Helene Clastres Solange Pinton - Culture

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Helene Clastres Solange Pinton Production, producteurs et enjeux contemporains de l'histoire locale. Rapport pour la mission du patrimoine ethnologique, mars 1999

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Helene Clastres

Solange Pinton

Production, producteurs et enjeux contemporains de

l'histoire locale.

Rapport pour la mission du patrimoine ethnologique,

mars 1999

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4-ri-re;

De la tradition à l'histoire : les maçons de la

Creuse

I. L'histoire de la migration creusoise et ses

caractéristiques

Faire de la tradition des maçons creusois qui, au

XIXe siècle, quittaient leur région pour aller s'embaucher

sur les chantiers des grandes villes, le thème d'une

histoire locale et d'un discours identitaire, peut

paraître paradoxal, et à un double titre. D'une part c'est

focaliser l'histoire de la région sur ceux qui l'ont

quittée et évoquer une histoire qui s'est déroulée

ailleurs, d'autre part c'est prendre en compte un

phénomène - la migration - qui, loin d'être propre à la

Creuse, a touché à la même époque de nombreuses régions de

France.

Les mouvements migratoires, en effet, ont pris une

grande ampleur dans la France du XIXe siècle, en liaison

d'abord avec les travaux agricoles (moissons, vendanges,

transhumance). Ce sont les régions pauvres, montagneuses

! i

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qui fournissent cette main-d'oeuvre saisonnière. Les

migrants effectuent alors des déplacements limités dans

les plaines ou les vallées voisines, pendant un temps

relativement court : les paysans du sud du Massif central

descendent vendanger dans le Languedoc, ceux de Savoie

dans la vallée du Rhône, les paysans du nord de la France

et de l'est du massif armoricain vont moissonner dans les

grandes plaines du bassin parisien, ceux des plateaux du

Massif central dans la Limagne. D'autres paysans, mettant

à profit les temps morts que laisse l'exploitation de

leurs propres terres, partent plus longtemps et parfois

assez loin, migrant tout l'hiver pour exercer des

activités non-agricoles : scieurs de long, peigneurs de

chanvre, colporteurs de l'Ariège qui allaient à pied

jusqu'à la Charité-sur-Loire proposer leur marchandise.

D'où des formes de migrations saisonnières complexes,

variées dans leur durée et dans leur amplitude, mettant en

jeu des activités elles-mêmes diverses qui ont en commun

de ne demander aucun apprentissage particulier.

A 1 ' image de la plupart des migrants du XIXe

siècle, les Creusois quittent leur pays de manière

temporaire. Mais eux s'absentent plus longtemps,

généralement de mars à novembre, et à l'inverse de

beaucoup de migrants et notamment des scieurs de long et

des peigneurs de chanvre - nombreux aussi en Creuse - ils

sont absents pendant la belle saison, au moment où les

travaux des champs sont les plus pressants. Pour A.

Corbin, c'est un cas rare d'émigration estivale pratiquée

par un pays pauvre. Autre trait qui les caractérise, ils

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4 n'hésitent pas à s'éloigner de leurs lieux d'origine et à

se diriger vers les villes, Paris et Lyon surtout.

Mais ce qui différencie les maçons limousins, c'est

qu'ils se forment à un métier. Le vocabulaire a retenu

depuis longtemps la singularité de cette migration,

condensant en quelques mots origine géographique et

technique de construction : « limousin » désigne le maçon-

migrant, « limousinerie » et « limousinage » une

construction en moellons et mortier et le plus souvent

avec des joints en creux, « limousiner » cette technique

de construction1. Et, des trois départements qui forment

le Limousin, c'est la Creuse qui, pendant deux siècles, a

donné le plus grand nombre de travailleurs du bâtiment :

la moitié des maçons qui viennent à Paris sont Creusois. A

lire la thèse qu'Alain Corbin a consacrée à la société

limousine de 1845 à 1880, ou les travaux d'Abel Châtelain

sur l'émigration en France au XIXe siècle2, on mesure bien

l'importance de la migration creusoise mais surtout sa

spécificité, et ceci grâce à l'existence d'une

documentation abondante et variée.

On dispose en effet pour la Creuse de beaucoup plus

de documents que pour les départements voisins, Corrèze et

Haute Vienne, qui ont également fourni des maçons-

migrants, en moins grand nombre il est vrai (huit fois

1 cf. préface à La revanche du limousinant. Un maçon creusois raconte, Eugène Duteyrat.

2 A Corbin, Migrations temporaires et société rurale au 19e : le cas du Limousin. A. Châtelain, Les migrants temporaires en France de 1800 à 1914.

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moins pour la Corrèze et trois fois moins pour la Haute

Vienne). Ont été conservées, notamment, les enquêtes

réalisées au cours du XIXe par l'administration, et qui

fournissent aux historiens toutes sortes de renseignements

(la destination des migrants, leur âge, leur sexe, les

salaires perçus, les moyens de transport utilisés... ).

Surtout, on dispose d'un témoignage irremplaçable où iront

puiser tous les historiens : les Mémoires de Léonard,

ancien garçon maçon, par Martin Nadaud.

Les migrants creusois sont essentiellement

originaires des plateaux de la Haute Marche et de la

partie sud du département, dite La Montagne, terres au sol

pauvre distribuées entre de nombreux petits propriétaires.

Et quand la migration s'amplifie, dans la deuxième moitié

du XIXe, elle continue à toucher sensiblement les mêmes

cantons (trois cantons en 1810 et quatre en 1860). En même

temps, elle est de plus en plus absorbée par les métiers

du bâtiment, domaine où les Creusois ont acquis une grande

réputation. Ils vont donc vers Paris et le sud du bassin

parisien, mais aussi vers les petites villes d'une vaste

région qui s'étend de la Loire au Lyonnais, de l'Auvergne

à la Franche-Comté (ils en viendront à couvrir une

soixantaine de départements).

Les raisons de ces départs sont multiples sans

qu'aucune soit vraiment déterminante. Les propriétés

exiguës (souvent un seul hectare) et morcelées ne sont pas

très productives et elles ne suffisent pas à nourrir une

population en pleine croissance. De plus les paysans ont

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besoin de liquidités pour payer les impôts, les dettes,

dédommager les cadets au moment des successions (dans un

pays où se maintient la transmission du patrimoine aux

aînés), constituer la dot des filles, agrandir la ferme en

vue de la retraite. Partir est aussi un moyen de se

soustraire à la conscription, et sans doute d'échapper à

une certaine monotonie.

Certains traits propres au pays ont sûrement

favorisé cette émigration de la belle saison : en premier

lieu, le faire-valoir direct - à l'inverse de ce qui se

passe en Haute Vienne ou en Corrèze où le métayage est

souvent en vigueur - laisse à ces petits propriétaires une

grande liberté de mouvement ; ensuite, si on peut se

passer des hommes les plus vigoureux au moment des travaux

d'été, c'est non seulement que l'élevage prime sur la

culture mais aussi que le regroupement sous un même toit

de la famille élargie (aussi bien ascendants que

collatéraux), rend possible l'absence d'un ou plusieurs de

ses membres.

Mais peut-être faut-il rapprocher cette inclination

au mouvement de la situation même du pays ? La Creuse,

dont une bonne partie appartenait à l'ancienne province de

la Marche, est, comme ce dernier nom l'indique, pays de

passage, pays de transition. Culturellement, c'est une

région frontière puisque s'y croisent langues et usages du

nord et du sud de la France, caractère bien souligné par

le philosophe Jean Beaufret, Creusois d'origine :

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7 ...le voyageur entre en Creuse sans s'en

apercevoir mais bien vite le paysage change.

Une barrière se dresse qu'il lui faudra

franchir. La route de Dun à Guéret traverse un

paysage plus sauvage en s'éloignant du Nord.

Déjà les sonorités latines du parler d'Oc

annoncent un changement de monde. C'est la

Marche, pays de passage. Ce passage du Nord au

Midi est encore incliné vers la Loire. On ne

cesse de monter jusqu'à l'autre passage

qu'est, ruisselant de sources, le plateau de

Millevaches. Les pentes descendent alors vers

la Dordogne, en pays aquitain. Mais ce passage

n'est pas transition pure, il est pays, il est

séjour...

Mélangée quant à sa géographie, à sa langue, à sa

culture, la Creuse est aussi un pays ouvert, pays d'où

l'on rayonne, d'où les hommes sont partis pour y revenir.

Dès lors, retenir pour faire l'histoire de ce pays la

migration des paysans-maçons, n'est-ce pas façon de lui

reconnaître ce caractère ? Resterait à comprendre pourquoi

les Creusois ont choisi le bâtiment. Les Vosges, qui sont

géographiquement comparables (vieux massif hercynien),

prennent une autre option et se spécialisent dans le

textile, de même l'Auvergne avec qui la Creuse a des

frontières communes, et qui se tourne davantage vers des

activités commerciales, colporteurs et porteurs d'eau,

reconvertis au milieu du XIXe en « bougnats ».

Toujours est-il que l'émigration creusoise est

ancienne, sans qu'il soit possible d'en fixer vraiment les

débuts. Au milieu du XIXe siècle, un érudit local - L.

Bandit de Nalèche - s'intéresse à l'histoire de

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l ' émig ra t i on e t cherche à l u i donner ses l e t t r e s de

noblesse : à p a r t i r de documents incomplets, i l l a f a i t

remonter au Moyen-âge, f a i san t des maçons c reuso i s l e s

b â t i s s e u r s de c a t h é d r a l e s 3 . D ' au t r e s au teu r s l a font

remonter au siège de la Rochelle. Les premières t r aces

incontestables datent du XlIIe s i èc le , mais c ' e s t à p a r t i r

du XVIIIe q u ' e l l e prend la forme e t l e s c a r a c t é r i s t i q u e s

qu'on l u i connaît par la s u i t e .

Marie-Annie Moulin l e s a dégagées dans une thèse

sur Les maçons de la Haute Marche au XVIIIe : déplacements

temporaires, spéc ia l i sa t ions marquées dans l e s métiers du

bâtiment (charpen t ie r s , couvreurs e t su r t ou t maçons),

ancrage géographique, o rgan isa t ion bien s t r u c t u r é e . Au

XVIIIe s i è c l e , a l o r s que l ' a c t i v i t é i n d u s t r i e l l e e s t

s t r i c t e m e n t réglementée , l e bât iment e s t l a s eu l e

i ndus t r i e ouverte aux ruraux, d ' au tan t q u ' e l l e garde un

caractère t rès a r t i s ana l (le maçon, à l 'époque, dresse des

murs en pierres e t mortier - limousinage - aussi bien pour

des immeubles, des maisons ou des murs de c lô tu res ) e t

q u ' e l l e s ' e f fec tue en p l e i n a i r . I l s en occuperont donc

tous les secteurs, e t à mesure que les métiers du bâtiment

vont se d i v e r s i f i e r , i l s vont eux-mêmes se s p é c i a l i s e r -

maçons, cha rpen t i e r s , couvreurs , t a i l l e u r s de p i e r r e ,

t u i l i e r s , paveurs , p l â t r i e r s (à p a r t i r de 1825, à

l ' i m i t a t i o n des I t a l i e n s ) , pe in t r e s (I860), s t u c a t e u r s .

Une s p é c i a l i s a t i o n qui recouvre une ce r t a ine h i é r a r ch i e

•* Bandi t de Nalèche, Les maçons de la Creuse, Limoges, é d i t i o n s Dessagne, 1984 (1ère é d i t i o n 1859).

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9 puisque plâtriers, peintres, stucateurs travaillent à

l'abri des intempéries et sont appelés monsieur.

Les travailleurs d'une même spécialité sont le plus

souvent issus de la même région, souvent d'une même

commune, voire du même hameau. Ainsi, c'est du nord-ouest

de la Creuse que viennent les charpentiers et les

menuisiers (212 charpentiers sur un total de 464 viennent

de Dun; 178 couvreurs sur 459 sont fournis par Chatelus);

les peintres sont souvent originaires du canton de

Felletin tout comme la plupart des tuiliers; les paveurs,

eux, se recrutent à La Souterraine. Une règle qui vaut

aussi, notons-le, pour les autres migrants, ainsi

chanvreurs et scieurs de long étaient issus du sud de la

Creuse.

Et chaque région entretient des relations suivies

avec certains lieux de migration. C'est ainsi que du nord-

ouest de la Creuse on se dirige presque exclusivement vers

Paris et sa région, du sud de la Creuse on va vers le

Lyonnais, du sud-est vers la Bourgogne, l'Auvergne et le

Lyonnais. Les tuiliers vont à l'est et tout

particulièrement à Saint-Etienne. Chaque micro-région a

une destination principale urbaine et des destinations

secondaires rurales. Comme l'écrit M.-A. Moulin « des

jumelages professionnels pourraient être dressés hameau

par hameau entre la Haute Marche et les points d'arrivée

de la migration ». Et elle évoque même le cas de villages

qui sont de véritables chasses gardées, tel Ligny-le-

Chatel en Bourgogne qui fut, pendant des générations, lié

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au v i l l a g e de Lepinas dans l a Haute Marche. Ces réseaux

une fo is é t a b l i s s ' en t r e t i ennen t d'eux-mêmes - l e f i l s ,

ent ra îné par le père, se d i r i ge vers Lyon ou vers Troyes

sans trop considérer la question des sa l a i r e s - e t i l faut

e n s u i t e des c i r cons t ances e x c e p t i o n n e l l e s pour que

s ' i n s t a u r e n t des changements dans ces couran t s de

migra t ion fo r t anc iens . A t r a v e r s ces d e s t i n a t i o n s

mul t ip l e s - Pa r i s , Lyon, Sa in t -Et ienne ou Bordeaux -

s 'exercent des influences var iées .

Or ig inai res des mêmes hameaux, un i t é de base des

campagnes creusoises, l es équipes de migrants sont unies

par les mêmes formes d 'entra ide et de l iens - voisinage e t

parenté - qui y prévalent . El les en reproduisent auss i l a

cohésion, a ins i que la forme é g a l i t a i r e . I l y a en e f fe t ,

à l ' i n t é r i e u r des hameaux, r é p a r t i t i o n é g a l i t a i r e des

d ro i t s co l l ec t i f s en ce qui concerne les sectionnaux (bois

e t t e r r a i n s de parcours ) ; e t i l y a d ' a u t r e p a r t une

n e t t e ind iv idua l i sa t ion des hameaux l e s uns par rappor t

aux au t r e s , qui t i e n t à la manière d i f fé ren te dont chacun

s ' a c q u i t t e des contr ibut ions e t des charges r e l a t i v e s à

ces mêmes b i e n s . Ces r è g l e s , tou t comme c e l l e s qui

prés ident à l ' a rban - échanges de services bien codi f iés

- , donnent à l a Creuse de f o r t e s s t r u c t u r e s «

démocratiques », d 'autant plus marquées que l 'emprise des

notables - a r i s toc ra t i e e t bourgeoisie - es t f a ib le .

Les équipes de migrants reproduisent donc c e t t e

cohésion, e t l a d i v i s i o n de l a migra t ion en au tan t

d ' u n i t é s indépendantes f a i t q u ' e l l e s ont chacune leur

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Organisation propre : sous la responsabilité d'un aîné,

chaque unité (8 ou 10 hommes en moyenne) décide de sa date

de départ, des étapes, de l'itinéraire emprunté (souvent

des sentiers ou des raccourcis boueux que les migrants

connaissent bien) ou du mode de transport (à pied ou en

patache ou, plus tard, en train) . A leur arrivée, les

migrants continuent à être pris en charge par les premiers

venus et à vivre en collectivité, que ce soit dans le

garni, sur le chantier ou pour se distraire, le samedi

soir, « aux barrières ». Et cette vie communautaire

encourage le maintien d'habitudes campagnardes : « la

chambrée, écrit A. Corbin, est par bien des côtés un

village immergé dans la société urbaine [...] L'horaire du

maçon se calque sur celui des travailleurs de la terre

[...] L'horaire des repas et la sensibilité alimentaire

demeurent longtemps ceux de l'habitant des campagnes...»

Au garni c'est d'ailleurs une femme de compagnon4 qui

prépare le repas du soir et qui trempe la soupe comme on

le fait chez soi. Le réconfort que le migrant trouve à

vivre avec ses pays est tel qu'il lui fait oublier

1'inconfort et même l'insalubrité des garnis, comme le

souligne Nadaud : « Il n'y a pas à s'ennuyer dans un garni

quand on n'est pas soi-même un esprit chagrin ou une sorte

de butor ». En dépit de cette insalubrité, souvent

dénoncée, les Creusois vont longtemps rester dans les

mêmes quartiers (par exemple, à Paris, le quatrième et le

cinquième arrondissements) prolongeant le même genre de

4 On les nomme en effet compagnons ou compagnons-maçons bien qu'ils ne fassent pas partie du compagnonage.

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v i e . « Au cours des deux premiers t i e r s du s i è c l e ,

souligne Corbin, l es migrants limousins opposent une for te

r é s i s t a n c e à l a d i s p e r s i o n s u s c i t é e par c e l l e des

chant ie rs ; i l s continuent à s ' en tasse r dans les qua r t i e r s

du cen t r e , même après que l a r évo lu t ion urbaine en a

modifié l a physionomie ».

L 'appren t i s sage du mét ier e t l ' o r g a n i s a t i o n du

t r a v a i l passent par ces mêmes réseaux de s o l i d a r i t é . En

e f fe t l e migrant c reusois ne p ra t ique pas l e tour de

France du compagnon e t apprend l e métier auprès des p lus

expérimentés : « Le chant ier , é c r i t Corbin, favor ise l e

maintien du groupe régional e t ce lui d'une h ié ra rch ie de

mé t i e r p é t r i e de r ég iona l i sme [ . . . ] l e s r é seaux

hiérarchiques cons t i tués au v i l l a g e e t sur l e chan t i e r

s 'entremêlent ». Cette « hiérarchie de métier » qui marque

les étapes de l ' appren t i s sage e t la ma î t r i se du mét ier ,

n 'exc lu t pas la proximité des re la t ions : « I l y avai t (et

ceci se passe début XXe) entre ouvriers e t patrons, ent re

maçons e t entrepreneurs beaucoup de f a m i l i a r i t é . Mais l e

patron c ' é t a i t quelqu'un qui sava i t t r a v a i l l e r , i l ava i t

mis l a main à l a p â t e . I l ne s o r t a i t pas des grandes

écoles , c ' é t a i t un type qui s o r t a i t de la corpora t ion.» 5

Dans chaque branche du bâtiment ce t te hiérarchie ex i s t e e t

chez l e s maçons, par exemple, on commence par ê t r e goujat,

puis limousin, maître-compagnon, maître-maçon.

b P r i v a i M.,« Les migran ts du t r a v a i l d'Auvergne e t du Limousin au XXe s i è c l e » I n s t i t u t d ' é t u d e s du Massif Central, Clermont-Ferrand, 1979.

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Cette organisation assure la continuité de la

migration et son succès, donnant au migrant un encadrement

et une sécurité d'autant plus précieux qu'il se trouve en

pays inconnu et qu'il est venu avant tout pour économiser.

« Le but qu'il poursuit en venant travailler à Paris,

écrit Corbin, ne relève pas d'un destin individuel; la

migration s'insère pour lui dans une stratégie familiale

englobante qui ressortit à la longue durée ». Associé à un

projet familial et resté attaché à sa terre, le maçon

creusois ne cherche pas à s'enraciner ailleurs et ce fort

sentiment d'appartenance est encore une de ses

particularités. Ce souci de maintenir des liens avec la

région d'origine est déjà exprimé par M. Nadaud : « Il ne

faut pas blâmer le mouvement d'émigration qui porte notre

jeunesse vers les villes. L'important c'est de se

promettre de ne pas abandonner le pays surtout lorsque la

fortune permet de lui rendre les plus grands services ».

Faut-il en conclure, avec Corbin, que cet attachement le

garde à l'écart des influences urbaines et freine son

insertion dans la ville ? Et faut-il avec lui juger que «

la permanence des comportements traditionnels, imprégnés

de ruralité » a été cause d'un « échec professionnel des

travailleurs limousins » ? A. Châtelain et M. A. Moulin

soutiennent l'opinion contraire : selon eux, la migration

temporaire aurait permis une lente adaptation à la ville,

les Creusois s'y montrant plus à l'aise que bien d'autres

migrants.

Quoi qu'il en soit, la tradition de migration

temporaire s'est prolongée en Creuse plus longtemps

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q u ' a i l l e u r s , jusque dans les années 1860. Vécue comme une

solut ion qui réserve l ' a v e n i r , e l l e permet ta i t de ne pas

perdre de vue l e v i l l a g e tou t en ayant a i l l e u r s une

a c t i v i t é rémunéra t r ice e t e l l e é t a i t , en ce sens ,

s écur i san te . Mais à p a r t i r des années 1860, l a tendance

s ' i n v e r s e , e t l e s maçons adoptent p lus souvent l a

migration dé f in i t i ve . Entendons-nous, i l y a toujours eu

des gens pour choisir de p a r t i r définitivement, e t i l y en

aura encore (jusqu'à l a guerre de 1914) pour décider de

p a r t i r temporairement. Cependant, dès la seconde moitié du

XIXe s i è c l e , ce t t e forme saisonnière cesse d ' ê t r e adaptée

à l ' i n d u s t r i e du bâtiment qu i , avec l ' u t i l i s a t i o n de

nouveaux matériaux e t de nouvelles techniques6 , ne connaît

p lus de morte saison e t peut fonctionner prat iquement,

toute 1'année.

Une évolution va donc se marquer dans l a deuxième

moi t ié du XIXe s i è c l e : au moment où l a migra t ion

déf in i t ive s 'accentue, e l l e se f a i t aussi plus intense ( i l

y a 35 000 Creusois à Par is en 1850, 45 000 en 1880) .

L'essor de la construction sous le second Empire - de 1853

à 1882 s 'ouvrent les grands chant ie rs , l e baron Haussmann

recons t ru i t Paris , a i l l eu r s on termine les voies de chemin

de fe r e t on é r i ge ga res , ma i r i e s , pos tes e t a u t r e s

éd i f i ces publics - j o i n t au développement des chemins de

fer , va permettre aux femmes de su iv re l eu r mari e t

poussent cer ta ins migrants à s ' i n s t a l l e r dans l e s v i l l e s ,

e t su r tou t à P a r i s . Car l ' a t t r a i t de la c a p i t a l e - qui

Entre a u t r e s , on bâche l e s c h a n t i e r s , on l e s é c l a i r e . . .

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15 reste « l'idéal du maçon » - est allé grandissant : les

salaires y sont plus élevés, l'offre d'emploi variée, la

vie matérielle et collective assurée...

Peu à peu, sous l'effet de ces bouleversements les

us et coutumes des migrants évoluent, l'emprise du groupe

s'affaiblit et ils acquièrent plus d'indépendance, dans

l'organisation du voyage d'abord (le départ en groupe, qui

s'imposait quand on faisait le trajet à pied, n'est plus

nécessaire lorsqu'on part en train), et par suite dans

celle de la vie et dans celle du travail. Se manifestent

également certaines stratégies professionnelles. C'est

ainsi que le métier de maçon va absorber de plus en plus

de migrants creusois, au détriment d'autres activités

saisonnières, comme celle des scieurs de long dont le

nombre ne va cesser de baisser (1092 en 1810, 897 en

1860). C'est que ce dernier métier, outre qu'il est mal

payé, est particulièrement ingrat (les scieurs de long

vivent très isolés dans les forêts). On délaisse aussi des

activités jugées trop dangereuses, comme celle de couvreur

(assurée par les Normands). L'allongement des séjours à

Paris favorise les réussites politiques (dont M. Nadaud

est le grand exemple) ou sociales, bon nombre de

travailleurs sont devenus entrepreneurs.

En Creuse même, cette longue tradition de

migrations saisonnières a eu toutes sortes de conséquences

d'ordre divers. Resté propriétaire de sa terre, le maçon

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en surve i l l e de loin l ' exp lo i t a t ion 7 (qui l u i offre à tous

moments une p o s s i b i l i t é de r e p l i en cas de chômage, ou

pour sa r e t r a i t e ) e t i l y i n v e s t i t l es quelques économies

q u ' i l amasse. Tou te fo i s ses absences r é g u l i è r e s

1 'éloignent du t r a v a i l de la t e r r e , s i bien que, pendant

son séjour hivernal au pays, on l e vo i t s 'adonner plus

volont iers à des travaux de construction qu'aux travaux de

la ferme e t une femme se souvient encore aujourd 'hui : «

l e s anciens maçons, i l s t a i l l a i e n t l a p i e r r e , pour pas

grand chose, e t i l s f a i s a i e n t des murs ». M. Nadaud

raconte lui-même combien l e s travaux de l a ferme l u i

pa ra i s sa i en t pénibles : « Nullement habitué à ce t r a v a i l

(couper l e blé noir) qui vous t i e n t l e dos courbé toutes

la journée, le so i r j ' é t a i s réellement écrasé de fat igue

». Et quand i l s ne sont pas occupés à b â t i r , l e s «

retournants » consacrent une bonne p a r t i e de leur temps à

rendre des v i s i t e s aux p a r e n t s , v o i s i n s , amis. I l s

prennent a i n s i une p l ace qui n ' é t a i t pas l a l e u r

auparavant, au centre d'une s o c i a b i l i t é renouvelée : dans

les v e i l l é e s , dans l e s noces - célébrées l ' h i v e r avant

leur départ - , au b i s t r o t , au marché...

Contrepartie de ce t t e r e l a t ion d i s tan te à la t e r r e ,

l o r s q u ' i l ren t re définitivement au pays, le migrant r e s t e

' P l u s i e u r s l e t t r e s échangées e n t r e l e s maçons e t l e u r f a m i l l e , que nous avons eues e n t r e l e s mains, montrent q u ' i l s c o n t i n u e n t à s ' y i n t é r e s s e r e t même à exercer un c o n t r ô l e . Une l e t t r e de j u i n 1857 : « Vous me fe rez s a v o i r s i ma be l l e -mère a ensemencé ma t e r r e e t s i l a r é c o l t e p r o f i t e un peu » . Une femme à son époux émigré, 16 j u i l l e t 1866 : « J e t e d i r a i a u s s i que nous avons f a i t une grande p a r t i e de nos fo ins , nous en avons c e t t e année en grande abondance, j e c r o i s que nous aurons de l a peine à t ou t l ' e n g r a n g e r . Cher époux, tu me demandes s i nous avons vendu l e s taureaux, j e t e d i r a i que non ».

Page 17: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

17

attaché aux anciennes pratiques culturales : c'est ainsi

que la répartition des terres labourables est restée la

même pendant un demi-siècle dans deux cantons de forte

migration, Saint-Sulpice les Champs et La Courtine. Et

c'est pourquoi, dans les zones de migration, on note un

moindre progrès dans l'utilisation des engrais et dans la

mécanisation. A côté de cette tendance conservatrice, des

courants de progrès sont aussi introduits par

l'émigration. En l'absence des maris, les femmes ont

appris à s'occuper de la ferme et ont acquis autorité et

reconnaissance; et c'est aux migrants qu'on doit la

modernisation de l'habitat. On estime que sur les 1500

fermes répertoriées sur le plateau de Millevaches, 1200

ont été aménagées ou construites avant 1900. Nous verrons

que les maçons introduisent modèles ou techniques de

construction appris sur les chantiers : surélévation des

maisons, encadrements de fenêtres en briques, rocailles.

Dans de nombreux domaines, leur apport au pays va

être déterminant. Sur les plans économique et

démographique d'abord : le travail du maçon va rapporter

un numéraire important qui rééquilibre les ressources et

les besoins du département et permet de maintenir, pendant

tout le XIXe, une forte densité de population. Ainsi à

1'inverse de la Haute Vienne et de la Corrèze où taux de

nuptialité, de fécondité et de mortalité sont élevés, la

Creuse montre un meilleur contrôle de la fécondité

(meilleur chez les migrants que chez les sédentaires) et

un faible taux de mortalité, moindre en Creuse que sur

l'ensemble du territoire national. Ce qui fait dire à

Page 18: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

18

Corbin que le département a a t t e i n t un « stade de maturi té

démographique ». Sur l e plan de l ' éduca t ion e t des idées

ensuite : on note une a lphabét i sa t ion précoce, proche de

l a moyenne n a t i o n a l e , e t qui s ' é t e n d aux femmes -

l'analphabétisme des femmes recule plus v i t e que dans tout

le r e s t e de la France - un domaine où l a Creuse s'oppose

l à encore aux départements v o i s i n s . Les e f f e t s de l a

migration se marquent aussi dans des a t t i t udes re l ig ieuses

e t des posi t ions po l i t iques qui vont perdurer jusqu 'à nos

j o u r s . En e f fe t l a migra t ion p a r a i t avo i r h â t é un

p roces sus de d é c h r i s t i a n i s a t i o n , largement entamé

auparavant , i l se manifeste par un a n t i c l é r i c a l i s m e

v i r u l e n t , encore percep t ib le aujourd 'hui . In t rodu i t s par

l e s migrants revenus de Pa r i s ou de Lyon, c e r t a i n s

mouvements po l i t iques ( l ibéra l i sme, républicanisme, puis

social isme) trouvent un la rge écho dans l a Creuse e t

en t ra înen t un vote massif à gauche, à l a dif férence par

exemple de l a Haute-Vienne - qui v i en t tardivement au

soc ia l i sme bien q u ' e l l e a i t fourni e l l e a u s s i des

migrants-maçons - ou encore de la Savoie e t de l'Auvergne.

L ' é l ec t ion de M. Nadaud à l a deputat ion en 1849, e s t l e

f ru i t de l ' a c t i v i t é po l i t i que déployée par les migrants à

Paris e t dans la Creuse.

Dans ce bref panorama, on v o i t que l a longue

h i s t o i r e de la migration au XIXe, garde encore ses zones

d'ombre e t donne l i e u , sur c e r t a i n s p o i n t s , à des

in te rpré ta t ions divergentes mais le phénomène possède des

ca r ac t é r i s t i ques frappantes e t a marqué profondément l e

pays. I l a d ' a i l l e u r s s u s c i t é (et s u s c i t e encore) de

Page 19: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

19 nombreuses études. Aussi bien, s'y référer pour construire

une identité creusoise et tenter de définir « une

politique patrimoniale » est sans doute moins paradoxal

qu'il nous avait semblé de prime abord.

Cette migration s'est beaucoup ralentie avec la

guerre de 14, mais elle n'a pas complètement cessé. De

jeunes Creusois iront participer à la reconstruction du

nord et de l'est de la France après les deux dernières

guerres, et entre 1921 et 193 6 on évalue leur nombre

encore à plusieurs milliers. Les maçons ont abandonné le

limousinage et se sont mis au ciment, puis au ciment armé

et vers 1950 au précontraint. Quelques études rendent

compte de cette évolution.

M. Privai a ainsi interviewé plusieurs maçons, nés

au début de ce siècle dans la région d'Auzances, et

reconstitué leur itinéraire professionnel8. Ainsi chez les

Bourderie, on est entrepreneur depuis cinq générations,

depuis qu'un ancêtre maçon, né en 1867, est parti a huit

ans avec son père sur les chantiers ; ou encore le cas de

Henri Boeuf qui a gravi tous les échelons, d'apprenti à

compagnon-briqueteur et cimentier, puis chef d'équipe,

chef de chantier, contremaître, enfin entrepreneur

employant jusqu'à 150 ouvriers. A l'issue de grèves

sévères, les conditions de vie et de travail ne sont plus

les mêmes après la guerre de 14. On est passé à la journée

de 8 heures, les salaires ont augmenté, les moyens

M. Privai, op. cit.

Page 20: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

20

techniques se sont perfectionnés (treuils électriques,

grues, bétonnières à moteur...). Mais Privai note la

persistance de plusieurs traits anciens. On va encore

souvent travailler à Lyon et à Paris ; un certain esprit

du compagnonnage demeure qui .prend la forme d'une

solidarité entre gens de même pays : « Le fait de

présenter un pays au chef de chantier, écrit-il, est une

caution suffisante » ; demeure aussi un certain goût pour

un savoir-faire dont les Creusois se savent les

détenteurs.

Duteyrat, né lui aussi au début du siècle dans une

famille de paysan du plateau, a retracé son itinéraire

dans un livre de souvenirs9. Élève de l'école des Arts et

métiers de Paris et formé à toutes les techniques de son

temps, il va d'abord travailler au Sénégal où il construit

un quai en béton armé, puis à Lyon et à Paris, enfin en

Bretagne où il apprend tardivement la taille de la pierre

et le limousinage.

Et il est encore facile de rencontrer des maçons

creusois, revenus prendre leur retraite au pays, après

avoir participé à de nombreux chantiers. L'un d'entre eux

nous a raconté sa vie itinérante d'un chantier à l'autre,

après la dernière guerre : il a aimé vivre dans les

roulottes installées à proximité et se rappelle les étapes

de la modernisation du métier : « J'ai appris mon métier

avec les artisans-maçons de Felletin qui m'ont fait

Eugène Duteyrat, op.cit.

Page 21: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

21

"monter l'oiseau"10. A l'époque, on échafaudait avec des

perches. Les échafaudages tubulaires ne sont venus qu'en

50-55. En 1945 j'étais à Lyon pour la reconstruction de

Bayard-presse : c'était pas une bricole, on échafaudait

des poutres de 25 mètres de portée avec des perches...

Avant la venue des bétonnières, il fallait faire toutes

les préparations à la main, et tout était livré en vrac :

les planches, les tonnes de ferrailles, le ciment... et

tout se répartissait entre les cimentiers, les boiseurs,

les ferrailleurs et les maçons qui s'occupaient, eux, du

coulage. Aujourd'hui, tout est préparé en atelier et livré

».

La migration creusoise s'est donc prolongé au XXe

mais l'histoire n'en a pas vraiment été faite. En Creuse

même, la maçonnerie va donner lieu à d'autres

développements. En 1910 est créée à Felletin l'École des

métiers du bâtiment dont 1'enseignement répondait aux

voeux de M. Nadaud et qui restera longtemps unique en

France. De nombreux élèves sont recrutés dans le pays même

et jusqu'à récemment, l'école était financée pour une

large part par les entrepreneurs d'origine creusoise

installés à Paris. D'autre part, à partir des années 20,

on fait venir en Creuse des travailleurs étrangers -

Belges, Tchèques et surtout Italiens - pour extraire la

pierre et la tailler. Or cette histoire proche dont

peuvent témoigner les Italiens de seconde génération -

plus Creusois que les Creusois de souche - est laissée de

10 L'expression est déjà dans M. Nadaud. Il s'agit de l'auge contenant le mortier et que les apprentis portaient dans les échafaudages.

Page 22: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

22

côté par la plupart des érudits locaux, et par les

Associations. Tout se passe comme s'il n'y avait qu'une

seule histoire, celle, indéfiniment ressassée, que conte

M. Nadaud. D'autre part cette relation privilégiée au

bâtir, pensée comme l'apanage de la Creuse, est

aujourd'hui en train de se défaire. L'école des métiers,

qui a cessé d'être financée par les entrepreneurs creusois

(aujourd'hui arrivés à l'âge de la retraite et dont les

entreprises sont absorbées par les grosses sociétés), est

devenue un simple lycée technique, perdant ainsi une part

de sa singularité et du coup recrutant plus difficilement.

Quant aux tailleurs de pierre, ils ont vu, ces vingt

dernières années, leur nombre fondre et leur domaine

d'activité se restreindre sous l'effet de la modernisation

et de la concurrence. L'histoire des maçons s'épuise alors

que les recherches historiques et la littérature à leur

propos sont en plein essor - arrêtées sur le XIXe siècle,

âge d'or de la migration.

II. Mémoires familiales

La mémoire des migrants n'a jamais été perdue, elle

est restée particulièrement vivante chez les descendants

qui se sont transmis anecdotes, documents et

correspondance. Mais ce qui est conservé, ce sont le plus

souvent des souvenirs fragmentaires, pauvres en images et

en vrais contenus.

Départs et retours des maçons migrants, marqués par

toute l'émotion qui les accompagnaient, sont encore dans

les mémoires : « Les maçons partaient en campagne en

Page 23: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

23

février, mars, quand le vent du nord était moins amer, et

ils revenaient en novembre. Quand les femmes voyaient

revenir les grues, elles disaient : "les grues revenant,

les hommes vont pas tarder à arriver" ». Pour d'autres le

retour des « hirondelles blanches » - allusion, bien sûr,

à la vie des maçons et à la blouse blanche qu'ils

portaient - correspondait à 1'époque de 1'arrachage des

pommes de terre.

Dans une famille de Boussac, une femme d'environ

soixante ans dont le grand-père avait été maçon-migrant

déclare ne rien savoir là-dessus, le grand-père s'étant

toujours refusé à parler de ses campagnes : « Mon grand-

père maternel avait une petite ferme avec quelques vaches

près de La Souterraine, et il laissait femme et enfants

pour partir à Paris. C'était ma grand-mère qui s'occupait

de la ferme et qui élevait les enfants. Il n'aimait pas en

parler, c'était un mauvais souvenir parce qu'il laissait

sa famille, je pense que c'était ça. Et puis avec ma mère

quelquefois on en a parlé, mais pas plus qu'il fallait ».

Et en effet notre interlocutrice ne sait pas combien

d'années il est parti, n'a connaissance d'aucun document

qui aurait été conservé, ignore comment il voyageait, et

se trompe même sur l'époque du départ puisqu'elle pense

qu'il s'absentait pendant les mois d'hiver. Mais, ajoute-

t-elle : « avec le recul je me dis que j'aurais dû lui

poser tout un tas de questions. On devient plus curieux du

passé ».

Page 24: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

24

Monsieur R. , ancien tailleur de pierre âgé

d'environ 80 ans, se souvient de son père : « Il avait été

travailler à Paris. La pierre blanche [le calcaire], il

sciait ça avec un passe-partout. Mais scier le granit!

autrefois ce n'était même pas la peine d'essayer !

aujourd'hui oui on le scie! » Et après les considérations

techniques, il passe aux anecdotes : l'histoire d'un «

bonhomme qui était allé deux ans apprendre le métier de

maçon. Mais il aimait bien faire la bamboula et il fallait

que son père envoie des sous pour qu'il revienne. A la fin

le vieux voulait plus. Il y a plus eu moyen de partir ».

Certaines anecdotes, et notamment celles qui ont

trait au port des chaussures, thème emblématique des

premiers voyages à pied, sont répétées de génération en

génération. Ainsi l'histoire de Pierre Boijard, parti vers

1830 du hameau de Courcelles pour aller à Troyes : parti

sans le sou, chaussé de vieilles chaussures (son père

n'avait pas voulu lui en payer des neuves), il dut finir

son chemin pieds nus11.

Chez les G., on parlait beaucoup des maçons : « La

même Fernande était intarissable, elle écoutait, et elle

reprenait à sa façon », racontant aux enfants mille

anecdotes sur le voyage, les départs à pieds ou en

patache, les gamins qui partaient avec des souliers neufs

ou trop petits pour Paris et finissaient nus pieds parce

que les chaussures les gênaient. On continue de colporter

J. Sabourin, op. cit.

Page 25: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

25

l'histoire du grand oncle parti à pied avec des souliers

qui le blessaient, et qui avait dilapidé tous ses gains,

prétendant au retour, par crainte des reproches de sa

femme, qu'ils lui avaient été volés en chemin... On

confirme 1'importance du voyage à Paris ou à Lyon. « Il y

avait la filiale lyonnaise. Il y avait des gens qui

étaient pas allés à Paris mais à Lyon...». Comme sa grand-

mère, Michel G. aime et sait raconter. Histoires «

coquines » : « On nous racontait, gamins, que certains

maçons mettaient une graine dans le ventre de leur femme

pour être sûr que le fruit soit d'eux » ; ou farces liées

au métier et dont plusieurs maçons ont fait les frais,

surtout quand ils aimaient bien boire : « On l'avait fait

asseoir au bord de l'auge de plâtre et on lui avait payé à

boire plusieurs fois. Derrière, avec un bâton, on avait

mis sa blouse à tremper dans l'auge et quand il avait

voulu se lever, il a dû poser sa blouse parce qu'elle

était prise dans le plâtre qui avait durci. »

Monsieur P., aujourd'hui à la retraite et petit-

fils d'un tuilier, se souvient avec émotion des récits de

son grand-père lorsqu'il avait 9 ans et qu'une grave

maladie l'avait tenu au lit de longs mois : « Mon grand-

père était parti tuilier à Lyon à l'âge de 9 ou 10 ans.

C'était vers 1865. Il avait perdu sa mère très jeune et

c'est une soeur aînée qui s'occupait de lui. Il savait

très bien raconter et je me souviens particulièrement de

deux choses. Il disait qu'à Lyon ils étaient logés et

nourris par l'entreprise et qu'ils vivaient dans une

promiscuité extraordinaire. Ils dormaient dans de la

Page 26: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

26

paille à 4 ou 5 et on leur donnait à manger des pommes de

terre non épluchées. Il avait pour compagnon un sourd-muet

qui leur faisait comprendre qu'on les nourrissait comme

les cochons. La deuxième histoire qui m'avait frappé,

c'était qu'au bout de trois ans il avait réussi avec ses

économies - et pourtant il gagnait pas beaucoup - à

s'acheter une montre gousset que je lui ai toujours vu

porter et qui a toujours marché. C'est moi qui ait hérité

de cette montre et j'y tiens énormément. A l'âge adulte,

mon grand-père est venu à Paris et il s'est fait cocher de

fiacre. Et son seul objectif c'était le désir de promotion

sociale et d'acheter une petite propriété. L'arrière

grand-père de ma femme, lui, était peintre en bâtiment et

il avait monté une entreprise de vingt personnes. Ses

descendants qui ont aujourd'hui 80 ans vivent toujours des

revenus des immeubles qu'il avait acquis. Hormis sa

réussite, on ne raconte rien sur lui »

A l'inverse, Maurice S, instituteur, qui a perdu

son père tôt, n'a entendu aucun récit. Il a pris le temps,

au moment de sa retraite, de faire une vraie recherche

généalogique, remontant à son arrière arrière grand-père,

agriculteur. Et il reconstitue minutieusement la carrière

de son grand-père, « un véritable maçon de la Creuse »

qui, en 19 années de campagne a franchi toutes les étapes

du métier - maçon, maître-maçon poseur de pierres,

contremaître maçon - et a fait « tous les ans, sans

interruption, le trajet entre son village et les

départements de la Haute-Loire et de la Loire ». Il tire

son information du livret d'ouvrier, où sont notés tous

Page 27: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

27

les départs et retours ainsi que les noms des employeurs.

Il sait ainsi que le grand-père est parti à 26 ans, que de

1856 à 1862 il est à Saint Etienne, qu'ensuite il tourne

entre quatre ville de Haute-Loire et de Loire. Il montre

même une lettre du directeur des ponts et chaussées de la

Haute-Loire, félicitant son grand-père pour la

construction du pont de Retournac : « Un pont qui a huit

ou dix arches, un pont important, il lui fallait des

connaissances techniques, et avec mon fils nous l'avons

visité ». Ils ont du reste visité tous les autres ponts

construits sur la Loire par le grand-père. A 45 ans,

retour au pays : « Il va gendre dans une propriété qui

devait pas être très brillante et il entreprend de

reconstruire un ensemble agricole complet ». Il passera le

reste de ses jours à reconstruire, agrandir, agrémenter

cette propriété : « Non seulement mon grand-père construit

la maison avec un perron monumental, une cave voûtée, un

escalier qui monte au premier avec des marches entière

taillées, une cheminée entièrement en granit, et à côté il

construit un hangar, une boulangerie avec four, une

buanderie avec grand cuvier, une porcherie, un poulailler,

un clapier, une grange pour les céréales et le foin, une

étable et une bergerie, deux puits, un pour les bêtes et

un autre pour la maison avec une pompe à l'intérieur, tout

en pierres...». Aujourd'hui, ce domaine appartient à

l'arrière petit-fils qui l'a laissé tel quel, ne l'habite

pas mais y vient chaque jour pour son plaisir, pour

l'entretenir, le maintenir - il y entrepose les vieilles

voitures qu'il collectionne, et son rapport à sa maison

Page 28: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

28 est aussi celui d'un collectionneur. Maurice S. a été

chargé, il y a quelques années, de faire le recensement

des maisons de sa commune, et, nous dit-il, les trois plus

belles « qui sont des chefs d'oeuvre de taille de pierre,

des façades entièrement en taille de pierre, des cheminées

avec des pierres de 3 ou 4 mètres de long » ont été

construites par des maçons qui s'étaient enrichis dans la

région lyonnaise. Ainsi de la maison la plus proche de la

sienne, construite vers 1900, avec des tours de fenêtres

en briques « comme ça se faisait à l'époque ». Son grand-

père, il y insiste, n'était pas un cas exceptionnel - « ce

n'était pas un phénomène et je n'ai jamais connu de maçon

qui soit revenu misérable ».

Monsieur P., acteur et metteur en scène, issu d'une

famille de maçons12, a aussi consulté les archives et gardé

des souvenirs « J'ai retrouvé dans le grenier des papiers

anciens et il y avait notamment un aïeul qui était maçon ;

il travaillait à Argenton-sur-Creuse et revenait à pied,

environ 30 km, sans doute tous les mois. Et un jour il a

été assassiné parce qu'il avait son pécule quand il

revenait. Et j'ai retrouvé ça dans des minutes... Mon

grand-père est monté à Paris à pied et en sabots. On ne

sait pas combien de temps il a mis, on n'en sait rien. Il

a dû s'arrêter dans toutes les auberges, et puis il est

arrivé à la porte d'Orléans. Et il a vu que les gens

marchaient deux par deux, quatre par quatre en file. Il a

cru qu'on marchait comme ça à Paris... C'est comme ça

12 En 1996, il a mis en scène, sur le site dit des Pierres Jaumâtres, une vie de Martin Nadaud.

Page 29: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

29

qu'il a assisté à l'enterrement de Victor Hugo, dont il

avait jamais entendu parler de sa vie. Et il a suivi

l'enterrement pensant qu'il fallait marcher comme ça, que

c'était la loi. Il était monté à Paris parce qu'il fallait

faire un voyage à Paris, à Lyon ou ailleurs. Il faisait

son pèlerinage à Paris, même s'il n'était pas maçon, comme

tous les maçons. Ils faisaient leur voyage à la Mecque. Je

ne sais pas combien de temps il y est resté. C'était comme

pour les chrétiens le pèlerinage de Chartres... C'était

des vacances, c'était une fête, c'était l'occasion de

s'arrêter dans tous les bistrots. » Un voyage à caractère

initiatique selon monsieur P. et c'est bien ainsi que les

descendants de migrants le perçoivent. En tous cas une

façon de voir du pays et un certain apprentissage de la

vie.

Dans une autre famille, les deux frères M, qui ont

pris leur retraite sur leur ferme, les événements de la

guerre de 1914 semblent avoir recouvert l'intérêt pour les

ancêtres maçons : « A notre génération (notre

interlocuteur est un homme de 75 ans), les vieux ne

parlaient plus que de la guerre de 14, ils parlaient plus

des maçons ». Leur propre père, né en 1893, avait d'abord

travaillé dans un village proche chez des meuniers, avant

de partir comme maçon en 1912. Sa carrière sera

interrompue par la guerre. Monsieur M. sait pourtant pas

mal de choses, qui lui reviennent pêle-mêle à mesure qu'il

nous montre les documents soigneusement conservés par la

famille : laissez-passer, carnets de route (« qu'il

fallait présenter, et avec ce qu'ils gagnaient ») ,

Page 30: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

30 contrats (« les obligations entre ouvriers et ceux qui les

employaient ») photos, objets. « Mon père partait en

campagne à Vitry-le-François avec un monsieur d'ici, neveu

d'un gros entrepreneur, on a même une photo où il est pris

dans le bâtiment où il travaillait. Et notre grand-père

maternel allait comme tuilier du côté du plateau de

Langres. Il avait rapporté des corbeilles pour faire le

pain qu'on a encore ». Il montre plusieurs photos de son

père en tenue de maçon et se souvient aussi qu'on partait

d'abord comme manoeuvre, emmené par des parents et des

amis. Il se pose des questions sur le travail : « Il y a

des pierres de 300 kilos montées en haut, je sais pas

comment ils s'y prenaient ». Lui-même est maçon à ses

heures « comme tous les Creusois », dit-il. Il sort

également d'une boite un exemplaire du journal des

instituteurs de l'année 1871 : « C'était le frère à notre

grand-père qui était instituteur. Dans ses élèves, il y en

avait un qui sortait de par ici et qu'avait fait de grands

bâtiments à Paris. Et il allait faire visiter ces

bâtiments à l'impératrice, la femme de Napoléon III. C'est

lui qui la conduisait à son bras...» Des souvenirs qui

prennent appui sur les documents, et portent sur le métier

plus que sur la vie que pouvaient avoir ses ancêtres.

Mais, conclut-il, « c'est plutôt les gens qui viennent

d'ailleurs qui s'intéressent à ça, dans le village

personne parle plus des anciens maçons ».

Une mémoire qui, en gros, se partagerait selon les

traces écrites et la transmission orale : capable, dans le

premier cas de reconstituer les carrières avec des dates

Page 31: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

31

et des lieux précis, entretenue aussi par les lieux

construits en Creuse et ailleurs; de l'autre, un passé

qu'on dirait sans date et comme condensé puisque toutes

les époques s'y réduisent à une seule, celle des temps

héroïques popularisée par la littérature : ainsi fait-on

voyager à pied des grands-pères ou des grands-oncles,

alors que deux générations avant eux on prenait déjà le

train. Une mémoire faite de mille anecdotes souvent

récurrentes, presque des stéréotypes (les pieds blessés,

l'argent volé ou gaspillé...) où la vie des individus et

l'épopée collective deviennent indistincts. Comme le

souligne un interlocuteur, parfois on ne sait plus très

bien si on les a lues dans les livres ou si elles vous ont

été racontées. Est-ce l'impression de connaissances très

fragmentaires que donnent parfois ces récits qui fait dire

à un de nos interlocuteurs que les descendants de maçons

ignorent ce passé ? « Ils ne font pas référence à ce

passé, ils l'ont oublié, ou veulent l'oublier, ou ça ne

les intéresse pas ». Ce n'est pas qu'ils ne s'y

intéressent pas, c'est que la mémoire, sauf quand elle est

volontaire, n'est faite que de bribes et de morceaux. A la

limite elle est presque sans contenu, on sait seulement

qu'on a eu un ancêtre maçon.

Si la mémoire des maçons est restée présente, c'est

aussi qu'elle a été fécondée par l'image du migrant

popularisée par toute une littérature. De façon

significative, c'est à la fin du XIXe siècle, au moment où

la pratique de la tradition saisonnière commence à se

défaire, que l'écrit en fixe pour la première fois les

Page 32: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

32

traits : les Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon,

récit autobiographique de Martin Nadaud, paru en 1895 et

qui vient d'être réédité pour la cinquième fois. Véritable

document ethnographique qui rend dans le détail les

manières de vivre et de penser du moment - depuis

l'enfance à la ferme jusqu'au premier départ à 14 ans; de

la vie à Paris sur les chantiers et dans les garnis

jusqu'à l'engagement politique. Ce livre est aussi et

surtout un immense succès populaire. Non moins populaire,

la chanson « les maçons de la Creuse » écrite sous le

second Empire par un ancien migrant, Jean Petit du Boueix,

et toujours au répertoire des banquets ou des fêtes, est

connue bien au-delà du département. Elle offre, en neuf

couplets, un résumé édifiant de la migration : la douleur

de la femme restée seule avec les vieux parents et les

enfants ; le courage des maçons, leur goût pour la belle

ouvrage et les monuments par eux réalisés; le retour au

pays... En 1937 est publié Jeantou, le maçon creusois, de

G. Nigremont, roman pour enfants, réimprimé récemment. A

ces récits « fondateurs » s'ajoutent, depuis les années

1990, une littérature régionale qui a pris pour thème - et

comme on le verra, infléchi - la figure de l'ancien maçon-

migrant : Les moissons délaissées, de J.G. Soumy, premier

tome d'une longue saga, édité en livre de poche; François

le maçon, de Jeanine Berdicat, premier volume de la série

qu'elle a consacrée aux « Authentiques » ; sans compter

les récits pour enfants, Les mangeurs de Châtaigne, d'A.

Grousset ou Le voyage oublié des maçons de la Creuse ,

bande dessinée de Grousset et J.P. Farin.

Page 33: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

33

III. L'histoire des maçons reprise aujourd'hui.

Érudits locaux, Associations

La publication simultanée des travaux de A. Corbin

en 1975 et de A. Châtelain en 1976, suivis bientôt

d'autres historiens (A. Poitrineau, L. Pérouas), a

renouvelé cette tradition en l'inscrivant dans l'histoire

nationale. Ces travaux ont ainsi fourni à la mémoire de

nouveaux éléments, et ils ont suscité en Creuse un

véritable engouement pour l'histoire des maçons du XIXe :

des associations se sont créées qui se sont donné pour but

de faire revivre cette histoire, des érudits locaux ont

entrepris des études ponctuelles sur la migration à partir

de documents trouvés sur place.

a. Érudits locaux

C'est le cas de P. Urien, professeur d'histoire

aujourd'hui à la retraite, qui a fait paraître dans les

Mémoires de la Société des Sciences naturelles et

archéologiques de la Creuse plusieurs articles dans

lesquels il s'attache à préciser la place tenue par les

maçons creusois au moment de la Commune13. Dans l'un, il

recense et décrit les manifestations populaires en faveur

de la Commune qui se déroulèrent en Creuse même, dans une

zone de migration, à l'est d'Aubusson. Dans un autre

P. Urien,.voir bibliographie.

Page 34: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

34 article, il cherche à reconstituer le sort des Creusois

communards déportés en Nouvelle Calédonie, apportant des

informations sur leurs conditions de détention (953

Creusois furent jugés par les conseils de guerre, 487

furent déportés dont seulement 228 purent être

identifiés). Enfin, il fait le point sur la situation des

ouvriers creusois à Paris en 1870-1871 (répartition

professionnelle, conditions de vie, lieux de domicile,

attitudes politiques). Des articles qui, sans chercher à

embrasser le phénomène dans sa globalité, donnent

quantités d'informations de détail qui enrichissent, tout

en les corroborant, les travaux des universitaires.

Jacqueline Sabourin, inspectrice de l'enseignement

primaire également à la retraite, est membre actif de la

Société des Sciences naturelles et archéologiques de la

Creuse. Elle a publié de nombreuses études historiques

(sur le développement de l'enseignement au XIXe ou sur le

tracé des voies romaines dans la Creuse) et reconstitué

l'histoire de la migration à l'échelle de sa commune, en

s ' appuyant à la fois sur la mémoire orale et sur les

documents recueillis auprès des descendants de migrants

(livrets d'ouvriers, lettres, contrats concernant les

chantiers, bulletins de dépôt d'argent à la poste,

certificats délivrés par les employeurs etc.). « Une vraie

fouinarde » dit-on d'elle, non comme une critique mais

comme un hommage à sa curiosité. Son compte-rendu,

minutieux et précis, nourri de noms (de famille, de

lieux), de détails vivants et de chiffres, apparaît comme

une illustration du travail mené par les universitaires,

Page 35: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

35

en propose comme une vue rapprochée. A La Rochette, en

1846, sur les 190 familles fixées au village, 87 comptent

un ou plusieurs maçons. Ces derniers sont cultivateurs

mais aussi fils de meunier, maréchal-ferrant... Si

quelques familles de maçons vivent au bord de la misère,

c'est loin d'être le cas général. En 1856, parmi les

trente familles les plus imposées de la commune - ce qui,

comme le souligne J. Sabourin, dénote une certaine aisance

- treize, donc presque la moitié, comptent un maçon.

Partir en campagne est un moyen d'obtenir quelques

liquidités pour agrandir la propriété - d'une faible

superficie, en moyenne 7 hectares - ou d'éviter de la

morceler entre les héritiers. Dans ce but d'ailleurs se

note aussi une limitation des naissances qui entraîne en

un demi siècle une diminution marquée de la population

(915 habitants en 1815, 764 en 1866; en 1850 sur 96

familles, 57 n'ont pas plus de un ou deux enfants).

Ce sont les 15-29 ans qui constituent le gros de la

troupe des partants (50%), alors que passés 45 ans on

hésite à migrer (8%) avant de renoncer tout à fait. De La

Rochette, ce n'est pas vers la Capitale qu'on se rend (10%

seulement des migrants), mais plutôt vers Troyes, Besançon

et les régions avoisinantes auxquelles certains restent

fidèles des années durant, les aînés entraînant les plus

jeunes. Les équipes de travail sont souvent constituées

avant même le départ et des engagements parfois pris à

l'avance, par lettre, avec des entrepreneurs. Mais il y a

aussi parmi les partants des esprits aventureux, à la

recherche de meilleurs salaires ou curieux de voir du pays

Page 36: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

36

: ils sont quatre, en 1863, à partir à Marseille, d'où ils

rejoindront l'Egypte pour participer à la construction du

canal de Suez, deux à la fin du XIXe à aller en Russie

pour construire des fours à pain. Aucun d'entre eux n'a

donc participé, comme le dit la chanson des maçons de la

Creuse, à la construction des grands édifices parisiens,

mais ils construisent plus prosaïquement des ponts, des

maisons de garde-barrière, des gares, des écluses et les

maisons des éclusiers...

Les carnets que J. Sabourin a eu entre les mains

contiennent les notations les plus disparates et qui,

mises bout à bout, sont riches de détails. Ainsi Eugène

Aumenier qui prend le train le 16 juin 1866 à 9h.50 à

Auxerre pour rentrer chez lui à Fourneaux, note sur son

carnet le nom des 44 gares où s'arrête le train. Ainsi

apprend-on que pendant le mois de juillet 1825, il a

travaillé 24 journées et demi ; qu'en avril 1825 un mois

de loyer fait 11 francs 10 sous ; combien d'argent a été

économisé durant une campagne : « j'ai donné à serrer mon

argent à ma bourgeoise la somme de 63 francs 5 sous ». Et

on raconte encore aujourd'hui à La Rochette la campagne

mirifique de François Courty, qui parti s'embaucher dans

l'Isère vers 1860, refusa à son retour d'informer sa femme

de ses gains; celle-ci intriguée, se leva la nuit pour

tâter les poches de son mari et y trouva 20 louis de 20

francs, somme exceptionnelle à l'époque. En plus de

l'argent, les migrants rapportent toutes sortes de choses

et J. Sabourin recense : une paire de chenets, une pendule

de Besançon, un morceau de corail d'Egypte, des plantes et

Page 37: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

37

des oignons à fleurs... Ils rapportent surtout de nouveaux

procédés de construction ou des idées de décoration et

d'amélioration pour leur maison. C'est ainsi que la façade

de Félix Delouche est décorée d'un fronton triangulaire,

et qu'une tour est ajoutée à celle de Jean Teillard. J.

Sabourin reconstitue également les généalogies des

familles de maçons telle celle des Maumy qui migrent

durant trois générations puis renoncent à partir. A la

Rochette le nombre des départs va aller s'amenuisant au

cours du XIXe (ils sont 200 en 1815, 40 en 1864) sous

l'effet conjugué de l'émigration définitive et d'une

production agricole maintenant suffisante pour nourrir la

population. Mais, comme le remarque l'historienne « les

hommes de la commune ont conservé longtemps leur vocation

de maçons et un certain goût de la bougeotte ».

b. L'Association des maçons de la Creuse

Faisant écho à ce nouvel intérêt, l'Association du

plateau des Combes, devenue depuis novembre 1996

l'Association des maçons de la Creuse, a utilisé les

recherches des spécialistes et l'apport romanesque des

écrivains pour développer un tout autre projet : restituer

aux Creusois l'histoire de la migration, la mettre à leur

portée et presque sous leurs yeux en s'efforçant d'en

retrouver les traces dans le pays. C'est essentiellement à

l'initiative de deux enseignants que cette entreprise a

pris forme : P. Urien dont nous avons déjà évoqué les

travaux sur la Commune, et qui est aussi vice président de

la Société des Sciences naturelles et archéologiques de la

Page 38: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

38

Creuse ; R. Nicoux, est professeur à l'ancienne École des

métiers du bâtiment de Felletin. Il s'est intéressé un

temps à l'archéologie, et il est conseiller municipal de

Felletin.

L'association du plateau des Combes (du nom d'un

hameau proche de Felletin), n'était au départ qu'une

simple association de quartier, créée à l'initiative de

cinq ou six familles venues s'y installer dans les années

1970. A cette époque les membres de l'association se

bornaient à organiser des fêtes dans une grange aménagée à

cet effet, parents et enfants s'y retrouvaient au mardi-

gras, pour la Saint-Jean, au moment de la fabrication du

cidre... C'est après avoir écouté une conférence de P.

Urien sur l'histoire des maçons de la Creuse et dont le

but était d'<< expliquer à certains pourquoi ils étaient

partis », que les membres de l'association donnèrent à

leur activité une autre orientation. Rappelés à un passé

qui, pour certains d'entre eux, était celui-là même de

leurs ancêtres, ils se mirent, deux ans durant, à réunir

tous les documents possibles sur le phénomène des migrants

creusois. En 1983, une brève exposition présenta au public

les résultats de ces recherches, obtenant un succès

inattendu. Enrichie et remaniée en 1986, cette exposition

a circulé dans le département et dans de nombreuses villes

de France (plus de 60 villes dont Paris, Tours, Bordeaux)

jusqu'en 1998. Elle a été aussitôt remplacée par une

autre, conçue sur le même modèle et consacrée à M. Nadaud.

Page 39: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

39

L'exposition de 1986 se compose de quarante et un

grands panneaux qui conjuguent textes (citations

d'écrivains et d'historiens, extraits de lettres ou de

journaux, commentaires) et reproductions (photos,

graphiques, gravures, documents d'époque, plans, cartes

etc.). Calquée, pour une grande part, sur ce que fut la

vie même de Martin Nadaud, l'exposition propose une sorte

d'histoire illustrée de la migration : débuts de la

migration creusoise, métiers exercés, itinéraires

empruntés vers Lyon et vers Paris, cantons d'origine des

migrants, conditions de travail (embauche, accidents,

maladies, chantiers, chômage), conditions de vie (garnis,

jeux, distractions), participations aux révolutions de

1830, de 1848 et à la Commune, engagement dans les luttes

ouvrières, réussite sociale ou politique (nombreux

entrepreneurs mais aussi deux députés et deux sénateurs).

Quelques panneaux sont réservés à la vie au pays - le

retour du maçon dans des habits achetés chez le fripier,

la vie des femmes à la ferme pendant les mois d'absence

des hommes - et aux changements consécutifs à la

migration, tels que l'accentuation de la

déchristianisation ou la transformation de l'habitat. Le

XXe siècle tient en peu de panneaux : la création de

l'École des métiers du bâtiment à Felletin en 1910, la

venue en Creuse de travailleurs immigrés espagnols vers

1960.

Parallèlement à cette entreprise pédagogique, et

dans le but explicite de créer un musée, les animateurs

ont poursuivi une sorte de travail d'accumulation :

Page 40: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

40

collecte des récits transmis oralement, des lettres

conservées par les familles des hommes partis en campagne,

recensement des publications (plus de 400) concernant les

maçons, relevé des constructions réalisées dans le pays

par les « retournants » (bâtiments civils, croix, lavoirs,

ponts, modernisations des fermes principalement dans la

deuxième moitié du XIXe siècle), collections d'outils, de

vêtements, photos, iconographie, passeports, livrets

d'ouvriers, factures, passations de marché. Enfin certains

membres de l'Association se consacrent à des recherches

ponctuelles, telles la reconstitution de généalogies et de

« lignées » de migrants.

Une soixantaine de correspondants, dont les plus

actifs vivent souvent hors de Creuse, dans les anciennes

villes d'immigration, ont aidé à recueillir cette

documentation que l'Association se charge de répandre par

toutes sortes de moyens : publications, tournées de

conférence et projections de diapositives, films vidéos («

Gabriel, Sylvain, Amédée et autres migrants creusois »,

une évocation de maçons par leurs descendants, et « Des

yeux, des regards », interviews d'artistes de la région en

référence à l'aventure des maçons). Enfin, depuis 1996

l'Association qui compte aujourd'hui 300 membres, fait

paraître une fois par an un bulletin qui réunit

informations, témoignages ou études ponctuels.

Des manifestations ont marqué le centenaire (en

1898) de la mort de Martin Nadaud. Outre l'exposition

itinérante déjà mentionnée, retraçant sa vie et les

Page 41: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

41

événements politiques auxquels il fut mêlé, on réédite son

livre (on reprend même les deux éditions de 1975 et de

1976, la première préfacée par M. Agulhon, l'autre par J.-

P. Rioux); un érudit local, D. Dayen, publie sa biographie

; des historiens (M. Agulhon, Pérouas, A. Corbin entre

autres) consacrent des cycles de conférence à Martin

Nadaud et à certains aspects de la migration creusoise.

L'Association organise deux voyages : l'un à Paris - dans

le 20e arrondissement dont Martin Nadaud fut conseiller

général et à la Chambre des députés où il siégea de

longues années - l'autre en Angleterre, sur les lieux

mêmes où il vécut pendant son exil.

Forte de l'expérience acquise, l'association des

Maçons de la Creuse concentre aujourd'hui son programme

autour de deux grands thèmes : « témoigner du rôle des

Creusois et autres Limousins dans l'histoire du bâtiment

», et « servir de vitrine au bâtiment d'hier et

d'aujourd'hui » en en faisant connaître les réalisations

et les techniques. Quatre commissions se partagent la

tâche. La commission muséographique se donne pour but de «

répertorier et rechercher les traces architecturales

intéressantes de l'habitat rural et urbain ainsi que le

petit patrimoine bâti existant (puits, fontaines, fours,

moulins, lavoirs, huileries, croix, monuments funéraires,

habitats remarquables) ». La commission de recherche

historique s'attache, elle, à « répertorier les traces

écrites ou orales témoignant de la migration ». La

commission communications et tourisme se chargera «

d'animations touristiques permanentes ou ponctuelles ».

Page 42: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

42 Enfin la commission relations avec les professionnels

s'occupera de « répertorier les artisans et entrepreneurs

de maçonnerie en exercice, d'enquêter auprès de chacun

d'eux et de réfléchir sur la mise en place d'un "label"

maçons de la Creuse ». On le voit, les buts de la société

se sont déplacés depuis sa fondation, la recherche

proprement historique étant à peu près faite, il s'agit de

la faire servir au développement du pays par le tourisme

et par le renouvellement de l'enseignement des métiers du

bâtiment.

Comment l'histoire de la migration a-t-elle été

abordée, comment est-elle restituée dans les expositions,

les articles ou les films ?

L'exposition, intitulée « Les maçons de la Creuse

et autres migrants : le maçon creusois du XIXe siècle »

s'appuie sur une iconographie abondante et sur les

Mémoires de Martin Nadaud. Elle met en évidence le

bouleversement intervenu « dans les conditions de travail

et de vie de l'ouvrier migrant ainsi que dans sa mentalité

». Le choix se porte donc sur une période clé de la vie

ouvrière. Soucieux de « sauver de 1'oubli le phénomène de

la migration et de le porter à la connaissance du plus

grand nombre », les responsables posent, dès le début, une

volonté d'objectivité : « C'est la réalité de sa vie (du

maçon), dégagée des embellissements folkloriques que nous

avons voulu montrer ». L'exposition corrige certaines

idées toutes faites (ainsi le pourcentage, jusqu'alors

surestimé, des tailleurs de pierre, ramené à 9,4%), et

Page 43: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

43

elle réserve une place à des points de vue différents

concernant, par exemple, la richesse relative apportée au

pays par les campagnes des maçons. Ainsi De Patourneaux

écrivant sur le phénomène de la migration en 1827 : «

Source féconde de richesse et de prospérité, l'émigration

est la vie de ce département », alors que Labrune en 1867

: « Ceux qui économisent et peuvent disposer de quelques

réserves, après avoir pourvu aux besoins de la famille,

sont le petit nombre et dans le petit nombre il en est peu

qui s'occupent sérieusement de la fertilité de leur terre

». De même montrent-ils le point de vue divergent des

historiens à propos de la progression des migrations

temporaires. Est ainsi proposé, à grands traits, un

compte-rendu vivant et bien documenté de l'histoire de la

migration creusoise, partagée entre la vie sur les

chantiers et le retour au pays. Et toujours dans le souci

d'échapper à tout folklorisme, on la replace dans

l'histoire des luttes ouvrières du XIXe siècle. Si

l'exposition donne, dans les différentes villes où elle a

été montrée, une bonne image des migrants creusois, elle

permet à leurs descendants de saisir cette histoire dans

toute sa continuité, de nourrir et réactiver la mémoire

familiale.

c. Une interprétation

Centrée sur l'évolution de la condition ouvrière,

cette approche conduit, nous semble-t-il, à certaines

simplifications. C'est ainsi qu'est opposé un peu

arbitrairement le migrant d'avant 1840 « résigné et

Page 44: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

44

fataliste » à l'ouvrier de la seconde moitié du siècle qui

« retrouve sa dignité : il s'instruit, il milite

(politiquement et professionnellement), il apprend à se

battre (chausson, canne) et peut se défendre quand on

l'insulte [...] » (conférence faite par P. Urien en

1984). Passons sur les considérations, bien peu

objectives, relatives au caractère « résigné et fataliste

» du migrant, à son incapacité à se défendre ou à sa

dignité « retrouvée ». Mais comment établir une coupure

aussi radicale à l'intérieur du mouvement migratoire au

point d'opposer de façon caricaturale deux figures de

migrant (le paysan et l'ouvrier ?). C'est supposer que,

dans les multiples composantes d'un phénomène en

évolution, tout se transforme en même temps et à la même

vitesse, que, par exemple, on a acquis ensemble

instruction et conscience politique. Mais tel n'est pas le

cas, et on verra que dans plusieurs communes de Creuse

l'alphabétisation était déjà bien développée avant 1830.

Sans doute les liens entre le mouvement ouvrier et la

migration sont-ils multiples et déterminants :

participation active des maçons aux grands mouvements de

conquête sociale (c'est Martin Nadaud qui obtient, en

1888, que soit modifiée la législation sur les accidents

du travail) et aux différentes révolutions (12 Creusois

sont tués sur les barricades en 1830, 711 sont exilés en

Algérie en 1848, 1600 à 3200 sont tués et 953 condamnés

par les conseils de guerre en 1871, la Creuse se situant

au 3e rang des départements touchés), et en Creuse même

vote massivement à gauche. Il n'en reste pas moins que les

Page 45: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

45

maçons-migrants ont toujours gardé, même dans les luttes

ouvrières, une certaine indépendance. Comme le note

Corbin, la solidarité régionale prime longtemps pour eux

sur une solidarité de classe qui, même lorsqu'elle se

développe, fonctionne à l'intérieur du vieux cadre

d'entraide et ne les incite pas à passer par une

organisation politique structurée. Et on n'a pas de

documents qui montrent la participation des Creusois au

syndicalisme. On sait par ailleurs que les principes

socialistes n'ont pas eu la même résonance chez l'ouvrier-

migrant, lui-même petit propriétaire, que chez l'ouvrier

des villes. Toutes ces différences font précisément

mesurer la force d'un mode de vie qui pousse les hommes à

partir en quête de travail, sans qu'ils aient la volonté

de se fixer sur les lieux de travail.

Le choix du sous-titre de l'exposition, « un

travailleur immigré », cherche à donner à l'histoire de la

migration creusoise une autre portée en l'assimilant à un

mouvement « universel, moderne ». Il reprend une formule

de M. Agulhon dans sa préface à la réédition du livre de

Martin Nadaud : « Voilà des hommes qui viennent d'un pays

éloigné, partiellement étranger [...]; des hommes qui

viennent seuls, sans femmes, pour travailler dur, gagner

de l'argent, et repartir pour investir leurs économies au

village; qui vivent entre eux, en solidarité de párentele

et de pays; des hommes qui, il le semble bien, parlent

entre eux leur dialecte. Bref, Léonard est le premier

modèle du "travailleur immigré". » Et il ajoute : «

Naturellement, Français et catholique de toujours, il a

Page 46: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

46

quelques d i f f icu l tés de moins que l 'éboueur, le t e r r a s s i e r

ou l ' O . S . a f r i ca in d ' au jou rd 'hu i , e t nous ne saur ions

pousser l ' analogie trop lo in ». J . P. Rioux l u i f a i t écho

l ' année suivante , mais pousse un peu l ' a n a l o g i e : «

Léonard, é c r i t - i l , es t bien notre contemporain qui d é c r i t

des immigrés mais f rança i s ; qui nous r appe l l e que nous

sommes tous appelés à v iv re dans l e déchirement c e t t e

l u t t e inéga le e n t r e l a f i d é l i t é des sources e t l e

déracinement implacable [ . . . ] A l i r e Nadaud on comprend la

Goutte d'Or ». R. Nicoux, l u i , pousse la comparaison à son

terme : « Le maçon de la Creuse, [ . . . ] c ' e s t l e manoeuvre,

l 'immigré du XXe s i èc l e qui se bat pour obtenir une ca r t e

de séjour et qui se f a i t expulser du foyer Sonocotra ». Ou

encore : « La longue h i s t o i r e de nos migrants, f a i t e de

labeur, de souffrance e t de deu i l s , v i v i f i é e à l 'époque

contemporaine par l a l u t t e pour conquérir l e s t a t u t de

Français à par t e n t i è r e , a marqué de façon profonde la

Creuse e t ses o r i g i n a i r e s ». D'une analogie simplement

suggest ive e t des t inée à appeler l ' a t t e n t i o n sur une

manière de vivre (entre hommes, l i é s par le voisinage, l a

parenté , le pa to i s , l e t r a v a i l ) on en e s t venu à plaquer

une r é a l i t é sur une au t re , à p ro j e t e r l e présent sur l e

passé, au risque de méconnaître la s p é c i f i c i t é e t de l ' u n

e t de l ' a u t r e . P r i se de p o s i t i o n idéologique p l u t ô t

qu'approche historienne, e t qui fausse la compréhension de

l a mig ra t ion . C ' e s t pou r t an t a i n s i q u ' e s t p r é sen t ée

l ' h i s t o i r e locale.

Le panneau i n t r o d u c t i f à l ' e x p o s i t i o n e s t

particulièrement ins t ruc t i f à cet égard :

Page 47: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

47

« Au fil des 41 panneaux de l'exposition, vous

pourrez constater combien le passé est par certains côtés

demeuré d'actualité. Handicapés par la langue, ignorants,

sujets à la suspicion policière, chargés des tâches les

plus rudes, relégués dans d'infâmes garnis. Vers 1840, ces

Creusois exilés sont résignés à leur condition. Le milieu

du siècle est une période charnière. Ils vont s'instruire,

participer aux grandes luttes politiques et sociales,

devenir des ouvriers à part entière, imposer le respect

par leur réussite professionnelle. Ils ont conquis leur

dignité. La mémoire de ces hommes mérite d'être préservée

de l'oubli. »

C'est donc sur le modèle des immigrés d'aujourd'hui

qu'on se représente les migrants du XIXe, il suffit de

regarder le présent pour comprendre le passé. Une

opération qui induit des images précises. Ainsi les maçons

creusois (ceux, du moins, d'avant 1840), seraient-ils «

handicapés par la langue » et « ignorants ». Comme si

l'usage du patois (très courant à cette époque) impliquait

l'ignorance de la langue commune. Le patois, qu'on

utilisait entre soi, était un facteur de cohésion, comme

le souligne A. Corbin14 : « La cohésion du groupe régional

se traduit, bien sûr dans le langage; entre eux les

migrants utilisent celui de leur pays ». Ils utilisaient

aussi bien le français et on ne lit nulle part qu'ils

aient eu le moindre mal à se faire comprendre. D'autant

plus qu'ils étaient souvent alphabétisés. Et c'est semble-

A. Corbin, « Les paysans de Paris ... », Ethnologie française.

Page 48: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

48

t-il l'émigration qui a été un facteur déterminant dans

l'alphabétisation du département. Ce qu'illustre le cas

déjà cité de M. Nadaud que son père, migrant lui-même,

obligea à apprendre à lire. D. Dayen, qui a étudié le

développement de l'enseignement primaire dans la Creuse,

montre par exemple que dans la commune de Saint Avit-le-

Pauvre, région de forte migration, il n'y a, en 1830, que

18% de conscrits illettrés. Et J. Sabourin, dans son étude

sur la commune de La Rochette,. note qu'à partir de 1830

(donc bien avant la date charnière donnée dans le placard

d'introduction à l'exposition) huit à neuf jeunes hommes

sur dix savent lire et écrire. En 1857 l'usage de l'écrit

est si bien passé dans les moeurs que le conseil municipal

de La Rochette, demande le passage quotidien d'un facteur

car, est-il précisé, « il y a dans cette commune un grand

nombre d'ouvriers qui écrivent à leur famille ou qui en

reçoivent un grand nombre de lettres ». Nous avons nous-

mêmes pris connaissance d'une quarantaine de lettres

échangées entre les maçons et leur familles, et dont la

première date de 1828. On mesure ce qu'a de simplificateur

et d'arbitraire ce panneau de présentation.

Mais la même image de gens ignorants et handicapés

revient avec persistance sous la plume de R. Nicoux : «

Comme les émigrés, ils [les migrants] souffrent d'un

manque d'instruction, sont des déracinés en rupture

d'habitude. Confondus avec les vagabonds et autres

marginaux, les maçons migrants sont tenus en suspicion par

les autorités et soumis à une étroite surveillance

policière ». Un portrait trop calqué sur l'actualité pour

Page 49: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

49

vraiment rendre compte des migrants du XIXe siècle, ni

déracinés, ni en rupture d'habitude, comme les historiens

l'ont montré, bien au contraire. D'autre part, à une

époque où partir sur les routes pour une saison de travail

était le mode de vie de nombreuses campagnes de France, il

n'y a pas grand sens à parler de marginalité et de

vagabondage. Quant à la surveillance policière, plus ou

moins lourde au cours du siècle, elle se traduisait par

l'obligation, faite à tous, de posséder un passeport, et

pour les ouvriers un livret de travail, documents qui

n'étaient pas toujours utilisés ni toujours en règle. D'où

la difficulté, que note Corbin, de s'en servir pour

dénombrer les migrants.

La mise en garde d'Agulhon n'était pas sans

fondement. A forcer la comparaison entre migrations de

siècles différents, on fait le choix de termes

anachroniques qui n'ont rien d'innocent, car ils portent

en eux des représentations faussées, tendancieuses. Ainsi

lorsque Nicoux note que les migrants étaient tout à la

fois victimes du « racisme » - de la part des habitants

des régions qu'ils traversaient pour se rendre à pied à

Paris ou des ouvriers parisiens avec qui ils étaient en

fréquente rivalité -, et eux-mêmes « xénophobes »,

lorsqu'ils se trouvaient en compétition, à Lyon, avec la

main d'oeuvre venue de Savoie (qui appartenait encore au

Piémont) ou, à Paris, avec les Allemands qui acceptaient

un moindre salaire. Ou encore lorsqu'on les déclare «

exclus » du tour de France des compagnons, ou qu'on fait

le constat qu'on ne trouve pas chez les immigrés actuels

Page 50: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

50 une volonté d'<< intégration » qu'on croit déceler chez les

migrants creusois. Et que dire d'expressions telles que «

devoir de mémoire », avec la surdétermination que lui

donne le contexte dans lequel elle a été créée, et que les

promoteurs de cette histoire locale n'hésitent pas à

employer pour parler de leur démarche.

Publications, expositions, films, tout en

présentant des documents, des photos, des faits bien

attestés de la vie des maçons, usent constamment de ce

vocabulaire et de ces images, au point que ceux-là mêmes à

qui ce discours est destiné, le déclarent irrecevable.

Ainsi plusieurs de nos interlocuteurs creusois se sont-ils

montrés critiques, jugeant l'histoire ainsi restituée

tantôt farfelue ( l'association, « des rigolos », nous a-

t-on dit ), tantôt politisée à l'excès, jugeant aussi

qu'elle donne de la vie de leurs ancêtres, une vision

misérabiliste qui les choque et en décalage avec leur

propre savoir, leur propre mémoire.

Mais à vouloir « universaliser » et « moderniser »

le phénomène de la migration creusoise, on ne la réduit

pas seulement, on fait l'opération inverse puisque, à

l'autre extrême, on en arrive à donner à l'émigration

creusoise une extension telle qu'elle inclut tous ceux qui

sont partis étudier, travailler, vivre hors de Creuse.

C'est d'ailleurs, selon un journaliste de la Montagne, le

cas de Nicoux : « Il admire ses ancêtres, et, comme ses

aïeux, il a émigré pour travailler à Paris, dix années

d'exil...». Et on parle aussi d'émigrés (il est vrai

Page 51: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

51

imprimé en i t a l i q u e dans l e texte) à propos des Creusois

revenus au pays pour l e temps des vacances. De f i l en

a i g u i l l e , à p a r t i r d'une analogie v i t e f a i t e , on passe du

maçon du XIXe s i è c l e à l 'immigré d 'au jourd 'hui « qui se

bat pour obtenir une car te de séjour », e t de l'immigré au

professeur qui rev ien t passer ses vacances au pays. Point

de vue idéologique qui c o n t r e d i t , sur deux p o i n s t s ,

l ' ambi t ion définie a i l l e u r s : en premier l i eu comprendre

le phénomène de l a migration en général ; en second l i e u

r e s t i t u e r aux Creusois un passé supposé leur appartenir en

propre e t c o n s t i t u e r l eur i d e n t i t é . On a vu que l e s

Creusois à qui e s t proposée ce t t e représenta t ion de leurs

ancê t r e s , ont du mal à s ' y reconna î t re , ne pouvant l e s

pense r n i sur l e modèle des t r a v a i l l e u r s immigrés

d 'aujourd'hui, n i sur celui des I t a l i en s venus nombreux en

Creuse dans les années v ingt , ou des Portugais qui l eu r

ont succédé dans les années 50-60. I l n ' e s t d ' a i l l e u r s pas

fa i t référence à ce t te immigration récente - e t r éuss ie .

d. Le maçon idéa l i sé

Pr isonniers , sans doute, de l ' image qu'impose l e

r é c i t de Martin Nadaud, tout à l a fois ce l l e du maçon mais

a u s s i du m i l i t a n t e t de l'homme p o l i t i q u e ,

l ' i n t e r p r é t a t i o n de l ' h i s t o i r e des maçons qui e s t

proposée, o s c i l l e en t re un c e r t a i n apitoiement sur l a

dure té des condi t ions de v ie des maçons e t l a mise en

valeur de son caractère héroïque.

Cette ferveur mise à p r é se rve r l a mémoire des

migrants en ne re tenant de leur mode de v ie qu'une image

Page 52: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

52 épurée, va jusqu'à nier les faits les plus banals du

quotidien (le vin, les femmes). Elle s'est traduite

dernièrement par la dénonciation publique d'un livre,

écrit par une journaliste, D. Demachy-Dantin, sur

l'histoire des maçons. Indignés du contenu de l'ouvrage,

les responsables de l'association décidèrent « d'aviser

les adhérents et la Presse de l'atteinte portée à la

mémoire de nos ancêtres » et envoyèrent la mise en garde

suivante : « L'association 'les maçons de la Creuse', qui

s'est assignée un devoir de mémoire à l'égard des ouvriers

migrants qui, pendant des siècles, ont assuré la survie et

le renom de la Marche, proteste énergiquement contre

l'image dévalorisante que donne de nos compatriotes Mme

Demachy-Dantin dans l'ouvrage abusivement intitulé

Histoire des maçons de la Creuse en particulier dans les

passages traitant de l'alcoolisme, de la prostitution et

de la criminalité ». Sans doute l'ouvrage de D. Demachy-

Dantin, travail de compilation construit sans grande

rigueur historique, est-il critiquable à bien des égards.

Mais la réaction outrancière des animateurs de

l'association - très déçus d'ailleurs de ne pas avoir été

suivis par les médias dans leur dénonciation - le fait

surtout d'épingler tout particulièrement les passages

ayant trait à l'alcoolisme, à la prostitution et à la

criminalité - traduit bien leur souci de faire du maçon

une figure d'une moralité exemplaire et du coup de le

figer dans une sorte d'image d'épinal. Celle d'hommes

supportant les conditions de vie les plus rudes, tout en

ne songeant qu'à travailler, économiser, ou s'investir

Page 53: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

53

dans les grandes causes. Les historiens ont commenté les

trois points incriminés : « Les stéréotypes, dit Corbin,

concernant la moralité des migrants ont été pris pour

argent comptant et on peut se demander s'ils ne relèvent

pas de l'a priori [...] Le silence quasi total des

témoignages concernant la sexualité des Limousins de Paris

suffit à souligner l'invraisemblance des sources

descriptives. » En effet comme le rappelle A. Corbin « les

chambrées étaient installées dans les quartiers

traditionnellement voués à la prostitution populaire et

ces groupements de célibataires constituaient une des

principales clientèles des femmes vénales ». Concernant la

consommation du vin, il écrit encore : « C'est en bande

que le matin, il [le travailleur limousin] , se rend au

chantier et qu'il hante la salle du marchand de vins

spécialisé dans la clientèle des maçons ». Et Martin

Nadaud lui-même se plaît à évoquer, à plusieurs reprises,

ces figures d'ivrognes : l'un « soiffeur, un buveur de

goutte; il finit par contracter des habitudes d'ivrogne;

peu à peu il se démoralisa, s'abrutit » ; ou encore

parlant de ceux qu'il appelle les prodigues « l'argent

leur fond dans les mains, ils le dépensent en détail, en

buvant des gouttes et des canons toute la journée ». Il

montre aussi que, sans forcément sombrer dans

l'ivrognerie, tous ont besoin de boire : « Dès que nous

avions pris les matins nos effets de travail, il fallait

aller boire la goutte et souvent nous redoublions deux ou

trois fois. Comme nous allions déjeuner à la barrière de

l'Étoile et que le vin était moins cher que dans Paris, au

Page 54: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

54

lieu de boire une chopine nous buvions un litre. A 2h. il

nous fallait notre litre [. . . ] Puis il fallait aller boire

le vin de 4h.».

Des notations que les promoteurs de l'histoire

locale ont choisi d'oublier, dans leur souci non seulement

de restituer cette histoire mais de la valoriser, et

emplis de cette singulière prévention que c'est seulement

en l'épurant qu'elle mérite d'être effectivement objet

d'histoire et de mémoire. Il s'agit pour eux de célébrer

la vie des maçons et cela suppose d'abord qu'on la

dépouille de toute liberté et de tout moment de bonheur,

de plaisir, de grâce, de découverte : « La longue histoire

de ces hommes, faite de siècles de labeur, de souffrances

et de deuils a marqué de façon profonde la Creuse et ceux

qui en sont issus. Elle mérite d'être sauvée de l'oubli et

même d'être magnifiée », écrit R. Nicoux. Cela suppose en

outre qu'on l'inscrive dans la grande histoire, celle des

révolutions. C'est ce que fait une très récente pièce de

théâtre, Un maçon nommé Martin, écrite par Jean-Simon

Prévost, et mise en scène par l'auteur, au lieu-dit les

Pierres Jaumâtres à Boussac en 1996. Sous un titre qui

laisse croire à une évocation de la vie de Nadaud, sont

représentées les révolutions de 1830, 1848, 1870, vrai

sujet de la pièce comme le souligne Prévost lui-même : « A

travers la vie de Nadaud, j'ai fait le panorama de cette

époque volcanique, de la misère de la condition humaine,

je me suis beaucoup référé à Victor Hugo et j'avais mis la

scène de Gavroche ». De fait, Nadaud ne pouvait être qu'un

prétexte puisqu'il ne participa pas à toutes ces

Page 55: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

55

révolutions : simple témoin en 1830, très engagé en 1848,

en retrait au moment de la Commune. Et, faute de pouvoir

faire coïncider une vie singulière et une tranche

d'histoire, l'auteur est amené à forcer le trait : « Cet

homme sage et pacifique (Martin Nadaud) n'aura

curieusement de contact qu'avec le sang, les exactions, le

pouvoir des uns sur la faiblesse des autres. Il en sera le

témoin. Mais un témoin actif. Grand homme s'il en fut. »

La pièce fut accueillie avec réserve, sifflée parfois,

accusant cet écart, dont nous avons déjà vu d'autres

signes, entre la vision de l'histoire proposée et la

mémoire ou la connaissance qu'en ont les spectateurs.

Cette approche rejoint la démarche des romanciers

actuels qui veulent faire de l'histoire des migrants de la

Creuse « leur Germinal », parlent de « la grande légende

des maçons », veulent donner à cette histoire la grandeur

d'un mythe. Ainsi l'écrivain Jean-Guy Soumy : « Il faut

dire aux Creusois qu'ils sont les rejetons d'une épopée

fabuleuse, de la grandeur d'un mythe, de la force d'une

conquête. Il faut enseigner, chanter, raconter, tout

autant la fragilité d'un goujat de douze ans escaladant un

échafaudage, une auge posée sur la tête, que la gloire

d'un entrepreneur alignant des immeubles haussmanniens au

long des plus beaux boulevards du monde. Tout cela sans

passéisme ». Vus de loin, les temps passés prennent

toujours une coloration héroïque. Mais dans ce cas,

l'évocation quelque peu épique qu'on donne de ce passé

fait que sont pris en compte - et pensés comme

constitutifs de l'identité locale - les mille choses dont

Page 56: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

56

il est fait : le métier de maçon lui-même, les savoirs

plus spécialisés liés au bâtiment, notamment les tailleurs

de pierre, les luttes politiques et les revendications

sociales auxquelles les maçons ont été associés, la vie à

la ville et les longues pérégrinations par tous les temps,

sur de mauvaises routes, avec de méchantes chaussures, les

auberges sordides, lits emplis de vermine, draps noirs de

crasse...

C'est sur tous ces éléments que jouent les romans

et en même temps qu'ils exaltent la figure du voyageur,

ils glorifient le métier du maçon ou l'action du militant.

Ces romans tirent la trame de leur récit de

l'autobiographie de Martin Nadaud, reprenant toujours les

mêmes thèmes : l'enfance au village et l'apprentissage de

la lecture auprès de maîtres successifs, le voyage à pied

vers Paris, les liens d'entraide ou de rivalités entre

migrants, les relations (de moquerie, d'agressivité ou

encore de bienveillance) entre les Creusois et les

habitants des régions traversées, l'apprentissage du

métier et ses risques (chute de l'échafaudage, chômage),

la vie dans les garnis, l'engagement politique, le retour

et la vie au pays... Si la matière est tirée de Nadaud, le

ton change : les sentiments, les émotions, les attitudes,

les intérêts, les jugements qui étaient ceux du maçon

Nadaud et qui font de son livre un témoignage sur une

époque et un mode de vie, sont autres. Il suffit de

prendre pour exemple le morceau de bravoure obligé que

constitue le premier voyage à pied vers Paris et tout

particulièrement l'épisode où Nadaud se rappelle les

Page 57: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

57 blessures que lui infligèrent les chaussures neuves qu'il

portait. Son compte rendu tient en quelques lignes :

Mon père m'aida à retirer mes souliers et mes

bas, et quelle ne fut pas ma surprise de voir

mes pieds déchirés et en sang; il les graissa,

les entortilla avec quelques menues toiles,

puis nous nous couchâmes non sur des lits,

mais sur des balles de son et de paille hachée

par l'usure et naturellement pleine de

vermine.

Le même incident fait l'objet d'un long

développement mélodramatique dans iJeanfcou, le maçon

creusois, de G. Nigremont, dans les Mangeurs de châtaigne

de A. Grousset, et dans Les moissons délaissées de J.G.

Soumy. Par exemple, dans ce dernier livre :

Barouty s'agenouilla devant François et

commença à délacer ses chaussures. « Laisse-

toi faire, dit-il, je m'occupe de tes pieds. »

Il sortit de sa poche un couteau qui ne le

quittait jamais et trancha dans le cuir qui

enserrait les chevilles gonflées. Il parvint à

extraire les pieds des brodequins. François

retint un cri de douleur. Dans la lumière

jaune qui tombait du toit, Barouty ne vit que

deux moignons ensanglantés. Alors il sortit de

sa besace une toile qu'il enduisit de graisse

et dont il enveloppa les plaies. « Ne te

déshabille pas et enveloppe-toi la tête dans

le col de ta chemise. » Sur ce dernier

conseil, Barouty s'allongea sur la balle de

son et de paille hachée du matelas grouillant

de vermine et s'endormit. François s'était

lové, les jambes repliées sous les fesses. Il

n'avait plus de tête, plus de jambes, les bras

croisés sur la poitrine. Sur les draps noirs

Page 58: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

58

comme de la suie, il n'était plus qu'un

chagrin entortillé de hardes et barbouillé de

larmes.

Nous sommes bien dans le roman, et ce récit n'est

fait que pour susciter horreur, pitié, admiration. Par là

il rejoint tout le travail de restitution de l'histoire

locale - il en est même un élément important - en

multipliant les mêmes stéréotypes - des vies de misère, de

courage, de mérite.

IV. Une culture de la migration

Revenons donc à la grande référence, à Nadaud et à

ses Mémoires, pour connaitre les problèmes de la

migration, son esprit et ses complexités. Rappelons qu'il

écrit ce livre vers la fin de sa vie, à peine retiré de la

politique où il a joué un rôle important et parfaitement

au fait des problèmes sociaux de son époque. Ouvrage de

réflexion donc autant que témoignage, qui livre à la fois

le récit de son enfance à la campagne, son expérience de

maçon et quantités de considérations sociales, politiques,

morales qui sont celles d'un homme - un républicain - de

son temps. La migration y est donc perceptible pour nous

dans l'éclairage qui est le sien. C'est ainsi qu'il nous

invite à relativiser les choses, à nous rappeler que les

manières de juger, de penser, de sentir d'il y a cent ans,

n'étaient pas les nôtres.

Page 59: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

59

Ainsi lorsqu'il évoque la saleté des auberges où il

s'arrête (et qui, à nos yeux, sont effectivement

répugnantes) : « Chose à peine croyable, on se fourrait

dans ces saletés plutôt en riant qu'en maugréant ». Et le

lendemain à peine le jour levé : « Certains d'entre nous

étaient déjà animés d'une gaieté folle ». Au cours de son

troisième voyage : « Inutile de décrire une fois de plus

les ennuis et les fatigues de ce troisième voyage toujours

si exténuant [...] En nous fourrant dans des draps

malpropres, nous ne nous attendions pas moins à endurer

les morsures de la vermine qui s'y trouvait; mais tous ces

inconvénients n'arrêtaient ni nos rires, ni notre entrain

».

Quant au rapport que les migrants avaient à leur

travail, il permet de le nuancer, montrant que loin de le

vivre comme une corvée ou une basse besogne, ils avaient

conscience d'avoir à passer par un apprentissage et, à

quelque étape que ce soit de cet apprentissage, ils

aimaient le faire et le bien faire, rivalisant d'adresse :

« Ces vaillants et énergiques Creusois suppléaient à leur

manque d'instruction par des qualités naturelles de

premier ordre, un grand amour du travail », ou encore «

Les ouvriers aimaient le travail comme des hommes qui le

considéraient comme étant la source de toute richesse et

de toute moralité ». Et parlant de lui : « Partout où il

n'y avait que des plâtres unis et des moulures ordinaires,

je crois que je me serais fendu en quatre plutôt que de me

laisser surpasser même par les plus forts de mes

camarades».

Page 60: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

60

Nadaud ne cache pas non plus les vrais conflits et

les rivalités souvent dures qui opposaient parfois les

ouvriers de différents corps de métiers, parfois les

hommes de la même région, voire de la même commune : « Ils

sont heureusement passés, ces jours de fol orgueil, de

basse jalousie qui portaient les ouvriers d'un corps de

métier à se croire supérieurs à ceux d'un autre ».

Rivalités issues, d'après lui, de celles qui opposaient

les compagnons du devoir, et qu'il déplore parcequ'elles

laissent la grande masse des travailleurs sans « aucun

lien, sans aucune discipline ». C'est pour lutter contre

cet esprit que Nadaud s'emploiera à développer une

organisation ouvrière. La même volonté politique le fait

s'insurger contre « l'état complet d'ignorance pour ne pas

dire d'abrutissement » dans lequel on laissait le peuple

(et il ne s'agit pas particulièrement des Creusois), ce

dont il rendait responsables le gouvernement de la

Restauration et les prêtres qui se contentaient de donner

à la jeunesse « des leçons insignifiantes du catéchisme ».

Esprit progressiste anticlérical, il revendique

jusqu'à la fin de sa vie son ascendance creusoise,

montrant qu'il partage largement la celtomanie en vogue :

« Soyons fiers, prolétaires, de nos jours, de la force

d'âme et d'énergie de nos illustres ancêtres; ils ne

laisseront jamais en repos nos vainqueurs (les Romains)

»15.

1 5 II commence ainsi ses Mémoires : « je ne m'attarderai pas à rechercher l'origine de ma famille, je dirai seulement qu'elle se rattache à la grande et puissante race gauloise »

Page 61: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

61

Il donne en quelque sorte à voir le développement

de ce qu'on pourrait nommer une culture de la migration,

faite, d'abord, de ce « goût pour la bougeotte » dont

parle J. Sabourin, et dont Nadaud laisse bien deviner

l'attrait qu'il exerçait sur les jeunes Creusois : «

Parcourez tous nos villages, écrit-il, vous n'y trouverez

pas un enfant, tant soit peu robuste, arrivé à l'âge de

treize ou quatorze ans qui ne rêve d'abandonner les

travaux de l'agriculture pour se sauver à Paris, Lyon,

Bordeaux ou ailleurs ». Des départs vécus, donc, moins

comme contrainte ou exil que comme ouverture et liberté,

un choix de vie. Et ce gain de liberté et d'autonomie

n'est pas réservé à ceux qui partent, il est à mettre

aussi à l'actif de ceux qui restent au pays, notamment les

femmes qui, on l'a vu, acquièrent autorité et compétence

dans l'administration de la ferme.

Culture de la migration en second lieu en ce

qu'elle est métissée, que s'y mêlent les acquis de la

ville - idées politiques, sociales, architecturales... -

et la tradition populaire rurale - modes de gestion du

terroir, formes de solidarités et attachement à des

vieilles croyances. Tous ces éléments ont façonnés

ensemble une nouvelle réalité régionale. C'est ainsi que

l'anticléricalisme qui a fortement imprégné la Creuse,

coexiste avec une tradition populaire, peu rappelée par

les historiens qui s'y réfèrent en termes assez négatifs,

parlant de « faiblesse du niveau culturel » et de «

pratiques superstitieuses ». Corbin note cependant au

passage la vigueur des petits pèlerinages paroissiaux et

Page 62: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

62

cantonaux, des f r a i r i e s , l e f a s t e des cérémonies de

quar t ie r , le cul te voué aux « bons s a in t s », aux « bonnes

fontaines » e t aux s t a tue s , l ' a t tachement des gens à la

cé lébra t ion des r i t e s de passage. Toutes p ra t iques qui

a t t e s t e n t de la v i t a l i t é d'une c u l t u r e popula i re a l o r s

dans tout son éc l a t , e t dont on peut encore aujourd 'hui

observer certaines t races1 6 .

De ce t t e cu l tu re de l a migrat ion font p a r t i e l e s

habitudes ép i s to l a i r e s entre les maçons e t leur fami l le .

Ne se son t - e l l e s pas i n s t i t u é e s grâce à l 'é loignement e t

au recours à de nouveaux usages ? Les l e t t r e s que nous

avons consultées (une quarantaine) é t a ien t échangées entre

un nombre l imi tés de s c r i p t e u r s : deux f r è r e s , p a r t i s

t r a v a i l l e r dans une t u i l e r i e de l a ban l ieue de Lyon,

écr ivent à leur père, r e s t é au pays e t qui leur répond ;

un homme, p a r t i aussi comme t u i l i e r dans le Jura e t qui

éc r i t à son beau-père et à sa femme qui lu i répondent l 'un

e t l ' a u t r e . La composition de ces l e t t r e s r e l ève d'un

modèle populaire , bien mis en évidence par A. Bruneton-

Governatori e t B. Moreux, à propos de correspondances

béarnaises 1 7 . Ces l e t t r e s contiennent peu d ' informations,

e l l e s reprennent toujours les mêmes formules e t obéissent

à la même construction. Mais justement, comme l ' o n t montré

Bruneton-Governatori e t Moreux, e l l e s n ' ava ien t pas pour

*" Ainsi l e pè le r inage à s a i n t Goussaud où hommes e t femmes se l i v r e n t à une v r a i e p r a t i que magique - p iquer l e p e t i t boeuf de s a i n t Goussaud avec une ép ing l e - dans l ' é g l i s e même. Cf. S. P in tón , « A propos de deux p è l e r i n a g e s dans l a Creuse », Archives de Sciences Sociales des religions, n° 85, janvier -mars 1994.

•*-7 A. Brune ton-Governa to r i e t B. Moreux, « Un modèle é p i s t o l a i r e p o p u l a i r e . Les l e t t r e s d 'émigrés béa rna i s », p . 79.

Page 63: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

63

fonction d'informer, de renseigner; elles n'avaient

d'autre fin que d'attester que les migrants étaient

toujours en vie et de maintenir le lien entre eux et leur

village. Comme celles du Béarn, les lettres des Creusois

se composent d'un long préambule que l'on retrouve presque

inchangé d'une lettre à l'autre : « Je vous écris ces deux

mots de lettre pour vous donner de mes nouvelles et en

même temps pour m'informer de l'état de votre santé. Quant

à moi, je me porte bien, grâce à dieu. Je prie le Tout-

Puissant que ma présente lettre vous trouve aussi bien

portant qu'il me quitte au moment que je vous écris >>18. A

la différence de l'usage béarnais qui les place à la fin,

les salutations ici suivent immédiatement le préambule : «

Vous ferez bien mes compliments à ma mère, et vous direz

que je l'embrasse de tout mon coeur, j'en dit autant à mes

frères et soeurs et tante, je leur souhaite à tous une

bonne santé. Vous ferez bien mes compliments à mon oncle

Simonet ainsi que toute sa famille. Vous ferez bien mes

compliments à tous nos parents, amis, voisins, à tous ceux

qui demanderont de mes nouvelles, vous les remercierez de

leur bon ressouvenir ». Vient ensuite une partie centrale

plus libre et informative, parfois très brève. Dans notre

exemple elle tient en une ligne : « Je vous dirai mon cher

père que nous sommes bien nourris et que nous buvons du

vin deux fois par jour ». Les informations portent

beaucoup sur les questions d'argent (ventes, dettes), sur

le travail, sur le temps qu'il fait ; une lettre de 48

1 0 Nous avons rétabli l'orthographe et la ponctuation. Cet extrait et ceux qui suivent sont tirés de la même lettre, datée du 2 mars 1828.

Page 64: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

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évoque.les soulèvements de Lyon. La prise de congé, aussi

cérémonieuse que l'entrée en matière, est plus brève : «

Je finis en vous souhaitant une bonne santé. Recevez, cher

père, l'assurance de mes respects. Je suis pour la vie

votre fils ». Et très souvent, en post-scriptum : «

Réponse de suite. Marquez-moi toutes nouvelles du pays ».

Des lettres dont l'intérêt réside justement dans leur

formalisme, ces longs compliments où chacun (parents,

voisins, amis, éventuellement le maire ou le curé) est

nommé personnellement, selon un ordre de préséance qui

traduit, dans l'écrit, toute la complexité des relations

du monde paysan. Ce n'est donc pas par leur seul contenu

narratif qu'elles informent et retiennent l'attention, et

celles que G. Nigremont a publiées pour leur qualité

narrative sont 1'exception19 .

C'est donc dans un mouvement d'échanges et

d'interactions constantes entre ville et campagne que se

construit cette culture de la migration. On en a déjà

souligné les effets en profondeur - culturels,

économiques, politiques, démographiques - sur ce qu'on

peut appeler une identité creusoise. Signe actuel de cette

identité, la conviction, encore très forte aujourd'hui,

qu'il n'y a de réussite possible qu'en dehors du

département. Plus qu'ailleurs peut-être les parents ont

encouragé leurs enfants à partir : « C'est tout le temps

ce qu'on m'a dit : "si tu veux gagner ta vie, tu la

gagneras à l'extérieur mais pas ici". Celui qui avait

19 Lettres publiées par G. Nigremont, « Un village du Centre », Nouvelle Revue française, mai 1967.

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65

réussi, c'était celui qui allait à l'extérieur. S'il était

resté là, c'est qu'il avait pas réussi à partir ou qu'il

avait pas eu les moyens de s'en aller ». Un pays de

passage, disait Beaufret, d'où l'on part et où l'on

revient.

Si le pays lui-même, pays de Marche, se prête à ce

mode de vie, il fait aussi naître chez les Creusois des

sentiments mêlés - une région au relief peu marqué, sans

grand caractère, sans beaucoup de ressources et ignoré du

reste du pays, dont on n'ose pas avouer qu'on est

originaire et auquel on est d'autant plus attaché. Un

homme de cinquante ans se souvient aujourd'hui : « J'étais

pas très fier vis à vis de l'extérieur de dire wje suis de

la Creuse", parce que ça provoquait toujours des sarcasmes

et on est toujours un peu fragile à cet âge là... J'étais

très attaché au pays mais j'en parlais pas beaucoup aux

copains ». Et plusieurs adolescents, partis pour continuer

leurs études, n'osaient pas révéler leur origine

creusoise, leur réponse suscitant des interrogations

moqueuses : « La Creuse ? Mais où est-ce donc ». Ces

images négatives qui s'attachent à la Creuse semblent

anciennes puisque Martin Nadaud lui-même s'en plaint : «

Nos concitoyens sont toujours enclins à médire de notre

vieille Marche » (et non de la Creuse pourtant déjà

instituée). Et on retrouve ce sentiment d'humilité dans

les déclarations de certains notables du XIXe, écrivant

dans le Bulletin de la Société des sciences naturelles et

archéologiques : « L'avenir nous tiendra compte d'avoir

créé dans un pays si pauvre, si peu connu, si déshérité un

Page 66: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

66

centre d'études, un foyer d'intelligence »; ou encore : «

Il était honorable pour le département de la Creuse,

condamné jusqu'ici à une honteuse obscurité et notamment

pour Guéret, son chef lieu, de s'animer enfin d'une noble

émulation, d'étudier et de faire connaître ses ressources

et de prouver que ses habitants ne veulent point être

étrangers au mouvement scientifique de notre siècle »20. De

son côté Corbin a noté les expressions de dérision

employées à l'adresse des migrants, Creusois et Limousins

en général, souvent traités de « mangeurs de châtaigne »

ou « d'oies», et raillés par toute une littérature :

Rabelais, La Fontaine, Molière... Et, plus récemment et de

manière récurrente, par les médias. Ainsi le Nouvel

Observateur titrait il y a quelques années : « En Creuse

le dernier des Mohicans » ou « La Creuse, c'est encore un

secret pour tout le monde ». Et deux articles récents

parus dans le Monde : « ' Limoger ' , une image de tiers-

monde intérieur. A Limoges, à Tulle ou à Guéret, on

déploie toute l'énergie possible pour montrer que la

région n'est pas ce que l'on croit : un pays de ploucs

indécrottables, symbole de l'exil et de l'échec, mais au

contraire un territoire aux avantages comparatifs vivants

et variés » (le 26 février 1998) ; et le 15 août 1998, ce

titre : le Limousin est parmi les régions les plus pauvres

de France et d'Europe.

2 0 Déclarations qui accompagnent la création de la Société des sciences naturelles et archéologiques et du Musée d'histoire naturelle.

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67

Pour autant, f a u t - i l en conclure à l ' ex i s t ence d'un

sentiment de honte répandu chez les Creusois ? On a bien

p lu tô t l ' impress ion que ce sont toujours des no tab les ,

hommes de science ou d i r igean t s po l i t i ques , qui ont c e t t e

idée en t ê t e . C ' é t a i t l e cas au XIXe s i è c l e , e t mi l l e

exemples montrent que c ' e s t encore le cas aujourd'hui . Des

responsables sont a l l é s jusqu 'à proposer de changer l e nom

du département, p ré fé ran t à ce lu i de Creuse - vraiment

trop creux - le nom de Creuse-en-Marche, nettement p lus

dynamique. Des ethnologues, qui ont é tudié ces a t t i t u d e s

de condescendance à l ' éga rd du Limousin21, en ont conclu

que l e s hab i t an t s ava ien t f i n i par i n t é r i o r i s e r ces

jugements négat ifs que l e monde ex té r ieur a pu por t e r sur

eux. De même ont f a i t l e s responsables de l ' a s s o c i a t i o n

des maçons de l a Creuse qu i , dans l eu r p r o j e t de

r e c o n s t i t u t i o n d 'une h i s t o i r e e t d 'une i d e n t i t é s

creusoises , sont hantés par l ' i d é e de « rendre une f i e r t é

à ceux qui res tent au pays e t à ceux qui en sont p a r t i s »,

e t d 'effacer la « honte » que les Creusois éprouveraient à

p a r l e r de leurs ancê t res maçons. Nous l ' avons déjà

s igna lé plus haut e t i l e s t bon de le rappeler i c i :

aucune des personnes rencontrées n ' éprouve ce sentiment ,

au con t ra i r e les gens sont f i e r s de leurs ancêtres e t de

leurs r é a l i s a t i o n s . Nous frappe, une fois de p lu s , l e

h i a t u s en t r e l e d i scours e t l e s propos de ceux qui

¿1 Cf. Ethnologia : « Approche an thropologique des e spaces , sent iment d ' a p p a r t e n a n c e e t i d e n t i t é en Limousin », 1985 n° 33-36, e t « Uni té r ég iona l e e t i d e n t i t é c u l t u r e l l e » 1987, n° 41-44.

Page 68: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

68 promeuvent l ' h i s t o i r e loca le e t l e s sent iments e t l a

mémoire des habi tants .

V. Revivi sc ene e

De cette recherche éperdue de fierté vient sans

doute l'ambiguïté du rapport au passé qui caractérise

l'esprit et les démarches de l'association, rapport non

pas seulement de connaissance mais de reviviscence. Il ne

s'agit pas seulement de faire connaître ce passé, on veut

le rendre plus présent, presque palpable par des visites

sur de nouveaux « lieux de mémoire » : maisons de Martin

Nadaud à la Martinèche, de Jean de Boueix (auteur de la

chanson des maçons), ou encore du paysan-sculpteur

François Michaud ; tombes des maçons J. Cacaud à Gentioux

et F. Loth à Saint-Maixant dont ils avaient eux-mêmes

taillé les stèles.

a. Marche-spectacle

Mais aller sur les lieux, regarder ne suffit pas,

il faut aussi refaire les gestes, marcher sur les traces

des anciens maçons, se mettre dans leur peau. C'est ainsi

qu'en 1991 une marche fut organisée de Soubrebost (le

village natal de Martin nadaud) à Paris : suivant le

rythme et l'itinéraire des migrants, les randonneurs

devaient faire le trajet en six jours. Comme les

participants n'avaient plus l'entraînement nécessaire pour

accomplir des étapes de 60 kilomètres, on fit appel à des

Page 69: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

69

marcheurs professionnels22. En 1993, nouvelle marche de six

jours à travers la Creuse, les participants étant cette

fois « obligatoirement vêtus d'une tenue légère de maçon

prêtée par l'organisation ». En 1995, ce fut la « marche

des retournants ». Partis de la gare de Felletin où

étaient accueillis les maçons à leur retour, les

marcheurs, sous toutes sortes de déguisements (maçons,

militaires, gitans, paysans...) et auxquels se mêlaient

des acteurs professionnels, donnaient à voir ce que les

responsables de l'association entendent désormais par

retournants : « tous ces gens de la Creuse, partis à la

ville, à Paris, avec en premier lieu les fameux et

célèbres maçons de la Creuse ». Enfin en 1998, une marche-

spectacle fut organisée à la mémoire de Martin Nadaud, à

l'occasion du centenaire de sa mort.

Cette randonnée-spectacle, que nous avons suivie,

se déroula le 25 juillet entre Soubrebost et Bourganeuf,

chef-lieu de la circonscription dont il fut député. Un

parcours de 12 km, allant des lieux qui l'ont vu naître et

mourir à ceux liés à sa vie politique, un chemin qui

permet de suivre au plus près 1 ' itinéraire qui fut le

sien, de l'évoquer, de s'en imprégner... Une centaine de

personnes, de tous âges, se sont donc retrouvées le matin

du 25 juillet sur la place du village, conviées a prendre,

avant le départ, le petit verre de vin blanc du maçon, au

son de l'accordéon et de la trompette. Sont présents des

membres de l'association des maçons de la Creuse, ainsi

22 Cette manifestation a été filmée par une chaine de télévision (FR3).

Page 70: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

70

que des membres de l'association des « Amis de Martin

Nadaud » fixée à Bourganeuf, quelques résidents non

creusois cherchant à se mêler à la vie du pays et venus en

famille, une majorité de vacanciers creusois qui suivent

les marches d'été proposées dans la région, des campeurs

de passage enfin. Quelques hommes ont revêtus la tenue

traditionnelle du maçon, longue chemise et mouchoir noué

autour du cou. Commentaire d'un organisateur de la marche

: « Ils sont habillés comme ça, c'est pour que les gens

qui les voient passer se posent la question : "Qu'est-ce

que c'est que ça ?". C'est pour montrer la relation à

l'histoire ». Et, en effet, la promenade va se doubler

d'une leçon d'histoire, grâce à trois acteurs venus de

Clermont-Ferrand et engagés par l'association pour 1'«

animer ». Ceux-ci, coiffés d'une casquette, portant

rouflaquettes et habillés du gilet noir de l'ouvrier du

XIXe, entraînent d'abord les promeneurs au cimetière,

devant la tombe de Nadaud (dont la stèle fut dressée en

1948 par « ses amis républicains reconnaissants »). Là,

ils retracent à grands traits sa carrière politique et les

aléas de sa vie familiale. Deux autres arrêts

interrompront la marche, l'un à une croisée de chemin,

l'autre au milieu d'un hameau - deux lieux neutres, cette

fois, simplement assez vastes pour contenir les

participants. C'est que les organisateurs ont jugé utile

de placer là une petite révision historique - un « retour

au collège », disent-ils -, allant de la révolution de

1830 au coup d'État de 1851. Les faits et les dates

retenus mettent en avant les luttes ouvrières, les

Page 71: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

71

exac t ions du pouvoir , l ' e x t e n s i o n du c o l o n i a l i s m e ,

l ' é v o l u t i o n économique (le nombre de chômeurs, l e taux

d ' e scompte , l e s p r i x du b l é e t c . ) qu i mènent

inexorablement ve rs l e s journées r é v o l u t i o n n a i r e s de

févr ie r 1848. Pleins de verve e t d ' e n t r a i n , l e s ac teurs

ponctuent leur leçon d ' a l l u s i o n s e t de c l i n s d ' o e i l

suggérant des pa ra l l è l e s avec le présent - « toujours l e s

mêmes », « on connaît ça », lorsque, par exemple, l e s

l ibéraux de 1831 se f i r en t évincer par l e s conservateurs

aux é lect ions de 1831, ou que l'armée in te rv in t contre les

ouvriers de St Etienne en 1846. A la f in de leur exposé

i l s encouragent les par t i c ipan ts à se remettre en route e t

à poursuivre la révolut ion . L'atmosphère e s t bon enfant,

l e ton à la p l a i s a n t e r i e , l e pub l i c complice e t à

l ' u n i s s o n . A mi-parcours, au son de l a v i e l l e e t de

l 'accordéon, on se répand dans une p r a i r i e pour p ique-

niquer . Les acteurs font a lo r s le tour des groupes pour

leur fa i re la lecture de quelques pages du l iv re de Martin

Nadaud. L 'après-midi , i l y aura encore des a r r ê t s dans

p lus ieurs hameaux : pour inv i t e r les promeneurs à comparer

les apparei l lages de t r o i s maisons cons t ru i t e s selon l e s

techniques t r ad i t i onne l l e s , pour observer la construct ion

d 'un mur en p i e r r e sèche , pour a s s i s t e r à une

démonstrat ion de noeuds ( la c r a v a t e , e n t r e a u t r e s )

u t i l i s é s pour monter l ' échafaudage à l ' a n c i e n n e . A

Bourganeuf, v i s i t e de l ' e x p o s i t i o n consacrée à Martin

Nadaud, puis dîner « républ ica in » pendant lequel l e s

a c t e u r s l i s e n t l e s d i scour s de Nadaud e t font une

Page 72: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

72 démonstration de lutte de chausson - sport très pratiqué à

son époque. Et on danse, jusque tard dans la nuit...

Restituer aux Creusois l'histoire de la migration,

la mettre sous leurs yeux en s'efforçant d'en retrouver

les traces dans le pays, la replacer dans la grande

histoire... tel était, on s'en souvient, le but de

l'association. On en voit ici une application. Tentative

pour faire se rejoindre des faits sans commune mesure, du

plus singulier et concret, au plus général, d'une

démonstration de noeuds de corde à la récitation d'une

tranche d'histoire, comme si le fait d'arpenter les lieux

avait le pouvoir de ramener à la conscience - vécue - à la

fois l'histoire de la migration et l'histoire nationale.

On y emploie tous les moyens, déguisements, mimes,

récitations, lectures, démonstrations...

Un rapport au passé paradoxal, puisque d'une part

il fait l'objet d'un travail distancié - constitution

d'archives et de savoir - et que d'autre part il se

traduit par une réappropriation du terroir qui passe par

une « tentative éperdue et toujours vouée à l'échec » de

s'identifier au maçon, dans un esprit plus proche du

pèlerinage ou du parcours initiatique que de la démarche

historique ou ethnographique.

L'organisation de ces marches-spectacles, avec

l'esprit qui les anime, est le fruit d'échanges et de

réflexions partagés par plusieurs associations, notamment

Pays-Sage dont le responsable, M. Faurioux, a grandi en

Creuse mais a dû quitter le pays pour faire ses études

Page 73: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

73

puis exercer son métier. Ayant, comme tant d'autres,

toujours gardé des relations suivies avec son village, il

se désole de voir le pays se dépeupler et l'activité se

restreindre. Décidé à lutter contre ce qui lui semble une

sorte de fatalité, de morosité dont il voit l'origine dans

un complexe vis à vis de la ville et tout particulièrement

de Paris, il veut provoquer « l'éveil d'un regard positif

et plus fier des habitants et lutter contre l'esprit de

clocher et le narcissisme ». L'association Pays-Sage,

s'est donc donné pour but de mettre en valeur un certain

patrimoine en profitant de la place accordée aujourd'hui

aux loisirs, au tourisme et à l'action culturelle. Après

avoir constaté la disparition d'une forme de tourisme

pratiquée dans les années 1960, il a décidé, pour attirer

les gens, de réhabiliter les anciens chemins, de tracer et

de baliser des itinéraires, d'éditer des brochures et de

proposer des promenades en groupe. Mais sa conception de

la marche, aux antipodes de la Fédération française de la

randonnée, exclut toute idée de sport (délibérément on ne

renseigne jamais les participants sur les kilomètres à

parcourir) : la marche doit être « rencontre avec un pays,

rencontre avec soi-même et avec un paysage, contemplation,

recherche de tranquillité ». Le chemin est donc bien plus

qu'un simple tracé dans la campagne, il est « support de

rêve, de désir, de choses qu'on a en soi-même et qui vous

habitent ». De ces promenades, on attend aussi qu'elles

jouent un rôle de lien entre les communes, afin de « faire

éclater leur individualisme », de faire « naître un

sentiment collectif qui soit positif », de créer « un

Page 74: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

74

esprit de corps parmi les habitants des villages traversés

». Des idées qui s'inspirent à la fois du mouvement

Chamina, né à Clermont-Ferrand, et d'un livre de B.

Hervieu et J. Viard23 qui souligne le changement de regard

que porterait la majorité des Français sur la campagne,

laquelle serait perçue non plus comme une terre productive

mais comme paysage. Et pour Faurioux, une perception

hédoniste de la campagne dans laquelle le chemin tient un

rôle symbolique.

Les promenades qu'il propose, prennent deux formes

: des sorties à thèmes pendant l'année (histoire locale/

étangs et ruisseaux/ points de vue sur le village/

observations de la faune et de la flore) , et une

randonnée-spectacle l'été, dite fête du Chemin. Celle-ci,

qui attire tous les ans plusieurs centaines de personnes,

explore chaque fois un nouveau chemin à partir d'une

thématique différente (exposée dans les scènes de théâtre,

les danses, mimes, contes qui rythment la pérégrination),

mais toujours sous-tendue par l'idée d'une quête : de

façon significative, les chemins choisis mènent tous

quelque part, sans jamais revenir au point de départ.

Ainsi en 1997, le chemin de « La Dame blanche » allait de

la petite ville de Crocq à un étang, érigé en symbole d'un

monde meilleur. Les difficultés qui accompagnent toute

quête, étaient suggérées notamment, par la rencontre d'un

groupe de maçons marchant en sens inverse, chacun restant

libre d'interpréter comme il le voulait cet épisode. L'été

23 B. Hervieu et J. Viard Au bonheur des campagnes et des provinces, edit, de l'Aube, 1996

Page 75: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

75

98, la « Marche de la sirène » (qu'il était loisible de

suivre à pied, à cheval ou en charrettes ) faisait

constamment référence à l'eau : non qu'elle suivit le

cours d'une rivière mais elle se déroulait entre deux

sources et rencontrait d'autres points d'eau, au

cheminement souterrain et propre à figurer l'idée de

matière précieuse. Des comédiens, rencontrés en chemin

indiquaient, par des lectures de textes, la manière de «

retrouver le chemin des choses, de retrouver le plaisir ».

Quant au but ultime de la promenade, une source

miraculeuse dédiée à Saint-Clair, elle a la propriété,

dit-on, de guérir les yeux. Pour les organisateurs - qui

se réfèrent aux croyances existantes sans les partager -

elle a la vertu d'ouvrir les yeux. C'est qu'il s'agit de

regarder l'avenir, non de « cultiver le passé dans un

esprit de nostalgie, de folklorisation ou de quête

identitaire repliée sur elle-même ». Ce qu'ils veulent

c'est « inventer tous ensemble les mythes prometteurs qui

ne renient pas la tradition mais la transcendent,

s'appuyant sur la vie locale dans un esprit d'ouverture et

d'accueil ». Ou encore, comme nous le dit l'un des

organisateurs, questionné après la promenade : « Il y a

une mémoire, il y a une histoire qui a de la valeur. En

s'appuyant sur un support historique et paysager, essayons

de transcender cela et de l'utiliser à travers ce que ça

peut avoir de valeur actuelle. Quelque chose qui soit

transposable dans l'avenir. » Des propos quelque peu

confus, mais qui traduisent bien ce rapport ambivalent à

un passé qu'à la fois on s'efforce de restituer, de faire

Page 76: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

76

revivre par tous les moyens, tout en se défendant d'en

avoir la nostalgie. Un rapport aussi à des lieux à

l'imitation des anciens rites, mais vidés de leur contenu

et qui ont cessé de faire sens. Un rapport enfin au

présent qui ne tient pas compte de la réalité sociale et

économique d'aujourd'hui puique les responsables pensent

créer de toutes pièces « un esprit de corps parmi les

villages traversés». D'où ces refus réitérés du passéisme,

du folklore, de l'esprit de clocher, du narcissisme,

joints aux invocations de l'avenir, de l'esprit d'accueil,

d'ouverture.

Un discours et des propositions dont on se désole

qu'ils ne soient pas mieux entendus par les habitants, qui

ne participent guère à ces marches-spectacles et

n'acceptent pas volontiers de donner la main aux

préparatifs - ce sont toujours des individus un peu

marginaux qui s'en chargent. Le public est essentiellement

composé d'estivants ou de Creusois revenus au pays le

temps des vacances. Quelques femmes cependant se sont

laissées gagner récemment, sensibles, nous explique-t-on,

à l'approche proposée et au refus de l'exploit sportif.

Que les habitants s'y intéressent ou non, qu'ils

participent ou non à toutes ces démonstrations, il n'en

reste pas moins qu'elles ont pour effet de constamment

attirer leur attention sur le passé local. Et sur un point

elles ont touché les habitants et changé leur regard :

l'architecture rurale, sa valeur, la qualité de la taille

de la pierre. Partie intégrante en effet de la restitution

Page 77: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

77

aux Creusois de leur passé de maçons, cet objectif : «

redonner aux gens cet amour de la pierre et regarder leurs

maisons différemment ». De nombreuses activités ont pour

but de faire connaître les anciens savoir-faire, d'en

donner une démonstration, d'encourager à les réutiliser

pour la restauration des maisons.

b. la taille de la pierre

L'association des « Amis de la pierre de Masgot »

s'est d'abord employée à restaurer certains bâtiments du

village de Masgot pour y présenter expositions, films,

conférences. Le choix de ce hameau perdu dans la campagne,

tient à plusieurs raisons : il est au coeur d'une région

qui a fourni au XIXe siècle un grand nombre de tailleurs

de pierre (18% de la population); c'est un village qui a

gardé sa configuration traditionnelle, une quinzaine de

fermes construites en granit du pays, aux murs

soigneusement appareillés, tenues dans un réseau serré de

cours, placettes et potagers; enfin et surtout le village

conserve de nombreuses sculptures dues à un paysan-maçon

du siècle dernier, François Michaud, qui en avait orné sa

maison et le mur d'enceinte de son potager. Depuis 1986,

chaque été, deux journées sont consacrées à la pierre,

donnant ainsi l'occasion de découvrir le village et,

depuis 1990, sont organisés des stages de taille de la

pierre (en 1997, 27 stagiaires sont venus de diverses

régions de France mais aussi d'Angleterre et de Hollande).

M. Delprato, qui est président de cette

Association, est aussi membre de l'Association des maçons

Page 78: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

78 de la Creuse. Professeur de taille de pierre à l'École des

métiers du bâtiment, il est lui-même fils d'un tailleur de

pierre d'origine italienne, venu en Creuse avant la

guerre. Il a suivi son père, étant enfant, sur les

chantiers et s'est donc familiarisé très tôt avec la

taille du granit.

Il fait visiter Masgot dont il sait faire admirer

la qualité du bâti : « Là sur ce pignon, comme le granit

est à fleur de sol, il n'y a pas de fondation

pratiquement. Ce qu'on peut apprécier, c'est la chaîne

d'angle calée par des petites pierres dessous, il n'y a

pas de liant pratiquement et ça c'était l'art des maçons

creusois. Ensuite vous avez ce pignon qui est en deux

parties, avec une chaîne d'angle intermédiaire, c'était

pour lier les deux murs, pour la résistance mécanique du

mur... Voilà un mur de soutènement monté légèrement en

biais, et ce savoir-là a pratiquement disparu en Creuse.

Ce mur n'a pas bougé avec ce biais et ces pierres qui se

relient impeccablement. Les boutisses traversent le mur de

part en part. Là ce sont les trous pour mettre les

boulins...» Il attire également l'attention sur la qualité

des moulurations, des souches ouvragées des larmiers, des

trumeaux etc. Est ainsi donné à voir un répertoire complet

du savoir-faire des maçons, héritiers d'une longue

tradition constamment enrichie par l'expérience acquise

sur les chantiers parisiens.

On découvre aussi à Masgot les sculptures de

François Michaud, que les membres de l'association

Page 79: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

79

s'emploient à faire connaître par des livres, brochures,

vidéos24. D'une lignée de migrants, F. Michaud, lui, n'est

jamais sorti de son village où, pendant cinquante ans, il

n'a cessé de se mesurer avec la pierre. Il transforme sa

maison, la surélève : « On voit là, commente Delprato, un

appareillage remarquable qui n'a pas bougé. Le mur a été

reconstruit en joints vifs, c'est-à-dire que les pierres

se touchent sans mortier, et il fallait que la taille soit

réellement précise pour que cet appareillage se concorde

bien. On trouve là déjà toute les difficultés de la

taille, avec des colonnes cannelurées mais surtout les

colonnes torsadées. Il faut un tracé au départ, il faut

donner la forme et la tailler. Il n'y avait pas de machine

et ça c'est remarquable. » A proximité de la maison, on

peut encore voir le puits avec son appareillage

cylindrique, le pressoir à cidre et d'autres ouvrages de

granit. Après des années de taille du granit, F. Michaud

passe à la sculpture et orne la façade de sa maison de

nombreux motifs décoratifs : têtes sculptées en relief,

colonnes, pilastres, linteaux gravés, vasques, consoles.

Et sur les murs d'enceintes de sa maison et de son

potager, il aligne personnages - un Napoléon en pied, le

buste de Jules Grévy - et animaux : un serpent, un cochon,

une poule, un renard, un blaireau, une sirène, une hyène.

Il extrait lui-même le granit dont il a besoin aux abords

du village et on repère encore les emplacements,

aujourd'hui envahis par la végétation, des « boules

2 4 Le village de Masgot a fait, récemment, l'objet de l'émission « Faut pas rêver » sur FR3

Page 80: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

80

roulantes » qu'il a utilisées et qui appartiennent à

quatre types de granit différents. Sorte de facteur Cheval

de la Creuse, unique dans la région, F. Michaud s'est

formé tout seul à la sculpture et a réussi à développer un

grand savoir-faire comme l'attestent l'exécution (réputée

difficile) d'une colonne spiralée concave ou, sur le buste

de Jules Grévy, les boutons et plis du vêtement.

Dans le cadre de Masgot se tiennent donc chaque été

des stages, et surtout deux journées de la pierre pendant

lesquelles des professionnels de la taille de la pierre

font une démonstration de leur talent. A l'inverse des

visites, promenades et spectacles, elles attirent les gens

du pays. Des tours de main, aujourd'hui abandonnés et

connus seulement des vieux artisans, sont proposés à un

public attentif. Ainsi un bloc de pierre est fendu en deux

avec les seuls outils traditionnels : broche, masse,

chasse, coin. Quatre trous, creusés dans un strict

alignement sur la plus large face, suivant « le petit fil

» de la pierre (sens vertical, alors que le grand fil est

horizontal, le mauvais fil étant appelé la roque), sont

ensuite passés au raffineur avant que ne soient enfoncés

des coins en acier. On dit que la pierre « va parler »

quand elle commence à se fendre, qu'elle « a bien parlé »

quand elle a été tranchée de manière nette. Il ne reste

plus alors qu'à dégager à la « chasse » les aspérités des

côtés. Au cours de ces deux journées, chaque artisan

taille, dans le granit ou le calcaire, un objet utile ou

décoratif, et les objets ainsi réalisés sont vendus au

cours d'une tombola.

Page 81: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

81 A proximité des tailleurs, un homme montre comment

se forgeaient leurs outils (autrefois, les tailleurs

faisaient souvent ce travail eux-mêmes) . Il chauffe

ciseaux, poinçons et broches, les martèle puis les trempe.

Cette dernière opération requiert expérience et précision

: « Si vous laissez passer la trempe, explique-t-il, votre

outil est pas trempé, il est mou. Et si vous le trempez

trop chaud, il casse; ça dépend de l'acier, les barres

d'acier qu'on utilisait n'étaient pas toutes de même

qualité ». La trempe est en effet un moment délicat à

saisir, on se guide sur la couleur cerise ou gorge de

pigeon que prend l'outil. Le forgeron passe la main à

certains spectateurs, nombreux à faire cercle autour de

lui et qui s'essaient maladroitement.

Tout le monde est bien conscient que ces

démonstrations appartiennent au passé, au même titre que

les batteuses à l'ancienne ou les démonstrations des

scieurs de long, thèmes recherchés pour les fêtes de

village. Avec une petite différence toutefois, c'est que

la taille de la pierre est encore enseignée, même si, sous

l'effet conjugué d'une modernisation accélérée et d'un

marché renouvelé, elle s'est totalement transformée, le

travail fait strictement à la main s'étant beaucoup réduit

et ne portant plus que sur les parties sculptées.

En situant donc ces journées de la pierre dans le

village de Masgot, on associe constructions du XIXe, art

naïf de F. Michaud, sculptures des tailleurs de pierre

contemporains, et on suggère des affinités et des

Page 82: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

82

continuités qui contribuent à ancrer dans les esprits une

certaine vision de l'histoire locale - affinité des

Creusois et du granit, continuité du migrant-maçon au

tailleur de pierre, et du tailleur au sculpteur.

VII. Un aspect négligé de l'histoire locale

Pourtant, si le travail de la pierre s'est maintenu

dans le pays, ce n'est pas seulement grâce aux Creusois.

L'histoire des carrières de granit du Maupuy est

peu évoquée par les promoteurs de l'histoire locale alors

qu'elle s'est déroulée en Creuse. Et, bien qu'étrangère à

l'histoire des maçons-migrants proprement dits, elle doit

être rappelée pour mieux comprendre la place tenue, à une

époque encore récente, par les tailleurs de pierre dans la

région. C'est sur le massif du Maupuy, proche de Guéret,

et dans les environs, que se met en place à partir de 1920

cette exploitation nouvelle. La reconstruction des villes

après la guerre de 1914 et leur modernisation, provoqua

une demande massive de mosaïques et de pavés pour

empierrer rues et places, de bordures de trottoirs, de

boutisses pour les bouches d'égouts, de pierres pour

dresser les monuments aux morts. Après 1945 s'ajouta une

demande de pierres pour construire les grands barrages

(Tignes, Eguzon, Donzère-Mondragon). Trois ou quatre

carrières vont s'ouvrir successivement sur la colline du

Maupuy, et jusqu'à 350 tailleurs de pierre vont y

Page 83: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

83

travailler. Ce sont des entrepreneurs étrangers à la

région (il y eut même une entreprise anglaise et une autre

allemande) qui prennent l'initiative de cette

exploitation. G. Thévenot, en s'appuyant sur les

témoignages des derniers survivants, a reconstitué dans un

livre bien documenté25 les étapes de cette mise en valeur.

De tous temps, les gens des alentours était venus arracher

des pierres au Maupuy pour construire ou agrandir leur

ferme, mais les moyens restaient rudimentaires. A partir

de 1922 des sociétés sont dotées de moyens nouveaux qui

vont permettre une exploitation industrielle des carrières

(wagonnets et camions se substituent au charroyage avec

tombereaux et boeufs, peu à peu apparaissent compresseurs,

marteaux pneumatiques, treuils à moteur, pompes à eau,

marteaux- pilons, concasseurs). Le travail se diversifie

et se partage entre débiteurs ou carriers, tailleurs de

pierre, épinceurs ou finisseurs, réceptionneurs (qui

vérifient la qualité du travail). Il fallait compter un

débiteur pour trois tailleurs de pierre, en sachant qu'un

bon débiteur permettait d'avancer plus vite le travail : «

Quand c'était bien débité, il y avait moins de masse à

enlever, la pierre était juste à bonne dimension. Mon père

le disait : quand je suis avec ce débiteur là je fais un

peu plus de mètres linéaires », raconte un ancien tailleur

de pierre.

Paradoxalement la Creuse, qui avait fourni pendant

des siècles des ouvriers du bâtiment, manquait alors de

25 Giabrielle Thévenot, Les hommes des carrières du Maupuy, Verso, Guéret, 1988.

Page 84: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

84

main d'oeuvre et l'on fit venir, à partir des années 20,

des Italiens menacés par le régime mussolinien et recrutés

à Udine à la maison du travail. Nombreux à s'installer,

ils ont laissé le souvenir d'hommes habiles et durs au

travail : « Il y avait des Italiens dans les bois et ils

chantaient ! Tyron, c'est le seul que j'ai connu comme ça,

il pouvait travailler de la main droite et de la main

gauche. Et un autre, il levait jamais la tête de son

travail, vous pouviez vous approcher et lui parler, il ne

vous regardait même pas. Il abattait un travail énorme :

huit mètres de bordure, alors que les autres, quand ils

avaient fait cinq ou six mètres, avaient bien travaillé ».

Ils arrivaient déjà en possession d'un savoir-faire et se

sont vite montrés experts dans la taille des pavés. On

compte encore aujourd'hui parmi leurs descendants de

nombreux tailleurs de pierre : l'un d'eux a reçu, il y a

deux ans, le titre de meilleur ouvrier de France. Au gré

des bouleversements politiques qui se sont succédés en

Europe, sont arrivés au Maupuy, des Turcs et des Portugais

en 1928, des Espagnols après 1936, soixante-dix Tchèques

après 1945. On travaille avec les outils traditionnels :

pics, massette, têtu. Trois ouvriers-forgerons, installés

à proximité, remettent chaque jour les outils en état.

Si le gros de la production provient du Maupuy,

d'autres chantiers s'ouvrent dans les environs et sont

laissés à l'initiative de travailleurs indépendants. Ils

exploitent les « boules roulantes », parties rocheuses

superficielles, dites roches erratiques par les géologues

: « D'abord on a extrait les boules qui faisaient dix à

Page 85: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

85

vingt mètres cubes. On creusait autour une tranchée, avec

la pioche et la pelle. On terrassait un rocher à la main.

». Vrai combat que mènent les tailleurs de pierre de

différentes nationalités auxquels vont s'associer quelques

paysans creusois. Des emplacements sont donc loués dans

les bois ou sur les « chiers », monticules

caractéristiques du paysage creusois qui associent chaos

granitiques et bouquets d'arbres. Le tailleur de pierre

indépendant assume toutes les étapes de l'exploitation

après avoir souvent fait son apprentissage auprès des

Italiens : « Quand j'étais apprenti, se souvient l'un

d'eux, le père Yvan me forgeait mes outils. Après il m'a

dit "faut essayer de les forger, ça me fait perdre du

temps". Des fois je partais le dimanche matin pour forger

mes outils, pour m'avancer pour le lundi ». Non seulement

il faut savoir forger mais aussi repérer le fil de la

pierre pour bien la débiter - « Si la pierre est débitée à

contresens, à contre-fil, c'est difficile de la tailler.

On a d'abord coupé la pierre avec des coins, après on a

fait un trou au burin, ils avaient ce qu'ils appelaient un

rayeur qui faisait deux rainures d'un demi centimètre de

chaque côté, ça coupait en deux, ou bien on faisait des

'anglaises', c'est à dire qu'on mettait des bouts de bois

dans la fente et on bourrait le fond de tuf et de mousse

pour ne pas laisser passer l'air, puis on mettait trois ou

quatre kilos de poudre noire qu'on allumait avec une mèche

».- Il fallait charroyer la pierre dans les bois : « il y

avait des gros blocs de 80 kg qu'on faisait rouler sur des

rondins ». Et les paysans creusois qui ne se mettent pas à

Page 86: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

86 la taille, louent leur service pour le transport : « Ceux

qui avaient des boeufs, ils allaient travailler et ils

gagnaient beaucoup plus à charrier les pierres qu'à

cultiver la terre »

A partir de 1960, va s'amorcer le déclin des

carrières du Maupuy et de la région, car dorénavant c'est

en ciment qu'on fait les bordures de trottoir, moins

belles et plus cassantes mais d'un coût moins élevé. Les

pavés, d'abord abandonnés au profit des rues goudronnées,

refont leur apparition quand on aménage les centres

piétonniers. Mais alors on importe les pavés du Portugal,

au grand désappointement des derniers tailleurs de pierre

qui, en connaisseurs, s'indignent de la mauvaise qualité

du travail.

Si l'histoire de cette activité, déployée pendant

plus d'un demi-siècle aux alentours de Guéret, n'est pas

intégrée à l'histoire des maçons de la Creuse, c'est peut-

être parce qu'elle est encore trop récente, qu'elle n'est

pas encore à la bonne distance pour être bien saisie.

C'est peut-être que, de bien des manières, cette histoire

échappe aux Creusois. Comme sont amenés à le dire

certains, sans acrimonie d'ailleurs : « Les Italiens nous

ont volé notre histoire ». Les descendants des migrants

italiens, qui comptent parmi eux des tailleurs de pierre

réputés, sont aujourd'hui responsables, et forts actifs,

dans les diverses associations qui ont à coeur la mise en

valeur du patrimoine creusois. Ont-ils si bien intégré la

Creuse qu'ils sont davantage préoccupés par l'histoire de

Page 87: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

87

la migration creusoise que par 1'immigration plus récente

de l eurs compatriotes ? Ce sentiment d 'une h i s t o i r e qui

leur échappe e s t peu t - ê t r e renforcé, chez l e s Creusois ,

par l a d i s p a r i t i o n de nombreuses p i e r r e s remarquables

(menhirs, p ier res légendaires) , débitées en pavés, e t qui

les ont pr ivés d'une référence majeure dans la mesure où

la p i e r r e t i en t une grande place dans leur imaginaire26 . Et

pourtant l ' h i s t o i r e de l ' a r r i v é e des i t a l i e n s e t d ' au t r e s

étrangers j u s t i f i e n t pleinement l ' é tude que se propose de

faire l ' a s soc ia t ion « ré f léchi r d'une façon plus large aux

problèmes de 1'immigration ».

Les t a i l l e u r s de p i e r r e é t a i e n t donc encore

nombreux i l y a une t r en ta ine d'années - plus de 300 en

1960 - a lo r s qu 'aujourd 'hui i l n 'en r e s t e que quelques

d i z a i n e s . Dans l e s années 1970, l ' i n t r o d u c t i o n du

tungstène amène une première révolution dans l e t r a v a i l de

la t a i l l e . Métal t r è s r é s i s t a n t , i l e s t insé ré , sous la

forme d'un f i l , aux extrémités des o u t i l s du t a i l l e u r de

p i e r r e , qu'on n ' a p lus à forger . Et l ' i n t r o d u c t i o n

progress ive de machines de p lus en p lus pu i s san tes e t

p r é c i s e s bouleversent l e mét ier : l a p o s s i b i l i t é de

2 6 S ' i l s l e s ont l a i s s é e s d é b i t e r , eux-mêmes ne l e s a u r a i e n t pas e x p l o i t é e s , par c r a i n t e des i n t e r d i t s qui s ' y a t t a c h a i e n t . I l s vendent c e r t a i n e s p i e r r e s s i n g u l i è r e s e t des p i e r r e s à l égendes , s ans é t a t d'âme, pour f a i r e des pavés ou des bordures de t r o t t o i r : l e rocher qui é t a i t au c e n t r e du v i l l a g e de Peyrabout (dont l e nom s i g n i f i e p i e r r e d e b o u t ) , p l u s i e u r s p i e r r e s d i t e s du « mariage des o i s e a u x » dont l a p i e r r e Ba tau r ine évoquée pa r Jouhandeau ou encore l e g ros rocher de l a Bale ine su r l e Maupuy dont l a d i s p a r i t i o n , d i s a i t - o n , deva i t f rapper de mort c e l u i qui o s e r a i t y t ouche r . C ' e s t p e u t - ê t r e ce qui a p r é s e r v é l a p i e r r e Baladoi re , p rès du v i l l a g e de Masgot, à quoi s ' a t t a c h e l a même légende.

Page 88: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

88 déplacer sans effort d'énormes blocs, de les lever, de les

scier en plaques fines, de les polir, a ouvert de nouveaux

usages de la pierre - tables, meubles de jardin, plaquages

pour salle de bain ou cuisines... l'essentiel de la

production étant réservé aux pierres tombales. Et

l'importation de granits de pays lointains - Brésil,

Norvège, Afrique du sud, Chine - remet en cause

l'exploitation du granit creusois, devenue trop onéreuse.

Il ne reste plus qu'une seule carrière en exploitation, au

lieu d'une vingtaine il y a trente ans, et le travail du

carrier s'est lui aussi beaucoup modernis'e avec l'usage

des pelleteuses, grues, camions qui permettent

l'extraction des couches profondes de granit.

Cette impulsion nouvelle qu'avaient donnée, au XXe

siècle et en Creuse même les Italiens, s'est épuisée. Une

seconde mort des maçons, nous dit-on.

En parlant avec tous ces anciens carriers et

tailleurs de pierre, on sent la nostalgie, la passion pour

un métier dont ils sont capables de parler pendant des

heures, expliquant les techniques, comment on reconnaît le

fil de la pierre dans les boules roulantes, ou le lit de

la pierre dans les couches profondes des carrières, les

différentes qualité de granit et leurs usages (le bleu, le

plus dur, le jaune, le gris, le jaune-gris), comment on

fait éclater la pierre (en la soufflant pour qu'elle ne se

mâche pas) et comment on la débite, les douze façons de la

tailler (bouchardée, taillée, brochée, éclatée, tranchée,

vermiculée, ravalée...), les outils, le vocabulaire (le

Page 89: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

89 lit de pose et le lit d'attente de la pierre taillée, le

front d'attaque du banc de granit dans la carrière ou la

réserve de pierre). On passerait des heures à les écouter.

On apprend que la pierre est une matière vivante qui

touche tous les sens : on la regarde, on la touche, mais

aussi on l'écoute - le son de frappe doit être clair, et

s'il change, devient mat, c'est qu'une fissure menace ou

qu'on va rencontrer une partie plus dure. D'ailleurs le

tailleur de pierre ou le sculpteur, avant d'attaquer une

pierre, la sonde : « La main est un palpeur ajusté à

l'oreille, il y a une espèce de concordance entre la main,

les yeux et l'oreille ». La pierre a même une odeur - de

mer, de marécage, d'eaux mortes pour le calcaire, de

soufre pour le granit (surtout les vieilles pierres qu'on

retaille) .

Les plus passionnés, ceux qui ne peuvent pas se

résoudre à laisser inemployé leur savoir-faire, n'ont plus

qu'une issue, sculpter - sans doute l'intérêt récent pour

le petit village de Masgot est-il pour quelque chose dans

cette orientation artistique. L'un d'eux a installé chez

lui un atelier où, pour le plaisir, il sculpte objets,

animaux, figurines. La maison où il nous reçoit (une

petite maison moderne) est pleine de ses réalisations :

cheminée et sol sont en granit, bien sûr, mais aussi des

tables, un placard, des tabourets.

VII. Deux institutions patrimoniales : L'École des

métiers du bâtiment, le projet de musée.

Page 90: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

90

a. L'école.

Depuis sa création, l'enseignement de l'école a

varié et s'est adapté à l'évolution des techniques et des

matériaux de construction : au début il formait surtout au

gros oeuvre, y compris la taille de pierre qui faisait

partie de la maçonnerie. Puis l'enseignement a porté sur

le second oeuvre (bois, métal, finitions, peinture) .

Aujourd'hui il couvre cinq domaines : le gros oeuvre et le

génie civil; la taille de la pierre; le bois et les

matériaux associés; le métal, l'aluminium, le verre et les

matériaux de synthèse; les finitions et les aménagements.

La plus ancienne section de l'école, la taille du granit,

s'est donc maintenue, mais ramenée aujourd'hui à deux

années d'études au lieu de trois. Jusque dans les années

1965, presque tout était encore fait à la main - même s'il

y avait déjà une débiteuse pour découper la pierre.

L'introduction progressive de machines très performantes -

châssis à câble diamanté, disqueuse diamantee - ont

bouleversé le champ d'application de la taille et du coup

l'enseignement. Pourtant, si en entreprise on ne perd plus

son temps à tailler à la main un bloc de granit en forme

de parallélépipède, les machines pouvant parfaitement

exécuter ce travail, à l'école on continue à apprendre aux

élèves à le faire pour leur donner le principe de

l'équerrage. « Ils apprennent ça pour le geste, pour la

connaissance du matériau, pour se former le poignet », le

granit, roche particulièrement dure, demandant une frappe

Page 91: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

91

courte, sèche et forte, un peu oblique. On apprend à

corriger la taille trop parfaite des machines : «

Boucharder et éclater peuvent se faire aujourd'hui à la

machine, mais il faut rattraper la finesse de l'arête à la

main. Pour donner un aspect un peu brut, traditionnel, il

faut tailler à la main, sinon vous avez des blocs lisses,

impeccables, alors qu'avant pour avoir un bloc lisse,

c'était un boulot fou ! ». Très restreint, sans autre

débouchés que la restauration des monuments de pierre, cet

enseignement est le seul à maintenir encore un lien avec

la tradition des maçons de la Creuse. On voudrait

l'élargir à l'ensemble des anciennes techniques - crépis,

mortiers - et le faire servir à la restauration des

habitations traditionnelles.

b. Le projet de musée

« Au même titre que la tapisserie qui a fait le

renom de la Creuse tant en France qu'à l'étranger, nos

aïeux maçons, bien plus nombreux, ont eux aussi contribué

à valoriser son image. Mais aujourd'hui, alors que la

tapisserie bénéficie d'un remarquable musée où affluent

les visiteurs, le bâtiment attend le sien. » écrit le

président de l'Association. Et de fait, l'histoire des

maçons de la Creuse n'est pas évoquée à Guéret dans le

musée du Présidial qui, dans la section géologie du

département, rappelle cependant l'histoire des carrières

du Maupuy. Ce musée, de création récente (1984), obéit aux

principes muséographiques nouveaux qui prennent en compte

la dimension écologique. Des vitrines sont réservées au

Page 92: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

92

recensement minutieux des familles de roches propres à la

région, et notamment de toutes les variétés de granit - le

socle même du pays. Chaque fois sont précisés les lieux

d'exploitation, les usages passés et présents, et sont

exposés les outils nécessaires à leur extraction :

ciseaux, bouchardes, massettes, compas, fil à plomb,

équerre dont se servaient les tailleurs de pierre. Donc

une volonté de reconstituer des ensembles concrets, de

rendre compte des rapports des hommes avec un milieu

donné, mais sans en faire l'histoire. Dans cette

perspective, l'idée d'un musée des maçons semble venir

combler une lacune.

Deux projets s'affrontent qui diffèrent assez

sensiblement, et recouvrent de vieilles rivalités de

villes, doublées d'options politiques opposées. Rivalités

de villes qui se traduisent par la volonté des unes et des

autres de fonder ce musée de préférence sur leur

territoire, en espérant ainsi quelques retombées

touristiques. Rivalités politiques qui les amènent à faire

de la migration une lecture un peu différente. Mais

surtout les uns et les autres n'ont pas élaboré le même

type de projet.

Celui de l'association des maçons de la Creuse

s'assortit d'une déclaration en plusieurs points,

largement diffusée et intitulée « Les migrants du

Limousin, leur histoire, leurs savoir-faire et les métiers

du bâtiment », où il est question, pêle-mêle, d'<< être

digne de nos ancêtres et témoigner de leur rôle dans

Page 93: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

93

l'histoire du bâtiment; faire prendre pleine conscience de

notre patrimoine, agir pour le sauvegarder et le faire

connaître; rendre une fierté à ceux qui restent au pays et

à ceux qui en sont partis».

A noter la notion de patrimoine ici mise en avant,

et qui fait l'objet d'un très large accord. A noter aussi,

et surtout, par rapport au siècle précédent, un net

changement d'accentuation car ce qu'on nomme désormais

patrimoine n'a plus la même connotation : on ne cherche

plus à constituer, à l'instar de ce qu'on a fait partout

au XIXe, des séries complètes (ou aussi complètes que

possibles) d'objets propres à donner une représentation de

l'ordre et de la marche de la nature, à faire du musée un

lieu de science et de culture universels, bien commun de

l'humanité. Ce qu'on veut montrer, c'est ce qui

caractérise le pays même, ce qui le constitue comme entité

reconnaissable entre toutes, la valeur d'universalité et

de bien commun s'attachant désormais aux choses

singulières, des plus originales aux plus humbles et aux

plus communes. De là un double changement, d'abord dans la

conception du musée même : un bâtiment, si richement doté

soit-il ne peut plus suffire à exposer tout ce qui

désormais est pensé comme patrimoine, et le seul musée

digne de ce nom ne peut qu'être co-extensif à la région

même. Changement ensuite dans la visée même d'un tel

musée, en rupture avec la tradition savante, en rupture

notamment avec l'ambition de transmission qui était la

Page 94: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

94

sienne 2 7 , au p r o f i t de nouveaux enjeux : économiques,

tour i s t iques , idéologiques, voire mystiques. I l n ' e s t que

de se rappeler l a pédagogie des marches-spectacles : où

qu'on a i l l e , quoi qu'on fasse, le seul « savoir » auquel

on vous convie e s t à rechercher en soi-même, nu l l e au t re

cu r io s i t é que pour son monde i n t é r i e u r . Un peu à l ' image

de l ' é co l e d 'aujourd'hui, transmettre es t devenu, en dépi t

des déclarat ions r é i t é r ées , le dernier souci de toutes ces

ent repr ises .

Quant au p r o j e t lui-même, i l ne s ' a t t a c h e

évidemment pas à déc r i r e ce que s e r a i t l e contenu d 'un

musée, i l dé f in i t un « espace muséographique ». Ce lu i -c i

s e r a i t const i tué d'un « coeur », le musée proprement d i t ,

e t d'<< antennes » cons t i t uées par tous l e s s i t e s du

2 7 Au XIXe s i è c l e , o n accorde au musée - à l ' h i s t o i r e n a t u r e l l e qui en c o n s t i t u e l a charpente e t l e modèle - un grand pouvoir formateur : « e l l e donne à l ' e s p r i t de l a méthode, de l a log ique , forme l e jugement e t déve loppe l e g é n i e . » D'où l ' i m p o r t a n c e q u ' o n a t t a c h e à l a f r équen ta t ion du Cabinet d'histoire naturelle et des Antiquités de la Creuse, conçu comme « un c e n t r e commun auquel t o u t e s l e s é t u d e s . t ou te s l e s recherches v i e n d r a i e n t a b o u t i r pour s e r v i r à l ' ense ignement généra l . f . . . 1 un é t a b l i s s e m e n t de haut enseignement qui ouvre ses c o l l e c t i o n s aux éco le s pub l iques e t à t o u t homme s t u d i e u x , à t o u t t r a v a i l l e u r ami des a r t s , un é tab l i s sement c en t r e des lumières dans un dépar t ement où l e aoû t des é t u d e s e s t en p r o g r è s » . O u t i l de conna issance par e x c e l l e n c e , l e musée e s t c r é d i t é d 'une e f f i c a c i t é pédagogique e x c e p t i o n n e l l e pu i squ 'on y a c q u i e r t « p l u s de s a v o i r par une s imple i n s p e c t i o n de quelques i n s t a n t s que p l u s i e u r s mois de l e c t u r e ou de l e ç o n s purement t h é o r i q u e s » e t que « p a r s e s c o l l e c t i o n s e t par ses l i v r e s i l p r é s e n t e des moyens d 'ense ignement p u i s s a n t s e t r ap ides » . Les c o l l e c t i o n s ne sont pas l à pour « r e c r é e r l a vue ou s a t i s f a i r e une vaine c u r i o s i t é », s e u l e compte « l ' u t i l i t é s c i e n t i f i q u e ». De f a i t , à l ' opposé de l ' a n c i e n c a b i n e t de c u r i o s i t é q u i , en r é u n i s s a n t l e s o b j e t s l e s p lus h é t é r o c l i t e s , se v o u l a i t un « abrégé de l ' u n i v e r s », l e s n o u v e l l e s c o l l e c t i o n s , e x p o s i t i o n s de spécimens ordonnés en s é r i e , donnent à v o i r une s o r t e d ' « immense t ab l eau de l a na tu re ». Ce qui importe , c ' e s t l ' o r d r e qui r é g i t l a n a t u r e , un o rd re con t inu {« l a n a t u r e ne f a i t pas de s a u t s ») qui fonde l a c o n s t i t u t i o n de s é r i e s , l e s q u e l l e s de ce f a i t en s o n t l ' i l l u s t r a t i o n , ( s o u l i g n é pa r n o u s ) . In S. P i n t o n , Des mots pour inventorier, ordonner, montrer : à propos du musée de Guéret, à p a r a î t r e .

Page 95: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

95

département, fussent-ils les plus modestes, liés à

l'histoire de la migration. Le musée principal occuperait

une ancienne ferme située à Felletin, à proximité de

l'École des métiers du bâtiment à qui elle fournirait un

centre de documentation précieux, et il se partagerait

entre deux principaux centres d'intérêts, la migration et

les métiers du bâtiment. Sur les autres sites retenus, on

ferait revivre certains vieux métiers disparus (comme on

le fait déjà au village de Masgot) ou on susciterait des

recherches historiques telles que « les retombées des

grands mouvements migratoires sur le social et le

politique ». Une sorte d'écomusée coextensif au

département, et même à la région (Creuse, Corrèze et Haute

Vienne) . En se proposant de créer des « structures en

réseau » afin de « renvoyer les personnes d'un endroit à

un autre sur les traces des migrants, sur l'histoire du

bâtiment, sur les entreprises », les responsables de ce

projet poursuivent une démarche similaire à celle qui leur

fait parcourir le pays en tous sens à l'occasion des

différentes promenades-spectacles; mieux ils amplifient

cette démarche en lui donnant un fondement institutionnel.

Le projet d'un espace muséal à une telle échelle est

encore une manière définitive de réoccuper le pays, de le

réinvestir, de le repenser, de le redéfinir, de rendre

inséparable le pays et son histoire. Impossible de se

promener dans la Creuse sans croiser l'histoire des

maçons. Une conception qui va à 1 ' inverse de celle des

premiers collectionneurs et des fondateurs du musée de

Guéret qui, il y a presque deux siècles, cherchaient à

Page 96: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

96 ramasser, à concentrer dans un même lieu toutes les

richesses du département28.

Le deuxième projet, plus classique, s'attache

uniquement à l'organisation d'un musée. Y serait exposées

tout à la fois la vie des maçons au village pendant les

mois d'hiver, et la vie sur les chantiers. Des

scénographies représenteraient la ferme avec certaines de

ses activités spécifiques (on pourrait reconstituer une

salle de ferme et l'étable avec de vrais animaux, les

odeurs, les bruits), d'autres montreraient un chantier de

construction à Paris. Le tout accompagné de documents, de

panneaux explicatifs. L'interprétation de l'histoire sous-

jacente à ce second projet est quelque peu différente,

l'accent n'étant mis ni sur les mêmes événements ni sur

les mêmes personnages : une assez large place est faite au

XXe siècle et fait mieux ressortir l'évolution des

conditions de travail ; Nadaud n'y occupe plus la place

centrale, et les révolutions de 1848 et de la Commune y

sont réduites à « des émeutes ».

Un énorme effort de restitution de l'histoire de la

migration a donc été entrepris et l'association des maçons

de la Creuse, qui en est la cheville ouvrière, s'appuie

tout à la fois sur les travaux des historiens, les

recherches des érudits locaux, les romans régionaux, la

mémoire des descendants de maçons. On utilise donc des

niveaux de connaissance ou de mémorisations très divers,

8S. Pintón, op. cit.

Page 97: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

97

les uns amples et savants, les autres plus ponctuels et

locaux ou d'autres encore d'une veine plus sentimentale.

Ces approches se mêlent et s'enrichissent, entretenant

toute une effervescence autour de l'histoire des maçons.

Et l'effet est loin d'en être négligeable, notamment sur

la mémoire individuelle, malléable, et qui s'imprègne

souvent à son insu de tout ce qu'on lui propose. De sorte

que, si les manifestations qui accompagnent cette

redécouverte de l'histoire de la migration sont

diversement accueillies par les Creusois - vif succès des

expositions, même si on trouve parfois leur présentation

tendancieuse, et des démonstrations de taille de pierre,

réticence pour les promenades qui sont boudées par les

gens du pays -, il n'en reste pas moins qu'on parle des

maçons et que, même si les souvenirs ou opinions de leurs

descendants ne coïncident pas avec ce qu'on leur propose,

tous sont rappelés à la réalité de cette histoire, en

mesurent la spécificité, sont amenés peu ou prou à

s'identifier avec ce passé. Au final, bon an, mal an, la

rencontre se fait entre le discours local identitaire

proposé et la connaissance intime que les gens ont de

cette histoire.

Mais de quoi est faite cette identité ? Elle

absorbe dans un même mouvement l'histoire et le savoir-

faire des limousinants qui manient la pierre et le

mortier, les grandes constructions haussmanniennes, les

maçons qui, au XXe siècle, se mettent au ciment, les

tailleurs de pierre creusois qui émigrent ou les tailleurs

de pierre étrangers qui viennent travailler en Creuse, les

Page 98: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

98 sculpteurs... C'est de toutes ces strates accumulées que

l'identité creusoise est faite. Et la création en Creuse,'

au début du siècle, de la première école des métiers du

bâtiment vient comme reconnaître ce talent des Creusois

pour les métiers du bâtir.

Une habileté qu'ils ont eux-mêmes si bien intégrée

qu'ils ont tendance à la considérer comme une «

prédisposition », quelque chose « d'inné » et qui

mystérieusement, s'expliquerait par la géographie et la

géologie du pays - comme si le métier pouvait trouver sa

raison dernière dans le sol même.

VI. L'histoire et le mythe

Le phénomène de la migration et la figure du maçon

qui lui est associée, sont explicitement rapportés par les

Creusois aux conditions de mise en valeur des terres.

Partout en Creuse le rocher affleure et, durant des

siècles, il a fallu « dérocher » les champs. Longtemps, on

en était réduit à utiliser la masse et la pioche pour les

supprimer ; puis on les a fait éclater à la poudre noire

et, plus récemment, à la dynamite. Bien souvent les jeunes

garçons accompagnaient leur père qui les initiaient ainsi

au maniement dangereux des explosifs. Certains se

souviennent avec émotion de leur frayeur : « La cheddite,

ça me passionnait quand j'étais jeune, parce que c'était

des petits boudins dans des papiers huilés. On la gardait

Page 99: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

99

soigneusement à l'abri de la lumière et de l'humidité. On

plaçait la cheddite dans le trou et puis on mettait le

détonateur, une mèche lente. C'était tout une science pour

la placer et pour avoir le temps de se mettre à l'abri de

l'explosion... ça montait très haut et les pierres

retombaient sur un périmètre assez grand. J'ai des

souvenirs de mon enfance d'être allé travailler avec mon

père et mon oncle. Et ça me donnait une frayeur énorme

parcequ'ils faisaient des trous dans la pierre. » Même

souvenir pour le fils d'un tailleur de pierre que son père

emmenait avec lui sur le chantier de travail : « Je me

rappelle quand j'étais tout gamin, j'allais avec eux, ça

me plaisait de me cacher, alors ils allumaient la mèche et

on voyait le bloc qui se partageait avec la poudre noire,

ça faisait des tranches impeccables.»

Des techniques et des gestes qui sont communs au

paysan et au granitier, bien que ce dernier évite la

dynamite qui « déchiquette la pierre » et utilise

uniquement la poudre noire qui permet une coupe franche

dans la veine de la pierre. « Si vous mettiez la dynamite

dans une pierre, vous pouviez plus la tailler, même les

morceaux qui restent ils s'enveniment, après ça se délite

». Ainsi arraché, éclaté, il reste toujours du roc dans le

sol, on n'en vient jamais à bout : « C'était terrible

quand il fallait labourer, avec les socs, ça les abîmait.

Et puis les rochers, vous pouviez pas savoir où ils

étaient. On se rappelait de deux ou trois, mais dans une

grande terre on pouvait pas se rappeler de tous d'une

année à l'autre »; ou encore : « Quand on labourait ou

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100

qu'on fauchait, il fallait contourner toutes les pierres.

Il y en avait quinze là-haut où on labourait, et il

fallait en faire le tour. Avec les boeufs c'était plus

facile parce qu'avec le brabant la chaîne passait par

dessus et on pouvait labourer assez près. Le reste du

travail était fait à la pioche. Mais avec les engins

mécaniques c'était devenu très dangereux, ces pierres

comme des têtes de chat qu'on oubliait, elles accrochaient

les faucheuses, les moissonneuses-batteuses... » De tous

temps, impossible de faire fructifier la terre, sans avoir

en même temps à travailler la pierre.

Avec les pierres ramassées dans les champs ou les

blocs éclatés, les paysans ont construit des kilomètres de

murets, pour délimiter les parcelles et les propriétés : «

Dans le temps, il y en avait même dans les bois pour

séparer les propriétés. On les retrouve souvent ». Ces

murets sont appelés murs « en dentelles » lorsque les

pierres, posées en équilibre et sans mortier, laissent

filtrer la lumière, ou « mur du loup » pour que le loup

puisse les franchir. Avec les pierres éclatées qu'on

entassait grossièrement, on faisait « les murs libres » :

« C'étaient souvent les paysans-maçons qui les montaient

». On voit aussi dans la campagne des murs doubles : « Ils

sont à côté d'un site gallo-romain, ils sont sans doute

très anciens, montés en petites pierres et couverts d'une

dalle plus forte dessus. Un étroit sentier les sépare ».

Et puis il y a tous les murs de soutènement qui étaient «

bien maçonnés » comme l'étaient aussi « tous ces contre-

murs qu'on trouve dans notre campagne creusoise... On voit

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101

bien que les appareil lages de p ie r re peuvent pas avoir é té

f a i t par de simples paysans, parce q u ' i l s répondent à des

normes de contrebalanceront ». Et comme le d i t Delprato :

« Et puis i l doi t y avoir l a bonne dimension de l a base

par rappor t au sommet, l e b i a i s n é c e s s a i r e , l e t a l u s

n é c e s s a i r e . Les paysans-maçons donnaient une c e r t a i n e

forme à l a p ier re e t trouvaient ensuite des autres p e t i t e s

p ier res pour venir épouser la forme »

Et c e t t e f a m i l i a r i t é avec l a p i e r r e se t r a d u i t

aussi par une connaissance des roches propres à chaque

contrée : « I c i , en plus du g ran i t , on e s t dans une zone

où i l y a t r o i s so r tes de p i e r r e s : de l a h o u i l l e , de

l 'agglomérat de r i v i è r e e t de l a lave, qu'on appel le i c i

de la vaque et dont on s ' é t a i t servi après le remembrement

pour fa i re les p i s t e s . Et les ca r r iè res où on p u i s a i t pour

cons t ru i r e les maisons, e l l e s é t a i e n t pas o r i en t ées au

nord, l e g r a n i t e s t t rop f ro id . Moi j ' a i essayé de

ramasser les b e l l e s p i e r r e s , j ' a v a i s t rouvé une hache

t a i l l é e en g r a n i t ». Cet i n t é r ê t s 'accompagne de

représenta t ions sur la formation géologique du pays : «

Autrefois i l y a eu le déluge, ça avai t roulé des p i e r r e s

qui sont agglomérées, t a s sées , des p i e r r e s qui ont roulé

dans l ' e au , qui sont a t tachées . I l y a une espèce de grès

a v e c . . . Même nous qu'on es t pas des connaisseurs on s a i t

d i s t inguer une p i e r r e pour r ie d'une bonne p i e r r e ». Ou

encore, comme le préc i se un i n s t i t u t e u r , « Les ' b o u l e s ' ,

c ' e s t des chaos g ran i t iques , e t géologiquement ça a des

mil l ions d'années d 'usure. Cette région avai t , on suppose,

4000 mètres d ' a l t i t u d e pour tomber à m i l l e e t l e s

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102 meilleurs noyaux, les plus solides sont restés. C'est le

résultat d'une résistance énorme à l'érosion ».

Une confrontation séculaire avec le granit qui, au

dire de bien des Creusois, non seulement les préparait à

bâtir, mais les destinait à ce faire. A preuve tout ce

vocabulaire qu'on retrouve dans les propos suivants : « On

a trouvé une généalogie où il y a 8 ou 10 générations de

maçons les uns derrière les autres. On vivait comme ça,

c'était presque congénital ». Un autre parle d'atavisme :

« Vous savez, il y a un atavisme. Mon grand plaisir

c'était de faire des murs et je ne sais pas pourquoi.

J'aime regarder les murs que je faisais plus jeune. Je

viens d'acheter un vieux lavoir, entièrement d'époque, on

va le recouvrir, ça ne sert à rien. C'est vous dire, on a

ça dans le sang. C'est vrai que les Creusois ont le goût

de la pierre ». Un goût qui leur est largement reconnu,

tel cet entrepreneur berrichon installé en Creuse : « Au

départ les Creusois faisaient un peu leur maison eux-

mêmes. Les anciennes maisons en pierre ici sont

magnifiques. Il faut avoir l'amour de la pierre et les

Creusois ils aiment ça. C'était un matériau noble et un

matériau pas cher à l'époque, il y avait de la pierre

partout. Les gens cassaient de la pierre, la taillaient,

le temps ne comptait pas. Les Creusois aimaient ça, ils

montaient tout en pierre...»

D'où l'idée largement répandue que les Creusois

détiendraient ce savoir-faire de manière instinctive : «

Dans chaque maison, les gars étaient pas vraiment

Page 103: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

103

tailleurs de pierre mais ils s'y connaissaient...» Ou

encore : « Tous les creusois étaient maçons. Il y a près

de 250 stèles et cippes recensés dans le Limousin dont 150

dans la Creuse ». Et un maçon, aujourd'hui à la retraite

et qui lui, à la différence de nombreux Creusois, aimait

travailler le ciment : « J'ai été artisan avec trois

ouvriers, eh bien ils connaissaient que la pierre! Les

maçons de la Creuse étaient renommés partout, c'étaient

des gars qui aimaient à poser la pierre. Ils mettent pas

longtemps pour vous mettre une pierre en place et en

prendre une autre. C'étaient de vrais maçons. On leur

donnait un gros tas de pierres et ils choisissaient pas :

à mesure que la pierre arrivait, ils la mettaient en

place. Un vrai maçon aimait pas à poser des parpaings. »

Un atavisme, un goût congénital, un instinct, le

métier qu'on a dans le sang, et 1'« aptitude née de la

souche creusoise » dont on parle aussi. Tout suggère un

lien entre la constitution même des gens et la

configuration du pays. En somme, les Creusois ne se disent

pas autochtones, mais tout ce qu'ils disent est fait pour

nous le faire penser. Et c'est en quoi toute leur histoire

s'enracine dans le mythe. C'est bien ce qu'à sa façon dit

Nicoux : « Les rapports des Creusois avec la pierre se

perdent sans doute dans la nuit des temps. En témoignent,

pour ne parler que de la période historique, les quelques

1400 ossaria répertoriés dans le département et, taillées

dans le granit, les figurations, parfois colossales des

dieux romanisés dont on peut voir au musée de Guéret de

multiples exemples ».

Page 104: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

104

Autre forme qui atteste ce fort lien mythique avec

la pierre, le rapport secret que les Creusois

entretiennent avec les pierres singulières,

particulièrement nombreuses dans leur région (le

recensement en a été entrepris par la revue Etimología29).

En effet il n'y a pas de village qui n'ait sa pierre

remarquable ou son chaos rocheux : mégalithes et dolmens,

pierres du mariage des oiseaux, pierres aux fées, pied de

Gargantua, pierres aux trésors... Mille récits légendaires

et mille croyances s'attachent à ces pierres dont le

pouvoir, comme celui des saints régionaux, peut être ou

non bénéfique. Ces sites attirent les touristes sans

doute, mais ils sont surtout fréquentés par les habitants

qui, de tous temps, sont venus s'y promener ou s'y

recueillir. A Boussac une femme nous confie : « Au moment

des représentations théâtrales qui avaient lieu aux

Pierres Jaumâtres, j'y montais tous les jours; ça fait

tellement de bien de monter aux Pierres Jaumâtres, quand

on est là-haut c'est formidable. Le lieu c'est magique. On

voit c'est vrai sept départements. On est bien, je ne sais

pas pourquoi... Il y a toujours du monde aux Pierres

Jaumâtres, même quand il y a de la neige. Le granit c'est

chaud, c'est vivant...» Mais, plus encore, on a toujours

attendu de certaines pierres - et la liste en est longue -

fertilité, guérison, protection... Ainsi, il n'y a pas si

longtemps, on allait étendre dans des sarcophages gallo-

romains du mont Bernage et du Gaudy, les rhumatisants et

les enfants « enchétivés » ou atteints de convulsions30.

F. Guyot, « Les pierres à légendes du Limousin », Etimología, 65-68, 1994.

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105

Et si l'histoire de la migration s'enracine sur

cette relation immémoriale à la pierre - faite tout à la

fois de techniques, de savoirs, de manipulations,

d'histoire, de croyances, de légendes - on comprend

qu'elle puisse faire une identité régionale acceptable

pour tous.

J 0 T. J o l a s , S. Pintón, Les rituels contemporains, temps de l'année, temps de la vie, Rapport pour l a Mission du Patrimoine ethnologique, 1992.

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Page 115: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

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Le vo>ûge de Martin Nadaud

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Aíí/ie efe plomb d'Antoine Roy,

1867. Coll. H. Gerbaud.

« Les ouvriers voyagent par, troupes de 4 à 12 : ces bandes, peu nombreuses au moment du départ, se rencontrent souvent en route et marchent ensemble sans se confondre ; on en a compté de réunies jusqu'à trois cents.

De Patourneaux, « De l'émigration des ouvriers

de la Creuse », 1827. « Avant les chemins de fer,

on les rencontrait par grandes ou petites bandes sur tout le territoire, et, comme ils pas­saient partout à travers champs, on s'en plaignait beau­coup. »

George Sand. « Nation », 1871.

En 1830, Martin Nadaud, âgé de 14 ans, monte à Paris en 5 étapes de 50 à 60 km cha­cune. La dernière est accom­plie à bord d'un « coucou », voiture d'occasion tirée par une haridelle.

Quand en 1847 le chemin de fer atteint Châteauroux, c'_e_st à Issoudun que s'achève lelrajet pêBestre pour les Creusois. QüärTd le chemin de fer arrive dans la Creuse. La Souterraine. Felletin. Bourganeuf. devien­nent les principales gares de départ.

Page 116: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

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Tombe de Jean Cacaud, • cimetière de Gentioux. Vue d'ensemble. Détail d'un élément. Y

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Page 122: Helene Clastres Solange Pinton - Culture

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/4 Masgot, commune de EL. Il a traduit dans le granit ses convictions — Vue d'ensemble de la maison. Fransèches. Un tailleur de pierre, François Michaud, a orné de sculptures sa mai­son et son village.

politiques et religieuses d'autodidacte,

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— Porte d'entrée flanquée des bustes de Marianne et Jules Grévy. — Fenêtre.

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te son identité à la Creusé

. A travers le centenaire de la mort de Martin Nadaud, célébré cette année, y c'est un hommage qui est rendu'à tous ceux qui, plusieurs mojs par an, quittaient la Creuse pour aller travailler à Paris, Lyon, Bordeaux ou Reims. p, :

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r • •• * r^UERET. — Dans son livre, v 3 Lectures du Limousin et de la Marche, Jean-Baptiste Perchaud fait remonter l'émi­gration creusoise au Moyen Age : « Nos aïeux ont dû édifier les admirables cathédrales, les monuments de la Renaissance comme le Louvre, les Tuileries, les châteaux de la Loire », écrit-il. Rappelant que lorsqu'il as­siégeait les protestants dans La Rochelle, Richelieu eut recours à des maçons limousins pour élever rapidement, et dans des conditions rendues très diffi­ciles par l'océan, la grande di­gue destinée à barrer la route aux vaisseaux anglais.

VAUBAN ET HAUSMANN

Perchaud évoque également la construction par des ouvriers limousins des fortifications dé­cidées par Vauban, puis, après la guerre de 1870-1871, des forts destinés à la défense de Paris, Dijon, Langres, Belfort, Epinal, Verdun.

« Ce sont eux qui, pendant le Second Empire, ont établi les voies ferrées sur le territoire français et c'est grâce à leur aide intelligente que les projets du préfet Hausmann, destinés à transformer la ville de Paris, ont pu être rapidement exé­cutés », écrit-il.

Il est certain que c'est au milieu du XV* siècle que les

'paysans des rudes.terres ac­crochées au Massif central

quittèrent leur milieu rural défa­vorisé pour aller gagner un maigre pécule qui leur permet­trait d'améliorer le quotidien des leurs.

J u s q u ' a u d é b u t d u XX' siècle, huit à dix mois par an, des hommes maîtrisant mal la langue française, suspectés dans leurs déplacements, contrôlés dans leurs tâches quotidiennes, logés dans des garnis insalubres, exécutant les travaux les plus durs, seront maçons, tailleurs de pierre, ter­rassiers, charpentiers, tuiliers,, peintres en bâtiment, dans les régions parisienne, lyonnaise, bordelaise, franc-comtoise, bourguignonne.

Vers le milieu du XIX' siècle, grâce à une meilleure instruc­tion et au prix de luttes so­ciales, ces travailleurs immigrés imposeront le respect par leur réussite. L'émigration des « maçons de la Creuse », tradi­tion longue dans la durée, origi­nale dans forme, bien canton­née aux professions du bâti­ment, a donné une identité à la Creuse et fait partie intégrante de son patrimoine.

3.000 EMIGRANTS EN 1880

Dans un numéro de La France Illustrée parue en 1881, M. de Partouneaux, ancien se­crétaire général du départe­ment de la Creuse, écrivait :

« Le. nombre des emigrants est chaque année de plus 'de trois mille, maçons, paveurs, charpentiers, tailleurs et scieurs de pierres, tuiliers, couvreurs, peintres en bâtiment, peigneurs de chanvre ou laine, scieurs'de long, etc. ; tous partent et re­viennent à des époques fixes.

Peu d'ouvriers entrent en campagne avant l'âge de 15 ans. Souvent, le père loue son fils à un maître ouvrier pour neuf mois.

Les ouvriers voyagent par troupes de quatre à douze. Ces groupes restent, autant que possible, associés dans tous leurs travaux. Le froid est le signal du retour pour ceux qui se sont mis en route au mois de mars.

Rentré dans la maison pater­nelle, le jeune ouvrier dispose des produits de son travail, se­lon sa position, relativement à la famille. S'il a des frères et que lui seul ait émigré, il remet à son père les bénéfices de sa campagne, qui sont ordinaire­ment employés dans l'intérêt de la communauté, comme compensation du travail de ses frères qui ont cultivé la pro­priété commune. Le père satis­fait avec cet argent. aux charges de la famille ou s'en sert pour acheter. quelques morceaux de terre. Mais, vers l'âge de 18 ans, les fils s'éman­cipent et se forment un pécule particulier pour devenir maîtres.

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-.x. Les ouvriers de l'arrondisse­ment d'Aubusson se dirigent

• plus spécialement vers les dé-; partements '• de' la Seine, du Rhône, de la Loire, du Cher, de la Nièvre, ' de l'Yonne, de la

"Côte-d'Or,- du Puy-de-Dôme, ' de la Vendée, de la Charente-Inférieure (NDLR : Maritime), de la Saône-et-Loire, du Jura, de l'Allier.

Ceux de l'arrondissement de Bourganeuf, vers les départe­ments de la Seine, du Rhône, de la Seine-et-Marne ; ceux de

• l'arrondissement de Boussac vers la Seine, le Cher, la Nièvre, l'Allier, le Loiret, la Saône, l'Indre ; ceux de l'arrondisse­ment de Guéret vers la Seine, le Loiret, la Seine-et-Marne, l'Yonne, le Cher, la Côte-d'Or, le Rhône, la Nièvre, l'Indre, l'Al­lier, le Loir-et-Cher, la Ven­dée ».

M. de Partouneaux indique que le bénéfice moyen de la campagne d'un maître est de 300 F et celui d'un ouvrier de 164 F; que 876 maîtres et 21.612 ouvriers ont rapporté, dans le département, pour le bénéfice d'une année, la somme de 3.872 F et 194 cen­times.

« Une telle race, travailleuse, patiente, probe, économe, mé­rite certainement l'estime, si elle n'inspire pas toujours la sympathie », conclut-il.

Paul COLMAR.

Un programme 1998 bien construit POUR 1998, l'association

« Les Maçons de la • Creuse » a construit un pro­gramme très complet pour faire connaître la figure embléma­tique de Martin Nadaud. •

Celui-ci comprend une expo­sition itinérante, retraçant en 28 panneaux la vie des maçons

'creusois et du plus célèbre d'entre eux. On la verra, à partir ' ' au jourd 'hu i et jusqu'au "•juillet, à l'hôtel de ville de 'irganeuf ; le 18 juillet, à Sar-'•Corrèze) ; du 25 au 26 juil-

VMasgot, commune de •ches ; du 27 juillet au \ à l'hôtel de ville de \ l e 1 " août, à Davignac

>; du 10 au 30 août, à ecante, à Pontarion ;

à la Fête du Livre à 31 août au 6 sep-a mairie de Ché-au 20 septembre,

à Pallier, commune de Gen-tioux ; du 24 au 31 octobre, à la salle polyvalente de Mainsat; du 26 octobre au 8 novembre, à Sainte-Feyre ; du 15 au 22 novembre à, la mairie de Saint-Vaury; du 1 " au 15 dé­cembre, à la bibliothèque René-Chatreix, à La Souter­raine ; du 19 au 30 décembre, à la mairie du 20" arrondissement de Paris; du 21 décembre au 3 janvier, à l'ancienne mairie de Felletin.

Autre volet important de ce programme, un premier cycle de conférences : « Les migrants creusois avant Martin Na­daud », par Louis Perouas; le 17 juillet, à Bénévent-l'Abbaye ; « L'idée républicaine au temps de Martin Nadaud », par Mau­rice Agulhon, le 4 août, à la mairie de Guéret ; « Quand Martin Nadaud maniait la

truelle », par Pierre Urien, le 21 août, à Pontarion ; « Le sym­bolisme dans l'architecture ru­rale», par Patrice Trapon, le 19 septembre, à Pallier, com­mune de Gentioux ; « Martin Nadaud, • ouvrier et député », par Daniel Dayen, le 28 dé­cembre, à Felletin.

Sont également prévus : — Des ' soirées lecture et

chansons autour de « Martin Nadaud. et son temps», ac­compagnées à l'accordéon et à l'orgue de barbarie : le 8 août, au Moûtier-Malcard ; le 30 oc­tobre, à la salle polyvalente de Mainsat; le 26 décembre^ à l'ancienne mairie de Felletin.

— Des randonnées-spec­tacles évoquant l'histoire des maçons de la Creuse : les 25 juillet et 15 août,' à Soubre-bost (renseignements à la mai­rie de Bourganeuf).

— La projection d'un film de 25 mn retraçant la vie de .Martin Nadaud, de la Creuse à Paris et à Londres, le 5 septembre, au cinéma Le Colbert, à Aubus-son.

— La Journée du Patri­moine, le 20 septembre, à Bourganeuf.

— La présentation du nou­veau site Internet, le 31 oc­tobre, au centre de loisirs de Sainte-Feyre. .

— Un voyage à Paris, les'18, 19 et 20 décembre, avec visite de l'Assemblée nationale, du quartier du Panthéon, • de la mairie du 20e arrondissement, etc. ; le vendredi 18 décembre. à la mairie du 20", aura heu un dîner-débat autour de Martin Nadaud, avec Daniel Dayen, et une soirée chansons avec René Bourdet (conditions et inscrip­tions auprès de l'association).

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