Maxime le confesseur - NumilogMaxime, le Confesseur. La charité, avenir divin de l'homme (THÉOLOGI...

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INTRODUCTION Saint Maxime le Confesseur (579/80-662) traverse une période de l'histoire de l'Eglise assez cruciale et mouve- mentée, marquée par des événements ecclésiastiques et politiques \ La question christologique ainsi que la réponse théologique donnée par le IV e Concile œucuménique de Chalcédoine (451) conduit saint Maxime à approfondir la théologie de l'union en Christ des deux natures, divine et humaine. Le V e Concile œucuménique de Constantinople (553) par la condamnation des hérésies origénistes, oblige saint Maxime à adopter une position critique vis-à-vis des thèses théologiques erronées du théologien alexandrin. La politique impériale de l'unité de l'empire byzantin au détriment de la foi orthodoxe provoque l'opposition de saint Maxime. Les deux empereurs, Héraclius (613-641) (en pro- mulgant le « Psephos » 633 et l'« Ecthèse » 638) et Constant II (642-668) (par le « Type » 647-48), voulaient sauvegarder l'intégrité de l'autorité « universelle » de l'empire byzantin, tandis que saint Maxime défendait la foi orthodoxe 2 . Sa vie mouvementée marque aussi profondément sa théo- logie. Secrétaire de l'empereur Héraclius, il se retire ensuite (613-614) au monastère de Saint-Georges de Cyzique, qu'il quitte en 626 à cause de l'invasion perse. Ainsi, il voyage 1. Pour la version de la vie syriaque de saint Maxime cf. : S. BROCK : «An Early Syriac Life of Maximus the Confessor », in : Analecta Bollandiana 91 (1973), pp. 299-346. R. BRACKE Ad Sancti Maximi vitam. Studie van de biographische documenten en de levensbeschrijvingen betreffende Maximus Confessor (ca. 580- 662) (thèse de Doctorat), Leuven 1980. 2. Cf. Nikos MATSOUKAS, Kôopioç "Avdgcojtoç Koivœvia xarà Mà^ifxov rôv ' OfiokoyrjTrjv. Éd. TPHroPH, Athènes 1980, p. 14.

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INTRODUCTION

Saint Maxime le Confesseur (579/80-662) traverse une période de l'histoire de l'Eglise assez cruciale et mouve-mentée, marquée par des événements ecclésiastiques et politiques \ La question christologique ainsi que la réponse théologique donnée par le IVe Concile œucuménique de Chalcédoine (451) conduit saint Maxime à approfondir la théologie de l'union en Christ des deux natures, divine et humaine. Le Ve Concile œucuménique de Constantinople (553) par la condamnation des hérésies origénistes, oblige saint Maxime à adopter une position critique vis-à-vis des thèses théologiques erronées du théologien alexandrin.

La politique impériale de l'unité de l'empire byzantin au détriment de la foi orthodoxe provoque l'opposition de saint Maxime. Les deux empereurs, Héraclius (613-641) (en pro-mulgant le « Psephos » 633 et l'« Ecthèse » 638) et Constant II (642-668) (par le « Type » 647-48), voulaient sauvegarder l'intégrité de l'autorité « universelle » de l'empire byzantin, tandis que saint Maxime défendait la foi orthodoxe 2 .

Sa vie mouvementée marque aussi profondément sa théo-logie. Secrétaire de l'empereur Héraclius, il se retire ensuite (613-614) au monastère de Saint-Georges de Cyzique, qu'il quitte en 626 à cause de l'invasion perse. Ainsi, il voyage

1. Pour la version de la vie syriaque de saint Maxime cf. : S. BROCK : «An Early Syriac Life of Maximus the Confessor », in : Analecta Bollandiana 91 (1973), pp. 299-346. R. BRACKE Ad Sancti Maximi vitam. Studie van de biographische documenten en de levensbeschrijvingen betreffende Maximus Confessor (ca. 580-662) (thèse de Doctorat), Leuven 1980.

2. Cf. Nikos MATSOUKAS, Kôopioç "Avdgcojtoç Koivœvia xarà Mà^ifxov rôv ' OfiokoyrjTrjv. Éd. TPHroPH, Athènes 1980, p. 14.

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24 ESSENCE ET ÉNERGIES DE DIEU

en Crète (628), probablement à Chypre (630), et on le retrouve à Carthage en 632. En 645, saint Maxime accom-pagne l'ex-patriarche Pyrrhus à Rome après la Dispute tenue à Carthage en juillet 645. En 649 (5-31 octobre) il participe au Concile de Latran. Le 17 juin 653, saint Maxime et saint Martin sont arrêtés par les autorités impériales. Après son arrivée à Constantinople a lieu son premier procès (juin 654) et son exil à Byzia. Deux ans plus tard (656) aura lieu la dispute à Byzia et son deuxième exil à Salembrie, puis à Perberis. Le 18 avril 658 il est rappelé à Constantinople. C'est seulement en 662 que le Synode constantinopolitain condamne saint Maxime à un nouvel exil aux pays des Lazes où il meurt le 13 août 662.

Les études supérieures de saint Maxime à Constantinople, sa vie monastique, ainsi que la période de sa confession sont les trois étapes marquantes de la vie de cette grande figure de l'Église. Il a appris la philosophie, il a étudié la spiritualité monastique, plus particulièrement la pensée éva-grienne, pendant son séjour à Cyzique, et il connu les courants de pensée origénistes. Lors de l'étape de sa confes-sion, il a connu saint Sophrone de Jérusalem (634-639) en Egypte auquel il succéda dans la confession. Il se pencha ainsi sur la théologie patristique pour donner une réponse orthodoxe aux questions théologique posées par les contro-verses monothélites et monoénergistes.

L'étude des écrits de saint Maxime montre l'ampleur et la profondeur de sa pensée, sa connaissance profonde des Écritures, d'Origène, des Pères — particulièrement des Cap-padociens — de l'Aréopagite, mais aussi de la philosophie aristotélicienne par une lecture probablement directe d'Aris-tote, et du néoplatonisme à travers l'Aréopagite.

Les études contemporaines sont significatives de l'impor-tance théologique, de la richesse et de l'actualité de la pensée du Confesseur concernant la spiritualité monastique 3, la théologie 4 , l'ecclésiologie 5, l 'anthropologie 6 , la tria-

3. Irénée H A U S H E R R , La Philautie. De la tendresse pour soi à la charité selon saint Maxime le Confesseur (PONT. INSTITUTUM ORIENTAI.IUM STUDIORUM). Roma 1952.

4. Hans-Urs von BALTHASAR, Liturgie Cosmique. Maxime le Confesseur, traduit

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INTRODUCTION 2 5

dologie 7 , et d'autre aspects étudiés dans des articles particuliers 8 .

Saint Maxime a nourri la pensée théologique aussi bien occidentale à travers les traductions de Scot Erigène, qu'o-rientale, du passé, par exemple la synthèse théologique de saint Jean Damascène, ou pendant les querelles hésychastes du xiv c siècle et jusqu'à nos jours. En 1 9 1 7 , S.L. E P I F A N O V I C publia en russe son étude intitulée : « Matériaux pour Vétude de la vie et de Vœuvre de saint Maxime le Confesseur » dans laquelle il affirmait que l'originalité de saint Maxime ne consistait pas en un épilogue de la période patristique, mais en l'initiation d'une nouvelle ère de la pensée chrétienne, la théologie byzantine. C'est seulement quelques décennies plus tard ( 1 9 4 1 ) que Hans-Urs von BALTHASAR 9 réaffirmait l'originalité de la pensée du Confesseur. Saint Maxime était un homme d'ascèse et d'expérience ecclésiale. Il concevait le rôle de la théologie comme une expérience de l'Eglise.

La relation entre Dieu et l'homme est un événement ecclésial, c'est l'expérience de la participation de l'homme aux énergies et à la grâce de Dieu, c'est l'événement de la filiation. L'union en Christ des deux natures, des deux volontés et des deux énergies constitue le modèle par excellence pour l'homme qui tend à s'unir à Dieu, par sa de l'allemand par L. Lhaumet et H.A. Prentout (THÉOLOGIE 11), Paris 1947. L'édition allemande est de 1941. Polycarp SHERWOOD, The Earlier Ambigua of St. Maximus the Confessor (STUDIA ANSELMIANA 36). Rome 1955.

5. Alain Riou, Le monde et l'Eglise selon Maxime le Confesseur (THÉOLOGIE HISTORIQUE 22) . Paris 1973 .

6. Lars T H U N B E R G , Microcosm and Mediator. The Theologigal Anthropology of Maximus the Confessor, Lund 1965 . J . - M . GARIGUES, Maxime le Confesseur. La charité, avenir divin de l'homme (THÉOLOGIE HISTORIQUE 38) . Paris 1976 . Nikos MATSOUKAS, Kôa^ioç "AVQQWJIOÇ KoLvœvta xarà Mâ£i[iov rov 'O/io-Xoyrjvr\v. Éd. TpHropn, Athènes 1980 . KARAZAPHEIRIS N. ' H jzegi icQooœjrov ôidaoxaXia Ma^ifÀOV rov 'OfioXoyr]Tov. (Thèse de Doctorat). Thessalonique 1985 .

7. Pierre PIRET, Le Christ et la Trinité selon Maxime le Confesseur (THÉOLOGIE HISTORIQUE 69) . Paris 1983 .

8. Sa Béatitude le patriarche Ignace d'Antioche s'est basé sur la cosmologie de saint Maxime pour construire une théologie de la création. Cf. Paix 5 8 - 5 9 ( 1 9 8 9 ) , p p . 2 2 - 4 8 .

9. Kosmische Liturgie. Maximus der Bekenner. Hôhe und Krise des griechischen Weltbilds, Freiburg im Breisgau 1941. Également Die « Gnostischen Centurien » des Maximus Confessor (FREIBURGER THEOLOGISCHE STUDIEN 61) Freiburg im Breisgau 1941.

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déification et par sa filiation. C'est autour de cet axe que se situe le sujet de notre thèse : « Essence et Énergie : Ontologie10 de la distinction et connaissance de Dieu selon saint Maxime le Confesseur».

Vladimir Lossky a fortement raison lorsqu'il considère la distinction « entre VovoCa incogniscible et les énergies mani-festatrices » de Dieu, comme « le nerf central de la pensée de Denys » l'Aréopagite 1 1 . On peut affirmer que, non seulement pour Denys l'Aréopagite, mais pour tous les Pères orientaux, « le nerf» de leur théologie est cette distinction fondamentale entre l'essence incogniscible et les énergies manifestatrices de Dieu. Il est certain qu'à chaque époque la théologie est confrontée à un problème particulier, et que les courants philosophiques varient. Cependant, cela n'empêche pas que la solution se base toujours sur le même fondement théo-logique et qu'elle ait une approche similaire. Rappelons

10. Le terme « Ontologie » a plusieurs significations et présente dans la littérature théologique une variation d'usages propres ou impropres. Pour éviter d'éventuelles confusions, nous déterminons ici le sens dont nous chargeons ce terme dans notre travail. En tant que terme philosophique, l'ontologie indique le «Xôyoç» au sujet de l'être (ôv) qui, selon Aristote, a également plusieurs significations : « Tô ôè ôv Xéyerat pièv jzoXXaxêoç, âXXà JIQÔÇ ëv xal \iiav Tivà (pvcnv xal ovx ÔUOJVVUOJÇ' âXX'ojojieg xal rô vyieivôv ânav JIQÔÇ vyœtav, rô uèv rê (PVXÂMLV rô ôè rœ JÏOLELV rô ôè rœ arj/ueîov eivat rfjç vyieiaç rô ô'ôrt ôexnxôv avrfjç, xal rà largixôv JTQÔÇ iargixfjv (...) OVTOJ ôè xal rà ôv Xéyerai JioXXaxâç /uèv âXA'âjzav JIQÔÇ uiav àgxr\V zà jièv yàg on ovoCat, ôvra Xéyerai, rà ô 'ou Jiâdr] ovoCaç, rà ô'ôn ôôôç eiç ovoiav f j <p6ogal f j orsgfjoeiç f j jzoLÔrrjTeç f j Jioirjuxa f j yevvrjuxà ovoCaç f j rwv JIQÔÇ rfjv ovoCav Xsyouévow, f j rovrcov nvôç âmxpâoeiç f j ovoiaç» (Métaphysique V 2, 1003a 31-1003/3 10). Aristote a ainsi créé la Première Philosophie comme science de l'étude de « l'être en tant qu'être ». Cette science est celle connue ultérieurement comme « Métaphysique ». C'est cette même Métaphysique qu'à partir du x v n c siècle est nommée Ontologie. Dans le domaine de la théologie patristique, le terme a été utilisé dans le sens aristotélicien. Ainsi saint Grégoire Palamas, suivant les critères de la tradition patristique, a qualifié la distinction entre essence et énergie de réelle pour montrer qu'elle n'est pas une distinction « xar'èjiivoLav ». Dans cet esprit nous adoptons le terme « ontologie » pour désigner la distinction entre essence et énergie en Dieu. Dans la même ligne, recdQytoç MAPTZEAOZ, Ovoia xal èvégyeiai rov Qeov xarà rov Méyav BaoïXeLov, Thessalonique 1982, a soutenu que l'essence chez saint Basile constitue « le fondement ontologique de la vie intratrinitaire de Dieu, tandis que les énergies sont le moyen ontologique de la relation extratrinitaire de Dieu avec le monde » (ibid., p. 95).

11. Vision de Dieu. Éditions DELACHAUX ET NIESTLE. Neuchâtel, Suisse 1962, p. 104.

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INTRODUCTION 27 toute la période à partir d'Origène jusqu'au IVe Concile œcuménique de Chalcédoine (451), avec les théologiens alexandrins, et les grands cappadociens, préoccupés par les questions triadologiques, christologiques et pneumatolo-giques. Durant cette période où s'effectuent de grands bouleversements historiques, politiques, ecclésiastiques et phi-losophiques, les grandes figures théologiques sont en mesure de répondre aux provocations hérétiques qui cherchaient à imposer une vision erronnée de Dieu et du monde. C'est ainsi que se forme la vision orthodoxe du Dieu trinitaire incréé et du monde créé, et que ces deux « mondes » communiquent « sans mélange, sans confusion, sans séparation et sans altération ». Cette vision pénètre la pensée théologique et l'expérience de la spiritualité de l'Église orientale à travers les siècles. La synthèse définitive de cette théologie est la vision de saint Grégoire Palamas (1296-1359), non parce qu'il a donné une réponse définitive, mais parce que la question sort du cadre des querelles théologiques, reçoit une solution et un caractère ecclésiaux, et devient un dogme de foi de l'Église par les décisions des Conciles de Constan-tinople du xiv e siècle (1341, 1347, 1351).

Saint Maxime est au centre de l'histoire du développement de cette question. Héritier de la théologie alexandrine et cappadocienne, il est la charnière entre cet héritage et saint Grégoire Palamas. Il ne répète pas une théologie institutio-nalisée, mais sur la base de la théologie patristique, il appose son sceau personnel. La tradition n'est pas qu'un héritage à sauvegarder, mais elle permet de vivre l'expérience du salut.

Nikos MATSOUKAS affirme que le point fondamental de la théologie de saint Maxime est le principe de l'unité de l'univers et de la vie avec Dieu à travers l'énergie divine. Cette relation entre Dieu et le monde ne peut être inter-prétée correctement qu'avec le présupposé théologique de la distinction entre l'essence et les énergies de Dieu 1 2. Lars THUNBERG interprète le principe théologique de la création

12. Cf. Nikos MATSOUKAS, Kâofioç "AVOQCOJTOÇ KoivcovCa xarà Mâ^i/uov rôv ' OjuoAoyrjTîjv, p. 60.

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du monde ex nihilo comme «a basic gulf (xàoiia) between created and uncreated nature, which only the creative will of God can overbridge » 1 3. Il y a une différence et une distinction ontologique entre Dieu et le monde, l'incréé et le créé, mais Lars T H U N B E R G n'a pas raison en nommant cette différence un « basic gulf {%ào\ia) », car les Xôyoi rœv ôvrcov qui se trouvent éternellement en Dieu, ainsi que les énergies divines, établissent une union entre le créé et l'incréé. La Providence divine, qui a créé le monde du néant, circonscrit les êtres. La finalité des êtres est leur divinisation ; la création ex nihilo a mis en mouvement les êtres vers cette finalité qui est l'union avec l'énergie divine.

Pour aboutir à cette finalité, toute la création est dotée de moyens inestimables. La création révèle Dieu à travers les raisons spirituelles. L'homme avance vers la connaissance de Dieu et vers son union avec Lui par ses propres facultés : les sens, la raison et l'esprit. Et Dieu se révèle par la loi naturelle, la loi écrite et la loi de grâce. Cette loi de grâce est la révélation de Dieu en Christ. L'expérience de la déification n'est pas seulement un état eschatologique, mais elle est vécue dans l'Eglise qui est la dispensatrice des énergies divines du Saint-Esprit.

PRÉSENTATION DE L'ÉTUDE

L'étude a été divisée en deux parties qui comprennent chacune trois chapitres. Dans la première partie est examinée la notion de l'essence créée et incréée. C'est dans le premier chapitre que sont étudiées les distinctions fondamentales entre le créé et l'incréé, ainsi que le mouvement des êtres créés vers leur union à la cause de leur création. En fait, dans ce chapitre, toute la problématique est posée d'une manière préliminaire.

Dans le deuxième chapitre, c'est la notion de l'énergie essentielle qui est abordée. La volonté et l'énergie, soit

13. Lars T H U N B E R G , Microcosm and Mediator. The Theologigal Anthropology of Maximus the Confessor, p. 53.

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INTRODUCTION 29 créées soit incréées, sont essentielles et elles sont constitutives de l'essence. Sans la volonté et l'énergie, l'essence ne peut pas se manifester, elle n'existe pas. Les énergies divines en relation avec les raisons (Xôyoi) des êtres établissent l'unité entre l'incréé et le créé.

Dans le troisième chapitre, intitulé « Christologie et éner-gies divines », est analysée, à travers la question christolo-gique de l'union en Christ des deux natures, des deux volontés et des deux énergies, la question de la relation entre l'énergie de Dieu et l'énergie des êtres créés. Le Christ est le modèle parfait de cette union qui manifeste qu'entre les choses naturelles, il n'a pas d'opposition. L'union des natures en Christ est hypostatique tandis que l'union entre Dieu et l'homme est une union par grâce aux énergies divines.

La deuxième partie débat de la question de la connaissance de Dieu. Cette question complexe a été organisée suivant le matériel offert par saint Maxime. Le quatrième chapitre se penche sur les facultés de connaissance de l'homme. L'homme par sa dualité naturelle (âme-corps) participe aux deux mondes, sensible et intelligible. Les sens (madfjasiç) corporels sont des moyens de recherche et de connaissance de Dieu, car, dans leur relation avec les choses sensibles, ils découvrent les raisons spirituelles qui se cachent en chaque être sensible ou intelligible. La raison (Xôyoç) conduit l'homme aux raisons des êtres et aux raisons divines dans la création. L'esprit (vovç) mène l'homme à la connaissance de la simplicité divine par opposition à la connaissance composée de la création.

Le cinquième chapitre traite de la question de la révélation à travers les trois lois, naturelle, écrite et de grâce. Par ces trois lois est démontrée la continuité de la révélation à partir de la création jusqu'à la consommation des temps. La création manifeste Dieu en tant que Créateur, Providence et Juge. La loi naturelle est accomplie par la loi écrite, car par la loi écrite, la loi naturelle est spiritualisée. Par la loi écrite Dieu se révèle non seulement Créateur, Providence et Juge, mais également Législateur. Ces notions sont des énergies divines. Les deux lois sont accomplies finalement

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30 ESSENCE ET ÉNERGIES DE DIEU

par la loi de grâce. Cette dernière n'est autre que l'aspect christologique. Par la loi de grâce Dieu est devenu homme selon le Conseil éternel du Dieu Trinitaire, afin que l'homme soit divinisé.

Le dernier chapitre approfondit la notion théologique de la connaissance de Dieu. Il existe une connaissance cata-phatique et apophatique. Étant donné que l'essence divine est incogniscible, l'homme ne connaît que l'énergie divine. L'énergie divine est identique à la grâce incréée de Dieu, grâce donnée par l'Église, lieu de la déification et de la filiation de l'homme.

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Première partie ESSENCE ET ÉNERGIE

ONTOLOGIE DE LA DISTINCTION

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PREMIER CHAPITRE

ESSENCE

A . ONTOLOGIE DE L ESSENCE

1. Essence. L'essence de Dieu comparée à l'essence des êtres créés

possède un sens absolu, qui ne peut être soumis à l'ordre de l'essence des êtres créés et n'a pas les catégories attribuées aux êtres créés. L'absolu du sens de l'essence divine est basé sur la distinction et la différence ontologique de l'essence des êtres créés et de l'essence incréée de Dieu. L'étude de la différence entre l'essence de Dieu et celle des êtres créés est avant tout l'œuvre de la philosophie et de la pensée chrétiennes, préoccupées par les relations des êtres créés avec Dieu.

A propos de notre thème, « essence et énergie et leur distinction ontologique », nous aborderons dans le présent chapitre l'examen proprement dit du sens de l'essence, puis de la différence ontologique entre l'essence créée et l'essence incréée, qui occupe une place importante et déterminante dans la distinction entre essence et énergie.

Avant de définir l'essence de Dieu, examinons le concept de l'essence en général. Il est évident que l'approche chré-tienne de la question de l'essence trouve son origine dans la philosophie grecque. Nous devons la systématisation de la notion d'« ovota » à Aristote, qui fait de l'essence une des catégories de l'être, et qui distingue le « xaB'ëxaorov»

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34 ESSENCE ET ÉNERGIES DE DIEU

comme première «ovoia» et le « xad'ôXov » comme deuxième « ovoia ». Or pour Aristote l'essence première est l'être concret et précis, à savoir le sensible (aioBr]xov)

La seconde essence par contre, en tant que « xaO'ôXov », est le genre (yévoç) et l'espèce (slôoç) qui sont communs à tous les êtres. Aristote a défini l'essence par opposition à Platon pour qui l'essence équivaut aux idées qui constituent les êtres véritables 2.

Le mot « ovoia» dérive du verbe « si/Ai» et signifie l'être, l'existence. C'est ainsi que Léonce de Byzance, un des prédécesseurs de saint Maxime en philosophie et en théo-logie, détermine l'« ovoia » comme « xr\v rtvoç vjiagçtv » \ Léonce de Byzance, en examinant la relation entre « imô-oraaiç», « évimoorarov», «ovoia» et « êvovoiov », écrit: «Uimôoxaoïç et Y èvvjxôoxaxov », ne sont pas identiques, tout comme 1 "ovaia est différente de Yèvovoiov. Car Yimôo-raoig indique le quelqu'un, tandis que Y èvimôoxaxov (indique) Yovoiav, puisque Yimôoxaoïç détermine la personne avec ses propriétés particulières (xoïç xaQaxxqgioxixoiç ïôiibjuaoi), et Yèvvjtôoxaxov indique ce qui n'est pas un accident, mais qui a son être dans un autre être, et qui n'est pas conçu en soi-même. Telles sont les qualités qui sont appelées soit essentielles soit accidentelles (ovoiœôsiç

1. « Ovoia ôé èojiv r) xvgianarâ TE xai jigdmoç xai uâ/AOTA Àt'youÉvtj, RJ UI]T8 xaOïmoxeijiévov TIVÔÇ Xéyexai UÏ)TÏ ÈV vjTOxti/névq) NVI êtmv, OLOV À Tiç âvOgojJïoç RJ Ô R iç LJTJTOÇ » Catégories 2a 11-13. «L'analyse de la notion de l'essence conduit Aristote à distinguer: 1. L'essence première comme pur genre, dans celle-ci coexistent l'essentiel et l'être, par exemple l'âme, la forme pure du cercle ; 2. chaque être intelligible, par exemple chaque cercle mathématiqe noétique qui est égal au ut'Td'^v platonique ; 3. le général vu sous un aspect universel qui est constitué de la matière et du genre, par exemple l'homme comme composition d'âme et de matière : 4. le sensible concret total, par exemple l'homme concret des catégories ; la présence de la matière dans la quatrième distinction est une cause d'indétermination puisque la matière étant indéterminée ne peut pas se soumettre aux déterminations a priori ». K. D . GHORGOULIS, Aristote, première philosophie (la métaphysique) (en grec), Athènes 1973.

2. « E^aicpvr]ç xaTÔijn-Tcn u Oavpacndv r/)v (piïcnv xakôv... TCQOJTOV LIFV ca-i ôv xai OVXE yiyvôpevov ovi8 âmy/Xvutvov, ovw av^avouivov OVTE (pOïvovâXX'avrô xaO'avrô peO'avtov /.lovoeiÔèç CXEI ÔV, TCX ôè àXXa jvâvTa xaXà èxeivov lu-rér/ovra TOÔJTOV riva miovrov, oiov yiyvopévov TE T(ÛV àXXwv xai àjïoXXvpévayy TNJÔÈV EXEÏVO LU)TE TI JTXEOV uipe EXUTTOV yiyvEoOai, urjdÈ Jiâox£lv iiriôév». PI .AION, Symposium. 210E, 211A-B.

3. Epilysis, PG 86-2, 1921C.

m.toulouchaos
Rectangle
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ONTOLOGIE DE LA DISTINCTION 35 xaî êjtovoicoÔEiç xakov[levai), et aucune d'elles n'est YovoCa, à savoir une chose existant en soi-même (KQây\ia vfaorœç), mais ce qui est conçu autour de Yovoia, comme la couleur est au corps et la science à l'âme » 4 .

Léonce de Byzance distingue ainsi le sens de ces quatre termes et il en fait deux paires : « imôoraoïç »-« êvvjtôora-i ov» et « ovota »-« êvovotov». Or les notions de la première paire ne sont pas synonymes ni identiques, car « l'hypostase indique le quelqu'un » tandis que « l'enhypostaton indique l'essence ». Par conséquent, l'hypostase détermine la per-sonne avec ses propriétés caractéristiques (xagaxrrigiOTLxà iÔLœpiara). D'autre part, l 'enhypostaton n'est pas un accident, mais signifie qu'il possède l'être non pas en soi-même, mais dans un autre être. L'enhypostaton donc ne manifeste pas son propre être, mais l 'être d'un autre. Léonce qualifie d'enhypostaton toutes les propriétés particulières soit « ovoub-ÔSLÇ» (essentielles) soit « êjrovoiœôeiç » (accidentelles); aucune d'elles n'est l'essence, mais elles ont leur être en l'essence, comme par exemple la couleur d'un corps ou la science de l'âme. Or l'essence est une chose qui existe en soi-même et non pas dans un autre être.

Les notions examinées sont différentes l'une de l'autre parce que, malgré leur interférence, elles représentent une autre réalité du même être. L'essence (ou nature) contient l'être, mais pas l'hypostase, tandis que l'hypostase contient l'essence, c'est-à-dire l'être en général, mais aussi l'être en soi-même. Ou bien l'essence est identique au genre (siôoç) et l'hypostase est l'être en soi-même. Par conséquent, l'es-sence signifie l'universel, tandis que l'hypostase le particulier. Malgré cette différence « une nature, c'est-à-dire une essence, ne pourrait jamais exister sans hypostase » s . On peut remar-quer que, comparée à la notion de l'essence chez Aristote, l'essence, pour Léonce de Byzance, est seulement le « xad'ô-

4. Léonce de Byzance, Contre les nestoriens et les eutvchiens /, PG 86-1, 1277CD.

5. Contre les nestoriens et les eutychiens, / , P G 86-1 , 1 2 8 0 A . Voir V. GRUMEL, « L 'union hypostatique et la comparaison de Vâme et du corps chez Léonce de Byzance et saint Maxime le Confesseur », in: Echos d'Orient 25 (1926), pp. 393-400.

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Page 13: Maxime le confesseur - NumilogMaxime, le Confesseur. La charité, avenir divin de l'homme (THÉOLOGI HISTORIQU 38)E PariE. 1976s . Nikos MATSOUKAS Kôa^ioç, " A V Q QWJIOÇ KoLvœvta

36 ESSENCE ET ÉNERGIES DE DIEU

Xov», le «£iôoç»(\ tandis que le « xad'ëxaorov » devient l'hypostase particulière de chaque être.

Pour saint Maxime, la question de l'essence n'est pas seulement une question ontologique, mais également chris-tologique. Étant donné la consubstantialité des personnes de la Trinité et l'union hypostatique des deux natures en Christ, non seulement saint Maxime, mais beaucoup plus tôt la théologie chrétienne font une approche différente de celle d'Aristote à propos de l'essence. Or l'essence « pre-mière » d'Aristote devient « hypostase » et la « deuxième essence » est l'essence commune à tous les êtres d'un même genre. Saint Maxime dans les Opuscula Theologica et Polemica 26 donne deux définitions de l'essence, une selon les phi-losophes, et une selon les Pères : « Selon les philosophes, l'essence est une chose existant en soi-même (avdvjiôorarov) qui n'a pas besoin d'une autre pour sa consistance ; selon les Pères, (l'essence est) l 'entité naturelle qui est attribuée à plusieurs et qui diffèrent selon les hypostases » 7.

La différenciation du particulier et de l'universel d'Aristote chez saint Maxime est traitée dans les Quaestiones ad

6. Léonce de Byzance, Contre les nestoriens et les eutychiens, /, PG 86-1, 1280A. « H uèv ((pvoiç) eïôovç Aoyov èjréxei»-

7. PG 91, 276A. Vers 640 environ, selon Polycarp SHERWOOD. Voir Date-list of the Works of Maximus the Confessor, p. 45. Vers 638-40 surviennent des événements historiques importants qui influencent de manière décisive le développement de la lutte de Maxime contre le monothélisme. « L'Ecthèse » de l 'empereur Héraclius est promulgée en 638, elle a été probablement écrite par le patriarche Serge. Ce texte envisage l'union ecclésiale des monophysites arméniens, des sévériens d'Égypte et des jacobites de Syrie. En 639, l'Ecthèse est acceptée par un synode de Constantinople présidé par le patriarche Pyrrhus. C'est dans cette atmosphère que saint Maxime, ayant succédé à Sophrone de Jérusalem dans sa lutte contre le monophysisme, écrit ces deux définitions sur l'essence. Ce dernier décède en 639, environ une année après la conquête de Jérusalem par le calife Omar (fin de l'année 637-38). Selon Pierre PIRET, Le Christ et la Trinité selon Maxime le Confesseur, THÉOLOGIE HISTORIQUE 69, p. 170, note 34, la définition selon les «philosophes» appartient à Léonce de Jérusalem, tandis que celle selon les « Pères » à Léonce de Byzance. Cf. Lars T H U N B E R G , Microcosm and Mediator. The Theological Anthropology of Maximus the Confessor, Lund 1965, p. 91, note 3. Lars THUNBERG suit PRESTIGE, God in Patristic Thougth, p. 279, pour qui saint Maxime oppose la définition philosophique à celle des Pères. Mais leur impression est erronée, car ce n'est pas pour les opposer qu'il les cite, mais pour arriver à sa propre conclusion christologique des deux natures en Christ. La référence aux deux définitions est donc plutôt complémentaires.

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