Etude Inagora 2015 - EXTRAITS - pratique religieuse en entreprise - salariées musulmanes

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EXTRAITS

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Extraits

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SOMMAIRE

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Introduction 6

Méthodologie générale 7

Qu’entend-on par « femme musulmane pratiquante » ? 8A. Les définitions fournies par les salariées interrogées 8B. L’option méthodologique retenue pour la présente enquête 10

I La pratique religieuse en entreprise : comment elle se manifeste et pourquoi ? 11A. Les pratiques religieuses accomplies et souhaitées 111. Pratiques religieuses par ordre d’importance selon les salariées 112. La prière rituelle (salât) 123. Le port du foulard 144. Les fêtes religieuses 155. Relations hommes-femmes 15B. Les fondements de ces pratiques et leur importance pour les femmes pratiquantes 161. Place du religieux dans la vie des femmes pratiquantes 162. L’importance accordée par les salariées à la pratique religieuse durant la journée de travail 173. La prière, « agréée par Dieu » lorsqu’elle est faite à l’heure prescrite 184. Le foulard, dont le caractère obligatoire fait toujours débat 20C. Le rôle de la pratique religieuse dans l’équilibre personnel et l’efficacité professionnelle 211. Bien-être, sentiment d’être en conformité 212. Ethique personnelle et efficacité professionnelle 21

II La réaction hiérarchique et le regard des collègues de travail 23A. La réaction des employeurs aux pratiques religieuses 231. Degré d’ouverture des employeurs sur la religion au travail 232. Pratiques religieuses autorisées au travail 243. Réactions constatées chez les employeurs 254. Réactions constatées parmi les managers 26B. La question du regard du client 27C. Le regard des collègues 271. Des préjugés... 282. ... Aux évolutions possibles du regard 29

III Une compréhension claire de la règle 30A. Entre connaissance du principe de laïcité et incompréhension quant à son application 30B. Une connaissance plus imprécise du droit du travail 31

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IV Les stratégies adoptées par les salariées pratiquantes pour vivre leur religion au travail 32A. De la discrétion... 321. En s’abstenant 322. En agissant avec discrétion ou en cachette 32B. ... A l’affirmation ou à la revendication 33C. ... En passant par des stratégies plus élaborées 33D. Les demandes formulées et les réponses de l’employeur 34

Conclusion 37

Annexe 1 : Méthodologie de l’enquête et description de l’échantillon 39A. Méthodologie de l’enquête statistique 391. Méthodologie générale 392. Restriction à 249 réponses : pratiquantes d’Île-de-France, travaillant dans le secteur privé 39B. Profil personnel des personnes interrogées dans l’échantillon 401. Age 402. Pays de naissance, origine des parents 413. Religion (des parents, religion d’éducation, rites, shaykh suivi...) 414. Situation matrimoniale et nombre d’enfants à charge 425. Lieu de résidence 43C. Profil professionnel des personnes interrogées dans l’échantillon 431. Niveau de formation 432. Situation professionnelle, PCS, fonctions occupées, type de contrat, temps de travail 443. Ancienneté 444. Employeur : secteur activité, effectif de l’entreprise 46

Annexe 2 : Liste des personnes ayant été interviewées lors des entretiens semi-directifs 47

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Qu’entend-on par « femme musulmane pratiquante » ?

Une « femme musulmane » n’est pas nécessairement « pratiquante ». Elle peut être croyante mais non pratiquante ; elle peut se considérer comme « d’origine » ou « de culture » musulmane. Dans une enquête de l’IFOP datant de 20113, figuraient quelques indications sur la proportion de « pratiquants » parmi la population de confession musulmane résidant en France. Ainsi 41% des musulmans interrogés se déclaraient « croyants et pratiquants », tandis que 34% se déclaraient simplement « croyants ». Les proportions étaient respectivement de 37% et 33% en région parisienne. L’enquête révélait en outre que, parmi les femmes, 43% déclaraient être croyantes et pratiquantes (32% se disaient simplement « croyante »). Dans la présente étude, nous avons souhaité connaître la manière dont ces femmes défi-nissent leur qualité de « musulmane pratiquante ».

A. Les définitions fournies par les salariées interrogées

Dans le cadre des entretiens semi-directifs, la question a été posée de ce qui ferait d’un musulman un « pratiquant ». Il ressort des définitions qui ont alors été proposées qu’au-delà des aspects pratiques et rituels, l’éthique et le compor-tement occupent une place décisive dans ce qui caractérise le « musulman pratiquant ».La pratique se trouve au cœur de la condition de musulman4; Samra déclare à ce sujet : « c’est très, très important pour moi. Je ne me sentirais pas musulmane si je ne pratiquais pas.» Samra, 32 ans, sage-femme.Pour Awa, l’islam c’est mettre en pratique les enseignements de la religion dans son ensemble : « C’est accepter l’islam dans son entièreté. S’imprégner de Dieu chaque jour, dans tout ce qu’on fait. Etre humble. Vraiment appliquer ce qu’on lit, ce qu’on apprend. Du moins essayer de s’y tenir et faire du mieux que l’on peut. Et se corriger avant de corriger les autres. » Awa, 38 ans, responsable adjointe d’un service comptable.La prière rituelle, deuxième des cinq piliers de l’islam, constitue un élément central de la pratique. « La prière, c’est la base. Après, c’est la pudeur au quotidien, dans l’apparence comme dans le comportement. Il y a aussi la pratique intérieure : sa relation avec Dieu, c’est quelque chose qu’on va entretenir le soir chez soi, en lisant, en méditant. Au quotidien, au travail, ce qui apparaît c’est le voile et le comportement avec les autres. On est censés avoir un bon comportement, ne pas mentir, ne pas tricher, ne pas arnaquer les gens, offrir un service client optimal, ne pas faire de médisance sur les collègues, être souriante, polie. » Fatiha, 23 ans, assistante RH. « C’est la prière qui fait toute la différence. Il y a aussi des choses à favoriser, comme le fait de pardonner, de mettre son orgueil de côté, de s’occuper de ses parents. Il y a aussi des choses à arrêter. La médisance, par exemple, c’est un péché vraiment énorme. Et Dieu sait qu’on peut être médisante, nous les femmes. [Rires] » Nelly, 22 ans, hôtesse d’accueil.Pour la majorité des salariées rencontrées, ce qui fait la pratiquante, c’est à la fois le respect des cinq piliers de l’islam et le bon comportement qui doit découler de l’application des préceptes religieux. « Être pratiquant, c’est respecter les cinq piliers de l’islam mais c’est aussi une question de cœur, d’humanité, par rapport aux personnes en face de toi, comment tu vas traiter les gens. Tu dois être douce, ne pas t’énerver, je pense que c’est le self-control qui fait le musulman, avec la patience et la capacité à pardonner. » Nadia, 39 ans, assistante de direction. « C’est assumer la chahada5, appliquer les cinq piliers. C’est primordial, c’est ce qui nous a été ordonné par Dieu. C’est aussi être respec-tueux, appliquer notre religion en tant que comportement. » Amel, 44 ans, assistante dentaire. « Outre accomplir les obligations rituelles, c’est également améliorer son comportement, trouver une certaine paix intérieure. Etre patiente dans les épreuves, ne pas se lamenter, tout ça. C’est plus un travail qui est fait de l’intérieur en fait. Combattre son ego, c’est ça le vrai djihâd6. » Nassima, 24 ans, psychologue. « C’est respecter les cinq piliers, s’attacher à avoir un

3 Ifop pour Marianne - Enquête auprès de la population d’origine musulmane - mars 2011

4 Musulman est la traduction du terme arabe muslim, celui qui accepte et se soumet au décret divin, et qui en retire la paix (salam) intérieure (islam et salam sont issus de la même racine : slm)

5 Chahada : profession de foi musulmane, premier des cinq piliers de l’islam

6 Djihâd : terme arabe qui signifie « effort », il est notamment utilisé pour désigner l’effort intérieur de chacun sur soi-même pour s’améliorer (la tradition islamique le désigne par le « grand djihâd », en le distinguant du « petit djihâd» qui désigne un effort contre un ennemi extérieur, et donc le combat, dans un contexte de guerre).

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Pratique religieuse en entreprise : des salariées musulmanes s’expriment - Introduction

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Qu’entend-on par « femme musulmane pratiquante » ?

Une « femme musulmane » n’est pas nécessairement « pratiquante ». Elle peut être croyante mais non pratiquante ; elle peut se considérer comme « d’origine » ou « de culture » musulmane. Dans une enquête de l’IFOP datant de 20113, figuraient quelques indications sur la proportion de « pratiquants » parmi la population de confession musulmane résidant en France. Ainsi 41% des musulmans interrogés se déclaraient « croyants et pratiquants », tandis que 34% se déclaraient simplement « croyants ». Les proportions étaient respectivement de 37% et 33% en région parisienne. L’enquête révélait en outre que, parmi les femmes, 43% déclaraient être croyantes et pratiquantes (32% se disaient simplement « croyante »). Dans la présente étude, nous avons souhaité connaître la manière dont ces femmes défi-nissent leur qualité de « musulmane pratiquante ».

A. Les définitions fournies par les salariées interrogées

Dans le cadre des entretiens semi-directifs, la question a été posée de ce qui ferait d’un musulman un « pratiquant ». Il ressort des définitions qui ont alors été proposées qu’au-delà des aspects pratiques et rituels, l’éthique et le compor-tement occupent une place décisive dans ce qui caractérise le « musulman pratiquant ».La pratique se trouve au cœur de la condition de musulman4; Samra déclare à ce sujet : « c’est très, très important pour moi. Je ne me sentirais pas musulmane si je ne pratiquais pas.» Samra, 32 ans, sage-femme.Pour Awa, l’islam c’est mettre en pratique les enseignements de la religion dans son ensemble : « C’est accepter l’islam dans son entièreté. S’imprégner de Dieu chaque jour, dans tout ce qu’on fait. Etre humble. Vraiment appliquer ce qu’on lit, ce qu’on apprend. Du moins essayer de s’y tenir et faire du mieux que l’on peut. Et se corriger avant de corriger les autres. » Awa, 38 ans, responsable adjointe d’un service comptable.La prière rituelle, deuxième des cinq piliers de l’islam, constitue un élément central de la pratique. « La prière, c’est la base. Après, c’est la pudeur au quotidien, dans l’apparence comme dans le comportement. Il y a aussi la pratique intérieure : sa relation avec Dieu, c’est quelque chose qu’on va entretenir le soir chez soi, en lisant, en méditant. Au quotidien, au travail, ce qui apparaît c’est le voile et le comportement avec les autres. On est censés avoir un bon comportement, ne pas mentir, ne pas tricher, ne pas arnaquer les gens, offrir un service client optimal, ne pas faire de médisance sur les collègues, être souriante, polie. » Fatiha, 23 ans, assistante RH. « C’est la prière qui fait toute la différence. Il y a aussi des choses à favoriser, comme le fait de pardonner, de mettre son orgueil de côté, de s’occuper de ses parents. Il y a aussi des choses à arrêter. La médisance, par exemple, c’est un péché vraiment énorme. Et Dieu sait qu’on peut être médisante, nous les femmes. [Rires] » Nelly, 22 ans, hôtesse d’accueil.Pour la majorité des salariées rencontrées, ce qui fait la pratiquante, c’est à la fois le respect des cinq piliers de l’islam et le bon comportement qui doit découler de l’application des préceptes religieux. « Être pratiquant, c’est respecter les cinq piliers de l’islam mais c’est aussi une question de cœur, d’humanité, par rapport aux personnes en face de toi, comment tu vas traiter les gens. Tu dois être douce, ne pas t’énerver, je pense que c’est le self-control qui fait le musulman, avec la patience et la capacité à pardonner. » Nadia, 39 ans, assistante de direction. « C’est assumer la chahada5, appliquer les cinq piliers. C’est primordial, c’est ce qui nous a été ordonné par Dieu. C’est aussi être respec-tueux, appliquer notre religion en tant que comportement. » Amel, 44 ans, assistante dentaire. « Outre accomplir les obligations rituelles, c’est également améliorer son comportement, trouver une certaine paix intérieure. Etre patiente dans les épreuves, ne pas se lamenter, tout ça. C’est plus un travail qui est fait de l’intérieur en fait. Combattre son ego, c’est ça le vrai djihâd6. » Nassima, 24 ans, psychologue. « C’est respecter les cinq piliers, s’attacher à avoir un

3 Ifop pour Marianne - Enquête auprès de la population d’origine musulmane - mars 2011

4 Musulman est la traduction du terme arabe muslim, celui qui accepte et se soumet au décret divin, et qui en retire la paix (salam) intérieure (islam et salam sont issus de la même racine : slm)

5 Chahada : profession de foi musulmane, premier des cinq piliers de l’islam

6 Djihâd : terme arabe qui signifie « effort », il est notamment utilisé pour désigner l’effort intérieur de chacun sur soi-même pour s’améliorer (la tradition islamique le désigne par le « grand djihâd », en le distinguant du « petit djihâd» qui désigne un effort contre un ennemi extérieur, et donc le combat, dans un contexte de guerre).

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Pratique religieuse en entreprise : des salariées musulmanes s’expriment - Introduction

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difficultés que cela poserait. « Moi je ne demande pas une salle, juste qu’on tolère le fait que je prie. » Naima, 25 ans, assistante de coordination.Elles revendiquent une tolérance à l’égard de leur pratique religieuse, d’autant plus qu’elles considèrent que la prière effectuée sur le temps de pause ne nuit pas à l’entreprise : « Je souhaite pouvoir prier pendant ma pause car cela ne dérange personne. Justement, être en pause, c’est le moment où chacun est libre de ses choix et de ses envies. » Nafouate, 22 ans, vendeuse en prêt-à-porter.

La prièreDans la religion musulmane, deux notions différentes sont rendues par le terme unique de « prière » en français. Il s’agit de la notion de dou’a (prière de demande, supplique), d’une part, et de la notion de salât (prière rituelle canonique, accomplie cinq fois par jour), d’autre part. Dans cette étude, il est question de la prière rituelle, l’un des cinq piliers de l’islam.Précisons que, parmi ces cinq prières quotidiennes, deux ou trois sont susceptibles d’être accomplies durant les horaires d’une journée de travail courante (voir encadré page 19).La prière rituelle est accomplie soit individuellement soit collectivement, mais cette dernière modalité est préférée dans la tradition islamique, lorsque les conditions le permettent. La prière du midi a, le vendredi, un statut particu-lier : à cette occasion, les fidèles sont appelés à se rassembler à la mosquée, pour y accomplir ce rite collective-ment (le rite incluant un sermon prononcé par l’imam).

Conscientes des réticences que la visibilité des pratiques religieuses suscite chez leurs responsables et collègues, certaines salariées préfèrent s’abstenir, malgré la frustration que cela peut engendrer chez elles : « Je sais que, dans le privé, j’ai le droit d’afficher mes pratiques. Mais je préfère rester discrète. » Amel, 44 ans, assistante dentaire. « Je souhaiterais pouvoir prier au travail, mais je rattrape mes prières en rentrant chez moi, au calme dans un environne-ment serein. » Michèle, 44 ans, agent de voyage. « Par rapport à la prière, je reste sur le côté légal de la chose en me disant que si je peux exploiter mes temps de pause je le ferai. En attendant, je les rattrape. Ça me fatigue, parfois j’ai la flemme de rattraper. Certains soirs, je vais faire comme en situation de voyage et les raccourcir : ne faire que deux unités de prières18. » Nabila, 27 ans, professeur de français langue étrangère (FLE).Le souci de respecter la légalité en mettant à profit les temps de pause pour la prière revient souvent dans les témoi-gnages. Mais la prière est parfois accomplie sans l’accord explicite de leur employeur, soit qu’il n’ait pas été consulté, soit qu’il n’ait pas accédé à une demande dans ce sens : « Je me permets de faire ma prière sur mes temps de pause. Mais personne ne le sait. » Imen, 26 ans, assistante commerciale. « Je la fais vraiment en cachette, très rapidement, comme si je commettais un petit crime en cachette. » Zeineb, 26 ans, ingénieur télécom et réseaux.Cette situation conduit les salariées interrogées à opter pour des lieux de prière pour le moins surprenants : « Je prie parfois dans une salle d’eau qui ferme à clé. » Sandra, 40 ans, agent bancaire. « Je fais la salât, en cachette. À l’heure de la prière, je monte les escaliers, et je me cache dans un réduit. C’est un endroit condamné, ce qui fait que personne ne peut venir. En guise de tapis, j’ai installé un sac en plastique... Il faudrait d’ailleurs que je le change. » Fadoua, 40 ans, assistante logistique. « La prière, avant, je la faisais dans un parc à côté de nos bureaux. A 14 heures, il était vide. Puis j’ai essayé dans le parking. C’est là... [rires] que je me suis souvenue que je n’avais pas de voiture et donc rien à y faire. » Awa, 38 ans, responsable adjointe d’un service comptable. Une salle de réunion, un local technique ou le véhicule personnel (dans ce dernier cas, la prière s’accomplit en position assise) ont également été évoqués.Les salariées pratiquantes aspirent à ce que leur pratique au travail se « banalise» et soit communément acceptée. « J’aimerais pouvoir faire ma prière sereinement, car les seules fois où je m’enfermais pour la faire, j’avais peur que quelqu’un ouvre la porte. J’aimerais pouvoir dire : ‘je vais faire ma prière, je reviens’. » Nabila, 27 ans, professeur de français langue étrangère (FLE).

18 Parmi les facilités prévues par la tradition islamique figure la possibilité de raccourcir le rituel de la prière, dans certaines conditions.

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plus bienveillant - j’ai une amie que le patron, juif, autorise à prier - je lâcherais mon poste. » Zahra, 47 ans, respon-sable comptable.L’imprégnation religieuse que vivent ces femmes s’exprime aussi dans la manière de concevoir leur place au travail et la valeur accordée à ce travail : elles se rendent au travail « au Nom de Dieu » et accomplissent leurs tâches en s’en remettant à Dieu. « Avant d’analyser un échantillon, je dis: ‘ Bismillah22 ’. Je travaille sur un médicament contre le can-cer. Ma collègue ne pense pas que ça va réussir et moi je me dis : ‘ J’espère, grâce à Dieu ’. Et si ça se concrétise, je sais que je m’écrierais : ‘ Hamdoulillah !23 ’ ». Rhizlaine, 23 ans, assistante ingénieur chimiste. « En arrivant au travail, je commence toujours par dire : ‘ au Nom de Dieu le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux ’. » Nafouate, 22 ans, vendeuse en prêt-à-porter.

2. L’importance accordée par les salariées à la pratique religieuse durant la journée de travail

A la question « vous paraît-il important de pouvoir pratiquer votre religion au travail ? », 60% du panel répondent que c’est « très important », 20% « assez important » et 20% également répondent « si cela est possible ». (Aucune n’a répondu « non, pas primordial » ou « non, pas important du tout »).Ces niveaux de réponse, bien qu’assez cohérents, puisque provenant de femmes se déclarant pratiquantes, connaissent néanmoins quelques variations en fonction de certains facteurs.Les réponses varient davantage en fonction de la situation matrimoniale, puisque les femmes célibataires déclarent plus nettement (67%) que les femmes mariées24 (53%) que la pratique religieuse est très importante pour elles. Près d’un quart (24%) des femmes mariées ne privilégient la pratique religieuse que lorsque « cela est possible » (contre 15% parmi les femmes célibataires).

60%20%

20% oui, très important

oui, assez important

si cela est possible

non, pas primordial

non, pas important du tout

0%

0%

Est-ce important pour vous de pouvoir pratiquer votre religion au travail ?

Cet écart est à mettre en lien avec le rapport que ces femmes entretiennent à l’emploi. En effet, si pour 27% des femmes célibataires, la raison principale pour laquelle elles travaillent est la « nécessité économique », cette raison est indiquée par 37% des femmes mariées. L’ « épanouissement personnel » est la première des raisons indiquées par les femmes célibataires (29%), ce qui démontre un niveau d’enjeu différent placé dans le travail et donc un niveau d’attente, voire d’exigence, différent en matière de pratiques religieuses.Si l’on considère le niveau de formation des femmes interrogées, on retrouve une nette différenciation. Plus le niveau de formation est élevé, moins la pratique religieuse au travail est vue comme « très importante ». Si 83% des per-sonnes sans formation ou ayant une formation professionnelle sans le bac considèrent la pratique religieuse au travail comme « très importante », elles ne sont plus que 55% lorsqu’elles ont un niveau Bac + 5 ou supérieur (elles sont 63%

22 « Au Nom de Dieu ».23 « Louange à Dieu ».24 Dans le cadre de cette étude, les quelques femmes qui ont déclaré vivre maritalement ont été inclues dans la catégorie « mariées ».

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plus bienveillant - j’ai une amie que le patron, juif, autorise à prier - je lâcherais mon poste. » Zahra, 47 ans, respon-sable comptable.L’imprégnation religieuse que vivent ces femmes s’exprime aussi dans la manière de concevoir leur place au travail et la valeur accordée à ce travail : elles se rendent au travail « au Nom de Dieu » et accomplissent leurs tâches en s’en remettant à Dieu. « Avant d’analyser un échantillon, je dis: ‘ Bismillah22 ’. Je travaille sur un médicament contre le can-cer. Ma collègue ne pense pas que ça va réussir et moi je me dis : ‘ J’espère, grâce à Dieu ’. Et si ça se concrétise, je sais que je m’écrierais : ‘ Hamdoulillah !23 ’ ». Rhizlaine, 23 ans, assistante ingénieur chimiste. « En arrivant au travail, je commence toujours par dire : ‘ au Nom de Dieu le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux ’. » Nafouate, 22 ans, vendeuse en prêt-à-porter.

2. L’importance accordée par les salariées à la pratique religieuse durant la journée de travail

A la question « vous paraît-il important de pouvoir pratiquer votre religion au travail ? », 60% du panel répondent que c’est « très important », 20% « assez important » et 20% également répondent « si cela est possible ». (Aucune n’a répondu « non, pas primordial » ou « non, pas important du tout »).Ces niveaux de réponse, bien qu’assez cohérents, puisque provenant de femmes se déclarant pratiquantes, connaissent néanmoins quelques variations en fonction de certains facteurs.Les réponses varient davantage en fonction de la situation matrimoniale, puisque les femmes célibataires déclarent plus nettement (67%) que les femmes mariées24 (53%) que la pratique religieuse est très importante pour elles. Près d’un quart (24%) des femmes mariées ne privilégient la pratique religieuse que lorsque « cela est possible » (contre 15% parmi les femmes célibataires).

60%20%

20% oui, très important

oui, assez important

si cela est possible

non, pas primordial

non, pas important du tout

0%

0%

Est-ce important pour vous de pouvoir pratiquer votre religion au travail ?

Cet écart est à mettre en lien avec le rapport que ces femmes entretiennent à l’emploi. En effet, si pour 27% des femmes célibataires, la raison principale pour laquelle elles travaillent est la « nécessité économique », cette raison est indiquée par 37% des femmes mariées. L’ « épanouissement personnel » est la première des raisons indiquées par les femmes célibataires (29%), ce qui démontre un niveau d’enjeu différent placé dans le travail et donc un niveau d’attente, voire d’exigence, différent en matière de pratiques religieuses.Si l’on considère le niveau de formation des femmes interrogées, on retrouve une nette différenciation. Plus le niveau de formation est élevé, moins la pratique religieuse au travail est vue comme « très importante ». Si 83% des per-sonnes sans formation ou ayant une formation professionnelle sans le bac considèrent la pratique religieuse au travail comme « très importante », elles ne sont plus que 55% lorsqu’elles ont un niveau Bac + 5 ou supérieur (elles sont 63%

22 « Au Nom de Dieu ».23 « Louange à Dieu ».24 Dans le cadre de cette étude, les quelques femmes qui ont déclaré vivre maritalement ont été inclues dans la catégorie « mariées ».

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Selon les salariées qui se sont exprimées sur le sujet, les pratiques religieuses ne nuisent ni au travail qui leur incombe, ni à la qualité de celui-ci. « Prier cinq minutes ou porter notre voile, ça reflète notre personne, notre identité et ça ne nuit à personne. En me parlant, on voit mes yeux, mon visage, mes expressions... Je ne vois pas en quoi ça dérange en fait. Cela ferait de moi une incapable ? Cela nuirait à mon travail ? » Nafouate, 22 ans, vendeuse en prêt-à-porter. « J’estime que c’est mon droit et que ça n’entrave pas ma fonction. Je ne revendique pas ma religion, je ne fais pas de prosélytisme. Le fait que je sois musulmane ne m’empêche donc pas de travailler. » Nabila, 27 ans, professeur de français langue étrangère.Les pratiques seraient même susceptibles de favoriser l’aptitude au travail. Le fait de pouvoir pratiquer sa religion favoriserait l’efficacité professionnelle, et donc la productivité. « La prière c’est quand même la base de la religion musulmane, c’est pour rester connectée à Dieu. J’aimerais qu’on m’autorise à le faire au travail pour être plus sereine, et être plus efficace dans mon travail. » Awa, 38 ans, responsable adjointe d’un service comptable. « La prière et le voile sont des obligations religieuses. Les respecter, c’est primordial pour que je me sente bien. Et si je me sens bien, je suis plus efficace, c’est logique. » Rachida, 28 ans, chargée de clientèle. « Je suis partie une année au Canada. Là-bas, ils sont hyper respectueux du fait religieux, j’avais la possibilité de prier, j’y ai pris goût. En rentrant, ça me paressait inconcevable de ne pas prier. Au Canada, c’est l’employeur lui-même qui propose une salle. Ils se sont rendu compte que l’employé était plus productif. Et la rentabilité c’est super important chez eux. » Sarah, 39 ans, cadre technique pour une chaîne de télévision. « Par rapport à la prière, c’est important quand on a le souci du bien-être du salarié et quand on croit aux bienfaits de cette pratique. C’est une façon de donner du temps au salarié pour qu’il puisse se ressourcer. Du point de vue de l’employeur, si c’est un moyen pour qu’il travaille bien et mieux, autant l’autoriser. » Nabila, 27 ans, professeur de français langue étrangère.

Pratique religieuse en entreprise : des salariées musulmanes s’expriment - Chapitre 1

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La réaction hiérarchique et le regard des collègues de travail

La religion (ou la religion musulmane en particulier) est un sujet souvent esquivé par les dirigeants et managers, comme s’ils voulaient que ce sujet n’eût jamais existé, semble-t-il. Afin d’éviter de le traiter, puisque c’est un sujet que l’entreprise ne sait pas gérer aujourd’hui, dans la majorité des cas, on l’occulte, on s’arrange pour qu’il ne se manifeste pas ou ne soit pas visible. « La question de la religion au travail, je n’ai pas peur de l’aborder avec mon supérieur. Mais c’est toujours la même chanson. Il me répond : ‘ c’est pas moi le grand patron ’. Il esquive le sujet, quoi. J’ai l’impres-sion que c’est tabou, qu’il ne faut pas l’embêter avec ça. » Linda, 30 ans, employée polyvalente dans la restauration. « Ma responsable m’a surprise à faire ma prière, un jour. Elle m’a dit qu’elle me laissait faire, mais que si quelqu’un de la direction l’apprenait, elle prétendrait n’être au courant de rien. » Fadoua, 40 ans, assistante logistique.

A. La réaction des employeurs aux pratiques religieuses

1. Degré d’ouverture des employeurs sur la religion au travail

Les salariées du panel ont été amenées à indiquer ce qu’elles percevaient de la posture de leur employeur quant à la religion au travail. Il leur a d’abord été demandé si leur employeur leur semblait ouvert à cette question, puis si effecti-vement il autorisait certaines pratiques religieuses.Selon les salariées, 34% des employeurs ne se montrent pas ouverts au dialogue sur la question des pratiques religieuses au travail. 20% se montreraient globalement assez ouverts et 12% très ouverts. 33% des employeurs font preuve d’une ouverture mais sur certains sujets spécifiques seulement.Globalement donc, un tiers des employeurs serait très ou assez ouvert sur la question du religieux, auxquels on peut ajouter un autre tiers, sélectivement ouvert à la question.

12%

20,50%

33%

34%

très ouvert

globalement assez ouvert

ouvert sur certains aspects seulement

pas du tout

Votre employeur est-il ouvert sur la question des pratiques religieuses au travail ?

Les réponses varient cependant en fonction de la taille de l’entreprise, celle-ci apparaissant comme un facteur inverse-ment proportionnel au degré d’ouverture des employeurs. Si 41% des dirigeants d’entreprises de plus de 1000 salariés

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La réaction hiérarchique et le regard des collègues de travail

La religion (ou la religion musulmane en particulier) est un sujet souvent esquivé par les dirigeants et managers, comme s’ils voulaient que ce sujet n’eût jamais existé, semble-t-il. Afin d’éviter de le traiter, puisque c’est un sujet que l’entreprise ne sait pas gérer aujourd’hui, dans la majorité des cas, on l’occulte, on s’arrange pour qu’il ne se manifeste pas ou ne soit pas visible. « La question de la religion au travail, je n’ai pas peur de l’aborder avec mon supérieur. Mais c’est toujours la même chanson. Il me répond : ‘ c’est pas moi le grand patron ’. Il esquive le sujet, quoi. J’ai l’impres-sion que c’est tabou, qu’il ne faut pas l’embêter avec ça. » Linda, 30 ans, employée polyvalente dans la restauration. « Ma responsable m’a surprise à faire ma prière, un jour. Elle m’a dit qu’elle me laissait faire, mais que si quelqu’un de la direction l’apprenait, elle prétendrait n’être au courant de rien. » Fadoua, 40 ans, assistante logistique.

A. La réaction des employeurs aux pratiques religieuses

1. Degré d’ouverture des employeurs sur la religion au travail

Les salariées du panel ont été amenées à indiquer ce qu’elles percevaient de la posture de leur employeur quant à la religion au travail. Il leur a d’abord été demandé si leur employeur leur semblait ouvert à cette question, puis si effecti-vement il autorisait certaines pratiques religieuses.Selon les salariées, 34% des employeurs ne se montrent pas ouverts au dialogue sur la question des pratiques religieuses au travail. 20% se montreraient globalement assez ouverts et 12% très ouverts. 33% des employeurs font preuve d’une ouverture mais sur certains sujets spécifiques seulement.Globalement donc, un tiers des employeurs serait très ou assez ouvert sur la question du religieux, auxquels on peut ajouter un autre tiers, sélectivement ouvert à la question.

12%

20,50%

33%

34%

très ouvert

globalement assez ouvert

ouvert sur certains aspects seulement

pas du tout

Votre employeur est-il ouvert sur la question des pratiques religieuses au travail ?

Les réponses varient cependant en fonction de la taille de l’entreprise, celle-ci apparaissant comme un facteur inverse-ment proportionnel au degré d’ouverture des employeurs. Si 41% des dirigeants d’entreprises de plus de 1000 salariés

02

27

Il n’en reste pas moins que ces réactions peuvent évoluer. Le témoignage de Fatiha, 23 ans, assistante RH, démontre que les efforts d’une salariée pour faire accepter sa différence peut conduire à un changement d’attitude : « En début de carrière, ma manager m’avait fait comprendre qu’elle était contre le voile et que c’était personnel. Ce n’était pas concevable, dans son éthique. Elle m’a regardée avec beaucoup de pitié, beaucoup de peine. Pour elle, c’était dom-mage de gâcher un potentiel pour un bout de tissu. Là j’avais trois choix : passer à autre chose, déposer plainte (car j’aurais pu, c’était clairement de la discrimination), ou enlever mon voile. Et j’ai choisi d’enlever mon voile, mais juste pour les suivantes. Je me suis dit : ‘ j’espère que Dieu me pardonnera, mais il faut que je le fasse, il faut que je montre à cette femme qu’une musulmane est une personne normale ’. Et quand je lui ai annoncé que j’acceptais, elle m’a dit : ‘ mais votre mari ? Il va être d’accord ? ’. Alors que je ne suis même pas mariée. C’est un sacrifice que j’ai fait, ça m’a coûté beaucoup, mais je ne regrette rien puisque ça a fonctionné : elle est venue à bout de ses préjugés. Maintenant, elle accepte les filles voilées dans son équipe. ».

B. La question du regard du client

Le principal argument évoqué par les managers et les employeurs, outre « nous sommes dans un pays laïc », est celui de la clientèle et de sa perception négative des signes religieux (islamiques en particulier). « Une autre raison, que je ne comprends pas forcément, c’est celui de l’avis de la clientèle. Je ne la comprends pas, mais c’est un fait. » Fatiha, 23 ans, assistante RH.La crainte de déplaire au client conduit les entreprises à s’interroger sur le recrutement de certaines candidates, voire à exclure l’embauche de candidates portant le foulard, en particulier en ce qui concerne les postes impliquant un contact direct avec le client. « Quand on reçoit une candidate voilée, le doute s’installe quant à son éventuel positionnement chez un client. » Imen, 26 ans, assistante commerciale. « Régulièrement, sur les refus d’embauche que j’ai eus, ce qui était mis en avant, c’est : ‘ ce n’est pas nous, ça ne nous pose aucun problème, mais pour les clients...’ » Nabila 27 ans, professeur de français langue étrangère.Il est vrai que les réactions négatives provenant de clients gênés par un signe religieux sont une réalité, à laquelle certaines entreprises font face. « Il m’arrive de me faire interpeller par des clients. Je me souviens d’un homme qui hurlait, en me montrant du doigt, que la France était perdue. Quand c’est comme ça, mon patron descend et apaise les choses. Il dit que s’il m’a embauchée, c’est pour mes compétences. » Fatima, 33 ans, responsable administratif.Certains témoignages montrent aussi que des clients peuvent se révéler plus ouverts et tolérants sur le sujet que des employeurs pourraient le penser. « Mon patron m’a dit que porter le hijab allait nuire à ma carrière. Petite précision : je travaille chez un client qui accepte que ses employées portent le voile. » Zeineb, 26 ans, ingénieur télécom et réseaux. « Il m’arrive d’aller dans d’autres entreprises, pour faire des livraisons, et de tomber sur des employés portant le voile, la kippa, le turban sikh même. Mais chez nous, non. Le patron a peur que ça donne une mauvaise image de la société. » Linda, 30 ans, employée polyvalente dans la restauration. « Dans plusieurs de mes missions, le client chez qui j’étais envoyée acceptait que l’on porte le voile, de façon très visible, et pas nécessairement en turban. » Lara, 31 ans, consultante.L’employeur n’est pas à l’abri d’une méprise sur l’avis de ses clients ainsi qu’en témoigne encore Lara, 31 ans, consul-tante : « Dans ma dernière mission, j’ai été amenée à faire des déplacements et pour moi il était hors de question que je prenne l’avion sans mon voile, donc j’avais mis un turban. Ma cliente, en me rejoignant à l’aéroport, n’a pas été surprise : elle m’a dit que comme elle me connaissait depuis plusieurs mois, elle était très à l’aise. Mais cela a été très mal perçu par mon employeur, qui m’a sortie de la mission en me reprochant un manque d’intégration dans l’équipe. Il était bien moins tolérant que la cliente. »

C. Le regard des collègues

Certaines salariées travaillent au sein d’entreprises ou d’équipes marquées par une grande diversité ; ce qui, comme cela a été évoqué précédemment, favorise l’acceptation par la hiérarchie et les collègues de la différence qui s’exprime sur le plan de la religiosité. « Je travaille avec un Chinois, un Libanais, un Juif, un Soudanais, une Grecque et une Ecossaise. Donc c’est super ouvert, il n’y a pas de préjugés : en plus, on est tous jeunes. » Rhizlaine, 23 ans, assistante

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ingénieur chimiste. « Je prie, sans l’accord de mes supérieurs, dans le local qui nous sert de vestiaire. C’est stressant, il y a beaucoup de monde, ce n’est pas facile de se concentrer. J’ai été surprise deux fois. La première, ma collègue ne savait pas quoi faire, de peur de me gêner. C’est une autre employée qui est intervenue pour lui dire : ‘ il ne faut juste pas que tu lui parles ’. La deuxième fois, la personne n’avait vraiment pas l’air contente que je prie, elle faisait exprès de faire du bruit. » Nelly, 22 ans, hôtesse d’accueil.Là encore, les entretiens ont révélé une variété de situations entre préjugés négatifs et acceptation bienveillante. Avec, toujours, la possibilité que la perception de l’autre évolue, lorsque la connaissance mutuelle s’approfondit.

1. Des préjugés...

Selon les propos recueillis, la société française porterait de réels préjugés sur la pratique religieuse, l’associant sou-vent à une forme de refus du progrès. Plus encore, la pratique de l’islam serait opposée à la modernité et à l’intégra-tion des musulmans croyants et pratiquants en France. « Une personne non pratiquante est vue comme moderne. Mais la personne pratiquante, sera vue comme ‘ arriérée ’. Alors que, quand on suit une religion, on se doit de pratiquer les principes de celle-ci au minimum. Dire qu’on ne pratique pas une religion, c’est comme dire : «je suis une fumeuse mais je ne fume pas». » Sandra, 40 ans, agent bancaire. « Il m’est arrivé de devoir partir en déplacement pour le travail, j’ai dû passer la nuit dans la même chambre qu’une collègue et elle a été choquée de me voir prier. » Nadia, 39 ans, assistante de direction.La question du foulard est particulièrement sensible et suscite de vives réactions. La personne qui porte le voile peut être confrontée à des regards et paroles déplaisantes, voire hostiles. « Je ne sais pas comment on réagirait si demain j’arrivais au travail avec mon foulard. J’en ai parlé avec mes collègues les plus proches. Quand je dis : «moi, si je pou-vais, je porterais le foulard», ça les choque. » Nadia, 39 ans, assistante de direction. « Quand on vous fait comprendre qu’on est déguisée, pas la bienvenue, c’est difficile. A l’étranger, on est davantage valorisées. Rester dans un pays où on ne nous aime pas, à un moment, c’est pesant. » Rachida, 28 ans, chargée de clientèle.Il est vrai que, dans l’esprit des non-musulmans, le sujet du foulard semble fortement lié à la question de la condition de la femme : malgré les déclarations des femmes musulmanes revendiquant leur libre choix de le porter ou non, l’idée persiste que cette pratique leur est imposée et démontre leur soumission à l’homme. « Il y a toujours quelques collègues «ultra- féministes», qui ne comprennent pas «ma tenue». Ce n’est qu’une minorité et elles n’ont jamais vraiment cherché à comprendre le pourquoi du comment. Je ne peux pas leur en vouloir, avec tout ce qu’on leur fait avaler à la télé. Et puis, aussi, j’avais la même vision qu’elles, à une époque pas si lointaine que ça. » Samra, 32 ans, sage-femme.

Pratique religieuse en entreprise : des salariées musulmanes s’expriment - Chapitre 2

30

Une compréhension claire de la règle

Si toutes les salariées interrogées ont montré leur connaissance du principe de laïcité, leur connaissance des dis-positions du droit du travail en matière de liberté religieuse est plus imprécise. Elles savent néanmoins que, dans le secteur privé28, les pratiques religieuses ne sont en principe pas interdites.

A. Entre connaissance du principe de laïcité et incompréhension quant à son application

Le concept de laïcité contenant les principes de liberté religieuse et de neutralité de l’Etat à l’égard des religions appa-raît bien assimilé par l’ensemble des salariées interrogées.Le principe de neutralité religieuse de l’Etat est bien placé au centre de la définition de la laïcité, qui n’est pas confon-due avec la sécularisation29. « La laïcité, c’est la neutralité de l’Etat dans un cadre où toutes les religions s’expriment. L’Etat n’a pas de religion, il est neutre, ne prend parti pour aucune. Laisser s’exprimer toutes les religions avec les mêmes droits, les mêmes devoirs. Pour moi c’est ça, maintenant si ça a changé... » Awa, 38 ans, responsable adjointe d’un service comptable. « La laïcité c’est la séparation de la religion et de l’Etat, peut-être, mais certainement pas du pratiquant et de sa religion ! » Samra, 32 ans, sage-femme.Les personnes interrogées associent très souvent la notion de laïcité avec celles de liberté et de respect. « La laïcité, comme je la comprends, c’est le respect des uns et des autres. Qu’on les laisse faire ce qu’ils veulent tout en veillant à ce que ça ne pose aucun danger pour les autres. » Khadija, 23 ans, chargée de diversité et de RH. « Pour moi, c’est laisser tout le monde pratiquer, sans qu’il y ait de prosélytisme. Laisser les gens avoir leurs convictions, tant qu’ils ne nuisent pas aux autres. La laïcité, ce n’est pas empêcher la religion. Ce n’est pas obliger les gens à devenir transpa-rents non plus. Moi je n’ai pas de problème avec la laïcité. Telle qu’elle a été conçue en tout cas. » Rachida, 28 ans, chargée de clientèle. « La laïcité, pour moi, c’est que chaque être humain est libre dans sa pratique et croyance reli-gieuse, dans le respect d’autrui et sans jugement. Selon moi, chacun est libre d’afficher ses croyances religieuses tant qu’il ne fait de mal à personne. On doit accepter l’autre tel qu’il est. » Nafouate, 22 ans, vendeuse en prêt-à-porter.L’acceptation de l’autre dans sa différence constitue un complément naturel du principe de laïcité pour nombre des personnes interrogées. « Pour moi la laïcité c’est, comme le dit la définition, pouvoir pratiquer sa religion en toute liber-té ! Donc on doit être libre de vouloir prier au moment de sa pause ou de fumer une cigarette par exemple, mais aussi de pouvoir porter un voile si on désire ne pas montrer ses cheveux pour être bien dans sa peau. Voilà ! La laïcité pour moi c’est d’accepter l’autre, quel qu’il soit. » Sandra, 40 ans, agent bancaire. Mais le sentiment prévaut que le principe de laïcité n’est pas compris ou appliqué aujourd’hui, tel qu’il a été pensé initialement. « La laïcité, c’est pouvoir avoir la liberté de pratiquer sans gêner les autres, qu’ils soient croyants ou non. En France, c’est bien compliqué car on est jugé. » Michèle, 44 ans, agent de voyage.La plupart des salariées interrogées mentionnent l’écart entre le concept d’origine de laïcité et l’application qui en est faite aujourd’hui. Cette dernière leur parait être orientée contre la religion, voire contre l’islam en particulier. Ainsi l’idée de laïcité leur paraît être utilisée pour réduire, voire éliminer la visibilité de la religion dans la société. Il est vrai que l’idée prévaut assez largement en France, notamment dans les medias, que, dans un contexte de laïcité, la religion doit être reléguée à la sphère privée.« Pour moi, la laïcité telle qu’on me l’avait expliquée à l’école, c’est la séparation de la religion (le culte) et de l’Etat : toute religion peut s’exercer tant qu’il n’y a pas de dérangement de l’autre. Aujourd’hui, la définition est moins large : ce que j’entends c’est qu’aucune religion ne doit être trop visible. Il y a les idéaux qu’on nous apprend à l’école, et puis, il y a la réalité. » Lara, 31 ans, consultante. « La laïcité, c’est le respect des religions et la liberté de pouvoir pratiquer sans que ça nuise à autrui. Normalement. Parce qu’aujourd’hui on nous impose une laïcité qui est synonyme d’absence de religion. Ils veulent qu’on soit incroyant. » Fatima, 33 ans, responsable administratif. « Pour moi, la laïcité est devenue

28 A l’exception du secteur privé assurant une mission de service public29 La sécularisation étant la séparation de l’individu (ou du groupe social) d’avec la religion. En se sécularisant l’individu se détache des réfé-rences religieuses pour conduire sa vie

une religion. Tout le monde se dit laïc pour cacher son manque de foi. » Imen, 26 ans, assistante commerciale.L’une des raisons pour laquelle le sens de la laïcité est faussé tiendrait, selon les interviewées, au fait que le concept est plus souvent présenté dans les médias par des non-croyants que par des croyants. « Aujourd’hui, on est sur une laïcité qui dépasse les champs du service public. Il y a un consensus où l’on dit que la laïcité, c’est le fait de ne pas parler de sa religion. On est en train de dire que, si tu crois, t’es dans la croyance, pas dans la science, pas dans le progrès. Tout est connotation et tout le monde se comprend dans du non-dit. Aujourd’hui on laisse les gens parler à la place des autres, il y a des représentants qui théorisent. Aujourd’hui, médias, intellectuels, représentants utilisent ce terme d’une façon qui dessert ceux qui ont envie de croire. Du coup ceux qui croient restent entre eux, ceux qui ne croient pas restent entre eux. » Nabila, 27 ans, professeur de français langue étrangère.Enfin, la laïcité tend à être perçue par les musulmanes comme un instrument utilisé spécialement contre l’islam. « Ce qu’on m’a toujours enseigné, c’est que la laïcité c’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui a eu lieu en 1905 et qui fait que l’Etat français accepte toutes les religions et assure une certaine liberté de culte à ses citoyens. Mais là, mal-heureusement, on s’en sert pour faire des lois qui sont contre les musulmans. Pour mettre des bâtons dans les roues des musulmans, on sort des lois qui, pour dire les choses, nous rendent malheureux. Il faudrait qu’on redonne la vraie définition de la laïcité à ces politiciens qui l’utilisent de travers. C’est un racisme d’Etat, le peuple français entier n’est pas raciste. Des tas de gens non musulmans m’acceptent comme je suis et ça, c’est formidable, ça donne de l’espoir. » Nassima, 24 ans, psychologue.

B. Une connaissance plus imprécise du droit du travail

Rares sont les salariées interrogées qui connaissent précisément les dispositions du Code du travail, mais elles savent toutes que la laïcité (la neutralité religieuse) ne s’applique pas dans l’entreprise ; et que c’est le principe de la liberté religieuse qui prévaut (avec certaines limitations).Certaines d’entre elles, à l’instar de Fatiha et de Zeineb, savent être précises à ce sujet : « Les règlements intérieurs imposent une certaine neutralité mais ce n’est jamais très explicite. Et quand on connaît un peu le droit, on sait qu’il y a une hiérarchie des sources juridiques, que c’est le Code du travail qui prime et qu’il suffit d’y recourir pour faire valoir son droit. On m’a déjà présenté une « Charte de la laïcité » éditée par l’entreprise. Mais, avec mes connaissances minimes en droit, je sais que ça n’a aucune valeur juridique. On promeut une certaine neutralité mais c’est une idée, pas une norme. » Fatiha, 23 ans, assistante RH. « Ce que dit le droit du travail : une entreprise ne peut pas t’interdire de pratiquer. Il faudrait que ça nuise à l’hygiène et/ou à la sécurité et que ce soit vraiment justifié. Le fait qu’on me dise que c’est bloquant pour ma carrière que je porte le voile, c’est carrément de la discrimination. » Zeineb, 26 ans, ingénieur télécom et réseaux.Elles savent notamment qu’elles ont en théorie une grande liberté d’activité durant les pauses prévues durant la jour-née de travail. « Mon patron ne peut m’interdire la prière si je la fais pendant ma pause. Il y a des gens qui partent cinq minutes fumer, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas faire ce que je veux pendant mes cinq minutes de pause. » Zeineb, 26 ans, ingénieur télécom et réseaux.Les femmes interrogées savent que la liberté religieuse prévaut dans le droit du travail. Elles semblent aussi connaître, sans toutefois la citer, la Convention Européenne des Droits de l’Homme30. « Je sais qu’en droit, dans le secteur privé, j’ai le droit d’afficher mes pratiques. » Amel, 44 ans, assistante dentaire. « On a le droit de pratiquer tant que ça ne nuit pas aux autres. Le ‘ nuit pas aux autres ’ me pose problème. Parce c’est facile de mal interpréter. Par exemple, quelqu’un à qui mon voile pose problème va considérer que ma pratique lui nuit. » Rhizlaine, 23 ans, assistante ingé-nieur chimiste.Finalement, un sentiment se dégage de ces entretiens : celui que le Code du travail et les droits de ces salariées seraient souvent bafoués à leurs yeux. « Concrètement, dans le Code du travail, il n’y a écrit nulle part qu’on n’a pas le droit de porter le voile en entreprise. Du coup, quand je vois des filles qui font le sacrifice de l’enlever, ou le sacrifice de ne pas travailler, je ne comprends pas. Pourquoi on dort ? C’est un droit qui est bafoué. » Fatiha, 23 ans, assistante RH.

30 Et notamment son article 9.

Pratique religieuse en entreprise : des salariées musulmanes s’expriment - Chapitre 3

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Une compréhension claire de la règle

Si toutes les salariées interrogées ont montré leur connaissance du principe de laïcité, leur connaissance des dis-positions du droit du travail en matière de liberté religieuse est plus imprécise. Elles savent néanmoins que, dans le secteur privé28, les pratiques religieuses ne sont en principe pas interdites.

A. Entre connaissance du principe de laïcité et incompréhension quant à son application

Le concept de laïcité contenant les principes de liberté religieuse et de neutralité de l’Etat à l’égard des religions appa-raît bien assimilé par l’ensemble des salariées interrogées.Le principe de neutralité religieuse de l’Etat est bien placé au centre de la définition de la laïcité, qui n’est pas confon-due avec la sécularisation29. « La laïcité, c’est la neutralité de l’Etat dans un cadre où toutes les religions s’expriment. L’Etat n’a pas de religion, il est neutre, ne prend parti pour aucune. Laisser s’exprimer toutes les religions avec les mêmes droits, les mêmes devoirs. Pour moi c’est ça, maintenant si ça a changé... » Awa, 38 ans, responsable adjointe d’un service comptable. « La laïcité c’est la séparation de la religion et de l’Etat, peut-être, mais certainement pas du pratiquant et de sa religion ! » Samra, 32 ans, sage-femme.Les personnes interrogées associent très souvent la notion de laïcité avec celles de liberté et de respect. « La laïcité, comme je la comprends, c’est le respect des uns et des autres. Qu’on les laisse faire ce qu’ils veulent tout en veillant à ce que ça ne pose aucun danger pour les autres. » Khadija, 23 ans, chargée de diversité et de RH. « Pour moi, c’est laisser tout le monde pratiquer, sans qu’il y ait de prosélytisme. Laisser les gens avoir leurs convictions, tant qu’ils ne nuisent pas aux autres. La laïcité, ce n’est pas empêcher la religion. Ce n’est pas obliger les gens à devenir transpa-rents non plus. Moi je n’ai pas de problème avec la laïcité. Telle qu’elle a été conçue en tout cas. » Rachida, 28 ans, chargée de clientèle. « La laïcité, pour moi, c’est que chaque être humain est libre dans sa pratique et croyance reli-gieuse, dans le respect d’autrui et sans jugement. Selon moi, chacun est libre d’afficher ses croyances religieuses tant qu’il ne fait de mal à personne. On doit accepter l’autre tel qu’il est. » Nafouate, 22 ans, vendeuse en prêt-à-porter.L’acceptation de l’autre dans sa différence constitue un complément naturel du principe de laïcité pour nombre des personnes interrogées. « Pour moi la laïcité c’est, comme le dit la définition, pouvoir pratiquer sa religion en toute liber-té ! Donc on doit être libre de vouloir prier au moment de sa pause ou de fumer une cigarette par exemple, mais aussi de pouvoir porter un voile si on désire ne pas montrer ses cheveux pour être bien dans sa peau. Voilà ! La laïcité pour moi c’est d’accepter l’autre, quel qu’il soit. » Sandra, 40 ans, agent bancaire. Mais le sentiment prévaut que le principe de laïcité n’est pas compris ou appliqué aujourd’hui, tel qu’il a été pensé initialement. « La laïcité, c’est pouvoir avoir la liberté de pratiquer sans gêner les autres, qu’ils soient croyants ou non. En France, c’est bien compliqué car on est jugé. » Michèle, 44 ans, agent de voyage.La plupart des salariées interrogées mentionnent l’écart entre le concept d’origine de laïcité et l’application qui en est faite aujourd’hui. Cette dernière leur parait être orientée contre la religion, voire contre l’islam en particulier. Ainsi l’idée de laïcité leur paraît être utilisée pour réduire, voire éliminer la visibilité de la religion dans la société. Il est vrai que l’idée prévaut assez largement en France, notamment dans les medias, que, dans un contexte de laïcité, la religion doit être reléguée à la sphère privée.« Pour moi, la laïcité telle qu’on me l’avait expliquée à l’école, c’est la séparation de la religion (le culte) et de l’Etat : toute religion peut s’exercer tant qu’il n’y a pas de dérangement de l’autre. Aujourd’hui, la définition est moins large : ce que j’entends c’est qu’aucune religion ne doit être trop visible. Il y a les idéaux qu’on nous apprend à l’école, et puis, il y a la réalité. » Lara, 31 ans, consultante. « La laïcité, c’est le respect des religions et la liberté de pouvoir pratiquer sans que ça nuise à autrui. Normalement. Parce qu’aujourd’hui on nous impose une laïcité qui est synonyme d’absence de religion. Ils veulent qu’on soit incroyant. » Fatima, 33 ans, responsable administratif. « Pour moi, la laïcité est devenue

28 A l’exception du secteur privé assurant une mission de service public29 La sécularisation étant la séparation de l’individu (ou du groupe social) d’avec la religion. En se sécularisant l’individu se détache des réfé-rences religieuses pour conduire sa vie

une religion. Tout le monde se dit laïc pour cacher son manque de foi. » Imen, 26 ans, assistante commerciale.L’une des raisons pour laquelle le sens de la laïcité est faussé tiendrait, selon les interviewées, au fait que le concept est plus souvent présenté dans les médias par des non-croyants que par des croyants. « Aujourd’hui, on est sur une laïcité qui dépasse les champs du service public. Il y a un consensus où l’on dit que la laïcité, c’est le fait de ne pas parler de sa religion. On est en train de dire que, si tu crois, t’es dans la croyance, pas dans la science, pas dans le progrès. Tout est connotation et tout le monde se comprend dans du non-dit. Aujourd’hui on laisse les gens parler à la place des autres, il y a des représentants qui théorisent. Aujourd’hui, médias, intellectuels, représentants utilisent ce terme d’une façon qui dessert ceux qui ont envie de croire. Du coup ceux qui croient restent entre eux, ceux qui ne croient pas restent entre eux. » Nabila, 27 ans, professeur de français langue étrangère.Enfin, la laïcité tend à être perçue par les musulmanes comme un instrument utilisé spécialement contre l’islam. « Ce qu’on m’a toujours enseigné, c’est que la laïcité c’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui a eu lieu en 1905 et qui fait que l’Etat français accepte toutes les religions et assure une certaine liberté de culte à ses citoyens. Mais là, mal-heureusement, on s’en sert pour faire des lois qui sont contre les musulmans. Pour mettre des bâtons dans les roues des musulmans, on sort des lois qui, pour dire les choses, nous rendent malheureux. Il faudrait qu’on redonne la vraie définition de la laïcité à ces politiciens qui l’utilisent de travers. C’est un racisme d’Etat, le peuple français entier n’est pas raciste. Des tas de gens non musulmans m’acceptent comme je suis et ça, c’est formidable, ça donne de l’espoir. » Nassima, 24 ans, psychologue.

B. Une connaissance plus imprécise du droit du travail

Rares sont les salariées interrogées qui connaissent précisément les dispositions du Code du travail, mais elles savent toutes que la laïcité (la neutralité religieuse) ne s’applique pas dans l’entreprise ; et que c’est le principe de la liberté religieuse qui prévaut (avec certaines limitations).Certaines d’entre elles, à l’instar de Fatiha et de Zeineb, savent être précises à ce sujet : « Les règlements intérieurs imposent une certaine neutralité mais ce n’est jamais très explicite. Et quand on connaît un peu le droit, on sait qu’il y a une hiérarchie des sources juridiques, que c’est le Code du travail qui prime et qu’il suffit d’y recourir pour faire valoir son droit. On m’a déjà présenté une « Charte de la laïcité » éditée par l’entreprise. Mais, avec mes connaissances minimes en droit, je sais que ça n’a aucune valeur juridique. On promeut une certaine neutralité mais c’est une idée, pas une norme. » Fatiha, 23 ans, assistante RH. « Ce que dit le droit du travail : une entreprise ne peut pas t’interdire de pratiquer. Il faudrait que ça nuise à l’hygiène et/ou à la sécurité et que ce soit vraiment justifié. Le fait qu’on me dise que c’est bloquant pour ma carrière que je porte le voile, c’est carrément de la discrimination. » Zeineb, 26 ans, ingénieur télécom et réseaux.Elles savent notamment qu’elles ont en théorie une grande liberté d’activité durant les pauses prévues durant la jour-née de travail. « Mon patron ne peut m’interdire la prière si je la fais pendant ma pause. Il y a des gens qui partent cinq minutes fumer, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas faire ce que je veux pendant mes cinq minutes de pause. » Zeineb, 26 ans, ingénieur télécom et réseaux.Les femmes interrogées savent que la liberté religieuse prévaut dans le droit du travail. Elles semblent aussi connaître, sans toutefois la citer, la Convention Européenne des Droits de l’Homme30. « Je sais qu’en droit, dans le secteur privé, j’ai le droit d’afficher mes pratiques. » Amel, 44 ans, assistante dentaire. « On a le droit de pratiquer tant que ça ne nuit pas aux autres. Le ‘ nuit pas aux autres ’ me pose problème. Parce c’est facile de mal interpréter. Par exemple, quelqu’un à qui mon voile pose problème va considérer que ma pratique lui nuit. » Rhizlaine, 23 ans, assistante ingé-nieur chimiste.Finalement, un sentiment se dégage de ces entretiens : celui que le Code du travail et les droits de ces salariées seraient souvent bafoués à leurs yeux. « Concrètement, dans le Code du travail, il n’y a écrit nulle part qu’on n’a pas le droit de porter le voile en entreprise. Du coup, quand je vois des filles qui font le sacrifice de l’enlever, ou le sacrifice de ne pas travailler, je ne comprends pas. Pourquoi on dort ? C’est un droit qui est bafoué. » Fatiha, 23 ans, assistante RH.

30 Et notamment son article 9.

Pratique religieuse en entreprise : des salariées musulmanes s’expriment - Chapitre 3

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CDD et intérim. Les premières sont 29% à formuler une demande, les secondes, 40%. Il semble en outre que les salariées ayant peu d’ancienneté dans l’entreprise aient davantage de propension à formu-ler une demande (37% des salariées ayant moins d’1 an et de 1 à 2 ans d’ancienneté) que celles ayant davantage d’ancienneté : 23% ont formulé une demande parmi celles qui ont 3 à 5 ans d’ancienneté et 28% parmi celles qui ont plus de 5 ans de présence dans l’entreprise. Dans la majorité des cas (69%), les salariées s’adressent à leur responsable direct (manager, chef d’équipe,...) pour soumettre leurs demandes. Elles sont très rarement formulées (9%) auprès des instances représentatives du person-nel (IRP).

Interlocuteur auprès duquel sont formulées les demandes

Responsable direct

Direction générale

DRH ou RRH

Représentant du personnel ou syndical

69%

27%

21%

9%

Les demandes sont formulées auprès de la direction générale dans les petites entreprises principalement (48% de salariées des entreprises de moins de 100 salariés s’adressent à la direction générale). Les demandes directes à la direction générale ne sont citées que dans 15% des cas dans les entreprises de 100 à 1000 salariés et dans 8% des cas lorsque l’effectif est supérieur à 1000 salariés.Le recours à la DRH ou au RRH se retrouve surtout dans les entreprises de plus de 1000 salariés (31% des demandes) ; c’est aussi dans les plus grandes entreprises que les salariées s’adressent très majoritairement à leur manager direct (81% dans les entreprises de plus de 1000 salariés).C’est dans les entreprises moyennes (effectifs de 100 à 1000) que les IRP sont les plus sollicitées (à hauteur de 15%), contre 3% dans les entreprises de moins de 100 salariés et 8% dans celles de plus de 1000 salariés. On retrouve une plus forte tendance à s’adresser aux IRP parmi les salariées ayant une ancienneté de plus de 5 ans dans l’entreprise (19% formulent leur demande aux IRP, contre 3 à 6% pour les tranches d’ancienneté inférieures à 5 ans).Les réponses des salariées au questionnaire révèlent que c’est l’autorisation du port du foulard qui constitue l’objet principal des demandes (cité dans 46% des réponses). Puis apparaissent les demandes de jours de congés pour fête religieuse (38%) dont l’occurrence pourrait être impactée par le fait qu’un salarié n’a pas l’obligation d’indiquer le motif de sa demande de congé.

Nature des demandes formulées par les salariées à leur employeur

Port du hijab (voile)

Aménagement d’horaire pendant le Ramadan

Lieu de culte mis à disposition

Congés pour fêtes religieuses

Prière rituelle (pendant la pause)

46%

38%

28%

18%

6%

Page 13: Etude Inagora 2015 - EXTRAITS - pratique religieuse en entreprise - salariées musulmanes

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CDD et intérim. Les premières sont 29% à formuler une demande, les secondes, 40%. Il semble en outre que les salariées ayant peu d’ancienneté dans l’entreprise aient davantage de propension à formu-ler une demande (37% des salariées ayant moins d’1 an et de 1 à 2 ans d’ancienneté) que celles ayant davantage d’ancienneté : 23% ont formulé une demande parmi celles qui ont 3 à 5 ans d’ancienneté et 28% parmi celles qui ont plus de 5 ans de présence dans l’entreprise. Dans la majorité des cas (69%), les salariées s’adressent à leur responsable direct (manager, chef d’équipe,...) pour soumettre leurs demandes. Elles sont très rarement formulées (9%) auprès des instances représentatives du person-nel (IRP).

Interlocuteur auprès duquel sont formulées les demandes

Responsable direct

Direction générale

DRH ou RRH

Représentant du personnel ou syndical

69%

27%

21%

9%

Les demandes sont formulées auprès de la direction générale dans les petites entreprises principalement (48% de salariées des entreprises de moins de 100 salariés s’adressent à la direction générale). Les demandes directes à la direction générale ne sont citées que dans 15% des cas dans les entreprises de 100 à 1000 salariés et dans 8% des cas lorsque l’effectif est supérieur à 1000 salariés.Le recours à la DRH ou au RRH se retrouve surtout dans les entreprises de plus de 1000 salariés (31% des demandes) ; c’est aussi dans les plus grandes entreprises que les salariées s’adressent très majoritairement à leur manager direct (81% dans les entreprises de plus de 1000 salariés).C’est dans les entreprises moyennes (effectifs de 100 à 1000) que les IRP sont les plus sollicitées (à hauteur de 15%), contre 3% dans les entreprises de moins de 100 salariés et 8% dans celles de plus de 1000 salariés. On retrouve une plus forte tendance à s’adresser aux IRP parmi les salariées ayant une ancienneté de plus de 5 ans dans l’entreprise (19% formulent leur demande aux IRP, contre 3 à 6% pour les tranches d’ancienneté inférieures à 5 ans).Les réponses des salariées au questionnaire révèlent que c’est l’autorisation du port du foulard qui constitue l’objet principal des demandes (cité dans 46% des réponses). Puis apparaissent les demandes de jours de congés pour fête religieuse (38%) dont l’occurrence pourrait être impactée par le fait qu’un salarié n’a pas l’obligation d’indiquer le motif de sa demande de congé.

Nature des demandes formulées par les salariées à leur employeur

Port du hijab (voile)

Aménagement d’horaire pendant le Ramadan

Lieu de culte mis à disposition

Congés pour fêtes religieuses

Prière rituelle (pendant la pause)

46%

38%

28%

18%

6%

41

2. Pays de naissance, origine des parents

La grande majorité (83,5%) des réponses émanent de femmes nées en France. Les personnes ayant déclaré ne pas être nées en France sont originaires du Maghreb principalement (Maroc : 8%, Algérie : 4,4%, Tunisie : 1,6%).Pour 16% des répondantes, la mère est née en France et, pour 14% d’entre elles, le père est né en France.

Pays de naissance des répondantes

83,5%

4,4%

8%

2,4% 1,6%

Tunisie

Maroc

Algérie

France

Autres

Dans 68% des cas le père et la mère des répondantes sont nés au Maghreb (au Maroc pour une petite moitié d’entre eux, en Algérie pour un gros tiers d’entre eux et en Tunisie). Dans 11 à 12% des cas le père et la mère des répon-dantes sont nés en Afrique Sub-saharienne (de l’Ouest principalement).

3. Religion (des parents, religion d’éducation, rites, shaykh suivi...)

86% des femmes interrogées ont été élevées dans la religion musulmane. 85% d’entre elles sont nées d’un père musulman et 84% sont nées d’une mère musulmane.6% des femmes interrogées ont été éduquées dans le christianisme et 8% ont reçu une éducation sans référence religieuse.Les mères des répondantes sont dans 8% des cas de confession chrétienne et dans 6% des cas sans confession. Les pères, quant à eux, sont chrétiens dans 6% des cas, et sans confession dans 6,5% des cas.L’étude s’est aussi intéressée au rite de l’islam35 pratiqué par les femmes interrogées et dans lequel elles ont été élevées. La grande majorité des musulmans vivant en France étant issus de l’Afrique du Nord et de l’Afrique Sub-sa-harienne de l’Ouest, l’école juridique qui préside à leur pratique de l’islam est le rite malékite36.Si 99,5% des répondantes sont sunnites (et 0,5% chiites), pourtant seules 43% ont déclaré avoir été élevées dans le rite malékite. Certaines ont affirmé avoir été éduquées dans d’autres rites du sunnisme (hanafite : 2%, shâfi’ite : 1% et hanbalite : 0,5%). 19% d’entre elles ont indiqué n’avoir été éduquées selon aucun rite en particulier et un tiers concèdent ne pas savoir exactement (en répondant « ne sais pas » ou « rite sunnite »).

35 Il existe principalement quatre rites ou écoles juridiques en islam (hanafite, malékite, shâfi’ite et hanbalite), chacune ayant développé une méthode jurisprudentielle et un ensemble d’avis (fatwa) concernant principalement la manière de mettre en application les principes contenus dans la Chari’a (Loi divine).36 Ecole juridique liée à son fondateur l’imam Malik, la plus répandue en Afrique du Nord et de l’Ouest.