EUROPE : STRATÉGIQUE

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EUROPE :

LA NOUVELLE DONNE

STRATÉGIQUE

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Collection Mondes en devenir Dirigée par Edmond Jouve

série Points chauds

Pascal CHAIGNEAU

EUROPE :

LA NOUVELLE DONNE

STRATÉGIQUE

Berger-Levrault International

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© Berger-Levrault International 65, rue Labrouste

75015 Paris ISBN: 2-7013-1051-2

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Introduction :

"L'EUROPE

SUR LE NOUVEL

ECHIQUIER

INTERNATIONAL"

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9 novembre 1989, 2 août 1990 et 22 août 1991 : ces trois dates illustrent l'ampleur des modifications intervenues dans la stratégie mondiale.

Le 9 novembre 1989 c'est la chute du mur de Berlin et, moins d'un an plus tard, la réunification allemande et l'affaissement du "rideau de fer" qui était jusqu'alors le symbole du partage du monde entre deux puissances antagonistes.

Le 2 août 1990 : l'Irak envahit le Koweit et suscite une crise internationale d'un type nouveau.

Le 22 août 1991 a lieu le putsch des conservateurs soviétiques dont l'échec entraîne la mort du Parti Communiste soviétique.

Au terme de ces quelques années d'accélération de l'histoire, l'ancien ordre de Yalta est totalement remis en question et l'incertitude prévaut sur l'identité des futures puissances mondiales et sur leurs stratégies.

En mars 1991, G. Bush parle d'instaurer un nouvel ordre mondial. Cette expression s'inscrit dans une continuité historique depuis 1918. C'est tout d'abord le président américain Wilson qui, au sortir de la Première Guerre mondiale, appelle de ses voeux : une association générale des nations en vue d'apporter les garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégration territoriale aux grands comme aux petits Etats". Il s'agit alors de la SDN qui échouera pour plusieurs raisons : d'une part, le repli protectionniste américain dès 1930, d'autre part la crise économique de 1929 et ses conséquences sur les relations internationales et enfin la faiblesse et l'impuissance de l'Europe face aux nationalismes et à la volonté de revanche de l'Allemagne.

Dès 1945, on retrouve cette notion dans la bouche de Truman. C'est la charte de San Francisco des Nations unies fondée sur le respect des frontières et non plus sur le droit des nationalités, cela afin d'instaurer une plus grande stabilité. L'ONU est donc créée avec plus de pouvoirs juridiques que l'ex-SDN car dotée entre autres d'un Conseil de Sécurité qui est un véritable organe de

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décision et peut (dans la limite de la volonté des Etats), grâce à l'utilisation des "casques bleus", se servir de la force pour appliquer ses résolutions. Cependant, le fonctionnement de l'ONU ne résiste pas à la guerre froide. En effet, l'ordre mondial est assuré par un système d'alliances qui ne laisse que très peu de place à une véritable politique des Nations unies.

La victoire éclatante, au moins sur le plan militaire (250 morts contre vraisemblablement 150 000 et trois chars détruits contre 3 000), des Etats-Unis sur l'Irak a propulsé l'Amérique à la tête d'une éventuelle réorganisation de l'équilibre stratégique mondial. Le président Bush déclare ainsi : "Dans un avenir prévisible, aucune nation ou groupe de nations ne s'avancera pour assumer le "leadership". La République américaine continuera de représenter la dernière et la meilleure chance de l'humanité". Il n'est d'ailleurs pas inutile de noter que toutes ces réflexions sur un hypothétique ordre mondial ont toujours pris naissance aux Etats- Unis qui se définissent comme le seul pays susceptible d'induire une redistribution stratégique mondiale

On peut, à cet égard, distinguer deux grandes forces structurantes qui permettent de bien analyser la stratégie mondiale entre 1945 et 1985 (début de l'effondrement de l'Empire soviétique). Il s'agit de la compétition idéologique d'une part et de la compétition militaire d'autre part. Dès ce stade de réflexion, on s'aperçoit que cet ordre figé par l'idéologie et l'atome a totalement effacé les nationalismes, les résultantes de l'histoire et les religions.

La compétition idéologique est explicitement fondée sur la vision d'un monde manichéen qui s'oppose dans tous les domaines. C'est Eisenhower parlant "des forces du bien et du mal qui s'affrontent" ou encore Lénine déclarant : "ce sera eux ou nous". La lutte entre les deux systèmes, libéralisme et marxisme, qui prônent respectivement la démocratie et la liberté individuelle et l'égalitarisme assuré par l'Etat, est totale. On remarque toutefois que la donne stratégique est alors surtout assise sur un ordre

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européen du fait que les fondements du libéralisme et du marxisme sont judéo-chrétiens, et que les Etats-Unis et l'URSS sont tous deux "issus" du vieux continent. De plus, on constate que ce semblant d'ordre bipolaire a négligé les forces qui, aujourd'hui, commencent à induire la nouvelle donne stratégique, à savoir les religions, les nationalismes et les nouvelles puissances économiques et démographiques.

La compétition militaire repose sur l'ordre de l'atome qui impose une sorte de code de bonne conduite. Deux alliances se font face alors, l'OTAN et le Pacte de Varsovie. Cet ordre fonctionnait grâce à la domination exercée dans leurs camps respectifs par les Etats-Unis et l'URSS sous couvert de leurs forces nucléaires. Ce sont en effet ces dernières qui consolident et rigidifient l'ordre géopolitique issu de la Seconde Guerre mondiale. Tout repose sur la dissuasion dont le principe est : se doter d'armes nucléaires suffisamment crédibles (donc soutenues par des essais) pour empêcher quiconque de menacer le territoire ou les intérêts des Etats. La France dans ce contexte définit le seul concept possible de dissuasion préservant sa souveraineté : celui de dissuasion "du faible au fort".

On peut distinguer deux zones de conflits bien délimitées et sur lesquelles repose alors l'équilibre stratégique mondial : la zone nucléaire neutralisée qui débouche sur un parfait statu quo : les Etats-Unis ; l'URSS et la zone de tampon qu'était l'Europe ; la seconde zone rassemble le reste du monde dans lequel la lutte d'influence est ouverte mais le nucléaire théoriquement prohibé. Dans tous ces pays, les deux grands ne veulent pas prendre le risque d'une escalade atomique. La première réflexion que l'on peut tirer de ce contexte est l'existence d'un ordre mondial figé par la dissuasion nucléaire mais qui n'empêche en rien un grand désordre régional. Ainsi, l'ensemble des conflits ont fait entre 1945 et 1990, 200 000 morts du côté des Etats-Unis, de l'URSS et de l 'Europe mais 17 000 000 au cours des conflits "conventionnels" du Sud. La nouvelle donne stratégique n'est en

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fait qu'une remise en cause de cet ordre apparent. Nous quittons un ensemble de règles (nucléaire, ordre européen et alliances) sans savoir quels seront les nouveaux critères de puissance et nous pouvons nous demander si les Etats-Unis sont encore une superpuissance face à l'émergence de nouvelles forces et de nouveaux types de conflits.

On pourrait adhérer à la thèse de l'Amérique dominatrice quand on remarque que les Etats-Unis ont remporté trois victoires : victoire de leur système d'économie libérale ; victoire de leur système politique démocratique et enfin victoire de leur force militaire de façon conflictuelle contre l 'Irak et de façon technologique contre l 'URSS. Néanmoins, les faiblesses structurelles croissantes auxquelles doit faire face l'Amérique soulèvent la question de savoir si les Etats-Unis peuvent assumer leur prétention d'être "le gendarme du monde" tant sur l'échiquier international que par rapport au nouveau théâtre européen.

On distingue deux positions relatives au rôle stratégique que les Américains pensent devoir tenir dans le monde : les internationalistes qui définissent un monde unipolaire que les Etats-Unis peuvent organiser selon leurs principes démocratiques et libéraux. C'est la vision de Bush qui se trouve dans la plus pure tradition du messianisme américain. S'y opposent les isolationnistes qui pensent que la victoire américaine doit conduire à un repli sur soi et sur ses problèmes intérieurs. C'est la position défendue par des hommes politiques tel que Buchanan. Par rapport à l'Europe, la donne stratégique est désormais bouleversée. Pour l ' instant, c 'est la perplexité qui semble de mise. Avant l'effondrement de l'URSS, les choses étaient assez simples : vis-à- vis de l'Europe de l'Est, les Etats-Unis et avec eux l'OTAN suivaient la même politique étrangère que vis-à-vis l'URSS. Actuellement, la question est de savoir s'il faut aider ces pays nouvellement démocratiques au niveau économique ou politique et si oui à quel rythme et selon quels critères.

Les Etats-Unis ont perdu leurs repères, c'est ainsi qu'un

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conseiller de Gorbatchev avait déclaré avec pertinence aux Etats- Unis : "Nous allons vous faire quelque chose de terrible, nous allons vous priver d'ennemi". Le problème qui se pose aujourd'hui aux Etats-Unis est de pouvoir rester une puissance en Europe, de ne pas s'y faire devancer par la CEE et de contrôler le retour des fragments de l'Empire soviétique sur la scène européenne. C'est ici que les limites de la puissance américaine commencent à poindre. Comme le résume très bien John Lewis Gaddis, auteur de The Long Peace, Inquiries into the History of the Cold War : "Les Américains ont accepté sans hésiter de souffrir pour remplir leur rôle de "gendarme" mondial. Ils ont maintes et maintes fois dépêché troupes et ressources à l'extérieur, en vue de résister à l'agression, même dans les situations où la probabilité d'attaque était faible... En revanche, ils ont refusé d'accepter la moindre douleur dès lors qu'il s'agissait d'augmenter les impôts... Les Américains sont généreux et même dispendieux dans l'emploi de leurs soldats et de leurs armes mais égoïstes au point d'être irresponsables dès lors qu'il s'agit de leur niveau de vie ou de leur portefeuille. Le résultat, c'est qu'une sorte de division du travail s'est mise en place dans la communauté internationale, dans laquelle les Etats-Unis apportent les troupes et les armes nécessaires à l'équilibre des forces, tandis que leurs alliés financent les déficits budgétaires, énergétiques et commerciaux que les Américains créent par leur refus d'accepter des sacrifices, même modestes, de leur niveau de vie".

La nouvelle donne stratégique peut-elle être une division du monde et du travail, comme l'explique l'ancien Premier Ministre japonais, Yasuhiro Nakasone : "La guerre du Golfe a mis en place un nouvel ordre mondial dans lequel les Etats-Unis et la Grande-Bretagne seront appelés à jouer le rôle de leader politique, la France et l'Italie celui de médiateur et le Japon et l'Allemagne celui de banquier". Le premier élément de la nouvelle donne stratégique est donc de rééquilibrer les forces (politiques, économiques et militaires) au sein des pays riches entre le Japon, l'Allemagne, l'Europe et les Etats-Unis.

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Nouveaux fac teurs et nouveaux acteurs .

Aujourd'hui, on peut distinguer quatre principaux facteurs de puissance :

- Le nationalisme qui était jusqu'alors étouffé. Le meilleur exemple est le déchirement de la Yougoslavie et les risques qui pèsent sur l'ex-URSS. Le vide moral et en partie spirituel issu de la fin du violent antagonisme entre les deux idéologies est à la base de ce développement des nationalismes. L'analyse, la connaissance et le contrôle de ces nationalismes est un préalable à toute volonté d'instaurer un ordre mondial stable.

- La démocratie dont l'avènement est illustré par l'évolution des pays de l'Est au cours des quatre dernières années. Il convient cependant d'insister sur les dangers de la transition des régimes politiques : quels systèmes d'alliance s'offrent à ces pays, quelle politique l'Europe de l'Ouest doit-elle adopter ?

- La religion et l 'intégrisme sont, pour leur part, essentiellement menaçants en Afrique du Nord où l'Islam semble la seule possibilité pour les populations d'exprimer leur mécontentement (notamment en Algérie). Au Moyen Orient, l'Iran est, suite à l'affaiblissement de son voisin irakien, en train de redevenir une puissance régionale islamique menaçante. Face à l'intégrisme, comment instaurer un dialogue rationnel avec les républiques islamiques, que ce soit politiquement ou militairement ?

- La démographie constitue sans nul doute l'un des futurs facteurs de puissance les plus importants. Ainsi les prévisions nous enseignent que la population "blanche et riche du Nord" qui représente aujourd'hui un milliard sur 5 milliards d'hommes sera toujours, en 2050, d'un milliard mais cette fois face à 10 milliards d'habitants. Le gros problème concerne le partage des richesses : pendant combien de temps 1/5ème de la population pourra se partager 4/5ème des richesses mondiales ? On peut dès lors craindre dans un avenir assez proche des mouvements de population incontrôlés.

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L'interaction de ces facteurs fait que l'ancien désordre régional risque de déboucher sur un désordre général.

Conséquence logique de ces nouveaux critères de puissance, de nouveaux acteurs prennent une place régionale voire mondiale de plus en plus grande. Dans le domaine des performances économiques, l'Asie (le Japon notamment et, de manière plus générale, la zone pacifique) occupe une place de plus en plus importante. Ces puissances économiques pourront-elles rester longtemps sans véritable politique militaire et diplomatique ? Pour ce qui est de la démographie, le continent africain et la Chine sont les puissances montantes qui inquiètent d'autant plus que les problèmes auxquels ont à faire face leurs populations (pauvreté, liberté, accès au savoir...) sont très loin d'être résolus. On assiste de plus à l'émergence d'une multitude de pays qui souhaitent jouer un rôle de puissance régionale et/ou mondiale. L'Inde et l'Irak comptent pour cela sur l'aide du nucléaire ; l'Iran s'appuie sur la religion ; le Japon et l'Allemagne fondent leur puissance sur la vitalité de leur économie, enfin la Chine possède un potentiel impressionnant en combinant le nucléaire, la démographie et, de plus en plus, l'économie.

Il résulte de tous ces bouleversements l'apparition de nouveaux types de conflits : les grands se désengagent, les conflits persistent. Un point important reste l'évolution du nucléaire et du rôle de la dissuasion qu'il a joué jusqu'ici. En effet, sa place dans la stratégie mondiale s'est modifiée : la dissuasion vis-à-vis des nouvelles puissances n'est plus aussi efficace car elle est en grande partie psychologique et repose sur un "code de conduite commun". On a vu dans la guerre contre l'Iran, que Sadam Hussein n'a pas reculé devant la menace nucléaire occidentale. Il convient donc également de s'interroger sur les dangers de la dissémination nucléaire et sur les moyens d'y faire face. La nouvelle donne stratégique mondiale impose une redéfinition du rôle et des objectifs des systèmes de défense et des armées.

La CEE, les organismes internationaux et les anciennes alliances pourront-ils demeurer les repères de demain ?

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La CEE : quelle stratégie pour l 'Europe ?

La guerre du Golfe et la crise yougoslave (les deux premiers symptômes de la nouvelle donne stratégique) ont montré de façon éclatante l'inefficacité et les divisions de l'Europe. Ainsi, l'absurde polémique sur le choix du lieu de session de la conférence portant sur la fin de l'ultimatum contre l'Irak a provoqué l'ajournement de cette réunion jusqu'au 23 janvier soit bien après le début des hostilités... bel exemple d'efficacité.

Les trois principaux éléments pour l'avenir stratégique de l'Europe sont :

- de redéfinir les objectifs de la politique européenne de défense et surtout lui en donner les moyens. Une crise de type yougoslave au sein même de l'Europe ne devrait pas être possible.

- de savoir s'il faut placer cette défense commune sous tutelle américaine ou bien la rendre totalement indépendante ?

- d'assurer une union irréversible et crédible aux yeux des pays étrangers et aux yeux des membres de la communauté. Dans ce domaine il paraît important de tenir un langage commun et sensé face au désir d'intégration des pays de l'ex-Empire soviétique.

Dans ce contexte, l'ONU semble appelée à tenir un rôle nouveau tandis que l'OTAN est obligée de se redéfinir.

Vers une renaissance de l 'ONU ?

Pendant la guerre froide, l'antagonisme Est-Ouest a empêché le bon fonctionnement de l'ONU pour diverses raisons : l'utilisation abusive du droit de "veto" au Conseil de sécurité ; le fait que certaines zones étaient volontairement exclues du champ d'action de l'ONU (Europe, Amérique centrale) et enfin le fait que

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lorsque l'une des superpuissances était directement engagée dans un conflit, l'ONU était ipso facto paralysée. En fait, l'ONU ne pouvait intervenir que si les belligérants acceptaient cette intervention. Depuis la fin des années 80, deux éléments peuvent faire penser à une renaissance de l'ONU : le repli de l'URSS place l'ONU comme organe de règlement des conflits (Namibie et Cambodge) ; la guerre du Golfe marque un recours plus marqué à l'ONU au moins comme organe de légitimation, qui garantit dans le cas irakien que la guerre est le résultat de la volonté de la communauté internationale. Ainsi, J. Perez de Cuellar a pu déclarer à propos de cette guerre : "Les hostilités ont été autorisées par le Conseil de sécurité. Ce n'est pas une guerre des Nations unies ; cela dit, c'est une guerre légale dans le sens où elle a été autorisée par le Conseil de sécurité".

Les problèmes posés par cette renaissance de l'ONU sont cependant multiples : il faut combler le fossé entre l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité, il est nécessaire de combler les déficits financiers de l'ONU, il faut assurer une meilleure représentation des puissances économiques (Japon et Allemagne) et des nouvelles puissances régionales, il convient, enfin, de définir la notion "d'ingérence humanitaire" évoquée, la première fois, pour le problème kurde.

Autant de difficultés au moment où l'avenir de l'OTAN se conjugue au conditionnel.

L ' O T A N : d i spar i t ion ?

Il convient de rappeler les missions assignées à l'OTAN : - assurer une sécurité européenne... Mais se pose

aujourd'hui le problème de savoir par rapport à qui ? - affirmer une identité européenne de sécurité et de

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défense... Mais ici se pose la question essentielle de la présence et de la puissance américaine en Europe.

- restituer le champ d'action géographique. Selon James Baker "ce qui est hors zone reste hors zone". Mais il faudra pourtant bien que l'Europe parle d'une seule voix et s'impose en Europe de l'Est, dans l'Ex-URSS et au Moyen-Orient.

En parallèle avec la redéfinition du rôle de l'OTAN, la France doit, elle aussi, engager une réflexion profonde sur sa stratégie de défense. La guerre du Golfe a laissé une impression de flottement. Il est urgent de préciser les objectifs et les moyens de notre défense.

Le monde issu de la nouvelle donne stratégique mondiale est entièrement à construire. Deux points paraissent essentiels : il s'agira d'un non-système où cohabiteront plusieurs puissances hiérarchisées par rapport à des critères différents : démographie, puissance militaire, économie, dans ce contexte, il est fondamental de ne pas laisser un vide européen s'installer. L'Europe est en effet le continent charnière tant entre l'Est et l'Ouest qu'entre le Nord et le Sud.

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Chapitre 1 :

LA NOUVELLE

GEOPOLITIQUE DU VIEUX CONTINENT

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I.

L'implosion de l'URSS et la décomposition

de l'armée soviétique

1) LES CONSEQUENCES DE L'IMPLOSION

DE ' U R S S .

La mort de l'URSS dessine un nouvel échiquier stratégique à l'échelle de la planète. Il n'existe pas de précédent historique à la disparition soudaine d'un empire aussi immense et n'ayant pas connu de défaite militaire. Cette disparition s'accompagne d'une implosion politique et économique. La création d 'une kyrielle d'Etats lui succède. Cette exaltation nationaliste dans un contexte

de pénuries risque de conduire à deux types de proliférations : d ' a b o r d une pro l i fé ra t ion d ' a f f ron temen t s in ter -é thniques similaires à la guerre qui sévit dans le Caucase. Ensuite une prolifération nucléaire, sachant que les quelque 20 000 têtes nucléaires tactiques dont disposait l 'ex-URSS sont éparpillées dans les différentes Républiques à présent souveraines. Il en est de même des 50 000 tonnes de substances chimiques de la défunte URSS.

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Devant cette montée des menaces, quelle peut être la parade ? La CEI apparaît comme un gage de stabilité minimum ; mais il n'en reste pas moins que sa fragilité condamne au scepticisme. La désintégration de l'URSS commence véritablement avec les accords de Minsk et d'Alma-Ata qui vont instituer la Communauté des Etats Indépendants (CEI). "LE TRAITE DU 9 DECEMBRE 1922 INSTALLANT L'URSS" EST ABOLI PAR LE PARLEMENT RUSSE LE 12 DECEMBRE 1991.

a) L a C E I c o m m e cad re de gestion de la dés intégrat ion.

Les Républiques de l'ex-URSS voient dans la CEI un noyau minimal après la disparition de l'Union soviétique. Les Occidentaux y voient un gage de stabilité et un espoir de sécurité même si ce centre est fragile.

Cette Communauté ressemble, mutatis mutandis, à un Commonwealth sans Reine d'Angleterre, à une CEE sans présidence ni bureaucratie bruxelloise, à l'URSS sans socialisme ni Gorbatchev ; elle s'appelle en Russie la "Sodrojontsva" c'est-à- dire "l'entente". Le seul vrai dénominateur commun à ses

membres, si différents, est la volonté de ne pas reconstituer un gouvernement central sous peine de renouer avec les vieux démons de l'URSS. Toutes les divergences sur la formation d'un embryon de pouvoir militaire central s'expliquent par le fait que chaque République fait de sa sécurité un attribut de souveraineté.

Dans le nouveau contexte, il est possible de résumer comme suit le profil de la toute jeune CEI.

1. Institutions : un conseil des chefs d'Etat, un conseil des chefs de gouvernement et des comités ministériels.

2. Principe d'égalité : sur la base de l'accord de Minsk, les

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membres de la CEI paraphent le texte fondant la CEI sur une base d'égalité.

3. Accords militaires : protocole militaire prévoyant la succession de l'armée de l'ex-URSS pendant la transition jusqu'à la mise en place de structures définitives. Il en résulte un unique commandement de forces stratégiques.

4. Représentation à l'ONU : la CEI a admis que la Russie occupe le siège de l'ex-URSS à l'ONU avec une succession de droits et d'obligations. La Russie, la Bélarus et l 'Ukraine s'engagent à faire tous leurs efforts pour que les autres Etats- membres de la CEI deviennent membres de l'ONU.

5. Stabilité stratégique et sécurité : un contrôle unique des armements stratégiques sera préservé.

Cette entente inter-étatique n'a pas encore réglé les deux questions qui préoccupent l'Occident. Il est vrai que le contrôle de l'arsenal nucléaire (la fameuse valise des codes) passe de Gorbatchev à Eltsine avec un droit de regard des trois autres Républiques nucléaires. L'ennui est que le Kazakhstan (contrairement à la Bélarus et l'Ukraine) ne s'engage pas formellement à un transfert des missiles déployés sur son territoire à la Russie. En outre, ni la Russie ni l'Ukraine ne se sont formellement engagées à une dénucléarisation. Ensuite, la non- clarification du sort des forces armées rend pour le moins sceptique. Le problème de la succession des biens de l'ex-URSS, notamment à l'étranger, reste aussi sans réponse même s'ils sont administrés par la Russie sous réserve d'un règlement définitif par un Conseil des chefs d'Etat. Ces impasses constituent les principaux soucis des autorités occidentales tant elles sont susceptibles de provoquer des tensions.

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b) Les potentialités conflictuelles entre Républiques de l'ex-URSS.

Un enchevêtrement de trois facteurs semblent expliquer ou plutôt laisser prévoir la possibilité de tensions entre Républiques : les nationalismes, la désintégration économique et la question militaire.

La haine nationaliste et les conflits inter-ethniques constituent, désormais, des dangers majeurs : quand on sait que la seule Russie est composée de seize Républiques autonomes dont certaines manifestent des velléités sinon d'indépendance, du moins d'autonomie, on prend aisément la mesure du problème. Les litiges liés aux frontières viennent en outre aggraver le premier paramètre : c'est le cas du Haut-Karabakh, cette enclave territoriale en Azerbaidjan peuplée majoritairement d'Arméniens et qui est aujourd'hui le théâtre d'une crise sanglante entre les deux Républiques du Caucase. Certes, la CEI a pris l'engagement de respecter les frontières existantes. Il n'empêche qu'on a fait l'impasse sur les principaux foyers de tension inter-ethniques : la rive occidentale du Dinestr, peuplé majoritairement de Russes mais sous juridiction moldave ainsi que la division entre Ossétie du Nord et du Sud (rattachée à la Géorgie). Le problème des minorités doit également être pris en considération, sachant que la République de Russie en compte par dizaines, tandis que la question des "pieds blancs" (Russes en dehors de Russie) -plus de 50 millions- constitue un problème des plus sérieux. De plus, ces litiges frontaliers, prennent toute leur acuité quand ils opposent des Républiques nucléaires telles la Russie et l'Ukraine et que l'on sait que la Russie ne fait pas mystère de sa volonté de récupérer la Crimée.

La désintégration économique est un important facteur d'instabilité. Elle est liée à la situation conjoncturelle : La décomposition du marché de l'Etat place toutes les Républiques à

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la merci de la libéralisation économique menée par la Russie ; c'est dire combien la réforme économique radicale engagée par la Russie comporte de risques politiques et sociaux aussi bien en Russie que dans les autres Républiques. Le problème est d'autant plus grave qu'il provoque déjà des pénuries monétaires dans la quasi-totalité des Républiques. Tel est le cas de l'Ukraine en cessation de paiement et dont la banque centrale a été obligée de fabriquer ses propres coupons-monnaie, faute de roubles. Huit Etats de la CEI se sont engagés à réduire les déficits budgétaires, à libéraliser les prix et le taux de change et à engager des réformes structurelles ambitieuses. Ce souci de concertation est donc compromis par la libéralisation radicale des prix engagée en Russie et ce d'autant plus que cette réforme demeure incomplète puisque menée sans réforme monétaire parallèle. Cette décomposition du marché s'accompagne également du développement d'économies parallèles et d'une mafia redoutable, surtout en Asie centrale. Les Républiques de l'ex-URSS étant en position de quémandeur d'aide alimentaire, on peut craindre que cette situation ne provoque de graves contrecoups sociaux. Déjà, en Russie, le mécontentement social ne cesse de grandir. Il existe un problème structurel qui sera long à résoudre : depuis près d'un siècle, des liens d'inter-dépendance se sont tissés entre la Russie et les autres Républiques. La rupture a placé des Etats aussi pauvres que ceux de l'Asie centrale dans une alternative délicate : avec 80 millions d'habitants, elle est obligée de dépendre des slaves si elle ne veut pas tomber sous l'influence de pays comme l'Iran en quête d'expansionnisme religieux. Par ailleurs, l'anarchie des échanges et la misère qui frappe la population sont de nature à provoquer des crises incontrôlables. Cette crise économique peut susciter des tensions inter-ethniques, voire favoriser un retour de la dictature par une armée dont l'unité est, pour l'essentiel, préservée.

La principale pierre d'achoppement entre les Républiques est le maintien de structures militaires communes. Au départ, la Russie entendait d'ailleurs préserver l'armée soviétique pendant la

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transition. L'Ukraine a toutefois soutenu la thèse d'un découplage entre conventionnel et nucléaire. Mais pour conforter leur légitimité nationale, l'Ukraine, la Moldavie et l'Azerbaïdjan ont opposé un refus au maintien de l'ex-armée soviétique tout en procédant à la création d'armées nationales et à la nationalisation des forces soviétiques stationnées sur leurs territoires. La Bélarus et les Républiques d'Asie centrale ont très rapidement agi de même. Cette tentation des Etats à constituer leurs propres forces armées s'explique de deux manières : d'abord, la défense est l'attribut par excellence de la souveraineté. Or, ces Républiques n'entendent faire aucune concession sur leur souveraineté retrouvée. Ensuite, appréhendant les crises que peuvent engendrer les litiges territoriaux ou économiques, il est urgent de s'armer par prévention. Le différend ukraino-russe concernant la flotte de la Mer Noire s'inscrit dans ce contexte. Il s'agit, en fait, d'une question de définition : pour le commandant Chapochnikov, cette flotte fait partie des forces stratégiques, tandis que pour les autorités ukrainiennes elle appartient à l'Ukraine. Le litige s'est d'ailleurs réglé autour d'un compromis puisque l'Ukraine aura désormais le contrôle de 30 % de cette flotte. Mais, il faut noter qu'à cette occasion, la Russie s'est livrée à une surenchère verbale propre à susciter la méfiance des autres Républiques à son égard.

2) L A DÉCOMPOSITION DE L'ARMÉE SOVIÉTIQUE.

a) La crise actuelle.

L'ensemble de la Communauté des Etats indépendants conserve une force de frappe terrifiante, héritée de la seconde puissance militaire mondiale qu 'étai t l 'Ex-URSS. Quelques chiffres suffisent pour s 'en persuader : L'URSS disposait de

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27 000 ogives nucléaires et de 15 000 armes nucléaires ; 800 sites répartis sur toute la Communauté sont capables d'envoyer des charges nucléaires ; quatre Etats disposent d'une force nucléaire (la Russie, l'Ukraine, la Bélarus et le Kazakhstan) qui sont, chacune prise séparément, supérieures à celles de la France et de la Grande-Bretagne réunies ; 2 000 savants travaillent en permanence sur les questions nucléaires. Parmi ceux-ci, 1 000 connaissent les procédés de fabrication d'une ogive nucléaire ; 40 000 à 100 000 ingénieurs de production travaillent pour l'armée. L'appareil militaire actuel conserve son caractère russe. En effet, plus de 70 % de son corps d'officiers est d'origine russe et 72 % des écoles militaires sont encore basées en Russie.

Cependant, chaque Etat tente aujourd'hui de créer son propre système de défense. Au sommet d'Alma-Ata, en décembre 1991, la Russie avait pourtant été officiellement désignée comme "le garant international des forces stratégiques communes appartenant à toute la CEI". Or, il n'en est rien. Pour ne citer qu'eux, le Kazakhstan de Monsieur Nazerbaiev vient de constituer une garde nationale le 12 mars 1992 et l'Ukraine a suspendu le transfert aux autorités russes de ses armes nucléaires tactiques en vue de leur destruction. Pour ces Etats, l'accession à la puissance militaire n'a pas pour unique objet de traumatiser le "grand frère russe". C'est aussi un moyen de conforter leur indépendance et d'accéder à la reconnaissance internationale.

L'armée de l'Ex-URSS traverse une période de crise à plusieurs niveaux. Une crise financière, tout d'abord, car les dépenses consacrées à l'armée risquent de se réduire de 40 à 50 % d'ici à 1995. La production, de 1990 à 1992 a diminué de 25 %. Les livraisons de chars dans les unités ont diminué de 40 % de 1988 à 1989, celles d'avions de 30 % et celles de munitions de 27 %. Une sorte de terrifiant marché noir s'est installé. Ainsi, les redoutables Mig29 sont aujourd'hui bradés à des pays comme l'Iran ou la Libye au prix dérisoire de 2 millions de dollars. Par

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comparaison, un F16 Américain ou un Mirage 2000 coûte 30 à 40 millions de dollars. Au-delà de ces problèmes financiers, apparaît une crise morale déstabilisante.. Les membres de l'armée ne savent plus pour et contre qui ils travaillent. D'où la décision de Boris Eltsine de créer un ministère de la Défense russe, afin de remotiver les troupes. L'armée souffre d'un manque de considération de la part du peuple. Celui-ci lui est assez hostile depuis l'invasion de l'Afghanistan et la répression violente des troubles en Arménie en 1990 et en Géorgie en 1991. De plus, les liens semblent rompus entre l'armée et le pouvoir politique. Autrefois, le PCUS et l'Armée Rouge nouaient des relations très étroites : sur les 340 000 membres du PCUS, 110 000 étaient militaires. Dans ces conditions, devenir militaire au sein de la CEI ne garantit plus la sécurité matérielle. La solde d'un militaire russe est aujourd'hui de seulement 300 roubles par mois. Ce salaire le situe sous le seuil de pauvreté décrété par l'ONU. De ce fait, les écoles militaires se vident peu à peu. Les étudiants les plus doués ne sont plus du tout attirés par ce type de carrière. Pour les plus prestigieuses, seul 1,5 candidat postule pour une place. On assiste donc à une préjudiciable sclérose de la situation intellectuelle et de la pensée militaire. Ceci est grave, à une heure où il convient de repenser les stratégies de blocs de l'après-guerre totalement révolues.Cinq tendances se dégagent finalement :

1 - Un certain désordre et une confusion apparaissent dans la chaîne de commandement.

2 - La recherche militaire n'est plus une priorité. Les dépenses de recherche et de développement ont chuté de 22 % de 1989 à 1991. Dans le même temps, les acquisitions de matériels ont diminué de 29 %.

3 - L'industrie militaire était très intégrée à l'ensemble de l'industrie soviétique. Se posera donc un immense problème de reconversion de toute l'industrie militaire.

4 - La fuite des cerveaux est à craindre. Elle n'a cependant pas encore véritablement démarré puisque seulement 1000

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docteurs en mathématiques ou sciences physiques ont à ce jour émigré principalement vers les Etats-Unis ou Israël.

5 - L'armée a malgré tout conservé un certain prestige car on ne gomme pas facilement 70 ans de tradition militaire. En outre, elle n'est pas intervenue pour soutenir le putsch des généraux en août 1991.

b) Les implicat ions s t ra tég iques de l ' éc la tement .

Il ne saurait être question d'étudier la situation de la CEI, dans quelque domaine que ce soit, sans aborder le volet économique. La crise est en effet profonde. La stabilisation monétaire n'a pas eu lieu et l'inflation est actuellement de 1 à 1,5 % par jour à Moscou. Un pays ne peut être gouverné dans de telles conditions. Le PNB de la CEI perd 10 points par mois. La production a diminué de 30 % depuis le 1er janvier 1992. Le commerce et la production étaient, sous le régime soviétique, dépendants d'échanges perpétuels entre les régions. Or, les actuels affrontements ethniques les rendent impossibles. De plus, les Républiques qui se sont transformées en Etats indépendants possèdent peu d'atouts économiques. L'Ukraine, par exemple, ne peut assurer son indépendance économique. Les marchés mondiaux de la sidérurgie, des chantiers navals ou agricoles sont en effet totalement déprimés. En outre, les interactions entre le militaire, l'économique, le social et le système politique sont des facteurs aggravants. Huit interactions peuvent, en l'occurrence, être recensées :

1 - La crise économique limite les capacités militaires, à court et moyen terme.

2 - La gestion des ressources est devenue l'enjeu des affrontements politiques.

3 - La guerre des lois fait rage au sein du parlement, limitant

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ainsi l'autorégulation du marché. 4 - L'hyperinflation est traumatisante et provoque corruption

et marché noir.

5 - Cette crainte de l'avenir engendre des résultats-surprise aux élections (Cf. Pologne).

6 - L'armée pourrait avoir à intervenir pour apaiser les tensions.

7 - La baisse du prestige de l'Etat et le multicentrisme font craindre un repli-sur-soi des militaires.

8 - L'armée, éventuel mouvement charismatique de référence, pourrait être tentée de contrôler le pouvoir politique.

Quatre principaux axes de tensions se dégagent en termes stratégiques. Entre Russes et Ukrainiens tout d'abord. Ces derniers n'ont jamais accepté l'hégémonie russe. Se pose alors le problème des Russes-Ukrainiens et des Ukrainiens-Russes. Les liens sanguins entre ces deux peuples sont très nombreux. Soljenytsine lui-même, dans son essai sur l'avenir de la Russie, ne pouvait envisager une séparation de ces deux Républiques. De leur côté, les Etats du Caucase sont en conflit permanent. En Arménie, en Azerbaïdjan ou au Karabagan, des guerres civiles ont déjà éclaté ou sont sur le point de. Le Kazakhstan, quant à lui, se démarque de plus en plus de la Russie, mais les Russes y sont largement majoritaires au Nord. Là encore, un terrain d'entente semble impossible à trouver. Enfin, à l'intérieur même de l'Etat russe, des peuples tels que les Tatars ou les Sibères se reconnaissent très peu en Boris Eltsine et ne tarderont pas à réclamer leur indépendance.

Dans ce contexte, les scénarios militaires évoluent entre l'intégration et la confrontation. L'indépendance dans l'intégration ferait de la CEI une Communauté intermédiaire entre la CEE et les Etats-Unis. Dans ce cas, les forces seraient intégrées ; se créerait alors un Conseil de Défense sous commandement unifié. Ce scénario est celui qui avait été retenu en décembre 1991 à Alma- Ata. Il est depuis devenu totalement irréaliste. Monsieur Kravtchouk ne déclarait-il pas récemment : "L'avenir de la CEI ?

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je n'en vois pas. Et pas parce que Kravtchouk est méchant ou parce que Eltsine est méchant. c'est un processus objectif et il est en cours." Dans le cas d'une indépendance dans la confrontation, les Républiques tenteraient chacune de maintenir le niveau de force le plus élevé compatible avec leur situation économique tout en cherchant des alliés extérieurs. Nous reviendrions alors à une situation comparable à celle qui prévalait en 1914. L'Ukraine et la Bélarus sont attirées par l'Allemagne (la Mittel-Europa), la Russie par la France et les peuples asiatiques par le monde musulman. Ce scénario n'en est plus tout à fait un. Le commandement stratégique unifié n'existe plus dans une CEI qui meurt avant d'avoir existé. En conséquence, le concept de dissuasion continuera à se modifier dans les années à venir dans l'ex-Empire soviétique. Le temps n'est plus à la conquête ou au soutien de tous les régimes communistes du monde. La stratégie de la plupart des nouveaux Etats est une stratégie défensive. Quant aux armes nucléaires, elles seraient issues non pas des stocks existants qui peuvent être désactivés, mais des capacités nucléaires induites par la dispersion de réacteurs plutonigènes et de milliers de spécialistes. Trois concepts dominent finalement : les Russes n'ont plus d'ennemi déclaré ; ils proclament qu'ils n'attaqueront jamais en premier ; ils se doivent de passer du quantitatif au qualitatif, ce qui veut dire que l'outil militaire doit se raccorder avec la pensée militaire.

S'il est encore vrai, et ce pour longtemps, que la puissance militaire de l'ex-URSS est exceptionnelle, il n'en reste pas moins que la CEI aujourd'hui, serait dans l'incapacité de mener une guerre. Le soutien financier serait insuffisant, le commandement ne saurait être assuré de manière centralisée et les troupes auraient un moral pitoyable et seraient vraisemblablement peu soutenues par la population. La menace soviétique est donc écartée. Mais les conflits locaux sont en train d'éclater. Les dangers sont immenses. En effet, quatre Etats possèdent déjà l'arme atomique. Rien n'assure qu'ils se refuseront éternellement à l'utiliser en cas de conflit entre eux. Face à ces menaces, la Russie semble, malgré

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