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Empire et métissages Indiens et Français dans le Pays d’en Haut 1660-1715 Gilles Havard septentrion Presses de l’Université de Paris-Sorbonne Extrait de la publication

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Empireet métissagesIndiens et Français dans le Pays d’en Haut

1660-1715

Gilles Havard

septentrionPresses de l’Université de Paris-Sorbonne

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Gilles Havard

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septentrion

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Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de développementdes entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition,ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres.Nous reconnaissons également l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Pro-gramme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Illustration de la couverture : Détails de peaux de bison peintes (Musée de l’Homme).

Révision : Solange Deschênes

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France

Dépôt légal – 1er trimestre 2003Bibliothèque nationale du QuébecISBN 2-89448-321-X

Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne des sciences humaines, deconcert avec le Programme d'aide à l'édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil derecherches en sciences humaines du Canada.

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remerciements

De nombreuses personnes ont contribué, directement ou indirectement,à l’existence de cet ouvrage. Je tiens d’abord à exprimer mon extrême

reconnaissance à Denys Delâge, pour m’avoir initié à l’histoire amérindiennequand il dirigeait mon mémoire de maîtrise à l’Université Laval (Québec) en1989, et pour son constant soutien depuis ; à Elise Marienstras, pour ses con-seils prodigués pendant de longues années de recherche, pour sa disponibilitéet sa gentillesse ; à Emmanuel Désveaux enfin qui, lors de ses séminairesd’ethnologie nord-américaine à l’EHESS ou de discussions informelles, m’adonné le goût de l’anthropologie. J’aimerais aussi remercier particulièrementAlain Beaulieu, mais également Cornelius J. Jaenen, Philippe Jacquin, DenisVaugeois, Joseph Zitomersky et, pour leurs concours divers, Catherine Broué,Josée Lalancette, Lina Gouger, Marine Le Puloch, Véronique Pépin, SylvieSavoie, Suzanne B. Sommerville, Francis Back, Arnaud Balvay, LucienBély, Claude Beaudoin, Guillaume Binns, Guillaume Boccara, Allan Greer,Dominique Guillo, Laurent Guitton, Jean Heffer, Gilles Herman, ChristopheHorguelin, Jacques Mathieu, Jean Piel, Stephan Risdorfer, Jean-PierreSawaya, Pascal Severac, Pierre-Alain Trichet, Laurier Turgeon, Thomas Wien,sans oublier Hafida Lemghairbat et Charlotte Jacqmin. Je voudrais enfin mar-quer ma gratitude envers ma famille, et tout spécialement ma sœur Calissia,pour avoir assumé avec rigueur et patience (avec amour !) le travail derelecture.

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abréviations

CHR : Canadian Historical ReviewCSHSW : Collections of the State Historical Society of WisconsinDBC : Dictionnaire biographique du CanadaHNAI : Handbook of North American IndiansIHC : Illinois Historical Collections (vol. 23)JAH : Journal of American HistoryJSA : Journal de la Société des américanistesJR : Jesuit RelationsRAQ : Recherches amérindiennes au QuébecRHAF : Revue d’histoire de l’Amérique françaiseWMQ : William & Mary Quarterly

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introduction

Àpartir des années 1660-1670, au moment même où la métropole prenden main les destinées de la Nouvelle-France, quelques centaines de

Français (coureurs de bois, missionnaires et militaires) sillonnent puisoccupent l’ensemble des Grands Lacs, scellant des alliances avec de nombreuxgroupes autochtones et établissant un réseau de comptoirs, de missions et deforts. Essentiellement fondée sur la traite des fourrures, cette expansion prenaitracine dans un rêve d’empire dont un père récollet s’est explicitement faitl’écho : acteur de l’expansion, il y voyait le moyen de « former le plus grandEmpire du monde1 ». L’espace couvert, qui enjambe aujourd’hui le Canada etles États-Unis, constituait aux xviie et xviiie siècles un territoire à part entière :les colons de la Nouvelle-France le dénommaient « Pays d’en Haut ». Centre dumonde de plusieurs dizaines de milliers d’Amérindiens, ce « pays » représentaitpour les Français un finisterre, une contrée sauvage et reculée, en marge de la« civilisation ». Le baron de Lahontan, sur le point de gagner en canot le cœurdes Grands Lacs, rend compte dans une lettre datée de 1687 de cette impressionfascinée d’extrémité géographique : « au lieu de passer en France comme jevous l’écrivis il y a deux mois, il faut que j’aille au bout du monde2 ».

À cette date, l’expansion française dans l’intérieur du continent avait diviséle Canada en deux sections géographiques : ce que nous appellerons le Paysd’en Bas d’une part, c’est-à-dire la vallée du Saint-Laurent, où se concentrait lapopulation coloniale, et le Pays d’en Haut de l’autre. Celui-ci n’avait au vraiaucune existence officielle. Les provisions octroyées en 1682 par le roi au sieurLa Barre en témoignent, qui font de ce dernier le « gouverneur & lieutenantgeneral en Canada, Acadie et Isle de Terreneuve, et autres pays de la Franceseptentrionale ». Un auteur anonyme, qui dresse en 1705 le tableau géogra-phique de la « Nouvelle-France », écrit de son côté que « les pays habitez etpossedez par les françois sont le Canada, l’acadie, la louisiane, la Baye d’Hud-son et l’ile de Terreneuve »3. Nulle mention, dans ces descriptifs, du « Pays d’enHaut » : en 1682, il semble être inclus par le roi dans les « autres pays de la

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France septentrionale [Nouvelle-France] », sinon leur correspondre ; en 1705, ilrelève implicitement du Canada, qui comprend aussi, outre la zone lauren-tienne, le Labrador et le Domaine du roi (bassin du Saguenay et du lac Saint-Jean)4. Jusqu’à la fin du Régime français, en effet, ce territoire n’eut pas d’admi-nistration de type provincial (gouverneur, intendant, etc.) comparable à celledu Canada laurentien, de l’Acadie et de la Louisiane. Pourtant, commel’attestent maints documents, il était doté d’une forte « personnalité » territo-riale et possédait une existence économique, politique et culturelle propre ausein de l’empire français. « Tout ce Pays d’En Haut a besoin de réforme »s’exclamait un père jésuite en 17015. Cette appellation, qui traverse les lettres etles mémoires de la correspondance coloniale, a vraisemblablement été em-pruntée au langage populaire : c’est en remontant les cours d’eau à partir deMontréal, l’« icy bas », que les voyageurs atteignaient ce « pays d’amont » ou« haut pays »6. L’expression fut d’abord couchée sur papier par les pères jésuites,qui parlent dès 1658 des « païs superieurs » et des « Algonquins des païs plushauts », puis dix ans plus tard des « Missions d’en haut » et des « sauvages d’enhaut ». Elle fut consacrée par l’usage dans les années 1680-1690 (« icy hault »,« forts d’en hault », « le pais d’en haut », « les Pays d’en Haut », « la colonie d’enhaut », etc.) lorsque, grâce à l’occupation française et à l’élargissement del’alliance franco-amérindienne, ce territoire prit corps dans les représentationscoloniales comme dans la géographie sociale de l’Amérique du Nord7.L’utilisation du singulier (« le pays... ») manifeste au mieux l’identité originalede ce territoire qui, s’il n’était pas perçu par les colons de manière uniforme(espace à exploiter, pays de mission, ou bien refuge et terre de liberté...),possédait une unité suffisante pour le poser en contrepoint à l’« icy bas ». Lepluriel (« les pays... »), qui est plus souvent employé dans les documents,exprime quant à lui la fluidité géographique d’un espace toujours extensiblequi semble promis à la dilatation, en particulier vers la « mer de l’Ouest »(l’Ouest canadien) ; il traduit aussi la diversité ethnique et culturelle de larégion des Grands Lacs, telle qu’illustrée par exemple sur la carte de Bellin de1755, où l’Amérique française, très significativement, est divisée en plusieurs« pays » : « pays des Renards », « pays des Mascoutens », « pays des Ilinois »,« pays des Miamis », « ancien pays des Hurons », etc. Selon la tradition géo-politique des Français de l’époque moderne, il existait en effet autant de« pays » que de « nations »8. Tout en prenant en compte cette variété, nousprivilégierons toutefois le singulier (« le » Pays d’en Haut), notre but étant dedégager la spécificité de cette région dans l’espace colonial français d’Amériquedu Nord. Au sens large, et dans son acception étymologique, le Pays d’en Hautétait la région située en amont de Montréal, ville sise au carrefour de plusieursroutes d’eau et qui constituait la base de départ des commerçants français de la

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Introduction 13

Carte no 1

La Nouvelle-France vers 1715(d’après J. Balesi, The Time of the French in the Heart of the Continent,

1673-1818, Chicago, Alliance française, 1996, p. xii)

Québec

Ohio

Missouri

Illin

ois

Miss

issip

pi

Zone de peuplement français(Pays d’en Bas)

LacHuron

Lac Supérieur

Lac

Mic

higa

n

Lac Érié

Lac Ontario

LacNipigon

Lac des Bois

Montréal

Fort Frontenac

Niagara

Détroit

St. Joseph

Michillimakinac

Sault Ste-Marie

BaieVerte

Cahokia

Kaskaskia

PAYS DESILLINOIS

Mobile

Natchez

Golfe du Mexique

NO

UVEL

LE-

FRANCE

CANADA

COLONIES ANGLAISES

LOU

ISIA

NE

Charleston

Richmond

Baltimore

Philadelphie

New York

Limites théoriques de laNouvelle-France

Pays d’en Haut

Pays des Illinois

Postes français

Villes françaises

Villes anglaises300 km

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fourrure. Ses limites occidentales correspondaient à celles des alliances franco-amérindiennes. À la fin du xviie siècle, on peut le définir comme l’espace situé,d’est en ouest, de Montréal au lac des Bois (soit 1 700 km à vol d’oiseau) et,du nord au sud, du lac Nipigon au confluent du Mississippi et du Missouri(1 400 km), Pays des Illinois inclus9. Cet espace gigantesque était peuplé audébut de ce même siècle par plusieurs dizaines de milliers d’Amérindiens, delangue iroquoienne, algonquienne ou sioux.

Le Pays d’en Haut a généralement reçu une attention limitée de la part deshistoriens de la Nouvelle-France, qui ont surtout consacré leurs travaux auxévénements politiques et militaires, aux luttes d’empire et, depuis une trentained’années, sous l’influence de l’école des « Annales », à l’analyse des structuresdémographiques, économiques et sociales de la colonie laurentienne10. À tra-vers l’étude de la région des Grands Lacs, nous aimerions insister sur deuxécueils auxquels se heurte habituellement l’historiographie de la Nouvelle-France. Le premier a été de caractériser le Pays d’en Haut comme une terre dedéperdition dommageable au développement démographique et économiquedu Canada, et, plus généralement, en lui niant sa spécificité géohistorique, de leréduire à une simple excroissance de la zone laurentienne. Le second, plusoccasionnel, a consisté à faire de la Nouvelle-France un ensemble homogènequand il faudrait distinguer plusieurs régions (Acadie, vallée laurentienne, Paysd’en Haut, Basse-Louisiane, etc.) en fonction des formes de colonisation(définies par la nature des relations établies avec les autochtones, le peuple-ment, la société, l’économie, les métissages, etc.). De ce fait, notre objectif seraici de mettre en valeur la place originale du Pays d’en Haut dans l’empirefrançais d’Amérique du Nord et d’en mesurer les multiples enjeux coloniaux. Ils’agira aussi, parallèlement, de mettre en valeur l’importance des autochtonesdans l’histoire de cet empire. Il n’est en effet que de dépouiller la correspon-dance officielle pour se convaincre de la place déterminante des Amérindiensdans l’expérience coloniale. Les Français, sur le Saint-Laurent mais plus encoredans les Grands Lacs, vivent avec et parmi eux. Les administrateurs ne cessentd’évoquer les alliances indiennes dans leurs dépêches, le gouverneur général entête. Le marquis de Vaudreuil par exemple écrit en 1707 au ministre : « l’affaireprincipalle de ce pays Monseigneur, suivant ce que j’ay toujours eu l’honneurde vous marquer, et suivant mesme vos ordres, estant de maintenir une grandeunion parmy les sauvages quy nous sont alliés, je m’y suis toujours appliqué leplus qu’il m’a été possible11 ». Mais ce sont les Français vivant dans les postes« éloignez » qui fournissent les témoignages les plus évocateurs sur l’histoire duPays d’en Haut. Leurs lettres sont précieuses parce qu’elles évoquent un mondequi est le leur : un monde indien. « Pardon Monsieur si je ne vous mande quedes affaires sauvages », écrit au gouverneur le père Marest, missionnaire à

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Michillimakinac, comme pour s’excuser de l’évidente prévalence de l’universautochtone au cœur du continent12.

Notre sujet relève de l’histoire des Indiens d’Amérique du Nord, mais plusencore de l’histoire coloniale française. Il ne s’agit pas ici d’écrire une histoireindienne des Grands Lacs (qui reste à faire) mais d’étudier les relations franco-autochtones dans cette région. Pendant longtemps cette question n’a suscitéaucune étude spécifique : elle n’a été qu’effleurée dans des monographies cen-trées sur telle ou telle tribu, ou encore des ouvrages consacrés à la politiqueindienne des Français. Ce vide historiographique a cependant été comblé (enpartie) avec la parution en 1991 du livre magistral de Richard White, intituléThe Middle Ground13. White a mis en valeur dans le cadre géographique duPays d’en Haut, et sur une durée de plus d’un siècle et demi (1650-1815), leprocessus d’accommodation euro-indien. Le middle ground qu’il décrit n’estpas un concept territorial mais culturel. Il ne s’agit pas tant d’un espace géogra-phique que d’un espace social, d’un lieu d’interaction et d’adaptation entre desindividus de cultures diverses qui établissent un système de compréhension etd’accommodation mutuelles. Le middle ground est précisément défini parWhite comme la propension des acteurs, pour convaincre leur partenaire, àagir en fonction de ses référents culturels. Muni de cet outil analytique, Whiterévise de façon très enrichissante l’histoire traditionnelle de la Frontière14. Sonouvrage, de la façon la plus radicale qui soit, bouscule en effet l’œuvre deFrederick J. Turner, dont la vision de la Frontière (comme front de colo-nisation15) occultait la dimension interculturelle de l’expansion euro-américaine.

Précisons toutefois les lacunes et les limites de ce livre majeur. White, àraison, évoque la frustration des autorités coloniales face à l’esprit d’indépen-dance des autochtones16, mais il insiste finalement assez peu sur leur logiqued’empire. En mettant l’accent sur l’équilibre franco-indien, en réifiant lemiddle ground comme paradigme de l’alliance, il occulte surtout le processus deconquête qui est déjà à l’œuvre sous le Régime français. Sans téléologismeaucun, on peut affirmer que les autochtones de l’Ouest, au-delà de leurs pro-pres perceptions, au-delà également de leur marge de manœuvre — et même,jusqu’au milieu du xviiie siècle, de leur capacité à résister au processus desubjugation, quitte à expulser les Français de leur territoire —, étaient objec-tivement inscrits dans un rapport de type colonial, qui conduisait à terme à ladépendance et à la subordination17. Les relations franco-indiennes ne sont pasréductibles au modèle du middle ground qui, en plus de masquer la supérioritédes Européens en matière de manipulation des cultures, induit à tort que lesacteurs s’adaptaient systématiquement les uns aux autres, alors qu’ils impo-saient bien souvent leur vision des choses. De façon générale, il convient de

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prêter une attention plus soutenue au rapport de forces franco-indien et demettre davantage en évidence les tensions structurelles qui parcouraientl’alliance, ce qui passe notamment par une réflexion sur la guerre. Très nova-teur dans son analyse des relations interculturelles (recherche d’accommo-dements et de compromis entre les deux sociétés), White, assez paradoxa-lement, néglige par ailleurs la force des transferts culturels : The Middle Groundest un ouvrage consacré aux ressorts de l’accommodation franco- puis anglo-indienne, mais non au processus d’acculturation (au sens large d’interactionculturelle) qui est à l’œuvre dans le Pays d’en Haut. White évoque l’influencedes marchandises européennes sur le mode de vie indien mais, quitte à donnerde l’acculturation une image unilatérale parfaitement obsolète, ne traite en riende l’indianisation des Français. En privilégiant les facettes diplomatique et éco-nomique de l’alliance franco-amérindienne, il ne s’est en outre pas intéressé,pour reprendre une formule braudélienne, aux « structures du quotidien »18.

Plus que de chercher à combler ces carences, notre enjeu ici sera d’adopterune approche nouvelle. Il ne s’agit pas en effet d’étudier un système de com-préhension mutuelle mais de mener une réflexion plus globale sur la colo-nisation et les marges d’empire. L’histoire du Pays d’en Haut, à partir desannées 1660, sur la base de l’alliance franco-amérindienne et d’un mode decolonisation caractérisé par l’absence de peuplement (malgré une amorce en cesens au début du xviiie siècle), est celle de l’imbrication d’un pays indien etd’un empire colonial. Deux espaces sociaux et deux sphères de « souveraineté »s’emboîtent, selon deux dynamiques distinctes : l’une conduit à l’incorporationdes Grands Lacs dans l’empire ; l’autre voit l’intégration des Français au paysindien. Ces derniers en effet, lorsqu’ils œuvrent à l’extension de l’emprisecoloniale dans le Pays d’en Haut, doivent aussi s’adapter au « milieu » indien.Chaque poste, établi à des fins commerciales, militaires, ou religieuses, dépen-dant de « centres » impériaux (Montréal, Québec, Versailles), et sis à proximitéd’un ou de plusieurs villages indiens, voit cohabiter et s’interpénétrer deuxsociétés. Le poste est un instrument de « provincialisation », de contrôleterritorial, mais c’est aussi un lieu du « milieu » — un lieu de l’« empire dumilieu19 » —, c’est-à-dire un espace de contact et d’interaction qui peut susciterdiverses formes d’acculturation et de métissage. À l’échelle du poste comme àcelle de la région, comment caractériser cet entre-deux (entre deux cultures,entre le fort et le village indien, entre l’empire et le pays indien, etc.), et quelleest la force respective des deux dynamiques mentionnées (surimposition del’empire / absorption culturelle des allochtones) ? Le Pays d’en Haut relève-t-ilobjectivement (c’est-à-dire en vertu des rapports réels et non de la carto-graphie du temps) de l’empire français ? Les missionnaires, officiers et voya-geurs qui le parcourent vivent-ils à l’intérieur ou à l’extérieur de cet empire ?

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En d’autres mots, faut-il considérer le poste comme un siège administratifde type provincial ou bien comme une simple ambassade en territoire indien ?Ces questions en amènent une autre, centrale, celle de la part des métis-sages dans la construction de l’empire français en Amérique du Nord. Il fau-dra se demander si l’imbrication géopolitique et culturelle qui définit le Paysd’en Haut constitue une formule impériale efficace pour le contrôle ducontinent, et si les postes fonctionnent comme des instruments adéquats decolonisation.

La situation réelle du Pays d’en Haut échappe aux catégories habituelles del’historien : pour l’approcher, il convient de combiner ou de resémantiser d’an-ciennes notions, voire de forger de nouveaux concepts. Qu’en est-il parexemple des définitions traditionnellement données aux termes « colonie » et« empire » ? À la question « qu’est-ce que coloniser ? », l’historien canadienG. Frégault répond dans une veine turnerienne : « c’est créer un pays là où il n’yavait que des espaces ». Les dictionnaires des xviie et xviiie siècles insistentquant à eux sur la composante démographique de la colonisation. SelonFuretière par exemple, c’est le « transport de peuple en un lieu desert & eloigné,ou dont on a chassé les habitans, afin de l’habiter, de le defricher & le cultiver ».À la différence de Frégault, l’historien français P. Pluchon n’occulte pas laprésence des autochtones, mais sa vision paraît elle aussi incomplète : il estimeque les acteurs de la colonisation s’opposent nécessairement selon un rapportde forces qui s’avère inégal : d’un côté, « le peuple dominateur, qui vientimposer sa loi et sa culture dans une contrée où il est étranger » ; de l’autre, « lepeuple dominé, qui, s’il n’est pas exterminé, résiste jusqu’à la soumission»20 .Une telle appréhension du phénomène colonial est réductrice : elle ne sauraitrendre compte de la diversité des formes de la colonisation ; elle sous-estime lalogique d’alliance interculturelle qui peut naître (au moins momentanément)de l’entre-deux ; elle néglige enfin la possibilité pour les autochtones (lesditscolonisés) d’« imposer » leur « loi » et leur « culture » aux allochtones (lesditscolons). Notre propos n’est pas de nier, loin s’en faut, le caractère colonialistede l’expansion française, mais d’en préciser la nature et l’originalité.

Quant à l’empire, il s’agit selon Furetière d’une « etenduë de pays ouquelqu’un commande », c’est-à-dire d’un territoire relevant d’une mêmesouveraineté, donc d’une même administration. Le linguiste Gabriel Gérard,en 1718, précise la définition, en parlant d’un « Etat vaste et composé de plu-sieurs peuples ». On ne saurait voir l’empire colonial français d’Amérique duNord, qui au xviiie siècle s’étend en forme de croissant du Saint-Laurent aubas-Mississippi, comme une entité juridique reconnue comme telle par toutesses composantes, mais comme une réalité territoriale et sociale qui s’élaboretant localement, à travers l’interaction des peuples et des individus, que par

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l’entremise des directives coloniales venues des « centres ». Avec E. Hinderaker,nous n’entendons pas nécessairement l’« empire » comme un « complexeadministratif et militaire coercitif », c’est-à-dire une « structure » de typeétatique étroitement subordonnée à un même pouvoir supérieur. Cet auteur netient pas suffisamment compte cependant de l’approche institutionnelle de lacolonisation française, bien mise en valeur par J. Zitomersky. Un empire eneffet n’est pas simplement un espace homogène — autrement dit une région—, comme le suggère Hinderaker, sans quoi le terme n’a plus de raison d’être.M. Izard écrit avec justesse qu’il « n’y a pas d’ “empire” sans “impérialisme” » ;l’empire est un territoire soumis à une entreprise de domination et d’uni-fication : nous verrons par exemple comment les Français disposaient d’uneinfrastructure capable de maîtriser correctement l’espace en acheminant lespersonnes et en transmettant les ordres et les informations sur de longuesdistances. L’empire français d’Amérique du Nord, dans ses marges, est unpuzzle géopolitique et culturel, mais c’est également un espace social dont laconstruction et l’homogénéisation relèvent en partie d’une entreprise unifi-catrice de type colonial21.

Pour préciser les caractéristiques géopolitiques, économiques et socio-culturelles du Pays d’en Haut, nous articulerons notre réflexion (nous y revien-drons amplement) autour d’un certain nombre de concepts clés : la Frontièred’abord, paradigme laissé de côté par R. White dans The Middle Ground et quioffre pourtant un double intérêt : en corrigeant la définition de Turner, on peuten effet mettre en avant son caractère d’entre-deux et de « milieu » ; et, en sel’appropriant, souligner ses vertus « genésiques ». Le concept de périphérie n’apas été plus retenu par White ; or il permet une relecture de l’histoire de laNouvelle-France par la mise en relief de l’interaction entre le Pays d’en Haut etle Pays d’en Bas. Quant au concept de région, cet auteur n’a fait que l’effleu-rer22 : il mérite pourtant une réflexion approfondie, d’ordre géo-historique, quiprenne en compte tant les autochtones que les allochtones. C’est par la mise enperspective de ces trois concepts que pourra être ébauchée une théorie plusgénérale de l’entre-deux et défini ce que fut l’« empire du milieu » dans lesmarges de la Nouvelle-France. Il s’agit en effet de démontrer, à travers l’étudedes interactions spatiales, culturelles et géopolitiques propres à l’entre-deux,l’existence d’une région franco-amérindienne, d’un monde nouveau au cœurdu Nouveau Monde.

Décrire la genèse d’un « pays » particulier, d’essence interculturelle, à lapériphérie de la Nouvelle-France, nous permettra aussi de revenir sur certainesidées préconçues (chez les chercheurs français notamment) qui réduisentl’histoire de l’Amérique du Nord des xviie et xviiie siècles à un récit des con-flits impériaux. Nous avons choisi d’arrêter notre étude aux alentours de 1715 :

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une nouvelle donne apparaît clairement à cette date, qui s’exprime dans latransformation de l’empire français. Un nouveau cycle d’expansion débute, quivoit le Pays d’en Haut s’agrandir en direction de la « mer de l’Ouest » ; la Loui-siane, fondée au tournant du siècle, incorpore officiellement en son sein le Paysdes Illinois (1717), lequel inaugure sa propre version de la colonisation23 ; et si letraité d’Utrecht (1713) met fin à la guerre de Succession d’Espagne, la tensionfranco-anglaise ne s’éteint pas en Amérique du Nord, alors que le Pays d’enHaut se voit confier, comme la Louisiane, un rôle de verrou géostratégiquedestiné à confiner les Britanniques sur le littoral atlantique24.

Notre cadre chronologique (1660-1715) offre par ailleurs un intérêt heuris-tique. Nous aurions pu l’ouvrir plus avant, jusqu’en 1744 par exemple, avec ledébut de la guerre de Succession d’Autriche, ou même jusqu’en 1760, avec la findu Régime français. Mais nous aurions ainsi cédé d’une certaine manière à unevision téléologique de l’histoire du Pays d’en Haut et de la Nouvelle-France,qui se définirait en fonction de l’échec des Français à asseoir leur colonisationen Amérique du Nord. L’histoire de la genèse du Pays d’en Haut comme régionest en effet beaucoup plus intéressante à étudier pour le modèle qu’elle a sumettre en place et qu’elle propose que pour son échec. Une telle approche nouspermettra de mettre en jeu non seulement les questions de la présence colo-niale française sur les rives des Grands Lacs, et de la disparition ultérieure de cepremier empire, mais surtout, et paradoxalement, de ce qu’on pourrait appelerla réussite insoupçonnée de la colonisation française au temps de Louis XIV.

Ce sujet original, qui traite à la fois de l’histoire de France et de celle del’Amérique du Nord, prend un relief particulier si on le place dans la perspectivede l’historiographie française. Celle-ci en effet, par un étonnant défaut demémoire, semble avoir fait table rase du passé colonial français, pourtant trèsriche, des actuels États-Unis et du Canada. La souveraineté théorique du RoiTrès Chrétien ne s’étendait-elle pas avant 1763 sur plus d’un tiers de l’Amériquedu Nord ? Et ne subsiste-t-il pas aujourd’hui, pour nous le rappeler, des commu-nautés francophones disséminées à travers tout le continent ? Depuis lexixe siècle, un écart considérable s’est creusé entre historiens canadiens et histo-riens français, mettant en évidence le poids des frontières actuelles dans la récu-pération de la mémoire25. Cet écart, à peine réduit dans la première moitié duxxe siècle par les travaux d’E. Salone, de G. Louis-Jaray ou surtout deM. Giraud26, s’est perpétué et accentué par la suite, en dépit de P. Jacquin, deR. Creagh ou de J. Zitomersky27. Notre mémoire collective semble avoir tiré untrait sur l’aventure coloniale française dans le continent nord-américain, commesi le dédain de Voltaire, qui ne voyait dans le Canada que « quelques arpents deneige » ou des « déserts glacés », s’était insidieusement transmis aux historiens28.Seules émergent dans la mythologie coloniale française quelques figures

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héroïques comme Jacques Cartier, Samuel de Champlain, ou Cavelier de LaSalle, cependant que maints personnages importants et hauts en couleurs del’histoire de la Nouvelle-France, y compris d’ailleurs pour les Québécois et lesCanadiens, semblent devoir rester dans l’ombre : qui a entendu parler de l’intré-pide Nicolas Perrot, explorateur, coureur de bois, interprète et diplomate auprèsdes nations amérindiennes des Grands Lacs ; du bouillant Lamothe Cadillac, lefondateur de Detroit, qui fut aussi gouverneur de la Louisiane ; de l’impertinentbaron de Lahontan, l’un des inventeurs de la figure du Bon Sauvage, véritableprécurseur des Lumières ; de l’« ensauvagé » baron de Saint-Castin, officier fran-çais devenu chef dans la tribu abénaquise où il avait pris femme ; du chef huronKondiaronk, artisan de la Grande Paix de Montréal de 1701 ? Ou encore d’Isa-belle Couc, alias madame Montour, dont la vie résume avec éclat les métissagesà l’œuvre en Amérique du Nord ? Il y a un autre indice, plus troublant encore :si ces acteurs de l’histoire coloniale française demeurent méconnus, il n’en estrien de Buffalo Bill, de Calamity Jane, de Géronimo et de Sitting Bull, comme si,par l’intermédiaire des romans, du cinéma et de la télévision, l’histoire del’Amérique anglo-saxonne devait prévaloir parmi nous sur celle de l’Amériquefrançaise. Il ne s’agit pas de céder à quelque verve nationaliste, et d’héroïser à lamode du Far West certains personnages — « blancs » ou autochtones — de laNouvelle-France, mais plus simplement de s’attacher à mieux connaître le ver-sant français de l’histoire nord-américaine. Davy Crockett, d’ailleurs, autrefigure héroïque de l’histoire des États-Unis, mort à Alamo en 1836, n’est-il pasd’origine française ? Né David de Crocketagne, en 1786 dans le Tennessee, il est ledescendant d’un huguenot normand ayant fui le royaume de France suite à ladécision de Louis XIV de révoquer l’édit de Nantes29...

Notre amnésie procède avant tout du dédain de la recherche française, et deson franco-centrisme radical. Les historiens français se sont généralementcomplu dans les études hexagonales sans chercher à s’« évader » outre-océans,sinon par l’étude des ports et du grand commerce international30. En dépit detrois synthèses récentes31, la France coloniale demeure un no man’s land del’historiographie française, a fortiori lorsqu’il s’agit de colonies anciennescomme la Louisiane ou le Canada, qui pour avoir été exclues très tôt del’empire (en 1763), c’est-à-dire avant l’émergence de la Nation moderne, pro-duit de la Révolution, ont disparu de notre mémoire collective. Les historiensfrançais, parce qu’il s’agit de contrées récemment décolonisées ou mêmetoujours françaises, se sont ainsi davantage intéressés aux Antilles et à l’Afriquefrancophone32. L’occultation « nord-américaine » de l’historiographie moder-niste française, qui dure depuis deux siècles, peut paraître d’autant plus éton-nante qu’aucun tabou ne pèse, du point de vue français, sur l’histoire de laNouvelle-France : certes, l’empire continental a été plus ou moins bradé par la

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composé en minion corps 10,5selon une maquette réalisée par josée lalancette

et achevé d’imprimer en février 2003sur les presses de agmv-marquis

à cap-saint-ignace, québecpour le compte de denis vaugeois

éditeur à l’enseigne du septentrion

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