Helene Clastres Solange Pinton - Culture
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Helene Clastres
Solange Pinton
Production, producteurs et enjeux contemporains de
l'histoire locale.
Rapport pour la mission du patrimoine ethnologique,
mars 1999
2
4-ri-re;
De la tradition à l'histoire : les maçons de la
Creuse
I. L'histoire de la migration creusoise et ses
caractéristiques
Faire de la tradition des maçons creusois qui, au
XIXe siècle, quittaient leur région pour aller s'embaucher
sur les chantiers des grandes villes, le thème d'une
histoire locale et d'un discours identitaire, peut
paraître paradoxal, et à un double titre. D'une part c'est
focaliser l'histoire de la région sur ceux qui l'ont
quittée et évoquer une histoire qui s'est déroulée
ailleurs, d'autre part c'est prendre en compte un
phénomène - la migration - qui, loin d'être propre à la
Creuse, a touché à la même époque de nombreuses régions de
France.
Les mouvements migratoires, en effet, ont pris une
grande ampleur dans la France du XIXe siècle, en liaison
d'abord avec les travaux agricoles (moissons, vendanges,
transhumance). Ce sont les régions pauvres, montagneuses
! i
3
qui fournissent cette main-d'oeuvre saisonnière. Les
migrants effectuent alors des déplacements limités dans
les plaines ou les vallées voisines, pendant un temps
relativement court : les paysans du sud du Massif central
descendent vendanger dans le Languedoc, ceux de Savoie
dans la vallée du Rhône, les paysans du nord de la France
et de l'est du massif armoricain vont moissonner dans les
grandes plaines du bassin parisien, ceux des plateaux du
Massif central dans la Limagne. D'autres paysans, mettant
à profit les temps morts que laisse l'exploitation de
leurs propres terres, partent plus longtemps et parfois
assez loin, migrant tout l'hiver pour exercer des
activités non-agricoles : scieurs de long, peigneurs de
chanvre, colporteurs de l'Ariège qui allaient à pied
jusqu'à la Charité-sur-Loire proposer leur marchandise.
D'où des formes de migrations saisonnières complexes,
variées dans leur durée et dans leur amplitude, mettant en
jeu des activités elles-mêmes diverses qui ont en commun
de ne demander aucun apprentissage particulier.
A 1 ' image de la plupart des migrants du XIXe
siècle, les Creusois quittent leur pays de manière
temporaire. Mais eux s'absentent plus longtemps,
généralement de mars à novembre, et à l'inverse de
beaucoup de migrants et notamment des scieurs de long et
des peigneurs de chanvre - nombreux aussi en Creuse - ils
sont absents pendant la belle saison, au moment où les
travaux des champs sont les plus pressants. Pour A.
Corbin, c'est un cas rare d'émigration estivale pratiquée
par un pays pauvre. Autre trait qui les caractérise, ils
4 n'hésitent pas à s'éloigner de leurs lieux d'origine et à
se diriger vers les villes, Paris et Lyon surtout.
Mais ce qui différencie les maçons limousins, c'est
qu'ils se forment à un métier. Le vocabulaire a retenu
depuis longtemps la singularité de cette migration,
condensant en quelques mots origine géographique et
technique de construction : « limousin » désigne le maçon-
migrant, « limousinerie » et « limousinage » une
construction en moellons et mortier et le plus souvent
avec des joints en creux, « limousiner » cette technique
de construction1. Et, des trois départements qui forment
le Limousin, c'est la Creuse qui, pendant deux siècles, a
donné le plus grand nombre de travailleurs du bâtiment :
la moitié des maçons qui viennent à Paris sont Creusois. A
lire la thèse qu'Alain Corbin a consacrée à la société
limousine de 1845 à 1880, ou les travaux d'Abel Châtelain
sur l'émigration en France au XIXe siècle2, on mesure bien
l'importance de la migration creusoise mais surtout sa
spécificité, et ceci grâce à l'existence d'une
documentation abondante et variée.
On dispose en effet pour la Creuse de beaucoup plus
de documents que pour les départements voisins, Corrèze et
Haute Vienne, qui ont également fourni des maçons-
migrants, en moins grand nombre il est vrai (huit fois
1 cf. préface à La revanche du limousinant. Un maçon creusois raconte, Eugène Duteyrat.
2 A Corbin, Migrations temporaires et société rurale au 19e : le cas du Limousin. A. Châtelain, Les migrants temporaires en France de 1800 à 1914.
5
moins pour la Corrèze et trois fois moins pour la Haute
Vienne). Ont été conservées, notamment, les enquêtes
réalisées au cours du XIXe par l'administration, et qui
fournissent aux historiens toutes sortes de renseignements
(la destination des migrants, leur âge, leur sexe, les
salaires perçus, les moyens de transport utilisés... ).
Surtout, on dispose d'un témoignage irremplaçable où iront
puiser tous les historiens : les Mémoires de Léonard,
ancien garçon maçon, par Martin Nadaud.
Les migrants creusois sont essentiellement
originaires des plateaux de la Haute Marche et de la
partie sud du département, dite La Montagne, terres au sol
pauvre distribuées entre de nombreux petits propriétaires.
Et quand la migration s'amplifie, dans la deuxième moitié
du XIXe, elle continue à toucher sensiblement les mêmes
cantons (trois cantons en 1810 et quatre en 1860). En même
temps, elle est de plus en plus absorbée par les métiers
du bâtiment, domaine où les Creusois ont acquis une grande
réputation. Ils vont donc vers Paris et le sud du bassin
parisien, mais aussi vers les petites villes d'une vaste
région qui s'étend de la Loire au Lyonnais, de l'Auvergne
à la Franche-Comté (ils en viendront à couvrir une
soixantaine de départements).
Les raisons de ces départs sont multiples sans
qu'aucune soit vraiment déterminante. Les propriétés
exiguës (souvent un seul hectare) et morcelées ne sont pas
très productives et elles ne suffisent pas à nourrir une
population en pleine croissance. De plus les paysans ont
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besoin de liquidités pour payer les impôts, les dettes,
dédommager les cadets au moment des successions (dans un
pays où se maintient la transmission du patrimoine aux
aînés), constituer la dot des filles, agrandir la ferme en
vue de la retraite. Partir est aussi un moyen de se
soustraire à la conscription, et sans doute d'échapper à
une certaine monotonie.
Certains traits propres au pays ont sûrement
favorisé cette émigration de la belle saison : en premier
lieu, le faire-valoir direct - à l'inverse de ce qui se
passe en Haute Vienne ou en Corrèze où le métayage est
souvent en vigueur - laisse à ces petits propriétaires une
grande liberté de mouvement ; ensuite, si on peut se
passer des hommes les plus vigoureux au moment des travaux
d'été, c'est non seulement que l'élevage prime sur la
culture mais aussi que le regroupement sous un même toit
de la famille élargie (aussi bien ascendants que
collatéraux), rend possible l'absence d'un ou plusieurs de
ses membres.
Mais peut-être faut-il rapprocher cette inclination
au mouvement de la situation même du pays ? La Creuse,
dont une bonne partie appartenait à l'ancienne province de
la Marche, est, comme ce dernier nom l'indique, pays de
passage, pays de transition. Culturellement, c'est une
région frontière puisque s'y croisent langues et usages du
nord et du sud de la France, caractère bien souligné par
le philosophe Jean Beaufret, Creusois d'origine :
7 ...le voyageur entre en Creuse sans s'en
apercevoir mais bien vite le paysage change.
Une barrière se dresse qu'il lui faudra
franchir. La route de Dun à Guéret traverse un
paysage plus sauvage en s'éloignant du Nord.
Déjà les sonorités latines du parler d'Oc
annoncent un changement de monde. C'est la
Marche, pays de passage. Ce passage du Nord au
Midi est encore incliné vers la Loire. On ne
cesse de monter jusqu'à l'autre passage
qu'est, ruisselant de sources, le plateau de
Millevaches. Les pentes descendent alors vers
la Dordogne, en pays aquitain. Mais ce passage
n'est pas transition pure, il est pays, il est
séjour...
Mélangée quant à sa géographie, à sa langue, à sa
culture, la Creuse est aussi un pays ouvert, pays d'où
l'on rayonne, d'où les hommes sont partis pour y revenir.
Dès lors, retenir pour faire l'histoire de ce pays la
migration des paysans-maçons, n'est-ce pas façon de lui
reconnaître ce caractère ? Resterait à comprendre pourquoi
les Creusois ont choisi le bâtiment. Les Vosges, qui sont
géographiquement comparables (vieux massif hercynien),
prennent une autre option et se spécialisent dans le
textile, de même l'Auvergne avec qui la Creuse a des
frontières communes, et qui se tourne davantage vers des
activités commerciales, colporteurs et porteurs d'eau,
reconvertis au milieu du XIXe en « bougnats ».
Toujours est-il que l'émigration creusoise est
ancienne, sans qu'il soit possible d'en fixer vraiment les
débuts. Au milieu du XIXe siècle, un érudit local - L.
Bandit de Nalèche - s'intéresse à l'histoire de
8
l ' émig ra t i on e t cherche à l u i donner ses l e t t r e s de
noblesse : à p a r t i r de documents incomplets, i l l a f a i t
remonter au Moyen-âge, f a i san t des maçons c reuso i s l e s
b â t i s s e u r s de c a t h é d r a l e s 3 . D ' au t r e s au teu r s l a font
remonter au siège de la Rochelle. Les premières t r aces
incontestables datent du XlIIe s i èc le , mais c ' e s t à p a r t i r
du XVIIIe q u ' e l l e prend la forme e t l e s c a r a c t é r i s t i q u e s
qu'on l u i connaît par la s u i t e .
Marie-Annie Moulin l e s a dégagées dans une thèse
sur Les maçons de la Haute Marche au XVIIIe : déplacements
temporaires, spéc ia l i sa t ions marquées dans l e s métiers du
bâtiment (charpen t ie r s , couvreurs e t su r t ou t maçons),
ancrage géographique, o rgan isa t ion bien s t r u c t u r é e . Au
XVIIIe s i è c l e , a l o r s que l ' a c t i v i t é i n d u s t r i e l l e e s t
s t r i c t e m e n t réglementée , l e bât iment e s t l a s eu l e
i ndus t r i e ouverte aux ruraux, d ' au tan t q u ' e l l e garde un
caractère t rès a r t i s ana l (le maçon, à l 'époque, dresse des
murs en pierres e t mortier - limousinage - aussi bien pour
des immeubles, des maisons ou des murs de c lô tu res ) e t
q u ' e l l e s ' e f fec tue en p l e i n a i r . I l s en occuperont donc
tous les secteurs, e t à mesure que les métiers du bâtiment
vont se d i v e r s i f i e r , i l s vont eux-mêmes se s p é c i a l i s e r -
maçons, cha rpen t i e r s , couvreurs , t a i l l e u r s de p i e r r e ,
t u i l i e r s , paveurs , p l â t r i e r s (à p a r t i r de 1825, à
l ' i m i t a t i o n des I t a l i e n s ) , pe in t r e s (I860), s t u c a t e u r s .
Une s p é c i a l i s a t i o n qui recouvre une ce r t a ine h i é r a r ch i e
•* Bandi t de Nalèche, Les maçons de la Creuse, Limoges, é d i t i o n s Dessagne, 1984 (1ère é d i t i o n 1859).
9 puisque plâtriers, peintres, stucateurs travaillent à
l'abri des intempéries et sont appelés monsieur.
Les travailleurs d'une même spécialité sont le plus
souvent issus de la même région, souvent d'une même
commune, voire du même hameau. Ainsi, c'est du nord-ouest
de la Creuse que viennent les charpentiers et les
menuisiers (212 charpentiers sur un total de 464 viennent
de Dun; 178 couvreurs sur 459 sont fournis par Chatelus);
les peintres sont souvent originaires du canton de
Felletin tout comme la plupart des tuiliers; les paveurs,
eux, se recrutent à La Souterraine. Une règle qui vaut
aussi, notons-le, pour les autres migrants, ainsi
chanvreurs et scieurs de long étaient issus du sud de la
Creuse.
Et chaque région entretient des relations suivies
avec certains lieux de migration. C'est ainsi que du nord-
ouest de la Creuse on se dirige presque exclusivement vers
Paris et sa région, du sud de la Creuse on va vers le
Lyonnais, du sud-est vers la Bourgogne, l'Auvergne et le
Lyonnais. Les tuiliers vont à l'est et tout
particulièrement à Saint-Etienne. Chaque micro-région a
une destination principale urbaine et des destinations
secondaires rurales. Comme l'écrit M.-A. Moulin « des
jumelages professionnels pourraient être dressés hameau
par hameau entre la Haute Marche et les points d'arrivée
de la migration ». Et elle évoque même le cas de villages
qui sont de véritables chasses gardées, tel Ligny-le-
Chatel en Bourgogne qui fut, pendant des générations, lié
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au v i l l a g e de Lepinas dans l a Haute Marche. Ces réseaux
une fo is é t a b l i s s ' en t r e t i ennen t d'eux-mêmes - l e f i l s ,
ent ra îné par le père, se d i r i ge vers Lyon ou vers Troyes
sans trop considérer la question des sa l a i r e s - e t i l faut
e n s u i t e des c i r cons t ances e x c e p t i o n n e l l e s pour que
s ' i n s t a u r e n t des changements dans ces couran t s de
migra t ion fo r t anc iens . A t r a v e r s ces d e s t i n a t i o n s
mul t ip l e s - Pa r i s , Lyon, Sa in t -Et ienne ou Bordeaux -
s 'exercent des influences var iées .
Or ig inai res des mêmes hameaux, un i t é de base des
campagnes creusoises, l es équipes de migrants sont unies
par les mêmes formes d 'entra ide et de l iens - voisinage e t
parenté - qui y prévalent . El les en reproduisent auss i l a
cohésion, a ins i que la forme é g a l i t a i r e . I l y a en e f fe t ,
à l ' i n t é r i e u r des hameaux, r é p a r t i t i o n é g a l i t a i r e des
d ro i t s co l l ec t i f s en ce qui concerne les sectionnaux (bois
e t t e r r a i n s de parcours ) ; e t i l y a d ' a u t r e p a r t une
n e t t e ind iv idua l i sa t ion des hameaux l e s uns par rappor t
aux au t r e s , qui t i e n t à la manière d i f fé ren te dont chacun
s ' a c q u i t t e des contr ibut ions e t des charges r e l a t i v e s à
ces mêmes b i e n s . Ces r è g l e s , tou t comme c e l l e s qui
prés ident à l ' a rban - échanges de services bien codi f iés
- , donnent à l a Creuse de f o r t e s s t r u c t u r e s «
démocratiques », d 'autant plus marquées que l 'emprise des
notables - a r i s toc ra t i e e t bourgeoisie - es t f a ib le .
Les équipes de migrants reproduisent donc c e t t e
cohésion, e t l a d i v i s i o n de l a migra t ion en au tan t
d ' u n i t é s indépendantes f a i t q u ' e l l e s ont chacune leur
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Organisation propre : sous la responsabilité d'un aîné,
chaque unité (8 ou 10 hommes en moyenne) décide de sa date
de départ, des étapes, de l'itinéraire emprunté (souvent
des sentiers ou des raccourcis boueux que les migrants
connaissent bien) ou du mode de transport (à pied ou en
patache ou, plus tard, en train) . A leur arrivée, les
migrants continuent à être pris en charge par les premiers
venus et à vivre en collectivité, que ce soit dans le
garni, sur le chantier ou pour se distraire, le samedi
soir, « aux barrières ». Et cette vie communautaire
encourage le maintien d'habitudes campagnardes : « la
chambrée, écrit A. Corbin, est par bien des côtés un
village immergé dans la société urbaine [...] L'horaire du
maçon se calque sur celui des travailleurs de la terre
[...] L'horaire des repas et la sensibilité alimentaire
demeurent longtemps ceux de l'habitant des campagnes...»
Au garni c'est d'ailleurs une femme de compagnon4 qui
prépare le repas du soir et qui trempe la soupe comme on
le fait chez soi. Le réconfort que le migrant trouve à
vivre avec ses pays est tel qu'il lui fait oublier
1'inconfort et même l'insalubrité des garnis, comme le
souligne Nadaud : « Il n'y a pas à s'ennuyer dans un garni
quand on n'est pas soi-même un esprit chagrin ou une sorte
de butor ». En dépit de cette insalubrité, souvent
dénoncée, les Creusois vont longtemps rester dans les
mêmes quartiers (par exemple, à Paris, le quatrième et le
cinquième arrondissements) prolongeant le même genre de
4 On les nomme en effet compagnons ou compagnons-maçons bien qu'ils ne fassent pas partie du compagnonage.
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v i e . « Au cours des deux premiers t i e r s du s i è c l e ,
souligne Corbin, l es migrants limousins opposent une for te
r é s i s t a n c e à l a d i s p e r s i o n s u s c i t é e par c e l l e des
chant ie rs ; i l s continuent à s ' en tasse r dans les qua r t i e r s
du cen t r e , même après que l a r évo lu t ion urbaine en a
modifié l a physionomie ».
L 'appren t i s sage du mét ier e t l ' o r g a n i s a t i o n du
t r a v a i l passent par ces mêmes réseaux de s o l i d a r i t é . En
e f fe t l e migrant c reusois ne p ra t ique pas l e tour de
France du compagnon e t apprend l e métier auprès des p lus
expérimentés : « Le chant ier , é c r i t Corbin, favor ise l e
maintien du groupe régional e t ce lui d'une h ié ra rch ie de
mé t i e r p é t r i e de r ég iona l i sme [ . . . ] l e s r é seaux
hiérarchiques cons t i tués au v i l l a g e e t sur l e chan t i e r
s 'entremêlent ». Cette « hiérarchie de métier » qui marque
les étapes de l ' appren t i s sage e t la ma î t r i se du mét ier ,
n 'exc lu t pas la proximité des re la t ions : « I l y avai t (et
ceci se passe début XXe) entre ouvriers e t patrons, ent re
maçons e t entrepreneurs beaucoup de f a m i l i a r i t é . Mais l e
patron c ' é t a i t quelqu'un qui sava i t t r a v a i l l e r , i l ava i t
mis l a main à l a p â t e . I l ne s o r t a i t pas des grandes
écoles , c ' é t a i t un type qui s o r t a i t de la corpora t ion.» 5
Dans chaque branche du bâtiment ce t te hiérarchie ex i s t e e t
chez l e s maçons, par exemple, on commence par ê t r e goujat,
puis limousin, maître-compagnon, maître-maçon.
b P r i v a i M.,« Les migran ts du t r a v a i l d'Auvergne e t du Limousin au XXe s i è c l e » I n s t i t u t d ' é t u d e s du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1979.
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Cette organisation assure la continuité de la
migration et son succès, donnant au migrant un encadrement
et une sécurité d'autant plus précieux qu'il se trouve en
pays inconnu et qu'il est venu avant tout pour économiser.
« Le but qu'il poursuit en venant travailler à Paris,
écrit Corbin, ne relève pas d'un destin individuel; la
migration s'insère pour lui dans une stratégie familiale
englobante qui ressortit à la longue durée ». Associé à un
projet familial et resté attaché à sa terre, le maçon
creusois ne cherche pas à s'enraciner ailleurs et ce fort
sentiment d'appartenance est encore une de ses
particularités. Ce souci de maintenir des liens avec la
région d'origine est déjà exprimé par M. Nadaud : « Il ne
faut pas blâmer le mouvement d'émigration qui porte notre
jeunesse vers les villes. L'important c'est de se
promettre de ne pas abandonner le pays surtout lorsque la
fortune permet de lui rendre les plus grands services ».
Faut-il en conclure, avec Corbin, que cet attachement le
garde à l'écart des influences urbaines et freine son
insertion dans la ville ? Et faut-il avec lui juger que «
la permanence des comportements traditionnels, imprégnés
de ruralité » a été cause d'un « échec professionnel des
travailleurs limousins » ? A. Châtelain et M. A. Moulin
soutiennent l'opinion contraire : selon eux, la migration
temporaire aurait permis une lente adaptation à la ville,
les Creusois s'y montrant plus à l'aise que bien d'autres
migrants.
Quoi qu'il en soit, la tradition de migration
temporaire s'est prolongée en Creuse plus longtemps
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q u ' a i l l e u r s , jusque dans les années 1860. Vécue comme une
solut ion qui réserve l ' a v e n i r , e l l e permet ta i t de ne pas
perdre de vue l e v i l l a g e tou t en ayant a i l l e u r s une
a c t i v i t é rémunéra t r ice e t e l l e é t a i t , en ce sens ,
s écur i san te . Mais à p a r t i r des années 1860, l a tendance
s ' i n v e r s e , e t l e s maçons adoptent p lus souvent l a
migration dé f in i t i ve . Entendons-nous, i l y a toujours eu
des gens pour choisir de p a r t i r définitivement, e t i l y en
aura encore (jusqu'à l a guerre de 1914) pour décider de
p a r t i r temporairement. Cependant, dès la seconde moitié du
XIXe s i è c l e , ce t t e forme saisonnière cesse d ' ê t r e adaptée
à l ' i n d u s t r i e du bâtiment qu i , avec l ' u t i l i s a t i o n de
nouveaux matériaux e t de nouvelles techniques6 , ne connaît
p lus de morte saison e t peut fonctionner prat iquement,
toute 1'année.
Une évolution va donc se marquer dans l a deuxième
moi t ié du XIXe s i è c l e : au moment où l a migra t ion
déf in i t ive s 'accentue, e l l e se f a i t aussi plus intense ( i l
y a 35 000 Creusois à Par is en 1850, 45 000 en 1880) .
L'essor de la construction sous le second Empire - de 1853
à 1882 s 'ouvrent les grands chant ie rs , l e baron Haussmann
recons t ru i t Paris , a i l l eu r s on termine les voies de chemin
de fe r e t on é r i ge ga res , ma i r i e s , pos tes e t a u t r e s
éd i f i ces publics - j o i n t au développement des chemins de
fer , va permettre aux femmes de su iv re l eu r mari e t
poussent cer ta ins migrants à s ' i n s t a l l e r dans l e s v i l l e s ,
e t su r tou t à P a r i s . Car l ' a t t r a i t de la c a p i t a l e - qui
Entre a u t r e s , on bâche l e s c h a n t i e r s , on l e s é c l a i r e . . .
15 reste « l'idéal du maçon » - est allé grandissant : les
salaires y sont plus élevés, l'offre d'emploi variée, la
vie matérielle et collective assurée...
Peu à peu, sous l'effet de ces bouleversements les
us et coutumes des migrants évoluent, l'emprise du groupe
s'affaiblit et ils acquièrent plus d'indépendance, dans
l'organisation du voyage d'abord (le départ en groupe, qui
s'imposait quand on faisait le trajet à pied, n'est plus
nécessaire lorsqu'on part en train), et par suite dans
celle de la vie et dans celle du travail. Se manifestent
également certaines stratégies professionnelles. C'est
ainsi que le métier de maçon va absorber de plus en plus
de migrants creusois, au détriment d'autres activités
saisonnières, comme celle des scieurs de long dont le
nombre ne va cesser de baisser (1092 en 1810, 897 en
1860). C'est que ce dernier métier, outre qu'il est mal
payé, est particulièrement ingrat (les scieurs de long
vivent très isolés dans les forêts). On délaisse aussi des
activités jugées trop dangereuses, comme celle de couvreur
(assurée par les Normands). L'allongement des séjours à
Paris favorise les réussites politiques (dont M. Nadaud
est le grand exemple) ou sociales, bon nombre de
travailleurs sont devenus entrepreneurs.
En Creuse même, cette longue tradition de
migrations saisonnières a eu toutes sortes de conséquences
d'ordre divers. Resté propriétaire de sa terre, le maçon
16
en surve i l l e de loin l ' exp lo i t a t ion 7 (qui l u i offre à tous
moments une p o s s i b i l i t é de r e p l i en cas de chômage, ou
pour sa r e t r a i t e ) e t i l y i n v e s t i t l es quelques économies
q u ' i l amasse. Tou te fo i s ses absences r é g u l i è r e s
1 'éloignent du t r a v a i l de la t e r r e , s i bien que, pendant
son séjour hivernal au pays, on l e vo i t s 'adonner plus
volont iers à des travaux de construction qu'aux travaux de
la ferme e t une femme se souvient encore aujourd 'hui : «
l e s anciens maçons, i l s t a i l l a i e n t l a p i e r r e , pour pas
grand chose, e t i l s f a i s a i e n t des murs ». M. Nadaud
raconte lui-même combien l e s travaux de l a ferme l u i
pa ra i s sa i en t pénibles : « Nullement habitué à ce t r a v a i l
(couper l e blé noir) qui vous t i e n t l e dos courbé toutes
la journée, le so i r j ' é t a i s réellement écrasé de fat igue
». Et quand i l s ne sont pas occupés à b â t i r , l e s «
retournants » consacrent une bonne p a r t i e de leur temps à
rendre des v i s i t e s aux p a r e n t s , v o i s i n s , amis. I l s
prennent a i n s i une p l ace qui n ' é t a i t pas l a l e u r
auparavant, au centre d'une s o c i a b i l i t é renouvelée : dans
les v e i l l é e s , dans l e s noces - célébrées l ' h i v e r avant
leur départ - , au b i s t r o t , au marché...
Contrepartie de ce t t e r e l a t ion d i s tan te à la t e r r e ,
l o r s q u ' i l ren t re définitivement au pays, le migrant r e s t e
' P l u s i e u r s l e t t r e s échangées e n t r e l e s maçons e t l e u r f a m i l l e , que nous avons eues e n t r e l e s mains, montrent q u ' i l s c o n t i n u e n t à s ' y i n t é r e s s e r e t même à exercer un c o n t r ô l e . Une l e t t r e de j u i n 1857 : « Vous me fe rez s a v o i r s i ma be l l e -mère a ensemencé ma t e r r e e t s i l a r é c o l t e p r o f i t e un peu » . Une femme à son époux émigré, 16 j u i l l e t 1866 : « J e t e d i r a i a u s s i que nous avons f a i t une grande p a r t i e de nos fo ins , nous en avons c e t t e année en grande abondance, j e c r o i s que nous aurons de l a peine à t ou t l ' e n g r a n g e r . Cher époux, tu me demandes s i nous avons vendu l e s taureaux, j e t e d i r a i que non ».
17
attaché aux anciennes pratiques culturales : c'est ainsi
que la répartition des terres labourables est restée la
même pendant un demi-siècle dans deux cantons de forte
migration, Saint-Sulpice les Champs et La Courtine. Et
c'est pourquoi, dans les zones de migration, on note un
moindre progrès dans l'utilisation des engrais et dans la
mécanisation. A côté de cette tendance conservatrice, des
courants de progrès sont aussi introduits par
l'émigration. En l'absence des maris, les femmes ont
appris à s'occuper de la ferme et ont acquis autorité et
reconnaissance; et c'est aux migrants qu'on doit la
modernisation de l'habitat. On estime que sur les 1500
fermes répertoriées sur le plateau de Millevaches, 1200
ont été aménagées ou construites avant 1900. Nous verrons
que les maçons introduisent modèles ou techniques de
construction appris sur les chantiers : surélévation des
maisons, encadrements de fenêtres en briques, rocailles.
Dans de nombreux domaines, leur apport au pays va
être déterminant. Sur les plans économique et
démographique d'abord : le travail du maçon va rapporter
un numéraire important qui rééquilibre les ressources et
les besoins du département et permet de maintenir, pendant
tout le XIXe, une forte densité de population. Ainsi à
1'inverse de la Haute Vienne et de la Corrèze où taux de
nuptialité, de fécondité et de mortalité sont élevés, la
Creuse montre un meilleur contrôle de la fécondité
(meilleur chez les migrants que chez les sédentaires) et
un faible taux de mortalité, moindre en Creuse que sur
l'ensemble du territoire national. Ce qui fait dire à
18
Corbin que le département a a t t e i n t un « stade de maturi té
démographique ». Sur l e plan de l ' éduca t ion e t des idées
ensuite : on note une a lphabét i sa t ion précoce, proche de
l a moyenne n a t i o n a l e , e t qui s ' é t e n d aux femmes -
l'analphabétisme des femmes recule plus v i t e que dans tout
le r e s t e de la France - un domaine où l a Creuse s'oppose
l à encore aux départements v o i s i n s . Les e f f e t s de l a
migration se marquent aussi dans des a t t i t udes re l ig ieuses
e t des posi t ions po l i t iques qui vont perdurer jusqu 'à nos
j o u r s . En e f fe t l a migra t ion p a r a i t avo i r h â t é un
p roces sus de d é c h r i s t i a n i s a t i o n , largement entamé
auparavant , i l se manifeste par un a n t i c l é r i c a l i s m e
v i r u l e n t , encore percep t ib le aujourd 'hui . In t rodu i t s par
l e s migrants revenus de Pa r i s ou de Lyon, c e r t a i n s
mouvements po l i t iques ( l ibéra l i sme, républicanisme, puis
social isme) trouvent un la rge écho dans l a Creuse e t
en t ra înen t un vote massif à gauche, à l a dif férence par
exemple de l a Haute-Vienne - qui v i en t tardivement au
soc ia l i sme bien q u ' e l l e a i t fourni e l l e a u s s i des
migrants-maçons - ou encore de la Savoie e t de l'Auvergne.
L ' é l ec t ion de M. Nadaud à l a deputat ion en 1849, e s t l e
f ru i t de l ' a c t i v i t é po l i t i que déployée par les migrants à
Paris e t dans la Creuse.
Dans ce bref panorama, on v o i t que l a longue
h i s t o i r e de la migration au XIXe, garde encore ses zones
d'ombre e t donne l i e u , sur c e r t a i n s p o i n t s , à des
in te rpré ta t ions divergentes mais le phénomène possède des
ca r ac t é r i s t i ques frappantes e t a marqué profondément l e
pays. I l a d ' a i l l e u r s s u s c i t é (et s u s c i t e encore) de
19 nombreuses études. Aussi bien, s'y référer pour construire
une identité creusoise et tenter de définir « une
politique patrimoniale » est sans doute moins paradoxal
qu'il nous avait semblé de prime abord.
Cette migration s'est beaucoup ralentie avec la
guerre de 14, mais elle n'a pas complètement cessé. De
jeunes Creusois iront participer à la reconstruction du
nord et de l'est de la France après les deux dernières
guerres, et entre 1921 et 193 6 on évalue leur nombre
encore à plusieurs milliers. Les maçons ont abandonné le
limousinage et se sont mis au ciment, puis au ciment armé
et vers 1950 au précontraint. Quelques études rendent
compte de cette évolution.
M. Privai a ainsi interviewé plusieurs maçons, nés
au début de ce siècle dans la région d'Auzances, et
reconstitué leur itinéraire professionnel8. Ainsi chez les
Bourderie, on est entrepreneur depuis cinq générations,
depuis qu'un ancêtre maçon, né en 1867, est parti a huit
ans avec son père sur les chantiers ; ou encore le cas de
Henri Boeuf qui a gravi tous les échelons, d'apprenti à
compagnon-briqueteur et cimentier, puis chef d'équipe,
chef de chantier, contremaître, enfin entrepreneur
employant jusqu'à 150 ouvriers. A l'issue de grèves
sévères, les conditions de vie et de travail ne sont plus
les mêmes après la guerre de 14. On est passé à la journée
de 8 heures, les salaires ont augmenté, les moyens
M. Privai, op. cit.
20
techniques se sont perfectionnés (treuils électriques,
grues, bétonnières à moteur...). Mais Privai note la
persistance de plusieurs traits anciens. On va encore
souvent travailler à Lyon et à Paris ; un certain esprit
du compagnonnage demeure qui .prend la forme d'une
solidarité entre gens de même pays : « Le fait de
présenter un pays au chef de chantier, écrit-il, est une
caution suffisante » ; demeure aussi un certain goût pour
un savoir-faire dont les Creusois se savent les
détenteurs.
Duteyrat, né lui aussi au début du siècle dans une
famille de paysan du plateau, a retracé son itinéraire
dans un livre de souvenirs9. Élève de l'école des Arts et
métiers de Paris et formé à toutes les techniques de son
temps, il va d'abord travailler au Sénégal où il construit
un quai en béton armé, puis à Lyon et à Paris, enfin en
Bretagne où il apprend tardivement la taille de la pierre
et le limousinage.
Et il est encore facile de rencontrer des maçons
creusois, revenus prendre leur retraite au pays, après
avoir participé à de nombreux chantiers. L'un d'entre eux
nous a raconté sa vie itinérante d'un chantier à l'autre,
après la dernière guerre : il a aimé vivre dans les
roulottes installées à proximité et se rappelle les étapes
de la modernisation du métier : « J'ai appris mon métier
avec les artisans-maçons de Felletin qui m'ont fait
Eugène Duteyrat, op.cit.
21
"monter l'oiseau"10. A l'époque, on échafaudait avec des
perches. Les échafaudages tubulaires ne sont venus qu'en
50-55. En 1945 j'étais à Lyon pour la reconstruction de
Bayard-presse : c'était pas une bricole, on échafaudait
des poutres de 25 mètres de portée avec des perches...
Avant la venue des bétonnières, il fallait faire toutes
les préparations à la main, et tout était livré en vrac :
les planches, les tonnes de ferrailles, le ciment... et
tout se répartissait entre les cimentiers, les boiseurs,
les ferrailleurs et les maçons qui s'occupaient, eux, du
coulage. Aujourd'hui, tout est préparé en atelier et livré
».
La migration creusoise s'est donc prolongé au XXe
mais l'histoire n'en a pas vraiment été faite. En Creuse
même, la maçonnerie va donner lieu à d'autres
développements. En 1910 est créée à Felletin l'École des
métiers du bâtiment dont 1'enseignement répondait aux
voeux de M. Nadaud et qui restera longtemps unique en
France. De nombreux élèves sont recrutés dans le pays même
et jusqu'à récemment, l'école était financée pour une
large part par les entrepreneurs d'origine creusoise
installés à Paris. D'autre part, à partir des années 20,
on fait venir en Creuse des travailleurs étrangers -
Belges, Tchèques et surtout Italiens - pour extraire la
pierre et la tailler. Or cette histoire proche dont
peuvent témoigner les Italiens de seconde génération -
plus Creusois que les Creusois de souche - est laissée de
10 L'expression est déjà dans M. Nadaud. Il s'agit de l'auge contenant le mortier et que les apprentis portaient dans les échafaudages.
22
côté par la plupart des érudits locaux, et par les
Associations. Tout se passe comme s'il n'y avait qu'une
seule histoire, celle, indéfiniment ressassée, que conte
M. Nadaud. D'autre part cette relation privilégiée au
bâtir, pensée comme l'apanage de la Creuse, est
aujourd'hui en train de se défaire. L'école des métiers,
qui a cessé d'être financée par les entrepreneurs creusois
(aujourd'hui arrivés à l'âge de la retraite et dont les
entreprises sont absorbées par les grosses sociétés), est
devenue un simple lycée technique, perdant ainsi une part
de sa singularité et du coup recrutant plus difficilement.
Quant aux tailleurs de pierre, ils ont vu, ces vingt
dernières années, leur nombre fondre et leur domaine
d'activité se restreindre sous l'effet de la modernisation
et de la concurrence. L'histoire des maçons s'épuise alors
que les recherches historiques et la littérature à leur
propos sont en plein essor - arrêtées sur le XIXe siècle,
âge d'or de la migration.
II. Mémoires familiales
La mémoire des migrants n'a jamais été perdue, elle
est restée particulièrement vivante chez les descendants
qui se sont transmis anecdotes, documents et
correspondance. Mais ce qui est conservé, ce sont le plus
souvent des souvenirs fragmentaires, pauvres en images et
en vrais contenus.
Départs et retours des maçons migrants, marqués par
toute l'émotion qui les accompagnaient, sont encore dans
les mémoires : « Les maçons partaient en campagne en
23
février, mars, quand le vent du nord était moins amer, et
ils revenaient en novembre. Quand les femmes voyaient
revenir les grues, elles disaient : "les grues revenant,
les hommes vont pas tarder à arriver" ». Pour d'autres le
retour des « hirondelles blanches » - allusion, bien sûr,
à la vie des maçons et à la blouse blanche qu'ils
portaient - correspondait à 1'époque de 1'arrachage des
pommes de terre.
Dans une famille de Boussac, une femme d'environ
soixante ans dont le grand-père avait été maçon-migrant
déclare ne rien savoir là-dessus, le grand-père s'étant
toujours refusé à parler de ses campagnes : « Mon grand-
père maternel avait une petite ferme avec quelques vaches
près de La Souterraine, et il laissait femme et enfants
pour partir à Paris. C'était ma grand-mère qui s'occupait
de la ferme et qui élevait les enfants. Il n'aimait pas en
parler, c'était un mauvais souvenir parce qu'il laissait
sa famille, je pense que c'était ça. Et puis avec ma mère
quelquefois on en a parlé, mais pas plus qu'il fallait ».
Et en effet notre interlocutrice ne sait pas combien
d'années il est parti, n'a connaissance d'aucun document
qui aurait été conservé, ignore comment il voyageait, et
se trompe même sur l'époque du départ puisqu'elle pense
qu'il s'absentait pendant les mois d'hiver. Mais, ajoute-
t-elle : « avec le recul je me dis que j'aurais dû lui
poser tout un tas de questions. On devient plus curieux du
passé ».
24
Monsieur R. , ancien tailleur de pierre âgé
d'environ 80 ans, se souvient de son père : « Il avait été
travailler à Paris. La pierre blanche [le calcaire], il
sciait ça avec un passe-partout. Mais scier le granit!
autrefois ce n'était même pas la peine d'essayer !
aujourd'hui oui on le scie! » Et après les considérations
techniques, il passe aux anecdotes : l'histoire d'un «
bonhomme qui était allé deux ans apprendre le métier de
maçon. Mais il aimait bien faire la bamboula et il fallait
que son père envoie des sous pour qu'il revienne. A la fin
le vieux voulait plus. Il y a plus eu moyen de partir ».
Certaines anecdotes, et notamment celles qui ont
trait au port des chaussures, thème emblématique des
premiers voyages à pied, sont répétées de génération en
génération. Ainsi l'histoire de Pierre Boijard, parti vers
1830 du hameau de Courcelles pour aller à Troyes : parti
sans le sou, chaussé de vieilles chaussures (son père
n'avait pas voulu lui en payer des neuves), il dut finir
son chemin pieds nus11.
Chez les G., on parlait beaucoup des maçons : « La
même Fernande était intarissable, elle écoutait, et elle
reprenait à sa façon », racontant aux enfants mille
anecdotes sur le voyage, les départs à pieds ou en
patache, les gamins qui partaient avec des souliers neufs
ou trop petits pour Paris et finissaient nus pieds parce
que les chaussures les gênaient. On continue de colporter
J. Sabourin, op. cit.
25
l'histoire du grand oncle parti à pied avec des souliers
qui le blessaient, et qui avait dilapidé tous ses gains,
prétendant au retour, par crainte des reproches de sa
femme, qu'ils lui avaient été volés en chemin... On
confirme 1'importance du voyage à Paris ou à Lyon. « Il y
avait la filiale lyonnaise. Il y avait des gens qui
étaient pas allés à Paris mais à Lyon...». Comme sa grand-
mère, Michel G. aime et sait raconter. Histoires «
coquines » : « On nous racontait, gamins, que certains
maçons mettaient une graine dans le ventre de leur femme
pour être sûr que le fruit soit d'eux » ; ou farces liées
au métier et dont plusieurs maçons ont fait les frais,
surtout quand ils aimaient bien boire : « On l'avait fait
asseoir au bord de l'auge de plâtre et on lui avait payé à
boire plusieurs fois. Derrière, avec un bâton, on avait
mis sa blouse à tremper dans l'auge et quand il avait
voulu se lever, il a dû poser sa blouse parce qu'elle
était prise dans le plâtre qui avait durci. »
Monsieur P., aujourd'hui à la retraite et petit-
fils d'un tuilier, se souvient avec émotion des récits de
son grand-père lorsqu'il avait 9 ans et qu'une grave
maladie l'avait tenu au lit de longs mois : « Mon grand-
père était parti tuilier à Lyon à l'âge de 9 ou 10 ans.
C'était vers 1865. Il avait perdu sa mère très jeune et
c'est une soeur aînée qui s'occupait de lui. Il savait
très bien raconter et je me souviens particulièrement de
deux choses. Il disait qu'à Lyon ils étaient logés et
nourris par l'entreprise et qu'ils vivaient dans une
promiscuité extraordinaire. Ils dormaient dans de la
26
paille à 4 ou 5 et on leur donnait à manger des pommes de
terre non épluchées. Il avait pour compagnon un sourd-muet
qui leur faisait comprendre qu'on les nourrissait comme
les cochons. La deuxième histoire qui m'avait frappé,
c'était qu'au bout de trois ans il avait réussi avec ses
économies - et pourtant il gagnait pas beaucoup - à
s'acheter une montre gousset que je lui ai toujours vu
porter et qui a toujours marché. C'est moi qui ait hérité
de cette montre et j'y tiens énormément. A l'âge adulte,
mon grand-père est venu à Paris et il s'est fait cocher de
fiacre. Et son seul objectif c'était le désir de promotion
sociale et d'acheter une petite propriété. L'arrière
grand-père de ma femme, lui, était peintre en bâtiment et
il avait monté une entreprise de vingt personnes. Ses
descendants qui ont aujourd'hui 80 ans vivent toujours des
revenus des immeubles qu'il avait acquis. Hormis sa
réussite, on ne raconte rien sur lui »
A l'inverse, Maurice S, instituteur, qui a perdu
son père tôt, n'a entendu aucun récit. Il a pris le temps,
au moment de sa retraite, de faire une vraie recherche
généalogique, remontant à son arrière arrière grand-père,
agriculteur. Et il reconstitue minutieusement la carrière
de son grand-père, « un véritable maçon de la Creuse »
qui, en 19 années de campagne a franchi toutes les étapes
du métier - maçon, maître-maçon poseur de pierres,
contremaître maçon - et a fait « tous les ans, sans
interruption, le trajet entre son village et les
départements de la Haute-Loire et de la Loire ». Il tire
son information du livret d'ouvrier, où sont notés tous
27
les départs et retours ainsi que les noms des employeurs.
Il sait ainsi que le grand-père est parti à 26 ans, que de
1856 à 1862 il est à Saint Etienne, qu'ensuite il tourne
entre quatre ville de Haute-Loire et de Loire. Il montre
même une lettre du directeur des ponts et chaussées de la
Haute-Loire, félicitant son grand-père pour la
construction du pont de Retournac : « Un pont qui a huit
ou dix arches, un pont important, il lui fallait des
connaissances techniques, et avec mon fils nous l'avons
visité ». Ils ont du reste visité tous les autres ponts
construits sur la Loire par le grand-père. A 45 ans,
retour au pays : « Il va gendre dans une propriété qui
devait pas être très brillante et il entreprend de
reconstruire un ensemble agricole complet ». Il passera le
reste de ses jours à reconstruire, agrandir, agrémenter
cette propriété : « Non seulement mon grand-père construit
la maison avec un perron monumental, une cave voûtée, un
escalier qui monte au premier avec des marches entière
taillées, une cheminée entièrement en granit, et à côté il
construit un hangar, une boulangerie avec four, une
buanderie avec grand cuvier, une porcherie, un poulailler,
un clapier, une grange pour les céréales et le foin, une
étable et une bergerie, deux puits, un pour les bêtes et
un autre pour la maison avec une pompe à l'intérieur, tout
en pierres...». Aujourd'hui, ce domaine appartient à
l'arrière petit-fils qui l'a laissé tel quel, ne l'habite
pas mais y vient chaque jour pour son plaisir, pour
l'entretenir, le maintenir - il y entrepose les vieilles
voitures qu'il collectionne, et son rapport à sa maison
28 est aussi celui d'un collectionneur. Maurice S. a été
chargé, il y a quelques années, de faire le recensement
des maisons de sa commune, et, nous dit-il, les trois plus
belles « qui sont des chefs d'oeuvre de taille de pierre,
des façades entièrement en taille de pierre, des cheminées
avec des pierres de 3 ou 4 mètres de long » ont été
construites par des maçons qui s'étaient enrichis dans la
région lyonnaise. Ainsi de la maison la plus proche de la
sienne, construite vers 1900, avec des tours de fenêtres
en briques « comme ça se faisait à l'époque ». Son grand-
père, il y insiste, n'était pas un cas exceptionnel - « ce
n'était pas un phénomène et je n'ai jamais connu de maçon
qui soit revenu misérable ».
Monsieur P., acteur et metteur en scène, issu d'une
famille de maçons12, a aussi consulté les archives et gardé
des souvenirs « J'ai retrouvé dans le grenier des papiers
anciens et il y avait notamment un aïeul qui était maçon ;
il travaillait à Argenton-sur-Creuse et revenait à pied,
environ 30 km, sans doute tous les mois. Et un jour il a
été assassiné parce qu'il avait son pécule quand il
revenait. Et j'ai retrouvé ça dans des minutes... Mon
grand-père est monté à Paris à pied et en sabots. On ne
sait pas combien de temps il a mis, on n'en sait rien. Il
a dû s'arrêter dans toutes les auberges, et puis il est
arrivé à la porte d'Orléans. Et il a vu que les gens
marchaient deux par deux, quatre par quatre en file. Il a
cru qu'on marchait comme ça à Paris... C'est comme ça
12 En 1996, il a mis en scène, sur le site dit des Pierres Jaumâtres, une vie de Martin Nadaud.
29
qu'il a assisté à l'enterrement de Victor Hugo, dont il
avait jamais entendu parler de sa vie. Et il a suivi
l'enterrement pensant qu'il fallait marcher comme ça, que
c'était la loi. Il était monté à Paris parce qu'il fallait
faire un voyage à Paris, à Lyon ou ailleurs. Il faisait
son pèlerinage à Paris, même s'il n'était pas maçon, comme
tous les maçons. Ils faisaient leur voyage à la Mecque. Je
ne sais pas combien de temps il y est resté. C'était comme
pour les chrétiens le pèlerinage de Chartres... C'était
des vacances, c'était une fête, c'était l'occasion de
s'arrêter dans tous les bistrots. » Un voyage à caractère
initiatique selon monsieur P. et c'est bien ainsi que les
descendants de migrants le perçoivent. En tous cas une
façon de voir du pays et un certain apprentissage de la
vie.
Dans une autre famille, les deux frères M, qui ont
pris leur retraite sur leur ferme, les événements de la
guerre de 1914 semblent avoir recouvert l'intérêt pour les
ancêtres maçons : « A notre génération (notre
interlocuteur est un homme de 75 ans), les vieux ne
parlaient plus que de la guerre de 14, ils parlaient plus
des maçons ». Leur propre père, né en 1893, avait d'abord
travaillé dans un village proche chez des meuniers, avant
de partir comme maçon en 1912. Sa carrière sera
interrompue par la guerre. Monsieur M. sait pourtant pas
mal de choses, qui lui reviennent pêle-mêle à mesure qu'il
nous montre les documents soigneusement conservés par la
famille : laissez-passer, carnets de route (« qu'il
fallait présenter, et avec ce qu'ils gagnaient ») ,
30 contrats (« les obligations entre ouvriers et ceux qui les
employaient ») photos, objets. « Mon père partait en
campagne à Vitry-le-François avec un monsieur d'ici, neveu
d'un gros entrepreneur, on a même une photo où il est pris
dans le bâtiment où il travaillait. Et notre grand-père
maternel allait comme tuilier du côté du plateau de
Langres. Il avait rapporté des corbeilles pour faire le
pain qu'on a encore ». Il montre plusieurs photos de son
père en tenue de maçon et se souvient aussi qu'on partait
d'abord comme manoeuvre, emmené par des parents et des
amis. Il se pose des questions sur le travail : « Il y a
des pierres de 300 kilos montées en haut, je sais pas
comment ils s'y prenaient ». Lui-même est maçon à ses
heures « comme tous les Creusois », dit-il. Il sort
également d'une boite un exemplaire du journal des
instituteurs de l'année 1871 : « C'était le frère à notre
grand-père qui était instituteur. Dans ses élèves, il y en
avait un qui sortait de par ici et qu'avait fait de grands
bâtiments à Paris. Et il allait faire visiter ces
bâtiments à l'impératrice, la femme de Napoléon III. C'est
lui qui la conduisait à son bras...» Des souvenirs qui
prennent appui sur les documents, et portent sur le métier
plus que sur la vie que pouvaient avoir ses ancêtres.
Mais, conclut-il, « c'est plutôt les gens qui viennent
d'ailleurs qui s'intéressent à ça, dans le village
personne parle plus des anciens maçons ».
Une mémoire qui, en gros, se partagerait selon les
traces écrites et la transmission orale : capable, dans le
premier cas de reconstituer les carrières avec des dates
31
et des lieux précis, entretenue aussi par les lieux
construits en Creuse et ailleurs; de l'autre, un passé
qu'on dirait sans date et comme condensé puisque toutes
les époques s'y réduisent à une seule, celle des temps
héroïques popularisée par la littérature : ainsi fait-on
voyager à pied des grands-pères ou des grands-oncles,
alors que deux générations avant eux on prenait déjà le
train. Une mémoire faite de mille anecdotes souvent
récurrentes, presque des stéréotypes (les pieds blessés,
l'argent volé ou gaspillé...) où la vie des individus et
l'épopée collective deviennent indistincts. Comme le
souligne un interlocuteur, parfois on ne sait plus très
bien si on les a lues dans les livres ou si elles vous ont
été racontées. Est-ce l'impression de connaissances très
fragmentaires que donnent parfois ces récits qui fait dire
à un de nos interlocuteurs que les descendants de maçons
ignorent ce passé ? « Ils ne font pas référence à ce
passé, ils l'ont oublié, ou veulent l'oublier, ou ça ne
les intéresse pas ». Ce n'est pas qu'ils ne s'y
intéressent pas, c'est que la mémoire, sauf quand elle est
volontaire, n'est faite que de bribes et de morceaux. A la
limite elle est presque sans contenu, on sait seulement
qu'on a eu un ancêtre maçon.
Si la mémoire des maçons est restée présente, c'est
aussi qu'elle a été fécondée par l'image du migrant
popularisée par toute une littérature. De façon
significative, c'est à la fin du XIXe siècle, au moment où
la pratique de la tradition saisonnière commence à se
défaire, que l'écrit en fixe pour la première fois les
32
traits : les Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon,
récit autobiographique de Martin Nadaud, paru en 1895 et
qui vient d'être réédité pour la cinquième fois. Véritable
document ethnographique qui rend dans le détail les
manières de vivre et de penser du moment - depuis
l'enfance à la ferme jusqu'au premier départ à 14 ans; de
la vie à Paris sur les chantiers et dans les garnis
jusqu'à l'engagement politique. Ce livre est aussi et
surtout un immense succès populaire. Non moins populaire,
la chanson « les maçons de la Creuse » écrite sous le
second Empire par un ancien migrant, Jean Petit du Boueix,
et toujours au répertoire des banquets ou des fêtes, est
connue bien au-delà du département. Elle offre, en neuf
couplets, un résumé édifiant de la migration : la douleur
de la femme restée seule avec les vieux parents et les
enfants ; le courage des maçons, leur goût pour la belle
ouvrage et les monuments par eux réalisés; le retour au
pays... En 1937 est publié Jeantou, le maçon creusois, de
G. Nigremont, roman pour enfants, réimprimé récemment. A
ces récits « fondateurs » s'ajoutent, depuis les années
1990, une littérature régionale qui a pris pour thème - et
comme on le verra, infléchi - la figure de l'ancien maçon-
migrant : Les moissons délaissées, de J.G. Soumy, premier
tome d'une longue saga, édité en livre de poche; François
le maçon, de Jeanine Berdicat, premier volume de la série
qu'elle a consacrée aux « Authentiques » ; sans compter
les récits pour enfants, Les mangeurs de Châtaigne, d'A.
Grousset ou Le voyage oublié des maçons de la Creuse ,
bande dessinée de Grousset et J.P. Farin.
33
III. L'histoire des maçons reprise aujourd'hui.
Érudits locaux, Associations
La publication simultanée des travaux de A. Corbin
en 1975 et de A. Châtelain en 1976, suivis bientôt
d'autres historiens (A. Poitrineau, L. Pérouas), a
renouvelé cette tradition en l'inscrivant dans l'histoire
nationale. Ces travaux ont ainsi fourni à la mémoire de
nouveaux éléments, et ils ont suscité en Creuse un
véritable engouement pour l'histoire des maçons du XIXe :
des associations se sont créées qui se sont donné pour but
de faire revivre cette histoire, des érudits locaux ont
entrepris des études ponctuelles sur la migration à partir
de documents trouvés sur place.
a. Érudits locaux
C'est le cas de P. Urien, professeur d'histoire
aujourd'hui à la retraite, qui a fait paraître dans les
Mémoires de la Société des Sciences naturelles et
archéologiques de la Creuse plusieurs articles dans
lesquels il s'attache à préciser la place tenue par les
maçons creusois au moment de la Commune13. Dans l'un, il
recense et décrit les manifestations populaires en faveur
de la Commune qui se déroulèrent en Creuse même, dans une
zone de migration, à l'est d'Aubusson. Dans un autre
P. Urien,.voir bibliographie.
34 article, il cherche à reconstituer le sort des Creusois
communards déportés en Nouvelle Calédonie, apportant des
informations sur leurs conditions de détention (953
Creusois furent jugés par les conseils de guerre, 487
furent déportés dont seulement 228 purent être
identifiés). Enfin, il fait le point sur la situation des
ouvriers creusois à Paris en 1870-1871 (répartition
professionnelle, conditions de vie, lieux de domicile,
attitudes politiques). Des articles qui, sans chercher à
embrasser le phénomène dans sa globalité, donnent
quantités d'informations de détail qui enrichissent, tout
en les corroborant, les travaux des universitaires.
Jacqueline Sabourin, inspectrice de l'enseignement
primaire également à la retraite, est membre actif de la
Société des Sciences naturelles et archéologiques de la
Creuse. Elle a publié de nombreuses études historiques
(sur le développement de l'enseignement au XIXe ou sur le
tracé des voies romaines dans la Creuse) et reconstitué
l'histoire de la migration à l'échelle de sa commune, en
s ' appuyant à la fois sur la mémoire orale et sur les
documents recueillis auprès des descendants de migrants
(livrets d'ouvriers, lettres, contrats concernant les
chantiers, bulletins de dépôt d'argent à la poste,
certificats délivrés par les employeurs etc.). « Une vraie
fouinarde » dit-on d'elle, non comme une critique mais
comme un hommage à sa curiosité. Son compte-rendu,
minutieux et précis, nourri de noms (de famille, de
lieux), de détails vivants et de chiffres, apparaît comme
une illustration du travail mené par les universitaires,
35
en propose comme une vue rapprochée. A La Rochette, en
1846, sur les 190 familles fixées au village, 87 comptent
un ou plusieurs maçons. Ces derniers sont cultivateurs
mais aussi fils de meunier, maréchal-ferrant... Si
quelques familles de maçons vivent au bord de la misère,
c'est loin d'être le cas général. En 1856, parmi les
trente familles les plus imposées de la commune - ce qui,
comme le souligne J. Sabourin, dénote une certaine aisance
- treize, donc presque la moitié, comptent un maçon.
Partir en campagne est un moyen d'obtenir quelques
liquidités pour agrandir la propriété - d'une faible
superficie, en moyenne 7 hectares - ou d'éviter de la
morceler entre les héritiers. Dans ce but d'ailleurs se
note aussi une limitation des naissances qui entraîne en
un demi siècle une diminution marquée de la population
(915 habitants en 1815, 764 en 1866; en 1850 sur 96
familles, 57 n'ont pas plus de un ou deux enfants).
Ce sont les 15-29 ans qui constituent le gros de la
troupe des partants (50%), alors que passés 45 ans on
hésite à migrer (8%) avant de renoncer tout à fait. De La
Rochette, ce n'est pas vers la Capitale qu'on se rend (10%
seulement des migrants), mais plutôt vers Troyes, Besançon
et les régions avoisinantes auxquelles certains restent
fidèles des années durant, les aînés entraînant les plus
jeunes. Les équipes de travail sont souvent constituées
avant même le départ et des engagements parfois pris à
l'avance, par lettre, avec des entrepreneurs. Mais il y a
aussi parmi les partants des esprits aventureux, à la
recherche de meilleurs salaires ou curieux de voir du pays
36
: ils sont quatre, en 1863, à partir à Marseille, d'où ils
rejoindront l'Egypte pour participer à la construction du
canal de Suez, deux à la fin du XIXe à aller en Russie
pour construire des fours à pain. Aucun d'entre eux n'a
donc participé, comme le dit la chanson des maçons de la
Creuse, à la construction des grands édifices parisiens,
mais ils construisent plus prosaïquement des ponts, des
maisons de garde-barrière, des gares, des écluses et les
maisons des éclusiers...
Les carnets que J. Sabourin a eu entre les mains
contiennent les notations les plus disparates et qui,
mises bout à bout, sont riches de détails. Ainsi Eugène
Aumenier qui prend le train le 16 juin 1866 à 9h.50 à
Auxerre pour rentrer chez lui à Fourneaux, note sur son
carnet le nom des 44 gares où s'arrête le train. Ainsi
apprend-on que pendant le mois de juillet 1825, il a
travaillé 24 journées et demi ; qu'en avril 1825 un mois
de loyer fait 11 francs 10 sous ; combien d'argent a été
économisé durant une campagne : « j'ai donné à serrer mon
argent à ma bourgeoise la somme de 63 francs 5 sous ». Et
on raconte encore aujourd'hui à La Rochette la campagne
mirifique de François Courty, qui parti s'embaucher dans
l'Isère vers 1860, refusa à son retour d'informer sa femme
de ses gains; celle-ci intriguée, se leva la nuit pour
tâter les poches de son mari et y trouva 20 louis de 20
francs, somme exceptionnelle à l'époque. En plus de
l'argent, les migrants rapportent toutes sortes de choses
et J. Sabourin recense : une paire de chenets, une pendule
de Besançon, un morceau de corail d'Egypte, des plantes et
37
des oignons à fleurs... Ils rapportent surtout de nouveaux
procédés de construction ou des idées de décoration et
d'amélioration pour leur maison. C'est ainsi que la façade
de Félix Delouche est décorée d'un fronton triangulaire,
et qu'une tour est ajoutée à celle de Jean Teillard. J.
Sabourin reconstitue également les généalogies des
familles de maçons telle celle des Maumy qui migrent
durant trois générations puis renoncent à partir. A la
Rochette le nombre des départs va aller s'amenuisant au
cours du XIXe (ils sont 200 en 1815, 40 en 1864) sous
l'effet conjugué de l'émigration définitive et d'une
production agricole maintenant suffisante pour nourrir la
population. Mais, comme le remarque l'historienne « les
hommes de la commune ont conservé longtemps leur vocation
de maçons et un certain goût de la bougeotte ».
b. L'Association des maçons de la Creuse
Faisant écho à ce nouvel intérêt, l'Association du
plateau des Combes, devenue depuis novembre 1996
l'Association des maçons de la Creuse, a utilisé les
recherches des spécialistes et l'apport romanesque des
écrivains pour développer un tout autre projet : restituer
aux Creusois l'histoire de la migration, la mettre à leur
portée et presque sous leurs yeux en s'efforçant d'en
retrouver les traces dans le pays. C'est essentiellement à
l'initiative de deux enseignants que cette entreprise a
pris forme : P. Urien dont nous avons déjà évoqué les
travaux sur la Commune, et qui est aussi vice président de
la Société des Sciences naturelles et archéologiques de la
38
Creuse ; R. Nicoux, est professeur à l'ancienne École des
métiers du bâtiment de Felletin. Il s'est intéressé un
temps à l'archéologie, et il est conseiller municipal de
Felletin.
L'association du plateau des Combes (du nom d'un
hameau proche de Felletin), n'était au départ qu'une
simple association de quartier, créée à l'initiative de
cinq ou six familles venues s'y installer dans les années
1970. A cette époque les membres de l'association se
bornaient à organiser des fêtes dans une grange aménagée à
cet effet, parents et enfants s'y retrouvaient au mardi-
gras, pour la Saint-Jean, au moment de la fabrication du
cidre... C'est après avoir écouté une conférence de P.
Urien sur l'histoire des maçons de la Creuse et dont le
but était d'<< expliquer à certains pourquoi ils étaient
partis », que les membres de l'association donnèrent à
leur activité une autre orientation. Rappelés à un passé
qui, pour certains d'entre eux, était celui-là même de
leurs ancêtres, ils se mirent, deux ans durant, à réunir
tous les documents possibles sur le phénomène des migrants
creusois. En 1983, une brève exposition présenta au public
les résultats de ces recherches, obtenant un succès
inattendu. Enrichie et remaniée en 1986, cette exposition
a circulé dans le département et dans de nombreuses villes
de France (plus de 60 villes dont Paris, Tours, Bordeaux)
jusqu'en 1998. Elle a été aussitôt remplacée par une
autre, conçue sur le même modèle et consacrée à M. Nadaud.
39
L'exposition de 1986 se compose de quarante et un
grands panneaux qui conjuguent textes (citations
d'écrivains et d'historiens, extraits de lettres ou de
journaux, commentaires) et reproductions (photos,
graphiques, gravures, documents d'époque, plans, cartes
etc.). Calquée, pour une grande part, sur ce que fut la
vie même de Martin Nadaud, l'exposition propose une sorte
d'histoire illustrée de la migration : débuts de la
migration creusoise, métiers exercés, itinéraires
empruntés vers Lyon et vers Paris, cantons d'origine des
migrants, conditions de travail (embauche, accidents,
maladies, chantiers, chômage), conditions de vie (garnis,
jeux, distractions), participations aux révolutions de
1830, de 1848 et à la Commune, engagement dans les luttes
ouvrières, réussite sociale ou politique (nombreux
entrepreneurs mais aussi deux députés et deux sénateurs).
Quelques panneaux sont réservés à la vie au pays - le
retour du maçon dans des habits achetés chez le fripier,
la vie des femmes à la ferme pendant les mois d'absence
des hommes - et aux changements consécutifs à la
migration, tels que l'accentuation de la
déchristianisation ou la transformation de l'habitat. Le
XXe siècle tient en peu de panneaux : la création de
l'École des métiers du bâtiment à Felletin en 1910, la
venue en Creuse de travailleurs immigrés espagnols vers
1960.
Parallèlement à cette entreprise pédagogique, et
dans le but explicite de créer un musée, les animateurs
ont poursuivi une sorte de travail d'accumulation :
40
collecte des récits transmis oralement, des lettres
conservées par les familles des hommes partis en campagne,
recensement des publications (plus de 400) concernant les
maçons, relevé des constructions réalisées dans le pays
par les « retournants » (bâtiments civils, croix, lavoirs,
ponts, modernisations des fermes principalement dans la
deuxième moitié du XIXe siècle), collections d'outils, de
vêtements, photos, iconographie, passeports, livrets
d'ouvriers, factures, passations de marché. Enfin certains
membres de l'Association se consacrent à des recherches
ponctuelles, telles la reconstitution de généalogies et de
« lignées » de migrants.
Une soixantaine de correspondants, dont les plus
actifs vivent souvent hors de Creuse, dans les anciennes
villes d'immigration, ont aidé à recueillir cette
documentation que l'Association se charge de répandre par
toutes sortes de moyens : publications, tournées de
conférence et projections de diapositives, films vidéos («
Gabriel, Sylvain, Amédée et autres migrants creusois »,
une évocation de maçons par leurs descendants, et « Des
yeux, des regards », interviews d'artistes de la région en
référence à l'aventure des maçons). Enfin, depuis 1996
l'Association qui compte aujourd'hui 300 membres, fait
paraître une fois par an un bulletin qui réunit
informations, témoignages ou études ponctuels.
Des manifestations ont marqué le centenaire (en
1898) de la mort de Martin Nadaud. Outre l'exposition
itinérante déjà mentionnée, retraçant sa vie et les
41
événements politiques auxquels il fut mêlé, on réédite son
livre (on reprend même les deux éditions de 1975 et de
1976, la première préfacée par M. Agulhon, l'autre par J.-
P. Rioux); un érudit local, D. Dayen, publie sa biographie
; des historiens (M. Agulhon, Pérouas, A. Corbin entre
autres) consacrent des cycles de conférence à Martin
Nadaud et à certains aspects de la migration creusoise.
L'Association organise deux voyages : l'un à Paris - dans
le 20e arrondissement dont Martin Nadaud fut conseiller
général et à la Chambre des députés où il siégea de
longues années - l'autre en Angleterre, sur les lieux
mêmes où il vécut pendant son exil.
Forte de l'expérience acquise, l'association des
Maçons de la Creuse concentre aujourd'hui son programme
autour de deux grands thèmes : « témoigner du rôle des
Creusois et autres Limousins dans l'histoire du bâtiment
», et « servir de vitrine au bâtiment d'hier et
d'aujourd'hui » en en faisant connaître les réalisations
et les techniques. Quatre commissions se partagent la
tâche. La commission muséographique se donne pour but de «
répertorier et rechercher les traces architecturales
intéressantes de l'habitat rural et urbain ainsi que le
petit patrimoine bâti existant (puits, fontaines, fours,
moulins, lavoirs, huileries, croix, monuments funéraires,
habitats remarquables) ». La commission de recherche
historique s'attache, elle, à « répertorier les traces
écrites ou orales témoignant de la migration ». La
commission communications et tourisme se chargera «
d'animations touristiques permanentes ou ponctuelles ».
42 Enfin la commission relations avec les professionnels
s'occupera de « répertorier les artisans et entrepreneurs
de maçonnerie en exercice, d'enquêter auprès de chacun
d'eux et de réfléchir sur la mise en place d'un "label"
maçons de la Creuse ». On le voit, les buts de la société
se sont déplacés depuis sa fondation, la recherche
proprement historique étant à peu près faite, il s'agit de
la faire servir au développement du pays par le tourisme
et par le renouvellement de l'enseignement des métiers du
bâtiment.
Comment l'histoire de la migration a-t-elle été
abordée, comment est-elle restituée dans les expositions,
les articles ou les films ?
L'exposition, intitulée « Les maçons de la Creuse
et autres migrants : le maçon creusois du XIXe siècle »
s'appuie sur une iconographie abondante et sur les
Mémoires de Martin Nadaud. Elle met en évidence le
bouleversement intervenu « dans les conditions de travail
et de vie de l'ouvrier migrant ainsi que dans sa mentalité
». Le choix se porte donc sur une période clé de la vie
ouvrière. Soucieux de « sauver de 1'oubli le phénomène de
la migration et de le porter à la connaissance du plus
grand nombre », les responsables posent, dès le début, une
volonté d'objectivité : « C'est la réalité de sa vie (du
maçon), dégagée des embellissements folkloriques que nous
avons voulu montrer ». L'exposition corrige certaines
idées toutes faites (ainsi le pourcentage, jusqu'alors
surestimé, des tailleurs de pierre, ramené à 9,4%), et
43
elle réserve une place à des points de vue différents
concernant, par exemple, la richesse relative apportée au
pays par les campagnes des maçons. Ainsi De Patourneaux
écrivant sur le phénomène de la migration en 1827 : «
Source féconde de richesse et de prospérité, l'émigration
est la vie de ce département », alors que Labrune en 1867
: « Ceux qui économisent et peuvent disposer de quelques
réserves, après avoir pourvu aux besoins de la famille,
sont le petit nombre et dans le petit nombre il en est peu
qui s'occupent sérieusement de la fertilité de leur terre
». De même montrent-ils le point de vue divergent des
historiens à propos de la progression des migrations
temporaires. Est ainsi proposé, à grands traits, un
compte-rendu vivant et bien documenté de l'histoire de la
migration creusoise, partagée entre la vie sur les
chantiers et le retour au pays. Et toujours dans le souci
d'échapper à tout folklorisme, on la replace dans
l'histoire des luttes ouvrières du XIXe siècle. Si
l'exposition donne, dans les différentes villes où elle a
été montrée, une bonne image des migrants creusois, elle
permet à leurs descendants de saisir cette histoire dans
toute sa continuité, de nourrir et réactiver la mémoire
familiale.
c. Une interprétation
Centrée sur l'évolution de la condition ouvrière,
cette approche conduit, nous semble-t-il, à certaines
simplifications. C'est ainsi qu'est opposé un peu
arbitrairement le migrant d'avant 1840 « résigné et
44
fataliste » à l'ouvrier de la seconde moitié du siècle qui
« retrouve sa dignité : il s'instruit, il milite
(politiquement et professionnellement), il apprend à se
battre (chausson, canne) et peut se défendre quand on
l'insulte [...] » (conférence faite par P. Urien en
1984). Passons sur les considérations, bien peu
objectives, relatives au caractère « résigné et fataliste
» du migrant, à son incapacité à se défendre ou à sa
dignité « retrouvée ». Mais comment établir une coupure
aussi radicale à l'intérieur du mouvement migratoire au
point d'opposer de façon caricaturale deux figures de
migrant (le paysan et l'ouvrier ?). C'est supposer que,
dans les multiples composantes d'un phénomène en
évolution, tout se transforme en même temps et à la même
vitesse, que, par exemple, on a acquis ensemble
instruction et conscience politique. Mais tel n'est pas le
cas, et on verra que dans plusieurs communes de Creuse
l'alphabétisation était déjà bien développée avant 1830.
Sans doute les liens entre le mouvement ouvrier et la
migration sont-ils multiples et déterminants :
participation active des maçons aux grands mouvements de
conquête sociale (c'est Martin Nadaud qui obtient, en
1888, que soit modifiée la législation sur les accidents
du travail) et aux différentes révolutions (12 Creusois
sont tués sur les barricades en 1830, 711 sont exilés en
Algérie en 1848, 1600 à 3200 sont tués et 953 condamnés
par les conseils de guerre en 1871, la Creuse se situant
au 3e rang des départements touchés), et en Creuse même
vote massivement à gauche. Il n'en reste pas moins que les
45
maçons-migrants ont toujours gardé, même dans les luttes
ouvrières, une certaine indépendance. Comme le note
Corbin, la solidarité régionale prime longtemps pour eux
sur une solidarité de classe qui, même lorsqu'elle se
développe, fonctionne à l'intérieur du vieux cadre
d'entraide et ne les incite pas à passer par une
organisation politique structurée. Et on n'a pas de
documents qui montrent la participation des Creusois au
syndicalisme. On sait par ailleurs que les principes
socialistes n'ont pas eu la même résonance chez l'ouvrier-
migrant, lui-même petit propriétaire, que chez l'ouvrier
des villes. Toutes ces différences font précisément
mesurer la force d'un mode de vie qui pousse les hommes à
partir en quête de travail, sans qu'ils aient la volonté
de se fixer sur les lieux de travail.
Le choix du sous-titre de l'exposition, « un
travailleur immigré », cherche à donner à l'histoire de la
migration creusoise une autre portée en l'assimilant à un
mouvement « universel, moderne ». Il reprend une formule
de M. Agulhon dans sa préface à la réédition du livre de
Martin Nadaud : « Voilà des hommes qui viennent d'un pays
éloigné, partiellement étranger [...]; des hommes qui
viennent seuls, sans femmes, pour travailler dur, gagner
de l'argent, et repartir pour investir leurs économies au
village; qui vivent entre eux, en solidarité de párentele
et de pays; des hommes qui, il le semble bien, parlent
entre eux leur dialecte. Bref, Léonard est le premier
modèle du "travailleur immigré". » Et il ajoute : «
Naturellement, Français et catholique de toujours, il a
46
quelques d i f f icu l tés de moins que l 'éboueur, le t e r r a s s i e r
ou l ' O . S . a f r i ca in d ' au jou rd 'hu i , e t nous ne saur ions
pousser l ' analogie trop lo in ». J . P. Rioux l u i f a i t écho
l ' année suivante , mais pousse un peu l ' a n a l o g i e : «
Léonard, é c r i t - i l , es t bien notre contemporain qui d é c r i t
des immigrés mais f rança i s ; qui nous r appe l l e que nous
sommes tous appelés à v iv re dans l e déchirement c e t t e
l u t t e inéga le e n t r e l a f i d é l i t é des sources e t l e
déracinement implacable [ . . . ] A l i r e Nadaud on comprend la
Goutte d'Or ». R. Nicoux, l u i , pousse la comparaison à son
terme : « Le maçon de la Creuse, [ . . . ] c ' e s t l e manoeuvre,
l 'immigré du XXe s i èc l e qui se bat pour obtenir une ca r t e
de séjour et qui se f a i t expulser du foyer Sonocotra ». Ou
encore : « La longue h i s t o i r e de nos migrants, f a i t e de
labeur, de souffrance e t de deu i l s , v i v i f i é e à l 'époque
contemporaine par l a l u t t e pour conquérir l e s t a t u t de
Français à par t e n t i è r e , a marqué de façon profonde la
Creuse e t ses o r i g i n a i r e s ». D'une analogie simplement
suggest ive e t des t inée à appeler l ' a t t e n t i o n sur une
manière de vivre (entre hommes, l i é s par le voisinage, l a
parenté , le pa to i s , l e t r a v a i l ) on en e s t venu à plaquer
une r é a l i t é sur une au t re , à p ro j e t e r l e présent sur l e
passé, au risque de méconnaître la s p é c i f i c i t é e t de l ' u n
e t de l ' a u t r e . P r i se de p o s i t i o n idéologique p l u t ô t
qu'approche historienne, e t qui fausse la compréhension de
l a mig ra t ion . C ' e s t pou r t an t a i n s i q u ' e s t p r é sen t ée
l ' h i s t o i r e locale.
Le panneau i n t r o d u c t i f à l ' e x p o s i t i o n e s t
particulièrement ins t ruc t i f à cet égard :
47
« Au fil des 41 panneaux de l'exposition, vous
pourrez constater combien le passé est par certains côtés
demeuré d'actualité. Handicapés par la langue, ignorants,
sujets à la suspicion policière, chargés des tâches les
plus rudes, relégués dans d'infâmes garnis. Vers 1840, ces
Creusois exilés sont résignés à leur condition. Le milieu
du siècle est une période charnière. Ils vont s'instruire,
participer aux grandes luttes politiques et sociales,
devenir des ouvriers à part entière, imposer le respect
par leur réussite professionnelle. Ils ont conquis leur
dignité. La mémoire de ces hommes mérite d'être préservée
de l'oubli. »
C'est donc sur le modèle des immigrés d'aujourd'hui
qu'on se représente les migrants du XIXe, il suffit de
regarder le présent pour comprendre le passé. Une
opération qui induit des images précises. Ainsi les maçons
creusois (ceux, du moins, d'avant 1840), seraient-ils «
handicapés par la langue » et « ignorants ». Comme si
l'usage du patois (très courant à cette époque) impliquait
l'ignorance de la langue commune. Le patois, qu'on
utilisait entre soi, était un facteur de cohésion, comme
le souligne A. Corbin14 : « La cohésion du groupe régional
se traduit, bien sûr dans le langage; entre eux les
migrants utilisent celui de leur pays ». Ils utilisaient
aussi bien le français et on ne lit nulle part qu'ils
aient eu le moindre mal à se faire comprendre. D'autant
plus qu'ils étaient souvent alphabétisés. Et c'est semble-
A. Corbin, « Les paysans de Paris ... », Ethnologie française.
48
t-il l'émigration qui a été un facteur déterminant dans
l'alphabétisation du département. Ce qu'illustre le cas
déjà cité de M. Nadaud que son père, migrant lui-même,
obligea à apprendre à lire. D. Dayen, qui a étudié le
développement de l'enseignement primaire dans la Creuse,
montre par exemple que dans la commune de Saint Avit-le-
Pauvre, région de forte migration, il n'y a, en 1830, que
18% de conscrits illettrés. Et J. Sabourin, dans son étude
sur la commune de La Rochette,. note qu'à partir de 1830
(donc bien avant la date charnière donnée dans le placard
d'introduction à l'exposition) huit à neuf jeunes hommes
sur dix savent lire et écrire. En 1857 l'usage de l'écrit
est si bien passé dans les moeurs que le conseil municipal
de La Rochette, demande le passage quotidien d'un facteur
car, est-il précisé, « il y a dans cette commune un grand
nombre d'ouvriers qui écrivent à leur famille ou qui en
reçoivent un grand nombre de lettres ». Nous avons nous-
mêmes pris connaissance d'une quarantaine de lettres
échangées entre les maçons et leur familles, et dont la
première date de 1828. On mesure ce qu'a de simplificateur
et d'arbitraire ce panneau de présentation.
Mais la même image de gens ignorants et handicapés
revient avec persistance sous la plume de R. Nicoux : «
Comme les émigrés, ils [les migrants] souffrent d'un
manque d'instruction, sont des déracinés en rupture
d'habitude. Confondus avec les vagabonds et autres
marginaux, les maçons migrants sont tenus en suspicion par
les autorités et soumis à une étroite surveillance
policière ». Un portrait trop calqué sur l'actualité pour
49
vraiment rendre compte des migrants du XIXe siècle, ni
déracinés, ni en rupture d'habitude, comme les historiens
l'ont montré, bien au contraire. D'autre part, à une
époque où partir sur les routes pour une saison de travail
était le mode de vie de nombreuses campagnes de France, il
n'y a pas grand sens à parler de marginalité et de
vagabondage. Quant à la surveillance policière, plus ou
moins lourde au cours du siècle, elle se traduisait par
l'obligation, faite à tous, de posséder un passeport, et
pour les ouvriers un livret de travail, documents qui
n'étaient pas toujours utilisés ni toujours en règle. D'où
la difficulté, que note Corbin, de s'en servir pour
dénombrer les migrants.
La mise en garde d'Agulhon n'était pas sans
fondement. A forcer la comparaison entre migrations de
siècles différents, on fait le choix de termes
anachroniques qui n'ont rien d'innocent, car ils portent
en eux des représentations faussées, tendancieuses. Ainsi
lorsque Nicoux note que les migrants étaient tout à la
fois victimes du « racisme » - de la part des habitants
des régions qu'ils traversaient pour se rendre à pied à
Paris ou des ouvriers parisiens avec qui ils étaient en
fréquente rivalité -, et eux-mêmes « xénophobes »,
lorsqu'ils se trouvaient en compétition, à Lyon, avec la
main d'oeuvre venue de Savoie (qui appartenait encore au
Piémont) ou, à Paris, avec les Allemands qui acceptaient
un moindre salaire. Ou encore lorsqu'on les déclare «
exclus » du tour de France des compagnons, ou qu'on fait
le constat qu'on ne trouve pas chez les immigrés actuels
50 une volonté d'<< intégration » qu'on croit déceler chez les
migrants creusois. Et que dire d'expressions telles que «
devoir de mémoire », avec la surdétermination que lui
donne le contexte dans lequel elle a été créée, et que les
promoteurs de cette histoire locale n'hésitent pas à
employer pour parler de leur démarche.
Publications, expositions, films, tout en
présentant des documents, des photos, des faits bien
attestés de la vie des maçons, usent constamment de ce
vocabulaire et de ces images, au point que ceux-là mêmes à
qui ce discours est destiné, le déclarent irrecevable.
Ainsi plusieurs de nos interlocuteurs creusois se sont-ils
montrés critiques, jugeant l'histoire ainsi restituée
tantôt farfelue ( l'association, « des rigolos », nous a-
t-on dit ), tantôt politisée à l'excès, jugeant aussi
qu'elle donne de la vie de leurs ancêtres, une vision
misérabiliste qui les choque et en décalage avec leur
propre savoir, leur propre mémoire.
Mais à vouloir « universaliser » et « moderniser »
le phénomène de la migration creusoise, on ne la réduit
pas seulement, on fait l'opération inverse puisque, à
l'autre extrême, on en arrive à donner à l'émigration
creusoise une extension telle qu'elle inclut tous ceux qui
sont partis étudier, travailler, vivre hors de Creuse.
C'est d'ailleurs, selon un journaliste de la Montagne, le
cas de Nicoux : « Il admire ses ancêtres, et, comme ses
aïeux, il a émigré pour travailler à Paris, dix années
d'exil...». Et on parle aussi d'émigrés (il est vrai
51
imprimé en i t a l i q u e dans l e texte) à propos des Creusois
revenus au pays pour l e temps des vacances. De f i l en
a i g u i l l e , à p a r t i r d'une analogie v i t e f a i t e , on passe du
maçon du XIXe s i è c l e à l 'immigré d 'au jourd 'hui « qui se
bat pour obtenir une car te de séjour », e t de l'immigré au
professeur qui rev ien t passer ses vacances au pays. Point
de vue idéologique qui c o n t r e d i t , sur deux p o i n s t s ,
l ' ambi t ion définie a i l l e u r s : en premier l i eu comprendre
le phénomène de l a migration en général ; en second l i e u
r e s t i t u e r aux Creusois un passé supposé leur appartenir en
propre e t c o n s t i t u e r l eur i d e n t i t é . On a vu que l e s
Creusois à qui e s t proposée ce t t e représenta t ion de leurs
ancê t r e s , ont du mal à s ' y reconna î t re , ne pouvant l e s
pense r n i sur l e modèle des t r a v a i l l e u r s immigrés
d 'aujourd'hui, n i sur celui des I t a l i en s venus nombreux en
Creuse dans les années v ingt , ou des Portugais qui l eu r
ont succédé dans les années 50-60. I l n ' e s t d ' a i l l e u r s pas
fa i t référence à ce t te immigration récente - e t r éuss ie .
d. Le maçon idéa l i sé
Pr isonniers , sans doute, de l ' image qu'impose l e
r é c i t de Martin Nadaud, tout à l a fois ce l l e du maçon mais
a u s s i du m i l i t a n t e t de l'homme p o l i t i q u e ,
l ' i n t e r p r é t a t i o n de l ' h i s t o i r e des maçons qui e s t
proposée, o s c i l l e en t re un c e r t a i n apitoiement sur l a
dure té des condi t ions de v ie des maçons e t l a mise en
valeur de son caractère héroïque.
Cette ferveur mise à p r é se rve r l a mémoire des
migrants en ne re tenant de leur mode de v ie qu'une image
52 épurée, va jusqu'à nier les faits les plus banals du
quotidien (le vin, les femmes). Elle s'est traduite
dernièrement par la dénonciation publique d'un livre,
écrit par une journaliste, D. Demachy-Dantin, sur
l'histoire des maçons. Indignés du contenu de l'ouvrage,
les responsables de l'association décidèrent « d'aviser
les adhérents et la Presse de l'atteinte portée à la
mémoire de nos ancêtres » et envoyèrent la mise en garde
suivante : « L'association 'les maçons de la Creuse', qui
s'est assignée un devoir de mémoire à l'égard des ouvriers
migrants qui, pendant des siècles, ont assuré la survie et
le renom de la Marche, proteste énergiquement contre
l'image dévalorisante que donne de nos compatriotes Mme
Demachy-Dantin dans l'ouvrage abusivement intitulé
Histoire des maçons de la Creuse en particulier dans les
passages traitant de l'alcoolisme, de la prostitution et
de la criminalité ». Sans doute l'ouvrage de D. Demachy-
Dantin, travail de compilation construit sans grande
rigueur historique, est-il critiquable à bien des égards.
Mais la réaction outrancière des animateurs de
l'association - très déçus d'ailleurs de ne pas avoir été
suivis par les médias dans leur dénonciation - le fait
surtout d'épingler tout particulièrement les passages
ayant trait à l'alcoolisme, à la prostitution et à la
criminalité - traduit bien leur souci de faire du maçon
une figure d'une moralité exemplaire et du coup de le
figer dans une sorte d'image d'épinal. Celle d'hommes
supportant les conditions de vie les plus rudes, tout en
ne songeant qu'à travailler, économiser, ou s'investir
53
dans les grandes causes. Les historiens ont commenté les
trois points incriminés : « Les stéréotypes, dit Corbin,
concernant la moralité des migrants ont été pris pour
argent comptant et on peut se demander s'ils ne relèvent
pas de l'a priori [...] Le silence quasi total des
témoignages concernant la sexualité des Limousins de Paris
suffit à souligner l'invraisemblance des sources
descriptives. » En effet comme le rappelle A. Corbin « les
chambrées étaient installées dans les quartiers
traditionnellement voués à la prostitution populaire et
ces groupements de célibataires constituaient une des
principales clientèles des femmes vénales ». Concernant la
consommation du vin, il écrit encore : « C'est en bande
que le matin, il [le travailleur limousin] , se rend au
chantier et qu'il hante la salle du marchand de vins
spécialisé dans la clientèle des maçons ». Et Martin
Nadaud lui-même se plaît à évoquer, à plusieurs reprises,
ces figures d'ivrognes : l'un « soiffeur, un buveur de
goutte; il finit par contracter des habitudes d'ivrogne;
peu à peu il se démoralisa, s'abrutit » ; ou encore
parlant de ceux qu'il appelle les prodigues « l'argent
leur fond dans les mains, ils le dépensent en détail, en
buvant des gouttes et des canons toute la journée ». Il
montre aussi que, sans forcément sombrer dans
l'ivrognerie, tous ont besoin de boire : « Dès que nous
avions pris les matins nos effets de travail, il fallait
aller boire la goutte et souvent nous redoublions deux ou
trois fois. Comme nous allions déjeuner à la barrière de
l'Étoile et que le vin était moins cher que dans Paris, au
54
lieu de boire une chopine nous buvions un litre. A 2h. il
nous fallait notre litre [. . . ] Puis il fallait aller boire
le vin de 4h.».
Des notations que les promoteurs de l'histoire
locale ont choisi d'oublier, dans leur souci non seulement
de restituer cette histoire mais de la valoriser, et
emplis de cette singulière prévention que c'est seulement
en l'épurant qu'elle mérite d'être effectivement objet
d'histoire et de mémoire. Il s'agit pour eux de célébrer
la vie des maçons et cela suppose d'abord qu'on la
dépouille de toute liberté et de tout moment de bonheur,
de plaisir, de grâce, de découverte : « La longue histoire
de ces hommes, faite de siècles de labeur, de souffrances
et de deuils a marqué de façon profonde la Creuse et ceux
qui en sont issus. Elle mérite d'être sauvée de l'oubli et
même d'être magnifiée », écrit R. Nicoux. Cela suppose en
outre qu'on l'inscrive dans la grande histoire, celle des
révolutions. C'est ce que fait une très récente pièce de
théâtre, Un maçon nommé Martin, écrite par Jean-Simon
Prévost, et mise en scène par l'auteur, au lieu-dit les
Pierres Jaumâtres à Boussac en 1996. Sous un titre qui
laisse croire à une évocation de la vie de Nadaud, sont
représentées les révolutions de 1830, 1848, 1870, vrai
sujet de la pièce comme le souligne Prévost lui-même : « A
travers la vie de Nadaud, j'ai fait le panorama de cette
époque volcanique, de la misère de la condition humaine,
je me suis beaucoup référé à Victor Hugo et j'avais mis la
scène de Gavroche ». De fait, Nadaud ne pouvait être qu'un
prétexte puisqu'il ne participa pas à toutes ces
55
révolutions : simple témoin en 1830, très engagé en 1848,
en retrait au moment de la Commune. Et, faute de pouvoir
faire coïncider une vie singulière et une tranche
d'histoire, l'auteur est amené à forcer le trait : « Cet
homme sage et pacifique (Martin Nadaud) n'aura
curieusement de contact qu'avec le sang, les exactions, le
pouvoir des uns sur la faiblesse des autres. Il en sera le
témoin. Mais un témoin actif. Grand homme s'il en fut. »
La pièce fut accueillie avec réserve, sifflée parfois,
accusant cet écart, dont nous avons déjà vu d'autres
signes, entre la vision de l'histoire proposée et la
mémoire ou la connaissance qu'en ont les spectateurs.
Cette approche rejoint la démarche des romanciers
actuels qui veulent faire de l'histoire des migrants de la
Creuse « leur Germinal », parlent de « la grande légende
des maçons », veulent donner à cette histoire la grandeur
d'un mythe. Ainsi l'écrivain Jean-Guy Soumy : « Il faut
dire aux Creusois qu'ils sont les rejetons d'une épopée
fabuleuse, de la grandeur d'un mythe, de la force d'une
conquête. Il faut enseigner, chanter, raconter, tout
autant la fragilité d'un goujat de douze ans escaladant un
échafaudage, une auge posée sur la tête, que la gloire
d'un entrepreneur alignant des immeubles haussmanniens au
long des plus beaux boulevards du monde. Tout cela sans
passéisme ». Vus de loin, les temps passés prennent
toujours une coloration héroïque. Mais dans ce cas,
l'évocation quelque peu épique qu'on donne de ce passé
fait que sont pris en compte - et pensés comme
constitutifs de l'identité locale - les mille choses dont
56
il est fait : le métier de maçon lui-même, les savoirs
plus spécialisés liés au bâtiment, notamment les tailleurs
de pierre, les luttes politiques et les revendications
sociales auxquelles les maçons ont été associés, la vie à
la ville et les longues pérégrinations par tous les temps,
sur de mauvaises routes, avec de méchantes chaussures, les
auberges sordides, lits emplis de vermine, draps noirs de
crasse...
C'est sur tous ces éléments que jouent les romans
et en même temps qu'ils exaltent la figure du voyageur,
ils glorifient le métier du maçon ou l'action du militant.
Ces romans tirent la trame de leur récit de
l'autobiographie de Martin Nadaud, reprenant toujours les
mêmes thèmes : l'enfance au village et l'apprentissage de
la lecture auprès de maîtres successifs, le voyage à pied
vers Paris, les liens d'entraide ou de rivalités entre
migrants, les relations (de moquerie, d'agressivité ou
encore de bienveillance) entre les Creusois et les
habitants des régions traversées, l'apprentissage du
métier et ses risques (chute de l'échafaudage, chômage),
la vie dans les garnis, l'engagement politique, le retour
et la vie au pays... Si la matière est tirée de Nadaud, le
ton change : les sentiments, les émotions, les attitudes,
les intérêts, les jugements qui étaient ceux du maçon
Nadaud et qui font de son livre un témoignage sur une
époque et un mode de vie, sont autres. Il suffit de
prendre pour exemple le morceau de bravoure obligé que
constitue le premier voyage à pied vers Paris et tout
particulièrement l'épisode où Nadaud se rappelle les
57 blessures que lui infligèrent les chaussures neuves qu'il
portait. Son compte rendu tient en quelques lignes :
Mon père m'aida à retirer mes souliers et mes
bas, et quelle ne fut pas ma surprise de voir
mes pieds déchirés et en sang; il les graissa,
les entortilla avec quelques menues toiles,
puis nous nous couchâmes non sur des lits,
mais sur des balles de son et de paille hachée
par l'usure et naturellement pleine de
vermine.
Le même incident fait l'objet d'un long
développement mélodramatique dans iJeanfcou, le maçon
creusois, de G. Nigremont, dans les Mangeurs de châtaigne
de A. Grousset, et dans Les moissons délaissées de J.G.
Soumy. Par exemple, dans ce dernier livre :
Barouty s'agenouilla devant François et
commença à délacer ses chaussures. « Laisse-
toi faire, dit-il, je m'occupe de tes pieds. »
Il sortit de sa poche un couteau qui ne le
quittait jamais et trancha dans le cuir qui
enserrait les chevilles gonflées. Il parvint à
extraire les pieds des brodequins. François
retint un cri de douleur. Dans la lumière
jaune qui tombait du toit, Barouty ne vit que
deux moignons ensanglantés. Alors il sortit de
sa besace une toile qu'il enduisit de graisse
et dont il enveloppa les plaies. « Ne te
déshabille pas et enveloppe-toi la tête dans
le col de ta chemise. » Sur ce dernier
conseil, Barouty s'allongea sur la balle de
son et de paille hachée du matelas grouillant
de vermine et s'endormit. François s'était
lové, les jambes repliées sous les fesses. Il
n'avait plus de tête, plus de jambes, les bras
croisés sur la poitrine. Sur les draps noirs
58
comme de la suie, il n'était plus qu'un
chagrin entortillé de hardes et barbouillé de
larmes.
Nous sommes bien dans le roman, et ce récit n'est
fait que pour susciter horreur, pitié, admiration. Par là
il rejoint tout le travail de restitution de l'histoire
locale - il en est même un élément important - en
multipliant les mêmes stéréotypes - des vies de misère, de
courage, de mérite.
IV. Une culture de la migration
Revenons donc à la grande référence, à Nadaud et à
ses Mémoires, pour connaitre les problèmes de la
migration, son esprit et ses complexités. Rappelons qu'il
écrit ce livre vers la fin de sa vie, à peine retiré de la
politique où il a joué un rôle important et parfaitement
au fait des problèmes sociaux de son époque. Ouvrage de
réflexion donc autant que témoignage, qui livre à la fois
le récit de son enfance à la campagne, son expérience de
maçon et quantités de considérations sociales, politiques,
morales qui sont celles d'un homme - un républicain - de
son temps. La migration y est donc perceptible pour nous
dans l'éclairage qui est le sien. C'est ainsi qu'il nous
invite à relativiser les choses, à nous rappeler que les
manières de juger, de penser, de sentir d'il y a cent ans,
n'étaient pas les nôtres.
59
Ainsi lorsqu'il évoque la saleté des auberges où il
s'arrête (et qui, à nos yeux, sont effectivement
répugnantes) : « Chose à peine croyable, on se fourrait
dans ces saletés plutôt en riant qu'en maugréant ». Et le
lendemain à peine le jour levé : « Certains d'entre nous
étaient déjà animés d'une gaieté folle ». Au cours de son
troisième voyage : « Inutile de décrire une fois de plus
les ennuis et les fatigues de ce troisième voyage toujours
si exténuant [...] En nous fourrant dans des draps
malpropres, nous ne nous attendions pas moins à endurer
les morsures de la vermine qui s'y trouvait; mais tous ces
inconvénients n'arrêtaient ni nos rires, ni notre entrain
».
Quant au rapport que les migrants avaient à leur
travail, il permet de le nuancer, montrant que loin de le
vivre comme une corvée ou une basse besogne, ils avaient
conscience d'avoir à passer par un apprentissage et, à
quelque étape que ce soit de cet apprentissage, ils
aimaient le faire et le bien faire, rivalisant d'adresse :
« Ces vaillants et énergiques Creusois suppléaient à leur
manque d'instruction par des qualités naturelles de
premier ordre, un grand amour du travail », ou encore «
Les ouvriers aimaient le travail comme des hommes qui le
considéraient comme étant la source de toute richesse et
de toute moralité ». Et parlant de lui : « Partout où il
n'y avait que des plâtres unis et des moulures ordinaires,
je crois que je me serais fendu en quatre plutôt que de me
laisser surpasser même par les plus forts de mes
camarades».
60
Nadaud ne cache pas non plus les vrais conflits et
les rivalités souvent dures qui opposaient parfois les
ouvriers de différents corps de métiers, parfois les
hommes de la même région, voire de la même commune : « Ils
sont heureusement passés, ces jours de fol orgueil, de
basse jalousie qui portaient les ouvriers d'un corps de
métier à se croire supérieurs à ceux d'un autre ».
Rivalités issues, d'après lui, de celles qui opposaient
les compagnons du devoir, et qu'il déplore parcequ'elles
laissent la grande masse des travailleurs sans « aucun
lien, sans aucune discipline ». C'est pour lutter contre
cet esprit que Nadaud s'emploiera à développer une
organisation ouvrière. La même volonté politique le fait
s'insurger contre « l'état complet d'ignorance pour ne pas
dire d'abrutissement » dans lequel on laissait le peuple
(et il ne s'agit pas particulièrement des Creusois), ce
dont il rendait responsables le gouvernement de la
Restauration et les prêtres qui se contentaient de donner
à la jeunesse « des leçons insignifiantes du catéchisme ».
Esprit progressiste anticlérical, il revendique
jusqu'à la fin de sa vie son ascendance creusoise,
montrant qu'il partage largement la celtomanie en vogue :
« Soyons fiers, prolétaires, de nos jours, de la force
d'âme et d'énergie de nos illustres ancêtres; ils ne
laisseront jamais en repos nos vainqueurs (les Romains)
»15.
1 5 II commence ainsi ses Mémoires : « je ne m'attarderai pas à rechercher l'origine de ma famille, je dirai seulement qu'elle se rattache à la grande et puissante race gauloise »
61
Il donne en quelque sorte à voir le développement
de ce qu'on pourrait nommer une culture de la migration,
faite, d'abord, de ce « goût pour la bougeotte » dont
parle J. Sabourin, et dont Nadaud laisse bien deviner
l'attrait qu'il exerçait sur les jeunes Creusois : «
Parcourez tous nos villages, écrit-il, vous n'y trouverez
pas un enfant, tant soit peu robuste, arrivé à l'âge de
treize ou quatorze ans qui ne rêve d'abandonner les
travaux de l'agriculture pour se sauver à Paris, Lyon,
Bordeaux ou ailleurs ». Des départs vécus, donc, moins
comme contrainte ou exil que comme ouverture et liberté,
un choix de vie. Et ce gain de liberté et d'autonomie
n'est pas réservé à ceux qui partent, il est à mettre
aussi à l'actif de ceux qui restent au pays, notamment les
femmes qui, on l'a vu, acquièrent autorité et compétence
dans l'administration de la ferme.
Culture de la migration en second lieu en ce
qu'elle est métissée, que s'y mêlent les acquis de la
ville - idées politiques, sociales, architecturales... -
et la tradition populaire rurale - modes de gestion du
terroir, formes de solidarités et attachement à des
vieilles croyances. Tous ces éléments ont façonnés
ensemble une nouvelle réalité régionale. C'est ainsi que
l'anticléricalisme qui a fortement imprégné la Creuse,
coexiste avec une tradition populaire, peu rappelée par
les historiens qui s'y réfèrent en termes assez négatifs,
parlant de « faiblesse du niveau culturel » et de «
pratiques superstitieuses ». Corbin note cependant au
passage la vigueur des petits pèlerinages paroissiaux et
62
cantonaux, des f r a i r i e s , l e f a s t e des cérémonies de
quar t ie r , le cul te voué aux « bons s a in t s », aux « bonnes
fontaines » e t aux s t a tue s , l ' a t tachement des gens à la
cé lébra t ion des r i t e s de passage. Toutes p ra t iques qui
a t t e s t e n t de la v i t a l i t é d'une c u l t u r e popula i re a l o r s
dans tout son éc l a t , e t dont on peut encore aujourd 'hui
observer certaines t races1 6 .
De ce t t e cu l tu re de l a migrat ion font p a r t i e l e s
habitudes ép i s to l a i r e s entre les maçons e t leur fami l le .
Ne se son t - e l l e s pas i n s t i t u é e s grâce à l 'é loignement e t
au recours à de nouveaux usages ? Les l e t t r e s que nous
avons consultées (une quarantaine) é t a ien t échangées entre
un nombre l imi tés de s c r i p t e u r s : deux f r è r e s , p a r t i s
t r a v a i l l e r dans une t u i l e r i e de l a ban l ieue de Lyon,
écr ivent à leur père, r e s t é au pays e t qui leur répond ;
un homme, p a r t i aussi comme t u i l i e r dans le Jura e t qui
éc r i t à son beau-père et à sa femme qui lu i répondent l 'un
e t l ' a u t r e . La composition de ces l e t t r e s r e l ève d'un
modèle populaire , bien mis en évidence par A. Bruneton-
Governatori e t B. Moreux, à propos de correspondances
béarnaises 1 7 . Ces l e t t r e s contiennent peu d ' informations,
e l l e s reprennent toujours les mêmes formules e t obéissent
à la même construction. Mais justement, comme l ' o n t montré
Bruneton-Governatori e t Moreux, e l l e s n ' ava ien t pas pour
*" Ainsi l e pè le r inage à s a i n t Goussaud où hommes e t femmes se l i v r e n t à une v r a i e p r a t i que magique - p iquer l e p e t i t boeuf de s a i n t Goussaud avec une ép ing l e - dans l ' é g l i s e même. Cf. S. P in tón , « A propos de deux p è l e r i n a g e s dans l a Creuse », Archives de Sciences Sociales des religions, n° 85, janvier -mars 1994.
•*-7 A. Brune ton-Governa to r i e t B. Moreux, « Un modèle é p i s t o l a i r e p o p u l a i r e . Les l e t t r e s d 'émigrés béa rna i s », p . 79.
63
fonction d'informer, de renseigner; elles n'avaient
d'autre fin que d'attester que les migrants étaient
toujours en vie et de maintenir le lien entre eux et leur
village. Comme celles du Béarn, les lettres des Creusois
se composent d'un long préambule que l'on retrouve presque
inchangé d'une lettre à l'autre : « Je vous écris ces deux
mots de lettre pour vous donner de mes nouvelles et en
même temps pour m'informer de l'état de votre santé. Quant
à moi, je me porte bien, grâce à dieu. Je prie le Tout-
Puissant que ma présente lettre vous trouve aussi bien
portant qu'il me quitte au moment que je vous écris >>18. A
la différence de l'usage béarnais qui les place à la fin,
les salutations ici suivent immédiatement le préambule : «
Vous ferez bien mes compliments à ma mère, et vous direz
que je l'embrasse de tout mon coeur, j'en dit autant à mes
frères et soeurs et tante, je leur souhaite à tous une
bonne santé. Vous ferez bien mes compliments à mon oncle
Simonet ainsi que toute sa famille. Vous ferez bien mes
compliments à tous nos parents, amis, voisins, à tous ceux
qui demanderont de mes nouvelles, vous les remercierez de
leur bon ressouvenir ». Vient ensuite une partie centrale
plus libre et informative, parfois très brève. Dans notre
exemple elle tient en une ligne : « Je vous dirai mon cher
père que nous sommes bien nourris et que nous buvons du
vin deux fois par jour ». Les informations portent
beaucoup sur les questions d'argent (ventes, dettes), sur
le travail, sur le temps qu'il fait ; une lettre de 48
1 0 Nous avons rétabli l'orthographe et la ponctuation. Cet extrait et ceux qui suivent sont tirés de la même lettre, datée du 2 mars 1828.
64
évoque.les soulèvements de Lyon. La prise de congé, aussi
cérémonieuse que l'entrée en matière, est plus brève : «
Je finis en vous souhaitant une bonne santé. Recevez, cher
père, l'assurance de mes respects. Je suis pour la vie
votre fils ». Et très souvent, en post-scriptum : «
Réponse de suite. Marquez-moi toutes nouvelles du pays ».
Des lettres dont l'intérêt réside justement dans leur
formalisme, ces longs compliments où chacun (parents,
voisins, amis, éventuellement le maire ou le curé) est
nommé personnellement, selon un ordre de préséance qui
traduit, dans l'écrit, toute la complexité des relations
du monde paysan. Ce n'est donc pas par leur seul contenu
narratif qu'elles informent et retiennent l'attention, et
celles que G. Nigremont a publiées pour leur qualité
narrative sont 1'exception19 .
C'est donc dans un mouvement d'échanges et
d'interactions constantes entre ville et campagne que se
construit cette culture de la migration. On en a déjà
souligné les effets en profondeur - culturels,
économiques, politiques, démographiques - sur ce qu'on
peut appeler une identité creusoise. Signe actuel de cette
identité, la conviction, encore très forte aujourd'hui,
qu'il n'y a de réussite possible qu'en dehors du
département. Plus qu'ailleurs peut-être les parents ont
encouragé leurs enfants à partir : « C'est tout le temps
ce qu'on m'a dit : "si tu veux gagner ta vie, tu la
gagneras à l'extérieur mais pas ici". Celui qui avait
19 Lettres publiées par G. Nigremont, « Un village du Centre », Nouvelle Revue française, mai 1967.
65
réussi, c'était celui qui allait à l'extérieur. S'il était
resté là, c'est qu'il avait pas réussi à partir ou qu'il
avait pas eu les moyens de s'en aller ». Un pays de
passage, disait Beaufret, d'où l'on part et où l'on
revient.
Si le pays lui-même, pays de Marche, se prête à ce
mode de vie, il fait aussi naître chez les Creusois des
sentiments mêlés - une région au relief peu marqué, sans
grand caractère, sans beaucoup de ressources et ignoré du
reste du pays, dont on n'ose pas avouer qu'on est
originaire et auquel on est d'autant plus attaché. Un
homme de cinquante ans se souvient aujourd'hui : « J'étais
pas très fier vis à vis de l'extérieur de dire wje suis de
la Creuse", parce que ça provoquait toujours des sarcasmes
et on est toujours un peu fragile à cet âge là... J'étais
très attaché au pays mais j'en parlais pas beaucoup aux
copains ». Et plusieurs adolescents, partis pour continuer
leurs études, n'osaient pas révéler leur origine
creusoise, leur réponse suscitant des interrogations
moqueuses : « La Creuse ? Mais où est-ce donc ». Ces
images négatives qui s'attachent à la Creuse semblent
anciennes puisque Martin Nadaud lui-même s'en plaint : «
Nos concitoyens sont toujours enclins à médire de notre
vieille Marche » (et non de la Creuse pourtant déjà
instituée). Et on retrouve ce sentiment d'humilité dans
les déclarations de certains notables du XIXe, écrivant
dans le Bulletin de la Société des sciences naturelles et
archéologiques : « L'avenir nous tiendra compte d'avoir
créé dans un pays si pauvre, si peu connu, si déshérité un
66
centre d'études, un foyer d'intelligence »; ou encore : «
Il était honorable pour le département de la Creuse,
condamné jusqu'ici à une honteuse obscurité et notamment
pour Guéret, son chef lieu, de s'animer enfin d'une noble
émulation, d'étudier et de faire connaître ses ressources
et de prouver que ses habitants ne veulent point être
étrangers au mouvement scientifique de notre siècle »20. De
son côté Corbin a noté les expressions de dérision
employées à l'adresse des migrants, Creusois et Limousins
en général, souvent traités de « mangeurs de châtaigne »
ou « d'oies», et raillés par toute une littérature :
Rabelais, La Fontaine, Molière... Et, plus récemment et de
manière récurrente, par les médias. Ainsi le Nouvel
Observateur titrait il y a quelques années : « En Creuse
le dernier des Mohicans » ou « La Creuse, c'est encore un
secret pour tout le monde ». Et deux articles récents
parus dans le Monde : « ' Limoger ' , une image de tiers-
monde intérieur. A Limoges, à Tulle ou à Guéret, on
déploie toute l'énergie possible pour montrer que la
région n'est pas ce que l'on croit : un pays de ploucs
indécrottables, symbole de l'exil et de l'échec, mais au
contraire un territoire aux avantages comparatifs vivants
et variés » (le 26 février 1998) ; et le 15 août 1998, ce
titre : le Limousin est parmi les régions les plus pauvres
de France et d'Europe.
2 0 Déclarations qui accompagnent la création de la Société des sciences naturelles et archéologiques et du Musée d'histoire naturelle.
67
Pour autant, f a u t - i l en conclure à l ' ex i s t ence d'un
sentiment de honte répandu chez les Creusois ? On a bien
p lu tô t l ' impress ion que ce sont toujours des no tab les ,
hommes de science ou d i r igean t s po l i t i ques , qui ont c e t t e
idée en t ê t e . C ' é t a i t l e cas au XIXe s i è c l e , e t mi l l e
exemples montrent que c ' e s t encore le cas aujourd'hui . Des
responsables sont a l l é s jusqu 'à proposer de changer l e nom
du département, p ré fé ran t à ce lu i de Creuse - vraiment
trop creux - le nom de Creuse-en-Marche, nettement p lus
dynamique. Des ethnologues, qui ont é tudié ces a t t i t u d e s
de condescendance à l ' éga rd du Limousin21, en ont conclu
que l e s hab i t an t s ava ien t f i n i par i n t é r i o r i s e r ces
jugements négat ifs que l e monde ex té r ieur a pu por t e r sur
eux. De même ont f a i t l e s responsables de l ' a s s o c i a t i o n
des maçons de l a Creuse qu i , dans l eu r p r o j e t de
r e c o n s t i t u t i o n d 'une h i s t o i r e e t d 'une i d e n t i t é s
creusoises , sont hantés par l ' i d é e de « rendre une f i e r t é
à ceux qui res tent au pays e t à ceux qui en sont p a r t i s »,
e t d 'effacer la « honte » que les Creusois éprouveraient à
p a r l e r de leurs ancê t res maçons. Nous l ' avons déjà
s igna lé plus haut e t i l e s t bon de le rappeler i c i :
aucune des personnes rencontrées n ' éprouve ce sentiment ,
au con t ra i r e les gens sont f i e r s de leurs ancêtres e t de
leurs r é a l i s a t i o n s . Nous frappe, une fois de p lu s , l e
h i a t u s en t r e l e d i scours e t l e s propos de ceux qui
¿1 Cf. Ethnologia : « Approche an thropologique des e spaces , sent iment d ' a p p a r t e n a n c e e t i d e n t i t é en Limousin », 1985 n° 33-36, e t « Uni té r ég iona l e e t i d e n t i t é c u l t u r e l l e » 1987, n° 41-44.
68 promeuvent l ' h i s t o i r e loca le e t l e s sent iments e t l a
mémoire des habi tants .
V. Revivi sc ene e
De cette recherche éperdue de fierté vient sans
doute l'ambiguïté du rapport au passé qui caractérise
l'esprit et les démarches de l'association, rapport non
pas seulement de connaissance mais de reviviscence. Il ne
s'agit pas seulement de faire connaître ce passé, on veut
le rendre plus présent, presque palpable par des visites
sur de nouveaux « lieux de mémoire » : maisons de Martin
Nadaud à la Martinèche, de Jean de Boueix (auteur de la
chanson des maçons), ou encore du paysan-sculpteur
François Michaud ; tombes des maçons J. Cacaud à Gentioux
et F. Loth à Saint-Maixant dont ils avaient eux-mêmes
taillé les stèles.
a. Marche-spectacle
Mais aller sur les lieux, regarder ne suffit pas,
il faut aussi refaire les gestes, marcher sur les traces
des anciens maçons, se mettre dans leur peau. C'est ainsi
qu'en 1991 une marche fut organisée de Soubrebost (le
village natal de Martin nadaud) à Paris : suivant le
rythme et l'itinéraire des migrants, les randonneurs
devaient faire le trajet en six jours. Comme les
participants n'avaient plus l'entraînement nécessaire pour
accomplir des étapes de 60 kilomètres, on fit appel à des
69
marcheurs professionnels22. En 1993, nouvelle marche de six
jours à travers la Creuse, les participants étant cette
fois « obligatoirement vêtus d'une tenue légère de maçon
prêtée par l'organisation ». En 1995, ce fut la « marche
des retournants ». Partis de la gare de Felletin où
étaient accueillis les maçons à leur retour, les
marcheurs, sous toutes sortes de déguisements (maçons,
militaires, gitans, paysans...) et auxquels se mêlaient
des acteurs professionnels, donnaient à voir ce que les
responsables de l'association entendent désormais par
retournants : « tous ces gens de la Creuse, partis à la
ville, à Paris, avec en premier lieu les fameux et
célèbres maçons de la Creuse ». Enfin en 1998, une marche-
spectacle fut organisée à la mémoire de Martin Nadaud, à
l'occasion du centenaire de sa mort.
Cette randonnée-spectacle, que nous avons suivie,
se déroula le 25 juillet entre Soubrebost et Bourganeuf,
chef-lieu de la circonscription dont il fut député. Un
parcours de 12 km, allant des lieux qui l'ont vu naître et
mourir à ceux liés à sa vie politique, un chemin qui
permet de suivre au plus près 1 ' itinéraire qui fut le
sien, de l'évoquer, de s'en imprégner... Une centaine de
personnes, de tous âges, se sont donc retrouvées le matin
du 25 juillet sur la place du village, conviées a prendre,
avant le départ, le petit verre de vin blanc du maçon, au
son de l'accordéon et de la trompette. Sont présents des
membres de l'association des maçons de la Creuse, ainsi
22 Cette manifestation a été filmée par une chaine de télévision (FR3).
70
que des membres de l'association des « Amis de Martin
Nadaud » fixée à Bourganeuf, quelques résidents non
creusois cherchant à se mêler à la vie du pays et venus en
famille, une majorité de vacanciers creusois qui suivent
les marches d'été proposées dans la région, des campeurs
de passage enfin. Quelques hommes ont revêtus la tenue
traditionnelle du maçon, longue chemise et mouchoir noué
autour du cou. Commentaire d'un organisateur de la marche
: « Ils sont habillés comme ça, c'est pour que les gens
qui les voient passer se posent la question : "Qu'est-ce
que c'est que ça ?". C'est pour montrer la relation à
l'histoire ». Et, en effet, la promenade va se doubler
d'une leçon d'histoire, grâce à trois acteurs venus de
Clermont-Ferrand et engagés par l'association pour 1'«
animer ». Ceux-ci, coiffés d'une casquette, portant
rouflaquettes et habillés du gilet noir de l'ouvrier du
XIXe, entraînent d'abord les promeneurs au cimetière,
devant la tombe de Nadaud (dont la stèle fut dressée en
1948 par « ses amis républicains reconnaissants »). Là,
ils retracent à grands traits sa carrière politique et les
aléas de sa vie familiale. Deux autres arrêts
interrompront la marche, l'un à une croisée de chemin,
l'autre au milieu d'un hameau - deux lieux neutres, cette
fois, simplement assez vastes pour contenir les
participants. C'est que les organisateurs ont jugé utile
de placer là une petite révision historique - un « retour
au collège », disent-ils -, allant de la révolution de
1830 au coup d'État de 1851. Les faits et les dates
retenus mettent en avant les luttes ouvrières, les
71
exac t ions du pouvoir , l ' e x t e n s i o n du c o l o n i a l i s m e ,
l ' é v o l u t i o n économique (le nombre de chômeurs, l e taux
d ' e scompte , l e s p r i x du b l é e t c . ) qu i mènent
inexorablement ve rs l e s journées r é v o l u t i o n n a i r e s de
févr ie r 1848. Pleins de verve e t d ' e n t r a i n , l e s ac teurs
ponctuent leur leçon d ' a l l u s i o n s e t de c l i n s d ' o e i l
suggérant des pa ra l l è l e s avec le présent - « toujours l e s
mêmes », « on connaît ça », lorsque, par exemple, l e s
l ibéraux de 1831 se f i r en t évincer par l e s conservateurs
aux é lect ions de 1831, ou que l'armée in te rv in t contre les
ouvriers de St Etienne en 1846. A la f in de leur exposé
i l s encouragent les par t i c ipan ts à se remettre en route e t
à poursuivre la révolut ion . L'atmosphère e s t bon enfant,
l e ton à la p l a i s a n t e r i e , l e pub l i c complice e t à
l ' u n i s s o n . A mi-parcours, au son de l a v i e l l e e t de
l 'accordéon, on se répand dans une p r a i r i e pour p ique-
niquer . Les acteurs font a lo r s le tour des groupes pour
leur fa i re la lecture de quelques pages du l iv re de Martin
Nadaud. L 'après-midi , i l y aura encore des a r r ê t s dans
p lus ieurs hameaux : pour inv i t e r les promeneurs à comparer
les apparei l lages de t r o i s maisons cons t ru i t e s selon l e s
techniques t r ad i t i onne l l e s , pour observer la construct ion
d 'un mur en p i e r r e sèche , pour a s s i s t e r à une
démonstrat ion de noeuds ( la c r a v a t e , e n t r e a u t r e s )
u t i l i s é s pour monter l ' échafaudage à l ' a n c i e n n e . A
Bourganeuf, v i s i t e de l ' e x p o s i t i o n consacrée à Martin
Nadaud, puis dîner « républ ica in » pendant lequel l e s
a c t e u r s l i s e n t l e s d i scour s de Nadaud e t font une
72 démonstration de lutte de chausson - sport très pratiqué à
son époque. Et on danse, jusque tard dans la nuit...
Restituer aux Creusois l'histoire de la migration,
la mettre sous leurs yeux en s'efforçant d'en retrouver
les traces dans le pays, la replacer dans la grande
histoire... tel était, on s'en souvient, le but de
l'association. On en voit ici une application. Tentative
pour faire se rejoindre des faits sans commune mesure, du
plus singulier et concret, au plus général, d'une
démonstration de noeuds de corde à la récitation d'une
tranche d'histoire, comme si le fait d'arpenter les lieux
avait le pouvoir de ramener à la conscience - vécue - à la
fois l'histoire de la migration et l'histoire nationale.
On y emploie tous les moyens, déguisements, mimes,
récitations, lectures, démonstrations...
Un rapport au passé paradoxal, puisque d'une part
il fait l'objet d'un travail distancié - constitution
d'archives et de savoir - et que d'autre part il se
traduit par une réappropriation du terroir qui passe par
une « tentative éperdue et toujours vouée à l'échec » de
s'identifier au maçon, dans un esprit plus proche du
pèlerinage ou du parcours initiatique que de la démarche
historique ou ethnographique.
L'organisation de ces marches-spectacles, avec
l'esprit qui les anime, est le fruit d'échanges et de
réflexions partagés par plusieurs associations, notamment
Pays-Sage dont le responsable, M. Faurioux, a grandi en
Creuse mais a dû quitter le pays pour faire ses études
73
puis exercer son métier. Ayant, comme tant d'autres,
toujours gardé des relations suivies avec son village, il
se désole de voir le pays se dépeupler et l'activité se
restreindre. Décidé à lutter contre ce qui lui semble une
sorte de fatalité, de morosité dont il voit l'origine dans
un complexe vis à vis de la ville et tout particulièrement
de Paris, il veut provoquer « l'éveil d'un regard positif
et plus fier des habitants et lutter contre l'esprit de
clocher et le narcissisme ». L'association Pays-Sage,
s'est donc donné pour but de mettre en valeur un certain
patrimoine en profitant de la place accordée aujourd'hui
aux loisirs, au tourisme et à l'action culturelle. Après
avoir constaté la disparition d'une forme de tourisme
pratiquée dans les années 1960, il a décidé, pour attirer
les gens, de réhabiliter les anciens chemins, de tracer et
de baliser des itinéraires, d'éditer des brochures et de
proposer des promenades en groupe. Mais sa conception de
la marche, aux antipodes de la Fédération française de la
randonnée, exclut toute idée de sport (délibérément on ne
renseigne jamais les participants sur les kilomètres à
parcourir) : la marche doit être « rencontre avec un pays,
rencontre avec soi-même et avec un paysage, contemplation,
recherche de tranquillité ». Le chemin est donc bien plus
qu'un simple tracé dans la campagne, il est « support de
rêve, de désir, de choses qu'on a en soi-même et qui vous
habitent ». De ces promenades, on attend aussi qu'elles
jouent un rôle de lien entre les communes, afin de « faire
éclater leur individualisme », de faire « naître un
sentiment collectif qui soit positif », de créer « un
74
esprit de corps parmi les habitants des villages traversés
». Des idées qui s'inspirent à la fois du mouvement
Chamina, né à Clermont-Ferrand, et d'un livre de B.
Hervieu et J. Viard23 qui souligne le changement de regard
que porterait la majorité des Français sur la campagne,
laquelle serait perçue non plus comme une terre productive
mais comme paysage. Et pour Faurioux, une perception
hédoniste de la campagne dans laquelle le chemin tient un
rôle symbolique.
Les promenades qu'il propose, prennent deux formes
: des sorties à thèmes pendant l'année (histoire locale/
étangs et ruisseaux/ points de vue sur le village/
observations de la faune et de la flore) , et une
randonnée-spectacle l'été, dite fête du Chemin. Celle-ci,
qui attire tous les ans plusieurs centaines de personnes,
explore chaque fois un nouveau chemin à partir d'une
thématique différente (exposée dans les scènes de théâtre,
les danses, mimes, contes qui rythment la pérégrination),
mais toujours sous-tendue par l'idée d'une quête : de
façon significative, les chemins choisis mènent tous
quelque part, sans jamais revenir au point de départ.
Ainsi en 1997, le chemin de « La Dame blanche » allait de
la petite ville de Crocq à un étang, érigé en symbole d'un
monde meilleur. Les difficultés qui accompagnent toute
quête, étaient suggérées notamment, par la rencontre d'un
groupe de maçons marchant en sens inverse, chacun restant
libre d'interpréter comme il le voulait cet épisode. L'été
23 B. Hervieu et J. Viard Au bonheur des campagnes et des provinces, edit, de l'Aube, 1996
75
98, la « Marche de la sirène » (qu'il était loisible de
suivre à pied, à cheval ou en charrettes ) faisait
constamment référence à l'eau : non qu'elle suivit le
cours d'une rivière mais elle se déroulait entre deux
sources et rencontrait d'autres points d'eau, au
cheminement souterrain et propre à figurer l'idée de
matière précieuse. Des comédiens, rencontrés en chemin
indiquaient, par des lectures de textes, la manière de «
retrouver le chemin des choses, de retrouver le plaisir ».
Quant au but ultime de la promenade, une source
miraculeuse dédiée à Saint-Clair, elle a la propriété,
dit-on, de guérir les yeux. Pour les organisateurs - qui
se réfèrent aux croyances existantes sans les partager -
elle a la vertu d'ouvrir les yeux. C'est qu'il s'agit de
regarder l'avenir, non de « cultiver le passé dans un
esprit de nostalgie, de folklorisation ou de quête
identitaire repliée sur elle-même ». Ce qu'ils veulent
c'est « inventer tous ensemble les mythes prometteurs qui
ne renient pas la tradition mais la transcendent,
s'appuyant sur la vie locale dans un esprit d'ouverture et
d'accueil ». Ou encore, comme nous le dit l'un des
organisateurs, questionné après la promenade : « Il y a
une mémoire, il y a une histoire qui a de la valeur. En
s'appuyant sur un support historique et paysager, essayons
de transcender cela et de l'utiliser à travers ce que ça
peut avoir de valeur actuelle. Quelque chose qui soit
transposable dans l'avenir. » Des propos quelque peu
confus, mais qui traduisent bien ce rapport ambivalent à
un passé qu'à la fois on s'efforce de restituer, de faire
76
revivre par tous les moyens, tout en se défendant d'en
avoir la nostalgie. Un rapport aussi à des lieux à
l'imitation des anciens rites, mais vidés de leur contenu
et qui ont cessé de faire sens. Un rapport enfin au
présent qui ne tient pas compte de la réalité sociale et
économique d'aujourd'hui puique les responsables pensent
créer de toutes pièces « un esprit de corps parmi les
villages traversés». D'où ces refus réitérés du passéisme,
du folklore, de l'esprit de clocher, du narcissisme,
joints aux invocations de l'avenir, de l'esprit d'accueil,
d'ouverture.
Un discours et des propositions dont on se désole
qu'ils ne soient pas mieux entendus par les habitants, qui
ne participent guère à ces marches-spectacles et
n'acceptent pas volontiers de donner la main aux
préparatifs - ce sont toujours des individus un peu
marginaux qui s'en chargent. Le public est essentiellement
composé d'estivants ou de Creusois revenus au pays le
temps des vacances. Quelques femmes cependant se sont
laissées gagner récemment, sensibles, nous explique-t-on,
à l'approche proposée et au refus de l'exploit sportif.
Que les habitants s'y intéressent ou non, qu'ils
participent ou non à toutes ces démonstrations, il n'en
reste pas moins qu'elles ont pour effet de constamment
attirer leur attention sur le passé local. Et sur un point
elles ont touché les habitants et changé leur regard :
l'architecture rurale, sa valeur, la qualité de la taille
de la pierre. Partie intégrante en effet de la restitution
77
aux Creusois de leur passé de maçons, cet objectif : «
redonner aux gens cet amour de la pierre et regarder leurs
maisons différemment ». De nombreuses activités ont pour
but de faire connaître les anciens savoir-faire, d'en
donner une démonstration, d'encourager à les réutiliser
pour la restauration des maisons.
b. la taille de la pierre
L'association des « Amis de la pierre de Masgot »
s'est d'abord employée à restaurer certains bâtiments du
village de Masgot pour y présenter expositions, films,
conférences. Le choix de ce hameau perdu dans la campagne,
tient à plusieurs raisons : il est au coeur d'une région
qui a fourni au XIXe siècle un grand nombre de tailleurs
de pierre (18% de la population); c'est un village qui a
gardé sa configuration traditionnelle, une quinzaine de
fermes construites en granit du pays, aux murs
soigneusement appareillés, tenues dans un réseau serré de
cours, placettes et potagers; enfin et surtout le village
conserve de nombreuses sculptures dues à un paysan-maçon
du siècle dernier, François Michaud, qui en avait orné sa
maison et le mur d'enceinte de son potager. Depuis 1986,
chaque été, deux journées sont consacrées à la pierre,
donnant ainsi l'occasion de découvrir le village et,
depuis 1990, sont organisés des stages de taille de la
pierre (en 1997, 27 stagiaires sont venus de diverses
régions de France mais aussi d'Angleterre et de Hollande).
M. Delprato, qui est président de cette
Association, est aussi membre de l'Association des maçons
78 de la Creuse. Professeur de taille de pierre à l'École des
métiers du bâtiment, il est lui-même fils d'un tailleur de
pierre d'origine italienne, venu en Creuse avant la
guerre. Il a suivi son père, étant enfant, sur les
chantiers et s'est donc familiarisé très tôt avec la
taille du granit.
Il fait visiter Masgot dont il sait faire admirer
la qualité du bâti : « Là sur ce pignon, comme le granit
est à fleur de sol, il n'y a pas de fondation
pratiquement. Ce qu'on peut apprécier, c'est la chaîne
d'angle calée par des petites pierres dessous, il n'y a
pas de liant pratiquement et ça c'était l'art des maçons
creusois. Ensuite vous avez ce pignon qui est en deux
parties, avec une chaîne d'angle intermédiaire, c'était
pour lier les deux murs, pour la résistance mécanique du
mur... Voilà un mur de soutènement monté légèrement en
biais, et ce savoir-là a pratiquement disparu en Creuse.
Ce mur n'a pas bougé avec ce biais et ces pierres qui se
relient impeccablement. Les boutisses traversent le mur de
part en part. Là ce sont les trous pour mettre les
boulins...» Il attire également l'attention sur la qualité
des moulurations, des souches ouvragées des larmiers, des
trumeaux etc. Est ainsi donné à voir un répertoire complet
du savoir-faire des maçons, héritiers d'une longue
tradition constamment enrichie par l'expérience acquise
sur les chantiers parisiens.
On découvre aussi à Masgot les sculptures de
François Michaud, que les membres de l'association
79
s'emploient à faire connaître par des livres, brochures,
vidéos24. D'une lignée de migrants, F. Michaud, lui, n'est
jamais sorti de son village où, pendant cinquante ans, il
n'a cessé de se mesurer avec la pierre. Il transforme sa
maison, la surélève : « On voit là, commente Delprato, un
appareillage remarquable qui n'a pas bougé. Le mur a été
reconstruit en joints vifs, c'est-à-dire que les pierres
se touchent sans mortier, et il fallait que la taille soit
réellement précise pour que cet appareillage se concorde
bien. On trouve là déjà toute les difficultés de la
taille, avec des colonnes cannelurées mais surtout les
colonnes torsadées. Il faut un tracé au départ, il faut
donner la forme et la tailler. Il n'y avait pas de machine
et ça c'est remarquable. » A proximité de la maison, on
peut encore voir le puits avec son appareillage
cylindrique, le pressoir à cidre et d'autres ouvrages de
granit. Après des années de taille du granit, F. Michaud
passe à la sculpture et orne la façade de sa maison de
nombreux motifs décoratifs : têtes sculptées en relief,
colonnes, pilastres, linteaux gravés, vasques, consoles.
Et sur les murs d'enceintes de sa maison et de son
potager, il aligne personnages - un Napoléon en pied, le
buste de Jules Grévy - et animaux : un serpent, un cochon,
une poule, un renard, un blaireau, une sirène, une hyène.
Il extrait lui-même le granit dont il a besoin aux abords
du village et on repère encore les emplacements,
aujourd'hui envahis par la végétation, des « boules
2 4 Le village de Masgot a fait, récemment, l'objet de l'émission « Faut pas rêver » sur FR3
80
roulantes » qu'il a utilisées et qui appartiennent à
quatre types de granit différents. Sorte de facteur Cheval
de la Creuse, unique dans la région, F. Michaud s'est
formé tout seul à la sculpture et a réussi à développer un
grand savoir-faire comme l'attestent l'exécution (réputée
difficile) d'une colonne spiralée concave ou, sur le buste
de Jules Grévy, les boutons et plis du vêtement.
Dans le cadre de Masgot se tiennent donc chaque été
des stages, et surtout deux journées de la pierre pendant
lesquelles des professionnels de la taille de la pierre
font une démonstration de leur talent. A l'inverse des
visites, promenades et spectacles, elles attirent les gens
du pays. Des tours de main, aujourd'hui abandonnés et
connus seulement des vieux artisans, sont proposés à un
public attentif. Ainsi un bloc de pierre est fendu en deux
avec les seuls outils traditionnels : broche, masse,
chasse, coin. Quatre trous, creusés dans un strict
alignement sur la plus large face, suivant « le petit fil
» de la pierre (sens vertical, alors que le grand fil est
horizontal, le mauvais fil étant appelé la roque), sont
ensuite passés au raffineur avant que ne soient enfoncés
des coins en acier. On dit que la pierre « va parler »
quand elle commence à se fendre, qu'elle « a bien parlé »
quand elle a été tranchée de manière nette. Il ne reste
plus alors qu'à dégager à la « chasse » les aspérités des
côtés. Au cours de ces deux journées, chaque artisan
taille, dans le granit ou le calcaire, un objet utile ou
décoratif, et les objets ainsi réalisés sont vendus au
cours d'une tombola.
81 A proximité des tailleurs, un homme montre comment
se forgeaient leurs outils (autrefois, les tailleurs
faisaient souvent ce travail eux-mêmes) . Il chauffe
ciseaux, poinçons et broches, les martèle puis les trempe.
Cette dernière opération requiert expérience et précision
: « Si vous laissez passer la trempe, explique-t-il, votre
outil est pas trempé, il est mou. Et si vous le trempez
trop chaud, il casse; ça dépend de l'acier, les barres
d'acier qu'on utilisait n'étaient pas toutes de même
qualité ». La trempe est en effet un moment délicat à
saisir, on se guide sur la couleur cerise ou gorge de
pigeon que prend l'outil. Le forgeron passe la main à
certains spectateurs, nombreux à faire cercle autour de
lui et qui s'essaient maladroitement.
Tout le monde est bien conscient que ces
démonstrations appartiennent au passé, au même titre que
les batteuses à l'ancienne ou les démonstrations des
scieurs de long, thèmes recherchés pour les fêtes de
village. Avec une petite différence toutefois, c'est que
la taille de la pierre est encore enseignée, même si, sous
l'effet conjugué d'une modernisation accélérée et d'un
marché renouvelé, elle s'est totalement transformée, le
travail fait strictement à la main s'étant beaucoup réduit
et ne portant plus que sur les parties sculptées.
En situant donc ces journées de la pierre dans le
village de Masgot, on associe constructions du XIXe, art
naïf de F. Michaud, sculptures des tailleurs de pierre
contemporains, et on suggère des affinités et des
82
continuités qui contribuent à ancrer dans les esprits une
certaine vision de l'histoire locale - affinité des
Creusois et du granit, continuité du migrant-maçon au
tailleur de pierre, et du tailleur au sculpteur.
VII. Un aspect négligé de l'histoire locale
Pourtant, si le travail de la pierre s'est maintenu
dans le pays, ce n'est pas seulement grâce aux Creusois.
L'histoire des carrières de granit du Maupuy est
peu évoquée par les promoteurs de l'histoire locale alors
qu'elle s'est déroulée en Creuse. Et, bien qu'étrangère à
l'histoire des maçons-migrants proprement dits, elle doit
être rappelée pour mieux comprendre la place tenue, à une
époque encore récente, par les tailleurs de pierre dans la
région. C'est sur le massif du Maupuy, proche de Guéret,
et dans les environs, que se met en place à partir de 1920
cette exploitation nouvelle. La reconstruction des villes
après la guerre de 1914 et leur modernisation, provoqua
une demande massive de mosaïques et de pavés pour
empierrer rues et places, de bordures de trottoirs, de
boutisses pour les bouches d'égouts, de pierres pour
dresser les monuments aux morts. Après 1945 s'ajouta une
demande de pierres pour construire les grands barrages
(Tignes, Eguzon, Donzère-Mondragon). Trois ou quatre
carrières vont s'ouvrir successivement sur la colline du
Maupuy, et jusqu'à 350 tailleurs de pierre vont y
83
travailler. Ce sont des entrepreneurs étrangers à la
région (il y eut même une entreprise anglaise et une autre
allemande) qui prennent l'initiative de cette
exploitation. G. Thévenot, en s'appuyant sur les
témoignages des derniers survivants, a reconstitué dans un
livre bien documenté25 les étapes de cette mise en valeur.
De tous temps, les gens des alentours était venus arracher
des pierres au Maupuy pour construire ou agrandir leur
ferme, mais les moyens restaient rudimentaires. A partir
de 1922 des sociétés sont dotées de moyens nouveaux qui
vont permettre une exploitation industrielle des carrières
(wagonnets et camions se substituent au charroyage avec
tombereaux et boeufs, peu à peu apparaissent compresseurs,
marteaux pneumatiques, treuils à moteur, pompes à eau,
marteaux- pilons, concasseurs). Le travail se diversifie
et se partage entre débiteurs ou carriers, tailleurs de
pierre, épinceurs ou finisseurs, réceptionneurs (qui
vérifient la qualité du travail). Il fallait compter un
débiteur pour trois tailleurs de pierre, en sachant qu'un
bon débiteur permettait d'avancer plus vite le travail : «
Quand c'était bien débité, il y avait moins de masse à
enlever, la pierre était juste à bonne dimension. Mon père
le disait : quand je suis avec ce débiteur là je fais un
peu plus de mètres linéaires », raconte un ancien tailleur
de pierre.
Paradoxalement la Creuse, qui avait fourni pendant
des siècles des ouvriers du bâtiment, manquait alors de
25 Giabrielle Thévenot, Les hommes des carrières du Maupuy, Verso, Guéret, 1988.
84
main d'oeuvre et l'on fit venir, à partir des années 20,
des Italiens menacés par le régime mussolinien et recrutés
à Udine à la maison du travail. Nombreux à s'installer,
ils ont laissé le souvenir d'hommes habiles et durs au
travail : « Il y avait des Italiens dans les bois et ils
chantaient ! Tyron, c'est le seul que j'ai connu comme ça,
il pouvait travailler de la main droite et de la main
gauche. Et un autre, il levait jamais la tête de son
travail, vous pouviez vous approcher et lui parler, il ne
vous regardait même pas. Il abattait un travail énorme :
huit mètres de bordure, alors que les autres, quand ils
avaient fait cinq ou six mètres, avaient bien travaillé ».
Ils arrivaient déjà en possession d'un savoir-faire et se
sont vite montrés experts dans la taille des pavés. On
compte encore aujourd'hui parmi leurs descendants de
nombreux tailleurs de pierre : l'un d'eux a reçu, il y a
deux ans, le titre de meilleur ouvrier de France. Au gré
des bouleversements politiques qui se sont succédés en
Europe, sont arrivés au Maupuy, des Turcs et des Portugais
en 1928, des Espagnols après 1936, soixante-dix Tchèques
après 1945. On travaille avec les outils traditionnels :
pics, massette, têtu. Trois ouvriers-forgerons, installés
à proximité, remettent chaque jour les outils en état.
Si le gros de la production provient du Maupuy,
d'autres chantiers s'ouvrent dans les environs et sont
laissés à l'initiative de travailleurs indépendants. Ils
exploitent les « boules roulantes », parties rocheuses
superficielles, dites roches erratiques par les géologues
: « D'abord on a extrait les boules qui faisaient dix à
85
vingt mètres cubes. On creusait autour une tranchée, avec
la pioche et la pelle. On terrassait un rocher à la main.
». Vrai combat que mènent les tailleurs de pierre de
différentes nationalités auxquels vont s'associer quelques
paysans creusois. Des emplacements sont donc loués dans
les bois ou sur les « chiers », monticules
caractéristiques du paysage creusois qui associent chaos
granitiques et bouquets d'arbres. Le tailleur de pierre
indépendant assume toutes les étapes de l'exploitation
après avoir souvent fait son apprentissage auprès des
Italiens : « Quand j'étais apprenti, se souvient l'un
d'eux, le père Yvan me forgeait mes outils. Après il m'a
dit "faut essayer de les forger, ça me fait perdre du
temps". Des fois je partais le dimanche matin pour forger
mes outils, pour m'avancer pour le lundi ». Non seulement
il faut savoir forger mais aussi repérer le fil de la
pierre pour bien la débiter - « Si la pierre est débitée à
contresens, à contre-fil, c'est difficile de la tailler.
On a d'abord coupé la pierre avec des coins, après on a
fait un trou au burin, ils avaient ce qu'ils appelaient un
rayeur qui faisait deux rainures d'un demi centimètre de
chaque côté, ça coupait en deux, ou bien on faisait des
'anglaises', c'est à dire qu'on mettait des bouts de bois
dans la fente et on bourrait le fond de tuf et de mousse
pour ne pas laisser passer l'air, puis on mettait trois ou
quatre kilos de poudre noire qu'on allumait avec une mèche
».- Il fallait charroyer la pierre dans les bois : « il y
avait des gros blocs de 80 kg qu'on faisait rouler sur des
rondins ». Et les paysans creusois qui ne se mettent pas à
86 la taille, louent leur service pour le transport : « Ceux
qui avaient des boeufs, ils allaient travailler et ils
gagnaient beaucoup plus à charrier les pierres qu'à
cultiver la terre »
A partir de 1960, va s'amorcer le déclin des
carrières du Maupuy et de la région, car dorénavant c'est
en ciment qu'on fait les bordures de trottoir, moins
belles et plus cassantes mais d'un coût moins élevé. Les
pavés, d'abord abandonnés au profit des rues goudronnées,
refont leur apparition quand on aménage les centres
piétonniers. Mais alors on importe les pavés du Portugal,
au grand désappointement des derniers tailleurs de pierre
qui, en connaisseurs, s'indignent de la mauvaise qualité
du travail.
Si l'histoire de cette activité, déployée pendant
plus d'un demi-siècle aux alentours de Guéret, n'est pas
intégrée à l'histoire des maçons de la Creuse, c'est peut-
être parce qu'elle est encore trop récente, qu'elle n'est
pas encore à la bonne distance pour être bien saisie.
C'est peut-être que, de bien des manières, cette histoire
échappe aux Creusois. Comme sont amenés à le dire
certains, sans acrimonie d'ailleurs : « Les Italiens nous
ont volé notre histoire ». Les descendants des migrants
italiens, qui comptent parmi eux des tailleurs de pierre
réputés, sont aujourd'hui responsables, et forts actifs,
dans les diverses associations qui ont à coeur la mise en
valeur du patrimoine creusois. Ont-ils si bien intégré la
Creuse qu'ils sont davantage préoccupés par l'histoire de
87
la migration creusoise que par 1'immigration plus récente
de l eurs compatriotes ? Ce sentiment d 'une h i s t o i r e qui
leur échappe e s t peu t - ê t r e renforcé, chez l e s Creusois ,
par l a d i s p a r i t i o n de nombreuses p i e r r e s remarquables
(menhirs, p ier res légendaires) , débitées en pavés, e t qui
les ont pr ivés d'une référence majeure dans la mesure où
la p i e r r e t i en t une grande place dans leur imaginaire26 . Et
pourtant l ' h i s t o i r e de l ' a r r i v é e des i t a l i e n s e t d ' au t r e s
étrangers j u s t i f i e n t pleinement l ' é tude que se propose de
faire l ' a s soc ia t ion « ré f léchi r d'une façon plus large aux
problèmes de 1'immigration ».
Les t a i l l e u r s de p i e r r e é t a i e n t donc encore
nombreux i l y a une t r en ta ine d'années - plus de 300 en
1960 - a lo r s qu 'aujourd 'hui i l n 'en r e s t e que quelques
d i z a i n e s . Dans l e s années 1970, l ' i n t r o d u c t i o n du
tungstène amène une première révolution dans l e t r a v a i l de
la t a i l l e . Métal t r è s r é s i s t a n t , i l e s t insé ré , sous la
forme d'un f i l , aux extrémités des o u t i l s du t a i l l e u r de
p i e r r e , qu'on n ' a p lus à forger . Et l ' i n t r o d u c t i o n
progress ive de machines de p lus en p lus pu i s san tes e t
p r é c i s e s bouleversent l e mét ier : l a p o s s i b i l i t é de
2 6 S ' i l s l e s ont l a i s s é e s d é b i t e r , eux-mêmes ne l e s a u r a i e n t pas e x p l o i t é e s , par c r a i n t e des i n t e r d i t s qui s ' y a t t a c h a i e n t . I l s vendent c e r t a i n e s p i e r r e s s i n g u l i è r e s e t des p i e r r e s à l égendes , s ans é t a t d'âme, pour f a i r e des pavés ou des bordures de t r o t t o i r : l e rocher qui é t a i t au c e n t r e du v i l l a g e de Peyrabout (dont l e nom s i g n i f i e p i e r r e d e b o u t ) , p l u s i e u r s p i e r r e s d i t e s du « mariage des o i s e a u x » dont l a p i e r r e Ba tau r ine évoquée pa r Jouhandeau ou encore l e g ros rocher de l a Bale ine su r l e Maupuy dont l a d i s p a r i t i o n , d i s a i t - o n , deva i t f rapper de mort c e l u i qui o s e r a i t y t ouche r . C ' e s t p e u t - ê t r e ce qui a p r é s e r v é l a p i e r r e Baladoi re , p rès du v i l l a g e de Masgot, à quoi s ' a t t a c h e l a même légende.
88 déplacer sans effort d'énormes blocs, de les lever, de les
scier en plaques fines, de les polir, a ouvert de nouveaux
usages de la pierre - tables, meubles de jardin, plaquages
pour salle de bain ou cuisines... l'essentiel de la
production étant réservé aux pierres tombales. Et
l'importation de granits de pays lointains - Brésil,
Norvège, Afrique du sud, Chine - remet en cause
l'exploitation du granit creusois, devenue trop onéreuse.
Il ne reste plus qu'une seule carrière en exploitation, au
lieu d'une vingtaine il y a trente ans, et le travail du
carrier s'est lui aussi beaucoup modernis'e avec l'usage
des pelleteuses, grues, camions qui permettent
l'extraction des couches profondes de granit.
Cette impulsion nouvelle qu'avaient donnée, au XXe
siècle et en Creuse même les Italiens, s'est épuisée. Une
seconde mort des maçons, nous dit-on.
En parlant avec tous ces anciens carriers et
tailleurs de pierre, on sent la nostalgie, la passion pour
un métier dont ils sont capables de parler pendant des
heures, expliquant les techniques, comment on reconnaît le
fil de la pierre dans les boules roulantes, ou le lit de
la pierre dans les couches profondes des carrières, les
différentes qualité de granit et leurs usages (le bleu, le
plus dur, le jaune, le gris, le jaune-gris), comment on
fait éclater la pierre (en la soufflant pour qu'elle ne se
mâche pas) et comment on la débite, les douze façons de la
tailler (bouchardée, taillée, brochée, éclatée, tranchée,
vermiculée, ravalée...), les outils, le vocabulaire (le
89 lit de pose et le lit d'attente de la pierre taillée, le
front d'attaque du banc de granit dans la carrière ou la
réserve de pierre). On passerait des heures à les écouter.
On apprend que la pierre est une matière vivante qui
touche tous les sens : on la regarde, on la touche, mais
aussi on l'écoute - le son de frappe doit être clair, et
s'il change, devient mat, c'est qu'une fissure menace ou
qu'on va rencontrer une partie plus dure. D'ailleurs le
tailleur de pierre ou le sculpteur, avant d'attaquer une
pierre, la sonde : « La main est un palpeur ajusté à
l'oreille, il y a une espèce de concordance entre la main,
les yeux et l'oreille ». La pierre a même une odeur - de
mer, de marécage, d'eaux mortes pour le calcaire, de
soufre pour le granit (surtout les vieilles pierres qu'on
retaille) .
Les plus passionnés, ceux qui ne peuvent pas se
résoudre à laisser inemployé leur savoir-faire, n'ont plus
qu'une issue, sculpter - sans doute l'intérêt récent pour
le petit village de Masgot est-il pour quelque chose dans
cette orientation artistique. L'un d'eux a installé chez
lui un atelier où, pour le plaisir, il sculpte objets,
animaux, figurines. La maison où il nous reçoit (une
petite maison moderne) est pleine de ses réalisations :
cheminée et sol sont en granit, bien sûr, mais aussi des
tables, un placard, des tabourets.
VII. Deux institutions patrimoniales : L'École des
métiers du bâtiment, le projet de musée.
90
a. L'école.
Depuis sa création, l'enseignement de l'école a
varié et s'est adapté à l'évolution des techniques et des
matériaux de construction : au début il formait surtout au
gros oeuvre, y compris la taille de pierre qui faisait
partie de la maçonnerie. Puis l'enseignement a porté sur
le second oeuvre (bois, métal, finitions, peinture) .
Aujourd'hui il couvre cinq domaines : le gros oeuvre et le
génie civil; la taille de la pierre; le bois et les
matériaux associés; le métal, l'aluminium, le verre et les
matériaux de synthèse; les finitions et les aménagements.
La plus ancienne section de l'école, la taille du granit,
s'est donc maintenue, mais ramenée aujourd'hui à deux
années d'études au lieu de trois. Jusque dans les années
1965, presque tout était encore fait à la main - même s'il
y avait déjà une débiteuse pour découper la pierre.
L'introduction progressive de machines très performantes -
châssis à câble diamanté, disqueuse diamantee - ont
bouleversé le champ d'application de la taille et du coup
l'enseignement. Pourtant, si en entreprise on ne perd plus
son temps à tailler à la main un bloc de granit en forme
de parallélépipède, les machines pouvant parfaitement
exécuter ce travail, à l'école on continue à apprendre aux
élèves à le faire pour leur donner le principe de
l'équerrage. « Ils apprennent ça pour le geste, pour la
connaissance du matériau, pour se former le poignet », le
granit, roche particulièrement dure, demandant une frappe
91
courte, sèche et forte, un peu oblique. On apprend à
corriger la taille trop parfaite des machines : «
Boucharder et éclater peuvent se faire aujourd'hui à la
machine, mais il faut rattraper la finesse de l'arête à la
main. Pour donner un aspect un peu brut, traditionnel, il
faut tailler à la main, sinon vous avez des blocs lisses,
impeccables, alors qu'avant pour avoir un bloc lisse,
c'était un boulot fou ! ». Très restreint, sans autre
débouchés que la restauration des monuments de pierre, cet
enseignement est le seul à maintenir encore un lien avec
la tradition des maçons de la Creuse. On voudrait
l'élargir à l'ensemble des anciennes techniques - crépis,
mortiers - et le faire servir à la restauration des
habitations traditionnelles.
b. Le projet de musée
« Au même titre que la tapisserie qui a fait le
renom de la Creuse tant en France qu'à l'étranger, nos
aïeux maçons, bien plus nombreux, ont eux aussi contribué
à valoriser son image. Mais aujourd'hui, alors que la
tapisserie bénéficie d'un remarquable musée où affluent
les visiteurs, le bâtiment attend le sien. » écrit le
président de l'Association. Et de fait, l'histoire des
maçons de la Creuse n'est pas évoquée à Guéret dans le
musée du Présidial qui, dans la section géologie du
département, rappelle cependant l'histoire des carrières
du Maupuy. Ce musée, de création récente (1984), obéit aux
principes muséographiques nouveaux qui prennent en compte
la dimension écologique. Des vitrines sont réservées au
92
recensement minutieux des familles de roches propres à la
région, et notamment de toutes les variétés de granit - le
socle même du pays. Chaque fois sont précisés les lieux
d'exploitation, les usages passés et présents, et sont
exposés les outils nécessaires à leur extraction :
ciseaux, bouchardes, massettes, compas, fil à plomb,
équerre dont se servaient les tailleurs de pierre. Donc
une volonté de reconstituer des ensembles concrets, de
rendre compte des rapports des hommes avec un milieu
donné, mais sans en faire l'histoire. Dans cette
perspective, l'idée d'un musée des maçons semble venir
combler une lacune.
Deux projets s'affrontent qui diffèrent assez
sensiblement, et recouvrent de vieilles rivalités de
villes, doublées d'options politiques opposées. Rivalités
de villes qui se traduisent par la volonté des unes et des
autres de fonder ce musée de préférence sur leur
territoire, en espérant ainsi quelques retombées
touristiques. Rivalités politiques qui les amènent à faire
de la migration une lecture un peu différente. Mais
surtout les uns et les autres n'ont pas élaboré le même
type de projet.
Celui de l'association des maçons de la Creuse
s'assortit d'une déclaration en plusieurs points,
largement diffusée et intitulée « Les migrants du
Limousin, leur histoire, leurs savoir-faire et les métiers
du bâtiment », où il est question, pêle-mêle, d'<< être
digne de nos ancêtres et témoigner de leur rôle dans
93
l'histoire du bâtiment; faire prendre pleine conscience de
notre patrimoine, agir pour le sauvegarder et le faire
connaître; rendre une fierté à ceux qui restent au pays et
à ceux qui en sont partis».
A noter la notion de patrimoine ici mise en avant,
et qui fait l'objet d'un très large accord. A noter aussi,
et surtout, par rapport au siècle précédent, un net
changement d'accentuation car ce qu'on nomme désormais
patrimoine n'a plus la même connotation : on ne cherche
plus à constituer, à l'instar de ce qu'on a fait partout
au XIXe, des séries complètes (ou aussi complètes que
possibles) d'objets propres à donner une représentation de
l'ordre et de la marche de la nature, à faire du musée un
lieu de science et de culture universels, bien commun de
l'humanité. Ce qu'on veut montrer, c'est ce qui
caractérise le pays même, ce qui le constitue comme entité
reconnaissable entre toutes, la valeur d'universalité et
de bien commun s'attachant désormais aux choses
singulières, des plus originales aux plus humbles et aux
plus communes. De là un double changement, d'abord dans la
conception du musée même : un bâtiment, si richement doté
soit-il ne peut plus suffire à exposer tout ce qui
désormais est pensé comme patrimoine, et le seul musée
digne de ce nom ne peut qu'être co-extensif à la région
même. Changement ensuite dans la visée même d'un tel
musée, en rupture avec la tradition savante, en rupture
notamment avec l'ambition de transmission qui était la
94
sienne 2 7 , au p r o f i t de nouveaux enjeux : économiques,
tour i s t iques , idéologiques, voire mystiques. I l n ' e s t que
de se rappeler l a pédagogie des marches-spectacles : où
qu'on a i l l e , quoi qu'on fasse, le seul « savoir » auquel
on vous convie e s t à rechercher en soi-même, nu l l e au t re
cu r io s i t é que pour son monde i n t é r i e u r . Un peu à l ' image
de l ' é co l e d 'aujourd'hui, transmettre es t devenu, en dépi t
des déclarat ions r é i t é r ées , le dernier souci de toutes ces
ent repr ises .
Quant au p r o j e t lui-même, i l ne s ' a t t a c h e
évidemment pas à déc r i r e ce que s e r a i t l e contenu d 'un
musée, i l dé f in i t un « espace muséographique ». Ce lu i -c i
s e r a i t const i tué d'un « coeur », le musée proprement d i t ,
e t d'<< antennes » cons t i t uées par tous l e s s i t e s du
2 7 Au XIXe s i è c l e , o n accorde au musée - à l ' h i s t o i r e n a t u r e l l e qui en c o n s t i t u e l a charpente e t l e modèle - un grand pouvoir formateur : « e l l e donne à l ' e s p r i t de l a méthode, de l a log ique , forme l e jugement e t déve loppe l e g é n i e . » D'où l ' i m p o r t a n c e q u ' o n a t t a c h e à l a f r équen ta t ion du Cabinet d'histoire naturelle et des Antiquités de la Creuse, conçu comme « un c e n t r e commun auquel t o u t e s l e s é t u d e s . t ou te s l e s recherches v i e n d r a i e n t a b o u t i r pour s e r v i r à l ' ense ignement généra l . f . . . 1 un é t a b l i s s e m e n t de haut enseignement qui ouvre ses c o l l e c t i o n s aux éco le s pub l iques e t à t o u t homme s t u d i e u x , à t o u t t r a v a i l l e u r ami des a r t s , un é tab l i s sement c en t r e des lumières dans un dépar t ement où l e aoû t des é t u d e s e s t en p r o g r è s » . O u t i l de conna issance par e x c e l l e n c e , l e musée e s t c r é d i t é d 'une e f f i c a c i t é pédagogique e x c e p t i o n n e l l e pu i squ 'on y a c q u i e r t « p l u s de s a v o i r par une s imple i n s p e c t i o n de quelques i n s t a n t s que p l u s i e u r s mois de l e c t u r e ou de l e ç o n s purement t h é o r i q u e s » e t que « p a r s e s c o l l e c t i o n s e t par ses l i v r e s i l p r é s e n t e des moyens d 'ense ignement p u i s s a n t s e t r ap ides » . Les c o l l e c t i o n s ne sont pas l à pour « r e c r é e r l a vue ou s a t i s f a i r e une vaine c u r i o s i t é », s e u l e compte « l ' u t i l i t é s c i e n t i f i q u e ». De f a i t , à l ' opposé de l ' a n c i e n c a b i n e t de c u r i o s i t é q u i , en r é u n i s s a n t l e s o b j e t s l e s p lus h é t é r o c l i t e s , se v o u l a i t un « abrégé de l ' u n i v e r s », l e s n o u v e l l e s c o l l e c t i o n s , e x p o s i t i o n s de spécimens ordonnés en s é r i e , donnent à v o i r une s o r t e d ' « immense t ab l eau de l a na tu re ». Ce qui importe , c ' e s t l ' o r d r e qui r é g i t l a n a t u r e , un o rd re con t inu {« l a n a t u r e ne f a i t pas de s a u t s ») qui fonde l a c o n s t i t u t i o n de s é r i e s , l e s q u e l l e s de ce f a i t en s o n t l ' i l l u s t r a t i o n , ( s o u l i g n é pa r n o u s ) . In S. P i n t o n , Des mots pour inventorier, ordonner, montrer : à propos du musée de Guéret, à p a r a î t r e .
95
département, fussent-ils les plus modestes, liés à
l'histoire de la migration. Le musée principal occuperait
une ancienne ferme située à Felletin, à proximité de
l'École des métiers du bâtiment à qui elle fournirait un
centre de documentation précieux, et il se partagerait
entre deux principaux centres d'intérêts, la migration et
les métiers du bâtiment. Sur les autres sites retenus, on
ferait revivre certains vieux métiers disparus (comme on
le fait déjà au village de Masgot) ou on susciterait des
recherches historiques telles que « les retombées des
grands mouvements migratoires sur le social et le
politique ». Une sorte d'écomusée coextensif au
département, et même à la région (Creuse, Corrèze et Haute
Vienne) . En se proposant de créer des « structures en
réseau » afin de « renvoyer les personnes d'un endroit à
un autre sur les traces des migrants, sur l'histoire du
bâtiment, sur les entreprises », les responsables de ce
projet poursuivent une démarche similaire à celle qui leur
fait parcourir le pays en tous sens à l'occasion des
différentes promenades-spectacles; mieux ils amplifient
cette démarche en lui donnant un fondement institutionnel.
Le projet d'un espace muséal à une telle échelle est
encore une manière définitive de réoccuper le pays, de le
réinvestir, de le repenser, de le redéfinir, de rendre
inséparable le pays et son histoire. Impossible de se
promener dans la Creuse sans croiser l'histoire des
maçons. Une conception qui va à 1 ' inverse de celle des
premiers collectionneurs et des fondateurs du musée de
Guéret qui, il y a presque deux siècles, cherchaient à
96 ramasser, à concentrer dans un même lieu toutes les
richesses du département28.
Le deuxième projet, plus classique, s'attache
uniquement à l'organisation d'un musée. Y serait exposées
tout à la fois la vie des maçons au village pendant les
mois d'hiver, et la vie sur les chantiers. Des
scénographies représenteraient la ferme avec certaines de
ses activités spécifiques (on pourrait reconstituer une
salle de ferme et l'étable avec de vrais animaux, les
odeurs, les bruits), d'autres montreraient un chantier de
construction à Paris. Le tout accompagné de documents, de
panneaux explicatifs. L'interprétation de l'histoire sous-
jacente à ce second projet est quelque peu différente,
l'accent n'étant mis ni sur les mêmes événements ni sur
les mêmes personnages : une assez large place est faite au
XXe siècle et fait mieux ressortir l'évolution des
conditions de travail ; Nadaud n'y occupe plus la place
centrale, et les révolutions de 1848 et de la Commune y
sont réduites à « des émeutes ».
Un énorme effort de restitution de l'histoire de la
migration a donc été entrepris et l'association des maçons
de la Creuse, qui en est la cheville ouvrière, s'appuie
tout à la fois sur les travaux des historiens, les
recherches des érudits locaux, les romans régionaux, la
mémoire des descendants de maçons. On utilise donc des
niveaux de connaissance ou de mémorisations très divers,
8S. Pintón, op. cit.
97
les uns amples et savants, les autres plus ponctuels et
locaux ou d'autres encore d'une veine plus sentimentale.
Ces approches se mêlent et s'enrichissent, entretenant
toute une effervescence autour de l'histoire des maçons.
Et l'effet est loin d'en être négligeable, notamment sur
la mémoire individuelle, malléable, et qui s'imprègne
souvent à son insu de tout ce qu'on lui propose. De sorte
que, si les manifestations qui accompagnent cette
redécouverte de l'histoire de la migration sont
diversement accueillies par les Creusois - vif succès des
expositions, même si on trouve parfois leur présentation
tendancieuse, et des démonstrations de taille de pierre,
réticence pour les promenades qui sont boudées par les
gens du pays -, il n'en reste pas moins qu'on parle des
maçons et que, même si les souvenirs ou opinions de leurs
descendants ne coïncident pas avec ce qu'on leur propose,
tous sont rappelés à la réalité de cette histoire, en
mesurent la spécificité, sont amenés peu ou prou à
s'identifier avec ce passé. Au final, bon an, mal an, la
rencontre se fait entre le discours local identitaire
proposé et la connaissance intime que les gens ont de
cette histoire.
Mais de quoi est faite cette identité ? Elle
absorbe dans un même mouvement l'histoire et le savoir-
faire des limousinants qui manient la pierre et le
mortier, les grandes constructions haussmanniennes, les
maçons qui, au XXe siècle, se mettent au ciment, les
tailleurs de pierre creusois qui émigrent ou les tailleurs
de pierre étrangers qui viennent travailler en Creuse, les
98 sculpteurs... C'est de toutes ces strates accumulées que
l'identité creusoise est faite. Et la création en Creuse,'
au début du siècle, de la première école des métiers du
bâtiment vient comme reconnaître ce talent des Creusois
pour les métiers du bâtir.
Une habileté qu'ils ont eux-mêmes si bien intégrée
qu'ils ont tendance à la considérer comme une «
prédisposition », quelque chose « d'inné » et qui
mystérieusement, s'expliquerait par la géographie et la
géologie du pays - comme si le métier pouvait trouver sa
raison dernière dans le sol même.
VI. L'histoire et le mythe
Le phénomène de la migration et la figure du maçon
qui lui est associée, sont explicitement rapportés par les
Creusois aux conditions de mise en valeur des terres.
Partout en Creuse le rocher affleure et, durant des
siècles, il a fallu « dérocher » les champs. Longtemps, on
en était réduit à utiliser la masse et la pioche pour les
supprimer ; puis on les a fait éclater à la poudre noire
et, plus récemment, à la dynamite. Bien souvent les jeunes
garçons accompagnaient leur père qui les initiaient ainsi
au maniement dangereux des explosifs. Certains se
souviennent avec émotion de leur frayeur : « La cheddite,
ça me passionnait quand j'étais jeune, parce que c'était
des petits boudins dans des papiers huilés. On la gardait
99
soigneusement à l'abri de la lumière et de l'humidité. On
plaçait la cheddite dans le trou et puis on mettait le
détonateur, une mèche lente. C'était tout une science pour
la placer et pour avoir le temps de se mettre à l'abri de
l'explosion... ça montait très haut et les pierres
retombaient sur un périmètre assez grand. J'ai des
souvenirs de mon enfance d'être allé travailler avec mon
père et mon oncle. Et ça me donnait une frayeur énorme
parcequ'ils faisaient des trous dans la pierre. » Même
souvenir pour le fils d'un tailleur de pierre que son père
emmenait avec lui sur le chantier de travail : « Je me
rappelle quand j'étais tout gamin, j'allais avec eux, ça
me plaisait de me cacher, alors ils allumaient la mèche et
on voyait le bloc qui se partageait avec la poudre noire,
ça faisait des tranches impeccables.»
Des techniques et des gestes qui sont communs au
paysan et au granitier, bien que ce dernier évite la
dynamite qui « déchiquette la pierre » et utilise
uniquement la poudre noire qui permet une coupe franche
dans la veine de la pierre. « Si vous mettiez la dynamite
dans une pierre, vous pouviez plus la tailler, même les
morceaux qui restent ils s'enveniment, après ça se délite
». Ainsi arraché, éclaté, il reste toujours du roc dans le
sol, on n'en vient jamais à bout : « C'était terrible
quand il fallait labourer, avec les socs, ça les abîmait.
Et puis les rochers, vous pouviez pas savoir où ils
étaient. On se rappelait de deux ou trois, mais dans une
grande terre on pouvait pas se rappeler de tous d'une
année à l'autre »; ou encore : « Quand on labourait ou
100
qu'on fauchait, il fallait contourner toutes les pierres.
Il y en avait quinze là-haut où on labourait, et il
fallait en faire le tour. Avec les boeufs c'était plus
facile parce qu'avec le brabant la chaîne passait par
dessus et on pouvait labourer assez près. Le reste du
travail était fait à la pioche. Mais avec les engins
mécaniques c'était devenu très dangereux, ces pierres
comme des têtes de chat qu'on oubliait, elles accrochaient
les faucheuses, les moissonneuses-batteuses... » De tous
temps, impossible de faire fructifier la terre, sans avoir
en même temps à travailler la pierre.
Avec les pierres ramassées dans les champs ou les
blocs éclatés, les paysans ont construit des kilomètres de
murets, pour délimiter les parcelles et les propriétés : «
Dans le temps, il y en avait même dans les bois pour
séparer les propriétés. On les retrouve souvent ». Ces
murets sont appelés murs « en dentelles » lorsque les
pierres, posées en équilibre et sans mortier, laissent
filtrer la lumière, ou « mur du loup » pour que le loup
puisse les franchir. Avec les pierres éclatées qu'on
entassait grossièrement, on faisait « les murs libres » :
« C'étaient souvent les paysans-maçons qui les montaient
». On voit aussi dans la campagne des murs doubles : « Ils
sont à côté d'un site gallo-romain, ils sont sans doute
très anciens, montés en petites pierres et couverts d'une
dalle plus forte dessus. Un étroit sentier les sépare ».
Et puis il y a tous les murs de soutènement qui étaient «
bien maçonnés » comme l'étaient aussi « tous ces contre-
murs qu'on trouve dans notre campagne creusoise... On voit
101
bien que les appareil lages de p ie r re peuvent pas avoir é té
f a i t par de simples paysans, parce q u ' i l s répondent à des
normes de contrebalanceront ». Et comme le d i t Delprato :
« Et puis i l doi t y avoir l a bonne dimension de l a base
par rappor t au sommet, l e b i a i s n é c e s s a i r e , l e t a l u s
n é c e s s a i r e . Les paysans-maçons donnaient une c e r t a i n e
forme à l a p ier re e t trouvaient ensuite des autres p e t i t e s
p ier res pour venir épouser la forme »
Et c e t t e f a m i l i a r i t é avec l a p i e r r e se t r a d u i t
aussi par une connaissance des roches propres à chaque
contrée : « I c i , en plus du g ran i t , on e s t dans une zone
où i l y a t r o i s so r tes de p i e r r e s : de l a h o u i l l e , de
l 'agglomérat de r i v i è r e e t de l a lave, qu'on appel le i c i
de la vaque et dont on s ' é t a i t servi après le remembrement
pour fa i re les p i s t e s . Et les ca r r iè res où on p u i s a i t pour
cons t ru i r e les maisons, e l l e s é t a i e n t pas o r i en t ées au
nord, l e g r a n i t e s t t rop f ro id . Moi j ' a i essayé de
ramasser les b e l l e s p i e r r e s , j ' a v a i s t rouvé une hache
t a i l l é e en g r a n i t ». Cet i n t é r ê t s 'accompagne de
représenta t ions sur la formation géologique du pays : «
Autrefois i l y a eu le déluge, ça avai t roulé des p i e r r e s
qui sont agglomérées, t a s sées , des p i e r r e s qui ont roulé
dans l ' e au , qui sont a t tachées . I l y a une espèce de grès
a v e c . . . Même nous qu'on es t pas des connaisseurs on s a i t
d i s t inguer une p i e r r e pour r ie d'une bonne p i e r r e ». Ou
encore, comme le préc i se un i n s t i t u t e u r , « Les ' b o u l e s ' ,
c ' e s t des chaos g ran i t iques , e t géologiquement ça a des
mil l ions d'années d 'usure. Cette région avai t , on suppose,
4000 mètres d ' a l t i t u d e pour tomber à m i l l e e t l e s
102 meilleurs noyaux, les plus solides sont restés. C'est le
résultat d'une résistance énorme à l'érosion ».
Une confrontation séculaire avec le granit qui, au
dire de bien des Creusois, non seulement les préparait à
bâtir, mais les destinait à ce faire. A preuve tout ce
vocabulaire qu'on retrouve dans les propos suivants : « On
a trouvé une généalogie où il y a 8 ou 10 générations de
maçons les uns derrière les autres. On vivait comme ça,
c'était presque congénital ». Un autre parle d'atavisme :
« Vous savez, il y a un atavisme. Mon grand plaisir
c'était de faire des murs et je ne sais pas pourquoi.
J'aime regarder les murs que je faisais plus jeune. Je
viens d'acheter un vieux lavoir, entièrement d'époque, on
va le recouvrir, ça ne sert à rien. C'est vous dire, on a
ça dans le sang. C'est vrai que les Creusois ont le goût
de la pierre ». Un goût qui leur est largement reconnu,
tel cet entrepreneur berrichon installé en Creuse : « Au
départ les Creusois faisaient un peu leur maison eux-
mêmes. Les anciennes maisons en pierre ici sont
magnifiques. Il faut avoir l'amour de la pierre et les
Creusois ils aiment ça. C'était un matériau noble et un
matériau pas cher à l'époque, il y avait de la pierre
partout. Les gens cassaient de la pierre, la taillaient,
le temps ne comptait pas. Les Creusois aimaient ça, ils
montaient tout en pierre...»
D'où l'idée largement répandue que les Creusois
détiendraient ce savoir-faire de manière instinctive : «
Dans chaque maison, les gars étaient pas vraiment
103
tailleurs de pierre mais ils s'y connaissaient...» Ou
encore : « Tous les creusois étaient maçons. Il y a près
de 250 stèles et cippes recensés dans le Limousin dont 150
dans la Creuse ». Et un maçon, aujourd'hui à la retraite
et qui lui, à la différence de nombreux Creusois, aimait
travailler le ciment : « J'ai été artisan avec trois
ouvriers, eh bien ils connaissaient que la pierre! Les
maçons de la Creuse étaient renommés partout, c'étaient
des gars qui aimaient à poser la pierre. Ils mettent pas
longtemps pour vous mettre une pierre en place et en
prendre une autre. C'étaient de vrais maçons. On leur
donnait un gros tas de pierres et ils choisissaient pas :
à mesure que la pierre arrivait, ils la mettaient en
place. Un vrai maçon aimait pas à poser des parpaings. »
Un atavisme, un goût congénital, un instinct, le
métier qu'on a dans le sang, et 1'« aptitude née de la
souche creusoise » dont on parle aussi. Tout suggère un
lien entre la constitution même des gens et la
configuration du pays. En somme, les Creusois ne se disent
pas autochtones, mais tout ce qu'ils disent est fait pour
nous le faire penser. Et c'est en quoi toute leur histoire
s'enracine dans le mythe. C'est bien ce qu'à sa façon dit
Nicoux : « Les rapports des Creusois avec la pierre se
perdent sans doute dans la nuit des temps. En témoignent,
pour ne parler que de la période historique, les quelques
1400 ossaria répertoriés dans le département et, taillées
dans le granit, les figurations, parfois colossales des
dieux romanisés dont on peut voir au musée de Guéret de
multiples exemples ».
104
Autre forme qui atteste ce fort lien mythique avec
la pierre, le rapport secret que les Creusois
entretiennent avec les pierres singulières,
particulièrement nombreuses dans leur région (le
recensement en a été entrepris par la revue Etimología29).
En effet il n'y a pas de village qui n'ait sa pierre
remarquable ou son chaos rocheux : mégalithes et dolmens,
pierres du mariage des oiseaux, pierres aux fées, pied de
Gargantua, pierres aux trésors... Mille récits légendaires
et mille croyances s'attachent à ces pierres dont le
pouvoir, comme celui des saints régionaux, peut être ou
non bénéfique. Ces sites attirent les touristes sans
doute, mais ils sont surtout fréquentés par les habitants
qui, de tous temps, sont venus s'y promener ou s'y
recueillir. A Boussac une femme nous confie : « Au moment
des représentations théâtrales qui avaient lieu aux
Pierres Jaumâtres, j'y montais tous les jours; ça fait
tellement de bien de monter aux Pierres Jaumâtres, quand
on est là-haut c'est formidable. Le lieu c'est magique. On
voit c'est vrai sept départements. On est bien, je ne sais
pas pourquoi... Il y a toujours du monde aux Pierres
Jaumâtres, même quand il y a de la neige. Le granit c'est
chaud, c'est vivant...» Mais, plus encore, on a toujours
attendu de certaines pierres - et la liste en est longue -
fertilité, guérison, protection... Ainsi, il n'y a pas si
longtemps, on allait étendre dans des sarcophages gallo-
romains du mont Bernage et du Gaudy, les rhumatisants et
les enfants « enchétivés » ou atteints de convulsions30.
F. Guyot, « Les pierres à légendes du Limousin », Etimología, 65-68, 1994.
105
Et si l'histoire de la migration s'enracine sur
cette relation immémoriale à la pierre - faite tout à la
fois de techniques, de savoirs, de manipulations,
d'histoire, de croyances, de légendes - on comprend
qu'elle puisse faire une identité régionale acceptable
pour tous.
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Le vo>ûge de Martin Nadaud
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1867. Coll. H. Gerbaud.
« Les ouvriers voyagent par, troupes de 4 à 12 : ces bandes, peu nombreuses au moment du départ, se rencontrent souvent en route et marchent ensemble sans se confondre ; on en a compté de réunies jusqu'à trois cents.
De Patourneaux, « De l'émigration des ouvriers
de la Creuse », 1827. « Avant les chemins de fer,
on les rencontrait par grandes ou petites bandes sur tout le territoire, et, comme ils passaient partout à travers champs, on s'en plaignait beaucoup. »
George Sand. « Nation », 1871.
En 1830, Martin Nadaud, âgé de 14 ans, monte à Paris en 5 étapes de 50 à 60 km chacune. La dernière est accomplie à bord d'un « coucou », voiture d'occasion tirée par une haridelle.
Quand en 1847 le chemin de fer atteint Châteauroux, c'_e_st à Issoudun que s'achève lelrajet pêBestre pour les Creusois. QüärTd le chemin de fer arrive dans la Creuse. La Souterraine. Felletin. Bourganeuf. deviennent les principales gares de départ.
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/4 Masgot, commune de EL. Il a traduit dans le granit ses convictions — Vue d'ensemble de la maison. Fransèches. Un tailleur de pierre, François Michaud, a orné de sculptures sa maison et son village.
politiques et religieuses d'autodidacte,
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parfois contradictoires. (Napoléon, Marianne...) T
— Porte d'entrée flanquée des bustes de Marianne et Jules Grévy. — Fenêtre.
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EMIGRATION DFg jw^oQ^g
te son identité à la Creusé
. A travers le centenaire de la mort de Martin Nadaud, célébré cette année, y c'est un hommage qui est rendu'à tous ceux qui, plusieurs mojs par an, quittaient la Creuse pour aller travailler à Paris, Lyon, Bordeaux ou Reims. p, :
t *•: I
r • •• * r^UERET. — Dans son livre, v 3 Lectures du Limousin et de la Marche, Jean-Baptiste Perchaud fait remonter l'émigration creusoise au Moyen Age : « Nos aïeux ont dû édifier les admirables cathédrales, les monuments de la Renaissance comme le Louvre, les Tuileries, les châteaux de la Loire », écrit-il. Rappelant que lorsqu'il assiégeait les protestants dans La Rochelle, Richelieu eut recours à des maçons limousins pour élever rapidement, et dans des conditions rendues très difficiles par l'océan, la grande digue destinée à barrer la route aux vaisseaux anglais.
VAUBAN ET HAUSMANN
Perchaud évoque également la construction par des ouvriers limousins des fortifications décidées par Vauban, puis, après la guerre de 1870-1871, des forts destinés à la défense de Paris, Dijon, Langres, Belfort, Epinal, Verdun.
« Ce sont eux qui, pendant le Second Empire, ont établi les voies ferrées sur le territoire français et c'est grâce à leur aide intelligente que les projets du préfet Hausmann, destinés à transformer la ville de Paris, ont pu être rapidement exécutés », écrit-il.
Il est certain que c'est au milieu du XV* siècle que les
'paysans des rudes.terres accrochées au Massif central
quittèrent leur milieu rural défavorisé pour aller gagner un maigre pécule qui leur permettrait d'améliorer le quotidien des leurs.
J u s q u ' a u d é b u t d u XX' siècle, huit à dix mois par an, des hommes maîtrisant mal la langue française, suspectés dans leurs déplacements, contrôlés dans leurs tâches quotidiennes, logés dans des garnis insalubres, exécutant les travaux les plus durs, seront maçons, tailleurs de pierre, terrassiers, charpentiers, tuiliers,, peintres en bâtiment, dans les régions parisienne, lyonnaise, bordelaise, franc-comtoise, bourguignonne.
Vers le milieu du XIX' siècle, grâce à une meilleure instruction et au prix de luttes sociales, ces travailleurs immigrés imposeront le respect par leur réussite. L'émigration des « maçons de la Creuse », tradition longue dans la durée, originale dans forme, bien cantonnée aux professions du bâtiment, a donné une identité à la Creuse et fait partie intégrante de son patrimoine.
3.000 EMIGRANTS EN 1880
Dans un numéro de La France Illustrée parue en 1881, M. de Partouneaux, ancien secrétaire général du département de la Creuse, écrivait :
« Le. nombre des emigrants est chaque année de plus 'de trois mille, maçons, paveurs, charpentiers, tailleurs et scieurs de pierres, tuiliers, couvreurs, peintres en bâtiment, peigneurs de chanvre ou laine, scieurs'de long, etc. ; tous partent et reviennent à des époques fixes.
Peu d'ouvriers entrent en campagne avant l'âge de 15 ans. Souvent, le père loue son fils à un maître ouvrier pour neuf mois.
Les ouvriers voyagent par troupes de quatre à douze. Ces groupes restent, autant que possible, associés dans tous leurs travaux. Le froid est le signal du retour pour ceux qui se sont mis en route au mois de mars.
Rentré dans la maison paternelle, le jeune ouvrier dispose des produits de son travail, selon sa position, relativement à la famille. S'il a des frères et que lui seul ait émigré, il remet à son père les bénéfices de sa campagne, qui sont ordinairement employés dans l'intérêt de la communauté, comme compensation du travail de ses frères qui ont cultivé la propriété commune. Le père satisfait avec cet argent. aux charges de la famille ou s'en sert pour acheter. quelques morceaux de terre. Mais, vers l'âge de 18 ans, les fils s'émancipent et se forment un pécule particulier pour devenir maîtres.
I • i " " • • : • . ' : . • • -
-.x. Les ouvriers de l'arrondissement d'Aubusson se dirigent
• plus spécialement vers les dé-; partements '• de' la Seine, du Rhône, de la Loire, du Cher, de la Nièvre, ' de l'Yonne, de la
"Côte-d'Or,- du Puy-de-Dôme, ' de la Vendée, de la Charente-Inférieure (NDLR : Maritime), de la Saône-et-Loire, du Jura, de l'Allier.
Ceux de l'arrondissement de Bourganeuf, vers les départements de la Seine, du Rhône, de la Seine-et-Marne ; ceux de
• l'arrondissement de Boussac vers la Seine, le Cher, la Nièvre, l'Allier, le Loiret, la Saône, l'Indre ; ceux de l'arrondissement de Guéret vers la Seine, le Loiret, la Seine-et-Marne, l'Yonne, le Cher, la Côte-d'Or, le Rhône, la Nièvre, l'Indre, l'Allier, le Loir-et-Cher, la Vendée ».
M. de Partouneaux indique que le bénéfice moyen de la campagne d'un maître est de 300 F et celui d'un ouvrier de 164 F; que 876 maîtres et 21.612 ouvriers ont rapporté, dans le département, pour le bénéfice d'une année, la somme de 3.872 F et 194 centimes.
« Une telle race, travailleuse, patiente, probe, économe, mérite certainement l'estime, si elle n'inspire pas toujours la sympathie », conclut-il.
Paul COLMAR.
Un programme 1998 bien construit POUR 1998, l'association
« Les Maçons de la • Creuse » a construit un programme très complet pour faire connaître la figure emblématique de Martin Nadaud. •
Celui-ci comprend une exposition itinérante, retraçant en 28 panneaux la vie des maçons
'creusois et du plus célèbre d'entre eux. On la verra, à partir ' ' au jourd 'hu i et jusqu'au "•juillet, à l'hôtel de ville de 'irganeuf ; le 18 juillet, à Sar-'•Corrèze) ; du 25 au 26 juil-
VMasgot, commune de •ches ; du 27 juillet au \ à l'hôtel de ville de \ l e 1 " août, à Davignac
>; du 10 au 30 août, à ecante, à Pontarion ;
à la Fête du Livre à 31 août au 6 sep-a mairie de Ché-au 20 septembre,
à Pallier, commune de Gen-tioux ; du 24 au 31 octobre, à la salle polyvalente de Mainsat; du 26 octobre au 8 novembre, à Sainte-Feyre ; du 15 au 22 novembre à, la mairie de Saint-Vaury; du 1 " au 15 décembre, à la bibliothèque René-Chatreix, à La Souterraine ; du 19 au 30 décembre, à la mairie du 20" arrondissement de Paris; du 21 décembre au 3 janvier, à l'ancienne mairie de Felletin.
Autre volet important de ce programme, un premier cycle de conférences : « Les migrants creusois avant Martin Nadaud », par Louis Perouas; le 17 juillet, à Bénévent-l'Abbaye ; « L'idée républicaine au temps de Martin Nadaud », par Maurice Agulhon, le 4 août, à la mairie de Guéret ; « Quand Martin Nadaud maniait la
truelle », par Pierre Urien, le 21 août, à Pontarion ; « Le symbolisme dans l'architecture rurale», par Patrice Trapon, le 19 septembre, à Pallier, commune de Gentioux ; « Martin Nadaud, • ouvrier et député », par Daniel Dayen, le 28 décembre, à Felletin.
Sont également prévus : — Des ' soirées lecture et
chansons autour de « Martin Nadaud. et son temps», accompagnées à l'accordéon et à l'orgue de barbarie : le 8 août, au Moûtier-Malcard ; le 30 octobre, à la salle polyvalente de Mainsat; le 26 décembre^ à l'ancienne mairie de Felletin.
— Des randonnées-spectacles évoquant l'histoire des maçons de la Creuse : les 25 juillet et 15 août,' à Soubre-bost (renseignements à la mairie de Bourganeuf).
— La projection d'un film de 25 mn retraçant la vie de .Martin Nadaud, de la Creuse à Paris et à Londres, le 5 septembre, au cinéma Le Colbert, à Aubus-son.
— La Journée du Patrimoine, le 20 septembre, à Bourganeuf.
— La présentation du nouveau site Internet, le 31 octobre, au centre de loisirs de Sainte-Feyre. .
— Un voyage à Paris, les'18, 19 et 20 décembre, avec visite de l'Assemblée nationale, du quartier du Panthéon, • de la mairie du 20e arrondissement, etc. ; le vendredi 18 décembre. à la mairie du 20", aura heu un dîner-débat autour de Martin Nadaud, avec Daniel Dayen, et une soirée chansons avec René Bourdet (conditions et inscriptions auprès de l'association).
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