traduction latine).

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38 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRISTLE PSEPHOS DU PATRIARCHE SERGE 39

ment au commandement du Dieu Verbe qui lui etait uniselon l'hypostase ; ce mouvement naturel, elle I'a accomplilorsque le Dieu Verbe Ie voulait, tel qu'il Ie voulait, etautant de fois qu'il Ie voulait 24 .

II. COMMENTAIRE

A. HYPOTHESE DES DEUX VOLONTES DU CHRIST AU MOMENT

DE L'AGONIE

( ' Dans la premiere partie de son developpernent sur la questiondes volontes, Serge s'inspire certainement du texte de Gregoire deNazianze. C'est incontestablement a Gregoire qu'iJ reprendI'hypothese d 'une volonte humaine du Christ qui resiste a lavolonte divine et lui est contraire.

Mais cette rneme hypothese est transposee dans un contextetheologique totalernent different. La problernatique n'etant pluscelie de la controverse arienne, la theologie trinitaire n'est nul­lement en cause.

Depuis la fin du rvvsiecle, iJ n'a plus jamais ete serieusernentquestion de nier la volonte divine que Ie Fils a en commun avec IePere et Ie Saint-Esprit 25. Que « Ie Dieu Verbe ait voulu accomplirla Passion salvatrice », c'est une affirmation qui n'est pas remiseen cause et qui n'a plus aucun besoin d'etre demontree au debutdu vn- siecle. Et meme, cette certitude est tenue de facon egale­ment ferme tant par les catholiques que par les monophysites et

24. MANSI XI , S33E-S36A. Ce texte ne nous est parvenu que par la lettreenvoyee par Serge aHonorius vers 634 (cf infra, p. 46). Nous avons entierementrefait la traduction de ce passage d 'apres Ie texte grec car celie de MURPHY etSHERWOOD (p. 301-308) contient de graves inexactitudes (cela tient au fait que Ietexte francais ne traduit pas directement le grec, mais la traduction anglaise faitepar les auteurs).

2S. Cr. Tome de Dornase, n. 20 (Dt . 172).Le premier canon du Concile de Latran de 649 n'est qu'un simple rappel de I'unitedes attrlbuts div lns parmi lesquels se trouve la volonte (Dt . SOl). Pendant lacontroverse monothellte, I'affirmation de la volonte unique du Christ commeproprietede I'Hypostase (these du monothelisme vulgaire) a donc un caracterepurement id~logique.Theologiquement, elle est indefendable, car elle impliquetrois Volontes en Dieu. cf. supra, p . 28 n. 13.

les nestoriens. L'intention theologique de Gregoire, qui consistaita manifester l'unite et l'identite de la volonte divine du Pere etdu Fils, a done perdu toute actualite lorsque Serge redige IePsephos.

L'hypothese d'une volonte humaine du Christ contraire a lavolonte divine, forrnulee par Gregoire dans Ie contexte d'unecontroverse trinitajre, se trouve Jransposee par Serge dans Iecadre d 'un probleme purement christologique. Alors que Gre­goire n'envisageait qu 'une s eule volonte du Christ, humaine oudivine, Serge etablit l'hypothese de deux volontes, la volontehumaineetiint envisagee comme une deuxierne volonte, en plusde la volonte divine. Dans cette derniere hypothese, iI est evidentque I'affirmation d'une volonte humaine du Christ!1e peut nulle­ment remettre en cause ('affirmation de sa volonte divine,

Ensuite la confusion de l'alterite et de la contrariete apparaitaussi nett~ment da i1sleteite de Serge que dans celui de Gregoire:ici aussi, I'hypothese d'une volonte humaine autre que la volontedivine est en meme temps I'hypothese d 'une volonte contraire alavolonte divine 26.

Toutefois, le theme de la contrariete prend apresent un reliefextraordinaire. Alors que Gregoire considerait principalement Ietexte de Jean 6/38, et secondairement J'Agonie de Notre­Seigneur, c'est sur ce dernier episode de l'Evangile que se coneentreexclusivement toute I'attention de Serge. Bien que Ie texte des

26, Dans Ie monothelisme, la confusion entre l'a1terite et Ja contrariete prendI'allure d'un veritable « blocage », Ceci apparaitra encore tres netternent lars duproces de Maxime, plus de vingt ans apres Ie Psephos, comme en temoigne ce dia-logue entre Ie Confesseur et I'eveque Theodose : .

Theod . - Vraimenl, Monseigneur, nous confessons nous auss; et lesnatures et les energies differentes, c 'est-a-dire la divine et I'humaine, sadivinite douee de volonte et son humanite douee de volonte, puisque sansvolonte il n'aurait pas d'iime. Mais nous ne disons pas deux, de crainteque cela n'implique une discorde en lui-meme. . . ,Max. - Quoi done? Parler de deux natures eela irnplique-t-il pour VOllS

une discorde provenant du nombre ?Theod . - Non .Max. - Quoi donc ? Le nombre attribue aux natures ne Ies divise pas; maisapplique aux volontes et aux energies iI aurait Ie pouvoir de les diviser !Theod. - Absolument, et les Peres ne l'ont pas attribue aux volontes etaux energies, fuyant la division ...(9O/152D. trad .. J.M. GARRI GUES : « Le Martyre de saint Maxime leConfesseur » , Revue Thomiste 1976 n03. p, 435)

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40 THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRISTLE PSEPHOS DU PATRIARCHE SERGE 41

Svnoptiques ne soit pas Iitteralernent cite, la situation est decritede facon trop precise pour qu'il puisse y avoir Ie moindredoute : if s'agit d'un moment determine, de « I'Heure » OU IeChrist est face asa Passion ; sa volonte humaine se revele alorscomme contraire asa volonte divine puisqu'elle resiste en refu­sant la Passion. La contrariete des deux volontes apparait defacon beaucoup plus nette et beaucoup plus dramatique dans lascene de Gethsemani que dans le texte de Jean 6/38 parce que lesdeux volontes se revelent alors par rapport au rneme evenementde la Passion imminente.

Ainsi, la volonte d'accomplir la Passion, exprirnee par Ie«fiat », est consideree exclusivement comme volonte divine. cequi ne laisse que Ie refus pour la volonte humaine : cette interpre­tation est celie de la plupart des anciens Peres 27. Pas plus queGregoire, Serge ne se montre capable d'envisager dans Ie Christune volonte humaine non contraire ala volonte divine, et dans Iecas precis de l'Agonie, une volonte humaine d'accomplir la Pas­sion .

D'ailleurs, puisque pour des raisons plus politiques que theolo­giques, son intention est de nier la volonte humaine du Christ,l'hypothese d'une volonte humaine d'accomplir la Passion iraitcontre tous ses interets ,

Paradoxalement, Serge valorise d'une facon nouvelle et origi-

27. « L'examen des commentaires pat ristiques sur la parole du Christ "Nonrna volonte mais la tienne" montrera que la volonte humaine du Christ y estpereue avant Maxime, comme une ooussee naturelle qui s'oppose Ala mort , sern­blable au autres instirfcc<n iaiureJs, et non une decision rationnelle d 'accepta­tion » (M. DoUCET, p. 147·148) .

M. Doucet montre en effet que c'est le cas de CyriUe d'Alexandrie (p. 101 et239), de Jean Chrysostome (p. 233 et 238), du Pseudo-Athanase (p . 236-237) et deI'Athanase authentique (p . 237), de Gregoire de Nysse (p. 238), de Severien deGabala (p . 241) et d'Euloge d'Alexandrie (p. 241). Sur ce point, severe d' Antiochene pense pas differernment (p. 100(101). Taus ces textes pat ristiques ont ete cites

, par Maxime dans sa lettre aEtienne de Dar, ecrite vers 646-647 (Opuscule 15, 153­I 184), et repris dans Ie florilege du Concile de Latran (actio V). Apres avoir analyse

tous ces textes, M. Doucet conclut :« Ainsi, quand Maxime donne sa pro pre explication de la parole "non commc:

ie veux mais comme tu veux", it y discerne l'exercice d 'une volonte humainerationnelle et ritlechie ; quand il fait appel aI'explication que les Peres ant donneedu meme passage, iI ne retient chez eux que la mention de deux volontes sans

oter que celie qu'i1s appellent humaine ne repond pas Ala volonte spirituelle dontII veut demontrer l'existence contre les monothel ites, mais est plutot un mouve­ment spontane de l'appetit sensible » (p. 241).

nale la volonte humaine du Christ afin de mieux la nier. Le refusde la coupe, habituellement considere commeSimple « v~lonte dela chair» infra-morale, instinct de conservation plus arumal quespirituel, est compris par Serge comme une authentiq~e volo~tehumaine situee au plan moral : Ie refus de la coupe, c est-a-direde la Passion salvatrice, devient done un acte volontaire, uneoperation de I'humanite du Christ qui s'oppose et resiste a lavolonte divine .

B. REDUCTION AU PRINCIPE DE NON-CONTRADICTION

Dans la problernatique trinitaire de Gregoire, l'affirmation dela volonte humaine du Christ brisait l'unite de la nature divinecommune au Pere et au Fils. Dans la perspective christologiquede Serge, cette merne affirmation a une tout autre consequence :elle brise l'unite hypostatique du Verbe Incarne.

Serge est parti de ce qui est Ie plus exterieur : les deux opera~

tions. De la, it a entrepris un mouvement de remontee vers ce.qUIest plus interieur : les deux volontes, considerees au plan phySICO­moral de l'alterite-contrariete. Maintenant, iI passe a un planstrictement metaphysique.

D'abord iI affirme que la dualite des volontes implique la dua­lite des sujets : « ce faisant, on introduirait deux etres qui v.eulentdes choses contraires . . . », puis il prouve cette affirmation enramenant I'ensemble du problerne pose au principe de non­contradiction : « II est impossible que, pour un seul et rnemesujet, deux volontes subsistent en merne temps e~ par rapport aumerne objet », Par cette reduction au Premier pnncipe telqu'Aristote l'avait formule 23, Serge declare que l'hypothese desdeux volontes rend metaphysiquement impossible I'unite hypos­tatique du Christ. II s'agit done de l'impossibilite la plus totale etla plus absolue, de ce qui ne peut ni exister, ni meme etre pense.Parce que ce qui est contradictoire repugne intrinsequement a

28. ARISTOTE. M~taphys;que, livre gamma, 3, 1005 b20: .II est impossible que, pour un meme etre (to auto) considere SOlIS le m~merapport (kata to auto), la rnerne chose existe et n'existe pas en meme temps(hama).

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42THEOLOGIE OE L' AGONIE OU CHRIST

LE PSEPHOS DU PATRIARCHE SERGE 43

I'existence, iI n 'est rneme pas possible de faire intervenir la Toute­Puissance de Dieu pour I'affirmer dans Ie Christ.

Avant de nous interroger sur Ie sens et la legitirnite de cettereduction au principe de non-contradiction, nous devons consi­derer une des sources principales de Serge.

Cette source, c'est ApoIJinaire de Laodicee qui , au IV e siecle,

\

niait deja la dualite des volontes dans Ie Christ pour des raisonsmo~ales, ~hysiques et metaphysiques. Non seulernent Apollinaire

\ avait admlrablement vu Ie probleme moral que posait I'affirma­tion de deux volontes 29, mais encore, il avait etabli un rapport denecessite entre les deux operations, les deux volontes, les deuxsujets. Nous retiendrons seulement deux textes de l'heresiarquedont Serge s'est tres probablement servi sans en connaitre lui­meme la veritable origine :

... Il est impossible que dans un seul et rneme sujet coexistentdeux etres qui veulent des choses contraires (duo toustanantia the/on tas), chacun operant ce qu'il veut par unelan autonome 30.

II est impossible que deux etres doues d'intelligence et devolonte (duo noera kai theletika) cohabitent en mernetemps (hama} dans Ie rnerne sujet de peur que chacun nesoit en guerre contre I'autre acause de sa propre volonte etde sa propre operation 31.

IPour Apollinaire, il s'agit done d'une imposstbitne a la fois

, morale, physique et metaphysique, sans que les differents planssoient clairement distingues 32. Aussi, lorsque Serge reprend les

29. Cf,.J, LEBON, La Christologie du monopbysisme Syrien, p. 566 n.96 (dansVas ~onZ'1 ~on C.ha/~edon, t. I) ; ce probleme moral est totalement ignore par lesseveriens qui « n envisagent que l'ordre physique ».

La negation apollinariste portait a la fois sur I'intellect et la volonte du Christ.L~ question de la vo)o~te etait beaucoup plus delicate que celie de )' intellect : ellen a et.e resolue que bien plus tard . Du point de vue soteriologique la volontehurnaine du Chnst roue un r8le plus important que son intellect et Ie « devenir »du Chri.sl pendant sa v~e terrestre apparait rnieux du point de vue de sa liberte qued.e celui de sa «.cons~lence » , L'imporlanc~ prise par ~a question de la « cons­cience » du Christ a J epoque moderne mamfesle peut-etre que l'axe essenlielle­ment soteriologique des Peres a etc perdu de vue.

30. Fragment 150, edition LIETZMANN.31. Fragment 2.

32. Ceci apparait nettement dan s un texte du disciple d' ApoJlimu're.Polemon :Celui qui parle de deux voJontes du ChriSl ... ou bien, all lieu d'un seul

elements de ces fragments, il leur donne une nouveUe organisa­tion dans Ie but de faire apparaitre la seule impossibilite qui soitrigoureusement absolue, I'impossibilite metaphysique. Cettenouvelle organisation doit done faire apparaitre la structuremerne du principe de non-contradiction . Pour cela, i.' etait capitalde considerer les deux volontes telles qu'elles se mamfestent dansI' Agonie, car, alors, les deux volontes sont envisagees « ~ mernetemps» (c'est « I'Heure ») et « par rapport au rnerne objet » (laCoupe, symbole de la Passion).

Serge avait d 'abord parle de « deux volontes se comportant defacon contraire I'une par rapport a I'autre ». Or, quand la sc~n~

de Gethsernani a ete decrite, cette mention de la contrarietedevient inutile et superflue , puisque quasiment par definition,deux volontes considerees en merne temps et par rapport a unmeme objet ne peuvent etre que contraires. Si aIors elles n:etaientpas contraires, on ne les distinguerait pas, mais on parlerait ~'~eseule volonte, Ainsi, la confusion n'est pas seulement entre I aIte­rite et la contrariete, mais encore entre la volonte voulante et lavolonte voulue. On entrevoit alors toute l'ambigutte de l'expres­sion « une seule volonte ». car, lorsque des sujets pourtant reell:­ment distincts s'accordent pour vouloir une meme chose, on ditcouramment qu'i1s n'ont qu'une seule volonte 33.

Des lors, I'adjectif « contraires », applique aux « deux volon­tes » par la seule traduct!on latine, doit etre, regarde .co~e ~e

signe d'une incomprehension. Le traducteur n a compns m le rai­

sonnement de Serge ni son intention de passer de l'hypothese dedeux volontes contraires a la negation pure et simple de l'expres­sion « deux volontes ».

Pour voir maintenant ce que vaut la reduction operee par Sergeau principe de non-contradiction, il convient de representer parun schema ce qui est rejete :

Christ, en lntrod uit deux.divises non seulement ~ar 18nature. mais enco~par la haine, ou bien enseigne que Ie rneme Chnst est en guerre a~~.IUl­

meme. Car dans tous les cas ou il y a dualite, il y a ~aJement diV\~lon.

(lexIe rapporte par Maxime, Opuscule 15. 172A, repns dans Ie Florilegedu Concile de 649). .

33 C'est ainsi que les Peres affirmaient « une seule volonte de Dien et ~es

saint~ » (Dispute 292B). En ce sens encore, Theodore. de Mopsues~e et Neston~:confessaient une seule volonte du Christ (Cf text~ CItes par M~e,~15, 1720-173B) . Sur Nestorius, voir encore Is partie centrale de I Edh~, infrap.48.

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44 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST LE PSEPHOS DU PATRIARCHE SERGE 45

mouvement naturel(humain)

/

par sa Volonte divine

. . \resistancecontrarlere. veut

I.e Christ ! en mem\ La Passion salvatrice(un seul et merne sujet) ! tempsr seul et rnerne objet)

: lII

I ne veut pas

par sa vOloL hUmainel

Ce schema fait apparaltre que la precision d'Aristote kata to auto(ou kata tauton) n'est pas totalement verifiee . Pour Aristote,cette precision signifie « sous Ie meme rapport », alors que dansIe texte de Serge, elle veut sculement dire « par rapport au memeobjet» ; car s'il s'agit bien d'un meme sujet et d 'un merne objetconsideres en meme temps l'un par rapport al'autre, il y a cepen­dant deux rapports differents, 1'un par la volonte divine et l'autrepar Ia volonte humaine. II ne s'agit done pas d'une vraie contra­diction. Par consequent, I'hypothese selon laquelle, a l'heure del'Agonie, la meme Personne du Christ aurait en merne tempsvoulu divinement et refuse humainement la Passion, ne peut pasetre ecartee comme metaphysiquement impossible 34.

C. NEGATION DE L'HYPOTHESE : LE REFUS DE LA PASSION N'EST

PAS VRAIE VOLONTE HUMAINE MAIS SEULEMENT « MOUVEMENT

NATUREL DE LA CHAIR)

Puisque, aux yeux de Serge, l'hypothese des deux volontes esten contradiction avec Ie dogrne de I'union hypostatique, la nega-

34. S'il n'y a pas vraiment imposs ibilite metaphysique, Ie probleme moral posepar un tel schema reste cependant entier.

tion de la volonte humaine du Christ devient absolument neces-saire. . .

Mais puisque Ie recit evangelique de I' Agonie semblait maru­fester une telle volonte humaine, il est indispensable de reinter­preter ce texte. Ainsi, bien que ce ne soit pas explicite, la derni.~re

partie du developpement du Psephos est certamement une r~n­

terpretation de l'Agonie du Christ. Le me me refus de la Passion,qui dans I' hypothese des deux volontes etait interprete commevraie volonte humaine est compris apresent comme etant « mou­vement natureI de la chair qu'animait une arne raisonnable »,chair a laquelle « Ie Dieu Verbe est uni selon I'h~st~ » lS:

II y a done une negation de la volonte bum~e, mars qui esttout autre que celIe de Gregoire. Pour ce dernier, les P8!0Ies.. deJesus n'exprimaient reellernent aucun refus et elles devaient etrerattachees a la volonte divine. Pour Serge, il y a bien un refus etce refus doit etre rattache al'hurnanite du Christ, mais ce refus nesaurait etre considere comme vraie volonte humaine.

A10rs que I'hypothese situait Ie refus au plan moral de lavolonte la solution le met au niveau infra-moral du « mouve­ment naturel de la chair », ce qui est une regression. Apres avoirpose de facon puissante et neuve un formidab.le probleme.morahet metaphysique, Serge se contente d'une solution tout afait clas- ,sique et peu originale 36 que I' on peut illustrer par le schemasuivant:

,/La{assion salvatrice

veut I

, ~~M/:Le Dieu Verbe (di ) '" refuse______ ivine -, :

union hypostatique veut que :

~sa~hair

35. Pour Serge la volonte et l'operation sont .etroitemc;nt li6es, comme~ _Apollinaire : l'operation humaine precede Decessai~t d une v~te h~. ' )

36. On trouve ~ peu pres la meme explication aussi bien chez Cyrille d CUJ1­

drie que chez Severe d' Antioche (selon M. Doucet, p, 239 et 101).

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A. L'APPROBATION D'HoNORIUS (DEBUT 634)

III . LES CONSEQUENCES DU PSEPHOS

Moins enthousiaste et plus mesuree que celie de Maxime,empreinte de dignite pontificale, la lettre d'Honorius est resteetristement celebre car eJle a valu a son auteur d 'etre condamne

- -presde"cinquante ans plus tard par Ie In-Concile de Constantino-

\

Ple (6.81) 40. Ce ca~ d'un Pape .anathematise solennellement par unf onClle oecumenique est umque dans I'histoire de l'Egiise. Le

A la fin de 633 ou au debut de 634, Serge ecrit au Pape Hono­rius . Ier pour lui donner sa propre version des evenementsd'Alexandrie et lui communiquer Ie texte integral du Psephos?',

Vers la meme date, J'abbe Pyrrhus, futur successeur de Sergesur Ie trone patriarcal de Constantinople, fait parvenir au moineMaxime une copie du merne Psephos, probablement a lademande de Serge.

En recherchant ainsi I'appui du Pape et celui du theologien leplus renomme de son temps 38, Serge fait preuve d'une rare pru­

\dence. Son attente n'est pas decue, car Honorius et Maximedonnent aussitot au Psephos une approbation sans reserve 39,

Honorius dans sa premiere lettre aSerge et Maxime dans sa lettre\aPyrrhus. Ces deux reponses doivent etre datees du debut de 634 :lelles expriment les reactions spontanees du Pape et du theologien .

Le texte de Maxime sera etudie dans la deuxieme partie de cetravail. Qu'il nous suffise de signaler ici que, dans son approba-

I' tion du Phephos, Maxime fait preuve d'un enthousiasme debor­dant.

47LE PSEPHOS DU PATRIARCHE SERGE

. .. nous confessons une seule volonte de Notre-SeigneurJesus-Christ, car notre nature a ete evidemment prise par ladivinite, et elle a ete prise en etat d'innocence, telle qu 'elleetait avant la chute ... II n'y a pas eu dans Ie Sauveur unevolonte diff'erente ou contraire . . .

. . .Et lorsque la sainte Ecriture dit : « Je ne suis pas venupour faire ma volonte, mais pour faire celie du p,ere quim'a envoye » (Jean 5/30), et : « Non pas comme je veux,mais comme tu veux, Pete » (Me 14/36), elle ne parle pasainsi pour exprimer une volonte differente, mais acause deI'eeonomie de la nature assurnee ; cela a ete dit pour nous aqui Ie Maitre de la piete a donne I'exemple, afin que noussuivions ses traces; il donnait ainsi un enseignement asesdisciples pour que chacun d'entre nous prefere en touteschoses, non pas sa volonte propre, mais bien plutot lavolonte du Seigneur 41 .

Manifestement, Honorius a ete bouleverse par I'hypothese desdeux volontes coritraires du Christ en agonie. Ce qui Ie preoc­cupe, c'est de nier la contrariete ; mais ce texte montre bien qu'ilconfand lui aussi l'alterite et la contrariete. Pour lui, commepourGregoire de Nazianze et Serg'e, la volonte differente est unevolonte contraire. Done, en niant la contrariete, il nie I'alterite.L'unique volonte qu'il affirrne est la volonte divine, evidemment.

Pourtant, si Honarius rejette avec autant de force que Sergel'hypothese de la volonte hurnaine du Christ contraire a lavolonte divine, I'interpretaticn qu'il donne de l'Agonie est diffe­rente de celie que donnait finalement Ie Patriarche : plutet queI'expression d'un « mouvernent naturel de la chair », Ie Pape voitdans les paroles de Jesus une il}.tention pedagogique ; elles ont eteprononcees pour nous apprendre a« preferer en toutes chases lavolonte du Seigneur » anotre volonte propre.

passage incrimine est precisernent eelui dans lequel Honoriusaborde la question des volontes :

THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRIST46

37. Cette lettre a ~t~ inseree dans les actes du Concile Oecumenique de 681(MANSI XI, 530 sq.),

38. Cf. MURPHY et SHERWOOD, op. cit. p. 155-156.39. Pour Serge, cette double approbation &it un encouragement considerable40. 01:. 550, 552. .

41. Texte grec et latin dans KIRCH, Enchiridion /ontiu"! Histori« ~esiarti­cae antiquae (Herder 1947) n° 1058-1059 (nous avons partteUement utilise la tra-duction de DoUCET. p. 254·255).

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48 THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRISTLE PSEPHOS DU PATRIARCHE SERGE 49

B. L'ECTHESE DE 638

Le succesdu Psephosencourageait Serge afaire un pas de plus,non pas dans Ie sens d'une nouvelle elaboration doctrinale maisdans celui d 'une promulgation encore plus solennelle. '

L'Ecthese de 638 est essentielJement une reprise litterale du.Psephos, mais avec la signature personnelle de l'empereur Hera­clius 42.

Pourtant, il faut signaler une modification assez importante.A10rs que la premiere et la troisieme partie du developpement dup,sephos sur la question des volontes (A et C dans notre presenta­tlO~) sont reproduites litteralement 43, la seconde partie (B) estentierement refondue. Elle se presente alors de la facon suivante.Apres la meme affirmation initiale : « Ce faisant on introduiraitdeux etres qui veulent des choses contraires - ce qui est impie »,Ie nouveau texte donne :

. et con.traire aux dogmes chretiens. Car si I'impie Nesto­nus, qU.1 pourt~nt divisait la divine inhumanation (enan­thropesis} du Seigneur et introduisait deux Fils, n'a pas oseparler de leurs deux volontes , mais au contraire a affirme!'ide~tite de volo.nte (tautoboulia} de ces deux personnesimaginees par 1';11, comment est-il possible que ceux quiconfessent la foi orthodoxe et qui glorifient un seul FilsNotre-Seigneur Jesus-Christ vrai Dieu, admettent en luideux volontes contraires ?

Des lors, suivant en toutes choses et en ce point lessaints Peres, nous confessons une seule volonte de NotreSeigneur Jesus-Christ, vrai Dieu 44.

("La reduction de l'hypothese des deux volontes au principe deIno n-contradiction ne figure plus dans YEcthese. La necessiteabsolue d 'introduire deux sujets qui veulent des choses contrairessi 1'0n mainti:nt les deux volontes n'est plus manifestee, elle estseulement affirmee. 11 y a done un affaiblissement. Ce qui est

42. Cf. infra p. 104.43. II ya toutefois de I~ues variantes entre tes deux textes,44. KiRCH, op. cit. n° 1071-1073 .

developpe, par centre, c'est Ie caractere impie de l'affirmationdes deux volontes, irnpiete encore plus grande que celie de Nesto- Irius . "

Pourquoi Serge a-t-il elirnine ce qu'il y avait de plus fort dansIe Psephos ? A-t-il compris que son raisonnement ressemblaittrop a celui d'Apollinaire ? Ou bien s'est-il rendu compte quetous les elements du principe de non-contradiction n'etaient pasverifies? II est fort difficile de repondre a de telles questions .Plus probablement, Ie changement de texte s'explique par l'inten­tion d'inserer la phrase d'Honorius : « nous confessons une seulevolonte de Notre-Seigneur Jesus-Christ ». Ainsi, Serge regagnaitabondamment au plan de l'autorite la force qu'il perdait au

niveau de la demonstration.Honorius et Serge sont morts tous les deux ala fin de la meme'

an nee 638.

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CHAPITRE III

AUTRE. INTERPRETATIONL'APPROPRIATION DE LA VOLaNTE HUMAINE

(A PARTffi DE 639)

[ Jusqu 'a son remplacement par Ie Typos de Constant II en 647,1 ~ :Ecthese a represente la doctrine imperiale la plus officielle :·I' oeuvre theologique de Serge lui a done survecu.

Pourtant une irnportante variante du rnonothelisrne byzantin afait son apparition peu de temps apres la mort du grand patriar­che . L'hypothese de depart reste toujours la meme : Ie refus de lacoupe envisage comme vraie volonte humaine opposee a lavolonte divine; mais l'interpretation finale est diff'erente : cerefus est bien une vraie volonte humaine, contraire a celie de

' ·- Dieu , mais cette volonte n'est reellement qu'en nous, et non pasdans Ie Christ. Elle n'est en lui que par appropriation (oikeiasis).

\ L'interpretation finale de Serge (lettre C dans notre presentation)\ se trouve done inversee :"pour Serge, le refus etait bien dans Ie

_. _ Christ, mais il n'etait pas une~aie volonte humaine ; dans cetten~~_.perspective, Ie refus est bien une volonte humaine, mais

~il n'est pas vraiment dans Ie Christ.Un passage de la Dispute avec Pyrrhus nous donne des rensei­

gnements precis sur cette nouvelle doctrine :

P .- Les gens de Byzance, pour s'opposer encore auxvolontes natureJles, disent que I'enseignement des Peres,c.'est que Ie Christ a une volonte humaine par appropria­non.

M .- Puisque tu as ete toi-merne un promoteur de cet eton­nant et brill ant enseignement qui est Ie leur, par quellesorte d'appropriation cela se produit-il, selon eux ? Est-cepar I'appropriation substantielle (ousiodes), par

L'APPROPRIATION DE LA VOLONTE HUMAINE 51

laquelle, chacun, ayant ce qui lui revient natureUement,se l'approprie acause de sa nature? Ou bien est-ce parI'appropriation relationnelle (skhetike), par laquelle,avec des sentiments d'amitie, nous DOUS approprions etnous cherissons ce qui est aux autres, sans Ie subir ni Iefaire nons-memes ?

P .- II est clair que c' est par I'appropriation relation­nelle 4S.

Ce texte date de 645, mais il se refere ades evenements ante­rieurs. Pyrrhus a succede aSerge en Decembre 638 sur Ie tronepatriarcal de Constantinople. II en a ete chasse le 29 Septembre641. C'est done entre ces deux dates que Pyrrhus a etl: aConstan­tinople un des promoteurs de la nouvelle interpretation. Maximeoblige Pyrrhus a preciser qu'il s'agit de I'appropriation rela­tionnelle.

Sur Ie contenu doctrinal de cette interpretation et sur sa refe­rence aux Peres, nous sommes encore mieux renseignes par untexte qui emane du merne milieu patriarcal de Constantinople etqui s'intitule :

Premiere aporie du diacre Theodore, rheteur et synodi-caire de Paul, Archeveque de Constantinople 46.

Paul a succede aPyrrhus Ie 29 Septembre 641. Theodore a vrai­semblablement redige son aporie en 642 41

• C'est un texte remar­quable qu'il convient de citer integralernent :

Si c'est selon la meme raison (logos) que les Peres ontattribue au Christ I'ignorance et la volonte, ceux qui disentque ce n'est pas par appropriation que la volonte est consi­deree dans Ie Christ seront egalement contraints de direqu'il a connu I'ignorance. Et comment alors est-il Dieu,celui qui ne connait pas I'avenir ? lis en font un homme puret simple suivant en cela l'heresie des Agnoetes qui a dejaete condamnee 48 •

45. Dispute, 304AB. trad , DoUCET.46. Ce texte est place en tete de l'Opuscule 19 de Maxime (216B).47. L'Opuscule 19, dans lequel Maxime refute I'aporie a dO etre ecrit vers 642

ou apres (selon SHERWOOD, « date-list »),48. Les agnoetes avaient notarnment ele condamnes en 600 par saint Gregoire

Ie Grand (Dz. 474--476) .

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52 THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRIST L'APPROPRIATION DE LA VOLONTE HUMAINE S3

Si done, reculant devant I'abomination d'une telle conse­quence, ils attribuent au Christ par appropriation l'igno­ranee, de merne que I'abandon et I'insoumission, alors, ilfaut que ce soit de la merne rnaniere qu'ils parlent de lavolonte. Les Peres en effet ont range I'ignorance avec lavolonte, en tenant pour I'une la merne raison que pourI'autre ; cela, Athanase dans son livre contre les Ariens,Gregoire IeTheologien dans son premier discours sur Ie Filset d'autres dans leurs ecrits, I'ont dit (216 Be).

'\ Le raisonnement est clair: la volonte humaine est attribuee auChrist de la merne facon que I'ignorance, ('abandon et l'insou­

. .rnission . Theodore pretend que telle est la doctrine des Peres, et ilI se refere explicitement au Quatrieme Discours theologique de

Gregoire de Nazianze.Or, comme nous I'avons vu dans notre premier chapitre, Gre­

goire dans ce meme discours, ne fait pas intervenir la notiond'appropriation a propos de la volonte. II se contente de soninterpretation negative. Mais parce que les monothelites deByzance en concentrant toute leur attention sur I' Agon ie (et nonplus sur Jean 6/38) ant insiste de facon nouvelle sur la contra­riete de la volonte humaine du Christ par rapport a la volontedivine , ils ont applique acette volonte humaine ce que Gregoiredisait au sujet du peche :

... De merne que le Christ a ete declare « maudit » (Gal.3/13) acause de moi, lui qui met fin arna malediction; dememe qu'i1 a etc appele « peche » (2 Cor. 5121), lui quienleve Ie peche du monde; de merne qu'iI devient le NouvelAdam ala place du premier; - de meme aussi, me voyantinsoumis, il prend ce defaut sur lui, en tant qu'i1 est la Tetedu Corps que nous formons. Aussi, tant que je suis insou­mis et rebelle, tant que je nie Dieu et me livre aux passions,Ie Christ est dit, lui aussi, insoumis, en tant qu'i1 merepresente .. .

C'est, je crois, de la meme rnaniere qu'i1 faut compren­dre: « Mon Dieu, mon Dieu , regarde-moi, pourquoi m'as­tu abandonne ? » (Ps 2112; Mt 27/46). U n'est abandonneni par son Pere, ni, comme Ie croient certains, par sa divi­nite, com me si elle craignait la douleur et se retirait de soncorps souffrant. Car nul ne I'a force a naitre d'abord ici-

bas, puis amonter sur la croix; rnais, comme je I'ai dit, ilimprime en lui-meme ce qui nous appartient (en heauto .. .tupoi to hemeteron). Nous etions jadis abandonnes etmeprises ; maintenant, nous sornrnes retablis et sauves parles souffrances de celui qui ne peut souffrir. 11 s'est egale­ment approprie (oikeioumenos) notre folie et nos fautes,comme Ie dit la suite du Psaume, car c'est manifestementau Christ que se rapporte ce Psaume XXI 49 .

Mais Gregoire ne distingue pas bien I'appropriation parlaquelle le Christ prend notre peche de ceUe par laquelle il prendnotre nature et ses proprietes essentielles w. Cette confusion estnette dans le paragraphe suivant du rnerne discours :

On fera les memes considerations sur Ie texte ; « il aappri s I'obeissance par ce qu 'i1 a souffert » (Reb. 5(8) ..Oninterpretera de rnerne ses cris, ses larmes, ses supplicationsqui sont exaucees, sa piete (ld. 517). C'est en notre nomqu'iI joue ce role (dramatourgeitai) et qu'il accomplit tou.sces actes d'une facon admirable. Car, en tant que Verbe.Iln'etait ni obeissant ni desobeissant. Pareilles denomina­tions ne conviennent qu'a ceux qui dependent d'un autre etqui sont au second .rang : s'ils obeissent , c'est qu'ils sontbons , s'ils desobeissent, i1s rneritent un chatirnent , Mais,« prenant la forme d'un esclave » (Phil. 217), il descend auniveau de ses freres de servitude, de ses esclaves, il prendune forme qui lui estetrangere et me porte en lui-meme,moi tout entier, avec mes faiblesses. Ainsi fait-it disparaitreen lui ce que j'ai de mauvais, comme le feu fait fondre laeire au comme Ie solei! dissipe la brume ; et moi je parti­eire' ace qui est alui, en vertu de cette union . . . 51.

Cette maniere de parler de l'obeissance du Christ et de « laforme qui lui est etrangere » frole Ie docetisme.

I:Les monothelites du vue siecle, eux, precisent bien que la

volonte humaine est attribuee au Ch~st. par I'appropri~tion r:la­tion~e, c'est-a-dire c~mm~e. Au fond, cette interpreta-

49. Discours sur Ie Fils, § 5, (P.G. 36, 108C-I09B), d'apres la traduction de P .GALLAY, op. cit. p. 136-138, legeremenl modifiee.

50. Cf. infra, p . 76-77.51. Ibid. § 6, I09BC, trad . de P. GALLAY, p, 138-139.

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54 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST

tion est beaucoup plus simple que celie de Serge : au lieu des'appuyer sur la manifestation si delicate d'une impossibilite Irnetaphysique, elle se ronde sur l'Irnpossibilite morale d 'admettredans Ie Christ une volonte humaine opposee a Dieu, done peche­resse. La base, c'est la certitude revelee que Ie Christ nous est« sembiable en toute chose, a l'exception du peche » (Heb .4/15)S2.

52. Bien qu 'i1 ne concerne pas directement la question de I'appropriation, Iecanon 16du Condie de Latran condamne « celui qui n'attribue pas aune seule etmeme personne et de facon essentielle les paroles evangeliques qui se rapportentau meme Sauveur » (lk. 516). eela peut s'etendre a In these que nous venonsd'examiner.

Deuxieme partie

MAX/ME LE CONFESSEUR

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En 633, lc moine grec Maxime est un homme celebre. Ce theo­logien de 53 ans qui n'est ni pretre, ni rnerne diacre est en pleinematurite. Son oeuvre ecrite est deja considerable, et il correspondavec les principaux personnages de son temps.

Depuis 630 il vit en Afrique du Nord, ou il restera jusqu'a lafin de 645.

Dans cette seconde partie, nous allons suivre Ie cheminementde sa pensee depuis Ie moment ou it recoit Ie Psephos, a la fin de633, jusqu'a celui ou iJ resout definitivement le problerne mono­thelite, vers 641.

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CHAPITRE PREMIER

L'APPROBATION DU PSEPHOS(633-634)

A la fin de 633 au au debut de 634, Maxime repond « au tressaint Pyrrhus, pretre et higoumene » 1 qui lui avait envoye uneeopie du Psephos.

Cette lettre, qui nous est fort heureusement parvenue est undocument tres precieux qui prouve que Maxime n'a pas vu sponta­nernent I'enjeu du monothelisrne. Sensibilise alors a la seule ques­tion des operations du Christ, it n'a vu dans Ie Psephos qu'unejuste eondamnation du pacie"monoenergiste d' Alexandrie.

A Pyrrhiis, il adresse les plus vives louanges . Dans son enthou­siasrne, it v-a meme jusqu 'a dire aeelui qui sera plus tard son prin­cipal adversaire : « heureux Ie ventre qui t'a porte et les seins quit'ont nourri » 2, Cet eloge demesure s'adresse egalement aSerge,auteur du Psephos :

Que pourrai-je encore te dire d'autre, venerable Pere,lorsque je vois que tu as profere de telles paroles ?

Par elles tu as fait connaitre Ie Psephos - semblable auxtables ecrites par Dieu - apporte et donne par Ie nouveauMediateur, qui est pour nous Ie grand Moise, Ie Pretre despretres et I'exarque du divin Sacerdoce pour toute la terre.

~La Trinite, sainte et seule adoree, a elle-merne dicte ce

Psephos en utilisant ce Grand Pretre comme instrument, etelle a lie davantage dans une rneme communion de penseeles Eglises qui ant alors meprise ce qui avait ete fait en laville d'Alexandrie et qui etait apparu a un grand nombrecomme une innovation en matiere de Foi.

1. Lettre /9, 589C.2. 592A.

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60 MAXIME LE CONFESSEUR L' APPROBATION DU PSEPHOS 61

Le P~ephos ainsi donne a garde dans toute son integritela pensee selon laquelle nos Peres theophores ont transmisaux saintes Eglises ce qu'il faut croire (592 BC) .

Suit un !ong developpernent dans lequel Maxime exprime cetteFoi de l'Eglise et qui, par certains aspects, est presque uneparaphrase des expressions du Psephos, Dans ce developpernent,nous trouvons un texte particulierernent important ou il est ques­tion de la volonte et de I'operation :

Le, Mystere , c'est Ja fibre Kenose (autliairetas kenosis)de Dieu par bonte pour les hommes ; mais elle n'esr pasdechean~e de la Divinite, cette condescendance volontaire(he~ouslOs sugkatabasis) qui s'est accomplie a travers lachair. II est en effet demeure ce qu'il etait tout en devenantce qu'i1 n'etait pas, car iJ est immuable.'Et de rneme il aco~serve ce qu'il etait devenu, tout en demeurant ce qU'iletait, car il est ami des hommes .. .

_ ' , :D'une part, il opere charnellement les choses divinesplllsq~e c'est par une chair qui n'est pas depourvus de so~operation n~turelJe ; d'autre part, iI opere divinemem lescho~ humaines, pUis~uec'est par sa volonte et de sa propreauton~e (kata t~elesm exousiastiktis] et non pas sous lacontr~nte des circonstances qu'il eprouvait les passionshurnaines (592 D - 593 A).

Alors que « I'operation naturelle de la chair» est explicitementnommee, iI n'est pas question d 'une volonte humaine qui serait Ieprincipe de cette operation. La seule volonte dont Maxime parleest celie par laquelle Ie Christ « opere divinement les choses

I,humaines » c'est-a-~ir~, la volo~te divine, evidemment. D'ail­leurs les deux adjectifs authairetos et ekousios, ainsi quel'adverbe exousiastikos caracterisent la seule volonte divine 3.

, Maxime n 'envisage pas dans Ie Christ d 'autre liberte que celie de

3. On .remarque la mem~ chose da~s la Lettre I3 qui date de la ml!meepoque/ 633..(,34) . la Kenose y est dite volontaire (hekousios) et Iibrement choisie (proai.( ha;r) (5!7B). Ce .texte est. cite par Ie P. GARRIGUES, « La Personne composee duChnst d apres saint Maxime II, p. 195 (Revue Thomiste Avril-Juin 1974) Ct.encore Dispute 320BC. ,. v-

la Kenose, c'est-a-dire cette unique liQerte ~ivine des Trois Per- ,sonnes qui ont decide en commun l'Incarnation . Dans la vie duChrist sur la Terre, a la racine de son operation humaine,Maxime ne distingue pas d 'autre principe que cette liberte divinede Kenose. .

-- PourMaxime, Ie terme « operation » n'a donc pas le me mesens que pour Serge. « L'operation naturelle de la chair» dontparle Maxime n'est en effet rien d'autre que ce que Serge appelait« mouvement naturel de la chair », Pour Serge, nous I'avons vu,la notion d'operation etait necessairernent lire a celie de volonte.A la suite d' Apollinaire , Serge ne parlait d 'operation que pourdes igner ce qui precede d 'une volonte correspondante. L 'hypo­these d'une operation humaine impliquait done celJe d'unevolonte humaine ; aussi, lorsqu'il aboutissait a la negation d'unetelle volonte, Serge ne pouvait plus employer Ie mot « opera­tion » pour designer I'acte humain du Christ, mais seulement Iemot « mouvement ».

Ainsi, malgre les apparences, lorsque Maxime parle d'une ope­ration apropos de l'humanite du Christ, il n'affirme reellement

~ rien de plus que Serge; il montre seulement que sa notion d'ope­\ ration est beaucoup moins precise que celIe du Patriarche.

Curieusement, Maxime ne dit pas un mot concernant I'hypo­these des deux volontes du Christ en Agonie, Alors que tout Ieraisonnement de Serge partait de la consideration de cet evene­ment precis de la vie du Seigneur, Ie texte de Maxime n 'y failmeme pas allusion .

Maxime se situe aun niveau beaucoup plus general. La volontedivine don ilparie a propos du Mystere du Christ, iJ ne lacontemple pas par rapport a laPassion, mais par rapport aI'Incarnati6if··'(Kenose) et par rapport a la vie terrestre duSeigneurconsideree en bloc comme « con descendance volontairequi s'est accomplie a travers la chair ». De facon tres vague,Maxime se contente de mentionner « les choses divines » et « leschoses humaines » operees par Ie Verbe incarne.

Faut-iJ voir dans ce fait assez surprenant un signede prudence ?Devant Ie Psephos, Maxime aurait-il ete plus prudent qu'Honorius?

Nous ne Ie pensons pas, et cela pour deux raisons .D'abord, sur la question centrale des volontes, les deux hommes

pensent fondamentalement la rneme chose : seule la volonte

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62 MAXIME LE CONFESSEUR L'APPROBATION DU PSEPHOS 63

divine est reconnue, et si Maxime ne dit pas explicitement « nousconfessons une seule volonte de Notre-Seigneur Jesus-Christ »,cette expression du Pape correspond exactement ace qu 'il declaredans sa lettre a Pyrrhus 4.

Ensuite, I'enthousiasme dont Maxime fait preuve montre queson approbation est sans reserves . S'il avait alors senti quelquedifflculte, it n'aurait sflrernent pas prodigue de telles louanges auPsephoset a son auteur.

La veritable explication nous semble etre la suivante : lorsque

("Maxime p rend connaissance du Psephos, il n'est pas sorti ducadre de la christologie neo-chalcedonienne. Or, Ie risque majeur

- de"cette cIlristologie etait de « laisser dans I'ombre Ie realisrnevivant de ia nature humaine de Jesus , corps et arne » ~ .

De merne, Ie devenir du Christ dans son hurnanite n'est guerevalorise 6. Par certains cotes , Maxime est bien un scolastique neo-

4. La facon dont Maxime a ioujours defendu 13 rnemoire d'Honoriuspresente Ie plus grand interet. Mieux que lout autre, il pouvait comprendre lareaction du Pape devant Ie Psephos. Avant que Ie Pape Jean IV ait pris Ia defensede son inf'ortune predecesseur, au printemps de l'annee 641 (Dz, 496-498)•.Maxime avait dejA donne une interpretation orthodoxe de la lettre d 'Honorius(un peu avant 640, dans t'Opuscute 20, 237C-245A). En 645, dans la Dispute, ils'en tiendra Al'interpretation de Jean IV (328C -329C). Sur ce point, cf. DOUCET,p. 255 sq.

Dans l'Opusc:ule 9, ecrit entre 646 et 648, Maxime presente la defense de sa pro­pre lettre APyrrhus (I 29A -132D) ; iI regrette d'avoir adresse de telles louanges ASerge et A Pyrrhus, mais it ne retracte rien au plan doctrinal. Chez Maxime, lameme attitude de fond commande A la fois la defense d 'Honorius et sa propreapologie.

A la meme date, Honorius et Maxime avaient ete saisis par la nouveaute duprobleme monothelite, Or, la definition dogmatique de 681 montre que les Peresdu Vt' Concile n'ont pas vu cette nouveaute : i1s ont en quelque sorte reduit Iedogme des deux volontes au dogme de Chalcedoine, comme s'i1 n'en etait qu 'uneimplication (cf. infra, p, 112, note 18). Dans cette perspective, l'hesitationd'Honorius semblait impardonnable. Au contraire, Ie Concile de 649, dont lesfonnules essentielles ont ete redigees par Maxime, manifeste l'originalite d'undogme nouveau et irreductible A celui de Chalcedoine : alors, iI ne pouvait etrequestion de condamner Honorius.

5. Ch . MOELLER, Le chalcedonisme et le neo-chalcedontsme en Orient de 45/alafin du VI' siecle (Das Konzil von Chalkedon. l. 1) p . 719 ; cf. encore. p. 72~.

6. Ibid . p . 712-713. A la limite, c'est I'aphthartodocetisme, professe par JUStl­nlen et quelques autres neo-chaJ.C!a6iiicns . SCroll"cette-doctrine, Ie corps du Christaurait ete incorruptible:..-4.essa conception . Ce~te dangereuse tendan~ se retrouvechez saint Jean-naIDascene, dans son Hom~lie sur Ia Transfiguration (P.G. 96,

- 5~S65) : Ie Christ semble pleinemenl glorifie avant meme sa Resurrection. Lemiracle se serait produit. non pas au Diveau du Corps du Christ, .mai~ dans lesyeux des temoins. habitue lement emp&:hes de voir sa Gloire (voir "excellente

chalcedonien : sa forme d'esprit Ie disposait beaucoup plus auxspeculations abstraites sur Ie Mystere de l'Incarnation qu'a unegard cone ret sur les evenernents de la vie de Jesus.

Dans ces conditions, on comprend que Ie probleme pose parSerge - problerne des deux volontes contraires dans Ie Christ aumoment de l'agonie - n'ait pas arrete I'attention de Maxime. Aufond , ce type de probleme ne l'interessait pas alors ; ce qui l'inte­ressa itparcontre, c'etait Ie schema christologique que Serge pro­posait finalement apres avoir nie l'hypothese des deux volontes,Mais , ce schema qui dans Ie texte de Serge s'appliquait principa­lement au cas prec is de I'Agonie, Maxime Ie re-transpose dans Iecadre beaucoup plus genEal de la christologie neo­chalcedonienne : l'Incamation et la vie humaine du Christ sontalors considerees ensemble, indistinctement, comme procedantde la merne volonte divine. Dans la vie de Jesus, Maxime ne voitalors pas d'autre liberte que la liberte divine de Kenose, celie quia precede I'Incarnation.

mise au point de St-Thomas : lila Q. 45 art. 2 co ; pour Ie docteur Angelique, non \seulement lechangement se produ it bien au niveau du Corps du Seigneur, rnais !encore cette gloire passagere et purement miraculeuse est nettement distinguee de.la gloire definitive du Ressuscite) , "

Cet te tendance aphthartodocete apparait encore chez V. Lossxv, dans sonouvrage La Th~o'rogie Mystique ·de l 'Eglise d'Orient (Aubier 1944). L'auteur

I affirme en effet qu ':\ Gethsemani, la nature humaine du Seigneur etait « incor­ruptible» (p . 143), que le C hr ist est « incorruptible et immortel selon sa naturehumaine, - nature qui etait en outre deifiee par I' union hypostatique » (p . 144).« L ' incorruptibilite et l' Irnpassibilite » sont dites « naturelles, propres A unenature parfaite et deifiee », tandis que la « corruptibilite et la passibilite " sont«volonta irement assurnees » (Ibid .). Dans cette perspective. la Transfiguration(p . 145) prend evidernment beaucoup plus de relief que r Ag onie-(p . 143). Dans

- - 'ces-pages: n >SsKY-cit'e MaXime et Jean Damascene, mais I 'usage qu'il fait des textesdu Confesseur a ete justernent crit ique par DoUCET(p . '3 III sq .).

A proprcment parter, 'I'aphthartodocetlsme n'est pas une forme .de ,m~no­physisme : la nal ure liumaine du Christ est i n tegra lem~~~tee . Ce qUI estobscurci c'est la con d it ion du Christ pendant sa vie terrestre, Les consequencesSOrrr-miiiti ples ; ainSITean Damascene n'est pas capable de vaJoriser vraiment la

_t priere de Jesus pendant sa-vie terrestre (cf. Hom~lie sur la Transfiguratiofl 561B et\ a'F6rOrthodoxe, 111/24, P.G. 94, I089C) .

II faudrail mcditer les lextes oil saint Thomas affirme que selon Ie mode deI'Economie (dispensative factum), seule la« .~.ens )~"d~~hr.ist etait glorifiee,.~sque celte glo ire derive dans "ensemb1e-(Ie son Humanlte. SeuJe sa volonte dlVln.epouvait faire deriver celte g1oire, (ilia Q. 14 art . I ad 2, Q. 15 art; 5 ad 3). a~ssl,

selon sa volonte humaine, Ie Christ devail la demander et la meriter (Ie Chnst aprie pour lui-meme : IUa Q. 21 art. 3 ; il a merite pour lui-meme : Q. 19 art. 3 etQ. 49 art . 6) .

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64 MAXIME LE CONFESSEUR

Cett~me.!!l_e perspective se retrouve dans les Ambigua I, ecritsen ~34 ou. un ,,:u apres, entieremem consacres a des questionschnstologlque~ . La non plus, Maxime ne parl~pas d'unevolonte humame du Christ, rneme lorsqu'il disserte sur sonObeissance 8 ou qu'i1 enurnere les proprietes naturelles de sonHurnanite 9.

- 11 n'y a done pas, au depart, de divergence profonde entre lachristologie de Maxime et celie des monothelites de Byzance.

7. 1031-1060.8. n04, 104IA-1045C.9. 10490.

CHAPITRE 11

LES APPROCHES DU PROBLEME

Progressivement, entre 634 et 640, Maxime prend positioncontre Ie rnonothelisme en affirmant Ja volonte humaine duChrist.

Pourtant, pendant cette periode, il fait toujours abstraction duproblerne pose par Serge-a parfir de I'Agonie. -!!!!~aborde la ques­tion de la volonte humaine que dans un cadre qui lui est farnilier,celui de la reflexion sur l'Incarnation ; la volonte est alors consi­deree comme une propriete essentielle de la nature assumee.Maxime ne se penche~core sur Ie probleme de la libertehumaine du Christ tel q-ue Serge I'a pose.

La premiere partie de ce chapitre sera consacree aux deux pre­miers opuscules anti-monothelites de Maxime ecrits pendant cetteperiode.

Dans la seconde partie, nous devrons parler rapidement de ladistinction nature/hypostase tetle que Maxime la comprend, carcette distinction est Ie principal fondement ontologique de toutesa reflexion,

I. LA PREMIERE AFFIRMATIONDE LA VOLONTE HUMAlNE DU CHRIST (634/640)

A. OPUSCULE 4 (634 - 640)

C'est dans l'Opuscule 4 que no us trouvons la toute premiereprise de position de Maxime contre Ie rnonothelisme. Cet ecrit,

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66 MAXI ME LE CONFESSEUR LES APPROCHES DU PROBLEME 67

qu'i1 n'est pas possible de dater de facon precise, est certainementposterieur aux Ambigua let anterieur a l'Opuscule 20.

Dans Ie texte que nous avons traduit et commente, Gregoire deNazianze presentait l'opposition entre « I'homme que nous

. considerons dans Ie Sauveur » d'une part, et « I'homme de notresorte » d'autre part. Tout l'Opuscule 4 est une reflexion sur cetteopposition que Maxime s'efforce de preciser et de nuancer.

Le Christ, vrai homme, est « comme nous al'exception du seulpeche » (cf. Heb. 4/15), Ie peche consistant precisement dans lacontrariete de la volonte humaine par rapport ala volonte divine:

... Selon la nature, I'humain dans le Sauveur n'est pasautre que I'humain en nous, mais iI lui est identique parl'essence, sans aucune difference, puisqu'il a ete pris denotre propre nature, par I'ineffable assomption apartir dusang virginal et immacule de la toute pure Mere de Dieu .Uni a ce sang, comme une semence, Ie Verbe est devenuchair sans cesser d'etre Dieu par essence; homme parfait, iIa ete comme nous, a I'exception du seul peche, Par Iepeche, nous nous revoltons sou vent et nous opposons aDieu selon la volonte qui en nous penche d'un c6te ou del'autre ; mais lui, etant par nature Iibre de tout pechepuisqu'il n'etait pas un hornme pur et simple (psitos) maisDieu fait homme, n'a rien eu en Lui qui fat contraire aDieu ; il a garde notre nature toute pure et imrnaculee.C'est ainsi qu 'll dit : « Le Prince de ce monde vient, et enmoi il ne trouve rien » (in 14/30), rien de tout ce par quoinous montrons la contrariete de la volonte, depravant ainsinotre propre nature. A cause de cette contrariete qui est ennous, on dit que Ie Christ lui-merne est insoumis 10 jusqu'ace qu'll nous en ait libere par la puissance de son Incarna­tion. Par tout ce qu'll est devenu acause de nous et tout cequ'll a fait pour nous, il a confirrne la verite de son Incar­nation, sans jarnais falsifier ni notre nature, ni rien de cequi lui appartient de facon naturelle et irreprochable, bienqu'il ait divinise cette merne nature avec toutes ses pro­prietes, comparable au fer incandescent, la rendant toutentiere capable d'accomplir des oeuvres divines en lacompenetrant par I'union, etant devenu un avec elle, sansconfusion, selon la meme et unique hypostase (60 AC).

io. C'est I'appropriation relat ionnelle.

Ainsi , entre I'humain dans Ie Christ et l'humain en nous, il nepeut pas y avoir une difference de nature. La difference, quiconsiste en la contrariete de volonte qui est en nous et qui n'estpas en lui n'est pas de I'ordre de la nature; bien plus, cettecontrariete est « contre nature », veritable depravation de lanature. L'irnpeccabilite n'enleve donc absolument rien a la

'nature humaine du Christ, et sa totale divinisation la respecteintegralernent . .

Cette identite et cette difference, Maxime les exprime ensuiteen utilisant ses propres categories theologiques ; il reprend alorsl'exemple de la conception virginale du Chri st :

Par consequent. I'humain dans Ie Christ differe del'humain en nous, non par Ie logos de la nature, mais p.ar I~tropos nouveau de sa venue a I'etre .: sel~n ~a natu~e, Illu~est identique, mais selon la conception virginale II II ~e luiest pas identique puisque cette nature humaine n'etait pascelle d'un homme pur et simple mais qu 'elle appartenait acelui qui pour nous s'est fait homme (60 C).

Puis, par mode de comparaison, il insere une breve remarqueconcernant Ie vouloir humain du Christ:

De meme son vouloir etait d 'une part vraiment naturelcomme en nous, et d 'autre part, marque (tupoumenon) divi­nement, d 'une facon superieure anous.(lbid.)

Nous sommes en presence de la toute premiere affirmation dela volonte humaine du Christ : elle est parfaitement claire, rnaisMaxime ne la developpe pas davantage. II revient aussitot au casde la conception virginale dont iI etait parti :

II est clair en effet que la conception virginale et laconception par la semence virile ne distinguent pas I~

nature mais on les distingue au sujet de la meme nature; I]en va de meme pour l'innascibilite et la naissance (Ibid.) .

II . Litteralement : l'absence de semence Iasporia} .

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68 MAXIME LE CONFESSEUR LES APPROCHES DU PROBLEME 69

L'innascibilite est la propriete personnelle du Pere, et la nais­sance, celie du Fils. Maxime passe done de la consideration de lanaissance humaine et temporelle du Christ acelie de sa naissancedivine et eternelle. De meme que la conception virginale et laconception par la semence virile ne caracterisent pas des naturesdifferentes, mais des personnes qui possedent differemment lamerne nature humaine, de meme, dans la Trinite, l'innascibil ite etla naissance sont les proprietes respectives de deux Personnesdistinctes qui possedent la merne Nature divine 12.

Au plan trinitaire, l'hypothese contraire conduit aI'arianisme :

Si Ie Verbe, en tant qu'homme, a une difference parrapport anotre nature acause de sa conception virginale, iIaura forcernent (en tant que Dieu) une difference parrapport a l'Essence du Pere a cause de sa Naissance, carl'Innascibilite et la Naissance ne sont pas identiques (60 D).

Au plan de la nature humaine, cette meme hypothese ad'autres consequences qui sont absurdes :

Et nous-memes, de la meme facon, nous aurons une dif­ference selon la nature par rapport a Adam, Ie premierhomme, et aEve, qui sont venus aI'existence sans semencepuisque Ie premier est un modelage venant de Celui qui I'~modele, et que la seconde a pour origine un morceau de cemodelage (cf'. Gn. 2/7, 21-22).

Maxime peutdonc passer aI'affirmation de ce qui est vrai :

.E.n.realite~ le r-ils est ~ela merne qu'est Ie Pere, par laDivinite, puisqu II est Dieu et consubstantiel. De rnernenous aussi, par l'humanite, nous sommes les congeneresd'Adam et d'Eve et rneme du Dieu Incarne pour nous :nous leur sommes consubstantiels. Done, de meme que lestermes « Inengendre » et « Engendre » ne sont done pasI'essence de Dieu (qui donc oserait I'affirmer?), de me mela conception virginale et la conception par la semence nesont en aucune facon la nature de l'humanite (61 A).

.1.2. Dans cette compa raiso n , il s'agit evidemment d'une analogie, car la naturediv ine et la nature humame ne so nt pas possedees de la merne maniere : ce n'estpas dans Ie meme sens que Ie Christ est consubstan tiel au Pere et a nous.

Apres avoir presente I'ensemble de ce developpernent, iI nousfaut maintenant dire quelques mots au sujet de la distinction du

-, Iogos (element essen tiel) et d.lJ 11J.Ros(mo<khypostatique). Cettedistinction, qui vient de la theologie trinitaire des Cappadociens,est en effet une des clefs de la Christologie, de Maxime I) . Elleapparait a un haut niveau d 'elaboration des les Ambigua /l (628­630) 14. Chaque nature differe essentiel1ement de toute autrenature par son logos propre qui lui assure une consistance inalte­rable ; l'imrnutabilite des logo; est fondee en Dieu IS. Au plan deI'essence, toute communication des natures entre elles est parconsequent impossible 16. La renovation de la nature humaine quis'accomplit dans le Christ ne porte done pas sur Ie logos de cettenature mais sur son tropos : essentiellement 1a meme que dans lesautres hommes, elle recoit un mode hypostatique different etnouveau 17.

La Maternite Virginale est un des grands themes des Ambigua 11,

repris et approfondi dans les Ambigua I, parce qu'elle manifestemerveilleusement et l'identite du logos et la difference du troposentre Ie Christ et nous 18. Pour Maxime, en effet, la conception

13. Concernanl I'origine de cette distinction, voir A. RIOU, Le monde etl 'Eglise... p. 81-82. Sophrone I'utilisait deja en Christologie et l'appliquait rnerneau cas de la naissance Virginale (cf . Ch . VON SCHONBORN, Sophrone de Jerusa­lem, p. 192).

14. 1061-1418.15. 11 n'y a jamais eu, il n'y a et il n'y aura jamais, parmi les etres, une

nature qui possede, du fait merne de son logos cela precisernent qu'elle n'apas ma intenant, ou qui SOil maintenant ou qui doive etre cela rnemequ'elle n'ctail pas d 'abord. Car ce dont les logoi possedent en Dieu la per­fection en rnerne temps que "etre, n 'est au cunemenl susceptible, Ion de saproduction ou de sa prise de substance, d 'accroissement ou de diminutionpour etre cela rneme qu'il se trouve etre. Ambigua 1345AB, traduction duP. D"LMAIS, Saint Maxime Ie Confesseur (ed. du Soleillevant) p. 42.

16. Jarnais une nature ne communique avec une autre nature selon la nature :elle ne peut y participer car, selon l'essence, elle differe de toute autrenature. Opuscule 8, 108CD.

17. C'est que toute renovation pour parler en generaI, porte sur le IIKIde(tropos) de la chose renouvelee, mais ne se produit pas sur Ie tOfO.! denature. Une innovation du logos corrompt, en effet, Ia nature qui De

conserve pas inaltere le logos dans lequel elle existe ; mais Ia renovatioa dumode qui sauvegarde parfaitement Ie logos de la nature. man:if~ Iapuissance du prodige, puisqu'elle montre a I'evideoce la nature active el

passive au-dela de ce qu'elle peut par elle-meme. Ambigua, 13410 :traduction du P. OALMAIS. op. cit. p , 43.

18. Amb. " : 1276AB : Amb. 1 : 1049-1053.

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70 MAXIME LE CONFESSEUR LES APPROCHES DU PROBLEME 7 I

par I'union sexuelle, inseparable de la corruption , est etroiternentliee au tropos pecheur de l'humanite dechue 19.

Le tropos hypostatique nouveau, qui « modifie » l'Humanitedu Christ et qui se traduit par l'irnpeccabilite, apparait done defacon eminente dans la conception virginale et la naissance mira­culeuse de Jesus qui garantissent la parfaite virginite de Marie.Parce que la corruption n'a aucune place dans cette naissance,

\

Maxime ne s'est pas contente d'affirmer la Virginite de Marielors de la Conception du Christ, mais il a donne une importancenouvelle a la virginite « in partu » et « post partum », en insis­

\ tant fortement sur Ie caractere miraculeux de la naissance 10. Letroisieme canon du Candle de Latran (649) qui definit cette doc-trine comme etant de Foi a ete redige par Saint Maxime lui­rnerne " .

Dans t'opuscules que nous etudions a present, nous voyonsdone Ie Confesseur se referer principalement a cet exemple de laConception du Christ qui manifeste entre lui et nous l'identite dulogos et la difference du tropos : apartir de ce point qui est par­faitement clair pour lui depuis de longues annees, iI aborde laquestion si obscure et si ernbrouillee de la volonte humaine, ouplus exactement, c'est a l'interieur d 'un developpernent sur laConception du Christ qu'il insere, par mode de comparaison, unebreve mais tres importante notation surla volonte. Du point de

.------ v,,~ 01 /Of!(),f de III nnrurc I In volorn ehumaine est la merne dans IeChrist ef en Mus : en lui comme e~ll'ous, il y a un « vouloir natu­rei ». La difference reside dans.le tropos hypostatique que saint

"- - Maxi me exprime en disant que Ie vouloir hiirnain de Jesus est« marque divinement, d'une facon superieure anous ».

"=-Ristonquemen t , Iii dis tinction logos/tropos est done Ie veri ­table point de depart de route fa reflexion de Maxirne sur lavolonre hiUnaine. La route premiere affirmation de la volontehumaine du Christ est faite Ii la lurniere de cette distinction.Grace a elle, Maxime peut separer les notions d'alterite et decontrariete confondues par Gregoire et par Sergc:-Par rapport ala volonte divine.Palterite de Ja volonte humaine resulte necessai-

19. Opuscule 20, 24IA.20. Amb. II : 1276.21. Dz 503. Cf. encore les titres de la Vierge Marie dans VOpuscute 16, 212A .

rement de son logos naturel tandis que sa contrariete ne vient qued'un tropos personnel qui la « modi fie » chez Ie pecheur. II estdone parfaitement possible d'affirmer que le Christ a une volontehumaine autre que la volonte divine sans cependant lui etrecontraire, et que cette volonte humaine du Seigneur ne differe dela notre que par son tropos, et nullement par son logos qui Teste

toujours Ie meme,Ainsi, lorsque Maxime affirme que Ie Christ a une volonte

humaine, il n'a encore entrepris aucune analyse discursive deI'acte de vouloir, distingue de la puissance de volonte, Cetteanalyse ne viendra que beaucoup plus tard, et dans Ie cadre de lareflexion christologique de Maxime, elle est tout Ii fait seconde u.

II nous reste maintenant aexaminer Ie dernier developpement

de I' Opuscule 4 :

Le grand Theologien Gregoire ne dit rien, pas rneme enapparence, qui pourrait faire croire que l'humain dans IeSauveur est autre que I'humain en nous. Certains l'ontneanrnoins pense a cause de ce qu'i1 declare:

Nous dirions que ces paroles expriment Ie langage d 'unhomme, non pas de celui que nous considerons dans leSauveur - car son vouloir n'est pas contraire a Dieupuisqu'il est tout divinise - mais d'un homme de notresorte, attendu que la volonte humaine ne suit pas tou:jours la volonte divine, mais que le plus souvent elle luiresiste et lutte contre elle.

Ce qui en lui est humain lui est vraiment propre, noncomme etant d'une essence au nature autre que la notre,mais comme existant dans la merne et unique hypostase,par lui et en lui, et non pas en soi separement ni mO par soicomme nous. L 'humain en lui a eu comme sernence propreIe Verbe lui-rneme qui a innove Ie tropos non essentiel " dela naissance : ainsi, ce qui est humain a obtenu de subsisterdivinement en lui et en rneme temps d'exister de faconnaturelle, afin que ce qui est notre soit confirme et que cequi est superieur a nous soil tenu par la foi.

Dans taus les cas, iI faut ala fois, d'une part maintenir

n . Cf. Epilogue, p . 105 et Annexe II .23. Litteralernent : « surajoute ».

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72 MAXIME LE CONFESSEURLES APPROCHES ou PROBLEME 73

et la nature assumee par Ie Dieu Verbe lui-meme qui s'estincarne et s'est fait parfaitement homme pour nous et sesproprietes naturelles sans lesquelles il n 'y a absolum~nt pasde nature, rnais seulement une apparence creuse, et d 'autrepart sauvegarder I' Union : la nature assurnee etant conserveedans I'alterite natureIIe tandis que I'union est reconnuedans I'i~entitehypostatique. Ainsi il faut montrer que danssa totalite, Ie logos de l'Economie est ala fois sans confu­sion et sans division (61 A-C).

La facon dont Maxime cite le texte de Gregoire et Ie commenteest tres caracteristiqus : elle montre une intention deliberee.

En effet, Maxime ne veut retenir du texte de Gregoire qu'unseul point: I'opposition entre « I'homme que nous consideronsdans Ie SauveiJr » et « I'homme de notre sorte », opposition qu'ilinterprets a la lurniere de la distinction logos/tropos,

. Or, Gregoire considerair deux paroles de Jesus: Ie texte de{Jea~ 6/38 etJ~ priere de Gethsernani, Ces deux citations evangeli­

ques encadraient la phrase que Max irne ne reproduit ici que de_ faeon partielle. Car la citation faite par Maxime ne donne que

I apodose : « nous dirions que ces paroles expriment Ielangage , " » tandis qu 'elle ornet la protase : « si ces parolesn'etaient pas prononcees par celui -la rneme qui est descendu » cequi produit une apparence de maladresse et d'inccrrectiond'autant plus forte que l'irreel est employe. Parce que Maximefait abstraction des textes evangeliques, on ne sait pas quellessont « ces paroles» et parce qu'il fait abstraction de la protase :« si ces paroles ri'etaient pas prononcees par celui-la merne quiest descendu », on ne peut meme pas savoir qu'i1 s 'agit de parolesde Jesus. Ce faisant, Maxima evite de considerer I'hypothesed'une volonte humaine du Christ contraire a la volonte divine.Et pourtant, lorsque Maxime ecrit I'Opuscule 4, il ne peut pasignorer cette hypothese ; il la connai't necessairement, tant parI'ensemble du texte de Gregoire que par la systematisation qu'endonne Ie Psephos,. Maxime, nous semble-t-il, a voulu faire abstraction de cettehypothese parce qu'elle I'embarrassait au plus haut point; iIn'etait pas encore capable d'affronter les monothClites deByzance sur leur propre terrain. A partir du recit evangelique de

~I 'Agonie, Serge etait parvenu ala negation de la volonte humaine

du Christ ; Maxime affirme cette volonte hurnaine d 'un toutautre point de vue, celui de l'Incarnation. L'affirmation deMaxime ne repond donc pas veritablernent ala negation de Serge.Alors que Serge concentre son attention sur un evenernent centralde la vie du Christ, Maxime reste toujours dans Ie cadre d'unereflexion theorique sur I'hypostase et les natures. Dans la visionabstraite et statique de Maxirne, la volonte humaine n'est qu'unepropriete de la nature assurnee. L 'hypothese de Serge com porteune vision concrete et dynamique : la volonte humaine estconternplee dans son actel ibre. Maxime affirme la volontehumaine du Christ et nie sa contrariete par rapport a la volontedivine, mais Serge voit dans I' Agonie la contrariete de cettevolonte humaine, et pour cette raison, il en nie la realite. D'unecertaine facon la position de Serge reste toujours la plus forte,

\ car, en apparence, c'est eUe qui a.l~ meilJeur fondem~t scriPtur~e.Pour sortir de J'embarras ou II se trouve et repondre pleine­

ment au problerne pose par Serge, il faudra que Maxime reinter-

fprete la priere de Jesus a Gethsemani en faisant apparaitre lavolonte humaine d'accomplir la Passion.

. Tant que cette reinterpretation n'est pas Iaite, Maxime ne peutvoir que Ie refus de la Passion . Ce refus, il ne peut evidernmentpas Ie situer au plan moral de la volonte, car, dans ce cas, il seraitnecessairernent conduit a la rnerne negation que Serge . II doitdone se con tenter de l'interpretation c1assique des anciens Peres.

En 640, Maxime en est encore au merne point; nous en avonsla preuve grace a l'Opuscule 24, ecrit a cette date, qui contie~t

precisement un commentaire de la priere de Jesus aGethsemani :

« ... La parole « Non pas comme je Vela, mais commetu veux» ne montre rien d'autre que le fait que Ie Christavait revetu une chair craignant la mort. En effet, c'est aeIle qu'il appartient de craindre la mort , de la refuse.r etd 'etre en agonie. Tantot il la laisse a eIIe seule, depouilleede sa propre puissance afin d'en con firmer la nature enmontrant sa faiblesse, tantot il ne cache pas sa puissanceafin que tu saches qu'II n'etait pas un hom~e pur.et simple ;de merne en effet qu'on aurait pense cela s II avait toujoursrnontre ce qui est humain, de meme s'll avait toujoursaccompli ce qui reieve de la Divinite, on ne croirait pas lelogos de l'Econornie. Pour cette raison, il fait altemer et

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74 MAXIME LE CONFESSEUR LES APPROCHES DU PROBLEME 75

rnele ses paroles aussi bien que ses aetes pour ne fourniraueun fondement aux maladies et folies de Paul de Samo­s~te, de Mareion et de Mani . Ainsi, en tant que Dieu, it pre­dit Ie futur, et en tant qu'homme, iI recule devant la mort(268 Be).

En fait, tout ee texte n'est qu 'une citation de Jean Chrysos­tome 24. Mais Maxime, qui ne nomme pas I'auteur, y exprime cequi est alors sa propre pensee 25. Seul le refus est vu, et il n'est passitue au plan moral >, II ne pose done aueun problerne et merne, ilconfirme la verite de la « chair ».

Cette interpretation ne diff'ere pas de celle que Serge donnaitfinalement dans le Psephos (lettre C), en ne voyant dans Ie refusqu'un « mouvement natureI de la chair » .

B. OPUSCULE 20 (AVANT 640)

L'Opuscule 20 se situe dans la merne Iigne que i'Opuscute 4,mais iI fait apparaitre un important progreso

L'expression de Gregoire; « son vouloir n'est en rien eontrairea celui de Dieu puisqu'il est tout divinise », retient de nouveauson attention. II y voit I'affirmation d'une volonte humaine, et, ason propos, il distingue nettement la non-contrariete et la divini­sation:

D'une part, le fait de ne pas etre contraire ne suffit paspour I'union ; si une chose est naturelle et irreprochable,elle n 'est pas contraire a Dieu, ma is elle ne lui est pas force­ment unie pour autant. D'autre part , ce qui est divinise luiest toujours parfaitement uni, et demeure sans confusiondans l'union, ne perdant jamais sa difference essentielle(236 A B).

24. P.G. 48. 766. Sur ce texte, voir A. GRILLMEIER. op. cit. p. 388.25. L'usage que Maxime fait des textes patristiques est une source de difficultes :

par exemple , en SIC. Ie texte du Pseudo-Athan ase allegue comme " preuve­contredit ce que Maxime vient d 'affirmer.

26. Dans un autre texte de 640, Maxime dit it peu pres la meme chose: (( selonJean Chrysostome, ne pas vouloir mourir est nature! pour la Chair » (Opuscute25. 273A n09). Cf. encore Opuscule /9. 224C.

Puis , en se ref'erant ace que Gregoire dit de la volonte qui esten nous , Maxime forrnule lui-merne une objection:

On dira :

Si aucune chose naturelle n'est contraire (a Dieu), com­ment done ce Pere, en parlant de la volonte qui est en nous- puisque c'est elle et non une autre qu'il considere - a-t-ilpu dire qu 'elle « ne suit pas toujours Dieu », mais que « Ieplus souvent elle lui resiste et s'oppose a lui? » Car, dedeux choses I'une : ou bien elle n'est pas naturelle parcequ'elle s'oppose, ou bien elle ne s 'oppose pas parce qu'elJeest naturelle. Done, c'est comme par une qualite naturelleque notre volonte differe du vouloir humain du Sauveur,puisque la contrariete qu i existe en nous n'a aucune placeen Lui (236 B C) .

II en donne aussitot la solution en reprenant la distinctionlogos/tropos :

Nous repondons :

D'une part, en tant qu'elle est naturelie , la volontehumaine n'est pas contraire a Dieu : mais d'autre part,lorsque, en nous, son mouvement n'est pas conforme a lanature, alors il est clair qu'elle est contraire et resiste a Dieule plus souvent, ee qui a pour consequence Ie peche. CarI'opposition ala raison et a la loi a pour cause Ie tropos dumouvernent qui correspond aun mauvais usage, et non Ielogos de la puissance qui est conforme ala nature, puisquela volonte s'accorde avec Dieu et ne lui resiste paslorsqu'elle est marquee et mue (tupoumenon kai kinoume­non) conformement a la nature, meme si eUe ne possedepas I'union avec Dieu. De meme en effet qu'i1 n'y a dans lanature aucun logos de ce qui depasse la nature, de meme iIn 'yen a pas non plus de ee qui est contraire ala nature et serevolte. Ainsi, Ie Docteur n'a pas declare que notre volontene suit jamais Dieu, rnais iI a apporte une nuance en disant :«pas touj ours , Ie plus sou vent », ce qui sous-entendqu 'elle le suit « parfois et dans peu de cas », acause de ladifficulte pour la multitude de parvenir ala vertu. Mais Ievouloir humain du Sauveur, comme tout ce qui est humainen lui, bien qu'il rut naturel, n'etait cependant pas celui

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76 MAXI ME LE CONFESSEUR LES APPROCHES DU PROBLEME 77

d 'un homme pur et simple comme en nous, puisque, d 'uneIacon superieure a nous, il etait totalement divinise parl'union : l'Impeccabilite depend principalement de cela. Aucontraire, purement et simplement humain , notre vouJoirn'est en aucune facon impeccable, a cause de son inclina­tion qui se produit tantot dans un sens, tantot dans unautre, Cette inclination ne change pas la nature, mais elle~etourne Je mouvement, ou , pour parler de facon plusJus,te, .e11e en change Ie tropos. II est clair en effet que ceJuiqUI fait beaucoup de choses contraires a la raison ne trans­forme cependant jamais sa nature rationnelle en natureirrationnelle (236 CD).

L'application de la distinction logosltropos a la volontehumaine a done fait I'objet d'un approfondissement considerable:a present, Maxime distingue trois sortes de tropos : alors que Ie

.,..P.~~De, comme contrariete de Ia volonte, est un tropos« contraire a la nature », la vertu est un tropos« con forme a lanature» 27 ; mais dans Ie Verl'.i"e-"filcarne la volonte hU""maine recoitun tropos « au-dessus de la nature» qui fonde son impeccabiliteet sa divinisat'i~

La conclusion de tout ce developpernent est admirablementforrnulee :

Done, I'humain en nous n'est pas autre (0110) queI'humain dans le Sauveur, et Ie vouloir n'est pas autre nonplus selon le logos de la nature bien qu'il soit en luiautrement (alios) d'une facon superieure anous ; car en lui,c'est divinement que l'hurnanite subsiste et que la volonteest marquee, acause de la supreme union ace qui est divin(237 A),

-. Enfin, Maxime termine ce commentaire de Gregoire deNazianze en precisant sa doctrine de l'appropriation ; Ie Christs'est approprie notre tropos pecheur par pure philanthropie, touten restant lui-merne parfaitement Iibre de tout peche :

27. Dans la Lettre I, ecrite en 642, Maxime oppose Ie logos de la vertu au tro­pos de la mechancete (368D) : seule la vertu a un fondement dans la nature, etdonc un logos , La meme idee se retrouve dans la Dispute lor sque Maxime affirrneque les vertus sent naturelles (3098).

Si en effet ces choses blarnables se manifestent en nousnon pas naturellement, mais contre la nature et la raison,comment done pourrait-on les attribuer a son humanite,merne si on la considere en elle-meme dans l'abstraction laplus poussee.

En fait, ces choses ne lui sont attribuees que par appro­priation : elles lui sont appropriees comme a10 Tete de toutIe corps, de la rnerne facon, les souffrances du malade sontappropriees au rnedecin, et cela jusqu'a ce qu'Il nous enlibere, Lui, Dieu qui s'est fait homme pour nous, en lesaneantissant completernent par la puissance de I'incorpora­tion qui s 'accomplit en lui.

Car, au sujet des passions, il y a un double logos: l'unest celui de la peine. l'autre est celui de la faute : alors que Iepremier caracterise notre nature, Ie second la deprave com­pleternent.

C'est en tant qu'homme que Ie Verbe Incarne a assumeessentiellement Ie premier, de facon libre, garantissant ainsila consistance de notre nature en rnerne temps qu'il effacaitla condamnation portee contre nous. Mais c'est en tantqu'arni des hommes qu'il s'est selon l'economie ~pprop~e

Ie second qui se revele en nous par notre tropos msourrus,afin qu'en Ie detruisant totalement, comme Ie feu fait f0T!­dre la eire et comme Ie soleil dissipe la brume de la terre, IInous cornmuniquat ce qui lui appartient en propre, et quedevenus ainsi libres de toute passion, il nous rendit incor­ruptibles selon sa promesse (237 A C).

II. FONDEMENT ONTOLOGIQUE :LA DISTINCTION NA TURE/HYPOSTASE

La distinction du logos et du tropos no us renvoie a ceUe plusfondamentale de la nature (ou essence) 28 et de l'hypostase (oupersonne) 29, distinction qui est veritablernent la base de lametaphysique de Maxime.

28. « L'essence et la nature , c'est \a rneme chose " (149B).29. « L'hypostase et la per sonne, c'est la merne chose " (15M). Mais Ie tenne

de per sonne ne s'applique qu'aux hypo stases douees dIntelligence.

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78 MAXIME LE CONFESSEUR LES APPROCHES DU PROBLEME 79

En effet, les notions de nature et d'hypostase ne s'appliquentpas seulement au Mystere trinitaire et christologique, mais a toutce qui existe :

La consistance (sustasis) des etants, c'est dans I'essenceet dans I'hypostase qu'on la conternple 30.

C'est done precisement al'etre que s'applique la distinction denature et d 'hypostase 31.

Cependant, comme theologien, Maxime reflechit principale­ment sur Ie Mystere trinitaire et christologique : trois hypostasesd 'une seule nature, et deux natures d 'une seule hypostase 32.

Or, trois questions se posent au theologien qui envisage les dif­ferents rapports au sein de ce Mystere.

La premiere, exclusivement trinitaire, concerne les rapportsdes Personnes entre eIles. A ce plan, il n'y a pas de difficulte : lestrois Personnes sont reellement distinctes les unes des autres.

La seconde, purement christologique, porte sur Ie rapportentre les deux natures , lei aussi, la solution est nette : depuis lacondamnation du monophysisme aChalcedoine, tout catholiquedoit affirmer une distinction reelle entre les deux natures « uniessans confusion ».

La troisieme question a pour objet Ie rapport entre I'hypostaseet la nature. Cette question, beaucoupplus difficile que les prece­dentes, se pose au niveau trinitaire et au niveau christologique. IIs'agit en effet d'exprimer, d'une part Ie rapport entre les Person­nes et la Nature Divine, et d'autre part Ie rapport entre la Per­sonne du Fils et la nature humaine assurnee.

C'est cette question que nous devons maintenant considerer ala suite de Maxime.

La penseede Maxime sur Ie rapport hypostase/nature se revele

30. 272B.. 31. Dans la notion theologique de personne humaine, p. 119-121, V. Lossxvinterprete Maxime dans la Iigne de la theologie palamite. A propos de la distinctionnature/hypostase, il parle d 'une « metaontologie » , Cette per spective ne corres­pond pas du tout a celie de Maximc . (A l'lmage et ala ressemblance de DieuAubier 1967). •. 32. Entre la « Theologie » et « l'Economie », if n'y a aucune rupture, mais un

hen tres profond, parce que le « Fils est objet de la Theologie » (suntlreolog~itai)avec Ie Pere (Disp . 348C-349A). .

prineipalement dans une forrnule christologique qu'il a mise aupoint bien avant la controverse rnonothelite et qu'il ne cesserajarnais d'employer. Dans cette formule, il designe les deux natures

a partir desquelles (ex hon), dans lesquelles (en hais) etlesquelles est (haper estin) Ie Christ JJ •

Par rapport a la christologie neo-chalcedonienne, cette for­mule apporte quelque chose de nouveau, ainsi que M. Doucet I'abien montre :

« Le mouvement neo-chalcedonien du debut du 6emesiecle, en remettant en circulation les formules cyrilliennesque Ie coneile de Chalcedoine avait laissees de cote, a consi­dere les deux prepositions ek et en employees en relationavec les natures comme compatibles entre elles et les a habi­tuellement accolees rune a I'autre. C'est la aussi l'usage deMaxime. Mais I'adjonetion d'un troisierne element ala for­mule neo-chalcedonienne bipartite lui est propre ; et c'esteet element qui fournit l'une des premisses de son argumen­tation dithelite 34.

Or, ce troisierne element qui constitue I'apport propre deMaxime est une affirmation d'identite : dans le Christ, la Per­

{sonne unique est I~s deux natures .\ Comme il s'agit d'une constante, nous pouvons, pour mieuxcomprendre ce qu'elle signifie, voir les developpements dont ellefait l'objet dans divers ecrits de Maxirne, merne si ces ecrits nedatent pas de la peri ode que nous envisageons dans cette etude.

Nous trouvons un de ces developpernents dans l'Opuscule 19(642 ou apres) :

... Le Christ est en ces natures a partir desquelles iI est ;Ie Christ est ces natures en lesquelles iI est. En effet, IeChrist est dans son identite Dieu et homme, il est aussi en ladivinite et en I'humanite ;i1 est uni a partir de la divinite etde l'humanite 35.

33. Amb. I : 10520, passim .34. DOUCET, p . 117·/18.35. 224A. M. DoUCET ecrit tres justement .« La formule tripartite de Maxime :

"les natures desquelles Ie Christ est, dans lesquelles il est et qu'il est" manifeste

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Dans YOpuscule9 (646-648), Ie developpement est plus abrupt:

... En vente, il est proprement les natures memes apartirdesqu~l~es, en lesquelles il est. Existant par nature apartir dela ~V1mte et de I'humani~e, en la divinite et en l'humanite, IeChrist est par nature Dieu et homme et absolument riend'autre (121 B). '

que Ie Christ voulait, c'est manifestement d'une facon doubleet non unique, tout en etant un, qu'il voulait. Car si IeChrist n'est rien d'autre que ses natures, dont il est constitueet dans lesqueJles it subsiste, il est clair que e'est d 'unemaniere correspondant a ses natures, c'est-a-dire selon cequ'etait chacune d'elles, bien qu'i! rut un et Ie merne, qu'ilvoulait et operait ; puisqu'aucune des deux natures n'estsans volonte ni sans operation 38.

80 MAXIME LE CONFESSEURLES APPROCHES DU PROBLEME 8 I

Et encore:

... II n 'est pas autre chose que les natures a partir des­quelles, en lesquelles et lesquelles il est. . , (121 A).

Ainsi, M~i~e ne dit pas seulement que Ie Christ est ses deuxn~tures, mats II affirme encore qu'« II n'est absolument rien~ autre que ses deux natures », affirmation qui a des consequences

1

1mpo rtantes pour la question des volontes, car « derriere ou sous­les.deux natures du Christ, Maxime ne voit pas de troisieme termeunificateur, u~ autre « quelque chose » d~nfbn puisse faire pro­ced~r Ie,~ou)o,lr, » 36. « Ce que Maxime met en relief, c'est que Ie~.Enst s identifie ases natures; dans Ie Christ en dehors d'ellesten'~ a P?S de « lieu » d'ou puissent ernerger I~s actes de volonte'

-' d~thehsmede Maxime repose done sur sa comprehension de la_ relation hypostase-natures » J7

Un passage de la Dispute avec Pyrrhus (645) montre parfaite­ment la pensee de Maxime sur ee point :

Done, comme. Ie Christ est par nature Dieu et hommeest-ce comJl?e Dleu ,et homme qu'il voulait, ou seulemenfcomme Christ ? Mats si c'est plutot comme Dieu et homme

une certaine gaucherie parce q d 1 . ,doivent etre remplacees par desU~ot:ns e~ d:UX premieres parties, les naturessieme, modo concreto La formule d emf oy s '?l0do, abstracto et dans la troi­parfait en humanite" : dire le Christ ~,; I~Jz;~~ne dit ; "parfait en divinite et

~iu~~~~ df~~isdme diVidse~r du nestorianism~ . ~ais tt~a~~ ~;~"..~:~~e~; ~.~~~~~!;I e ces eux mots des predicats .. t a "C . "

empl?yee sans preposition : Ie Christ e1?10 ~ hrist par la copule

~~~~:r~i~~~b~:S de la for.m~le tripartite laisse~IC:nte~dr~o~~JC~;e~n ~:je~ne fait que poser I~UJ~~~i~td~~I~acl~~e~e~ (;~Ur~~)t,andis que Ie troisieme membre

36. DOUCET, p , 119 (CL p. 223-224)37. DOUCET, p . 115. .

Mais c'est encore dans I' Opuscl/fe 9, deja mentionne. que noustrouvons Ie texte Ie plus elabore. Les adversaires de Maxime utili ;saient alors la comparaison du tout et des parties pour rattacherune volonte et une operation aI'hypostase du Christ, consideree

comme tout:

D'apres eux, qu'est-ce done que nous attribuons autout si nous n'accordons pas l'unique operation a Celuiqui est un comme un tout a cause de l'union ?

Mais ceux qui parlent ainsi ignorent meme ce qu'ilsdiseot. Peosant en effet que Ie tout est autre chose (olio tilque ses propres parties a partir desquelles et dans lesquellesit consiste, ils affirment, de facon declarative et non pasdemonstrative, qu'on est en quelque matiere oblige de rat­tacher au tout en tant que tout autre chose que ce quiexiste par nature dans ses parties, et dans le cas present,

I'unique operation.Auparavant qu' ils dernontrent done que le tout a une

existence (nuparxis) autre que celie de ses propres parties,et qu'ensuite seulement, de la meme rnaniere, ils attribuentau tout en tant que tout une operation autre que les ope­rations essentieJles qui existent dans ses parties! Si en effetils n 'accordent pas all tout une existence autre par nature.ils ne doivent evidemment pas non plus lui attribuer uneoperation autre par nature que celles des parties.

Le Christ, qui est par nature chacune des deux (natures)_ Ie merne est par nature Dieu et homrne - possede parnature ce qui est propre a chaque nature : la volonte etl'operation divines ainsi que la volonte et I'operationhumaines, et non pas une seule par I'exclusion de deux ope-

38. Dispute 289 AB (trad. DoUCET). CL 901160AB.

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82 MAXIME LE CONFESSEUR LES APPROCHES DU PROBLEME 83

rations naturelles, ni une autre en plus des deux qui existentpar nature, ce qui ferait trois operations et trois volontes »(117 CD).

L'unite de la Personne comme tout et la dualite des naturescomme parties sont egalernent reelles, mais c'est par une seule etmeme existence 39.

Maxime affirme avec une force peu commune la realite de ladistinction des deux natures; selon lui, les proprietes respectivesdes deux natures n'ont entre e1les « absolument rien de commun,

\sinon la seule hypostase de ces natures », I'hypostase etant elle­merne « l'union indivisible de ses proprietes naturelles »40.

II reste maintenant a considerer Ie rapport entre l'hypostase etla nature divine d'une part, et ce1ui entre la merne hypostase et lanature humaine d'autre part.

Entre Ie Christ et sa divinite, il n'y a pas de distinction reelle.Pour Maxime, la distinction reelle qui existe entre les Trois Per­sonnes n'existe pas entre les Personnes et l'Essence divine. Celaapparait clairement dans la lettre 15, ecrite entre 634 et 640 :

L'Unite dans la Trinite, et dans l'Unite la Trinite, voilace que nous adorons . Le Pere, Ie Fils et Ie Saint-Esprit sontun seul Dieu ; Ie Fils n'est pas Ie Pere, mais ce qu'est Ie Pere ;Ie Saint-Esprit n'est pas Ie Fils, mais ce qu'est Ie Fils . Toutce qu'est Ie Pere, en effet, Ie Fils I'est aussi, exception faitede I'innascibilite, car il est engendre ; tout ce qu'est Ie Fils,Ie Saint-Esprit I'est egalernent, exception faite de la nais­sance, car il precede. L'Innascibilite , la Naissance ellaprocession ne divisent pas "unique Nature (et Puissance)de la Divinite inexprimable en trois inegales (ou egales)

-----39. Le P. VON SCHONBORN va donc trop vite lorsque, pour exprimer la pensee

de Maxime, il parle de « l'existence creee de 1a nature humaine de JesUS» (L 'leonedu Christ. p, 119-120) . 11 s'appuie alors de Iacon unilaterale sur un passage del'Opuscule /6 (205BC) dans lequel Maxime, considerant l'existence dans la lignede la nature affirme deux exi stences. Le Pere GARRIGUES soutient la merne nosi­tion (Maxime le Confesseur, p. 168 sq.) .

L'interpretarion du P . VON BALTHASAR nous semble neltement preferable :Pour ~axime. 1'« existence » de la nature humaine est en tant que telle ,

l'existence duLogos comme Personne divine. Voila comment s 'exp liq uede la facon la plus simple pourquoi la nature humaine du Christ, rnalgreson integrite dans I'ordre de I'essence, n'est cependant pas unc personnehumaine (Liturgie Cosmique, p . 185).

40. Dispute 296D (ce passage ne figure que dans l'edition critique de M. DouCET) .

essences et natures, mais elles caracterisent les Personnes(ou hypostases) en lesquelles et lesquelles est l'uniqueDivinite , Essence et Nature (to en hois, e hoper hemia theotes estin. prosopa) (549 D - 552 A).

Ces derniers mots mont rent que, pour Maxime, l'uniqueNature Divine est non seulernent en Trois Personnes, maisqu'encore, elle est les Trois Personnes " , Cette affirmation trini­taire presente une construction analogue a celIe de la formulechristologique ; il convient done de les rapprocher. L'uniqueNature Divine est en trois Personnes et clle est les trois Personnes ;l'unique Personne du Christ est en deux Natures et elle est lesdeux Natures. Ce rapprochement permet de representer par unschema I'articulation de la theologie trinitaire et de la Christo­logie (letrait plein signifie « est » , Ie trait en pointille signilie« n'cst pas ») :

Pere

"'\"'" <,'" ,'" ,'" '" Nature ".>:Divine~,

'" I "'" I ...

Fils- - - - - - - T - - - - - - -Esprit

~naLhumaine

41. Dans la theologie palamite, une .disrinction reelle est affirmee entre laNature et les Per sonnes divines (Cf Jean MEYENOORFF, Le Christ dans 10 thea­logie byzantine, Cerf 1969. p. 248 et 292). Le P. GARRIGUES. dans sa thesedactylographiee .a....d ·abo rd suivi cette Iigne (La divinisation par fa charite, p, !46et 154), mais il a ensuite evolue. Dans son article, deja cite. de Ja Revue Thorniste(avril-juin 1974): naftirmenellemenl que , pour Maxime, it n 'y a pas de distinc­tion reelle en Dieu entre Essence et Hypostase (p. 198). Entin, les corrections qu'ila apportees au texte de sa these pour "edition vont dans le rnerne sens (Maxime leConfesseur, p. 168 et 176. pages qu i correspondent respectivernent am deux refe ­rences que nous venons de donner). . ' .

Ainsi, lorsque I'on veut chercher un prolongement de !.~ theologie.de Maxirne, II Ivaut peut-etre mieux s'orienter du cote du thomisme plutot que du cote du pala-misme. • I.-=--.

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84 MAXIME LE CONFESSEUR LES APPROCHES DU PROBLE-ME 85

Entre Ie Christ et son humanite, la relation est beaucoup plusdifficile a exprimer. L'identite affirrnee par Maxime ne peutevidemment pas etre une identite pure et simple; une distinctionreelle doit necessairement etre affirrnee ace niveau. Mais Maximen'avait pas la possibilite, au plan speculatif', d'en rendre pleinementcompte. D'abord, il ne voyait pas assez clairement la difference

- entre l'humanite « in abstracto» et l'humanite « in concreto» 42,

mais par dessus tout, ce qui lui fait defaut, c'est la distinctionreelle de I'essence et de I'exister ; seule en effet, cette distinctionpermet d'exprimer exacternent Ie rapport entre Ja Personne duChrist et son humanite 43. Maxime a donne une force toute

42. Cette question est admirablement eclairee par saint Thomas dans sonOpuscule « de rationibus fidei" :

Sic ergo Christus est linus propter personae vel hypostasis unitatem, neepotest did esse duo, sed proprie dicitur quod habet duas naturas . Et licetdivina natura praedicetur de hypostasi Christi, quae est hypostasis VerbiDei. quod est ejus essentia, tarnen humana natura non potest praedicari deeo in abstracto, sicut nee de aliquo habenie humanam naturam . Sicutenim non pos sumus dicere quod Petrus est humana natura, sed quod esthomo, inquantum habet humanarn naturam : ita nee possumus dicerequod Dei Verbum sit humans natura, sed quod ha bet humanam naturamassurnptam, et ex hoc dicitur homo .

Utraque ergo natura pr aed icatur de Verba Dei, sed una in concreto tan,tum, scilicet hurnana, ut cum dicimus Filius Dei est homo ; divina veronatura et in abstracto er in concreto did potest : ut quod Verbum Dei estdivina essent ia vel natura, et quod est Deus. Cum autern Deus sit habensdivinam naluram, et homo sit habens humanam natu ram, per haec duonomina significantur duae naturae habitae, sed unus habens utramque . Etcum habens naturam sit hypostasis ; sicut in nomine Dei intelligitur hypos­tasis Verbi Dei. ita in nomine hominis intelligitur Verbum Dei, secundumquod atlribu itur Christo. Et sic patet quod per hoc quod dicimus DeumChristum et hominem, non dicimus eum esse duo. sed unum in duabusnaturis. (Ch, 6. n° 990 dans l'edition Marietti ; cf. lIla Q . 17 arl. I co etQ. 2 arl. 2 co).

43. C 'es t la, anotre avis, une des plus profondes intuit ions du P. VONBALTHA·

SAR :La distinction entre essence et existence est latente dans route la christo­

\Iogie de Maxime et les concepts s'acheminent vers cet invisible point de~onvergence . sans cependant se trouver expressernent sous sa loi tLiturgieCosmique, p. 158) .

OCes affirmations ont ete crit iquees par V. LOSSKY dans: La no/ion theologique

de personne humaine (p . 118-120):o'U·n'point de vu.£,p1Uamite (en faisant intervenirla distinction entre la « sur essence » et « l'energle » : I'esse thorniste ne depas­sant pas Ie plan de I 'energie),

Le P. GARRIGUES a repris a son compte la position de LOSSKY (La divinisationpar la Charite .. . texte dactylographic, p. 146 note 76 ; 1.,0Personne composee '"p , 191 en note),

\ nouvene a I'affirmation que Ie Fils de Dieu est un homme : il

\

n 'admet aucune distance entre l'hurnanite « in concreto» et laPersonne du Verbe, la Personne rr'etant pas « quelque chosed 'autre» que cette humanite 44.

44. Lorsque A. s.oo oppose une « theologie de .l'hypost~ ~ (celle deMaxime) aune « iheologie [ondee sur la na ture » (Le monde et 1Eglise.. . p . 87­88) . la doctrill~ .qu~iLtran~et ~st cell~ de LOSSKY plutdt que d,e ~a'l:lme . Pour cedernier en effet , il n'y a pas de « tension» entre la !1ature.et I h~p<?s~ase. ,Le rap­port qui les unit est bien exprirne par M. DOUCET apro~os de la notion d Instru:mentalite : « Une fois cette distinct ion etablie (entre le rnveau de la nature et ~Iwde la personnej.Taire de la nature h~maine l'instrume~tde!a pe~nnec'est ulIIISCI'la notion d'instrument en un sens irnpropre : la relation s etablit entre deux rela­tifs qui manquent de laconsistance et de !·a1terite. s~ffi~tes ; Ie Verbe ne partvouloir qu'en sa nature humaine ou en sa nature divine ; II ne peut pas exerc.er decausalite 'efficiente sur I'un ou I'autre . C'est entre les deux natures qui ontchacune leur consistance et ne son I pas confondues ans (··unicite de la personneassurernent . . . qu 'on peut parter aplus ju ste titre dinstrumentalite » (p '.349--350).. Dans certaiifes"interpretations modernes. DoUCET a deeel~ « des influences

(i ' un per sonnalisme exce ssif , bien eloigne de la pensee de Maxime " (p. 397) .--

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LA SOLUTION 87

CHAPITRE III

LA SOLUTION(VERS 641)

goire de Nazianze considere dans son ensemble. Au plan litteral,Maxime ne cite en effet que Ie texte de Gregoire: merne Ie texteevangelique de la priere du Christ n'est cite qu'indirectement, atravers la formulation de ce Pere. Mais, en realite, ce queMaxime considere a travers Ie texte de Gregoire, c'est principale­ment Ie grand probleme du rnonothelisrne byzantin, pose parSerge a partir de l'Agonie. Pour la premiere fois, Maxime envi­sage ce problerne dans toute son etendue, sa difficulte et sa pro­fondeur, et if Ie resout en aboutissant ala formule exacte qui seracanonisee huit ans plus tard.

Apres avoir traduit integralernent ce texte, nous en donneronsun comrnentaire suivi.

I. TEXTE DE L'OPUSCULE 6

Si tu prends la phrase « Pere s'il estpossible, que cette coupe s'eloigne demoi » - phrase qui semble exprimerla repulsion (sustole} - « com me

venant d 'un homme. non pas decelui que nous considerons dans IeSauveur - car son vouloir n'est enrien contraire a Dieu puisqu'il esttout divinise - mais d'un hommede notre sorte, attendu que lavolonte humaine ne suit pas tou­jours Dieu mais que Ie plus souventelle lui resiste et lutte contre lui »,selon ce que dit Ie divin Gregoire,

[l.b] que penses-tu alors de la suite de sapriere : « Non pas ce que je oeux, maisque to volonte triomphe » ? exprime­t-elle la repulsion ou Ie courage? unsupreme consentement (sunneusis) ouun desaccord ? En verite, elle

B. THESE

DE MAXIME :

A. PRESENTATION [I.a]DE LA THESE

MONOTHELITE :

Sur la phrase: Pere, s'il est possibleque cette coupe s 'eloigne de moi.

45. C 'est-a-dire, sans reeevoir la marque des developpements theologiques pos­terieurs qui , historiquemenl , ont contribue a obseureir eette decouverte (ef.Annexe II).

46. Ce genre « scolastique » avait ete frequernment utilise par Maxime parexernple dans les Questions d Thalassius et dans les Ambigua (qui litteralementsont des apories).

47. Selon SHERWOOD (Date-list), l'Opuscule 6 aurait ete ecrit entre 640 et 642,mais il nous semble possible d'cn preciscr davantage la date. Le eontenu theologi­que de eel ecrit oblige en effel A Ie sltuer netternent apres les Opuscules etudiesdans la premiere partie du precedent chapitre. Ensuite, l'Opuscule 7, ecrit vers642 (ef. Annexe I) presente une doct r ine ncttcment plus elaboree. Nous proposonsdone la date moyenne de 641 .

De tous les ecrits de Maxime, Ie tres bref Opuscule 6 est a nosyeux le plus important ca r iI presente la solution definitive duproblerne pose par Serge .

Dans ce texte entierement con sacre ala priere de Jesus a Geth­semani, la grande decouverte christologique de Maxime resplenditpour airisi dire aI'etat pur 4S telle qu 'elle sera reprise par Ie dogme

/

\ de 649 : i1 s'agit d?la volonte humaine que Ie Fils de Dieu a denotre salut, volonte Iibre revelee par Ie « fiat» de Jesus.

Cet Opuscule est un texte dense et difficile. Sa brievete pourraitfaire croire qu'il ne s'agit que d'un fragment, mais sa parfaitecoherence doctrinale prouve au contraire qu'il s'agit d'un toutauquel rien ne manque : entre la grande objection monotheliteprise comme point de depart et la conclusion synthetique, il n'y aaucune faille dans Ie developpernent de l'argumentation, Ie genrelitteraire est celui de la « ques tio n» theologique 46.

Ecrite vers 641 47 cette « Question» concerne Ie texte de Gre-

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88 MAXIME LE CONFESSEUR LA SOLUTION 89

[7.]

C. CONFIRMATION [5.alDE LA THESE :

n'exprime ni la resistance ni la crainte,mais bien plutot un accord (sum­phuta) parfait et un consentement :cela, aucun homme sense ne Ie contre­dira.

[2.] Et si c'est un accord parfait et unconsentement, de qui viennent-ilsdone, a ton avis : d'un homme denotre sorte ou de I'homme que nousconsiderons dans Ie Sauveur ?

[3.] Si c'est d'un homme de notre sorte,alors ce Docteur s ' est trompe endeclarant a son sujet : « attendu quela volonte humaine ne suit pas tou­jours la volonte divine mais que Ieplus souvent elle lui resiste et luttecontre elle » , car si elle la suit, elle nelui resiste pas, et si elle lui resiste, ellene la suit pas. Ces deux contrairess'excluent mutuellement.

[4.] Si au contraire, tu as pris la phrase:«non ce que je veux, mais que tavolonte triomphe », comme venant,non d 'un homme de notre sorte, maisde I'homme que nous consideronsdans Ie Sauveur, alors tu as par Ie faitmeme confesse Ie supreme consente­ment de sa volonte humaine a lavolonte divine qui est a la fois lasienne et celie du Pere (to theionautou thelema kai patrikon), et ainsi,tu as etabli qu'en celui qui a deuxnatures, il y a deux volontes et deuxoperations qui existent conforrnementachaque nature . Ces deux volontes etoperations appartiennent a celui quin'a de contrariete en aucune des deux,bien qu'il garde en tout la differencedes natures a partir desquelles, en les­quelles et lesquelles il est lui-merne parnature.

Mais si, force par ces raisonne-rnents, tu vas iusqu'a dire queI'expression « non ce que je veux», nevient ni d'un homme de notre sorte, nide I'homme que no us consideronsdans Ie Sauveur, mais que de faconnegative (arnetikos) elle se rapporte aDivinite sans commencement du FilsUnique, excluant qu'i1 veuille quelquechose en propre, separernent du Perc,

[S.b] alors, dans ce cas , tu dois necessaire­ment rapporter a la merne Divinitesans commencement ce qu i est voulu(to thelethen), a savoir le refus de lacoupe.

[6 .] Si t en effet, tu dis que la negationexclut qu'il veuille quelque chose enpropre, alors , cette negation n'exclutpas ce qui est voulu ; car il n'est paspossible de faire porter la negation surces deux choses : d'une part sur Ie faitque Ie Fils Unique veuille quelquechose en propre separernent du Pere,et d'autre part sur ce qui est voulu.Sinon, I'affirmation 48 de la volontecommune du Pere et du Fils seranecessairernent l'exclusion de ce quiest voulu par Dieu : notre salut ; notresalut est en effet objet de la volonte(theleton) que Dieu a par nature.

Si done iI n'est pas possible de faireporter la negation sur ces deux choses,il est clair que si tu diriges cette nega­tion sur Ie fait qu'il veuille quelquechose en propre afin d'etablir l'affir­mation de la volonte commune. tu

48. Le texte de Migne porte thelesis (la volonte), ce qui n'a aucun sens dans Iecontexte . II faut sflrernent lire thes is (I'a ffirmation). D'ailleurs l'expression thesistou koinou thelematos apparait quelques lignes plus bas ": eUedesigne exactementce que faisait Gregoire.

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90 MAXIME LE CONFESSEUR LA SOLUTION 91

D. CONCLUSIONSYNTHETIQUE :

n'exclus pas ce qui est voulu, a savoirIe refus de la coupe , mais tu Ie rappor­teras 11 la Divinite commune et sanscommencement 11 laquelle, de faconnegative , tu as rarnene Ie fait de vou­loir .

[8.] Mais si rien que de penser cela estdetestable, alors il est clair que cettenegation « non ce que je l'eux », quiexclut totalement la contrariete, pre­sente I'accord de la volonte humainedu Sauveur avec la volonte divine quiest aIa fois la sienne et celie du Pere,car Ie Verbe tout en tier a assume cettenature toute entiere et ill'a toute divi­nisee par I'assomption.

[9.] Ainsi, selon que pour nous, il etaitdevenu comme nous, ildisait humaine­ment 11 son Dieu et Pere : « que ce nesoil pas ma volonte, mais /0 tienne quitriomphe », car lui-rnerne qui etaitDieu par nature, il avait aussi, en tantqu'homme, comme volonte , l'accom­plissernent de la volonte du Pere.

[10.1 C'est pourquoi, selon les deuxnatures a partir desquelles, dans les­quelles et desquelles il etait I'hypos­tase, il etait reconnu comme etant parnature 11 merne de vouloir et d'operernotre salut (phusei theletikos kai ener­getikos tes hemon soterias), ce salutque d 'une part il voulait conjointe­ment (suneudokiin} avec Ie Pere et IeSaint-Esprit, et pour lequeJ d'autrepart « if s'est fait obeissant » au Pere« jusqu'a /0 mort et /0 mort de /0Croix », II a ainsi accompli lui-meme,par Ie mystere de sa chair, la grandeceuvre de I'Economie en notre faveur(65 A - 68 D).

II. COMMENTAIRE

A. PRESENTATION DE LA THESE MONOTHELITE

En citant Ie texte de Gregoire dans les premieres lignes de sonopuscule, Maxirne vise en fait I'hypothese de Serge : les deuxvolontes contraires du Christ 11 I'heure de l'agonie . Chez Gre­goire, nous l'avons vu, tout s'articulait sur la citation de Jean6/38, tandis que la priere de Jesus a Gethsernani n'intervenaitqu'au second plan. Or, dans l'Opuscule 6, ce dernier texte passeau tout premier plan tandis que Ja citation johannique est eva­cuee. C'est exacternent ce que Serge avait fait dans Ie Psephos 49.

Maxime ne fait done qu'expliciter la reference du documentpatriarcal au texte de Gregoire.

Non mains significatif est Ie decoupage de cette citation ainsique son insertion dans un nouveau contexte. D'abord , contraire­ment ace qu 'il faisait dans l'Opuscu/e 4, Maxirne dit clairementqu'il s'agit d'une parole de Jesus et que la volonte humainecontraire 11 la volonte divine est envisagee en lui. En utilisant Ietexte de Gregoire, iI vient d'exprimer la position de son adver­sa ire qu'il prend comme hypothese de depart [la).

Alors que Gregoire employait l'irreel, Maxime emploie Ie reel:il veut exposer Iii position reelle de son adversaire, position selonlaquelle Ie refus de la coupe est une vraie volonte humainecontraire 11 la volonte divine. Cet emploi du reel montre que, tresprobablement, Maxime vise l'interpretation de la volontehurnaine par appropriation. En effet, pour Serge, Ie refus u'etaitconSio 'erecomme vraie volonte humaine qu'a titre de pure hypo­these, cette hypothese etant finalement niee par l'interpretationinfra-morale du refus comme « mouvement naturel de la chair»du Christ. Au contraire, la these de I'appropriation maintenaitque les paroles de Jesus expriment bien une vraie volontehumaine contraire a la volonte divine; mais c'est notre volontepecheresse que Ie Christ s'approprie alors . Quand Maxime a ecrit

49. Cf. supra . p . 39.

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son Opuscule 6, vers 641, cette derniere interpretation avait dflsupplanter celie de Serge aConstantinople.

B. THESE DE MAXIME

Pour la" premiere fois, Maxime fait apparaitre I~ vouloir" humain d'accomplir la Passion. It s 'agit d'une veritable revela­"tion, du devoilement d'une verite jusque I~ invisible,

'._ - A cause de la confusion entre les notions d 'alterite et de contra­riete, les anciens Peres n'avaient pu voir la volonte humaine dansl'Evangile que la ou die semble s'opposer a la volonte divine.Inversement, toute volonte du Christ s'accordant avec celIe duPere etait percue com me I'expression de I'unique volonte divinecommune. Ainsi, dans la priere de Jesus, Ie refus de la Passionexprirne par la premiere demande etait rattache a la volontehumaine tandis que I'acceptation, Ie « fiat» exprime par la secondedemande etait rattache a la volonte divine.

Or, le grand renversement opere par Maxime dans cet opusculeconsiste precis~rit a rattacher I'acceptation de la Passion a lavolonte humaine du Christ. C'est dans la priere de Jesus aGeth­semanique les monothelites avaient cru trouver le fondement Ieplus sur de la negation de la volonte humaine . c'est maintenantdans ceJ:!!-eEle verset~angelique que Maxime contemple I'actesupreme de la volonte humaine du Christ, et cet acte est un

_ « supreme consentement », un « accord parfait » so avec « lavolonte divine qui est ala fois la sienne et celIe du Pere ».

Pour caracteriser cet acte de la volonte humaine, Maximereprend les categories antinorniques de Gregoire: « l'hornme denotre sorte » et « l'homme que nous considerons dans Ie Sau­veur », mais ce precede ne doit pas faire illusion: dans ces cate-

50. Le ~~,!,ph,!!!!-gue nous tr~duisons toujours par ({ accord» est unterme clef, II expnme1e rapport dynamique entre la volonte humaine du Christ et

"'-~U!On!e- d ivine . Plus tard, Maximeprecisera que c'est dans la sumphuta que ladlVI 1.!I_~!~on de la volonte humaine du Christ se consomme (A I'heure de I'Agonie),donnant alnsi A la divinisation une dimension proprernent intentionnelle (et nonplus seulement « physique ») (cf', Opuscule 3, 48B). Sous forme advcrbiale, ceterme entrera dans le canon 10 du Condie de Latran (infra. p. 108). sans que ladivinisation soit expliciternent rnentionnee. Au contraire, la defin ition de Cons­tantinople III ne parlera que de la divinisation.

gories, ce n'est plus la pensee de Gregoire qui est exprimee, maiscelIe de Maxime. Pour Gregoire en effet, il n'etait pas question derattacher les mots : « non pas rna volonte » ala volonte humainedu Christ, puisqu'i1s signifiaient a son avis la negation pure etsimple de la volonte humaine propre au Fils, autre que la volontedivine du Pere, De plus, comme nous I'avons vu en etudiant lesOpuscules 4 et 20 dans Ie chapitre precedent, Maxime a reinter-!prete ces categories de Gregoire a la lurniere de la distinctionlogos/tropos : entre Ie Christ, vrai homme, et nous, il y a identitedu logos et difference du tropos. Maxime ne se contente pas dereinterpreter le texte de Gregoire, il Ie reecrit en utilisant les ins­truments qu'i1 a patiernment forges dans ses recherches anterieures.

Car il n'aurait jamais ete capable de faire basculer l'accepta­tion de la Passion du cote de la volonte humaine s'il n'avaitd'abord pu penser, au plan d'une reflexion plus theorique surl'Incarnation, que Ie Christ a une vraie volonte humaine, noncontraire a la volonte divine, et toute divinisee. Depuis Ie IV' siecle,la malfacon des outils conceptuels rendait impossible I'exacteinterpretation du texte evangelique. Maxime n'a pu parvenir aune telle interpretation qu 'apres avoir redresse ces instruments depensee,

En manifestant ainsi Ie parfait accord de la volonte humainedu Christ avec Iii volonte divine, Maxime a detruit Ie fondementdu monthelisme byzantin : puisque cette volonte s'accorde avecla volonte divine, il n'y a plus aucune raison de dire que c'est seu­lernent par appropriation qu'elle est dans Ie Christ ~1. II n'y a plusaucune raison de Ja nier.

C. CONFIRMATION DE LA THESE

Pour con firmer que les mots « non ce que je veux » precedentbien de la volonte humaine du Christ qui s'accorde avec lavolonte divine, Maxime montre rnaintenant l'irnpossibilite devoir en eux I'expression de la volonte divine 52.

51. Plus tard, dans YOpuscute19, Maxime consacrera un long developpernenta cette quest ion de I'appropriation (217B-224A).

52. Cf. DOUCET, p . 230-232.

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Apres avoir propose sa nouvelle interpretation, il doit en effetrefuter l'interpretation traditionneUe sur laquelle se fondait Iemonothelisrne. Nous avons vu que selon cette interpretation, lesmots « non ce que je veux . . . » precedent de Ja volonte divine;ils signifient alors soit la volonte divine d'accomplir la Passion(Pseudo-Athanase) , soit l'identite de volonte entre Ie Pere et IeFils, excluant toute alterite (Gregoire de Naz.ianze) .

Or, c'est precisernent l' interpretation negative de Gregoire queMaxime critique ici. A premiere vue, c'est surprenant puisque lesrnonothelites n'avaient pas repris cette interpretation ; d 'ailleurs,elle n 'est presentee ici que comme une position eventuelle desadversaires 53. Maxime a conscience d 'avoir maintenant en mainla clef du problerne pose par Serge: des lors, la force de la veriteest de son c6te ; iI sait que sa propre these va contraindre lesmonothelites a chercher une autre solution . II previent une telledemarche.

Fondamentalement, Maxime veut donner a sa propre these unejustification plus solide en critiquant l'interpretation negative,mais comme iI ne peut s'attaquer a un Pere si venerable, cetteinterpretation, au lieu d'etre explicitement attribuee ason veritableauteur, est habilement presentee comme une objection possible desmonothelites",

La protase [5a] donne un excellent resume de la penseede Gregoire, avec cependant un changement qui merite d'etresignale : les mots du texte original : « non pour que je fasse rnavolonte », citation de Jean 6/38, sont rem places par « non pasrna volonte ». Ce changement montre encore comment l'interets'est porte exclusivement sur I' Agonie. L'apodose [5b) enoncetout Ie theme de la refutation: Ie refus de la coupe devra necessai ­rement etre attribue a la Divinite, Nous voyons done reapparaitreici, dans l'argumentation de Maxime la premiere partie de lapriere qui n'avait ete mentionnee que dans l'expose de laposition monothelite 55.

53. Le subjonctif est employe.5~ . ?n voit en:ore ici le problerne que pose "interpretation des arguments

patnstiques dans 1 oeuvre de Maxime.55. Dans ses ecrits posterieurs, Maxirne etudiera de facon plus attentive ce

refus de la coupe. Au plan moral, il Ie justifiera en disant qu' il s'agit d'unevolonte naturelle: cf. Op, 7,800 (texte traduit dans l'Annexe I) et surtout Disp~7BO. .

Parce que ce refus, exprime par la premiere demande, estdesigne dans la seconde par les mots: « ce que je veux », MaximeI'appelle to thelethen « ce qui est voulu ». Ce« voulu », MaximeIe distingue tres nettement du fait de vouloir (to thelein) : tout sonraisonnement [6-7] se fonde sur cette distinction que Gregoire nefaisait pas.

En faisant porter la negation sur « Ie fait que Ie Fils veuillequelque chose en propre, separement du Pere ». on ne supprimepas « ce qui est voulu » , mais on en fait l'objet de I'uniquevolonte divine. 1I faut alors dire que c'est la volonte divine quirefuse la coupe, ce qui est evidernrnent absurde 56.

II n'e;i pas possible deviter cette absurdite en disant que lanegation porte aussi sur ce qui est voulu, car dans ce cas, il faudranier purement et simplement « ce qui est voulu par Dieu », Eneffet, en appliquant la negation au fait que Ie Fils veuillequelque chose en propre, on a fait du refus de la coupe un the/(!ihenThe6 « ce qui est voulu par Dieu ». II n'est done plus possible denier ce dernier terrne, a moins de nier de facon generale tout cequi est voulu par Dieu. Or, ce qui est voulu par Dieu, c'est avanttout notre salut. A Gethsemani, la volonte du Pere, exprimee parles mots « ce que tu veux », c'est que Ie Fils boive la coupe, c'est­a-dire souffre sa Passion pour nous sauver. Jesus doit boire lacoupe que Ie Pere lui a donnee (cf Jean !8/11). Cette volonte duPere est identiquement celie du Fils comme Dieu : « notre salutest I'objet de la volonte que Dieu a par nature»". II faudra donenier que Dieu veuille notre saJut, ce qui est encore plus absurde.

En recapitulant, on peut dire eeci : la premiere phase de l'inter­pretation negative a fait du refus de la coupe un thelethen Theo,par la negation d'une volonte voulante propre au Fils, ee qui estabsurde. Pour eliminer cette absurdite, la deuxieme phase del'interpretation consiste a nier ce qui est voulu, mais l'absurditequi en resulte est encore plus grande: la negation de notre salut,objet par excellence de la volonte divine.

Par cette refutation, Maxime veut montrer que les deux partiesde la priere de Jesus : Ie refus et l'acceptation, doivent etre neces-

56. Cet argument est repris et arnplifie dans l'Op. 7. 77B et 81B.57. Maxime dira merne que « la volonre divine est par nature sOstikon »{Op.

l,25BO).

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sairement comprises comme I'expression de la volonte humainedu Seigneur. Dans I'argumentation de Maxime, Ie rapport entrele refus et I'acceptation est absolument fondamental ". SiI'acceptation n'etait pas precedee imrnediaternent par le refus, itne serait pas possible de prouver, comme Maxime vient de Iefaire, que cette acceptation est I'expression de la volontehumaine. A present, Maxime considere que Ie refus ernane verita­blement de la volonte humaine du Christ, mais Ie probleme moralpose par les monothelites est resolu car la contrariete est aussitotexclue par I'acte su ivant de la meme volonte humaine :

~J est clair que cette negation : « non ce que je l'eux »,qUI exclut totalement la contrariete, presente I'accord de lavolonte humaine du Sauveur avec la volonte divine qui est ala fois la sienne et celie du Pere [8].

Ce que Ie Pere veut, c'est que son Fils boive la coupe de sa Pas­sion pour nous sauver. Cela, Ie Fils Ie veut egalernent par la memeet unique volonte divine commune; mais il Ie veut aussi par lavolonte humaine qui lui est propre :

II disait humainement a son Dieu et Pere : « Que ce nesoil pas rna volonte, mais la tienne qui triomphe », car lui­rnerne qui etait Dieu par nature, it avait aussi, en tantqu'homme, comme volonte, l'accomplissement de lavolonte du Pere [9].

D. CONCLUSION SYNTHETIQUE

Pour exprimer de facon synthetique ce que la priere de Jesus aGethsernani vient de lui reveler, Maxime met au point "I'admirableformule qui sera canonisee huit ans plus tard au Condie deLatran :

C'est pourquoi, selon les deux natures apartir desquelles,dans lesquelles et desquelles iJ etait l'hypostase, il etaitreconnu comme etant par nature a meme de vouloir etd 'operer notre salut 59.

58. C'est encore plus net dans les textes posterieurs (cf. Annexe I).59. Maxime reprendra cette formule dans la Dispute (289C et 32OC)et dans

J'Opuscule 9 (I 28C).

Cetteformule peut etre illustree par Ie schema suivant :

par la volonte divine

/

(qU' il a en commun avecIe Pere et I. St Esprit) ~

I veut

Le Christ : \(une seule ct (accord) Notre sal~t

merne hypostase) : / (par la Passion)

~ I veut

~.r I. vOlol" hum.;ne/(qui lui est propre)

Ce schema, revele par I'acceptation de la coupe repond exacte­ment it celui que Serge rejetait 60 ; mais Serge n'avait vu que Ierefus .

La formule synthetique de Maxime met simultanement enlumiere l'unite du Sujet qui veut, la dualite des volontes et l'unitede l'objet voulu. De meme qu'elle n'est pas « autre chose» queses deux natures, I'unique Personne du Christ ne veut etrr'opere 61 que par I'une et I'autre nature; et ce qu'elle veut etopere ala fois divinement et humainement, c'est notre salut .

Du point de vue de I'hurnanite du Christ, il est indispensabled'apporter quelques precisions sur Ie sens de I'expression phuseitheletikos « par nature a merne de vouloir », Malgre certainesapparences, it ne s'agit ni d'un simple vouloir de nature, paropposition auvouloir delibere, ni de la puissance naturelle devolonte, D'abord, it faut remarquer que lorsque Maxime ecritl'Opuscule 6, il ne distingue pas encore ces notions comme il Iefera plus tard en analysant Ie processus volontaire. Mais par des-

60. Cf. supra. p. 44.61. Au cours de ce travail, nous n'avons guere parle de 18 question des opera­

tions, parce Quecelle des volontes est beaucoup plus profonde ; i1 est toutefois evi­dent Que les deux sont etroiternent liees.

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98 MAXIM E LE CO NFE SSEUR LA SOLUTION 99

sus tout, Ie contexte prouve qu'en interpretant phusei theletikoscomme I'affirmation d'un simple vouloir de nature, au sens de la« voluntas ut natura " des scolastiques 6 2, on ferait un contresenscomplet. II s'agit en effet de la volonte de notre salut que Maximevient de decouvrir dans I'acceptation de la coupe qui est l'actefibre par excellence de la volonte humaine du Christ. Maxirnen'affirme done pas une volonte de nature, par opposition a lavolonte libre, mais une volonte humaine, distinguee de la volontedivine . « Par nature », dans ce contexte, signifie simplement« divin » et « humain ». La volonte humaine que Ie Christ a denotre salut se revele done aGethsemani dans le supreme engage­ment de so liberte humaine.

Enfin, Maxime donne un admirable developpement de sa for­mule en prenant comme point de depart ce qui est l'objet desdeux volontes :

Ce salut que d'une part iI voulait conjointement avec IePere et Ie Saint-Esprit, et pour lequel d 'autre part « il s'estfait obeissant » au Pere « jusqu'a 10 mort, etla mort de 10Croix".»

. Comme Dieu, Ie Christ veut notre salut par la merne volonteque le Pere et Ie Saint-Esprit. Comme homme, Ie rneme Christ« s'est fait obeissant au Pere jusqu'a la mort et la mort de laCroix ». Cette citation de l'hymne christologique de l'Epitre auxPhilippiens (2/8) presente Ie plus grand interet. Avant I'Opuscule6, I'axe de la Christologie de Maxime restait toujours la Kenose.La perspective neo-chalcedonienne n'etait pas .depassee, etMaxime'ne voyait pas encore que I'oeuvre de notre salut , realiseepar le Christ pendant sa vie terrestre, procedait d'une volontehumaine, distincte de la volonte divine qui seule avait decideI'Inwnation.

Pour la premiere fois, les deux temps de la partie descendantede I'hymne paulinien sont eXj)licitement distingues I'un deI'autre. Le ~remier temps est la Kenoseproprement dite : c'est Ie

62. Cf. SAINT THOMAS, Illa Q. 18 art. 3.63. Ce developpement sera repris dans la Dispute:

Le meme, iI voulait conforrnernent ases natures, voulant d'une part defacon bienveillante (eudoknn) comme Dieu, obeissant d'autre part commehom me (3010).

fait de l'Incarnation, c1airement exprime par les mots: « II s'estvide (ek&7&en) lui-memeen prenant la forme d'esclave » (Ph. 2/7).Cette assomption de la nature humaine par Ie Fils precede de laVolonte divine commune aux trois Personnes . Le second tempsn'est plus la Kenose proprement dite, rnais l'hiimiliation :« reconnu comrne homrne ason aspect, il s'est humilie (etapein6sen)lui-merne en se faisant obeissant jusqu'a la mort et la mort de la

Croix» (v. 7-8). Alors que lao Kenose etait caracterisee parl'assomption de la forme d'esclave, I'humiliation est caracteriseepar'T'o5eis~~cequi, elle, precede de la volonte humaine propreau Fils .

La precision apportee par Maxime : obeissant au Pere, estimportante car eUe montre que I'accord entre les deux volontesdu Fils est vecu dans sa relation au Pere, et non pas dans une rela­tion entre lui-rnerne comme homme et lui-rnerne comme Dieu. Entant qu'homme, Ie Fils obeit au Pere et non pas alui-meme, bienque la volonte du Pere soit egalement celie qu'i1 possede commeDieu 64. L'obeissance exprime exactement du point de vue de la

\

volonte hurnaine Ie rapport entre Ie Fils comrne homrne et sonPere ; elle caracterise done un rapport entre des Personnes. Pourdefinir Ie rapport entre les deux volontes considerees dans lamerne personne du Christ, Maxime, nous I'avons vu, employaitun autre.terme : l'accord (sumphuta), qui est I'acte de la volontehumaine par rapport' IniiVOfpnt~ diyine, Enfin, du point de vue

. de Ia-- vofonte' divine unique qui a pour objet notre salut, Ie\rapport entre Ie Fils comme Dieu et les deux autres Personnesdivines est exprime par Ie participe suneudokim. 6.5

64. cr. SAlNTTHOMAS,llIa, Q. 20 art . 2. L'expression :« le Christ soumis alui-meme » doit etre evitee.

65. Ainsi , Maxime exprime la meme verite concernant les deux volontes selondeux points de vue complementaires, christologique et trinitaire. Le point de vuechristologique, caracterise par la sumphuta consldere le rapport entre les dew:volontes dans la merne personne du Christ (cr. schema p. 97). Le point de vue tri­nitaire, qui envisage Ie rapport entre les personnes, peut etre represente dans leschema suivant :

~pere

/

voulant avec(Vol. Divinecommune)

Le Fils Incarne Esprit

~ obeissant(vol. humaine)

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Le problerne pose par Serge en 633 dans le Psephos est pleine­ment resolu par Maxime en 641 dans YOpuscule 6. Ainsi s'achevela phase proprement theologique de la crise monothelite, qui enconstitue com me Ie premier acte.

Les preoccupations politiques et religieuses de Serge l'avaientconduit a poser un grand problerne theologique tout a fait nou­veau, qui fondamentalement est celui de la liberte humaine duChrist. S'il n'y avait pas eu le Psephos, Maxime ne se seraitprobablement jarnais interesse a une telle question. Avant lacontroverse, la volonte humaine du Christ n'avait pratiquementpas d'importance pour lui, eUe n'etait l'objet ni d'une affirma­tion, ni d'une negation. C'est done la puissante negation de Sergequi a conduit progressivement Maxime a mettre pleinement enlumiere la liberte humaine du Christ. Serge a eu Iemente de poserIe probleme, et Maxime celui de le resoudre. De plus, en concen­trant son attention sur I'Agonie, Serge avait lui-meme indique aMaxime Ie lieu OU il devait decouvrir cette liberte humaine et sonimportance soteriologique .

Mais si, au plan theologique, l'annee 64J est marquee par ladecouverte de Maxime, eUe se revele egalement decisive acausedes evenements qui se deroulent a Rome et ;\ Constantinople I.

Venu de Constantinople, Ie rnonothelisme avait d'abord laissel'Eglise de Rome dans I'incertitude et la perplexite, Cette perioded'hesitation est bien illustree par la figure d'Honorius. Or, dansles premiers mois de l'annee 641, la situation semble s'etre com­pletement renversee : ce n'est plus a Rome que l'hesitation se

I. Sur ces evenemems, cr. MuRPHY et SHERWOO()., 01'. dt., p. 165JQ.

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104 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST EPILOGUE lOS

manifeste, mais a Constantinople, et non plus en faveur dumonothelisme, mais contre lui. En effet, avec Ie Pape Jean IV,consacre en decernbre 640, Rome prend nettement positioncontre le monothelisme ; t'Ecthese est condamnee. En rnemetemps, I'empereur Heraclius renonce ala doctrine professee dansl'Ecthese. Selon Maxime, Heraclius aurait meme, en quelquefacon, retire la signature qu'il y avait mise ala demande de Serge:

S'apercevant que certains en Occident faisaient retombersur lui Ie blame, Heraclius se rendit Iibre de tout reprocheecclesiastique par un rescrit. II ecrivit :

L'Ecthese n'est pas mienne. Je ne I'ai pas dictee et jen'ai pas ordonne non plus sa redaction. Mais le patriar­che Serge, qui l'avait cornposee cinq ans avant monretour d'Orient, me demanda de la publier en mon nomavec rna signature, lorsque je fus rentre dans la bienheu­reuse Ville. l'accueillais alors favorablement sademande. Mais maintenant, sachant qu'on se bat a sonsujet, je fais savoir clairement a to us qu'elle n'est pasmienne.

Heraclius fit ce rescrit pour Ie bienheureux Pape Jean quiavait condamne l'Ecthese lorsqu'il avait ecrit a Pyrrhus.Depuis, l'Ecthese est partout appelee : Ecthese de Serge 2.

Du simple point de vue politique, Heraclius pouvait com prendreque Ie monothelisme avait ete un echec complet : au lieu d'ap­porter I'union esperee, il se revelait comme un nouvel instrumentde division dans l'Empire. Dans ces conditions, la controversepouvait paraitre definitivement close. Toutefois, le rejet du mono­thelisme devait etre un des derniers aetes du grand empereur : ilmourait peu apres, le 11 fevrier 641.

La suite des evenements devait prendre un COUTS tout differentavec l'accession au trone imperial de Constant II, couronne enseptembre 641. La personnalite de ce nouvel empereur et la lon­gueur de son regne (jusqu'en 668) commandent Ie grand dramedont it DOUS faut maintenant considerer les principales etapes.

Le debut du regne de Constant est marque par un retour brutal

2. P.G. 90, I25AB. La mention des « cinq ans » est remarquable : c'est exac­tement Ie temps qui separe J'Ecthhe (638) du Ps~phos (633).

au monothelisme, et des lors, a Rome et a Constantinople, lasituation va evoluer dans deux sens radicalement opposes: c'estla reprise de la controverse, mais dans des perspectives beaucoupplus vastes. Si en effet la controverse avait ete terminee en 641,comme Ie voulait Heraclius, la decouverte christologique deMaxime n'aurait probablement eu qu'un retentissement limite.La reprise de la controverse et son extension conduiront l'Eglise afaire de cette decouverte une affirmation dogmatique. Ainsi,l'empereur Constant pourrait etre compare au Pharaon del'Exode : un chef dont I'endurcissement merne entrainera lamanifestation des Merveilles de Dieu.

Avec I'energique Theodore ler, Pape de 642 a 649, Romes'engage a fond dans la lutte contre Ie monothelisme. Dans cecombat, e1le est soutenue par I' Afrique du Nord qui beneficie durayonnement de Maxime. Car, pendant cette periode, Maximepoursuit sa recherche theologique. L'Agonie est maintenant Iepoint d'equilibre de sa christologie : entre 642 et 646, il eerit troisgrands commentaires de ce merne episode evangelique qui sesituent tous dans la ligne de l'Opuscule 6 3• A partir de 643, ils'engage dans une analyse tres technique de la volonte humaine etde son aete, d'abord dans la ligne de la distinction logos/tropos" ;plus tardivement, it etudie les phases successives et les differentsaspects de I'acte de vouloir 5.

En juillet 645, a Carthage, un evenement se produit dont Ie. .retentissement sera considerable : Maxime affronte I'ex­

patriarche de Constantinople Pyrrhus dans une grande disputepublique, en presence des plus hautes autorites ecclesiastiques et

3. Cf Annexe I, 011 ces textes sont traduits.4. Principalement dans YOpuscule 16. Maxime afflrme aloes le primal de Ia

volonte :Cette puissance naturelle est premiere par rapport' toutes la "'opi~

et mouvements naturels qui sont dans la nature. C'est en effd 5doo dJeseule que nous desirous naturellement @tre. vivre, noos IDOU'JOO. peIDa'.

parler, sentir, manger, dormir, nous reposer, nesouffrir oj moarir. d defacon generale, avoir parfaitement tout ce qui~ Ia nature d !Ireprive de tout ce qui la detruit (I93D-I96A).

5. Principalement dans la Dispute et !'Opuscu/Jt I. Sur eel aped de I'oeawrede Maxime, voir I'important article de R.A. GAlTTlUEK. « SaiDt Muime Ie CoD­fesseur et la psychologie de I'acte humain .. (Rd. «'11riolorwAJk'. d IfIIJiJd.. 2J.1954, p. 51-1(0). et surtout I'ensemble de Is th~ de Douarr.

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106 THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRIST EPILOGUE ]07

politiques de I' Afrique du Nord . Pyrrhus reconnait finalementson erreur et il accepte de se rendre a Rome pour demander auPape sa reintegration dans la communion catholique. Maxime,qui l'accompagne, y restera huit ans. Le lien profond qui unissaitIe grand theologien grec a l'Eglise de Rome se resserre. Ce lien,c'est celui de la foi en la primaute romaine.

En 639, Maxime affirmait deja:

L'Eglise de Rome, etant l'ainee de toutes les Eglises quisont sous le soleil, les preside toutes depuis toujoursjusqu'a maintenant 6.

En 642, dans sa lettre aPierre I'lllustre, il definissait Ie Siege deRome comme etant l'Eglise catholique elle-meme' et il affirmaitde la facon la plus nette l'autorite supreme du Pontife romain 8.

Enfin, c'est le meme amour de la papaute qui a pousse Maxime adefendre toujours la memoire d'Honorius .

En 647, I'empereur Constant comprend enfin ce qu'Heracliusavait vu des 641 : Ie monothelisrne est un echec total. L' Ectheseest alors supprimee et remplacee par un nouveau documentofficiel, Ie Typos, qui interdit aussi bien I'affirmation d'unevolonte et d'une operation que celie de deux volontes et de deuxoperations apropos du Christ 9 . Ce document ne professe aucunedoctrine nouvelle, mais i1 pretend faire revenir toute l'Eglise austade anterieur a la controverse, au moment ou la question desoperations et des volontes ne se posait pas. Constant ne veut pasadmettre qu'un point de non-retour a ete atteint : la questionposee par Serge a provoque dans l'Eglise une nouvelle intelli­gence du Mystere du Christ. Alors que I'Ecthese etait une simpleprofession de foi officielle, le Typos est un edit qui prevoit degraves sanctions, allant jusqu'a la flagellation et la deportation avie pour tous ceux qui refuseront d'obeir. Ce qui apparait dans leTypos, c'est bien sur la durete personnelle de Constant, maisc'est egalement son souci d'unite interieure au moment ou

6. Lettre de Maxime aThalassius (Mansi X, 678), trad , RIOU, op. cit. p. 207.7. I44AD, trad. RIOU, p. 207-208.8. Ibid.9. MANSI X, 1029C-J032A, traduction de MURPHY et SHE!RWOOD. op. cit. p.

309-311.

I'Empire doit faire face aux musulmans ; pour lui, la gravite deI'heure interdit ces interminables polemiques qui divisent leschretiens.

A cette interdiction Imperiale, l'EgJise va repondre de faconeclatante : ainsi s'ouvre Ie deuxierne acte de la crise monothelite.la phase proprement dogmatique. Ce dernier acte, specialementillustre par Maxime et par Ie Pape Martin ler, elu Ie 5 juilJet 649,comprend deux grandes eta pes : la Definition et la Confession.

I. LA DEFINITION

Martin 1er convoque un important Concile 10 qui se tient auLatran en octobre 649. Par la condamnation du Typos imperial,I'EgTIse affirme que lorsque sa foi est en cause, aucune autorite

1humaine n'a Ie pouvoir de lui donner des ordres : rarementl'Eglise a affirrne aussi herotquernent sa liberte. Car, pendant ce

ICondie, l'Eglise declare que dans la question des operations etdes volontes du Christ, sa foi est engagee.

) Avec Martin ler, Maxime a ete l'ame de ce Concile : n'etantpas eveque - i1 "'etart pas meme diacre - il n'a evidemment passiege comme Pere conciliaire et n'a participe ni aux deliberationsni aux votes, mais iI a ete I'expert charge de la redaction des textesdogrnatiques qui devaient etre ensuite approuves par Ie Pape etles eveques I J•

La definition proprement dite tient dans Ie texte suivant,ajoute au symbole christologique de Chalcedoine :

Et de meme que nous confessons ses deux natures uniessans confusion ni division, de merne conform6nent awenatures, nous affirmons deux volontes, la divine dI'humaine, ainsi que deux operations natureJles Il, Ja diviDeet )'humaine, cela pour con firmer parfaitement et sans 0I1Iis-

10. Maxime le considerait meme comme un coccile oecv~: J.J7I)(bad.RIOU, p. 2(6) .

II. Cf. DoUCET, p. 46.12. Dansce texte,l'adjectif « naturel »est appllqul!.ux~._..

volontes, Maxime ayant distingu!! au COUTS des ann«i pr~MaIIIs II 1'OIalIIlInaturelle et 1a volonte gnornique, iI prHb'e parler id de voIoIItl!«!doe ..nature » plutdt que de « volonte naturelle » afln d't!viter tout~ eoahlioa. Ai_

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108 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST EPILOGUE 109

sion que Ie merne et unique Jesus-Christ, Notre-Seigneur etDieu, est vraiment par nature Dieu parfait et homme parfait- aI'exception du seul peche - et qu'ainsi il voulait et operaiten meme temps divinement et humainement notre salut (tonauton kai hena...tM/onta Ie kai energounta tMik6s hama kaianthr6pik6s ten !lemon soterian) 13.

Des vingt canons qui suivent, Ie plus important est le dixierne :-.

Si quelqu'un ne confesse pas selon les saints Peres, en unsens propre et veritable, deux volontes du merne et uniqueChrist Dieu unies dans un plein accord (sumphuos), ladivine et l'humaine, puisque selon chacune de ses deuxnatures II etait, par nature, amerne de vouloir notre salut(kath 'hekateran autou phusin thetetikon kata phusin tonauton huparkhein tes hemon soterias), qu'iI soitcondamne 14.

Dans ces deux textes, nous trouvons uniquement ce queMaxime avait decouvert dans t'Opuscute 6, sans la moindre tracede ses recherches ulterieures sur la volonte humaine ; il a fort biendist ingue Ie plan dogmatique de celui de lelaborationtheologique ".

I' L'etude de I'Opuscu/e 6, dans les pages precedentes, permetdone de saisir la signification profonde de ces textes du Concilede 649. L'Eglise ressaisit au plan de I'affinnation dogmatique ceque Ie Iibre consentement de Jesus a Gethsemani a revele : /eChrist voulait humainement notresa/ut. En effet, au plan theolo­gique, tout Ie poids de Ia controverse monothelite a porte sur lavolonte humaine du Christ, et non pas sur la volonte divine,volonte de notre salut commune aux Trois Personnes (eudokia).En ce qui concerne la volonte divine, Ie Condie de Latrann'apporte rien de vraiment nouveau; il ne fait que rappeler une

que nous I'avons vu, la volonte que Ie Christ a de notre salut « selon la nature»humaine n'est pas la volonte naturelle par opposition Ala volonte gnomique, maisla volonte humaine, distinguee de la volonte divine .

13. t» SOO.14. Dz SIO. Le canon suivant, concernant les operations, presente exactement

la mente structure.IS. II convient done de relatlviser Ie probleme dont nous parlerons dans

I' Annexe II.

verite communement admise depuis la fin de Ia controversearienne . Ce qu'on appelle generalement Ie dogme des deux volon­res est ainsi de facon plus exacte, /e dogme de fa deuxieme votontedu Christ, volonte humaine. Plus precisement encore, puisqu'ils'agit de la volonte libre de notre salut, on devrait parler dudogme de /a liberte humaine du Christ . Quant aux perspectives,elles soot fondamentalement soteriologiques : cette libertehumaine du Christ apparait a la racine de l'activite salvifique(energeia) qu'il deploie dans sa vie terrestre et consomme dans saPassion.

Par rapport aux precedentes definitions dogrnatiques, il y a 1;\quelque chose de tres nouveau. De Nicee aConstantinople II, IeMystere du Christ semble avoir ete surtout considere d 'un pointde vue ontologique, alors qu'a present, l'Eglise l'envisage dansune perspective principalement historique. Cette perspective esttracee par I'affirmation centrale: le Christ voulait humainement

. notre salut ; Ie rapport dynamique entre Ie sujet you/ant et Yobjetvoulu, selon la Iibre volonte humaine, determine netternent l'axemajeur des formulations de 649 comme axe historique, L'etudedu debat theologique sur I'Agonie ne permet pas d'en douter ; lesgrands problemes ont ete poses du point de vue de l'histoire deJesus.

Mais cette lecture historique de la christologie presuppose lalecture ontologique, car l'histoire de Jesus perdrait tout son senstheologique si elle n'etait pas I'histoire humaine d'une PersonneDivine. Nos textes montrent que Ie dogrne de Chalcedoine n'estnullement rernis en cause, mais au contraire parfaitement integre.Cette Iiberte humaine consideree concretement dans l'histoireappartient en effet a la nature assumee par le Verbe, elle en estrnerne le centre le plus profond 16. L'axe ontologique deChalce­doine esffiettement marque park rappel de l'unite de personaeou hypostase et de la distinction tres claire entre ce qui est divinetce qui est humain. A cela est rattachee l'affirmation des deuxvolontes qui existent conformement aux deux natures. Sdon eeraxe« vertical », Ie rapport entre les deux volontes cst seufcment

16. C'est veritablement Ie « coeur» deta saintehumanite ct.. Quist. t1lleauthentique spiritualite du « satre-Coeur» peut se construire sur une bae

- dogmatique aussi solide,

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110 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST EPILOGUE I 11

evoque par I'adverbe sumphutis qui exprime I'accordtsumphuia). L'etude de I'Opuscu[e 6 nous permet de faire unerernarque : la direction est ascendante. L'accord est en effetI'attitude de la volonte humaine par rapport ala volonte divine.La volonte divine, nous l'avons dit, n'avait jarnais ete mise encause, ni le fait qu'elle soit principe de salut et de divinisation. Cequi etait en cause, c'etait precisement l'attitude de la volontehumaine par rapport a la volonte divine, attitude d'abord expri­mee par Serge en termes de contrariete et de resistance, et finale­ment par Maxime en termes d'accord et de consentement.L'alternat.ive entre la contrariete et I'accord ne pouvait se poserqu~ du POIOt de vue de la volonte humaine, et en aucune facon duPOIOt de vue de la volonte divine.

L'artic~)ation de l'axe ontologique et de I'axe historique estsans doute ce qu'il y a de plus saisissant et de plus remarquabledans la formule dogmatique de 649. II convient a ce propos dereprendre le schema que nous avons fait en commentant l'Opus­cule 6, mais maintenant en indiquant les deux axes :

axe ontologique :

la Personne,

les 2 natures,

les 2 volontes.

/

P", sa vor'" d;V;ne\

I veut

le meme : \ .

Chr;s' \ acr vinotre salut

par sa volonte humaine /

Ce schema permet de mieux voir l'etonnant equilibre christo­logique de la definition ; les deli"xaxes apparaissent dans leurirreductibilite, La tension entre les principaux termes de cetteformule tres concise lui donne un grand relief.

Les deux axes sont complementaires : its presentent respective--:-ment aes avantages e t desinconvenients inverses. L'axe ontologi­

que se revere Ie moins deficient pour exprimer Ie mystere de laDivinite ainsi que Ie rapport fondamental entre l'Humanite et laDivinite dans la Personne du Christ. Ce rapport, contenu dansl'affirmation : « Jesus-Christ est vrai Dieu et vrai Homme », estinvariable depuis que l'humanite du Christ a commence d'existerdans Ie sein de la Vierge, et pour l'eternite. Mais, en merne temps,cette lecture ontologique se revere insuffisante pour exprirner ladimension du devenir, depuis la conception du Christ jusqu'a saglorification; eUe doit done etre completee par la lecture historique.En simplifiant, on pourrait dire que l'axe ontologique exprirnesurtout l'Incarnation (le rnystere .comme ontologie), tandis queI'axe historique exprirne surtout la Redemption (le mysterecomme histoire). Mais I'axe historique se revele absolurnent ina­dequat pour exprimer ce qui est divin dans le Christ ; rien de cequi est divin, ni la nature, ni la volonte, n'est a proprement parlerdans I'histoire. II y a tres reellernent une histoire humaine duVerbe Incarne, mais non une histoire divine.

L'axe ontologique « vertical» doit etre oriente dans un sensdescendant, conforrnement au mouvement de I'Incarnation . Cesens est deja bien atteste dans le Nouveau Testament, speciale­ment dans I'hymne christologique de l'Epitre aux Philippiens etdans Ie Prologue du Quatrierne Evangile. C'est aussi Ie mouve­ment du developpement dogmatique, avec les affirmations

. successives de la Divinite du Verbe preexistant (Nicee), de l'unitepersonnelle du Verbe Incarne (Ephese) et de la dualite de sesnatures (Chalcedoine), Cette ontologie fondamentale du mysteredu Christ se verifie depuis sa conception. Cela, it faut le dire net­tement, car la foi ne permet pas d'hesitations sur ce point. Maisen affirmant ainsi l'ontologie du mystere, on ne me pas du toutl'histoire du mystere : au contraire, on la fonde theologiquernentcomme histoire de salut 17.

axe historique : l'Agonie, ~la Croix, I 17. A l'oppose, void par exemple ce que w. KAsPER ecrit :

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112

19. P.L. 87,111-120.20. Lettre s 14 it 17. P.L. 87. 197sq .

eclatante, Apres avoir contemple I' Agonie de son Seigneur,l'Eglise en fait intensernent l'experience ; et la, comme le Christ,elle revele sa propre liberte, Martin et Maxime representent alorsl'Eglise en ce qu'elle a de plus profond et de plus pur. Us avaientete les principaux artisans de la definition de 649 : Ie pape avaitreconnu comme verite de foi ce que Ie theologien avait mis enlumiere ; c'est cette definition qu 'ils ont finalement scellee parleur martyre.

Pour clore la presente etude, iI est necessaire de prendre enconsideration cette derniere etape ; en elle se devoile la profondecoherence de la crise rnonothelite.

Les positions sont alors nettement tranchees : Ie Typos impe­rial maintient toujours I'interdiction de dire quoi que ce soit apropos des volontes et des operations du Christ ; Ie Concile duLatran a refuse cette interdiction en affirmant c1airement la foi.D'un cote, il ya I'empereur Constant; de l'autre, iI y a Martin etMaxime.

L'arrestation de Martin a lieu en 653, par ordre de l'empereur.Nous connaissons par Ie recit d'un temoin 19 toutes les souffrancesendurees par Ie malheureux pape lors de son voyage aConstanti­nople et pendant son proces ; a travers le martyre de I'Evequede Rome, c'est toute la Passion du Christ qui est relue. AuLatran, il ne per met pas ases fideles de s'opposer par les annes ason arrestation . Ensuite, Ie proces qui lui est fait est deguise enproces politique : il est accuse de haute trahison. Tous s'achar­nent contre lui avec une invraisemblable cruaute, Comme IeChrist, Martin fait preuve d'une grande douceur et en mernetemps d'une inebranlable fermete dans Ie temoignage rendu a laVerite. Alors qu'Il s'attendait a etre execute, iI est finalementdeporte en Crirnee. Tous l'abandonnent, meme l'Eglise de Rome:alors que Martin est encore vivant, Eugene ler devient pape. Lesdernieres lettres de Martin, ecrites du fond de son exil 20 montrentun homme qui meurt de fairn, de misere et de froid. Son Eglise,I'Eglise de Rome, ne fait rnerne pas I'effort de lui envoyer quelquenourriture : il s'en plaint, et pourtant, il prie pour son successeur .II meurt en 655.

THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST

Tout ceci nous pennet d'apprecier exacternent a la fois lanouveaute et la continuite du dogme de 649 par rapport audo~e .de Chalcedoine, Le dog me de 649 est bien autre chosequ u~ simple prolonge.ment ou une deduction du dogrne de Chal­cedome: La perspective de Chalcedoine etait principalementontologl~ue,.selo~ l'axe vertical, mais elle restait ouverte a la~rsp~tlve historique. La perspective .de 649 est principalement

, Q.lsto~gue, selon l'axe horizontal, mais elle pre"suppose et integreparfaitement l'acquis de Chalcedoine 18.

II. LA CONFESSION

~pres aV~ir si clairement affirme la verite du rnystere duChnst, ~a:tl.n ler et Maxime lui ont rendu temoignagejusqu'a la~ort: Ai?SI' .tIs on.t rnontre, avec une rare nettete, comment pourI,Eghse I ~ffJnnatlOn dogmatique se consomme dans la confes­sion ..Toujours dans la lumiere de I'Agonie du Christ, ce qui a etcdeflni en 649 est en que!que sorte demontre de la facon la plus

. Si I'on adm,et en effet que la personne humano-divine de Jesus est cons­~::b: une fois pour t?utes par l'lncarnation, I'histoire et Ie destin de

us~ et .surtout la CroIXet la Resurrection n'ont plus aucune significationconstitutive. .(Usus te Christ, Cerf 1976, p. 51).

~nf tel~ affirmation e,st pour I~ moins tres ambigOe, car ce n'est pas du tout, s e m me sens que I Incarnation d'une part , et la Croix et Ia Resurrection

dlautre part,.ont une valeu~ « constitutive ». L'Incarnation est constitutive au

Jp~ ontologJqu~ (<;Jtal~ec.tOln~), tandis que les grands ev~nements de la vie de

ca us sont constltutJfs dune histoire de salut.18. Cel.admi~able ~uilibre christologique n'apperaltra plus dans la definition

de 681 qUI expnmera .surtout Ie rapport « vertical» entre les deux volontes (I~es de non-contrartete et de divinisation : Dz. 556) et non plus Ie rapport dyn:~rru~ue, selon les deux volontes, entre l'unique personne du Christ et I'uni ueobJ~ voulu doublement (notre salut). Le texte de 681 se refere a Gr~ . qdN8Z1a~ze et A Jean 6/38 (L ' Agon!e etant oubliee) ; la volonte humaf~:e es~compnse comme « volonte de la chair » (dans la ligne d'Athanase) (ibid ) D Iresume de la deflnition, au lieu de la formule de Maxime presentant l'~~jqU~~;IOn doublement thiMtlkos, on trouve un developpement de la formuJe 100 . •«( chaque nature 1'~! el opere ce qui lui est propre en communion avec I'autre»(lk. 558). La definition de Constantinople III contlent I'affirmation d ti::t~:~lo~t~ bU~~ d: Christ, en plus de sa volonte divine. mais la Si;~i~~~1~~II r t d

ogJQue p. e e cette affirmation n'apparal't plus au niveau des textes .au one revemr aux textes de 649. .

EPILOGUE 1 13

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1 14 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST EPILOGUE 1 I 5

L'agonie de Maxime, plus longue et plus dramatique encoreque celie de Martin, lui a valu son glorieux titre de Confesseur.Nous pouvons la connaitre grace ades documents abondants etde tres grande valeur 21. Ce que Maxime confesse, ce n'est pas sonopinion privee de theologien, mais la foi definie a Rome. Sadecouverte ne lui appartient plus, depuis qu'elle est devenue Iebien commun de toute I'Eglise, ainsi qu 'il en temoigne lui-merne :

Je n'ai pas un dogme particulier, mais celui qui estcommun a l'Eglise Catholique. Et je n'ai pas eleve la voixpour exprimer un dogme qui m'appartiendrait en parti­culier (90/12OC).

A Constantinople, Maxime est lui aussi accuse de haute trahison :

D'apres tes actes, il est manifeste aux yeux de tous que tuhais J'empereur et sa politique ; a toi seul, tu as livre auxSarrazins l'Egypte et Alexandrie, la PentapoJe et Tripolis,ainsi que I'Afrique ... 22

Le sens de cette accusation est clair : parce qu'il s'oppose al'union vouJue par Constantinople sur la base du Typos, Maximeapparait comme celui qui divise et affaibJit l'Empire. II sembledonc servir la cause des Musulmans qui remportent alors victoiresur victoire.

lei, on mesure un des aspects du drame qui dechire interieure­ment Maxime. II ne rneconnait nullement les dures realites politi­ques auxquelles l'Empereur est affronte ; il ne veut pas du tout lavictoire des musulmans ; jamais iI n'accepterait de s'alIier avec unennemi de l'Empereur qui Ie persecute.

La trahison dont Maxime est accuse se concretise de la faconsuivante ; iI refuse cretre en communion avec l'Eglise de Cons­tantinople parce qu'elJe n'accepte pas la Foi definie au Latran :

21. P.O. 9O/109-202C . Ce sontprincipalement Jes actes des proces. Tous cestextes ont ete traduits par J.M . GARRIGUES, « Le martyre de saint Maxime IeConfesseur » (Revue Thomiste 1976, n° 3, p . 410-452). On en trouve unetraduction partielle dans Ie livre de H . RAHNER. L 'Eglise et l'Etat dans IeChristia­nisme primitif (Ed. Francaise, Cerf 1964). A present, nous utilisons de faconsynthetique ces differents documents pour montrer les principaux aspects de laconfession de Maxime. Nous avons retenu \a chronologie proposee par P.SHERWOOD: celie de J.M. GARRIGUES est notablement differente.

22. P.O. 9O/112A trad . H. RAHNER. op . cit. p, 306.

Le Seigneur Serge lui dit : « Souvent,)e suis venu dans .tacellule, aBebbas, et j'ai ecoute ton enselgne~ent. Le c~nstpeut t'aider, ne crains done pas. Toutefols, tu c~ntnst~~tous les hommes sur un seul point : a ca~sc: de ~?l? beacoup se separent de la Communion de l'E:glise d IC! ». .

Le serviteur de Dieu lui dit : « Y a-t-il quelqu un ~UIpuisse affirmer que j 'ai dit : « Ne sois pas en commumonavec I'Eglise de Byzance ? » •

Serge lui repondit : « Le fait que tu ne S01~ p~s en cOf­munion est de lui-meme une voix pui.ssante qui dit atous eshommes de ne pas etre en commuruon », .

Le serviteur de Dieu dit : « Rien n'est plus VIolent ~ue lereproche de sa conscience, et rien ne donne plus d assu-rance que son approbation ». . I

Alors Ie Seigneur Trollos, ayant entendu dire que eTypos e~t anathemalise dans tout l'Occi~ent, s'adresse auserviteur de Dieu : « La pensee de n?tre pieux Empereur esttraitee de facon insolente ; est-ce b~en ? » . ill

Le serviteur de Dieu lui repondit : « Que Dieu v~u ebien pardonner aceux qui ont pou~e l'Empereur a faire IeTypos et a ceux qui l'ont approuve ! ~) , "

Tro"ilos lui dit : « Qui sont ceux qUI I ont pousse, et quisont ceux qui l'ont approuve ? »

Maxime repondit : « Ceux qui I'ont pousse sont lesrepresentants de I'Eglise, ceux qui I'ont appro~~e sont l~chefs politiques ; voici done comment la sow ~e a. e. tee' par ceux qui en etaient responsables sur celui qUI estJe ,. 23innocent et pur de toute heresie .

Maxime ne veut faire pression sur personne, il ve,ut seulem~n~suivre sa conscience. II n'a pas besoin d'attaquer qUI que .cedsoldt.

. C'est l'attttu e ufidelite est bien la « voix la plus puissante ». .Christ dans sa Passion. II n'y ala ni faiblesse ni liichete, moos un

courage superieur. . 'aitJamais il n'a voulu condamner l'Empereur, bien ~u on

'k point :essaye plus d'une fois de Ie prendre au pl",~e sur ce .

Tro'ilos lui dit : «N'as-tu pas jete l'~~~~esur Ie Typosde la foi ? » Maxime repondit : « SI, J 3.1 dit souvent que

23.9O/124C-125B .

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116 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST EPILOGUE I I 7

j'avais jete l'anatherne sur lui ». Troilos reprit : « Tu asjete l'anatherne sur Ie Typos de la foi ? Alors , c'est surl'empereur que tu I'as jete ». Le serviteur de Dieu luirepondit : « Je n'ai pas jete I'anatheme sur I'empereur,mais sur un ecrit etranger Ii la vraie Foi que professeI'Eglise ». Troilos demanda : « au a-t-on jete l'anatheme ? »Maxime repondit : « Au Concile de Rome dans I'eglise duSauveur et dans celie de la Mere de Dieu »24.

Et de rneme qu'i1 ne condamne pas l'Empereur, il ne veut pasnon plus condarnner ceux qui Ie suivent : iI ne veut condamnerabsolument personne :

.. .Et eux de lui dire: « Tu es done Ie seul aetre sauve,alors que tous sont perdus ? » II leur repondit : « Nul n'aete condarnne par les trois jeunes gens (dans la fournaise),quand i1s refusaient d'adorer l'idole adoree par tous lesautres. En effet, ils ne se preoccupaient pas du comporte­ment des autres, mais de leur propre fidelite ·au vrai Dieu.C'est ainsi que Daniel, jete dans la fosse aux lions, necondamna aucun de ceux qui n'adoraient pas Dieu pourobeir a la prescription de Darius, mais se preoccupa seule­ment de sa propre Iidelite ; il prefera mourir plutot que derenier Dieu et d'etre tourmente par sa conscience pouravoir transgresse la loi du Dieu de ses Peres. A moi aussi,Dieu veuille m'accorder de ne condamner personne, et dene pas pretendre que je suis seul a etre sauve. Je preferemourir plutot que de sentir rna conscience tourrnentee pouravoir trahi rna foi en Dieu, en quelque facon que cesoit »25 .

D'ailleurs, Maxime est tout pret a rentrer dans la Communionde I'Eglise Imperiale ; iI ne pose qu 'une seule condition : queConstantinople accepte Ie Concile de Latran ; alors « Ie mur quinous separe est renverse » (l45C), dit-illitteralement. Cette simpleacceptation suffirait a eUe seule pour operer la grande reconcilia­tion entre Rome et Constantinople. La douceur de Maxime semblesur Ie point de triompher : il arrive Ii convaincre l'Eveque et leConsul envoyes de Constantinople pour I'interroger dans sa prison:

24. 90/1288 trad . H. RAHNER, p. 31425. 9O/120D-121A, trad. H.R. p. 312

Maxime : -« Que I'empereur et Ie patriarche acceptentdone d'imiter la condescendance de Dieu ; qu'ils adressentau pape de Rome, I'un un rescrit rogatoire, I'autre. une sup­plique synodale ; et sans aucun doute, du moms ~elon

l'usage de l'Eglise, Ie pape v.ous accord~t cette ~~e Iicause de votre droite confession de la foi, se reconcilieraavec vous ».

L'Eveque Theodose : - « Sans aucun doute it en seraainsi » 26.

Moos l'Empereur ne veut pas imiter la condescendance de Dieu :il refuse definitivement d 'accomplir une teUe demarche. Lesenvoyes rapportent sa reponse Ii Maxime :

Alors Ie patricien Epiphane dit aMaxime : « Void ce quepar notre bouche Ie fait sa voi r l'ernpereur : .

« Puisque tout l'Occident, et ceux qur .en <?nent ontrnauvais esprit, tiennent les yeux fixes s~r toi ; puisque toussans exception se revoltent acause de tOI, ?e c,?nsent~tp~

ase reconcilier avec nous acause de la Foi : Dieu puisse-t-ilt 'amener arentrer en communion avec nous a.ux terrnes duTypos que nous avons publie ! Alors no us Irons en per­sonne a la porte de Bronze, nous te saluerons, nous te d~n­

nerons notre main, avec beaucoup d'honneur et de gloirenous t'introduirons dans la Basilique et en personne nous teplacerons la ou sont d 'ordinaire places les empereurs ; enmerne temps nous reunirons I'assemblee! ~n rneme tempsnous participerons aux Mysteres purs et vivifiants du Corpset du Sang vivifiant du Christ, Ie heraut te proclameranotre Pere ; et il y aura de la joie no~ seulement pour notreville imperiale qui aime Ie Christ , mars encore pour toute laterre. Nous savons, en effet, de facon sure, ,que ~i tu ~ encommunion avec Ie saint Siege de notre ville, JIs revle~-

dront al'unite tous ceux qui, acause de toi et de ton ensei-, • 27

gnement, se sont separes de notre communion »

Desorrnais, tous les espoirs de reconciliation sont aneantis. LeTypos a ete condarnne au Latran : jamais Maxime ne I'a~ce~te~a

puisque sa mission consiste precisement aconfesser. la FOI defimepar ce Concile. Sa reponse est on ne peut plus claire :

26. 90/1530, trad. H.R. p, 32027. 9O/161D-I64A, trad . H.R . p . 322

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I 18 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST EPILOGUE 119

... Vraiment, toute la force des deux ne me persuaderapas d'agir ainsi. Comment, en effet, pourrais-je me justifier,je ne dis pas devant Dieu, mais devant rna conscience,d'avoir trahi par serment la foi meme, en consideration deI'opinion des hommes qui, en son propre nom, n'a aucunmoyen de sauver ceux qui la cherissent 28.

Le Typos interdisait de confesser la foi en 1<1 volonte humainedu Christ. Maxime, qui refuse une telle interdiction, merite desor­rnais pleinement son nom de Confesseur :

L'abbe Maxime repondit : « N'est-il done pas vrai quetout homme est sanctifie par I'exacte confession de la foi,non pas certes par la suppression que contient Ie Typos? »

Trotlos dit : « Au pala is, je t'ai dit qu'il n'a rien sup­prime, mais qu'il a ordonne de garder Ie silence afin quenous soyons tous en paix . . . Garde en ton coeur ce que tuveux, nul ne t'en empeche ».

L'abbe Maxime dit : « Mais Dieu n'a pas place Ie saluttout entier dans Ie coeur lorsqu'il a dit : Celui qui meconfesse devant les hommes, je Ie confesserai devant monPere qui est dans les cieux (Mt 10, 32). Si done Dieu,les Prophetes et lesApotres de Dieu ordonnent que les voix dessaints confessent ce mystere qui est grand, qui est redoutable,qui sauve l'univers, iI est impossible, de quelque maniereque ce soit, de reduire au silence la voix qui Ie proclame, depeur que ne soit compromis Ie salut de ceux qui gardent Iesilence » 29.

A travers tous ces textes, nous voyons comment, aConstantinople, Maxime est Ie temoin irreductible de la foi del'Eglise de Rome. Et pourtant, au merne moment, l'Eglise de ­Rome semble faiblir !

C'est la certainement "aspect Ie plus bouleversant de I'agoniedu Confesseur.

Ainsi, la veilte de la Pentecote 655, ses persecuteurs luideclarent :

28. 9O/164BC, trad . H.R. p. 32329. 9O/165AB. trad . H.R. p. 323-324.

Et que peux -tu faire si Rome s'unit a Byzance ? Voiciqu 'hier sont arrives les legats de Rome et demain dimanchei1s recevront la communion du Patriarche ; iI va etreevident pour tous que c'est toi qui detournais les Romainsde I'union ; a coup sur, si on t'eloignait de la, I'accord serealiserait avec les Byzar.tins 30.

Ce geste des legats du Pape est une veritable trahison qui metMaxime dans une situation paradoxale : lui, Ie plus fideledefenseur de la foi definie a Rome, se trouve pratiquementdesavoue par les representants officiels de cette Eglise . En effet,les legats s'appretent a recevoir la communion des mains duPatriarche sans merne exiger la suppression du Typos.

Maxime ne se revolte pas; il se refuse rnerne aaccuser Ie Pape acause d'un geste dont seuls les legats portent la responsabilite,ainsi qu'en temoigne sa reponse :

Ceux qui viennent ne peuvent en aucune maniere prejugerde la volonte du Siege de Rome, meme s'ils recoivent facommunion, puisqu'i1s n'ont pas apporte de lettre destineeau patriarche ; et je ne suis nullement persuade que lesRomains veuillent s'unir aux Byzantins s'ils ne confessentpas que Notre-Seigneur et Dieu est, selon chacune des deuxnatures desquelles, en lesquelles et lesquelles il est, amernede vouloir et d 'operer notre salut (ibid.).

En reprenant les termes exacts de la formule dogmatique de649, Maxime affirme sereinement que la veritable union avecl'Eglise de Rome ne peut se faire que sur la base de la vraie Ioi.Manifestement, Ie Confesseur n'est pas trouble ni ebranle parl'attitude des legats romains. Jamais Maxime ne cessera deconfesser la foi ; il en va de sa propre fidelite al'Eglise de Rome .La fin du dialogue est particulierement nette sur ce point:

lis lui disent alors : « Et si les Romains se rangent aI'avisdes Byzantins, que fais-tu ?» II leur repondit : " Le Saint- .Esprit, par ra oouche de I'Apotre, prononce l'anathemernerne sur des anges , s'ils donnent quelque prescriptioncontraire a la predication des Apotres » (Ibid).

30. 90/1218, trad. H.R . p, 312-313.

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J20 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST EPILOGUE 121

Tout ce qui venait d'etre annonce se realise effectivement Ie len­demain, fete de la Pentecote : ce jour marque la derniere grandeetape de I'agonie du Confesseur qui se deploie maintenant auplan ecclesial. L'appartenance de Maxime a I'Eglise catholique,qui n'a jamais ete plus totale, porte desorrnais elle aussi la mar­que de Gethsernani .

Le lendemain de ce jour douloureux, Maxime ecrit ason disci­ple Ie moine Anastase pour raconter ce qui s'est passe. Cette lettrequi est la toute derniere page ecrite par Ie Confesseur, est boule­versante : c'est Ie dernier document qu'il nous reste aexaminer:

Hier, J8 du mois, qui etait la Sainte Pentecote, Ie patriarchem'a signifie ceci : « De quelle Eglise es-tu ? De celie deConstantinople? De Rome? D'Antioche ? D' Alexandrie ?De Jerusalem? Voila qu'elles toutes avec leurs dioceses sesont unies. Si done tu es de l'Eglise Catholique, unis-toi, depeur qu'en innovant un chemin etranger a I'usage, tu nesubisses ce que tu n'as pas prevu ».

Je leur ai dit : « Le Dieu de toutes choses a revele queI'Eglise Catholique est la droite et salutaire confession de laFoi en Lui, lorsqu'il a proclarne Pierre bienheureux pour sabelJe confession de Foi en Lui 31 ».

La base de cette union etant l'affirmation d'une ou de deuxvolontes et operations 32, Maxime ne peut I'accepter. La menacedevient alors terrible:

Ecoute done, dirent-ils . II a paru bon a I'empereur et au .patriarche que tu sois anathematise par precepte du Papede Rome, si tu n'obeis pas, et que tu supportes la mortdeterminee par eux.- « Que ce que Dieu a determine avant tout age receive enmoi un terme qui lui rende la gloire qu 'il connait avant toutage », leur repondis-je apres avoir entendu cela. (Ibid).

La reconciliation des Eglises sur la base du comprornis Ie plusambigu place Maxime dans une solitude complete. Rome I'a

31. 9Ofl32A-133A.

32. Scion MURPHY et SHERWOOD, op. cit., cette formulation positive se substi­tue a la formulation negative du Typos (p . 185). Au fond, eUe est contradictoire.

abandonne, exactement comme Martin ler. Maxime, qui refusetoujours la communion avec Constantinople peut-il se direencore catholique, des lors que Constantinople est en commu­nion avec Rome? La communion avee Ie Siege de Rome n'etait­elle pas pour lui une des caracteristiques essentielles de la Catholi­cite?

Mais, nous l'avons vu : c'est a partir de la Confession de Pierreque Maxime reconnaissait la Primaute du Siege de Rome. Malgresa situation nouvelle et drarnatique par rapport aRome, la Foi duConfesseur n'est pas entamee sur ee point: c'est bien ala Confes­sion de Pierre qu'il se refere en dormant son admirable definition :« l'Eglise catholique, c'est la droite et salutaire confession de laFoi ». Done, acette heure merne, personne n'est aussi catholiqueque Ie Confesseur .

Pourtant, la menace qui pese sur lui est veritablementeffrayante : il risque d'etre anathematise par Ie Pape et ntis amort par I'empereur ! Mais tout cela , Maxime ne Ie craint pas : ilaccepte, il prononce son Fiat en echo acelui du Christ aGethse­mani.

Le Pape de Rome n'acceptera jamais d'anathematiser Maxime;ni Saint Eugene Ier, ni Vitalien qui lui succede en 657 ne eonsen­tiront aune telle infarnie. Ces deux saints Papes se mont rent trapconciliants et ne surveillent pas assez les manoeuvres de leurslegats ; il est evident qu 'ils n 'ont pas recu la vocation du rnartyrecomme Saint Martin ler.

Alors, n'ayant pu obtenir cette condamnation papale, Cons­tantinople decide d'en finir avec Ie Confesseur. Au printemps de662, par decret synodal. Ie Patriarche Pierre anathernatiseMaxirne en meme temps que Martin fer. Ensuite, a l'herotquevieillard de 82 ans , on coupe la main droite et on arrache la lan­gue : supplice horrible qui exprime la volonte de reduire ausilence Ie Confesseur.

Ainsi mutile, Maxime est envoye Ie plus loin possible, dans uneforteresse pres du Caucase : iJ y meurt Ie 13 aofit 662.

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ANNEXES

TROIS GRANDS TEXTES DE MAXIME SUR L'AGONTEECRITS ENTRE 642 ET 646

OPUSCULE 7 (VERS 642)

Qu'il ait eu selon la nature une volonte humaine, tout comme iI avaitselon I'essence une volonte divine, Ie Verbe Incarne Ie montre c1airementlui-merne par son refus de la mort, refus humain exprirne par lui, selonI' Economic. acause de nou s . Dans ce refus. il disait : ~ Pere.s 'il est pos­sible, que cette coupe s'eloigne de moi » ; iI disait cela afin de montrer lafaiblesse de sa propre chair et que ce n'etait pas par une apparence trom­peuse que cette chair etait connue par ceux qui la voyaient (ll aurait aJorstrompe leurs sens), mais qu'i! etait proprement homme, en verite, ainsiqu 'en temoignait sa volonte natureUe de laquelle venait Ie refus, confor­mernent a l'Economie.

Mais qu'en sens inverse (palin) cette volonte ait ete entierernent divini­see. consentant 11 la volonte divine par laquelle et conformernent 11laquelle elle etait toujours mue et marquee, cela est manifeste puisqu'etlea fait de facon parfaite cela seul que la volonte du Pere avait decide;conforrnernent a cette decision, c'est en tant qu'homme que le Christ adit : « Que ce ne soit pas rna volonte, mais la tienne qui se fasse », Encela, il s 'est donne lui-meme comme exemplaire (IUpOS) et modele pournous afin que nous renoncions a notre propre volonte pour accomplirparfaitement celie de Dieu, merne si pour cela nous devons nous trouverface ala mort ' .

I. C/. Dispute 305CD :P. Quoi done? En disant qu'il a imprime en lui-rneme notre votonte, c'est

eeLle qui lui revient par nature que les Peres ont vouln dire?M. Assurernent.P . Comment peux-tu dire cela 7M. Puisque Ie meme etait tout ent ier Dieu avec l'humanite et tout entier

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124 THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRIST ANNEXES 125

Car, si au contraire iI avait dit a son Pere ; « Que ce ne soit pas mavolonte qui se fasse, mais 10 tienne », non pas en tant qu'IJ etait devenuhomme par nature (comme ayant une volonte humaine natureJle que,selon J'Economie, il soumettait et unissait a la volonte du Pere) aJorsc'est manifestement en tant que Dieu par nature qu'il aurait faii cettepriere, Par la, iI montrerait donc qu'il ne possedait pas avec Ie Pere unememe et identique volonte, mais qu'il avait selon la nature une volonteautre et differente qu'il soumettait en demandant que seule la volonte duPere soit faite. S'il possedau une volonte naturelle autre que celie duPere, il est clair qu'i1 aurait aussi une essence differente : Car « la OU iIn'y a qu'une ~eule essence, iI n'y a aussi qu'une seule volonte », selon Ietres sage Cynlle. Lorsque la volonte naturelJe est differente, la natureaussi est dans tous les cas differente,

En consequence, de deux choses l'une :- ou bien, en tant qu 'homme,il avait une volonte naturelle : par cette

volonte, selon l'Economie pour nous, iI refusait la mort, puis, dans unrnouvement inverse (palin), il s'elancait vers elle par Ie parfait consente­ment a la volonte du Pere,

- au bien, n'ayant pas de volonte naturelie en tant qu'hornme, c'esten tant que Dieu par nature qu'il aurait eprouve les sauffrances du corpsdans sa propre essence, essence craignant naturellement la mort et passe­dant une volonte autre selon I'essence que celie du Pere, sa volontepropre au sujet de laquelle il demandait dans son intense priere qu'elle nese fit pas.

Mais qui est done ce Dieu qui par nature a peur de la mort corporelle etqui a cause de cela prie pour que s'eloigne la coupe, ayant une volontenaturelle autre que celie du Pere ? (80 C - 81 B)

OPUSCULE 16 (APRES 643)

Le Christ, nous dit-on, a lui-rnerne manifeste ceci : iI n'avait deuxvolontes qu'au seul moment de sa Passion salutaire, lorsqu'i1 imprimaitreellement en lui-merne ce qui est notre 2 et que, comme homme, il refu­sait la mort. C'est la, me semble-t-il une affirmation gratuite, et nulle-

homme avec la divinite, comme hornme, en lui-marne et par lui-marne,iI a soumis sa volonte humaine a Dieu Ie Pere, en se donnant lui­me~e comm~ exemplaire excellent et modele a imiter, afin que, nousaussi, Ie considerant comme Ie chef de notre salut, nous soumettionsde plein gre notre volonte aDieu, en ne voulant plus que ce qu'il veutIui-rnerne (trad. DoUCET).

L'importance de l'element moral dans la Christologie de Maxime ronde veritable­ment une spiritualite de I'imitation de Jesus-Christ. La morale chretienne est unemorale christologique.

2. Citation de Gregoire de Nazianze (texte traduit supra, p. S3). II s'agit de 1athese de 1a volonte par appropriation.

ment une demonstration. Pourquoi en effet ace seul moment, et non pasavant? Et pour queUe cause? .,. "

Si en effet il avait ace moment une volonte humaine, c est depuis I ins­

tant meme ou il etait devenu homme qu'iJ I'avait : iJ ne I'avait pas impro­visee plus tard. Si, au contraire, il ne la possedait pas.des ce J:'r~mier ins­tant, iI ne I'a pas eue non plus au moment de sa Passion, mars iJ a seule­ment sirnule Ie refus et, par consequent, toutes les autres chases par les­quelles nous avons ete sauves : les larmes, la p~ere, la tristesse, I'Agonie, I~

Croix la mort la mise au tom beau '" car Sl une seule de ces chases qutfont partie de ~otre nature et qui ont. ete sauvegardees~ lui~ ~nul~,les autres ne peuvent pas non plus exister. Et comment I une n exIst~TaIt­

elle pas lorsque les autres existent ? Quelle en serait laraison?

Quelle contrariete y a t-il done dans sa priere lorsque, par la crainte, iImanifeste volontairement sa faiblesse naturelle - je veux dire sa fai­blesse selon la chair - et qu'il ne resiste nullement, mais dit : « s'il estpossible» et« non ce que je I'eux mais ce que tu 1'eUX » J, unissant ainsia la crainte Ie mouvement prompt et courageux a la rencontre de lamort 1 .

D'une part, par I'Agonie naturelle d'un moment, il imprirnait reelle­ment en lui-merne ce qui est notre, afin de nous liberer de cette agonie, deconflrrner la nature de sa propre chair et de rendre pour tous I'Economiepure de toute apparence trompeuse. .

D'autre part, en sens inverse (palin}, iJ montrait aussitet son ;or,:m­dable elan ala rencontre de la mort ainsi que Ie supreme accord et I unionde sa volonte humaine avec la volonte divine qui est a la fois la siennepropre et celie du Pere, quand iI decidait et declarai~ : .« que ce fie soitpas 10 mienne, mais 10 tienne qui se fasse ».4. II eliminalt totaJement,d'une part la division par ce dernier mouvement, et d'autre part la confu­sion par Ie premier mouvement en sens inverse:. (196 C - 197 A)

OPUSCULE 3 (MS-6%)

Done, c'est comme homme et en tant qu'iJ en possedait la nature, queIe Sauveur exprirnait volontairement la repulsion devant la mort, selon lachair avec les autres passions. montrant ainsi l'Econornie pure de touteapparence trompeuse et rachetant la nature de ses passions condamnees acause du peche. . .

En sens inverse (palin), il manifeste I'elan (vers la mort), tuant ainsi lamort par sa propre chair pour montrer, d'une part comme homme que cequi existe naturellement est sauvegarde en lui, et d'autre part comme

3. Formulation de Marc 14/36.4. La traduction que Ie P. GARRIGUES donne de ce passage (Maxime It!

Confesseur p. 147), n'est pas tout a fait exacte, eUe tend li masquer I'aspecthumain du consentement.

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126 THEOLOGIE DE L'AGONIE DU CHRIST

Dieu, que Ie grand et indicible conseil du Pere est accompli corporelle­ment. Car ce n'etalt pas principalement pour souffrir , mais pour sauverqu'il etait devenu homme.

C'est pourquoi il dit : « Pere, s'il est possible, que cette coupe s'eloignede moi .. cependant que ce ne soil pas rna volonte, mais la tienne qui se[asse », montrant ainsi en merne temps que la crainte, l'elan de savolonte humaine, en accord avec la volonte divine, elan qui a ete imprimeet a existe selon l'entrelacement du logos de la nature avec Ie tropos deI'Economie. L 'Incarnation est en effet une claire manifestation de l'Eco­nomie, c 'est-a-dire du IfJROS nature] des real ites un ies et du tropos deI'union selon I'hypostase, Ie premier garantissant les natures, tandis queIe second les in nove sans changernent (trope) ni confusion s.

Mais si Ie Christ priait pour que eela ne se fit pas pui s pour que eela sefit, il ne s'agissait certes pas de la merne chose consideree sous Ie mernerapport - ce qui serait absurde - car par nature, la volonte du Fils,c'est celie me me du Pere. Le Sauveur avait done comme homme unevolonte naturelle qui portait l'empreinte de sa volonte divine et ne luietait pas contraire. Rien de ce qui est naturel en effet n 'est jamais opposea Dieu , et ee qui est gnomique et manifeste la division des personnes neI'est pas non plus lorsqu'il est con forme a la nature . (48 B D)

5. La traduction que/que peu inexacte que Ie P. GARRIGUES donne encore dece texte (Ibid. p. 148)semble commandee par la these theologique enoncee justeavant: « la totale obeissance filiale du Christ au Pere au plan hypostatique n'enleverien Al'angoisse de sa volontenaturelle humaine qui recule devantla mort par ins­tinct de conservation» (p. 148). Le consentement n'apparait plus du lout commevolonte humaine.

II

LE PROBLEME DE LA GNOME,EXCLUE DE L'HUMANITE DU CHRIST

Dans Ie « fiat » de Jesus aGethsernani, Maxime a vu l'expression de savolonte humaine : il a done reconnu la liberte humaine du Fils de Dieudans son supreme engagement pour notre salut. A partir de 641 (Opus­cule 6), la doctrine de Maxime n'a jamais change sur ee point : les textespresentes dans I' Annexe let la definition dogmatique de 649 en fournis­sent la preuve indiscutable .

Cependant, de nombreux auteurs ont pense que Maxime avait attribueal'hurnanite du Seigneur la simple volonte de nature tout en lui refusantla volonte libre. II est done clair que la pensee de Maxime sur la libertehum~ine du Christ pose . un delicat probleme d'interpretation, bienforrnule par M . Doucet: «ESt="ce Ii dire que, en distinguant, avec lemoine inconnu, le lhetema phusikon du thelema gnomikon et en attri­buant seulement Ie premier au Christ, il a refuse Ii son humanite les acresconcrets de vouloir pour ne lui en reconnaitre que la simplejaculte? L'a­t-il fait humainement the/~/ikosmais non thelon » ? (p. 389-390). Cette~ererence de Maxime au « moine ineonnu » apparait pour la premierelois dans Ie tres important Opuscule /6, ecrit apres 643. Le problemed 'interpretation dont nous parlons s 'enracine done dans les developpe­ments theologiques posterieurs Ii la decouverte de l'Opuscu/e 6.

Bien qu'il sorte du cadre de notre travail, ce probleme ne pouvait pasetre ignore: DOUS nous contentons de donner rapidement quelques ele­ments de solution.

Dans un passage de eet Opuscule /6, la volonte gnomique est biencaracterisee :

La volonte gnornique est l'elan du libre choix qui fait que I'on setourne d'un cote ou de I'autre. EUe est une marque distinctive.

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128 THEOLOGIE DE L' AGONIE DU CHRIST ANNEXES 129

non de la nature, mais proprement de la personne et de I'hypos­tase. Sachant cela, Nestorius qui a divise Ie Christ et adore unhomme, a enseigne de facon impie I'union des gnomai pourconfirmer l'alterite de deux hypostases et pour conserver I'hommepur et simple qui par une certaine gnome, et selon son expression,« un mouvement de Iibre choix » oriente vers Ie Dieu Verbe,aurait realise I'Union . 1\affirme que, des I'instant de l'Union, il ya une volonte identique mais il serait plus exact de parler d'unevolonte multiple puisque , par chaque mouvcment de la volontegnomique, elle s'avance, de facon partielle et progressive, apartirde ce qui est imparfait vers ce qui est parfait (192 B C) .

En attribuant aI'humanite du Christ une gnome, on en ferait une per ­sonne humaine . Le concept grec de gnome ne correspond done -pas -auIconcept latin de « liberum arbitrium », car la gnome designe avant toutIun mode hypostatique :

II est approprie de parler de gnome en nous, vu qu'elle est unmode de passage a I'acte (tropos khr~eos) et non un elementessentiel de la nature (logos phusros) (Dispute 308 D, trad. Doucet).

La gnome ne designe done pas la liberte humaine en general, dans laIigne du logos de la nature 6,,:rilais Ie tropos de cette liberte chez une per­sonne humaine, c'est-a-dire <tans Ie psilos anthropos, celui qui n'est« rien qu'un homme »,

Dans ces conditions; iI est inexact d 'identifier Ie thelema gnomikon deMaxime avec la voluntas ut ratio de saint Thomas (c'est ce que fait, parexemple, Ie P . Solano s .j . : Sacrae theologiae Summa t. III. ed . B.A .C.1953, p. 180) bien que cette identification trouve son fondement dansune objection de la Somme de Theologie :

Dicit enim Damascenus, in II I libro : Gnomen autem (idest sen­tentiam vel mentem, vel cogitationem) et proairesin (idest electio­nem) in Domino dicere impossibile est, si proprie loqui volumus.Maxime autem in his quae sunt fidei est proprie loquendum. Ergoin Christo non fuit electio, Et per consequens nee liberum arbi­trium, cuius actus est electio (IlIa Q. 18 art 4, obj. 1).

Jean Damascene est cite d'apres la traduction de Burgundio de Pise.

\

11s'agit du troisierne livre de la Foi Orthodoxe (P .G. 94/I044B, cf948A),mais c'est une simple reprise de textes de Maxime (Cf Opuscule I,28Det 32A).

Concretement, iI ya accord complet entre Ie Confesseur et Ie DocteurAngelique sur Ie J>~int essentiel : Ie « fiat» de Jesus Ii Gethsemani pro-

6. Ce serait plutOt I'auteKousion (auto-determination, « per se potestativum »)Cf. Disp. 301C.

cede de sa volonte humaine (IlIa Q. 18 art . 5 et 6). Seulement, pareeque,pour saint Thomas, les notions de voluntas ut ratio et de IibeT1lm arlH­trium ne connotent pas Ie mode hypostatique qui caracterise une per­sonne humaine, eUes peuvent etre attributes sans difficulte a l'humanitedu Christ (IlIa Q. 18 art. 3 et 4).

Ainsi, malgre les apparences, I'exclusion de la gnom~ et I'affmnationdu libre arbitre, apropos de l'humanite du Christ, ne sont pas des posi­tions contradictoires : elles montrent seulement une difference d'accent.

Chez Maxime, I'accent est mis sur Ie tropos : les categories de gn(jme etde proairesis qui designent chez les personnes humaines le niveau de lavolonte Iibre ne peuvent pas etre appliquees au Christ. Pourtant, lavolonte libre est clairement reconnue en lui dans cet acte supreme qu'estIe « fiat » de l' Agonie, elle est affirrnee comme vraiment humaine.L'exclusion de la gnome fait done ressortir le caractere indicible du tropospar lequel cette liberte humaine est celie du Fils de Dieu.

Chez saint Thomas, I'accent est mis sur Ie logos : la voluntas ut ratioet Ie libre arbitre sont consideres dans la Iigne de la nature humaine : laliberte humaine du Christ peut done, jusqu' a un certain point, etre com­prise et exprirnee dansnos categories.

Ces deux accents sont complernentaires : de meme que Maxime tout eninsistant davantage sur 1e tropos, n'ignore nu!lement le logos, de rnernesaint Thomas qui valorise Ie logos, mentionne aussi Ie tropos :

Ad quarturn dicendum quod per hoc quod dicitur aliqualitervelle designatur determinatus modus volendi. Detenninatus autemmodus ponitur circa ipsam rem cuius est modus. Unde cum voluntaspertineat ad naturam, ipsum etiam quod est aliqualiter velle, perti­net ad naturam : non secundum quod est absolute considerata, sedsecundum quod est in tali hypostasi, Unde etiam voluntas humanaChristi habuit quendam determinatum modum ex eo quod fuit inhypostasi divina : ut scilicet moveretur semper secundum nutumdivinae voluntatis (lIla Q. 18 art I ad 4).

L'objection alaquelle saint Thomas repond se fondait sur un texte deJean Damascene (F.O . 111/14, P.G. 94/1036B) : aliqualiter velle est latraduction litterale de pos thelein, expression par laquelle Maxime desi­gnait Ie mode coneret de I'acte de vouloir , comme tropos hypostatique dela volonte humaine :

Le fait d'etre toujours naturellement capable de parler releve dela nature tandis que Ie fait de parler d 'une facon determinee (topOs lalein) reIeve de I'hypostase . II en va de meme pour Ie faitd'etre naturellement capable de vouloir et Ie fait de vouloir(Maxime, Opuscule 3, 48A) .