Chine d'autrefois, musées d'aujourd'hui; Museum...

156
Museum International U Chine d’autrefois, musées d’aujourd’hui Vol LX, n°1-2 / 237-238, Mai 2008

Transcript of Chine d'autrefois, musées d'aujourd'hui; Museum...

Museum International

U

Chine d’autrefois, musées d’aujourd’hui

Vol LX, n°1-2 / 237-238, Mai 2008

Preface

1948–2008 : MUSEUM International fete cette annee son soixantieme anniversaire.

Soixante ans de rencontres entre professionnels du patrimoine culturel et des musees

partout dans le monde, soixante ans de dialogue entre memoire, present et avenir. A

une epoque ou tout va vite, ou tout evolue et passe, le musee est un lieu de permanence

qui permet de transmettre de generation en generation les traces du genie humain, tout

en participant a l’elaboration d’une ethique mondiale fondee sur la protection du

patrimoine commun de l’humanite, naturel et culturel, materiel ou vivant. En

encourageant les debats entre disciplines, la revue MUSEUM International a, au cours

des annees, elargi sa palette editoriale mais est restee fidele au principe qui l’a vu naıtre,

c’est-a-dire offrir un espace de partage des savoirs et de la diversite culturelle a travers

les patrimoines du monde entier. Etablir des ponts de connaissances et de

reconnaissance entre les cultures : tel est le vœu que nous formons a l’occasion de ce

soixantieme anniversaire. «Passeur » de mots, de pratiques et de valeurs, MUSEUM

International temoigne que la diversite ne s’inscrit dans la duree que dans l’ouverture a

l’Autre. Cette premiere livraison de 2008, consacree a la Chine d’autrefois et aux

musees d’aujourd’hui, souhaite en etre le symbole. Symbole de la diversite des regards,

entre Occident et Orient, qui renouvelle la perception, la comprehension mais aussi les

methodes de preservation et de conservation du patrimoine. Symbole d’un espace de

parole ou le particulier des communautes chemine de concert avec l’universel. Symbole

aussi de la pluralite des langues que l’UNESCO a voulu promouvoir en lancant en 2006

la premiere version chinoise de la revue avec Yiling Press, partenaire du groupe de

presse et d’edition Phoenix.

Ce numero doit beaucoup aMmeDaniele Elisseeff, docteur en etudes extreme-

orientales, chercheur emerite a l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales,

professeur a l’Ecole du Louvre, auteur de tres nombreux ouvrages et articles relatifs a la

Chine, qui a revise l’ensemble des traductions francaises a la lumiere des originaux en

langue chinoise. L’ equipe de MUSEUM International souhaite s’associer a tous ceux

qui, dans le monde, ont une pensee pour les victimes du seisme qui a ebranle le 12 mai

2008 le sud-ouest de la Chine, et presente ses condoleances aux familles endeuillees.

Monique Couratier

REDACTRICE EN CHEF pi

4 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008

Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Editorial

Ce numero de MUSEUM International consacre a la Chine d’autrefois et aux

musees d’aujourd’hui a ete prepare a partir de contributions recentes de

personnalites eminentes expertes dans les domaines de la conservation

d’objets culturels anciens ou de la construction de musees. A partir d’une

multiplicite de points de vue, ces articles dressent un tableau des differents types de

musees et approches museologiques de la Chine moderne, des progres spectaculaires

accomplis ces dernieres annees, mais aussi des insuffisances auxquelles il conviendra

de remedier. La publication de ce numero est l’occasion d’un echange professionnel

precieux entre experts chinois et occidentaux en museologie, ainsi que d’un dialogue

particulierement fecond entre differentes cultures du monde. Le but n’est pas seulement

de faire mieux comprendre les musees chinois aux museologues occidentaux mais aussi

d’inciter les musees de Chine a faire mieux encore.

La Chine, l’une des grandes civilisations anciennes, est riche d’histoire et de

culture. La collecte et l’etude des objets d’art antiques du pays et le developpement des

premiers musees – qu’a l’epoque on appelait d’ordinaire «cabinets de curiosites» –

remontent a la fin du XVe et au debut du XVIe siecle. Sous les dynasties Song du Nord

et du Sud (976 – 1279), l’etude des inscriptions gravees dans le bronze et la pierre

ainsi que la conservation des objets d’art avaient atteint un haut niveau. Cependant,

les musees publics au vrai sens du terme n’apparurent en Chine qu’a l’initiative de

pionniers de la culture largement influences par la culture occidentale, pendant la

periode premoderne (de la derniere periode Qing jusqu’a 1919 environ). Apres la

guerre sino-britannique de l’opium (1840), la Chine se trouva reduite au statut

de societe semi-coloniale et semi-feodale. Des institutions religieuses venues d’Occident

ainsi que des ecclesiastiques agissant individuellement furent nombreux a fonder les

premiers musees dans les villes du littoral du pays. L’un des plus importants de ces

fondateurs fut le jesuite francais Pierre-Marie Heude, qui fut a l’origine du Museum de

Zi-Ka-Wei (par la suite appele Musee Heude) de Shanghai. La Royal Asiatic Society of

Great Britain and Ireland (RAS) crea, pour sa part, le Musee de la RAS (qui porte

maintenant le nom de Musee d’histoire naturelle de Shanghai). Par la suite, d’autres

ecclesiastiques du Royaume-Uni, de France, des Etats-Unis d’Amerique et du Japon

firent batir des musees a Tianjin, Taipei, Chengdu et Jinan, ou l’essentiel des collections

concernait surtout des specimens de plantes ou d’animaux – et, dans une bien moindre

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 5Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

mesure, des objets culturels. En 1876, l’elite chinoise ouvrit le premier musee

public, sous le parrainage du College imperial Tung Wen de Beijing. Puis, en 1877,

ce fut la creation d’un studio de ferronnerie au sein de l’Ecole polytechnique de

Shanghai, dont l’objectif affiche etait la promotion de la science et de la technologie

occidentales. Telles furent, en Chine, les tout-debuts des musees.

Des politiques nouvelles, puis le mouvement de reforme des Cent jours a la

fin de la periode Qing (au commencement du XXe siecle, avant la chute de la dynastie

Qing) amenerent des fonctionnaires reformateurs a adresser des requetes a la Cour,

demandant que la Chine puisse construire ses propres musees. Plusieurs institutions

virent ainsi le jour. En 1905, Zhang Jian (1853–1926), eminent universitaire, industriel

et pedagogue de la fin de l’epoque Qing, fonda le Musee de Nantong sur le site de l’ancien

jardin botanique public de l’Ecole normale du Jiangsu. Ce fut la le premier musee

veritablement moderne fonde directement par un specialiste chinois, inspire certes de la

culture occidentale mais aussi du desir courageux de mettre en place un systeme museal

dote de caracteristiques chinoises. Ses methodes de gestion et son mode de

fonctionnement integrateur (conjuguant histoire, nature et art) exercerent une influence

profonde sur les autres musees qui allaient ensuite s’ouvrir dans tout le pays.

Les musees ont connu au cours des cent dernieres annees toutes sortes de

vicissitudes. La Republique de Chine vit la creation du Musee d’histoire naturelle de

Beijing. En meme temps, des efforts allaient etre faits pour obtenir que les objets

culturels du Musee du palais puissent etre exposes au public. La transformation de la

Cite interdite en Musee du palais fut un evenement revolutionnaire, que retrace ici en

detail Guo Changhong dans son article « Le palais imperial des Qing : de la Cite

interdite au patrimoine public ». L’archeologie moderne ayant vu le jour en Chine au

cours des annees 1930, des specialistes menerent sur le terrain des travaux qui

produisirent des resultats satisfaisants, successivement dans le village de Xiyin

(province du Shanxi), a Chengziya (province du Shandong) et dans les ruines Yin

d’Anyang (province du Henan). Ces expeditions se traduisirent par la creation de

nouveaux musees consacres a la Chine ancienne. En 1936, le nombre des musees, dans

l’ensemble du pays, atteignait soixante-dix-sept. Les musees provinciaux et municipaux

connurent une expansion considerable a Beijing, Nanjing, Shandong et dans le Henan.

Cependant, au moment meme ou les musees commencaient a prosperer, le regime

militariste japonais lanca contre la Chine des invasions armees, sapant ainsi le

developpement, qui s’annoncait prometteur, des musees chinois. En 1949, lors de la

fondation de la Republique populaire de Chine, le nombre des musees de la Chine

ancienne rescapes n’etait plus que de vingt-quatre.

Editorial

6 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Actuellement, a l’heure ou le pays s’ouvre de plus de plus sur le monde

exterieur et ou les reformes s’intensifient, le nombre et la qualite des musees et lieux de

memoire dans l’ensemble du pays progressent a un rythme sans precedent. En 2007,

la Chine comptait plus de 2 400 musees. Dans diverses municipalites, provinces

et regions autonomes, de nombreux musees neufs ou renoves, dotes d’installations

modernes, ont vu le jour. Cette situation est remarquable a differents points de vue.

Tout d’abord, le nombre et la variete des musees ont considerablement

augmente, rendant ainsi possible l’apparition d’un systeme museal specifiquement

chinois. Depuis l’ouverture et la reforme du pays, les sources de mecenat se sont

diversifiees. En plus des musees d’histoire sociale fondes par les services des affaires

culturelles et les services de gestion des antiquites au niveau des municipalites et des

provinces (ou des regions autonomes) ou au niveau national, les musees d’histoire

sociale fondes tant par des professionnels que par des non-professionnels se sont

developpes a pas de geant. Des musees specialises dans des domaines aussi divers

que l’histoire naturelle, la science et la technologie, l’astronomie, la geologie,

l’aeronautique, l’astronautique, les services postaux, la correspondance, l’industrie

houillere, l’hydrologie, la construction des chemins de fer, les communications, la soie,

le textile, l’impression et la teinture sur etoffes, les tissus, le tabac et le the ont ete

fondes par des autorites professionnelles competentes. Etudiant le role de la

vulgarisation scientifique dans la promotion du developpement durable, Dong

Yuqin donne au lecteur une idee de la situation actuelle des musees d’histoire

naturelle de Chine, ainsi que des perspectives de developpement de ces musees

pour l’avenir.

Deux articles traitent de la convergence des anciennes cultures Ba, Shu et Xhu,

qui ont prospere sous la dynastie Chang dans la region des Trois Gorges : « Le Musee

de Yinxu : de superbes vestiges pour expliquer la culture des Yin-Shang » de Tang

Jigen, et «Les vestiges culturels des Trois Gorges», de Wang Chuanping. Le premier

article concerne le site de fouilles d’Anyang, dans la province du Henan, et le second les

vestiges exhumes sur le site de construction du barrage hydraulique des Trois Gorges.

Ces trente dernieres annees, le nombre de musees ouverts dans des batiments

anciens ou d’anciennes residences de personnages celebres, ainsi que de memoriaux

rappelant le souvenir d’importants evenements historiques, a augmente. Banques,

bourses et services de securite publique ont eux aussi fonde leurs musees specialises.

On notera en particulier que, depuis la creation du premier ecomusee en octobre 1997

a Suoga, dans la zone economique speciale de Liuzhi dans la province du Guizhou,

Editorial

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 7

d’autres ecomusees consacres aux cultures Buyi, Dong et Shui ainsi qu’aux nations

Miao ont ete construits a Huaxi, Liping, Jinping, Sandu et Xijiang, dans le cadre d’une

cooperation entre la Chine et la Norvege. Les provinces du Guangxi et du Yunnan et la

region autonome de la Mongolie-Interieure ont depuis fait construire des ecomusees ou

ecovillages qui illustrent les cultures dong et mongole. L’article intitule «Le concept

d’ecomusee et son application en Chine», du museologue de renom Su Donghai,

presente un expose circonstancie de la maniere dont le concept d’ecomusee a fait

son apparition en Chine et de l’essor que connaissent les ecomusees. Des musees prives

ont egalement vu le jour et se developpent vigoureusement, et leurs activites

de collectionnement prive et de recherche jouent un role irremplacable. Dans

« Le developpement des musees prives en Chine », Song Xiangguang se livre a une

analyse objective de ce phenomene. Bref, les musees chinois sont actuellement en pleine

expansion : les musees nationaux representent l’avancee d’un avion dont le fuselage et

les ailes sont les musees geres par differents secteurs professionnels ou differentes

municipalites, provinces ou regions autonomes, l’accent etant mis a egalite sur le

developpement des musees axes sur les sciences sociales et des musees consacres aux

sciences exactes et naturelles. Cet ensemble de musees, complete encore par ceux des

districts et des villes, constitue ainsi un reseau de musees specifique a la Chine. A notre

avis, il y a la quelque chose d’unique dont il faut se feliciter.

Deuxiemement, on s’efforce de developper l’organisation d’expositions de

grande qualite, de facon a ce que les musees s’acquittent au mieux de leur fonction

sociale et educative du public. Les musees renferment l’histoire de la civilisation

humaine; ils diffusent le savoir, elevent le niveau culturel du pays, developpent le gout

esthetique des visiteurs et ameliorent la sante mentale et physique des populations.

Il appartient aux musees de prendre le pouls de leur epoque, et d’assurer un haut

niveau d’excellence de leurs expositions. A la satisfaction generale, l’administration

d’Etat pour le patrimoine culturel (SACH) a, entre 1997 et 2007, constitue

successivement sept jurys populaires charges d’evaluer un large eventail d’expositions

presentees dans l’ensemble du pays. Les expositions recompensees par un prix

portent sur des themes specifiques ou illustrent la science et la technologie en faisant

appel a des methodes sophistiquees ou novatrices. Elles donnent le ton general de

l’education publique telle que les expositions la promeuvent dans les musees chinois

contemporains.

Shanghai, dont la reputation de metropole internationale n’est plus a faire, reste

a l’avant-garde de l’ouverture et de la reforme en Chine. La contribution de Chen

Xiejun intitulee « Preserver la diversite du patrimoine culturel de Shanghai » cherche a

Editorial

8 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

montrer que le Musee de Shanghai a deploye beaucoup d’efforts pour ameliorer trois

de ses fonctions principales : la preservation, en s’appuyant sur les technologies

nouvelles, la recherche, en tirant parti de l’erudition qui est un des atouts de ce musee,

et l’education, dont le but est le progres global de la societe des temps modernes.

Troisiemement, des representations du patrimoine culturel immateriel ont ete

preservees pour elargir les fonctions des musees et enrichir les collections exposees

ainsi que la recherche scientifique. L’UNESCO et le Conseil international des musees

(ICOM) ne cessent de se preoccuper de la protection du patrimoine culturel

immateriel. Celui-ci incarne les valeurs et les gouts esthetiques tels qu’ils ont evolue au

cours de la longue histoire de la Chine, en permettant a sa culture de survivre et de se

perpetuer, de generation en generation. Recemment, des musees du theatre ont ete

fondes, qui non seulement contribuent a faire comprendre aux populations l’arriere-

plan historique des differentes formes de l’opera chinois traditionnel mais aussi

presentent des spectacles vivants. Dans leur article « Un plan de sauvegarde de

l’Academie de kunqu de la province du Jiangsu », Gu Lingsen et Wang Tingxin etudient

en profondeur ce phenomene, en s’appuyant plus particulierement sur la reussite

exemplaire de la troupe de la province du Jiangsu.

Quatriemement, une attention particuliere a ete accordee a la formation du

personnel des musees, de maniere a renforcer le professionnalisme et a permettre un

progres continu des theories comme de la pratique de la museologie en Chine. Les

autorites responsables de l’education ont inscrit dans leurs plans la formation de

professionnels des musees. Dans les universites ou les conditions sont reunies,

la museologie est devenue une discipline a part entiere. En meme temps, les services

de gestion du patrimoine culturel, conjointement avec les universites et d’autres

institutions d’enseignement superieur, proposent des stages de formation pour

repondre au besoin accru de professionnels qualifies lie au developpement des musees.

Parallelement, des ressources intellectuelles sont mobilisees pour produire des manuels

de museologie ou les actes de colloques organises par la SACH, la Societe chinoise des

musees (CSM), ainsi que les services du patrimoine culturel et les societes de

museologie aux niveaux municipal et provincial, l’objectif etant d’encourager les

echanges entre universitaires notamment. Toutes ces initiatives ont grandement

contribue tant a ameliorer le professionnalisme du personnel des musees que son

interet pour la theorie et la pratique museologiques.

Cinquiemement, les echanges ont favorise une meilleure comprehension

mutuelle entre specialistes chinois et etrangers. La politique de reforme et d’ouverture

Editorial

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 9

adoptee en 1978 a permis aux musees chinois de s’integrer rapidement dans la

communaute museale mondiale. Le premier signe en a ete une augmentation de la

demande d’expositions chinoises a l’etranger. Au cours des trois dernieres decennies, la

Chine a presente plus de 500 expositions, dans plus de vingt pays, et accueilli dans les

musees de ses grandes villes, depuis une dizaine d’annees, de nombreuses expositions

d’art etrangeres – du Royaume-Uni, d’Italie, de Grece, de France, du Japon, du Mexique

ou encore du Bresil. L’article de Wang Limei, « Le Musee d’art mondial de Beijing au

Monument du millenaire », suscitera, sans nul doute, un enorme interet dans le secteur

du patrimoine culturel, et devrait permettre a de nombreux musees d’explorer de

nouveaux possibles.

Cette situation encourageante a ete favorisee par les nouvelles politiques

d’emancipation ideologique, de pragmatisme, d’ouverture et de reforme mises en œuvre

par le Gouvernement afin que la Chine ne se laisse pas distancer par son epoque. Elle

est d’autre part indissociable de la croissance economique a la fois rapide et reguliere

qu’a connue le pays et d’une stricte application de la loi en matiere de biens culturels.

Les « lois sur la protection des vestiges culturels de la Republique populaire de Chine »,

officiellement publiees en 2002 apres avoir ete soigneusement revisees par la

Commission permanente du Congres national du peuple, offrent une solide garantie

pour le developpement des musees. Les mesures portant sur l’administration des

musees, actuellement en voie d’elaboration, joueront certainement un role encore plus

important, en instaurant pour l’avenir, apres approbation du Conseil d’Etat, des modes

de fonctionnement plus scientifiques, plus normalises et plus institutionnalises.

Le Gouvernement chinois a arrete que courant 2008 tous les musees et lieux de

memoire nationaux seraient consideres comme des etablissements culturels a but non

lucratif et, comme tels, ouverts au public gratuitement. Passionnante a lire, l’etude de

Cai Qin sur « L’acces aux musees en Chine » a ete ecrite par ce museologue du Musee

provincial du Zhejiang avant l’arrete en question.

Les musees representent l’ensemble du capital culturel accumule par un pays,

une region ou une nation; ce sont des vecteurs du patrimoine culturel de l’humanite,

et une vitrine du progres social en general. En consequence, la presentation au public

ainsi que la promotion de ce qu’il y a de mieux dans la culture humaine sont, pour les

musees, une mission sacree. Malgre le developpement rapide qu’ont connu les musees

chinois au cours des dernieres decennies, des progres restent encore a faire, que ce soit

en matiere d’acquisitions, d’etude des collections, de service a la societe ou de gestion,

par rapport a leurs homologues occidentaux plus avances. Le vœu de l’ICOM que le

Editorial

10 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

musee ne soit pas seulement un lieu de depot du patrimoine culturel, mais aussi

un espace de creation et de transmission de ce patrimoine, reste a venir. Mais la

publication de ce double numero de MUSEUM International sur la Chine constitue un

jalon dans cette direction.

Zhang Wenbin

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION

Editorial

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 11

1. Le Stade national en construction appele le « Nid d’oiseau » abritera les Jeux olympipues de Beijing.

ªX

inh

ua

1

12 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Les musees et la protection dupatrimoine vivantpar Pan Shouyong

Pan Shouyong, professeur d’anthropologie et de museologie a l’Universite centrale pour les

minorites, est titulaire d’un doctorat d’etude des minorites nationales (anthropologie).

Chercheur au Musee des minorites nationales, il est un membre preeminent du Comite

national de planification des ecomusees chinois. Il a ete charge precedemment de la strategie

de conservation pour la protection culturelle des traditions des minorites du district de Ku,

dans la region des Trois Gorges, de la mission de sauvegarde des vestiges culturels des

minorites nationales chinoises, ainsi que de la conservation a grande echelle du patrimoine

culturel. Parmi ses articles les plus recents figurent « Les tresors nationaux du siecle – II »

(redacteur en chef, 2005), « La situation de la recherche dans le developpement des musees

occidentaux » (redacteur en chef, 2005) et « L’ecomusee en tant que miroir » (2007).

La Chine est dotee d’un patrimoine culturel

extremement riche. Les prerogatives de l’Etat

moderne ont suffi a lui permettre d’assumer

l’entiere responsabilite de la conservation de ce

patrimoine. Cependant, son developpement

economique est inegal en ce que certaines regions

sont marquees par une croissance plus forte que

d’autres. Dans les regions occidentales, ou la

culture immaterielle est relativement riche, les

transports sont peu nombreux et le developpement

economique relativement lent. La difficulte a

laquelle sont actuellement confrontees ces regions

est que l’objectif premier, qui etait de creer des

conditions favorables a la protection des ressources

culturelles des minorites nationales, doit a present

etre ajuste en fonction de leur environnement; en

outre, la modernisation fait qu’il est impossible de

ralentir la vitesse du changement ou d’eviter les

violents assauts des cultures exterieures. Les

traditions orales (telles que les langues des

minorites nationales), le patrimoine litteraire

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 13Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

(notamment les classiques et les manuscrits

originaux rediges dans les caracteres propres a telle

ou telle minorite nationale), les metiers manuels

(travaux de construction, confection de vetements

traditionnels, fabrication de bijoux et artisanat), les

coutumes, les rites, les ceremonies, les fetes et

meme le boire et le manger n’ont pas reussi a

resister a l’alteration et sont maintenant menaces

d’une extinction extremement rapide.

Cela fait maintenant plus de cent ans que la

Chine dispose de musees. Les idees et les theories

concernant la museologie et les techniques

museographiques ont toutes progressivement

evolue. Le pays compte aujourd’hui plus de 40 000

specialistes travaillant dans des musees. Ils peuvent

tous contribuer a la protection et a la diffusion

des aspects immateriels, ou vivants, de notre

patrimoine qui, a l’instar de ses elements materiels,

revetent des formes tres diverses; aussi les

methodes et les mesures techniques requises

appellent-elles une reflexion collective en

profondeur.

Proteger le patrimoine culturel immateriel : mettre

la Chine au rythme du monde

Dans la langue chinoise, « patrimoine immateriel »

peut aussi se dire « patrimoine sans forme ». Cette

expression largement chargee de connotations

taoıstes et bouddhiques qui ne sont plus forcement

percues dans le langage courant actuel provient de

la traduction d’une expression japonaise, « bien

culturel sans forme », tandis que celle de

« patrimoine immateriel » est une traduction

directe de l’anglais « intangible heritage ». En raison

de l’utilisation recurrente des termes de

« patrimoine immateriel » dans les publications et

rapports officiels, l’expression « patrimoine sans

forme » a progressivement ete abandonnee.

Nombre d’universitaires chinois estiment que,

quels que soient les phenomenes specifiques

auxquels s’applique chacune de ces etiquettes,

differentes pratiques montrent que la Chine

possede une tradition relativement longue en la

matiere. La consignation des coutumes locales

dans des documents soigneusement conserves

remonte a des temps tres recules. Admettre ce

point, c’est reconnaıtre aussi que la collecte et

l’organisation systematique de documents

decrivant la vie des populations – notre patrimoine

immateriel – doivent avoir commence a l’epoque

du Livre des Odes.1 C’est au moment ou l’historien

Ban Gu ( : un historien de l’epoque des Han,

bien connu, vivant de 32 a 92) se lance dans la

compilation du Hanshu (L’Histoire des Han)2

qu’apparaıt le terme de « coutumes ». Quelque

temps auparavant (53 avant J.-C.–18 apres J.-C.),

le philologue Yang Xiong ( ) acheve son traite

sur les dialectes, le Fangyan (un recueil

d’expressions regionales). Cependant, ce

mouvement d’interet pour les « coutumes » n’a

ªP

anS

hou

yon

g

2

2. Celebration de la fete du Printemps : un theatre populaire itinerant

dans le Nord de la Chine.

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

14 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

rien de commun avec la demarche actuelle de

preservation du patrimoine immateriel.

Dans le contexte actuel de la

mondialisation, la conservation de cette forme de

patrimoine est un des grands facteurs

d’elargissement et d’enrichissement de la notion de

patrimoine culturel. La definition des « ‘‘Principes

et directives pour la protection du patrimoine des

populations autochtones’’ (Nations Unies) inclut

dans ce patrimoine, entre autres, le savoir dont la

nature et ⁄ ou l’usage ont ete transmis de generation

en generation, les œuvres litteraires et artistiques

qui pourraient etre creees a l’avenir ainsi que la

musique, la danse, les chants, les ceremonies, les

symboles et les formes, les recits et la poesie; s’y

ajoutent aussi toutes les sortes de connaissances

scientifiques, agronomiques, techniques et

ecologiques, y compris la taxinomie, les remedes

et l’usage rationnel de la flore et de la faune »

(UNESCO, 2000). Cependant, le debat sur ces

notions s’est poursuivi a un rythme soutenu dans le

monde universitaire. En 2003, afin de renforcer les

legislations destinees a proteger cette forme de

patrimoine au niveau mondial, l’UNESCO a adopte

la Convention pour la sauvegarde du patrimoine

culturel immateriel dans laquelle l’expression

originale de « patrimoine oral et immateriel » a ete

simplifiee et remplacee par celle de « patrimoine

culturel immateriel ».

La Chine est un acteur enthousiaste et de

premier plan de la preservation du « patrimoine

culturel immateriel ». Des 2001, le Ministere de la

culture avait organise un colloque international sur

la conservation des cultures populaires

traditionnelles des minorites nationales, et invite

des representants des autorites nationales et

regionales, ainsi que des etudiants de plus de trente

pays dont l’Allemagne, l’Egypte, le Japon et le

Bresil, a y participer et a debattre de la protection

des cultures populaires. Il y presenta parallelement

un ensemble de projets de « Lois pour la protection

des cultures populaires des minorites nationales

chinoises ». La meme annee, « l’opera kunqu

chinois »3 fut proclame par l’UNESCO « chef-

d’œuvre du patrimoine oral et immateriel de

l’humanite », ce qui a fait grandement progresser

les recherches sur le patrimoine immateriel

national chinois ainsi que les etudes et les projets

tendant a sa conservation. Tres rapidement, a la

suite des projets proposes tant par les bureaux

locaux que par le Gouvernement central, un

Centre de la protection du patrimoine immateriel

national, charge de passer au crible les elements

representatifs du patrimoine immateriel, a vu le

jour. Dans le meme temps, un organisme de

culture populaire, l’Association des artistes

populaires chinois, lancait un plan de sauvetage de

la culture populaire chinoise. Simultanement, des

universites, dont celles de Beijing, Nanjing,

Guangzhou, Kunming, etc., incorporaient a leurs

programmes des cours sur le « patrimoine culturel

populaire » ou le « patrimoine immateriel ». En

outre, l’Universite du Yunnan creait un Musee

d’anthropologie et suggerait la constitution d’un

« Ecovillage des minorites nationales du Yunnan ».

Ce sont, on le voit, les institutions culturelles et

educatives bien plus que les musees qui ont,

presque toujours, l’initiative des projets.

Lors de la septieme Assemblee regionale

de l’Organisation Asie-Pacifique du Conseil

international des musees (ICOM-ASPAC),

organisee a Shanghai en octobre 2002 sur le

theme « Musees, patrimoine immateriel et

Les musees et la protection du patrimoine vivantPan Shouyong

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 15

mondialisation », fut signee la Charte de

Shanghai.4 Ce texte montrait clairement que la

notion de patrimoine, qui n’englobait jusqu’alors

que des elements materiels, s’etendait desormais

au patrimoine immateriel; il affirmait en outre

clairement le role que les musees etaient appeles

a jouer, en developpant la protection de tout

patrimoine anthropologique immateriel et en

agissant en partenariat pour le promouvoir. Selon

la Charte de Shanghai, le patrimoine culturel

immateriel est une affirmation de la creativite, de

l’adaptabilite et de la specificite des peuples,

communautes et territoires ainsi que des valeurs,

traditions et modes de vie, langues et histoire

orale qui leur sont propres et, comme tels,

doivent etre reconnus et promus dans toutes les

pratiques museales ou patrimoniales. L’Assemblee

de Shanghai a permis aux musees de la region

Asie-Pacifique de bien assimiler cette notion. En

octobre 2004, lorsque la vingtieme Conference

generale du Conseil international des musees se

tint a Seoul, le principal sujet des debats fut

« Musees et patrimoine immateriel ». Il est

clairement apparu que les opinions developpees

dans le monde museal de la region Asie-Pacifique

et celles du monde museal international dans son

ensemble etaient en accord, meme si la situation

actuelle de la Chine reste un defi pour la

communaute internationale.

La Chine a ratifie la Convention pour

la protection du patrimoine mondial, culturel et

naturel en decembre 1985. Au debut de 1987, six

sites d’une beaute exceptionnelle ont ete inscrits

sur la Liste du patrimoine mondial. La Chine est

desormais un pays relativement riche en biens ainsi

repertories, avec vingt-cinq sites du patrimoine

culturel, six sites du patrimoine naturel, quatre

sites mixtes (patrimoines culturel et naturel), ce

qui porte le total a trente-cinq biens repertories. En

outre, soixante-sept biens figurent sur la liste

indicative, dans l’attente des verifications

necessaires pour qu’ils puissent etre portes sur la

Liste du patrimoine mondial. Par ailleurs, a ce jour,

les experts chinois ont repertorie quatre elements

representatifs du patrimoine anthropologique, oral

ou immateriel. Outre l’opera kunqu, on citera

des instruments de musique anciens comme le

guqin (cithare longue), le mukmu des populations

ouıgour du Xingiang, ainsi que les melopees

populaires traditionnelles de Mongolie-Interieure.

Peut-on mettre en chiffres le patrimoine

immateriel de la Chine ?

La Chine est un pays dote d’une histoire

multiethnique tres ancienne. Les Han mis a part,

elle compte cinquante-cinq minorites nationales,

dont chacune comporte une multitude de sous-

groupes. Les langues et les coutumes des Miao, par

exemple, peuvent etre subdivisees en plus de 100

varietes. Les Han eux-memes pratiquent plus de

sept langues regionales differentes. Chaque

minorite a un environnement geographique, un

mode de vie et des traditions historiques differents.

Le patrimoine immateriel etant si varie, ses aspects

culturels relevent a l’heure actuelle de cinq

administrations distinctes. Une expression

chinoise resume bien la situation : « Apres cinq

kilometres, le paysage est different; apres dix

kilometres, les coutumes ont change.»

Quelle part du patrimoine immateriel

chinois a besoin d’etre sauvegardee et protegee ?

Il est difficile de repondre a cette question. Pour

faire l’etat des lieux, les administrations ont

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

16 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

publie en mars 2005 un reglement intitule « Pour

renforcer la protection du patrimoine immateriel

chinois ». Ces prescriptions analysent differents

aspects des travaux de conservation du

patrimoine menes sur le terrain et precisent les

objectifs, principes ou mesures a adopter. Le

Ministere de la culture a publie des

nomenclatures de biens a classer comme faisant

partie du patrimoine immateriel de la Chine, en

specifiant qu’ils devaient etre consignes avec

precision dans les listes etablies au niveau de la

nation, de la province, de la municipalite et du

district. En 2006, le tout premier inventaire

national des biens du patrimoine culturel

immateriel a ete publie, recensant 518 biens. Ces

518 entrees etaient elles-memes subdivisees en

dix categories. Trente et un biens etaient places

dans la categorie « culture populaire », soixante-

douze dans la categorie « musique populaire »,

quarante et un dans la categorie « danse »,

quatre-vingt-douze dans la categorie « theatre

traditionnel », quarante-six dans la categorie

« poesie », dix-sept dans la categorie « acrobatie

et athletisme », cinquante et un dans la categorie

« beaux-arts », quatre-vingt-neuf dans la

categorie « artisanats traditionnels », neuf dans la

categorie « medecine traditionnelle » et soixante-

dix dans la categorie « coutumes locales » (fetes

et celebrations). Les minorites nationales etaient a

l’origine de 146 de ces entrees. On espere qu’a la

fin de 2008 un tableau relativement fidele de la

situation du patrimoine immateriel de la Chine

aura ete brosse et que l’inventaire sera acheve.

Une fois realises les inventaires des biens

du patrimoine national immateriel, le Musee

national de Chine a organise a Beijing une grande

« Exposition du patrimoine culturel immateriel

national » en vue de sensibiliser et d’eduquer le

public. Cette exposition a declenche a l’epoque un

violent debat : aux termes du reglement, les

differentes unites devaient rendre compte du

patrimoine immateriel aux autorites provinciales.

Or les comptes rendus correspondants ont revele

un manque de coherence entre les provinces,

certaines affirmant que leur patrimoine etait

« confisque » par d’autres.

Dans les inventaires les plus recents du

patrimoine immateriel national, nombre de biens

ont ete regroupes; c’est le cas pour des fleurons

de la musique populaire, comme ceux de

Lianhuashan, Erlangshan, Laodieshan, les chants

des minorites Tu de Danma, Qilisi, Qutansi ou

encore ceux des minorites Hui (musulmanes) du

Ningxia. Si les candidatures correspondantes

avaient ete prises en compte separement, le

premier registre du patrimoine culturel immateriel

national comprendrait 640 œuvres au lieu de 518.

Une analyse du contenu de chaque entree

montre que, si l’on tient compte des connotations,

des formes et des schemas de repartition, c’est 9 000

elements que l’on peut denombrer. Certains d’entre

eux s’etendent sur une region relativement vaste.

C’est le cas de l’epopee de Gesar, qui est repandue

dans les sept regions ou provinces – Tibet, Qinghai,

Gansu, Sichuan, Yunnan, Mongolie-Interieure

et Xinjiang – soit un dixieme de l’ensemble du

territoire chinois ! En outre, des fetes comme la fete

du Printemps, les fetes correspondant aux vingt-

quatre termes solaires, la fete de fin d’annee, et

d’autres encore, sont celebrees a travers toute la

Chine et exercent une influence dans toute l’Asie

Orientale. Elles presentent des caracteristiques

particulieres qui n’ont pas de limites geographiques

Les musees et la protection du patrimoine vivantPan Shouyong

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 17

determinees. C’est dire combien il serait difficile de

mettre en place des mesures de conservation

efficaces pour ces fetes.

La perte de notre patrimoine immateriel

En 1984, lorsque la Chine s’engagea resolument

dans la reforme et l’ouverture, l’un des elements de

la nouvelle politique consistait a faire de certaines

villes cotieres comme Shenzhen des « zones

economiques speciales » faisant fonction de

« portes du pays »; en outre, l’ensemble de la

Chine devait commencer a « faire un pas vers le

monde ». (A l’epoque, un editeur avait ete eleve au

rang de « heros culturel » pour avoir publie une

serie d’ouvrages intitulee Aller en direction du

monde). Un certain nombre d’idees commencerent

a circuler et diverses approches culturelles

nouvelles a etre appliquees dans differentes regions

du pays. Avec l’avenement du tourisme et des

loisirs, la municipalite de Shenzhen construisit

deux grands parcs publics, qui constituerent a la

fois des fenetres sur le monde et des villages

culturels avec presentation de coutumes populaires

chinoises. De meme, des « villages de minorites

nationales » virent le jour ensuite dans toute la

Chine, les premiers a avoir ete crees etant le village

des minorites nationales du Yunnan a Kunming,

le parc des minorites nationales chinoises de

Beijing, le village des Huaqiao (les Chinois de

l’etranger) de Xinglong, sur l’ıle de Hainan, la cite

du soleil et de la lune de Chengdu et le Palais

d’ete de Shenyang.

Certains des plus importants de ces villages

remporterent un enorme succes economique, et il

ne fallut pas longtemps pour que l’« exploitation

commerciale » de la culture populaire des minorites

nationales s’impose. Toutes sortes de manifestations

– « marches d’antiquites », « foires aux curiosites »,

etc. – virent le jour dans chaque district, et de

petits negociants commencerent a arpenter les rues

et les ruelles a la recherche d’objets a acheter, au

point que l’on vit apparaıtre des expressions

surprenantes, telles que « Qui veut s’enrichir pille

une tombe.» Dans les annees 1990, la tendance s’est

ralentie. Le personnel des musees avait du mal a y

croire : en a peine plus de dix ans, notre patrimoine

immateriel avait subi de lourdes pertes; ainsi des

vetements et bijoux de la minorite Miao devinrent-

ils des marchandises vendues au plus offrant.

Traditionnellement, les musees etaient

des centres d’etude du patrimoine materiel, et

attachaient peu d’importance au patrimoine

immateriel. Certains commerces exploiterent des

personnes credules a des fins malhonnetes, ne

cherchant qu’a amasser des profits, au mepris des

lois sur le patrimoine culturel et sur les territoires

autochtones, ou des principes relatifs a

l’exportation de biens culturels hors de leur region

d’origine. Ainsi, dans certains villages de minorites

nationales qui avaient ete designes comme lieux de

protection et de diffusion du patrimoine culturel

immateriel, et dans des villages traditionnels

censes repondre aux besoins du grand public, des

« fetes et ceremonies vivantes » ont ete organisees;

dans le cadre d’un festival de quatre a neuf mois, la

« fete de l’Eau » ou la « ceremonie Chengding »

etaient programmees quatre fois par jour, sous

l’etiquette de « theatre Xi » (la « fete de l’Eau »

etant rebaptisee « battre son mari avec de l’eau »).

C’etait la une forme de vol culturel. Ces

manifestations, outre qu’elles donnaient une image

fausse de la culture au grand public, offensaient

gravement ses praticiens.

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

18 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Comment les musees peuvent-ils proteger

le patrimoine immateriel ?

A l’heure actuelle, la Chine peut s’enorgueillir de

compter plus de 2 300 musees de differents types.

De ces etablissements, 70 % sont des musees de

petite ou moyenne dimension situes dans des villes

de meme taille. Bon nombre de ces musees

disposent de personnel travaillant a la fois pour les

bureaux de l’administration culturelle, de la

protection du patrimoine ou pour ceux charges

des activites relatives au patrimoine immateriel.

Le 18 mai 2005, lors de la premiere Journee

internationale des musees (qui avait pour theme

« Musees et patrimoine immateriel »), le directeur

adjoint du Musee du Palais imperial de Beijing, Li

Wenru, dans une interview donnee a Technology

Daily, expliquait que la notion de patrimoine

immateriel s’etait bien enracinee en Chine et qu’elle

rencontrait un large succes et un accueil

enthousiaste dans les musees chinois. Mais pour

quelle raison proteger notre patrimoine immateriel ?

A n’en pas douter, parce que nous avons garde des

traces des evolutions anthropologiques de notre

riche passe. Les musees devraient etre des organes de

protection, de preservation, d’etude et de

presentation de notre patrimoine culturel qu’ils ont

de surcroıt le devoir de proteger.

La question des moyens necessaires pour

faire vivre le patrimoine immateriel chinois dans les

musees doit faire l’objet d’un debat approfondi,

qui aborde des aspects divers tels que ceux-ci :

la participation des musees petits et moyens aux

enquetes dans les regions autochtones et

l’incorporation d’images et de textes dans tous les

repertoires de ce patrimoine en vue de la

constitution de dossiers complets; la coordination

par les musees des fetes regionales (fete du

Printemps, etc.), des expositions et des

presentations dans les musees (y compris des

expositions itinerantes) etant mises a profit pour

diffuser le patrimoine immateriel. Parmi les sujets a

aborder, citons : le recours a la methode du

« musee virtuel » pour realiser des enregistrements

numeriques de toutes les formes du patrimoine

immateriel des regions, de maniere a les rendre

accessibles au grand public; l’ouverture par certains

musees des minorites nationales de jardins

publics et d’espaces en plein air a l’intention des

interpretes des arts populaires traditionnels qui

pourraient ainsi faire partie des programmes

vivants du musee; la mise en place de vingt-deux

ecomusees pour la preservation complete de notre

patrimoine materiel et immateriel.

La Chine a commence a travailler sur le

concept d’ecomusee a partir de 1985; dix ans plus

tard, en 1995, le premier etablissement de ce type

commencait a se mettre en place au Guizhou.

Aujourd’hui, la Chine dispose de vingt-deux

ecomusees apprecies par la majorite du public qui

estime que ceux-ci contribuent a la protection de la

culture des minorites nationales. Les principes qui

sont a la base de ces musees stipulent que les

villageois sont maıtres de leur culture, qu’ils ont le

droit d’interpreter, et insistent sur le fait que le

sens et la richesse inherents a chacune de ces

cultures doivent etre compatibles avec les valeurs

de l’humanite. En outre, la participation de la

population est indispensable, car les ecomusees

doivent etre geres conformement au modele

democratique, et s’il y a conflit entre les interets du

tourisme et ceux de la conservation, ce sont ceux

de la conservation qui doivent l’emporter; les

Les musees et la protection du patrimoine vivantPan Shouyong

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 19

objets culturels ne doivent pas etre proposes a la

vente, a la difference des souvenirs lies aux arts

traditionnels dont la commercialisation doit etre

encouragee; les profits economiques a court terme

doivent etre evites s’ils nuisent aux benefices a long

terme. Enfin, le patrimoine culturel doit etre

protege dans sa totalite, au titre d’un programme

qui repose principalement sur les techniques et

supports traditionnellement utilises pour produire

les œuvres du patrimoine materiel; le grand public

est tenu de respecter cette approche et de se

conformer a des codes de conduite determines;

aucun modele uniforme ne doit etre impose aux

ecomusees pour la simple raison que les cultures

et les societes different materiellement sous

d’innombrables aspects; enfin, les ecomusees

doivent encourager le developpement

socioeconomique et ameliorer la vie des

populations.

Ces valeurs centrales et essentielles

constituent le meilleur moyen de proteger les

cultures des territoires autochtones et d’assurer le

respect de la condition des villageois. Ces idees

fondamentales ont joue un role majeur dans

l’elargissement de la notion de patrimoine

mondial par l’incorporation du patrimoine

immateriel.

BIBLIOGRAPHIE

Association des Musees Chinois (2006). Collected Articles from the 2005

International Symposium on the Eco-Museums of Guizhou. Zijin City

Press.

Clifford, J. (1988). The Predicament of Culture : Twentieth Century

Ethnography, Literature and Art. Cambridge, MA : Harvard University

Press.

Davis, P. (1999). Ecomuseums : A Sense of Place. Newcastle : Newcastle

University Press.

Donghai, S. (dir. publ.) (2005). China’s Eco-Museums. Zijin City Press.

Hoara, K. (1998). « The Image of the Ecomuseum in Japan », Pacific

Friends 25 ⁄ 12.

Karp, I., et S. D. Lavine (dir. publ.) (1991). Exhibiting Culture: The Poetics

and Politics of Museum Display. Washington, DC, et Londres: Smithsonian

Institution Press.

Karp, I., C. M. Kreamer et S. D. Lavine (dir. publ.) (1992). Museums and

Communities: The Politics of Public Culture. Washington, DC, et Londres:

Smithsonian Institution Press.

Macdonald, S. (1997). «The Museum as Mirror: Ethnographic Reflections»,

in A. James, J. Hockey et A. Dawson (dir. publ.), After Writing Culture:

Epistemology and Praxis in Contemporary Anthropology. New York:

Routledge.

Maggi, M. (2002). Ecomusei. Guida europea. Turin, Londres et Venise :

Umberto Allemandi & C.

UNESCO (2000). « Definir le concept de ‘patrimoine immateriel’ : defis

et perspective », Rapport mondial sur la culture : diversite culturelle,

conflit et pluralisme. Paris: Editions UNESCO, p. 166.

NOTES

1. Le Shi Jing ou Livre des Odes est l’un des cinq classiques chinois de

la periode de la dynastie Zhou. Compile par Confucius, il constitue l’un

des plus anciens recueils de poesie.

2. L’Histoire des Han est l’histoire en 120 volumes de la derniere dynastie

Han.

3. L’opera kunqu est la tradition theatrale la plus ancienne. Il se compose

de vingt-quatre scenes au minimum, jouees par douze acteurs utilisant la

gestuelle, le mime, l’acrobatie ainsi que des combats simules. La

representation est ponctuee de chants et de danses et accompagnee

d’instruments a vent et a corde.

4. Voir http://icom.museum/shanghai_charter.html.

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

20 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

La vulgarisation scientifique auservice du developpement durablepar Dong Yuqin

Dong Yuqin reflechit depuis de nombreuses annees a la part que les musees prennent a

l’education sociale par les expositions mais aussi par leur gestion. Apres avoir travaille au

Musee d’histoire naturelle et au Musee des beaux-arts de Tianjin, elle occupe actuellement le

poste de conservateur en chef du Musee d’histoire naturelle de cette ville.

Dans son programme decennal de developpement,

le Conseil international de musees (ICOM) s’est

assigne pour principal objectif de « soutenir les

musees, en tant qu’instruments de developpement

social et culturel ». Face a la crise ecologique

planetaire dont l’aggravation fait peser de graves

menaces sur la biodiversite, il est indispensable

que les musees d’histoire naturelle du monde

entier aient une vision plus claire, dans la theorie

et dans la pratique, de la mission historique qui est

la leur. Face aux transformations liees a

l’industrialisation et a l’urbanisation, les musees

d’histoire naturelle doivent s’interesser davantage a

la protection de la biodiversite et a l’ecologie

urbaine, dont depend l’avenir de l’humanite,

promouvoir l’harmonie entre l’homme et la nature,

et contribuer a assurer un developpement durable,

septieme des huit Objectifs du Millenaire pour le

Developpement adoptes par les Nations Unies.

Les musees d’histoire naturelle face a la crise

planetaire

Tous les ans, a la date du 31 octobre, une serie de

pierres tombales est installee dans le parc

zoologique de New York pour commemorer les

dernieres disparitions constatees d’especes

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 21Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

animales. Depuis l’aube de la revolution

industrielle, et singulierement depuis deux siecles,

on assiste a la diminution a un rythme

extraordinairement rapide du nombre et de la

diversite de la flore et de la faune, du fait de

l’explosion demographique et de la croissance

economique acceleree. Entre 1600 et 1800,

vingt-cinq especes animales differentes, oiseaux

compris, ont disparu. Entre 1800 et 1950, c’est

soixante-dix-huit especes qui ont ete perdues,

et aujourd’hui, on estime a plus de 60 000 les

formes de la vie qui disparaissent chaque annee.

Sous l’effet des interventions humaines en tous

genres, plantes et animaux disparaissent mille fois

plus vite qu’ils ne le feraient dans des circonstances

normales et a un rythme un million de fois plus

rapide que celui de leur apparition sur terre. Lors

d’une enquete independante realisee en 1998 a

l’initiative du Musee d’histoire naturelle des

Etats-Unis, 70 % des 400 biologistes interroges ont

estime que la flore et la faune terrestre sont

globalement menacees d’extinction. Et Lester

Brown, directeur du Earth Policy Institute, situe a

Washington, affirme dans un de ses travaux de

recherche que la quasi-totalite des systemes vivants

se degrade.

Aujourd’hui, les villes et les zones habitees

de l’espace rural sont confrontees a une

transformation environnementale et a une crise

ecologique sans precedent. Et si la Chine a connu

une formidable croissance economique et

enregistre des progres spectaculaires dans le

domaine des sciences et de la technologie, les

specialistes estiment qu’il lui faudra au moins

cinquante ans pour rattraper le niveau des pays

les plus avances du point de vue de l’ecologie.

Dans ce contexte de la mondialisation et

des menaces qui pesent sur l’environnement, la

communaute museale internationale, a partir des

annees 1990, s’est progressivement detournee des

speculations purement abstraites pour s’interesser

a des questions plus pratiques. Le debat engage

recemment sous l’egide de l’ICOM a permis de

redefinir le role du « musee » : si, par le passe,

ªM

use

ed

’his

toir

en

atu

rell

ed

eTi

anjin

3

3. Jeunes visiteurs au Musee municipal de Tianjin.

4. Le Musee d’histoire naturelle de Tianjin organise des sessions

d’information a l’intention du public.

ªM

use

ed

’his

toir

en

atu

rell

ed

eTi

anjin

4

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

22 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

l’institution se concentrait surtout sur la

constitution et la preservation de ses collections,

elle privilegie aujourd’hui le travail d’exposition,

de promotion et d’education. L’ICOM a egalement

souligne ce qui doit etre le principe directeur

central de l’action des musees dans le monde

contemporain – montrer et faire connaıtre le

patrimoine mondial, present et futur, qu’il soit

materiel ou immateriel, culturel ou naturel.

Les responsables des musees sont de plus en

plus nombreux a reconnaıtre que la mondialisation

impose a ces institutions d’assumer un role pilote

dans la preservation de la diversite, biologique aussi

bien que culturelle, et dans la promotion d’un

developpement social et culturel viable. Certains

chercheurs rappellent non sans raison que, quelle

que soit la definition que l’on donne du musee,

celui-ci a un devoir sacre a l’egard de la societe :

promouvoir l’education, etudier l’histoire des

societes humaines, tirer parti de la culture et de

la science pour eclairer l’esprit des gens de maniere

a les aider a mieux vivre et comprendre l’univers,

et proteger l’environnement naturel.

La biodiversite et les musees d’histoire naturelle

La biodiversite n’est pas un concept simple. C’est

une source de richesses dont depend la qualite de

la vie et du developpement de notre espece. Elle est

le fondement de l’existence humaine et du

developpement durable. D’apres le directeur du

Museum national d’histoire naturelle, a Paris, 70 %

des medicaments vendus dans le monde sont

fabriques a partir de plantes ou sur la base des

mecanismes phytobiologiques. Des modes de

production et de consommation qui ne sont pas

viables ont reduit la biodiversite de notre planete

a un niveau minimal, provoquant la crise mondiale

de l’environnement que nous vivons actuellement.

En Chine, par exemple, les degats ecologiques

causes a la biodiversite ont pris des dimensions

catastrophiques.

Les musees d’histoire naturelle doivent

vivre avec leur temps en participant activement a la

protection de la biodiversite nationale et locale

tout comme ils contribuent a la preservation du

patrimoine historique et culturel. Il faut privilegier

les programmes relatifs a la protection de la

biodiversite dans un contexte d’industrialisation

et d’urbanisation croissantes. Les musees doivent

s’employer a faire le meilleur usage de leurs

ressources propres et d’autres fonds publics pour

elaborer des programmes de preservation de la

biodiversite (en insistant notamment sur la

promotion de l’ecologie en milieu urbain). Etre un

element moteur de la protection de la biodiversite

au niveau local n’est pas une tache facile, tant s’en

faut, mais les musees d’histoire naturelle se doivent

d’etre a la hauteur.

La protection de la biodiversite recoit une

attention toute particuliere de la communaute

museale chinoise. Les plans des nouvelles salles

d’exposition des musees provinciaux du Zhejiang,

de Tianjin et de Dalian privilegient le theme de la

protection de la biodiversite en l’associant a des

aspects marquants comme l’histoire naturelle, les

ressources biologiques, les milieux ecologiques et

la production artistique locale. A Tianjin, par

exemple, l’exposition thematique « La terre et la

vie » s’est appuyee sur tout un ensemble de

donnees biologiques et ecologiques pour montrer

l’importance vitale qui s’attache a la preservation

de l’harmonie entre l’homme et son milieu naturel.

La vulgarisation scientifique au service du developpement durableDong Yuqin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 23

Les musees d’histoire naturelle doivent

aussi entretenir de bonnes relations de travail avec

les autres etablissements publics et administrations

locales. Une tache particulierement urgente

consiste a developper les enquetes destinees a

alimenter les bases de donnees sur la biodiversite.

Il faut ameliorer les procedures de collecte, de

conservation et de gestion ainsi que de classement

des specimens, pour bien mettre en evidence la

correlation qui existe entre la biodiversite et le

progres social en general. Partout ou cela est

possible, les representants de differentes

disciplines devraient cooperer a l’elaboration de

programmes de taxinomie de la biodiversite.

Compte tenu, dans chaque cas, des besoins, de la

complexite de la situation et des possibilites

pratiques, ils devraient s’employer a etablir des

systemes de donnees a l’intention des musees

locaux et nationaux d’histoire naturelle, rediger

des textes d’information, elaborer (sous les

auspices des musees d’histoire naturelle) des

plans d’action aux orientations diverses en vue de

mieux proteger la biodiversite dans des zones cles,

ou a l’appui de tels ou tels programmes ou encore

en privilegiant certaines formes du vivant, et

proposer des services de consultants et des

programmes d’echanges concernant la protection

de la biodiversite et l’action ecologique en milieu

urbain.

Les adultes ne sont pas les seuls gardiens

de la biodiversite : les jeunes generations sont

egalement concernees. C’est pourquoi les musees

d’histoire naturelle doivent pleinement assumer

leur role pedagogique et mettre l’accent dans leurs

expositions sur les themes de la biodiversite et

du developpement durable. On peut citer a cet

egard plusieurs initiatives remarquables. Ainsi,

le Musee municipal d’histoire naturelle de Tianjin

a accueilli l’exposition nationale itinerante

« L’appel de la Terre », qui a reuni tous les

suffrages en reussissant a sensibiliser le public au

probleme de l’environnement et de la biodiversite

grace a un ensemble de plus de 200 images

memorables et peu connues. Au cours de la seule

annee ecoulee, de nombreuses expositions ont ete

organisees dans tout le pays sur le theme de la

biodiversite. Beijing a ainsi accueilli « La

biodiversite agricole en Chine » dans le cadre de

l’exposition « L’homme et la nature : securite

alimentaire, biodiversite et cultures

traditionnelles ». Le Musee d’histoire naturelle de

Beijing et le Jardin botanique sino-britannique ont

conjointement lance une exposition sur le theme

« Proteger la biodiversite ». Taiwan a fait connaıtre

les resultats des travaux menes par l’ıle dans ce

domaine, avec des expositions comme « La

protection de la biodiversite a Taiwan », « Code de

vie : sauver la biodiversite » ou encore « Creer un

partenariat des especes vivantes en faveur de la

diversite : exposition speciale des bio-hackers sur

la conservation de la nature ». De son cote, la

province du Hainan vient de se doter d’un musee

local de la biodiversite et celle du Guangdong

consacrera prochainement 58 050 000 yuans a la

construction d’un centre de la biodiversite. Quant

au hall d’exposition du Musee provincial du

Shandong consacre a l’histoire naturelle, dont

l’edification a coute au total 1,1 milliard de yuans,

il sera centre lui aussi sur les themes de

l’environnement et de la protection de la

biodiversite.

A ce jour, bon nombre de musees d’histoire

naturelle a travers le monde se sont dotes

d’instituts de recherche sur la biodiversite. Le

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

24 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Musee d’histoire naturelle de Londres, par

exemple, finance des equipes de recherche sur la

biodiversite qui travaillent dans le monde entier.

Le Musee provincial d’histoire naturelle du

Zhejiang a cree en 2004 son propre centre de

recherche en vue d’integrer et de coordonner

l’ensemble des ressources disponibles sur

place, l’objectif etant d’ameliorer le niveau

general de la recherche, de l’education et de

l’information relatives a la biodiversite dans la

province. S’ils veulent promouvoir la protection

de l’environnement, la biodiversite et l’utilisation

rationnelle des ressources naturelles, les

musees d’histoire naturelle doivent s’efforcer

d’aider les administrations ainsi que les

organisations non gouvernementales, s’associer a la

formulation de textes de lois et reglements et a

l’elaboration de mesures de protection, et cooperer

avec les autorites competentes en offrant des

services consultatifs et en organisant des echanges.

Afin de promouvoir le developpement et

d’aider les decideurs a mieux comprendre les

enjeux ecologiques et economiques de la

biodiversite, ils devraient egalement lancer, en

liaison avec d’autres institutions de recherche,

des exercices d’evaluation et des programmes

pilotes de recherche sur la biodiversite. Ils

devraient en outre insister aupres des

administrations pour qu’elles mettent en place

des mecanismes plus efficaces de protection

des ressources naturelles, dotes de moyens

financiers adequats. Compte tenu du

developpement du monde rural, il est important

de rechercher un meilleur equilibre – sans

perdre de vue ni les aspects economiques ni

les facteurs sociaux – entre le bien-etre durable

des agriculteurs et la qualite du milieu naturel,

en tenant compte au meme titre des interets

de la paysannerie locale et de la sante generale

des ecosystemes.

Les musees d’histoire naturelle et le

developpement durable

L’histoire naturelle et l’histoire de l’humanite

offrent de nombreux exemples de deterioration et

d’extinction rapide – de societes humaines comme

d’especes animales – causees par des pressions

excessives exercees sur l’environnement. C’est ce

qui a incite le prestigieux Club de Rome a publier

dans les annees 1980 son rapport sur les limites

de la croissance intitule Halte a la croissance ?

E. F. Schumacher, auteur du celebre Small Is

Beautiful, souligne de son cote que, si la croissance

economique ne semble pas avoir de limites d’un

point de vue purement economique, physique ou

technologique, il n’en va pas de meme sur le

plan ecologique, puisque les ressources de

l’environnement terrestre sont forcement limitees.

Paul Hawken, celebre economiste et theoricien

americain de l’environnement a qui l’on doit

L’ecologie de marche, ou l’economie quand tout le

monde gagne, estime pour sa part qu’au rythme ou

va la mondialisation, l’economie mondiale

atteindra les limites inherentes a l’environnement

naturel, et qu’alors la poursuite de la croissance ne

pourra que detruire le systeme naturel planetaire,

mettant en jeu la survie meme de l’humanite.

Les humains vont donc devoir revoir ou repenser a

la baisse leurs reves pour l’avenir, afin de les

adapter a la strategie du developpement durable.

Il va nous falloir dire adieu au modele de

civilisation industrielle ou urbaine pour nous

tourner vers une civilisation ecologique, passer de

la croissance illimitee a une croissance maıtrisee,

et du developpement incontrole au developpement

La vulgarisation scientifique au service du developpement durableDong Yuqin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 25

durable. A l’heure ou notre planete subit des

transformations aussi radicales que complexes, les

musees d’histoire naturelle sont tenus de s’adapter,

et de faire de la progression harmonieuse et

durable de la qualite de la vie ecologique, sociale

et culturelle un de leurs objectifs prioritaires.

Le developpement durable des musees

d’histoire naturelle exige non seulement le courage

de regarder le passe en face, mais aussi une vision

pour envisager l’avenir. Passerelle entre le passe et

l’avenir, le musee n’a nullement vocation a se

couper de la realite pour s’enfermer dans une tour

d’ivoire. Il est au contraire un instrument ideal

pour proteger le patrimoine naturel et culturel,

diffuser les resultats de la reflexion humaniste

et de la recherche scientifique, promouvoir la

durabilite environnementale et realiser une union

pacifique et harmonieuse entre l’homme et la

nature. Le musee est a la fois un fidele temoin du

passe, un eveilleur des consciences et un vecteur de

la diffusion des connaissances qui facilite les

echanges transculturels et le dialogue entre les

civilisations, en offrant a des millions de personnes

un acces permanent a des collections qui sont aussi

un instrument d’education sociale. En d’autres

termes, le musee n’a pas seulement la charge de

conserver des specimens des especes eteintes; il est

tout autant le gardien ou le defenseur de la diversite

biologique et culturelle des creatures vivantes. C’est

dans cet esprit que le Musee provincial de Tianjin

a d’ailleurs accueilli ces dernieres annees une

serie d’expositions thematiques telles que : « Le

Liaoning occidental, royaume de fossiles »,

« Tianjin la verte, refuge des oiseaux », « Les

animaux des steppes de la Mongolie-Interieure »,

« La faune oceanique » et « Reproduction et sante »,

qui toutes ont recu un excellent accueil.

L’avenir des musees d’histoire naturelle est

a chercher du cote tant de l’histoire naturelle que

de l’histoire de la civilisation. Pour etre

harmonieuse et viable, une societe doit accorder la

meme importance aux sciences sociales et

humaines qu’aux sciences exactes et naturelles. Il

est de tradition de privilegier les richesses

culturelles par rapport aux merveilles de la nature,

de sorte que les musees d’histoire naturelle font

souvent figure de parents pauvres du point de vue

de la richesse et de la diffusion des collections ainsi

que des expositions. Les musees d’histoire

culturelle s’interessent tres rarement, pour ne pas

dire jamais, aux temoignages materiels tires de

notre environnement naturel, et c’est certainement

dommage. De leur cote, les responsables des

musees d’histoire naturelle n’ont guere cherche a

etudier ou montrer les liens entre l’evolution du

milieu naturel et celle de la civilisation humaine, ce

qui peut s’expliquer par l’influence de notions

traditionnelles et l’insuffisance structurelle de

leur savoir professionnel. Depuis les annees

1990, les musees d’histoire naturelle ont

incorpore l’education environnementale a leur

programmation; en revanche, les musees d’histoire

culturelle continuent le plus souvent a ignorer

l’ingenierie ecologique.

Les musees de type traditionnel se

preoccupaient avant tout de la presentation de

specimens inanimes et des aspects techniques de la

collecte et de la conservation de leurs collections.

Pour s’acquitter de leur nouvelle mission

historique, les musees d’histoire naturelle devront

mieux communiquer et collaborer avec les musees

d’histoire culturelle. Cela suppose de faire une

place aux concepts de biodiversite et de diversite

culturelle dans leur activite professionnelle, de

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

26 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

remplacer le cloisonnement traditionnel de la

recherche et de la vulgarisation par une

cooperation pluridisciplinaire, d’explorer la

relation existant entre les changements qui

s’operent dans le milieu naturel et l’evolution de la

civilisation humaine, et de chercher de nouvelles

pistes pour promouvoir l’harmonie sociale, la

biodiversite et le renouveau ecologique des villes.

Cela elargit la portee de l’activite du musee en

termes de developpement durable et de

responsabilite sociale, et cela ouvre aussi de

nouvelles perspectives en ce qui concerne les

services offerts par le musee au grand public et la

transmission des valeurs. Ces dernieres annees, un

certain nombre de musees d’histoire naturelle de

Chine ont fait d’enormes progres a cet egard. Ainsi,

les expositions « L’ecologie dans la peinture a

l’huile » et « Images du paradis sur terre : peinture

et calligraphie a Hangzhou » organisees par le

Musee provincial du Zhejiang ont sensibilise le

grand public aux valeurs associees a l’ecologie,

en general, et a la candidature du Grand canal

Beijing–Hangzhou (Jinghang) a l’inscription sur la

Liste du patrimoine mondial, en particulier.

Le developpement durable des musees

concerne aussi bien les villes que les campagnes.

L’harmonisation des rapports entre l’Homme et

la nature est une interrogation cruciale de notre

temps. Il n’est pas etonnant que les grandes villes

deviennent des foyers de tension si l’on songe a la

densite des flux de biens materiels et d’energie qui

les traversent, sans oublier les tonnes de dechets

qu’elles rejettent chaque jour dans l’ecosysteme.

Face aux multiples problemes environnementaux

de nos villes, il faut preserver leurs espaces

peripheriques d’une urbanisation anarchique, tout

en s’efforcant d’y creer des milieux ecologiquement

sains. Des analyses critiques s’imposent, compte

tenu de l’expansion des villes et de l’urbanisation

de l’espace rural, sur la correlation entre le

developpement urbain d’une part et la

compatibilite des ressources, la securite

environnementale et l’equilibre ecologique d’autre

part. Il faut redefinir les structures spatiales et

fonctionnelles de l’espace urbain pour assurer une

utilisation et une repartition optimales des

ressources, et permettre la creation et le maintien

d’excellents environnements qui repondent aux

objectifs du developpement urbain. Jane Jacobs,

celebre auteur canadien, affirme dans Declin et

survie des grandes villes americaines que les villes

ennuyeuses et sans vie sont des foyers

d’autodestruction, alors que des villes animees aux

multiples facettes et aux activites polyvalentes sont

des facteurs d’auto-regeneration.

La ville de Tianjin, un des grands centres

economiques de la Chine du Nord, fait

actuellement l’objet d’un effort concerte de

rehabilitation et de renovation urbaine. Alors que

les grands chantiers se multiplient, divers plans

sont a l’etude en vue de mieux proteger

l’environnement naturel et le patrimoine culturel

de la ville, de favoriser la symbiose de cette

derniere avec la campagne environnante, un

developpement coordonne et un equilibre

ecologique d’ensemble. Les principales zones

ecologiques de Tianjin sont les collines situees au

nord de la ville et deux zones humides – le parc

central de Qilihai-Dahuangbaowa, et le Reservoir

de Tuanbowa-Beidagang situe au sud – qui

comportent des coulees vertes, des ecocites et des

ecovillages. En 2007, le Musee municipal d’histoire

naturelle de Tianjin, en liaison avec d’autres

institutions culturelles, a accueilli successivement

La vulgarisation scientifique au service du developpement durableDong Yuqin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 27

plusieurs expositions thematiques, intitulees

« Economisons les ressources en eau »,

« Economiser l’energie et reduire les emissions

polluantes », « Tianjin la verte, refuge des

oiseaux » et « Traitons la nature en amie ».

Parallelement, il a lance une serie d’enquetes et

d’expositions a theme qui ont rencontre un vaste

echo, comme celle intitulee « Controle de la

qualite des eaux du fleuve Jaune ». Au debut de

mai 2007, le Musee d’histoire naturelle de Tianjin,

la Commission municipale d’urbanisme et le

journal local Evening News ont organise

conjointement l’exposition « Grand soleil et ciel

bleu pour les paysans devenus ouvriers », a

l’occasion de laquelle les travailleurs migrants de la

ville ont ete convies a visiter le musee avec leurs

enfants et ont recu des brochures de vulgarisation

scientifique distribuees gratuitement.

L’avenir des musees d’histoire naturelle

depend de la qualite des contacts avec l’homme de

la rue et avec les organismes specialises. En tant

qu’institutions d’education sociale qui vehiculent

et transmettent de l’information et des temoignages

materiels sur la nature et l’environnement, les

musees d’histoire naturelle de Chine doivent se

tenir informes de tout ce qui se fait de neuf dans la

profession. Pour cela, il leur faut developper leurs

capacites dans les domaines de l’apprentissage, de

la recherche, de l’innovation, de la reflexion et de

l’expression. Ils doivent tirer parti de la richesse et

de la diversite de leurs collections et faire appel

aux techniques les plus modernes d’exposition et

de communication pour presenter leurs dernieres

acquisitions ainsi que les resultats de leurs

recherches, mettre sur pied des expositions

thematiques, familiariser le public avec les

technologies et les idees nouvelles. Ce n’est

qu’ainsi qu’ils pourront satisfaire l’attente – tant

affective qu’intellectuelle – de plus en plus

individualisee de leurs divers publics. Les musees

d’histoire naturelle vont devoir elaborer des

systemes ouverts d’education et de diffusion du

savoir scientifique afin de conserver leur attrait aux

yeux du public et de contribuer au progres social

et culturel.

L’experience internationale revele que les

musees d’histoire naturelle ont un role

irremplacable a jouer dans la promotion de la

durabilite. Il leur faut pour cela s’associer plus

etroitement aux autres secteurs de la societe, afin

d’inscrire le respect de la biodiversite et de la

diversite culturelle dans la conscience collective

et de sensibiliser les populations a la necessite

d’adopter des mesures de protection de la

biodiversite et de construire des villes plus

respectueuses de l’ecologie. En meme temps, les

musees devraient elaborer, en liaison avec les

administrations locales et les organismes de

cooperation internationale, des projets educatifs

sur la protection et l’exploitation viable de la

biodiversite et les conditions d’un urbanisme

respectueux de l’ecologie, lancer de grandes

campagnes mediatiques de sensibilisation, et

fournir aux administrations responsables des

rapports d’enquete sur l’environnement assortis

d’informations et de suggestions appropriees. Ces

dernieres annees, nombre de musees chinois

d’histoire naturelle ont organise des activites de

vulgarisation scientifique sous forme de

programmes educatifs, de camps d’ete,

d’excursions et de concours destines a tester les

connaissances. A lui seul, le Musee municipal

d’histoire naturelle de Tianjin a concu et realise

plus de soixante mini-expositions et des

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

28 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

manifestations analogues qui se sont tenues dans

les musees, halls d’exposition, galeries scientifiques

et centres culturels des provinces, des

municipalites et des districts. Les statistiques

montrent que ces expositions itinerantes ont attire

ces cinq dernieres annees plus de deux millions de

visiteurs dans plus de 100 lieux dissemines dans

toute la Chine. En 2005, elles ont valu a leurs

organisateurs le prix d’excellence de la

vulgarisation scientifique decerne par la ville de

Tianjin.

Les musees d’histoire naturelle et la valorisation

de l’experience vecue

Dans le cadre du Festival d’automne de 2007,

le Musee d’histoire naturelle de Shanghai avait

organise une manifestation denommee l’ « Appel

de l’automne », dont les participants etaient

invites a s’asseoir a meme le sol pour ecouter le

concert donne par les « chanteurs de l’herbe »,

surnom donne a diverses familles de criquets.

Cette scene est caracteristique d’une tendance

recente, typique de ce qu’on pourrait appeler

la valorisation du vecu. En 1996, aux Etats-Unis,

la Ogden Corporation a fait l’acquisition de

deux parcs naturels renommes : Silver Springs

et Wild Waters. La meme annee, cette firme

investissait 100 millions de dollars dans la

construction d’un parc d’attractions sur le theme

de la vie sauvage : ce parc propose aux visiteurs

huit espaces sceniques evoquant la faune et la flore

sauvages, l’atmosphere et les variations climatiques

de differents milieux geographiques, afin de

leur permettre de faire par eux-memes l’experience

de la vie naturelle dans toute sa diversite.

A l’heure ou nos societes entrent dans l’ere

post-industrielle, les touristes semblent disposes a

depenser davantage pour vivre une certaine

realite au lieu d’etre de simples spectateurs. La

tradition qui consistait a enfermer des objets

« sans vie » dans des vitrines a fait place a la quete

d’experiences participatives. Cultiver l’interaction,

l’enthousiasme et l’esprit d’aventure est devenu

progressivement la principale preoccupation des

responsables de musee.

Charles Dickens a dit de la periode de chaos

creee par la premiere revolution industrielle dans

l’Angleterre du debut du XIXe siecle que c’etait a la

fois la meilleure et la pire des epoques. Cela

pourrait s’appliquer tout aussi bien aux premieres

annees du XXIe siecle. L’humanite est sans conteste

le systeme le plus complexe de toute la biosphere. A

l’ere de la mondialisation, il importe de se rappeler

le message des auteurs du rapport Nous n’avons

qu’une Terre : la Terre ne nous appartient pas, et les

humains n’en sont que les coproprietaires. Nous

habitons la seule planete de ce coin de l’univers

capable d’heberger toutes les formes de la vie.

L’espece humaine n’a donc pas d’autre choix que de

prendre soin de cette biosphere qu’elle partage,

en totale interdependance, avec toutes les autres

formes du vivant. Mais en l’etat actuel des choses,

nous sommes encore bien eloignes du septieme des

huit Objectifs du Millenaire pour le

Developpement.

Chaque generation a l’obligation morale de

leguer a la suivante un monde meilleur. Rendre

harmonieuses les relations entre la nature et

l’humanite est une tache a laquelle tous les

membres de la societe doivent s’atteler. Les

responsables des musees d’histoire naturelle ne

peuvent se contenter d’etre de simples spectateurs;

en tant qu’educateurs, ils sont tenus d’aider le

La vulgarisation scientifique au service du developpement durableDong Yuqin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 29

grand public a mieux comprendre les changements

planetaires en cours, et doivent semer et faire

fructifier les graines du developpement durable. En

Chine, ils vont devoir, pour y parvenir, renforcer

leur cooperation et s’attacher davantage encore a

promouvoir le progres social et culturel. Nos

musees d’histoire naturelle doivent devenir plus

interactifs, captivants et « naturels » s’ils veulent

parvenir a preserver et revitaliser la culture

chinoise traditionnelle. Il s’agit de rien moins que

d’assurer l’avenir durable du patrimoine naturel de

la Chine : c’est a cette condition que nos

contemporains et les generations futures pourront

pleinement profiter de l’infinie diversite de la

Chine – de tout ce qu’elle compte de cotes, de

plaines, de montagnes et de vallees, de fleuves

et de lacs, de zones humides, de villes et de

villages.

BIBLIOGRAPHIE

Declaration de Nanjing sur l’urbanisme ecologique en Chine.

Declaration de Shenzhen adoptee le 15 septembre 2002 par la cinquieme

Conference internationale sur les ecocites.

Groupe de recherche sur la strategie de modernisation de la Chine (2007).

Rapport 2007 sur la Modernisation de la Chine.

Hawken, P. (1995). L’ecologie de marche, ou l’economie quand tout le

monde gagne. Barret-la-Bas: Le Souffle d’or.

Jacobs, J. (1991). Declin et survie des grandes villes americaines. Liege:

Editions Mardaga.

Orum, A. M., et C. Xiangming (2003). The World of Cities: Places in

Comparative and Historical Perspective. Malden, MA: Blackwell.

Peccei, A. (1981). Cent pages pour l’avenir. Paris: Economica.

Pine, B. J. II, et J. H. Gilmore (1999). The Experience Economy. Boston, MA:

Harvard Business School Press.

Rapports 2004, 2005, 2006 sur la vulgarisation scientifique en Chine.

Richard, R. (2001). Eco-Cities: Building Cities in Balance with Nature.

Berkeley, CA: Berkeley Hills Books.

Schumacher, E. F. (1979). ‘‘Small is beautiful’’. Une societe a la mesure de

l’homme. Paris: Seuil.

Ward, B. et R. Dubos (1972). Nous n’avons qu’une Terre. Paris: Denoel.

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

30 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Le concept d’ecomusee et sonapplication en Chinepar Su Donghai

Su Donghai a obtenu en 1949 un diplome de la Faculte de philosophie de l’Universite de Beijing

et a mene durant de nombreuses annees des recherches d’histoire moderne et de

museologie. Il a eu la responsabilite du Musee de la Revolution chinoise et de son equipe

de chercheurs tout en occupant le poste de redacteur en chef de la revue Musees chinois. Il a

ete parmi les premiers promoteurs d’un ecomusee chinois. Il travaille actuellement comme

chercheur dans des musees nationaux et est membre emerite de la Societe chinoise des

musees.

Le mouvement international de l’ecomusee a vu le

jour en 1972. Il procedait d’une nouvelle idee

apparue sur la scene museographique mondiale qui

allait de pair avec une ardente volonte de reformer

les musees traditionnels. Il coıncidait egalement

avec l’apparition de conceptions novatrices en

matiere de museologie et constituait une nouvelle

tendance de la museographie internationale

radicalement differente du musee traditionnel.

Au cours des trente dernieres annees, ce

mouvement a puissamment influe sur les modes de

pensee habituels dans le monde des musees et sur

l’orientation des reformes dans les musees

traditionnels. Dans un premier temps, l’ecomusee

fut tres peu developpe en termes d’activites

concretes; il s’agissait d’un mouvement regi par ses

propres regles qui coexistait avec des musees

traditionnels restes pratiquement inchanges et

qui etait pourtant tres benefique pour la societe.

En 1986, la Chine commenca a s’interesser au

concept d’ecomusee et les institutions qui en sont

issues connaissent aujourd’hui un tres vigoureux

developpement.

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 31Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

La naissance du concept d’ecomusee

« Ecomusee » : le mot est ne tout a fait par

hasard, en 1971, lors de la neuvieme Conference

generale du Conseil international des musees

qui se tint en France, sous la presidence du

ministre francais de l’environnement d’alors. Les

chefs de file du mouvement international des

musees, Georges Henri Riviere et Hugues

de Varine, exposerent leurs opinions concernant

les liens unissant patrimoine et environnement.

Puis, au cours d’un dejeuner, Varine employa

le neologisme « ecomusee », qui plut beaucoup

au ministre. Le terme « ecomusee » fut donc

invente a table !1

Mais, bien que le terme ait ainsi fait son

apparition de facon peu conventionnelle, le

concept qu’il exprimait s’appuyait sur un

substrat solide. Apres la Seconde Guerre

mondiale, les gens n’avaient qu’aversion pour les

conflits armes et la societe industrialisee qui

profane l’environnement, aversion qui annoncait

les attitudes anti-ideologiques d’aujourd’hui.

L’ecomusee est issu de ce courant contestataire.

A l’epoque, en effet, l’esprit critique a l’encontre

des bases intellectuelles et politiques de la

societe, de la culture, de l’enseignement, de

l’economie prevalait et n’epargna pas les musees

traditionnels qui firent l’objet d’attaques

virulentes, ce qui favorisa l’essor du concept

ªZ

hou

Jun

yi

5. Villageois de Bai Ku Yao jouant a la toupie pendant leurs loisirs.

5

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

32 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

d’ecomusee et d’une nouvelle museologie.

Neanmoins, pour l’essentiel, l’idee d’ecomusee

doit son existence aux deux peres fondateurs

que furent Georges Henri Riviere et Hugues de

Varine.

Georges Henri Riviere fut l’instigateur

en France des reformes qui ont abouti a

l’ecomusee. Au debut des annees 1930, il

introduisit les idees ecologiques dans la sphere

museale et mena plusieurs experiences.

Reconnaissant l’importance des liens

indissolubles unissant l’humanite a son milieu

naturel, il initia (en 1967) le modele des parcs

regionaux en France; entre 1967 et 1975 fut

ainsi etabli le reseau francais de ces parcs qui

peuvent a juste titre etre consideres comme la

premiere generation des ecomusees.

Riviere, au fil des annees, donna trois

definitions de l’ecomusee. Selon la premiere,

datant de 1973, l’ecomusee etait une structure

servant a mettre en valeur l’ecologie et le milieu

naturel. La deuxieme definition, de 1978,

insistait sur la necessite de prendre en compte

les societes regionales. Enfin, prenant acte du

developpement des ecomusees et des nouvelles

theories museologiques, il donna en 1980

une troisieme et derniere revision de ses

definitions. Il la qualifiait d’« evolutive »,

soulignant par la que le concept d’ecomusee

etait encore en cours de gestation. Cette

definition etant tres longue, nous en resumons

ici les points principaux :

• les ecomusees sont des instruments que des

institutions responsables devant le public

et la population locale creent et fabriquent

ensemble. Ils sont exploites conjointement

au service d’interets communs ;

• ils sont un miroir dans lequel la population

et ses hotes peuvent se regarder dans leur

relation avec l’environnement ;

• ils revelent la nature de la relation entre

l’homme et la nature ;

ªJi

anJi

aku

i

6

6. L’art du batik.

Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 33

• ils permettent une reflexion sur le temps,

depuis l’epoque prehistorique jusqu’a nos

jours ;

• ils offrent des espaces privilegies ou l’on

peut s’arreter un bref moment ou juste

cheminer ;

• ils sont un laboratoire qui contribue a

l’etude historique et contemporaine d’une

region et de son milieu ;

• ils constituent des conservatoires dans la

mesure ou ils aident a la preservation et a la

mise en valeur du patrimoine naturel et

culturel de l’humanite ;

• ils sont aussi des ecoles dans la mesure

ou ils favorisent les actions d’etude et

de protection et ou ils incitent la

population a mieux apprehender son

propre avenir ;

• la diversite des ecomusees est sans limite,

tant les caracteristiques different de l’un a

l’autre. Neanmoins, ils ne s’enferment pas

en eux-memes; ils recoivent et donnent des

idees et des pratiques.2

ªX

uL

iyu

7. Tissage a Bai Ku Yao.

7

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

34 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Telles sont les grandes lignes du concept originel

de l’ecomusee, proposees par Riviere, pionnier

de ce type de musee.

L’autre precurseur dans ce domaine fut

Hugues de Varine, qui emboıta le pas a Riviere et,

de 1971 a 1974, etablit un nouveau type de musee

vivant au Creusot-Montceau-les-Mines sur le site

d’une mine de charbon. Le terme ecomusee fut

utilise a l’occasion de cette experience en 1971,

qui jetait ainsi les fondations du second type

d’ecomusee. Lorsque Varine crea l’ecomusee du

Creusot-Montceau-les-Mines, l’equilibre atteint

entre l’humanite et la nature etait le reflet de

l’equilibre qui s’etait etabli entre l’humanite et la

societe. Varine expliqua dans un article que le sens

premier du prefixe « eco » dans le terme

« ecomusee », par opposition a son emploi dans des

termes generaux comme « economie » et

« ecologie », renvoie a un systeme fonde sur

l’equilibre entre la societe et l’environnement :

l’humain est la cheville ouvriere des groupes

sociaux et des societes, comme de la quete des

moyens de subsistance et des progres ulterieurs.

Telle etait la signification originelle du concept

d’ecomusee lorsqu’il fut invente dans les annees

1970.3 Il expliqua egalement dans un texte consacre

aux possibilites de developpement des ecomusees

qu’il etait convaincu que l’idee la plus importante

sous-tendant la mission educative du musee

8. Differentes nationalites en Chine.

ªU

NE

SC

O⁄I

.D

enis

on

8

Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 35

ecosocietal est que les gens comprennent desormais

leurs responsabilites : proteger leur milieu et les

ressources naturelles et en faire un usage equilibre,

de meme que proteger, transmettre et preserver,

en les enrichissant, les aspects individuels et creatifs

de leur patrimoine culturel. Le developpement a

long terme de l’ecomusee ne peut etre assure que

dans ce type d’environnement.4 Hugues de Varine

a ete associe au mouvement de l’ecomusee de ses

debuts jusqu’a aujourd’hui et ses idees ont encore

une tres grande influence.

L’ecomusee represente un mouvement

novateur fascinant et tres inventif, qui se propagea

rapidement de la France au reste du monde,

chaque continent ayant son propre type d’ecosite.5

En tant qu’institution, l’ecomusee est encore en

plein essor et ses caracteristiques continuent d’etre

developpees sur le plan conceptuel.

La creation du premier ecomusee chinois

Dans les annees 1980, la Chine a commence a

preter attention au mouvement mondial de

l’ecomusee. Il s’agissait d’une periode de renouveau

pour les musees chinois, mais en quoi ce concept

pouvait-il interesser la Chine?

Tout d’abord, l’industrialisation du pays

entrait dans une nouvelle phase et la croissance

economique etait forte. Or les progres de

l’industrialisation comportaient de graves

consequences pour l’equilibre ecologique de la

nation et pour l’environnement dont la destruction

n’allait que s’accentuer. La protection de

l’environnement devint donc une preoccupation

croissante de la societe comme du Gouvernement

chinois.

Autre raison, plus d’un millier de musees

avaient vu le jour en Chine a ce stade,

developpement qui allait de pair avec l’emergence

de nouvelles idees museologiques, et les musees

eux-memes connaissaient des mutations destinees

a leur procurer les moyens de proteger un

patrimoine culturel tres divers pour le bien d’une

societe engagee dans une nouvelle voie. C’est dans

ce contexte que le concept d’ecomusee fut

introduit en Chine et commenca a etre mis en

pratique. A partir de 1986, des articles furent

publies dans la revue de la Societe chinoise des

musees, Musees chinois, dans lesquels des erudits

chinois exposaient et developpaient leurs idees sur

les sciences ecologiques en relation avec le travail

museal. Cette publication presentait egalement des

articles et autres textes traduits concernant les

ecomusees a l’etranger et les nouvelles tendances

en museologie.

Lors d’une reunion du Comite de

planification pour la culture convoquee dans la

province du Guizhou en 1986, je proposai que le

premier ecomusee chinois soit etabli dans cette

province. A cette epoque, cependant, nous ne

savions pas bien comment proceder. De plus,

l’occasion s’etait presentee de maniere imprevue.

En 1994, pendant la reunion annuelle du Comite

international pour la museologie (ICOFOM), nous

fımes la connaissance de personnalites eminentes

dans le domaine de l’ecomuseologie et de la

nouvelle museologie, Andre Desvallees et John

Gjestrum. Ce dernier dirigeait depuis quinze ans

un musee traditionnel en Norvege ainsi qu’un

ecomusee, et son experience nous etait precieuse.

En 1995, le gouvernement du Guizhou s’adressa

a John Gjestrum, Hu Chaoxiang, An Laishun

et moi-meme afin que nous formions un groupe

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

36 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

de travail pour decider de la marche a suivre. Ce

groupe produisit un « Rapport de recherche sur la

possibilite de mettre en place le premier ecomusee

chinois dans le comte de Suojia, dans le

Guizhou ». Il en resulta immediatement un

vigoureux mouvement chinois encourage par le

gouvernement en faveur de mesures plus

energiques de preservation de notre patrimoine

culturel; parallelement, un soutien financier

enthousiaste fut apporte par le Gouvernement

norvegien pour la partie du projet touchant a la

protection de l’environnement. En 1997, les

Gouvernements chinois et norvegien signerent un

accord de cooperation culturelle relatif au projet.

Je fus nomme president de ce groupe de

responsables, Gjestrum faisant fonction de

consultant, Hu Chaoxiang representant le

gouvernement local et An Laishun jouant le role de

coordonnateur du projet. Avec l’accord du

gouvernement, la science des specialistes, le

soutien financier des deux Etats et l’acceptation du

projet par les villageois, le premier ecomusee de

Chine etait devenu une realite.

Il etait situe dans la zone montagneuse

reculee du district special de Liuzhi, pres de la

ville de Liupanshui, dans la province du Guizhou.

Les habitants y vivent isoles du monde exterieur;

leur mode de vie est caracterise par une economie

de subsistance et par la culture ancestrale typique

d’un peuplement miao. Les montagnes sont hautes

et arides et les habitants sont contraints de

descendre dans les vallees trois mois par an pour

chercher de l’eau et c’est une tache herculeenne

que de produire suffisamment de nourriture et

de survivre. Ils descendent d’une ancienne

branche de l’ethnie Miao, dont la caracteristique

essentielle est de porter des coiffes ornees de

« grandes cornes de bœuf » (qui sont, dans les

faits, de longs cones de bois autour desquels les

femmes enroulent leur chevelure). Au moment

de la creation de l’ecomusee, ils etaient parvenus

a maintenir leurs traditions culturelles uniques.

Jusqu’alors ils pratiquaient une economie de

subsistance : les hommes maniaient la charrue

et les femmes tissaient.

Si ces cultures ancestrales ont ete

transmises aux generations presentes, c’est parce

qu’elles ont reussi a perdurer dans leur

environnement. Lorsqu’une societe de ce type est

soumise aux influences exterieures, la culture perd

progressivement son cadre societal propre et peut

disparaıtre a jamais. De tres bonnes raisons

legitimaient donc la creation d’un ecomusee dans

ces villages retranches qui cherchaient alors a

s’affranchir de la pauvrete : les traditions

culturelles de la Chine seraient ainsi preservees

et les villages ne perdraient pas leur identite au

cours du processus de modernisation. Cependant,

l’ecomusee, concept caracteristique d’une societe

post-industrielle, ne pouvait a lui seul produire des

resultats dans des villages chinois de montagne si

eloignes du monde moderne dans le temps et

l’espace. Pour que les villageois acceptent

l’ecomusee, il a fallu un effort de longue haleine.

Il etait evidemment necessaire que les habitants

puissent percevoir les bienfaits du projet et donc

que le don effectue par le Gouvernement norvegien

et les fonds alloues par le Gouvernement chinois

soient bien utilises et affectes en priorite a la

construction de routes et a des travaux publics

destines a amener l’eau et l’electricite dans ces

montagnes. Les villageois auraient alors une

vision completement differente de leur mode de

vie et de leur niveau de productivite. C’est

Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 37

seulement lorsque ces travaux furent realises qu’ils

commencerent a accepter l’idee de l’ecomusee.

En outre, avec la pratique des emplois

representatifs, le personnel du centre d’information

a ete recrute parmi les villageois qui gerent

aussi leur propre centre culturel. A un stade

ulterieur, les jeunes du cru ont ete encourages

a avoir recours a la photographie, y compris

des appareils jetables, a des magnetophones

et a d’autres procedes pour constituer leurs

propres archives culturelles. La valeur de

l’ecomusee est petit a petit devenue evidente. Les

villageois s’etaient bel et bien approprie leur

culture.

Recherches recentes sur les ecomusees en Chine

En 1997 fut cree dans le Guizhou le premier

ecomusee chinois, qui est devenu le « modele de

Suojia », puis ont suivi les trois ecomusees des

nationalites Buyi, Han et Dong: l’ecomusee des

Buyi a Zenshan, l’ecomusee-chateau des Han a

Langli et celui des Dong a Tang’an. Ces quatre

musees formant le groupe des ecomusees du

Guizhou. Il s’est agi de la premiere generation

d’ecomusees chinois, qui donna corps au concept

d’une institution destinee a proteger les cultures

autochtones des minorites nationales. La creation

au debut de 2001 des ecomusees regionaux de

Mongolie-Interieure et du Guangxi a marque le

debut d’une nouvelle phase de recherche et de

debat, fondee sur la volonte d’encourager les

villageois a promouvoir et a preserver leur propre

culture face aux pressions d’un developpement

impose par le monde exterieur; il en a resulte la

deuxieme generation d’ecomusees chinois. Le

gouvernement de la region autonome du Guangxi

a fait adopter une loi relative au « Projet de

construction 1 + 10 », qui habilite le Musee des

minorites nationales du Guangxi a contribuer a

l’edification de dix nouveaux ecomusees, dans le

but principal de favoriser la recherche et de

proteger les cultures autochtones qui s’ouvrent au

monde exterieur. Un organisme au sein duquel

l’equipe de chercheurs du Musee des minorites

nationales coopere avec les villageois a ete institue

a cette fin. Ainsi, du debut 2003 a 2005, trois

ecomusees ont vu le jour : l’ecomusee des Baiku

Yao dans le district de Nandan, l’ecomusee de la

nationalite Dong dans le comte de Sanjiang et

l’ecomusee de la nationalite Zhuang dans le comte

de Jinxi. A travers leur action de preservation des

cultures autochtones, les chercheurs ont pu

ameliorer la perception que la population locale a

de sa propre culture et les connaissances

scientifiques relatives a ladite culture; en outre, la

creation de « maisons du developpement

culturel » et de « zones d’exposition » a permis

aux villageois d’accroıtre leur capacite d’interagir

avec le monde exterieur. Tout recemment, le

Musee chinois des minorites nationales, c’est-a-

dire l’institution nationale majeure, s’est engagee

dans ce mouvement et a etabli une antenne au sein

de l’ecomusee des Baiku Yao dans le district de

Nandan. Cette participation d’un musee

traditionnel au travail de pionniers des ecomusees

chinois marque une etape decisive. C’est le signe

que les musees traditionnels s’interessent

desormais serieusement aux cultures des territoires

autochtones.

Aujourd’hui, les ecomusees chinois

entrent dans une nouvelle phase aux facettes

multiples a mesure que leurs perspectives

d’avenir s’elargissent. Prenant acte du degre

d’autonomie temoigne par la culture villageoise,

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

38 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

le gouvernement du Xishuangbanna dans la

province du Yunnan a organise une assemblee

generale publique en 2005 a l’ecomusee de la

nationalite Bulang, afin d’annoncer le transfert

complet de l’administration de l’ecomusee aux

villageois, par la formation d’un conseil

d’administration, le gouvernement local ne jouant

qu’un role consultatif. L’ecomusee de la

nationalite Shui, cree il y a peu, a ete fonde

en vertu d’un accord passe entre un homme

d’affaires de Hong Kong et la population locale;

il a ete decide de considerer, dans un premier

temps, comme experimentale cette nouvelle

forme d’organisation.

Sensibles aux multiples aspects de la

diversite culturelle, les ecomusees chinois ont

maintenant elargi leur champ d’intervention des

zones rurales, peuplees de minorites nationales,

aux regions urbaines et industrielles et aux zones

agricoles prosperes. Au debut de 2001, l’Office

des archives de Beijing et l’Office des

communautes de voisinage ont monte une

exposition sur l’histoire des hutongs, premiere

etape dans le recensement de la culture des

communautes locales. Les residents ont participe

avec enthousiasme au projet. Les hutongs sont des

quartiers a l’ancienne mode dans lesquels un lacis

d’allees pietonnes separe des habitations

traditionnelles d’un seul etage baties autour de

cours. Dans le cadre du projet de recensement

des logements sociaux des hutongs de Qianmian,

soixante proprietaires ont ete invites a contribuer

a une historie orale de leur hutong. L’Association

des residents des ruelles de Xijiao a organise une

exposition publique sur l’histoire et la culture des

ruelles du district de Xijiao. L’exposition a attire

des foules enthousiastes. Cette forme de

mouvement culturel ayant son assise dans la

population a ete observe a Shenyang, Ningbo,

Zhengzhou et dans d’autres lieux et a parfois recu

l’appellation de « musee communautaire » ou

d’« ecomusee autoproclame ».

Tandis que l’industrialisation de la Chine

se poursuit a un rythme soutenu, de nombreux

musees de l’industrie voient aussi le jour. Citons

par exemple le Musee du district de Tiexi a

Shenyang qui se consacre aux logements

traditionnels des zones industrielles historiques.

L’idee de l’ecomusee a ete tres federatrice. Des

musees agricoles, concus aussi dans l’esprit de

l’ecomusee, ont ete crees dans des villages

prosperes. Engagee sur le chemin de la diversite

culturelle, la Chine a fait œuvre de pionniere en ce

qui concerne la variete de forme et de conception

de ses ecomusees. De larges perspectives s’offrent

donc encore dans la voie choisie par les ecomusees

chinois.

Le Forum international des ecomusees organise

en Chine

En 2005, la Societe chinoise des musees (avec

l’aide financiere du Gouvernement norvegien)

parraina le « Forum international du Guizhou

sur les ecomusees ». C’etait la toute premiere

reunion internationale sur les ecomusees a se

derouler en Asie et la premiere experience de

conference mondiale du mouvement chinois des

ecomusees. Cent cinq delegues venus de quinze

pays differents y assisterent, ainsi que d’eminents

theoriciens, des representants du Gouvernement

et des delegues d’autres ecomusees. Des

pionniers et des scientifiques ayant participe a

l’elaboration sur le plan international des theories

Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 39

relatives aux ecomusees et a la nouvelle

museologie etaient egalement presents, d’ou la

variete des theories et des idees exposees

pendant la conference.

La premiere seance du Forum fut

consacree a un debat sur le theme « Echange et

exploration ». Les participants ont invoque la

necessite d’affranchir la museologie traditionnelle

de ses entraves et de developper considerablement

les ecomusees. Hugues de Varine appela a une

« asiatisation de la museologie ».6 Dans sa

communication sur le theme « Quel avenir pour

l’ecomusee ? », le chercheur norvegien Marc

Maure expliqua : « Les ecomusees n’ont ni bible,

ni forme predefinie; ils sont tous differents parce

que, precisement, ils representent des conditions

sociologiques et culturelles distinctes et sont

determines par elles. »7 Tereza Scheiner declara

dans sa communication sur le theme « Contre les

musees » : « Aider a la preservation de notre

patrimoine est la responsabilite principale de la

museologie moderne […]. Les museologues

devraient egalement reconnaıtre que les besoins

des populations locales ne sont pas combles par

des musees et des collections simplement

conservees mais par la museologie. »8 Peter Davis

formula plusieurs observations essentielles

touchant la philosophie de l’ecomusee : les

frontieres administratives ne peuvent etre utilisees

pour circonscrire le territoire culturel des

ecomusees; ceux-ci existent afin de proteger la

terre et d’expliquer notre patrimoine culturel;

lorsqu’elles sont abandonnees, les terres heritees

selon la tradition devraient etre regies par le droit

foncier local; la population locale devrait

participer aux projets d’ecomusees qui doivent

etre bases sur les caracteristiques culturelles

locales; enfin, tout devrait etre fait pour tirer

profit du dynamisme potentiel cree par la

recherche scientifique concernant les elements du

patrimoine culturel demeures intacts.9 Maurizio

Maggi affirma dans son expose que, « en retracant

l’histoire du ‘mouvement du nouveau musee’,

nous reperons des confusions et des

contradictions qui refletent la situation de

l’ecomusee sociologique et culturel dans des

environnements qui se developpent normalement

et qui peuvent eux-memes posseder des traits

distinctifs communs. »10 A l’heure actuelle, Davis

et Maure sont en train d’etablir des principes

directeurs appeles a servir de base et de cadre de

reference a la communaute des ecomusees. Les

representants des ecomusees chinois et etrangers

firent chacun le point de l’avancement de leurs

travaux.

Lors de la seance finale du Forum, je

resumai ainsi les differentes theories qui avaient ete

presentees : « La grande moisson d’idees et

d’opinions theoriques produites par cette

conference provient de cultures et de traditions

tres diverses. Des methodes et des pratiques tres

variees ont ete etudiees et commentees. Ces vastes

differences d’opinions, ces methodes tres

differentes ont enrichi et approfondi notre

comprehension. » Je soulignai trois idees sur

lesquelles le Forum s’etait mis d’accord :

premierement, le concept d’ecomusee est lui-meme

en constante evolution et il n’existe pas de norme

unique fixee une fois pour toutes; deuxiemement,

les methodes employees dans les ecomusees

continuent de se renouveler et il n’y a donc pas

de modele standard ou « moyen »; troisiemement,

les idees centrales de l’ecomusee sont la

preservation de la culture des territoires

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

40 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

autochtones et sa protection par les detenteurs de

cette culture eux-memes. Des consultations

effectuees sur cette base permettraient de

determiner pour chaque ecomusee sa portee

geographique ainsi que sa validite et sa

connaissance de la culture autochtone. Ce

point de vue n’a neanmoins pas recueilli

l’unanimite.11 On peut ainsi resumer la situation

actuelle en ce qui concerne l’evolution du concept

d’ecomusee.

La poursuite du developpement des ecomusees

en Chine

A ce jour, seize ecomusees ont ouvert leurs portes

en Chine et plusieurs autres sont en cours de

creation. Grace a l’elan insuffle par l’UNESCO au

concept de patrimoine culturel immateriel et a sa

preservation, le Gouvernement chinois et la societe

tout entiere, pleinement conscients de la valeur de

la civilisation agricole millenaire du pays et de

l’extreme richesse de son patrimoine culturel

immateriel, manifestent un vif interet pour la

protection des cultures traditionnelles. De plus,

avec la croissance rapide de l’economie, la vie dans

les villes et les villages est en train de changer

radicalement et la necessite de proteger les

multiples aspects de leur culture devient une

consideration preeminente. La valeur de

l’ecomusee est de mieux en mieux reconnue. Les

societes urbaines et industrielles comme les

societes agricoles riches s’interessent toutes de pres

a la creation d’ecomusees. Le Bureau national de la

culture a entrepris d’etablir des lignes directrices

en vue d’un plan quinquennal concernant les

ecomusees chinois. Les perspectives de

developpement a long terme de ces ecomusees sont

donc excellentes.

Afin de faire en sorte que le concept de

l’ecomusee poursuive son developpement en Chine

au cours des vingt prochaines annees, nous

voudrions emettre quatre recommandations

essentielles :

1. Ce concept ne peut se developper qu’en

s’enracinant dans les terroirs. Bien que

l’idee de l’ecomusee ait une valeur

universelle, elle prend des formes

extremement variees. C’est une notion qui

n’est pas specifique a une region

particuliere, si bien que chaque ecomusee

ne peut prosperer qu’en relation avec le

milieu qui l’entoure et qui est lie aux

conditions nationales, societales et locales

et doit aussi tenir compte des efforts de

developpement entrepris.

2. Les habitants des lieux sont les maıtres de

leur propre culture. Fonctionnaires et

specialistes ne sont que des agents

temporaires; leur role consiste seulement a

concretiser la capacite des habitants a

maıtriser leur propre destinee et a

s’approprier le processus de changement.

La veritable valeur de l’ecomusee reside

donc dans la maniere dont il est

concretement mis en place et

ulterieurement renforce.

3. L’ecomusee n’est pas une panacee pour la

protection des cultures anciennes. Il doit

aller de pair avec la modernisation de ces

cultures et ne constitue qu’un des facteurs

contribuant au developpement culturel. Il

est vain de chercher a figer eternellement

des modes de vie et des cultures. Chaque

Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 41

ecomusee aura donc besoin de mettre en

place un fonds d’archives permettant aux

habitants de prendre conscience de leur

passe et de transmettre aux generations

futures l’essence de la culture

traditionnelle sous une forme relativement

continue.

4. L’ecomusee est le reflet de cultures

nombreuses et differentes et sa valeur ne

peut qu’etre renforcee par une ouverture

au monde exterieur. Les visites des

touristes ont favorise les echanges

culturels et impregne les cultures

autochtones d’une nouvelle vitalite, tout

en generant des revenus. On ne saurait

trop insister sur l’importance de

l’hospitalite envers les touristes.

NOTES

1. Hugues de Varine (1985), « L’ecomusee : au-dela du mot », Museum

International 148, Paris: Editions UNESCO, p. 185.

2. Georges Henri Riviere (1985), « Definition evolutive de l’ecomusee »,

Museum International 148, ibid., p. 182–3.

3. Hugues de Varine (2006), « Eco-Museums and Possible Lines of

Development », in Collected Works from the International Symposium on

the Guizhou Eco-Museums, Zijin City Publishing House, p. 83. [en chinois]

4. Voir note 3.

5. Le specialiste norvegien John Gjestrum a estime en 1995 qu’il existait

plus de 300 ecomusees a travers le monde. Une autre liste, dressee celle-

la par Peter Davis, ne comporte que 136 rubriques. Voir Su Donghai

(2006), Considerations sur les ecomusees, vol. 2, China Cultural Press,

p. 490. [en chinois]

6. Hugues de Varine, « New Museology and the Europeanization of

Museology », in Collected Works from the International Symposium on the

Guizhou Eco-Museums, p. 80. [en chinois]

7. Marc Maure (museologue norvegien et membre de l’ICOFOM), « Eco-

Museums: Mirror, Window or Tool for Development? », in Collected Works

from the International Symposium on the Guizhou Eco-Museums, p. 113.

8. Tereza Scheiner (membre du Conseil executif de l’ICOM et professeur a

l’Institut de museologie de l’Universite de Rio de Janeiro, Bresil),

« Museums, Eco-Museums and Anti-Museums : Resolving Ways of

Thinking About Heritage, Society and Development », in Collected Works

from the International Symposium on the Guizhou Eco-Museums, p. 118.

9. Peter Davis (professeur de museologie a l’Universite de Newcastle,

Royaume-Uni), « Evaluating the Present State of Eco-Museums and

‘Success Criteria’ », in Collected Works from the International Symposium

on the Guizhou Eco-Museums, p. 95.

10. Maurizio Maggi (professeur a l’Institut italien de recherche sociale et

economique), « Common Problems With the World’s Eco-Museums and

How to Tackle Them », in Collected Works from the International

Symposium on the Guizhou Eco-Museums, p. 88.

11. Su Donghai, « Summary of the International Symposium on the

Eco-Museums of Guizhou », in Collected Works from the International

Symposium on the Guizhou Eco-Museums, p. 241. [en chinois]

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

42 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Le developpement des museesprives en Chinepar Song Xiangguang

Titulaire d’un diplome d’archeologie du Departement d’etudes historiques de l’Universite

de Beijing, Song Xiangguang a commence en 1988 a enseigner et a mener des recherches

de museologie en qualite de sous-directeur du Musee Arthur Sackler d’art et d’archeologie,

au sein de l’Universite de Beijing. Ses travaux portent principalement sur la theorie de la

museologie, l’administration et l’histoire des musees. Il enseigne actuellement a la Faculte

d’archeologie et de museologie de l’Universite de Beijing.

Le parc-musee de Nantong : le premier musee

prive chinois

Pour des raisons historiques, le secteur des musees

a connu en Chine un essor tardif. A la fin du

XIXe siecle, un mouvement reformateur tenta de

mettre en place un Etat national capitaliste. La

creation de musees devait etre une etape essentielle

dans cette transformation sociale : le dirigeant du

mouvement, Kang Youwei, considerait les musees,

instituts des beaux-arts et autres organismes

culturels publics comme autant de facteurs d’un

« monde pacifique ». Pendant l’ete 1898,

l’empereur Guangxu, de la dynastie Qing, adopta

les principes politiques de ces modernisateurs et

instaura une serie de reformes. Attaque par

l’opposition conservatrice, le mouvement de

reforme fut rapidement etouffe, et la creation de

musees, l’un des principaux objectifs du nouveau

Gouvernement n’obtint pas le soutien des

administrateurs Qing. Cette tentative initialement

vouee a l’echec ne repondait pas simplement a des

considerations culturelles; elle traduisait un desir

plus general de transformation sociale.

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 43Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

En 1905, l’industriel Zhang Jian crea le

parc-musee de Nantong (au Jiangsu), finance au

moyen des profits realises par son usine de coton

a Dasheng et par la compagnie Kenmu dans le

district de Xinghai. Zhang Jian s’inspira pour

la creation de son musee de methodes

d’enseignement utilisees dans les ecoles

occidentales a une epoque ou le savoir scientifique

et culturel se diffusait de plus en plus largement et

ou l’on prenait conscience de la necessite de

proteger le patrimoine national. Son musee

incarnait aussi une approche novatrice de la

culture urbaine : c’est Zhang Jian lui-meme qui

supervisa les plans, collecta activement les fonds,

choisit le personnel administratif et fixa les

reglements. Le parc-musee de Nantong a ete le

precurseur de tous les musees prives ouverts

ulterieurement en Chine.

A la meme epoque, plusieurs universitaires

et collectionneurs celebres ont entrepris egalement

de fonder des musees afin de presenter leurs

collections personnelles. En 1905, ont ete

restaurees avec soin a l’intention du grand public

des salles d’exposition situees a Huangmiao, dans

la ville de Tianjin, et contenant des ressources

pedagogiques, tandis qu’a la fin 1911, dans le

village de Haiwang, a Beijing, le Musee Taozhai

ouvrait ses portes dans une fabrique de porcelaine.

Ces musees prives ont vu le jour au milieu de

turbulences sociales accompagnees d’un

affrontement entre les mentalites ancienne et

nouvelle autour des questions du developpement

social, culturel et economique. Les personnes qui

envisageaient de creer des musees ont adopte une

approche fortement capitaliste dans leur recherche

de nouveaux modeles de developpement et

systemes sociaux : ils ont cherche a modifier les

modes de pensee des gens ainsi que leur perception

de l’institution museale. Aussi ces musees

incarnaient-ils un sens aigu des responsabilites

sociales.

Apres 1949 et la creation de la Republique

populaire de Chine, le socialisme est devenu le seul

principe directeur de la vie economique nationale.

Les systemes de gestion sociale ont ete centralises,

et la production et l’offre de biens publics

normalisees par le Gouvernement. A compter de

cette date, c’est l’Etat qui supervisa la construction

et l’administration des musees et qui regula leur

importante activite d’acquisition, de conservation

et de recherche. C’est la nation qui a assume la

responsabilite de la protection des vestiges

culturels, et le gouvernement a eu pour principe de

limiter la circulation des biens. Les collections

d’objets issus de la culture populaire ont alors

decline rapidement, perdant une grande partie de

leur interet aux yeux du grand public.

Les « maisons-musees » et le public : les musees

non gouvernementaux des annees 1980

En 1978, la liberalisation suscita d’enormes

changements dans la societe chinoise. Elle a genere

notamment des conditions favorables au

developpement des collections privees. Des la fin

des annees 1980, la liberalisation graduelle du

marche des objets culturels avait provoque un

regain d’interet a l’egard des collections non

gouvernementales et, partant, un deploiement

d’activites de la part d’un nombre croissant de

particuliers et d’entreprises privees. La qualite et la

quantite des pieces contenues dans les collections

ont augmente, tout comme le volume des

transactions d’objets. Nombre de collectionneurs

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

44 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

exprimerent le souhait d’ouvrir leurs collections au

public, ce qui eut pour effet de multiplier le

nombre des lieux d’exposition. Tout cela a eu

un fort impact social et a alimente la curiosite

du public envers les collections non

gouvernementales. Les expositions etaient montees

soit en collaboration avec des organisations

culturelles gouvernementales, soit par des

collectionneurs prives ou des syndicats non

gouvernementaux, soit encore par les musees

eux-memes. Elles ont accru le prestige des

collectionneurs et ont jete les bases de la

transformation des collections particulieres en

musees prives.

Les medias furent extremement sensibles a

l’essor de ces collections. Les causes et les effets du

phenomene ont ete etudies et analyses sous de

nombreux aspects : la politique, le systeme, la

societe, la reaction du public… Ces debats

mediatiques ont contribue a stimuler aussi bien

cette activite nouvelle que l’opinion publique. De

l’avis general, le developpement des collections

non gouvernementales traduisait une nette

amelioration des conditions socioeconomiques et

une hausse du niveau de vie de la population. Il

refletait aussi des idees et des pratiques nouvelles

en matiere d’administration culturelle de la part

des organismes gouvernementaux. Les

changements apportes au systeme economique, qui

ont encourage la croissance du secteur prive, ont

offert a la gestion des collections non

gouvernementales les fondements economiques

necessaires. Dans le sillage de la reforme

economique, le plan de developpement

economique de l’Etat, contenant les principes et

propositions essentiels relatifs a la regulation de

l’economie, a ete etendu a tous les secteurs

economiques. Cela a favorise l’essor du secteur

prive, des entreprises, des coentreprises et des

societes d’investissement. Le pouvoir de ces

nouveaux groupes sociaux n’a cesse de croıtre. Une

motivation personnelle relativement forte associee

a l’accumulation de la richesse reelle a permis la

creation de musees prives.

Dans ce contexte de changement

economique, les politiques de gestion culturelle

ont egalement encourage la societe a jouer un role

majeur dans la preservation des vestiges culturels.

En 1982 ont ete promulguees les « Lois sur la

protection des vestiges culturels de la Republique

populaire de Chine », qui specifiaient les types de

vestiges et d’objets culturels a proteger, et y

incluaient tres clairement les collections non

gouvernementales. Vers le milieu des annees 1980,

les principaux acteurs du marche culturel en

expansion se sont attaches a la fois a fournir des

services a l’intention des touristes etrangers et a

satisfaire l’appetit croissant du public chinois

d’expositions culturelles. C’est a cette epoque que

le Bureau du patrimoine a change radicalement

d’attitude a l’egard des collections non

gouvernementales : alors qu’elles etaient

considerees auparavant comme un simple appoint

par rapport aux collections nationales, il a reconnu

leur legitimite et l’importance de leur role pour la

protection de la culture nationale dans un contexte

de penurie des financements de l’Etat. Le Bureau

culturel engagea donc une reflexion concernant les

objets culturels personnels; partant du principe

que des mesures mieux adaptees et plus etendues

etaient requises pour la sauvegarde du patrimoine

culturel national, il mit en place des groupes de

travail charges d’etudier les moyens de renforcer

les collections privees.

Le developpement des musees prives en ChineSong Xiangguang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 45

L’Administration tenait a ce que tout

nouveau musee favorise la diversite culturelle et

sensibilise les populations au travail accompli par

les musees. La modernisation des musees a la fin

des annees 1980 et au debut des annees 1990 mit

l’accent sur la socialisation, la societe etant

encouragee a participer a la conception de

nouvelles institutions. L’administration des musees

dans certaines regions tentait de s’assurer le

concours de celebrites et de l’opinion publique

tandis que le gouvernement municipal de Beijing

s’efforcait de soutenir des artistes de renom tels

que Huang-Zhou, qui est a l’origine du Musee d’art

de Yan Huang.

La popularite croissante des collections

privees en Chine dans les annees 1980 provoqua

une recrudescence de la constitution de

collections, dont le potentiel economique etait au

demeurant mieux percu. Quelques-unes se sont

ressenties du recours a des methodes peu

scrupuleuses, certains collectionneurs attachant

davantage d’importance a la valeur economique

qu’a la valeur culturelle ou artistique des objets.

A Shanghai, a Beijing et dans d’autres villes ayant

une longue tradition de collections non

gouvernementales, certains ensembles d’objets

etaient axes sur un seul theme. En outre, comme

les ressources financieres de la majeure partie des

Chinois restaient limitees, les objets exposes

etaient bien souvent d’un prix abordable (series de

timbres, de boıtes d’allumettes, de journaux, de

revues, de pieces de monnaie, de billets de theatre

ou œuvres d’art populaire) et, du reste, vivement

apprecies du public.

Au fur et a mesure que les echanges de

vues entre collectionneurs s’elargissaient,

l’influence de leurs idees sur la societe grandissait,

mettant ainsi en evidence les bienfaits sociaux et

educatifs de l’ouverture des collections au public.

Certains collectionneurs ont ouvert leur maison,

invitant les visiteurs a venir voir leurs objets

personnels; c’est ainsi qu’on s’est mis a parler de

« maisons-musees ».1 Citons a titre d’exemple les

pieces d’habitation de Chen Shisuan, ouvertes a

Shanghai le 22 mars 1981 dans une grande

discretion. Cet exemple ayant ete suivi, la zone de

Shanghai comptait a la fin des annees 1980 seize

institutions de ce genre, bien gerees. L’entree etait

gratuite, mais il fallait souvent reserver a l’avance.

Les collectionneurs accueillaient les visiteurs avec

enthousiasme, assurant souvent eux-memes la

visite guidee et offrant parfois meme du the et des

rafraıchissements. Les maisons-musees de

Shanghai etaient a la fois petites, du fait du peu

d’espace disponible pour les besoins de la

presentation, tres specialisees, car centrees sur une

seule categorie d’objets (bouliers, cles, montres,

timbres, etc.) et surprenantes, du fait que la

plupart de leurs pieces n’avaient encore jamais ete

exposees, comme ce boulier long de 4 m presente

dans la collection de Chen Shisuan. Les

explications pleines d’imagination donnees a

propos des objets des maisons-musees differaient

grandement, bien entendu, de celles proposees

dans les musees d’Etat.2

Les administrations gouvernementales

avaient encourage l’existence et le developpement

de ces collections privees, estimant qu’elles

refletaient l’interet vivace du public envers

l’histoire et la culture. Comme elles avaient

encourage aussi le louable desir des

collectionneurs de servir la societe, les collections

privees en sont vite venues a faire partie du

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

46 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

paysage culturel. Mais comme elles se heurtaient

a des difficultes, telles que le manque d’espace et

de moyens de conservation ou encore

l’insuffisance des connaissances scientifiques, les

autorites gouvernementales appropriees ont pris

des mesures concretes, consistant notamment a

augmenter les subventions proposees aux

collectionneurs et a s’assurer que les organisations

culturelles offraient des espaces pour la

presentation des collections privees. Toutefois,

lesdites autorites ont ete rapidement informees de

trocs illegaux de pieces issues de collections

privees, et ont commence a s’inquieter du tort

que cela pourrait causer au travail de

conservation des vestiges culturels. Les annees

1980 ont ete caracterisees par une explosion des

vols d’objets de collections privees et par

l’apparition d’un marche noir. On en vint a

craindre que la vitesse avec laquelle les

collections privees s’etaient developpees n’ait

mene a un systeme d’acquisitions illegales et a un

trafic d’objets culturels.

Changement de cap pour les musees prives

Au debut des annees 1990, la mise en place de

l’economie de marche socialiste en Chine s’est

acceleree, et les systemes et methodes de gestion

des musees chinois ont reagi favorablement a

ªS

ong

Xia

ng

gu

ang

9

9. Vue exterieure du Musee d’art de Yan Huang.

10. Vue interieure du Musee d’art de Yan Huang.

ªS

ong

Xia

ng

gu

ang

10

Le developpement des musees prives en ChineSong Xiangguang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 47

l’introduction de methodes conformes au nouvel

environnement economique et social. La reforme

engagee visait principalement a gerer la diversite

des operations museales.

En 1990, le directeur du Musee de la

Mongolie-Interieure, Han Hao, et sa femme, He

Yunli, tous deux dotes d’une longue experience,

ont fonde le Musee des traditions populaires

Chilechuan au village du palais Xijiaoxiaodong a

Huhehot. Les espaces d’exposition occupaient plus

de 300 m2 et presentaient plus de 700 objets

provenant de la minorite ethnique locale.3 En

1991, l’Association des bureaux culturels de

Shanghai a approuve l’idee d’un Musee de la

theiere, qui a ouvert ses portes, en decembre 1992.

En octobre 1995, le Musee des papillons de

Zhongshan a ete inaugure dans le Guangdong; en

fevrier 1996, le statut de centre culturel lui a ete

accorde par la province.

Le 13 novembre 1993, le Bureau municipal

de la culture de Beijing a rendu public un ensemble

de normes intitule « Enregistrement et methodes

provisoires pour les musees de Beijing », qui a

ete valide par la municipalite le 23 decembre. La

« methode » centrale visait a resoudre le probleme

du manque de qualifications des gestionnaires

locaux des musees. Elle exigeait que les societes

et les particuliers qui ouvraient de nouvelles

institutions fournissent des justificatifs de leurs

qualifications, de maniere a assurer le meilleur

service public possible. A la meme epoque a peu

pres, plus de dix grands collectionneurs prives de

la region de Beijing deposaient un dossier dans

l’intention d’ouvrir un musee. Apres une etude

attentive des experts du Bureau, le directeur a

accepte, le 31 octobre 1996, que quatre de ces

candidats fondent et gerent un musee a Beijing.4

Cette decision a ete suivie d’un afflux constant de

demandes d’autorisation emanant d’importants

collectionneurs. Ce phenomene ayant ete

abondamment commente dans la presse, des

bureaux provinciaux ont ete a leur tour inondes de

requetes; c’est ainsi que s’est produit le premier pic

historique de la creation de musees prives. Au

milieu et a la fin des annees 1990, avant que les

« Lois sur la protection des vestiges culturels de la

Republique populaire de Chine » soient amendees

et promulguees de nouveau en octobre 2002, les

autorites provinciales et municipales de villes et de

provinces telles que Beijing, Shanghai, Chongqing,

le Guangdong, le Sichuan, le Zhejiang, le Liaoning

ou le Jilin avaient approuve la fondation de

dizaines de musees prives, parmi lesquels le Musee

des civilisations antiques a ceramique, le Musee du

santal rouge de Chine, le Musee de la sculpture

populaire Songtangzhai et la Galerie de la plate-

forme doree, tous situes a Beijing, ainsi que le

Musee de la porcelaine turquoise, dans la tour

Zhenbao, a Shenzhen (province du Guangdong),

et le Musee non gouvernemental de la medecine

traditionnelle chinoise, a Chongqing.

Bon nombre des objets qui formaient les

collections des musees prives a l’epoque avaient ete

acquis dans leur etat d’origine. Meme si les

proprietaires possedaient de nombreuses annees

d’experiences, la selection des pieces repondait

exclusivement a leurs centres d’interet, de sorte

que les collections etaient parfois de pietre qualite

– et la situation a cet egard ne s’ameliorait que

lentement. Dans des collections plus specialisees,

on accordait progressivement davantage

d’importance aux details, choisissant notamment

des objets qui illustraient les caracteristiques du

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

48 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

genre. Quant au fonctionnement des musees

prives, il reposait souvent sur l’interet personnel et

l’individualisme. Certains proprietaires

souhaitaient elargir l’acces du public a leurs

collections afin de renforcer son attachement a la

culture traditionnelle; d’autres esperaient

completer par la vente des billets d’entree des

revenus insuffisants; d’autres encore utilisaient les

recettes ou le statut social et juridique du musee

pour officialiser leurs collections. La situation

financiere de certains musees prives etait assez

fragile car ils dependaient d’entreprises de petites

ou de moyennes dimensions, voire des economies

personnelles des proprietaires. Quelques

musees recouraient meme a une methode

d’autofinancement en cedant des objets au rabais

a d’autres musees afin de se maintenir a flot.

Nombre de musees etaient installes dans des

locaux prives ou loues.

Apres une courte periode d’euphorie, les

proprietaires de ces musees se sont apercus qu’ils

se heurtaient a des difficultes imprevues et qu’il

leur faudrait travailler dur pour survivre. Ils ne

pouvaient plus compter sur les filieres

traditionnelles pour l’enrichissement de leurs

collections; le nombre des visiteurs n’etait pas

aussi eleve que la presse l’avait laisse esperer, si

bien qu’il fallait faire appel a des investissements

exterieurs.5 Divers musees ont manque de

financements ou de moyens de tresorerie, ce qui

a nui a leur fonctionnement, et certains ont

meme du fermer. Le Musee d’art Hanrongxuan a

Kunming (province du Yunnan), par exemple,

ouvert en avril 1999, a connu une crise financiere

en 2002; le Musee des minorites nationales du

Yunnan, grace a un soutien financier des

autorites provinciales, a rachete par la suite au

musee 838 objets ou ensembles d’objets culturels

provenant des minorites culturelles. Le Musee

d’art russe de Zhongshi a vu le jour en aout 2001

dans le Heilongjiang; en un an, pres de 100 000

personnes exonerees de droits d’entree l’ont

visite, mais les frais enormes exiges par

l’entretien de la collection ont greve les

ressources du proprietaire, Liu Mingxiu, au point

que le musee a du fermer en 2002. En outre, la

situation des musees s’est ressentie d’evenements

imprevus, tels que l’epidemie de SRAS (syndrome

respiratoire aigu severe) qui a fait chuter

brutalement la frequentation des musees prives.

Les musees prives diriges par les entreprises

privees

Au debut du XXIe siecle, les musees prives

chinois sont entres dans une nouvelle phase de

leur developpement. Le contexte social et le

cadre reglementaire se sont manifestement

ameliores. Des a priori specieux qui avaient cours

auparavant – notamment la crainte que les

collections non gouvernementales nuisent au bon

developpement et a la reforme des organismes de

protection du patrimoine culturel et a la gestion

des musees recemment reformes – ont ete dissipes.

Une fois que les musees prives se sont fixe

comme objectif de promouvoir le bien commun

et se sont attaches aux aspects specialises du travail

museal, la societe a adopte une attitude plus

impartiale a leur egard et a exerce une influence

sur leurs modes de fonctionnement et sur leur

evolution. La necessite de lutter contre les

difficultes qu’ils rencontraient a ete envisagee avec

realisme. Cela a apporte un certain soulagement

aux administrateurs et aux proprietaires, et toutes

les questions ayant trait aux locaux, a l’entretien

Le developpement des musees prives en ChineSong Xiangguang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 49

ou a l’enrichissement periodique des collections

ont pu etre etudiees avec objectivite.

Le Gouvernement chinois s’est employe a

soutenir activement le developpement des

initiatives culturelles et a encourage l’apport de

capitaux prives aux musees prives. Bientot, les

administrations culturelles nationales ont

promulgue des lois et des reglements afin de

repondre aux besoins fondamentaux de la

conservation des objets culturels et de la gestion

des musees. En 2001, la ville de Beijing publia les

« Arretes relatifs aux musees de Beijing ». En

octobre 2002, les lois amendees « sur la protection

des vestiges culturels de la Republique populaire

de Chine » sont entrees en vigueur, marquant une

nouvelle etape. Dans les nouveaux textes,

l’expression « objets culturels disperses »,

employee auparavant pour designer les collections

privees, etait remplacee par « objets culturels des

collections non gouvernementales ». A l’approche

discriminatoire adoptee jusque-la envers ces

collections se substituait une loi qui en

reconnaissait desormais le statut et l’utilite.

Parallelement, il etait demande aux collectionneurs

prives de remplir leurs responsabilites legales

concernant l’entretien et la protection des biens

culturels. Le 1er janvier 2006, un nouveau tournant

a ete pris avec la publication par le Ministere de

la culture des « Methodes de gestion des musees »,

ou etait specifie que « La nation soutiendra et

developpera l’activite des musees et encouragera

les personnes physiques et morales a creer des

musees. » Le document enoncait clairement les

conditions a remplir et les procedures a suivre, les

methodes de gestion et les modalites de fermeture,

etablissant fermement tout un ensemble coherent

de regles concernant les musees prives.

L’essor du marche de l’art et des objets

culturels a suscite l’interet d’un certain nombre

d’hommes d’affaires tres influents a l’egard des

musees prives. En janvier 2002, l’homme d’affaires

Chen Huiqun consacrait 1 900 000 yuans a la

construction du parc Yingjiemobao a Huaxia dans

la ville de Shenzhen. Le 23 mars de la meme annee,

le president du groupe Yueweixian de Tianjin,

Zhang Lianzhi, investissait dans la creation du

Musee Yueweixian, qui regroupait les anciens

musees Huayun, Quanzhen et Guya. Le 1er aout

2004, le directeur du groupe Tiandi de Nankin,

Yang Xiu, ouvrait le Musee Changfengtang; parmi

les joyaux de la collection figuraient des peintures

de Lu Yanshao, que l’homme d’affaires avait

acquises au prix de 69 300 000 yuans. En 2005,

Sun Haifang, un collectionneur prive de Chaoxing,

dans la province du Zhejiang, payait 68 millions

de yuans pour un terrain de 12,68 ha dans le

secteur dore du district de la capitale et prevoyait

de depenser 130 000 000 yuans supplementaires

pour la creation du Musee culturel du pays Yue.

En 2006, le groupe immobilier Jianchuan a

Chengdu financait la creation du syndicat des

musees Jianchuan.

Certains proprietaires ont engage des

sommes considerables pour la construction de leur

musee ainsi que pour la constitution de collections

de valeur. Le syndicat des musees Jianchuan, dans

le Sichuan, a engage des architectes chinois mais

aussi etrangers pour la conception de ses

batiments, et a consacre 500 millions de yuans aux

sites exclusivement, les depenses affectees aux

collections approchant les 20 millions de yuans par

an. Quant au Musee d’art Yilanzhai de Nanjing,

une somme de 250 millions de yuans fut allouee a

sa construction, confiee a l’architecte de renom

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

50 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

international Kisho Kurokawa. Cette association

entre musees prives et riches hommes d’affaires a

ete sans conteste benefique pour la situation

economique et les perspectives d’avenir du secteur.

Les syndicats a la tete des musees prives,

ainsi que leurs services commerciaux, ont pris

d’importantes mesures pour renforcer la culture

de l’entreprise dans ces institutions. Certains

proprietaires se servent d’elles comme de tribunes

pour accroıtre les ventes de leurs produits. Ainsi,

le directeur du groupe Tiandi de Nanjing a expose

des calligraphies et des œuvres d’art appartenant a

sa collection dans les bureaux du groupe. Le

groupe Red Dragonfly, de Ningbo, a etabli un

musee de la chaussure dans ses bureaux. Les

proprietaires considerent leur musee prive comme

une operation culturelle et misent donc sur son

developpement a long terme et sur son influence

positive sur la culture d’entreprise. Zhou

Chengjian, directeur d’un groupe de Shanghai, a

affirme a ce propos : « Nous avons besoin de l’aide

du monde de la culture, sans quoi notre combat de

ces cent dernieres annees aura ete vain. » Le

directeur du Musee Mumingtan de Beijing (riche,

notamment, de nombreux celadons Ru), Jiang Yu,

a egalement declare : « Le fait de diriger un musee

renforce le respect que l’on eprouve [a l’egard des

objets exposes], mais il faut aussi comprendre qu’il

s’agit d’un investissement sur le long terme. Les

musees publics et prives jouent des roles differents,

bien que nous puissions constituer des groupes qui

se soutiennent mutuellement. » Dans le cas de ce

musee, les experts et les collectionneurs de

ceramiques ont reagi de maniere tres favorable,

notamment en ce qui concerne le projet de

developpement du musee dans le sens d’une plus

grande commodite pour le public.

La conscience qu’ont les musees prives de

leurs responsabilites a l’egard de la societe est de

plus en plus marquee. Ils preservent une partie

croissante du patrimoine culturel des minorites

nationales tout en offrant au public un acces plus

rapide et plus aise a ce patrimoine. Le proprietaire

du Musee Pushang de Beijing, Xue Yanming, s’est

exprime clairement a ce sujet : « Nous

construisons des musees avec le desir profond de

restituer quelque chose a la societe. Nous

permettons a ces objets culturels d’etre vus par

tous. »

En insistant sur la mise en place de

structures de gestion interne et sur leur

rationalisation, tout a ete fait pour corriger la

situation passee dans laquelle des particuliers

geraient les musees, qui prosperaient ou

periclitaient selon leur fortune personnelle. En

1984, lors du deces de Wang Anjian, directeur du

« premier musee non gouvernemental chinois »,

situe a Shanghai, l’institution a du fermer ses

portes, et les collections ont failli etre dispersees.

Les musees prives ont reclame depuis une

optimisation du cadre politique et la mise en

place d’un organe de regulation en vue d’assurer

leur stabilite a long terme. Le Musee des arts

classiques Guanfu, a Beijing, a modifie ces

dernieres annees ses structures dirigeantes pour se

doter d’un « conseil d’administration », forme de

dix personnalites qui sont en mesure de reagir

aux evenements nouveaux et d’apporter leur

savoir-faire, leurs ressources et leur soutien pour

assurer le meilleur developpement possible des

collections.

Depuis les annees 1980, les musees prives

ont attire un large public. Ils ont developpe leurs

Le developpement des musees prives en ChineSong Xiangguang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 51

collections avec bonheur tout en recherchant un

mode operatoire legitime; ils ont egalement

cherche a participer a la mise au point de contrats

relatifs aux droits de propriete culturelle. Ils ont

surmonte les echecs du passe grace aux efforts et a

la perspicacite de nombreux specialistes, et

commencent progressivement a prosperer. Le

document du Gouvernement chinois intitule

« Methodes de gestion des musees » favorise

activement le developpement des musees prives

comme moyen d’enrichir la vie socioculturelle et

d’associer davantage de personnes a la preservation

du patrimoine culturel national.

NOTES

1. Shi Tong (1998), « Les collections privees de Shanghai », Musees

chinois 1. [en chinois]

2. Song Mingming (1989), « Les musees prives de Shanghai », Musees

chinois 2. [en chinois]

3. En 1996, le musee a transfere son administration a Huhehot, en

Mongolie-Interieure. Voir Zhang Huiyuan (1996), « Le Musee des traditions

populaires Chilechuan – un nouveau refuge d’importance », Musees

chinois 3. [en chinois]

4. Liu Chaoying (1997), « Analyse comparative des difficultes auxquelles

s’est heurtee par le passe la creation de musees prives a Beijing ».

Musees chinois 10, supplement. [en chinois]

5. Ma Weidu (mars 2003), « Les conceptions et la culture d’entreprise des

musees prives », dans la revue du Centre de recherche sur l’environ-

nement et le developpement de l’Academie chinoise des sciences

sociales, et du Centre de recherche culturelle de l’Academie chinoise des

sciences sociales, Recueil de travaux de recherche sur « La protection de

notre patrimoine culturel et la culture d’entreprise ». [en chinois]

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

52 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Aspects scientifiques ettechnologiques de la protectiondu patrimoine culturel :considerations dialectiquespar Shan Jixiang

Shan Jixiang a travaille comme chercheur et planificateur dans le domaine de la protection des

cites historiques et des communautes historiques et culturelles. Depuis 1994, il preside a la

restauration de la riviere artificielle Tongzi de l’ancien palais imperial des Qing, des ruines du

Yuanmingyuan et du mur d’enceinte de Beijing construit sous les Ming. De 2000 a 2002, il a

dirige les programmes de protection de vingt-cinq quartiers historiques du vieux Beijing et des

vestiges de la capitale imperiale ainsi que le projet « Beijing, cite d’histoire et de culture », tout

en supervisant la construction du parc olympique de la capitale. Depuis 2002, il s’efforce,

en tant que responsable du Bureau d’Etat du patrimoine culturel de la Chine, de promouvoir

et d’appliquer une politique active de preservation de ce patrimoine dans un contexte

d’urbanisation acceleree. Il a egalement anime les campagnes de protection de l’architecture

rurale, des paysages et circuits culturels et du patrimoine industriel, tout en redigeant de

nombreuses communications destinees a divers colloques internationaux. En 2003, il a recu

un prix d’excellence en matiere de planification decerne par l’American Planning Association

(APA). Il a notamment publie Urbanisation et protection du patrimoine culturel, De la ville

fonctionnelle a la ville culturelle, ainsi que de nombreux articles scientifiques.

La protection du patrimoine culturel est

un processus complexe a base d’investigations, de

recherches et d’evaluation mais aussi d’exposition,

de mise en valeur et de transmission des valeurs

patrimoniales. Elle implique egalement tout un

travail de localisation, de catalogage, de

preservation et de rehabilitation, dans le respect

des controles et reglementations concernant

l’environnement. Les aspects scientifiques et

technologiques de la protection du patrimoine

culturel associent les applications generales ou

specialisees de la science et de la technologie

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 53Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

modernes aux techniques traditionnelles

eprouvees. Ce patrimoine est expose aux ravages

du temps et sa conservation optimale est un etat

transitoire, pour ne pas dire inaccessible ou

irrevocablement perdu. Pour tout arranger,

l’urbanisation et la mondialisation galopantes ne

font qu’aggraver et accelerer sa degradation. D’ou

la necessite urgente d’apporter des remedes

scientifiques et technologiques.

Les progres de la science et de la technologie au

service de la protection du patrimoine culturel

international

L’aube du XXIe siecle a ete marquee par

d’importantes avancees technologiques. Les

technologies du vivant, de l’information et de

l’espace, associees aux sciences de la vie et de

l’energie (surtout dans le domaine de la recherche

fondamentale), ont ouvert de nouveaux horizons

aux chercheurs en quete de lois objectives et qui se

preoccupent en meme temps du developpement

economique et social. Ces avancees ont

radicalement transforme la philosophie et les

methodes de la protection du patrimoine culturel.

Si l’on en juge par l’evolution historique de la

sauvegarde du patrimoine culturel, on peut

affirmer que la preservation de ce patrimoine a

l’avenir dependra du niveau d’implication de la

science et de la technologie modernes dans le

processus.

On a pu constater ces dernieres annees

dans la plupart des pays une volonte accrue de

proteger le patrimoine culturel national qui se

traduit par des investissements massifs en

ressources materielles et humaines. L’Italie a lance

un programme special de protection de son

patrimoine culturel et la France a mis en œuvre un

plan national de recherches dans ce domaine. De

leur cote, les Etats-Unis ont lance un programme

de sauvegarde des « richesses de l’Amerique » et,

en 2003, l’Inde a emis la proposition d’evaluer,

proteger et preserver les richesses culturelles du

pays, a la fois en signe de respect pour sa

civilisation millenaire et afin de preserver et mieux

mettre en valeur son patrimoine culturel. Tous ces

plans font appel aux ressources de la science et de

la technologie pour une meilleure protection des

biens culturels.

Aujourd’hui, en effet, plus personne ne

conteste le fait que l’on ne peut se passer de la

science et de la technologie pour assurer la

protection durable du patrimoine culturel. En

effet, c’est le recours systematique aux moyens de

la science et de la technologie qui a permis de

rendre le travail de preservation plus efficace, plus

systematique et plus complet, et l’on peut dire

que l’integration organique de la technologie

moderne et des techniques traditionnelles

constitue l’essence meme de la protection

scientifique du patrimoine culturel. Que ce soit en

termes d’approfondissement, de specificite,

d’universalite, de securite ou de fiabilite, la science

et la technologie ne cessent d’ouvrir des

perspectives nouvelles au niveau de la reflexion,

des approches et des methodes qui entraınent

parfois un veritable bouleversement des pratiques

traditionnelles. Dans les pays les plus attaches a

leur patrimoine culturel, les nouvelles technologies

font sentir leur presence de multiples manieres.

Au niveau international, la science et la

technologie contribuent actuellement a la

protection du patrimoine culturel de plusieurs

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

54 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

manieres. En premier lieu, on est de plus en plus

conscient de la necessite de proteger les nouveaux

acquis scientifiques et technologiques par des

moyens juridiques. On met aussi davantage

l’accent sur l’exigence de rigueur scientifique, le

respect des regles et reglements et la normalisation

des procedures de travail. En deuxieme lieu, les

pouvoirs publics assument desormais le role

nouveau pour eux de coordonnateur en chef,

mettant fin au cloisonnement des regions et des

services et encourageant la collaboration entre

specialistes de differents domaines pour mieux

resoudre des problemes specifiques.

Troisiemement, un cercle vertueux de « recherche

fondamentale – applications concretes –

vulgarisation » a ete mis en place, sur la base

des principales exigences associees a la protection

du patrimoine culturel. Quatriemement, la

formation scientifique des professionnels de la

conservation a ete renforcee et des mecanismes

ont ete elabores en vue de mettre les ressources

internationales a la disposition des initiatives

locales de protection du patrimoine.

La protection scientifique du patrimoine culturel

en Chine : situation et problemes actuels

Au cours de la derniere decennie, la recherche

sur la protection du patrimoine culturel a

beaucoup progresse en Chine tant globalement

que ponctuellement. En meme temps, les

bouleversements technologiques et le souci

croissant de gestion rationnelle obligeaient les

responsables a une reflexion critique qui les a

amenes a se repositionner par rapport aux

techniques de protection traditionnelles. En

consequence, des mecanismes innovants ont ete

elabores en vue de mettre au point des techniques

de protection inspirees de conceptions nouvelles et

visant a instaurer un equilibre harmonieux entre

tradition et innovation. Mais si la Chine a fait des

progres considerables en matiere de protection de

son patrimoine culturel, ses moyens

technologiques dans ce domaine restent bien

inferieurs a ceux des pays occidentaux et meme de

certains secteurs d’activite comparables en Chine

meme. Le plus urgent est de mettre en place un

systeme efficace d’assistance a la protection du

patrimoine culturel, qui tienne notamment compte

des defis enormes a relever. A cet egard, le

11. Des experts de la conservation du patrimoine culturel renovent

des ouvrages de ferronnerie en plein air.

ªD

ivis

ion

des

scie

nce

sd

ela

con

serv

atio

net

de

l’in

form

atio

n(A

dm

inis

trat

ion

d’E

tat

du

pat

rim

oin

ecu

ltu

rel)

11

Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques

Shan Jixiang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 55

diagnostic peut etre formule de la maniere exposee

ci-apres.

La notion de protection preventive est loin

d’etre vraiment acceptee, meme chez les

specialistes de la defense du patrimoine. D’une

part, le patrimoine culturel est frequemment

expose aux calamites ou catastrophes naturelles,

comme le lessivage des eaux de pluie, les vents

violents, tempetes de sable, infestations d’insectes,

etc., qui constituent autant de menaces redoutables

pour les monuments du patrimoine immobilier.

Quant aux elements du patrimoine mobilier, divers

phenomenes comme les moisissures, l’alcalinite,

la cutinisation, la decoloration ou l’ecaillage font

qu’il est extremement difficile d’en preserver

durablement l’integrite. D’autre part, les operations

de sauvetage decidees dans l’urgence sous la

pression des circonstances prennent un peu

partout le pas sur les politiques murement

reflechies de protection preventive. S’agissant des

monuments historiques, par exemple, on consacre

beaucoup plus d’efforts et de ressources aux grands

projets de renovation qu’a l’entretien regulier et

meticuleux des batiments. Et pour ce qui est des

musees, les financements vont en priorite a

l’infrastructure au detriment de la renovation des

collections.

12. Laboratoire de datation au carbone 14 de l’Universite de Beijing.

ªD

ivis

ion

des

scie

nce

sd

ela

con

serv

atio

net

de

l’in

form

atio

n(A

dm

inis

trat

ion

d’E

tat

du

pat

rim

oin

ecu

ltu

rel)

12

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

56 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

D’une maniere globale, on n’investit pas

assez dans la recherche de portee generale. On ne

fait pas autant qu’on le devrait un usage rationnel

de la science et de la technologie dans le travail

d’investigation, de fouille, de conservation, de

recherche, d’exposition et de diffusion du

patrimoine culturel. Dans certains milieux, on

refuse meme de considerer la protection du

patrimoine culturel comme une activite

scientifique a part entiere et on la voit plutot

comme une discipline purement technique et donc

d’interet mineur. Cette politique a courte vue est

responsable des handicaps fonctionnels que

constituent, entre autres, l’inadaptation des

moyens de la recherche, les carences de la gestion

et les inegalites de developpement entre les

differentes regions du pays. En outre, la recherche

procede de facon sporadique et hasardeuse, d’ou

son incapacite d’aborder globalement les

problemes de fond ou de concentrer son attention

sur les differentes categories du patrimoine

culturel. A ce jour, la recherche scientifique n’a

encore apporte aucune contribution majeure a la

solution des grands problemes que pose la

protection du patrimoine culturel.

Les progres spectaculaires dans les

domaines specialises sont rares. La recherche

theorique et fondamentale ne progresse guere,

et les avancees technologiques susceptibles

d’applications durables correspondent rarement a

la demande. A se focaliser exclusivement sur les

problemes « d’une actualite brulante », il etait

inevitable qu’on neglige l’analyse systematique de

la valeur intrinseque du patrimoine culturel. Cela

explique egalement l’absence d’interet pour la

collecte et l’inventaire methodique des techniques

traditionnelles et l’ignorance des dernieres

avancees de la reflexion sur la protection du

patrimoine culturel. Ajoutons qu’il n’existe

toujours pas d’equipe faisant fonction de noyau

dur capable d’ameliorer le niveau general de la

protection ni d’infrastructures de recherche tenant

lieu de plate-forme accessible a tous, que le besoin

d’un systeme d’echanges pluridisciplinaires en

matiere de protection scientifique du patrimoine

culturel se fait cruellement sentir, et que

l’etablissement de standards et normes techniques

est une necessite urgente.

Les mecanismes d’application et de

diffusion des resultats de la recherche laissent

encore beaucoup a desirer. Les avancees de la

recherche theorique et les tentatives d’innovation

technologique ne beneficient pas d’un soutien

suffisant, et l’on n’utilise pas pleinement le savoir

et les methodes scientifiques. En consequence, bon

nombre des problemes cruciaux qui touchent a

la protection du patrimoine culturel n’ont toujours

pas trouve de solution. On n’a pas su tirer tout le

parti voulu des resultats de la recherche. Au lieu

d’etre largement diffuses, ils restent confidentiels et

ne trouvent qu’une utilisation limitee dans leur lieu

ou institution d’origine. Ce blocage des flux

d’information entre l’offre et la demande fait que

les decouvertes et avancees de la science et de la

technique n’ont aucune chance de franchir les

limites du cercle restreint des specialistes.

Comment renforcer la contribution de la science et

de la technologie a la protection du patrimoine

culturel ?

Aujourd’hui, la protection scientifique et

technologique du patrimoine culturel pose de

nombreux problemes preoccupants, notamment au

Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques

Shan Jixiang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 57

niveau de la mise en place des structures, des choix

strategiques et de l’elaboration des politiques.

Certes, la mise en œuvre d’une politique de

protection du patrimoine culturel doit se

conformer a la fois aux principes universels qui

gouvernent l’application d’une telle politique et

aux tendances generales de la science et de la

technologie, mais il lui faut aussi tenir compte des

conditions specifiques de la Chine. La protection

durable du patrimoine culturel de la Chine passe

par un dosage approprie entre interventions

d’urgence et protection preventive, etudes

generales et specialisees, recherche fondamentale

et recherche ciblee, innovation et vulgarisation.

Interventions d’urgence ou protection preventive ?

Le premier objectif de la protection scientifique

du patrimoine culturel est de retarder le processus

de vieillissement. L’eternel conflit entre destruction

et protection, encore exacerbe par la degradation

de l’environnement naturel et l’exploitation

toujours plus poussee des ressources de la planete,

n’a aucune chance de s’attenuer dans l’avenir

previsible. L’experience montre que nous ne

pourrons vraiment redresser la situation que si

nous parvenons, sur la base du savoir accumule par

la recherche, a depasser le stade actuel de

l’intervention d’urgence en faveur d’une politique

generale, dument codifiee, de protection

preventive. Prenons l’exemple de l’argile arka.

Ce materiau, couramment employe dans la

construction du toit et du sol des maisons de type

tibetain, a une etancheite tres faible, d’ou des fuites

frequentes et persistantes. Des chercheurs ont

imagine de melanger le materiau d’origine avec un

additif qui le rend beaucoup plus resistant a l’eau,

aux pressions et au gel, tout en preservant ses

qualites specifiques. L’emploi de cette argile

modifiee a ete officiellement agree pour le grand

programme de renovation du patrimoine culturel

du Tibet, montrant ainsi que certains objectifs

de protection preventive peuvent etre atteints

en renforcant la dimension scientifique des

programmes de rehabilitation.

Toute l’efficacite de cette action preventive

consiste a combiner des strategies d’ensemble

adaptees a des conditions specifiques avec des

taches immediates porteuses d’objectifs a long

terme. Ainsi, le sud-est de la province du Shanxi

est un veritable musee a ciel ouvert ou subsistent

de nombreuses constructions traditionnelles

en bois, la plupart en si piteux etat qu’on peut

craindre leur disparition prochaine. En

consequence, un programme regional a ete lance

sur cinq ans pour permettre aux specialistes de

mettre au point un systeme efficace de protection

de ces structures menacees. Ce programme prevoit

de faire appel a des technologies de pointe et a de

nouveaux materiaux protecteurs, d’ameliorer les

regles, reglements et normes relatifs a la protection

du patrimoine culturel et de renforcer le controle

des qualifications. Il permettra aussi de mettre en

place un dispositif de protection scientifique a long

terme couvrant a la fois les interventions d’urgence

et la protection preventive.

En matiere de protection preventive a base

scientifique, les efforts actuels des chercheurs

portent sur la mise au point de techniques

susceptibles de la plus large application visant a

retarder l’erosion des pierres et a proteger les

objets metalliques, les monuments en argile et les

peintures murales ou parietales grace a une

meilleure maıtrise des facteurs environnementaux

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

58 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

et en faisant appel aux biotechnologies. Il faut

toutefois preter davantage d’attention a la

recherche fondamentale debouchant sur des

technologies de protection applicables a la

renovation des objets et sur l’elaboration de

nouvelles strategies de preservation concues en

fonction de chaque environnement. Il conviendra

de mettre en œuvre des programmes de protection

de l’environnement visant en particulier a elaborer

des criteres d’evaluation plus fiables des diverses

technologies, ainsi que d’ameliorer celles qui

jouent un role determinant dans la preservation

de l’environnement patrimonial. Enfin, il faudrait

renforcer le contenu scientifique des projets de

renovation, s’agissant notamment des objets les

plus rares et les plus degrades.

Recherche generale ou specialisee ?

En raison de la diversite du patrimoine culturel

et des nombreuses menaces qui pesent sur lui, sa

protection fait appel a un large eventail de

disciplines. En outre, la multiplicite des biens

difficilement identifiables places sous la banniere

du patrimoine culturel fait que l’on se tourne de

plus en plus vers la science et la technologie.

« Toutes les choses dans l’univers sont plus ou

moins liees entre elles; cela explique

l’interdependance des ‘diverses’ disciplines qui

s’efforcent d’apprehender les lois qui les

gouvernent toutes. Car rien n’existe jamais

isolement du reste. »1 Aujourd’hui, de nombreuses

disciplines pionnieres sont amenees a s’interesser

aux temoignages du patrimoine culturel, et en

particulier a ceux qui couvrent de longues periodes

historiques ou sont etroitement associes a l’activite

humaine. Comme le disait fort bien le physicien

sino-americain Tsung-Dao Lee, co-laureat du Prix

Nobel en 1957: « La civilisation du XXe siecle etait

plus microscopique que macroscopique. A mon

humble avis, il serait souhaitable que la civilisation

du siecle a venir – le XXIe – soit les deux a la

fois. »2

Au debut des annees 1990, le celebre

architecte Wu Liangyong publia une mise au point

sur les transformations structurelles de la societe

contemporaine et leur impact sur le

reamenagement et le developpement de l’espace

urbain, preconisant pour resoudre les problemes

specifiques lies a cette evolution un effort de

recherche transdisciplinaire.3 En d’autres termes,

il s’agirait d’elaborer un dispositif centre sur une

problematique specifique rayonnant vers divers

domaines d’etude « peripheriques » mais

neanmoins pertinents. Cela permettrait a chacun

d’elargir sa sphere de connaissances (et de relever

du meme coup le niveau general de la recherche

scientifique), sans risquer pour autant de perdre

ses reperes dans une derive « transdisciplinaire »

effrenee.

Aujourd’hui, la recherche des applications

scientifiques et technologiques au service de la

protection du patrimoine culturel couvre un

champ tres large et fait appel a bien des techniques

differentes d’investigation, d’evaluation, de

preservation et de renovation. Le travail de

conservation est un processus complexe, qui exige

une cooperation etroite entre les diverses

disciplines scientifiques : science de

l’environnement, meteorologie, geologie, physique,

biologie et chimie. Ce processus ne fait d’ailleurs

pas seulement appel aux disciplines purement

scientifiques, mais aussi aux connaissances et a

l’expertise des historiens, archeologues,

Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques

Shan Jixiang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 59

anthropologues, architectes, sociologues,

economistes, geographes et botanistes.

La protection scientifique du patrimoine

culturel est desormais consideree comme une

entreprise multiforme au sein de laquelle la

recherche fondamentale et ses applications

concretes, les methodes modernes et les savoir-

faire traditionnels, les disciplines universitaires

et les technologies essentielles se completent

mutuellement. A titre d’exemple, un travail

d’evaluation et d’illustration des antiques

inventions chinoises s’est appuye sur une etude

empirique au cas par cas dans les secteurs de

l’agriculture, de l’irrigation, des communications

et des produits manufactures (textiles compris).

Ce processus a pleinement utilise toutes les

ressources de la documentation, de l’archeologie,

de l’experimentation et de la comparaison

internationale, sans oublier les techniques de

simulation – a telle enseigne que ces differentes

disciplines se recoupaient et que les informations

recueillies se completaient mutuellement.

Finalement, cela a permis de presenter une image

tres complete des caracteristiques essentielles de la

creativite du peuple chinois et du patrimoine qui

en est issu.

Recherche fondamentale ou ciblee ?

Les exigences et les defis en matiere de

conservation continuent a evoluer; c’est pourquoi

on devrait faire de plus en plus appel dans les

annees a venir a la recherche fondamentale en

liaison avec certains aspects importants de la

protection du patrimoine, comme les

caracteristiques des biens de tel ou tel site et leur

valeur, leur authenticite et leur etat de

conservation, leur importance et leur

representativite, ou encore les materiaux et

technologies en jeu. Par exemple, l’Institut de

recherche de Dunhuang a obtenu de remarquables

resultats dans la conservation scientifique des

peintures murales (en particulier celles des grottes

de Mogao), la consolidation des monuments

historiques tailles dans l’argile, et l’elaboration de

nouveaux materiaux de rehabilitation. Cela a

necessite un travail tres minutieux d’enquete, de

controle et d’analyse des donnees, et la

collaboration efficace des specialistes des sciences

naturelles et des sciences sociales, pour aboutir a

un systeme tres complet de protection reposant sur

des bases scientifiques.

L’entree des sciences exactes et naturelles

dans le domaine de l’archeologie a elargi le champ

des investigations et permis d’importantes

ameliorations des methodes de recherche. Par

exemple, l’utilisation de l’ADN et la cooperation

transdisciplinaire entre chercheurs ont

considerablement ameliore l’efficacite et

l’exactitude des missions archeologiques. « La

nouvelle problematique et les nouvelles methodes

decoulant de ce processus sont finalement plus

importantes que les decouvertes elles-memes.

Apres tout, l’archeologie ne pourra progresser

que si l’on arrive a poser les bonnes questions et a

se doter des moyens appropries pour les

resoudre. »4

La protection du patrimoine culturel ne

peut ignorer les exigences fondamentales de

l’epoque. Il faut s’efforcer de traiter en priorite les

questions les plus urgentes et les problemes qui

interferent avec le processus de conservation; des

programmes de recherche devraient etre

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

60 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

specialement concus afin de resoudre les

problemes les plus pressants. Un bon exemple est

le Programme de recherche sur les origines de la

civilisation chinoise, etude exhaustive de cinq

millenaires de patrimoine culturel a partir des

vestiges historiques existants. S’appuyant sur le

travail de terrain anterieur, inspire pour l’essentiel

du principe de la classification par zones, il vise a

elargir et approfondir les echanges et la

cooperation entre les differentes regions,

administrations et disciplines. Son objectif est de

retracer la sequence chronologique des periodes

archeologiques pour tenter d’etablir des liens

logiques entre elles. En faisant appel aux

technologies les plus recentes, le programme

s’efforce d’integrer et d’ameliorer la transmission,

l’analyse et l’interpretation des informations

relatives aux vestiges existants.

Les defis actuels sont nombreux : il s’agit

a la fois de faire progresser encore la recherche

fondamentale et l’innovation technologique, de

former du personnel, de creer des centres de

recherche et de formation et de moderniser les

equipements et l’infrastructure – sans pour

autant negliger les activites essentielles que sont

le sauvetage, la preservation, la gestion et la

mise en valeur du patrimoine. Une telle

ambition presuppose que les tentatives

d’innovation theorique ou institutionnelle se

placent dans le cadre plus general de la

protection scientifique du patrimoine culturel.

Le Programme de protection sur une grande

echelle des sites anciens du patrimoine culturel,

par exemple, adopte une approche scientifique

pour se doter d’un cadre methodique de

protection preventive permettant de s’attaquer a

des problemes majeurs, comme le vol d’objets

culturels. Ce programme concentre egalement

ses recherches sur les aspects archeologiques

et humanistes de la protection du patrimoine

culturel, et apporte un soutien empirique aux

activites d’investigation et d’evaluation

necessaires pour assurer une protection efficace

des sites abritant des monuments anciens tres

vastes.

Innovation technologique et vulgarisation

La protection du patrimoine culturel repose sur

la mise en place d’un systeme d’innovation

scientifique et technologique faisant partie

integrante d’un reseau national, plus vaste,

d’innovation transdisciplinaire. D’un point de vue

strategique, cela permettrait d’instaurer de

nouveaux rapports de cooperation, centres sur la

quete de l’innovation, en forgeant des liens a la

fois internes (entre les services de protection

du patrimoine) et externes (avec les instituts de

recherche et les universites). Un des objectifs

majeurs est d’inciter l’Etat a s’impliquer davantage

dans l’elaboration des politiques d’innovation

scientifique et technologique, de le persuader de

coordonner et d’integrer les fonctions des

differentes regions et administrations, de montrer

en quoi la science et la technologie contribuent a la

protection du patrimoine culturel, et d’encourager

la societe a continuer a investir dans la recherche

scientifique et technologique.

Un aspect essentiel de cette reforme

consistera a optimiser la recherche universitaire

et le developpement technologique, a repartir

plus rationnellement les ressources sociales et a

s’efforcer de tirer le meilleur parti possible des

resultats de la recherche fondamentale. En meme

Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques

Shan Jixiang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 61

temps, toutes les ressources intellectuelles des

instituts de recherche, colleges et universites

seront mobilisees, tant au niveau national que

regional, avec creation de plusieurs centres

professionnels de recherche de pointe et de

laboratoires mobiles, en vue de promouvoir les

sciences sociales et naturelles et les sciences

appliquees. L’objectif est de creer un systeme

d’innovation et de vulgarisation scientifique

et technologique a trois niveaux, a savoir : les

organismes nationaux de protection du

patrimoine culturel, les centres de recherche

professionnels et les musees qui abritent les

collections.

Les chercheurs et techniciens ne sont pas

seulement les artisans du progres scientifique et

technologique; ils en sont aussi les propagateurs.

C’est pourquoi il faut leur donner plus de moyens

de transformer les acquis de la recherche en

benefices concrets pour le plus grand nombre.

En consequence, il faudra rendre plus accessibles

les services de consultation technologique et creer

des zones pilotes en liaison avec des plates-formes

d’echange, afin de diffuser les moyens et

equipements de recherche, les specimens de

ressources ainsi que la documentation scientifique

et technique, l’objectif etant de propager

l’innovation technologique au sein comme en

dehors de la profession. Il s’agit a terme d’etablir

une relation plus equilibree entre « entrees »

et « sorties », afin de promouvoir la diffusion

de technologies de pointe et de faciliter leur

exploitation.

L’emergence des technologies numeriques

offre de nouvelles perspectives d’exploration de la

dimension humaine du patrimoine culturel. Il

faudrait creer, alimenter et tenir a jour des banques

de donnees suffisamment completes pour

permettre aux technologies de l’information de

realiser pleinement leur potentiel en matiere de

stockage permanent et de sauvegarde des donnees

du patrimoine. Il est essentiel d’associer les moyens

de la technologie informatique et les methodes

traditionnelles pour mettre pleinement en evidence

les valeurs implicites du patrimoine culturel.

Aujourd’hui, nous sommes tous confrontes a ce

double defi : numeriser le patrimoine culturel et

enrichir ce patrimoine grace a la technologie

numerique.

En guise de conclusion

La science et la technologie ont un role crucial

a jouer dans la protection des tresors culturels

de la nation. Elles sont a la fois la base et le

moteur du progres dans la duree. L’objectif

immediat et prioritaire est de mettre tous les

moyens qu’elles offrent au service des diverses

initiatives de protection du patrimoine. Il faut

faire œuvre de pionniers en matiere de recherche

theorique, d’applications concretes, de grandes

orientations et de creation de disciplines

nouvelles, afin d’aider et d’encadrer la protection

du patrimoine culturel.

L’evolution generale de la preservation du

patrimoine culturel privilegie la protection

preventive, c’est-a-dire une demarche active plutot

que passive. Mais cela suppose une maıtrise plus

rigoureuse des parametres de l’environnement, une

vigilance accrue en matiere de maintenance

reguliere, et l’amelioration des techniques

d’assainissement et de controle du milieu. En

meme temps, il conviendra d’optimiser les indices

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

62 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

mesurant la preservation de l’environnement et

d’ameliorer les caracteristiques des dispositifs de

protection, de maniere a depolluer, securiser et

stabiliser l’environnement physique du patrimoine

culturel.

L’apparition et le developpement de

nouvelles conceptions de la protection du

patrimoine culturel impliquent l’amelioration des

methodes traditionnelles, associees a des

disciplines plus academiques. Il faut concevoir de

vastes programmes de recherche capables de

transcender les barrieres traditionnelles entre les

disciplines, les regions et les services, de facon a

mettre en place un mecanisme ouvert, souple,

competitif et coordonne apte a gerer le

developpement a long terme comme les operations

au quotidien. En concentrant ce qu’il y a de

meilleur tant au plan national qu’international en

matiere de ressources intellectuelles, il deviendra

possible de mieux integrer les moyens scientifiques

et technologiques de l’Etat et des instances locales,

et de donner aux universites et centres de

recherche scientifique toute latitude de deployer

leurs forces au sein de programmes cles afin de

s’attaquer conjointement aux problemes les plus

urgents.

Des orientations strategiques en phase

avec les besoins les plus pressants en matiere de

protection du patrimoine culturel national

devraient etre definies en tenant compte a la fois

des preoccupations immediates et des

perspectives d’avenir. Les questions les plus

urgentes feront l’objet d’etudes prioritaires, en

privilegiant ces noyaux technologiques qui

justifient un effort immediat parce qu’ils

proposent des objectifs clairement definis,

s’appuient sur une base technologique solide ou

permettent d’esperer des avancees spectaculaires

rapides. Enfin, la recherche specialisee dans des

domaines pionniers sera encouragee sur une

grande echelle. Tout cela devrait permettre de

disposer bientot d’un ensemble commun de

technologies efficaces au service de la protection

du patrimoine.

La vulgarisation des resultats de la

recherche scientifique et technologique est un

projet ambitieux et de longue haleine, qui met en

jeu tout un ensemble de problemes et de facteurs

interdependants. C’est pourquoi il faut mettre en

place des infrastructures appelees a servir de

plates-formes pour dynamiser l’innovation

scientifique et technologique et promouvoir la

vulgarisation technologique, permettant ainsi aux

acquis de la recherche de creer des tendances

directrices, d’etablir des normes et de faire la

preuve de leur valeur pragmatique.

NOTES

1. Wu Liangyong (2001), Introduction a la science de l’environnement

residentiel, Beijing : Chinese Architectural Industry Press, p. 101–2.

[en chinois]

2. Tsung-Dao Lee (1998), preface a Perspectives de developpement de la

Science au XXIe siecle : 100 Points Difficiles, Jilin : Jinlin People’s Press.

[en chinois]

3. Wu Liangyong et Ju’er Hutong (1994), Le vieux Beijing, Beijing : Chinese

Architectural Industry Press, p. 232. [en chinois]

4. C. Renfrew et P. Bahn (2004), Archeology : Theories, Methods and

Practice, Londres: Thames & Hudson. Beijing: Cultural Heritage Press.

trad. Institut archeologique de l’Academie chinoise des sciences sociales,

p. 503.

Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques

Shan Jixiang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 63

La numerisation des museeschinoispar Li Wenchang

Li Wenchang, directeur du site Internet du Bureau de la presse culturelle chinoise, est

chercheur adjoint. Il s’interesse depuis longtemps a la situation des musees en Chine et a

la recherche museologique. Il a contribue aux Statuts du Musee de Beijing, aux Statuts des

musees de Chine et a d’autres reglementations dans ce domaine.

Il est communement admis que les musees ont

fait leur apparition en Chine au debut du XXe

siecle, avec la fondation en 1905 du Musee du

Nantong dans la province du Jiangsu, considere

comme le tout premier musee de Chine. Cent

ans plus tard, alors que l’humanite entrait dans le

XXIe siecle, la Chine comptait quelque 3 000

musees. Dans ce laps de temps, les musees

chinois ont connu deux transformations

majeures. La premiere a ete la modernisation de

vastes complexes desuets grace a la construction

massive de nouveaux locaux, et la deuxieme la

numerisation de la documentation des musees.

Le present article est consacre a la numerisation

des musees chinois.

Outre la numerisation des musees, un

autre modele de gestion communement utilise

est celui du musee fonde sur les techniques de la

communication et de l’information (TIC). Les

recherches sur les differences entre ces deux types

de musees sont encore en cours, ce qui illustre une

theorie non prouvee selon laquelle il s’agirait de

deux systemes tres differents. En realite, il n’y a

la qu’une difference d’approche et il ne faut pas

laisser cette question compliquer les choses. Cette

theorie non prouvee reflete egalement la confusion

64 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008

Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

quant aux implications de la numerisation des

musees : s’agit-il de la numerisation des musees, de

musees numerises, de musees numeriques ou de

musees virtuels ? Beaucoup de gens ne font pas

de distinction claire entre ces types de musees ou

leurs utilisations, aggravant ainsi la confusion.

La confusion la plus courante est celle qui est faite

entre numerisation des musees et musees

numeriques. Ce sont la deux questions

fondamentalement differentes, mais beaucoup les

confondent, et en parlent comme s’il s’agissait de la

meme chose.

La longueur de cet article etant limitee, les

questionnements quant aux sens des notions

susmentionnees ne peuvent etre examines en

profondeur. Toutefois, afin d’eviter la confusion,

les termes utilises dans cet article sont brievement

expliques ci-apres.

La numerisation des musees implique

l’utilisation de la technologie numerique

(informatique, techniques de stockage

numerique, technologies des medias, en ligne, de

communication et numeriques) pour tous les

aspects de la numerisation de l’entite musee.

C’est un processus continu qui peut comprendre

la construction d’un site Internet, la

numerisation de la gestion des collections

du musee, des presentations virtuelles,

l’automatisation numerique, la construction de

reseaux, etc.

Un musee numerique est un musee qui a

deja ete numerise avec succes et qui a abouti a un

resultat numerique. Par exemple, le Musee de la

capitale (a Beijing) est un musee numerise. Ce type

de musee est aussi une entite distincte.

En somme, les musees numeriques sont

des musees etablis dans le cyberespace. Ils ont en

general deux caracteristiques particulieres. D’une

part, comme ce sont des musees, ils doivent

presenter les caracteristiques fondamentales de

tout musee; d’autre part, comme ce sont des

musees virtuels, ils sont depourvus de forme

materielle. Il faut noter que dans cet article la

question de la numerisation des musees chinois

couvre les deux aspects – la numerisation des

musees et les musees numeriques.

Objectifs de la numerisation : des musees sur

l’Internet

S’agissant des objectifs de la numerisation,

l’administration d’Etat du patrimoine culturel a

organise de nombreuses reunions dans les

annees 1980 a Shanghai pour permettre a la

population de debattre de la construction de

musees fondes sur l’information et d’exprimer

ses vues a ce sujet. Mais ces rencontres ne

constituerent qu’un tour d’horizon en interne.

Je suis d’avis que la numerisation des musees

chinois aurait du, des le depart, inclure

l’utilisation des sites Web des musees. C’est en

fait l’arrivee desdits sites dans le cyberespace qui

permit finalement aux responsables des musees

d’annoncer qu’ils commencaient a numeriser les

musees chinois.

En aout 1998, le site du Musee du Henan

a ete le premier a etre affiche sur le Web.

Quelques annees plus tard, a mesure que la Toile

s’etendait, de plus en plus de sites de musees

firent leur apparition et toujours plus

d’internautes purent donner leur opinion sur les

musees en ligne.

La numerisation des musees chinoisLi Wenchang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 65

« Les musees en ligne » correspondent a la

premiere vague de numerisation des musees. Les

plus importants musees nationaux et provinciaux

ont desormais leur propre site independant. De

nombreux petits et moyens musees specialises sont

egalement sur la Toile. Aujourd’hui, la construction

de sites Internet est un phenomene courant dans le

travail de numerisation des musees chinois.

Numerisation des musees et musees numerises

Alors que toujours plus de musees apparaissaient

sur l’Internet, la numerisation des musees chinois

est entree dans la seconde phase de son

developpement, apres l’introduction de logiciels

concus pour gerer le stockage numerique des

collections.

Les collections occupent une place centrale

dans l’entite musee. La numerisation a entraıne

l’apparition de multiples musees sur l’Internet et,

en consequence, un grand nombre d’institutions se

sont tout naturellement attelees a la numerisation

de leurs collections. Le Musee du Henan, le Musee

de Shanghai et d’autres ont rapidement montre la

voie pour ce qui est des objets culturels. Puis,

beaucoup de musees, parmi les plus importants,

ont elabore leurs propres logiciels de gestion des

collections. En 1999, le Bureau municipal de la

culture de Beijing, charge des projets au Musee

municipal de Beijing, a produit lui-meme un

systeme de gestion de ses collections, utilisable

egalement par tous les musees de la ville. C’etait la

premiere fois qu’une administration culturelle

creait un programme de numerisation a l’echelon

du district. La numerisation des collections de

musee a connu immediatement un essor

considerable.

En septembre 2001, l’administration d’Etat

du patrimoine culturel, avec l’aide du Ministere des

finances, a initie son programme d’« inspection du

patrimoine culturel et creation de systemes de

gestion de bases de donnees ». C’etait la premiere

fois que l’administration centrale se lancait dans un

programme de numerisation de musee a l’echelle

nationale, ce qui demontre l’effet qu’ont pu avoir la

conception et la mise au point de logiciels de

gestion des collections sur les politiques menees

durant cette periode.

A mesure que les technologies de

l’information se developpaient, on a commence a

s’interesser serieusement a la numerisation des

musees. Une fois entamee la numerisation des

collections, l’automatisation numerique a

rapidement investi le domaine de la numerisation

des musees, qui s’est peu a peu etendue a tous les

aspects de l’activite museale. L’installation de

l’Intranet necessitait un materiel de coordination

des systemes. La numerisation integrale a permis

a des musees tels que le Musee du palais imperial,

13. Vue sur ecran du Musee virtuel de Beijing.

ªL

iW

ench

ang

13

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

66 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

le nouveau Musee de la Capitale et le Musee de

Nanjing de developper de nouvelles fonctions.

Representatif des anciens musees, le Musee de

Nanjing a donne la priorite a l’achevement de son

site Internet, a la gestion de ses collections, a la

mise en systeme de sa bibliotheque ainsi que de ses

nombreux objets d’exposition multimedia et a

l’installation d’un Intranet. Il a ce faisant

automatise ses systemes d’information numerique,

de prevention des incendies, de securite et de

bureautique.

La technologie de la realite virtuelle a ete

utilisee par les musees pour presenter des

expositions en 3D sur le Web. L’experience de

numerisation des musees menee en Chine a donne

une impulsion nouvelle a ces institutions.

Objectif : des musees numeriques

Apres ce travail de numerisation des musees,

l’etape suivante, en toute logique, etait la

construction de « musees numeriques ». La

bonne execution du programme « Inspection

du patrimoine culturel et creation de systemes

de gestion de bases de donnees », qui a assis

sur des bases solides le projet « Musees

numeriques chinois », a joue un role crucial

a cet egard.

Le travail de recherche et de construction

concernant les « Musees numeriques chinois »

est un element important du programme

d’infrastructure et d’organisation du Ministere

national de la culture. Ce programme comprend

l’etablissement d’une base de donnees sur le

patrimoine culturel chinois, la rationalisation des

donnees stockees, la mise en place de plates-formes

de gestion securisees et de plates-formes reliant la

base de donnees sur le patrimoine culturel au Web,

et l’uniformisation des technologies cles utilisees

par les musees numeriques dans leurs programmes

(c’est-a-dire expliquer clairement le cadre global et

les plans des musees numeriques). La forme et

l’orientation que prendront les « musees

numeriques chinois » ne sont qu’une question de

temps.

Une fois globalement numerises, les

musees ont commence a creer leurs propres

musees numeriques. Ainsi, apres que l’Institut

de recherche de Dunhuang a adopte des

methodes de recherche scientifique empruntees a

l’etranger, un debat s’est instaure a propos d’un

« Dunhuang numerique », concurremment avec

un travail de numerisation d’elements du

patrimoine culturel tels que les grottes, les

peintures murales et la statuaire bouddhiste

peinte des grottes de Mogao a Dunhuang. Des

documents historiques, des travaux scientifiques

et autres materiels pertinents disperses dans le

monde ont ete numerises et archives. Grace a

cette ressource integree, un « Dunhuang

numerique » est ne.

14. Exposition virtuelle du Musee de la capitale.

ªL

iW

ench

ang

14

La numerisation des musees chinoisLi Wenchang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 67

Le debat s’est ensuite tourne vers

l’ouverture de musees numeriques regionaux.

Le « Musee numerique de Beijing » a ete lance en

ligne en septembre 2006, a l’issue de consultations

entre le Bureau municipal de la culture de Beijing,

le Bureau municipal de Beijing pour les activites

fondees sur les TIC et l’Association scientifique

et technologique de Beijing. En aout 2008, la

« Plate-forme du Musee numerique de Beijing »

a ete etablie et validee apres verification par des

specialistes. Structurellement, il s’agit d’un

melange de virtuel et de reel. La partie « reelle »

comprend 157 entites specialisees en vulgarisation

scientifique, qui dependent du Musee des sciences

naturelles, du Musee des sciences sociales, du

Musee des religions, du Musee Quwei Dongman et

de plusieurs autres grandes institutions. La partie

« virtuelle » est composee de musees virtuels ou

numeriques independants. Ces derniers se sont

diversifies et comprennent aujourd’hui un musee

numerique des sciences et des arts, un musee

numerique des traditions populaires de Beijing

et un musee numerique de la medecine chinoise

traditionnelle, de Beijing entre autres.

Il faut aussi noter que comme les Jeux

Olympiques de 2008 auront lieu a Beijing, le

Comite olympique de Beijing a deja commence a

mettre sur pied un « Musee olympique

numerique », premier musee en ligne du monde

couvrant tous les aspects du mouvement

olympique, dont une introduction a l’histoire des

Jeux, leur evolution et developpement. Il

s’appuiera sur des ressources considerables en

lien avec les JO de Beijing en 2008, les JO

anciens et recents, et la culture sportive seculaire

de la Chine. Il exposera des objets culturels de

l’histoire des Jeux, mettant en valeur les exploits

des grands champions et exaltant l’essence

des JO.

Les premiers pas vers la numerisation

effective des musees chinois ont ete accomplis dans

les annees 1990 et il y a deja eu trois etapes

distinctes de developpement : d’abord « les musees

sur l’Internet », ensuite la « numerisation des

musees » et les « musees numerises », enfin les

debuts des « musees numeriques ».

Les actions de numerisation

Les musees

Au fil du temps, les musees chinois ont explore

toutes les manieres positives d’utiliser la

numerisation. Les pionniers dans ce domaine,

notamment le Musee de Shanghai, le Musee du

Henan, le Musee de Nanjing et d’autres, ont

activement œuvre en faveur de sa promotion et

acquis une experience qui a largement contribue a

son developpement, et dont l’influence est chaque

jour davantage pregnante.

L’un des exemples les plus recents et les

plus reussis est la numerisation du Musee de

la Chine, situe dans la nouvelle aile du Musee de la

Capitale a Beijing, ouvert en 2006, modele de

modernisation. L’ancien batiment a offert un site

merveilleux au nouveau musee numerise, dont on

peut dire qu’il l’est entierement. Il se distingue par

les trois caracteristiques suivantes : en premier

lieu, la base de donnees sur le musee a ete

entierement construite a partir d’un modele de

technologie numerique et la collection elle-meme

est geree numeriquement; ensuite, la technologie

numerique est pleinement utilisee pour les

expositions classiques et multimedia : les

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

68 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

projections sur ecrans multiples, effets speciaux,

spectacles de realite virtuelle et images de synthese

sont completement integres sur tout le site; enfin,

c’est le premier musee dans le pays a installer des

systemes personnalises utilisables aussi bien

comme plate-forme d’information pour le

personnel que par le public. Ils comprennent un

systeme de gestion de l’information sur le

patrimoine culturel, des systemes de sauvegarde

pour les presentations multimedia, le site Internet

du musee et plus de dix autres elements. Grace a

ses efforts, le Musee de la Capitale a acquis une

experience considerable dans le domaine de

l’installation de systemes museaux numerises.

Les entreprises commerciales

A mesure que la numerisation des musees chinois

prenait de l’ampleur, le besoin de renforcer les

styles de leadership de gestion s’est accru,

engendrant des pratiques similaires a celles du

monde des entreprises. En 2003 et 2006 ont ete

crees le Comite special de numerisation de

l’Association chinoise des musees et le Comite

special des TIC de la Societe culturelle chinoise.

Des associations commerciales ont ete mises sur

pied pour assurer la liaison entre les pouvoirs

publics et les musees et promouvoir la cooperation

entre musees et recherche theorique sur la

numerisation, entre autres. Il convient de signaler

l’excellent protocole adopte a la reunion annuelle

pour permettre a tous les participants d’echanger

des idees, de tirer des lecons des erreurs des uns

et des autres et d’apporter des ameliorations.

Le Gouvernement

Ce sont les services gouvernementaux qui

conduisent, dirigent et garantissent le processus de

numerisation des musees chinois, lequel exige le

lancement de nouvelles initiatives a intervalles

reguliers.

En tant que principal service

gouvernemental responsable des musees, le

Ministere chinois de la culture a publie des

« Directives (experimentales) sur les cibles

d’information pour les collections de musees », des

« Directives (experimentales) sur l’utilisation de la

technologie des films bidimensionnels dans les

collections de musee » et d’autres directives sur les

normes de la technologie numerique; il a lance un

programme d’« Inspection du patrimoine culturel

et creation de systemes de gestion de bases de

donnees »; il a mis en place un centre de donnees

du Ministere national de la culture; il a promu la

recherche en vue d’une base de donnees sur

l’inestimable patrimoine culturel de la Chine, sur

les « musees numeriques » et sur d’autres

questions importantes; enfin, il a institue la

protection des informations commerciales relatives

au patrimoine culturel avec la strategie « 10-1-5 ».

L’essentiel, c’est que la construction des « musees

numeriques chinois » est une entreprise

d’envergure et que tous les services

gouvernementaux sont plus ou moins appeles

a y participer.

Dans la gestion du patrimoine culturel

national, patrimoine materiel et patrimoine

immateriel sont administres separement. Quand

le Ministere de la culture a activement debattu de

la question de l’etablissement des « musees

numeriques chinois », son departement culturel a

aussi envisage en profondeur la numerisation du

patrimoine immateriel chinois. En juin 2006, sous

la direction du Bureau de la culture de la

Republique populaire de Chine et de l’Academie

La numerisation des musees chinoisLi Wenchang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 69

chinoise des arts, un modele de « Musee

numerique du patrimoine immateriel de la Chine »

a ete presente puis affiche sur les sites nationaux

specialises dans les diverses categories de

patrimoine immateriel. Ce modele traitait de tous

les aspects du patrimoine culturel vivant chinois et

constituait un complement tres utile des « musees

numeriques chinois ».

Les musees des universites occupent une

place particulierement importante en Chine et leur

numerisation est devenue une priorite majeure du

Ministere de l’education. En 2001, le ministere a

publie sa « Strategie pour une transformation

radicale de l’education au XXIe siecle », qui

comportait un programme en vue de

l’etablissement special d’« une ressource educative

commune moderne sur l’Internet – la creation d’un

musee universitaire numerique ». Le Musee

numerique de geologie de l’Universite de Beijing

et plus de dix autres musees universitaires

numeriques ont ete crees a ce jour.

Malgre les avancees que l’on peut observer,

le developpement de la numerisation des musees

en Chine doit se poursuivre, grace aux efforts et

objectifs conjugues des musees, des entreprises

commerciales et du gouvernement.

Problemes actuels

Au bout de dix ans d’intense travail constructif sur

la numerisation des musees, les resultats positifs

sont reels, qu’il s’agisse des progres rapides de la

construction de sites Web ou de l’enregistrement

numerique d’un tres grand nombre de pieces des

collections de musees numerises. Cela est

particulierement vrai en ce qui concerne le Musee

du palais imperial, le Musee de Shanghai, le Musee

de la capitale et le Musee de Nanjing, tous

pionniers en matiere de numerisation. Dans leur

effort de numerisation, ils ont deja atteint, ou sont

sur le point d’atteindre, les normes nationales.

Cependant, pour diverses raisons, il reste encore

beaucoup a faire.

Manque de preparation theorique

C’est le personnel des musees chinois qui a pris

l’initiative de les numeriser; la pratique a precede

la theorie, puisqu’au depart il n’y eut ni

preparation theorique ni modele experimental.

Aussi la numerisation des musees, surtout dans les

premiers temps, s’est-elle faite a l’aveuglette et

arbitrairement, sans vision ni strategie a long

terme.

Niveaux globaux de resistance

Actuellement, on compte en Chine environ 3 000

musees de tous types, formes et genres. Lorsque

la numerisation a commence, un dixieme au plus y

a participe (il ne s’agit que d’une estimation,

faute de donnees statistiques). Alors que la

numerisation etait deja en marche, sauf dans les

musees des minorites ethniques, la plupart des

gens avaient relativement peu de competences et

de connaissances concernant les applications des

technologies. Bien que la numerisation se soit

considerablement etendue, l’expertise n’est pas

largement disponible et il faut encore ameliorer les

competences. On peut donc considerer que

globalement les niveaux de numerisation dans les

musees chinois sont encore inadequats.

Disparites de developpement

Le developpement de chaque region et de chaque

musee a ete inegal en raison de l’heterogeneite des

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

70 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

conditions operationnelles, et il subsiste de grandes

disparites. Les regions economiquement avancees

disposent de meilleures ressources humaines et

financieres et leurs grands musees ont des collections

plus riches, ce qui leur permet de mobiliser

davantage d’attention et de soutien, et donc de se

developper encore plus vite. En ce qui concerne le

financement, la region developpee de l’est beneficie

de beaucoup plus d’investissements que la region du

centre-ouest, au developpement plus lent. Qui plus

est, les disparites ne cessent de croıtre.

Autogouvernance

Comme il a deja ete note, la numerisation des

musees chinois a ete entreprise par les musees

eux-memes : l’unite d’information numerique de

chaque musee numerise a donc fonde un modele

unique, suivant ainsi une tendance generale du

developpement numerique des musees chinois.

Comme les musees ne pouvaient se developper

qu’en fonction de leurs besoins specifiques, ils ne

pouvaient acceder a un niveau superieur. Il en est

resulte une autogouvernance depourvue de

transparence et de normes unifiees. Lorsque des

difficultes survinrent par la suite lors de la

recherche de sources d’information, le resultat a

ete une regression de la reconstruction et du

reinvestissement. D’autre part, l’insuffisance des

ressources humaines et des fonds a fait obstacle

a l’extension de la numerisation et a son

amelioration.

Le defaut de normes commerciales coherentes

Faute de normes commerciales coherentes, les

ressources ont ete serieusement restreintes. Ainsi,

dans la gestion des collections des musees,

puisqu’il n’existait pas de criteres systematiques,

scientifiques ou regulateurs, seules les normes

individuelles existantes ont pu etre appliquees a la

numerisation des collections. En consequence, de

multiples logiciels de gestion des collections ont

ete elabores. Des normes disparates ont produit des

programmes de « classification » ou

d’« etiquetage », avec pour resultat l’absence de

bases communes entre les differentes sources

d’information concernant la collection de chaque

musee. Aussi a mesure que les musees

developpaient la numerisation de leurs collections,

le probleme devenait-il de plus en plus aigu. Il n’a

pas ete possible de mettre en œuvre des normes

commerciales coherentes suffisamment rapidement

pour remedier a un probleme aussi pressant. Les

systemes numerises sont des outils d’organisation

courants qui exigent une connaissance des

technologies, des contenus et des applications.

Cependant, en cas de lacune dans la technologie,

de disparite dans les contenus ou de difficulte

d’application, la coordination des ressources sera

tres insuffisante.

Manque de ressources financieres et humaines

En comparaison avec d’autres secteurs,

l’investissement national de ressources humaines

dans la numerisation des musees vient seulement

de commencer. De plus, les musees eux-memes ont

du mal a faire face a ce travail quand celui-ci

requiert des fonds considerables. De nombreux

musees esperent se doter d’une gestion numerique,

mais cela est impossible sans fonds specifiques. Un

autre aspect du probleme est le manque de

personnel specialise. Pour toutes ces raisons, il est

difficile aux musees de recruter du personnel

technique tres qualifie.

C’est en renforcant la recherche theorique

et la recherche sur les nouvelles technologies, en

La numerisation des musees chinoisLi Wenchang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 71

mettant en place des systemes de gestion unifies,

coordonnes et efficaces, en delimitant le champ

d’action de ces entites et en definissant les regles et

normes qui les regissent, enfin en ameliorant la

formation du personnel et les financements que

l’on pourra resoudre ces problemes et mener a bien

le programme de numerisation des musees chinois.

Perspectives de developpement

Bien que la numerisation des musees continue a

poser de nombreux problemes, elle est

indispensable pour aller de l’avant en matiere

d’application scientifique et de gestion moderne. Si

les musees veulent se moderniser, il leur faut se

numeriser. Ce processus a deja eu pour effet

d’encourager la cooperation entre institutions

partageant les memes conceptions. Les

perspectives de la numerisation des musees chinois

sont prometteuses.

Avec un soutien substantiel de la part du

Gouvernement, le developpement a des chances

d’etre relativement rapide. L’experience de la

numerisation des musees chinois jouit du soutien

total des musees, des entreprises commerciales et

des pouvoirs publics, et a l’issue de plus de dix ans

de progres tatonnants, le processus est en train

d’atteindre le stade de developpement autonome.

Sous la direction du Ministere de la culture, qui

considere la numerisation de ses collections

comme essentielle a ses activites et cherche avant

tout a achever la numerisation des musees, le

processus de numerisation peut progresser

activement.

La Chine possede une culture millenaire,

qui a legue un riche patrimoine culturel. Les

musees numeriques ont ete crees pour etablir des

assises culturelles solides. Cela assurera la

preeminence des musees numeriques chinois.

Le musee individuel restera pendant un

certain temps representatif de la tendance

principale de la numerisation. Les musees sur

l’Internet, la numerisation de musees et surtout la

numerisation de leurs collections demeureront

dans un avenir previsible des elements importants

du mouvement de numerisation. Il se peut que les

aspects regional et commercial amenent les musees

numeriques a se developper differemment. Les

« musees numeriques chinois » continueront a

illustrer le niveau technologique le plus eleve

atteint dans la numerisation des musees.

A la suite de l’essor de la technologie Web

2.0, et vu que les internautes sont peu a peu

devenus des createurs et des diffuseurs – et non pas

seulement des recepteurs – d’informations, chacun

peut participer a la construction d’un musee

numerique, de sorte que les theories concernant

l’objet, la forme et le developpement des musees

numeriques sont en train de changer. Les etapes du

developpement des « musees numeriques

chinois » vont ainsi s’accelerer.

Cependant, le developpement de la

numerisation est encore entrave par les problemes

de financement, de criteres, de personnel, de

protection du droit d’auteur, de securite de

l’Internet et autres. Ces problemes sont tres

difficiles a resoudre et ils vont affecter l’avenir de la

numerisation. Il faut que le Ministere de la culture

adopte des methodes plus proactives. La

numerisation des musees chinois est en retard par

rapport a celle des musees des pays industrialises

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

72 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

occidentaux et il faut donc tout faire pour

promouvoir l’experience nationale. La

numerisation des musees est un processus

systematique qui exige non seulement des efforts

de la part du secteur des musees, mais aussi de

l’ensemble de la societe. Les efforts actuels ne

parviennent pas a suivre le rythme de l’evolution

de la societe – dont les besoins en matiere de

developpement semblent radicalement differents –

et se limitent donc, pour l’essentiel, au monde de la

culture et des musees. Les avancees scientifiques et

le developpement continu des theories doivent etre

ancres dans la realite, promouvant ainsi activement

la progression reguliere des musees vers son

developpement futur.

Les musees sont un pont entre le passe et

l’avenir. Le musee numerise peut ainsi etre

compare a un pont autoroutier, a une liaison a

grande vitesse, dont les effets continueront a se

multiplier avec le developpement constant de la

numerisation.

La numerisation des musees chinoisLi Wenchang

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 73

L’acces aux musees en Chinepar Cai Qin

Cai Qin est diplomee du Departement d’histoire de l’Universite de Hangzhou (Zhejiang) ou elle

s’est specialisee dans la culture et la museologie. Redactrice et chercheur pendant de longues

annees au Musee de la province du Zhejiang, elle a participe a la construction de musees des

beaux-arts et a publie de nombreux travaux de museologie dont « Les celadons Song pour

le the », « Les musees et les masses », « Les musees et les medias », « Les musees des

beaux-arts et la societe », « Les musees des beaux-arts au Zhejiang : theorie et pratique »,

« La planification des expositions : evolutions et signification », « La presentation numerique

des vestiges culturels immateriels dans les musees », « Modelisation des ecomusees et

protection des vestiges culturels immateriels », « Ethique a l’usage des professionnels de

musees ».

« Un musee est une institution permanente sans

but lucratif, au service de la societe et de son

developpement, ouverte au public, qui acquiert,

etudie, expose et transmet le patrimoine materiel

et immateriel de l’humanite et de son

environnement a des fins d’etudes, d’education et

de delectation » (ICOM, Statuts, Article 3, Section

1). Ce sont la les services que rendent

generalement les musees a travers le monde.

Toutefois, le prix du billet d’entree constitue une

barriere pour beaucoup, ce qui nuit aux fonctions

d’interet public de l’institution museale, tout

autant qu’au developpement personnel des

individus. C’est pourquoi l’acces gratuit aux

musees est une pratique etablie de longue date et

constitue, dans les milieux internationaux

specialises, un sujet important, d’ailleurs consigne

dans les statuts d’un certain nombre

d’etablissements.

Au cours de sa onzieme session (qui s’est

tenue du 14 novembre au 15 decembre 1960), la

Conference generale de l’UNESCO – dont l’une des

74 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008

Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

fonctions est d’impulser l’education et la diffusion

de la culture – a examine cette question.

Considerant que le progres industriel favorise les

loisirs, que les musees sont une source d’agrement

et de savoir, et que tout doit etre fait afin

d’encourager l’ensemble des populations – en

particulier les classes laborieuses – a visiter les

musees, la Conference generale a redige une

Recommandation concernant les moyens les plus

efficaces de rendre les musees accessibles a tous

dont les paragraphes 2, 5, 7, 8, 9 et 10 contiennent

des suggestions specifiques concernant l’acces et

les droits d’entree :

Paragraphe 2 : Les Etats membres doivent prendre

toutes les mesures appropriees pour que les musees

situes sur leur territoire soient accessibles a tous,

sans distinction de condition economique

ou sociale.

Paragraphe 5 : Les musees devraient demeurer

ouverts tous les jours, a des heures convenant a

toutes les categories de visiteurs et tenant compte,

notamment, des loisirs des travailleurs. Ces

etablissements devraient disposer d’un personnel

de surveillance en nombre suffisant pour

assurer par roulement l’ouverture quotidienne du

musee, sans exception ni interruption – sauf dans

le cas ou les conditions et les habitudes locales

exigeraient qu’il en soit autrement – ainsi que le

soir apres les heures de travail. Chaque musee

devrait etre convenablement chauffe, eclaire, etc.

Paragraphe 7 : Des dispositions devraient etre prises

afin de permettre, dans la mesure du possible,

l’entree libre dans les musees. A defaut de la gratuite

permanente, et s’il etait juge necessaire de maintenir,

meme a titre symbolique, un faible droit d’entree,

l’admission dans chaque musee devrait etre gratuite

au moins un jour ou l’equivalent d’un jour par

semaine.

Paragraphe 8 : Lorsqu’un droit d’entree est exige, les

personnes a revenus modestes et les familles

nombreuses devraient en etre exemptees, dans les

pays ou il existe des methodes officielles

d’identification de ces groupes.

Paragraphe 9 : Des facilites speciales devraient etre

prevues pour encourager des visites frequentes,

notamment sous la forme d’abonnements a prix

reduit donnant droit, pendant une periode

determinee, a un nombre illimite d’entrees soit dans

un seul musee, soit dans un ensemble determine de

musees.

Paragraphe 10 : La gratuite de l’entree devrait etre

accordee, dans la mesure du possible, aux groupes

constitues – groupes scolaires ou groupes d’adultes –

dans le cadre de programmes educatifs et culturels,

ainsi qu’aux membres du musee ou des associations

visees au paragraphe 17 de la presente

recommandation.

Apres de nombreuses annees d’efforts,

l’acces gratuit, systematique ou episodique, du

public aux musees et aux sites commemoratifs est

devenu pratique courante dans les musees

nationaux d’un certain nombre de pays. C’est le

cas en Australie, a Washington DC aux Etats-

Unis, ou encore au Royaume-Uni qui s’est

distingue dans ce domaine puisque l’acces aux

plus beaux de ses musees est gratuit : British

Museum, National Art Gallery, Tate Museum et

Tate Modern, Observatoire royal de Greenwich,

Natural History Museum, Science Museum,

Victoria and Albert Museum – le plus grand

musee d’art et de design du monde –, Imperial

War Museum et British Library; s’y ajoutent des

musees nationaux et des musees des beaux-arts

situes en Ecosse, au pays de Galles et en Irlande

du Nord.

L’acces aux musees en ChineCai Qin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 75

En Chine, depenser quelques dizaines de

yuans pour visiter une exposition est un luxe

inabordable pour les millions de personnes qui

vivent encore sous le seuil de pauvrete ou juste

au-dessus. Compares a ceux des pays developpes

occidentaux et meme a ceux de certains pays en

developpement, les droits d’entree dans les

musees chinois absorbent une part bien plus

importante du revenu. Meme dans la province du

Zhejiang, dont l’economie est developpee,

certaines personnes n’ont pas les moyens de

s’offrir un billet d’entree. Or, le Gouvernement

chinois a toujours considere les musees comme

des institutions culturelles d’interet public. C’est

pourquoi il exige des autorites locales qu’elles

renforcent le developpement de leurs services

publics et ne menagent aucun effort pour garantir

les droits d’acces fondamentaux a ces

etablissements. Les musees, devant jouer

pleinement leur role de stimulateurs de l’interet

du public, travaillent d’arrache-pied a faire de la

gratuite d’acces une realite.

L’acces gratuit aux musees en Chine

Le Zhejiang a ete l’une des premieres provinces

chinoises a experimenter l’acces gratuit aux

musees. Des 1998, le Musee de la province du

Zhejiang commenca d’emettre des cartes

annuelles dont le prix par visite etait inferieur a

celui du billet normal. Par la suite, les musees

provinciaux et municipaux de la province ont

renonce aux droits d’entree pour les militaires en

exercice, les enseignants ayant trente annees

d’anciennete ou plus, ainsi que pour les

personnes agees de soixante-dix ans ou

davantage. Puis, le 18 mai 2003, a l’occasion de

la Journee internationale des musees, six musees

relevant du Bureau municipal des jardins et de la

culture de Hangzhou ont instaure la gratuite

d’acces : le Musee chinois du the, le Musee des

fours imperiaux des Song du Sud, le Musee

d’histoire de Hangzhou, le Memorial de Zhang

Taiyan, le Memorial de Su Dongpo et la

residence de Zhang Changshui. Tres rapidement

les quinze musees qui dependent du Bureau de

Hangzhou, notamment la residence de Yu Qian,

le Musee du Zhejiang de la revolution de 1911 et

la galerie d’art Tang Yun, ont cesse d’exiger des

droits d’entree. Hangzhou donnant ainsi

l’exemple, le 1er janvier 2004, le Musee de la

province du Zhejiang et le Musee chinois de la

soie sont a leur tour devenus gratuits, bientot

suivis par les autres musees nationaux de la

15. Acces gratuit a tous les musees a Macao.

ªC

aiQ

in

15

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

76 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

province; ils ont tous prevu d’instituer

progressivement la gratuite, soit a certains

moments de l’annee, soit en faveur de certaines

categories de la population. Cela fut la premiere

initiative de ce genre dans le pays.

Le 26 fevrier 2004, le Gouvernement

chinois annonca que « tous les types de musees,

memoriaux, salles d’exposition et sites

commemoratifs de martyrs de la revolution doivent

trouver le moyen d’offrir au public un acces

gratuit. Les eleves des ecoles primaires et des

colleges doivent entrer gratuitement lorsqu’ils

viennent en groupes; quand ils sont seuls, ils ne

doivent payer que moitie-prix. » En mars, le

Ministere de la culture et le Bureau du patrimoine

ont conjointement reaffirme cette regle, ajoutant

que les enfants devraient pouvoir entrer

gratuitement lorsqu’ils sont accompagnes d’un de

leurs parents, et que les militaires, les personnes

agees, les handicapes physiques et certains autres

groupes devraient beneficier de l’entree libre ou de

tarifs reduits. Les etablissements publics qui

contribuent a l’education patriotique ont

egalement recu pour instruction de reflechir aux

moyens d’assurer la gratuite. Ont aussi ete invites a

renoncer aux droits d’entree ou a les reduire : les

salles d’exposition, les musees des beaux-arts, les

musees des sciences et des techniques, les

memoriaux, les edifices eleves a la memoire des

martyrs de la revolution, les residences de

personnages celebres, les bibliotheques publiques

et universitaires, les etablissements culturels et les

lieux culturels et recreatifs accueillant les enfants

et les jeunes adultes.

Precedemment, des mai 2002, les musees

et memoriaux de la province du Shaanxi avaient

dispense de droits d’entree les handicapes

physiques, les personnes agees et les militaires;

mais les pionniers en la matiere furent les musees

de Guangzhou [Canton] qui, des le deuxieme

semestre de la meme annee 2002, ouvrirent

gratuitement leurs portes un jour par mois; puis,

en 2004, il fut decide que les musees ouvriraient

gratuitement (a date fixe) tous les mardis de la

troisieme semaine du mois. Ce fut ensuite, le 1er

mars 2004, au tour du Musee du palais de Beijing

[Pekin] : chaque mardi (a l’exception des jours

feries) est reserve aux visites gratuites des eleves.

16. Le Musee provincial du Zhejiang.

ªC

aiQ

in

16

L’acces aux musees en ChineCai Qin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 77

Le meme jour, la visite du Musee du massacre de

Nanjing [Nankin] est devenue gratuite. Puis, le 27

avril, la Bibliotheque nationale, le Musee du Palais

et cinq autres institutions culturelles dependant

directement du Ministere de la culture et de

l’Administration du patrimoine annoncerent

pratiquer la gratuite ou projeter de le faire. Si bien

qu’aux alentours de mai 2004, les seize musees

relevant du Bureau municipal du patrimoine de

Beijing cesserent d’exiger des droits d’entree aux

mineurs. Enfin, en decembre, une directive

gouvernementale exigea que tous les

etablissements culturels d’interet public beneficiant

d’un financement de l’Etat offrent aux mineurs, a

compter du 1er janvier 2005, l’entree gratuite ou a

prix reduit.

Entre-temps, les 104 musees et

memoriaux dependant de l’Administration

provinciale du patrimoine du Henan ont cesse, a

compter du 1er mai 2004, de faire payer les

groupes de mineurs. Les droits d’entree pour les

eleves visitant individuellement ont ete reduits

de moitie et purement et simplement supprimes

pour les enfants accompagnes de leurs parents.

Le 1er octobre, ces 104 musees accorderent un

acces gratuit illimite aux eleves des ecoles

primaires et des colleges pour les visites

collectives sur rendez-vous. En mai 2004 le

Musee de la province du Hubei renonca lui

aussi aux droits d’entree pour les groupes de

mineurs et les enfants accompagnes de leurs

parents, les eleves en visite individuelle etant

admis a un tarif reduit de moitie. Puis, le 6

novembre 2007, le gouvernement provincial

decida que l’entree serait desormais entierement

libre. Les musees d’autres regions du pays lui

emboıterent le pas.

Effets de l’acces gratuit dans les musees

L’effet le plus direct de la gratuite d’acces a ete un

formidable accroissement de l’affluence. Le

premier jour de gratuite, le Musee de la province

du Zhejiang accueillit 6 300 personnes; puis le

nombre moyen des visiteurs s’etablit a quelque

3 000 personnes les jours suivants. En 2004,

lorsque le musee offrit l’acces gratuit toute l’annee,

il enregistra 1 056 253 visiteurs – soit six fois plus

qu’en 2003. Cette augmentation du nombre des

visiteurs est un indicateur important du

rayonnement d’un musee et de son succes aupres

du grand public.

L’Institut de recherches sociales de la

Chine (SSIC) realisa une enquete telephonique

aupres de 1 800 personnes et d’un certain nombre

de musees de Beijing, de Shanghai, de Guangzhou,

de Wuhan, de Chongqing, de Shenyang et de

Harbin. Lorsqu’on leur demanda s’ils approuvaient

la gratuite d’acces aux musees, 87 % des sondes

repondirent « oui », 9 % se dirent « indecis », et

4 % repondirent « non ». Lorsqu’on leur demanda

si l’acces gratuit attirerait, a leur avis, davantage de

mineurs dans les musees, les pourcentages furent,

respectivement, de 78 %, de 13 % et 9 %. A la

question de savoir si l’acces gratuit aux musees

agissant comme etablissements d’education ethique

encouragerait ce type d’education aupres des

mineurs, les reponses furent affirmatives a 73 % et

negatives a 5 %, avec 12 % d’indecis. Ces resultats

indiquent que, de l’avis de la plupart des personnes

interrogees, la gratuite des musees peut contribuer

a nourrir l’interet de la population et a promouvoir

l’education ethique, culturelle et scientifique du

grand public. En d’autres termes, cette gratuite

encourage les gens a se rendre dans les musees et a

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

78 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

les apprecier, de sorte que la frequentation de ces

derniers devient une habitude et occupe une place

importante dans leur maniere de vivre, avec tout ce

que cela comporte.

L’acces gratuit a aussi le merite de

promouvoir le developpement et la gestion des

musees; il aide en particulier les etablissements

culturels a ameliorer leurs services et leurs activites

d’interet public. En effet, autoriser l’acces gratuit

est une etape importante, mais ne suffit pas. Les

musees doivent aussi eduquer leurs visiteurs, leur

offrir un contenu. Si la gratuite change

l’importance et la structure des publics qui

frequentent les musees, elle fait aussi evoluer leurs

besoins et leurs attentes. Pour accompagner de

telles evolutions, les musees doivent presenter des

expositions de haut niveau. De surcroıt, celles-ci

doivent, pour etre couronnees de succes, etre

organisees de maniere a attirer differents segments

de la societe en multipliant les champs couverts

et les approches : savoir theorique, competences

professionnelles, connaissances generales,

interets particuliers, loisirs, esthetique, etc.

L’acces gratuit signifie que la loi du marche ne

s’applique pas aux musees, mais cela ne doit pas

se traduire par une gestion qui s’apparente au

laisser-faire.

La gratuite en effet ne s’est pas traduite par

une frequentation accrue de tous les musees. Ceux

qui presentent des expositions de qualite et les

renouvellent frequemment ont enregistre des

affluences record, mais ceux qui ne se renouvellent

pas n’attirent pas plus de visiteurs qu’avant,

meme si l’entree en est libre. La gratuite offre

ainsi aux musees de nouvelles possibilites de

developpement, mais c’est a eux qu’il appartient

d’ameliorer leurs fonctions de service public et

leur professionnalisme. S’ils ne le font pas, la

gratuite ne reussira pas a attirer un public plus

large, malgre l’augmentation des financements

gouvernementaux.

La gratuite conduit donc les musees a

etendre leurs activites, tant en matiere

d’expositions que d’education, recherche et

activites, qu’elles soient culturelles ou recreatives.

En outre, l’augmentation de la frequentation met

les musees dans l’obligation non seulement de

maintenir leurs services a un niveau eleve, mais

aussi d’innover. Ils peuvent, par exemple, organiser

des conferences et des formations, ou proposer des

visites guidees et une aide a la recherche, offrir des

services complementaires, tels que parkings et

restauration. Ils doivent rompre avec les pratiques

et les concepts du passe, renforcer leur gestion et

creer des environnements accueillants et

stimulants pour les visiteurs. Les musees ont des

possibilites exceptionnelles d’interagir avec leur

public. Ils hebergent et presentent des collections,

mais sont aussi des centres de culture, d’education,

de recreation et de loisirs. C’est seulement en

remplissant toutes ces fonctions aussi largement

que possible qu’un musee peut realiser tout son

potentiel.

La gratuite n’en a pas moins donne

naissance a un certain nombre de problemes qu’il

faut traiter d’urgence. Ainsi, l’augmentation de la

frequentation exerce sur les infrastructures une

pression qui, a defaut de solutions rapides, nuira

aux conditions de la visite.

La suppression ou la reduction des droits

d’entree a par ailleurs ampute les recettes des

L’acces aux musees en ChineCai Qin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 79

etablissements et fait au contraire augmenter les

frais de fonctionnement. De plus, les musees

doivent desormais depenser davantage pour

assurer de bonnes conditions de visite : etendre

et ameliorer leurs equipements, accroıtre leurs

espaces d’exposition, proposer des expositions

temporaires, mettre en place des systemes de

guidage mieux adaptes, developper la recherche,

assurer une meilleure protection des objets et

repondre a des normes de securite et d’hygiene

plus elevees. Dans la province du Shaanxi,

par exemple, les musees nationaux et les

memoriaux recoivent chaque annee plus de deux

millions de visiteurs (mineurs, militaires,

personnes agees) qui n’ont pas a payer leur

billet. Avec une moyenne de vingt-cinq yuans

par entree, cela represente un manque a gagner de

50 millions de yuans par an. Or les depenses –

protection des objets, expositions temporaires,

gestion et modernisation des equipements,

impression de catalogues et de brochures

promotionnelles – et les couts de fonctionnement

s’elevent a plus de 80 millions de yuans !

Toutefois, l’augmentation du nombre des visiteurs

peut aussi se traduire par des recettes

supplementaires provenant de services tels que le

parking, la restauration ou les reproductions

photographiques.

Par ailleurs, la forte augmentation du

nombre des visiteurs constitue un defi non

seulement pour la gestion des musees mais

aussi pour la securite des œuvres. Les musees

qui sont consideres comme des sites cles a

l’echelle de l’Etat ont une plus grande

responsabilite dans la protection de leurs tresors.

C’est la raison pour laquelle il est important qu’ils

conservent un juste equilibre entre l’ouverture

a un public plus large tout en garantissant la

securite du precieux patrimoine dont ils sont

depositaires.

Comment ameliorer l’acces gratuit?

La pratique recente de l’acces gratuit a permis

d’accroıtre le public des musees, si bien que ces

derniers remplissent mieux aujourd’hui leurs

fonctions d’interet general. Dans le meme temps, il

faut bien comprendre que cette mesure n’est pas

simple, mais encore a l’etat de projet, et ne peut

s’appliquer partout sans adaptations; il faut au

contraire prendre des mesures plus efficaces pour

l’ameliorer.

L’acces gratuit selon la categorie et

le type de musee

Financierement, les musees chinois ont des postes

de recettes et de depenses separes. Toutes les

recettes sont versees a l’Etat qui, en retour, finance

toutes les depenses. Ce financement officiel,

determine en fonction de l’effectif du musee, est

souvent tres modique. Or la gratuite d’acces exige

qu’il augmente de maniere importante, sauf a

provoquer de graves difficultes de fonctionnement.

C’est pourquoi la gratuite doit etre instauree par

etapes, selon le type et la categorie des musees. A

l’heure actuelle, les musees des grandes villes sont

les mieux a meme d’offrir l’entree gratuite car ils ont

des sources propres de financement : situes a

proximite de grands centres, ils possedent

d’importantes collections et beneficient d’une

reputation bien etablie aux plans national et

international. Ces conditions leur assurent un large

marche qui leur permet d’etablir des partenariats

avec differentes institutions. A l’inverse, les musees

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

80 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

dont la situation geographique est moins favorable –

ayant de ce fait des sources de credits limitees et ne

pouvant esperer des financements de substitution –

sont mal places pour proposer un acces gratuit.

Des droits d’entree modiques

Nombreux sont partout dans le monde, y compris

dans les pays developpes, les musees dont l’entree

est payante. Les exemples ne manquent pas : le

Metropolitan Museum of Art et le Musee

Guggenheim a New York, le Chateau de Versailles,

le Louvre et le Musee d’Orsay a Paris. Ces musees

ont neanmoins un point commun : les droits

d’entree y sont peu eleves. Dans la Region

administrative speciale de Hong Kong, l’acces au

Musee d’histoire – le plus grand musee de la region

– ne coute que dix dollars de Hong Kong. Dans le

cadre d’une enquete telephonique, l’Institut

d’etudes sociales de Chine demanda a 1 800

personnes ainsi qu’a un certain nombre de musees

de Beijing, de Shanghai, de Guangzhou, de Wuhan,

de Chongqing, de Shenyang et de Harbin, s’ils

etaient favorables a l’acces gratuit a tous les

musees. Les personnes interrogees repondirent a

47 % par l’affirmative, 27 % par la negative, 26 %

se disant « indecises ». Dans une autre enquete

destinee a evaluer l’opinion du public concernant

l’acces gratuit au Musee de la province du

Zhejiang, certains des sujets interroges repondirent

que la pratique devait varier en fonction de la

situation de chaque musee. Ainsi, pour les

etablissements qui necessitent une protection

speciale et pour certains sites celebres, les droits

d’entree sont un important moyen de reguler le

nombre des visiteurs et de faire regner le calme et

la securite. En pareil cas, des droits d’entree

modiques se justifient peut-etre mieux que la

gratuite. Du fait du niveau limite de

developpement economique de la Chine et de la

capacite reduite de consommation de l’ensemble de

sa population, exiger un faible droit d’entree peut

etre un moyen de trouver un equilibre entre les

besoins de progression des musees et le desir du

public de les visiter.

Billets gratuits ou non ?

A la difference des grands magasins et des

restaurants, par exemple, les musees doivent en

effet maintenir l’afflux de visiteurs a un niveau

raisonnable. Or l’acces gratuit cree parfois des

desequilibres a cet egard. Les musees peuvent etre

bondes a un moment et deserts a un autre. Un jour,

les responsables du Temple des ancetres de la

famille Chen (Chen jia si), a Guangzhou, ont du

faire appel a la police pour les aider a maintenir

l’ordre ! Afin de reguler le flux des visiteurs, les

musees peuvent aussi exiger que certaines

organisations fassent a l’avance la demande de

billets de groupe gratuits en vue de leur attribuer

des heures de visite specifiques. Cela evite que les

sites et les objets du patrimoine soient

endommages, et que les espaces soient envahis

d’une foule trop nombreuse.

Entree offerte

Le bon fonctionnement d’un grand musee exige

des fonds considerables. Les credits de l’Etat sont

essentiels, mais d’autres moyens de financement

peuvent jouer un role tout aussi important pour

ces institutions culturelles a but non lucratif. Les

dons des visiteurs sont des sources de recettes

auxquelles de nombreux musees du monde ont

couramment recours. Les institutions peuvent

suggerer un montant, mais la decision est laissee

aux visiteurs dont la generosite peut egalement

servir d’indicateur de leur degre de satisfaction.

L’acces aux musees en ChineCai Qin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 81

Mecenat

Les droits d’entree forment aujourd’hui une part

importante du budget des musees chinois. Ils

permettent a certains d’entre eux de payer

l’electricite et l’eau, et de verser les prestations

sociales dues au personnel, les salaires etant

finances par l’Etat. L’un des moyens pour ces

musees d’ouvrir leurs portes gratuitement consiste

a rechercher le mecenat d’entreprises. Le Seattle

Asian Art Museum et le Minneapolis Institute of

Arts offrent ainsi, certains jours, une entree libre

patronnee par des entreprises : c’est le cas pendant

la « Ford Free Access Week » (Semaine Ford

d’acces gratuit). C’est egalement ainsi qu’une

entreprise chinoise a achete 200 000 billets au prix

de un yuan pour les eleves, les militaires et certains

groupes defavorises. La somme de 200 000 yuans

n’est pas excessive pour une entreprise bien geree

qu’en echange les musees peuvent promouvoir,

diffusant sa marque sur le billet et, eventuellement,

sur d’autres supports.

Visite gratuite des collections permanentes

Si les musees chinois sont encore contraints d’exiger

des droits d’entree du fait d’une penurie de

ressources financieres, il leur faudra, a long terme,

abaisser ces droits et meme les supprimer, pour

permettre d’acceder gratuitement aux collections

permanentes – celles-ci ayant normalement une

portee historique ou commemorative particuliere.

Les etablissements peuvent en revanche faire payer

l’entree aux expositions temporaires, commerciales

ou personnelles. De la sorte, ils remplissent leur

fonction sociale d’institutions culturelles a but non

lucratif, tout en presentant des expositions qui

generent des recettes propres a compenser

l’insuffisance du financement de l’Etat. En

developpant les expositions, les musees suscitent un

interet et des depenses accrus de la part du public, et

se donnent davantage d’occasion de le sensibiliser a

la necessite de proteger le patrimoine culturel.

Acces gratuit limite

Des institutions comme le Musee du Palais a

Beijing attirent des foules importantes en depit de

droits d’entree eleves. Cela ne doit cependant pas

faire obstacle a l’acces gratuit. Ces musees peuvent

en effet diviser leurs espaces en deux secteurs,

consacres l’un aux visites gratuites et l’autre aux

visites payantes, le secteur d’acces libre accueillant

des expositions populaires ainsi que des activites

culturelles et educatives. Autre possibilite : emettre

a l’intention des categories a faible revenu un

certain nombre de billets gratuits, utilisables

pendant des periodes creuses specifiees par le

musee. Pareil arrangement peut permettre de

reduire la pression aux moments de grande activite

tout en encourageant les populations peu fortunees

a visiter les collections.

Les musees sont des lieux parfaits pour

l’education sociale. La gratuite d’acces en a ouvert

les portes aux personnes de toutes categories

sociales. Parallelement, les musees doivent veiller a

proposer des expositions qui interessent le public

et repondent a ses differents besoins. Cela suppose

notamment de determiner les raisons pour

lesquelles certains groupes de population ne s’y

rendent pas, alors meme qu’ils n’ont rien a

debourser. Les musees devraient renforcer leur

gestion et ameliorer leurs equipements et leurs

fonctions afin d’etendre leurs sources de

financement. Ils devraient utiliser le produit des

services qu’ils proposent et les compensations

financieres de l’Etat pour financer l’acces gratuit de

maniere a developper plus avant leurs activites.

PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES

82 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Enfin, les musees ne doivent pas adopter une

attitude de laisser-faire lorsqu’ils disposent de ces

compensations financieres.

L’acces gratuit pourra progresser a mesure

du developpement economique de la Chine, de

l’elevation du niveau d’instruction de sa

population, et de l’amelioration des attitudes et du

comportement des visiteurs. Les musees ont un

role central et determinant a jouer : ils sont autant

de lieux ou les gens peuvent acquerir non

seulement des connaissances, mais aussi confiance

en eux-memes et en leur pays.

L’acces aux musees en ChineCai Qin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 83

17. Le Stade accueillera les principales epreuves sur piste et sur terrain des Jeux olympiques d’ete 2008, ainsi que les ceremonies d’ouverture

et de cloture.

ªX

inh

ua

17

84 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Le palais imperial des Qing : dela Cite interdite au patrimoinepublicpar Guo Changhong

Guo Changhong est diplome en museologie de la Faculte d’histoire de l’Universite de Nankai.

Il est titulaire d’une maıtrise d’art et d’archeologie et d’un doctorat en histoire de l’art. Depuis

2006, il effectue des recherches postdoctorales a l’Institut de l’art chinois de Guilin. Il a

participe a l’evaluation d’œuvres du passe au sein du groupe d’expertise des biens culturels de

la province du Liaoning. Actuellement, il est vice-president du departement des etudes

museales a la Faculte d’histoire de l’Universite de Nankai. Ses principaux domaines d’interet

sont la museologie theorique et appliquee, l’histoire de l’art en Chine (peintures anciennes

et calligraphie) ainsi que les theories de l’art.

Le Musee du palais imperial occupe une place a

part au sein du patrimoine chinois d’importance

mondiale. En plus d’etre un site du patrimoine

culturel mondial, c’est egalement le plus grand

musee de Chine, dote des collections d’art les plus

diverses. Les vicissitudes qu’il a connues

temoignent des evenements survenus dans le pays

ces quatre-vingts dernieres annees et refletent les

changements d’attitude de la Chine quant a son

patrimoine culturel.

Du palais imperial au musee : un symbole culturel

dans un contexte politique

En 1406, l’empereur Yongle (Zhu Di) promulgua

un decret qui ordonnait l’edification de la Cite

interdite (aujourd’hui situee dans la partie centrale

du Beijing moderne). La construction dura quinze

ans, au bout desquels le palais devint la residence

de quatorze empereurs Ming et de dix empereurs

Qing. Cette periode s’acheva en 1911 avec la

Revolution Xinhai, lorsque la dynastie Qing ceda la

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 85Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

place a la Republique de Chine. Le 22 octobre 1924,

le general Feng Yuxiang, intervenant a Pekin, initia

la mise en place du gouvernement provisoire de la

Republique. Le 5 novembre, l’ex-empereur Puyi fut

contraint de quitter la Cite interdite dont l’histoire

changea alors du tout au tout.

Il y avait bien longtemps que le public

percevait la valeur culturelle du palais, mais, sous

l’impact des evenements, celle-ci s’inscrivait

desormais dans le concret. Le 10 octobre 1925, une

ceremonie officielle eut lieu devant la « Porte de

la purete celeste » (Qianqingmen) : elle proclamait

la naissance du « Musee du vieux palais »

(le Musee du palais). Ce n’etait pas un musee

ordinaire. Les circonstances de sa naissance lui

donnaient une valeur politique exceptionnelle,

attirant l’attention des personnalites « savantes

europeennes et americaines passant par Peiping

[Pekin avait alors ete rebaptise] ».

La reputation du nouvel etablissement,

juge « comparable a des institutions de classe

internationale », s’accrut aussi bien en Chine qu’a

l’etranger. Comme le notait Zhang Ji dans un

rapport soumis a la Conference du Comite de

preservation des biens culturels : « La culture issue

[…] des dynasties Ming et Qing […] est d’une

valeur mondiale indeniable, et, de fait, quel

pourrait en etre le meilleur receptacle que le Musee

du palais, qui abrite les tresors les plus divers ? »1

L’institution revetait en outre une immense

signification symbolique et politique en portant

temoignage du triomphe de la Revolution.

En Chine, les musees etaient a l’epoque

souvent consideres comme des « merveilles

importees ». Les efforts deployes afin d’eduquer

la population, pour sauvegarder le patrimoine et

promouvoir la recherche a travers la fondation de

musees, s’inscrivent dans un courant plus general :

l’acceptation croissante des idees occidentales,

dans ces premiers temps de la modernisation, ainsi

que dans les transformations institutionnelles

que connut la societe au lendemain de la

Revolution. Neanmoins, une tradition chinoise de

collection existait bien avant l’introduction des

musees dans le pays. On peut en distinguer trois

grands types : les collections imperiales; celles

qu’assemblaient les elites et l’aristocratie; et

celles que constituaient les intellectuels (les

lettres-fonctionnaires). L’accroissement ou la

diminution de l’une ou l’autre categorie refletait en

general les changements politiques, les gouts

culturels de l’empereur et ⁄ ou les vicissitudes d’une

dynastie.

La collection imperiale comprenait des

biens repris des dynasties anterieures; des dons

venant de dignitaires de la cour ou de la

population; des possessions confisquees a des

fonctionnaires compromis ainsi que des objets

achetes a des sujets ordinaires. Les collections des

notables et des elites provenaient, quant a elles, de

dons recus des empereurs, de l’appropriation

d’objets appartenant en realite a l’Etat ou d’achats

realises sur les marches. Enfin, celles des lettres

etaient generalement constituees a la faveur

d’achats, de dons imperiaux ou d’echanges

amicaux.

Le gout presidant a la constitution des unes

et des autres differait profondement. Toutes les

collections imperiales refletaient la passion des

empereurs pour les vestiges du passe. La plus vaste

et la plus prestigieuse d’entre elles fut constituee

DES MUSEES PLURIELS

86 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

sous le regne de l’empereur Qianlong. Une

grande partie de la collection des Qing, qui

constitue le fonds initial du Musee du palais, a ete

rassemblee durant cette periode. Des objets de

valeur furent egalement reunis dans l’intention de

« renforcer la culture et l’education », ou encore

le desir de conforter la stabilite et la prosperite de

l’Etat.

Les gens riches s’interessaient davantage a

la valeur marchande des vestiges du passe. Jia

Sidao (1213–1275), ministre de la dynastie Song

du sud, et Yan Song (1481–1568), ministre de la

dynastie Ming, illustrent bien cette speculation

mercantile : ils accumulaient les peintures

anciennes et les calligraphies, moins pour leur

valeur intrinseque que pour le gain financier a en

attendre. Cependant, les pieces ainsi amassees

pouvaient facilement retourner entre des mains

imperiales, si un officiel de la cour naguere

puissant tombait en disgrace.

Les lettres attachaient un grand prix a l’art

et a l’erudition, particulierement depuis l’epoque

des Song ou, commencant a s’interesser a

l’epigraphie, ils se mirent a collectionner

passionnement les bronzes antiques et les steles

portant des inscriptions. C’est a partir des pieces

qu’ils avaient observees ou qui appartenaient a leur

propre collection qu’ils developpaient leurs

etudes : Zhao Mingcheng (mort en 1129; mari de

la celebre poetesse Li Qingzhao, 1083–1151), par

18. La Cite interdite a ete le palais imperial de Chine de la deuxieme moitie de la periode Ming a la fin de la dynastie Qing.

ªU

NE

SC

O⁄I

.D

enis

on

18

Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 87

exemple, appuie sa monographie, Les bronzes et les

pierres, sur sa collection privee.

En temps de paix – a condition que

l’empereur temoigne d’une inclination particuliere

pour l’art – les œuvres de qualite affluaient vers le

palais imperial; ce processus d’acquisition atteignit

son apogee durant le regne de l’empereur

Qianlong. Lorsqu’une dynastie declinait, en

revanche, les collections imperiales se trouvaient

souvent dispersees. S’ensuivait alors une periode

de quelques dizaines d’annees pendant lesquelles

les lettres cherchaient a en recuperer les pieces.

Ce phenomene eut lieu en particulier au tout debut

des dynasties Yuan, Ming et Qing. Les empereurs

Ming n’eprouvaient aucun penchant pour les

objets d’art et n’hesitaient pas a vendre peintures et

calligraphies des collections imperiales pour payer

les salaires des fonctionnaires, ce qui donna une

grande impulsion au commerce de l’art.

Lorsque le principe du « musee » fut

importe en Chine en tant qu’institution culturelle,

il fallut songer aux similitudes et aux differences

qu’il presentait avec la culture autochtone, vivante

dans la tradition des collections chinoises. Le

dilemme etait de conserver la specificite du

patrimoine culturel chinois. Ce « nouveau-ne »

politique etait en effet un sang-mele – un modele

dominant introduit dans un contexte ou la culture

avait toujours joue un role politique central. Il etait

essentiel de trouver le juste equilibre.

Des l’ouverture du Musee du palais, une

foule de visiteurs, toutes classes sociales

confondues, se pressa sur les lieux. Le palais et ses

tresors suscitaient une curiosite d’autant plus

grande que seule une poignee de privilegies y avait

eu acces dans le passe. Le droit conquis par le

public de voir in situ ces precieux objets prouvait

par ailleurs l’importance politique de la nouvelle

institution.

Le Musee du palais et ses œuvres d’art

Apres que Puyi eut quitte le palais, il fallut definir

quel perimetre serait attribue au nouveau musee et

ouvert au public – ce qui fait encore aujourd’hui

19. Toits de la Cite interdite, 2008.

ªU

NE

SC

O⁄I

.D

enis

on

19

DES MUSEES PLURIELS

88 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

l’objet de discussions. Actuellement, le « palais »

designe le territoire compris entre les sections de la

muraille delimitee par les portes [men] Wu[men],

Shenwu[men], Donghua[men] et Xihua[men]. Il

consiste en un vaste ensemble de batiments,

occupes autrefois par les empereurs et leur famille.

Le palais des Ming et celui des Qing occupaient

jadis une superficie de 72 ha dont 17 etaient

construits. Les batiments du palais subsistant

aujourd’hui couvrent seulement 15 ha et

comportent 9 000 pieces, ce qui correspond a

quatre fois la taille du Louvre, neuf fois celle du

palais d’hiver de Saint-Petersbourg, deux fois celle

du palais du Kremlin et dix fois celle de

Buckingham Palace.2

Un comite charge de l’inventaire du palais

des Qing produisit recemment un rapport3

recensant 1 170 000 entrees. Pour ce faire, les

auteurs de ce catalogue s’interrogerent sur ce qu’ils

20. Renovation du Musee du palais, 2003-2004.

ªG

uo

Ch

ang

hon

g20

Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 89

devaient ou non inclure dans la liste. Il fut decide

d’en ecarter tant les architectures que les objets

trop petits (comme les cuilleres a soupe) et de s’en

tenir aux objets patrimoniaux, concus en tant que

tels, non pas selon le sens europeen ou americain,

mais selon la tradition chinoise.

Le premier musee national chinois – la Salle

d’exposition des antiquites (Antiques Exhibition

Hall) – fut fonde en 1913, regroupant des pieces de

provenances multiples. Aujourd’hui, pres de

1 500 000 d’entre elles se trouvent au Musee du

palais de Beijing, tandis que 650 000 autres ont ete

transferees entre 1948 et 1949 a Taiwan par le

Kuomintang (le parti nationaliste chinois), puis

integrees dans la collection du Musee national du

palais de Taipei, officiellement fonde le 12

novembre 1965. Le nombre des articles repertories

indique non seulement un accroissement du fonds

par rapport a l’inventaire original, mais aussi une

reevaluation de la notion de bien culturel,

auparavant trop restrictive. En outre, la collection

de Taipei comprend aussi 380 000 documents

d’archives provenant du palais imperial, tandis que

le Musee de Beijing, lui, en a transfere 8 000 000

aux Archives historiques Numero 1.

Quatre-vingts ans ont passe et un

« Programme general de protection du Musee du

palais », redige recemment par le musee, est entre

en application. En ce qui concerne la protection

des objets, ce texte souligne le caractere

indissociable des collections et du site.

Le palais des Qing est en effet la seule cite-palais

imperiale ancienne qui subsiste dans le pays; il

represente le plus bel exemple de l’architecture

classique chinoise. Cet ensemble, le plus vaste de

ce type et le mieux preserve au monde, est a la fois un

important symbole de la culture chinoise et

l’incarnation de l’histoire du pays. Residence de tous

les empereurs des dynasties Ming et Qing, centre

de la vie politique du pays et pivot du pouvoir

imperial, le palais comprend des groupes de

batiments dont les collections contiennent des

objets d’art anciens de toutes sortes, qui surprennent

les visiteurs par leur quantite, leur qualite et leur

variete. Ce qui est presente touche a de multiples

domaines comme l’architecture, l’amenagement

des jardins, l’histoire, la geographie, la litterature,

les collections d’antiquites, l’archeologie,

l’esthetique, la religion, l’ethnologie, les coutumes

et le protocole, et a une valeur historique,

scientifique et artistique particuliere. Il s’agit de

la continuation, mais aussi de l’ultime fruit

visible de l’effort imperial pour rassembler des

collections. La combinaison que les objets

exposes forment avec les batiments du palais

represente un ensemble patrimonial de valeur

mondiale.4

Patrimoine politique ou culturel ?

En juin 1928, le gouvernement nationaliste de

Nankin prit le controle du Musee du palais. Le 28

du meme mois, Jing Hengyi, haut conseiller du

gouvernement, artiste raffine et directeur de la

premiere Ecole normale du Zhejiang, proposa que

l’ancien palais imperial, « propriete de traıtres »,

soit abandonne. « Quant a ses biens meubles, ils

devraient tous etre mis aux encheres ou

transportes ailleurs », affirmait-il. Le lendemain, le

Conseil national du gouvernement approuva sa

proposition, plongeant le Musee du palais dans

une crise sans precedent.5

Une etude attentive du vocabulaire dont

use Jing Hengyi offre un eclairage interessant sur

DES MUSEES PLURIELS

90 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

certaines conceptions, qui prevalaient a l’epoque,

concernant la valeur du patrimoine. Jing voulait

ainsi que le musee soit rebaptise l’« Exposition des

luxes decadents du palais imperial abandonne ».

Son intention n’etait pas tant de lancer un debat

purement theorique que d’inciter le gouvernement

a agir par des moyens legislatifs. Mais sa

proposition causa immediatement une vive

emotion, en particulier parmi ceux qui plaidaient

deja pour une meilleure conservation du palais et

de ses œuvres d’art. Ils reagirent en objectant que

le palais et les biens qu’il contenait representaient

« des millenaires d’histoire chinoise et ne devaient

donc jamais etre consideres comme la propriete de

traıtres ». Peu apres, ils deposerent une petition,

par l’intermediaire de Zhang Ji, president du

Comite de preservation des antiquites du Grand

conseil des universites, aupres de la Conference

politique centrale, petition qui affirmait : « Etant

donne que l’ancien palais imperial a ete saisi par

l’Etat et est devenu bien d’Etat, comment est-il

possible de l’appeler ‘propriete de traıtres’ ? » Le

texte poursuivait en ces termes : « Avec sa

splendide facade et ses nombreuses œuvres d’art, il

peut fierement tenir sa place dans l’elite des musees

du monde. De ce point de vue, proteger le palais,

c’est apporter notre contribution au bien general

de la culture mondiale, et non monter la garde

devant la propriete d’une dynastie dechue. »6

Pour etre juste, la description par Jing des

œuvres d’art du palais comme des « luxes

decadents » representant seulement une fraction

du patrimoine culturel chinois s’accordait assez

bien a l’opinion que l’on avait des « antiquites » a

l’epoque. Dans la mesure ou ces objets de luxe

etaient « chers et pouvaient etre utilises pour se

procurer de l’argent », Jing avait en partie raison :

leur mise aux encheres aurait pu « contribuer a

l’edification […] d’un musee bien plus grandiose

dans la vieille capitale ». On ignore si ce musee

« plus grandiose » aurait reserve un espace aux

« luxes decadents des Qing », ni ce qu’il aurait

abrite si ceux-ci en avaient ete exclus.

Aussi bien la reconnaissance du palais

imperial par Zhang Ji et ses collegues comme

l’incarnation de valeurs culturelles mondiales fut-

elle hautement significative. Elle mettait en jeu,

tout en les transcendant, des preoccupations telles

que la preservation de la culture traditionnelle et

s’ecartait des questions polemiques comme la

compatibilite de la sauvegarde du Musee du palais

avec la lutte contre le feodalisme.7 Ayant survecu a

ce debat, le musee entra dans une phase de

developpement relativement calme, compte tenu

des circonstances.

Preserver le patrimoine : les efforts entrepris

Au long des quatre-vingts annees de son

existence, le Musee du palais apporta en effet

une contribution substantielle a la preservation

du patrimoine. Avant 1949, annee de la

fondation de la Republique populaire de Chine,

ses efforts se repartissaient entre trois domaines :

la publication de travaux savants, l’organisation

d’expositions et, pendant la guerre contre le

Japon, le transfert vers le sud des œuvres a

proteger.

Zhuang Yan, conservateur du Musee

national du palais a Taipei, est l’auteur d’un

article intitule « Les publications du Musee du

palais a Peiping [nom de Pekin a l’epoque] avant

l’annee 35 [de la Republique = avant 1946] »,

Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 91

article base en grande partie sur un catalogue de

1936 destine a l’usage interne du musee. Son

article repartit les publications selon differentes

categories : livres, dossiers, bronzes et pierres,

peintures et calligraphies, sceaux imperiaux,

catalogues, peintures de paysages, notes et

correspondances entre lettres du temps passe et

instructions ou reglements.8 En se fondant sur

les divisions administratives du musee, deux

autres auteurs, Zhu Saihong et Zhong Hongwei

(Recherches et preparation pour la publication)

classent, pour leur part, les parutions

republicaines de la maniere suivante :

publications issues des musees, des

bibliotheques, des archives; ils y ajoutent des

travaux divers (emanant du comite de

l’inventaire, du bureau des affaires generales et

du service des editions du musee). Les milliers

de pages parues durant cette periode etaient a la

pointe de l’erudition.

A la fin de l’annee 1949, 222 expositions au

total avaient ete organisees a l’interieur comme a

l’exterieur du musee.9 Les expositions s’etaient

poursuivies meme pendant la guerre contre le

Japon, alors que les œuvres d’art etaient deplacees

d’un lieu a l’autre. « Juste apres l’Incident du 18

septembre [1931], nous organisames plusieurs

presentations tout en recherchant des lieux plus

surs pour les objets de valeur du musee. Des

expositions furent montees a l’etranger – au

Royaume-Uni et en URSS – lors de notre voyage

dans ces pays; en Chine, il y eut les presentations

de Shanghai, Nankin, Chongqing, Guiyang et

Chengdu. »10

L’evacuation et la conservation des biens

du palais au cours de la guerre contre le Japon

resteront un grand moment de l’histoire nationale.

Durant une douzaine d’annees, des milliers de

caisses furent acheminees dans des vehicules

rudimentaires a travers plusieurs provinces sans

qu’une seule ne se perde. Ce fut deja en soi un

miracle.

C’est l’incident du 18 septembre 1931

(egalement connu sous le nom d’« Incident de

Mandchourie ») qui fut a l’origine de l’operation.

Des officiers japonais dynamiterent en

Mandchourie une section d’une voie ferree dans

un territoire qu’ils controlaient, puis l’armee

imperiale japonaise accusa du mefait des

dissidents chinois, offrant ainsi un pretexte au

Japon pour envahir et occuper de vastes

territoires dans le nord-est de la Chine. Face a la

menace d’invasion imminente de la Chine du

Nord, il fut propose de transferer les objets de

valeur du palais vers le sud, via Shanghai, afin de

les mettre a l’abri.

L’operation debuta en 1933 grace a la

liaison ferroviaire avec Shanghai. Dans le meme

temps, des etudes approfondies furent entreprises

au palais Chaotian a Yeshan Hill, a l’ouest de

Nankin, considere comme un site possible pour

entreposer des pieces. Elles furent terminees en

1935 et la construction d’entrepots concus pour

resister aux raids aeriens, a l’humidite et au vol

commenca sur les lieux, au printemps de l’annee

suivante. A l’automne, la construction etait

achevee.

En decembre de la meme annee, les objets

precieux furent transportes par lots a la tresorerie

d’Etat de Nankin par le chemin de fer Nankin–

Shanghai. Une division de Nankin du Musee du

DES MUSEES PLURIELS

92 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

palais fut etablie au palais Chaotian peu de temps

apres (Ma Heng).11 Suite a l’incident du 7 juillet

1937 (il s’agit de l’ « Incident du pont Marco Polo »

qui marqua le debut de la Seconde Guerre sino-

japonaise), le Gouvernement nationaliste transfera

sa capitale a Chongqing et les biens du palais

furent envoyes plus au sud. A un moment critique

– les bateaux ne pouvaient plus atteindre le port –

plus de 2 000 caisses non encore expediees, dont la

plupart contenaient des archives du palais, furent

renvoyees a Shanghai. Quelque temps plus tard, les

Japonais ouvrirent de force les entrepots,

expedierent les caisses a Nankin et les conserverent

a l’Institut central de recherche et au Service des

etudes geologiques en les melangeant a diverses

possessions d’autres institutions. C’est seulement

apres la guerre qu’un nouvel inventaire put avoir

lieu; la reexpedition des objets a Shanghai reprit en

mai 1946, de nouveau sans aucune perte

majeure.12

Durant un court laps de temps, le musee

frola donc la ruine; l’aventure fut longue et ardue

et certaines pieces durent etre vendues aux

encheres pour assurer sa survie – a une epoque ou

le sort meme de la nation etait en jeu. Cette

protection, tres reelle, des biens du palais par le

Gouvernement revetait aussi une grande

importance symbolique. Sauvegarder l’ouvrage

culturel du pays, c’etait aussi sauver la nation.

En s’accrochant a ses biens les plus precieux,

celle-ci montrait au monde entier sa farouche

determination a survivre, sinon physiquement, du

moins culturellement.

Dans un tel contexte, la signification

culturelle inherente au patrimoine l’emporte sur sa

valeur monetaire apparente.

Un patrimoine pour tous

A la fin du conflit, les œuvres d’art du palais des

Qing ne furent pas toutes reexpediees au Musee du

palais de Beijing; elles se retrouverent dispersees

entre Beijing, Nankin et Taipei. C’est pourquoi,

tout au long du processus de restauration engage

apres la guerre, le musee n’a cesse de souligner que

toutes les possessions du palais devaient retourner

a Beijing. Aujourd’hui encore, les responsables des

musees de palais de part et d’autre du detroit de

Taiwan et les personnes ayant participe a l’epoque

aux envois vers le sud continuent d’insister sur ce

point.

Par ailleurs, la relation entre edifices et

objets d’art ainsi qu’entre espace culturel et

patrimoine culturel est de mieux en mieux

comprise par la population. Durant les annees

1950, le musee etait defini comme un lieu

d’exposition d’œuvres d’art du passe. Depuis mars

1961, il est aussi repertorie comme l’une des

« entites » culturelles essentielles placees sous la

protection de l’Etat. En decembre 1987 enfin, il a

officiellement accede au rang de site reconnu du

patrimoine mondial.13

De nos jours, l’expression « lieu

d’exposition d’œuvres d’art du passe » ne rend pas

justice a la dimension et a l’impact du Musee du

palais. « Entite culturelle sous la protection de

l’Etat » insiste sur la valeur – reelle – des biens

immobiliers du musee, mais neglige les biens

mobiliers. Il a fallu attendre que le musee soit

reconnu comme site du patrimoine culturel

mondial pour que toute son importance soit

veritablement comprise. Au cours des vingt annees

ecoulees depuis, sa reputation d’ouverture n’a cesse

Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 93

de croıtre a travers le monde. A cet egard, quatre

phenomenes peuvent etre releves :14

1. Une perception plus precise des œuvres

d’art

Il y a plusieurs decennies, d’innombrables

archives, considerees comme « avoirs non

culturels », etaient enfouies dans des recoins

obscurs de l’etablissement. En effet, la confusion de

la notion de biens culturels avec celle d’antiquites

ou de curiosites causa la perte de precieuses

archives, jugees sans interet. L’institution essaie

actuellement de collationner ou de reclasser les

archives et de juger leur valeur selon les normes

contemporaines.

2. Une prise de conscience accrue de la

qualite de l’architecture

Le complexe du musee a ete favorise en

termes de protection materielle, comme le

montrent les renovations annuelles entreprises

depuis 1952. La restauration actuelle, commencee

en 2002, durera dix-huit ans. En 2020, « la

renovation a grande echelle de l’exterieur et des

interieurs sera terminee et la protection de

l’ensemble sera assuree, un cercle vertueux etant

ainsi cree pour la maintenance future. » Plus

important encore, le musee a fini par reconnaıtre

que le complexe n’est pas une « coquille vide » ou

un simple site; au meme titre que les objets de

valeur exposes dans ses murs, il constitue un

vecteur de la culture traditionnelle chinoise et un

temoignage de cette civilisation. Sa valeur n’est pas

seulement architecturale; ayant ete le centre de la

vie politique de deux dynasties successives et le

symbole du pouvoir imperial, le complexe revet

une importance aussi bien historique que

culturelle. Beaucoup de ses elements peuvent par

eux-memes pretendre aux honneurs.

3. Une exploration plus attentive de l’histoire

et de la culture du palais

Des chercheurs se sont penches sur la

relation qui existe entre l’interet suscite par

l’histoire reelle du palais et une erudition plus

generale et abstraite.15 Les etudes effectuees dans

une perspective « non partisane » permettront

sans nul doute d’approfondir les connaissances

professionnelles sur l’histoire et la culture du

palais. L’histoire du palais n’est pas une simple

suite d’anecdotes concernant la seule famille

imperiale; elle a une influence directe sur la culture

chinoise en general.

4. Une volonte accrue de valoriser l’heritage

immateriel de la Cour

« La vision des professionnels du musee

s’est elargie en substituant au concept traditionnel

d’antiquites la notion actuelle de patrimoine

culturel a proteger. Il existe des patrimoines

materiels et des patrimoines immateriels. Tout en

veillant comme il se doit sur le patrimoine

materiel, nous devrions nous attacher davantage a

la protection d’elements culturels immateriels de

tres grande valeur. » Ceci concerne d’une part la

transmission des techniques et savoir-faire en

matiere de construction architecturale et de

conservation des œuvres d’art, et, d’autre part, la

sauvegarde du patrimoine culturel immateriel du

palais. Ainsi, le Musee du palais s’ouvre chaque

annee de plus en plus largement au public. Une

reorganisation generale de ses ressources aboutit a

DES MUSEES PLURIELS

94 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

des resultats positifs dont tout un chacun peut tirer

parti. La totalite des objets et des archives sera

repertoriee dans des catalogues et des informations

detaillees a leur sujet seront mises a la disposition

du public. Un acces a l’information constamment

facilite au cours des dernieres annees est la preuve

de cette ouverture.

NOTES

1. Wu Ying (2005), Reves de poussiere de la Cite interdite, Beijing :

Forbidden City Press, p. 125. [en chinois]

2. Shan Shiyuan (2006), Histoire du palais Qing. Beijing : New World

Press, p. 3. [en chinois]

3. Musee du palais (2005), Le Musee du palais ces derniers quatre-vingts

ans. Beijing : Forbidden City Press, p. 258. [en chinois]

4. Zheng Xinmiao, « Regards sur les quatre-vingts dernieres annees »,

Le Musee du palais ces derniers quatre-vingts ans, op. cit., p. 13.

[en chinois]

5. Liu Beisi (2004), Les vicissitudes du Musee du palais, Beijing :

Forbidden City Press, p. 77. [en chinois]

6. Wu Ying, op. cit., p. 150-3.

7. Zheng Xinmiao, op. cit., p. 5.

8. Zhuang Yan (2006), Un lieu predestine, Beijing : Forbidden City Press,

p. 101. [en chinois]

9. Musee du palais, op. cit., p. 270-84.

10. Ma Heng (2006), Confidences et poemes de Ma Heng: du cote de la Cite

interdite en 1949, Beijing : Forbidden City Press, p. 273. [en chinois]

11. Ma Heng, (2006). « Notes sur la maniere dont les tresors du palais

furent sauves de la destruction pendant la guerre contre le Japon ».

Confidences et poemes de Ma Heng, op. cit., p. 270–273.

12. Ma Heng, ibid., p. 270.

13. Zheng Xinmiao, op. cit., p. 12.

14. Zheng Xinmiao (9 mai 2003), « La valeur de la Cite interdite et les

implications du Musee du palais ». Nouvelles de la culture chinoise.

[en chinois].

15. Zhu Jiajin (1999), « Notes sur l’histoire du palais Qing ». Le palais

Qing : coutumes, etiquette, antiquites et anecdotes, Beijing : Beijing Press,

p. 373.

Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 95

Un nouveau concept :« ma capitale, mon musee »par Yao An

Titulaire d’un Ph.D en histoire, conservatrice adjointe et chercheur au Musee de la Capitale,

Yao An a dirige la preparation de plusieurs publications, sur le temple du Ciel, le patrimoine

mondial, ou Beijing. Elle a consacre un ouvrage aux jardins et parcs de Beijing et publie de

nombreux articles et monographies. Responsable de la presentation, de la planification de

l’education sociale au Musee de la Capitale, elle a contribue a l’organisation d’une vingtaine

d’expositions internationales.

La culture est l’element le plus representatif d’un

pays, d’une nation ou d’une ville, et les musees en

sont l’un des meilleurs agents de transmission. Le

Musee de la capitale, au cœur de Beijing, incarne la

culture de la ville et ses riches collections sont les

temoins vivants de son developpement. La plus

grande partie des vestiges exhumes dans la region

sont rassembles et conserves au musee comme

autant de tresors temoignant de l’extreme richesse

culturelle de la cite.

Naissance d’un nouveau concept : « ma capitale,

mon musee »

Dans le contexte de la mondialisation, les

musees sont devenus des instruments influents.

Beijing etant a la fois une metropole

internationale, une capitale ancienne de

renommee mondiale et un centre politique et

culturel, la construction et l’expansion de ses

musees doivent donc non seulement suivre son

developpement, mais aussi assurer le flux des

echanges entre des gens de regions, de nations,

de cultures et de croyances differentes. Le

96 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008

Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

nouveau Musee de la capitale a ete edifie dans

cette perspective, devenant l’un des principaux

musees de Beijing; l’edifice qui l’abrite est lui-

meme l’un des exemples les plus remarquables

de l’architecture actuelle pekinoise.

Cette institution – concue a l’origine

comme un musee local generaliste et lancee en

1953 – fut ouverte au public en 1981; elle etait

alors installee dans le temple de Confucius. Les

travaux du nouveau batiment commencerent en

decembre 2001. Celui-ci occupe un espace de

2,48 ha et s’inscrit dans un edifice plus grand

couvrant 6,34 ha, comportant cinq niveaux en

surface et deux en sous-sol; il s’eleve a 40 m.

L’installation des pieces presentees commenca

le 16 decembre 2005 et l’ouverture au public eut

lieu le 18 mai 2006.

L’architecture du batiment renvoie au riche

passe de Beijing et aux caracteristiques de son

peuple, tout en refletant le developpement de la

ville et de sa region, sa culture et son histoire, entre

passe, present et futur.

Montrer des expositions qui se

distinguent par l’elegance de leur conception

mais dont le contenu soit accessible au grand

public, telle est l’ambition de la nouvelle

institution; celle-ci possede plus de 5 600 pieces

ou ensembles d’objets qui retracent l’evolution de

la region au cours de 500 000 ans d’histoire,

depuis l’Homo erectus pekinensis jusqu’a nos jours,

et mettent en evidence le charme et l’elegance

uniques de la culture pekinoise. Les expositions

permanentes – « Beijing ancienne capitale :

histoire et culture » et « Beijing ancienne

capitale : architecture urbaine » – tendent a

retracer cette evolution dans toute sa splendeur.

Elles constituent le noyau central du musee a

partir duquel celui-ci construit progressivement

sa reputation en tant que l’un des musees chinois

de tout premier plan.

Il abrite egalement un ensemble

d’expositions thematiques, presentant des pieces

d’une qualite rare : « Anciennes ceramiques a

couverte »; « Bronzes de la region de Yan »;1

« Calligraphies anciennes »; « Peintures

anciennes »; « Jades anciens »; « Art bouddhique

ancien »; « Bibelots precieux des studios de

lettres ». Ces sept presentations, ainsi que celle

intitulee « Histoires anciennes et coutumes du

vieux Beijing » completent les collections

principales, donnant un apercu supplementaire sur

la culture de la ville.

Le concept qui sous-tend l’organisation du

nouveau musee accorde la priorite a la collecte, a

la presentation, a la restauration, a l’etude du

patrimoine ainsi qu’a l’enseignement qui peut en

etre tire. C’est afin de promouvoir cette approche

qu’a ete elabore et diffuse le concept de « ma

capitale, mon musee », qui inspire tous les

membres du personnel dans leurs taches

quotidiennes, par exemple l’accueil des visiteurs,

que l’on incite a se sentir parties prenantes a la

vie de l’etablissement : on les encourage a

participer a des activites organisees sur place, a

donner leur avis, a faire des suggestions

concernant la presentation des objets. Ainsi, le

musee deviendra pour eux un lieu ideal

d’enrichissement intellectuel et spirituel et ils

contribueront a ce que « ma capitale, mon

musee » devienne une realite dans le cœur des

habitants de Beijing.

Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 97

Conservation du patrimoine et mise en œuvre du

nouveau concept

Chaque ville a un passe et un present. La

richesse du patrimoine culturel de Beijing en fait

toutefois un cas a part. Proteger et preserver sa

diversite culturelle est la mission du Musee de la

capitale, et c’est aussi le but specifique qui

sous-tend le nouveau concept. Le musee a

considerablement innove au cours de ces

dernieres annees. Non content de mettre en

valeur les objets, il rend compte du

developpement urbain recent de Beijing. Il joue

egalement le role qu’on attend d’un musee

urbain dans des domaines tels que l’inventaire

des sites industriels, le recensement et la

diffusion des sons et cris de Beijing, ainsi que la

protection et la presentation du patrimoine

immateriel de la region.

Inventaire des sites industriels

L’inventaire des sites industriels est rendu

necessaire par le rythme de la croissance urbaine,

et constitue un sujet d’etude nouveau pour les

specialistes du patrimoine. Le developpement de

l’industrie a Beijing, entame a partir de la fin du

XIXe siecle, a connu son apogee dans les annees

1950. L’essor industriel a marque de facon

indelebile le developpement de la ville. Du fait de

la necessaire adaptation de l’industrie, du souci de

proteger l’environnement et de la necessite pour

Beijing de continuer a se developper dans les

21. Le palais d’ete de Beijing, dont la construction date de 1750, est un

chef-d’œuvre de l’art chinois du jardin paysager.

22. Vue interieure du Musee de la capitale.

ªU

NE

SC

O⁄I

.D

enis

on

21

ªM

use

ed

ela

cap

ital

e

22

DES MUSEES PLURIELS

98 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

annees 1990, la planification initiale de la ville

industrielle a ete considerablement modifiee.

Quelque 150 entreprises ont du quitter les zones

urbaines, et les usines, dont certaines remontaient

a une centaine d’annees, ont elles aussi du evacuer

les quartiers residentiels de la ville. Toutefois, ces

entreprises, qui avaient contribue au

developpement economique de Beijing et marque

la vie de generations de travailleurs, demeuraient

vivantes dans la memoire des gens. Ce sont elles

que vise le projet.

L’etablissement de la sixieme liste de sites

historiques a proteger que l’Etat a etablie indiquait

egalement que ce dernier se preoccupait du

patrimoine industriel moderne. La notion de

patrimoine industriel est toutefois mal

apprehendee dans la societe contemporaine, et il

est urgent que les sites industriels de grande valeur

soient reconnus comme tels et beneficient de

l’attention voulue. Comment evaluer l’interet du

patrimoine industriel ? Les cheminees d’usine qui

dominent les paysages sont les memes dans le

monde entier, mais le contexte historique, les

mentalites et les histoires qui se rattachent a leur

construction varient d’un pays a l’autre. Parmi les

sites industriels recenses, seuls ceux qui ont

marque un tournant historique sont actuellement

consideres comme ayant suffisamment de valeur

pour meriter d’etre proteges et preserves. Le Musee

de la capitale, outre qu’il a entrepris de dresser,

grace a des photos et des videos, un etat actuel des

sites industriels et de rassembler des objets

patrimoniaux, mene des travaux de recherche sur

la renovation et la preservation d’ateliers, de

machines et d’equipements.

Inventaire et diffusion des « voix de Beijing »

L’exposition « Les voix de Beijing » constitue une

experience nouvelle de la part du Musee de la

Capitale. Tout en deambulant le long de la foret de

bambous au sous-sol du musee, les visiteurs

entendent les sons traditionnels du vieux Beijing :

les klaxons des tramways, les cris des colporteurs

ou les salutations traditionnelles entre voisins et

connaissances. Les visiteurs plus ages peuvent

redecouvrir des sons familiers, les plus jeunes se

faire une idee de ce qu’etait la ville autrefois, et les

enfants sont en general ravis. L’exposition diffuse

23. Le palais d’ete, ou Yi he yuan, Beijing.

ªU

NE

SC

O⁄I

.D

enis

on

23

Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 99

egalement de la musique folklorique et les œuvres

de musiciens tels que Peter Cusack ou David Toop,

refletant l’evolution permanente de Beijing et son

environnement quotidien. Des enregistrements

sonores diffuses dans la Salle des traditions

populaires – dont les fameux concours de chants

d’oiseaux – creent, la encore, un climat propice a la

reconstruction de l’ambiance du vieux Beijing.

Le Musee de la capitale projette de

rassembler au cours des trois prochaines annees

d’autres sons et voix de Beijing pour de futures

expositions. Classes par themes – histoire, art,

religion, vie sociale, opera et sites anciens – ils

seront utilises pour des expositions speciales telles

que « Un jour dans un hutong », « Sons de toutes

saisons », « Sons de la place Tian’anmen » et

« Sons et voix des activites olympiques ».

L’exposition « Sons et voix d’un siecle d’histoire »

marquera en 2009 le soixantieme anniversaire de la

Republique populaire de Chine, en permettant de

restituer a la vue, mais aussi a l’oreille, l’histoire de

la ville. Cet effort du Musee de la capitale pour

preserver les sons et les voix de Beijing s’inscrit

dans le cadre d’une nouvelle initiative en faveur de

la protection et la preservation de son patrimoine

immateriel.

Conservation et presentation du patrimoine

immateriel de la region de Beijing

Les musees doivent relever a l’heure actuelle un

defi sans cesse croissant, dans la mesure ou le

concept de patrimoine s’elargit tandis que des voix

toujours plus nombreuses s’elevent pour reclamer

la protection du patrimoine immateriel. De plus en

plus de specialistes s’accordent en effet a penser

que les musees, lors des expositions, devraient

chercher a meler les patrimoines culturels materiel

et immateriel. C’est pourquoi le Musee de la

capitale, dote d’importantes collections d’objets,

s’emploie aussi a proteger, conserver et perpetuer

le patrimoine immateriel.

L’exposition « Coutumes du vieux

Beijing » presente ainsi diverses expressions du

patrimoine immateriel en mettant en scene quatre

moments de la vie des Pekinois de jadis : la nuit de

noces, la naissance d’un enfant, l’anniversaire d’un

grand-pere et les celebrations de la fete du

Printemps [la nouvelle annee lunaire]. Cette

exposition montre a l’aide de mannequins combien

le patrimoine immateriel fait partie inherente des

coutumes familiales et du mode de vie propre a

Beijing. Outre des objets destines a l’usage

quotidien tels que des laques, des ornements

d’ivoire, des coffrets au decor en filigrane, divers

meubles, des travaux de tricot et de broderie, ces

reconstitutions presentent egalement des objets

allant d’impressionnants lions pour mener la

« danse du lion » lors de celebrations festives, a de

minuscules sifflets de pigeon (accroches a la queue

des pigeons, ils creent des sons lorsque les oiseaux

volent), utilises quotidiennement pour se distraire.

On y trouve egalement de delicates tabatieres, des

cloisonnes et des estampes du Nouvel An de

Yangliuqing :2 tous ces objets, de grande qualite,

constituent un temoignage important de l’artisanat

et des techniques contemporaines.

L’exposition « Tresors de l’opera de

Pekin », autre initiative du Musee de la capitale

visant a presenter au public le patrimoine

immateriel, comprend des objets rassembles et

preserves afin de susciter l’interet des visiteurs

pour cette forme traditionnelle d’expression et la

DES MUSEES PLURIELS

100 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

leur faire mieux connaıtre. A cette fin, le musee a

reconstitue le decor et la scene traditionnels des

representations de l’opera de Pekin sur le modele

du theatre Yangping a Zhushikou, dans le district

de Chongwen a Beijing. Les visiteurs, revivant

l’atmosphere d’un theatre traditionnel ou se

rendaient les « vieux Pekinois », peuvent

apprehender d’une maniere plus directe et

personnelle le role important que cet art joue dans

la culture de la capitale ainsi que la necessite de le

preserver et de le perpetuer.

Le Musee de la capitale a egalement

monte des representations de l’opera kunqu, autre

forme du patrimoine culturel immateriel de

Beijing. Associer la presentation d’objets materiels

et des representations de ce type d’opera constitue

un moyen efficace d’encourager la participation

des visiteurs. Ces representations comblent, en

partie du moins, l’absence actuelle du patrimoine

culturel immateriel dans les musees. En

presentant et en mettant en scene des

evenements, des personnalites et des arts oublies,

le musee permet aux visiteurs d’en saisir

pleinement la signification et il atteint l’un de ses

objectifs les plus importants.

Les articles et les materiaux rassembles et

publies dans le cadre d’un projet intitule

« Recherche sur la conservation des patrimoines

immateriels dans la region de Beijing »

permettront non seulement d’enrichir les

expositions du musee, mais egalement d’ouvrir de

nouvelles pistes de recherche. Et, consequence non

negligeable, ces travaux serviront de reference au

gouvernement pour decider de la politique de

protection et de conservation du patrimoine

immateriel.

Le Musee de la capitale a beneficie, pour

toutes ces activites, de la participation et du

soutien de nombreux habitants, appartenant a

toutes les categories sociales : les uns ont fourni

des renseignements sur l’origine des objets; les

autres en ont offert; d’autres encore ont ecrit des

livres; tous temoignaient ainsi leur enthousiasme et

leur implication.

Beijing et la diversite culturelle

Beijing, capitale depuis des siecles et, de ce fait,

terre d’echanges entre les peuples, est devenue un

lieu unique, une sorte de kaleidoscope de cultures,

sans equivalent dans le pays.

Nouvelles cooperations avec des

musees du monde

Depuis sa pre-ouverture en 2005, le musee n’a

cesse de monter et organiser des expositions

nationales et internationales, des festivals, des

commemorations, des colloques et rencontres

universitaires, des conferences de presse, des

receptions et des interviews aupres des medias

chinois et etrangers.

Cet ensemble d’activites permit non

seulement de promouvoir les echanges, mais

aussi de faire de Beijing un theatre offrant aux

habitants la possibilite d’apprecier differentes

cultures sans quitter la ville. Parmi les

expositions les plus importantes, citons :

« Tresors des cultures du monde : le British

Museum, 250 ans de collections »; « La cite du

soleil : triomphe du realisme social en Russie

[ ] »; « Le culte du jaguar : l’ancienne

civilisation mexicaine », « Tresors de l’Inde

Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 101

ancienne » et « Sesame ouvre-toi : les tresors de

l’art arabe ».

En 2006, a l’occasion de l’exposition

« Tresors des cultures du monde : le British

Museum, 250 ans de collections », le musee invita

le conservateur du British Museum, Neil

MacGregor, a donner une conference et en

organisa quatre autres avec des experts nationaux

de renom. Cette exposition fut le premier

evenement d’importance organise par le nouveau

Musee de la capitale. Ce fut aussi une

extraordinaire experience pour le British Museum.

Le Musee de la capitale s’est vu offrir la

possibilite de cooperer avec la prestigieuse

institution britannique en raison de la qualite de

ses salles d’expositions, de la modernite de son

equipement de pointe, du haut niveau de ses

equipes de recherche et de conservation, de son

systeme de communication performant, de son

systeme de securite a toute epreuve, sans compter

un accueil et une logistique de qualite

exceptionnelle. Les preparatifs furent menes a bien

dans les temps et ne recurent que louanges de la

part du personnel du British Museum.

L’exposition, qui attira 250 000 personnes, fut

chaleureusement accueillie des son ouverture par

un public tres divers.

« Le culte du jaguar : l’ancienne

civilisation mexicaine » fut la deuxieme grande

exposition que le Musee de la capitale organisa.

Fruit d’echanges culturels repetes entre la Chine

et le Mexique, elle s’inscrivait dans le cadre d’une

serie d’expositions speciales et novatrices. Elle

constituait, grace a la presentation de figures en

argile et de sculptures taillees dans la pierre liees

au culte du jaguar, une introduction a l’univers

artistique et spirituel des anciens Indiens du

Mexique. Des initiatives artistiques variees autour

de ce theme permettaient aux visiteurs d’apprecier

la creativite extraordinaire et la richesse

d’imagination de ces peuples.

Au mois d’aout 2007, le musee presenta

« Tresors du musee du Louvre : l’art grec

classique » – la premiere grande exposition

d’objets provenant des collections du Louvre

organisee en Chine. Elle etait consacree a la

Grece antique entre le Ve et le IVe siecle avant

Jesus-Christ, l’un des « ages axiaux » dans

l’histoire des civilisations, et marquant l’apogee

de la Grece antique. Les 130 objets exposes –

sculptures sur pierre, poteries et objets en or –

illustrant la splendeur de cette periode

constituaient un pur enchantement. Cette

exposition a marque un tournant en termes de

conception et de narration museographique en

offrant aux visiteurs un champ d’experiences et

de sensations multiples.

L’exposition « parfaite »; rapprocher monde

du savoir et public

En 2007, a l’occasion de la Journee mondiale du

patrimoine culturel, la Sociedad Estatal para la

Accion Cultural Exterior (SEACEX) et le Musee de

la capitale organiserent l’exposition « Cosmos

Gaudı : architecture, geometrie et creation ».

La manifestation, concue autour des concepts

geometriques utilises par Gaudı, permit aux

visiteurs d’apprehender son mode de pensee, son

art de la perspective et ses gouts esthetiques en

observant la facon dont il sut meler nature et

technologie; ils purent ainsi approfondir leurs

DES MUSEES PLURIELS

102 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

connaissances en architecture et reflechir aux

rapports entre l’habitat humain et la nature. En

deux mois, l’exposition attira quelque 200 000

visiteurs.

En avril de la meme annee (2007), s’ouvrit

l’exposition consacree aux « Ceramiques

a couverte des fours officiels de Yongle decouverts

dans le district de Zhushan, a Jingdezhen ».

L’exposition – presentant une introduction a la

fabrication des porcelaines a l’epoque de Yongle, et

la replacant dans le contexte des rituels imperiaux

au debut de la dynastie Ming – contribua ainsi a

faire mieux connaıtre et apprecier la porcelaine de

ce temps, tout en enrichissant la recherche sur

l’histoire de Beijing. On pouvait certes y admirer

toutes sortes de porcelaines provenant des fours

imperiaux de Yongle mais egalement des

porcelaines blanches de style islamique et des

porcelaines au decor « bleu et blanc ». Ces pieces,

dont beaucoup etaient presentees au public pour la

premiere fois, temoignaient de l’esthetique unique

des fours officiels de Yongle, de la parfaite maıtrise

de l’art de la porcelaine a cette epoque, et, ce qui

etait beaucoup moins connu, du gout particulier de

l’empereur pour ces pieces. Ces objets, precieux en

eux-memes, sont en outre source d’utiles

informations archeologiques pour l’etude de

l’histoire, de la culture et de l’economie durant le

regne de Yongle.

Pendant l’exposition, de nombreux

experts en porcelaine furent invites a donner des

conferences. De plus, pour la premiere fois, on

crea une zone interactive ou les visiteurs

pouvaient toucher des tessons de porcelaine afin

d’en apprecier la matiere, les couleurs de

couverte et les decors et, plus important encore,

interroger les experts pour avoir une reponse a

leurs questions.

Enfin, l’exposition « Peintures de Pan

Yuliang »,3 organisee du 16 aout au 16 novembre

2007, rassembla plus de 200 œuvres de l’artiste.

Cette retrospective, la plus importante qui lui ait

ete consacree ces dernieres annees, seduisit le

public par son approche conceptuelle originale et

par la nouveaute des pieces presentees. Cette

exposition etait divisee en trois sections : la

premiere, « Vie de legende et destin d’artiste »,

presentait brievement la vie du peintre, ses

objectifs et ses creations; la deuxieme rendait

compte des efforts du musee de la province de

l’Anhui [ou Pan Yuliang avait vecu] pour sauver

ces tresors; on y expliquait le processus de

restauration des peintures a l’huile et fournissait

aux visiteurs des informations sur la protection, la

reparation et la restauration des peintures; la

troisieme section proposait enfin des creations

inspirees des peintures de Pan Yuliang, dont des

objets de decoration. Ces creations, dans l’esprit

des œuvres de l’artiste, melaient art pur et art

applique, donnant ainsi l’occasion aux visiteurs

d’introduire cette esthetique dans leur vie

quotidienne.

A l’ecoute de l’actualite et au service du public

En 2007, a l’occasion du dixieme anniversaire de la

retrocession de Hong Kong a la Chine, le musee

organisa une exposition visant, au moyen de

descriptions parlantes, de photos en couleur, de

jeux interactifs et de vestiges de qualite, a rendre

compte du developpement de la Region

administrative speciale de Hong Kong, des progres

et realisations de ces dix dernieres annees.

Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 103

L’evenement, accueilli chaleureusement par le

public, recut pres de 120 000 entrees durant les

dix jours d’ouverture.

Le Musee de la capitale est ainsi devenu un

lieu de premiere importance, jouant un role

significatif lors de la candidature de Beijing aux

Jeux Olympiques de 2008 et de la campagne

promotionnelle qui y a ete associee.

L’une des principales fonctions d’un musee

etant de rassembler des objets d’art, le Musee de la

capitale s’est en effet activement employe a reunir

environ 40 000 pieces en rapport avec la

candidature de Beijing aux Jeux olympiques, et a

susciter des articles les concernant. Il a egalement

organise des expositions et des activites ciblees,

dont « Le sport : chefs d’œuvre de l’art chinois »;

« Peintures et calligraphies d’artistes chinois

handicapes »; et « Le reve partage : les collections

sportives et olympiques nationales », dans le cadre

du quatrieme Festival culturel olympique de

« Beijing 2008 » (qui comprenait egalement le

Forum de Beijing de 2006 sur les arts folkloriques

et un seminaire sur le collectionnisme en relation

avec les sports olympiques).

« Ma capitale, mon musee »

Le Musee de la capitale fait en sorte de cooperer

avec tous les milieux sociaux de maniere a mettre

en pratique le nouveau concept. Non content de

collaborer et d’organiser des echanges avec d’autres

musees, le Musee de la capitale organise donc des

expositions sur l’histoire, la culture et l’art a

l’intention de toutes les composantes de la societe,

dont les entreprises, les comites de quartiers, les

communautes et les individus. Depuis son

ouverture, il a ainsi organise des dizaines

d’expositions de ce type.

Outre des expositions consacrees aux

periodes anciennes (comme celle de juin 2007

presentant des tuiles decorees et des ceramiques de

l’epoque du Premier empereur [221–210 avant

J.-C.]), le musee est en outre dispose a monter

toutes sortes d’expositions permettant d’illustrer

l’evolution de Pekin depuis cinquante ans, a travers

ses rues, ses societes commerciales, ses usines et

chacun de ses habitants. Ainsi sera pleinement mis

en œuvre le concept de « ma capitale, mon

musee ».

Apporter le musee a la maison

Le concept d’industrie culturelle et creative, s’il est

devenu familier, demeure toutefois etranger a la

plupart des musees. Il est « familier », en ce sens

que les musees sont au cœur meme de l’industrie

culturelle, ce qui est largement admis et compris

par toutes les composantes de la societe. Il reste

« etranger » dans la mesure ou la creation

culturelle sous l’impulsion des musees en est

encore a ses premiers balbutiements. Les objectifs,

les moyens et les methodes de la creation culturelle

par les musees, ainsi que la recherche, le

developpement et la realisation de produits

culturels et creatifs, en sont tous au stade de

l’experimentation et de l’exploration. Pour un

nouveau musee tel que le Musee de la capitale,

c’est un defi a relever.

Avant la pre-ouverture en decembre

2005, l’administration, apres une analyse

approfondie des questions relatives au

developpement des activites culturelles et de

DES MUSEES PLURIELS

104 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

service, decida que l’elaboration de produits

derives devait etre pour le musee un objectif

important. Il s’agissait d’etablir un processus

approfondi de « developpement », de mettre au

point differents moyens et methodes de creation,

d’assurer la production de masse de produits,

d’en proteger les droits de propriete intellectuelle

detenus par le musee, et de developper une

strategie de marketing adaptee.

Premiere remarque : on peut etre certain

que, compte tenu de l’enormite de la demande, il

y a un marche pour des produits culturels

creatifs. Durant les Jeux olympiques de 2008 et

la periode qui suivra, Beijing connaıtra une

veritable explosion du tourisme culturel, et

l’impact des Jeux creera une forte demande de

consommation. Pour l’instant, le developpement

de produits culturels derives est sans commune

mesure, en termes d’originalite et d’importance,

avec l’influence et la reputation de Beijing. Des

produits differencies pourraient augmenter les

parts de marche, et les produits culturels derives

mis au point par le Musee de la capitale, grace a

ses ressources et a sa creativite uniques,

pourraient se tailler une part importante du

marche touristique des souvenirs. Le marche des

produits culturels derives des musees est encore

balbutiant en Chine, et le Musee de la capitale

dispose, compare a d’autres, d’atouts serieux et

de belles perspectives d’avenir. Les produits

culturels derives des musees sont aussi un

instrument de communication dont les musees

modernes ont besoin.

Deuxiemement, l’industrie culturelle et

creative du Musee de la capitale est axee sur trois

objectifs commerciaux distincts :

1. Les groupes de visiteurs. Quand les

produits culturels font partie de la vie

quotidienne des gens, il en resulte, de

leur part, une meilleure comprehension

des œuvres et de la culture en general,

ainsi que des services offerts par les

musees. En 2006, environ 760 000 tickets

d’entree ont ete vendus, le nombre total

de visiteurs depassant le million. Ce

public est une cible commerciale qui ne

doit pas etre negligee.

2. Les expositions nationales et internationales.

Les echanges culturels et les expositions

sont particulierement propices au

developpement du marche des produits

culturels derives. Les produits derives mis

au point pour les expositions du Musee de

la capitale font desormais partie integrante

de ces expositions.

3. Le marche des cadeaux et des souvenirs. Les

cadeaux et les souvenirs a connotation

culturelle sont necessaires aux echanges

culturels, et les produits que nous

fournissons repondent parfaitement a ce

besoin.

A l’heure actuelle, le Musee de la capitale

dispose d’une zone reservee specifiquement a

l’industrie culturelle creative et, parmi les

principaux produits offerts, on trouve des

vetements, des souvenirs, des livres ainsi que des

enregistrements audio et video exclusifs. On peut

s’y procurer aussi des objets artisanaux evoquant le

vieux Beijing, des ornements de jade, des gravures,

des livres – au total pres de dix mille sortes

d’articles – allant des livres a des reproductions de

Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 105

calligraphies et de peintures. Des boutiques de

cadeaux y sont aussi ouvertes a titre temporaire

lors des expositions.

Le Musee de la capitale comprend

egalement un « Atelier des sept couleurs »

interactif, a but educatif pour les enfants, de la

maternelle a l’ecole primaire. Diverses activites

attrayantes, comme la fabrication de ceramiques, la

confection de masques de l’opera de Pekin ou

l’impression d’estampes du Nouvel An permettent

aux enfants d’exercer leur imagination et leur

creativite. Ils peuvent a tout moment s’amuser en

se livrant a des experiences concretes. Ces activites

visent a favoriser leur developpement, tout en

satisfaisant leur desir d’exploration, en

encourageant leurs aptitudes pratiques et en

stimulant leur imagination artistique. Le musee

leur offre egalement un espace ou ils peuvent

exposer leurs productions, et organise

regulierement des expositions de leurs meilleurs

travaux afin de stimuler leur enthousiasme et de

faire du musee une pepiniere de futurs talents,

artistes ou scientifiques.

Le Musee de la capitale : un musee mobile

En 2007, l’exposition « Partageons le ciel bleu :

mouvement pour construire ensemble la ville et

son environnement rural », a ete la premiere

activite sociale publique de grande ampleur

organisee par le musee en tant qu’institution

culturelle a but educatif.

Les activites s’adressaient aux eleves des

niveaux primaires et intermediaires et aux

habitants des banlieues. Tout d’abord, ces

habitants ont ete invites a venir gratuitement au

musee de facon reguliere pour participer a diverses

activites educatives. Ensuite, des expositions ont

ete organisees dans les campagnes, et d’autres dans

les cantons et les quartiers de banlieue. Dans ces

derniers, des experts ont donne des conferences et

dirige des seminaires gratuits, a l’intention

notamment des professeurs et des eleves.

L’exposition – assortie d’une section intitulee

« Beijing, ancienne capitale : histoire et culture »,

destinee a fournir une information de base sur la

defense nationale – a ete montee dans differents

districts, cantons et comites de quartier des

banlieues.

Ce faisant, le musee a pour objectif de

« faire beneficier des ressources en matiere de

culture, d’information et d’education » les zones

urbaines et rurales, promouvoir le progres culturel

et ideologique dans les zones rurales et donner aux

habitants des banlieues l’occasion de decouvrir les

musees. Ce faisant, le Musee de la capitale est

devenu une sorte de musee mobile, a meme de

remplir pleinement son role.

L’institution museale en Chine remonte a

une centaine d’annees. On a fini par prendre

conscience que les musees ne sont plus des lieux

ou l’on dispense un enseignement austere dont la

seule fonction serait de presenter des vestiges

culturels accompagnes d’explications absconses.

Les gens sont au contraire fortement desireux de

relier les objets exposes a leur vie de tous les

jours : et les musees sont capables de leur montrer

concretement comment ces objets faisaient partie

du quotidien. Ils esperent etablir un rapport etroit

avec le visiteur, en lui donnant acces a la

connaissance et au plaisir par la culture et trouver

ce faisant leur place dans le cœur du public. Ils

DES MUSEES PLURIELS

106 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

concretiseront ainsi le concept de « ma capitale,

mon musee ».

NOTES

1. Nom d’une principaute a l’epoque des Royaumes combattants et

l’ancien nom de la region de Pekin.

2. Localite de la banlieue de Tianjin : on y fabrique toujours de celebres

estampes tres colorees destinees a porter bonheur.

3. Cette artiste, a la vie aussi etrange qu’un roman, a passe une grande

partie de sa vie a Paris ou elle est morte.

Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 107

Preserver la diversite dupatrimoine culturel de Shanghaipar Chen Xiejun

Chen Xiejun, chercheur et directeur actuel du Musee de Shanghai, siege egalement a

l’Association des musees de la Fondation Asie–Europe. Vice-president du Comite national

chinois du Conseil international des musees, il est en outre sous-directeur de la Societe

chinoise des musees et de l’Association des musees culturels de Shanghai. En tant que

chercheur, il s’interesse plus particulierement a la philosophie, a la culture urbaine moderne,

aux nouvelles theories scientifiques de la macroscopie, a la bibliotheconomie et a la

museologie. Auteur de deux livres, Le temps et Les couleurs, et de diverses etudes sur

l’origine de la civilisation chinoise, il prepare actuellement un doctorat de philosophie a la

St Louis University de Washington (DC).

A la suite des bouleversements culturels qu’a

connus Shanghai du point de vue technologique,

economique et sociologique, la necessite de

preserver le patrimoine culturel extremement

diversifie de l’agglomeration est devenu un theme

d’actualite dont la population est de plus en plus

consciente.

Le Musee de Shanghai et la preservation d’un

patrimoine culturel diversifie dans le contexte de

la mondialisation

Amorcee au compte-gouttes, la « mondialisation »

est devenue aujourd’hui un torrent impetueux

et un phenomene dont les musees doivent

absolument tenir compte. Lors des grandes

conferences organisees par l’Association

internationale des musees a Stavanger en 1995,

Melbourne en 1998 et Tokyo en 2002, la question

vitale des « musees face a la mondialisation »

a fait l’objet de debats approfondis de la part

108 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008

Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

de la societe internationale. « Culture planetaire »

et « culture chinoise », internationalisme et

esprit national, etc., sont des questions

complexes. La volonte de concilier les exigences

opposees de la mondialisation et de l’identite

chinoise, de l’ouverture au monde et du

nationalisme, du brassage des cultures et de la

specificite, oblige les musees a une nouvelle prise

de conscience.

Considere comme l’une des vitrines de l’art

classique chinois, le Musee de Shanghai a

rassemble en un peu plus d’un demi-siecle plus

d’un million d’objets, dont pres de 120 000 pieces

uniques, d’une valeur inestimable : bronzes,

ceramiques, calligraphies, peintures, os graves

d’inscriptions oraculaires, sceaux, jades, ivoires,

soieries, productions des minorites ethniques, sans

oublier les temoignages de cultures etrangeres et

autres. Les trois principales collections sont celles

des bronzes, des ceramiques, et des calligraphies

et peintures. Des son ouverture en 1952, le Musee

de Shanghai s’est lance avec enthousiasme dans

la voie du changement, prenant des initiatives

exemplaires en matiere d’expositions

internationales et renforcant la cooperation avec

les chercheurs d’autres pays pour un partage global

de l’information – ce qui constitue l’un des aspects

les plus remarquables de « l’ere du musee

planetaire ». Confronte aux realites de la

« mondialisation », le Musee de Shanghai

demontre toute l’importance qu’il attache a la

protection d’un patrimoine culturel tres diversifie.

C’est dans le meme esprit qu’il aborde ces

questions pratiques que sont la mise en application

des idees nouvelles, la conception des produits et

la gestion ainsi que la valorisation scientifique des

espaces d’exposition.

La conservation du patrimoine de Shanghai et son

impact sur la vie de la cite

Tout au long de son histoire, Shanghai a accumule

un patrimoine culturel extremement riche et varie

qui atteste une occupation tres ancienne, puisque

la culture de Majiabang ( ) remonte a 6 000

ans, celle de Songze a 5 000 ans, celle de Liangzhu

a 4 000 ans, et la culture de Maqiao a 3 700 ans.

Les vestiges culturels du neolithique et des

dynasties Xia, Shang et Zhou trouves a Shanghai

temoignent de l’origine et des racines culturelles de

la ville. Vingt-sept sites archeologiques des

environs ont deja livre d’innombrables objets

et l’on attache une grande importance a la

poursuite de ces fouilles. Mais il ne suffit pas

de preserver a grands frais ce patrimoine

inestimable : il faut aussi le mettre en valeur pour

que sa richesse puisse etre pleinement exploitee en

tant que composante essentielle de la vie culturelle

de la cite.

Des les debuts de l’industrialisation de la

Chine, Shanghai est rapidement devenue, dans les

annees 1920, un centre important de l’industrie

textile et de la construction ferroviaire et navale.

Ainsi s’est constitue un riche patrimoine

industriel encore tres present aujourd’hui. Cela

oblige Shanghai a adopter des methodes de

conservation adaptees a des exigences et a des

situations tres variees; mais, si une cooperation

s’instaure entre des quartiers ayant chacun leur

specificite, il devient possible de mettre en œuvre

des ensembles polyvalents de plans

d’amenagement des sites du patrimoine industriel

de la ville. Les enseignements tires de

l’experience des ateliers de confection de New

York montrent la necessite de s’appuyer sur des

Preserver la diversite du patrimoine culturel de ShanghaiChen Xiejun

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 109

bases culturelles solides pour transformer les

quartiers anciens et restructurer les friches

industrielles. Ainsi, le batiment du 50 Moganshan

Road etait a l’origine une ancienne manufacture

dotee d’un entrepot dont l’histoire remonte aux

annees 1930. A l’aube du XXIe siecle, un collectif

d’artistes a investi cet espace pour en faire une

galerie d’art moderne. Cette rehabilitation reussie

a incite d’autres sites industriels du meme genre a

faire une place aux arts visuels en tant que

composante essentielle de la creativite culturelle

de Shanghai. On peut citer a titre d’exemple la

Tangshan Road ou la Duolun Road, mais la

volonte d’innovation est presente un peu partout,

creant une scene culturelle diversifiee et ajoutant

des touches colorees et originales a un paysage

urbain aux multiples facettes.

La principale raison d’etre du musee est la

preservation du patrimoine culturel, ce qui ne se

limite pas a la conservation des collections, mais

suppose aussi un travail systematique

d’information et de valorisation de l’ensemble. Peu

importe a cet egard qu’il s’agisse du patrimoine

materiel ou immateriel. Des lors que l’on accepte

l’idee que le patrimoine culturel forme un tout,

chaque musee est tenu, pour le preserver, de

poursuivre encore plus rigoureusement sa

politique en matiere de conservation : mise en

valeur du patrimoine, objectifs de developpement

24. Les ruines neolithiques du Mont Fuquan.

ªM

use

ed

eS

han

gh

ai

24

DES MUSEES PLURIELS

110 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

et recours aux methodes et technologies

appropriees. C’est la une condition sine qua non

de tout developpement ulterieur de l’institution,

qui doit egalement aller vers les gens, repondre

a leurs attentes, participer a la vie de la cite,

proposer un eventail d’activites culturelles aussi

large que possible et contribuer au progres social.

Ces dernieres annees, l’offre museale a connu

a Shanghai un developpement relativement

rapide, et l’agglomeration compte aujourd’hui

106 musees, dont plus de 40 prives. D’ici a

2010 le nombre des musees et fonds d’archives

devrait atteindre 150. La culture museale a ete

renforcee afin de sauvegarder et proteger le

patrimoine de Shanghai, ainsi que de nourrir

et dynamiser la vie culturelle de la cite.

Diversite et innovation culturelles : deux aspects

complementaires du role du musee

L’attrait de la culture tient a sa pluralite; cela est

encore plus vrai a l’age de la mondialisation. Le 2

novembre 2001, la Conference generale de

l’UNESCO a adopte a sa trente et unieme session la

Declaration universelle de l’UNESCO sur la

diversite culturelle, ou elle affirme qu’en tant que

« source d’echanges, d’innovation et de creativite,

la diversite culturelle est, pour le genre humain,

aussi necessaire que l’est la biodiversite dans

l’ordre du vivant. » La diversite culturelle est

sans conteste un heritage fabuleux que toute

l’humanite a recu en partage; il s’ensuit que les

musees doivent assumer sans faille la

responsabilite qui est la leur de preserver,

montrer et faire mieux connaıtre ce patrimoine.

Et toute action visant a promouvoir la creativite

culturelle des musees doit aussi tenir compte des

exigences tres concretes de la diversite culturelle.

A tous egards, le Musee de Shanghai

s’efforce d’etre un modele en Chine et de rayonner

dans le monde. A cette fin, il applique strictement

le programme d’action qu’il s’est fixe et qui

s’articule autour de trois grands axes : recourir aux

technologies avancees pour gerer la conservation

des collections, favoriser un haut niveau de la

recherche au service de l’innovation scientifique, et

contribuer a l’education d’une societe moderne.

Cette ambitieuse politique de renaissance

culturelle a permis au Musee de Shanghai de

s’ouvrir progressivement a la mondialisation.

Conservation et diversite

Depuis la premiere utilisation attestee du mot

« museion » dans la ville egyptienne d’Alexandrie,

les musees – tirailles entre elitisme, nationalisme,

dirigisme politique ou populisme – ont connu bien

des vicissitudes. La finalite et la nature de leurs

activites ont evolue, passant progressivement de

l’etalage des collections familiales des elites a

l’emergence de veritables centres culturels. Mais en

25. Le Musee de Shanghai la nuit.

ªM

use

ed

eS

han

gh

ai

25

Preserver la diversite du patrimoine culturel de ShanghaiChen Xiejun

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 111

depit des changements, les responsables des

collections ont tout fait pour que les musees

restent fideles a leur vocation essentielle :

conserver les traces du patrimoine culturel de

l’humanite.

Les collections exposees au Musee de

Shanghai refletent, en croisant les approches

temporelles et spatiales, la formation de la culture

chinoise dans toute son ampleur : en temoignent

les remarquables ensembles de poteries grises

provenant de Songze – dans le sud de la Chine –,

celui des ceramiques rouges de Majiayao –

provenant du nord – et les pieces noires de

Dawenkou – provenant de l’est. A quoi vient

s’ajouter, si l’on considere comme un tout la

province orientale du Zhejiang, sur la cote, la

production des cultures de Liangzhu, Hemudu,

Majiabang et de nombreuses autres cultures

neolithiques. Les salles consacrees aux bronzes

antiques mettent aussi en valeur l’originalite des

grandes regions chinoises : la culture de la grande

Plaine (correspondant au bassin moyen et

inferieur du fleuve Jaune, qui comprend la

majeure partie du Henan, la partie occidentale du

Shandong et le sud du Hebei et du Shanxi); mais

aussi celles des pays de Wu et de Yue (a

l’embouchure du Yangzi); des Xiongnu (en

Mongolie-Interieure et sur les territoires situes

plus au nord); des pays de Ba et de Shu (au

Sichuan et dans le bassin moyen du Yangzi); et

des pays de Qi et de Lu (pour l’essentiel, sur le

territoire de l’actuel Shandong). La superbe

collection de jades couvre tant les cultures

neolithiques (Liangzhu, Hongshan, Longshan)

que celles de l’epoque imperiale, jusqu’aux

dynasties Ming et Qing dont la production est

tout aussi remarquable. Enfin, la section

consacree a l’artisanat des minorites presente des

tissages, des broderies, des sculptures, des

vanneries et autres exemples d’un artisanat

raffine, temoignant de la vitalite et de la richesse

des traditions artistiques des nombreuses

nationalites que compte la Chine.

Par leurs multiples facettes, ces collections

transcendent les barrieres du langage. Les visiteurs

venus d’horizons differents ne percoivent pas

necessairement sous le meme angle ce qui leur est

montre et ne l’interpretent pas de la meme facon.

Des etudes ont montre a quel point la diversite

culturelle est en cette epoque de mondialisation

une source d’enrichissement des esprits.

L’interpretation elargie proposee par le musee offre

ainsi au visiteur une culture museale a la fois

accessible et eloquente, et les espaces d’exposition

sont suffisamment vastes pour leur permettre de

decouvrir et savourer tout a loisir les differents

aspects de chaque civilisation.

En octobre 2002, Shanghai a accueilli la

septieme Assemblee regionale de l’Organisation

Asie-Pacifique du Conseil international des musees

(ICOM-ASPAC), comportant notamment un atelier

sur le theme « Musees, patrimoine immateriel et

mondialisation ». Les participants ont signe la

Charte de Shanghai, dans laquelle ils demandent

aux musees de proteger le patrimoine culturel

immateriel de la region Asie-Pacifique. Rappelant

l’obligation de developper la diversite culturelle a

l’echelle planetaire et les engagements pris a cet

egard, la Charte souligne la double necessite de

« repondre aux defis et aux menaces de la

mondialisation et etudier des approches

permettant d’utiliser au mieux les possibilites

qu’offre la mondialisation de la culture, de la

DES MUSEES PLURIELS

112 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

technologie et de l’economie ». Pendant cette

periode charniere, le Musee de Shanghai a aussi

contribue par son action a maıtriser les effets d’une

croissance acceleree, grace a une formation

adaptee en matiere de gestion qui lui a permis

d’assimiler les progres technologiques pour mieux

proteger le patrimoine culturel immateriel de la

ville, aidant ainsi la municipalite a mieux gerer son

patrimoine et a servir et informer l’ensemble de la

population.

Les grandes expositions thematiques au service

de la diffusion de la diversite culturelle

L’avenir des musees est directement lie au niveau

culturel du grand public, c’est-a-dire a ses attentes

dans ce domaine et a sa capacite d’appreciation. En

cette periode de mondialisation, le public

manifeste un interet enthousiaste envers la culture

des nombreuses minorites autochtones et des

territoires autonomes. Les collections permanentes

du Musee de Shanghai retracent l’histoire de notre

civilisation a l’aide d’objets, temoignages et

documents authentiques qui ressuscitent le passe

plusieurs fois millenaire de la Chine, le but etant

de faire decouvrir au grand public les multiples

influences qui ont faconne les differentes

nationalites de la Chine, et de montrer la richesse

et la profondeur de l’experience culturelle de

l’humanite.

Apres une breve periode de tatonnements,

le Musee de Shanghai, pour repondre a la demande

d’un public toujours desireux de renouvellement,

organisa trois grandes series d’expositions. La

premiere rendit hommage aux civilisations de

l’Antiquite : « Tresors de l’Egypte antique au

British Museum »; « Tresors de la civilisation

maya du Mexique »; et « Art et Empire : les tresors

d’art asiatique du British Museum ». La deuxieme

serie fut consacree aux provinces situees aux

marches de la Chine : « Tresors archeologiques de

la route de la soie dans la Region autonome

ouıgour du Xinjiang »; « Le monde fabuleux des

steppes : tresors archeologiques de la Mongolie-

Interieure »; « Tresors caches du Pays des neiges :

chefs-d’œuvre du Tibet »; ou encore « Tresors

insolites du pays de Jin : le mobilier funeraire des

tombes princieres de la principaute de Jin au

Shanxi ». Puis, pour repondre a la demande d’un

public toujours desireux de renouvellement, une

troisieme serie porta sur des sujets techniques

comme la xylogravure – les livres imprimes et

illustres, notamment les meilleurs recits

moralisateurs comme le « Pavillon de la culture

honnete » (Chunhuagetie ) – ou les arts

du pinceau (« Tresors nationaux de la calligraphie

des dynasties Jin, Tang, Song et Yuan »), etc.

Les grandes expositions consacrees aux

routes de la soie, aux mysteres des Maya, aux dieux

de l’Egypte antique, aux collections de la

Mongolie-Interieure et aux tresors du Tibet ont ete

l’occasion pour les habitants de Shanghai de

decouvrir les vestiges de ces grandes civilisations et

de s’en impregner. L’experience montre que ces

presentations doivent etre montees d’une maniere

ambitieuse, qu’il ne faut pas hesiter a faire appel

aux ressources de la mise en scene et, le cas

echeant, au riche fonds dont dispose le musee. Il

s’agit la de choix culturels relativement novateurs

dans le contexte local.

En l’an 2000, « Le monde fabuleux des

steppes : tresors archeologiques de la Mongolie-

Interieure » permit aux habitants de decouvrir la

Preserver la diversite du patrimoine culturel de ShanghaiChen Xiejun

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 113

civilisation des premiers nomades mongols et ses

etroites parentes avec la culture de la Chine

ancienne. Certains airs – comme « Le ciel gronde,

les feuilles fremissent et le vent fait se coucher

l’herbe pour que nous puissions voir nos

troupeaux » – se chantaient aussi a Shanghai, sur

les rives de la mer de Chine orientale, tandis que

« Pays des cavaliers », pour qui « le betail [etait] la

source de la vie », et « Pays des agriculteurs »

avaient aussi en commun des houes en pierre, des

poteries, des ornements de jade et des effigies de

divinites taillees dans la pierre.

L’exposition consacree aux tresors de l’art

tibetain eut lieu la meme annee. La direction du

musee est particulierement fiere du caractere

novateur des strategies culturelles qui president a

l’organisation de ces expositions.

Enfin, l’exposition « Tresors nationaux de

la calligraphie des dynasties Jin, Tang, Song et

Yuan » rend hommage a l’art des calligraphes

chinois dont d’innombrables et precieux

temoignages accumules pendant mille ans se

trouvent actuellement rassembles dans les

soixante-douze grandes salles d’exposition. Cet

hiver, le Musee de Shanghai restera ouvert la nuit

et, pendant plus d’un mois, la richesse de notre

civilisation sera evoquee par l’histoire

minutieusement detaillee des progres de la

calligraphie sous les dynasties Jin, Tang, Song

et Yuan.

L’exposition consacree aux ouvrages

imprimes anciens a necessite une annee de travail

preparatoire et de recherches sur l’histoire du livre

et la calligraphie, avec le concours de specialistes

invites. Un soir d’automne, plus de 3 000 visiteurs

passionnes, artistes ou hommes de la rue se sont

retrouves au Musee de Shanghai pour

l’inauguration. A cette occasion, une centaine

d’artistes de renom avaient apporte leur materiel de

calligraphie pour faire sur place la demonstration

de leur art. Des connaisseurs echangeaient leurs

impressions sur fond de musiques melodiques

interpretees a la cithare qin (« A propos des

montagnes et de la lune », « Trois pruniers en

fleurs » (province du Gansu)), ou a la cithare

zheng (« La fille aupres du saule »), auxquelles

succedait le chant d’une flute de roseau (« Reverie

de printemps sur la terrasse de Zhuang ») ou

encore un solo d’ocarina xun (« Triple soleil »).

Si le Musee de Shanghai s’efforce

d’emouvoir ainsi ses visiteurs, c’est pour leur

communiquer ce qui constitue l’essence de la ville,

« la mer ou se jettent cent rivieres, la soif

d’excellence, la sagesse alliee a la modestie ». Il

faut d’ailleurs savoir gre au grand public de

contribuer par ses encouragements et ses

suggestions au dialogue incessant entre

l’expression des differentes sensibilites et le respect

de la diversite. En effet, les visiteurs qui se pressent

dans les salles brillamment eclairees ne cessent de

proposer de nouveaux themes a explorer, attitude

qui traduit bien l’interet fervent et constant des

habitants de Shanghai pour tout ce qui a trait a la

culture.

La transmission d’un art aux origines multiples

Le Musee de Shanghai compte aujourd’hui dix

grands halls d’exposition consacres chacun a un

type d’objet : les bronzes archaıques, la sculpture

et l’art des steles, les jades, le mobilier de l’epoque

des Ming et des Qing, les sceaux et les monnaies

DES MUSEES PLURIELS

114 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

(y compris des monnaies decouvertes sur les sites

de la route de la soie), la ceramique, la peinture, la

calligraphie, sans oublier l’artisanat des minorites

nationales.

Ces dernieres annees, la politique

culturelle du Musee de Shanghai lui a valu de

nombreuses recompenses, dont les prix decernes

aux dix plus belles expositions de Chine et aux

grandes expositions des musees de Shanghai. Dans

la salle des sculptures, le public peut admirer des

ecrans ornes de fleurs de lotus, des steles de pierre

portant des textes graves, des parois murales

evoquant l’essence meme de l’art bouddhique.

Dans la salle du mobilier sont exposes, outre les

meubles eux-memes, des tuiles vernissees et des

linteaux de bois qui traduisent l’atmosphere

raffinee et la serenite caracteristiques du decor

Ming et Qing. Le choix des cultures et des

techniques de presentation permet de mesurer les

progres accomplis par le musee sur la voie d’un

savoir professionnel autorisant les conservateurs a

proposer leur propre interpretation.

En 1998, le Musee de Shanghai accueillit

l’exposition « Tresors de l’Egypte antique au

British Museum ». Un commentaire avait ete

redige pour mieux rendre compte de l’eclat de la

civilisation des pharaons, et l’exposition elle-meme

constituait un somptueux spectacle. Pour souligner

l’extraordinaire richesse des objets exposes, elle

etait organisee autour de l’image centrale de la

« grande Pyramide ». On accedait aux objets

exposes par un escalier special, et les murs de la

pyramide avaient ete entierement revetus de

panneaux en fils dores pour creer l’illusion d’une

« Pyramide doree ». Les murs du hall d’exposition

etaient couverts de reliefs illustrant l’histoire des

dieux de l’Egypte antique et des elements evoquant

du gres aidaient les visiteurs a se transporter en

pensee sur les rives desertiques du Nil.

En 2000, ce fut au tour de l’exposition

intitulee « Tresors caches du Pays des neiges :

chefs-d’œuvre du Tibet », dont les points forts

etaient les thangka, la statuaire bouddhique et

l’evocation des rites religieux. Cette exposition

laissa aux visiteurs une impression ineffacable. Les

responsables du musee s’etaient rendus sur place

pour y recueillir des pieces, etudiant la specificite

de l’architecture locale, les costumes et l’influence

du climat. Ils choisirent de mettre en valeur

certains elements caracteristiques de l’architecture

tibetaine traditionnelle, comme les decors

d’avant-toit des maisons, les portieres rouges

finement brodees et les bibliotheques portatives

qui figuraient souvent dans les lamaseries. Le tout

etait deliberement presente avec simplicite. La

chaude lumiere du hall d’exposition et les feux

croises des spots aidaient les visiteurs a centrer leur

attention sur les objets exposes. Un espace etait

egalement consacre a une grande statue du

Bouddha de plus de 3 m de haut tronant dans une

salle de priere de style tibetain. De l’architecture

traditionnelle en bois et en pierre, reconstituee a

l’intention du visiteur qui entrait dans le hall,

emanait avec force le sentiment du sacre qui

impregne toute la culture tibetaine.

Bien plus qu’un catalogue de documents ou

une succession de salles remplies d’objets anciens,

un musee est avant tout un lieu qui a pour vocation

d’elargir l’horizon culturel des Hommes. Face a la

mondialisation, nos musees, gardiens d’un

patrimoine tres divers, ont pour mission de mettre

en valeur la culture de chaque region tout en

Preserver la diversite du patrimoine culturel de ShanghaiChen Xiejun

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 115

renforcant les echanges internationaux.

Aujourd’hui, les musees de Shanghai sont a la fois

hautement conscients des responsabilites qui leur

incombent et fiers du role que leur a confie

l’histoire; c’est pourquoi ils peuvent envisager

l’avenir avec confiance.

DES MUSEES PLURIELS

116 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Les vestiges culturels des TroisGorgespar Wang Chuanping

Wang Chuanping est diplome du Departement d’histoire et d’archeologie de l’Universite du

Shandong et chercheur (dans le cadre des musees). Il dirige actuellement, a Chongqing, le

Musee des Trois Gorges et est directeur adjoint de l’Association des ecrivains de la ville. Il a

publie de nombreux ouvrages touchant a la museologie, la litterature et l’histoire, dont Entre

histoire et culture (2003) et Vieilles maisons de Chongqing (2007).

Le bassin du Changjian1, dans lequel se trouvent

les Trois Gorges, le plus peuple du monde, est

l’alma mater de la civilisation chinoise. Et, depuis

les temps antiques, les Trois Gorges relient le

cours superieur au majestueux cours inferieur du

fleuve par lequel tout passe : les guerres comme

les faits culturels. Reliant la plaine chinoise a celle

du lac Dongting ainsi qu’a celle de Chengdu ou

l’agriculture s’est developpee tres anciennement,

cette region des Trois Gorges est ainsi un point de

confluence entre les cultures du centre et de

l’ouest chinois. Depuis l’Antiquite, cette region est

le theatre de faits d’armes et d’une histoire

grandioses ou s’affronterent les pays de Ba et de

Shu – en amont – et ceux de Chu, de Wu et de

Yu – en aval. Tous seront plus tard soumis par le

Qin2. Les montagnes, les eaux, les hommes ont fait

de ce pays une terre de legendes et de divinites,

tout autant que d’affrontements et de destruction,

inspirant les plus grands poetes, comme Qu Yuan,

Song Yu, Li Bo, Du Fu, Baijuyi… Aujourd’hui, ce

sont les touristes du monde entier qui viennent y

decouvrir l’une des civilisations les plus riches

du monde.

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 117Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Preserver les vestiges culturels des Trois Gorges :

un moyen de sensibiliser a l’histoire culturelle

de l’humanite

Le projet de preservation de la culture des Trois

Gorges a ete initie il y a une vingtaine d’annees, au

debut des annees 1990. Des le lancement des

travaux du barrage, il fut en effet necessaire de

prevoir la preservation d’un tres grand nombre de

lieux et de vestiges. Dans le cadre du « Programme

de conservation culturelle des Trois Gorges »,

1 087 sites ont ainsi ete recenses, dont plus de 700

se trouvaient sous terre : apres une prospection

portant sur 2 000 ha, des fouilles archeologiques

furent engagees sur 1,7 ha afin d’assurer la

sauvegarde des richesses qu’ils contenaient.

Pour les quelque 300 sites restants, trois

solutions ont ete proposees, selon qu’il s’agissait de

mettre en lieu sur des materiaux, de preserver des

sites locaux ou des sites d’interet general. Dans la

circonscription administrative de Chongqing, 752

sites ont ete identifies, dont 506 souterrains. La

prospection a porte sur 1 500 ha et l’on a fouille

246 sites, repartis sur 1 300 ha. Trois autres

projets de conservation a grande echelle ont

egalement ete engages au Pont du cygne blanc a

Fuling, au Temple de Zhangfei a Yunyang et au

village de Shibao dans le district de Zhong3. Le

projet de conservation des Trois Gorges est ainsi

l’un des plus vastes chantiers jamais entrepris.

Le Comite gouvernemental du projet des

Trois Gorges a alloue aux travaux de conservation

un financement de plusieurs centaines de millions

de yuans au titre de la conservation culturelle,

montant qui s’ajoute aux sommes investies par la

municipalite de Chongqing, de sorte que le

financement total depasse un milliard de yuans.

Ce montant a, pour l’essentiel, permis de couvrir

le cout des travaux d’investigation patrimoniale.

Sous la coordination generale du Bureau national

de la culture, environ quatre-vingt-dix equipes de

conservateurs et d’archeologues venant de tout le

pays ont fait de la zone concernee par le projet de

construction du barrage le plus grand chantier

26. Vue exterieure du Musee des Trois Gorges a Chongquing.

ªM

use

ed

esTr

ois

Gor

ges

26

DES MUSEES PLURIELS

118 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

d’archeologie et de protection culturelle au

monde.

De 1997 a juin 2007, 420 sites souterrains

ont ete fouilles dans la region, couvrant 1 300 ha,

et 224 projets distincts de conservation de surface

ont ete menes a bien. A ce jour, sur les 150 000

objets d’interet culturel mis au jour dans la meme

region, 10 000 sont particulierement precieux. Au

total, plusieurs centaines de milliers de vestiges ont

ete repertories, tandis que les archeologues

rassemblaient plus de 80 000 images. Le tout

constitue pour la recherche un fonds

impressionnant.

Le Musee des Trois Gorges

Le Musee des Trois Gorges de Chongqing a vu le

jour a un moment opportun, dans le contexte du

grand mouvement de construction de musees que

connaıt actuellement la Chine. De plus, le projet de

construction du barrage et ses implications et

repercussions ont directement contribue a en

activer la realisation. Quand on en est venu a

planifier la construction du musee, les speculations

theoriques sur l’utilite du batiment ont

progressivement cede la place au realisme, a

mesure que se posaient des questions pratiques :

localisation, conception, espaces d’exposition,

objectifs de developpement. Il a fallu neanmoins

attendre que les propositions soient approuvees

par tous pour qu’elles soient mises en œuvre.

Le choix de l’implantation du nouveau

musee, en face du « Grand hall du peuple », l’un des

batiments les plus aboutis et les plus representatifs

de l’architecture des annees 1950, avec ses murs

rouges et ses toits de tuiles vertes, impliquait de

prendre un certain nombre de decisions et, d’abord,

de definir un concept. Fallait-il recourir au meme

style ? Ou bien, au contraire, opter pour une

architecture resolument actuelle ? Certains

souhaitaient un style d’architecture chinoise

traditionnelle pour faire pendant au Grand hall du

27. Salle d’exposition du Musee des Trois Gorges.

ªM

use

ed

esTr

ois

Gor

ges

27

Les vestiges culturels des Trois GorgesWang Chuanping

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 119

peuple. D’autres firent valoir le choix inverse,

considerant que les batiments devaient exprimer

des notions philosophiques opposees, et qu’une

conception moderniste a base de lignes, d’espaces,

de couleurs simples et de materiaux modernes serait

preferable, en ce qu’elle refleterait le dialogue de

l’ancien et du moderne et incarnerait le progres

historique. Cette idee fut retenue.

Les partisans de l’une ou l’autre formule

partageaient cependant le meme desir d’excellence

et d’harmonie entre les deux edifices, harmonie

que l’on pouvait obtenir en faisant se repondre les

formes, les couleurs et les materiaux. Ceux-ci durent

etre soigneusement maıtrises, de maniere a susciter

un « dialogue » et non une « contradiction » avec

l’architecture traditionnelle. Ainsi est ne le « Projet

en trois etapes pour le Musee des Trois Gorges

et la Place du peuple », l’objectif etant, par le

doublement de la surface de la place, de creer un

vaste pole culturel au centre meme de Chongqing.

Pour atteindre ce resultat, il fut decide que

le Musee des Trois Gorges serait aussi vaste que le

Grand hall du peuple, mais legerement moins eleve;

il aurait un profil incurve qui, repondant a la partie

centrale circulaire caracterisant le Grand hall,

constituerait un ensemble plaisant sur le plan

esthetique. L’armature metallique grise du Musee

des Trois Gorges, sa facade sobre en gres australien,

la pierre creme, simple mais luxueuse, importee

du Moyen-Orient et utilisee pour l’interieur,

le mur-ecran de verre en forme de croissant de lune

et le dome en forme de soleil concourent ainsi

a creer un « dialogue » entre les deux batiments.

Dans l’espace ainsi amenage, le parti a ete

pris d’articuler la presentation autour de quatre

themes : la culture antique de Ba et de Yu;

la culture des Trois Gorges (projection en boucle

d’un film); la resistance a l’epoque de la guerre

contre le Japon (avec en regard une installation de

diapositives numerisees, intitulee Le Blitz de

Chongqing); et enfin la culture actuelle,

« Chongqing, le parcours d’une ville ». En outre,

six salles d’exposition sont consacrees aux

beaux-arts (calligraphie et peinture), a la

ceramique, a la numismatique, a la sculpture des

Han, aux collections Li Chuli et enfin aux

minorites ethniques du sud-ouest.

Cette presentation se distingue ainsi des

mises en place traditionnelles repartissant les

objets en fonction de l’histoire et de l’archeologie.

En fait, une culture est un tout et chaque piece ne

prend son sens qu’en etant replacee dans son

epoque et en regard des autres. Au fil des salles et

des differentes perspectives qui lui sont proposees,

le visiteur peut ici acquerir une bonne

connaissance de l’histoire et de la culture

de Chongqing et des Trois Gorges.

28. Salle consacree aux antiques regions de Ba et de Yu.

ªM

use

ed

esTr

ois

Gor

ges

28

DES MUSEES PLURIELS

120 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Le programme de developpement du

musee – « un musee pour les habitants de la ville »

– reposait sur un mot d’ordre : « Les quatre

champs du savoir irriguent la nation et influencent

le monde. » Il a en outre ete decide que les

institutions (Musee des Trois Gorges et Grand hall

du peuple) etaient toutes deux d’un niveau

universel et qu’il fallait assurer durablement

l’existence du Musee des Trois Gorges dont le

personnel restera loyal a la ville et a son passe, son

present et son avenir, et tiendra toutes ses

promesses.

Un symbole de la culture de Chongqing et une

demeure pour les objets culturels des Trois

Gorges

Le Musee des Trois Gorges – le plus grand

projet culturel engage depuis la fondation de la

Republique populaire de Chine en 1949 et

dont la construction devait durer quatre ans et

demi – fut inaugure le 18 juin 2005. Les salles

du musee occupent une superficie de 3 ha,

sut une surface totale batie de 12,25 ha, ou l’on

trouve egalement les reserves, les centres de

recherches, les salles d’exposition. Cet

etablissement est ainsi, actuellement, le musee le

plus vaste, le plus moderne et le plus novateur

de Chine occidentale; il presente constamment

des expositions qui attirent un public

considerable.

Ce nouvel etablissement remplace l’ancien

« Musee de la ville de Chongqing » dont il a

absorbe les collections; plus de 170 000 pieces

s’ajoutent ainsi, desormais conservees dans des

conditions excellentes, aux objets rassembles dans

le cadre du projet des Trois Gorges.

Son architecture originale et chargee de

symboles comporte des murs de gres ocre et des

parois de verre bleu pour suggerer le barrage, les

montagnes, les eaux. Le hall d’entree evoque, au

long de couloirs en arcs de cercle, la nature

particuliere du pays de Ba et de la region de

Chongqing (dont l’ancien nom est Yu ); la

grande salle d’exposition, avec ses pilastres inspires

de l’architecture des Han, rappelle l’histoire de ces

terres, tandis que le dome en verre de couleur

jaune suggere un immense bassin recueillant la

rosee, comme en utilisaient ici les hommes

autrefois. Ainsi l’heritage culturel continue de

feconder la province et le musee repond

pleinement a sa mission.

L’histoire y est mise en scene de maniere

tres originale. Dans la salle consacree aux

« Merveilles des Trois Gorges », des

enregistrements de chants de bateliers

accompagnent tant la presentation des maisons

traditionnelles que celle du barrage : elles font

entendre la voix des populations deplacees auquel

un hommage est ainsi rendu. Tout est fait, a l’aide

de projections, pour restituer l’atmosphere du lieu

et ses sortileges, entre ciel, montagnes et eaux.

La section consacree aux regions antiques

de Ba et de Yu4 expose, afin d’illustrer la culture

neolithique de Shaopengzui, un nombre

considerable d’objets provenant des sites de Yufu et

de Yuxi.

Parmi les dix principaux tresors du musee

se trouvent par ailleurs des bronzes remarquables,

caracteristiques de la culture de Ba : un cun

( , vase antique, en bronze, servant a conserver

des boissons fermentees destinees aux rituels) orne

Les vestiges culturels des Trois GorgesWang Chuanping

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 121

de trois caprides en haut relief, ainsi qu’un autre

cun aviforme et pourvu de poignees en forme

de tigre. Ils restituent la voix des temps anciens,

il y a 2 300 ans.

De nombreuses expositions illustrent par

ailleurs la dynamique tradition revolutionnaire et

guerriere de Chongqing. Au deuxieme etage

(premier a la francaise), « Chongqing, le parcours

d’une ville » retrace ainsi les efforts de

modernisation engages depuis l’ouverture du port

en 1891 : une riche collection de machines

anciennes rappelle notamment le role de pole

d’attraction que joua la ville pour toute la region

du sud-ouest chinois, et sa contribution a

l’industrialisation du pays. Au troisieme etage

(deuxieme a la francaise), les « Annees de guerre

contre le Japon » offrent a la consultation un grand

nombre de documents historiques precieux et de

diapositives numerisees faisant revivre les

multiples aspects de ce temps ou Chongqing,

abritant le gouvernement chinois en repli et le

corps diplomatique, fut le siege d’un gouvernement

de front uni. Ce fut alors la premiere fois, depuis

les guerres de l’Opium (1840 et 1860), que le

peuple chinois se dressait contre une puissance

etrangere et en triomphait. La culture des annees

de guerre contre le Japon represente ainsi un point

culminant du passe de Chongqing.

Quand on se trouve a l’interieur du Musee

des Trois Gorges de Chongqing, on ecoute

attentivement la voix de l’Histoire; quand on

l’observe, imposant, depuis la Place du peuple, il

evoque un sage, calmement assis au centre de la

ville, gardien a jamais, et pour toute l’humanite, de

la memoire des Trois Gorges.

NOTES

1. Autre nom du fleuve Yangtze.

2. Ba, Shu, Chu, Wu et Yu etaient des Etats qui existaient avant

l’unification de la chine traditionnelle par le premier empereur de la

dynastie Qing.

3. Ici et dans le reste de l’article, certains noms francais sont la traduction

litterale des designations chinoises.

4. Ba est le nom de l’ancien Etat situe sur le territoire de l’actuel Sichuan

et Yu un nom qui designait autrefois la region de Chongping.

DES MUSEES PLURIELS

122 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Un plan de sauvegarde del’Academie de kunqu de laprovince du Jiangsupar Gu Lingsen et Wang Tingxin

Gu Lingsen est chercheur universitaire, membre de l’Association des theatres chinois, vice-

president de l’Association des artistes de theatre de la province du Jiangsu, redacteur adjoint

d’un Dictionnaire de l’opera kunqu chinois, conseiller artistique aupres de l’opera kunqu du

Jiangsu et redacteur en chef de L’art de l’opera kunqu. Il a publie de nombreux articles sur

l’opera classique chinois. Il est egalement l’auteur de divers ouvrages : Essais choisis sur le

theatre, l’opera kunqu et la culture de Suzhou, Shengjing et l’opera kunqu du style de Wujiang,

La premiere troupe du pays et Imperatrices et concubines a la Cour dans l’Histoire. Il est

egalement l’auteur de pieces de theatre, soit en kunqu, soit dans le style de Suzhou. Wang

Tingxin est vice-principal de l’Ecole des arts de l’Universite du sud-est dont il est egalement

professeur, et vice-president de l’Institut de recherche sur le theatre (art dramatique, chant et

recit). Redacteur adjoint de la revue Art, il a publie de nombreux articles, parmi lesquels

« Manifestations du theatre chinois », « Commentaires sur les notes dans un carnet de

brocard », et « L’opera kunqu et la culture populaire ».

Depuis que l’opera kunqu a ete proclame, en 2001,

« chef-d’œuvre du patrimoine oral et immateriel

de l’humanite » par l’UNESCO, toutes les troupes

de kunqu de Chine font d’enormes efforts pour

proteger cette forme de theatre chante en mettant

en scene des morceaux puises dans le repertoire

classique. Ce dernier, selon les dernieres

statistiques, comporte un peu moins de 300 pieces

meritant la qualification de « patrimoine ».

Au debut des annees 1980, il ne s’en jouait

encore qu’un peu plus de 300, alors que dans les

annees 1920, juste apres la fin des Qing, la troupe

Quanfu – la derniere troupe d’acteurs

professionnels des Qing – en avait legue plus de

600 a l’ecole de kunqu de Suzhou ! Depuis le

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 123Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

milieu de la dynastie Qing, cet art (comportant de

tres longues representations) avait en effet reussi a

se maintenir en presentant des morceaux choisis;

mais depuis les annees 1920, son repertoire a ete

neanmoins diminue de moitie. L’aspect le plus

inquietant de la situation est qu’aujourd’hui

quelques dizaines seulement d’operas sont joues,

sur les quelque 300 qui sont parvenus jusqu’a

nous. Cela signifie que la masse des autres, qui

n’attirent pas les foules ou qui n’interessent pas les

acteurs, sont menaces de disparaıtre a jamais.

L’opera kunqu comportant de nombreuses sous-

categories et tout autant de themes, les acteurs ne

se specialisent que dans un seul domaine. Par

consequent, chaque piece necessite une large

distribution et certaines, si populaires soient-elles,

risquent aussi de ne plus etre montees par simple

manque d’acteurs qualifies. Dans de telles

conditions, l’avenir de l’opera kunqu est loin d’etre

radieux.

Le kunqu (ou kunju) est la forme de theatre

traditionnel chinois la plus ancienne. Les pieces

comportent au moins vingt-quatre scenes, jouees

par trente acteurs environ. Elles associent chant et

danses, acrobaties et simulacres de combats. A

l’exception de quelques livrets en accordeon1

donnant des indications sur les gestes et les styles

dramatiques a respecter, cet art n’a survecu que

grace a la tradition orale, a travers la formation

d’eleves.

Cet art depend donc des acteurs qui le

pratiquent, la perennite de cette tradition ayant

toujours ete assuree par un enseignement

individuel,2 considere comme le meilleur moyen

d’en proteger l’integrite. Toutefois, cet

enseignement consiste surtout a transmettre des

aspects fragmentaires a un seul acteur. Si l’on veut

ameliorer les perspectives auxquelles est confronte

le kunqu, la mise en place d’une strategie s’impose,

pour renforcer, certes, l’enseignement individuel,

mais en accordant plus d’attention a

l’enseignement collectif et a la poursuite des

representations publiques.

Il ne fait en effet aucun doute que ces

operas ne survivront que si l’on continue a les

jouer et il faut engager un veritable combat, tant

pour maintenir a un tres haut niveau les

competences des artistes que pour augmenter le

nombre de representations. L’equipe de l’Academie

de la province du Jiangsu est particulierement bien

armee pour mettre en scene, proteger, continuer, et

en meme temps renouveler cet heritage.

Le solo : cœur et ame de la tradition theatrale

kunqu

L’Academie de kunqu du Jiangsu a realise

d’importants efforts pour mettre en œuvre un plan

strategique de sauvegarde. La preservation de la

tradition du kunqu repose en particulier sur une

politique concue pour promouvoir une grande

qualite de jeu et pour permettre aux acteurs

d’effectuer egalement des spectacles en solo.

Au depart, ces derniers etaient reserves

aux grands acteurs nationaux qui ne montaient

chacun que deux spectacles par an,

conformement a la programmation. Les

interpretes recevaient des primes prelevees sur la

vente des billets, ce qui les encourageait a

augmenter le nombre des representations. Les

reglements stipulaient par ailleurs qu’ils ne

pouvaient se cantonner sans cesse a la meme

DES MUSEES PLURIELS

124 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

piece, ce qui les contraignait a trouver de

nouvelles histoires ou a renouveler leurs

spectacles precedents. Malgre cela, le taux de

reservation etait faible et le public ne se pressait

pas pour venir les voir. Il leur fallait donc trouver

un moyen d’ameliorer leurs spectacles et d’attirer

un public plus large. Parce que les acteurs bien

rodes et capables de jouer seuls sur scene ont une

grande experience et souvent une reputation bien

etablie dans leur domaine, ils sont en mesure

d’apporter une contribution artistique inventive

aux pieces peu jouees jusque-la, les rendant ainsi

plus attractives pour les spectateurs. L’Academie

du Jiangsu a donc demande a son departement de

recherche d’identifier les operas les plus menaces

et pratiquement depourvus d’interpretes; a partir

de la fut etabli un programme consacre au

sauvetage de ces operas rarement joues;

il promeut des representations publiques, les

critiques constructives permettant aux acteurs

d’ameliorer leur jeu.

Depuis l’adoption de cette politique il y a

trois ans, des acteurs celebres capables de drainer

des foules reussissent a tirer des benefices

satisfaisants de la vente des billets. Malgre le prix

eleve de ces derniers, ces spectacles sont presentes

a guichets fermes a l’Opera Lanyuan, par exemple,

a telle enseigne qu’a l’heure actuelle l’opera essaie

de faire elargir sa licence afin de pouvoir

programmer des acteurs un peu moins celebres, ou

meme d’attirer certaines jeunes vedettes.

Aujourd’hui, l’Academie du Jiangsu

compte sept acteurs de premiere categorie au

niveau national qui participent chaque annee aux

quatorze spectacles en solo programmes. Chaque

spectacle comprenant quatre sequences lyriques et

theatrales (telles que consignees dans les livrets),

cela implique qu’au moins cinquante-six

excellentes sequences seront jouees chaque annee

devant un public, sans compter que d’autres

acteurs peuvent aussi presenter ces scenes de leur

cote. Ce programme peut ainsi contribuer a

proteger et transmettre pres de 300 de nos

precieux operas kunqu.

Le jeu des acteurs, ou comment former un

personnel qualifie

La plupart des grands interpretes de cet opera

habilites a participer a des spectacles en solo

ont deja un certain age. Deux responsabilites

fondamentales reposent donc sur eux : la premiere

est de continuer d’apprendre aupres d’artistes plus

ages, retires de la scene; la seconde de transmettre

29. Representation de M. Tang Xianzu et ses quatre reves par la

troupe de l’Academie de kunqu du Jiangsu.

ªTr

oup

ed

uJi

ang

su

29

Un plan de sauvegarde de l’Academie de kunqu de la province du JiangsuGu Lingsen et Wang Tingxin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 125

leurs savoir et savoir-faire a la generation suivante.

A cet egard, l’Academie de kunqu du Jiangsu a de la

chance : ses operas peuvent etre plus facilement

conserves parce que la plupart de leurs anciens

interpretes sont encore vivants; de plus, certains

d’entre eux sont des celebrites nationales. Parmi

ceux qui sont aujourd’hui retraites, citons Zhang

Jiqing, Shi Xiaomei, Hu Jinfang, Huang Xiaowu,

Lin Jifan et Zhang Jidie, qui tous ont remporte le

« Prix Fleurs de Prunier » et le prix « Splendor

Award » pour performances theatrales

professionnelles.

L’Academie du Jiangsu incite les jeunes

interpretes et leurs aınes a apprendre des pieces

aupres d’artistes plus ages, encore en activite,

constituant une veritable reserve de connaissances

sur cet art. Il les encourage meme a rechercher

d’autres maıtres anciens. Quant aux plus ages, ils

font preuve d’enthousiasme et de rigueur pour

transmettre leur savoir. L’Academie a egalement

engage cinquante jeunes artistes professionnels

recemment sortis de l’Ecole des arts du spectacle

de la province du Jiangsu, ou ils s’etaient

specialises dans l’opera kunqu. Elle a decide de

lancer un programme de vingt ans pour la

perennisation de la tradition kunqu, l’objectif etant

de former des acteurs adolescents et de trouver des

moyens afin de leur permettre d’apprendre la

totalite des quelque 300 pieces du repertoire

30. M. Tang Xianzu et ses quatre reves.

ªTr

oup

ed

uJi

ang

su

30

DES MUSEES PLURIELS

126 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

encore existantes et d’ameliorer leur niveau de jeu

le plus vite possible.

L’objectif du plan strategique pour la

perennite de l’opera kunqu traditionnel est tout

simplement d’etablir des liens entre les jeunes

artistes, les artistes d’age moyen et les artistes

plus ages. La mission generale de l’Academie du

Jiangsu consiste a mettre en place une chaıne

de commandement pour transmettre les traditions

et les techniques aux futures generations d’acteurs

et de spectateurs. Pour ce faire, il a principalement

recours a l’innovation institutionnelle, a la mise en

correlation des commandes et des realisations de

spectacles, et a l’instauration de mecanismes qui, en

permettant la transmission du savoir, font naıtre un

reel desir de jouer chez les acteurs. Chaque annee,

les artistes de l’Academie detenant anciennete et

qualifications elevees doivent enseigner a de jeunes

interpretes dans le cadre d’un projet de

remuneration salariale liee aux representations.

Cependant, leurs titres ne constituent qu’un

element de reference pour ces incitations

financieres. Le nombre et la qualite des morceaux

transmis sont les principaux facteurs pris en

compte. La mise en œuvre de cette politique

a hautement motive les artistes les plus ages. Afin

d’enrichir leurs programmes d’enseignement,

beaucoup d’entre eux s’efforcent de recuperer

d’anciennes sequences kunqu et echangent leurs

bonnes pratiques avec des interpretes exterieurs a

leur institution.

Pour completer ces mesures, l’Academie du

Jiangsu organise deux representations annuelles

donnant lieu a une evaluation des jeunes acteurs. Ils

sont d’abord juges sur le niveau d’interpretation

atteint au cours du premier semestre. Les meilleurs

d’entre eux sont ensuite selectionnes pour des

representations publiques. A la fin de la premiere

annee, une derniere evaluation a lieu, et les

meilleures performances sont selectionnees pour les

competitions publiques. A ce stade, il est delivre une

medaille d’or et une medaille d’argent, ainsi qu’un

prix de l’interprete le plus populaire. Ces

recompenses visent a encourager les jeunes acteurs a

apprendre cette forme d’opera, tout en permettant

d’evaluer le niveau de l’enseignement. Dans le meme

temps, les directeurs veillent attentivement a

entretenir le degre d’excellence tout au long de

l’operation, dans l’espoir qu’il en resultera des

interpretes d’envergure nationale susceptibles de

remporter un jour un « Prix fleurs de prunier »

ou un « Prix de la culture ». Ces dernieres annees,

tout ce travail a commence a porter ses fruits. En

juillet 2007, lors de la Convention nationale des

jeunes interpretes d’opera kunqu, a Hangzhou, dix

« jeunes etoiles » ont ete distinguees. Sur ces dix,

quatre etaient issues de l’Academie du Jiangsu, ce

qui place celui-ci en tete des six plus grands Operas

kunqu de Chine.

Consequence directe de ce systeme

d’evaluation, les morceaux qui n’etaient maıtrises

autrefois que par les artistes ages ou d’age mur sont

peu a peu transmis aux jeunes. Une troupe solide

d’interpretes dont le niveau de competence va du

debutant au plus experimente a donc ete creee avec

succes.

Des representations speciales le week-end,

ou comment accroıtre la frequence des

representations

Les representations publiques sont essentielles

pour la perennisation de la tradition kunqu car elles

Un plan de sauvegarde de l’Academie de kunqu de la province du JiangsuGu Lingsen et Wang Tingxin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 127

offrent a l’Academie du Jiangsu des occasions

inegalees de conserver, d’ameliorer et de faire

connaıtre son role dans la vie culturelle. D’autres

methodes telles que la collecte de documentation

ou les enregistrements sonores et audiovisuels ne

peuvent remplacer la fonction conservatrice de ces

representations (surtout en ce qui concerne les

sequences rarement jouees). Afin d’augmenter le

nombre des seances, l’Academie a aussi recours

a d’autres solutions qui se distinguent des

spectacles reguliers en solo et de ceux destines a

evaluer les jeunes acteurs. La methode la plus

efficace s’est revelee etre l’instauration des

representations speciales du week-end a l’Opera

Lanyuan, un evenement organise chaque fin de

semaine par des troupes constituees d’interpretes

de tous ages. Non seulement cela ameliore la

communication entre les acteurs d’ages differents,

mais cela augmente les occasions de jouer des

morceaux de kunqu.

La representation speciale du week-end a

l’Opera Lanyuan est aussi l’occasion pour les

musiciens specialises d’interpreter les ballades, les

melodies et les partitas qui accompagnent les

pieces. Ces seances permettent egalement de

braquer les projecteurs sur des musiciens

talentueux qui d’ordinaire restent dans l’ombre,

contribuant ainsi non seulement a perenniser la

tradition de l’opera kunqu mais aussi a stimuler

la creativite et l’innovation. La representation

speciale du week-end est devenue un rendez-vous

regulier : grace a cela, de 200 a 250 morceaux de

kunqu (y compris ceux que l’on joue frequemment)

peuvent etre presentes chaque annee.

Etonnamment peut-etre, ces spectacles ont suscite

un grand interet a Nanjing, ou ils font desormais

figure de sortie tres recherchee, en particulier

parmi les membres de l’intelligentsia et les

etudiants etrangers. Ils ajoutent un charme culturel

particulier a cette ville ancienne.

L’Academie du Jiangsu a egalement

augmente la frequence des representations sur les

campus d’un nombre important d’universites et de

colleges, notamment a Nanjing, Beijing, Hong

Kong. Elle a aussi organise des activites autour du

theme du « Retour de l’opera kunqu » durant

plusieurs annees consecutives, ainsi que des

representations de morceaux de kunqu a Kunshan

et Taicang, lieux de naissance de cet art. Les

artistes se sont produits dans les ecoles primaires et

secondaires de ces deux villes, mais aussi a Hong

Kong. Ces artistes (parmi lesquels figurent de bons

et meme d’excellents acteurs nationaux) travaillent

toujours tres dur et, en moyenne, jouent deux ou

trois morceaux par jour. Les eleves et le personnel

d’une centaine d’ecoles primaires et secondaires

assistent chaque annee a ces representations. Au

cours des dernieres annees, les acteurs ont joue

plus de 300 morceaux par an, depassant ainsi leur

objectif initial de plus de 200 %.

Adapter des operas celebres, ou comment

conjuguer l’ancien et le moderne

Durant la meme periode, l’Academie du Jiangsu a

fait de l’adaptation d’operas celebres un element

vital de sa strategie pour sauvegarder son heritage

culturel. Au cours des trois dernieres annees, elle a

donne successivement cinq pieces majeures a brefs

intervalles : Le pavillon aux pivoines (dans une

version qui en donne la quintessence); Sun le

boucher; 1699 : L’eventail aux fleurs de pecher;

La pivoine verte; et M. Tang Xianzu et ses quatre

reves. L’Academie a egalement mene des

DES MUSEES PLURIELS

128 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

recherches rigoureuses afin de determiner les

meilleurs modeles a suivre pour l’adaptation de ces

pieces celebres.

La version donnant l’essentiel du Pavillon

aux pivoines, qui reprend les meilleurs aspects d’un

vaste eventail de sequences lyriques, occupe une

place a part dans le cœur de ceux qui l’ont creee. Son

style elegant, profond et concis a la fois lui a valu le

prix decerne par la province du Jiangsu au « plus

beau travail accompli dans le champ des arts ».

1699 : L’eventail aux fleurs de pecher est un

grand travail d’adaptation qui a coute six millions

de yuans. Il inclut la totalite des elements

fondamentaux de la piece originale. Autrefois,

pour toute une serie de raisons historiques, seules

quelques troupes d’opera pouvaient l’interpreter,

mais la nouvelle version a souleve une enorme

vague d’enthousiasme en Chine. La piece a ete

jouee sous plusieurs formes (originale, simplifiee,

pour les jeunes, en sequences choisies ou en

version musicale, par exemple) afin de repondre

aux differents besoins. Elle a aussi connu un grand

succes a l’etranger. En moins de deux ans, elle a

ete applaudie lors de quatre festivals artistiques

internationaux, le Festival BeSeTo (Chine, Japon

et Republique de Coree), le Festival artistique de

representations publiques internationales de Seoul,

le neuvieme Festival international de musique et le

trente-cinquieme Festival artistique international

de Hong Kong. Dans le meme temps, elle a

remporte le prix « Projet cinq plus un » et a peu a

peu permis de rentabiliser l’enorme investissement

consenti au depart.

Sun le boucher est l’un des trois operas

du sud de la Chine qui, soigneusement consignes

dans le Yongle dadian (ou « Grande encyclopedie

de Yongle ») il y a 600 ans, sous la dynastie

Ming, existent encore aujourd’hui. L’Academie

du Jiangsu l’a renouvele et ranime en le portant

a la scene, et ces nouvelles representations ont

largement contribue aux « recherches menees sur

l’histoire et le developpement de l’opera chinois

et sa grande valeur historiographique ».3 La

version originale n’etant pas disponible, les

auteurs de l’adaptation ont reinvente certains

details afin que l’histoire puisse etre jouee dans

son integralite.

La pivoine verte est l’une des dix anciennes

pieces du repertoire comique de Chine et, comme

Sun le boucher, elle est longtemps restee oubliee.

L’Academie du Jiangsu a utilise l’adaptation

ecrite par le celebre dramaturge Guo Qihong.

Sa version de La pivoine verte reprend tous les

details les plus importants de la piece originale,

mais Guo Qihong a remanie avec bonheur

d’autres passages afin de mettre en valeur le

caractere essentiellement comique de cette piece.

Cette nouvelle version a recu recemment un

accueil enthousiaste du public lors de sa premiere

representation au Grand Theatre Zhi Jin de

Nanjing.

M. Tang Xianzu et ses quatre reves repose

sur l’histoire de Tang Xianzu, qui s’efforce de

retrouver un cimetiere a l’aide de quelques indices.

L’intrigue se decompose en quatre morceaux

correspondant chacun a un reve : « L’epingle a

cheveux pourpre », « Handan », « Nanke » et

« Le revenant ». A la fois courtes et elegantes,

ces sequences ont ete selectionnees pour etre

representees en 2007 lors du Festival des arts

de Hong Kong.

Un plan de sauvegarde de l’Academie de kunqu de la province du JiangsuGu Lingsen et Wang Tingxin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 129

L’Academie du Jiangsu a adapte et joue

cinq pieces en trois ans. Grace a ce travail

d’adaptation et de representation des operas

celebres, le patrimoine litteraire et lyrique chinois

est sorti des vieux livres ou il est longtemps

reste cache pour renaıtre a la vie. Un pont a ainsi

ete jete entre l’opera kunqu classique et sa forme

moderne.

Les auteurs et les interpretes de ces pieces

remaniees doivent evidemment respecter avec soin

la ligne des idees exprimees dans les versions

originales, tout en reconnaissant que l’on ne peut

pas serieusement ignorer certaines influences

contemporaines. L’adaptation d’operas celebres

montre le charme ensorcelant du kunqu, de meme

que sa dependance vis-a-vis d’une large sphere

d’influences et son potentiel artistique intrinseque.

Le nombre de spectateurs a double depuis que

ces pieces sont jouees. Le public est non seulement

une composante inherente, mais aussi un

moteur essentiel de sa sauvegarde et de son

developpement que stimule l’accord entre

spectateurs et critiques.

Les adaptations de ces operas celebres ont

en effet eu la chance de recevoir un accueil

chaleureux tant de la part du public que de la

critique. Conscients du discernement des

spectateurs modernes, les artistes n’ont cesse de

peaufiner leur interpretation en cherchant un socle

commun aux formes ancienne et moderne de leur

art afin de gagner l’approbation de l’auditoire.

L’Academie du Jiangsu, dans ces adaptations, a

ainsi ajoute une serie de nouveaux morceaux, par

exemple pour Le pavillon aux pivoines : le depart de

l’ame, ou pour L’eventail aux fleurs de pecher :

sketches a theses, ou Noyade dans la riviere, et ainsi

de suite. Les details de l’interpretation de ces

sequences ont ete perdus, mais a present que ces

operas ont ete adaptes, elles pourront de nouveau

etre montrees dans toute la Chine.

A l’Academie du Jiangsu, la representation

des operas adaptes et celle des sequences

traditionnelles vont de pair. Le maintien des

secondes depend d’un programme de

representations respectant leur composition

originale, alors que les premiers s’inspirent des

methodes, de la musique, des choregraphies et des

styles de l’opera traditionnel pour innover et

s’engager dans des voies nouvelles.

Pour que le patrimoine serve la connaissance :

definition d’une theorie

L’Academie du Jiangsu, allant au-dela du monde

du spectacle, apporte aussi depuis peu sa

contribution au milieu universitaire. En recrutant

du personnel qualifie et des erudits connus, elle

commence a attirer des chercheurs et des

theoriciens du kunqu qui, par leur reputation,

exercent une influence considerable dans ce

domaine. Les resultats de ces travaux de recherche

nourrissent les theories qui sous-tendent cet opera

et ameliorent sa pratique sur scene.

L’Academie du Jiangsu edite une revue

intitulee Discussions sur l’art du kunqu, et a

egalement planifie et mis en œuvre un grand

nombre d’actions d’envergure. La premiere d’entre

elles est une serie de projets lies a l’Opera kunqu

de Nanjing : certaines caracteristiques de cette

tradition lyrique ont ete validees, arrangees et

decrites par des experts, et les meilleures des

grandes pieces classiques ont ensuite ete editees et

DES MUSEES PLURIELS

130 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

portees a la scene les unes apres les autres.

Deuxiemement, des fonds destines a la recherche

theorique visant a former une base de travail ont

ete reunis puis utilises. L’Academie du Jiangsu et

l’Institut de recherche sur l’art dramatique de

l’Academie chinoise des arts ont alors decide

d’etudier et de mettre en valeur de concert les

pieces kunqu conservees dans les archives de

l’Academie. Une fois leur authenticite prouvee,

celles-ci ont ete dupliquees, ce qui leur a permis

d’etre sauvees et desormais de nouveau

representees. Troisiemement, la constitution et

l’alimentation d’archives permettra de maintenir

actives les traditions culturelles de l’opera kunqu.

C’est ainsi que l’Academie du Jiangsu a conserve

(y compris sous forme de CD et de DVD)

toutes les grandes pieces classiques, tous les

textes, les melodies, les partitions des gongs et

des tambours, et les indications de direction

d’acteurs.

En outre, un universitaire etranger, Josh

Stenberg (connu en Chine sous le nom de Shi

Junshan), a ete engage pour traduire toutes les

nouvelles pieces editees et jouees a ce jour dans le

respect des representations anterieures de

morceaux d’opera et de grandes pieces classiques.

Elles sont maintenant montees avec des sous-titres

anglais. Grace a ce travail, l’opera detient a present

un grand nombre de textes dramatiques en anglais

et la contribution remarquable de Josh Stenberg lui

a valu le prix « Etoile etrangere des arts chinois »

decerne par la province du Jiangsu. De plus, la

revue Discussions sur l’art du kunqu a joue un role

important dans sa continuation et sa diffusion en

publiant des syntheses sur les experiences et les

reussites de ses acteurs. Elle a aussi servi de base de

recherche pour les specialistes et les theoriciens

issus de toutes les troupes d’opera kunqu de Chine

en leur permettant de communiquer entre eux. Des

articles signes de plus de quarante experts ont deja

paru dans la revue, ce qui fournit un soutien

universitaire puissant a la campagne visant a

proteger et perenniser les representations des

pieces classiques de kunqu.

La periode d’expansion qui a suivi la

creation de l’Academie du Jiangsu s’est ralentie

dans les annees 1990. Mais les changements operes

il y a trois ans ont place a sa tete Ke Jun, qui a pris

la troupe en charge avec quelques artistes. Ces

artistes piliers de l’opera etaient de ses anciens

camarades de classe a l’ecole d’art dramatique de la

province, et, parmi les acteurs les plus ages,

beaucoup avaient ete leurs professeurs dans cette

meme ecole. Circonstances, productivite et soutien

universitaire, les conditions sont donc reunies

pour que tous les interpretes partagent les memes

vues et rencontrent le succes.

L’Academie du Jiangsu a mene une

politique associant des spectacles en solo, un

programme de seances d’evaluation du jeu des

jeunes acteurs, des representations speciales lors

des week-ends et l’adaptation de morceaux

classiques. Ces initiatives ont stimule le

developpement personnel et artistique d’acteurs de

tous ages. Chacun a son role a jouer dans l’effort

global entrepris pour assurer la posterite de la

tradition lyrique kunqu et diffuser le travail

dynamique et florissant qui a ete accompli. Cette

strategie a non seulement protege et promu

efficacement ce celebre patrimoine immateriel,

mais elle a aussi permis a l’Academie du Jiangsu de

parvenir a un niveau de rayonnement jamais

atteint depuis sa creation.

Un plan de sauvegarde de l’Academie de kunqu de la province du JiangsuGu Lingsen et Wang Tingxin

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 131

NOTES

1. Il s’agit de livrets dont le papier est plie a la maniere d’un accordeon et

qui se lisent de droite a gauche.

2. Wu Shijian (1979), Developpement des arts dramatiques, Universite de

Suzhou : Petroleum Publishing House. [en chinois]

3. Shi Yukun (2006), ‘‘Reves du Yuannan’’. Debats sur l’opera kunqu 1re

edition, p. 26. [en chinois]

DES MUSEES PLURIELS

132 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Les musees de Taiwan et l’eveild’une conscience culturellepar Chen Kuo-ning

Chen Kuo-ning est directrice de l’Institut universitaire de museologie et professeur associee

a l’Universite nationale des arts de Taiwan. Elle est membre permanent du Conseil de

l’Association chinoise des musees de Taiwan depuis sa creation en 1991, et membre de

l’American Association of Museums (AAM) et l’AAM ⁄ ICOM depuis 1975. Apres une maıtrise en

histoire de l’art, elle debuta sa carriere professionnelle dans un musee universitaire et est

devenue, en 1971, responsable des registres d’inventaire et des expositions au musee Hwa

Kan de l’Universite de la culture chinoise – le premier musee universitaire ouvert au public a

Taiwan. Puis elle a dirige ce musee pendant vingt-cinq ans, apportant a Taiwan sa conception

moderne de la museologie et publiant pour la premiere fois en 1978 un livre sur la gestion

moderne des musees. Elle a par ailleurs enseigne la museologie, l’administration des beaux-

arts et l’histoire de l’art chinois dans diverses universites et organise un grand nombre de

conferences et d’ateliers sur l’administration des musees et la preservation du patrimoine

culturel. Elle est l’auteur d’une multitude d’articles, communications et ouvrages, sur la

museologie, les expositions museales et leur programmation.

L’evolution des musees se ressent des progres des

echanges politiques, economiques et culturels

comme de l’avenement de nouvelles ecoles de

pensee. Les musees de Taiwan ne font pas

exception a la regle. Le Gouvernement joue un role

important dans la definition et la mise en œuvre

des politiques culturelles en veillant a la sante et a

la prosperite de ces institutions. Il encourage la

creation de differents types de musee et, a travers

des expositions et d’autres activites d’echange,

favorise l’eveil du public a la culture. Apres 1949,

le Gouvernement consacra l’essentiel de son action

en matiere d’education culturelle a renforcer le

sentiment d’appartenance nationale et a ancrer

Taiwan dans la culture chinoise dominante. Depuis

quinze ans, sous la conduite de Li Deng-hui, puis

du Parti democrate progressiste, les dirigeants

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 133Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

taiwanais mettent de plus en plus l’accent sur la

prise de conscience de la valeur de la culture

autochtone et sur le lancement de politiques

culturelles « localisees » – ce qui a enormement

d’influence sur l’orientation des musees de la

region et les priorites qu’ils s’assignent.

C’est des annees 1970 que date

l’introduction a Taiwan des nouvelles tendances

artistiques et culturelles mondiales, avec

l’apparition de trois musees d’art moderne de tout

premier plan a Taipei, Taichung et Kaohsiung,

ainsi que celle de plusieurs grands musees publics

dans des villes des cotes est et ouest. Cela se

traduira par l’importation d’expositions speciales

sur l’histoire, la culture et l’art occidentaux, mais

aussi par la presentation thematique de vestiges

culturels archeologiques de la Chine continentale.

L’extreme diversite des pieces exposees et des

techniques mises en œuvre va tres sensiblement

elargir l’horizon culturel des Taiwanais.

Depuis le debut des annees 1980, un

certain nombre de musees ont ete fondes par des

particuliers et des chefs d’entreprise enthousiastes,

profondement ravis de collectionner des objets

d’art. Ils sont de taille variable, selon l’ampleur des

ressources financieres dont ils disposent. Tous

cependant possedent des tresors admirables et

inestimables, parmi lesquels des objets d’artisanat

chinois provenant de differentes dynasties, des

specimens de l’art moderne occidental a ses debuts,

des pieces taiwanaises autochtones et des œuvres

d’art contemporain. Ces collections correspondent

en gros aux gouts culturels des Taiwanais.

L’elite de Taiwan s’est retrouvee a la croisee

des chemins, dechiree entre son attachement

profond a la culture chinoise traditionnelle et le

desir de profiter des enseignements de la culture

occidentale moderne, sans pour autant renoncer

a la culture autochtone. Par contraste, les habitants

des villes rurales, et de la campagne en general,

qui n’ont pas depasse les neuf annees de scolarite

obligatoire, ne connaissent de la culture que les

traditions locales, les activites des organisations

religieuses populaires et les manifestations

accueillies par les centres artistiques et culturels,

musees et bibliotheques ouverts par les

« communautes residentielles » dans la periode

recente. En l’espace des douze dernieres annees, en

particulier, la sensibilite a la culture s’est beaucoup

accentuee parmi les populations locales, evolution

qui tient en grande partie au plan de construction

de quartiers residentiels du Conseil des affaires

culturelles, lequel travaille sous la direction du

Yuan executif, c’est-a-dire du Gouvernement. Dans

le cadre de ce plan, les musees, bibliotheques et

centres d’arts du spectacle locaux sont devenus les

pivots de la vie culturelle de la population, en

articulant leurs activites autour du theme « J’aime

ma ville, j’aime ma commune, j’aime mon

quartier ».

On verra dans la suite de cet article

comment les politiques culturelles de Taiwan ont

evolue tout au long du XXe siecle et comment, par

le truchement de ses musees, elles ont agi sur la

sensibilite du public a la culture.

La naissance des musees a Taiwan

Apres la signature, en 1895, du traite de

Shimonoseki, la dynastie Qing cede Taiwan au

Japon, qui va garder l’ıle sous sa coupe durant

cinquante ans. En 1919, le Gouvernement japonais

DES MUSEES PLURIELS

134 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

s’inspire des nouveaux modeles de musees

europeens pour creer a Taipei le Musee dependant

du Bureau des biens industriels et commerciaux

du Ministere du Departement des affaires civiles,

rebaptise plus tard Musee national de Taiwan.

Relevant du Cabinet du gouverneur de Taiwan

et finance au depart par des impots locaux, ce sera

le premier musee public d’histoire naturelle de la

region, que le regime colonial japonais offrira en

cadeau d’anniversaire a son souverain le jour de

l’inauguration. En 1945, a l’issue de la Seconde

Guerre mondiale, Taiwan retournera dans le giron

chinois, et le musee sera ensuite recupere par le

regime nationaliste.

Les musees comme moteur de la

renaissance de la culture chinoise : la periode

de convalescence

En se repliant a Taiwan en 1949, le Gouvernement

nationaliste emporta avec lui de tres nombreux

objets culturels : outre ceux de grande valeur qui

etaient conserves au Musee du palais imperial, a

Beijing, et au Musee central de Nanjing, il y avait

les bronzes et les ceramiques « trois couleurs »

(sancai) de la dynastie Tang provenant de fouilles

du musee provincial du Henan, ainsi que des

antiquites de Yinxu decouvertes a Anyang (Henan)

par l’Institut d’histoire et de philologie de

l’Academia Sinica de Beijing. Parallelement, malgre

le manque de fonds et la necessite de reconstruire

tout le pays apres la guerre, le Ministere de

l’education contribuait activement a la

construction de musees a Taiwan, et c’est ainsi que

l’Academia Sinica de Taiwan et le Musee national

d’histoire virent le jour dans les annees 1950. Le

meme ministere, qui placait la transmission du

patrimoine des plaines centrales au cœur de sa

politique educative, fut contraint par Tchang

Kaı-chek, qui esperait ramener ses 600 000 soldats

et civils en Chine continentale pour reprendre

le pouvoir, de faire de ces musees des bases

d’education sociale pour promouvoir les meilleurs

aspects de la culture chinoise traditionnelle.

31. Musee national d’histoire. 32. Musee national des beaux-arts.

ªC

hen

Ku

o-n

ing

31

ªC

hen

Ku

o-n

ing

32

Les musees de Taiwan et l’eveil d’une conscience culturelleChen Kuo-ning

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 135

Dans la periode 1954–1956, durant

laquelle Chang Chi-yun est Ministre de

l’education, l’architecture des nouveaux musees

s’inspire tres souvent des styles chinois

traditionnels, et l’on assiste a une succession de

politiques culturelles qui veulent revenir aux

sources de la tradition chinoise et la faire revivre.

Le Musee national d’histoire de Taipei joue ainsi

un role determinant dans les expositions

consacrees a la culture des plaines centrales. En

1965, le Musee national du palais est

officiellement ouvert au public, a Shuangxi, pres

de Taipei, et demeurera jusqu’a ce jour un

symbole de l’identite politique de la Republique

de Chine. Repute dans le monde entier pour

l’importance majeure de ses collections d’art

chinois, il presente des objets qui, comme le

fameux « chou de jade », se retrouvent

aujourd’hui jusque dans les manuels scolaires des

ecoles primaires et secondaires de l’ıle.

Eveil des consciences et developpement de

la culture locale : l’expansion de la culture

museale a Taiwan

De 1970 a 1990, Taiwan va connaıtre un essor

industriel et commercial qui elimine la societe

agricole par l’invasion progressive des modes de

vie urbains. Les batiments traditionnels herites de

la dynastie Qing sont rapidement demolis, et les

arts et metiers d’artisanat populaires tombent de

plus en plus en desuetude. Cependant, de jeunes

universitaires et artistes tout juste rentres

de France, des Etats-Unis ou d’autres pays

occidentaux plaident pour une diffusion de la

litterature locale taiwanaise, eveillant ainsi une

conscience culturelle restee longtemps en sommeil.

Il s’ensuit un foisonnement soudain des collections

d’arts populaires traditionnels et d’objets naturels,

en meme temps que l’apparition de musees prives

specialises dans ces domaines.

Dans les annees 1980, au cours de sa

cinquieme annee a la tete du Yuan executif, Chiang

Ching-kuo lance un programme en douze points

d’equipement culturel, qui vise a un

developpement equilibre tant des campagnes que

des villes. Il s’agit de creer de nouveaux centres

artistiques et culturels – comprenant des musees,

33. Exposition au Musee national des beaux-arts de Taiwan.

ªC

hen

Ku

o-n

ing

33

DES MUSEES PLURIELS

136 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

des bibliotheques et des salles de spectacle – dans

chacune des vingt et une grandes municipalites

et prefectures de l’ıle, sans oublier les nouveaux

ensembles museaux nationaux, dotes de salles

d’expositions artistiques, de musees des sciences

naturelles, de musees scientifiques et

technologiques, d’aquariums et de musees

archeologiques de la prehistoire, qui doivent etre

construits respectivement dans le nord, le centre,

le sud et l’est de Taiwan. Des expositions sont

organisees sur de nombreux themes, qui tous

contribuent grandement a la comprehension des

musees parmi la population et a la promotion des

echanges culturels internationaux. Celles qui sont

presentees dans les musees locaux favorisent quant

a elles l’essor des activites liees aux beaux-arts, en

meme temps qu’elles stimulent la constitution de

collections d’artisanat local et d’objets d’art

populaire, l’epanouissement des talents artistiques

locaux et l’interet du grand public pour l’art. Ce

sont aussi ces expositions qui, indirectement, vont

declencher l’effervescence que la scene artistique et

artisanale taiwanaise connaıtra dans les annees

1980.

L’avenement des musees locaux entraıne

l’essor des activites museologiques qui y sont

associees et d’autres actions culturelles.

L’organisation systematique d’activites visant a

susciter un sentiment d’appartenance fait que

l’interet porte a la culture locale est davantage

respecte. Apres la creation, en 1981, du Conseil des

affaires culturelles, des aides financieres et des

politiques ciblees constituent un enorme soutien a

l’amenagement, dans les villes principales des

prefectures, de musees et de centres culturels axes

sur des themes locaux. Des programmes orientes

vers l’internationalisation de ces cultures et la

« localisation » des cultures etrangeres – qui

comportent des expositions et des spectacles mis sur

pied par des centres culturels et artistiques

provinciaux – rendent possible l’eclosion d’une

sensibilite culturelle locale. De plus, des

expositions et des spectacles internationaux sont

presentes a Taiwan dans le but d’elargir l’horizon

culturel de ses habitants. Des projets en faveur des

arts du spectacle valent a des groupes tres en vue

la reconnaissance professionnelle, ainsi que des

subventions annuelles pour monter des numeros

originaux ou traditionnels, notamment dans

divers centres culturels et artistiques locaux.

Des troupes theatrales itinerantes et leurs pieces

traditionnelles – naguere si pres de disparaıtre –

trouveront un refuge inattendu dans ces musees,

et les artistes seront souvent invites a jouer dans

des centres artistiques et culturels, voire a l’Opera

national de Taipei.

Avec le miracle economique du debut des

annees 1980, beaucoup de Taiwanais ordinaires

voient leurs revenus augmenter fortement, ce qui

accroıt du meme coup l’interet porte a l’art et

assure a celui-ci une forte diffusion. Avec de plus

en plus d’enthousiasme, les chefs d’entreprise,

petits ou grands, se mettent a collectionner des

œuvres d’art, et plusieurs grandes societes creent

des fondations culturelles et artistiques – d’ou une

multiplication des galeries de peinture et des

musees prives. Au milieu de la decennie, des

sommes considerables sont investies dans des

programmes culturels et de divertissement, et l’on

voit surgir, l’un apres l’autre, des dizaines de parcs

a theme ou de loisirs, dont plusieurs abritent un

musee d’objets ou de specimens. A la fin des

annees 1980, toutefois, l’expansion des musees

prives va effectivement se ressentir des hauts et des

Les musees de Taiwan et l’eveil d’une conscience culturelleChen Kuo-ning

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 137

bas de l’economie locale, et tandis que celle-ci

glisse dans la recession, certains seront meme

contraints de fermer leurs portes.

Le sentiment d’appartenance a une meme

communaute : l’age d’or des musees a Taiwan

Depuis le debut des annees 1990, la culture

museale connaıt a Taiwan une progression rapide

marquee par la creation de plus de 200 musees, les

petits musees, pour leur part, reussissant a survivre

et a prosperer grace a l’action menee par le Conseil

des affaires culturelles en faveur du developpement

des musees locaux. Le plan de developpement

communautaire, lance en 1993 par ses soins, met

l’accent sur la specificite culturelle de Taiwan, en

soutenant les industries locales creatives et en

encourageant l’attachement a la communaute. Il

pousse les communautes a compter surtout sur

elles-memes pour donner corps a des initiatives

gouvernementales telles que « la culturalisation

des industries », « l’industrialisation de la

culture », « l’efficacite dans le fonctionnement et la

gestion » ou encore « l’integration des multiples

facettes de la construction des environnements

communautaires », sous la direction du

Gouvernement.

Pour pallier la diminution des

subventions locales, certains des musees publics

de Taiwan ont confie leur gestion quotidienne a

des agences privees. Celles-ci conferent un role

plus important a la diversite culturelle en mettant

en avant les particularites locales, en developpant

les industries dites « creatives » sur le plan

culturel et en utilisant les musees a la fois comme

bastions culturels et comme ressources

touristiques. Elles creent ainsi des possibilites

d’emploi et generent de plus grands profits

materiels pour la localite. En dehors de leur

gestion, elles ont aussi beaucoup appris sur les

moyens de stimuler la frequentation des musees.

D’apres les statistiques les plus recentes, il existe

aujourd’hui plus de 400 musees publics et

prives a Taiwan.

Devant les resultats obtenus dans d’autres

pays, le gouvernement regional de Taiwan a

compris que les industries culturelles peuvent

stimuler la croissance economique. Depuis 2002,

moyennant plus de 3 milliards de dollars taiwanais

d’investissements, le Conseil des affaires culturelles

met en œuvre un plan prevoyant la formation du

personnel d’au moins 300 centres culturels et

artistiques locaux (y compris des musees et des

theatres) dans les domaines de la culture, de l’art,

de l’industrie ou des ressources. Cet ensemble de

directives fait partie d’un nouveau plan de

construction de logements, qui lui-meme releve du

plan de 1993, et met l’accent sur une reconversion

judicieuse, a l’echelon local, des batiments

historiques et des espaces vacants. De plus, il

influencera profondement l’utilisation de l’espace a

des fins culturelles et deviendra ainsi un puissant

outil de la politique de developpement des musees

dans les annees a venir.

Ce plan vise a concentrer les ressources

locales, a equilibrer developpement rural et

developpement urbain et a faire emerger une

attitude vis-a-vis de la culture et de la vie qui ne

gomme pas les differences. Plus precisement, ses

objectifs sont d’examiner les realisations

culturelles du passe et de sensibiliser la population

a la culture, d’installer de nouveaux equipements

et de les utiliser avec profit dans l’optique d’un

DES MUSEES PLURIELS

138 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

developpement a long terme, de puiser dans la

diversite culturelle de Taiwan et de mieux assurer

la conservation de ses differents types de biens

culturels pour enrichir les caracteristiques et les

engagements de l’ıle, de renforcer l’action des

pouvoirs publics dans le domaine de la culture et

de promouvoir des valeurs comme l’autonomie, le

partage des ressources et la participation la plus

large possible, enfin, de coordonner les efforts

strategiques des industries creatives sur le plan

culturel.

Le plan retient quatre indicateurs pour les

evaluations futures :

1. l’etablissement de traits distinctifs locaux

et creatifs. Il s’agit de savoir si des

ressources locales telles que les arts

traditionnels, le folklore, les

technologies, les paysages et les

merveilles ecologiques et industrielles de

l’ıle ont ete bien exploitees, presentees et

interpretees;

2. la viabilite de l’entreprise, attestee par

une mobilisation efficace des ressources

humaines (recours a des volontaires, par

exemple) et financieres (des industries

creatives, par exemple);

3. la mise en place d’elements concourant

au pluralisme culturel, par

l’enregistrement, la reunion, le

rapprochement, la recherche, la

promotion et l’accueil d’activites

associant des groupes ethniques

differents, des communautes locales et

des arriere-plans internationaux;

4. les fonctions des musees en tant que

bastions culturels et ressources

touristiques, a savoir, par exemple,

l’etude et l’integration des ressources

naturelles ou culturelles, le lancement

d’activites artistiques, notamment la

formation de jeunes artistes et artisans, et

l’apport d’information sur les circuits

touristiques afin d’encourager les gens a

visiter les sites culturels.

La periode 2005–2008 represente la

quatrieme phase du plan general de

developpement communautaire, que l’on connaıt

aujourd’hui sous le nom de « Plan six-etoiles ».

C’est un programme de grande ampleur qui

s’appuie sur le plan initial d’amenagement de villes

nouvelles, mais englobe des champs d’action plus

vastes, tels le developpement industriel, la

protection sociale, les soins medicaux, la securite

publique, l’enseignement de culture generale,

l’architecture paysagere et la protection de

l’environnement, et qui vise a encourager un

developpement diversifie et harmonieux des

communautes locales a travers l’autoevaluation.

Les musees au service de la culture locale :

l’avenir des musees a Taiwan

Dans le prolongement du plan en faveur des

centres culturels et artistiques, le Conseil des

affaires culturelles envisage de lancer son « Plan

d’action integre pour le developpement des divers

secteurs de la vie culturelle », qui a pour but de

mieux en preserver le patrimoine culturel,

materiel et immateriel, et d’en integrer les

differentes ressources, de favoriser la creation

d’une atmosphere culturelle attrayante dans

Les musees de Taiwan et l’eveil d’une conscience culturelleChen Kuo-ning

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 139

chaque localite, d’encourager la population a

participer aux activites artistiques, de promouvoir

le developpement d’industries locales innovantes

et d’exploiter commercialement les

caracteristiques culturelles locales pour soutenir

le tourisme. Les secteurs de la vie culturelle

envisages sont constitues par les elements

humain, culturel, ecologique, esthetique,

industriel et materiel.

L’element humain recouvre la participation

des citoyens, la recherche du consensus, les

partenariats strategiques, le supplement de valeur

economique et l’appreciation esthetique de la vie.

Ses objectifs sont d’accroıtre les contacts entre le

personnel des musees et les travailleurs sociaux

locaux, de recruter et former un plus grand

nombre de volontaires dans les musees locaux et

d’encourager davantage d’habitants a visiter les

expositions et a assister aux spectacles qui leur

sont proposes sur place.

L’element culturel concerne la celebration

des fetes traditionnelles, les coutumes populaires,

les bazars, les kermesses des temples en

l’honneur des dieux et les festivals artistiques,

culturels et musicaux. Le but est ici de cooperer

avec les organisations locales pour l’accueil

d’expositions et de spectacles et de leur procurer

des ressources telles que salles, pieces ou

donnees lorsqu’elles preparent des activites

culturelles ou artistiques.

L’element ecologique va de la protection des

forets montagneuses, prairies, parcs, cours d’eau,

canaux, lacs, etangs et marecages a l’enlevement

des ordures, en passant par la conservation de la

faune et de la flore, le recyclage et la reutilisation

des ressources et l’embellissement des cimetieres et

des jardins prives – le tout, en vue d’heberger des

expositions, des spectacles ou des programmes

educatifs du meme genre.

L’element esthetique renvoie a la fois aux

paysages naturels et aux sites historiques. Aux

premiers se rattachent les panoramas et parcs

pittoresques, les seconds comprennent les

batiments presentant une importance historique,

les ruines et vestiges culturels, politiques ou

militaires, les sites archeologiques, les vieux

etablissements ou residences et les anciens sites

industriels. Il s’agit dans son cas de nouer des

partenariats strategiques avec d’autres acteurs

culturels et de faciliter l’integration des ressources

touristiques locales, de donner spontanement aux

autres acteurs culturels des renseignements sur ses

propres activites et d’incorporer les

caracteristiques locales d’un secteur particulier de

la vie culturelle dans le plan general de

developpement du tourisme local.

L’element industriel est associe aux produits

locaux, aux industries alimentaires, aux metiers

d’art et d’artisanat traditionnels locaux, aux

industries traditionnelles et aux industries

d’innovation culturelle. L’objectif est de cooperer

avec les industries locales pour monter des

expositions industrielles et d’autres programmes

educatifs.

Enfin, dans l’element materiel, on peut

distinguer les equipements culturels et les

equipements educatifs. Les premiers sont les

musees culturels et artistiques, les autres types

de musees, les bibliotheques, les salles de theatre,

les espaces d’expositions, les espaces vacants

DES MUSEES PLURIELS

140 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

reutilises et les ruines antiques reconverties. La

seconde categorie recouvre les ecoles de tous

niveaux, les centres d’education sociale, les centres

universitaires locaux, les universites du troisieme

age, les formations professionnelles et les

fondations educatives et culturelles. Il s’agit cette

fois de nouer des partenariats strategiques avec

d’autres acteurs de l’education ou de la culture et

de coparrainer des programmes d’education,

d’interpretation et de diffusion.

La figure qui suit montre le role central que

les musees culturels et artistiques locaux jouent

par rapport a d’autres elements intervenant dans

un secteur culturel determine.

La premiere phase du plan de

developpement des centres culturels et artistiques

locaux (2002–2007) a ete menee a bien, et la

seconde (2008–2013) sera l’accomplissement d’un

objectif a moyen terme. De son cote, le plan de

developpement des differents secteurs de la vie

culturelle vise a : accroıtre les interactions des

musees et des habitants, et par la meme la

participation des citoyens; renforcer la

communication et la coordination avec les

organisations non gouvernementales, en aidant ces

dernieres a percevoir l’existence d’un rapport

automatique entre l’augmentation des activites et

equipements culturels et l’amelioration de la

qualite de la vie, et a mettre en place un mecanisme

qui favorise une gestion et un developpement

durables des musees ; insister aupres des pouvoirs

publics a divers niveaux pour qu’ils creent un

systeme de gestion stratifie ou ordonne qui prenne

en charge l’evaluation, le financement,

l’administration, le developpement des ressources

humaines et la formation professionnelle, afin de

parvenir a une meilleure utilisation des musees

locaux.

Equipements culturels d’un genre

particulier, les musees locaux de Taiwan sont

neanmoins eux-memes freines par le manque de

moyens financiers et humains et par des structures

professionnelles inadequates. Cependant, ils

pourront quand meme jouer un role important

dans la mise en œuvre du plan d’action, qui exigera

l’action concertee d’administrations telles que le

Conseil de l’agriculture et les Ministeres des

affaires economiques, de l’education et de

l’interieur. A ce jour, des enquetes sur les

ressources des differents secteurs culturels ont ete

menees dans vingt-cinq villes et d’ici a cinq ans, le

Conseil des affaires culturelles soumettra un

rapport de faisabilite et selectionnera cinquante

sites parmi ceux qui se preteraient le mieux a une

planification plus poussee. L’idee de depart est

d’etablir un reseau de secteurs culturels au niveau

des prefectures pour instaurer une vision de la vie

qui repose sur un entremelement subtil de bien-

etre ecologique, d’ideal humaniste, d’industries

culturelles et d’attrait esthetique et pour nourrir

Les musees de Taiwan et l’eveil d’une conscience culturelleChen Kuo-ning

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 141

l’essor d’une culture robuste qui puise sa richesse

dans tous les secteurs de la societe taiwanaise.

A l’avenir, les musees de Taiwan

repondront mieux aux besoins des masses

populaires et des jeunes generations. Ils sauront

mieux s’allier aux industries de la culture et des

loisirs, chercheront a mobiliser des ressources

privees pour gerer les equipements culturels

publics, integreront les ressources locales dans le

fonctionnement des musees et pousseront les

universites a former davantage de professionnels

de la gestion museale. Les musees de demain

offriront au public un moyen de continuer a

apprendre a sa guise et deviendront eux-memes les

industries « creatives », d’innovation culturelle du

nouveau siecle. Cela dit, une question demeure

entiere : comment les musees devraient-ils se

transformer dans la societe de consommation

d’aujourd’hui, et comment concilier leur fonction

educative avec le besoin du plus grand nombre de

se divertir et de se detendre ?

Il ne faudrait surtout pas que les musees

negligent les gouts populaires et les tendances

generales du changement social. Ce n’est qu’en les

prenant en consideration qu’ils pourront definir les

strategies les mieux adaptees a leur epoque et a

leur environnement. Quand le public commence a

mieux connaıtre les merites d’un musee, celui-ci

devient partie integrante de la vie quotidienne des

gens. Les politiques culturelles formulees par le

Gouvernement poussent et instruisent le

developpement des musees. Le Gouvernement a

donc un role essentiel. Mais puisque les politiques

culturelles doivent representer les opinions de la

majorite, il est important de maintenir les

politiques factieuses a un minimum pendant la

phase d’elaboration. Les musees sont de precieux

intermediaires pour qui veut retablir l’ordre et la

justice Nous avons donc toutes les raisons de les

cherir.

DES MUSEES PLURIELS

142 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Le Musee de Yinxu : de superbesvestiges pour expliquer la culturedes Yin-Shangpar Tang Jigen

Tang Jigen a fait ses etudes a l’Universite de Beijing, puis a l’Universite de Londres ou il obtint

son doctorat. Il est aujourd’hui chercheur en archeologie a l’Academie chinoise des sciences

sociales et enseigne au centre de recherche de cette institution. Ces dernieres annees, il a

dirige les fouilles de Yin Xu, a Anyang, et mene des recherches sur l’importance de cette zone

a l’age du Bronze. En 2005, il a organise la construction du Musee de Yinxu et a ete le principal

concepteur de l’ensemble de sa strategie de presentation. Il a participe a diverses reunions

generales sur des projets relatifs au patrimoine culturel mondial, au cours desquelles il a

rendu compte des faits nouveaux intervenus a Yinxu. Il est aussi l’auteur ⁄ animateur d’une

prometteuse base de donnees sur Anyang et les Shang : le « Projet de chronologie

Xia-Shang-Zhou » de l’Institut d’archeologie de l’Academie des sciences sociales.

Il y a plus de 3 000 ans regnait en Chine une

puissante lignee de rois – la dynastie Shang. Son

fondateur s’appelait Yang. Dix-sept generations et

trente et un monarques se sont ensuite succede,

entre 1600 et 1046 avant J.-C., marquant plus de

550 annees de l’histoire. La capitale du royaume

des Shang a ete deplacee plusieurs fois. Vers 1300

avant J.-C., Pan Geng, vingtieme roi Shang,

transfera la Cour a Anyang, dans l’actuelle

province du Henan. Cette ville est celle qui est

restee le plus longtemps capitale des Shang,

puisqu’elle l’a ete jusqu’a la chute du royaume,

quelque 250 ans plus tard.

Le site historique de la capitale des Shang

s’etend sur quelque 30 km2. Il est situe a Xiaotun

et autour de ce village, a l’ouest d’Anyang. Les

historiens et archeologues l’appellent Yinxu. Ce

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 143Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

site, fouille depuis pres de quatre-vingts ans, est

divise en plusieurs zones : l’enceinte du palais, les

tombeaux royaux et le quartier des artisans. Il

existe egalement quantite de sites plus petits ou se

trouvent des habitations et des fondations. Un

nombre considerable d’objets ont ete exhumes au

fil des ans, parmi lesquels des recipients de bronze,

des objets en jade ainsi que des os portant des

inscriptions oraculaires.

Il ne fait aucun doute que Yinxu est un

site exceptionnel, au sens des principes directeurs

de la mise en œuvre de la Convention du

patrimoine mondial. Les bronzes et les jades

suffisent a eux seuls a attester l’existence de

pratiques ceremonielles complexes constituant

une tradition culturelle aujourd’hui perdue. Les

inscriptions oraculaires, berceau des caracteres

chinois, sont composees de pictogrammes dont

les formes sont caracteristiques de l’ecriture

pratiquee il y a 3 000 ans. Certains de ces

caracteres sont toujours utilises aujourd’hui, sous

leur forme moderne, par des milliers de

personnes disseminees aux quatre coins de la

planete. Le Musee de Yinxu a pour objectif de

mettre en evidence la « valeur universelle » de

cet ensemble.

Le musee se trouve a quelque distance du

site archeologique. L’edifice, de l’exterieur,

evoque la forme du caractere huan ( , nom que

les Shang donnerent a la riviere baignant les lieux

et qui figure sur les os oraculaires). Occupant

plus de 6 000 m2, il est entierement souterrain.

Cet emplacement fut choisi a cause de la

proximite du cours d’eau et parce qu’il ne

comportait pas de vestiges anciens. Quant a la

decision de realiser un batiment souterrain, elle

fut prise afin de respecter les recommandations

de l’ICOMOS relatives a la protection

environnementale des sites. L’actuel Musee de

Yinxu est ainsi implante en pleine campagne. En

approchant, le visiteur croıt voir les deux berges

de la Huan, mais il s’apercoit peu a peu que l’une

d’elles est en realite un quadrilatere de bronze

d’un beau vert : il indique l’emplacement du

musee.

L’espace d’exposition est centre sur le

concept de « civilisation des Yin-Shang », tout en

s’interrogeant sur ce qu’est la « civilisation ». Si les

archeologues ne sont pas d’accord sur sa definition,

beaucoup de specialistes s’accordent cependant a

penser que la « civilisation » implique

necessairement l’existence d’au moins quatre

elements : des villes, la metallurgie, des ensembles

de rites et une langue ecrite. Depuis la seconde

moitie du XXe siecle, et en particulier depuis les

annees 1990, les archeologues sont de plus en plus

nombreux a considerer que la culture Yin-Shang

reunissait ces quatre grands « criteres ». Sur cette

base, les differents espaces d’exposition du Musee

de Yinxu ont donc ete concus selon le modele

« 4 + 1 », a savoir quatre salles consacrees aux

fondamentaux – dans l’ordre : la capitale des

Shang, les bronzes, les jades et les os oraculaires

inscrits – auxquelles s’ajoute une salle consacree a

un sujet particulier.

Les quatre salles temoignent chacune du

fait que les quatre criteres de civilisation avaient

atteint sous les Shang un stade avance: une cite

florissante, des techniques perfectionnees de

travail du metal, des jades utilises pour des

rituels, et un systeme d’ecriture parvenu a

maturite. Autant d’elements qui confirment que la

DES MUSEES PLURIELS

144 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Chine des Shang etait bel et bien une civilisation.

Les pieces choisies sont exposees en fonction de

ces quatre criteres.

La derniere salle, consacree a un seul objet,

donne a voir la plus extraordinaire des realisations

de la civilisation Yin-Shang : le plus gros des ding

( , vases a cuire les aliments lors des rituels alors

produits a profusion),1 le Simuwu ding, decouvert

en 1939 a Anyang.

Une fois le theme de l’exposition choisi, il a

fallu trouver un mode de presentation attrayant

pour les visiteurs. Le Musee de Yinxu a donc

experimente des methodes museographiques

inedites.

Un couloir du temps

Pour descendre vers les espaces d’exposition du

musee, dont la majeure partie est souterraine, le

visiteur suit un couloir de plus de 80 m de long qui

affecte la forme du caractere chinois (hui). Ce

« couloir du temps » part du niveau du sol, qui

correspond a l’epoque moderne. En suivant une

ligne realisee en pierre verte, on se trouve conduit

de 1911, date de la Revolution chinoise, a 1046

avant J.-C., date de la fin des Shang : de dynastie en

dynastie, durable ou ephemere, defilent ainsi 3 000

ans d’histoire.

Ce couloir mesure 60 m de long et forme

quatre coudes a angle droit. Avant de penetrer dans

le musee, tout visiteur doit ainsi faire ce parcours

« a sens unique » qui situe avec precision la

civilisation des Shang dans le fil de l’histoire du

pays.

Le quadrilatere de bronze et le batiment sur le

theme de l’eau

Le quadrilatere de bronze est situe au centre exact

du musee. Sur chacune de ses faces exterieures

figure, en haut, un masque animalier en bas relief

et en bas une inscription comme on en voit

souvent sur les objets des Yin; l’ensemble vise a

34. Le site du Musee de Yinxu.

ªL

iZ

ish

eng

34

Le Musee de Yinxu : de superbes vestiges pour expliquer la culture des Yin-ShangTang Jigen

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 145

symboliser la grande qualite du travail du bronze

sous les Shang. Ce mur est la seule partie du musee

visible de la surface et sert de repere pour les

visiteurs.

Le « batiment sur le theme de l’eau », de

forme carree, est la premiere chose que voit celui

qui, apres avoir emprunte le couloir du temps,

parvient a « l’epoque des Shang ». En son centre se

trouve un bassin, a l’eau scintillante. Au milieu,

une pierre verte en forme de carapace de tortue

utilisee a des fins divinatoires porte une inscription

en caracteres oraculaires : « Tandis que le

crepuscule tombe sur la foret, la brise trace des

caracteres sur l’eau » : il s’agit d’une calligraphie de

Dong Zuobing, celebre specialiste des os

divinatoires et archeologue ayant conduit des

fouilles a Yinxu. L’expression « La brise trace des

caracteres sur l’eau », prenant vie dans les eaux du

bassin, rappelle que l’ecriture chinoise est nee ici,

sur les rives de la Huan.

Ces deux structures – le quadrilatere de

bronze et le batiment sur le theme de l’eau – ainsi

que les espaces d’exposition permettent aux

visiteurs de penetrer au cœur meme de la culture

des Yin-Shang.

« Une hirondelle donne naissance aux Shang »

Le Livre des Odes (Shi Jing)2, contient un vers

disant que « Selon le decret du Ciel, une

hirondelle3 descendit et donna naissance aux

Shang. » C’est du moins ainsi qu’on expliquait

l’origine des Shang a l’epoque des Zhou

occidentaux (1067–771 avant J.-C.). La legende,

comme le rapporte Sima Qian dans Yin benji,

veut en effet qu’une jeune femme du nom de

Jiandi ait avale l’œuf d’une hirondelle – qui, apres

etre montee au ciel, en etait redescendue

fecondee – et que cette jeune femme ait ensuite

donne le jour au premier des Shang.

Un caractere figurant dans une inscription

oraculaire donne le fondement de cette jolie

legende. Il s’agit du nom de l’ancetre des Shang,

« Hai » ou, plus precisement, « arriere-arriere-

grand-pere Wang Hai » ( ). Dans les

inscriptions oraculaires, le caractere hai ( ) s’ecrit

souvent de la meme maniere que niao ( )

(oiseau). Aussi pense-t-on que « l’hirondelle a

donne naissance aux Shang » correspond a une

legende que les Shang inventerent eux-memes.

C’est pourquoi les concepteurs du musee ont

cherche a en rendre compte; pour ce faire, ils

ont fait graver en ligne, sur le mur de verre

delimitant la salle consacree a la capitale, plusieurs

caracteres oraculaires evoquant la notion de hai.

C’est une realisation peu couteuse, mais tres

spectaculaire : elle joue astucieusement avec

la lumiere du soleil, si bien que, s’il fait beau,

le visiteur qui entre dans la salle voit, a partir

35. Vitrine ou est exposee une representation en terre cuite d’une

tete humaine, de 3,6 cm de haut sur 2,4 cm de large, trouvee dans

une tombe Shang.

ªTa

ng

Jig

en

35

DES MUSEES PLURIELS

146 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

de 10 h, une serie de niao legendaires dont le

reflet se projette sur le sol, en suivant la course

du soleil. Le jeu de la lumiere et des caracteres

oraculaires l’aident ainsi a aborder l’idee

que les Shang pouvaient se faire de cet oiseau

fabuleux.

Qui a donne naissance a cette civilisation ?

Qui etaient vraiment les Shang ? Qui a coule ces

vases de bronze ? Et qui utilisait cette ecriture ?

Autant de questions qui, des le debut des fouilles

de Yinxu, ont intrigue les specialistes les plus

illustres du monde entier. Des professeurs de

l’Universite de Harvard ont emis des vues tres

divergentes sur ces sujets, mais ce sont les

archeologues qui, s’appuyant sur des donnees

materielles et des representations, sont parvenus a

dresser un portrait des Shang : des Mongoloıdes

d’Asie orientale que rien ne differenciait, d’un

point de vue ethnique, des populations actuelles

du nord de la Chine.

Le Musee de Yinxu accorde une

importance particuliere aux relations entre les

objets et les hommes auxquels ils appartenaient. La

salle consacree a la capitale des Shang rassemble

des representations humaines figurant sur de

petites sculptures de jade et de pierre, ainsi qu’une

tete en terre cuite (haute de 3,6 cm et large de

2,4 cm), decouverte dans une tombe en 2003.

Compte tenu de la valeur et de l’interet

exceptionnels de cet objet, les conservateurs ont

concu pour lui une vitrine speciale baptisee « Le

retour a la vie ». La tete y est exposee seule; des

spots basse tension disposes de part et d’autre

apportent un eclairage qui permet au public de

l’apprecier pleinement. En approchant, le visiteur

peut interagir avec l’objet : en appuyant sur un

bouton, il lance un programme informatique

connecte a la vitrine. La photographie du visage

apparaıt, ouvre les yeux et dit, avec l’accent

d’Anyang : « Bonjour ! Mon nom est Shang. Ce

sont les archeologues qui m’ont appele de la sorte.

J’avais jadis un nom magnifique, mais il est

aujourd’hui perdu. Je suis arrive dans votre monde

en 2003… »

La capitale, le travail du metal, les rituels et

l’ecriture

La salle de la capitale

Le transfert de la capitale par Pan Geng a ete le

point de depart d’une periode d’ordre et d’un grand

essor de l’artisanat. Les habitants de la capitale

menaient une vie prospere et sure, tandis que se

developpaient l’administration, l’economie, les

rituels et la culture, si bien que les Shang, admirant

leur ville, l’ont nommee la « grande capitale

Shang ».

La « salle de la grande capitale des Shang »

presente ainsi l’environnement naturel d’Anyang et

la vie que l’on y menait il y a 3000 ans.

La salle des bronzes

C’est sur le site de Yinxu qu’a ete exhume, en

Chine, le plus grand nombre de bronzes, dont des

objets quotidiens, des armes, des elements et

ornements de chariots, etc. Si certains de ces objets

avaient un usage ordinaire, beaucoup d’autres

etaient utilises dans un cadre rituel. Imposants et

lourds, petits et delicats, ou finement decores, tous

temoignent des techniques avancees de l’age du

bronze chinois – l’epoque ou l’on fabriquait des

tripodes ding.

Le Musee de Yinxu : de superbes vestiges pour expliquer la culture des Yin-ShangTang Jigen

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 147

Dans cette salle, les vases aux formes tres

diverses sont exposes isolement ou par series; s’y

trouvent aussi des objets extremement raffines ou

des pieces dotees de caracteristiques particulieres.

Ils racontent tous une histoire, tel ce crane de

soldat tombe au combat. Il porte quatre entailles

faites par une lame, dont une, au sommet du crane,

mesure 4 cm de long et 5 mm de large; un

fragment de bronze provenant d’une hache y est

toujours fiche. La lame s’est brisee en percant l’os,

qui s’est creuse en formant un sillon. A l’arriere de

la tete, sur sa partie superieure, se trouve une

blessure de 48 mm de long et 2 a 3 mm de large.

A gauche, une autre trace de coup mesure 35 mm

de long et 2 mm de large. L’arete du nez porte

une encoche horizontale de 18 mm de long. Le

guerrier n’a pas seulement ete frappe a la tete : son

epaule gauche presente une blessure de 38 mm

de long et 2 mm de large provenant certainement

d’un objet tranchant. On peut imaginer qu’il

s’agissait d’un vaillant soldat qui, blesse

mortellement, a ete ramene et enterre a Yinxu dans

le cimetiere de son clan.

La salle des jades

Les Shang affectionnaient tout particulierement

les objets en jade. A Yinxu, leur presence dans de

nombreuses sepultures montre qu’ils etaient

destines a l’usage des defunts dans l’au-dela. Les

membres de l’aristocratie Shang les faisaient

disposer en abondance dans leurs tombes; mais

les pieces exposees dans le musee, presentant de

legeres differences, attestent que d’autres strates

sociales les utilisaient egalement. Ces pieces,

superbes exemples de l’art du jade a l’epoque des

Shang, illustrent ainsi divers aspects –

aristocratique ou plus populaire – de la societe

des Shang, ainsi que la richesse de leurs

croyances.

Les jades sont classes par categories.

Certains specimens particulierement raffines sont

exposes isolement. Certains font l’objet d’une

museographie specifique : c’est le cas d’une tortue,

dont le contour a ete reproduit sur un panneau a

l’aide de petits trous laissant passer la lumiere; le

panneau a ensuite ete pose sur un support et la

tortue de jade placee dans son alignement,

doucement eclairee par le haut. Le visiteur a ainsi

une triple impression de la tortue : il voit l’objet

lui-meme, sa reproduction et enfin le contour de

lumiere.

La salle de l’ecriture

Les caracteres figurant sur les os oraculaires

representent une forme avancee d’ecriture

pictographique. Yinxu a livre quelque 150 000 de

ces fragments d’os; ils portent plus de 5 000

caracteres et ont permis de reconstituer plus de

100 000 inscriptions ayant trait notamment a

l’administration, a l’economie, a la culture, a

l’astronomie ou au climat. Une centaine

36. Le grand ding Simuwu expose au Musee de Yinxu.

ªL

iZ

ish

eng

36

DES MUSEES PLURIELS

148 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

d’inscriptions sont exposees dans la salle; plus de

90 % d’entre elles sont des textes divinatoires.

La signification des caracteres, vieux de

plus de 3 000 ans, est tres obscure, mais le

musee s’efforce de fournir des explications. Dans

cet espace, les maıtres mots sont « dechiffrer » :

« dechiffrer les sons » d’une part, et « dechiffrer

les inscriptions », d’autre part. La premiere partie

de l’exposition fait appel a une technique

illusionniste pour placer sous les yeux des

visiteurs les inscriptions portees sur des ecailles

de tortue. La seconde consiste en une selection

d’inscriptions divinatoires concernant par

exemple des offrandes sacrificielles, des

expeditions militaires, la chasse, des phenomenes

astrologiques ou le calendrier. De grands

panneaux reproduisent l’inscription originale,

avant d’en donner la transcription en caracteres

du lishu,4 puis la signification en chinois

moderne et une traduction en anglais, offrant

ainsi a chaque visiteur matiere a reflexion.

Certains textes nous eclairent sur les

relations qui existaient entre le royaume des Shang

et les peuples Qiang5 du nord-ouest : « En trente

jours a peine, trois personnes bien connues, Chang

Youjiao, You Qizhu et Zhi Jia, ont rapporte tour a

tour que des groupes de travailleurs et

d’agriculteurs venus du nord-ouest avaient penetre

quatre fois sur le territoire. L’invasion hostile des

Qiang a pousse tous les habitants de la region a fuir

et a errer dans les plaines, sans abri. »

La strategie de la « star »

Il y a quelque chose de commun entre la creation

d’un musee et la realisation d’un film : faire appel

a une star est parfois le moyen le plus efficace de

seduire les foules et d’attirer le succes. C’est

pourquoi, a mesure que l’ouverture officielle du

Musee de Yinxu approchait, et la necessite d’une

large couverture mediatique se faisant sentir, le

musee a decide de se l’assurer grace a l’objet le

plus celebre trouve sur place : le Simuwu ding,

qui pese 875 kg. C’est la plus grande et la plus

lourde des pieces exhumees sur le site.

Reproduite dans les manuels d’histoire des

collegiens chinois, elle est l’objet d’un grand

interet populaire. Mais, decouvert a Yinxu en

1939, ce ding avait fini, apres plusieurs deboires,

par etre depose, pour des raisons de securite, au

Musee national d’histoire de Chine (dans le Pekin

de l’epoque). En septembre 2005, le Musee de

Yinxu a donc decide de l’« emprunter », afin de

le placer dans une salle d’exposition speciale

pour le plus grand plaisir du public. Le jour de

l’inauguration, une maree humaine l’entourait :

en une seule journee, il y eut plus de 100 000

visiteurs. C’est de loin le plus fort taux de

frequentation d’un musee chinois : il est rare

qu’une exposition attire autant de monde.

Les vestiges de Yinxu partis a l’etranger

Le Musee de Yinxu ne souhaitant pas que

l’exposition se termine d’une maniere insipide, il

fut decide qu’a mesure du retour vers la lumiere

naturelle, dix points lumineux seraient places sur

l’un des murs. Dans cette lumiere cristalline, de

discrets cartels gris pale accompagnent une serie

de cliches. Ils representent des bronzes, des jades,

ainsi que des os oraculaires. Les textes des cartels

indiquent clairement que ces objets ne se trouvent

plus en Chine. Les concepteurs de l’exposition

cherchent ainsi a faire passer deux messages : le

Le Musee de Yinxu : de superbes vestiges pour expliquer la culture des Yin-ShangTang Jigen

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 149

premier est que la culture de Yinxu (la phase finale

des Shang) est maintenant connue dans le monde

entier et que des œuvres qui en sont issues ont

seduit des collectionneurs et des amateurs d’art de

divers pays; le deuxieme est que, meme si ces

pieces ont quitte leur pays d’origine, elles restent

cheres au cœur des Chinois.

Lorsqu’en 1046 avant J.-C. les Zhou

occidentaux prirent le pouvoir, placant au centre

de l’histoire les grandes etendues du nord, la

civilisation Yin-Shang et sa capitale tomberent en

ruines. Mais comme l’a dit un chercheur : « Sans

ruines, rien ne permettrait de se rappeler hier, et

sans hier, il ne pourrait y avoir ni aujourd’hui, ni

demain. Les ruines sont les moyens que nous avons

de comprendre l’histoire; elles sont le passe dont

les hommes d’aujourd’hui sont issus, allant des

ruines anciennes vers des ruines nouvelles. C’est

pourquoi les ruines sont notre point de depart.

Elles sont un chemin vers la culture. Portant nos

ruines avec nous, nous avancons vers la modernite

et l’avenir. »

Erige sur le site archeologique, le Musee de

Yinxu applique des methodes simples pour reveler

au visiteur la culture de l’age du bronze chinois et

la « valeur universelle exceptionnelle » du

patrimoine que la dynastie Yin-Shang nous a legue.

Deux ans apres l’inauguration du musee,

l’ensemble du site de Yinxu a ete inscrit sur la Liste

du patrimoine mondial, puisque, par son

importance culturelle, il interesse l’humanite tout

entiere.

NOTES

1. Un ding est un vase tripode ou chaudron pourvu de deux poignees en

bronze. Il servait pour les sacrifices et symbolisait le pouvoir royal.

2. Le Livre des Odes est l’un des cinq classiques chinois et certainement

le plus ancien recueil de poesie chinoise. Il est traditionnellement attribue

a Confucius.

3. Le premier caractere de ce terme chinois, , evoque la couleur noire

ou la profondeur. L’oiseau dont il s’agit ici est un oiseau legendaire qui

deviendrait gris en atteignant l’age de 1 000 ans et noir a 2 000 ans.

4. L’ecriture lishu est l’un des styles calligraphiques officiels qui avaient

cours sous la dynastie Han (207 avant J.-C.– 220 apres J.-C.).

5. Cette ethnie est qualifiee de « forte », au sens de « puissante ».

Certains auteurs estiment que les Qiang apparaissent pour la premiere

fois a l’occasion de la montee en puissance des tribus du nord-ouest, qui

avaient forme une confederation relativement lache et devaient constituer

par la suite les principautes de la dynastie Zhou.

DES MUSEES PLURIELS

150 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

Le Musee d’art mondial de Beijingau Monument du millenairepar Wang Limei

Wang Limei a ete chercheuse au Musee du palais imperial a Beijing, ou elle s’est specialisee

dans l’histoire des dynasties Ming et Qing. Elle a ensuite travaille pour l’administration d’Etat

du patrimoine culturel, au sein de laquelle elle a ete responsable des echanges culturels

internationaux ainsi que de nombreuses expositions de grande ampleur. En 2003, elle a ete

chargee des preparatifs de la creation du Monument du millenaire au Musee d’art mondial

de Beijing.

C’est le 1er janvier 2006 qu’est ne le premier musee

chinois consacre a la conservation d’objets des

civilisations et des arts du monde entier. Fort du

soutien actif de nombreux musees etrangers, il se

voue entierement a accroıtre les connaissances

relatives aux civilisations, a promouvoir la

communication culturelle et a satisfaire les besoins

de la population. Il s’est engage dans une

exploration des moyens de presenter la civilisation

et l’art dans le monde, qui vise a le doter d’un

capital culturel. Le musee travaille dur pour

conserver une gestion novatrice et ouverte.

Une plate-forme de communication pour

compenser le manque de ressources

La possession d’une solide collection est la

premiere condition a remplir si l’on souhaite

demontrer la richesse et la diversite des

civilisations et des arts du monde. Le Musee de l’art

mondial de Beijing, comme tous les musees

chinois, se trouve a cet egard dans une situation

quelque peu embarrassante. Manquant de pieces a

exposer, les fondateurs du musee accordent la plus

haute priorite a ce probleme qui concerne la survie

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 151Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

et le developpement de l’institution. Pour faire face

a cette difficulte, on a concu une strategie visant a

faire du musee une plate-forme de communication

et une vitrine consacrees aux echanges dans le

domaine de la culture et de l’art mondiaux, en

partenariat avec des musees, galeries et institutions

educatives du monde entier. Empreinte d’un esprit

d’ouverture et de sincerite, et d’une volonte de

cooperation dans une optique de profit mutuel,

cette strategie devrait permettre au musee de se

hisser au niveau des pratiques internationales

actuelles.

L’Annee de la culture sino-francaise, qui

s’est tenue en 2005, a donne lieu en Chine a une

multiplicite sans precedent d’evenements culturels

internationaux. Elle a ete suivie par d’autres, telles

que l’Annee de l’Italie, l’Annee de la Russie, l’Annee

de l’Espagne, l’Annee de l’amitie sino-indienne, le

Festival de l’echange culturel sino-francais ou

encore l’Annee des echanges Chine–Coree. Le

rythme soutenu de ces echanges manifeste le desir

qu’ont de nombreux pays de faire connaıtre leur

culture au peuple chinois, et cet engouement a

offert au musee un cadre ideal de developpement.

Le musee a tres bien su tirer parti de ces

circonstances favorables pour son exposition

inaugurale. A l’epoque, le Ministere italien du

patrimoine et des activites culturelles s’appretait a

signer un accord a long terme avec Beijing Gehua

CATV Network dans le but d’assurer la promotion

de l’Annee de l’Italie en Chine (2006). Le musee a

propose d’accueillir l’exposition « Miroir du

temps: six siecles d’art italien » qui inaugurerait

a la fois l’Annee de l’Italie en Chine et le musee

lui-meme. Le ministere a accepte sans hesiter. Le

professeur Antonio Paolucci, directeur regional des

biens culturels et du paysage de Toscane, a plaide

ardemment en faveur de la poursuite des echanges

culturels entre la Chine et l’Italie, citant

l’augmentation du nombre de touristes chinois au

Musee des Offices de Florence et l’engouement

croissant des Chinois pour la culture italienne en

general. Le Gouvernement italien offrit de preter

une extraordinaire selection de quatre-vingts

œuvres d’art en provenance de douze musees de

Florence, dont le Musee des Offices et la Galerie de

l’Academie. Ces œuvres furent pretees

gratuitement; onze d’entre elles etaient presentees

au public pour la premiere fois. Ces merveilleux

chefs-d’œuvre, rassembles sous le theme « L’image

de l’Homme », couvraient une periode allant de la

fin du XIIIe siecle au milieu du XVIIIe siecle. Vingt

maıtres y etaient representes, parmi lesquels

Botticelli, Leonard de Vinci, Raphael, Titien et Le

Caravage. Cette selection soigneuse et le soutien

genereux du Gouvernement italien furent un gage

de qualite pour l’exposition, qui a accueilli

120 000 visiteurs.

Ce succes est venu legitimer la strategie du

musee et a confirme son role de plate-forme

d’echanges culturels. Il lui a egalement permis de

gagner la confiance des institutions culturelles

italiennes, annoncant ainsi de nouveaux

programmes de collaboration. L’exposition « Les

grandes civilisations du monde », qui a eu lieu fin

2006, presentait une grande variete de biens

culturels mondiaux et a ete rendue possible grace a

la cooperation de dix musees italiens et de quatre

musees americains. L’Annee de l’Italie en Chine

s’est cloturee au debut de 2007 avec une autre

collaboration sino-italienne reussie : l’exposition

« Recits d’une eruption : Pompei, Herculanum,

Oplontis ».

DES MUSEES PLURIELS

152 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

« Les grandes civilisations du monde »,

premiere exposition etrangere d’aussi grande

ampleur a etre accueillie en Chine, va devenir l’une

des expositions permanentes du musee. En regle

generale, les objets exposes en permanence

proviennent des collections propres d’un musee.

Mais avec un theme aussi ambitieux que les

« civilisations du monde », les capacites de bien

des musees mondiaux les plus reputes, y compris

des musees chinois, n’auraient pas suffi.

L’exposition a ete rendue possible grace a la

plate-forme de communication etablie par le musee

en conjonction avec quatre musees europeens et

americains. L’exposition propose au visiteur un

voyage a travers l’histoire culturelle mondiale, de

3000 avant J.-C. jusqu’au XVIIIe siecle. Parmi les

objets exposes figurent 328 pieces uniques –

sculptures, bronzes, peintures murales, ceramiques

et bijoux anciens – illustrant les plus belles

realisations de sept grandes civilisations : la Chine,

l’Egypte ancienne, la Mesopotamie, la Grece,

Rome, l’Inde et les Ameriques. Le peuple chinois a

ainsi la chance de pouvoir decouvrir dans sa

richesse la diversite culturelle de ces civilisations

historiques. Dans le meme temps, le musee

reaffirme son objectif d’encouragement du

dialogue et des echanges entre les cultures. Cette

experience gratifiante a eu un impact considerable

sur le public chinois dont elle a aide a cultiver et

elargir les gouts tout en renforcant son sens de

l’identite nationale. L’exposition durera jusqu’en

septembre 2008 sous sa forme actuelle, mais des

projets de remplacement des objets exposes ont

deja recu le soutien enthousiaste de plusieurs

musees.

Durant l’annee qui a suivi son

inauguration, le musee a monte ou accueilli plus

de dix expositions, soit seul, soit en partenariat

avec d’autres institutions. Il y a eu par exemple :

« Miroir du temps: six siecles d’art italien »,

« De Monet a Picasso : chefs-d’œuvre du Musee

d’art de Cleveland », « Recits d’une eruption :

Pompei, Herculanum, Oplontis » ou encore

« Espace imaginaire : retrospective de Jerry

Uelsmann ». Parmi les expositions organisees

dans le cadre de l’Annee de la Russie en 2006,

on peut citer : « Deux maıtres russes

contemporains », « L’univers des nomades :

Dashi Namdakov et les musees siberiens » ainsi

que « Le costume traditionnel russe », tandis que

l’Annee de l’Espagne en 2007 a ete celebree par

l’exposition « 300 % design espagnol ». Ces

evenements etaient concus pour completer

subtilement l’exposition permanente du

musee.

La difficulte de base du musee, a savoir le

manque de collections propres, a donc ete

surmontee grace a la mise en place de cette

plate-forme de communication, ainsi qu’a

37. L’exposition Miroir du temps : six siecles d’art italien.

ªM

use

ed

’art

mon

dia

l,M

onu

men

td

um

illen

aire

37

Le Musee d’art mondial de Beijing au Monument du millenaireWang Limei

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 153

l’empressement d’autres pays de se lancer dans une

cooperation culturelle avec la Chine.

Une equipe internationale d’experts

professionnels

Depuis l’ouverture de la Chine et le lancement

de ses reformes, les echanges internationaux entre

les musees chinois et etrangers se sont caracterises

davantage par l’exportation d’expositions chinoises

que par l’importation d’expositions etrangeres

Afin d’encourager un flux regulier et durable

d’expositions artistiques a destination de la Chine,

le Musee d’art mondial de Beijing a besoin du

concours de specialistes experimentes en histoire

de l’art et en patrimoine culturel.

Pour s’assurer les services de specialistes

chinois et etrangers, le musee a adopte une

strategie d’emploi flexible et fait appel a un conseil

consultatif compose d’experts chinois et etrangers.

Il s’efforce egalement de tirer parti des

connaissances des musees qui ont une longue

experience dans l’accueil d’expositions etrangeres.

Il met pleinement a profit ses nombreux

contacts internationaux et multiplie les echanges et

les relations. Son ouverture d’esprit, sa loyaute, sa

perseverance et le succes de ses activites de

cooperation ont fait de lui un partenaire

parfaitement credible au sein de la profession.

Ainsi, il peut desormais se prevaloir d’une equipe

internationale de specialistes travaillant dans un

esprit de profit mutuel et partageant volontiers leur

expertise multidisciplinaire avec leurs collegues.

Le forum des directeurs de musees,

parraine en octobre 2005 par le Musee d’art

mondial de Beijing, a ete l’occasion d’echanges

intensifs avec tous les partenaires. Ce forum, sur le

theme « L’art mondial en Chine », etait le premier

organise par le musee. Des directeurs de musees

et des experts venus des Etats-Unis, d’Italie, du

Japon, de Hong Kong, de Macao, du Royaume-Uni

et de plusieurs autres pays ou regions ont assiste a

la reunion. Les participants ont formule de

precieuses suggestions sur la conception et

l’installation de l’exposition permanente du musee

et se sont entretenus des possibilites de

collaboration pour les cinq annees a venir ainsi que

de l’education museale. Le deuxieme forum, tenu

en 2006, a poursuivi les discussions sur ce theme

en se concentrant plus specialement sur les modes

de gestion des musees. Il a permis au musee de se

faire une idee claire des tendances actuelles en

matiere de gestion museale et, grace a ces

echanges, d’apporter des ameliorations a sa propre

gestion.

Le comite d’experts du musee a ete

officiellement mis en place le 10 avril 2007. Il est

38. L’exposition De Monet a Picasso : chefs d’œuvre du Musee d’art

de Cleveland.

ªM

use

ed

’art

mon

dia

l,M

onu

men

td

um

illen

aire

38

DES MUSEES PLURIELS

154 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

compose de vingt-huit specialistes et scientifiques

de differentes disciplines, telles que les sciences

sociales et humaines, la recherche et la gestion

museales, l’art et l’education museale. Ces

specialistes des musees et de l’art ont apporte des

suggestions et une aide precieuses, et les

expositions tant speciales que permanentes du

musee ont enormement beneficie de leurs conseils

professionnels et de leur participation. Grace en

grande partie a leurs contacts avec les medias, un

important travail de promotion a pu aussi etre

accompli. La salle de conferences du musee (300

sieges) est souvent pleine de visiteurs et d’etudiants

venus ecouter ces specialistes et ces scientifiques,

qui sont ravis de partager leur expertise et leur

savoir et de favoriser ainsi une meilleure

comprehension des objets exposes. En bref, cette

equipe d’experts s’est averee etre une ressource

inestimable pour le musee.

Celui-ci dispose egalement d’une centaine

de benevoles qui travaillent en tant que guides

amateurs. Leur devouement est vivement apprecie

par les visiteurs et contribue souvent a l’attrait des

expositions.

De maniere generale, le musee tente de

s’affranchir des restrictions imposees par les formes

de recrutement classiques et recherche des

collaborateurs de qualite, par-dela les frontieres

regionales et professionnelles, en puisant dans les

ressources humaines nationales et mondiales. Il

fonctionne depuis un peu plus d’un an avec

seulement vingt employes a temps plein, mais

grace aux efforts de l’equipe de professionnels et

d’amateurs qui lui apporte son concours, il a ete en

mesure d’accueillir une serie d’expositions

majeures, qui ont ete acclamees par les milieux

professionnels.

Plusieurs musees etrangers ont exprime le

desir de concevoir des plans de cooperation a long

terme avec le Musee d’art mondial de Beijing. Mais

les retombees ont egalement atteint les autres

musees chinois qui ont constate que les

expositions organisees par leur confrere

remportaient un grand succes (le nombre total de

visiteurs a desormais depasse les 470 000) et ont

commence a reexaminer leurs propres modes de

39. L’exposition Les grandes civilisations.

ªM

use

ed

’art

mon

dia

l,M

onu

men

td

um

illen

aire

39

Le Musee d’art mondial de Beijing au Monument du millenaireWang Limei

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 155

fonctionnement. De fait, cela a relance le debat sur

les relations entre les musees et l’art, sur la maniere

de monter des expositions, sur leur influence sur

l’education artistique, etc. Ces retombees et ces

discussions vont certainement influencer dans un

sens positif la construction et le fonctionnement

des musees en Chine dans les annees a venir.

La constitution d’un capital culturel pour un

developpement durable

Le musee est en partie finance par des subventions

de l’Etat, mais celles-ci sont insuffisantes pour

couvrir ses frais de fonctionnement. Tout en

tentant d’obtenir un soutien accru de l’Etat et de la

societe, le musee a conscience qu’il lui faut trouver

d’autres moyens de surmonter l’obstacle. C’est

ainsi, par exemple, qu’il cherche a s’inspirer des

methodes des musees des pays developpes, qu’il

s’interesse a de nouvelles methodes de gestion et

qu’il s’efforce de se constituer un capital culturel

propre a assurer durablement son developpement.

La difficulte a laquelle se heurte le musee

n’est pas rare. Les musees de la Chine

d’aujourd’hui vivent dans une economie de marche

et ont donc besoin d’explorer de nouvelles pistes

pour assurer leur survie. La question de savoir si la

culture peut s’autofinancer, debat qui a commence

dans les annees 1980, reste d’actualite en ce debut

du XXIe siecle. Le debat porte aujourd’hui sur la

place des musees en relation avec l’economie, le

secteur tertiaire (les services) et les industries

culturelles et creatives. Le principal facteur

declenchant de ces discussions est la contradiction

entre le caractere non lucratif des musees et leur

modus operandi, ainsi qu’entre leur role social et

leur rentabilite economique.

L’analyse du fonctionnement de musees

de pays developpes a economie de marche revele

que tout en etant au service de la societe avec

une organisation efficace, ils ont su creer une

culture promotionnelle specifique et leur nature

non lucrative ne les empeche pas de tirer des

benefices economiques de certains programmes

ou services. Leur experience demontre que la

gestion dynamique d’un musee et l’efficacite des

services rendus a la societe sont une attitude

saine dans le contexte d’une economie de

marche. Le musee a donc decide de s’engager

dans la voie de l’efficacite en se dotant de la

capacite a subvenir a ses propres besoins de

maniere a se liberer de ses entraves financieres et

a s’assurer les moyens d’un developpement

vigoureux. Les concepts fondamentaux a la base

du fonctionnement d’un musee et ses relations

avec le marche devraient s’appliquer egalement a

la planification et a l’administration des services

rendus a la societe – les produits – et a la gestion

novatrice du musee.

Ainsi, le musee apprend a concilier utilite

sociale et fonctionnement efficace et a appliquer

des modes de gestion des projets qui sont en usage

dans les entreprises commerciales. L’utilisation

d’un modele de gestion axe sur le marche lui

permet de repondre simultanement a son objectif

social et a son objectif operationnel et d’engranger

des profits economiques substantiels et des

resultats sociaux.

L’exposition « Miroir du temps : six

siecles d’art italien » en est une bonne illustration.

Le musee souhaitait vivement que le maximum de

visiteurs profite de cette experience visuelle

extraordinaire. Il a investi dans des activites

DES MUSEES PLURIELS

156 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

publicitaires et promotionnelles coordonnees,

concu une politique de tarification differenciee

selon les categories de visiteurs et offert certains

services tels que previsualisation numerique des

œuvres, visites guidees, audioguides, conferences.

Il a aussi mis a la disposition du public des

prospectus et des souvenirs, gratuits ou payants.

Afin d’assurer une visite agreable au public, il a pris

des mesures pour controler l’affluence et rediriger

les touristes lors des heures de pointe. Une gestion

aussi meticuleuse a permis au musee de faire

beneficier les visiteurs d’une organisation et de

services de premier ordre, a la hauteur des

magnifiques objets exposes. Le public s’est montre

extremement enthousiaste. Avec un investissement

total de 15 millions de yuans, c’est l’une des plus

grandes expositions jamais organisees en Chine.

Grace a des strategies de marketing flexibles et a

l’excellence des services, le musee est parvenu a

equilibrer recettes et depenses (en degageant un

petit excedent) : le benefice d’exploitation a

couvert 37,98 % du cout total, les subventions de

l’Etat 35,6 % et les dons d’organismes ou

d’entreprises 26,4 %.

Une exposition est un « produit » qui doit

etre soigneusement planifie et prepare. En plus des

expositions qu’il accueille entre ses murs, le Musee

d’art mondial de Beijing organise d’autres

evenements en coordination avec ses partenaires.

Ainsi, « Recits d’une eruption : Pompei,

Herculanum, Oplontis » a ete presentee a la fois a

Beijing et a Hangzhou, grace aux efforts conjoints

du musee et de l’administration provinciale du

patrimoine culturel du Zhejiang. Le musee explore

a present la possibilite de cooperer avec d’autres

musees et galeries de villes importantes comme

Shanghai, Canton et Changsha, et de mettre en

commun les ressources en partageant risques et

avantages.

Une exposition est egalement une

ressource a exploiter : il est possible de tirer des

benefices des elements culturels et artistiques

qu’elle comporte. Offrir des prestations de haute

qualite et amplifier les campagnes publicitaires

sont deux moyens de mettre a profit cette

ressource. Pour chaque evenement, l’organisation

de l’exposition et la conception des objets

souvenirs font l’objet de discussions

systematiques prenant en compte les besoins du

public cible et les caracteristiques particulieres de

l’exposition. Lors des deux expositions « Miroir

du temps: six siecles d’art italien » et « De Monet

a Picasso : chefs-d’œuvre du Musee d’art de

Cleveland », les profits generes par la vente de

souvenirs ont represente plus de 40% des recettes

totales des entrees. Ce marche a un fort potentiel

de developpement et pourrait offrir un moyen

de financer le cout des expositions.

Enfin, la valeur esthetique de l’exposition

peut aussi etre une ressource non negligeable.

« Miroir du temps: six siecles d’art italien », par

son immense portee culturelle et sociale, a attire

l’attention de nombreux chefs d’entreprise. Les

dons effectues par diverses organisations

prestigieuses ont atteint un total de 4 millions de

yuans. L’experience montre, cependant, le besoin

d’une nouvelle strategie de collecte de fonds pour

le musee : abandonner les campagnes pour des

expositions particulieres au profit d’efforts a long

terme, et le recours aux dons au profit de modeles

de fonctionnement fondes sur le marche. Il s’agit,

en somme, de laisser ce travail a des

professionnels.

Le Musee d’art mondial de Beijing au Monument du millenaireWang Limei

ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 157

Les maıtres mots en matiere de gestion

museale sont la qualite du service et l’efficacite du

fonctionnement, deux demarches qui procurent au

musee bienfaits sociaux et profits economiques.

Les souvenirs qui ont plu aux visiteurs sont autant

de vecteurs d’information sur le musee et les

expositions qu’il propose. Les audioguides

permettent non seulement de fournir des

explications sur les objets exposes, mais aussi de

faire rentrer de l’argent servant a financer les

expositions. Par ailleurs, le musee reserve des

avantages a ses visiteurs reguliers, tels que des

reductions sur les tickets d’entree et les achats, et

l’envoi d’informations sur les programmes

d’expositions et de conferences.

Le musee s’evertue en outre a proposer aux

enfants des activites interactives parents–enfants.

Pendant le week-end, les enfants et leurs parents

viennent non seulement voir les objets exposes et

entendre des conferences mais aussi participer a

des activites artistiques en relation avec le theme

de l’exposition du moment. Des moniteurs

apportent aide et conseils pour que ces activites

artisanales soient agreables. Ces activites

encouragent les parents a s’impliquer dans le

processus creatif et les aident a stimuler les interets

de leurs enfants et a etendre leurs connaissances.

Ce faisant, le musee joue un role important dans le

developpement de l’interet artistique chez les

enfants et, a travers eux, chez les parents. Cette

pratique, tres bien accueillie, assure aux musees un

flux constant de visites familiales.

Les efforts du musee l’ont aide a atteindre

pratiquement l’equilibre comptable pour 2006,

premiere annee de fonctionnement de l’institution.

Les recettes provenant des entrees et de la vente

d’objets ont atteint respectivement 11,27 et 4,23

millions de yuans pour l’annee; les recettes tirees

de la location d’installations et des audioguides se

sont chiffrees respectivement a 5,08 millions et

420 000 yuans. Le benefice d’exploitation et les

dons d’organismes et d’entreprises ont constitue

presque les deux tiers des recettes totales de

l’annee.

En combinant excellence des prestations et

efficacite de fonctionnement, en exploitant les

ressources de ses expositions, et en planifiant et

concevant soigneusement ses services et ses

« biens » – consideres comme des « produits »

susceptibles d’etre planifies, concus, fabriques et

geres – le musee a reussi a se constituer un capital

culturel de base. Il entend demeurer ouvert aux

idees novatrices et continuer a tirer profit des

bonnes pratiques d’autres musees. Le musee va

poursuivre l’amelioration de ses services et, en se

constituant en plate-forme de communication et

d’echanges internationaux, s’attachera a puiser de

maniere plus imaginative dans les ressources

internationales afin d’etre en mesure d’apporter des

contributions de grande valeur a la construction et

a la gestion des musees chinois dans l’economie de

marche.

DES MUSEES PLURIELS

158 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.