Preface
1948–2008 : MUSEUM International fete cette annee son soixantieme anniversaire.
Soixante ans de rencontres entre professionnels du patrimoine culturel et des musees
partout dans le monde, soixante ans de dialogue entre memoire, present et avenir. A
une epoque ou tout va vite, ou tout evolue et passe, le musee est un lieu de permanence
qui permet de transmettre de generation en generation les traces du genie humain, tout
en participant a l’elaboration d’une ethique mondiale fondee sur la protection du
patrimoine commun de l’humanite, naturel et culturel, materiel ou vivant. En
encourageant les debats entre disciplines, la revue MUSEUM International a, au cours
des annees, elargi sa palette editoriale mais est restee fidele au principe qui l’a vu naıtre,
c’est-a-dire offrir un espace de partage des savoirs et de la diversite culturelle a travers
les patrimoines du monde entier. Etablir des ponts de connaissances et de
reconnaissance entre les cultures : tel est le vœu que nous formons a l’occasion de ce
soixantieme anniversaire. «Passeur » de mots, de pratiques et de valeurs, MUSEUM
International temoigne que la diversite ne s’inscrit dans la duree que dans l’ouverture a
l’Autre. Cette premiere livraison de 2008, consacree a la Chine d’autrefois et aux
musees d’aujourd’hui, souhaite en etre le symbole. Symbole de la diversite des regards,
entre Occident et Orient, qui renouvelle la perception, la comprehension mais aussi les
methodes de preservation et de conservation du patrimoine. Symbole d’un espace de
parole ou le particulier des communautes chemine de concert avec l’universel. Symbole
aussi de la pluralite des langues que l’UNESCO a voulu promouvoir en lancant en 2006
la premiere version chinoise de la revue avec Yiling Press, partenaire du groupe de
presse et d’edition Phoenix.
Ce numero doit beaucoup aMmeDaniele Elisseeff, docteur en etudes extreme-
orientales, chercheur emerite a l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales,
professeur a l’Ecole du Louvre, auteur de tres nombreux ouvrages et articles relatifs a la
Chine, qui a revise l’ensemble des traductions francaises a la lumiere des originaux en
langue chinoise. L’ equipe de MUSEUM International souhaite s’associer a tous ceux
qui, dans le monde, ont une pensee pour les victimes du seisme qui a ebranle le 12 mai
2008 le sud-ouest de la Chine, et presente ses condoleances aux familles endeuillees.
Monique Couratier
REDACTRICE EN CHEF pi
4 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008
Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Editorial
Ce numero de MUSEUM International consacre a la Chine d’autrefois et aux
musees d’aujourd’hui a ete prepare a partir de contributions recentes de
personnalites eminentes expertes dans les domaines de la conservation
d’objets culturels anciens ou de la construction de musees. A partir d’une
multiplicite de points de vue, ces articles dressent un tableau des differents types de
musees et approches museologiques de la Chine moderne, des progres spectaculaires
accomplis ces dernieres annees, mais aussi des insuffisances auxquelles il conviendra
de remedier. La publication de ce numero est l’occasion d’un echange professionnel
precieux entre experts chinois et occidentaux en museologie, ainsi que d’un dialogue
particulierement fecond entre differentes cultures du monde. Le but n’est pas seulement
de faire mieux comprendre les musees chinois aux museologues occidentaux mais aussi
d’inciter les musees de Chine a faire mieux encore.
La Chine, l’une des grandes civilisations anciennes, est riche d’histoire et de
culture. La collecte et l’etude des objets d’art antiques du pays et le developpement des
premiers musees – qu’a l’epoque on appelait d’ordinaire «cabinets de curiosites» –
remontent a la fin du XVe et au debut du XVIe siecle. Sous les dynasties Song du Nord
et du Sud (976 – 1279), l’etude des inscriptions gravees dans le bronze et la pierre
ainsi que la conservation des objets d’art avaient atteint un haut niveau. Cependant,
les musees publics au vrai sens du terme n’apparurent en Chine qu’a l’initiative de
pionniers de la culture largement influences par la culture occidentale, pendant la
periode premoderne (de la derniere periode Qing jusqu’a 1919 environ). Apres la
guerre sino-britannique de l’opium (1840), la Chine se trouva reduite au statut
de societe semi-coloniale et semi-feodale. Des institutions religieuses venues d’Occident
ainsi que des ecclesiastiques agissant individuellement furent nombreux a fonder les
premiers musees dans les villes du littoral du pays. L’un des plus importants de ces
fondateurs fut le jesuite francais Pierre-Marie Heude, qui fut a l’origine du Museum de
Zi-Ka-Wei (par la suite appele Musee Heude) de Shanghai. La Royal Asiatic Society of
Great Britain and Ireland (RAS) crea, pour sa part, le Musee de la RAS (qui porte
maintenant le nom de Musee d’histoire naturelle de Shanghai). Par la suite, d’autres
ecclesiastiques du Royaume-Uni, de France, des Etats-Unis d’Amerique et du Japon
firent batir des musees a Tianjin, Taipei, Chengdu et Jinan, ou l’essentiel des collections
concernait surtout des specimens de plantes ou d’animaux – et, dans une bien moindre
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 5Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
mesure, des objets culturels. En 1876, l’elite chinoise ouvrit le premier musee
public, sous le parrainage du College imperial Tung Wen de Beijing. Puis, en 1877,
ce fut la creation d’un studio de ferronnerie au sein de l’Ecole polytechnique de
Shanghai, dont l’objectif affiche etait la promotion de la science et de la technologie
occidentales. Telles furent, en Chine, les tout-debuts des musees.
Des politiques nouvelles, puis le mouvement de reforme des Cent jours a la
fin de la periode Qing (au commencement du XXe siecle, avant la chute de la dynastie
Qing) amenerent des fonctionnaires reformateurs a adresser des requetes a la Cour,
demandant que la Chine puisse construire ses propres musees. Plusieurs institutions
virent ainsi le jour. En 1905, Zhang Jian (1853–1926), eminent universitaire, industriel
et pedagogue de la fin de l’epoque Qing, fonda le Musee de Nantong sur le site de l’ancien
jardin botanique public de l’Ecole normale du Jiangsu. Ce fut la le premier musee
veritablement moderne fonde directement par un specialiste chinois, inspire certes de la
culture occidentale mais aussi du desir courageux de mettre en place un systeme museal
dote de caracteristiques chinoises. Ses methodes de gestion et son mode de
fonctionnement integrateur (conjuguant histoire, nature et art) exercerent une influence
profonde sur les autres musees qui allaient ensuite s’ouvrir dans tout le pays.
Les musees ont connu au cours des cent dernieres annees toutes sortes de
vicissitudes. La Republique de Chine vit la creation du Musee d’histoire naturelle de
Beijing. En meme temps, des efforts allaient etre faits pour obtenir que les objets
culturels du Musee du palais puissent etre exposes au public. La transformation de la
Cite interdite en Musee du palais fut un evenement revolutionnaire, que retrace ici en
detail Guo Changhong dans son article « Le palais imperial des Qing : de la Cite
interdite au patrimoine public ». L’archeologie moderne ayant vu le jour en Chine au
cours des annees 1930, des specialistes menerent sur le terrain des travaux qui
produisirent des resultats satisfaisants, successivement dans le village de Xiyin
(province du Shanxi), a Chengziya (province du Shandong) et dans les ruines Yin
d’Anyang (province du Henan). Ces expeditions se traduisirent par la creation de
nouveaux musees consacres a la Chine ancienne. En 1936, le nombre des musees, dans
l’ensemble du pays, atteignait soixante-dix-sept. Les musees provinciaux et municipaux
connurent une expansion considerable a Beijing, Nanjing, Shandong et dans le Henan.
Cependant, au moment meme ou les musees commencaient a prosperer, le regime
militariste japonais lanca contre la Chine des invasions armees, sapant ainsi le
developpement, qui s’annoncait prometteur, des musees chinois. En 1949, lors de la
fondation de la Republique populaire de Chine, le nombre des musees de la Chine
ancienne rescapes n’etait plus que de vingt-quatre.
Editorial
6 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Actuellement, a l’heure ou le pays s’ouvre de plus de plus sur le monde
exterieur et ou les reformes s’intensifient, le nombre et la qualite des musees et lieux de
memoire dans l’ensemble du pays progressent a un rythme sans precedent. En 2007,
la Chine comptait plus de 2 400 musees. Dans diverses municipalites, provinces
et regions autonomes, de nombreux musees neufs ou renoves, dotes d’installations
modernes, ont vu le jour. Cette situation est remarquable a differents points de vue.
Tout d’abord, le nombre et la variete des musees ont considerablement
augmente, rendant ainsi possible l’apparition d’un systeme museal specifiquement
chinois. Depuis l’ouverture et la reforme du pays, les sources de mecenat se sont
diversifiees. En plus des musees d’histoire sociale fondes par les services des affaires
culturelles et les services de gestion des antiquites au niveau des municipalites et des
provinces (ou des regions autonomes) ou au niveau national, les musees d’histoire
sociale fondes tant par des professionnels que par des non-professionnels se sont
developpes a pas de geant. Des musees specialises dans des domaines aussi divers
que l’histoire naturelle, la science et la technologie, l’astronomie, la geologie,
l’aeronautique, l’astronautique, les services postaux, la correspondance, l’industrie
houillere, l’hydrologie, la construction des chemins de fer, les communications, la soie,
le textile, l’impression et la teinture sur etoffes, les tissus, le tabac et le the ont ete
fondes par des autorites professionnelles competentes. Etudiant le role de la
vulgarisation scientifique dans la promotion du developpement durable, Dong
Yuqin donne au lecteur une idee de la situation actuelle des musees d’histoire
naturelle de Chine, ainsi que des perspectives de developpement de ces musees
pour l’avenir.
Deux articles traitent de la convergence des anciennes cultures Ba, Shu et Xhu,
qui ont prospere sous la dynastie Chang dans la region des Trois Gorges : « Le Musee
de Yinxu : de superbes vestiges pour expliquer la culture des Yin-Shang » de Tang
Jigen, et «Les vestiges culturels des Trois Gorges», de Wang Chuanping. Le premier
article concerne le site de fouilles d’Anyang, dans la province du Henan, et le second les
vestiges exhumes sur le site de construction du barrage hydraulique des Trois Gorges.
Ces trente dernieres annees, le nombre de musees ouverts dans des batiments
anciens ou d’anciennes residences de personnages celebres, ainsi que de memoriaux
rappelant le souvenir d’importants evenements historiques, a augmente. Banques,
bourses et services de securite publique ont eux aussi fonde leurs musees specialises.
On notera en particulier que, depuis la creation du premier ecomusee en octobre 1997
a Suoga, dans la zone economique speciale de Liuzhi dans la province du Guizhou,
Editorial
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 7
d’autres ecomusees consacres aux cultures Buyi, Dong et Shui ainsi qu’aux nations
Miao ont ete construits a Huaxi, Liping, Jinping, Sandu et Xijiang, dans le cadre d’une
cooperation entre la Chine et la Norvege. Les provinces du Guangxi et du Yunnan et la
region autonome de la Mongolie-Interieure ont depuis fait construire des ecomusees ou
ecovillages qui illustrent les cultures dong et mongole. L’article intitule «Le concept
d’ecomusee et son application en Chine», du museologue de renom Su Donghai,
presente un expose circonstancie de la maniere dont le concept d’ecomusee a fait
son apparition en Chine et de l’essor que connaissent les ecomusees. Des musees prives
ont egalement vu le jour et se developpent vigoureusement, et leurs activites
de collectionnement prive et de recherche jouent un role irremplacable. Dans
« Le developpement des musees prives en Chine », Song Xiangguang se livre a une
analyse objective de ce phenomene. Bref, les musees chinois sont actuellement en pleine
expansion : les musees nationaux representent l’avancee d’un avion dont le fuselage et
les ailes sont les musees geres par differents secteurs professionnels ou differentes
municipalites, provinces ou regions autonomes, l’accent etant mis a egalite sur le
developpement des musees axes sur les sciences sociales et des musees consacres aux
sciences exactes et naturelles. Cet ensemble de musees, complete encore par ceux des
districts et des villes, constitue ainsi un reseau de musees specifique a la Chine. A notre
avis, il y a la quelque chose d’unique dont il faut se feliciter.
Deuxiemement, on s’efforce de developper l’organisation d’expositions de
grande qualite, de facon a ce que les musees s’acquittent au mieux de leur fonction
sociale et educative du public. Les musees renferment l’histoire de la civilisation
humaine; ils diffusent le savoir, elevent le niveau culturel du pays, developpent le gout
esthetique des visiteurs et ameliorent la sante mentale et physique des populations.
Il appartient aux musees de prendre le pouls de leur epoque, et d’assurer un haut
niveau d’excellence de leurs expositions. A la satisfaction generale, l’administration
d’Etat pour le patrimoine culturel (SACH) a, entre 1997 et 2007, constitue
successivement sept jurys populaires charges d’evaluer un large eventail d’expositions
presentees dans l’ensemble du pays. Les expositions recompensees par un prix
portent sur des themes specifiques ou illustrent la science et la technologie en faisant
appel a des methodes sophistiquees ou novatrices. Elles donnent le ton general de
l’education publique telle que les expositions la promeuvent dans les musees chinois
contemporains.
Shanghai, dont la reputation de metropole internationale n’est plus a faire, reste
a l’avant-garde de l’ouverture et de la reforme en Chine. La contribution de Chen
Xiejun intitulee « Preserver la diversite du patrimoine culturel de Shanghai » cherche a
Editorial
8 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
montrer que le Musee de Shanghai a deploye beaucoup d’efforts pour ameliorer trois
de ses fonctions principales : la preservation, en s’appuyant sur les technologies
nouvelles, la recherche, en tirant parti de l’erudition qui est un des atouts de ce musee,
et l’education, dont le but est le progres global de la societe des temps modernes.
Troisiemement, des representations du patrimoine culturel immateriel ont ete
preservees pour elargir les fonctions des musees et enrichir les collections exposees
ainsi que la recherche scientifique. L’UNESCO et le Conseil international des musees
(ICOM) ne cessent de se preoccuper de la protection du patrimoine culturel
immateriel. Celui-ci incarne les valeurs et les gouts esthetiques tels qu’ils ont evolue au
cours de la longue histoire de la Chine, en permettant a sa culture de survivre et de se
perpetuer, de generation en generation. Recemment, des musees du theatre ont ete
fondes, qui non seulement contribuent a faire comprendre aux populations l’arriere-
plan historique des differentes formes de l’opera chinois traditionnel mais aussi
presentent des spectacles vivants. Dans leur article « Un plan de sauvegarde de
l’Academie de kunqu de la province du Jiangsu », Gu Lingsen et Wang Tingxin etudient
en profondeur ce phenomene, en s’appuyant plus particulierement sur la reussite
exemplaire de la troupe de la province du Jiangsu.
Quatriemement, une attention particuliere a ete accordee a la formation du
personnel des musees, de maniere a renforcer le professionnalisme et a permettre un
progres continu des theories comme de la pratique de la museologie en Chine. Les
autorites responsables de l’education ont inscrit dans leurs plans la formation de
professionnels des musees. Dans les universites ou les conditions sont reunies,
la museologie est devenue une discipline a part entiere. En meme temps, les services
de gestion du patrimoine culturel, conjointement avec les universites et d’autres
institutions d’enseignement superieur, proposent des stages de formation pour
repondre au besoin accru de professionnels qualifies lie au developpement des musees.
Parallelement, des ressources intellectuelles sont mobilisees pour produire des manuels
de museologie ou les actes de colloques organises par la SACH, la Societe chinoise des
musees (CSM), ainsi que les services du patrimoine culturel et les societes de
museologie aux niveaux municipal et provincial, l’objectif etant d’encourager les
echanges entre universitaires notamment. Toutes ces initiatives ont grandement
contribue tant a ameliorer le professionnalisme du personnel des musees que son
interet pour la theorie et la pratique museologiques.
Cinquiemement, les echanges ont favorise une meilleure comprehension
mutuelle entre specialistes chinois et etrangers. La politique de reforme et d’ouverture
Editorial
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 9
adoptee en 1978 a permis aux musees chinois de s’integrer rapidement dans la
communaute museale mondiale. Le premier signe en a ete une augmentation de la
demande d’expositions chinoises a l’etranger. Au cours des trois dernieres decennies, la
Chine a presente plus de 500 expositions, dans plus de vingt pays, et accueilli dans les
musees de ses grandes villes, depuis une dizaine d’annees, de nombreuses expositions
d’art etrangeres – du Royaume-Uni, d’Italie, de Grece, de France, du Japon, du Mexique
ou encore du Bresil. L’article de Wang Limei, « Le Musee d’art mondial de Beijing au
Monument du millenaire », suscitera, sans nul doute, un enorme interet dans le secteur
du patrimoine culturel, et devrait permettre a de nombreux musees d’explorer de
nouveaux possibles.
Cette situation encourageante a ete favorisee par les nouvelles politiques
d’emancipation ideologique, de pragmatisme, d’ouverture et de reforme mises en œuvre
par le Gouvernement afin que la Chine ne se laisse pas distancer par son epoque. Elle
est d’autre part indissociable de la croissance economique a la fois rapide et reguliere
qu’a connue le pays et d’une stricte application de la loi en matiere de biens culturels.
Les « lois sur la protection des vestiges culturels de la Republique populaire de Chine »,
officiellement publiees en 2002 apres avoir ete soigneusement revisees par la
Commission permanente du Congres national du peuple, offrent une solide garantie
pour le developpement des musees. Les mesures portant sur l’administration des
musees, actuellement en voie d’elaboration, joueront certainement un role encore plus
important, en instaurant pour l’avenir, apres approbation du Conseil d’Etat, des modes
de fonctionnement plus scientifiques, plus normalises et plus institutionnalises.
Le Gouvernement chinois a arrete que courant 2008 tous les musees et lieux de
memoire nationaux seraient consideres comme des etablissements culturels a but non
lucratif et, comme tels, ouverts au public gratuitement. Passionnante a lire, l’etude de
Cai Qin sur « L’acces aux musees en Chine » a ete ecrite par ce museologue du Musee
provincial du Zhejiang avant l’arrete en question.
Les musees representent l’ensemble du capital culturel accumule par un pays,
une region ou une nation; ce sont des vecteurs du patrimoine culturel de l’humanite,
et une vitrine du progres social en general. En consequence, la presentation au public
ainsi que la promotion de ce qu’il y a de mieux dans la culture humaine sont, pour les
musees, une mission sacree. Malgre le developpement rapide qu’ont connu les musees
chinois au cours des dernieres decennies, des progres restent encore a faire, que ce soit
en matiere d’acquisitions, d’etude des collections, de service a la societe ou de gestion,
par rapport a leurs homologues occidentaux plus avances. Le vœu de l’ICOM que le
Editorial
10 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
musee ne soit pas seulement un lieu de depot du patrimoine culturel, mais aussi
un espace de creation et de transmission de ce patrimoine, reste a venir. Mais la
publication de ce double numero de MUSEUM International sur la Chine constitue un
jalon dans cette direction.
Zhang Wenbin
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Editorial
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 11
1. Le Stade national en construction appele le « Nid d’oiseau » abritera les Jeux olympipues de Beijing.
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12 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Les musees et la protection dupatrimoine vivantpar Pan Shouyong
Pan Shouyong, professeur d’anthropologie et de museologie a l’Universite centrale pour les
minorites, est titulaire d’un doctorat d’etude des minorites nationales (anthropologie).
Chercheur au Musee des minorites nationales, il est un membre preeminent du Comite
national de planification des ecomusees chinois. Il a ete charge precedemment de la strategie
de conservation pour la protection culturelle des traditions des minorites du district de Ku,
dans la region des Trois Gorges, de la mission de sauvegarde des vestiges culturels des
minorites nationales chinoises, ainsi que de la conservation a grande echelle du patrimoine
culturel. Parmi ses articles les plus recents figurent « Les tresors nationaux du siecle – II »
(redacteur en chef, 2005), « La situation de la recherche dans le developpement des musees
occidentaux » (redacteur en chef, 2005) et « L’ecomusee en tant que miroir » (2007).
La Chine est dotee d’un patrimoine culturel
extremement riche. Les prerogatives de l’Etat
moderne ont suffi a lui permettre d’assumer
l’entiere responsabilite de la conservation de ce
patrimoine. Cependant, son developpement
economique est inegal en ce que certaines regions
sont marquees par une croissance plus forte que
d’autres. Dans les regions occidentales, ou la
culture immaterielle est relativement riche, les
transports sont peu nombreux et le developpement
economique relativement lent. La difficulte a
laquelle sont actuellement confrontees ces regions
est que l’objectif premier, qui etait de creer des
conditions favorables a la protection des ressources
culturelles des minorites nationales, doit a present
etre ajuste en fonction de leur environnement; en
outre, la modernisation fait qu’il est impossible de
ralentir la vitesse du changement ou d’eviter les
violents assauts des cultures exterieures. Les
traditions orales (telles que les langues des
minorites nationales), le patrimoine litteraire
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 13Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
(notamment les classiques et les manuscrits
originaux rediges dans les caracteres propres a telle
ou telle minorite nationale), les metiers manuels
(travaux de construction, confection de vetements
traditionnels, fabrication de bijoux et artisanat), les
coutumes, les rites, les ceremonies, les fetes et
meme le boire et le manger n’ont pas reussi a
resister a l’alteration et sont maintenant menaces
d’une extinction extremement rapide.
Cela fait maintenant plus de cent ans que la
Chine dispose de musees. Les idees et les theories
concernant la museologie et les techniques
museographiques ont toutes progressivement
evolue. Le pays compte aujourd’hui plus de 40 000
specialistes travaillant dans des musees. Ils peuvent
tous contribuer a la protection et a la diffusion
des aspects immateriels, ou vivants, de notre
patrimoine qui, a l’instar de ses elements materiels,
revetent des formes tres diverses; aussi les
methodes et les mesures techniques requises
appellent-elles une reflexion collective en
profondeur.
Proteger le patrimoine culturel immateriel : mettre
la Chine au rythme du monde
Dans la langue chinoise, « patrimoine immateriel »
peut aussi se dire « patrimoine sans forme ». Cette
expression largement chargee de connotations
taoıstes et bouddhiques qui ne sont plus forcement
percues dans le langage courant actuel provient de
la traduction d’une expression japonaise, « bien
culturel sans forme », tandis que celle de
« patrimoine immateriel » est une traduction
directe de l’anglais « intangible heritage ». En raison
de l’utilisation recurrente des termes de
« patrimoine immateriel » dans les publications et
rapports officiels, l’expression « patrimoine sans
forme » a progressivement ete abandonnee.
Nombre d’universitaires chinois estiment que,
quels que soient les phenomenes specifiques
auxquels s’applique chacune de ces etiquettes,
differentes pratiques montrent que la Chine
possede une tradition relativement longue en la
matiere. La consignation des coutumes locales
dans des documents soigneusement conserves
remonte a des temps tres recules. Admettre ce
point, c’est reconnaıtre aussi que la collecte et
l’organisation systematique de documents
decrivant la vie des populations – notre patrimoine
immateriel – doivent avoir commence a l’epoque
du Livre des Odes.1 C’est au moment ou l’historien
Ban Gu ( : un historien de l’epoque des Han,
bien connu, vivant de 32 a 92) se lance dans la
compilation du Hanshu (L’Histoire des Han)2
qu’apparaıt le terme de « coutumes ». Quelque
temps auparavant (53 avant J.-C.–18 apres J.-C.),
le philologue Yang Xiong ( ) acheve son traite
sur les dialectes, le Fangyan (un recueil
d’expressions regionales). Cependant, ce
mouvement d’interet pour les « coutumes » n’a
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2. Celebration de la fete du Printemps : un theatre populaire itinerant
dans le Nord de la Chine.
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
14 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
rien de commun avec la demarche actuelle de
preservation du patrimoine immateriel.
Dans le contexte actuel de la
mondialisation, la conservation de cette forme de
patrimoine est un des grands facteurs
d’elargissement et d’enrichissement de la notion de
patrimoine culturel. La definition des « ‘‘Principes
et directives pour la protection du patrimoine des
populations autochtones’’ (Nations Unies) inclut
dans ce patrimoine, entre autres, le savoir dont la
nature et ⁄ ou l’usage ont ete transmis de generation
en generation, les œuvres litteraires et artistiques
qui pourraient etre creees a l’avenir ainsi que la
musique, la danse, les chants, les ceremonies, les
symboles et les formes, les recits et la poesie; s’y
ajoutent aussi toutes les sortes de connaissances
scientifiques, agronomiques, techniques et
ecologiques, y compris la taxinomie, les remedes
et l’usage rationnel de la flore et de la faune »
(UNESCO, 2000). Cependant, le debat sur ces
notions s’est poursuivi a un rythme soutenu dans le
monde universitaire. En 2003, afin de renforcer les
legislations destinees a proteger cette forme de
patrimoine au niveau mondial, l’UNESCO a adopte
la Convention pour la sauvegarde du patrimoine
culturel immateriel dans laquelle l’expression
originale de « patrimoine oral et immateriel » a ete
simplifiee et remplacee par celle de « patrimoine
culturel immateriel ».
La Chine est un acteur enthousiaste et de
premier plan de la preservation du « patrimoine
culturel immateriel ». Des 2001, le Ministere de la
culture avait organise un colloque international sur
la conservation des cultures populaires
traditionnelles des minorites nationales, et invite
des representants des autorites nationales et
regionales, ainsi que des etudiants de plus de trente
pays dont l’Allemagne, l’Egypte, le Japon et le
Bresil, a y participer et a debattre de la protection
des cultures populaires. Il y presenta parallelement
un ensemble de projets de « Lois pour la protection
des cultures populaires des minorites nationales
chinoises ». La meme annee, « l’opera kunqu
chinois »3 fut proclame par l’UNESCO « chef-
d’œuvre du patrimoine oral et immateriel de
l’humanite », ce qui a fait grandement progresser
les recherches sur le patrimoine immateriel
national chinois ainsi que les etudes et les projets
tendant a sa conservation. Tres rapidement, a la
suite des projets proposes tant par les bureaux
locaux que par le Gouvernement central, un
Centre de la protection du patrimoine immateriel
national, charge de passer au crible les elements
representatifs du patrimoine immateriel, a vu le
jour. Dans le meme temps, un organisme de
culture populaire, l’Association des artistes
populaires chinois, lancait un plan de sauvetage de
la culture populaire chinoise. Simultanement, des
universites, dont celles de Beijing, Nanjing,
Guangzhou, Kunming, etc., incorporaient a leurs
programmes des cours sur le « patrimoine culturel
populaire » ou le « patrimoine immateriel ». En
outre, l’Universite du Yunnan creait un Musee
d’anthropologie et suggerait la constitution d’un
« Ecovillage des minorites nationales du Yunnan ».
Ce sont, on le voit, les institutions culturelles et
educatives bien plus que les musees qui ont,
presque toujours, l’initiative des projets.
Lors de la septieme Assemblee regionale
de l’Organisation Asie-Pacifique du Conseil
international des musees (ICOM-ASPAC),
organisee a Shanghai en octobre 2002 sur le
theme « Musees, patrimoine immateriel et
Les musees et la protection du patrimoine vivantPan Shouyong
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 15
mondialisation », fut signee la Charte de
Shanghai.4 Ce texte montrait clairement que la
notion de patrimoine, qui n’englobait jusqu’alors
que des elements materiels, s’etendait desormais
au patrimoine immateriel; il affirmait en outre
clairement le role que les musees etaient appeles
a jouer, en developpant la protection de tout
patrimoine anthropologique immateriel et en
agissant en partenariat pour le promouvoir. Selon
la Charte de Shanghai, le patrimoine culturel
immateriel est une affirmation de la creativite, de
l’adaptabilite et de la specificite des peuples,
communautes et territoires ainsi que des valeurs,
traditions et modes de vie, langues et histoire
orale qui leur sont propres et, comme tels,
doivent etre reconnus et promus dans toutes les
pratiques museales ou patrimoniales. L’Assemblee
de Shanghai a permis aux musees de la region
Asie-Pacifique de bien assimiler cette notion. En
octobre 2004, lorsque la vingtieme Conference
generale du Conseil international des musees se
tint a Seoul, le principal sujet des debats fut
« Musees et patrimoine immateriel ». Il est
clairement apparu que les opinions developpees
dans le monde museal de la region Asie-Pacifique
et celles du monde museal international dans son
ensemble etaient en accord, meme si la situation
actuelle de la Chine reste un defi pour la
communaute internationale.
La Chine a ratifie la Convention pour
la protection du patrimoine mondial, culturel et
naturel en decembre 1985. Au debut de 1987, six
sites d’une beaute exceptionnelle ont ete inscrits
sur la Liste du patrimoine mondial. La Chine est
desormais un pays relativement riche en biens ainsi
repertories, avec vingt-cinq sites du patrimoine
culturel, six sites du patrimoine naturel, quatre
sites mixtes (patrimoines culturel et naturel), ce
qui porte le total a trente-cinq biens repertories. En
outre, soixante-sept biens figurent sur la liste
indicative, dans l’attente des verifications
necessaires pour qu’ils puissent etre portes sur la
Liste du patrimoine mondial. Par ailleurs, a ce jour,
les experts chinois ont repertorie quatre elements
representatifs du patrimoine anthropologique, oral
ou immateriel. Outre l’opera kunqu, on citera
des instruments de musique anciens comme le
guqin (cithare longue), le mukmu des populations
ouıgour du Xingiang, ainsi que les melopees
populaires traditionnelles de Mongolie-Interieure.
Peut-on mettre en chiffres le patrimoine
immateriel de la Chine ?
La Chine est un pays dote d’une histoire
multiethnique tres ancienne. Les Han mis a part,
elle compte cinquante-cinq minorites nationales,
dont chacune comporte une multitude de sous-
groupes. Les langues et les coutumes des Miao, par
exemple, peuvent etre subdivisees en plus de 100
varietes. Les Han eux-memes pratiquent plus de
sept langues regionales differentes. Chaque
minorite a un environnement geographique, un
mode de vie et des traditions historiques differents.
Le patrimoine immateriel etant si varie, ses aspects
culturels relevent a l’heure actuelle de cinq
administrations distinctes. Une expression
chinoise resume bien la situation : « Apres cinq
kilometres, le paysage est different; apres dix
kilometres, les coutumes ont change.»
Quelle part du patrimoine immateriel
chinois a besoin d’etre sauvegardee et protegee ?
Il est difficile de repondre a cette question. Pour
faire l’etat des lieux, les administrations ont
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
16 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
publie en mars 2005 un reglement intitule « Pour
renforcer la protection du patrimoine immateriel
chinois ». Ces prescriptions analysent differents
aspects des travaux de conservation du
patrimoine menes sur le terrain et precisent les
objectifs, principes ou mesures a adopter. Le
Ministere de la culture a publie des
nomenclatures de biens a classer comme faisant
partie du patrimoine immateriel de la Chine, en
specifiant qu’ils devaient etre consignes avec
precision dans les listes etablies au niveau de la
nation, de la province, de la municipalite et du
district. En 2006, le tout premier inventaire
national des biens du patrimoine culturel
immateriel a ete publie, recensant 518 biens. Ces
518 entrees etaient elles-memes subdivisees en
dix categories. Trente et un biens etaient places
dans la categorie « culture populaire », soixante-
douze dans la categorie « musique populaire »,
quarante et un dans la categorie « danse »,
quatre-vingt-douze dans la categorie « theatre
traditionnel », quarante-six dans la categorie
« poesie », dix-sept dans la categorie « acrobatie
et athletisme », cinquante et un dans la categorie
« beaux-arts », quatre-vingt-neuf dans la
categorie « artisanats traditionnels », neuf dans la
categorie « medecine traditionnelle » et soixante-
dix dans la categorie « coutumes locales » (fetes
et celebrations). Les minorites nationales etaient a
l’origine de 146 de ces entrees. On espere qu’a la
fin de 2008 un tableau relativement fidele de la
situation du patrimoine immateriel de la Chine
aura ete brosse et que l’inventaire sera acheve.
Une fois realises les inventaires des biens
du patrimoine national immateriel, le Musee
national de Chine a organise a Beijing une grande
« Exposition du patrimoine culturel immateriel
national » en vue de sensibiliser et d’eduquer le
public. Cette exposition a declenche a l’epoque un
violent debat : aux termes du reglement, les
differentes unites devaient rendre compte du
patrimoine immateriel aux autorites provinciales.
Or les comptes rendus correspondants ont revele
un manque de coherence entre les provinces,
certaines affirmant que leur patrimoine etait
« confisque » par d’autres.
Dans les inventaires les plus recents du
patrimoine immateriel national, nombre de biens
ont ete regroupes; c’est le cas pour des fleurons
de la musique populaire, comme ceux de
Lianhuashan, Erlangshan, Laodieshan, les chants
des minorites Tu de Danma, Qilisi, Qutansi ou
encore ceux des minorites Hui (musulmanes) du
Ningxia. Si les candidatures correspondantes
avaient ete prises en compte separement, le
premier registre du patrimoine culturel immateriel
national comprendrait 640 œuvres au lieu de 518.
Une analyse du contenu de chaque entree
montre que, si l’on tient compte des connotations,
des formes et des schemas de repartition, c’est 9 000
elements que l’on peut denombrer. Certains d’entre
eux s’etendent sur une region relativement vaste.
C’est le cas de l’epopee de Gesar, qui est repandue
dans les sept regions ou provinces – Tibet, Qinghai,
Gansu, Sichuan, Yunnan, Mongolie-Interieure
et Xinjiang – soit un dixieme de l’ensemble du
territoire chinois ! En outre, des fetes comme la fete
du Printemps, les fetes correspondant aux vingt-
quatre termes solaires, la fete de fin d’annee, et
d’autres encore, sont celebrees a travers toute la
Chine et exercent une influence dans toute l’Asie
Orientale. Elles presentent des caracteristiques
particulieres qui n’ont pas de limites geographiques
Les musees et la protection du patrimoine vivantPan Shouyong
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 17
determinees. C’est dire combien il serait difficile de
mettre en place des mesures de conservation
efficaces pour ces fetes.
La perte de notre patrimoine immateriel
En 1984, lorsque la Chine s’engagea resolument
dans la reforme et l’ouverture, l’un des elements de
la nouvelle politique consistait a faire de certaines
villes cotieres comme Shenzhen des « zones
economiques speciales » faisant fonction de
« portes du pays »; en outre, l’ensemble de la
Chine devait commencer a « faire un pas vers le
monde ». (A l’epoque, un editeur avait ete eleve au
rang de « heros culturel » pour avoir publie une
serie d’ouvrages intitulee Aller en direction du
monde). Un certain nombre d’idees commencerent
a circuler et diverses approches culturelles
nouvelles a etre appliquees dans differentes regions
du pays. Avec l’avenement du tourisme et des
loisirs, la municipalite de Shenzhen construisit
deux grands parcs publics, qui constituerent a la
fois des fenetres sur le monde et des villages
culturels avec presentation de coutumes populaires
chinoises. De meme, des « villages de minorites
nationales » virent le jour ensuite dans toute la
Chine, les premiers a avoir ete crees etant le village
des minorites nationales du Yunnan a Kunming,
le parc des minorites nationales chinoises de
Beijing, le village des Huaqiao (les Chinois de
l’etranger) de Xinglong, sur l’ıle de Hainan, la cite
du soleil et de la lune de Chengdu et le Palais
d’ete de Shenyang.
Certains des plus importants de ces villages
remporterent un enorme succes economique, et il
ne fallut pas longtemps pour que l’« exploitation
commerciale » de la culture populaire des minorites
nationales s’impose. Toutes sortes de manifestations
– « marches d’antiquites », « foires aux curiosites »,
etc. – virent le jour dans chaque district, et de
petits negociants commencerent a arpenter les rues
et les ruelles a la recherche d’objets a acheter, au
point que l’on vit apparaıtre des expressions
surprenantes, telles que « Qui veut s’enrichir pille
une tombe.» Dans les annees 1990, la tendance s’est
ralentie. Le personnel des musees avait du mal a y
croire : en a peine plus de dix ans, notre patrimoine
immateriel avait subi de lourdes pertes; ainsi des
vetements et bijoux de la minorite Miao devinrent-
ils des marchandises vendues au plus offrant.
Traditionnellement, les musees etaient
des centres d’etude du patrimoine materiel, et
attachaient peu d’importance au patrimoine
immateriel. Certains commerces exploiterent des
personnes credules a des fins malhonnetes, ne
cherchant qu’a amasser des profits, au mepris des
lois sur le patrimoine culturel et sur les territoires
autochtones, ou des principes relatifs a
l’exportation de biens culturels hors de leur region
d’origine. Ainsi, dans certains villages de minorites
nationales qui avaient ete designes comme lieux de
protection et de diffusion du patrimoine culturel
immateriel, et dans des villages traditionnels
censes repondre aux besoins du grand public, des
« fetes et ceremonies vivantes » ont ete organisees;
dans le cadre d’un festival de quatre a neuf mois, la
« fete de l’Eau » ou la « ceremonie Chengding »
etaient programmees quatre fois par jour, sous
l’etiquette de « theatre Xi » (la « fete de l’Eau »
etant rebaptisee « battre son mari avec de l’eau »).
C’etait la une forme de vol culturel. Ces
manifestations, outre qu’elles donnaient une image
fausse de la culture au grand public, offensaient
gravement ses praticiens.
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
18 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Comment les musees peuvent-ils proteger
le patrimoine immateriel ?
A l’heure actuelle, la Chine peut s’enorgueillir de
compter plus de 2 300 musees de differents types.
De ces etablissements, 70 % sont des musees de
petite ou moyenne dimension situes dans des villes
de meme taille. Bon nombre de ces musees
disposent de personnel travaillant a la fois pour les
bureaux de l’administration culturelle, de la
protection du patrimoine ou pour ceux charges
des activites relatives au patrimoine immateriel.
Le 18 mai 2005, lors de la premiere Journee
internationale des musees (qui avait pour theme
« Musees et patrimoine immateriel »), le directeur
adjoint du Musee du Palais imperial de Beijing, Li
Wenru, dans une interview donnee a Technology
Daily, expliquait que la notion de patrimoine
immateriel s’etait bien enracinee en Chine et qu’elle
rencontrait un large succes et un accueil
enthousiaste dans les musees chinois. Mais pour
quelle raison proteger notre patrimoine immateriel ?
A n’en pas douter, parce que nous avons garde des
traces des evolutions anthropologiques de notre
riche passe. Les musees devraient etre des organes de
protection, de preservation, d’etude et de
presentation de notre patrimoine culturel qu’ils ont
de surcroıt le devoir de proteger.
La question des moyens necessaires pour
faire vivre le patrimoine immateriel chinois dans les
musees doit faire l’objet d’un debat approfondi,
qui aborde des aspects divers tels que ceux-ci :
la participation des musees petits et moyens aux
enquetes dans les regions autochtones et
l’incorporation d’images et de textes dans tous les
repertoires de ce patrimoine en vue de la
constitution de dossiers complets; la coordination
par les musees des fetes regionales (fete du
Printemps, etc.), des expositions et des
presentations dans les musees (y compris des
expositions itinerantes) etant mises a profit pour
diffuser le patrimoine immateriel. Parmi les sujets a
aborder, citons : le recours a la methode du
« musee virtuel » pour realiser des enregistrements
numeriques de toutes les formes du patrimoine
immateriel des regions, de maniere a les rendre
accessibles au grand public; l’ouverture par certains
musees des minorites nationales de jardins
publics et d’espaces en plein air a l’intention des
interpretes des arts populaires traditionnels qui
pourraient ainsi faire partie des programmes
vivants du musee; la mise en place de vingt-deux
ecomusees pour la preservation complete de notre
patrimoine materiel et immateriel.
La Chine a commence a travailler sur le
concept d’ecomusee a partir de 1985; dix ans plus
tard, en 1995, le premier etablissement de ce type
commencait a se mettre en place au Guizhou.
Aujourd’hui, la Chine dispose de vingt-deux
ecomusees apprecies par la majorite du public qui
estime que ceux-ci contribuent a la protection de la
culture des minorites nationales. Les principes qui
sont a la base de ces musees stipulent que les
villageois sont maıtres de leur culture, qu’ils ont le
droit d’interpreter, et insistent sur le fait que le
sens et la richesse inherents a chacune de ces
cultures doivent etre compatibles avec les valeurs
de l’humanite. En outre, la participation de la
population est indispensable, car les ecomusees
doivent etre geres conformement au modele
democratique, et s’il y a conflit entre les interets du
tourisme et ceux de la conservation, ce sont ceux
de la conservation qui doivent l’emporter; les
Les musees et la protection du patrimoine vivantPan Shouyong
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 19
objets culturels ne doivent pas etre proposes a la
vente, a la difference des souvenirs lies aux arts
traditionnels dont la commercialisation doit etre
encouragee; les profits economiques a court terme
doivent etre evites s’ils nuisent aux benefices a long
terme. Enfin, le patrimoine culturel doit etre
protege dans sa totalite, au titre d’un programme
qui repose principalement sur les techniques et
supports traditionnellement utilises pour produire
les œuvres du patrimoine materiel; le grand public
est tenu de respecter cette approche et de se
conformer a des codes de conduite determines;
aucun modele uniforme ne doit etre impose aux
ecomusees pour la simple raison que les cultures
et les societes different materiellement sous
d’innombrables aspects; enfin, les ecomusees
doivent encourager le developpement
socioeconomique et ameliorer la vie des
populations.
Ces valeurs centrales et essentielles
constituent le meilleur moyen de proteger les
cultures des territoires autochtones et d’assurer le
respect de la condition des villageois. Ces idees
fondamentales ont joue un role majeur dans
l’elargissement de la notion de patrimoine
mondial par l’incorporation du patrimoine
immateriel.
BIBLIOGRAPHIE
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et perspective », Rapport mondial sur la culture : diversite culturelle,
conflit et pluralisme. Paris: Editions UNESCO, p. 166.
NOTES
1. Le Shi Jing ou Livre des Odes est l’un des cinq classiques chinois de
la periode de la dynastie Zhou. Compile par Confucius, il constitue l’un
des plus anciens recueils de poesie.
2. L’Histoire des Han est l’histoire en 120 volumes de la derniere dynastie
Han.
3. L’opera kunqu est la tradition theatrale la plus ancienne. Il se compose
de vingt-quatre scenes au minimum, jouees par douze acteurs utilisant la
gestuelle, le mime, l’acrobatie ainsi que des combats simules. La
representation est ponctuee de chants et de danses et accompagnee
d’instruments a vent et a corde.
4. Voir http://icom.museum/shanghai_charter.html.
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
20 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
La vulgarisation scientifique auservice du developpement durablepar Dong Yuqin
Dong Yuqin reflechit depuis de nombreuses annees a la part que les musees prennent a
l’education sociale par les expositions mais aussi par leur gestion. Apres avoir travaille au
Musee d’histoire naturelle et au Musee des beaux-arts de Tianjin, elle occupe actuellement le
poste de conservateur en chef du Musee d’histoire naturelle de cette ville.
Dans son programme decennal de developpement,
le Conseil international de musees (ICOM) s’est
assigne pour principal objectif de « soutenir les
musees, en tant qu’instruments de developpement
social et culturel ». Face a la crise ecologique
planetaire dont l’aggravation fait peser de graves
menaces sur la biodiversite, il est indispensable
que les musees d’histoire naturelle du monde
entier aient une vision plus claire, dans la theorie
et dans la pratique, de la mission historique qui est
la leur. Face aux transformations liees a
l’industrialisation et a l’urbanisation, les musees
d’histoire naturelle doivent s’interesser davantage a
la protection de la biodiversite et a l’ecologie
urbaine, dont depend l’avenir de l’humanite,
promouvoir l’harmonie entre l’homme et la nature,
et contribuer a assurer un developpement durable,
septieme des huit Objectifs du Millenaire pour le
Developpement adoptes par les Nations Unies.
Les musees d’histoire naturelle face a la crise
planetaire
Tous les ans, a la date du 31 octobre, une serie de
pierres tombales est installee dans le parc
zoologique de New York pour commemorer les
dernieres disparitions constatees d’especes
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 21Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
animales. Depuis l’aube de la revolution
industrielle, et singulierement depuis deux siecles,
on assiste a la diminution a un rythme
extraordinairement rapide du nombre et de la
diversite de la flore et de la faune, du fait de
l’explosion demographique et de la croissance
economique acceleree. Entre 1600 et 1800,
vingt-cinq especes animales differentes, oiseaux
compris, ont disparu. Entre 1800 et 1950, c’est
soixante-dix-huit especes qui ont ete perdues,
et aujourd’hui, on estime a plus de 60 000 les
formes de la vie qui disparaissent chaque annee.
Sous l’effet des interventions humaines en tous
genres, plantes et animaux disparaissent mille fois
plus vite qu’ils ne le feraient dans des circonstances
normales et a un rythme un million de fois plus
rapide que celui de leur apparition sur terre. Lors
d’une enquete independante realisee en 1998 a
l’initiative du Musee d’histoire naturelle des
Etats-Unis, 70 % des 400 biologistes interroges ont
estime que la flore et la faune terrestre sont
globalement menacees d’extinction. Et Lester
Brown, directeur du Earth Policy Institute, situe a
Washington, affirme dans un de ses travaux de
recherche que la quasi-totalite des systemes vivants
se degrade.
Aujourd’hui, les villes et les zones habitees
de l’espace rural sont confrontees a une
transformation environnementale et a une crise
ecologique sans precedent. Et si la Chine a connu
une formidable croissance economique et
enregistre des progres spectaculaires dans le
domaine des sciences et de la technologie, les
specialistes estiment qu’il lui faudra au moins
cinquante ans pour rattraper le niveau des pays
les plus avances du point de vue de l’ecologie.
Dans ce contexte de la mondialisation et
des menaces qui pesent sur l’environnement, la
communaute museale internationale, a partir des
annees 1990, s’est progressivement detournee des
speculations purement abstraites pour s’interesser
a des questions plus pratiques. Le debat engage
recemment sous l’egide de l’ICOM a permis de
redefinir le role du « musee » : si, par le passe,
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3. Jeunes visiteurs au Musee municipal de Tianjin.
4. Le Musee d’histoire naturelle de Tianjin organise des sessions
d’information a l’intention du public.
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PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
22 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
l’institution se concentrait surtout sur la
constitution et la preservation de ses collections,
elle privilegie aujourd’hui le travail d’exposition,
de promotion et d’education. L’ICOM a egalement
souligne ce qui doit etre le principe directeur
central de l’action des musees dans le monde
contemporain – montrer et faire connaıtre le
patrimoine mondial, present et futur, qu’il soit
materiel ou immateriel, culturel ou naturel.
Les responsables des musees sont de plus en
plus nombreux a reconnaıtre que la mondialisation
impose a ces institutions d’assumer un role pilote
dans la preservation de la diversite, biologique aussi
bien que culturelle, et dans la promotion d’un
developpement social et culturel viable. Certains
chercheurs rappellent non sans raison que, quelle
que soit la definition que l’on donne du musee,
celui-ci a un devoir sacre a l’egard de la societe :
promouvoir l’education, etudier l’histoire des
societes humaines, tirer parti de la culture et de
la science pour eclairer l’esprit des gens de maniere
a les aider a mieux vivre et comprendre l’univers,
et proteger l’environnement naturel.
La biodiversite et les musees d’histoire naturelle
La biodiversite n’est pas un concept simple. C’est
une source de richesses dont depend la qualite de
la vie et du developpement de notre espece. Elle est
le fondement de l’existence humaine et du
developpement durable. D’apres le directeur du
Museum national d’histoire naturelle, a Paris, 70 %
des medicaments vendus dans le monde sont
fabriques a partir de plantes ou sur la base des
mecanismes phytobiologiques. Des modes de
production et de consommation qui ne sont pas
viables ont reduit la biodiversite de notre planete
a un niveau minimal, provoquant la crise mondiale
de l’environnement que nous vivons actuellement.
En Chine, par exemple, les degats ecologiques
causes a la biodiversite ont pris des dimensions
catastrophiques.
Les musees d’histoire naturelle doivent
vivre avec leur temps en participant activement a la
protection de la biodiversite nationale et locale
tout comme ils contribuent a la preservation du
patrimoine historique et culturel. Il faut privilegier
les programmes relatifs a la protection de la
biodiversite dans un contexte d’industrialisation
et d’urbanisation croissantes. Les musees doivent
s’employer a faire le meilleur usage de leurs
ressources propres et d’autres fonds publics pour
elaborer des programmes de preservation de la
biodiversite (en insistant notamment sur la
promotion de l’ecologie en milieu urbain). Etre un
element moteur de la protection de la biodiversite
au niveau local n’est pas une tache facile, tant s’en
faut, mais les musees d’histoire naturelle se doivent
d’etre a la hauteur.
La protection de la biodiversite recoit une
attention toute particuliere de la communaute
museale chinoise. Les plans des nouvelles salles
d’exposition des musees provinciaux du Zhejiang,
de Tianjin et de Dalian privilegient le theme de la
protection de la biodiversite en l’associant a des
aspects marquants comme l’histoire naturelle, les
ressources biologiques, les milieux ecologiques et
la production artistique locale. A Tianjin, par
exemple, l’exposition thematique « La terre et la
vie » s’est appuyee sur tout un ensemble de
donnees biologiques et ecologiques pour montrer
l’importance vitale qui s’attache a la preservation
de l’harmonie entre l’homme et son milieu naturel.
La vulgarisation scientifique au service du developpement durableDong Yuqin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 23
Les musees d’histoire naturelle doivent
aussi entretenir de bonnes relations de travail avec
les autres etablissements publics et administrations
locales. Une tache particulierement urgente
consiste a developper les enquetes destinees a
alimenter les bases de donnees sur la biodiversite.
Il faut ameliorer les procedures de collecte, de
conservation et de gestion ainsi que de classement
des specimens, pour bien mettre en evidence la
correlation qui existe entre la biodiversite et le
progres social en general. Partout ou cela est
possible, les representants de differentes
disciplines devraient cooperer a l’elaboration de
programmes de taxinomie de la biodiversite.
Compte tenu, dans chaque cas, des besoins, de la
complexite de la situation et des possibilites
pratiques, ils devraient s’employer a etablir des
systemes de donnees a l’intention des musees
locaux et nationaux d’histoire naturelle, rediger
des textes d’information, elaborer (sous les
auspices des musees d’histoire naturelle) des
plans d’action aux orientations diverses en vue de
mieux proteger la biodiversite dans des zones cles,
ou a l’appui de tels ou tels programmes ou encore
en privilegiant certaines formes du vivant, et
proposer des services de consultants et des
programmes d’echanges concernant la protection
de la biodiversite et l’action ecologique en milieu
urbain.
Les adultes ne sont pas les seuls gardiens
de la biodiversite : les jeunes generations sont
egalement concernees. C’est pourquoi les musees
d’histoire naturelle doivent pleinement assumer
leur role pedagogique et mettre l’accent dans leurs
expositions sur les themes de la biodiversite et
du developpement durable. On peut citer a cet
egard plusieurs initiatives remarquables. Ainsi,
le Musee municipal d’histoire naturelle de Tianjin
a accueilli l’exposition nationale itinerante
« L’appel de la Terre », qui a reuni tous les
suffrages en reussissant a sensibiliser le public au
probleme de l’environnement et de la biodiversite
grace a un ensemble de plus de 200 images
memorables et peu connues. Au cours de la seule
annee ecoulee, de nombreuses expositions ont ete
organisees dans tout le pays sur le theme de la
biodiversite. Beijing a ainsi accueilli « La
biodiversite agricole en Chine » dans le cadre de
l’exposition « L’homme et la nature : securite
alimentaire, biodiversite et cultures
traditionnelles ». Le Musee d’histoire naturelle de
Beijing et le Jardin botanique sino-britannique ont
conjointement lance une exposition sur le theme
« Proteger la biodiversite ». Taiwan a fait connaıtre
les resultats des travaux menes par l’ıle dans ce
domaine, avec des expositions comme « La
protection de la biodiversite a Taiwan », « Code de
vie : sauver la biodiversite » ou encore « Creer un
partenariat des especes vivantes en faveur de la
diversite : exposition speciale des bio-hackers sur
la conservation de la nature ». De son cote, la
province du Hainan vient de se doter d’un musee
local de la biodiversite et celle du Guangdong
consacrera prochainement 58 050 000 yuans a la
construction d’un centre de la biodiversite. Quant
au hall d’exposition du Musee provincial du
Shandong consacre a l’histoire naturelle, dont
l’edification a coute au total 1,1 milliard de yuans,
il sera centre lui aussi sur les themes de
l’environnement et de la protection de la
biodiversite.
A ce jour, bon nombre de musees d’histoire
naturelle a travers le monde se sont dotes
d’instituts de recherche sur la biodiversite. Le
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
24 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Musee d’histoire naturelle de Londres, par
exemple, finance des equipes de recherche sur la
biodiversite qui travaillent dans le monde entier.
Le Musee provincial d’histoire naturelle du
Zhejiang a cree en 2004 son propre centre de
recherche en vue d’integrer et de coordonner
l’ensemble des ressources disponibles sur
place, l’objectif etant d’ameliorer le niveau
general de la recherche, de l’education et de
l’information relatives a la biodiversite dans la
province. S’ils veulent promouvoir la protection
de l’environnement, la biodiversite et l’utilisation
rationnelle des ressources naturelles, les
musees d’histoire naturelle doivent s’efforcer
d’aider les administrations ainsi que les
organisations non gouvernementales, s’associer a la
formulation de textes de lois et reglements et a
l’elaboration de mesures de protection, et cooperer
avec les autorites competentes en offrant des
services consultatifs et en organisant des echanges.
Afin de promouvoir le developpement et
d’aider les decideurs a mieux comprendre les
enjeux ecologiques et economiques de la
biodiversite, ils devraient egalement lancer, en
liaison avec d’autres institutions de recherche,
des exercices d’evaluation et des programmes
pilotes de recherche sur la biodiversite. Ils
devraient en outre insister aupres des
administrations pour qu’elles mettent en place
des mecanismes plus efficaces de protection
des ressources naturelles, dotes de moyens
financiers adequats. Compte tenu du
developpement du monde rural, il est important
de rechercher un meilleur equilibre – sans
perdre de vue ni les aspects economiques ni
les facteurs sociaux – entre le bien-etre durable
des agriculteurs et la qualite du milieu naturel,
en tenant compte au meme titre des interets
de la paysannerie locale et de la sante generale
des ecosystemes.
Les musees d’histoire naturelle et le
developpement durable
L’histoire naturelle et l’histoire de l’humanite
offrent de nombreux exemples de deterioration et
d’extinction rapide – de societes humaines comme
d’especes animales – causees par des pressions
excessives exercees sur l’environnement. C’est ce
qui a incite le prestigieux Club de Rome a publier
dans les annees 1980 son rapport sur les limites
de la croissance intitule Halte a la croissance ?
E. F. Schumacher, auteur du celebre Small Is
Beautiful, souligne de son cote que, si la croissance
economique ne semble pas avoir de limites d’un
point de vue purement economique, physique ou
technologique, il n’en va pas de meme sur le
plan ecologique, puisque les ressources de
l’environnement terrestre sont forcement limitees.
Paul Hawken, celebre economiste et theoricien
americain de l’environnement a qui l’on doit
L’ecologie de marche, ou l’economie quand tout le
monde gagne, estime pour sa part qu’au rythme ou
va la mondialisation, l’economie mondiale
atteindra les limites inherentes a l’environnement
naturel, et qu’alors la poursuite de la croissance ne
pourra que detruire le systeme naturel planetaire,
mettant en jeu la survie meme de l’humanite.
Les humains vont donc devoir revoir ou repenser a
la baisse leurs reves pour l’avenir, afin de les
adapter a la strategie du developpement durable.
Il va nous falloir dire adieu au modele de
civilisation industrielle ou urbaine pour nous
tourner vers une civilisation ecologique, passer de
la croissance illimitee a une croissance maıtrisee,
et du developpement incontrole au developpement
La vulgarisation scientifique au service du developpement durableDong Yuqin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 25
durable. A l’heure ou notre planete subit des
transformations aussi radicales que complexes, les
musees d’histoire naturelle sont tenus de s’adapter,
et de faire de la progression harmonieuse et
durable de la qualite de la vie ecologique, sociale
et culturelle un de leurs objectifs prioritaires.
Le developpement durable des musees
d’histoire naturelle exige non seulement le courage
de regarder le passe en face, mais aussi une vision
pour envisager l’avenir. Passerelle entre le passe et
l’avenir, le musee n’a nullement vocation a se
couper de la realite pour s’enfermer dans une tour
d’ivoire. Il est au contraire un instrument ideal
pour proteger le patrimoine naturel et culturel,
diffuser les resultats de la reflexion humaniste
et de la recherche scientifique, promouvoir la
durabilite environnementale et realiser une union
pacifique et harmonieuse entre l’homme et la
nature. Le musee est a la fois un fidele temoin du
passe, un eveilleur des consciences et un vecteur de
la diffusion des connaissances qui facilite les
echanges transculturels et le dialogue entre les
civilisations, en offrant a des millions de personnes
un acces permanent a des collections qui sont aussi
un instrument d’education sociale. En d’autres
termes, le musee n’a pas seulement la charge de
conserver des specimens des especes eteintes; il est
tout autant le gardien ou le defenseur de la diversite
biologique et culturelle des creatures vivantes. C’est
dans cet esprit que le Musee provincial de Tianjin
a d’ailleurs accueilli ces dernieres annees une
serie d’expositions thematiques telles que : « Le
Liaoning occidental, royaume de fossiles »,
« Tianjin la verte, refuge des oiseaux », « Les
animaux des steppes de la Mongolie-Interieure »,
« La faune oceanique » et « Reproduction et sante »,
qui toutes ont recu un excellent accueil.
L’avenir des musees d’histoire naturelle est
a chercher du cote tant de l’histoire naturelle que
de l’histoire de la civilisation. Pour etre
harmonieuse et viable, une societe doit accorder la
meme importance aux sciences sociales et
humaines qu’aux sciences exactes et naturelles. Il
est de tradition de privilegier les richesses
culturelles par rapport aux merveilles de la nature,
de sorte que les musees d’histoire naturelle font
souvent figure de parents pauvres du point de vue
de la richesse et de la diffusion des collections ainsi
que des expositions. Les musees d’histoire
culturelle s’interessent tres rarement, pour ne pas
dire jamais, aux temoignages materiels tires de
notre environnement naturel, et c’est certainement
dommage. De leur cote, les responsables des
musees d’histoire naturelle n’ont guere cherche a
etudier ou montrer les liens entre l’evolution du
milieu naturel et celle de la civilisation humaine, ce
qui peut s’expliquer par l’influence de notions
traditionnelles et l’insuffisance structurelle de
leur savoir professionnel. Depuis les annees
1990, les musees d’histoire naturelle ont
incorpore l’education environnementale a leur
programmation; en revanche, les musees d’histoire
culturelle continuent le plus souvent a ignorer
l’ingenierie ecologique.
Les musees de type traditionnel se
preoccupaient avant tout de la presentation de
specimens inanimes et des aspects techniques de la
collecte et de la conservation de leurs collections.
Pour s’acquitter de leur nouvelle mission
historique, les musees d’histoire naturelle devront
mieux communiquer et collaborer avec les musees
d’histoire culturelle. Cela suppose de faire une
place aux concepts de biodiversite et de diversite
culturelle dans leur activite professionnelle, de
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
26 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
remplacer le cloisonnement traditionnel de la
recherche et de la vulgarisation par une
cooperation pluridisciplinaire, d’explorer la
relation existant entre les changements qui
s’operent dans le milieu naturel et l’evolution de la
civilisation humaine, et de chercher de nouvelles
pistes pour promouvoir l’harmonie sociale, la
biodiversite et le renouveau ecologique des villes.
Cela elargit la portee de l’activite du musee en
termes de developpement durable et de
responsabilite sociale, et cela ouvre aussi de
nouvelles perspectives en ce qui concerne les
services offerts par le musee au grand public et la
transmission des valeurs. Ces dernieres annees, un
certain nombre de musees d’histoire naturelle de
Chine ont fait d’enormes progres a cet egard. Ainsi,
les expositions « L’ecologie dans la peinture a
l’huile » et « Images du paradis sur terre : peinture
et calligraphie a Hangzhou » organisees par le
Musee provincial du Zhejiang ont sensibilise le
grand public aux valeurs associees a l’ecologie,
en general, et a la candidature du Grand canal
Beijing–Hangzhou (Jinghang) a l’inscription sur la
Liste du patrimoine mondial, en particulier.
Le developpement durable des musees
concerne aussi bien les villes que les campagnes.
L’harmonisation des rapports entre l’Homme et
la nature est une interrogation cruciale de notre
temps. Il n’est pas etonnant que les grandes villes
deviennent des foyers de tension si l’on songe a la
densite des flux de biens materiels et d’energie qui
les traversent, sans oublier les tonnes de dechets
qu’elles rejettent chaque jour dans l’ecosysteme.
Face aux multiples problemes environnementaux
de nos villes, il faut preserver leurs espaces
peripheriques d’une urbanisation anarchique, tout
en s’efforcant d’y creer des milieux ecologiquement
sains. Des analyses critiques s’imposent, compte
tenu de l’expansion des villes et de l’urbanisation
de l’espace rural, sur la correlation entre le
developpement urbain d’une part et la
compatibilite des ressources, la securite
environnementale et l’equilibre ecologique d’autre
part. Il faut redefinir les structures spatiales et
fonctionnelles de l’espace urbain pour assurer une
utilisation et une repartition optimales des
ressources, et permettre la creation et le maintien
d’excellents environnements qui repondent aux
objectifs du developpement urbain. Jane Jacobs,
celebre auteur canadien, affirme dans Declin et
survie des grandes villes americaines que les villes
ennuyeuses et sans vie sont des foyers
d’autodestruction, alors que des villes animees aux
multiples facettes et aux activites polyvalentes sont
des facteurs d’auto-regeneration.
La ville de Tianjin, un des grands centres
economiques de la Chine du Nord, fait
actuellement l’objet d’un effort concerte de
rehabilitation et de renovation urbaine. Alors que
les grands chantiers se multiplient, divers plans
sont a l’etude en vue de mieux proteger
l’environnement naturel et le patrimoine culturel
de la ville, de favoriser la symbiose de cette
derniere avec la campagne environnante, un
developpement coordonne et un equilibre
ecologique d’ensemble. Les principales zones
ecologiques de Tianjin sont les collines situees au
nord de la ville et deux zones humides – le parc
central de Qilihai-Dahuangbaowa, et le Reservoir
de Tuanbowa-Beidagang situe au sud – qui
comportent des coulees vertes, des ecocites et des
ecovillages. En 2007, le Musee municipal d’histoire
naturelle de Tianjin, en liaison avec d’autres
institutions culturelles, a accueilli successivement
La vulgarisation scientifique au service du developpement durableDong Yuqin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 27
plusieurs expositions thematiques, intitulees
« Economisons les ressources en eau »,
« Economiser l’energie et reduire les emissions
polluantes », « Tianjin la verte, refuge des
oiseaux » et « Traitons la nature en amie ».
Parallelement, il a lance une serie d’enquetes et
d’expositions a theme qui ont rencontre un vaste
echo, comme celle intitulee « Controle de la
qualite des eaux du fleuve Jaune ». Au debut de
mai 2007, le Musee d’histoire naturelle de Tianjin,
la Commission municipale d’urbanisme et le
journal local Evening News ont organise
conjointement l’exposition « Grand soleil et ciel
bleu pour les paysans devenus ouvriers », a
l’occasion de laquelle les travailleurs migrants de la
ville ont ete convies a visiter le musee avec leurs
enfants et ont recu des brochures de vulgarisation
scientifique distribuees gratuitement.
L’avenir des musees d’histoire naturelle
depend de la qualite des contacts avec l’homme de
la rue et avec les organismes specialises. En tant
qu’institutions d’education sociale qui vehiculent
et transmettent de l’information et des temoignages
materiels sur la nature et l’environnement, les
musees d’histoire naturelle de Chine doivent se
tenir informes de tout ce qui se fait de neuf dans la
profession. Pour cela, il leur faut developper leurs
capacites dans les domaines de l’apprentissage, de
la recherche, de l’innovation, de la reflexion et de
l’expression. Ils doivent tirer parti de la richesse et
de la diversite de leurs collections et faire appel
aux techniques les plus modernes d’exposition et
de communication pour presenter leurs dernieres
acquisitions ainsi que les resultats de leurs
recherches, mettre sur pied des expositions
thematiques, familiariser le public avec les
technologies et les idees nouvelles. Ce n’est
qu’ainsi qu’ils pourront satisfaire l’attente – tant
affective qu’intellectuelle – de plus en plus
individualisee de leurs divers publics. Les musees
d’histoire naturelle vont devoir elaborer des
systemes ouverts d’education et de diffusion du
savoir scientifique afin de conserver leur attrait aux
yeux du public et de contribuer au progres social
et culturel.
L’experience internationale revele que les
musees d’histoire naturelle ont un role
irremplacable a jouer dans la promotion de la
durabilite. Il leur faut pour cela s’associer plus
etroitement aux autres secteurs de la societe, afin
d’inscrire le respect de la biodiversite et de la
diversite culturelle dans la conscience collective
et de sensibiliser les populations a la necessite
d’adopter des mesures de protection de la
biodiversite et de construire des villes plus
respectueuses de l’ecologie. En meme temps, les
musees devraient elaborer, en liaison avec les
administrations locales et les organismes de
cooperation internationale, des projets educatifs
sur la protection et l’exploitation viable de la
biodiversite et les conditions d’un urbanisme
respectueux de l’ecologie, lancer de grandes
campagnes mediatiques de sensibilisation, et
fournir aux administrations responsables des
rapports d’enquete sur l’environnement assortis
d’informations et de suggestions appropriees. Ces
dernieres annees, nombre de musees chinois
d’histoire naturelle ont organise des activites de
vulgarisation scientifique sous forme de
programmes educatifs, de camps d’ete,
d’excursions et de concours destines a tester les
connaissances. A lui seul, le Musee municipal
d’histoire naturelle de Tianjin a concu et realise
plus de soixante mini-expositions et des
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
28 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
manifestations analogues qui se sont tenues dans
les musees, halls d’exposition, galeries scientifiques
et centres culturels des provinces, des
municipalites et des districts. Les statistiques
montrent que ces expositions itinerantes ont attire
ces cinq dernieres annees plus de deux millions de
visiteurs dans plus de 100 lieux dissemines dans
toute la Chine. En 2005, elles ont valu a leurs
organisateurs le prix d’excellence de la
vulgarisation scientifique decerne par la ville de
Tianjin.
Les musees d’histoire naturelle et la valorisation
de l’experience vecue
Dans le cadre du Festival d’automne de 2007,
le Musee d’histoire naturelle de Shanghai avait
organise une manifestation denommee l’ « Appel
de l’automne », dont les participants etaient
invites a s’asseoir a meme le sol pour ecouter le
concert donne par les « chanteurs de l’herbe »,
surnom donne a diverses familles de criquets.
Cette scene est caracteristique d’une tendance
recente, typique de ce qu’on pourrait appeler
la valorisation du vecu. En 1996, aux Etats-Unis,
la Ogden Corporation a fait l’acquisition de
deux parcs naturels renommes : Silver Springs
et Wild Waters. La meme annee, cette firme
investissait 100 millions de dollars dans la
construction d’un parc d’attractions sur le theme
de la vie sauvage : ce parc propose aux visiteurs
huit espaces sceniques evoquant la faune et la flore
sauvages, l’atmosphere et les variations climatiques
de differents milieux geographiques, afin de
leur permettre de faire par eux-memes l’experience
de la vie naturelle dans toute sa diversite.
A l’heure ou nos societes entrent dans l’ere
post-industrielle, les touristes semblent disposes a
depenser davantage pour vivre une certaine
realite au lieu d’etre de simples spectateurs. La
tradition qui consistait a enfermer des objets
« sans vie » dans des vitrines a fait place a la quete
d’experiences participatives. Cultiver l’interaction,
l’enthousiasme et l’esprit d’aventure est devenu
progressivement la principale preoccupation des
responsables de musee.
Charles Dickens a dit de la periode de chaos
creee par la premiere revolution industrielle dans
l’Angleterre du debut du XIXe siecle que c’etait a la
fois la meilleure et la pire des epoques. Cela
pourrait s’appliquer tout aussi bien aux premieres
annees du XXIe siecle. L’humanite est sans conteste
le systeme le plus complexe de toute la biosphere. A
l’ere de la mondialisation, il importe de se rappeler
le message des auteurs du rapport Nous n’avons
qu’une Terre : la Terre ne nous appartient pas, et les
humains n’en sont que les coproprietaires. Nous
habitons la seule planete de ce coin de l’univers
capable d’heberger toutes les formes de la vie.
L’espece humaine n’a donc pas d’autre choix que de
prendre soin de cette biosphere qu’elle partage,
en totale interdependance, avec toutes les autres
formes du vivant. Mais en l’etat actuel des choses,
nous sommes encore bien eloignes du septieme des
huit Objectifs du Millenaire pour le
Developpement.
Chaque generation a l’obligation morale de
leguer a la suivante un monde meilleur. Rendre
harmonieuses les relations entre la nature et
l’humanite est une tache a laquelle tous les
membres de la societe doivent s’atteler. Les
responsables des musees d’histoire naturelle ne
peuvent se contenter d’etre de simples spectateurs;
en tant qu’educateurs, ils sont tenus d’aider le
La vulgarisation scientifique au service du developpement durableDong Yuqin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 29
grand public a mieux comprendre les changements
planetaires en cours, et doivent semer et faire
fructifier les graines du developpement durable. En
Chine, ils vont devoir, pour y parvenir, renforcer
leur cooperation et s’attacher davantage encore a
promouvoir le progres social et culturel. Nos
musees d’histoire naturelle doivent devenir plus
interactifs, captivants et « naturels » s’ils veulent
parvenir a preserver et revitaliser la culture
chinoise traditionnelle. Il s’agit de rien moins que
d’assurer l’avenir durable du patrimoine naturel de
la Chine : c’est a cette condition que nos
contemporains et les generations futures pourront
pleinement profiter de l’infinie diversite de la
Chine – de tout ce qu’elle compte de cotes, de
plaines, de montagnes et de vallees, de fleuves
et de lacs, de zones humides, de villes et de
villages.
BIBLIOGRAPHIE
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PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
30 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Le concept d’ecomusee et sonapplication en Chinepar Su Donghai
Su Donghai a obtenu en 1949 un diplome de la Faculte de philosophie de l’Universite de Beijing
et a mene durant de nombreuses annees des recherches d’histoire moderne et de
museologie. Il a eu la responsabilite du Musee de la Revolution chinoise et de son equipe
de chercheurs tout en occupant le poste de redacteur en chef de la revue Musees chinois. Il a
ete parmi les premiers promoteurs d’un ecomusee chinois. Il travaille actuellement comme
chercheur dans des musees nationaux et est membre emerite de la Societe chinoise des
musees.
Le mouvement international de l’ecomusee a vu le
jour en 1972. Il procedait d’une nouvelle idee
apparue sur la scene museographique mondiale qui
allait de pair avec une ardente volonte de reformer
les musees traditionnels. Il coıncidait egalement
avec l’apparition de conceptions novatrices en
matiere de museologie et constituait une nouvelle
tendance de la museographie internationale
radicalement differente du musee traditionnel.
Au cours des trente dernieres annees, ce
mouvement a puissamment influe sur les modes de
pensee habituels dans le monde des musees et sur
l’orientation des reformes dans les musees
traditionnels. Dans un premier temps, l’ecomusee
fut tres peu developpe en termes d’activites
concretes; il s’agissait d’un mouvement regi par ses
propres regles qui coexistait avec des musees
traditionnels restes pratiquement inchanges et
qui etait pourtant tres benefique pour la societe.
En 1986, la Chine commenca a s’interesser au
concept d’ecomusee et les institutions qui en sont
issues connaissent aujourd’hui un tres vigoureux
developpement.
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 31Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
La naissance du concept d’ecomusee
« Ecomusee » : le mot est ne tout a fait par
hasard, en 1971, lors de la neuvieme Conference
generale du Conseil international des musees
qui se tint en France, sous la presidence du
ministre francais de l’environnement d’alors. Les
chefs de file du mouvement international des
musees, Georges Henri Riviere et Hugues
de Varine, exposerent leurs opinions concernant
les liens unissant patrimoine et environnement.
Puis, au cours d’un dejeuner, Varine employa
le neologisme « ecomusee », qui plut beaucoup
au ministre. Le terme « ecomusee » fut donc
invente a table !1
Mais, bien que le terme ait ainsi fait son
apparition de facon peu conventionnelle, le
concept qu’il exprimait s’appuyait sur un
substrat solide. Apres la Seconde Guerre
mondiale, les gens n’avaient qu’aversion pour les
conflits armes et la societe industrialisee qui
profane l’environnement, aversion qui annoncait
les attitudes anti-ideologiques d’aujourd’hui.
L’ecomusee est issu de ce courant contestataire.
A l’epoque, en effet, l’esprit critique a l’encontre
des bases intellectuelles et politiques de la
societe, de la culture, de l’enseignement, de
l’economie prevalait et n’epargna pas les musees
traditionnels qui firent l’objet d’attaques
virulentes, ce qui favorisa l’essor du concept
ªZ
hou
Jun
yi
5. Villageois de Bai Ku Yao jouant a la toupie pendant leurs loisirs.
5
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
32 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
d’ecomusee et d’une nouvelle museologie.
Neanmoins, pour l’essentiel, l’idee d’ecomusee
doit son existence aux deux peres fondateurs
que furent Georges Henri Riviere et Hugues de
Varine.
Georges Henri Riviere fut l’instigateur
en France des reformes qui ont abouti a
l’ecomusee. Au debut des annees 1930, il
introduisit les idees ecologiques dans la sphere
museale et mena plusieurs experiences.
Reconnaissant l’importance des liens
indissolubles unissant l’humanite a son milieu
naturel, il initia (en 1967) le modele des parcs
regionaux en France; entre 1967 et 1975 fut
ainsi etabli le reseau francais de ces parcs qui
peuvent a juste titre etre consideres comme la
premiere generation des ecomusees.
Riviere, au fil des annees, donna trois
definitions de l’ecomusee. Selon la premiere,
datant de 1973, l’ecomusee etait une structure
servant a mettre en valeur l’ecologie et le milieu
naturel. La deuxieme definition, de 1978,
insistait sur la necessite de prendre en compte
les societes regionales. Enfin, prenant acte du
developpement des ecomusees et des nouvelles
theories museologiques, il donna en 1980
une troisieme et derniere revision de ses
definitions. Il la qualifiait d’« evolutive »,
soulignant par la que le concept d’ecomusee
etait encore en cours de gestation. Cette
definition etant tres longue, nous en resumons
ici les points principaux :
• les ecomusees sont des instruments que des
institutions responsables devant le public
et la population locale creent et fabriquent
ensemble. Ils sont exploites conjointement
au service d’interets communs ;
• ils sont un miroir dans lequel la population
et ses hotes peuvent se regarder dans leur
relation avec l’environnement ;
• ils revelent la nature de la relation entre
l’homme et la nature ;
ªJi
anJi
aku
i
6
6. L’art du batik.
Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 33
• ils permettent une reflexion sur le temps,
depuis l’epoque prehistorique jusqu’a nos
jours ;
• ils offrent des espaces privilegies ou l’on
peut s’arreter un bref moment ou juste
cheminer ;
• ils sont un laboratoire qui contribue a
l’etude historique et contemporaine d’une
region et de son milieu ;
• ils constituent des conservatoires dans la
mesure ou ils aident a la preservation et a la
mise en valeur du patrimoine naturel et
culturel de l’humanite ;
• ils sont aussi des ecoles dans la mesure
ou ils favorisent les actions d’etude et
de protection et ou ils incitent la
population a mieux apprehender son
propre avenir ;
• la diversite des ecomusees est sans limite,
tant les caracteristiques different de l’un a
l’autre. Neanmoins, ils ne s’enferment pas
en eux-memes; ils recoivent et donnent des
idees et des pratiques.2
ªX
uL
iyu
7. Tissage a Bai Ku Yao.
7
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
34 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Telles sont les grandes lignes du concept originel
de l’ecomusee, proposees par Riviere, pionnier
de ce type de musee.
L’autre precurseur dans ce domaine fut
Hugues de Varine, qui emboıta le pas a Riviere et,
de 1971 a 1974, etablit un nouveau type de musee
vivant au Creusot-Montceau-les-Mines sur le site
d’une mine de charbon. Le terme ecomusee fut
utilise a l’occasion de cette experience en 1971,
qui jetait ainsi les fondations du second type
d’ecomusee. Lorsque Varine crea l’ecomusee du
Creusot-Montceau-les-Mines, l’equilibre atteint
entre l’humanite et la nature etait le reflet de
l’equilibre qui s’etait etabli entre l’humanite et la
societe. Varine expliqua dans un article que le sens
premier du prefixe « eco » dans le terme
« ecomusee », par opposition a son emploi dans des
termes generaux comme « economie » et
« ecologie », renvoie a un systeme fonde sur
l’equilibre entre la societe et l’environnement :
l’humain est la cheville ouvriere des groupes
sociaux et des societes, comme de la quete des
moyens de subsistance et des progres ulterieurs.
Telle etait la signification originelle du concept
d’ecomusee lorsqu’il fut invente dans les annees
1970.3 Il expliqua egalement dans un texte consacre
aux possibilites de developpement des ecomusees
qu’il etait convaincu que l’idee la plus importante
sous-tendant la mission educative du musee
8. Differentes nationalites en Chine.
ªU
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SC
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enis
on
8
Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 35
ecosocietal est que les gens comprennent desormais
leurs responsabilites : proteger leur milieu et les
ressources naturelles et en faire un usage equilibre,
de meme que proteger, transmettre et preserver,
en les enrichissant, les aspects individuels et creatifs
de leur patrimoine culturel. Le developpement a
long terme de l’ecomusee ne peut etre assure que
dans ce type d’environnement.4 Hugues de Varine
a ete associe au mouvement de l’ecomusee de ses
debuts jusqu’a aujourd’hui et ses idees ont encore
une tres grande influence.
L’ecomusee represente un mouvement
novateur fascinant et tres inventif, qui se propagea
rapidement de la France au reste du monde,
chaque continent ayant son propre type d’ecosite.5
En tant qu’institution, l’ecomusee est encore en
plein essor et ses caracteristiques continuent d’etre
developpees sur le plan conceptuel.
La creation du premier ecomusee chinois
Dans les annees 1980, la Chine a commence a
preter attention au mouvement mondial de
l’ecomusee. Il s’agissait d’une periode de renouveau
pour les musees chinois, mais en quoi ce concept
pouvait-il interesser la Chine?
Tout d’abord, l’industrialisation du pays
entrait dans une nouvelle phase et la croissance
economique etait forte. Or les progres de
l’industrialisation comportaient de graves
consequences pour l’equilibre ecologique de la
nation et pour l’environnement dont la destruction
n’allait que s’accentuer. La protection de
l’environnement devint donc une preoccupation
croissante de la societe comme du Gouvernement
chinois.
Autre raison, plus d’un millier de musees
avaient vu le jour en Chine a ce stade,
developpement qui allait de pair avec l’emergence
de nouvelles idees museologiques, et les musees
eux-memes connaissaient des mutations destinees
a leur procurer les moyens de proteger un
patrimoine culturel tres divers pour le bien d’une
societe engagee dans une nouvelle voie. C’est dans
ce contexte que le concept d’ecomusee fut
introduit en Chine et commenca a etre mis en
pratique. A partir de 1986, des articles furent
publies dans la revue de la Societe chinoise des
musees, Musees chinois, dans lesquels des erudits
chinois exposaient et developpaient leurs idees sur
les sciences ecologiques en relation avec le travail
museal. Cette publication presentait egalement des
articles et autres textes traduits concernant les
ecomusees a l’etranger et les nouvelles tendances
en museologie.
Lors d’une reunion du Comite de
planification pour la culture convoquee dans la
province du Guizhou en 1986, je proposai que le
premier ecomusee chinois soit etabli dans cette
province. A cette epoque, cependant, nous ne
savions pas bien comment proceder. De plus,
l’occasion s’etait presentee de maniere imprevue.
En 1994, pendant la reunion annuelle du Comite
international pour la museologie (ICOFOM), nous
fımes la connaissance de personnalites eminentes
dans le domaine de l’ecomuseologie et de la
nouvelle museologie, Andre Desvallees et John
Gjestrum. Ce dernier dirigeait depuis quinze ans
un musee traditionnel en Norvege ainsi qu’un
ecomusee, et son experience nous etait precieuse.
En 1995, le gouvernement du Guizhou s’adressa
a John Gjestrum, Hu Chaoxiang, An Laishun
et moi-meme afin que nous formions un groupe
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
36 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
de travail pour decider de la marche a suivre. Ce
groupe produisit un « Rapport de recherche sur la
possibilite de mettre en place le premier ecomusee
chinois dans le comte de Suojia, dans le
Guizhou ». Il en resulta immediatement un
vigoureux mouvement chinois encourage par le
gouvernement en faveur de mesures plus
energiques de preservation de notre patrimoine
culturel; parallelement, un soutien financier
enthousiaste fut apporte par le Gouvernement
norvegien pour la partie du projet touchant a la
protection de l’environnement. En 1997, les
Gouvernements chinois et norvegien signerent un
accord de cooperation culturelle relatif au projet.
Je fus nomme president de ce groupe de
responsables, Gjestrum faisant fonction de
consultant, Hu Chaoxiang representant le
gouvernement local et An Laishun jouant le role de
coordonnateur du projet. Avec l’accord du
gouvernement, la science des specialistes, le
soutien financier des deux Etats et l’acceptation du
projet par les villageois, le premier ecomusee de
Chine etait devenu une realite.
Il etait situe dans la zone montagneuse
reculee du district special de Liuzhi, pres de la
ville de Liupanshui, dans la province du Guizhou.
Les habitants y vivent isoles du monde exterieur;
leur mode de vie est caracterise par une economie
de subsistance et par la culture ancestrale typique
d’un peuplement miao. Les montagnes sont hautes
et arides et les habitants sont contraints de
descendre dans les vallees trois mois par an pour
chercher de l’eau et c’est une tache herculeenne
que de produire suffisamment de nourriture et
de survivre. Ils descendent d’une ancienne
branche de l’ethnie Miao, dont la caracteristique
essentielle est de porter des coiffes ornees de
« grandes cornes de bœuf » (qui sont, dans les
faits, de longs cones de bois autour desquels les
femmes enroulent leur chevelure). Au moment
de la creation de l’ecomusee, ils etaient parvenus
a maintenir leurs traditions culturelles uniques.
Jusqu’alors ils pratiquaient une economie de
subsistance : les hommes maniaient la charrue
et les femmes tissaient.
Si ces cultures ancestrales ont ete
transmises aux generations presentes, c’est parce
qu’elles ont reussi a perdurer dans leur
environnement. Lorsqu’une societe de ce type est
soumise aux influences exterieures, la culture perd
progressivement son cadre societal propre et peut
disparaıtre a jamais. De tres bonnes raisons
legitimaient donc la creation d’un ecomusee dans
ces villages retranches qui cherchaient alors a
s’affranchir de la pauvrete : les traditions
culturelles de la Chine seraient ainsi preservees
et les villages ne perdraient pas leur identite au
cours du processus de modernisation. Cependant,
l’ecomusee, concept caracteristique d’une societe
post-industrielle, ne pouvait a lui seul produire des
resultats dans des villages chinois de montagne si
eloignes du monde moderne dans le temps et
l’espace. Pour que les villageois acceptent
l’ecomusee, il a fallu un effort de longue haleine.
Il etait evidemment necessaire que les habitants
puissent percevoir les bienfaits du projet et donc
que le don effectue par le Gouvernement norvegien
et les fonds alloues par le Gouvernement chinois
soient bien utilises et affectes en priorite a la
construction de routes et a des travaux publics
destines a amener l’eau et l’electricite dans ces
montagnes. Les villageois auraient alors une
vision completement differente de leur mode de
vie et de leur niveau de productivite. C’est
Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 37
seulement lorsque ces travaux furent realises qu’ils
commencerent a accepter l’idee de l’ecomusee.
En outre, avec la pratique des emplois
representatifs, le personnel du centre d’information
a ete recrute parmi les villageois qui gerent
aussi leur propre centre culturel. A un stade
ulterieur, les jeunes du cru ont ete encourages
a avoir recours a la photographie, y compris
des appareils jetables, a des magnetophones
et a d’autres procedes pour constituer leurs
propres archives culturelles. La valeur de
l’ecomusee est petit a petit devenue evidente. Les
villageois s’etaient bel et bien approprie leur
culture.
Recherches recentes sur les ecomusees en Chine
En 1997 fut cree dans le Guizhou le premier
ecomusee chinois, qui est devenu le « modele de
Suojia », puis ont suivi les trois ecomusees des
nationalites Buyi, Han et Dong: l’ecomusee des
Buyi a Zenshan, l’ecomusee-chateau des Han a
Langli et celui des Dong a Tang’an. Ces quatre
musees formant le groupe des ecomusees du
Guizhou. Il s’est agi de la premiere generation
d’ecomusees chinois, qui donna corps au concept
d’une institution destinee a proteger les cultures
autochtones des minorites nationales. La creation
au debut de 2001 des ecomusees regionaux de
Mongolie-Interieure et du Guangxi a marque le
debut d’une nouvelle phase de recherche et de
debat, fondee sur la volonte d’encourager les
villageois a promouvoir et a preserver leur propre
culture face aux pressions d’un developpement
impose par le monde exterieur; il en a resulte la
deuxieme generation d’ecomusees chinois. Le
gouvernement de la region autonome du Guangxi
a fait adopter une loi relative au « Projet de
construction 1 + 10 », qui habilite le Musee des
minorites nationales du Guangxi a contribuer a
l’edification de dix nouveaux ecomusees, dans le
but principal de favoriser la recherche et de
proteger les cultures autochtones qui s’ouvrent au
monde exterieur. Un organisme au sein duquel
l’equipe de chercheurs du Musee des minorites
nationales coopere avec les villageois a ete institue
a cette fin. Ainsi, du debut 2003 a 2005, trois
ecomusees ont vu le jour : l’ecomusee des Baiku
Yao dans le district de Nandan, l’ecomusee de la
nationalite Dong dans le comte de Sanjiang et
l’ecomusee de la nationalite Zhuang dans le comte
de Jinxi. A travers leur action de preservation des
cultures autochtones, les chercheurs ont pu
ameliorer la perception que la population locale a
de sa propre culture et les connaissances
scientifiques relatives a ladite culture; en outre, la
creation de « maisons du developpement
culturel » et de « zones d’exposition » a permis
aux villageois d’accroıtre leur capacite d’interagir
avec le monde exterieur. Tout recemment, le
Musee chinois des minorites nationales, c’est-a-
dire l’institution nationale majeure, s’est engagee
dans ce mouvement et a etabli une antenne au sein
de l’ecomusee des Baiku Yao dans le district de
Nandan. Cette participation d’un musee
traditionnel au travail de pionniers des ecomusees
chinois marque une etape decisive. C’est le signe
que les musees traditionnels s’interessent
desormais serieusement aux cultures des territoires
autochtones.
Aujourd’hui, les ecomusees chinois
entrent dans une nouvelle phase aux facettes
multiples a mesure que leurs perspectives
d’avenir s’elargissent. Prenant acte du degre
d’autonomie temoigne par la culture villageoise,
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
38 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
le gouvernement du Xishuangbanna dans la
province du Yunnan a organise une assemblee
generale publique en 2005 a l’ecomusee de la
nationalite Bulang, afin d’annoncer le transfert
complet de l’administration de l’ecomusee aux
villageois, par la formation d’un conseil
d’administration, le gouvernement local ne jouant
qu’un role consultatif. L’ecomusee de la
nationalite Shui, cree il y a peu, a ete fonde
en vertu d’un accord passe entre un homme
d’affaires de Hong Kong et la population locale;
il a ete decide de considerer, dans un premier
temps, comme experimentale cette nouvelle
forme d’organisation.
Sensibles aux multiples aspects de la
diversite culturelle, les ecomusees chinois ont
maintenant elargi leur champ d’intervention des
zones rurales, peuplees de minorites nationales,
aux regions urbaines et industrielles et aux zones
agricoles prosperes. Au debut de 2001, l’Office
des archives de Beijing et l’Office des
communautes de voisinage ont monte une
exposition sur l’histoire des hutongs, premiere
etape dans le recensement de la culture des
communautes locales. Les residents ont participe
avec enthousiasme au projet. Les hutongs sont des
quartiers a l’ancienne mode dans lesquels un lacis
d’allees pietonnes separe des habitations
traditionnelles d’un seul etage baties autour de
cours. Dans le cadre du projet de recensement
des logements sociaux des hutongs de Qianmian,
soixante proprietaires ont ete invites a contribuer
a une historie orale de leur hutong. L’Association
des residents des ruelles de Xijiao a organise une
exposition publique sur l’histoire et la culture des
ruelles du district de Xijiao. L’exposition a attire
des foules enthousiastes. Cette forme de
mouvement culturel ayant son assise dans la
population a ete observe a Shenyang, Ningbo,
Zhengzhou et dans d’autres lieux et a parfois recu
l’appellation de « musee communautaire » ou
d’« ecomusee autoproclame ».
Tandis que l’industrialisation de la Chine
se poursuit a un rythme soutenu, de nombreux
musees de l’industrie voient aussi le jour. Citons
par exemple le Musee du district de Tiexi a
Shenyang qui se consacre aux logements
traditionnels des zones industrielles historiques.
L’idee de l’ecomusee a ete tres federatrice. Des
musees agricoles, concus aussi dans l’esprit de
l’ecomusee, ont ete crees dans des villages
prosperes. Engagee sur le chemin de la diversite
culturelle, la Chine a fait œuvre de pionniere en ce
qui concerne la variete de forme et de conception
de ses ecomusees. De larges perspectives s’offrent
donc encore dans la voie choisie par les ecomusees
chinois.
Le Forum international des ecomusees organise
en Chine
En 2005, la Societe chinoise des musees (avec
l’aide financiere du Gouvernement norvegien)
parraina le « Forum international du Guizhou
sur les ecomusees ». C’etait la toute premiere
reunion internationale sur les ecomusees a se
derouler en Asie et la premiere experience de
conference mondiale du mouvement chinois des
ecomusees. Cent cinq delegues venus de quinze
pays differents y assisterent, ainsi que d’eminents
theoriciens, des representants du Gouvernement
et des delegues d’autres ecomusees. Des
pionniers et des scientifiques ayant participe a
l’elaboration sur le plan international des theories
Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 39
relatives aux ecomusees et a la nouvelle
museologie etaient egalement presents, d’ou la
variete des theories et des idees exposees
pendant la conference.
La premiere seance du Forum fut
consacree a un debat sur le theme « Echange et
exploration ». Les participants ont invoque la
necessite d’affranchir la museologie traditionnelle
de ses entraves et de developper considerablement
les ecomusees. Hugues de Varine appela a une
« asiatisation de la museologie ».6 Dans sa
communication sur le theme « Quel avenir pour
l’ecomusee ? », le chercheur norvegien Marc
Maure expliqua : « Les ecomusees n’ont ni bible,
ni forme predefinie; ils sont tous differents parce
que, precisement, ils representent des conditions
sociologiques et culturelles distinctes et sont
determines par elles. »7 Tereza Scheiner declara
dans sa communication sur le theme « Contre les
musees » : « Aider a la preservation de notre
patrimoine est la responsabilite principale de la
museologie moderne […]. Les museologues
devraient egalement reconnaıtre que les besoins
des populations locales ne sont pas combles par
des musees et des collections simplement
conservees mais par la museologie. »8 Peter Davis
formula plusieurs observations essentielles
touchant la philosophie de l’ecomusee : les
frontieres administratives ne peuvent etre utilisees
pour circonscrire le territoire culturel des
ecomusees; ceux-ci existent afin de proteger la
terre et d’expliquer notre patrimoine culturel;
lorsqu’elles sont abandonnees, les terres heritees
selon la tradition devraient etre regies par le droit
foncier local; la population locale devrait
participer aux projets d’ecomusees qui doivent
etre bases sur les caracteristiques culturelles
locales; enfin, tout devrait etre fait pour tirer
profit du dynamisme potentiel cree par la
recherche scientifique concernant les elements du
patrimoine culturel demeures intacts.9 Maurizio
Maggi affirma dans son expose que, « en retracant
l’histoire du ‘mouvement du nouveau musee’,
nous reperons des confusions et des
contradictions qui refletent la situation de
l’ecomusee sociologique et culturel dans des
environnements qui se developpent normalement
et qui peuvent eux-memes posseder des traits
distinctifs communs. »10 A l’heure actuelle, Davis
et Maure sont en train d’etablir des principes
directeurs appeles a servir de base et de cadre de
reference a la communaute des ecomusees. Les
representants des ecomusees chinois et etrangers
firent chacun le point de l’avancement de leurs
travaux.
Lors de la seance finale du Forum, je
resumai ainsi les differentes theories qui avaient ete
presentees : « La grande moisson d’idees et
d’opinions theoriques produites par cette
conference provient de cultures et de traditions
tres diverses. Des methodes et des pratiques tres
variees ont ete etudiees et commentees. Ces vastes
differences d’opinions, ces methodes tres
differentes ont enrichi et approfondi notre
comprehension. » Je soulignai trois idees sur
lesquelles le Forum s’etait mis d’accord :
premierement, le concept d’ecomusee est lui-meme
en constante evolution et il n’existe pas de norme
unique fixee une fois pour toutes; deuxiemement,
les methodes employees dans les ecomusees
continuent de se renouveler et il n’y a donc pas
de modele standard ou « moyen »; troisiemement,
les idees centrales de l’ecomusee sont la
preservation de la culture des territoires
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
40 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
autochtones et sa protection par les detenteurs de
cette culture eux-memes. Des consultations
effectuees sur cette base permettraient de
determiner pour chaque ecomusee sa portee
geographique ainsi que sa validite et sa
connaissance de la culture autochtone. Ce
point de vue n’a neanmoins pas recueilli
l’unanimite.11 On peut ainsi resumer la situation
actuelle en ce qui concerne l’evolution du concept
d’ecomusee.
La poursuite du developpement des ecomusees
en Chine
A ce jour, seize ecomusees ont ouvert leurs portes
en Chine et plusieurs autres sont en cours de
creation. Grace a l’elan insuffle par l’UNESCO au
concept de patrimoine culturel immateriel et a sa
preservation, le Gouvernement chinois et la societe
tout entiere, pleinement conscients de la valeur de
la civilisation agricole millenaire du pays et de
l’extreme richesse de son patrimoine culturel
immateriel, manifestent un vif interet pour la
protection des cultures traditionnelles. De plus,
avec la croissance rapide de l’economie, la vie dans
les villes et les villages est en train de changer
radicalement et la necessite de proteger les
multiples aspects de leur culture devient une
consideration preeminente. La valeur de
l’ecomusee est de mieux en mieux reconnue. Les
societes urbaines et industrielles comme les
societes agricoles riches s’interessent toutes de pres
a la creation d’ecomusees. Le Bureau national de la
culture a entrepris d’etablir des lignes directrices
en vue d’un plan quinquennal concernant les
ecomusees chinois. Les perspectives de
developpement a long terme de ces ecomusees sont
donc excellentes.
Afin de faire en sorte que le concept de
l’ecomusee poursuive son developpement en Chine
au cours des vingt prochaines annees, nous
voudrions emettre quatre recommandations
essentielles :
1. Ce concept ne peut se developper qu’en
s’enracinant dans les terroirs. Bien que
l’idee de l’ecomusee ait une valeur
universelle, elle prend des formes
extremement variees. C’est une notion qui
n’est pas specifique a une region
particuliere, si bien que chaque ecomusee
ne peut prosperer qu’en relation avec le
milieu qui l’entoure et qui est lie aux
conditions nationales, societales et locales
et doit aussi tenir compte des efforts de
developpement entrepris.
2. Les habitants des lieux sont les maıtres de
leur propre culture. Fonctionnaires et
specialistes ne sont que des agents
temporaires; leur role consiste seulement a
concretiser la capacite des habitants a
maıtriser leur propre destinee et a
s’approprier le processus de changement.
La veritable valeur de l’ecomusee reside
donc dans la maniere dont il est
concretement mis en place et
ulterieurement renforce.
3. L’ecomusee n’est pas une panacee pour la
protection des cultures anciennes. Il doit
aller de pair avec la modernisation de ces
cultures et ne constitue qu’un des facteurs
contribuant au developpement culturel. Il
est vain de chercher a figer eternellement
des modes de vie et des cultures. Chaque
Le concept d’ecomusee et son application en ChineSu Donghai
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 41
ecomusee aura donc besoin de mettre en
place un fonds d’archives permettant aux
habitants de prendre conscience de leur
passe et de transmettre aux generations
futures l’essence de la culture
traditionnelle sous une forme relativement
continue.
4. L’ecomusee est le reflet de cultures
nombreuses et differentes et sa valeur ne
peut qu’etre renforcee par une ouverture
au monde exterieur. Les visites des
touristes ont favorise les echanges
culturels et impregne les cultures
autochtones d’une nouvelle vitalite, tout
en generant des revenus. On ne saurait
trop insister sur l’importance de
l’hospitalite envers les touristes.
NOTES
1. Hugues de Varine (1985), « L’ecomusee : au-dela du mot », Museum
International 148, Paris: Editions UNESCO, p. 185.
2. Georges Henri Riviere (1985), « Definition evolutive de l’ecomusee »,
Museum International 148, ibid., p. 182–3.
3. Hugues de Varine (2006), « Eco-Museums and Possible Lines of
Development », in Collected Works from the International Symposium on
the Guizhou Eco-Museums, Zijin City Publishing House, p. 83. [en chinois]
4. Voir note 3.
5. Le specialiste norvegien John Gjestrum a estime en 1995 qu’il existait
plus de 300 ecomusees a travers le monde. Une autre liste, dressee celle-
la par Peter Davis, ne comporte que 136 rubriques. Voir Su Donghai
(2006), Considerations sur les ecomusees, vol. 2, China Cultural Press,
p. 490. [en chinois]
6. Hugues de Varine, « New Museology and the Europeanization of
Museology », in Collected Works from the International Symposium on the
Guizhou Eco-Museums, p. 80. [en chinois]
7. Marc Maure (museologue norvegien et membre de l’ICOFOM), « Eco-
Museums: Mirror, Window or Tool for Development? », in Collected Works
from the International Symposium on the Guizhou Eco-Museums, p. 113.
8. Tereza Scheiner (membre du Conseil executif de l’ICOM et professeur a
l’Institut de museologie de l’Universite de Rio de Janeiro, Bresil),
« Museums, Eco-Museums and Anti-Museums : Resolving Ways of
Thinking About Heritage, Society and Development », in Collected Works
from the International Symposium on the Guizhou Eco-Museums, p. 118.
9. Peter Davis (professeur de museologie a l’Universite de Newcastle,
Royaume-Uni), « Evaluating the Present State of Eco-Museums and
‘Success Criteria’ », in Collected Works from the International Symposium
on the Guizhou Eco-Museums, p. 95.
10. Maurizio Maggi (professeur a l’Institut italien de recherche sociale et
economique), « Common Problems With the World’s Eco-Museums and
How to Tackle Them », in Collected Works from the International
Symposium on the Guizhou Eco-Museums, p. 88.
11. Su Donghai, « Summary of the International Symposium on the
Eco-Museums of Guizhou », in Collected Works from the International
Symposium on the Guizhou Eco-Museums, p. 241. [en chinois]
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
42 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Le developpement des museesprives en Chinepar Song Xiangguang
Titulaire d’un diplome d’archeologie du Departement d’etudes historiques de l’Universite
de Beijing, Song Xiangguang a commence en 1988 a enseigner et a mener des recherches
de museologie en qualite de sous-directeur du Musee Arthur Sackler d’art et d’archeologie,
au sein de l’Universite de Beijing. Ses travaux portent principalement sur la theorie de la
museologie, l’administration et l’histoire des musees. Il enseigne actuellement a la Faculte
d’archeologie et de museologie de l’Universite de Beijing.
Le parc-musee de Nantong : le premier musee
prive chinois
Pour des raisons historiques, le secteur des musees
a connu en Chine un essor tardif. A la fin du
XIXe siecle, un mouvement reformateur tenta de
mettre en place un Etat national capitaliste. La
creation de musees devait etre une etape essentielle
dans cette transformation sociale : le dirigeant du
mouvement, Kang Youwei, considerait les musees,
instituts des beaux-arts et autres organismes
culturels publics comme autant de facteurs d’un
« monde pacifique ». Pendant l’ete 1898,
l’empereur Guangxu, de la dynastie Qing, adopta
les principes politiques de ces modernisateurs et
instaura une serie de reformes. Attaque par
l’opposition conservatrice, le mouvement de
reforme fut rapidement etouffe, et la creation de
musees, l’un des principaux objectifs du nouveau
Gouvernement n’obtint pas le soutien des
administrateurs Qing. Cette tentative initialement
vouee a l’echec ne repondait pas simplement a des
considerations culturelles; elle traduisait un desir
plus general de transformation sociale.
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 43Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
En 1905, l’industriel Zhang Jian crea le
parc-musee de Nantong (au Jiangsu), finance au
moyen des profits realises par son usine de coton
a Dasheng et par la compagnie Kenmu dans le
district de Xinghai. Zhang Jian s’inspira pour
la creation de son musee de methodes
d’enseignement utilisees dans les ecoles
occidentales a une epoque ou le savoir scientifique
et culturel se diffusait de plus en plus largement et
ou l’on prenait conscience de la necessite de
proteger le patrimoine national. Son musee
incarnait aussi une approche novatrice de la
culture urbaine : c’est Zhang Jian lui-meme qui
supervisa les plans, collecta activement les fonds,
choisit le personnel administratif et fixa les
reglements. Le parc-musee de Nantong a ete le
precurseur de tous les musees prives ouverts
ulterieurement en Chine.
A la meme epoque, plusieurs universitaires
et collectionneurs celebres ont entrepris egalement
de fonder des musees afin de presenter leurs
collections personnelles. En 1905, ont ete
restaurees avec soin a l’intention du grand public
des salles d’exposition situees a Huangmiao, dans
la ville de Tianjin, et contenant des ressources
pedagogiques, tandis qu’a la fin 1911, dans le
village de Haiwang, a Beijing, le Musee Taozhai
ouvrait ses portes dans une fabrique de porcelaine.
Ces musees prives ont vu le jour au milieu de
turbulences sociales accompagnees d’un
affrontement entre les mentalites ancienne et
nouvelle autour des questions du developpement
social, culturel et economique. Les personnes qui
envisageaient de creer des musees ont adopte une
approche fortement capitaliste dans leur recherche
de nouveaux modeles de developpement et
systemes sociaux : ils ont cherche a modifier les
modes de pensee des gens ainsi que leur perception
de l’institution museale. Aussi ces musees
incarnaient-ils un sens aigu des responsabilites
sociales.
Apres 1949 et la creation de la Republique
populaire de Chine, le socialisme est devenu le seul
principe directeur de la vie economique nationale.
Les systemes de gestion sociale ont ete centralises,
et la production et l’offre de biens publics
normalisees par le Gouvernement. A compter de
cette date, c’est l’Etat qui supervisa la construction
et l’administration des musees et qui regula leur
importante activite d’acquisition, de conservation
et de recherche. C’est la nation qui a assume la
responsabilite de la protection des vestiges
culturels, et le gouvernement a eu pour principe de
limiter la circulation des biens. Les collections
d’objets issus de la culture populaire ont alors
decline rapidement, perdant une grande partie de
leur interet aux yeux du grand public.
Les « maisons-musees » et le public : les musees
non gouvernementaux des annees 1980
En 1978, la liberalisation suscita d’enormes
changements dans la societe chinoise. Elle a genere
notamment des conditions favorables au
developpement des collections privees. Des la fin
des annees 1980, la liberalisation graduelle du
marche des objets culturels avait provoque un
regain d’interet a l’egard des collections non
gouvernementales et, partant, un deploiement
d’activites de la part d’un nombre croissant de
particuliers et d’entreprises privees. La qualite et la
quantite des pieces contenues dans les collections
ont augmente, tout comme le volume des
transactions d’objets. Nombre de collectionneurs
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
44 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
exprimerent le souhait d’ouvrir leurs collections au
public, ce qui eut pour effet de multiplier le
nombre des lieux d’exposition. Tout cela a eu
un fort impact social et a alimente la curiosite
du public envers les collections non
gouvernementales. Les expositions etaient montees
soit en collaboration avec des organisations
culturelles gouvernementales, soit par des
collectionneurs prives ou des syndicats non
gouvernementaux, soit encore par les musees
eux-memes. Elles ont accru le prestige des
collectionneurs et ont jete les bases de la
transformation des collections particulieres en
musees prives.
Les medias furent extremement sensibles a
l’essor de ces collections. Les causes et les effets du
phenomene ont ete etudies et analyses sous de
nombreux aspects : la politique, le systeme, la
societe, la reaction du public… Ces debats
mediatiques ont contribue a stimuler aussi bien
cette activite nouvelle que l’opinion publique. De
l’avis general, le developpement des collections
non gouvernementales traduisait une nette
amelioration des conditions socioeconomiques et
une hausse du niveau de vie de la population. Il
refletait aussi des idees et des pratiques nouvelles
en matiere d’administration culturelle de la part
des organismes gouvernementaux. Les
changements apportes au systeme economique, qui
ont encourage la croissance du secteur prive, ont
offert a la gestion des collections non
gouvernementales les fondements economiques
necessaires. Dans le sillage de la reforme
economique, le plan de developpement
economique de l’Etat, contenant les principes et
propositions essentiels relatifs a la regulation de
l’economie, a ete etendu a tous les secteurs
economiques. Cela a favorise l’essor du secteur
prive, des entreprises, des coentreprises et des
societes d’investissement. Le pouvoir de ces
nouveaux groupes sociaux n’a cesse de croıtre. Une
motivation personnelle relativement forte associee
a l’accumulation de la richesse reelle a permis la
creation de musees prives.
Dans ce contexte de changement
economique, les politiques de gestion culturelle
ont egalement encourage la societe a jouer un role
majeur dans la preservation des vestiges culturels.
En 1982 ont ete promulguees les « Lois sur la
protection des vestiges culturels de la Republique
populaire de Chine », qui specifiaient les types de
vestiges et d’objets culturels a proteger, et y
incluaient tres clairement les collections non
gouvernementales. Vers le milieu des annees 1980,
les principaux acteurs du marche culturel en
expansion se sont attaches a la fois a fournir des
services a l’intention des touristes etrangers et a
satisfaire l’appetit croissant du public chinois
d’expositions culturelles. C’est a cette epoque que
le Bureau du patrimoine a change radicalement
d’attitude a l’egard des collections non
gouvernementales : alors qu’elles etaient
considerees auparavant comme un simple appoint
par rapport aux collections nationales, il a reconnu
leur legitimite et l’importance de leur role pour la
protection de la culture nationale dans un contexte
de penurie des financements de l’Etat. Le Bureau
culturel engagea donc une reflexion concernant les
objets culturels personnels; partant du principe
que des mesures mieux adaptees et plus etendues
etaient requises pour la sauvegarde du patrimoine
culturel national, il mit en place des groupes de
travail charges d’etudier les moyens de renforcer
les collections privees.
Le developpement des musees prives en ChineSong Xiangguang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 45
L’Administration tenait a ce que tout
nouveau musee favorise la diversite culturelle et
sensibilise les populations au travail accompli par
les musees. La modernisation des musees a la fin
des annees 1980 et au debut des annees 1990 mit
l’accent sur la socialisation, la societe etant
encouragee a participer a la conception de
nouvelles institutions. L’administration des musees
dans certaines regions tentait de s’assurer le
concours de celebrites et de l’opinion publique
tandis que le gouvernement municipal de Beijing
s’efforcait de soutenir des artistes de renom tels
que Huang-Zhou, qui est a l’origine du Musee d’art
de Yan Huang.
La popularite croissante des collections
privees en Chine dans les annees 1980 provoqua
une recrudescence de la constitution de
collections, dont le potentiel economique etait au
demeurant mieux percu. Quelques-unes se sont
ressenties du recours a des methodes peu
scrupuleuses, certains collectionneurs attachant
davantage d’importance a la valeur economique
qu’a la valeur culturelle ou artistique des objets.
A Shanghai, a Beijing et dans d’autres villes ayant
une longue tradition de collections non
gouvernementales, certains ensembles d’objets
etaient axes sur un seul theme. En outre, comme
les ressources financieres de la majeure partie des
Chinois restaient limitees, les objets exposes
etaient bien souvent d’un prix abordable (series de
timbres, de boıtes d’allumettes, de journaux, de
revues, de pieces de monnaie, de billets de theatre
ou œuvres d’art populaire) et, du reste, vivement
apprecies du public.
Au fur et a mesure que les echanges de
vues entre collectionneurs s’elargissaient,
l’influence de leurs idees sur la societe grandissait,
mettant ainsi en evidence les bienfaits sociaux et
educatifs de l’ouverture des collections au public.
Certains collectionneurs ont ouvert leur maison,
invitant les visiteurs a venir voir leurs objets
personnels; c’est ainsi qu’on s’est mis a parler de
« maisons-musees ».1 Citons a titre d’exemple les
pieces d’habitation de Chen Shisuan, ouvertes a
Shanghai le 22 mars 1981 dans une grande
discretion. Cet exemple ayant ete suivi, la zone de
Shanghai comptait a la fin des annees 1980 seize
institutions de ce genre, bien gerees. L’entree etait
gratuite, mais il fallait souvent reserver a l’avance.
Les collectionneurs accueillaient les visiteurs avec
enthousiasme, assurant souvent eux-memes la
visite guidee et offrant parfois meme du the et des
rafraıchissements. Les maisons-musees de
Shanghai etaient a la fois petites, du fait du peu
d’espace disponible pour les besoins de la
presentation, tres specialisees, car centrees sur une
seule categorie d’objets (bouliers, cles, montres,
timbres, etc.) et surprenantes, du fait que la
plupart de leurs pieces n’avaient encore jamais ete
exposees, comme ce boulier long de 4 m presente
dans la collection de Chen Shisuan. Les
explications pleines d’imagination donnees a
propos des objets des maisons-musees differaient
grandement, bien entendu, de celles proposees
dans les musees d’Etat.2
Les administrations gouvernementales
avaient encourage l’existence et le developpement
de ces collections privees, estimant qu’elles
refletaient l’interet vivace du public envers
l’histoire et la culture. Comme elles avaient
encourage aussi le louable desir des
collectionneurs de servir la societe, les collections
privees en sont vite venues a faire partie du
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
46 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
paysage culturel. Mais comme elles se heurtaient
a des difficultes, telles que le manque d’espace et
de moyens de conservation ou encore
l’insuffisance des connaissances scientifiques, les
autorites gouvernementales appropriees ont pris
des mesures concretes, consistant notamment a
augmenter les subventions proposees aux
collectionneurs et a s’assurer que les organisations
culturelles offraient des espaces pour la
presentation des collections privees. Toutefois,
lesdites autorites ont ete rapidement informees de
trocs illegaux de pieces issues de collections
privees, et ont commence a s’inquieter du tort
que cela pourrait causer au travail de
conservation des vestiges culturels. Les annees
1980 ont ete caracterisees par une explosion des
vols d’objets de collections privees et par
l’apparition d’un marche noir. On en vint a
craindre que la vitesse avec laquelle les
collections privees s’etaient developpees n’ait
mene a un systeme d’acquisitions illegales et a un
trafic d’objets culturels.
Changement de cap pour les musees prives
Au debut des annees 1990, la mise en place de
l’economie de marche socialiste en Chine s’est
acceleree, et les systemes et methodes de gestion
des musees chinois ont reagi favorablement a
ªS
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9
9. Vue exterieure du Musee d’art de Yan Huang.
10. Vue interieure du Musee d’art de Yan Huang.
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Xia
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10
Le developpement des musees prives en ChineSong Xiangguang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 47
l’introduction de methodes conformes au nouvel
environnement economique et social. La reforme
engagee visait principalement a gerer la diversite
des operations museales.
En 1990, le directeur du Musee de la
Mongolie-Interieure, Han Hao, et sa femme, He
Yunli, tous deux dotes d’une longue experience,
ont fonde le Musee des traditions populaires
Chilechuan au village du palais Xijiaoxiaodong a
Huhehot. Les espaces d’exposition occupaient plus
de 300 m2 et presentaient plus de 700 objets
provenant de la minorite ethnique locale.3 En
1991, l’Association des bureaux culturels de
Shanghai a approuve l’idee d’un Musee de la
theiere, qui a ouvert ses portes, en decembre 1992.
En octobre 1995, le Musee des papillons de
Zhongshan a ete inaugure dans le Guangdong; en
fevrier 1996, le statut de centre culturel lui a ete
accorde par la province.
Le 13 novembre 1993, le Bureau municipal
de la culture de Beijing a rendu public un ensemble
de normes intitule « Enregistrement et methodes
provisoires pour les musees de Beijing », qui a
ete valide par la municipalite le 23 decembre. La
« methode » centrale visait a resoudre le probleme
du manque de qualifications des gestionnaires
locaux des musees. Elle exigeait que les societes
et les particuliers qui ouvraient de nouvelles
institutions fournissent des justificatifs de leurs
qualifications, de maniere a assurer le meilleur
service public possible. A la meme epoque a peu
pres, plus de dix grands collectionneurs prives de
la region de Beijing deposaient un dossier dans
l’intention d’ouvrir un musee. Apres une etude
attentive des experts du Bureau, le directeur a
accepte, le 31 octobre 1996, que quatre de ces
candidats fondent et gerent un musee a Beijing.4
Cette decision a ete suivie d’un afflux constant de
demandes d’autorisation emanant d’importants
collectionneurs. Ce phenomene ayant ete
abondamment commente dans la presse, des
bureaux provinciaux ont ete a leur tour inondes de
requetes; c’est ainsi que s’est produit le premier pic
historique de la creation de musees prives. Au
milieu et a la fin des annees 1990, avant que les
« Lois sur la protection des vestiges culturels de la
Republique populaire de Chine » soient amendees
et promulguees de nouveau en octobre 2002, les
autorites provinciales et municipales de villes et de
provinces telles que Beijing, Shanghai, Chongqing,
le Guangdong, le Sichuan, le Zhejiang, le Liaoning
ou le Jilin avaient approuve la fondation de
dizaines de musees prives, parmi lesquels le Musee
des civilisations antiques a ceramique, le Musee du
santal rouge de Chine, le Musee de la sculpture
populaire Songtangzhai et la Galerie de la plate-
forme doree, tous situes a Beijing, ainsi que le
Musee de la porcelaine turquoise, dans la tour
Zhenbao, a Shenzhen (province du Guangdong),
et le Musee non gouvernemental de la medecine
traditionnelle chinoise, a Chongqing.
Bon nombre des objets qui formaient les
collections des musees prives a l’epoque avaient ete
acquis dans leur etat d’origine. Meme si les
proprietaires possedaient de nombreuses annees
d’experiences, la selection des pieces repondait
exclusivement a leurs centres d’interet, de sorte
que les collections etaient parfois de pietre qualite
– et la situation a cet egard ne s’ameliorait que
lentement. Dans des collections plus specialisees,
on accordait progressivement davantage
d’importance aux details, choisissant notamment
des objets qui illustraient les caracteristiques du
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
48 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
genre. Quant au fonctionnement des musees
prives, il reposait souvent sur l’interet personnel et
l’individualisme. Certains proprietaires
souhaitaient elargir l’acces du public a leurs
collections afin de renforcer son attachement a la
culture traditionnelle; d’autres esperaient
completer par la vente des billets d’entree des
revenus insuffisants; d’autres encore utilisaient les
recettes ou le statut social et juridique du musee
pour officialiser leurs collections. La situation
financiere de certains musees prives etait assez
fragile car ils dependaient d’entreprises de petites
ou de moyennes dimensions, voire des economies
personnelles des proprietaires. Quelques
musees recouraient meme a une methode
d’autofinancement en cedant des objets au rabais
a d’autres musees afin de se maintenir a flot.
Nombre de musees etaient installes dans des
locaux prives ou loues.
Apres une courte periode d’euphorie, les
proprietaires de ces musees se sont apercus qu’ils
se heurtaient a des difficultes imprevues et qu’il
leur faudrait travailler dur pour survivre. Ils ne
pouvaient plus compter sur les filieres
traditionnelles pour l’enrichissement de leurs
collections; le nombre des visiteurs n’etait pas
aussi eleve que la presse l’avait laisse esperer, si
bien qu’il fallait faire appel a des investissements
exterieurs.5 Divers musees ont manque de
financements ou de moyens de tresorerie, ce qui
a nui a leur fonctionnement, et certains ont
meme du fermer. Le Musee d’art Hanrongxuan a
Kunming (province du Yunnan), par exemple,
ouvert en avril 1999, a connu une crise financiere
en 2002; le Musee des minorites nationales du
Yunnan, grace a un soutien financier des
autorites provinciales, a rachete par la suite au
musee 838 objets ou ensembles d’objets culturels
provenant des minorites culturelles. Le Musee
d’art russe de Zhongshi a vu le jour en aout 2001
dans le Heilongjiang; en un an, pres de 100 000
personnes exonerees de droits d’entree l’ont
visite, mais les frais enormes exiges par
l’entretien de la collection ont greve les
ressources du proprietaire, Liu Mingxiu, au point
que le musee a du fermer en 2002. En outre, la
situation des musees s’est ressentie d’evenements
imprevus, tels que l’epidemie de SRAS (syndrome
respiratoire aigu severe) qui a fait chuter
brutalement la frequentation des musees prives.
Les musees prives diriges par les entreprises
privees
Au debut du XXIe siecle, les musees prives
chinois sont entres dans une nouvelle phase de
leur developpement. Le contexte social et le
cadre reglementaire se sont manifestement
ameliores. Des a priori specieux qui avaient cours
auparavant – notamment la crainte que les
collections non gouvernementales nuisent au bon
developpement et a la reforme des organismes de
protection du patrimoine culturel et a la gestion
des musees recemment reformes – ont ete dissipes.
Une fois que les musees prives se sont fixe
comme objectif de promouvoir le bien commun
et se sont attaches aux aspects specialises du travail
museal, la societe a adopte une attitude plus
impartiale a leur egard et a exerce une influence
sur leurs modes de fonctionnement et sur leur
evolution. La necessite de lutter contre les
difficultes qu’ils rencontraient a ete envisagee avec
realisme. Cela a apporte un certain soulagement
aux administrateurs et aux proprietaires, et toutes
les questions ayant trait aux locaux, a l’entretien
Le developpement des musees prives en ChineSong Xiangguang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 49
ou a l’enrichissement periodique des collections
ont pu etre etudiees avec objectivite.
Le Gouvernement chinois s’est employe a
soutenir activement le developpement des
initiatives culturelles et a encourage l’apport de
capitaux prives aux musees prives. Bientot, les
administrations culturelles nationales ont
promulgue des lois et des reglements afin de
repondre aux besoins fondamentaux de la
conservation des objets culturels et de la gestion
des musees. En 2001, la ville de Beijing publia les
« Arretes relatifs aux musees de Beijing ». En
octobre 2002, les lois amendees « sur la protection
des vestiges culturels de la Republique populaire
de Chine » sont entrees en vigueur, marquant une
nouvelle etape. Dans les nouveaux textes,
l’expression « objets culturels disperses »,
employee auparavant pour designer les collections
privees, etait remplacee par « objets culturels des
collections non gouvernementales ». A l’approche
discriminatoire adoptee jusque-la envers ces
collections se substituait une loi qui en
reconnaissait desormais le statut et l’utilite.
Parallelement, il etait demande aux collectionneurs
prives de remplir leurs responsabilites legales
concernant l’entretien et la protection des biens
culturels. Le 1er janvier 2006, un nouveau tournant
a ete pris avec la publication par le Ministere de
la culture des « Methodes de gestion des musees »,
ou etait specifie que « La nation soutiendra et
developpera l’activite des musees et encouragera
les personnes physiques et morales a creer des
musees. » Le document enoncait clairement les
conditions a remplir et les procedures a suivre, les
methodes de gestion et les modalites de fermeture,
etablissant fermement tout un ensemble coherent
de regles concernant les musees prives.
L’essor du marche de l’art et des objets
culturels a suscite l’interet d’un certain nombre
d’hommes d’affaires tres influents a l’egard des
musees prives. En janvier 2002, l’homme d’affaires
Chen Huiqun consacrait 1 900 000 yuans a la
construction du parc Yingjiemobao a Huaxia dans
la ville de Shenzhen. Le 23 mars de la meme annee,
le president du groupe Yueweixian de Tianjin,
Zhang Lianzhi, investissait dans la creation du
Musee Yueweixian, qui regroupait les anciens
musees Huayun, Quanzhen et Guya. Le 1er aout
2004, le directeur du groupe Tiandi de Nankin,
Yang Xiu, ouvrait le Musee Changfengtang; parmi
les joyaux de la collection figuraient des peintures
de Lu Yanshao, que l’homme d’affaires avait
acquises au prix de 69 300 000 yuans. En 2005,
Sun Haifang, un collectionneur prive de Chaoxing,
dans la province du Zhejiang, payait 68 millions
de yuans pour un terrain de 12,68 ha dans le
secteur dore du district de la capitale et prevoyait
de depenser 130 000 000 yuans supplementaires
pour la creation du Musee culturel du pays Yue.
En 2006, le groupe immobilier Jianchuan a
Chengdu financait la creation du syndicat des
musees Jianchuan.
Certains proprietaires ont engage des
sommes considerables pour la construction de leur
musee ainsi que pour la constitution de collections
de valeur. Le syndicat des musees Jianchuan, dans
le Sichuan, a engage des architectes chinois mais
aussi etrangers pour la conception de ses
batiments, et a consacre 500 millions de yuans aux
sites exclusivement, les depenses affectees aux
collections approchant les 20 millions de yuans par
an. Quant au Musee d’art Yilanzhai de Nanjing,
une somme de 250 millions de yuans fut allouee a
sa construction, confiee a l’architecte de renom
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
50 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
international Kisho Kurokawa. Cette association
entre musees prives et riches hommes d’affaires a
ete sans conteste benefique pour la situation
economique et les perspectives d’avenir du secteur.
Les syndicats a la tete des musees prives,
ainsi que leurs services commerciaux, ont pris
d’importantes mesures pour renforcer la culture
de l’entreprise dans ces institutions. Certains
proprietaires se servent d’elles comme de tribunes
pour accroıtre les ventes de leurs produits. Ainsi,
le directeur du groupe Tiandi de Nanjing a expose
des calligraphies et des œuvres d’art appartenant a
sa collection dans les bureaux du groupe. Le
groupe Red Dragonfly, de Ningbo, a etabli un
musee de la chaussure dans ses bureaux. Les
proprietaires considerent leur musee prive comme
une operation culturelle et misent donc sur son
developpement a long terme et sur son influence
positive sur la culture d’entreprise. Zhou
Chengjian, directeur d’un groupe de Shanghai, a
affirme a ce propos : « Nous avons besoin de l’aide
du monde de la culture, sans quoi notre combat de
ces cent dernieres annees aura ete vain. » Le
directeur du Musee Mumingtan de Beijing (riche,
notamment, de nombreux celadons Ru), Jiang Yu,
a egalement declare : « Le fait de diriger un musee
renforce le respect que l’on eprouve [a l’egard des
objets exposes], mais il faut aussi comprendre qu’il
s’agit d’un investissement sur le long terme. Les
musees publics et prives jouent des roles differents,
bien que nous puissions constituer des groupes qui
se soutiennent mutuellement. » Dans le cas de ce
musee, les experts et les collectionneurs de
ceramiques ont reagi de maniere tres favorable,
notamment en ce qui concerne le projet de
developpement du musee dans le sens d’une plus
grande commodite pour le public.
La conscience qu’ont les musees prives de
leurs responsabilites a l’egard de la societe est de
plus en plus marquee. Ils preservent une partie
croissante du patrimoine culturel des minorites
nationales tout en offrant au public un acces plus
rapide et plus aise a ce patrimoine. Le proprietaire
du Musee Pushang de Beijing, Xue Yanming, s’est
exprime clairement a ce sujet : « Nous
construisons des musees avec le desir profond de
restituer quelque chose a la societe. Nous
permettons a ces objets culturels d’etre vus par
tous. »
En insistant sur la mise en place de
structures de gestion interne et sur leur
rationalisation, tout a ete fait pour corriger la
situation passee dans laquelle des particuliers
geraient les musees, qui prosperaient ou
periclitaient selon leur fortune personnelle. En
1984, lors du deces de Wang Anjian, directeur du
« premier musee non gouvernemental chinois »,
situe a Shanghai, l’institution a du fermer ses
portes, et les collections ont failli etre dispersees.
Les musees prives ont reclame depuis une
optimisation du cadre politique et la mise en
place d’un organe de regulation en vue d’assurer
leur stabilite a long terme. Le Musee des arts
classiques Guanfu, a Beijing, a modifie ces
dernieres annees ses structures dirigeantes pour se
doter d’un « conseil d’administration », forme de
dix personnalites qui sont en mesure de reagir
aux evenements nouveaux et d’apporter leur
savoir-faire, leurs ressources et leur soutien pour
assurer le meilleur developpement possible des
collections.
Depuis les annees 1980, les musees prives
ont attire un large public. Ils ont developpe leurs
Le developpement des musees prives en ChineSong Xiangguang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 51
collections avec bonheur tout en recherchant un
mode operatoire legitime; ils ont egalement
cherche a participer a la mise au point de contrats
relatifs aux droits de propriete culturelle. Ils ont
surmonte les echecs du passe grace aux efforts et a
la perspicacite de nombreux specialistes, et
commencent progressivement a prosperer. Le
document du Gouvernement chinois intitule
« Methodes de gestion des musees » favorise
activement le developpement des musees prives
comme moyen d’enrichir la vie socioculturelle et
d’associer davantage de personnes a la preservation
du patrimoine culturel national.
NOTES
1. Shi Tong (1998), « Les collections privees de Shanghai », Musees
chinois 1. [en chinois]
2. Song Mingming (1989), « Les musees prives de Shanghai », Musees
chinois 2. [en chinois]
3. En 1996, le musee a transfere son administration a Huhehot, en
Mongolie-Interieure. Voir Zhang Huiyuan (1996), « Le Musee des traditions
populaires Chilechuan – un nouveau refuge d’importance », Musees
chinois 3. [en chinois]
4. Liu Chaoying (1997), « Analyse comparative des difficultes auxquelles
s’est heurtee par le passe la creation de musees prives a Beijing ».
Musees chinois 10, supplement. [en chinois]
5. Ma Weidu (mars 2003), « Les conceptions et la culture d’entreprise des
musees prives », dans la revue du Centre de recherche sur l’environ-
nement et le developpement de l’Academie chinoise des sciences
sociales, et du Centre de recherche culturelle de l’Academie chinoise des
sciences sociales, Recueil de travaux de recherche sur « La protection de
notre patrimoine culturel et la culture d’entreprise ». [en chinois]
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
52 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Aspects scientifiques ettechnologiques de la protectiondu patrimoine culturel :considerations dialectiquespar Shan Jixiang
Shan Jixiang a travaille comme chercheur et planificateur dans le domaine de la protection des
cites historiques et des communautes historiques et culturelles. Depuis 1994, il preside a la
restauration de la riviere artificielle Tongzi de l’ancien palais imperial des Qing, des ruines du
Yuanmingyuan et du mur d’enceinte de Beijing construit sous les Ming. De 2000 a 2002, il a
dirige les programmes de protection de vingt-cinq quartiers historiques du vieux Beijing et des
vestiges de la capitale imperiale ainsi que le projet « Beijing, cite d’histoire et de culture », tout
en supervisant la construction du parc olympique de la capitale. Depuis 2002, il s’efforce,
en tant que responsable du Bureau d’Etat du patrimoine culturel de la Chine, de promouvoir
et d’appliquer une politique active de preservation de ce patrimoine dans un contexte
d’urbanisation acceleree. Il a egalement anime les campagnes de protection de l’architecture
rurale, des paysages et circuits culturels et du patrimoine industriel, tout en redigeant de
nombreuses communications destinees a divers colloques internationaux. En 2003, il a recu
un prix d’excellence en matiere de planification decerne par l’American Planning Association
(APA). Il a notamment publie Urbanisation et protection du patrimoine culturel, De la ville
fonctionnelle a la ville culturelle, ainsi que de nombreux articles scientifiques.
La protection du patrimoine culturel est
un processus complexe a base d’investigations, de
recherches et d’evaluation mais aussi d’exposition,
de mise en valeur et de transmission des valeurs
patrimoniales. Elle implique egalement tout un
travail de localisation, de catalogage, de
preservation et de rehabilitation, dans le respect
des controles et reglementations concernant
l’environnement. Les aspects scientifiques et
technologiques de la protection du patrimoine
culturel associent les applications generales ou
specialisees de la science et de la technologie
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 53Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
modernes aux techniques traditionnelles
eprouvees. Ce patrimoine est expose aux ravages
du temps et sa conservation optimale est un etat
transitoire, pour ne pas dire inaccessible ou
irrevocablement perdu. Pour tout arranger,
l’urbanisation et la mondialisation galopantes ne
font qu’aggraver et accelerer sa degradation. D’ou
la necessite urgente d’apporter des remedes
scientifiques et technologiques.
Les progres de la science et de la technologie au
service de la protection du patrimoine culturel
international
L’aube du XXIe siecle a ete marquee par
d’importantes avancees technologiques. Les
technologies du vivant, de l’information et de
l’espace, associees aux sciences de la vie et de
l’energie (surtout dans le domaine de la recherche
fondamentale), ont ouvert de nouveaux horizons
aux chercheurs en quete de lois objectives et qui se
preoccupent en meme temps du developpement
economique et social. Ces avancees ont
radicalement transforme la philosophie et les
methodes de la protection du patrimoine culturel.
Si l’on en juge par l’evolution historique de la
sauvegarde du patrimoine culturel, on peut
affirmer que la preservation de ce patrimoine a
l’avenir dependra du niveau d’implication de la
science et de la technologie modernes dans le
processus.
On a pu constater ces dernieres annees
dans la plupart des pays une volonte accrue de
proteger le patrimoine culturel national qui se
traduit par des investissements massifs en
ressources materielles et humaines. L’Italie a lance
un programme special de protection de son
patrimoine culturel et la France a mis en œuvre un
plan national de recherches dans ce domaine. De
leur cote, les Etats-Unis ont lance un programme
de sauvegarde des « richesses de l’Amerique » et,
en 2003, l’Inde a emis la proposition d’evaluer,
proteger et preserver les richesses culturelles du
pays, a la fois en signe de respect pour sa
civilisation millenaire et afin de preserver et mieux
mettre en valeur son patrimoine culturel. Tous ces
plans font appel aux ressources de la science et de
la technologie pour une meilleure protection des
biens culturels.
Aujourd’hui, en effet, plus personne ne
conteste le fait que l’on ne peut se passer de la
science et de la technologie pour assurer la
protection durable du patrimoine culturel. En
effet, c’est le recours systematique aux moyens de
la science et de la technologie qui a permis de
rendre le travail de preservation plus efficace, plus
systematique et plus complet, et l’on peut dire
que l’integration organique de la technologie
moderne et des techniques traditionnelles
constitue l’essence meme de la protection
scientifique du patrimoine culturel. Que ce soit en
termes d’approfondissement, de specificite,
d’universalite, de securite ou de fiabilite, la science
et la technologie ne cessent d’ouvrir des
perspectives nouvelles au niveau de la reflexion,
des approches et des methodes qui entraınent
parfois un veritable bouleversement des pratiques
traditionnelles. Dans les pays les plus attaches a
leur patrimoine culturel, les nouvelles technologies
font sentir leur presence de multiples manieres.
Au niveau international, la science et la
technologie contribuent actuellement a la
protection du patrimoine culturel de plusieurs
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
54 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
manieres. En premier lieu, on est de plus en plus
conscient de la necessite de proteger les nouveaux
acquis scientifiques et technologiques par des
moyens juridiques. On met aussi davantage
l’accent sur l’exigence de rigueur scientifique, le
respect des regles et reglements et la normalisation
des procedures de travail. En deuxieme lieu, les
pouvoirs publics assument desormais le role
nouveau pour eux de coordonnateur en chef,
mettant fin au cloisonnement des regions et des
services et encourageant la collaboration entre
specialistes de differents domaines pour mieux
resoudre des problemes specifiques.
Troisiemement, un cercle vertueux de « recherche
fondamentale – applications concretes –
vulgarisation » a ete mis en place, sur la base
des principales exigences associees a la protection
du patrimoine culturel. Quatriemement, la
formation scientifique des professionnels de la
conservation a ete renforcee et des mecanismes
ont ete elabores en vue de mettre les ressources
internationales a la disposition des initiatives
locales de protection du patrimoine.
La protection scientifique du patrimoine culturel
en Chine : situation et problemes actuels
Au cours de la derniere decennie, la recherche
sur la protection du patrimoine culturel a
beaucoup progresse en Chine tant globalement
que ponctuellement. En meme temps, les
bouleversements technologiques et le souci
croissant de gestion rationnelle obligeaient les
responsables a une reflexion critique qui les a
amenes a se repositionner par rapport aux
techniques de protection traditionnelles. En
consequence, des mecanismes innovants ont ete
elabores en vue de mettre au point des techniques
de protection inspirees de conceptions nouvelles et
visant a instaurer un equilibre harmonieux entre
tradition et innovation. Mais si la Chine a fait des
progres considerables en matiere de protection de
son patrimoine culturel, ses moyens
technologiques dans ce domaine restent bien
inferieurs a ceux des pays occidentaux et meme de
certains secteurs d’activite comparables en Chine
meme. Le plus urgent est de mettre en place un
systeme efficace d’assistance a la protection du
patrimoine culturel, qui tienne notamment compte
des defis enormes a relever. A cet egard, le
11. Des experts de la conservation du patrimoine culturel renovent
des ouvrages de ferronnerie en plein air.
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Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques
Shan Jixiang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 55
diagnostic peut etre formule de la maniere exposee
ci-apres.
La notion de protection preventive est loin
d’etre vraiment acceptee, meme chez les
specialistes de la defense du patrimoine. D’une
part, le patrimoine culturel est frequemment
expose aux calamites ou catastrophes naturelles,
comme le lessivage des eaux de pluie, les vents
violents, tempetes de sable, infestations d’insectes,
etc., qui constituent autant de menaces redoutables
pour les monuments du patrimoine immobilier.
Quant aux elements du patrimoine mobilier, divers
phenomenes comme les moisissures, l’alcalinite,
la cutinisation, la decoloration ou l’ecaillage font
qu’il est extremement difficile d’en preserver
durablement l’integrite. D’autre part, les operations
de sauvetage decidees dans l’urgence sous la
pression des circonstances prennent un peu
partout le pas sur les politiques murement
reflechies de protection preventive. S’agissant des
monuments historiques, par exemple, on consacre
beaucoup plus d’efforts et de ressources aux grands
projets de renovation qu’a l’entretien regulier et
meticuleux des batiments. Et pour ce qui est des
musees, les financements vont en priorite a
l’infrastructure au detriment de la renovation des
collections.
12. Laboratoire de datation au carbone 14 de l’Universite de Beijing.
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12
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
56 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
D’une maniere globale, on n’investit pas
assez dans la recherche de portee generale. On ne
fait pas autant qu’on le devrait un usage rationnel
de la science et de la technologie dans le travail
d’investigation, de fouille, de conservation, de
recherche, d’exposition et de diffusion du
patrimoine culturel. Dans certains milieux, on
refuse meme de considerer la protection du
patrimoine culturel comme une activite
scientifique a part entiere et on la voit plutot
comme une discipline purement technique et donc
d’interet mineur. Cette politique a courte vue est
responsable des handicaps fonctionnels que
constituent, entre autres, l’inadaptation des
moyens de la recherche, les carences de la gestion
et les inegalites de developpement entre les
differentes regions du pays. En outre, la recherche
procede de facon sporadique et hasardeuse, d’ou
son incapacite d’aborder globalement les
problemes de fond ou de concentrer son attention
sur les differentes categories du patrimoine
culturel. A ce jour, la recherche scientifique n’a
encore apporte aucune contribution majeure a la
solution des grands problemes que pose la
protection du patrimoine culturel.
Les progres spectaculaires dans les
domaines specialises sont rares. La recherche
theorique et fondamentale ne progresse guere,
et les avancees technologiques susceptibles
d’applications durables correspondent rarement a
la demande. A se focaliser exclusivement sur les
problemes « d’une actualite brulante », il etait
inevitable qu’on neglige l’analyse systematique de
la valeur intrinseque du patrimoine culturel. Cela
explique egalement l’absence d’interet pour la
collecte et l’inventaire methodique des techniques
traditionnelles et l’ignorance des dernieres
avancees de la reflexion sur la protection du
patrimoine culturel. Ajoutons qu’il n’existe
toujours pas d’equipe faisant fonction de noyau
dur capable d’ameliorer le niveau general de la
protection ni d’infrastructures de recherche tenant
lieu de plate-forme accessible a tous, que le besoin
d’un systeme d’echanges pluridisciplinaires en
matiere de protection scientifique du patrimoine
culturel se fait cruellement sentir, et que
l’etablissement de standards et normes techniques
est une necessite urgente.
Les mecanismes d’application et de
diffusion des resultats de la recherche laissent
encore beaucoup a desirer. Les avancees de la
recherche theorique et les tentatives d’innovation
technologique ne beneficient pas d’un soutien
suffisant, et l’on n’utilise pas pleinement le savoir
et les methodes scientifiques. En consequence, bon
nombre des problemes cruciaux qui touchent a
la protection du patrimoine culturel n’ont toujours
pas trouve de solution. On n’a pas su tirer tout le
parti voulu des resultats de la recherche. Au lieu
d’etre largement diffuses, ils restent confidentiels et
ne trouvent qu’une utilisation limitee dans leur lieu
ou institution d’origine. Ce blocage des flux
d’information entre l’offre et la demande fait que
les decouvertes et avancees de la science et de la
technique n’ont aucune chance de franchir les
limites du cercle restreint des specialistes.
Comment renforcer la contribution de la science et
de la technologie a la protection du patrimoine
culturel ?
Aujourd’hui, la protection scientifique et
technologique du patrimoine culturel pose de
nombreux problemes preoccupants, notamment au
Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques
Shan Jixiang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 57
niveau de la mise en place des structures, des choix
strategiques et de l’elaboration des politiques.
Certes, la mise en œuvre d’une politique de
protection du patrimoine culturel doit se
conformer a la fois aux principes universels qui
gouvernent l’application d’une telle politique et
aux tendances generales de la science et de la
technologie, mais il lui faut aussi tenir compte des
conditions specifiques de la Chine. La protection
durable du patrimoine culturel de la Chine passe
par un dosage approprie entre interventions
d’urgence et protection preventive, etudes
generales et specialisees, recherche fondamentale
et recherche ciblee, innovation et vulgarisation.
Interventions d’urgence ou protection preventive ?
Le premier objectif de la protection scientifique
du patrimoine culturel est de retarder le processus
de vieillissement. L’eternel conflit entre destruction
et protection, encore exacerbe par la degradation
de l’environnement naturel et l’exploitation
toujours plus poussee des ressources de la planete,
n’a aucune chance de s’attenuer dans l’avenir
previsible. L’experience montre que nous ne
pourrons vraiment redresser la situation que si
nous parvenons, sur la base du savoir accumule par
la recherche, a depasser le stade actuel de
l’intervention d’urgence en faveur d’une politique
generale, dument codifiee, de protection
preventive. Prenons l’exemple de l’argile arka.
Ce materiau, couramment employe dans la
construction du toit et du sol des maisons de type
tibetain, a une etancheite tres faible, d’ou des fuites
frequentes et persistantes. Des chercheurs ont
imagine de melanger le materiau d’origine avec un
additif qui le rend beaucoup plus resistant a l’eau,
aux pressions et au gel, tout en preservant ses
qualites specifiques. L’emploi de cette argile
modifiee a ete officiellement agree pour le grand
programme de renovation du patrimoine culturel
du Tibet, montrant ainsi que certains objectifs
de protection preventive peuvent etre atteints
en renforcant la dimension scientifique des
programmes de rehabilitation.
Toute l’efficacite de cette action preventive
consiste a combiner des strategies d’ensemble
adaptees a des conditions specifiques avec des
taches immediates porteuses d’objectifs a long
terme. Ainsi, le sud-est de la province du Shanxi
est un veritable musee a ciel ouvert ou subsistent
de nombreuses constructions traditionnelles
en bois, la plupart en si piteux etat qu’on peut
craindre leur disparition prochaine. En
consequence, un programme regional a ete lance
sur cinq ans pour permettre aux specialistes de
mettre au point un systeme efficace de protection
de ces structures menacees. Ce programme prevoit
de faire appel a des technologies de pointe et a de
nouveaux materiaux protecteurs, d’ameliorer les
regles, reglements et normes relatifs a la protection
du patrimoine culturel et de renforcer le controle
des qualifications. Il permettra aussi de mettre en
place un dispositif de protection scientifique a long
terme couvrant a la fois les interventions d’urgence
et la protection preventive.
En matiere de protection preventive a base
scientifique, les efforts actuels des chercheurs
portent sur la mise au point de techniques
susceptibles de la plus large application visant a
retarder l’erosion des pierres et a proteger les
objets metalliques, les monuments en argile et les
peintures murales ou parietales grace a une
meilleure maıtrise des facteurs environnementaux
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
58 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
et en faisant appel aux biotechnologies. Il faut
toutefois preter davantage d’attention a la
recherche fondamentale debouchant sur des
technologies de protection applicables a la
renovation des objets et sur l’elaboration de
nouvelles strategies de preservation concues en
fonction de chaque environnement. Il conviendra
de mettre en œuvre des programmes de protection
de l’environnement visant en particulier a elaborer
des criteres d’evaluation plus fiables des diverses
technologies, ainsi que d’ameliorer celles qui
jouent un role determinant dans la preservation
de l’environnement patrimonial. Enfin, il faudrait
renforcer le contenu scientifique des projets de
renovation, s’agissant notamment des objets les
plus rares et les plus degrades.
Recherche generale ou specialisee ?
En raison de la diversite du patrimoine culturel
et des nombreuses menaces qui pesent sur lui, sa
protection fait appel a un large eventail de
disciplines. En outre, la multiplicite des biens
difficilement identifiables places sous la banniere
du patrimoine culturel fait que l’on se tourne de
plus en plus vers la science et la technologie.
« Toutes les choses dans l’univers sont plus ou
moins liees entre elles; cela explique
l’interdependance des ‘diverses’ disciplines qui
s’efforcent d’apprehender les lois qui les
gouvernent toutes. Car rien n’existe jamais
isolement du reste. »1 Aujourd’hui, de nombreuses
disciplines pionnieres sont amenees a s’interesser
aux temoignages du patrimoine culturel, et en
particulier a ceux qui couvrent de longues periodes
historiques ou sont etroitement associes a l’activite
humaine. Comme le disait fort bien le physicien
sino-americain Tsung-Dao Lee, co-laureat du Prix
Nobel en 1957: « La civilisation du XXe siecle etait
plus microscopique que macroscopique. A mon
humble avis, il serait souhaitable que la civilisation
du siecle a venir – le XXIe – soit les deux a la
fois. »2
Au debut des annees 1990, le celebre
architecte Wu Liangyong publia une mise au point
sur les transformations structurelles de la societe
contemporaine et leur impact sur le
reamenagement et le developpement de l’espace
urbain, preconisant pour resoudre les problemes
specifiques lies a cette evolution un effort de
recherche transdisciplinaire.3 En d’autres termes,
il s’agirait d’elaborer un dispositif centre sur une
problematique specifique rayonnant vers divers
domaines d’etude « peripheriques » mais
neanmoins pertinents. Cela permettrait a chacun
d’elargir sa sphere de connaissances (et de relever
du meme coup le niveau general de la recherche
scientifique), sans risquer pour autant de perdre
ses reperes dans une derive « transdisciplinaire »
effrenee.
Aujourd’hui, la recherche des applications
scientifiques et technologiques au service de la
protection du patrimoine culturel couvre un
champ tres large et fait appel a bien des techniques
differentes d’investigation, d’evaluation, de
preservation et de renovation. Le travail de
conservation est un processus complexe, qui exige
une cooperation etroite entre les diverses
disciplines scientifiques : science de
l’environnement, meteorologie, geologie, physique,
biologie et chimie. Ce processus ne fait d’ailleurs
pas seulement appel aux disciplines purement
scientifiques, mais aussi aux connaissances et a
l’expertise des historiens, archeologues,
Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques
Shan Jixiang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 59
anthropologues, architectes, sociologues,
economistes, geographes et botanistes.
La protection scientifique du patrimoine
culturel est desormais consideree comme une
entreprise multiforme au sein de laquelle la
recherche fondamentale et ses applications
concretes, les methodes modernes et les savoir-
faire traditionnels, les disciplines universitaires
et les technologies essentielles se completent
mutuellement. A titre d’exemple, un travail
d’evaluation et d’illustration des antiques
inventions chinoises s’est appuye sur une etude
empirique au cas par cas dans les secteurs de
l’agriculture, de l’irrigation, des communications
et des produits manufactures (textiles compris).
Ce processus a pleinement utilise toutes les
ressources de la documentation, de l’archeologie,
de l’experimentation et de la comparaison
internationale, sans oublier les techniques de
simulation – a telle enseigne que ces differentes
disciplines se recoupaient et que les informations
recueillies se completaient mutuellement.
Finalement, cela a permis de presenter une image
tres complete des caracteristiques essentielles de la
creativite du peuple chinois et du patrimoine qui
en est issu.
Recherche fondamentale ou ciblee ?
Les exigences et les defis en matiere de
conservation continuent a evoluer; c’est pourquoi
on devrait faire de plus en plus appel dans les
annees a venir a la recherche fondamentale en
liaison avec certains aspects importants de la
protection du patrimoine, comme les
caracteristiques des biens de tel ou tel site et leur
valeur, leur authenticite et leur etat de
conservation, leur importance et leur
representativite, ou encore les materiaux et
technologies en jeu. Par exemple, l’Institut de
recherche de Dunhuang a obtenu de remarquables
resultats dans la conservation scientifique des
peintures murales (en particulier celles des grottes
de Mogao), la consolidation des monuments
historiques tailles dans l’argile, et l’elaboration de
nouveaux materiaux de rehabilitation. Cela a
necessite un travail tres minutieux d’enquete, de
controle et d’analyse des donnees, et la
collaboration efficace des specialistes des sciences
naturelles et des sciences sociales, pour aboutir a
un systeme tres complet de protection reposant sur
des bases scientifiques.
L’entree des sciences exactes et naturelles
dans le domaine de l’archeologie a elargi le champ
des investigations et permis d’importantes
ameliorations des methodes de recherche. Par
exemple, l’utilisation de l’ADN et la cooperation
transdisciplinaire entre chercheurs ont
considerablement ameliore l’efficacite et
l’exactitude des missions archeologiques. « La
nouvelle problematique et les nouvelles methodes
decoulant de ce processus sont finalement plus
importantes que les decouvertes elles-memes.
Apres tout, l’archeologie ne pourra progresser
que si l’on arrive a poser les bonnes questions et a
se doter des moyens appropries pour les
resoudre. »4
La protection du patrimoine culturel ne
peut ignorer les exigences fondamentales de
l’epoque. Il faut s’efforcer de traiter en priorite les
questions les plus urgentes et les problemes qui
interferent avec le processus de conservation; des
programmes de recherche devraient etre
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
60 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
specialement concus afin de resoudre les
problemes les plus pressants. Un bon exemple est
le Programme de recherche sur les origines de la
civilisation chinoise, etude exhaustive de cinq
millenaires de patrimoine culturel a partir des
vestiges historiques existants. S’appuyant sur le
travail de terrain anterieur, inspire pour l’essentiel
du principe de la classification par zones, il vise a
elargir et approfondir les echanges et la
cooperation entre les differentes regions,
administrations et disciplines. Son objectif est de
retracer la sequence chronologique des periodes
archeologiques pour tenter d’etablir des liens
logiques entre elles. En faisant appel aux
technologies les plus recentes, le programme
s’efforce d’integrer et d’ameliorer la transmission,
l’analyse et l’interpretation des informations
relatives aux vestiges existants.
Les defis actuels sont nombreux : il s’agit
a la fois de faire progresser encore la recherche
fondamentale et l’innovation technologique, de
former du personnel, de creer des centres de
recherche et de formation et de moderniser les
equipements et l’infrastructure – sans pour
autant negliger les activites essentielles que sont
le sauvetage, la preservation, la gestion et la
mise en valeur du patrimoine. Une telle
ambition presuppose que les tentatives
d’innovation theorique ou institutionnelle se
placent dans le cadre plus general de la
protection scientifique du patrimoine culturel.
Le Programme de protection sur une grande
echelle des sites anciens du patrimoine culturel,
par exemple, adopte une approche scientifique
pour se doter d’un cadre methodique de
protection preventive permettant de s’attaquer a
des problemes majeurs, comme le vol d’objets
culturels. Ce programme concentre egalement
ses recherches sur les aspects archeologiques
et humanistes de la protection du patrimoine
culturel, et apporte un soutien empirique aux
activites d’investigation et d’evaluation
necessaires pour assurer une protection efficace
des sites abritant des monuments anciens tres
vastes.
Innovation technologique et vulgarisation
La protection du patrimoine culturel repose sur
la mise en place d’un systeme d’innovation
scientifique et technologique faisant partie
integrante d’un reseau national, plus vaste,
d’innovation transdisciplinaire. D’un point de vue
strategique, cela permettrait d’instaurer de
nouveaux rapports de cooperation, centres sur la
quete de l’innovation, en forgeant des liens a la
fois internes (entre les services de protection
du patrimoine) et externes (avec les instituts de
recherche et les universites). Un des objectifs
majeurs est d’inciter l’Etat a s’impliquer davantage
dans l’elaboration des politiques d’innovation
scientifique et technologique, de le persuader de
coordonner et d’integrer les fonctions des
differentes regions et administrations, de montrer
en quoi la science et la technologie contribuent a la
protection du patrimoine culturel, et d’encourager
la societe a continuer a investir dans la recherche
scientifique et technologique.
Un aspect essentiel de cette reforme
consistera a optimiser la recherche universitaire
et le developpement technologique, a repartir
plus rationnellement les ressources sociales et a
s’efforcer de tirer le meilleur parti possible des
resultats de la recherche fondamentale. En meme
Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques
Shan Jixiang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 61
temps, toutes les ressources intellectuelles des
instituts de recherche, colleges et universites
seront mobilisees, tant au niveau national que
regional, avec creation de plusieurs centres
professionnels de recherche de pointe et de
laboratoires mobiles, en vue de promouvoir les
sciences sociales et naturelles et les sciences
appliquees. L’objectif est de creer un systeme
d’innovation et de vulgarisation scientifique
et technologique a trois niveaux, a savoir : les
organismes nationaux de protection du
patrimoine culturel, les centres de recherche
professionnels et les musees qui abritent les
collections.
Les chercheurs et techniciens ne sont pas
seulement les artisans du progres scientifique et
technologique; ils en sont aussi les propagateurs.
C’est pourquoi il faut leur donner plus de moyens
de transformer les acquis de la recherche en
benefices concrets pour le plus grand nombre.
En consequence, il faudra rendre plus accessibles
les services de consultation technologique et creer
des zones pilotes en liaison avec des plates-formes
d’echange, afin de diffuser les moyens et
equipements de recherche, les specimens de
ressources ainsi que la documentation scientifique
et technique, l’objectif etant de propager
l’innovation technologique au sein comme en
dehors de la profession. Il s’agit a terme d’etablir
une relation plus equilibree entre « entrees »
et « sorties », afin de promouvoir la diffusion
de technologies de pointe et de faciliter leur
exploitation.
L’emergence des technologies numeriques
offre de nouvelles perspectives d’exploration de la
dimension humaine du patrimoine culturel. Il
faudrait creer, alimenter et tenir a jour des banques
de donnees suffisamment completes pour
permettre aux technologies de l’information de
realiser pleinement leur potentiel en matiere de
stockage permanent et de sauvegarde des donnees
du patrimoine. Il est essentiel d’associer les moyens
de la technologie informatique et les methodes
traditionnelles pour mettre pleinement en evidence
les valeurs implicites du patrimoine culturel.
Aujourd’hui, nous sommes tous confrontes a ce
double defi : numeriser le patrimoine culturel et
enrichir ce patrimoine grace a la technologie
numerique.
En guise de conclusion
La science et la technologie ont un role crucial
a jouer dans la protection des tresors culturels
de la nation. Elles sont a la fois la base et le
moteur du progres dans la duree. L’objectif
immediat et prioritaire est de mettre tous les
moyens qu’elles offrent au service des diverses
initiatives de protection du patrimoine. Il faut
faire œuvre de pionniers en matiere de recherche
theorique, d’applications concretes, de grandes
orientations et de creation de disciplines
nouvelles, afin d’aider et d’encadrer la protection
du patrimoine culturel.
L’evolution generale de la preservation du
patrimoine culturel privilegie la protection
preventive, c’est-a-dire une demarche active plutot
que passive. Mais cela suppose une maıtrise plus
rigoureuse des parametres de l’environnement, une
vigilance accrue en matiere de maintenance
reguliere, et l’amelioration des techniques
d’assainissement et de controle du milieu. En
meme temps, il conviendra d’optimiser les indices
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
62 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
mesurant la preservation de l’environnement et
d’ameliorer les caracteristiques des dispositifs de
protection, de maniere a depolluer, securiser et
stabiliser l’environnement physique du patrimoine
culturel.
L’apparition et le developpement de
nouvelles conceptions de la protection du
patrimoine culturel impliquent l’amelioration des
methodes traditionnelles, associees a des
disciplines plus academiques. Il faut concevoir de
vastes programmes de recherche capables de
transcender les barrieres traditionnelles entre les
disciplines, les regions et les services, de facon a
mettre en place un mecanisme ouvert, souple,
competitif et coordonne apte a gerer le
developpement a long terme comme les operations
au quotidien. En concentrant ce qu’il y a de
meilleur tant au plan national qu’international en
matiere de ressources intellectuelles, il deviendra
possible de mieux integrer les moyens scientifiques
et technologiques de l’Etat et des instances locales,
et de donner aux universites et centres de
recherche scientifique toute latitude de deployer
leurs forces au sein de programmes cles afin de
s’attaquer conjointement aux problemes les plus
urgents.
Des orientations strategiques en phase
avec les besoins les plus pressants en matiere de
protection du patrimoine culturel national
devraient etre definies en tenant compte a la fois
des preoccupations immediates et des
perspectives d’avenir. Les questions les plus
urgentes feront l’objet d’etudes prioritaires, en
privilegiant ces noyaux technologiques qui
justifient un effort immediat parce qu’ils
proposent des objectifs clairement definis,
s’appuient sur une base technologique solide ou
permettent d’esperer des avancees spectaculaires
rapides. Enfin, la recherche specialisee dans des
domaines pionniers sera encouragee sur une
grande echelle. Tout cela devrait permettre de
disposer bientot d’un ensemble commun de
technologies efficaces au service de la protection
du patrimoine.
La vulgarisation des resultats de la
recherche scientifique et technologique est un
projet ambitieux et de longue haleine, qui met en
jeu tout un ensemble de problemes et de facteurs
interdependants. C’est pourquoi il faut mettre en
place des infrastructures appelees a servir de
plates-formes pour dynamiser l’innovation
scientifique et technologique et promouvoir la
vulgarisation technologique, permettant ainsi aux
acquis de la recherche de creer des tendances
directrices, d’etablir des normes et de faire la
preuve de leur valeur pragmatique.
NOTES
1. Wu Liangyong (2001), Introduction a la science de l’environnement
residentiel, Beijing : Chinese Architectural Industry Press, p. 101–2.
[en chinois]
2. Tsung-Dao Lee (1998), preface a Perspectives de developpement de la
Science au XXIe siecle : 100 Points Difficiles, Jilin : Jinlin People’s Press.
[en chinois]
3. Wu Liangyong et Ju’er Hutong (1994), Le vieux Beijing, Beijing : Chinese
Architectural Industry Press, p. 232. [en chinois]
4. C. Renfrew et P. Bahn (2004), Archeology : Theories, Methods and
Practice, Londres: Thames & Hudson. Beijing: Cultural Heritage Press.
trad. Institut archeologique de l’Academie chinoise des sciences sociales,
p. 503.
Aspects scientifiques et technologiques de la protection du patrimoine culturel : considerationsdialectiques
Shan Jixiang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 63
La numerisation des museeschinoispar Li Wenchang
Li Wenchang, directeur du site Internet du Bureau de la presse culturelle chinoise, est
chercheur adjoint. Il s’interesse depuis longtemps a la situation des musees en Chine et a
la recherche museologique. Il a contribue aux Statuts du Musee de Beijing, aux Statuts des
musees de Chine et a d’autres reglementations dans ce domaine.
Il est communement admis que les musees ont
fait leur apparition en Chine au debut du XXe
siecle, avec la fondation en 1905 du Musee du
Nantong dans la province du Jiangsu, considere
comme le tout premier musee de Chine. Cent
ans plus tard, alors que l’humanite entrait dans le
XXIe siecle, la Chine comptait quelque 3 000
musees. Dans ce laps de temps, les musees
chinois ont connu deux transformations
majeures. La premiere a ete la modernisation de
vastes complexes desuets grace a la construction
massive de nouveaux locaux, et la deuxieme la
numerisation de la documentation des musees.
Le present article est consacre a la numerisation
des musees chinois.
Outre la numerisation des musees, un
autre modele de gestion communement utilise
est celui du musee fonde sur les techniques de la
communication et de l’information (TIC). Les
recherches sur les differences entre ces deux types
de musees sont encore en cours, ce qui illustre une
theorie non prouvee selon laquelle il s’agirait de
deux systemes tres differents. En realite, il n’y a
la qu’une difference d’approche et il ne faut pas
laisser cette question compliquer les choses. Cette
theorie non prouvee reflete egalement la confusion
64 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008
Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
quant aux implications de la numerisation des
musees : s’agit-il de la numerisation des musees, de
musees numerises, de musees numeriques ou de
musees virtuels ? Beaucoup de gens ne font pas
de distinction claire entre ces types de musees ou
leurs utilisations, aggravant ainsi la confusion.
La confusion la plus courante est celle qui est faite
entre numerisation des musees et musees
numeriques. Ce sont la deux questions
fondamentalement differentes, mais beaucoup les
confondent, et en parlent comme s’il s’agissait de la
meme chose.
La longueur de cet article etant limitee, les
questionnements quant aux sens des notions
susmentionnees ne peuvent etre examines en
profondeur. Toutefois, afin d’eviter la confusion,
les termes utilises dans cet article sont brievement
expliques ci-apres.
La numerisation des musees implique
l’utilisation de la technologie numerique
(informatique, techniques de stockage
numerique, technologies des medias, en ligne, de
communication et numeriques) pour tous les
aspects de la numerisation de l’entite musee.
C’est un processus continu qui peut comprendre
la construction d’un site Internet, la
numerisation de la gestion des collections
du musee, des presentations virtuelles,
l’automatisation numerique, la construction de
reseaux, etc.
Un musee numerique est un musee qui a
deja ete numerise avec succes et qui a abouti a un
resultat numerique. Par exemple, le Musee de la
capitale (a Beijing) est un musee numerise. Ce type
de musee est aussi une entite distincte.
En somme, les musees numeriques sont
des musees etablis dans le cyberespace. Ils ont en
general deux caracteristiques particulieres. D’une
part, comme ce sont des musees, ils doivent
presenter les caracteristiques fondamentales de
tout musee; d’autre part, comme ce sont des
musees virtuels, ils sont depourvus de forme
materielle. Il faut noter que dans cet article la
question de la numerisation des musees chinois
couvre les deux aspects – la numerisation des
musees et les musees numeriques.
Objectifs de la numerisation : des musees sur
l’Internet
S’agissant des objectifs de la numerisation,
l’administration d’Etat du patrimoine culturel a
organise de nombreuses reunions dans les
annees 1980 a Shanghai pour permettre a la
population de debattre de la construction de
musees fondes sur l’information et d’exprimer
ses vues a ce sujet. Mais ces rencontres ne
constituerent qu’un tour d’horizon en interne.
Je suis d’avis que la numerisation des musees
chinois aurait du, des le depart, inclure
l’utilisation des sites Web des musees. C’est en
fait l’arrivee desdits sites dans le cyberespace qui
permit finalement aux responsables des musees
d’annoncer qu’ils commencaient a numeriser les
musees chinois.
En aout 1998, le site du Musee du Henan
a ete le premier a etre affiche sur le Web.
Quelques annees plus tard, a mesure que la Toile
s’etendait, de plus en plus de sites de musees
firent leur apparition et toujours plus
d’internautes purent donner leur opinion sur les
musees en ligne.
La numerisation des musees chinoisLi Wenchang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 65
« Les musees en ligne » correspondent a la
premiere vague de numerisation des musees. Les
plus importants musees nationaux et provinciaux
ont desormais leur propre site independant. De
nombreux petits et moyens musees specialises sont
egalement sur la Toile. Aujourd’hui, la construction
de sites Internet est un phenomene courant dans le
travail de numerisation des musees chinois.
Numerisation des musees et musees numerises
Alors que toujours plus de musees apparaissaient
sur l’Internet, la numerisation des musees chinois
est entree dans la seconde phase de son
developpement, apres l’introduction de logiciels
concus pour gerer le stockage numerique des
collections.
Les collections occupent une place centrale
dans l’entite musee. La numerisation a entraıne
l’apparition de multiples musees sur l’Internet et,
en consequence, un grand nombre d’institutions se
sont tout naturellement attelees a la numerisation
de leurs collections. Le Musee du Henan, le Musee
de Shanghai et d’autres ont rapidement montre la
voie pour ce qui est des objets culturels. Puis,
beaucoup de musees, parmi les plus importants,
ont elabore leurs propres logiciels de gestion des
collections. En 1999, le Bureau municipal de la
culture de Beijing, charge des projets au Musee
municipal de Beijing, a produit lui-meme un
systeme de gestion de ses collections, utilisable
egalement par tous les musees de la ville. C’etait la
premiere fois qu’une administration culturelle
creait un programme de numerisation a l’echelon
du district. La numerisation des collections de
musee a connu immediatement un essor
considerable.
En septembre 2001, l’administration d’Etat
du patrimoine culturel, avec l’aide du Ministere des
finances, a initie son programme d’« inspection du
patrimoine culturel et creation de systemes de
gestion de bases de donnees ». C’etait la premiere
fois que l’administration centrale se lancait dans un
programme de numerisation de musee a l’echelle
nationale, ce qui demontre l’effet qu’ont pu avoir la
conception et la mise au point de logiciels de
gestion des collections sur les politiques menees
durant cette periode.
A mesure que les technologies de
l’information se developpaient, on a commence a
s’interesser serieusement a la numerisation des
musees. Une fois entamee la numerisation des
collections, l’automatisation numerique a
rapidement investi le domaine de la numerisation
des musees, qui s’est peu a peu etendue a tous les
aspects de l’activite museale. L’installation de
l’Intranet necessitait un materiel de coordination
des systemes. La numerisation integrale a permis
a des musees tels que le Musee du palais imperial,
13. Vue sur ecran du Musee virtuel de Beijing.
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13
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
66 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
le nouveau Musee de la Capitale et le Musee de
Nanjing de developper de nouvelles fonctions.
Representatif des anciens musees, le Musee de
Nanjing a donne la priorite a l’achevement de son
site Internet, a la gestion de ses collections, a la
mise en systeme de sa bibliotheque ainsi que de ses
nombreux objets d’exposition multimedia et a
l’installation d’un Intranet. Il a ce faisant
automatise ses systemes d’information numerique,
de prevention des incendies, de securite et de
bureautique.
La technologie de la realite virtuelle a ete
utilisee par les musees pour presenter des
expositions en 3D sur le Web. L’experience de
numerisation des musees menee en Chine a donne
une impulsion nouvelle a ces institutions.
Objectif : des musees numeriques
Apres ce travail de numerisation des musees,
l’etape suivante, en toute logique, etait la
construction de « musees numeriques ». La
bonne execution du programme « Inspection
du patrimoine culturel et creation de systemes
de gestion de bases de donnees », qui a assis
sur des bases solides le projet « Musees
numeriques chinois », a joue un role crucial
a cet egard.
Le travail de recherche et de construction
concernant les « Musees numeriques chinois »
est un element important du programme
d’infrastructure et d’organisation du Ministere
national de la culture. Ce programme comprend
l’etablissement d’une base de donnees sur le
patrimoine culturel chinois, la rationalisation des
donnees stockees, la mise en place de plates-formes
de gestion securisees et de plates-formes reliant la
base de donnees sur le patrimoine culturel au Web,
et l’uniformisation des technologies cles utilisees
par les musees numeriques dans leurs programmes
(c’est-a-dire expliquer clairement le cadre global et
les plans des musees numeriques). La forme et
l’orientation que prendront les « musees
numeriques chinois » ne sont qu’une question de
temps.
Une fois globalement numerises, les
musees ont commence a creer leurs propres
musees numeriques. Ainsi, apres que l’Institut
de recherche de Dunhuang a adopte des
methodes de recherche scientifique empruntees a
l’etranger, un debat s’est instaure a propos d’un
« Dunhuang numerique », concurremment avec
un travail de numerisation d’elements du
patrimoine culturel tels que les grottes, les
peintures murales et la statuaire bouddhiste
peinte des grottes de Mogao a Dunhuang. Des
documents historiques, des travaux scientifiques
et autres materiels pertinents disperses dans le
monde ont ete numerises et archives. Grace a
cette ressource integree, un « Dunhuang
numerique » est ne.
14. Exposition virtuelle du Musee de la capitale.
ªL
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14
La numerisation des musees chinoisLi Wenchang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 67
Le debat s’est ensuite tourne vers
l’ouverture de musees numeriques regionaux.
Le « Musee numerique de Beijing » a ete lance en
ligne en septembre 2006, a l’issue de consultations
entre le Bureau municipal de la culture de Beijing,
le Bureau municipal de Beijing pour les activites
fondees sur les TIC et l’Association scientifique
et technologique de Beijing. En aout 2008, la
« Plate-forme du Musee numerique de Beijing »
a ete etablie et validee apres verification par des
specialistes. Structurellement, il s’agit d’un
melange de virtuel et de reel. La partie « reelle »
comprend 157 entites specialisees en vulgarisation
scientifique, qui dependent du Musee des sciences
naturelles, du Musee des sciences sociales, du
Musee des religions, du Musee Quwei Dongman et
de plusieurs autres grandes institutions. La partie
« virtuelle » est composee de musees virtuels ou
numeriques independants. Ces derniers se sont
diversifies et comprennent aujourd’hui un musee
numerique des sciences et des arts, un musee
numerique des traditions populaires de Beijing
et un musee numerique de la medecine chinoise
traditionnelle, de Beijing entre autres.
Il faut aussi noter que comme les Jeux
Olympiques de 2008 auront lieu a Beijing, le
Comite olympique de Beijing a deja commence a
mettre sur pied un « Musee olympique
numerique », premier musee en ligne du monde
couvrant tous les aspects du mouvement
olympique, dont une introduction a l’histoire des
Jeux, leur evolution et developpement. Il
s’appuiera sur des ressources considerables en
lien avec les JO de Beijing en 2008, les JO
anciens et recents, et la culture sportive seculaire
de la Chine. Il exposera des objets culturels de
l’histoire des Jeux, mettant en valeur les exploits
des grands champions et exaltant l’essence
des JO.
Les premiers pas vers la numerisation
effective des musees chinois ont ete accomplis dans
les annees 1990 et il y a deja eu trois etapes
distinctes de developpement : d’abord « les musees
sur l’Internet », ensuite la « numerisation des
musees » et les « musees numerises », enfin les
debuts des « musees numeriques ».
Les actions de numerisation
Les musees
Au fil du temps, les musees chinois ont explore
toutes les manieres positives d’utiliser la
numerisation. Les pionniers dans ce domaine,
notamment le Musee de Shanghai, le Musee du
Henan, le Musee de Nanjing et d’autres, ont
activement œuvre en faveur de sa promotion et
acquis une experience qui a largement contribue a
son developpement, et dont l’influence est chaque
jour davantage pregnante.
L’un des exemples les plus recents et les
plus reussis est la numerisation du Musee de
la Chine, situe dans la nouvelle aile du Musee de la
Capitale a Beijing, ouvert en 2006, modele de
modernisation. L’ancien batiment a offert un site
merveilleux au nouveau musee numerise, dont on
peut dire qu’il l’est entierement. Il se distingue par
les trois caracteristiques suivantes : en premier
lieu, la base de donnees sur le musee a ete
entierement construite a partir d’un modele de
technologie numerique et la collection elle-meme
est geree numeriquement; ensuite, la technologie
numerique est pleinement utilisee pour les
expositions classiques et multimedia : les
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
68 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
projections sur ecrans multiples, effets speciaux,
spectacles de realite virtuelle et images de synthese
sont completement integres sur tout le site; enfin,
c’est le premier musee dans le pays a installer des
systemes personnalises utilisables aussi bien
comme plate-forme d’information pour le
personnel que par le public. Ils comprennent un
systeme de gestion de l’information sur le
patrimoine culturel, des systemes de sauvegarde
pour les presentations multimedia, le site Internet
du musee et plus de dix autres elements. Grace a
ses efforts, le Musee de la Capitale a acquis une
experience considerable dans le domaine de
l’installation de systemes museaux numerises.
Les entreprises commerciales
A mesure que la numerisation des musees chinois
prenait de l’ampleur, le besoin de renforcer les
styles de leadership de gestion s’est accru,
engendrant des pratiques similaires a celles du
monde des entreprises. En 2003 et 2006 ont ete
crees le Comite special de numerisation de
l’Association chinoise des musees et le Comite
special des TIC de la Societe culturelle chinoise.
Des associations commerciales ont ete mises sur
pied pour assurer la liaison entre les pouvoirs
publics et les musees et promouvoir la cooperation
entre musees et recherche theorique sur la
numerisation, entre autres. Il convient de signaler
l’excellent protocole adopte a la reunion annuelle
pour permettre a tous les participants d’echanger
des idees, de tirer des lecons des erreurs des uns
et des autres et d’apporter des ameliorations.
Le Gouvernement
Ce sont les services gouvernementaux qui
conduisent, dirigent et garantissent le processus de
numerisation des musees chinois, lequel exige le
lancement de nouvelles initiatives a intervalles
reguliers.
En tant que principal service
gouvernemental responsable des musees, le
Ministere chinois de la culture a publie des
« Directives (experimentales) sur les cibles
d’information pour les collections de musees », des
« Directives (experimentales) sur l’utilisation de la
technologie des films bidimensionnels dans les
collections de musee » et d’autres directives sur les
normes de la technologie numerique; il a lance un
programme d’« Inspection du patrimoine culturel
et creation de systemes de gestion de bases de
donnees »; il a mis en place un centre de donnees
du Ministere national de la culture; il a promu la
recherche en vue d’une base de donnees sur
l’inestimable patrimoine culturel de la Chine, sur
les « musees numeriques » et sur d’autres
questions importantes; enfin, il a institue la
protection des informations commerciales relatives
au patrimoine culturel avec la strategie « 10-1-5 ».
L’essentiel, c’est que la construction des « musees
numeriques chinois » est une entreprise
d’envergure et que tous les services
gouvernementaux sont plus ou moins appeles
a y participer.
Dans la gestion du patrimoine culturel
national, patrimoine materiel et patrimoine
immateriel sont administres separement. Quand
le Ministere de la culture a activement debattu de
la question de l’etablissement des « musees
numeriques chinois », son departement culturel a
aussi envisage en profondeur la numerisation du
patrimoine immateriel chinois. En juin 2006, sous
la direction du Bureau de la culture de la
Republique populaire de Chine et de l’Academie
La numerisation des musees chinoisLi Wenchang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 69
chinoise des arts, un modele de « Musee
numerique du patrimoine immateriel de la Chine »
a ete presente puis affiche sur les sites nationaux
specialises dans les diverses categories de
patrimoine immateriel. Ce modele traitait de tous
les aspects du patrimoine culturel vivant chinois et
constituait un complement tres utile des « musees
numeriques chinois ».
Les musees des universites occupent une
place particulierement importante en Chine et leur
numerisation est devenue une priorite majeure du
Ministere de l’education. En 2001, le ministere a
publie sa « Strategie pour une transformation
radicale de l’education au XXIe siecle », qui
comportait un programme en vue de
l’etablissement special d’« une ressource educative
commune moderne sur l’Internet – la creation d’un
musee universitaire numerique ». Le Musee
numerique de geologie de l’Universite de Beijing
et plus de dix autres musees universitaires
numeriques ont ete crees a ce jour.
Malgre les avancees que l’on peut observer,
le developpement de la numerisation des musees
en Chine doit se poursuivre, grace aux efforts et
objectifs conjugues des musees, des entreprises
commerciales et du gouvernement.
Problemes actuels
Au bout de dix ans d’intense travail constructif sur
la numerisation des musees, les resultats positifs
sont reels, qu’il s’agisse des progres rapides de la
construction de sites Web ou de l’enregistrement
numerique d’un tres grand nombre de pieces des
collections de musees numerises. Cela est
particulierement vrai en ce qui concerne le Musee
du palais imperial, le Musee de Shanghai, le Musee
de la capitale et le Musee de Nanjing, tous
pionniers en matiere de numerisation. Dans leur
effort de numerisation, ils ont deja atteint, ou sont
sur le point d’atteindre, les normes nationales.
Cependant, pour diverses raisons, il reste encore
beaucoup a faire.
Manque de preparation theorique
C’est le personnel des musees chinois qui a pris
l’initiative de les numeriser; la pratique a precede
la theorie, puisqu’au depart il n’y eut ni
preparation theorique ni modele experimental.
Aussi la numerisation des musees, surtout dans les
premiers temps, s’est-elle faite a l’aveuglette et
arbitrairement, sans vision ni strategie a long
terme.
Niveaux globaux de resistance
Actuellement, on compte en Chine environ 3 000
musees de tous types, formes et genres. Lorsque
la numerisation a commence, un dixieme au plus y
a participe (il ne s’agit que d’une estimation,
faute de donnees statistiques). Alors que la
numerisation etait deja en marche, sauf dans les
musees des minorites ethniques, la plupart des
gens avaient relativement peu de competences et
de connaissances concernant les applications des
technologies. Bien que la numerisation se soit
considerablement etendue, l’expertise n’est pas
largement disponible et il faut encore ameliorer les
competences. On peut donc considerer que
globalement les niveaux de numerisation dans les
musees chinois sont encore inadequats.
Disparites de developpement
Le developpement de chaque region et de chaque
musee a ete inegal en raison de l’heterogeneite des
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
70 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
conditions operationnelles, et il subsiste de grandes
disparites. Les regions economiquement avancees
disposent de meilleures ressources humaines et
financieres et leurs grands musees ont des collections
plus riches, ce qui leur permet de mobiliser
davantage d’attention et de soutien, et donc de se
developper encore plus vite. En ce qui concerne le
financement, la region developpee de l’est beneficie
de beaucoup plus d’investissements que la region du
centre-ouest, au developpement plus lent. Qui plus
est, les disparites ne cessent de croıtre.
Autogouvernance
Comme il a deja ete note, la numerisation des
musees chinois a ete entreprise par les musees
eux-memes : l’unite d’information numerique de
chaque musee numerise a donc fonde un modele
unique, suivant ainsi une tendance generale du
developpement numerique des musees chinois.
Comme les musees ne pouvaient se developper
qu’en fonction de leurs besoins specifiques, ils ne
pouvaient acceder a un niveau superieur. Il en est
resulte une autogouvernance depourvue de
transparence et de normes unifiees. Lorsque des
difficultes survinrent par la suite lors de la
recherche de sources d’information, le resultat a
ete une regression de la reconstruction et du
reinvestissement. D’autre part, l’insuffisance des
ressources humaines et des fonds a fait obstacle
a l’extension de la numerisation et a son
amelioration.
Le defaut de normes commerciales coherentes
Faute de normes commerciales coherentes, les
ressources ont ete serieusement restreintes. Ainsi,
dans la gestion des collections des musees,
puisqu’il n’existait pas de criteres systematiques,
scientifiques ou regulateurs, seules les normes
individuelles existantes ont pu etre appliquees a la
numerisation des collections. En consequence, de
multiples logiciels de gestion des collections ont
ete elabores. Des normes disparates ont produit des
programmes de « classification » ou
d’« etiquetage », avec pour resultat l’absence de
bases communes entre les differentes sources
d’information concernant la collection de chaque
musee. Aussi a mesure que les musees
developpaient la numerisation de leurs collections,
le probleme devenait-il de plus en plus aigu. Il n’a
pas ete possible de mettre en œuvre des normes
commerciales coherentes suffisamment rapidement
pour remedier a un probleme aussi pressant. Les
systemes numerises sont des outils d’organisation
courants qui exigent une connaissance des
technologies, des contenus et des applications.
Cependant, en cas de lacune dans la technologie,
de disparite dans les contenus ou de difficulte
d’application, la coordination des ressources sera
tres insuffisante.
Manque de ressources financieres et humaines
En comparaison avec d’autres secteurs,
l’investissement national de ressources humaines
dans la numerisation des musees vient seulement
de commencer. De plus, les musees eux-memes ont
du mal a faire face a ce travail quand celui-ci
requiert des fonds considerables. De nombreux
musees esperent se doter d’une gestion numerique,
mais cela est impossible sans fonds specifiques. Un
autre aspect du probleme est le manque de
personnel specialise. Pour toutes ces raisons, il est
difficile aux musees de recruter du personnel
technique tres qualifie.
C’est en renforcant la recherche theorique
et la recherche sur les nouvelles technologies, en
La numerisation des musees chinoisLi Wenchang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 71
mettant en place des systemes de gestion unifies,
coordonnes et efficaces, en delimitant le champ
d’action de ces entites et en definissant les regles et
normes qui les regissent, enfin en ameliorant la
formation du personnel et les financements que
l’on pourra resoudre ces problemes et mener a bien
le programme de numerisation des musees chinois.
Perspectives de developpement
Bien que la numerisation des musees continue a
poser de nombreux problemes, elle est
indispensable pour aller de l’avant en matiere
d’application scientifique et de gestion moderne. Si
les musees veulent se moderniser, il leur faut se
numeriser. Ce processus a deja eu pour effet
d’encourager la cooperation entre institutions
partageant les memes conceptions. Les
perspectives de la numerisation des musees chinois
sont prometteuses.
Avec un soutien substantiel de la part du
Gouvernement, le developpement a des chances
d’etre relativement rapide. L’experience de la
numerisation des musees chinois jouit du soutien
total des musees, des entreprises commerciales et
des pouvoirs publics, et a l’issue de plus de dix ans
de progres tatonnants, le processus est en train
d’atteindre le stade de developpement autonome.
Sous la direction du Ministere de la culture, qui
considere la numerisation de ses collections
comme essentielle a ses activites et cherche avant
tout a achever la numerisation des musees, le
processus de numerisation peut progresser
activement.
La Chine possede une culture millenaire,
qui a legue un riche patrimoine culturel. Les
musees numeriques ont ete crees pour etablir des
assises culturelles solides. Cela assurera la
preeminence des musees numeriques chinois.
Le musee individuel restera pendant un
certain temps representatif de la tendance
principale de la numerisation. Les musees sur
l’Internet, la numerisation de musees et surtout la
numerisation de leurs collections demeureront
dans un avenir previsible des elements importants
du mouvement de numerisation. Il se peut que les
aspects regional et commercial amenent les musees
numeriques a se developper differemment. Les
« musees numeriques chinois » continueront a
illustrer le niveau technologique le plus eleve
atteint dans la numerisation des musees.
A la suite de l’essor de la technologie Web
2.0, et vu que les internautes sont peu a peu
devenus des createurs et des diffuseurs – et non pas
seulement des recepteurs – d’informations, chacun
peut participer a la construction d’un musee
numerique, de sorte que les theories concernant
l’objet, la forme et le developpement des musees
numeriques sont en train de changer. Les etapes du
developpement des « musees numeriques
chinois » vont ainsi s’accelerer.
Cependant, le developpement de la
numerisation est encore entrave par les problemes
de financement, de criteres, de personnel, de
protection du droit d’auteur, de securite de
l’Internet et autres. Ces problemes sont tres
difficiles a resoudre et ils vont affecter l’avenir de la
numerisation. Il faut que le Ministere de la culture
adopte des methodes plus proactives. La
numerisation des musees chinois est en retard par
rapport a celle des musees des pays industrialises
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
72 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
occidentaux et il faut donc tout faire pour
promouvoir l’experience nationale. La
numerisation des musees est un processus
systematique qui exige non seulement des efforts
de la part du secteur des musees, mais aussi de
l’ensemble de la societe. Les efforts actuels ne
parviennent pas a suivre le rythme de l’evolution
de la societe – dont les besoins en matiere de
developpement semblent radicalement differents –
et se limitent donc, pour l’essentiel, au monde de la
culture et des musees. Les avancees scientifiques et
le developpement continu des theories doivent etre
ancres dans la realite, promouvant ainsi activement
la progression reguliere des musees vers son
developpement futur.
Les musees sont un pont entre le passe et
l’avenir. Le musee numerise peut ainsi etre
compare a un pont autoroutier, a une liaison a
grande vitesse, dont les effets continueront a se
multiplier avec le developpement constant de la
numerisation.
La numerisation des musees chinoisLi Wenchang
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 73
L’acces aux musees en Chinepar Cai Qin
Cai Qin est diplomee du Departement d’histoire de l’Universite de Hangzhou (Zhejiang) ou elle
s’est specialisee dans la culture et la museologie. Redactrice et chercheur pendant de longues
annees au Musee de la province du Zhejiang, elle a participe a la construction de musees des
beaux-arts et a publie de nombreux travaux de museologie dont « Les celadons Song pour
le the », « Les musees et les masses », « Les musees et les medias », « Les musees des
beaux-arts et la societe », « Les musees des beaux-arts au Zhejiang : theorie et pratique »,
« La planification des expositions : evolutions et signification », « La presentation numerique
des vestiges culturels immateriels dans les musees », « Modelisation des ecomusees et
protection des vestiges culturels immateriels », « Ethique a l’usage des professionnels de
musees ».
« Un musee est une institution permanente sans
but lucratif, au service de la societe et de son
developpement, ouverte au public, qui acquiert,
etudie, expose et transmet le patrimoine materiel
et immateriel de l’humanite et de son
environnement a des fins d’etudes, d’education et
de delectation » (ICOM, Statuts, Article 3, Section
1). Ce sont la les services que rendent
generalement les musees a travers le monde.
Toutefois, le prix du billet d’entree constitue une
barriere pour beaucoup, ce qui nuit aux fonctions
d’interet public de l’institution museale, tout
autant qu’au developpement personnel des
individus. C’est pourquoi l’acces gratuit aux
musees est une pratique etablie de longue date et
constitue, dans les milieux internationaux
specialises, un sujet important, d’ailleurs consigne
dans les statuts d’un certain nombre
d’etablissements.
Au cours de sa onzieme session (qui s’est
tenue du 14 novembre au 15 decembre 1960), la
Conference generale de l’UNESCO – dont l’une des
74 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008
Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
fonctions est d’impulser l’education et la diffusion
de la culture – a examine cette question.
Considerant que le progres industriel favorise les
loisirs, que les musees sont une source d’agrement
et de savoir, et que tout doit etre fait afin
d’encourager l’ensemble des populations – en
particulier les classes laborieuses – a visiter les
musees, la Conference generale a redige une
Recommandation concernant les moyens les plus
efficaces de rendre les musees accessibles a tous
dont les paragraphes 2, 5, 7, 8, 9 et 10 contiennent
des suggestions specifiques concernant l’acces et
les droits d’entree :
Paragraphe 2 : Les Etats membres doivent prendre
toutes les mesures appropriees pour que les musees
situes sur leur territoire soient accessibles a tous,
sans distinction de condition economique
ou sociale.
Paragraphe 5 : Les musees devraient demeurer
ouverts tous les jours, a des heures convenant a
toutes les categories de visiteurs et tenant compte,
notamment, des loisirs des travailleurs. Ces
etablissements devraient disposer d’un personnel
de surveillance en nombre suffisant pour
assurer par roulement l’ouverture quotidienne du
musee, sans exception ni interruption – sauf dans
le cas ou les conditions et les habitudes locales
exigeraient qu’il en soit autrement – ainsi que le
soir apres les heures de travail. Chaque musee
devrait etre convenablement chauffe, eclaire, etc.
Paragraphe 7 : Des dispositions devraient etre prises
afin de permettre, dans la mesure du possible,
l’entree libre dans les musees. A defaut de la gratuite
permanente, et s’il etait juge necessaire de maintenir,
meme a titre symbolique, un faible droit d’entree,
l’admission dans chaque musee devrait etre gratuite
au moins un jour ou l’equivalent d’un jour par
semaine.
Paragraphe 8 : Lorsqu’un droit d’entree est exige, les
personnes a revenus modestes et les familles
nombreuses devraient en etre exemptees, dans les
pays ou il existe des methodes officielles
d’identification de ces groupes.
Paragraphe 9 : Des facilites speciales devraient etre
prevues pour encourager des visites frequentes,
notamment sous la forme d’abonnements a prix
reduit donnant droit, pendant une periode
determinee, a un nombre illimite d’entrees soit dans
un seul musee, soit dans un ensemble determine de
musees.
Paragraphe 10 : La gratuite de l’entree devrait etre
accordee, dans la mesure du possible, aux groupes
constitues – groupes scolaires ou groupes d’adultes –
dans le cadre de programmes educatifs et culturels,
ainsi qu’aux membres du musee ou des associations
visees au paragraphe 17 de la presente
recommandation.
Apres de nombreuses annees d’efforts,
l’acces gratuit, systematique ou episodique, du
public aux musees et aux sites commemoratifs est
devenu pratique courante dans les musees
nationaux d’un certain nombre de pays. C’est le
cas en Australie, a Washington DC aux Etats-
Unis, ou encore au Royaume-Uni qui s’est
distingue dans ce domaine puisque l’acces aux
plus beaux de ses musees est gratuit : British
Museum, National Art Gallery, Tate Museum et
Tate Modern, Observatoire royal de Greenwich,
Natural History Museum, Science Museum,
Victoria and Albert Museum – le plus grand
musee d’art et de design du monde –, Imperial
War Museum et British Library; s’y ajoutent des
musees nationaux et des musees des beaux-arts
situes en Ecosse, au pays de Galles et en Irlande
du Nord.
L’acces aux musees en ChineCai Qin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 75
En Chine, depenser quelques dizaines de
yuans pour visiter une exposition est un luxe
inabordable pour les millions de personnes qui
vivent encore sous le seuil de pauvrete ou juste
au-dessus. Compares a ceux des pays developpes
occidentaux et meme a ceux de certains pays en
developpement, les droits d’entree dans les
musees chinois absorbent une part bien plus
importante du revenu. Meme dans la province du
Zhejiang, dont l’economie est developpee,
certaines personnes n’ont pas les moyens de
s’offrir un billet d’entree. Or, le Gouvernement
chinois a toujours considere les musees comme
des institutions culturelles d’interet public. C’est
pourquoi il exige des autorites locales qu’elles
renforcent le developpement de leurs services
publics et ne menagent aucun effort pour garantir
les droits d’acces fondamentaux a ces
etablissements. Les musees, devant jouer
pleinement leur role de stimulateurs de l’interet
du public, travaillent d’arrache-pied a faire de la
gratuite d’acces une realite.
L’acces gratuit aux musees en Chine
Le Zhejiang a ete l’une des premieres provinces
chinoises a experimenter l’acces gratuit aux
musees. Des 1998, le Musee de la province du
Zhejiang commenca d’emettre des cartes
annuelles dont le prix par visite etait inferieur a
celui du billet normal. Par la suite, les musees
provinciaux et municipaux de la province ont
renonce aux droits d’entree pour les militaires en
exercice, les enseignants ayant trente annees
d’anciennete ou plus, ainsi que pour les
personnes agees de soixante-dix ans ou
davantage. Puis, le 18 mai 2003, a l’occasion de
la Journee internationale des musees, six musees
relevant du Bureau municipal des jardins et de la
culture de Hangzhou ont instaure la gratuite
d’acces : le Musee chinois du the, le Musee des
fours imperiaux des Song du Sud, le Musee
d’histoire de Hangzhou, le Memorial de Zhang
Taiyan, le Memorial de Su Dongpo et la
residence de Zhang Changshui. Tres rapidement
les quinze musees qui dependent du Bureau de
Hangzhou, notamment la residence de Yu Qian,
le Musee du Zhejiang de la revolution de 1911 et
la galerie d’art Tang Yun, ont cesse d’exiger des
droits d’entree. Hangzhou donnant ainsi
l’exemple, le 1er janvier 2004, le Musee de la
province du Zhejiang et le Musee chinois de la
soie sont a leur tour devenus gratuits, bientot
suivis par les autres musees nationaux de la
15. Acces gratuit a tous les musees a Macao.
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PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
76 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
province; ils ont tous prevu d’instituer
progressivement la gratuite, soit a certains
moments de l’annee, soit en faveur de certaines
categories de la population. Cela fut la premiere
initiative de ce genre dans le pays.
Le 26 fevrier 2004, le Gouvernement
chinois annonca que « tous les types de musees,
memoriaux, salles d’exposition et sites
commemoratifs de martyrs de la revolution doivent
trouver le moyen d’offrir au public un acces
gratuit. Les eleves des ecoles primaires et des
colleges doivent entrer gratuitement lorsqu’ils
viennent en groupes; quand ils sont seuls, ils ne
doivent payer que moitie-prix. » En mars, le
Ministere de la culture et le Bureau du patrimoine
ont conjointement reaffirme cette regle, ajoutant
que les enfants devraient pouvoir entrer
gratuitement lorsqu’ils sont accompagnes d’un de
leurs parents, et que les militaires, les personnes
agees, les handicapes physiques et certains autres
groupes devraient beneficier de l’entree libre ou de
tarifs reduits. Les etablissements publics qui
contribuent a l’education patriotique ont
egalement recu pour instruction de reflechir aux
moyens d’assurer la gratuite. Ont aussi ete invites a
renoncer aux droits d’entree ou a les reduire : les
salles d’exposition, les musees des beaux-arts, les
musees des sciences et des techniques, les
memoriaux, les edifices eleves a la memoire des
martyrs de la revolution, les residences de
personnages celebres, les bibliotheques publiques
et universitaires, les etablissements culturels et les
lieux culturels et recreatifs accueillant les enfants
et les jeunes adultes.
Precedemment, des mai 2002, les musees
et memoriaux de la province du Shaanxi avaient
dispense de droits d’entree les handicapes
physiques, les personnes agees et les militaires;
mais les pionniers en la matiere furent les musees
de Guangzhou [Canton] qui, des le deuxieme
semestre de la meme annee 2002, ouvrirent
gratuitement leurs portes un jour par mois; puis,
en 2004, il fut decide que les musees ouvriraient
gratuitement (a date fixe) tous les mardis de la
troisieme semaine du mois. Ce fut ensuite, le 1er
mars 2004, au tour du Musee du palais de Beijing
[Pekin] : chaque mardi (a l’exception des jours
feries) est reserve aux visites gratuites des eleves.
16. Le Musee provincial du Zhejiang.
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16
L’acces aux musees en ChineCai Qin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 77
Le meme jour, la visite du Musee du massacre de
Nanjing [Nankin] est devenue gratuite. Puis, le 27
avril, la Bibliotheque nationale, le Musee du Palais
et cinq autres institutions culturelles dependant
directement du Ministere de la culture et de
l’Administration du patrimoine annoncerent
pratiquer la gratuite ou projeter de le faire. Si bien
qu’aux alentours de mai 2004, les seize musees
relevant du Bureau municipal du patrimoine de
Beijing cesserent d’exiger des droits d’entree aux
mineurs. Enfin, en decembre, une directive
gouvernementale exigea que tous les
etablissements culturels d’interet public beneficiant
d’un financement de l’Etat offrent aux mineurs, a
compter du 1er janvier 2005, l’entree gratuite ou a
prix reduit.
Entre-temps, les 104 musees et
memoriaux dependant de l’Administration
provinciale du patrimoine du Henan ont cesse, a
compter du 1er mai 2004, de faire payer les
groupes de mineurs. Les droits d’entree pour les
eleves visitant individuellement ont ete reduits
de moitie et purement et simplement supprimes
pour les enfants accompagnes de leurs parents.
Le 1er octobre, ces 104 musees accorderent un
acces gratuit illimite aux eleves des ecoles
primaires et des colleges pour les visites
collectives sur rendez-vous. En mai 2004 le
Musee de la province du Hubei renonca lui
aussi aux droits d’entree pour les groupes de
mineurs et les enfants accompagnes de leurs
parents, les eleves en visite individuelle etant
admis a un tarif reduit de moitie. Puis, le 6
novembre 2007, le gouvernement provincial
decida que l’entree serait desormais entierement
libre. Les musees d’autres regions du pays lui
emboıterent le pas.
Effets de l’acces gratuit dans les musees
L’effet le plus direct de la gratuite d’acces a ete un
formidable accroissement de l’affluence. Le
premier jour de gratuite, le Musee de la province
du Zhejiang accueillit 6 300 personnes; puis le
nombre moyen des visiteurs s’etablit a quelque
3 000 personnes les jours suivants. En 2004,
lorsque le musee offrit l’acces gratuit toute l’annee,
il enregistra 1 056 253 visiteurs – soit six fois plus
qu’en 2003. Cette augmentation du nombre des
visiteurs est un indicateur important du
rayonnement d’un musee et de son succes aupres
du grand public.
L’Institut de recherches sociales de la
Chine (SSIC) realisa une enquete telephonique
aupres de 1 800 personnes et d’un certain nombre
de musees de Beijing, de Shanghai, de Guangzhou,
de Wuhan, de Chongqing, de Shenyang et de
Harbin. Lorsqu’on leur demanda s’ils approuvaient
la gratuite d’acces aux musees, 87 % des sondes
repondirent « oui », 9 % se dirent « indecis », et
4 % repondirent « non ». Lorsqu’on leur demanda
si l’acces gratuit attirerait, a leur avis, davantage de
mineurs dans les musees, les pourcentages furent,
respectivement, de 78 %, de 13 % et 9 %. A la
question de savoir si l’acces gratuit aux musees
agissant comme etablissements d’education ethique
encouragerait ce type d’education aupres des
mineurs, les reponses furent affirmatives a 73 % et
negatives a 5 %, avec 12 % d’indecis. Ces resultats
indiquent que, de l’avis de la plupart des personnes
interrogees, la gratuite des musees peut contribuer
a nourrir l’interet de la population et a promouvoir
l’education ethique, culturelle et scientifique du
grand public. En d’autres termes, cette gratuite
encourage les gens a se rendre dans les musees et a
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
78 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
les apprecier, de sorte que la frequentation de ces
derniers devient une habitude et occupe une place
importante dans leur maniere de vivre, avec tout ce
que cela comporte.
L’acces gratuit a aussi le merite de
promouvoir le developpement et la gestion des
musees; il aide en particulier les etablissements
culturels a ameliorer leurs services et leurs activites
d’interet public. En effet, autoriser l’acces gratuit
est une etape importante, mais ne suffit pas. Les
musees doivent aussi eduquer leurs visiteurs, leur
offrir un contenu. Si la gratuite change
l’importance et la structure des publics qui
frequentent les musees, elle fait aussi evoluer leurs
besoins et leurs attentes. Pour accompagner de
telles evolutions, les musees doivent presenter des
expositions de haut niveau. De surcroıt, celles-ci
doivent, pour etre couronnees de succes, etre
organisees de maniere a attirer differents segments
de la societe en multipliant les champs couverts
et les approches : savoir theorique, competences
professionnelles, connaissances generales,
interets particuliers, loisirs, esthetique, etc.
L’acces gratuit signifie que la loi du marche ne
s’applique pas aux musees, mais cela ne doit pas
se traduire par une gestion qui s’apparente au
laisser-faire.
La gratuite en effet ne s’est pas traduite par
une frequentation accrue de tous les musees. Ceux
qui presentent des expositions de qualite et les
renouvellent frequemment ont enregistre des
affluences record, mais ceux qui ne se renouvellent
pas n’attirent pas plus de visiteurs qu’avant,
meme si l’entree en est libre. La gratuite offre
ainsi aux musees de nouvelles possibilites de
developpement, mais c’est a eux qu’il appartient
d’ameliorer leurs fonctions de service public et
leur professionnalisme. S’ils ne le font pas, la
gratuite ne reussira pas a attirer un public plus
large, malgre l’augmentation des financements
gouvernementaux.
La gratuite conduit donc les musees a
etendre leurs activites, tant en matiere
d’expositions que d’education, recherche et
activites, qu’elles soient culturelles ou recreatives.
En outre, l’augmentation de la frequentation met
les musees dans l’obligation non seulement de
maintenir leurs services a un niveau eleve, mais
aussi d’innover. Ils peuvent, par exemple, organiser
des conferences et des formations, ou proposer des
visites guidees et une aide a la recherche, offrir des
services complementaires, tels que parkings et
restauration. Ils doivent rompre avec les pratiques
et les concepts du passe, renforcer leur gestion et
creer des environnements accueillants et
stimulants pour les visiteurs. Les musees ont des
possibilites exceptionnelles d’interagir avec leur
public. Ils hebergent et presentent des collections,
mais sont aussi des centres de culture, d’education,
de recreation et de loisirs. C’est seulement en
remplissant toutes ces fonctions aussi largement
que possible qu’un musee peut realiser tout son
potentiel.
La gratuite n’en a pas moins donne
naissance a un certain nombre de problemes qu’il
faut traiter d’urgence. Ainsi, l’augmentation de la
frequentation exerce sur les infrastructures une
pression qui, a defaut de solutions rapides, nuira
aux conditions de la visite.
La suppression ou la reduction des droits
d’entree a par ailleurs ampute les recettes des
L’acces aux musees en ChineCai Qin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 79
etablissements et fait au contraire augmenter les
frais de fonctionnement. De plus, les musees
doivent desormais depenser davantage pour
assurer de bonnes conditions de visite : etendre
et ameliorer leurs equipements, accroıtre leurs
espaces d’exposition, proposer des expositions
temporaires, mettre en place des systemes de
guidage mieux adaptes, developper la recherche,
assurer une meilleure protection des objets et
repondre a des normes de securite et d’hygiene
plus elevees. Dans la province du Shaanxi,
par exemple, les musees nationaux et les
memoriaux recoivent chaque annee plus de deux
millions de visiteurs (mineurs, militaires,
personnes agees) qui n’ont pas a payer leur
billet. Avec une moyenne de vingt-cinq yuans
par entree, cela represente un manque a gagner de
50 millions de yuans par an. Or les depenses –
protection des objets, expositions temporaires,
gestion et modernisation des equipements,
impression de catalogues et de brochures
promotionnelles – et les couts de fonctionnement
s’elevent a plus de 80 millions de yuans !
Toutefois, l’augmentation du nombre des visiteurs
peut aussi se traduire par des recettes
supplementaires provenant de services tels que le
parking, la restauration ou les reproductions
photographiques.
Par ailleurs, la forte augmentation du
nombre des visiteurs constitue un defi non
seulement pour la gestion des musees mais
aussi pour la securite des œuvres. Les musees
qui sont consideres comme des sites cles a
l’echelle de l’Etat ont une plus grande
responsabilite dans la protection de leurs tresors.
C’est la raison pour laquelle il est important qu’ils
conservent un juste equilibre entre l’ouverture
a un public plus large tout en garantissant la
securite du precieux patrimoine dont ils sont
depositaires.
Comment ameliorer l’acces gratuit?
La pratique recente de l’acces gratuit a permis
d’accroıtre le public des musees, si bien que ces
derniers remplissent mieux aujourd’hui leurs
fonctions d’interet general. Dans le meme temps, il
faut bien comprendre que cette mesure n’est pas
simple, mais encore a l’etat de projet, et ne peut
s’appliquer partout sans adaptations; il faut au
contraire prendre des mesures plus efficaces pour
l’ameliorer.
L’acces gratuit selon la categorie et
le type de musee
Financierement, les musees chinois ont des postes
de recettes et de depenses separes. Toutes les
recettes sont versees a l’Etat qui, en retour, finance
toutes les depenses. Ce financement officiel,
determine en fonction de l’effectif du musee, est
souvent tres modique. Or la gratuite d’acces exige
qu’il augmente de maniere importante, sauf a
provoquer de graves difficultes de fonctionnement.
C’est pourquoi la gratuite doit etre instauree par
etapes, selon le type et la categorie des musees. A
l’heure actuelle, les musees des grandes villes sont
les mieux a meme d’offrir l’entree gratuite car ils ont
des sources propres de financement : situes a
proximite de grands centres, ils possedent
d’importantes collections et beneficient d’une
reputation bien etablie aux plans national et
international. Ces conditions leur assurent un large
marche qui leur permet d’etablir des partenariats
avec differentes institutions. A l’inverse, les musees
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
80 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
dont la situation geographique est moins favorable –
ayant de ce fait des sources de credits limitees et ne
pouvant esperer des financements de substitution –
sont mal places pour proposer un acces gratuit.
Des droits d’entree modiques
Nombreux sont partout dans le monde, y compris
dans les pays developpes, les musees dont l’entree
est payante. Les exemples ne manquent pas : le
Metropolitan Museum of Art et le Musee
Guggenheim a New York, le Chateau de Versailles,
le Louvre et le Musee d’Orsay a Paris. Ces musees
ont neanmoins un point commun : les droits
d’entree y sont peu eleves. Dans la Region
administrative speciale de Hong Kong, l’acces au
Musee d’histoire – le plus grand musee de la region
– ne coute que dix dollars de Hong Kong. Dans le
cadre d’une enquete telephonique, l’Institut
d’etudes sociales de Chine demanda a 1 800
personnes ainsi qu’a un certain nombre de musees
de Beijing, de Shanghai, de Guangzhou, de Wuhan,
de Chongqing, de Shenyang et de Harbin, s’ils
etaient favorables a l’acces gratuit a tous les
musees. Les personnes interrogees repondirent a
47 % par l’affirmative, 27 % par la negative, 26 %
se disant « indecises ». Dans une autre enquete
destinee a evaluer l’opinion du public concernant
l’acces gratuit au Musee de la province du
Zhejiang, certains des sujets interroges repondirent
que la pratique devait varier en fonction de la
situation de chaque musee. Ainsi, pour les
etablissements qui necessitent une protection
speciale et pour certains sites celebres, les droits
d’entree sont un important moyen de reguler le
nombre des visiteurs et de faire regner le calme et
la securite. En pareil cas, des droits d’entree
modiques se justifient peut-etre mieux que la
gratuite. Du fait du niveau limite de
developpement economique de la Chine et de la
capacite reduite de consommation de l’ensemble de
sa population, exiger un faible droit d’entree peut
etre un moyen de trouver un equilibre entre les
besoins de progression des musees et le desir du
public de les visiter.
Billets gratuits ou non ?
A la difference des grands magasins et des
restaurants, par exemple, les musees doivent en
effet maintenir l’afflux de visiteurs a un niveau
raisonnable. Or l’acces gratuit cree parfois des
desequilibres a cet egard. Les musees peuvent etre
bondes a un moment et deserts a un autre. Un jour,
les responsables du Temple des ancetres de la
famille Chen (Chen jia si), a Guangzhou, ont du
faire appel a la police pour les aider a maintenir
l’ordre ! Afin de reguler le flux des visiteurs, les
musees peuvent aussi exiger que certaines
organisations fassent a l’avance la demande de
billets de groupe gratuits en vue de leur attribuer
des heures de visite specifiques. Cela evite que les
sites et les objets du patrimoine soient
endommages, et que les espaces soient envahis
d’une foule trop nombreuse.
Entree offerte
Le bon fonctionnement d’un grand musee exige
des fonds considerables. Les credits de l’Etat sont
essentiels, mais d’autres moyens de financement
peuvent jouer un role tout aussi important pour
ces institutions culturelles a but non lucratif. Les
dons des visiteurs sont des sources de recettes
auxquelles de nombreux musees du monde ont
couramment recours. Les institutions peuvent
suggerer un montant, mais la decision est laissee
aux visiteurs dont la generosite peut egalement
servir d’indicateur de leur degre de satisfaction.
L’acces aux musees en ChineCai Qin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 81
Mecenat
Les droits d’entree forment aujourd’hui une part
importante du budget des musees chinois. Ils
permettent a certains d’entre eux de payer
l’electricite et l’eau, et de verser les prestations
sociales dues au personnel, les salaires etant
finances par l’Etat. L’un des moyens pour ces
musees d’ouvrir leurs portes gratuitement consiste
a rechercher le mecenat d’entreprises. Le Seattle
Asian Art Museum et le Minneapolis Institute of
Arts offrent ainsi, certains jours, une entree libre
patronnee par des entreprises : c’est le cas pendant
la « Ford Free Access Week » (Semaine Ford
d’acces gratuit). C’est egalement ainsi qu’une
entreprise chinoise a achete 200 000 billets au prix
de un yuan pour les eleves, les militaires et certains
groupes defavorises. La somme de 200 000 yuans
n’est pas excessive pour une entreprise bien geree
qu’en echange les musees peuvent promouvoir,
diffusant sa marque sur le billet et, eventuellement,
sur d’autres supports.
Visite gratuite des collections permanentes
Si les musees chinois sont encore contraints d’exiger
des droits d’entree du fait d’une penurie de
ressources financieres, il leur faudra, a long terme,
abaisser ces droits et meme les supprimer, pour
permettre d’acceder gratuitement aux collections
permanentes – celles-ci ayant normalement une
portee historique ou commemorative particuliere.
Les etablissements peuvent en revanche faire payer
l’entree aux expositions temporaires, commerciales
ou personnelles. De la sorte, ils remplissent leur
fonction sociale d’institutions culturelles a but non
lucratif, tout en presentant des expositions qui
generent des recettes propres a compenser
l’insuffisance du financement de l’Etat. En
developpant les expositions, les musees suscitent un
interet et des depenses accrus de la part du public, et
se donnent davantage d’occasion de le sensibiliser a
la necessite de proteger le patrimoine culturel.
Acces gratuit limite
Des institutions comme le Musee du Palais a
Beijing attirent des foules importantes en depit de
droits d’entree eleves. Cela ne doit cependant pas
faire obstacle a l’acces gratuit. Ces musees peuvent
en effet diviser leurs espaces en deux secteurs,
consacres l’un aux visites gratuites et l’autre aux
visites payantes, le secteur d’acces libre accueillant
des expositions populaires ainsi que des activites
culturelles et educatives. Autre possibilite : emettre
a l’intention des categories a faible revenu un
certain nombre de billets gratuits, utilisables
pendant des periodes creuses specifiees par le
musee. Pareil arrangement peut permettre de
reduire la pression aux moments de grande activite
tout en encourageant les populations peu fortunees
a visiter les collections.
Les musees sont des lieux parfaits pour
l’education sociale. La gratuite d’acces en a ouvert
les portes aux personnes de toutes categories
sociales. Parallelement, les musees doivent veiller a
proposer des expositions qui interessent le public
et repondent a ses differents besoins. Cela suppose
notamment de determiner les raisons pour
lesquelles certains groupes de population ne s’y
rendent pas, alors meme qu’ils n’ont rien a
debourser. Les musees devraient renforcer leur
gestion et ameliorer leurs equipements et leurs
fonctions afin d’etendre leurs sources de
financement. Ils devraient utiliser le produit des
services qu’ils proposent et les compensations
financieres de l’Etat pour financer l’acces gratuit de
maniere a developper plus avant leurs activites.
PRENDRE PART AUX EVOLUTIONS MONDIALES
82 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Enfin, les musees ne doivent pas adopter une
attitude de laisser-faire lorsqu’ils disposent de ces
compensations financieres.
L’acces gratuit pourra progresser a mesure
du developpement economique de la Chine, de
l’elevation du niveau d’instruction de sa
population, et de l’amelioration des attitudes et du
comportement des visiteurs. Les musees ont un
role central et determinant a jouer : ils sont autant
de lieux ou les gens peuvent acquerir non
seulement des connaissances, mais aussi confiance
en eux-memes et en leur pays.
L’acces aux musees en ChineCai Qin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 83
17. Le Stade accueillera les principales epreuves sur piste et sur terrain des Jeux olympiques d’ete 2008, ainsi que les ceremonies d’ouverture
et de cloture.
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84 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Le palais imperial des Qing : dela Cite interdite au patrimoinepublicpar Guo Changhong
Guo Changhong est diplome en museologie de la Faculte d’histoire de l’Universite de Nankai.
Il est titulaire d’une maıtrise d’art et d’archeologie et d’un doctorat en histoire de l’art. Depuis
2006, il effectue des recherches postdoctorales a l’Institut de l’art chinois de Guilin. Il a
participe a l’evaluation d’œuvres du passe au sein du groupe d’expertise des biens culturels de
la province du Liaoning. Actuellement, il est vice-president du departement des etudes
museales a la Faculte d’histoire de l’Universite de Nankai. Ses principaux domaines d’interet
sont la museologie theorique et appliquee, l’histoire de l’art en Chine (peintures anciennes
et calligraphie) ainsi que les theories de l’art.
Le Musee du palais imperial occupe une place a
part au sein du patrimoine chinois d’importance
mondiale. En plus d’etre un site du patrimoine
culturel mondial, c’est egalement le plus grand
musee de Chine, dote des collections d’art les plus
diverses. Les vicissitudes qu’il a connues
temoignent des evenements survenus dans le pays
ces quatre-vingts dernieres annees et refletent les
changements d’attitude de la Chine quant a son
patrimoine culturel.
Du palais imperial au musee : un symbole culturel
dans un contexte politique
En 1406, l’empereur Yongle (Zhu Di) promulgua
un decret qui ordonnait l’edification de la Cite
interdite (aujourd’hui situee dans la partie centrale
du Beijing moderne). La construction dura quinze
ans, au bout desquels le palais devint la residence
de quatorze empereurs Ming et de dix empereurs
Qing. Cette periode s’acheva en 1911 avec la
Revolution Xinhai, lorsque la dynastie Qing ceda la
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 85Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
place a la Republique de Chine. Le 22 octobre 1924,
le general Feng Yuxiang, intervenant a Pekin, initia
la mise en place du gouvernement provisoire de la
Republique. Le 5 novembre, l’ex-empereur Puyi fut
contraint de quitter la Cite interdite dont l’histoire
changea alors du tout au tout.
Il y avait bien longtemps que le public
percevait la valeur culturelle du palais, mais, sous
l’impact des evenements, celle-ci s’inscrivait
desormais dans le concret. Le 10 octobre 1925, une
ceremonie officielle eut lieu devant la « Porte de
la purete celeste » (Qianqingmen) : elle proclamait
la naissance du « Musee du vieux palais »
(le Musee du palais). Ce n’etait pas un musee
ordinaire. Les circonstances de sa naissance lui
donnaient une valeur politique exceptionnelle,
attirant l’attention des personnalites « savantes
europeennes et americaines passant par Peiping
[Pekin avait alors ete rebaptise] ».
La reputation du nouvel etablissement,
juge « comparable a des institutions de classe
internationale », s’accrut aussi bien en Chine qu’a
l’etranger. Comme le notait Zhang Ji dans un
rapport soumis a la Conference du Comite de
preservation des biens culturels : « La culture issue
[…] des dynasties Ming et Qing […] est d’une
valeur mondiale indeniable, et, de fait, quel
pourrait en etre le meilleur receptacle que le Musee
du palais, qui abrite les tresors les plus divers ? »1
L’institution revetait en outre une immense
signification symbolique et politique en portant
temoignage du triomphe de la Revolution.
En Chine, les musees etaient a l’epoque
souvent consideres comme des « merveilles
importees ». Les efforts deployes afin d’eduquer
la population, pour sauvegarder le patrimoine et
promouvoir la recherche a travers la fondation de
musees, s’inscrivent dans un courant plus general :
l’acceptation croissante des idees occidentales,
dans ces premiers temps de la modernisation, ainsi
que dans les transformations institutionnelles
que connut la societe au lendemain de la
Revolution. Neanmoins, une tradition chinoise de
collection existait bien avant l’introduction des
musees dans le pays. On peut en distinguer trois
grands types : les collections imperiales; celles
qu’assemblaient les elites et l’aristocratie; et
celles que constituaient les intellectuels (les
lettres-fonctionnaires). L’accroissement ou la
diminution de l’une ou l’autre categorie refletait en
general les changements politiques, les gouts
culturels de l’empereur et ⁄ ou les vicissitudes d’une
dynastie.
La collection imperiale comprenait des
biens repris des dynasties anterieures; des dons
venant de dignitaires de la cour ou de la
population; des possessions confisquees a des
fonctionnaires compromis ainsi que des objets
achetes a des sujets ordinaires. Les collections des
notables et des elites provenaient, quant a elles, de
dons recus des empereurs, de l’appropriation
d’objets appartenant en realite a l’Etat ou d’achats
realises sur les marches. Enfin, celles des lettres
etaient generalement constituees a la faveur
d’achats, de dons imperiaux ou d’echanges
amicaux.
Le gout presidant a la constitution des unes
et des autres differait profondement. Toutes les
collections imperiales refletaient la passion des
empereurs pour les vestiges du passe. La plus vaste
et la plus prestigieuse d’entre elles fut constituee
DES MUSEES PLURIELS
86 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
sous le regne de l’empereur Qianlong. Une
grande partie de la collection des Qing, qui
constitue le fonds initial du Musee du palais, a ete
rassemblee durant cette periode. Des objets de
valeur furent egalement reunis dans l’intention de
« renforcer la culture et l’education », ou encore
le desir de conforter la stabilite et la prosperite de
l’Etat.
Les gens riches s’interessaient davantage a
la valeur marchande des vestiges du passe. Jia
Sidao (1213–1275), ministre de la dynastie Song
du sud, et Yan Song (1481–1568), ministre de la
dynastie Ming, illustrent bien cette speculation
mercantile : ils accumulaient les peintures
anciennes et les calligraphies, moins pour leur
valeur intrinseque que pour le gain financier a en
attendre. Cependant, les pieces ainsi amassees
pouvaient facilement retourner entre des mains
imperiales, si un officiel de la cour naguere
puissant tombait en disgrace.
Les lettres attachaient un grand prix a l’art
et a l’erudition, particulierement depuis l’epoque
des Song ou, commencant a s’interesser a
l’epigraphie, ils se mirent a collectionner
passionnement les bronzes antiques et les steles
portant des inscriptions. C’est a partir des pieces
qu’ils avaient observees ou qui appartenaient a leur
propre collection qu’ils developpaient leurs
etudes : Zhao Mingcheng (mort en 1129; mari de
la celebre poetesse Li Qingzhao, 1083–1151), par
18. La Cite interdite a ete le palais imperial de Chine de la deuxieme moitie de la periode Ming a la fin de la dynastie Qing.
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Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 87
exemple, appuie sa monographie, Les bronzes et les
pierres, sur sa collection privee.
En temps de paix – a condition que
l’empereur temoigne d’une inclination particuliere
pour l’art – les œuvres de qualite affluaient vers le
palais imperial; ce processus d’acquisition atteignit
son apogee durant le regne de l’empereur
Qianlong. Lorsqu’une dynastie declinait, en
revanche, les collections imperiales se trouvaient
souvent dispersees. S’ensuivait alors une periode
de quelques dizaines d’annees pendant lesquelles
les lettres cherchaient a en recuperer les pieces.
Ce phenomene eut lieu en particulier au tout debut
des dynasties Yuan, Ming et Qing. Les empereurs
Ming n’eprouvaient aucun penchant pour les
objets d’art et n’hesitaient pas a vendre peintures et
calligraphies des collections imperiales pour payer
les salaires des fonctionnaires, ce qui donna une
grande impulsion au commerce de l’art.
Lorsque le principe du « musee » fut
importe en Chine en tant qu’institution culturelle,
il fallut songer aux similitudes et aux differences
qu’il presentait avec la culture autochtone, vivante
dans la tradition des collections chinoises. Le
dilemme etait de conserver la specificite du
patrimoine culturel chinois. Ce « nouveau-ne »
politique etait en effet un sang-mele – un modele
dominant introduit dans un contexte ou la culture
avait toujours joue un role politique central. Il etait
essentiel de trouver le juste equilibre.
Des l’ouverture du Musee du palais, une
foule de visiteurs, toutes classes sociales
confondues, se pressa sur les lieux. Le palais et ses
tresors suscitaient une curiosite d’autant plus
grande que seule une poignee de privilegies y avait
eu acces dans le passe. Le droit conquis par le
public de voir in situ ces precieux objets prouvait
par ailleurs l’importance politique de la nouvelle
institution.
Le Musee du palais et ses œuvres d’art
Apres que Puyi eut quitte le palais, il fallut definir
quel perimetre serait attribue au nouveau musee et
ouvert au public – ce qui fait encore aujourd’hui
19. Toits de la Cite interdite, 2008.
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DES MUSEES PLURIELS
88 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
l’objet de discussions. Actuellement, le « palais »
designe le territoire compris entre les sections de la
muraille delimitee par les portes [men] Wu[men],
Shenwu[men], Donghua[men] et Xihua[men]. Il
consiste en un vaste ensemble de batiments,
occupes autrefois par les empereurs et leur famille.
Le palais des Ming et celui des Qing occupaient
jadis une superficie de 72 ha dont 17 etaient
construits. Les batiments du palais subsistant
aujourd’hui couvrent seulement 15 ha et
comportent 9 000 pieces, ce qui correspond a
quatre fois la taille du Louvre, neuf fois celle du
palais d’hiver de Saint-Petersbourg, deux fois celle
du palais du Kremlin et dix fois celle de
Buckingham Palace.2
Un comite charge de l’inventaire du palais
des Qing produisit recemment un rapport3
recensant 1 170 000 entrees. Pour ce faire, les
auteurs de ce catalogue s’interrogerent sur ce qu’ils
20. Renovation du Musee du palais, 2003-2004.
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Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 89
devaient ou non inclure dans la liste. Il fut decide
d’en ecarter tant les architectures que les objets
trop petits (comme les cuilleres a soupe) et de s’en
tenir aux objets patrimoniaux, concus en tant que
tels, non pas selon le sens europeen ou americain,
mais selon la tradition chinoise.
Le premier musee national chinois – la Salle
d’exposition des antiquites (Antiques Exhibition
Hall) – fut fonde en 1913, regroupant des pieces de
provenances multiples. Aujourd’hui, pres de
1 500 000 d’entre elles se trouvent au Musee du
palais de Beijing, tandis que 650 000 autres ont ete
transferees entre 1948 et 1949 a Taiwan par le
Kuomintang (le parti nationaliste chinois), puis
integrees dans la collection du Musee national du
palais de Taipei, officiellement fonde le 12
novembre 1965. Le nombre des articles repertories
indique non seulement un accroissement du fonds
par rapport a l’inventaire original, mais aussi une
reevaluation de la notion de bien culturel,
auparavant trop restrictive. En outre, la collection
de Taipei comprend aussi 380 000 documents
d’archives provenant du palais imperial, tandis que
le Musee de Beijing, lui, en a transfere 8 000 000
aux Archives historiques Numero 1.
Quatre-vingts ans ont passe et un
« Programme general de protection du Musee du
palais », redige recemment par le musee, est entre
en application. En ce qui concerne la protection
des objets, ce texte souligne le caractere
indissociable des collections et du site.
Le palais des Qing est en effet la seule cite-palais
imperiale ancienne qui subsiste dans le pays; il
represente le plus bel exemple de l’architecture
classique chinoise. Cet ensemble, le plus vaste de
ce type et le mieux preserve au monde, est a la fois un
important symbole de la culture chinoise et
l’incarnation de l’histoire du pays. Residence de tous
les empereurs des dynasties Ming et Qing, centre
de la vie politique du pays et pivot du pouvoir
imperial, le palais comprend des groupes de
batiments dont les collections contiennent des
objets d’art anciens de toutes sortes, qui surprennent
les visiteurs par leur quantite, leur qualite et leur
variete. Ce qui est presente touche a de multiples
domaines comme l’architecture, l’amenagement
des jardins, l’histoire, la geographie, la litterature,
les collections d’antiquites, l’archeologie,
l’esthetique, la religion, l’ethnologie, les coutumes
et le protocole, et a une valeur historique,
scientifique et artistique particuliere. Il s’agit de
la continuation, mais aussi de l’ultime fruit
visible de l’effort imperial pour rassembler des
collections. La combinaison que les objets
exposes forment avec les batiments du palais
represente un ensemble patrimonial de valeur
mondiale.4
Patrimoine politique ou culturel ?
En juin 1928, le gouvernement nationaliste de
Nankin prit le controle du Musee du palais. Le 28
du meme mois, Jing Hengyi, haut conseiller du
gouvernement, artiste raffine et directeur de la
premiere Ecole normale du Zhejiang, proposa que
l’ancien palais imperial, « propriete de traıtres »,
soit abandonne. « Quant a ses biens meubles, ils
devraient tous etre mis aux encheres ou
transportes ailleurs », affirmait-il. Le lendemain, le
Conseil national du gouvernement approuva sa
proposition, plongeant le Musee du palais dans
une crise sans precedent.5
Une etude attentive du vocabulaire dont
use Jing Hengyi offre un eclairage interessant sur
DES MUSEES PLURIELS
90 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
certaines conceptions, qui prevalaient a l’epoque,
concernant la valeur du patrimoine. Jing voulait
ainsi que le musee soit rebaptise l’« Exposition des
luxes decadents du palais imperial abandonne ».
Son intention n’etait pas tant de lancer un debat
purement theorique que d’inciter le gouvernement
a agir par des moyens legislatifs. Mais sa
proposition causa immediatement une vive
emotion, en particulier parmi ceux qui plaidaient
deja pour une meilleure conservation du palais et
de ses œuvres d’art. Ils reagirent en objectant que
le palais et les biens qu’il contenait representaient
« des millenaires d’histoire chinoise et ne devaient
donc jamais etre consideres comme la propriete de
traıtres ». Peu apres, ils deposerent une petition,
par l’intermediaire de Zhang Ji, president du
Comite de preservation des antiquites du Grand
conseil des universites, aupres de la Conference
politique centrale, petition qui affirmait : « Etant
donne que l’ancien palais imperial a ete saisi par
l’Etat et est devenu bien d’Etat, comment est-il
possible de l’appeler ‘propriete de traıtres’ ? » Le
texte poursuivait en ces termes : « Avec sa
splendide facade et ses nombreuses œuvres d’art, il
peut fierement tenir sa place dans l’elite des musees
du monde. De ce point de vue, proteger le palais,
c’est apporter notre contribution au bien general
de la culture mondiale, et non monter la garde
devant la propriete d’une dynastie dechue. »6
Pour etre juste, la description par Jing des
œuvres d’art du palais comme des « luxes
decadents » representant seulement une fraction
du patrimoine culturel chinois s’accordait assez
bien a l’opinion que l’on avait des « antiquites » a
l’epoque. Dans la mesure ou ces objets de luxe
etaient « chers et pouvaient etre utilises pour se
procurer de l’argent », Jing avait en partie raison :
leur mise aux encheres aurait pu « contribuer a
l’edification […] d’un musee bien plus grandiose
dans la vieille capitale ». On ignore si ce musee
« plus grandiose » aurait reserve un espace aux
« luxes decadents des Qing », ni ce qu’il aurait
abrite si ceux-ci en avaient ete exclus.
Aussi bien la reconnaissance du palais
imperial par Zhang Ji et ses collegues comme
l’incarnation de valeurs culturelles mondiales fut-
elle hautement significative. Elle mettait en jeu,
tout en les transcendant, des preoccupations telles
que la preservation de la culture traditionnelle et
s’ecartait des questions polemiques comme la
compatibilite de la sauvegarde du Musee du palais
avec la lutte contre le feodalisme.7 Ayant survecu a
ce debat, le musee entra dans une phase de
developpement relativement calme, compte tenu
des circonstances.
Preserver le patrimoine : les efforts entrepris
Au long des quatre-vingts annees de son
existence, le Musee du palais apporta en effet
une contribution substantielle a la preservation
du patrimoine. Avant 1949, annee de la
fondation de la Republique populaire de Chine,
ses efforts se repartissaient entre trois domaines :
la publication de travaux savants, l’organisation
d’expositions et, pendant la guerre contre le
Japon, le transfert vers le sud des œuvres a
proteger.
Zhuang Yan, conservateur du Musee
national du palais a Taipei, est l’auteur d’un
article intitule « Les publications du Musee du
palais a Peiping [nom de Pekin a l’epoque] avant
l’annee 35 [de la Republique = avant 1946] »,
Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 91
article base en grande partie sur un catalogue de
1936 destine a l’usage interne du musee. Son
article repartit les publications selon differentes
categories : livres, dossiers, bronzes et pierres,
peintures et calligraphies, sceaux imperiaux,
catalogues, peintures de paysages, notes et
correspondances entre lettres du temps passe et
instructions ou reglements.8 En se fondant sur
les divisions administratives du musee, deux
autres auteurs, Zhu Saihong et Zhong Hongwei
(Recherches et preparation pour la publication)
classent, pour leur part, les parutions
republicaines de la maniere suivante :
publications issues des musees, des
bibliotheques, des archives; ils y ajoutent des
travaux divers (emanant du comite de
l’inventaire, du bureau des affaires generales et
du service des editions du musee). Les milliers
de pages parues durant cette periode etaient a la
pointe de l’erudition.
A la fin de l’annee 1949, 222 expositions au
total avaient ete organisees a l’interieur comme a
l’exterieur du musee.9 Les expositions s’etaient
poursuivies meme pendant la guerre contre le
Japon, alors que les œuvres d’art etaient deplacees
d’un lieu a l’autre. « Juste apres l’Incident du 18
septembre [1931], nous organisames plusieurs
presentations tout en recherchant des lieux plus
surs pour les objets de valeur du musee. Des
expositions furent montees a l’etranger – au
Royaume-Uni et en URSS – lors de notre voyage
dans ces pays; en Chine, il y eut les presentations
de Shanghai, Nankin, Chongqing, Guiyang et
Chengdu. »10
L’evacuation et la conservation des biens
du palais au cours de la guerre contre le Japon
resteront un grand moment de l’histoire nationale.
Durant une douzaine d’annees, des milliers de
caisses furent acheminees dans des vehicules
rudimentaires a travers plusieurs provinces sans
qu’une seule ne se perde. Ce fut deja en soi un
miracle.
C’est l’incident du 18 septembre 1931
(egalement connu sous le nom d’« Incident de
Mandchourie ») qui fut a l’origine de l’operation.
Des officiers japonais dynamiterent en
Mandchourie une section d’une voie ferree dans
un territoire qu’ils controlaient, puis l’armee
imperiale japonaise accusa du mefait des
dissidents chinois, offrant ainsi un pretexte au
Japon pour envahir et occuper de vastes
territoires dans le nord-est de la Chine. Face a la
menace d’invasion imminente de la Chine du
Nord, il fut propose de transferer les objets de
valeur du palais vers le sud, via Shanghai, afin de
les mettre a l’abri.
L’operation debuta en 1933 grace a la
liaison ferroviaire avec Shanghai. Dans le meme
temps, des etudes approfondies furent entreprises
au palais Chaotian a Yeshan Hill, a l’ouest de
Nankin, considere comme un site possible pour
entreposer des pieces. Elles furent terminees en
1935 et la construction d’entrepots concus pour
resister aux raids aeriens, a l’humidite et au vol
commenca sur les lieux, au printemps de l’annee
suivante. A l’automne, la construction etait
achevee.
En decembre de la meme annee, les objets
precieux furent transportes par lots a la tresorerie
d’Etat de Nankin par le chemin de fer Nankin–
Shanghai. Une division de Nankin du Musee du
DES MUSEES PLURIELS
92 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
palais fut etablie au palais Chaotian peu de temps
apres (Ma Heng).11 Suite a l’incident du 7 juillet
1937 (il s’agit de l’ « Incident du pont Marco Polo »
qui marqua le debut de la Seconde Guerre sino-
japonaise), le Gouvernement nationaliste transfera
sa capitale a Chongqing et les biens du palais
furent envoyes plus au sud. A un moment critique
– les bateaux ne pouvaient plus atteindre le port –
plus de 2 000 caisses non encore expediees, dont la
plupart contenaient des archives du palais, furent
renvoyees a Shanghai. Quelque temps plus tard, les
Japonais ouvrirent de force les entrepots,
expedierent les caisses a Nankin et les conserverent
a l’Institut central de recherche et au Service des
etudes geologiques en les melangeant a diverses
possessions d’autres institutions. C’est seulement
apres la guerre qu’un nouvel inventaire put avoir
lieu; la reexpedition des objets a Shanghai reprit en
mai 1946, de nouveau sans aucune perte
majeure.12
Durant un court laps de temps, le musee
frola donc la ruine; l’aventure fut longue et ardue
et certaines pieces durent etre vendues aux
encheres pour assurer sa survie – a une epoque ou
le sort meme de la nation etait en jeu. Cette
protection, tres reelle, des biens du palais par le
Gouvernement revetait aussi une grande
importance symbolique. Sauvegarder l’ouvrage
culturel du pays, c’etait aussi sauver la nation.
En s’accrochant a ses biens les plus precieux,
celle-ci montrait au monde entier sa farouche
determination a survivre, sinon physiquement, du
moins culturellement.
Dans un tel contexte, la signification
culturelle inherente au patrimoine l’emporte sur sa
valeur monetaire apparente.
Un patrimoine pour tous
A la fin du conflit, les œuvres d’art du palais des
Qing ne furent pas toutes reexpediees au Musee du
palais de Beijing; elles se retrouverent dispersees
entre Beijing, Nankin et Taipei. C’est pourquoi,
tout au long du processus de restauration engage
apres la guerre, le musee n’a cesse de souligner que
toutes les possessions du palais devaient retourner
a Beijing. Aujourd’hui encore, les responsables des
musees de palais de part et d’autre du detroit de
Taiwan et les personnes ayant participe a l’epoque
aux envois vers le sud continuent d’insister sur ce
point.
Par ailleurs, la relation entre edifices et
objets d’art ainsi qu’entre espace culturel et
patrimoine culturel est de mieux en mieux
comprise par la population. Durant les annees
1950, le musee etait defini comme un lieu
d’exposition d’œuvres d’art du passe. Depuis mars
1961, il est aussi repertorie comme l’une des
« entites » culturelles essentielles placees sous la
protection de l’Etat. En decembre 1987 enfin, il a
officiellement accede au rang de site reconnu du
patrimoine mondial.13
De nos jours, l’expression « lieu
d’exposition d’œuvres d’art du passe » ne rend pas
justice a la dimension et a l’impact du Musee du
palais. « Entite culturelle sous la protection de
l’Etat » insiste sur la valeur – reelle – des biens
immobiliers du musee, mais neglige les biens
mobiliers. Il a fallu attendre que le musee soit
reconnu comme site du patrimoine culturel
mondial pour que toute son importance soit
veritablement comprise. Au cours des vingt annees
ecoulees depuis, sa reputation d’ouverture n’a cesse
Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 93
de croıtre a travers le monde. A cet egard, quatre
phenomenes peuvent etre releves :14
1. Une perception plus precise des œuvres
d’art
Il y a plusieurs decennies, d’innombrables
archives, considerees comme « avoirs non
culturels », etaient enfouies dans des recoins
obscurs de l’etablissement. En effet, la confusion de
la notion de biens culturels avec celle d’antiquites
ou de curiosites causa la perte de precieuses
archives, jugees sans interet. L’institution essaie
actuellement de collationner ou de reclasser les
archives et de juger leur valeur selon les normes
contemporaines.
2. Une prise de conscience accrue de la
qualite de l’architecture
Le complexe du musee a ete favorise en
termes de protection materielle, comme le
montrent les renovations annuelles entreprises
depuis 1952. La restauration actuelle, commencee
en 2002, durera dix-huit ans. En 2020, « la
renovation a grande echelle de l’exterieur et des
interieurs sera terminee et la protection de
l’ensemble sera assuree, un cercle vertueux etant
ainsi cree pour la maintenance future. » Plus
important encore, le musee a fini par reconnaıtre
que le complexe n’est pas une « coquille vide » ou
un simple site; au meme titre que les objets de
valeur exposes dans ses murs, il constitue un
vecteur de la culture traditionnelle chinoise et un
temoignage de cette civilisation. Sa valeur n’est pas
seulement architecturale; ayant ete le centre de la
vie politique de deux dynasties successives et le
symbole du pouvoir imperial, le complexe revet
une importance aussi bien historique que
culturelle. Beaucoup de ses elements peuvent par
eux-memes pretendre aux honneurs.
3. Une exploration plus attentive de l’histoire
et de la culture du palais
Des chercheurs se sont penches sur la
relation qui existe entre l’interet suscite par
l’histoire reelle du palais et une erudition plus
generale et abstraite.15 Les etudes effectuees dans
une perspective « non partisane » permettront
sans nul doute d’approfondir les connaissances
professionnelles sur l’histoire et la culture du
palais. L’histoire du palais n’est pas une simple
suite d’anecdotes concernant la seule famille
imperiale; elle a une influence directe sur la culture
chinoise en general.
4. Une volonte accrue de valoriser l’heritage
immateriel de la Cour
« La vision des professionnels du musee
s’est elargie en substituant au concept traditionnel
d’antiquites la notion actuelle de patrimoine
culturel a proteger. Il existe des patrimoines
materiels et des patrimoines immateriels. Tout en
veillant comme il se doit sur le patrimoine
materiel, nous devrions nous attacher davantage a
la protection d’elements culturels immateriels de
tres grande valeur. » Ceci concerne d’une part la
transmission des techniques et savoir-faire en
matiere de construction architecturale et de
conservation des œuvres d’art, et, d’autre part, la
sauvegarde du patrimoine culturel immateriel du
palais. Ainsi, le Musee du palais s’ouvre chaque
annee de plus en plus largement au public. Une
reorganisation generale de ses ressources aboutit a
DES MUSEES PLURIELS
94 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
des resultats positifs dont tout un chacun peut tirer
parti. La totalite des objets et des archives sera
repertoriee dans des catalogues et des informations
detaillees a leur sujet seront mises a la disposition
du public. Un acces a l’information constamment
facilite au cours des dernieres annees est la preuve
de cette ouverture.
NOTES
1. Wu Ying (2005), Reves de poussiere de la Cite interdite, Beijing :
Forbidden City Press, p. 125. [en chinois]
2. Shan Shiyuan (2006), Histoire du palais Qing. Beijing : New World
Press, p. 3. [en chinois]
3. Musee du palais (2005), Le Musee du palais ces derniers quatre-vingts
ans. Beijing : Forbidden City Press, p. 258. [en chinois]
4. Zheng Xinmiao, « Regards sur les quatre-vingts dernieres annees »,
Le Musee du palais ces derniers quatre-vingts ans, op. cit., p. 13.
[en chinois]
5. Liu Beisi (2004), Les vicissitudes du Musee du palais, Beijing :
Forbidden City Press, p. 77. [en chinois]
6. Wu Ying, op. cit., p. 150-3.
7. Zheng Xinmiao, op. cit., p. 5.
8. Zhuang Yan (2006), Un lieu predestine, Beijing : Forbidden City Press,
p. 101. [en chinois]
9. Musee du palais, op. cit., p. 270-84.
10. Ma Heng (2006), Confidences et poemes de Ma Heng: du cote de la Cite
interdite en 1949, Beijing : Forbidden City Press, p. 273. [en chinois]
11. Ma Heng, (2006). « Notes sur la maniere dont les tresors du palais
furent sauves de la destruction pendant la guerre contre le Japon ».
Confidences et poemes de Ma Heng, op. cit., p. 270–273.
12. Ma Heng, ibid., p. 270.
13. Zheng Xinmiao, op. cit., p. 12.
14. Zheng Xinmiao (9 mai 2003), « La valeur de la Cite interdite et les
implications du Musee du palais ». Nouvelles de la culture chinoise.
[en chinois].
15. Zhu Jiajin (1999), « Notes sur l’histoire du palais Qing ». Le palais
Qing : coutumes, etiquette, antiquites et anecdotes, Beijing : Beijing Press,
p. 373.
Le palais imperial des Qing : de la Cite interdite au patrimoine publicGuo Changhong
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 95
Un nouveau concept :« ma capitale, mon musee »par Yao An
Titulaire d’un Ph.D en histoire, conservatrice adjointe et chercheur au Musee de la Capitale,
Yao An a dirige la preparation de plusieurs publications, sur le temple du Ciel, le patrimoine
mondial, ou Beijing. Elle a consacre un ouvrage aux jardins et parcs de Beijing et publie de
nombreux articles et monographies. Responsable de la presentation, de la planification de
l’education sociale au Musee de la Capitale, elle a contribue a l’organisation d’une vingtaine
d’expositions internationales.
La culture est l’element le plus representatif d’un
pays, d’une nation ou d’une ville, et les musees en
sont l’un des meilleurs agents de transmission. Le
Musee de la capitale, au cœur de Beijing, incarne la
culture de la ville et ses riches collections sont les
temoins vivants de son developpement. La plus
grande partie des vestiges exhumes dans la region
sont rassembles et conserves au musee comme
autant de tresors temoignant de l’extreme richesse
culturelle de la cite.
Naissance d’un nouveau concept : « ma capitale,
mon musee »
Dans le contexte de la mondialisation, les
musees sont devenus des instruments influents.
Beijing etant a la fois une metropole
internationale, une capitale ancienne de
renommee mondiale et un centre politique et
culturel, la construction et l’expansion de ses
musees doivent donc non seulement suivre son
developpement, mais aussi assurer le flux des
echanges entre des gens de regions, de nations,
de cultures et de croyances differentes. Le
96 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008
Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
nouveau Musee de la capitale a ete edifie dans
cette perspective, devenant l’un des principaux
musees de Beijing; l’edifice qui l’abrite est lui-
meme l’un des exemples les plus remarquables
de l’architecture actuelle pekinoise.
Cette institution – concue a l’origine
comme un musee local generaliste et lancee en
1953 – fut ouverte au public en 1981; elle etait
alors installee dans le temple de Confucius. Les
travaux du nouveau batiment commencerent en
decembre 2001. Celui-ci occupe un espace de
2,48 ha et s’inscrit dans un edifice plus grand
couvrant 6,34 ha, comportant cinq niveaux en
surface et deux en sous-sol; il s’eleve a 40 m.
L’installation des pieces presentees commenca
le 16 decembre 2005 et l’ouverture au public eut
lieu le 18 mai 2006.
L’architecture du batiment renvoie au riche
passe de Beijing et aux caracteristiques de son
peuple, tout en refletant le developpement de la
ville et de sa region, sa culture et son histoire, entre
passe, present et futur.
Montrer des expositions qui se
distinguent par l’elegance de leur conception
mais dont le contenu soit accessible au grand
public, telle est l’ambition de la nouvelle
institution; celle-ci possede plus de 5 600 pieces
ou ensembles d’objets qui retracent l’evolution de
la region au cours de 500 000 ans d’histoire,
depuis l’Homo erectus pekinensis jusqu’a nos jours,
et mettent en evidence le charme et l’elegance
uniques de la culture pekinoise. Les expositions
permanentes – « Beijing ancienne capitale :
histoire et culture » et « Beijing ancienne
capitale : architecture urbaine » – tendent a
retracer cette evolution dans toute sa splendeur.
Elles constituent le noyau central du musee a
partir duquel celui-ci construit progressivement
sa reputation en tant que l’un des musees chinois
de tout premier plan.
Il abrite egalement un ensemble
d’expositions thematiques, presentant des pieces
d’une qualite rare : « Anciennes ceramiques a
couverte »; « Bronzes de la region de Yan »;1
« Calligraphies anciennes »; « Peintures
anciennes »; « Jades anciens »; « Art bouddhique
ancien »; « Bibelots precieux des studios de
lettres ». Ces sept presentations, ainsi que celle
intitulee « Histoires anciennes et coutumes du
vieux Beijing » completent les collections
principales, donnant un apercu supplementaire sur
la culture de la ville.
Le concept qui sous-tend l’organisation du
nouveau musee accorde la priorite a la collecte, a
la presentation, a la restauration, a l’etude du
patrimoine ainsi qu’a l’enseignement qui peut en
etre tire. C’est afin de promouvoir cette approche
qu’a ete elabore et diffuse le concept de « ma
capitale, mon musee », qui inspire tous les
membres du personnel dans leurs taches
quotidiennes, par exemple l’accueil des visiteurs,
que l’on incite a se sentir parties prenantes a la
vie de l’etablissement : on les encourage a
participer a des activites organisees sur place, a
donner leur avis, a faire des suggestions
concernant la presentation des objets. Ainsi, le
musee deviendra pour eux un lieu ideal
d’enrichissement intellectuel et spirituel et ils
contribueront a ce que « ma capitale, mon
musee » devienne une realite dans le cœur des
habitants de Beijing.
Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 97
Conservation du patrimoine et mise en œuvre du
nouveau concept
Chaque ville a un passe et un present. La
richesse du patrimoine culturel de Beijing en fait
toutefois un cas a part. Proteger et preserver sa
diversite culturelle est la mission du Musee de la
capitale, et c’est aussi le but specifique qui
sous-tend le nouveau concept. Le musee a
considerablement innove au cours de ces
dernieres annees. Non content de mettre en
valeur les objets, il rend compte du
developpement urbain recent de Beijing. Il joue
egalement le role qu’on attend d’un musee
urbain dans des domaines tels que l’inventaire
des sites industriels, le recensement et la
diffusion des sons et cris de Beijing, ainsi que la
protection et la presentation du patrimoine
immateriel de la region.
Inventaire des sites industriels
L’inventaire des sites industriels est rendu
necessaire par le rythme de la croissance urbaine,
et constitue un sujet d’etude nouveau pour les
specialistes du patrimoine. Le developpement de
l’industrie a Beijing, entame a partir de la fin du
XIXe siecle, a connu son apogee dans les annees
1950. L’essor industriel a marque de facon
indelebile le developpement de la ville. Du fait de
la necessaire adaptation de l’industrie, du souci de
proteger l’environnement et de la necessite pour
Beijing de continuer a se developper dans les
21. Le palais d’ete de Beijing, dont la construction date de 1750, est un
chef-d’œuvre de l’art chinois du jardin paysager.
22. Vue interieure du Musee de la capitale.
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DES MUSEES PLURIELS
98 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
annees 1990, la planification initiale de la ville
industrielle a ete considerablement modifiee.
Quelque 150 entreprises ont du quitter les zones
urbaines, et les usines, dont certaines remontaient
a une centaine d’annees, ont elles aussi du evacuer
les quartiers residentiels de la ville. Toutefois, ces
entreprises, qui avaient contribue au
developpement economique de Beijing et marque
la vie de generations de travailleurs, demeuraient
vivantes dans la memoire des gens. Ce sont elles
que vise le projet.
L’etablissement de la sixieme liste de sites
historiques a proteger que l’Etat a etablie indiquait
egalement que ce dernier se preoccupait du
patrimoine industriel moderne. La notion de
patrimoine industriel est toutefois mal
apprehendee dans la societe contemporaine, et il
est urgent que les sites industriels de grande valeur
soient reconnus comme tels et beneficient de
l’attention voulue. Comment evaluer l’interet du
patrimoine industriel ? Les cheminees d’usine qui
dominent les paysages sont les memes dans le
monde entier, mais le contexte historique, les
mentalites et les histoires qui se rattachent a leur
construction varient d’un pays a l’autre. Parmi les
sites industriels recenses, seuls ceux qui ont
marque un tournant historique sont actuellement
consideres comme ayant suffisamment de valeur
pour meriter d’etre proteges et preserves. Le Musee
de la capitale, outre qu’il a entrepris de dresser,
grace a des photos et des videos, un etat actuel des
sites industriels et de rassembler des objets
patrimoniaux, mene des travaux de recherche sur
la renovation et la preservation d’ateliers, de
machines et d’equipements.
Inventaire et diffusion des « voix de Beijing »
L’exposition « Les voix de Beijing » constitue une
experience nouvelle de la part du Musee de la
Capitale. Tout en deambulant le long de la foret de
bambous au sous-sol du musee, les visiteurs
entendent les sons traditionnels du vieux Beijing :
les klaxons des tramways, les cris des colporteurs
ou les salutations traditionnelles entre voisins et
connaissances. Les visiteurs plus ages peuvent
redecouvrir des sons familiers, les plus jeunes se
faire une idee de ce qu’etait la ville autrefois, et les
enfants sont en general ravis. L’exposition diffuse
23. Le palais d’ete, ou Yi he yuan, Beijing.
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Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 99
egalement de la musique folklorique et les œuvres
de musiciens tels que Peter Cusack ou David Toop,
refletant l’evolution permanente de Beijing et son
environnement quotidien. Des enregistrements
sonores diffuses dans la Salle des traditions
populaires – dont les fameux concours de chants
d’oiseaux – creent, la encore, un climat propice a la
reconstruction de l’ambiance du vieux Beijing.
Le Musee de la capitale projette de
rassembler au cours des trois prochaines annees
d’autres sons et voix de Beijing pour de futures
expositions. Classes par themes – histoire, art,
religion, vie sociale, opera et sites anciens – ils
seront utilises pour des expositions speciales telles
que « Un jour dans un hutong », « Sons de toutes
saisons », « Sons de la place Tian’anmen » et
« Sons et voix des activites olympiques ».
L’exposition « Sons et voix d’un siecle d’histoire »
marquera en 2009 le soixantieme anniversaire de la
Republique populaire de Chine, en permettant de
restituer a la vue, mais aussi a l’oreille, l’histoire de
la ville. Cet effort du Musee de la capitale pour
preserver les sons et les voix de Beijing s’inscrit
dans le cadre d’une nouvelle initiative en faveur de
la protection et la preservation de son patrimoine
immateriel.
Conservation et presentation du patrimoine
immateriel de la region de Beijing
Les musees doivent relever a l’heure actuelle un
defi sans cesse croissant, dans la mesure ou le
concept de patrimoine s’elargit tandis que des voix
toujours plus nombreuses s’elevent pour reclamer
la protection du patrimoine immateriel. De plus en
plus de specialistes s’accordent en effet a penser
que les musees, lors des expositions, devraient
chercher a meler les patrimoines culturels materiel
et immateriel. C’est pourquoi le Musee de la
capitale, dote d’importantes collections d’objets,
s’emploie aussi a proteger, conserver et perpetuer
le patrimoine immateriel.
L’exposition « Coutumes du vieux
Beijing » presente ainsi diverses expressions du
patrimoine immateriel en mettant en scene quatre
moments de la vie des Pekinois de jadis : la nuit de
noces, la naissance d’un enfant, l’anniversaire d’un
grand-pere et les celebrations de la fete du
Printemps [la nouvelle annee lunaire]. Cette
exposition montre a l’aide de mannequins combien
le patrimoine immateriel fait partie inherente des
coutumes familiales et du mode de vie propre a
Beijing. Outre des objets destines a l’usage
quotidien tels que des laques, des ornements
d’ivoire, des coffrets au decor en filigrane, divers
meubles, des travaux de tricot et de broderie, ces
reconstitutions presentent egalement des objets
allant d’impressionnants lions pour mener la
« danse du lion » lors de celebrations festives, a de
minuscules sifflets de pigeon (accroches a la queue
des pigeons, ils creent des sons lorsque les oiseaux
volent), utilises quotidiennement pour se distraire.
On y trouve egalement de delicates tabatieres, des
cloisonnes et des estampes du Nouvel An de
Yangliuqing :2 tous ces objets, de grande qualite,
constituent un temoignage important de l’artisanat
et des techniques contemporaines.
L’exposition « Tresors de l’opera de
Pekin », autre initiative du Musee de la capitale
visant a presenter au public le patrimoine
immateriel, comprend des objets rassembles et
preserves afin de susciter l’interet des visiteurs
pour cette forme traditionnelle d’expression et la
DES MUSEES PLURIELS
100 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
leur faire mieux connaıtre. A cette fin, le musee a
reconstitue le decor et la scene traditionnels des
representations de l’opera de Pekin sur le modele
du theatre Yangping a Zhushikou, dans le district
de Chongwen a Beijing. Les visiteurs, revivant
l’atmosphere d’un theatre traditionnel ou se
rendaient les « vieux Pekinois », peuvent
apprehender d’une maniere plus directe et
personnelle le role important que cet art joue dans
la culture de la capitale ainsi que la necessite de le
preserver et de le perpetuer.
Le Musee de la capitale a egalement
monte des representations de l’opera kunqu, autre
forme du patrimoine culturel immateriel de
Beijing. Associer la presentation d’objets materiels
et des representations de ce type d’opera constitue
un moyen efficace d’encourager la participation
des visiteurs. Ces representations comblent, en
partie du moins, l’absence actuelle du patrimoine
culturel immateriel dans les musees. En
presentant et en mettant en scene des
evenements, des personnalites et des arts oublies,
le musee permet aux visiteurs d’en saisir
pleinement la signification et il atteint l’un de ses
objectifs les plus importants.
Les articles et les materiaux rassembles et
publies dans le cadre d’un projet intitule
« Recherche sur la conservation des patrimoines
immateriels dans la region de Beijing »
permettront non seulement d’enrichir les
expositions du musee, mais egalement d’ouvrir de
nouvelles pistes de recherche. Et, consequence non
negligeable, ces travaux serviront de reference au
gouvernement pour decider de la politique de
protection et de conservation du patrimoine
immateriel.
Le Musee de la capitale a beneficie, pour
toutes ces activites, de la participation et du
soutien de nombreux habitants, appartenant a
toutes les categories sociales : les uns ont fourni
des renseignements sur l’origine des objets; les
autres en ont offert; d’autres encore ont ecrit des
livres; tous temoignaient ainsi leur enthousiasme et
leur implication.
Beijing et la diversite culturelle
Beijing, capitale depuis des siecles et, de ce fait,
terre d’echanges entre les peuples, est devenue un
lieu unique, une sorte de kaleidoscope de cultures,
sans equivalent dans le pays.
Nouvelles cooperations avec des
musees du monde
Depuis sa pre-ouverture en 2005, le musee n’a
cesse de monter et organiser des expositions
nationales et internationales, des festivals, des
commemorations, des colloques et rencontres
universitaires, des conferences de presse, des
receptions et des interviews aupres des medias
chinois et etrangers.
Cet ensemble d’activites permit non
seulement de promouvoir les echanges, mais
aussi de faire de Beijing un theatre offrant aux
habitants la possibilite d’apprecier differentes
cultures sans quitter la ville. Parmi les
expositions les plus importantes, citons :
« Tresors des cultures du monde : le British
Museum, 250 ans de collections »; « La cite du
soleil : triomphe du realisme social en Russie
[ ] »; « Le culte du jaguar : l’ancienne
civilisation mexicaine », « Tresors de l’Inde
Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 101
ancienne » et « Sesame ouvre-toi : les tresors de
l’art arabe ».
En 2006, a l’occasion de l’exposition
« Tresors des cultures du monde : le British
Museum, 250 ans de collections », le musee invita
le conservateur du British Museum, Neil
MacGregor, a donner une conference et en
organisa quatre autres avec des experts nationaux
de renom. Cette exposition fut le premier
evenement d’importance organise par le nouveau
Musee de la capitale. Ce fut aussi une
extraordinaire experience pour le British Museum.
Le Musee de la capitale s’est vu offrir la
possibilite de cooperer avec la prestigieuse
institution britannique en raison de la qualite de
ses salles d’expositions, de la modernite de son
equipement de pointe, du haut niveau de ses
equipes de recherche et de conservation, de son
systeme de communication performant, de son
systeme de securite a toute epreuve, sans compter
un accueil et une logistique de qualite
exceptionnelle. Les preparatifs furent menes a bien
dans les temps et ne recurent que louanges de la
part du personnel du British Museum.
L’exposition, qui attira 250 000 personnes, fut
chaleureusement accueillie des son ouverture par
un public tres divers.
« Le culte du jaguar : l’ancienne
civilisation mexicaine » fut la deuxieme grande
exposition que le Musee de la capitale organisa.
Fruit d’echanges culturels repetes entre la Chine
et le Mexique, elle s’inscrivait dans le cadre d’une
serie d’expositions speciales et novatrices. Elle
constituait, grace a la presentation de figures en
argile et de sculptures taillees dans la pierre liees
au culte du jaguar, une introduction a l’univers
artistique et spirituel des anciens Indiens du
Mexique. Des initiatives artistiques variees autour
de ce theme permettaient aux visiteurs d’apprecier
la creativite extraordinaire et la richesse
d’imagination de ces peuples.
Au mois d’aout 2007, le musee presenta
« Tresors du musee du Louvre : l’art grec
classique » – la premiere grande exposition
d’objets provenant des collections du Louvre
organisee en Chine. Elle etait consacree a la
Grece antique entre le Ve et le IVe siecle avant
Jesus-Christ, l’un des « ages axiaux » dans
l’histoire des civilisations, et marquant l’apogee
de la Grece antique. Les 130 objets exposes –
sculptures sur pierre, poteries et objets en or –
illustrant la splendeur de cette periode
constituaient un pur enchantement. Cette
exposition a marque un tournant en termes de
conception et de narration museographique en
offrant aux visiteurs un champ d’experiences et
de sensations multiples.
L’exposition « parfaite »; rapprocher monde
du savoir et public
En 2007, a l’occasion de la Journee mondiale du
patrimoine culturel, la Sociedad Estatal para la
Accion Cultural Exterior (SEACEX) et le Musee de
la capitale organiserent l’exposition « Cosmos
Gaudı : architecture, geometrie et creation ».
La manifestation, concue autour des concepts
geometriques utilises par Gaudı, permit aux
visiteurs d’apprehender son mode de pensee, son
art de la perspective et ses gouts esthetiques en
observant la facon dont il sut meler nature et
technologie; ils purent ainsi approfondir leurs
DES MUSEES PLURIELS
102 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
connaissances en architecture et reflechir aux
rapports entre l’habitat humain et la nature. En
deux mois, l’exposition attira quelque 200 000
visiteurs.
En avril de la meme annee (2007), s’ouvrit
l’exposition consacree aux « Ceramiques
a couverte des fours officiels de Yongle decouverts
dans le district de Zhushan, a Jingdezhen ».
L’exposition – presentant une introduction a la
fabrication des porcelaines a l’epoque de Yongle, et
la replacant dans le contexte des rituels imperiaux
au debut de la dynastie Ming – contribua ainsi a
faire mieux connaıtre et apprecier la porcelaine de
ce temps, tout en enrichissant la recherche sur
l’histoire de Beijing. On pouvait certes y admirer
toutes sortes de porcelaines provenant des fours
imperiaux de Yongle mais egalement des
porcelaines blanches de style islamique et des
porcelaines au decor « bleu et blanc ». Ces pieces,
dont beaucoup etaient presentees au public pour la
premiere fois, temoignaient de l’esthetique unique
des fours officiels de Yongle, de la parfaite maıtrise
de l’art de la porcelaine a cette epoque, et, ce qui
etait beaucoup moins connu, du gout particulier de
l’empereur pour ces pieces. Ces objets, precieux en
eux-memes, sont en outre source d’utiles
informations archeologiques pour l’etude de
l’histoire, de la culture et de l’economie durant le
regne de Yongle.
Pendant l’exposition, de nombreux
experts en porcelaine furent invites a donner des
conferences. De plus, pour la premiere fois, on
crea une zone interactive ou les visiteurs
pouvaient toucher des tessons de porcelaine afin
d’en apprecier la matiere, les couleurs de
couverte et les decors et, plus important encore,
interroger les experts pour avoir une reponse a
leurs questions.
Enfin, l’exposition « Peintures de Pan
Yuliang »,3 organisee du 16 aout au 16 novembre
2007, rassembla plus de 200 œuvres de l’artiste.
Cette retrospective, la plus importante qui lui ait
ete consacree ces dernieres annees, seduisit le
public par son approche conceptuelle originale et
par la nouveaute des pieces presentees. Cette
exposition etait divisee en trois sections : la
premiere, « Vie de legende et destin d’artiste »,
presentait brievement la vie du peintre, ses
objectifs et ses creations; la deuxieme rendait
compte des efforts du musee de la province de
l’Anhui [ou Pan Yuliang avait vecu] pour sauver
ces tresors; on y expliquait le processus de
restauration des peintures a l’huile et fournissait
aux visiteurs des informations sur la protection, la
reparation et la restauration des peintures; la
troisieme section proposait enfin des creations
inspirees des peintures de Pan Yuliang, dont des
objets de decoration. Ces creations, dans l’esprit
des œuvres de l’artiste, melaient art pur et art
applique, donnant ainsi l’occasion aux visiteurs
d’introduire cette esthetique dans leur vie
quotidienne.
A l’ecoute de l’actualite et au service du public
En 2007, a l’occasion du dixieme anniversaire de la
retrocession de Hong Kong a la Chine, le musee
organisa une exposition visant, au moyen de
descriptions parlantes, de photos en couleur, de
jeux interactifs et de vestiges de qualite, a rendre
compte du developpement de la Region
administrative speciale de Hong Kong, des progres
et realisations de ces dix dernieres annees.
Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 103
L’evenement, accueilli chaleureusement par le
public, recut pres de 120 000 entrees durant les
dix jours d’ouverture.
Le Musee de la capitale est ainsi devenu un
lieu de premiere importance, jouant un role
significatif lors de la candidature de Beijing aux
Jeux Olympiques de 2008 et de la campagne
promotionnelle qui y a ete associee.
L’une des principales fonctions d’un musee
etant de rassembler des objets d’art, le Musee de la
capitale s’est en effet activement employe a reunir
environ 40 000 pieces en rapport avec la
candidature de Beijing aux Jeux olympiques, et a
susciter des articles les concernant. Il a egalement
organise des expositions et des activites ciblees,
dont « Le sport : chefs d’œuvre de l’art chinois »;
« Peintures et calligraphies d’artistes chinois
handicapes »; et « Le reve partage : les collections
sportives et olympiques nationales », dans le cadre
du quatrieme Festival culturel olympique de
« Beijing 2008 » (qui comprenait egalement le
Forum de Beijing de 2006 sur les arts folkloriques
et un seminaire sur le collectionnisme en relation
avec les sports olympiques).
« Ma capitale, mon musee »
Le Musee de la capitale fait en sorte de cooperer
avec tous les milieux sociaux de maniere a mettre
en pratique le nouveau concept. Non content de
collaborer et d’organiser des echanges avec d’autres
musees, le Musee de la capitale organise donc des
expositions sur l’histoire, la culture et l’art a
l’intention de toutes les composantes de la societe,
dont les entreprises, les comites de quartiers, les
communautes et les individus. Depuis son
ouverture, il a ainsi organise des dizaines
d’expositions de ce type.
Outre des expositions consacrees aux
periodes anciennes (comme celle de juin 2007
presentant des tuiles decorees et des ceramiques de
l’epoque du Premier empereur [221–210 avant
J.-C.]), le musee est en outre dispose a monter
toutes sortes d’expositions permettant d’illustrer
l’evolution de Pekin depuis cinquante ans, a travers
ses rues, ses societes commerciales, ses usines et
chacun de ses habitants. Ainsi sera pleinement mis
en œuvre le concept de « ma capitale, mon
musee ».
Apporter le musee a la maison
Le concept d’industrie culturelle et creative, s’il est
devenu familier, demeure toutefois etranger a la
plupart des musees. Il est « familier », en ce sens
que les musees sont au cœur meme de l’industrie
culturelle, ce qui est largement admis et compris
par toutes les composantes de la societe. Il reste
« etranger » dans la mesure ou la creation
culturelle sous l’impulsion des musees en est
encore a ses premiers balbutiements. Les objectifs,
les moyens et les methodes de la creation culturelle
par les musees, ainsi que la recherche, le
developpement et la realisation de produits
culturels et creatifs, en sont tous au stade de
l’experimentation et de l’exploration. Pour un
nouveau musee tel que le Musee de la capitale,
c’est un defi a relever.
Avant la pre-ouverture en decembre
2005, l’administration, apres une analyse
approfondie des questions relatives au
developpement des activites culturelles et de
DES MUSEES PLURIELS
104 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
service, decida que l’elaboration de produits
derives devait etre pour le musee un objectif
important. Il s’agissait d’etablir un processus
approfondi de « developpement », de mettre au
point differents moyens et methodes de creation,
d’assurer la production de masse de produits,
d’en proteger les droits de propriete intellectuelle
detenus par le musee, et de developper une
strategie de marketing adaptee.
Premiere remarque : on peut etre certain
que, compte tenu de l’enormite de la demande, il
y a un marche pour des produits culturels
creatifs. Durant les Jeux olympiques de 2008 et
la periode qui suivra, Beijing connaıtra une
veritable explosion du tourisme culturel, et
l’impact des Jeux creera une forte demande de
consommation. Pour l’instant, le developpement
de produits culturels derives est sans commune
mesure, en termes d’originalite et d’importance,
avec l’influence et la reputation de Beijing. Des
produits differencies pourraient augmenter les
parts de marche, et les produits culturels derives
mis au point par le Musee de la capitale, grace a
ses ressources et a sa creativite uniques,
pourraient se tailler une part importante du
marche touristique des souvenirs. Le marche des
produits culturels derives des musees est encore
balbutiant en Chine, et le Musee de la capitale
dispose, compare a d’autres, d’atouts serieux et
de belles perspectives d’avenir. Les produits
culturels derives des musees sont aussi un
instrument de communication dont les musees
modernes ont besoin.
Deuxiemement, l’industrie culturelle et
creative du Musee de la capitale est axee sur trois
objectifs commerciaux distincts :
1. Les groupes de visiteurs. Quand les
produits culturels font partie de la vie
quotidienne des gens, il en resulte, de
leur part, une meilleure comprehension
des œuvres et de la culture en general,
ainsi que des services offerts par les
musees. En 2006, environ 760 000 tickets
d’entree ont ete vendus, le nombre total
de visiteurs depassant le million. Ce
public est une cible commerciale qui ne
doit pas etre negligee.
2. Les expositions nationales et internationales.
Les echanges culturels et les expositions
sont particulierement propices au
developpement du marche des produits
culturels derives. Les produits derives mis
au point pour les expositions du Musee de
la capitale font desormais partie integrante
de ces expositions.
3. Le marche des cadeaux et des souvenirs. Les
cadeaux et les souvenirs a connotation
culturelle sont necessaires aux echanges
culturels, et les produits que nous
fournissons repondent parfaitement a ce
besoin.
A l’heure actuelle, le Musee de la capitale
dispose d’une zone reservee specifiquement a
l’industrie culturelle creative et, parmi les
principaux produits offerts, on trouve des
vetements, des souvenirs, des livres ainsi que des
enregistrements audio et video exclusifs. On peut
s’y procurer aussi des objets artisanaux evoquant le
vieux Beijing, des ornements de jade, des gravures,
des livres – au total pres de dix mille sortes
d’articles – allant des livres a des reproductions de
Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 105
calligraphies et de peintures. Des boutiques de
cadeaux y sont aussi ouvertes a titre temporaire
lors des expositions.
Le Musee de la capitale comprend
egalement un « Atelier des sept couleurs »
interactif, a but educatif pour les enfants, de la
maternelle a l’ecole primaire. Diverses activites
attrayantes, comme la fabrication de ceramiques, la
confection de masques de l’opera de Pekin ou
l’impression d’estampes du Nouvel An permettent
aux enfants d’exercer leur imagination et leur
creativite. Ils peuvent a tout moment s’amuser en
se livrant a des experiences concretes. Ces activites
visent a favoriser leur developpement, tout en
satisfaisant leur desir d’exploration, en
encourageant leurs aptitudes pratiques et en
stimulant leur imagination artistique. Le musee
leur offre egalement un espace ou ils peuvent
exposer leurs productions, et organise
regulierement des expositions de leurs meilleurs
travaux afin de stimuler leur enthousiasme et de
faire du musee une pepiniere de futurs talents,
artistes ou scientifiques.
Le Musee de la capitale : un musee mobile
En 2007, l’exposition « Partageons le ciel bleu :
mouvement pour construire ensemble la ville et
son environnement rural », a ete la premiere
activite sociale publique de grande ampleur
organisee par le musee en tant qu’institution
culturelle a but educatif.
Les activites s’adressaient aux eleves des
niveaux primaires et intermediaires et aux
habitants des banlieues. Tout d’abord, ces
habitants ont ete invites a venir gratuitement au
musee de facon reguliere pour participer a diverses
activites educatives. Ensuite, des expositions ont
ete organisees dans les campagnes, et d’autres dans
les cantons et les quartiers de banlieue. Dans ces
derniers, des experts ont donne des conferences et
dirige des seminaires gratuits, a l’intention
notamment des professeurs et des eleves.
L’exposition – assortie d’une section intitulee
« Beijing, ancienne capitale : histoire et culture »,
destinee a fournir une information de base sur la
defense nationale – a ete montee dans differents
districts, cantons et comites de quartier des
banlieues.
Ce faisant, le musee a pour objectif de
« faire beneficier des ressources en matiere de
culture, d’information et d’education » les zones
urbaines et rurales, promouvoir le progres culturel
et ideologique dans les zones rurales et donner aux
habitants des banlieues l’occasion de decouvrir les
musees. Ce faisant, le Musee de la capitale est
devenu une sorte de musee mobile, a meme de
remplir pleinement son role.
L’institution museale en Chine remonte a
une centaine d’annees. On a fini par prendre
conscience que les musees ne sont plus des lieux
ou l’on dispense un enseignement austere dont la
seule fonction serait de presenter des vestiges
culturels accompagnes d’explications absconses.
Les gens sont au contraire fortement desireux de
relier les objets exposes a leur vie de tous les
jours : et les musees sont capables de leur montrer
concretement comment ces objets faisaient partie
du quotidien. Ils esperent etablir un rapport etroit
avec le visiteur, en lui donnant acces a la
connaissance et au plaisir par la culture et trouver
ce faisant leur place dans le cœur du public. Ils
DES MUSEES PLURIELS
106 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
concretiseront ainsi le concept de « ma capitale,
mon musee ».
NOTES
1. Nom d’une principaute a l’epoque des Royaumes combattants et
l’ancien nom de la region de Pekin.
2. Localite de la banlieue de Tianjin : on y fabrique toujours de celebres
estampes tres colorees destinees a porter bonheur.
3. Cette artiste, a la vie aussi etrange qu’un roman, a passe une grande
partie de sa vie a Paris ou elle est morte.
Un nouveau concept : « ma capitale, mon musee »Yao An
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Preserver la diversite dupatrimoine culturel de Shanghaipar Chen Xiejun
Chen Xiejun, chercheur et directeur actuel du Musee de Shanghai, siege egalement a
l’Association des musees de la Fondation Asie–Europe. Vice-president du Comite national
chinois du Conseil international des musees, il est en outre sous-directeur de la Societe
chinoise des musees et de l’Association des musees culturels de Shanghai. En tant que
chercheur, il s’interesse plus particulierement a la philosophie, a la culture urbaine moderne,
aux nouvelles theories scientifiques de la macroscopie, a la bibliotheconomie et a la
museologie. Auteur de deux livres, Le temps et Les couleurs, et de diverses etudes sur
l’origine de la civilisation chinoise, il prepare actuellement un doctorat de philosophie a la
St Louis University de Washington (DC).
A la suite des bouleversements culturels qu’a
connus Shanghai du point de vue technologique,
economique et sociologique, la necessite de
preserver le patrimoine culturel extremement
diversifie de l’agglomeration est devenu un theme
d’actualite dont la population est de plus en plus
consciente.
Le Musee de Shanghai et la preservation d’un
patrimoine culturel diversifie dans le contexte de
la mondialisation
Amorcee au compte-gouttes, la « mondialisation »
est devenue aujourd’hui un torrent impetueux
et un phenomene dont les musees doivent
absolument tenir compte. Lors des grandes
conferences organisees par l’Association
internationale des musees a Stavanger en 1995,
Melbourne en 1998 et Tokyo en 2002, la question
vitale des « musees face a la mondialisation »
a fait l’objet de debats approfondis de la part
108 ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008
Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
de la societe internationale. « Culture planetaire »
et « culture chinoise », internationalisme et
esprit national, etc., sont des questions
complexes. La volonte de concilier les exigences
opposees de la mondialisation et de l’identite
chinoise, de l’ouverture au monde et du
nationalisme, du brassage des cultures et de la
specificite, oblige les musees a une nouvelle prise
de conscience.
Considere comme l’une des vitrines de l’art
classique chinois, le Musee de Shanghai a
rassemble en un peu plus d’un demi-siecle plus
d’un million d’objets, dont pres de 120 000 pieces
uniques, d’une valeur inestimable : bronzes,
ceramiques, calligraphies, peintures, os graves
d’inscriptions oraculaires, sceaux, jades, ivoires,
soieries, productions des minorites ethniques, sans
oublier les temoignages de cultures etrangeres et
autres. Les trois principales collections sont celles
des bronzes, des ceramiques, et des calligraphies
et peintures. Des son ouverture en 1952, le Musee
de Shanghai s’est lance avec enthousiasme dans
la voie du changement, prenant des initiatives
exemplaires en matiere d’expositions
internationales et renforcant la cooperation avec
les chercheurs d’autres pays pour un partage global
de l’information – ce qui constitue l’un des aspects
les plus remarquables de « l’ere du musee
planetaire ». Confronte aux realites de la
« mondialisation », le Musee de Shanghai
demontre toute l’importance qu’il attache a la
protection d’un patrimoine culturel tres diversifie.
C’est dans le meme esprit qu’il aborde ces
questions pratiques que sont la mise en application
des idees nouvelles, la conception des produits et
la gestion ainsi que la valorisation scientifique des
espaces d’exposition.
La conservation du patrimoine de Shanghai et son
impact sur la vie de la cite
Tout au long de son histoire, Shanghai a accumule
un patrimoine culturel extremement riche et varie
qui atteste une occupation tres ancienne, puisque
la culture de Majiabang ( ) remonte a 6 000
ans, celle de Songze a 5 000 ans, celle de Liangzhu
a 4 000 ans, et la culture de Maqiao a 3 700 ans.
Les vestiges culturels du neolithique et des
dynasties Xia, Shang et Zhou trouves a Shanghai
temoignent de l’origine et des racines culturelles de
la ville. Vingt-sept sites archeologiques des
environs ont deja livre d’innombrables objets
et l’on attache une grande importance a la
poursuite de ces fouilles. Mais il ne suffit pas
de preserver a grands frais ce patrimoine
inestimable : il faut aussi le mettre en valeur pour
que sa richesse puisse etre pleinement exploitee en
tant que composante essentielle de la vie culturelle
de la cite.
Des les debuts de l’industrialisation de la
Chine, Shanghai est rapidement devenue, dans les
annees 1920, un centre important de l’industrie
textile et de la construction ferroviaire et navale.
Ainsi s’est constitue un riche patrimoine
industriel encore tres present aujourd’hui. Cela
oblige Shanghai a adopter des methodes de
conservation adaptees a des exigences et a des
situations tres variees; mais, si une cooperation
s’instaure entre des quartiers ayant chacun leur
specificite, il devient possible de mettre en œuvre
des ensembles polyvalents de plans
d’amenagement des sites du patrimoine industriel
de la ville. Les enseignements tires de
l’experience des ateliers de confection de New
York montrent la necessite de s’appuyer sur des
Preserver la diversite du patrimoine culturel de ShanghaiChen Xiejun
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 109
bases culturelles solides pour transformer les
quartiers anciens et restructurer les friches
industrielles. Ainsi, le batiment du 50 Moganshan
Road etait a l’origine une ancienne manufacture
dotee d’un entrepot dont l’histoire remonte aux
annees 1930. A l’aube du XXIe siecle, un collectif
d’artistes a investi cet espace pour en faire une
galerie d’art moderne. Cette rehabilitation reussie
a incite d’autres sites industriels du meme genre a
faire une place aux arts visuels en tant que
composante essentielle de la creativite culturelle
de Shanghai. On peut citer a titre d’exemple la
Tangshan Road ou la Duolun Road, mais la
volonte d’innovation est presente un peu partout,
creant une scene culturelle diversifiee et ajoutant
des touches colorees et originales a un paysage
urbain aux multiples facettes.
La principale raison d’etre du musee est la
preservation du patrimoine culturel, ce qui ne se
limite pas a la conservation des collections, mais
suppose aussi un travail systematique
d’information et de valorisation de l’ensemble. Peu
importe a cet egard qu’il s’agisse du patrimoine
materiel ou immateriel. Des lors que l’on accepte
l’idee que le patrimoine culturel forme un tout,
chaque musee est tenu, pour le preserver, de
poursuivre encore plus rigoureusement sa
politique en matiere de conservation : mise en
valeur du patrimoine, objectifs de developpement
24. Les ruines neolithiques du Mont Fuquan.
ªM
use
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24
DES MUSEES PLURIELS
110 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
et recours aux methodes et technologies
appropriees. C’est la une condition sine qua non
de tout developpement ulterieur de l’institution,
qui doit egalement aller vers les gens, repondre
a leurs attentes, participer a la vie de la cite,
proposer un eventail d’activites culturelles aussi
large que possible et contribuer au progres social.
Ces dernieres annees, l’offre museale a connu
a Shanghai un developpement relativement
rapide, et l’agglomeration compte aujourd’hui
106 musees, dont plus de 40 prives. D’ici a
2010 le nombre des musees et fonds d’archives
devrait atteindre 150. La culture museale a ete
renforcee afin de sauvegarder et proteger le
patrimoine de Shanghai, ainsi que de nourrir
et dynamiser la vie culturelle de la cite.
Diversite et innovation culturelles : deux aspects
complementaires du role du musee
L’attrait de la culture tient a sa pluralite; cela est
encore plus vrai a l’age de la mondialisation. Le 2
novembre 2001, la Conference generale de
l’UNESCO a adopte a sa trente et unieme session la
Declaration universelle de l’UNESCO sur la
diversite culturelle, ou elle affirme qu’en tant que
« source d’echanges, d’innovation et de creativite,
la diversite culturelle est, pour le genre humain,
aussi necessaire que l’est la biodiversite dans
l’ordre du vivant. » La diversite culturelle est
sans conteste un heritage fabuleux que toute
l’humanite a recu en partage; il s’ensuit que les
musees doivent assumer sans faille la
responsabilite qui est la leur de preserver,
montrer et faire mieux connaıtre ce patrimoine.
Et toute action visant a promouvoir la creativite
culturelle des musees doit aussi tenir compte des
exigences tres concretes de la diversite culturelle.
A tous egards, le Musee de Shanghai
s’efforce d’etre un modele en Chine et de rayonner
dans le monde. A cette fin, il applique strictement
le programme d’action qu’il s’est fixe et qui
s’articule autour de trois grands axes : recourir aux
technologies avancees pour gerer la conservation
des collections, favoriser un haut niveau de la
recherche au service de l’innovation scientifique, et
contribuer a l’education d’une societe moderne.
Cette ambitieuse politique de renaissance
culturelle a permis au Musee de Shanghai de
s’ouvrir progressivement a la mondialisation.
Conservation et diversite
Depuis la premiere utilisation attestee du mot
« museion » dans la ville egyptienne d’Alexandrie,
les musees – tirailles entre elitisme, nationalisme,
dirigisme politique ou populisme – ont connu bien
des vicissitudes. La finalite et la nature de leurs
activites ont evolue, passant progressivement de
l’etalage des collections familiales des elites a
l’emergence de veritables centres culturels. Mais en
25. Le Musee de Shanghai la nuit.
ªM
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25
Preserver la diversite du patrimoine culturel de ShanghaiChen Xiejun
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 111
depit des changements, les responsables des
collections ont tout fait pour que les musees
restent fideles a leur vocation essentielle :
conserver les traces du patrimoine culturel de
l’humanite.
Les collections exposees au Musee de
Shanghai refletent, en croisant les approches
temporelles et spatiales, la formation de la culture
chinoise dans toute son ampleur : en temoignent
les remarquables ensembles de poteries grises
provenant de Songze – dans le sud de la Chine –,
celui des ceramiques rouges de Majiayao –
provenant du nord – et les pieces noires de
Dawenkou – provenant de l’est. A quoi vient
s’ajouter, si l’on considere comme un tout la
province orientale du Zhejiang, sur la cote, la
production des cultures de Liangzhu, Hemudu,
Majiabang et de nombreuses autres cultures
neolithiques. Les salles consacrees aux bronzes
antiques mettent aussi en valeur l’originalite des
grandes regions chinoises : la culture de la grande
Plaine (correspondant au bassin moyen et
inferieur du fleuve Jaune, qui comprend la
majeure partie du Henan, la partie occidentale du
Shandong et le sud du Hebei et du Shanxi); mais
aussi celles des pays de Wu et de Yue (a
l’embouchure du Yangzi); des Xiongnu (en
Mongolie-Interieure et sur les territoires situes
plus au nord); des pays de Ba et de Shu (au
Sichuan et dans le bassin moyen du Yangzi); et
des pays de Qi et de Lu (pour l’essentiel, sur le
territoire de l’actuel Shandong). La superbe
collection de jades couvre tant les cultures
neolithiques (Liangzhu, Hongshan, Longshan)
que celles de l’epoque imperiale, jusqu’aux
dynasties Ming et Qing dont la production est
tout aussi remarquable. Enfin, la section
consacree a l’artisanat des minorites presente des
tissages, des broderies, des sculptures, des
vanneries et autres exemples d’un artisanat
raffine, temoignant de la vitalite et de la richesse
des traditions artistiques des nombreuses
nationalites que compte la Chine.
Par leurs multiples facettes, ces collections
transcendent les barrieres du langage. Les visiteurs
venus d’horizons differents ne percoivent pas
necessairement sous le meme angle ce qui leur est
montre et ne l’interpretent pas de la meme facon.
Des etudes ont montre a quel point la diversite
culturelle est en cette epoque de mondialisation
une source d’enrichissement des esprits.
L’interpretation elargie proposee par le musee offre
ainsi au visiteur une culture museale a la fois
accessible et eloquente, et les espaces d’exposition
sont suffisamment vastes pour leur permettre de
decouvrir et savourer tout a loisir les differents
aspects de chaque civilisation.
En octobre 2002, Shanghai a accueilli la
septieme Assemblee regionale de l’Organisation
Asie-Pacifique du Conseil international des musees
(ICOM-ASPAC), comportant notamment un atelier
sur le theme « Musees, patrimoine immateriel et
mondialisation ». Les participants ont signe la
Charte de Shanghai, dans laquelle ils demandent
aux musees de proteger le patrimoine culturel
immateriel de la region Asie-Pacifique. Rappelant
l’obligation de developper la diversite culturelle a
l’echelle planetaire et les engagements pris a cet
egard, la Charte souligne la double necessite de
« repondre aux defis et aux menaces de la
mondialisation et etudier des approches
permettant d’utiliser au mieux les possibilites
qu’offre la mondialisation de la culture, de la
DES MUSEES PLURIELS
112 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
technologie et de l’economie ». Pendant cette
periode charniere, le Musee de Shanghai a aussi
contribue par son action a maıtriser les effets d’une
croissance acceleree, grace a une formation
adaptee en matiere de gestion qui lui a permis
d’assimiler les progres technologiques pour mieux
proteger le patrimoine culturel immateriel de la
ville, aidant ainsi la municipalite a mieux gerer son
patrimoine et a servir et informer l’ensemble de la
population.
Les grandes expositions thematiques au service
de la diffusion de la diversite culturelle
L’avenir des musees est directement lie au niveau
culturel du grand public, c’est-a-dire a ses attentes
dans ce domaine et a sa capacite d’appreciation. En
cette periode de mondialisation, le public
manifeste un interet enthousiaste envers la culture
des nombreuses minorites autochtones et des
territoires autonomes. Les collections permanentes
du Musee de Shanghai retracent l’histoire de notre
civilisation a l’aide d’objets, temoignages et
documents authentiques qui ressuscitent le passe
plusieurs fois millenaire de la Chine, le but etant
de faire decouvrir au grand public les multiples
influences qui ont faconne les differentes
nationalites de la Chine, et de montrer la richesse
et la profondeur de l’experience culturelle de
l’humanite.
Apres une breve periode de tatonnements,
le Musee de Shanghai, pour repondre a la demande
d’un public toujours desireux de renouvellement,
organisa trois grandes series d’expositions. La
premiere rendit hommage aux civilisations de
l’Antiquite : « Tresors de l’Egypte antique au
British Museum »; « Tresors de la civilisation
maya du Mexique »; et « Art et Empire : les tresors
d’art asiatique du British Museum ». La deuxieme
serie fut consacree aux provinces situees aux
marches de la Chine : « Tresors archeologiques de
la route de la soie dans la Region autonome
ouıgour du Xinjiang »; « Le monde fabuleux des
steppes : tresors archeologiques de la Mongolie-
Interieure »; « Tresors caches du Pays des neiges :
chefs-d’œuvre du Tibet »; ou encore « Tresors
insolites du pays de Jin : le mobilier funeraire des
tombes princieres de la principaute de Jin au
Shanxi ». Puis, pour repondre a la demande d’un
public toujours desireux de renouvellement, une
troisieme serie porta sur des sujets techniques
comme la xylogravure – les livres imprimes et
illustres, notamment les meilleurs recits
moralisateurs comme le « Pavillon de la culture
honnete » (Chunhuagetie ) – ou les arts
du pinceau (« Tresors nationaux de la calligraphie
des dynasties Jin, Tang, Song et Yuan »), etc.
Les grandes expositions consacrees aux
routes de la soie, aux mysteres des Maya, aux dieux
de l’Egypte antique, aux collections de la
Mongolie-Interieure et aux tresors du Tibet ont ete
l’occasion pour les habitants de Shanghai de
decouvrir les vestiges de ces grandes civilisations et
de s’en impregner. L’experience montre que ces
presentations doivent etre montees d’une maniere
ambitieuse, qu’il ne faut pas hesiter a faire appel
aux ressources de la mise en scene et, le cas
echeant, au riche fonds dont dispose le musee. Il
s’agit la de choix culturels relativement novateurs
dans le contexte local.
En l’an 2000, « Le monde fabuleux des
steppes : tresors archeologiques de la Mongolie-
Interieure » permit aux habitants de decouvrir la
Preserver la diversite du patrimoine culturel de ShanghaiChen Xiejun
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 113
civilisation des premiers nomades mongols et ses
etroites parentes avec la culture de la Chine
ancienne. Certains airs – comme « Le ciel gronde,
les feuilles fremissent et le vent fait se coucher
l’herbe pour que nous puissions voir nos
troupeaux » – se chantaient aussi a Shanghai, sur
les rives de la mer de Chine orientale, tandis que
« Pays des cavaliers », pour qui « le betail [etait] la
source de la vie », et « Pays des agriculteurs »
avaient aussi en commun des houes en pierre, des
poteries, des ornements de jade et des effigies de
divinites taillees dans la pierre.
L’exposition consacree aux tresors de l’art
tibetain eut lieu la meme annee. La direction du
musee est particulierement fiere du caractere
novateur des strategies culturelles qui president a
l’organisation de ces expositions.
Enfin, l’exposition « Tresors nationaux de
la calligraphie des dynasties Jin, Tang, Song et
Yuan » rend hommage a l’art des calligraphes
chinois dont d’innombrables et precieux
temoignages accumules pendant mille ans se
trouvent actuellement rassembles dans les
soixante-douze grandes salles d’exposition. Cet
hiver, le Musee de Shanghai restera ouvert la nuit
et, pendant plus d’un mois, la richesse de notre
civilisation sera evoquee par l’histoire
minutieusement detaillee des progres de la
calligraphie sous les dynasties Jin, Tang, Song
et Yuan.
L’exposition consacree aux ouvrages
imprimes anciens a necessite une annee de travail
preparatoire et de recherches sur l’histoire du livre
et la calligraphie, avec le concours de specialistes
invites. Un soir d’automne, plus de 3 000 visiteurs
passionnes, artistes ou hommes de la rue se sont
retrouves au Musee de Shanghai pour
l’inauguration. A cette occasion, une centaine
d’artistes de renom avaient apporte leur materiel de
calligraphie pour faire sur place la demonstration
de leur art. Des connaisseurs echangeaient leurs
impressions sur fond de musiques melodiques
interpretees a la cithare qin (« A propos des
montagnes et de la lune », « Trois pruniers en
fleurs » (province du Gansu)), ou a la cithare
zheng (« La fille aupres du saule »), auxquelles
succedait le chant d’une flute de roseau (« Reverie
de printemps sur la terrasse de Zhuang ») ou
encore un solo d’ocarina xun (« Triple soleil »).
Si le Musee de Shanghai s’efforce
d’emouvoir ainsi ses visiteurs, c’est pour leur
communiquer ce qui constitue l’essence de la ville,
« la mer ou se jettent cent rivieres, la soif
d’excellence, la sagesse alliee a la modestie ». Il
faut d’ailleurs savoir gre au grand public de
contribuer par ses encouragements et ses
suggestions au dialogue incessant entre
l’expression des differentes sensibilites et le respect
de la diversite. En effet, les visiteurs qui se pressent
dans les salles brillamment eclairees ne cessent de
proposer de nouveaux themes a explorer, attitude
qui traduit bien l’interet fervent et constant des
habitants de Shanghai pour tout ce qui a trait a la
culture.
La transmission d’un art aux origines multiples
Le Musee de Shanghai compte aujourd’hui dix
grands halls d’exposition consacres chacun a un
type d’objet : les bronzes archaıques, la sculpture
et l’art des steles, les jades, le mobilier de l’epoque
des Ming et des Qing, les sceaux et les monnaies
DES MUSEES PLURIELS
114 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
(y compris des monnaies decouvertes sur les sites
de la route de la soie), la ceramique, la peinture, la
calligraphie, sans oublier l’artisanat des minorites
nationales.
Ces dernieres annees, la politique
culturelle du Musee de Shanghai lui a valu de
nombreuses recompenses, dont les prix decernes
aux dix plus belles expositions de Chine et aux
grandes expositions des musees de Shanghai. Dans
la salle des sculptures, le public peut admirer des
ecrans ornes de fleurs de lotus, des steles de pierre
portant des textes graves, des parois murales
evoquant l’essence meme de l’art bouddhique.
Dans la salle du mobilier sont exposes, outre les
meubles eux-memes, des tuiles vernissees et des
linteaux de bois qui traduisent l’atmosphere
raffinee et la serenite caracteristiques du decor
Ming et Qing. Le choix des cultures et des
techniques de presentation permet de mesurer les
progres accomplis par le musee sur la voie d’un
savoir professionnel autorisant les conservateurs a
proposer leur propre interpretation.
En 1998, le Musee de Shanghai accueillit
l’exposition « Tresors de l’Egypte antique au
British Museum ». Un commentaire avait ete
redige pour mieux rendre compte de l’eclat de la
civilisation des pharaons, et l’exposition elle-meme
constituait un somptueux spectacle. Pour souligner
l’extraordinaire richesse des objets exposes, elle
etait organisee autour de l’image centrale de la
« grande Pyramide ». On accedait aux objets
exposes par un escalier special, et les murs de la
pyramide avaient ete entierement revetus de
panneaux en fils dores pour creer l’illusion d’une
« Pyramide doree ». Les murs du hall d’exposition
etaient couverts de reliefs illustrant l’histoire des
dieux de l’Egypte antique et des elements evoquant
du gres aidaient les visiteurs a se transporter en
pensee sur les rives desertiques du Nil.
En 2000, ce fut au tour de l’exposition
intitulee « Tresors caches du Pays des neiges :
chefs-d’œuvre du Tibet », dont les points forts
etaient les thangka, la statuaire bouddhique et
l’evocation des rites religieux. Cette exposition
laissa aux visiteurs une impression ineffacable. Les
responsables du musee s’etaient rendus sur place
pour y recueillir des pieces, etudiant la specificite
de l’architecture locale, les costumes et l’influence
du climat. Ils choisirent de mettre en valeur
certains elements caracteristiques de l’architecture
tibetaine traditionnelle, comme les decors
d’avant-toit des maisons, les portieres rouges
finement brodees et les bibliotheques portatives
qui figuraient souvent dans les lamaseries. Le tout
etait deliberement presente avec simplicite. La
chaude lumiere du hall d’exposition et les feux
croises des spots aidaient les visiteurs a centrer leur
attention sur les objets exposes. Un espace etait
egalement consacre a une grande statue du
Bouddha de plus de 3 m de haut tronant dans une
salle de priere de style tibetain. De l’architecture
traditionnelle en bois et en pierre, reconstituee a
l’intention du visiteur qui entrait dans le hall,
emanait avec force le sentiment du sacre qui
impregne toute la culture tibetaine.
Bien plus qu’un catalogue de documents ou
une succession de salles remplies d’objets anciens,
un musee est avant tout un lieu qui a pour vocation
d’elargir l’horizon culturel des Hommes. Face a la
mondialisation, nos musees, gardiens d’un
patrimoine tres divers, ont pour mission de mettre
en valeur la culture de chaque region tout en
Preserver la diversite du patrimoine culturel de ShanghaiChen Xiejun
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 115
renforcant les echanges internationaux.
Aujourd’hui, les musees de Shanghai sont a la fois
hautement conscients des responsabilites qui leur
incombent et fiers du role que leur a confie
l’histoire; c’est pourquoi ils peuvent envisager
l’avenir avec confiance.
DES MUSEES PLURIELS
116 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Les vestiges culturels des TroisGorgespar Wang Chuanping
Wang Chuanping est diplome du Departement d’histoire et d’archeologie de l’Universite du
Shandong et chercheur (dans le cadre des musees). Il dirige actuellement, a Chongqing, le
Musee des Trois Gorges et est directeur adjoint de l’Association des ecrivains de la ville. Il a
publie de nombreux ouvrages touchant a la museologie, la litterature et l’histoire, dont Entre
histoire et culture (2003) et Vieilles maisons de Chongqing (2007).
Le bassin du Changjian1, dans lequel se trouvent
les Trois Gorges, le plus peuple du monde, est
l’alma mater de la civilisation chinoise. Et, depuis
les temps antiques, les Trois Gorges relient le
cours superieur au majestueux cours inferieur du
fleuve par lequel tout passe : les guerres comme
les faits culturels. Reliant la plaine chinoise a celle
du lac Dongting ainsi qu’a celle de Chengdu ou
l’agriculture s’est developpee tres anciennement,
cette region des Trois Gorges est ainsi un point de
confluence entre les cultures du centre et de
l’ouest chinois. Depuis l’Antiquite, cette region est
le theatre de faits d’armes et d’une histoire
grandioses ou s’affronterent les pays de Ba et de
Shu – en amont – et ceux de Chu, de Wu et de
Yu – en aval. Tous seront plus tard soumis par le
Qin2. Les montagnes, les eaux, les hommes ont fait
de ce pays une terre de legendes et de divinites,
tout autant que d’affrontements et de destruction,
inspirant les plus grands poetes, comme Qu Yuan,
Song Yu, Li Bo, Du Fu, Baijuyi… Aujourd’hui, ce
sont les touristes du monde entier qui viennent y
decouvrir l’une des civilisations les plus riches
du monde.
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 117Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Preserver les vestiges culturels des Trois Gorges :
un moyen de sensibiliser a l’histoire culturelle
de l’humanite
Le projet de preservation de la culture des Trois
Gorges a ete initie il y a une vingtaine d’annees, au
debut des annees 1990. Des le lancement des
travaux du barrage, il fut en effet necessaire de
prevoir la preservation d’un tres grand nombre de
lieux et de vestiges. Dans le cadre du « Programme
de conservation culturelle des Trois Gorges »,
1 087 sites ont ainsi ete recenses, dont plus de 700
se trouvaient sous terre : apres une prospection
portant sur 2 000 ha, des fouilles archeologiques
furent engagees sur 1,7 ha afin d’assurer la
sauvegarde des richesses qu’ils contenaient.
Pour les quelque 300 sites restants, trois
solutions ont ete proposees, selon qu’il s’agissait de
mettre en lieu sur des materiaux, de preserver des
sites locaux ou des sites d’interet general. Dans la
circonscription administrative de Chongqing, 752
sites ont ete identifies, dont 506 souterrains. La
prospection a porte sur 1 500 ha et l’on a fouille
246 sites, repartis sur 1 300 ha. Trois autres
projets de conservation a grande echelle ont
egalement ete engages au Pont du cygne blanc a
Fuling, au Temple de Zhangfei a Yunyang et au
village de Shibao dans le district de Zhong3. Le
projet de conservation des Trois Gorges est ainsi
l’un des plus vastes chantiers jamais entrepris.
Le Comite gouvernemental du projet des
Trois Gorges a alloue aux travaux de conservation
un financement de plusieurs centaines de millions
de yuans au titre de la conservation culturelle,
montant qui s’ajoute aux sommes investies par la
municipalite de Chongqing, de sorte que le
financement total depasse un milliard de yuans.
Ce montant a, pour l’essentiel, permis de couvrir
le cout des travaux d’investigation patrimoniale.
Sous la coordination generale du Bureau national
de la culture, environ quatre-vingt-dix equipes de
conservateurs et d’archeologues venant de tout le
pays ont fait de la zone concernee par le projet de
construction du barrage le plus grand chantier
26. Vue exterieure du Musee des Trois Gorges a Chongquing.
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26
DES MUSEES PLURIELS
118 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
d’archeologie et de protection culturelle au
monde.
De 1997 a juin 2007, 420 sites souterrains
ont ete fouilles dans la region, couvrant 1 300 ha,
et 224 projets distincts de conservation de surface
ont ete menes a bien. A ce jour, sur les 150 000
objets d’interet culturel mis au jour dans la meme
region, 10 000 sont particulierement precieux. Au
total, plusieurs centaines de milliers de vestiges ont
ete repertories, tandis que les archeologues
rassemblaient plus de 80 000 images. Le tout
constitue pour la recherche un fonds
impressionnant.
Le Musee des Trois Gorges
Le Musee des Trois Gorges de Chongqing a vu le
jour a un moment opportun, dans le contexte du
grand mouvement de construction de musees que
connaıt actuellement la Chine. De plus, le projet de
construction du barrage et ses implications et
repercussions ont directement contribue a en
activer la realisation. Quand on en est venu a
planifier la construction du musee, les speculations
theoriques sur l’utilite du batiment ont
progressivement cede la place au realisme, a
mesure que se posaient des questions pratiques :
localisation, conception, espaces d’exposition,
objectifs de developpement. Il a fallu neanmoins
attendre que les propositions soient approuvees
par tous pour qu’elles soient mises en œuvre.
Le choix de l’implantation du nouveau
musee, en face du « Grand hall du peuple », l’un des
batiments les plus aboutis et les plus representatifs
de l’architecture des annees 1950, avec ses murs
rouges et ses toits de tuiles vertes, impliquait de
prendre un certain nombre de decisions et, d’abord,
de definir un concept. Fallait-il recourir au meme
style ? Ou bien, au contraire, opter pour une
architecture resolument actuelle ? Certains
souhaitaient un style d’architecture chinoise
traditionnelle pour faire pendant au Grand hall du
27. Salle d’exposition du Musee des Trois Gorges.
ªM
use
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Gor
ges
27
Les vestiges culturels des Trois GorgesWang Chuanping
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 119
peuple. D’autres firent valoir le choix inverse,
considerant que les batiments devaient exprimer
des notions philosophiques opposees, et qu’une
conception moderniste a base de lignes, d’espaces,
de couleurs simples et de materiaux modernes serait
preferable, en ce qu’elle refleterait le dialogue de
l’ancien et du moderne et incarnerait le progres
historique. Cette idee fut retenue.
Les partisans de l’une ou l’autre formule
partageaient cependant le meme desir d’excellence
et d’harmonie entre les deux edifices, harmonie
que l’on pouvait obtenir en faisant se repondre les
formes, les couleurs et les materiaux. Ceux-ci durent
etre soigneusement maıtrises, de maniere a susciter
un « dialogue » et non une « contradiction » avec
l’architecture traditionnelle. Ainsi est ne le « Projet
en trois etapes pour le Musee des Trois Gorges
et la Place du peuple », l’objectif etant, par le
doublement de la surface de la place, de creer un
vaste pole culturel au centre meme de Chongqing.
Pour atteindre ce resultat, il fut decide que
le Musee des Trois Gorges serait aussi vaste que le
Grand hall du peuple, mais legerement moins eleve;
il aurait un profil incurve qui, repondant a la partie
centrale circulaire caracterisant le Grand hall,
constituerait un ensemble plaisant sur le plan
esthetique. L’armature metallique grise du Musee
des Trois Gorges, sa facade sobre en gres australien,
la pierre creme, simple mais luxueuse, importee
du Moyen-Orient et utilisee pour l’interieur,
le mur-ecran de verre en forme de croissant de lune
et le dome en forme de soleil concourent ainsi
a creer un « dialogue » entre les deux batiments.
Dans l’espace ainsi amenage, le parti a ete
pris d’articuler la presentation autour de quatre
themes : la culture antique de Ba et de Yu;
la culture des Trois Gorges (projection en boucle
d’un film); la resistance a l’epoque de la guerre
contre le Japon (avec en regard une installation de
diapositives numerisees, intitulee Le Blitz de
Chongqing); et enfin la culture actuelle,
« Chongqing, le parcours d’une ville ». En outre,
six salles d’exposition sont consacrees aux
beaux-arts (calligraphie et peinture), a la
ceramique, a la numismatique, a la sculpture des
Han, aux collections Li Chuli et enfin aux
minorites ethniques du sud-ouest.
Cette presentation se distingue ainsi des
mises en place traditionnelles repartissant les
objets en fonction de l’histoire et de l’archeologie.
En fait, une culture est un tout et chaque piece ne
prend son sens qu’en etant replacee dans son
epoque et en regard des autres. Au fil des salles et
des differentes perspectives qui lui sont proposees,
le visiteur peut ici acquerir une bonne
connaissance de l’histoire et de la culture
de Chongqing et des Trois Gorges.
28. Salle consacree aux antiques regions de Ba et de Yu.
ªM
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Gor
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DES MUSEES PLURIELS
120 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Le programme de developpement du
musee – « un musee pour les habitants de la ville »
– reposait sur un mot d’ordre : « Les quatre
champs du savoir irriguent la nation et influencent
le monde. » Il a en outre ete decide que les
institutions (Musee des Trois Gorges et Grand hall
du peuple) etaient toutes deux d’un niveau
universel et qu’il fallait assurer durablement
l’existence du Musee des Trois Gorges dont le
personnel restera loyal a la ville et a son passe, son
present et son avenir, et tiendra toutes ses
promesses.
Un symbole de la culture de Chongqing et une
demeure pour les objets culturels des Trois
Gorges
Le Musee des Trois Gorges – le plus grand
projet culturel engage depuis la fondation de la
Republique populaire de Chine en 1949 et
dont la construction devait durer quatre ans et
demi – fut inaugure le 18 juin 2005. Les salles
du musee occupent une superficie de 3 ha,
sut une surface totale batie de 12,25 ha, ou l’on
trouve egalement les reserves, les centres de
recherches, les salles d’exposition. Cet
etablissement est ainsi, actuellement, le musee le
plus vaste, le plus moderne et le plus novateur
de Chine occidentale; il presente constamment
des expositions qui attirent un public
considerable.
Ce nouvel etablissement remplace l’ancien
« Musee de la ville de Chongqing » dont il a
absorbe les collections; plus de 170 000 pieces
s’ajoutent ainsi, desormais conservees dans des
conditions excellentes, aux objets rassembles dans
le cadre du projet des Trois Gorges.
Son architecture originale et chargee de
symboles comporte des murs de gres ocre et des
parois de verre bleu pour suggerer le barrage, les
montagnes, les eaux. Le hall d’entree evoque, au
long de couloirs en arcs de cercle, la nature
particuliere du pays de Ba et de la region de
Chongqing (dont l’ancien nom est Yu ); la
grande salle d’exposition, avec ses pilastres inspires
de l’architecture des Han, rappelle l’histoire de ces
terres, tandis que le dome en verre de couleur
jaune suggere un immense bassin recueillant la
rosee, comme en utilisaient ici les hommes
autrefois. Ainsi l’heritage culturel continue de
feconder la province et le musee repond
pleinement a sa mission.
L’histoire y est mise en scene de maniere
tres originale. Dans la salle consacree aux
« Merveilles des Trois Gorges », des
enregistrements de chants de bateliers
accompagnent tant la presentation des maisons
traditionnelles que celle du barrage : elles font
entendre la voix des populations deplacees auquel
un hommage est ainsi rendu. Tout est fait, a l’aide
de projections, pour restituer l’atmosphere du lieu
et ses sortileges, entre ciel, montagnes et eaux.
La section consacree aux regions antiques
de Ba et de Yu4 expose, afin d’illustrer la culture
neolithique de Shaopengzui, un nombre
considerable d’objets provenant des sites de Yufu et
de Yuxi.
Parmi les dix principaux tresors du musee
se trouvent par ailleurs des bronzes remarquables,
caracteristiques de la culture de Ba : un cun
( , vase antique, en bronze, servant a conserver
des boissons fermentees destinees aux rituels) orne
Les vestiges culturels des Trois GorgesWang Chuanping
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 121
de trois caprides en haut relief, ainsi qu’un autre
cun aviforme et pourvu de poignees en forme
de tigre. Ils restituent la voix des temps anciens,
il y a 2 300 ans.
De nombreuses expositions illustrent par
ailleurs la dynamique tradition revolutionnaire et
guerriere de Chongqing. Au deuxieme etage
(premier a la francaise), « Chongqing, le parcours
d’une ville » retrace ainsi les efforts de
modernisation engages depuis l’ouverture du port
en 1891 : une riche collection de machines
anciennes rappelle notamment le role de pole
d’attraction que joua la ville pour toute la region
du sud-ouest chinois, et sa contribution a
l’industrialisation du pays. Au troisieme etage
(deuxieme a la francaise), les « Annees de guerre
contre le Japon » offrent a la consultation un grand
nombre de documents historiques precieux et de
diapositives numerisees faisant revivre les
multiples aspects de ce temps ou Chongqing,
abritant le gouvernement chinois en repli et le
corps diplomatique, fut le siege d’un gouvernement
de front uni. Ce fut alors la premiere fois, depuis
les guerres de l’Opium (1840 et 1860), que le
peuple chinois se dressait contre une puissance
etrangere et en triomphait. La culture des annees
de guerre contre le Japon represente ainsi un point
culminant du passe de Chongqing.
Quand on se trouve a l’interieur du Musee
des Trois Gorges de Chongqing, on ecoute
attentivement la voix de l’Histoire; quand on
l’observe, imposant, depuis la Place du peuple, il
evoque un sage, calmement assis au centre de la
ville, gardien a jamais, et pour toute l’humanite, de
la memoire des Trois Gorges.
NOTES
1. Autre nom du fleuve Yangtze.
2. Ba, Shu, Chu, Wu et Yu etaient des Etats qui existaient avant
l’unification de la chine traditionnelle par le premier empereur de la
dynastie Qing.
3. Ici et dans le reste de l’article, certains noms francais sont la traduction
litterale des designations chinoises.
4. Ba est le nom de l’ancien Etat situe sur le territoire de l’actuel Sichuan
et Yu un nom qui designait autrefois la region de Chongping.
DES MUSEES PLURIELS
122 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Un plan de sauvegarde del’Academie de kunqu de laprovince du Jiangsupar Gu Lingsen et Wang Tingxin
Gu Lingsen est chercheur universitaire, membre de l’Association des theatres chinois, vice-
president de l’Association des artistes de theatre de la province du Jiangsu, redacteur adjoint
d’un Dictionnaire de l’opera kunqu chinois, conseiller artistique aupres de l’opera kunqu du
Jiangsu et redacteur en chef de L’art de l’opera kunqu. Il a publie de nombreux articles sur
l’opera classique chinois. Il est egalement l’auteur de divers ouvrages : Essais choisis sur le
theatre, l’opera kunqu et la culture de Suzhou, Shengjing et l’opera kunqu du style de Wujiang,
La premiere troupe du pays et Imperatrices et concubines a la Cour dans l’Histoire. Il est
egalement l’auteur de pieces de theatre, soit en kunqu, soit dans le style de Suzhou. Wang
Tingxin est vice-principal de l’Ecole des arts de l’Universite du sud-est dont il est egalement
professeur, et vice-president de l’Institut de recherche sur le theatre (art dramatique, chant et
recit). Redacteur adjoint de la revue Art, il a publie de nombreux articles, parmi lesquels
« Manifestations du theatre chinois », « Commentaires sur les notes dans un carnet de
brocard », et « L’opera kunqu et la culture populaire ».
Depuis que l’opera kunqu a ete proclame, en 2001,
« chef-d’œuvre du patrimoine oral et immateriel
de l’humanite » par l’UNESCO, toutes les troupes
de kunqu de Chine font d’enormes efforts pour
proteger cette forme de theatre chante en mettant
en scene des morceaux puises dans le repertoire
classique. Ce dernier, selon les dernieres
statistiques, comporte un peu moins de 300 pieces
meritant la qualification de « patrimoine ».
Au debut des annees 1980, il ne s’en jouait
encore qu’un peu plus de 300, alors que dans les
annees 1920, juste apres la fin des Qing, la troupe
Quanfu – la derniere troupe d’acteurs
professionnels des Qing – en avait legue plus de
600 a l’ecole de kunqu de Suzhou ! Depuis le
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 123Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
milieu de la dynastie Qing, cet art (comportant de
tres longues representations) avait en effet reussi a
se maintenir en presentant des morceaux choisis;
mais depuis les annees 1920, son repertoire a ete
neanmoins diminue de moitie. L’aspect le plus
inquietant de la situation est qu’aujourd’hui
quelques dizaines seulement d’operas sont joues,
sur les quelque 300 qui sont parvenus jusqu’a
nous. Cela signifie que la masse des autres, qui
n’attirent pas les foules ou qui n’interessent pas les
acteurs, sont menaces de disparaıtre a jamais.
L’opera kunqu comportant de nombreuses sous-
categories et tout autant de themes, les acteurs ne
se specialisent que dans un seul domaine. Par
consequent, chaque piece necessite une large
distribution et certaines, si populaires soient-elles,
risquent aussi de ne plus etre montees par simple
manque d’acteurs qualifies. Dans de telles
conditions, l’avenir de l’opera kunqu est loin d’etre
radieux.
Le kunqu (ou kunju) est la forme de theatre
traditionnel chinois la plus ancienne. Les pieces
comportent au moins vingt-quatre scenes, jouees
par trente acteurs environ. Elles associent chant et
danses, acrobaties et simulacres de combats. A
l’exception de quelques livrets en accordeon1
donnant des indications sur les gestes et les styles
dramatiques a respecter, cet art n’a survecu que
grace a la tradition orale, a travers la formation
d’eleves.
Cet art depend donc des acteurs qui le
pratiquent, la perennite de cette tradition ayant
toujours ete assuree par un enseignement
individuel,2 considere comme le meilleur moyen
d’en proteger l’integrite. Toutefois, cet
enseignement consiste surtout a transmettre des
aspects fragmentaires a un seul acteur. Si l’on veut
ameliorer les perspectives auxquelles est confronte
le kunqu, la mise en place d’une strategie s’impose,
pour renforcer, certes, l’enseignement individuel,
mais en accordant plus d’attention a
l’enseignement collectif et a la poursuite des
representations publiques.
Il ne fait en effet aucun doute que ces
operas ne survivront que si l’on continue a les
jouer et il faut engager un veritable combat, tant
pour maintenir a un tres haut niveau les
competences des artistes que pour augmenter le
nombre de representations. L’equipe de l’Academie
de la province du Jiangsu est particulierement bien
armee pour mettre en scene, proteger, continuer, et
en meme temps renouveler cet heritage.
Le solo : cœur et ame de la tradition theatrale
kunqu
L’Academie de kunqu du Jiangsu a realise
d’importants efforts pour mettre en œuvre un plan
strategique de sauvegarde. La preservation de la
tradition du kunqu repose en particulier sur une
politique concue pour promouvoir une grande
qualite de jeu et pour permettre aux acteurs
d’effectuer egalement des spectacles en solo.
Au depart, ces derniers etaient reserves
aux grands acteurs nationaux qui ne montaient
chacun que deux spectacles par an,
conformement a la programmation. Les
interpretes recevaient des primes prelevees sur la
vente des billets, ce qui les encourageait a
augmenter le nombre des representations. Les
reglements stipulaient par ailleurs qu’ils ne
pouvaient se cantonner sans cesse a la meme
DES MUSEES PLURIELS
124 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
piece, ce qui les contraignait a trouver de
nouvelles histoires ou a renouveler leurs
spectacles precedents. Malgre cela, le taux de
reservation etait faible et le public ne se pressait
pas pour venir les voir. Il leur fallait donc trouver
un moyen d’ameliorer leurs spectacles et d’attirer
un public plus large. Parce que les acteurs bien
rodes et capables de jouer seuls sur scene ont une
grande experience et souvent une reputation bien
etablie dans leur domaine, ils sont en mesure
d’apporter une contribution artistique inventive
aux pieces peu jouees jusque-la, les rendant ainsi
plus attractives pour les spectateurs. L’Academie
du Jiangsu a donc demande a son departement de
recherche d’identifier les operas les plus menaces
et pratiquement depourvus d’interpretes; a partir
de la fut etabli un programme consacre au
sauvetage de ces operas rarement joues;
il promeut des representations publiques, les
critiques constructives permettant aux acteurs
d’ameliorer leur jeu.
Depuis l’adoption de cette politique il y a
trois ans, des acteurs celebres capables de drainer
des foules reussissent a tirer des benefices
satisfaisants de la vente des billets. Malgre le prix
eleve de ces derniers, ces spectacles sont presentes
a guichets fermes a l’Opera Lanyuan, par exemple,
a telle enseigne qu’a l’heure actuelle l’opera essaie
de faire elargir sa licence afin de pouvoir
programmer des acteurs un peu moins celebres, ou
meme d’attirer certaines jeunes vedettes.
Aujourd’hui, l’Academie du Jiangsu
compte sept acteurs de premiere categorie au
niveau national qui participent chaque annee aux
quatorze spectacles en solo programmes. Chaque
spectacle comprenant quatre sequences lyriques et
theatrales (telles que consignees dans les livrets),
cela implique qu’au moins cinquante-six
excellentes sequences seront jouees chaque annee
devant un public, sans compter que d’autres
acteurs peuvent aussi presenter ces scenes de leur
cote. Ce programme peut ainsi contribuer a
proteger et transmettre pres de 300 de nos
precieux operas kunqu.
Le jeu des acteurs, ou comment former un
personnel qualifie
La plupart des grands interpretes de cet opera
habilites a participer a des spectacles en solo
ont deja un certain age. Deux responsabilites
fondamentales reposent donc sur eux : la premiere
est de continuer d’apprendre aupres d’artistes plus
ages, retires de la scene; la seconde de transmettre
29. Representation de M. Tang Xianzu et ses quatre reves par la
troupe de l’Academie de kunqu du Jiangsu.
ªTr
oup
ed
uJi
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Un plan de sauvegarde de l’Academie de kunqu de la province du JiangsuGu Lingsen et Wang Tingxin
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leurs savoir et savoir-faire a la generation suivante.
A cet egard, l’Academie de kunqu du Jiangsu a de la
chance : ses operas peuvent etre plus facilement
conserves parce que la plupart de leurs anciens
interpretes sont encore vivants; de plus, certains
d’entre eux sont des celebrites nationales. Parmi
ceux qui sont aujourd’hui retraites, citons Zhang
Jiqing, Shi Xiaomei, Hu Jinfang, Huang Xiaowu,
Lin Jifan et Zhang Jidie, qui tous ont remporte le
« Prix Fleurs de Prunier » et le prix « Splendor
Award » pour performances theatrales
professionnelles.
L’Academie du Jiangsu incite les jeunes
interpretes et leurs aınes a apprendre des pieces
aupres d’artistes plus ages, encore en activite,
constituant une veritable reserve de connaissances
sur cet art. Il les encourage meme a rechercher
d’autres maıtres anciens. Quant aux plus ages, ils
font preuve d’enthousiasme et de rigueur pour
transmettre leur savoir. L’Academie a egalement
engage cinquante jeunes artistes professionnels
recemment sortis de l’Ecole des arts du spectacle
de la province du Jiangsu, ou ils s’etaient
specialises dans l’opera kunqu. Elle a decide de
lancer un programme de vingt ans pour la
perennisation de la tradition kunqu, l’objectif etant
de former des acteurs adolescents et de trouver des
moyens afin de leur permettre d’apprendre la
totalite des quelque 300 pieces du repertoire
30. M. Tang Xianzu et ses quatre reves.
ªTr
oup
ed
uJi
ang
su
30
DES MUSEES PLURIELS
126 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
encore existantes et d’ameliorer leur niveau de jeu
le plus vite possible.
L’objectif du plan strategique pour la
perennite de l’opera kunqu traditionnel est tout
simplement d’etablir des liens entre les jeunes
artistes, les artistes d’age moyen et les artistes
plus ages. La mission generale de l’Academie du
Jiangsu consiste a mettre en place une chaıne
de commandement pour transmettre les traditions
et les techniques aux futures generations d’acteurs
et de spectateurs. Pour ce faire, il a principalement
recours a l’innovation institutionnelle, a la mise en
correlation des commandes et des realisations de
spectacles, et a l’instauration de mecanismes qui, en
permettant la transmission du savoir, font naıtre un
reel desir de jouer chez les acteurs. Chaque annee,
les artistes de l’Academie detenant anciennete et
qualifications elevees doivent enseigner a de jeunes
interpretes dans le cadre d’un projet de
remuneration salariale liee aux representations.
Cependant, leurs titres ne constituent qu’un
element de reference pour ces incitations
financieres. Le nombre et la qualite des morceaux
transmis sont les principaux facteurs pris en
compte. La mise en œuvre de cette politique
a hautement motive les artistes les plus ages. Afin
d’enrichir leurs programmes d’enseignement,
beaucoup d’entre eux s’efforcent de recuperer
d’anciennes sequences kunqu et echangent leurs
bonnes pratiques avec des interpretes exterieurs a
leur institution.
Pour completer ces mesures, l’Academie du
Jiangsu organise deux representations annuelles
donnant lieu a une evaluation des jeunes acteurs. Ils
sont d’abord juges sur le niveau d’interpretation
atteint au cours du premier semestre. Les meilleurs
d’entre eux sont ensuite selectionnes pour des
representations publiques. A la fin de la premiere
annee, une derniere evaluation a lieu, et les
meilleures performances sont selectionnees pour les
competitions publiques. A ce stade, il est delivre une
medaille d’or et une medaille d’argent, ainsi qu’un
prix de l’interprete le plus populaire. Ces
recompenses visent a encourager les jeunes acteurs a
apprendre cette forme d’opera, tout en permettant
d’evaluer le niveau de l’enseignement. Dans le meme
temps, les directeurs veillent attentivement a
entretenir le degre d’excellence tout au long de
l’operation, dans l’espoir qu’il en resultera des
interpretes d’envergure nationale susceptibles de
remporter un jour un « Prix fleurs de prunier »
ou un « Prix de la culture ». Ces dernieres annees,
tout ce travail a commence a porter ses fruits. En
juillet 2007, lors de la Convention nationale des
jeunes interpretes d’opera kunqu, a Hangzhou, dix
« jeunes etoiles » ont ete distinguees. Sur ces dix,
quatre etaient issues de l’Academie du Jiangsu, ce
qui place celui-ci en tete des six plus grands Operas
kunqu de Chine.
Consequence directe de ce systeme
d’evaluation, les morceaux qui n’etaient maıtrises
autrefois que par les artistes ages ou d’age mur sont
peu a peu transmis aux jeunes. Une troupe solide
d’interpretes dont le niveau de competence va du
debutant au plus experimente a donc ete creee avec
succes.
Des representations speciales le week-end,
ou comment accroıtre la frequence des
representations
Les representations publiques sont essentielles
pour la perennisation de la tradition kunqu car elles
Un plan de sauvegarde de l’Academie de kunqu de la province du JiangsuGu Lingsen et Wang Tingxin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 127
offrent a l’Academie du Jiangsu des occasions
inegalees de conserver, d’ameliorer et de faire
connaıtre son role dans la vie culturelle. D’autres
methodes telles que la collecte de documentation
ou les enregistrements sonores et audiovisuels ne
peuvent remplacer la fonction conservatrice de ces
representations (surtout en ce qui concerne les
sequences rarement jouees). Afin d’augmenter le
nombre des seances, l’Academie a aussi recours
a d’autres solutions qui se distinguent des
spectacles reguliers en solo et de ceux destines a
evaluer les jeunes acteurs. La methode la plus
efficace s’est revelee etre l’instauration des
representations speciales du week-end a l’Opera
Lanyuan, un evenement organise chaque fin de
semaine par des troupes constituees d’interpretes
de tous ages. Non seulement cela ameliore la
communication entre les acteurs d’ages differents,
mais cela augmente les occasions de jouer des
morceaux de kunqu.
La representation speciale du week-end a
l’Opera Lanyuan est aussi l’occasion pour les
musiciens specialises d’interpreter les ballades, les
melodies et les partitas qui accompagnent les
pieces. Ces seances permettent egalement de
braquer les projecteurs sur des musiciens
talentueux qui d’ordinaire restent dans l’ombre,
contribuant ainsi non seulement a perenniser la
tradition de l’opera kunqu mais aussi a stimuler
la creativite et l’innovation. La representation
speciale du week-end est devenue un rendez-vous
regulier : grace a cela, de 200 a 250 morceaux de
kunqu (y compris ceux que l’on joue frequemment)
peuvent etre presentes chaque annee.
Etonnamment peut-etre, ces spectacles ont suscite
un grand interet a Nanjing, ou ils font desormais
figure de sortie tres recherchee, en particulier
parmi les membres de l’intelligentsia et les
etudiants etrangers. Ils ajoutent un charme culturel
particulier a cette ville ancienne.
L’Academie du Jiangsu a egalement
augmente la frequence des representations sur les
campus d’un nombre important d’universites et de
colleges, notamment a Nanjing, Beijing, Hong
Kong. Elle a aussi organise des activites autour du
theme du « Retour de l’opera kunqu » durant
plusieurs annees consecutives, ainsi que des
representations de morceaux de kunqu a Kunshan
et Taicang, lieux de naissance de cet art. Les
artistes se sont produits dans les ecoles primaires et
secondaires de ces deux villes, mais aussi a Hong
Kong. Ces artistes (parmi lesquels figurent de bons
et meme d’excellents acteurs nationaux) travaillent
toujours tres dur et, en moyenne, jouent deux ou
trois morceaux par jour. Les eleves et le personnel
d’une centaine d’ecoles primaires et secondaires
assistent chaque annee a ces representations. Au
cours des dernieres annees, les acteurs ont joue
plus de 300 morceaux par an, depassant ainsi leur
objectif initial de plus de 200 %.
Adapter des operas celebres, ou comment
conjuguer l’ancien et le moderne
Durant la meme periode, l’Academie du Jiangsu a
fait de l’adaptation d’operas celebres un element
vital de sa strategie pour sauvegarder son heritage
culturel. Au cours des trois dernieres annees, elle a
donne successivement cinq pieces majeures a brefs
intervalles : Le pavillon aux pivoines (dans une
version qui en donne la quintessence); Sun le
boucher; 1699 : L’eventail aux fleurs de pecher;
La pivoine verte; et M. Tang Xianzu et ses quatre
reves. L’Academie a egalement mene des
DES MUSEES PLURIELS
128 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
recherches rigoureuses afin de determiner les
meilleurs modeles a suivre pour l’adaptation de ces
pieces celebres.
La version donnant l’essentiel du Pavillon
aux pivoines, qui reprend les meilleurs aspects d’un
vaste eventail de sequences lyriques, occupe une
place a part dans le cœur de ceux qui l’ont creee. Son
style elegant, profond et concis a la fois lui a valu le
prix decerne par la province du Jiangsu au « plus
beau travail accompli dans le champ des arts ».
1699 : L’eventail aux fleurs de pecher est un
grand travail d’adaptation qui a coute six millions
de yuans. Il inclut la totalite des elements
fondamentaux de la piece originale. Autrefois,
pour toute une serie de raisons historiques, seules
quelques troupes d’opera pouvaient l’interpreter,
mais la nouvelle version a souleve une enorme
vague d’enthousiasme en Chine. La piece a ete
jouee sous plusieurs formes (originale, simplifiee,
pour les jeunes, en sequences choisies ou en
version musicale, par exemple) afin de repondre
aux differents besoins. Elle a aussi connu un grand
succes a l’etranger. En moins de deux ans, elle a
ete applaudie lors de quatre festivals artistiques
internationaux, le Festival BeSeTo (Chine, Japon
et Republique de Coree), le Festival artistique de
representations publiques internationales de Seoul,
le neuvieme Festival international de musique et le
trente-cinquieme Festival artistique international
de Hong Kong. Dans le meme temps, elle a
remporte le prix « Projet cinq plus un » et a peu a
peu permis de rentabiliser l’enorme investissement
consenti au depart.
Sun le boucher est l’un des trois operas
du sud de la Chine qui, soigneusement consignes
dans le Yongle dadian (ou « Grande encyclopedie
de Yongle ») il y a 600 ans, sous la dynastie
Ming, existent encore aujourd’hui. L’Academie
du Jiangsu l’a renouvele et ranime en le portant
a la scene, et ces nouvelles representations ont
largement contribue aux « recherches menees sur
l’histoire et le developpement de l’opera chinois
et sa grande valeur historiographique ».3 La
version originale n’etant pas disponible, les
auteurs de l’adaptation ont reinvente certains
details afin que l’histoire puisse etre jouee dans
son integralite.
La pivoine verte est l’une des dix anciennes
pieces du repertoire comique de Chine et, comme
Sun le boucher, elle est longtemps restee oubliee.
L’Academie du Jiangsu a utilise l’adaptation
ecrite par le celebre dramaturge Guo Qihong.
Sa version de La pivoine verte reprend tous les
details les plus importants de la piece originale,
mais Guo Qihong a remanie avec bonheur
d’autres passages afin de mettre en valeur le
caractere essentiellement comique de cette piece.
Cette nouvelle version a recu recemment un
accueil enthousiaste du public lors de sa premiere
representation au Grand Theatre Zhi Jin de
Nanjing.
M. Tang Xianzu et ses quatre reves repose
sur l’histoire de Tang Xianzu, qui s’efforce de
retrouver un cimetiere a l’aide de quelques indices.
L’intrigue se decompose en quatre morceaux
correspondant chacun a un reve : « L’epingle a
cheveux pourpre », « Handan », « Nanke » et
« Le revenant ». A la fois courtes et elegantes,
ces sequences ont ete selectionnees pour etre
representees en 2007 lors du Festival des arts
de Hong Kong.
Un plan de sauvegarde de l’Academie de kunqu de la province du JiangsuGu Lingsen et Wang Tingxin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 129
L’Academie du Jiangsu a adapte et joue
cinq pieces en trois ans. Grace a ce travail
d’adaptation et de representation des operas
celebres, le patrimoine litteraire et lyrique chinois
est sorti des vieux livres ou il est longtemps
reste cache pour renaıtre a la vie. Un pont a ainsi
ete jete entre l’opera kunqu classique et sa forme
moderne.
Les auteurs et les interpretes de ces pieces
remaniees doivent evidemment respecter avec soin
la ligne des idees exprimees dans les versions
originales, tout en reconnaissant que l’on ne peut
pas serieusement ignorer certaines influences
contemporaines. L’adaptation d’operas celebres
montre le charme ensorcelant du kunqu, de meme
que sa dependance vis-a-vis d’une large sphere
d’influences et son potentiel artistique intrinseque.
Le nombre de spectateurs a double depuis que
ces pieces sont jouees. Le public est non seulement
une composante inherente, mais aussi un
moteur essentiel de sa sauvegarde et de son
developpement que stimule l’accord entre
spectateurs et critiques.
Les adaptations de ces operas celebres ont
en effet eu la chance de recevoir un accueil
chaleureux tant de la part du public que de la
critique. Conscients du discernement des
spectateurs modernes, les artistes n’ont cesse de
peaufiner leur interpretation en cherchant un socle
commun aux formes ancienne et moderne de leur
art afin de gagner l’approbation de l’auditoire.
L’Academie du Jiangsu, dans ces adaptations, a
ainsi ajoute une serie de nouveaux morceaux, par
exemple pour Le pavillon aux pivoines : le depart de
l’ame, ou pour L’eventail aux fleurs de pecher :
sketches a theses, ou Noyade dans la riviere, et ainsi
de suite. Les details de l’interpretation de ces
sequences ont ete perdus, mais a present que ces
operas ont ete adaptes, elles pourront de nouveau
etre montrees dans toute la Chine.
A l’Academie du Jiangsu, la representation
des operas adaptes et celle des sequences
traditionnelles vont de pair. Le maintien des
secondes depend d’un programme de
representations respectant leur composition
originale, alors que les premiers s’inspirent des
methodes, de la musique, des choregraphies et des
styles de l’opera traditionnel pour innover et
s’engager dans des voies nouvelles.
Pour que le patrimoine serve la connaissance :
definition d’une theorie
L’Academie du Jiangsu, allant au-dela du monde
du spectacle, apporte aussi depuis peu sa
contribution au milieu universitaire. En recrutant
du personnel qualifie et des erudits connus, elle
commence a attirer des chercheurs et des
theoriciens du kunqu qui, par leur reputation,
exercent une influence considerable dans ce
domaine. Les resultats de ces travaux de recherche
nourrissent les theories qui sous-tendent cet opera
et ameliorent sa pratique sur scene.
L’Academie du Jiangsu edite une revue
intitulee Discussions sur l’art du kunqu, et a
egalement planifie et mis en œuvre un grand
nombre d’actions d’envergure. La premiere d’entre
elles est une serie de projets lies a l’Opera kunqu
de Nanjing : certaines caracteristiques de cette
tradition lyrique ont ete validees, arrangees et
decrites par des experts, et les meilleures des
grandes pieces classiques ont ensuite ete editees et
DES MUSEES PLURIELS
130 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
portees a la scene les unes apres les autres.
Deuxiemement, des fonds destines a la recherche
theorique visant a former une base de travail ont
ete reunis puis utilises. L’Academie du Jiangsu et
l’Institut de recherche sur l’art dramatique de
l’Academie chinoise des arts ont alors decide
d’etudier et de mettre en valeur de concert les
pieces kunqu conservees dans les archives de
l’Academie. Une fois leur authenticite prouvee,
celles-ci ont ete dupliquees, ce qui leur a permis
d’etre sauvees et desormais de nouveau
representees. Troisiemement, la constitution et
l’alimentation d’archives permettra de maintenir
actives les traditions culturelles de l’opera kunqu.
C’est ainsi que l’Academie du Jiangsu a conserve
(y compris sous forme de CD et de DVD)
toutes les grandes pieces classiques, tous les
textes, les melodies, les partitions des gongs et
des tambours, et les indications de direction
d’acteurs.
En outre, un universitaire etranger, Josh
Stenberg (connu en Chine sous le nom de Shi
Junshan), a ete engage pour traduire toutes les
nouvelles pieces editees et jouees a ce jour dans le
respect des representations anterieures de
morceaux d’opera et de grandes pieces classiques.
Elles sont maintenant montees avec des sous-titres
anglais. Grace a ce travail, l’opera detient a present
un grand nombre de textes dramatiques en anglais
et la contribution remarquable de Josh Stenberg lui
a valu le prix « Etoile etrangere des arts chinois »
decerne par la province du Jiangsu. De plus, la
revue Discussions sur l’art du kunqu a joue un role
important dans sa continuation et sa diffusion en
publiant des syntheses sur les experiences et les
reussites de ses acteurs. Elle a aussi servi de base de
recherche pour les specialistes et les theoriciens
issus de toutes les troupes d’opera kunqu de Chine
en leur permettant de communiquer entre eux. Des
articles signes de plus de quarante experts ont deja
paru dans la revue, ce qui fournit un soutien
universitaire puissant a la campagne visant a
proteger et perenniser les representations des
pieces classiques de kunqu.
La periode d’expansion qui a suivi la
creation de l’Academie du Jiangsu s’est ralentie
dans les annees 1990. Mais les changements operes
il y a trois ans ont place a sa tete Ke Jun, qui a pris
la troupe en charge avec quelques artistes. Ces
artistes piliers de l’opera etaient de ses anciens
camarades de classe a l’ecole d’art dramatique de la
province, et, parmi les acteurs les plus ages,
beaucoup avaient ete leurs professeurs dans cette
meme ecole. Circonstances, productivite et soutien
universitaire, les conditions sont donc reunies
pour que tous les interpretes partagent les memes
vues et rencontrent le succes.
L’Academie du Jiangsu a mene une
politique associant des spectacles en solo, un
programme de seances d’evaluation du jeu des
jeunes acteurs, des representations speciales lors
des week-ends et l’adaptation de morceaux
classiques. Ces initiatives ont stimule le
developpement personnel et artistique d’acteurs de
tous ages. Chacun a son role a jouer dans l’effort
global entrepris pour assurer la posterite de la
tradition lyrique kunqu et diffuser le travail
dynamique et florissant qui a ete accompli. Cette
strategie a non seulement protege et promu
efficacement ce celebre patrimoine immateriel,
mais elle a aussi permis a l’Academie du Jiangsu de
parvenir a un niveau de rayonnement jamais
atteint depuis sa creation.
Un plan de sauvegarde de l’Academie de kunqu de la province du JiangsuGu Lingsen et Wang Tingxin
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 131
NOTES
1. Il s’agit de livrets dont le papier est plie a la maniere d’un accordeon et
qui se lisent de droite a gauche.
2. Wu Shijian (1979), Developpement des arts dramatiques, Universite de
Suzhou : Petroleum Publishing House. [en chinois]
3. Shi Yukun (2006), ‘‘Reves du Yuannan’’. Debats sur l’opera kunqu 1re
edition, p. 26. [en chinois]
DES MUSEES PLURIELS
132 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Les musees de Taiwan et l’eveild’une conscience culturellepar Chen Kuo-ning
Chen Kuo-ning est directrice de l’Institut universitaire de museologie et professeur associee
a l’Universite nationale des arts de Taiwan. Elle est membre permanent du Conseil de
l’Association chinoise des musees de Taiwan depuis sa creation en 1991, et membre de
l’American Association of Museums (AAM) et l’AAM ⁄ ICOM depuis 1975. Apres une maıtrise en
histoire de l’art, elle debuta sa carriere professionnelle dans un musee universitaire et est
devenue, en 1971, responsable des registres d’inventaire et des expositions au musee Hwa
Kan de l’Universite de la culture chinoise – le premier musee universitaire ouvert au public a
Taiwan. Puis elle a dirige ce musee pendant vingt-cinq ans, apportant a Taiwan sa conception
moderne de la museologie et publiant pour la premiere fois en 1978 un livre sur la gestion
moderne des musees. Elle a par ailleurs enseigne la museologie, l’administration des beaux-
arts et l’histoire de l’art chinois dans diverses universites et organise un grand nombre de
conferences et d’ateliers sur l’administration des musees et la preservation du patrimoine
culturel. Elle est l’auteur d’une multitude d’articles, communications et ouvrages, sur la
museologie, les expositions museales et leur programmation.
L’evolution des musees se ressent des progres des
echanges politiques, economiques et culturels
comme de l’avenement de nouvelles ecoles de
pensee. Les musees de Taiwan ne font pas
exception a la regle. Le Gouvernement joue un role
important dans la definition et la mise en œuvre
des politiques culturelles en veillant a la sante et a
la prosperite de ces institutions. Il encourage la
creation de differents types de musee et, a travers
des expositions et d’autres activites d’echange,
favorise l’eveil du public a la culture. Apres 1949,
le Gouvernement consacra l’essentiel de son action
en matiere d’education culturelle a renforcer le
sentiment d’appartenance nationale et a ancrer
Taiwan dans la culture chinoise dominante. Depuis
quinze ans, sous la conduite de Li Deng-hui, puis
du Parti democrate progressiste, les dirigeants
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 133Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
taiwanais mettent de plus en plus l’accent sur la
prise de conscience de la valeur de la culture
autochtone et sur le lancement de politiques
culturelles « localisees » – ce qui a enormement
d’influence sur l’orientation des musees de la
region et les priorites qu’ils s’assignent.
C’est des annees 1970 que date
l’introduction a Taiwan des nouvelles tendances
artistiques et culturelles mondiales, avec
l’apparition de trois musees d’art moderne de tout
premier plan a Taipei, Taichung et Kaohsiung,
ainsi que celle de plusieurs grands musees publics
dans des villes des cotes est et ouest. Cela se
traduira par l’importation d’expositions speciales
sur l’histoire, la culture et l’art occidentaux, mais
aussi par la presentation thematique de vestiges
culturels archeologiques de la Chine continentale.
L’extreme diversite des pieces exposees et des
techniques mises en œuvre va tres sensiblement
elargir l’horizon culturel des Taiwanais.
Depuis le debut des annees 1980, un
certain nombre de musees ont ete fondes par des
particuliers et des chefs d’entreprise enthousiastes,
profondement ravis de collectionner des objets
d’art. Ils sont de taille variable, selon l’ampleur des
ressources financieres dont ils disposent. Tous
cependant possedent des tresors admirables et
inestimables, parmi lesquels des objets d’artisanat
chinois provenant de differentes dynasties, des
specimens de l’art moderne occidental a ses debuts,
des pieces taiwanaises autochtones et des œuvres
d’art contemporain. Ces collections correspondent
en gros aux gouts culturels des Taiwanais.
L’elite de Taiwan s’est retrouvee a la croisee
des chemins, dechiree entre son attachement
profond a la culture chinoise traditionnelle et le
desir de profiter des enseignements de la culture
occidentale moderne, sans pour autant renoncer
a la culture autochtone. Par contraste, les habitants
des villes rurales, et de la campagne en general,
qui n’ont pas depasse les neuf annees de scolarite
obligatoire, ne connaissent de la culture que les
traditions locales, les activites des organisations
religieuses populaires et les manifestations
accueillies par les centres artistiques et culturels,
musees et bibliotheques ouverts par les
« communautes residentielles » dans la periode
recente. En l’espace des douze dernieres annees, en
particulier, la sensibilite a la culture s’est beaucoup
accentuee parmi les populations locales, evolution
qui tient en grande partie au plan de construction
de quartiers residentiels du Conseil des affaires
culturelles, lequel travaille sous la direction du
Yuan executif, c’est-a-dire du Gouvernement. Dans
le cadre de ce plan, les musees, bibliotheques et
centres d’arts du spectacle locaux sont devenus les
pivots de la vie culturelle de la population, en
articulant leurs activites autour du theme « J’aime
ma ville, j’aime ma commune, j’aime mon
quartier ».
On verra dans la suite de cet article
comment les politiques culturelles de Taiwan ont
evolue tout au long du XXe siecle et comment, par
le truchement de ses musees, elles ont agi sur la
sensibilite du public a la culture.
La naissance des musees a Taiwan
Apres la signature, en 1895, du traite de
Shimonoseki, la dynastie Qing cede Taiwan au
Japon, qui va garder l’ıle sous sa coupe durant
cinquante ans. En 1919, le Gouvernement japonais
DES MUSEES PLURIELS
134 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
s’inspire des nouveaux modeles de musees
europeens pour creer a Taipei le Musee dependant
du Bureau des biens industriels et commerciaux
du Ministere du Departement des affaires civiles,
rebaptise plus tard Musee national de Taiwan.
Relevant du Cabinet du gouverneur de Taiwan
et finance au depart par des impots locaux, ce sera
le premier musee public d’histoire naturelle de la
region, que le regime colonial japonais offrira en
cadeau d’anniversaire a son souverain le jour de
l’inauguration. En 1945, a l’issue de la Seconde
Guerre mondiale, Taiwan retournera dans le giron
chinois, et le musee sera ensuite recupere par le
regime nationaliste.
Les musees comme moteur de la
renaissance de la culture chinoise : la periode
de convalescence
En se repliant a Taiwan en 1949, le Gouvernement
nationaliste emporta avec lui de tres nombreux
objets culturels : outre ceux de grande valeur qui
etaient conserves au Musee du palais imperial, a
Beijing, et au Musee central de Nanjing, il y avait
les bronzes et les ceramiques « trois couleurs »
(sancai) de la dynastie Tang provenant de fouilles
du musee provincial du Henan, ainsi que des
antiquites de Yinxu decouvertes a Anyang (Henan)
par l’Institut d’histoire et de philologie de
l’Academia Sinica de Beijing. Parallelement, malgre
le manque de fonds et la necessite de reconstruire
tout le pays apres la guerre, le Ministere de
l’education contribuait activement a la
construction de musees a Taiwan, et c’est ainsi que
l’Academia Sinica de Taiwan et le Musee national
d’histoire virent le jour dans les annees 1950. Le
meme ministere, qui placait la transmission du
patrimoine des plaines centrales au cœur de sa
politique educative, fut contraint par Tchang
Kaı-chek, qui esperait ramener ses 600 000 soldats
et civils en Chine continentale pour reprendre
le pouvoir, de faire de ces musees des bases
d’education sociale pour promouvoir les meilleurs
aspects de la culture chinoise traditionnelle.
31. Musee national d’histoire. 32. Musee national des beaux-arts.
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Les musees de Taiwan et l’eveil d’une conscience culturelleChen Kuo-ning
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 135
Dans la periode 1954–1956, durant
laquelle Chang Chi-yun est Ministre de
l’education, l’architecture des nouveaux musees
s’inspire tres souvent des styles chinois
traditionnels, et l’on assiste a une succession de
politiques culturelles qui veulent revenir aux
sources de la tradition chinoise et la faire revivre.
Le Musee national d’histoire de Taipei joue ainsi
un role determinant dans les expositions
consacrees a la culture des plaines centrales. En
1965, le Musee national du palais est
officiellement ouvert au public, a Shuangxi, pres
de Taipei, et demeurera jusqu’a ce jour un
symbole de l’identite politique de la Republique
de Chine. Repute dans le monde entier pour
l’importance majeure de ses collections d’art
chinois, il presente des objets qui, comme le
fameux « chou de jade », se retrouvent
aujourd’hui jusque dans les manuels scolaires des
ecoles primaires et secondaires de l’ıle.
Eveil des consciences et developpement de
la culture locale : l’expansion de la culture
museale a Taiwan
De 1970 a 1990, Taiwan va connaıtre un essor
industriel et commercial qui elimine la societe
agricole par l’invasion progressive des modes de
vie urbains. Les batiments traditionnels herites de
la dynastie Qing sont rapidement demolis, et les
arts et metiers d’artisanat populaires tombent de
plus en plus en desuetude. Cependant, de jeunes
universitaires et artistes tout juste rentres
de France, des Etats-Unis ou d’autres pays
occidentaux plaident pour une diffusion de la
litterature locale taiwanaise, eveillant ainsi une
conscience culturelle restee longtemps en sommeil.
Il s’ensuit un foisonnement soudain des collections
d’arts populaires traditionnels et d’objets naturels,
en meme temps que l’apparition de musees prives
specialises dans ces domaines.
Dans les annees 1980, au cours de sa
cinquieme annee a la tete du Yuan executif, Chiang
Ching-kuo lance un programme en douze points
d’equipement culturel, qui vise a un
developpement equilibre tant des campagnes que
des villes. Il s’agit de creer de nouveaux centres
artistiques et culturels – comprenant des musees,
33. Exposition au Musee national des beaux-arts de Taiwan.
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33
DES MUSEES PLURIELS
136 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
des bibliotheques et des salles de spectacle – dans
chacune des vingt et une grandes municipalites
et prefectures de l’ıle, sans oublier les nouveaux
ensembles museaux nationaux, dotes de salles
d’expositions artistiques, de musees des sciences
naturelles, de musees scientifiques et
technologiques, d’aquariums et de musees
archeologiques de la prehistoire, qui doivent etre
construits respectivement dans le nord, le centre,
le sud et l’est de Taiwan. Des expositions sont
organisees sur de nombreux themes, qui tous
contribuent grandement a la comprehension des
musees parmi la population et a la promotion des
echanges culturels internationaux. Celles qui sont
presentees dans les musees locaux favorisent quant
a elles l’essor des activites liees aux beaux-arts, en
meme temps qu’elles stimulent la constitution de
collections d’artisanat local et d’objets d’art
populaire, l’epanouissement des talents artistiques
locaux et l’interet du grand public pour l’art. Ce
sont aussi ces expositions qui, indirectement, vont
declencher l’effervescence que la scene artistique et
artisanale taiwanaise connaıtra dans les annees
1980.
L’avenement des musees locaux entraıne
l’essor des activites museologiques qui y sont
associees et d’autres actions culturelles.
L’organisation systematique d’activites visant a
susciter un sentiment d’appartenance fait que
l’interet porte a la culture locale est davantage
respecte. Apres la creation, en 1981, du Conseil des
affaires culturelles, des aides financieres et des
politiques ciblees constituent un enorme soutien a
l’amenagement, dans les villes principales des
prefectures, de musees et de centres culturels axes
sur des themes locaux. Des programmes orientes
vers l’internationalisation de ces cultures et la
« localisation » des cultures etrangeres – qui
comportent des expositions et des spectacles mis sur
pied par des centres culturels et artistiques
provinciaux – rendent possible l’eclosion d’une
sensibilite culturelle locale. De plus, des
expositions et des spectacles internationaux sont
presentes a Taiwan dans le but d’elargir l’horizon
culturel de ses habitants. Des projets en faveur des
arts du spectacle valent a des groupes tres en vue
la reconnaissance professionnelle, ainsi que des
subventions annuelles pour monter des numeros
originaux ou traditionnels, notamment dans
divers centres culturels et artistiques locaux.
Des troupes theatrales itinerantes et leurs pieces
traditionnelles – naguere si pres de disparaıtre –
trouveront un refuge inattendu dans ces musees,
et les artistes seront souvent invites a jouer dans
des centres artistiques et culturels, voire a l’Opera
national de Taipei.
Avec le miracle economique du debut des
annees 1980, beaucoup de Taiwanais ordinaires
voient leurs revenus augmenter fortement, ce qui
accroıt du meme coup l’interet porte a l’art et
assure a celui-ci une forte diffusion. Avec de plus
en plus d’enthousiasme, les chefs d’entreprise,
petits ou grands, se mettent a collectionner des
œuvres d’art, et plusieurs grandes societes creent
des fondations culturelles et artistiques – d’ou une
multiplication des galeries de peinture et des
musees prives. Au milieu de la decennie, des
sommes considerables sont investies dans des
programmes culturels et de divertissement, et l’on
voit surgir, l’un apres l’autre, des dizaines de parcs
a theme ou de loisirs, dont plusieurs abritent un
musee d’objets ou de specimens. A la fin des
annees 1980, toutefois, l’expansion des musees
prives va effectivement se ressentir des hauts et des
Les musees de Taiwan et l’eveil d’une conscience culturelleChen Kuo-ning
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 137
bas de l’economie locale, et tandis que celle-ci
glisse dans la recession, certains seront meme
contraints de fermer leurs portes.
Le sentiment d’appartenance a une meme
communaute : l’age d’or des musees a Taiwan
Depuis le debut des annees 1990, la culture
museale connaıt a Taiwan une progression rapide
marquee par la creation de plus de 200 musees, les
petits musees, pour leur part, reussissant a survivre
et a prosperer grace a l’action menee par le Conseil
des affaires culturelles en faveur du developpement
des musees locaux. Le plan de developpement
communautaire, lance en 1993 par ses soins, met
l’accent sur la specificite culturelle de Taiwan, en
soutenant les industries locales creatives et en
encourageant l’attachement a la communaute. Il
pousse les communautes a compter surtout sur
elles-memes pour donner corps a des initiatives
gouvernementales telles que « la culturalisation
des industries », « l’industrialisation de la
culture », « l’efficacite dans le fonctionnement et la
gestion » ou encore « l’integration des multiples
facettes de la construction des environnements
communautaires », sous la direction du
Gouvernement.
Pour pallier la diminution des
subventions locales, certains des musees publics
de Taiwan ont confie leur gestion quotidienne a
des agences privees. Celles-ci conferent un role
plus important a la diversite culturelle en mettant
en avant les particularites locales, en developpant
les industries dites « creatives » sur le plan
culturel et en utilisant les musees a la fois comme
bastions culturels et comme ressources
touristiques. Elles creent ainsi des possibilites
d’emploi et generent de plus grands profits
materiels pour la localite. En dehors de leur
gestion, elles ont aussi beaucoup appris sur les
moyens de stimuler la frequentation des musees.
D’apres les statistiques les plus recentes, il existe
aujourd’hui plus de 400 musees publics et
prives a Taiwan.
Devant les resultats obtenus dans d’autres
pays, le gouvernement regional de Taiwan a
compris que les industries culturelles peuvent
stimuler la croissance economique. Depuis 2002,
moyennant plus de 3 milliards de dollars taiwanais
d’investissements, le Conseil des affaires culturelles
met en œuvre un plan prevoyant la formation du
personnel d’au moins 300 centres culturels et
artistiques locaux (y compris des musees et des
theatres) dans les domaines de la culture, de l’art,
de l’industrie ou des ressources. Cet ensemble de
directives fait partie d’un nouveau plan de
construction de logements, qui lui-meme releve du
plan de 1993, et met l’accent sur une reconversion
judicieuse, a l’echelon local, des batiments
historiques et des espaces vacants. De plus, il
influencera profondement l’utilisation de l’espace a
des fins culturelles et deviendra ainsi un puissant
outil de la politique de developpement des musees
dans les annees a venir.
Ce plan vise a concentrer les ressources
locales, a equilibrer developpement rural et
developpement urbain et a faire emerger une
attitude vis-a-vis de la culture et de la vie qui ne
gomme pas les differences. Plus precisement, ses
objectifs sont d’examiner les realisations
culturelles du passe et de sensibiliser la population
a la culture, d’installer de nouveaux equipements
et de les utiliser avec profit dans l’optique d’un
DES MUSEES PLURIELS
138 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
developpement a long terme, de puiser dans la
diversite culturelle de Taiwan et de mieux assurer
la conservation de ses differents types de biens
culturels pour enrichir les caracteristiques et les
engagements de l’ıle, de renforcer l’action des
pouvoirs publics dans le domaine de la culture et
de promouvoir des valeurs comme l’autonomie, le
partage des ressources et la participation la plus
large possible, enfin, de coordonner les efforts
strategiques des industries creatives sur le plan
culturel.
Le plan retient quatre indicateurs pour les
evaluations futures :
1. l’etablissement de traits distinctifs locaux
et creatifs. Il s’agit de savoir si des
ressources locales telles que les arts
traditionnels, le folklore, les
technologies, les paysages et les
merveilles ecologiques et industrielles de
l’ıle ont ete bien exploitees, presentees et
interpretees;
2. la viabilite de l’entreprise, attestee par
une mobilisation efficace des ressources
humaines (recours a des volontaires, par
exemple) et financieres (des industries
creatives, par exemple);
3. la mise en place d’elements concourant
au pluralisme culturel, par
l’enregistrement, la reunion, le
rapprochement, la recherche, la
promotion et l’accueil d’activites
associant des groupes ethniques
differents, des communautes locales et
des arriere-plans internationaux;
4. les fonctions des musees en tant que
bastions culturels et ressources
touristiques, a savoir, par exemple,
l’etude et l’integration des ressources
naturelles ou culturelles, le lancement
d’activites artistiques, notamment la
formation de jeunes artistes et artisans, et
l’apport d’information sur les circuits
touristiques afin d’encourager les gens a
visiter les sites culturels.
La periode 2005–2008 represente la
quatrieme phase du plan general de
developpement communautaire, que l’on connaıt
aujourd’hui sous le nom de « Plan six-etoiles ».
C’est un programme de grande ampleur qui
s’appuie sur le plan initial d’amenagement de villes
nouvelles, mais englobe des champs d’action plus
vastes, tels le developpement industriel, la
protection sociale, les soins medicaux, la securite
publique, l’enseignement de culture generale,
l’architecture paysagere et la protection de
l’environnement, et qui vise a encourager un
developpement diversifie et harmonieux des
communautes locales a travers l’autoevaluation.
Les musees au service de la culture locale :
l’avenir des musees a Taiwan
Dans le prolongement du plan en faveur des
centres culturels et artistiques, le Conseil des
affaires culturelles envisage de lancer son « Plan
d’action integre pour le developpement des divers
secteurs de la vie culturelle », qui a pour but de
mieux en preserver le patrimoine culturel,
materiel et immateriel, et d’en integrer les
differentes ressources, de favoriser la creation
d’une atmosphere culturelle attrayante dans
Les musees de Taiwan et l’eveil d’une conscience culturelleChen Kuo-ning
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 139
chaque localite, d’encourager la population a
participer aux activites artistiques, de promouvoir
le developpement d’industries locales innovantes
et d’exploiter commercialement les
caracteristiques culturelles locales pour soutenir
le tourisme. Les secteurs de la vie culturelle
envisages sont constitues par les elements
humain, culturel, ecologique, esthetique,
industriel et materiel.
L’element humain recouvre la participation
des citoyens, la recherche du consensus, les
partenariats strategiques, le supplement de valeur
economique et l’appreciation esthetique de la vie.
Ses objectifs sont d’accroıtre les contacts entre le
personnel des musees et les travailleurs sociaux
locaux, de recruter et former un plus grand
nombre de volontaires dans les musees locaux et
d’encourager davantage d’habitants a visiter les
expositions et a assister aux spectacles qui leur
sont proposes sur place.
L’element culturel concerne la celebration
des fetes traditionnelles, les coutumes populaires,
les bazars, les kermesses des temples en
l’honneur des dieux et les festivals artistiques,
culturels et musicaux. Le but est ici de cooperer
avec les organisations locales pour l’accueil
d’expositions et de spectacles et de leur procurer
des ressources telles que salles, pieces ou
donnees lorsqu’elles preparent des activites
culturelles ou artistiques.
L’element ecologique va de la protection des
forets montagneuses, prairies, parcs, cours d’eau,
canaux, lacs, etangs et marecages a l’enlevement
des ordures, en passant par la conservation de la
faune et de la flore, le recyclage et la reutilisation
des ressources et l’embellissement des cimetieres et
des jardins prives – le tout, en vue d’heberger des
expositions, des spectacles ou des programmes
educatifs du meme genre.
L’element esthetique renvoie a la fois aux
paysages naturels et aux sites historiques. Aux
premiers se rattachent les panoramas et parcs
pittoresques, les seconds comprennent les
batiments presentant une importance historique,
les ruines et vestiges culturels, politiques ou
militaires, les sites archeologiques, les vieux
etablissements ou residences et les anciens sites
industriels. Il s’agit dans son cas de nouer des
partenariats strategiques avec d’autres acteurs
culturels et de faciliter l’integration des ressources
touristiques locales, de donner spontanement aux
autres acteurs culturels des renseignements sur ses
propres activites et d’incorporer les
caracteristiques locales d’un secteur particulier de
la vie culturelle dans le plan general de
developpement du tourisme local.
L’element industriel est associe aux produits
locaux, aux industries alimentaires, aux metiers
d’art et d’artisanat traditionnels locaux, aux
industries traditionnelles et aux industries
d’innovation culturelle. L’objectif est de cooperer
avec les industries locales pour monter des
expositions industrielles et d’autres programmes
educatifs.
Enfin, dans l’element materiel, on peut
distinguer les equipements culturels et les
equipements educatifs. Les premiers sont les
musees culturels et artistiques, les autres types
de musees, les bibliotheques, les salles de theatre,
les espaces d’expositions, les espaces vacants
DES MUSEES PLURIELS
140 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
reutilises et les ruines antiques reconverties. La
seconde categorie recouvre les ecoles de tous
niveaux, les centres d’education sociale, les centres
universitaires locaux, les universites du troisieme
age, les formations professionnelles et les
fondations educatives et culturelles. Il s’agit cette
fois de nouer des partenariats strategiques avec
d’autres acteurs de l’education ou de la culture et
de coparrainer des programmes d’education,
d’interpretation et de diffusion.
La figure qui suit montre le role central que
les musees culturels et artistiques locaux jouent
par rapport a d’autres elements intervenant dans
un secteur culturel determine.
La premiere phase du plan de
developpement des centres culturels et artistiques
locaux (2002–2007) a ete menee a bien, et la
seconde (2008–2013) sera l’accomplissement d’un
objectif a moyen terme. De son cote, le plan de
developpement des differents secteurs de la vie
culturelle vise a : accroıtre les interactions des
musees et des habitants, et par la meme la
participation des citoyens; renforcer la
communication et la coordination avec les
organisations non gouvernementales, en aidant ces
dernieres a percevoir l’existence d’un rapport
automatique entre l’augmentation des activites et
equipements culturels et l’amelioration de la
qualite de la vie, et a mettre en place un mecanisme
qui favorise une gestion et un developpement
durables des musees ; insister aupres des pouvoirs
publics a divers niveaux pour qu’ils creent un
systeme de gestion stratifie ou ordonne qui prenne
en charge l’evaluation, le financement,
l’administration, le developpement des ressources
humaines et la formation professionnelle, afin de
parvenir a une meilleure utilisation des musees
locaux.
Equipements culturels d’un genre
particulier, les musees locaux de Taiwan sont
neanmoins eux-memes freines par le manque de
moyens financiers et humains et par des structures
professionnelles inadequates. Cependant, ils
pourront quand meme jouer un role important
dans la mise en œuvre du plan d’action, qui exigera
l’action concertee d’administrations telles que le
Conseil de l’agriculture et les Ministeres des
affaires economiques, de l’education et de
l’interieur. A ce jour, des enquetes sur les
ressources des differents secteurs culturels ont ete
menees dans vingt-cinq villes et d’ici a cinq ans, le
Conseil des affaires culturelles soumettra un
rapport de faisabilite et selectionnera cinquante
sites parmi ceux qui se preteraient le mieux a une
planification plus poussee. L’idee de depart est
d’etablir un reseau de secteurs culturels au niveau
des prefectures pour instaurer une vision de la vie
qui repose sur un entremelement subtil de bien-
etre ecologique, d’ideal humaniste, d’industries
culturelles et d’attrait esthetique et pour nourrir
Les musees de Taiwan et l’eveil d’une conscience culturelleChen Kuo-ning
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) 141
l’essor d’une culture robuste qui puise sa richesse
dans tous les secteurs de la societe taiwanaise.
A l’avenir, les musees de Taiwan
repondront mieux aux besoins des masses
populaires et des jeunes generations. Ils sauront
mieux s’allier aux industries de la culture et des
loisirs, chercheront a mobiliser des ressources
privees pour gerer les equipements culturels
publics, integreront les ressources locales dans le
fonctionnement des musees et pousseront les
universites a former davantage de professionnels
de la gestion museale. Les musees de demain
offriront au public un moyen de continuer a
apprendre a sa guise et deviendront eux-memes les
industries « creatives », d’innovation culturelle du
nouveau siecle. Cela dit, une question demeure
entiere : comment les musees devraient-ils se
transformer dans la societe de consommation
d’aujourd’hui, et comment concilier leur fonction
educative avec le besoin du plus grand nombre de
se divertir et de se detendre ?
Il ne faudrait surtout pas que les musees
negligent les gouts populaires et les tendances
generales du changement social. Ce n’est qu’en les
prenant en consideration qu’ils pourront definir les
strategies les mieux adaptees a leur epoque et a
leur environnement. Quand le public commence a
mieux connaıtre les merites d’un musee, celui-ci
devient partie integrante de la vie quotidienne des
gens. Les politiques culturelles formulees par le
Gouvernement poussent et instruisent le
developpement des musees. Le Gouvernement a
donc un role essentiel. Mais puisque les politiques
culturelles doivent representer les opinions de la
majorite, il est important de maintenir les
politiques factieuses a un minimum pendant la
phase d’elaboration. Les musees sont de precieux
intermediaires pour qui veut retablir l’ordre et la
justice Nous avons donc toutes les raisons de les
cherir.
DES MUSEES PLURIELS
142 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Le Musee de Yinxu : de superbesvestiges pour expliquer la culturedes Yin-Shangpar Tang Jigen
Tang Jigen a fait ses etudes a l’Universite de Beijing, puis a l’Universite de Londres ou il obtint
son doctorat. Il est aujourd’hui chercheur en archeologie a l’Academie chinoise des sciences
sociales et enseigne au centre de recherche de cette institution. Ces dernieres annees, il a
dirige les fouilles de Yin Xu, a Anyang, et mene des recherches sur l’importance de cette zone
a l’age du Bronze. En 2005, il a organise la construction du Musee de Yinxu et a ete le principal
concepteur de l’ensemble de sa strategie de presentation. Il a participe a diverses reunions
generales sur des projets relatifs au patrimoine culturel mondial, au cours desquelles il a
rendu compte des faits nouveaux intervenus a Yinxu. Il est aussi l’auteur ⁄ animateur d’une
prometteuse base de donnees sur Anyang et les Shang : le « Projet de chronologie
Xia-Shang-Zhou » de l’Institut d’archeologie de l’Academie des sciences sociales.
Il y a plus de 3 000 ans regnait en Chine une
puissante lignee de rois – la dynastie Shang. Son
fondateur s’appelait Yang. Dix-sept generations et
trente et un monarques se sont ensuite succede,
entre 1600 et 1046 avant J.-C., marquant plus de
550 annees de l’histoire. La capitale du royaume
des Shang a ete deplacee plusieurs fois. Vers 1300
avant J.-C., Pan Geng, vingtieme roi Shang,
transfera la Cour a Anyang, dans l’actuelle
province du Henan. Cette ville est celle qui est
restee le plus longtemps capitale des Shang,
puisqu’elle l’a ete jusqu’a la chute du royaume,
quelque 250 ans plus tard.
Le site historique de la capitale des Shang
s’etend sur quelque 30 km2. Il est situe a Xiaotun
et autour de ce village, a l’ouest d’Anyang. Les
historiens et archeologues l’appellent Yinxu. Ce
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 143Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
site, fouille depuis pres de quatre-vingts ans, est
divise en plusieurs zones : l’enceinte du palais, les
tombeaux royaux et le quartier des artisans. Il
existe egalement quantite de sites plus petits ou se
trouvent des habitations et des fondations. Un
nombre considerable d’objets ont ete exhumes au
fil des ans, parmi lesquels des recipients de bronze,
des objets en jade ainsi que des os portant des
inscriptions oraculaires.
Il ne fait aucun doute que Yinxu est un
site exceptionnel, au sens des principes directeurs
de la mise en œuvre de la Convention du
patrimoine mondial. Les bronzes et les jades
suffisent a eux seuls a attester l’existence de
pratiques ceremonielles complexes constituant
une tradition culturelle aujourd’hui perdue. Les
inscriptions oraculaires, berceau des caracteres
chinois, sont composees de pictogrammes dont
les formes sont caracteristiques de l’ecriture
pratiquee il y a 3 000 ans. Certains de ces
caracteres sont toujours utilises aujourd’hui, sous
leur forme moderne, par des milliers de
personnes disseminees aux quatre coins de la
planete. Le Musee de Yinxu a pour objectif de
mettre en evidence la « valeur universelle » de
cet ensemble.
Le musee se trouve a quelque distance du
site archeologique. L’edifice, de l’exterieur,
evoque la forme du caractere huan ( , nom que
les Shang donnerent a la riviere baignant les lieux
et qui figure sur les os oraculaires). Occupant
plus de 6 000 m2, il est entierement souterrain.
Cet emplacement fut choisi a cause de la
proximite du cours d’eau et parce qu’il ne
comportait pas de vestiges anciens. Quant a la
decision de realiser un batiment souterrain, elle
fut prise afin de respecter les recommandations
de l’ICOMOS relatives a la protection
environnementale des sites. L’actuel Musee de
Yinxu est ainsi implante en pleine campagne. En
approchant, le visiteur croıt voir les deux berges
de la Huan, mais il s’apercoit peu a peu que l’une
d’elles est en realite un quadrilatere de bronze
d’un beau vert : il indique l’emplacement du
musee.
L’espace d’exposition est centre sur le
concept de « civilisation des Yin-Shang », tout en
s’interrogeant sur ce qu’est la « civilisation ». Si les
archeologues ne sont pas d’accord sur sa definition,
beaucoup de specialistes s’accordent cependant a
penser que la « civilisation » implique
necessairement l’existence d’au moins quatre
elements : des villes, la metallurgie, des ensembles
de rites et une langue ecrite. Depuis la seconde
moitie du XXe siecle, et en particulier depuis les
annees 1990, les archeologues sont de plus en plus
nombreux a considerer que la culture Yin-Shang
reunissait ces quatre grands « criteres ». Sur cette
base, les differents espaces d’exposition du Musee
de Yinxu ont donc ete concus selon le modele
« 4 + 1 », a savoir quatre salles consacrees aux
fondamentaux – dans l’ordre : la capitale des
Shang, les bronzes, les jades et les os oraculaires
inscrits – auxquelles s’ajoute une salle consacree a
un sujet particulier.
Les quatre salles temoignent chacune du
fait que les quatre criteres de civilisation avaient
atteint sous les Shang un stade avance: une cite
florissante, des techniques perfectionnees de
travail du metal, des jades utilises pour des
rituels, et un systeme d’ecriture parvenu a
maturite. Autant d’elements qui confirment que la
DES MUSEES PLURIELS
144 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Chine des Shang etait bel et bien une civilisation.
Les pieces choisies sont exposees en fonction de
ces quatre criteres.
La derniere salle, consacree a un seul objet,
donne a voir la plus extraordinaire des realisations
de la civilisation Yin-Shang : le plus gros des ding
( , vases a cuire les aliments lors des rituels alors
produits a profusion),1 le Simuwu ding, decouvert
en 1939 a Anyang.
Une fois le theme de l’exposition choisi, il a
fallu trouver un mode de presentation attrayant
pour les visiteurs. Le Musee de Yinxu a donc
experimente des methodes museographiques
inedites.
Un couloir du temps
Pour descendre vers les espaces d’exposition du
musee, dont la majeure partie est souterraine, le
visiteur suit un couloir de plus de 80 m de long qui
affecte la forme du caractere chinois (hui). Ce
« couloir du temps » part du niveau du sol, qui
correspond a l’epoque moderne. En suivant une
ligne realisee en pierre verte, on se trouve conduit
de 1911, date de la Revolution chinoise, a 1046
avant J.-C., date de la fin des Shang : de dynastie en
dynastie, durable ou ephemere, defilent ainsi 3 000
ans d’histoire.
Ce couloir mesure 60 m de long et forme
quatre coudes a angle droit. Avant de penetrer dans
le musee, tout visiteur doit ainsi faire ce parcours
« a sens unique » qui situe avec precision la
civilisation des Shang dans le fil de l’histoire du
pays.
Le quadrilatere de bronze et le batiment sur le
theme de l’eau
Le quadrilatere de bronze est situe au centre exact
du musee. Sur chacune de ses faces exterieures
figure, en haut, un masque animalier en bas relief
et en bas une inscription comme on en voit
souvent sur les objets des Yin; l’ensemble vise a
34. Le site du Musee de Yinxu.
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Le Musee de Yinxu : de superbes vestiges pour expliquer la culture des Yin-ShangTang Jigen
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symboliser la grande qualite du travail du bronze
sous les Shang. Ce mur est la seule partie du musee
visible de la surface et sert de repere pour les
visiteurs.
Le « batiment sur le theme de l’eau », de
forme carree, est la premiere chose que voit celui
qui, apres avoir emprunte le couloir du temps,
parvient a « l’epoque des Shang ». En son centre se
trouve un bassin, a l’eau scintillante. Au milieu,
une pierre verte en forme de carapace de tortue
utilisee a des fins divinatoires porte une inscription
en caracteres oraculaires : « Tandis que le
crepuscule tombe sur la foret, la brise trace des
caracteres sur l’eau » : il s’agit d’une calligraphie de
Dong Zuobing, celebre specialiste des os
divinatoires et archeologue ayant conduit des
fouilles a Yinxu. L’expression « La brise trace des
caracteres sur l’eau », prenant vie dans les eaux du
bassin, rappelle que l’ecriture chinoise est nee ici,
sur les rives de la Huan.
Ces deux structures – le quadrilatere de
bronze et le batiment sur le theme de l’eau – ainsi
que les espaces d’exposition permettent aux
visiteurs de penetrer au cœur meme de la culture
des Yin-Shang.
« Une hirondelle donne naissance aux Shang »
Le Livre des Odes (Shi Jing)2, contient un vers
disant que « Selon le decret du Ciel, une
hirondelle3 descendit et donna naissance aux
Shang. » C’est du moins ainsi qu’on expliquait
l’origine des Shang a l’epoque des Zhou
occidentaux (1067–771 avant J.-C.). La legende,
comme le rapporte Sima Qian dans Yin benji,
veut en effet qu’une jeune femme du nom de
Jiandi ait avale l’œuf d’une hirondelle – qui, apres
etre montee au ciel, en etait redescendue
fecondee – et que cette jeune femme ait ensuite
donne le jour au premier des Shang.
Un caractere figurant dans une inscription
oraculaire donne le fondement de cette jolie
legende. Il s’agit du nom de l’ancetre des Shang,
« Hai » ou, plus precisement, « arriere-arriere-
grand-pere Wang Hai » ( ). Dans les
inscriptions oraculaires, le caractere hai ( ) s’ecrit
souvent de la meme maniere que niao ( )
(oiseau). Aussi pense-t-on que « l’hirondelle a
donne naissance aux Shang » correspond a une
legende que les Shang inventerent eux-memes.
C’est pourquoi les concepteurs du musee ont
cherche a en rendre compte; pour ce faire, ils
ont fait graver en ligne, sur le mur de verre
delimitant la salle consacree a la capitale, plusieurs
caracteres oraculaires evoquant la notion de hai.
C’est une realisation peu couteuse, mais tres
spectaculaire : elle joue astucieusement avec
la lumiere du soleil, si bien que, s’il fait beau,
le visiteur qui entre dans la salle voit, a partir
35. Vitrine ou est exposee une representation en terre cuite d’une
tete humaine, de 3,6 cm de haut sur 2,4 cm de large, trouvee dans
une tombe Shang.
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DES MUSEES PLURIELS
146 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
de 10 h, une serie de niao legendaires dont le
reflet se projette sur le sol, en suivant la course
du soleil. Le jeu de la lumiere et des caracteres
oraculaires l’aident ainsi a aborder l’idee
que les Shang pouvaient se faire de cet oiseau
fabuleux.
Qui a donne naissance a cette civilisation ?
Qui etaient vraiment les Shang ? Qui a coule ces
vases de bronze ? Et qui utilisait cette ecriture ?
Autant de questions qui, des le debut des fouilles
de Yinxu, ont intrigue les specialistes les plus
illustres du monde entier. Des professeurs de
l’Universite de Harvard ont emis des vues tres
divergentes sur ces sujets, mais ce sont les
archeologues qui, s’appuyant sur des donnees
materielles et des representations, sont parvenus a
dresser un portrait des Shang : des Mongoloıdes
d’Asie orientale que rien ne differenciait, d’un
point de vue ethnique, des populations actuelles
du nord de la Chine.
Le Musee de Yinxu accorde une
importance particuliere aux relations entre les
objets et les hommes auxquels ils appartenaient. La
salle consacree a la capitale des Shang rassemble
des representations humaines figurant sur de
petites sculptures de jade et de pierre, ainsi qu’une
tete en terre cuite (haute de 3,6 cm et large de
2,4 cm), decouverte dans une tombe en 2003.
Compte tenu de la valeur et de l’interet
exceptionnels de cet objet, les conservateurs ont
concu pour lui une vitrine speciale baptisee « Le
retour a la vie ». La tete y est exposee seule; des
spots basse tension disposes de part et d’autre
apportent un eclairage qui permet au public de
l’apprecier pleinement. En approchant, le visiteur
peut interagir avec l’objet : en appuyant sur un
bouton, il lance un programme informatique
connecte a la vitrine. La photographie du visage
apparaıt, ouvre les yeux et dit, avec l’accent
d’Anyang : « Bonjour ! Mon nom est Shang. Ce
sont les archeologues qui m’ont appele de la sorte.
J’avais jadis un nom magnifique, mais il est
aujourd’hui perdu. Je suis arrive dans votre monde
en 2003… »
La capitale, le travail du metal, les rituels et
l’ecriture
La salle de la capitale
Le transfert de la capitale par Pan Geng a ete le
point de depart d’une periode d’ordre et d’un grand
essor de l’artisanat. Les habitants de la capitale
menaient une vie prospere et sure, tandis que se
developpaient l’administration, l’economie, les
rituels et la culture, si bien que les Shang, admirant
leur ville, l’ont nommee la « grande capitale
Shang ».
La « salle de la grande capitale des Shang »
presente ainsi l’environnement naturel d’Anyang et
la vie que l’on y menait il y a 3000 ans.
La salle des bronzes
C’est sur le site de Yinxu qu’a ete exhume, en
Chine, le plus grand nombre de bronzes, dont des
objets quotidiens, des armes, des elements et
ornements de chariots, etc. Si certains de ces objets
avaient un usage ordinaire, beaucoup d’autres
etaient utilises dans un cadre rituel. Imposants et
lourds, petits et delicats, ou finement decores, tous
temoignent des techniques avancees de l’age du
bronze chinois – l’epoque ou l’on fabriquait des
tripodes ding.
Le Musee de Yinxu : de superbes vestiges pour expliquer la culture des Yin-ShangTang Jigen
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Dans cette salle, les vases aux formes tres
diverses sont exposes isolement ou par series; s’y
trouvent aussi des objets extremement raffines ou
des pieces dotees de caracteristiques particulieres.
Ils racontent tous une histoire, tel ce crane de
soldat tombe au combat. Il porte quatre entailles
faites par une lame, dont une, au sommet du crane,
mesure 4 cm de long et 5 mm de large; un
fragment de bronze provenant d’une hache y est
toujours fiche. La lame s’est brisee en percant l’os,
qui s’est creuse en formant un sillon. A l’arriere de
la tete, sur sa partie superieure, se trouve une
blessure de 48 mm de long et 2 a 3 mm de large.
A gauche, une autre trace de coup mesure 35 mm
de long et 2 mm de large. L’arete du nez porte
une encoche horizontale de 18 mm de long. Le
guerrier n’a pas seulement ete frappe a la tete : son
epaule gauche presente une blessure de 38 mm
de long et 2 mm de large provenant certainement
d’un objet tranchant. On peut imaginer qu’il
s’agissait d’un vaillant soldat qui, blesse
mortellement, a ete ramene et enterre a Yinxu dans
le cimetiere de son clan.
La salle des jades
Les Shang affectionnaient tout particulierement
les objets en jade. A Yinxu, leur presence dans de
nombreuses sepultures montre qu’ils etaient
destines a l’usage des defunts dans l’au-dela. Les
membres de l’aristocratie Shang les faisaient
disposer en abondance dans leurs tombes; mais
les pieces exposees dans le musee, presentant de
legeres differences, attestent que d’autres strates
sociales les utilisaient egalement. Ces pieces,
superbes exemples de l’art du jade a l’epoque des
Shang, illustrent ainsi divers aspects –
aristocratique ou plus populaire – de la societe
des Shang, ainsi que la richesse de leurs
croyances.
Les jades sont classes par categories.
Certains specimens particulierement raffines sont
exposes isolement. Certains font l’objet d’une
museographie specifique : c’est le cas d’une tortue,
dont le contour a ete reproduit sur un panneau a
l’aide de petits trous laissant passer la lumiere; le
panneau a ensuite ete pose sur un support et la
tortue de jade placee dans son alignement,
doucement eclairee par le haut. Le visiteur a ainsi
une triple impression de la tortue : il voit l’objet
lui-meme, sa reproduction et enfin le contour de
lumiere.
La salle de l’ecriture
Les caracteres figurant sur les os oraculaires
representent une forme avancee d’ecriture
pictographique. Yinxu a livre quelque 150 000 de
ces fragments d’os; ils portent plus de 5 000
caracteres et ont permis de reconstituer plus de
100 000 inscriptions ayant trait notamment a
l’administration, a l’economie, a la culture, a
l’astronomie ou au climat. Une centaine
36. Le grand ding Simuwu expose au Musee de Yinxu.
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DES MUSEES PLURIELS
148 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
d’inscriptions sont exposees dans la salle; plus de
90 % d’entre elles sont des textes divinatoires.
La signification des caracteres, vieux de
plus de 3 000 ans, est tres obscure, mais le
musee s’efforce de fournir des explications. Dans
cet espace, les maıtres mots sont « dechiffrer » :
« dechiffrer les sons » d’une part, et « dechiffrer
les inscriptions », d’autre part. La premiere partie
de l’exposition fait appel a une technique
illusionniste pour placer sous les yeux des
visiteurs les inscriptions portees sur des ecailles
de tortue. La seconde consiste en une selection
d’inscriptions divinatoires concernant par
exemple des offrandes sacrificielles, des
expeditions militaires, la chasse, des phenomenes
astrologiques ou le calendrier. De grands
panneaux reproduisent l’inscription originale,
avant d’en donner la transcription en caracteres
du lishu,4 puis la signification en chinois
moderne et une traduction en anglais, offrant
ainsi a chaque visiteur matiere a reflexion.
Certains textes nous eclairent sur les
relations qui existaient entre le royaume des Shang
et les peuples Qiang5 du nord-ouest : « En trente
jours a peine, trois personnes bien connues, Chang
Youjiao, You Qizhu et Zhi Jia, ont rapporte tour a
tour que des groupes de travailleurs et
d’agriculteurs venus du nord-ouest avaient penetre
quatre fois sur le territoire. L’invasion hostile des
Qiang a pousse tous les habitants de la region a fuir
et a errer dans les plaines, sans abri. »
La strategie de la « star »
Il y a quelque chose de commun entre la creation
d’un musee et la realisation d’un film : faire appel
a une star est parfois le moyen le plus efficace de
seduire les foules et d’attirer le succes. C’est
pourquoi, a mesure que l’ouverture officielle du
Musee de Yinxu approchait, et la necessite d’une
large couverture mediatique se faisant sentir, le
musee a decide de se l’assurer grace a l’objet le
plus celebre trouve sur place : le Simuwu ding,
qui pese 875 kg. C’est la plus grande et la plus
lourde des pieces exhumees sur le site.
Reproduite dans les manuels d’histoire des
collegiens chinois, elle est l’objet d’un grand
interet populaire. Mais, decouvert a Yinxu en
1939, ce ding avait fini, apres plusieurs deboires,
par etre depose, pour des raisons de securite, au
Musee national d’histoire de Chine (dans le Pekin
de l’epoque). En septembre 2005, le Musee de
Yinxu a donc decide de l’« emprunter », afin de
le placer dans une salle d’exposition speciale
pour le plus grand plaisir du public. Le jour de
l’inauguration, une maree humaine l’entourait :
en une seule journee, il y eut plus de 100 000
visiteurs. C’est de loin le plus fort taux de
frequentation d’un musee chinois : il est rare
qu’une exposition attire autant de monde.
Les vestiges de Yinxu partis a l’etranger
Le Musee de Yinxu ne souhaitant pas que
l’exposition se termine d’une maniere insipide, il
fut decide qu’a mesure du retour vers la lumiere
naturelle, dix points lumineux seraient places sur
l’un des murs. Dans cette lumiere cristalline, de
discrets cartels gris pale accompagnent une serie
de cliches. Ils representent des bronzes, des jades,
ainsi que des os oraculaires. Les textes des cartels
indiquent clairement que ces objets ne se trouvent
plus en Chine. Les concepteurs de l’exposition
cherchent ainsi a faire passer deux messages : le
Le Musee de Yinxu : de superbes vestiges pour expliquer la culture des Yin-ShangTang Jigen
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premier est que la culture de Yinxu (la phase finale
des Shang) est maintenant connue dans le monde
entier et que des œuvres qui en sont issues ont
seduit des collectionneurs et des amateurs d’art de
divers pays; le deuxieme est que, meme si ces
pieces ont quitte leur pays d’origine, elles restent
cheres au cœur des Chinois.
Lorsqu’en 1046 avant J.-C. les Zhou
occidentaux prirent le pouvoir, placant au centre
de l’histoire les grandes etendues du nord, la
civilisation Yin-Shang et sa capitale tomberent en
ruines. Mais comme l’a dit un chercheur : « Sans
ruines, rien ne permettrait de se rappeler hier, et
sans hier, il ne pourrait y avoir ni aujourd’hui, ni
demain. Les ruines sont les moyens que nous avons
de comprendre l’histoire; elles sont le passe dont
les hommes d’aujourd’hui sont issus, allant des
ruines anciennes vers des ruines nouvelles. C’est
pourquoi les ruines sont notre point de depart.
Elles sont un chemin vers la culture. Portant nos
ruines avec nous, nous avancons vers la modernite
et l’avenir. »
Erige sur le site archeologique, le Musee de
Yinxu applique des methodes simples pour reveler
au visiteur la culture de l’age du bronze chinois et
la « valeur universelle exceptionnelle » du
patrimoine que la dynastie Yin-Shang nous a legue.
Deux ans apres l’inauguration du musee,
l’ensemble du site de Yinxu a ete inscrit sur la Liste
du patrimoine mondial, puisque, par son
importance culturelle, il interesse l’humanite tout
entiere.
NOTES
1. Un ding est un vase tripode ou chaudron pourvu de deux poignees en
bronze. Il servait pour les sacrifices et symbolisait le pouvoir royal.
2. Le Livre des Odes est l’un des cinq classiques chinois et certainement
le plus ancien recueil de poesie chinoise. Il est traditionnellement attribue
a Confucius.
3. Le premier caractere de ce terme chinois, , evoque la couleur noire
ou la profondeur. L’oiseau dont il s’agit ici est un oiseau legendaire qui
deviendrait gris en atteignant l’age de 1 000 ans et noir a 2 000 ans.
4. L’ecriture lishu est l’un des styles calligraphiques officiels qui avaient
cours sous la dynastie Han (207 avant J.-C.– 220 apres J.-C.).
5. Cette ethnie est qualifiee de « forte », au sens de « puissante ».
Certains auteurs estiment que les Qiang apparaissent pour la premiere
fois a l’occasion de la montee en puissance des tribus du nord-ouest, qui
avaient forme une confederation relativement lache et devaient constituer
par la suite les principautes de la dynastie Zhou.
DES MUSEES PLURIELS
150 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
Le Musee d’art mondial de Beijingau Monument du millenairepar Wang Limei
Wang Limei a ete chercheuse au Musee du palais imperial a Beijing, ou elle s’est specialisee
dans l’histoire des dynasties Ming et Qing. Elle a ensuite travaille pour l’administration d’Etat
du patrimoine culturel, au sein de laquelle elle a ete responsable des echanges culturels
internationaux ainsi que de nombreuses expositions de grande ampleur. En 2003, elle a ete
chargee des preparatifs de la creation du Monument du millenaire au Musee d’art mondial
de Beijing.
C’est le 1er janvier 2006 qu’est ne le premier musee
chinois consacre a la conservation d’objets des
civilisations et des arts du monde entier. Fort du
soutien actif de nombreux musees etrangers, il se
voue entierement a accroıtre les connaissances
relatives aux civilisations, a promouvoir la
communication culturelle et a satisfaire les besoins
de la population. Il s’est engage dans une
exploration des moyens de presenter la civilisation
et l’art dans le monde, qui vise a le doter d’un
capital culturel. Le musee travaille dur pour
conserver une gestion novatrice et ouverte.
Une plate-forme de communication pour
compenser le manque de ressources
La possession d’une solide collection est la
premiere condition a remplir si l’on souhaite
demontrer la richesse et la diversite des
civilisations et des arts du monde. Le Musee de l’art
mondial de Beijing, comme tous les musees
chinois, se trouve a cet egard dans une situation
quelque peu embarrassante. Manquant de pieces a
exposer, les fondateurs du musee accordent la plus
haute priorite a ce probleme qui concerne la survie
ISSN 1020-2226, No. 237–238 (Vol. 60, No. 1–2, 2008) ª UNESCO 2008 151Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
et le developpement de l’institution. Pour faire face
a cette difficulte, on a concu une strategie visant a
faire du musee une plate-forme de communication
et une vitrine consacrees aux echanges dans le
domaine de la culture et de l’art mondiaux, en
partenariat avec des musees, galeries et institutions
educatives du monde entier. Empreinte d’un esprit
d’ouverture et de sincerite, et d’une volonte de
cooperation dans une optique de profit mutuel,
cette strategie devrait permettre au musee de se
hisser au niveau des pratiques internationales
actuelles.
L’Annee de la culture sino-francaise, qui
s’est tenue en 2005, a donne lieu en Chine a une
multiplicite sans precedent d’evenements culturels
internationaux. Elle a ete suivie par d’autres, telles
que l’Annee de l’Italie, l’Annee de la Russie, l’Annee
de l’Espagne, l’Annee de l’amitie sino-indienne, le
Festival de l’echange culturel sino-francais ou
encore l’Annee des echanges Chine–Coree. Le
rythme soutenu de ces echanges manifeste le desir
qu’ont de nombreux pays de faire connaıtre leur
culture au peuple chinois, et cet engouement a
offert au musee un cadre ideal de developpement.
Le musee a tres bien su tirer parti de ces
circonstances favorables pour son exposition
inaugurale. A l’epoque, le Ministere italien du
patrimoine et des activites culturelles s’appretait a
signer un accord a long terme avec Beijing Gehua
CATV Network dans le but d’assurer la promotion
de l’Annee de l’Italie en Chine (2006). Le musee a
propose d’accueillir l’exposition « Miroir du
temps: six siecles d’art italien » qui inaugurerait
a la fois l’Annee de l’Italie en Chine et le musee
lui-meme. Le ministere a accepte sans hesiter. Le
professeur Antonio Paolucci, directeur regional des
biens culturels et du paysage de Toscane, a plaide
ardemment en faveur de la poursuite des echanges
culturels entre la Chine et l’Italie, citant
l’augmentation du nombre de touristes chinois au
Musee des Offices de Florence et l’engouement
croissant des Chinois pour la culture italienne en
general. Le Gouvernement italien offrit de preter
une extraordinaire selection de quatre-vingts
œuvres d’art en provenance de douze musees de
Florence, dont le Musee des Offices et la Galerie de
l’Academie. Ces œuvres furent pretees
gratuitement; onze d’entre elles etaient presentees
au public pour la premiere fois. Ces merveilleux
chefs-d’œuvre, rassembles sous le theme « L’image
de l’Homme », couvraient une periode allant de la
fin du XIIIe siecle au milieu du XVIIIe siecle. Vingt
maıtres y etaient representes, parmi lesquels
Botticelli, Leonard de Vinci, Raphael, Titien et Le
Caravage. Cette selection soigneuse et le soutien
genereux du Gouvernement italien furent un gage
de qualite pour l’exposition, qui a accueilli
120 000 visiteurs.
Ce succes est venu legitimer la strategie du
musee et a confirme son role de plate-forme
d’echanges culturels. Il lui a egalement permis de
gagner la confiance des institutions culturelles
italiennes, annoncant ainsi de nouveaux
programmes de collaboration. L’exposition « Les
grandes civilisations du monde », qui a eu lieu fin
2006, presentait une grande variete de biens
culturels mondiaux et a ete rendue possible grace a
la cooperation de dix musees italiens et de quatre
musees americains. L’Annee de l’Italie en Chine
s’est cloturee au debut de 2007 avec une autre
collaboration sino-italienne reussie : l’exposition
« Recits d’une eruption : Pompei, Herculanum,
Oplontis ».
DES MUSEES PLURIELS
152 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
« Les grandes civilisations du monde »,
premiere exposition etrangere d’aussi grande
ampleur a etre accueillie en Chine, va devenir l’une
des expositions permanentes du musee. En regle
generale, les objets exposes en permanence
proviennent des collections propres d’un musee.
Mais avec un theme aussi ambitieux que les
« civilisations du monde », les capacites de bien
des musees mondiaux les plus reputes, y compris
des musees chinois, n’auraient pas suffi.
L’exposition a ete rendue possible grace a la
plate-forme de communication etablie par le musee
en conjonction avec quatre musees europeens et
americains. L’exposition propose au visiteur un
voyage a travers l’histoire culturelle mondiale, de
3000 avant J.-C. jusqu’au XVIIIe siecle. Parmi les
objets exposes figurent 328 pieces uniques –
sculptures, bronzes, peintures murales, ceramiques
et bijoux anciens – illustrant les plus belles
realisations de sept grandes civilisations : la Chine,
l’Egypte ancienne, la Mesopotamie, la Grece,
Rome, l’Inde et les Ameriques. Le peuple chinois a
ainsi la chance de pouvoir decouvrir dans sa
richesse la diversite culturelle de ces civilisations
historiques. Dans le meme temps, le musee
reaffirme son objectif d’encouragement du
dialogue et des echanges entre les cultures. Cette
experience gratifiante a eu un impact considerable
sur le public chinois dont elle a aide a cultiver et
elargir les gouts tout en renforcant son sens de
l’identite nationale. L’exposition durera jusqu’en
septembre 2008 sous sa forme actuelle, mais des
projets de remplacement des objets exposes ont
deja recu le soutien enthousiaste de plusieurs
musees.
Durant l’annee qui a suivi son
inauguration, le musee a monte ou accueilli plus
de dix expositions, soit seul, soit en partenariat
avec d’autres institutions. Il y a eu par exemple :
« Miroir du temps: six siecles d’art italien »,
« De Monet a Picasso : chefs-d’œuvre du Musee
d’art de Cleveland », « Recits d’une eruption :
Pompei, Herculanum, Oplontis » ou encore
« Espace imaginaire : retrospective de Jerry
Uelsmann ». Parmi les expositions organisees
dans le cadre de l’Annee de la Russie en 2006,
on peut citer : « Deux maıtres russes
contemporains », « L’univers des nomades :
Dashi Namdakov et les musees siberiens » ainsi
que « Le costume traditionnel russe », tandis que
l’Annee de l’Espagne en 2007 a ete celebree par
l’exposition « 300 % design espagnol ». Ces
evenements etaient concus pour completer
subtilement l’exposition permanente du
musee.
La difficulte de base du musee, a savoir le
manque de collections propres, a donc ete
surmontee grace a la mise en place de cette
plate-forme de communication, ainsi qu’a
37. L’exposition Miroir du temps : six siecles d’art italien.
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l’empressement d’autres pays de se lancer dans une
cooperation culturelle avec la Chine.
Une equipe internationale d’experts
professionnels
Depuis l’ouverture de la Chine et le lancement
de ses reformes, les echanges internationaux entre
les musees chinois et etrangers se sont caracterises
davantage par l’exportation d’expositions chinoises
que par l’importation d’expositions etrangeres
Afin d’encourager un flux regulier et durable
d’expositions artistiques a destination de la Chine,
le Musee d’art mondial de Beijing a besoin du
concours de specialistes experimentes en histoire
de l’art et en patrimoine culturel.
Pour s’assurer les services de specialistes
chinois et etrangers, le musee a adopte une
strategie d’emploi flexible et fait appel a un conseil
consultatif compose d’experts chinois et etrangers.
Il s’efforce egalement de tirer parti des
connaissances des musees qui ont une longue
experience dans l’accueil d’expositions etrangeres.
Il met pleinement a profit ses nombreux
contacts internationaux et multiplie les echanges et
les relations. Son ouverture d’esprit, sa loyaute, sa
perseverance et le succes de ses activites de
cooperation ont fait de lui un partenaire
parfaitement credible au sein de la profession.
Ainsi, il peut desormais se prevaloir d’une equipe
internationale de specialistes travaillant dans un
esprit de profit mutuel et partageant volontiers leur
expertise multidisciplinaire avec leurs collegues.
Le forum des directeurs de musees,
parraine en octobre 2005 par le Musee d’art
mondial de Beijing, a ete l’occasion d’echanges
intensifs avec tous les partenaires. Ce forum, sur le
theme « L’art mondial en Chine », etait le premier
organise par le musee. Des directeurs de musees
et des experts venus des Etats-Unis, d’Italie, du
Japon, de Hong Kong, de Macao, du Royaume-Uni
et de plusieurs autres pays ou regions ont assiste a
la reunion. Les participants ont formule de
precieuses suggestions sur la conception et
l’installation de l’exposition permanente du musee
et se sont entretenus des possibilites de
collaboration pour les cinq annees a venir ainsi que
de l’education museale. Le deuxieme forum, tenu
en 2006, a poursuivi les discussions sur ce theme
en se concentrant plus specialement sur les modes
de gestion des musees. Il a permis au musee de se
faire une idee claire des tendances actuelles en
matiere de gestion museale et, grace a ces
echanges, d’apporter des ameliorations a sa propre
gestion.
Le comite d’experts du musee a ete
officiellement mis en place le 10 avril 2007. Il est
38. L’exposition De Monet a Picasso : chefs d’œuvre du Musee d’art
de Cleveland.
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154 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
compose de vingt-huit specialistes et scientifiques
de differentes disciplines, telles que les sciences
sociales et humaines, la recherche et la gestion
museales, l’art et l’education museale. Ces
specialistes des musees et de l’art ont apporte des
suggestions et une aide precieuses, et les
expositions tant speciales que permanentes du
musee ont enormement beneficie de leurs conseils
professionnels et de leur participation. Grace en
grande partie a leurs contacts avec les medias, un
important travail de promotion a pu aussi etre
accompli. La salle de conferences du musee (300
sieges) est souvent pleine de visiteurs et d’etudiants
venus ecouter ces specialistes et ces scientifiques,
qui sont ravis de partager leur expertise et leur
savoir et de favoriser ainsi une meilleure
comprehension des objets exposes. En bref, cette
equipe d’experts s’est averee etre une ressource
inestimable pour le musee.
Celui-ci dispose egalement d’une centaine
de benevoles qui travaillent en tant que guides
amateurs. Leur devouement est vivement apprecie
par les visiteurs et contribue souvent a l’attrait des
expositions.
De maniere generale, le musee tente de
s’affranchir des restrictions imposees par les formes
de recrutement classiques et recherche des
collaborateurs de qualite, par-dela les frontieres
regionales et professionnelles, en puisant dans les
ressources humaines nationales et mondiales. Il
fonctionne depuis un peu plus d’un an avec
seulement vingt employes a temps plein, mais
grace aux efforts de l’equipe de professionnels et
d’amateurs qui lui apporte son concours, il a ete en
mesure d’accueillir une serie d’expositions
majeures, qui ont ete acclamees par les milieux
professionnels.
Plusieurs musees etrangers ont exprime le
desir de concevoir des plans de cooperation a long
terme avec le Musee d’art mondial de Beijing. Mais
les retombees ont egalement atteint les autres
musees chinois qui ont constate que les
expositions organisees par leur confrere
remportaient un grand succes (le nombre total de
visiteurs a desormais depasse les 470 000) et ont
commence a reexaminer leurs propres modes de
39. L’exposition Les grandes civilisations.
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Le Musee d’art mondial de Beijing au Monument du millenaireWang Limei
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fonctionnement. De fait, cela a relance le debat sur
les relations entre les musees et l’art, sur la maniere
de monter des expositions, sur leur influence sur
l’education artistique, etc. Ces retombees et ces
discussions vont certainement influencer dans un
sens positif la construction et le fonctionnement
des musees en Chine dans les annees a venir.
La constitution d’un capital culturel pour un
developpement durable
Le musee est en partie finance par des subventions
de l’Etat, mais celles-ci sont insuffisantes pour
couvrir ses frais de fonctionnement. Tout en
tentant d’obtenir un soutien accru de l’Etat et de la
societe, le musee a conscience qu’il lui faut trouver
d’autres moyens de surmonter l’obstacle. C’est
ainsi, par exemple, qu’il cherche a s’inspirer des
methodes des musees des pays developpes, qu’il
s’interesse a de nouvelles methodes de gestion et
qu’il s’efforce de se constituer un capital culturel
propre a assurer durablement son developpement.
La difficulte a laquelle se heurte le musee
n’est pas rare. Les musees de la Chine
d’aujourd’hui vivent dans une economie de marche
et ont donc besoin d’explorer de nouvelles pistes
pour assurer leur survie. La question de savoir si la
culture peut s’autofinancer, debat qui a commence
dans les annees 1980, reste d’actualite en ce debut
du XXIe siecle. Le debat porte aujourd’hui sur la
place des musees en relation avec l’economie, le
secteur tertiaire (les services) et les industries
culturelles et creatives. Le principal facteur
declenchant de ces discussions est la contradiction
entre le caractere non lucratif des musees et leur
modus operandi, ainsi qu’entre leur role social et
leur rentabilite economique.
L’analyse du fonctionnement de musees
de pays developpes a economie de marche revele
que tout en etant au service de la societe avec
une organisation efficace, ils ont su creer une
culture promotionnelle specifique et leur nature
non lucrative ne les empeche pas de tirer des
benefices economiques de certains programmes
ou services. Leur experience demontre que la
gestion dynamique d’un musee et l’efficacite des
services rendus a la societe sont une attitude
saine dans le contexte d’une economie de
marche. Le musee a donc decide de s’engager
dans la voie de l’efficacite en se dotant de la
capacite a subvenir a ses propres besoins de
maniere a se liberer de ses entraves financieres et
a s’assurer les moyens d’un developpement
vigoureux. Les concepts fondamentaux a la base
du fonctionnement d’un musee et ses relations
avec le marche devraient s’appliquer egalement a
la planification et a l’administration des services
rendus a la societe – les produits – et a la gestion
novatrice du musee.
Ainsi, le musee apprend a concilier utilite
sociale et fonctionnement efficace et a appliquer
des modes de gestion des projets qui sont en usage
dans les entreprises commerciales. L’utilisation
d’un modele de gestion axe sur le marche lui
permet de repondre simultanement a son objectif
social et a son objectif operationnel et d’engranger
des profits economiques substantiels et des
resultats sociaux.
L’exposition « Miroir du temps : six
siecles d’art italien » en est une bonne illustration.
Le musee souhaitait vivement que le maximum de
visiteurs profite de cette experience visuelle
extraordinaire. Il a investi dans des activites
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156 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.
publicitaires et promotionnelles coordonnees,
concu une politique de tarification differenciee
selon les categories de visiteurs et offert certains
services tels que previsualisation numerique des
œuvres, visites guidees, audioguides, conferences.
Il a aussi mis a la disposition du public des
prospectus et des souvenirs, gratuits ou payants.
Afin d’assurer une visite agreable au public, il a pris
des mesures pour controler l’affluence et rediriger
les touristes lors des heures de pointe. Une gestion
aussi meticuleuse a permis au musee de faire
beneficier les visiteurs d’une organisation et de
services de premier ordre, a la hauteur des
magnifiques objets exposes. Le public s’est montre
extremement enthousiaste. Avec un investissement
total de 15 millions de yuans, c’est l’une des plus
grandes expositions jamais organisees en Chine.
Grace a des strategies de marketing flexibles et a
l’excellence des services, le musee est parvenu a
equilibrer recettes et depenses (en degageant un
petit excedent) : le benefice d’exploitation a
couvert 37,98 % du cout total, les subventions de
l’Etat 35,6 % et les dons d’organismes ou
d’entreprises 26,4 %.
Une exposition est un « produit » qui doit
etre soigneusement planifie et prepare. En plus des
expositions qu’il accueille entre ses murs, le Musee
d’art mondial de Beijing organise d’autres
evenements en coordination avec ses partenaires.
Ainsi, « Recits d’une eruption : Pompei,
Herculanum, Oplontis » a ete presentee a la fois a
Beijing et a Hangzhou, grace aux efforts conjoints
du musee et de l’administration provinciale du
patrimoine culturel du Zhejiang. Le musee explore
a present la possibilite de cooperer avec d’autres
musees et galeries de villes importantes comme
Shanghai, Canton et Changsha, et de mettre en
commun les ressources en partageant risques et
avantages.
Une exposition est egalement une
ressource a exploiter : il est possible de tirer des
benefices des elements culturels et artistiques
qu’elle comporte. Offrir des prestations de haute
qualite et amplifier les campagnes publicitaires
sont deux moyens de mettre a profit cette
ressource. Pour chaque evenement, l’organisation
de l’exposition et la conception des objets
souvenirs font l’objet de discussions
systematiques prenant en compte les besoins du
public cible et les caracteristiques particulieres de
l’exposition. Lors des deux expositions « Miroir
du temps: six siecles d’art italien » et « De Monet
a Picasso : chefs-d’œuvre du Musee d’art de
Cleveland », les profits generes par la vente de
souvenirs ont represente plus de 40% des recettes
totales des entrees. Ce marche a un fort potentiel
de developpement et pourrait offrir un moyen
de financer le cout des expositions.
Enfin, la valeur esthetique de l’exposition
peut aussi etre une ressource non negligeable.
« Miroir du temps: six siecles d’art italien », par
son immense portee culturelle et sociale, a attire
l’attention de nombreux chefs d’entreprise. Les
dons effectues par diverses organisations
prestigieuses ont atteint un total de 4 millions de
yuans. L’experience montre, cependant, le besoin
d’une nouvelle strategie de collecte de fonds pour
le musee : abandonner les campagnes pour des
expositions particulieres au profit d’efforts a long
terme, et le recours aux dons au profit de modeles
de fonctionnement fondes sur le marche. Il s’agit,
en somme, de laisser ce travail a des
professionnels.
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Les maıtres mots en matiere de gestion
museale sont la qualite du service et l’efficacite du
fonctionnement, deux demarches qui procurent au
musee bienfaits sociaux et profits economiques.
Les souvenirs qui ont plu aux visiteurs sont autant
de vecteurs d’information sur le musee et les
expositions qu’il propose. Les audioguides
permettent non seulement de fournir des
explications sur les objets exposes, mais aussi de
faire rentrer de l’argent servant a financer les
expositions. Par ailleurs, le musee reserve des
avantages a ses visiteurs reguliers, tels que des
reductions sur les tickets d’entree et les achats, et
l’envoi d’informations sur les programmes
d’expositions et de conferences.
Le musee s’evertue en outre a proposer aux
enfants des activites interactives parents–enfants.
Pendant le week-end, les enfants et leurs parents
viennent non seulement voir les objets exposes et
entendre des conferences mais aussi participer a
des activites artistiques en relation avec le theme
de l’exposition du moment. Des moniteurs
apportent aide et conseils pour que ces activites
artisanales soient agreables. Ces activites
encouragent les parents a s’impliquer dans le
processus creatif et les aident a stimuler les interets
de leurs enfants et a etendre leurs connaissances.
Ce faisant, le musee joue un role important dans le
developpement de l’interet artistique chez les
enfants et, a travers eux, chez les parents. Cette
pratique, tres bien accueillie, assure aux musees un
flux constant de visites familiales.
Les efforts du musee l’ont aide a atteindre
pratiquement l’equilibre comptable pour 2006,
premiere annee de fonctionnement de l’institution.
Les recettes provenant des entrees et de la vente
d’objets ont atteint respectivement 11,27 et 4,23
millions de yuans pour l’annee; les recettes tirees
de la location d’installations et des audioguides se
sont chiffrees respectivement a 5,08 millions et
420 000 yuans. Le benefice d’exploitation et les
dons d’organismes et d’entreprises ont constitue
presque les deux tiers des recettes totales de
l’annee.
En combinant excellence des prestations et
efficacite de fonctionnement, en exploitant les
ressources de ses expositions, et en planifiant et
concevant soigneusement ses services et ses
« biens » – consideres comme des « produits »
susceptibles d’etre planifies, concus, fabriques et
geres – le musee a reussi a se constituer un capital
culturel de base. Il entend demeurer ouvert aux
idees novatrices et continuer a tirer profit des
bonnes pratiques d’autres musees. Le musee va
poursuivre l’amelioration de ses services et, en se
constituant en plate-forme de communication et
d’echanges internationaux, s’attachera a puiser de
maniere plus imaginative dans les ressources
internationales afin d’etre en mesure d’apporter des
contributions de grande valeur a la construction et
a la gestion des musees chinois dans l’economie de
marche.
DES MUSEES PLURIELS
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