Le Brand content management ou Brand Ambition Management (By Agency)
Brand content musical et digital : nouveau paradigme pour révéler la valeur "immaterielle" de la...
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UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE
CELSA
Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication
MASTER 2ème année
Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication
Parcours : Médias informatisés et stratégies de communication
« Brand content musical et digital : nouveau paradigme pour révéler la valeur “immatérielle” de la marque ? »
Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD
Nom, Prénom : Boumandil Tali Promotion : 2013-2014 Option : Médias et Communication Soutenu le : Note du mémoire : Mention :
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Remerciements Je remercie chaleureusement mes rapporteurs Pergia Gkouskou-‐Giannakou et Bertrand Hellio pour le vif intérêt qu’ils ont porté à mon sujet et leurs nombreux conseils avisés tout au long de mon travail. Je remercie vivement les personnes qui m’ont accordée du temps lors de nos entretiens : Merci à mon ami Thibaut de Longeville de m’avoir fait partager sa connaissance et son regard avisé sur un univers qu’il côtoit depuis maintenant plus de vingt ans. Merci à Aurélien Fouache d’avoir partagé avec moi sa fine expertise des réseaux sociaux et des stratégies de brand content digital ainsi que pour l’honnêté de ses réponses. Je remercie enfin affectueusement Françoise Menascé pour son aide précieuse quant à la relecture de mon mémoire.
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Sommaire
INTRODUCTION 4
PARTIE 1. LE BRAND CONTENT MUSICAL OU COMMENT PRENDRE CONSCIENCE DE L’IMPORTANCE DE L’IDENTITÉ CULTURELLE DE MARQUE 13 I. LE BRAND CONTENT MUSICAL : UN PHÉNOMÈNE EN PLEINE EXPANSION 14 A) LE REJET DE LA PUBLICITÉ TRADITIONNELLE : PHÉNOMÈNE DE DÉPUBLICITARISATION 14 B) BRAND CONTENT : UN PHÉNOMÈNE ANCIEN MAIS QUI SE DÉMOCRATISE LARGEMENT AUJOURD’HUI 17 C) LA MUSIQUE : UNE CULTURE QUI SE PRÊTE AISÉMENT AU JEU DU BRAND CONTENT 21 II. LES ATOUTS COMMUNICATIONNELS DE LA MUSIQUE 23 A) CHAQUE GENRE MUSICAL EXPRIME DES PARTICULARITÉS CULTURELLES 24 B) UN LANGAGE UNIVERSEL VECTEUR D’ÉMOTION 27 C) L’EXEMPLE DE HENNESSY : UNE COMMUNICATION HIP-‐HOP 29 III. L’AVÈNEMENT DU WEB PARTICIPATIF : UN ATOUT POUR LA FILIÈRE MUSICALE 34 A) DE NOUVELLES FAÇONS DE CONSOMMER DE LA MUSIQUE 34 B) L’INTERNAUTE, NOUVEAU RELAIS DES ARTISTES 36 C) LE RÔLE ENDOSSÉ PAR LE GRAND PUBLIC SUR LE WEB PARTICIPATIF 38
PARTIE 2. UNE MISE EN EXERGUE DES ATOUTS DU BRAND CONTENT MUSICAL PAR LA COMMUNICATION DIGITALE 40 I. LE DIGITAL : UN ATOUT INDISPENSABLE POUR PASSER DU BRAND CONTENT À LA BRAND CULTURE 41 A) LA MARQUE DOIT DONNER À VIVRE UNE EXPÉRIENCE 42 B) LA CULTURE DE MARQUE : UN UNIVERS CRÉATIF 44 C) L’INTERACTIVITÉ : UN CRITÈRE ESSENTIEL DE LA CULTURE DE MARQUE 48 II. LA VALORISATION DU CONTENU GRÂCE AUX OUTILS DIGITAUX 51 A) EXPÉRIENCE LIVE ET OUTILS DIGITAUX : LE CAS RICARD S.A LIVE MUSIC 52 B) UN CONTENU DE MARQUE MULTIDIMENSIONNEL 56 C) DÉVELOPPEMENT D’UN STORYTELLING POSTMODERNE 59 III. LA PLACE DU CONSOMMATEUR : UNE COMMUNAUTÉ PARTICIPATIVE 61 A) LE DIGITAL INDUIT UNE NOUVELLE FORME DE SOCIABILITÉ 62 B) ECHANGE VIRTUEL ENTRE MARQUE ET CONSOMMATEUR DEVENU INDISPENSABLE 65 C) L’IMPLICATION ACTIVE DU CONSOMMATEUR : L’EXEMPLE DE LA CAMPAGNE « GET LOUD » DE CONVERSE 67
PARTIE 3. BRAND CONTENT MUSICAL ET DIGITAL : UNE FORMULE MAGIQUE ? 71 I. L’IMAGINAIRE AUTOUR DU BRAND CONTENT 72 A) MISE EN CAUSE DE LA LÉGITIMITÉ DES MARQUES À SE PLACER AU RANG D’ÉDITEUR DE CONTENU 72 B) LE BRAND CONTENT PEUT-‐IL FAIRE VENDRE ? 74 II. DE L’IMAGINAIRE AUTOUR DES OUTILS DIGITAUX 77 A) DU POINT DE VUE DES UTILISATEURS 77 B) DU POINT DE VUE DES MARQUES ET DES ARTISTES 79 III. UN VÉRITABLE TRAVAIL D’IMPLICATION DES ARTISTES AVEC LA MARQUE 81 A) LES RISQUES POUR L’ARTISTE 82 B) LES RISQUES POUR LA MARQUE 84
CONCLUSION 86
BIBLIOGRAPHIE 89
ANNEXES 93
4
INTRODUCTION « La musique est peut-‐être l'exemple unique de ce qu'aurait pu être -‐ s'il n'y avait pas eu l'invention du langage, la formation des mots, l'analyse des idées -‐ la communication des âmes »
Marcel Proust L’engouement des marques pour la musique peut paraître étonnant de prime abord.
Comment est venue l’idée pour les marques de faire de la publicité à travers une
communication qui implique un art tel que la musique ?
Tout d’abord lorsqu’on se penche sur la définition des notions, la musique est définie
comme « l’art de combiner des sons »1, un « art qui permet à l’homme de s’exprimer par
l’intermédiaire des sons »2 tandis que la publicité est communément admise comme une
« technique de communication dont l’objectif est de modifier l’attitude et/ou le comportement
des consommateurs à l’égard d’un produit »3. Mon objet de recherche s’interesse au brand
content, on ne parle plus ici de publicité car les stratégies de communication des marques
évoluent.
Néanmoins, je tenais ici à mettre en valeur ici la notion de publicité car l’objectif reste
le même, celui de modifier le comportement du consommateur à l’égard du produit, et plus
généralement à l’égard de la marque. Cette notion très en vogue qu’est aujourd’hui le brand
content est le fruit de l’évolution de la publicité et de la réflexion stratégique des marques
influencées par les changements des comportements des consommateurs. Le brand content
peut être défini comme le « Contenu éditorial créé ou largement influencé par une marque. La
marque ne se contente pas de parrainer ou d’utiliser un contenu préexistant, mais assume
jusqu’au bout un vrai rôle d’éditeur, finance et fabrique un contenu souvent à partir de ses
1 Définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales 2 Définition du dictionnaire Larousse 3 Définition du site e-‐marketing
5
propres fonds. Les marques dont l’offre de brand content est suffisamment étoffée deviennent
des marques médias »4. Cette définition nous permet d’observer différentes évolutions : la
marque ne cherche plus à l’aide d’un message directif à imposer une certaine vision à son
consommateur mais tient à acquérir de nouvelles compétences : les marques partent à la
conquête de la fonction éditoriale. Elles éditent aujourd’hui des magazines, produisent des
jeux vidéos, des courts métrages, des vidéos ludiques ou pédagogiques, elles cherchent à
acquérir de nouvelles compétences toutes autres que celles des publicitaires traditionnels. Les
marques tentent de détenir un statut propre de créateurs de contenus et cherchent à se
comporter comme de véritables médias avec une ligne éditoriale et une offre de contenus
variés. Même si cette stratégie fait aujourd’hui beaucoup de bruit, cette façon de penser la
marque n’est pas nouvelle ; dès le début du siècle on a vu apparaître des opérations que l’on
qualifierait aujourd’hui de « contenu de marque ». Pour exemple, la marque de Cognac,
Hennessy met en valeur depuis très longtemps son attrait pour la musique et organisait dès
les années 1970 des festivals de jazz. Ce qui est nouveau aujourd’hui est d’apposer des termes
sur cette tendance. En donnant un nom à cette stratégie, on reconnaît le brand content comme
une évolution dans le monde de la communication. Aujourd’hui des noms variés sont donnés
pour qualifier ce phénomène au risque de créer la confusion : branded content, branded
entertainement, advertainement, brand utility, marque éditoriale etc. Cette prolifération de
notions met en exergue la richesse et la complexité de ces nouvelles stratégies qui n’ont pas
fini de se réinventer.
Parmi les contenus utilisés les plus populaires, la musique est un contenu culturel
particulier. On peut se demander légitimement pourquoi on entend aujourd’hui tant parler de
« marketing musical » et pourquoi les marques cherchent à devenir un acteur culturel musical
à part entière. Il faut tout d’abord insister sur un fait : tout comme l’émergence du brand
content, cette relation à la musique n’est absolument pas nouvelle. Comme le souligne Jean
Philipe Galan, docteur en sciences de gestion « si les nouvelles technologies de l’information
permettent aujourd’hui aux annonceurs d’utiliser des éléments multimédias dans leurs
publicités, il ne faut pas croire pour autant que la musique accompagne seulement depuis
l’émergence des médias dits de masse tels que la télévision ou la radio »5. En effet, à la lecture
de l’ouvrage de Jean-‐Rémy Julien « Musique et publicité », nous pouvons retrouver des
associations marques-‐musique remontant très loin dans le temps. Dès le Moyen-‐Âge, les
4 Définition se trouvant dans le glossaire de l’ouvrage « Brand Content : quand les marques se transforment en médias » par Daniel Bô, Paris, Dunod, 2009 5 Galan, Jean-‐Philippe, Musique et réponses à la publicité : effets caractéristiques de la préférence et de la congruence musicale. Thèse en science de gestion soutenue le 16 juin 2003. Université des sciences sociales de Toulouse
6
marchands ambulants, autrement nommés les « crieurs de Paris » mettaient en musique leurs
messages qu’ils criaient dans les rues. Avec une harmonie à trois voix, cette musique était
destinée à accompagner et mettre en valeur les propos commerciaux des marchands. L’auteur
propose une étude sémiotique de la musique et affirme que la musique publicitaire est par
essence fonctionnelle et qu’elle s’adresse à une société donnée pour lui faire acheter quelque
chose6. L’étude historique a toujours démontré l’effet coercitif que la publicité exerce sur le
public, que les crieurs de rues ont toujours dû ménager les effets en diversifiant le message, en
cherchant à en renouveler l’expression, la forme et les stratégies de persuasion.
Musique et publicité sont donc loin d’être des notions antithétiques comme nous le
rappelle l’histoire. La musique tout comme le message publicitaire cherche à faire passer un
message en passant par des émotions. De nombreux exemples de chansons à succès ont
prouvé l’influence que pouvait détenir la musique sur les consommateurs. Même des
musiques à l’origine extrêmement critiquées telles que le rap ont prouvé leur contribution
quant à la popularité de certaines marques.
Un des exemples les plus frappants est la chanson « My Adidas » du fameux groupe de
rap Run DMC sortie en 1986, qui est aujourd’hui un hit du top 50 américain. Malgré le titre, les
paroles ne parlent pas vraiment des chaussures mais un message plus profond y est attaché,
un regard critique sur l’Amérique puritaine. Le fonds du message du groupe est la critique du
stigmate apposé sur les jeunes portant des baskets. Leur propos est d’affirmer que l’on peut
être un citoyen positif en portant des baskets tels que les Adidas. Ce morceau, qui n’était
absolument pas sponsorisé par la marque, a eu un impact énorme aussi bien au niveau
musical, sociologique culturel et commercial. La semaine qui suivit la sortie de ce morceau, les
baskets Adidas étaient en rupture de stock dans toutes les boutiques de New-‐York. Par la
suite, la marque a signé un contrat d’un million de dollars avec le groupe. La musique revêt
des caractéristiques à fort impact et donc très intéressantes à développer pour les marques :
elle a une capacité de rayonnement dans un univers entier. Cet exemple de chanson démontre
qu’un simple morceau peut porter toute une culture, un artiste incarnant un style, une
époque. Nous verrons plus précisément que la musique est dotée de caractéristiques utiles à
la création de l’identité d’une marque.
Nous pouvons donc constater d’ores et déjà que communication et musique sont des
notions liées depuis très longtemps et on en arrive à se demander quel est véritablement le
degré de connivence entre ces deux entités. Tout comme les techniques de communication, il
6 JULIEN, Jean Rémy, “Musique et Publicité : du cri de Paris aux messages publicitaires radiophoniques et televises”, Paris, Flammarion, 1992
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est évident que le monde de la musique, dans ses pratiques et ses usages a évolué de manière
intrinsèque.
L’évolution de ces notions est reliée aux changements survenus avec les médias de
masse, tout particulièrement avec l’avènement d’internet et son développement, nommé
communément « Web 2.0 » qui a modifié notablement les relations entre individus mais aussi
entre marques et individus. Le « Web 2.0 » désigne l’ensemble des interfaces permettant
l’échange d’information et l’interaction. Ce terme existe depuis le début des années 2000,
inventé par l’expert en informatique et entrepreneur Tim O’Reilly reconnu notamment pour
l’organisation de la conférence « What is Web 2.0 ? » en 2004. Ce terme est apparu à un
moment critique : l’écroulement de la valeur financière des sociétés opérant dans le Web.
Ainsi cette expression, selon 0’Reilly, a pour but de promouvoir un tournant, le
développement de l’Internet comme une industrie à part entière et un phénomène technique
et social central de la période contemporaine7 . Selon ses propos, le « Web 2.0 » est
l’aboutissement du salut de l’Internet qui repose sur un modèle participatif où l’usager passe
de simple consommateur à véritable générateur de contenus. Cependant cette expression et
cette vision du développement de l’Internet ont fait l’objet de nombreuses critiques d’une part
car la « nouvelle » liberté relatée des consommateurs est à relativiser et d’autre part car ce
terme reste extrêment vague et imprécis ; se sont progressivement rangés sous la bannière du
Web 2.0 diverses activités relevant des industries de la culture et de la communication.
Bouquillion et Matthews pointent du doigt la représentation du web participatif comme un
« réseau naturellement innervé par des acteurs libres » ; ce qui est pour eux un éceuil
idéaliste. Un peu plus tôt, Franck Rebillard a cherché à donner une approche mesurée des
évolutions de l’information et de la culture à l’ère d’internet et a tenu à défendre une vision
critique de la « révolution internet » et du «Web 2.0 »8. De part cette expression marketing
encore trop imprécise et connotée d’idéaux quant à l’avènement d’une nouvelle culture
participative, nous préférerons employer ici d’autres termes tels que « Web collaboratif » ou
« sites de réseautage social ».
7 BOUQUILLION, Philippe, MATTHEWS, Jacob T. « Le Web collaboratif : mutations des industries de la culture et de la communication », Grenoble, PU de Grenoble, 2010 8 REBILLARD, Franck « Le Web 2.0 en perspective : une analyse socio economique de l’internet », Paris, L’Harmattan, 2007
8
Même si les fonctionnalités avancées sont aujourd’hui critiquées, cette évolution
numérique a conditionné une restructuration des pratiques et des usages autour de la
musique mais a aussi modifié significativement les stratégies de communication des marques.
L’avènement des nouvelles technologies a été rapidement suivi du phénomène de
« dépublicitarisation » sur lequel nous nous arrêterons plus précisément dans la suite de
notre réflexion. Plus largement, on se rend compte que les nouvelles fonctionnalités du web
ont opéré un changement profond des pratiques de l’individu, changement qui a un écho sur
l’ensemble de la société et de son fonctionnement. Le web a notamment bouleversé la place de
chacun et chaque protagoniste doit trouver sa place dans ce nouvel univers qui hisse le
consommateur au rang de co-‐créateur. Les capacités d’expression du web offrent notamment
aux marques la possibilité de créer leur audience et de la gérer. Ce rapprochement bouscule
un certain nombre de schémas traditionnels et modifie le rôle de chacun. Les nouvelles
possibilités offertes par le web poussent le consommateur à être toujours plus exigeant face
aux marques qu’il consomme ; celles-‐ci doivent aujourd’hui proposer des contenus toujours
plus innovants. En forgeant leur fonction de « producteur de contenu », les marques poussent
les portes du domaine culturel, ce qui les incite à se transformer en média culturel à part
entière. Nous verrons que les stratégies de brand content s’insèrent dans un développement
plus large qui est celui de la culture de marque.
Ces transformations nous montrent que la communication des marques s’est vue
graduellement teintée du paradigme culturel et que l’on peut aujourd’hui parler de
« culturalisation » dans l’approche communicative des marques. Les nouvelles stratégies
publicitaires des marques sont aujourd’hui regardées comme des composantes culturelles à
part entière. La création du « festival de Cannes Lion » est un exemple probant de la
modification de statut des marques. Chaque année au mois de Juin après le festival de Cannes,
les professionnels de la communication se réunissent pour élire les plus belles stratégies de
communication de l’année écoulée. Selon les mots employés sur le site officiel, ce festival est là
pour récompenser la créativité, les idées et les innovations. Ce champ lexical autour de la
création n’a jamais autant été utilisé qu’aujourd’hui, les marques sont poussées sans cesse à
proposer expériences singulières synonyme d’une culture de marque puissante.
9
A l’ère du digital, l’industrie musicale a tout autant été bouleversée : l’effondrement de
la vente de disques a fait, entre autres, modifier les rôles de chacun. Nous verrons que la
musique s’est aussi teintée d’un aspect communicatif devenu essentiel. Si la musique ne se
vend plus sur disque, elle évolue cependant autrement. Les opportunités offertes avec le Web
2.0 permettent mais aussi imposent aux musiciens de devenir des communicants à part
entière. Au-‐delà de la qualité musicale, le public cherche aussi de nouvelles expériences
digitales avec la musique. Et l’on a vu certains artistes se transformer en professionnels de la
communication sur la toile. Une musique à succès est aussi une musique « virale » comme l’a
confirmé Pharell Williams et son clip interactif de 24 heures qui permet au spectateur de
voyager dans le temps grâce à une timeline9. Ce clip est un exemple des toutes nouvelles
prouesses techniques possibles sur le web qui contribue à part entière au succès d’un tube
devenu planétaire.
Nous nous attacherons ici à questionner ces évolutions dans les stratégies de communication
et dans l’univers de la musique pour comprendre à quel degré ces notions sont-‐elles
réellement solidaires. Les consommateurs définis aujourd’hui comme des publics seront au
coeur de notre réflexion et nous verrons qu’ils sont les acteurs principaux des changements
que nous mettrons en exergue. Nous nous arrêterons sur certaines notions devenues
essentielles, qui doivent être redéfinies pour y apporter les nuances nécessaires.
Nous utiliserons tout au long de ce mémoire des anglicismes propres à l’univers d’internet et
notamment aux réseaux sociaux et nous les ferons apparaître en italique.
9 Annexe Figure 1 p. 93
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Problématique
Ces divers éléments de présentation de l’objet d’étude m’ont amenée à déterminer la
problématique suivante :
Dans quelle mesure le digital offre-‐t-‐il une dimension plus conséquente à une
stratégie de brand content musical pour les marques ?
Afin de répondre à cette problématique, notre réflexion s’articulera autour de trois
hypothèses :
Hypothèse 1 : Le brand content musical, associé à une communication digitale,
s’approprie les valeurs de la musique pour mettre en lumière l’image de la marque.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, nous avons l’intuition que les
marques prennent conscience de l’importance de se doter d’une identité culturelle
forte et pour cela elles n’hésitent à s’allier à des vecteurs puissants tel que la musique.
Pour construire cette réflexion nous reviendrons sur le phénomène en pleine
expansion de ce que l’on appelle aujourd’hui communément le brand content musical
et tenterons d’expliquer cette évolution.
Nous reviendrons ensuite plus précisément sur les fonctions de la musique et
de ses atouts communicationnels puissants qui nous permettront d’expliquer cette
motivation stratégique des marques.
Enfin nous rapprocherons l’avènement du web 2.0 et de ses conséquences avec
les mutations opérées au sein du secteur musical ce qui nous permettra d’éclaircir en
quoi la musique trouve de nouvelles mutations intéressantes pour les marques
notamment à l’ère digital.
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Hypothèse 2 : Les outils de communication digitale permettent de démultiplier les effets du
brand content musical
Si le processus de brand content musical s’est à ce point généralisé à l’ère du Web
participatif, il convient de s’interroger sur le pourquoi et ainsi de mettre en exergue les atouts
du brand content musical via la communication digitale.
Nous reviendrons alors de manière plus poussée sur ce que l’on appelle aujourd’hui la
brand culture, culture de marque aujourd’hui omniprésente sur la toile. Nous verrons que les
outils digitaux permettent entre autre une valorisation des contenus proposés par les
marques mais aussi une mise en valeur des consommateurs dont le rôle s’est largement
modifié pour acquérir un nouveau statut de communauté participative.
Hypothèse 3 : Ces trois éléments Brand content, musique et digital sont des atouts
indéniables pour une marque mais leurs effets doivent être analysés avec certaines limites.
L’étude approfondie du processus de brand content musical à l’ère du digital nous aura
délivré un certain nombre d’enseignements, nous en saurons notamment davantage sur les
facteurs d’un processus de brand content musical fécond. Il est cependant essentiel de
relativiser notre propos afin de ne pas en conclure que nous détenons une formule magique
impliquant nécessairement le succès d’une telle stratégie de communication. Il nous faudra
donc ici poser successivement les mythes et réalités autour des effets du brand content, du
digital et de la musique.
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Choix méthodologiques
Pour étudier la validité de ces hypothèses je me suis concentrée sur une méthodologie
particulière.
Nous allons procéder à la fois à une analyse de discours, de contenu mais aussi une
analyse sémiologique en décryptant des images ainsi que des situations d’énonciation.
Nous étudierons essentiellement les stratégies de trois marques ayant fait de la
musique un pan essentiel de leur identité mais de façon différente : Ricard, Converse et
Hennessy.
Notre corpus se composera du site web « Get loud » de Converse, du site, du blog et des
réseaux sociaux Facebook et Twitter de « Ricard S.A Live Music », et du moyen métrage « The
Art of Blending » orchestré par Hennessy.
A travers l’analyse des sites, blogs et réseaux sociaux des marques Converse et Ricard,
nous avons voulu mettre en lumière le type de discours choisi par rapport à leur stratégie de
brand content musical. A l’issue du visionnage du moyen métrage « The Art of Blending » nous
avons procédé à une analyse sémiologique pour mieux comprendre les intentions de la
marque.
Nous avons mené deux entretiens semi-‐directifs avec des personnalités développant
principalement leur activité professionnelle dans les stratégies de brand content musical. Le
premier est le réalisateur du film « The Art of Blending » dont nous ferons l’analyse tandis que
le second a mis en place un événement digital au cours d’un concert organisé par Ricard S.A
Music Live.
L’analyse d’un corpus imagé, essentiellement des captures d’écrans de sites, de vidéos
ou encore de commentaires sur les réseaux sociaux nous a permis de comprendre les enjeux
d’une telle stratégie sur internet et de les décrypter.
13
Partie 1. Le brand content musical ou comment prendre conscience de l’importance de l’identité culturelle de marque La publicité, la communication, la façon de consommer évoluent avec le temps,
s’adaptent aux moeurs, aux façons de penser.
Nous évoluons actuellement dans une société où la façon de consommer est
entièrement liée aux valeurs auxquelles nous sommes attachés. Cela peut être un acte
conscient ou non mais tout ce que nous achetons ou consommons fait partie de ce que
nous sommes. Les marques ont toujours intégré qu’elles ne peuvent passer à côté de ce
phénomène, leurs produits doivent être remplis de symboles, de significations. Pour se
sentir attaché à un mode de consommation, à une marque, le consommateur doit lier
cette dernière à une culture, à des valeurs auxquelles il adhère.
Aujourd’hui différentes méthodes de communication tentent de répondre à ce besoin, de
communiquer autrement, en ne centrant plus leur propos sur le produit mais sur
l’univers qui l’entoure. Le brand content est l’un des moyens les plus populaires parmi
ceux utilisés aujourd’hui par les marques. Il fait référence à différents univers, en
fonction de l’histoire de la marque pour rattacher son produit à une culture. La musique
est l’une des cultures les plus mobilisées, nous verrons par la suite pourquoi.
Ce phénomène est aujourd’hui sur toutes les lèvres des communicants avertis ;
cependant ce mode de communication n’est pas nouveau, il est en pleine expansion
notamment dans l’univers culturel musical. La musique détient une aura particulière qui
explique l’engouement qu’ont les marques à s’attacher aux valeurs musicales. Ce
phénomène est décuplé par le fait que le digital offre des opportunités exceptionnelles
pour le brand content mais aussi pour la musique plus largement.
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I. Le brand content musical : un phénomène en pleine expansion
Le brand content contourne les méthodes de publicité traditionnelles, une technique de
« dépublicitarisation » comme a pu le nommer Caroline Marti de Montety. Le brand
content n’est pas un phénomène nouveau, notre époque a simplement donné un nom à
un processus qui fait ses preuves depuis bien longtemps. Selon les émotions que les
communicants veulent faire exprimer, les cultures utilisées ne seront pas les mêmes.
Certaines cultures sont plus difficiles que d’autres à faire entrer dans le jeu du brand
content. Parmi celles très utilisées, nous retrouvons la musique car c’est un langage
universel, nous verrons pourquoi cette pratique culturelle est tant appréciée par les
marques.
A) Le rejet de la publicité traditionnelle : phénomène de dépublicitarisation
La publicité traditionnelle est aujourd’hui vivement critiquée et n’est plus appréciée
par les consommateurs maintenant plus « armés » pour décoder des techniques de
communication devenues primaires face aux nouveaux outils. Avec ceux-‐ci les
consommateurs sont plus libres d’exprimer leurs choix, leurs envies et les expriment
clairement aux marques. Notamment avec les nouveaux outils numériques, le
consommateur accède à une place nouvelle, à un nouveau statut, ce qui lui donne la
parole et lui permet d’obtenir plus de prestance face à la marque.
Face au sentiment général, réfractaire à la publicité traditionnelle, cette dernière
utilise de nouvelles formes de communication pour faire parler d’elle. La principale
forme émergente que l’on voit se développer est la communication par la « culture de
marque ». Les priorités ne sont plus les mêmes : les marques cherchent à mettre en
exergue leur identité et non plus leurs produits. Il s’agit donc ici de mettre en avant la
valeur immatérielle de la marque. Aujourd’hui le terme que l’on entend le plus souvent
lorsqu’on parle de développement de l’identité de marque est « brand content ».
L’appellation anglo-‐saxonne utilisée massivement connote l’esprit d’innovation et de
performance ; sa traduction en français est « contenu de marque ». Ainsi, parler de
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contenu de marque ou de brand content, c’est valoriser la transmission de la marque par
différents canaux et principalement intégrer la marque dans des productions
médiatiques et culturelles loin de la publicité traditionnelle. Comme a pu le souligner
Caroline de Montety, l’émergence du brand content a permis de souligner les
défaillances du modèle actuel de la publicité traditionnelle mais aussi la fin de la
crédulité supposée des consommateurs, et le bouleversement de l’accès à la culture
principalement par internet.
Ce phénomène a été largement étudié par Caroline de Montety qui parle notamment
de « dépublicitarisation ». Caroline de Montety a proposé ce terme en 2005 au cours
d’une thèse de doctorat, elle l’a ensuite retravaillé avec Karine Berthelot Guiet et Valérie
Patrin-‐Leclère pour en donner une version définitive. Voici une partie de la définition
qu’elle en donne où elle en décrit le principe :
« La dépublicitarisation est une tactique des annonceurs qui vise à se démarquer des formes les plus reconnaissables de la publicité pour leur substituer des formes de communication censées être plus discrètes.(…).
la dépublicitarisation est l’expression d’une mise en culture des marques destinée à accroitre leur crédibilité ».10
Avec les mécaniques de dépublicitarisation, les marques communiquent autrement
dans le but d’accroître leur visibilité et surtout de faire naître chez le consommateur le
sentiment de la légitimité qu’elles ont à prendre la parole dans l’espace médiatique.
Caroline de Montety met bien en valeur la « mise en culture » des marques, élément
principal du phénomène de dépublicitarisation. En affirmant leur identité médiatique et
culturelle, les marques développent leur « médiagénie » et accentuent leur notoriété.
La culture peut avoir différentes définitions, Caroline de Montety en donne une qui
correspond à ce que recherchent les marques :
« Elle désigne à la fois un ensemble de connaissances, de croyances, de coutumes, de pratiques, apprises par les hommes dans une société donnée à un moment donné sur un territoire donné (…) le langage apparaissant comme élément essentiel de la culture. La culture de masse apparaît quand la société convertit les objets culturels en loisir. »11
10 PATRIN-‐LECLERE, Valérie et MARTI de MONTETY, Caroline et BERTHELOT-‐GUIET, Karine, dossier de texte scientifique du Gripic Celsa Paris-‐Sorbonne, Les métamorphoses de la communication des marques et des médias, 2000-‐2011 11 PATRIN-‐LECLERE, Valérie et MARTI de MONTETY, Caroline et BERTHELOT-‐GUIET, Karine, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation, Paris, Le Bord de l’eau, coll. Mondes Marchands, 2014
16
Cette nouvelle identité, mettant la culture en exergue, bouleverse en outre les rôles
de chacun. Ainsi, le client n’est plus un consommateur passif, un nouveau lien se crée
avec les marques mettant le client plus au centre de la création. Notamment avec la
présence massive des marques sur internet, plus spécialement sur les réseaux sociaux,
les marques instaurent des procédés dialogiques dans un souci d’absoudre une intention
de pouvoir, critique souvent exercée contre les publicités traditionnelles.
La première étape de la dépublicitarisation consiste pour les marques à utiliser des
acteurs culturels tels que le magazine ou le cinéma dans le but de répondre au désir
possible de divertissement et de lever la suspicion que ressentent les consommateurs
face à une publicité traditionnelle.
Comme le souligne Caroline de Montety :
« cette levée de suspicion peut être fugace mais ce laps de temps peut suffire à créer la lecture, à susciter un ‘comme si’ de la croyance favorable à la marque »12
Les appropriations médiatiques constituent une volonté de marquer de son
empreinte l’environnement social et ainsi d’augmenter la crédibilité des marques à
exister dans un certain contexte social. Les marques alors se dotent de certaines valeurs
sociales en fonction du média utilisé. Chaque média a des atouts spécifiques,
susceptibles de valoriser certains aspects de la marque. Le medium utilisé connote le
message et lui donne une saveur particulière. Ainsi les marques ne cherchent plus à
communiquer sur leur valeur marchande mais tente de légitimer leur position au sein
d’un contexte social, de légitimer « l’être-‐là ».
Au-‐delà des espaces médiatiques, les marques tentent de s’immiscer dans la vie sociale
et culturelle des consommateurs. Certaines vont jusqu’à créer leurs propres musées,
expositions ou encore festivals, la ville devient un « terrain de jeu pour les marques »
( La fin de la publicité , p.131). Les marques créent des événements mais la portée
communicationnelle dépend de la médiatisation de ces événements. Caroline de
Montety affirme que « la construction d’événements sert d’embrayeur, dans un dispositif
médiatique global » (ibid., p.134). Le relais dans les médias est donc essentiel, cette
activité est particulièrement développée à l’ère du web participatif où les informations
12 Ibid.
17
circulent extrêmement vite du fait des marques mais aussi du fait des consommateurs
qui contribuent activement à cette propagation de l’information.
Le brand content fait aujourd’hui l’objet de nombreuses études et se trouve au centre de
l’attention des communicants. Pourtant, de nombreux exemples démontrent que c’est
une méthode ancienne, utilisée par certaines marques pour faire simplement parler
d’elles dans un contexte autre que celui de l’achat pur et simple.
B) Brand content : un phénomène ancien mais qui se démocratise largement aujourd’hui
Le brand content est une tendance de fond même si on a mis du temps à définir une
marque comme un agent culturel. Il y a quelques années encore cohabitaient des
secteurs assez étanches où l’on pensait que la culture légitime était véhiculée par des
équipes culturelles valorisant une culture purement intellectuelle, littéraire etc. A
l’opposé, ce qu’on appelait culture populaire avait une connotation dévalorisante, car
elle apparaissait comme une culture non maîtrisée mais construite au fur et à mesure
par le peuple. Le rap est un exemple de cette culture populaire dérangeante longtemps
assimilée à une pratique sauvage car émanant de la rue. Ainsi culture classique et
populaire étaient deux univers inconciliables.
Consciemment ou non, la culture populaire est utilisée depuis des décennies par les
marques pour faire parler d’elles. Cette dynamique a été amorcée dès le début du XXème
avec pour premier exemple significatif le guide Michelin. Créé par une marque de pneus
donc, ce fameux petit guide rouge était à la base destiné aux chauffeurs dans le but de
« donner tous les renseignements qui peuvent êtres utiles à un chauffeur voyageant en
France pour approvisionner son automobile, pour lui permettre de se loger, de se
nourrir de correspondre ». Avec ce guide, Michelin part à la conquête du vaste terrain
symbolique de l’automobilisme. Michelin développe ici tout un univers autour de
l’automobile, du voyage et nourrit ainsi les caractéristiques d’une culture populaire en
plein essor. Avec le temps, le guide sera façonné et deviendra un guide gastronomique.
18
La logique de fidélisation et d’animation d’une communauté de consommateurs se
dessinera très vite avec des conseils pour l’usager. Cet exemple illustre la propension
des marques à investir des espaces où elles n’auraient pas vocation à être présentes
mais qui présente un intérêt fort en terme de visibilité.
Ces tactiques de communication peu analysées à l’époque soulignent cependant
l’envie des marques de s’affirmer et de participer à la vie quotidienne des
consommateurs, de faire partie de la culture populaire. Pour autant il faudra attendre
quelques décennies pour observer la systématisation de ces pratiques et leur
professionnalisation.
En apposant le terme de « brand content » sur cette manière de communiquer, les
entreprises ont mis le doigt sur ce qui est essentiel pour appréhender les attentes du
consommateur : il n’y a pas de contenant de marque sans contenu, et réciproquement.
Ainsi au fur et à mesure, les marques prennent conscience que l’ensemble des
représentations, symboles manipulés par la publicité, la communication est partie
intégrante de la culture. La culture populaire devient une culture intéressante à utiliser
et surtout, à sublimer. Les marques commerciales rentrent ainsi dans la création
culturelle de façon beaucoup plus légitime et en rapport étroit avec la culture populaire.
Chaque marque a donc un enjeu ambigu : intervenir dans la culture populaire tout
en se singularisant des autres marques. Pour que le consommateur se souvienne d’une
marque en particulier, celle-‐ci doit proposer un contenu unique : proposer une
expérience tout en restituant le produit dans un sous-‐ensemble culturel complet.
Le « credo » du brand content : rendre le contenu intéressant avant d’être intéressé.
Le contenu est au coeur de cette méthode, on ne parle plus de simple transmission de
message mais on crée un véritable contenu qui peut être divertissant, pédagogique,
ludique, informatif, etc.
Ce besoin pour les marques de créer un contenu n’est pas nouveau mais ce qui le
caractérise aujourd’hui est l’effervescence autour de cette façon de communiquer, sous
l’effet notamment de plusieurs facteurs : l’essor du numérique, l’obligation de trouver de
nouveaux moyens pour capter l’attention, l’éclatement des canaux médiatiques. Les
individus sont aujourd’hui en permanence sollicités, chaque marque doit donc trouver
des moyens de se rendre singulière.
19
Gerald Zaltman a étudié le fonctionnement du cerveau du consommateur13, il
démontre que le cerveau est une machine qui a besoin de créer des associations pour
mémoriser. Le cerveau crée un ensemble d’idées, consciemment ou non, mais que le
hasard fait ressurgir. En termes de communication, les marques doivent créer des
associations riches et complexes, susceptibles de toucher l’esprit par plusieurs points.
Ainsi, le contenu éditorial doit s’organiser autour d’une histoire complexe qui touchera
l’esprit avec plusieurs niveaux de lectures, reliant les points entre eux, pour que des
associations d’idées se fassent naturellement dans l’esprit des consommateurs.
La création de contenu devient une culture en elle-‐même comme le définit très bien
Daniel Bô qui affirme que « le contenu, c’est un objet de valeur en soi »14. L’enjeu du
contenu aujourd’hui est donc bien celui-‐ci :
« Désormais les marques ne rivalisent plus seulement entre elles, mais avec les autres créateurs de contenus. Il ne suffit plus de sortir du lot : il faut faire passer les intérêts du spectateur avant les siens propres, être intéressant avant d’être intéressé. Il faut concevoir la communication comme un objet intrinsèquement intéressant, susceptible de provoquer une émotion15. »
Ce simple extrait met bien en évidence tous les enjeux actuels pour une marque : la
marque n’est plus une simple entreprise commerciale mais elle devient « créateur de
contenu ». Cette nomination donne une autre dimension à la marque, bien plus
qualitative et réfléchie sur son positionnement. D’autre part, le consommateur est un
« spectateur » : encore une fois, l’individu sort du rang de simple acheteur, la valeur
commerciale de l’individu ne doit plus être au centre. Le consommateur est défini
comme une cible qu’une entreprise vise pour le persuader d’acheter ses produits. Ici le
terme spectateur implique le fait qu’il faut fédérer un public ou une communauté de
personnes communiquant entre elles. Lorsque que l’on est spectateur il y a une
communication à double sens : le créateur de contenu offre quelque chose et en contre
partie, le spectateur s’intéresse à l’univers proposé. Le spectateur joue un rôle différent
de celui du consommateur : l’activité mentale pour la réception d’un message
publicitaire est, en général, minimale et c’est même le but pour que la décision d’achat se
fasse automatiquement. Au contraire dans le cas d’un contenu de marque, c’est le
spectateur qui crée, ou non, des liens, avec la marque. Celle-‐ci doit donc s’intéresser de
13 ZALTMAN, Gerard, How customers Think : Essentiel insights into the mind of the Market, Harvard Business School Press, 2003. 14 BÔ Daniel, Brand content comment les marques se transforment en média, Paris, Dunod, 2009 15 Ibid.
20
plus près aux goûts et valeurs des consommateurs pour s’attirer leurs faveurs et donner
l’envie au public de tisser une relation avec la marque. Autre élément essentiel, la
marque ne cherche plus à provoquer l’acte d’achat mais à susciter des sentiments plus
profonds qui permettent la mémorisation. En ressentant des émotions fortes, le
spectateur se sentira naturellement impliqué.
Ainsi avec le brand content, nous assistons à une véritable mutation dans la culture
de la consommation. La déclinaisons des dispositifs de marketing musical prouve
l’importance de celui-‐ci aujourd’hui. Le brand content musical peut se développer sous
différentes formes : la synchronisation musicale c’est à dire la musique dans les spots
publicitaires, l’endorsement d’artistes qui est l’utilisation de l’image des artistes comme
égéries de marques, le placement de produit, le brand entertainement musical qui
revient à l’association des marques à des événements préxistants (sponsoring, mécénat),
le co-‐branding comme la création de contenus (albums, web séries, magazines..) ou la
création de contenants (casques, applications smartphones, portails musicaux…) etc. En
apposant des expressions marketing caractérisant l’association des marques et de la
musique, cela met en évidence l’expansion de ce phénomène.
Cependant, pour une marque, cette manière d’évoluer est complexe ; s’adresser à un
public, susciter des émotions demande une véritable expertise, un savoir-‐faire, sur
lesquels les communicants doivent travailler. Avec le brand content, les métiers de la
communication évoluent et se diversifient. Créer du contenu est un métier très différent
de celui qui consiste à vendre des produits ou des services. Chaque contenu conçu
comme un prototype est difficilement duplicable.
Parmi les différents univers dans lesquels les marques cherchent à se creuser une
place légitime, la musique est une thématique extrêmement populaire. Nous verrons que
le rapport qu‘entretient le public avec la musique explique l’engouement des marques à
s’investir dans la musique.
21
C) La musique : une culture qui se prête aisément au jeu du brand content
La musique est un contenu culturel particulier car elle bénéficie d’une aura assez
exceptionnelle, comme le sport par exemple qui véhicule facilement un sentiment
positif. Aujourd’hui de nombreux exemples permettent de prouver les effets de la
musique sur la popularité d’une marque. Les marques utilisent différents canaux pour
s’associer à la musique.
La synchronisation, c’est à dire l’utilisation systématique d’une musique en
illustration d’un spot publicitaire, est révélatrice de l’impact de celle-‐ci. Cependant les
publicitaires ont compris l’importance de la synchronisation dans les spots publicitaires
depuis une dizaine d’années. La musique utilisée dans la publicité est aujourd’hui est
une des priorités. Les slogans s’ancrent très facilement dans notre mémoire et ils sont
souvent indissociables d’une marque. Bien avant de se positionner comme un créateur
de contenu, les marques se sont rapidement associées à des artistes dans leur spot
publicitaire. Les marques ont très vite compris l’enjeu d’un univers musical de qualité.
Prenons pour exemple le groupe français de Djs actuellement très populaire, C2C, leur
tube « Down the road » s’est retrouvé dans plusieurs publicités dont celle pour la voiture
Ford Fiesta en France et maintenant pour l’entreprise américaine Dr Pepper.
La musique aide les marques à construire une connexion émotionnelle singulière
avec leur public. Dans un article de Forbes, Eric Sheinkop, musicologue, auteur du livre
« His Brands : How music builds value for the World’s smartest brands », résume bien
l’apport de la musique pour les marques :
« La musique apporte aux marques trois valeurs différentes : l’identité, l’engagement et la reconnaissance. Utiliser la musique pour établir une connexion émotionnelle avec une marque augmente son degré de reconnaissance, crée de l’enthousiasme et du buzz au-‐ delà du cœur d’activité de la marque. Cela renforce le consommateur en lui offrant du contenu à découvrir et partager. »16
Ces caractéristiques ainsi posées, une stratégie de brand content s’accoude
parfaitement à la culture musicale. Comme évoqué précédemment, une marque à l’heure
du brand content ne cherche plus à vendre un produit particulier mais à capter
l’attention et l’intérêt du spectateur en se créant une identité propre. En outre, un 16 OLENSKI, Steve, « Why Music Plays A Big Role When It Comes To Branding », Forbes, (Disponible en ligne : http://www.forbes.com/sites/steveolenski/2014/02/06/why-‐music-‐plays-‐a-‐big-‐role-‐when-‐it-‐comes-‐to-‐branding/), publié le 2 juin 2014, consulté le 24 juillet 2014
22
contenu intéressant, avant d’être intéressé, cherche à prouver l’engagement de la
marque qui doit être engageante pour légitimer son statut et sa place au sein d’un
univers. Enfin lorsqu’une marque s’adresse à une communauté active et non plus un
simple consommateur, elle cherche à être reconnue par le public : il ne s’agit plus d’être
connue mais plutôt d’acquérir une certaine reconnaissance.
La musique laisse une véritable empreinte sur le monde de la communication : pour
satisfaire leur désir de fixer l’attention des consommateurs et d’entrer en
conversationavec eux, les marques ont, avec la musique, une arme redoutable. Si la
marque se dote d’une véritable connaissance dans le domaine musical, elle peut
parvenir à capter des moments uniques pour les spectateurs et capter ainsi leur
attention.
Différentes études sur l’influence de la musique dans les magasins ont prouvé que la
musique joue un rôle décisif dans l’acte d’achat, l’atmosphère peut même être plus
influente que le produit lui-‐même : 77% de personnes interrogées affirment que la
musique crée l’atmosphère idéale dans un magasin17 . Leonard Lee, chercheur à
l’université de Columbia, affirme que la musique influence l’humeur et les émotions. Les
individus, à l’écoute, font plus attention à leurs véritables envies et moins aux
caractéristiques du produit tel que le prix.
Autre point important, la musique est certes un acteur culturel essentiel, cependant
l’univers musical est menacé d’importants problèmes économiques. Avec l’arrivée
d’internet notamment, les nouvelles façons de consommer de la musique, la crise du
disque et la baisse des subventions publiques, les musiciens souffrent de coupes
budgétaires. Dans ce contexte difficile, l’industrie de la musique est à la recherche d’un
nouveau business model ; les marques ont d’autant plus de facilité à proposer des
partenariats moyennant des rémunérations importantes.
Dans une interview accordée à Influencia18, Marcel A. Wiebengan, fondateur de
l’agence musicale « Sizzer Amsterdam » revient sur le nouveau rôle de mécène endossé
par les marques. Selon ses propos, la musique détient une importance cruciale dans
l’identité d’une publicité, de manière positive ou non. La musique associée à une marque
a un impact décisif : elle donne une âme essentielle à la publicité. Les communicants et
17 Entertainment Medias Research, Survey, Mars 2009 18 ADLER, Benjamin, « Les marques deviennent les nouveaux Médicis », Influencia (disponible en ligne : http://www.influencia.net/fr/actualites/tendance,tendances,marques-‐deviennent-‐nouveaux-‐medicis,4528.html), publié le 26 juin 2014, consulté le 30 juillet 2014
23
les professionnels ont tous à gagner de cette collaboration. Wiebengan voit dans le
mécénat artistique une très belle opportunité et croit en la qualité artistique des oeuvres
financées par les marques. Les marques aujourd’hui ont à gagner en terme d’image en se
positionnant en créatrices de contenu de qualité. La publicité a déjà prouvé qu’elle
pouvait être un tremplin de reconnaissance et de succès commercial pour de jeunes
artistes encore inconnus. Converse a déjà financé un studio d’enregistrement pour un
jeune groupe ou encore Nike a lancé le groupe « LCD Soudsystem » en lui permettant
d’enregistrer une mixtape.
Il ne faut donc pas se méprendre : pour offrir un contenu créatif de qualité, l’argent
ne doit pas être un but mais une manière d’arriver au but principal, financer une
passion, la création musicale. Pour ne pas tomber dans le piège de la musique populaire
trop « markétée », les marques doivent « faire de la musique pour la musique », tel est le
sage credo de l’agence Sizzer.
La musique est donc un secteur porteur pour les marques souhaitant tenir un rôle de
créateur de contenu. Nous avons vu précédemment que la musique est propice au brand
content car c’est un langage universel, qui détient une très importante force
d’engagement auprès du public. Celui-‐ci est très facilement influencé par la musique
qu’il écoute. D’autre part, les marques et la musique ont besoin les unes des autres pour
se développer. Il est temps d’analyser les atouts communicationnels de la musique, ses
particularités qui font qu’elle s’intègre particulièrement dans un univers de marque.
II. Les atouts communicationnels de la musique
« Dis-‐moi ce que tu écoutes, je te dirai qui tu es » : ce pastiche pourrait fonctionner.
En effet un genre musical est très révélateur des opinions, des valeurs et des croyances
d’une personne. Un genre musical exprime des particularités culturelles qu’il est
important d’étudier ici. D’autre part, la musique est une véritable « valeur auditive
ajoutée » pour les marques, dûe à de nombreuses caractéristiques. Nous prendrons pour
exemple la communication musicale de la marque de cognac « Hennessy » pour intégrer
la culture de leurs consommateurs principaux : la communauté afro-‐américaine.
24
A) Chaque genre musical exprime des particularités culturelles
Paul Gilroy, sociologue anglais, est un digne héritier des « cultural studies » : son
travail de recherche consiste à explorer l’inconscient culturel de notre société
occidentale moderne. Dans un de ses essais les plus fameux, L’Atlantique noir, Gilroy
réouvre le débat sur les perspectives identitaires. Ce qui m’intéresse le plus ici est
son étude sur l’influence de la musique dans ce débat identitaire et culturel. Gilroy
étant un grand passionné de musique, il s’est aussi intéressé à l’univers culturel de la
musique née de l’Atlantique noir, donc tout particulièrement issue de la culture hip-‐
hop, du rythm and blues, et de la soul.
Dans cet ouvrage19, Paul Gilroy consacre tout un chapitre à la musique qui joue
un rôle « central et même fondateur » dans l’expérience sociale et l’expression
culturelle noire et dont les formes révèlent le processus d’hybridation que l’auteur
cherche à mettre en évidence.
Tout d’abord, l’auteur s’appuie sur l’origine de cette culture musicale. La puissance
symbolique des musiques noires est issue de leurs origines mêmes : celles-‐ci sont
arrivées par les esclaves ; le pouvoir et l’importance de la musique dans l’Atlantique
noir se sont accrus en proportion inverse de la force expressive limitée du langage.
Seules de rares opportunités culturelles leur étaient concédées. La musique était le
seul moyen de communiquer qui leur était autorisé, elle est alors devenue leur seule
arme de rébellion. De cette première analyse de l’origine de la musique de
l’Atlantique noir, Gilroy en tire une première conclusion sur l’étude de la musique :
« Etudier la place de la musique dans l’Atlantique noir signifie examiner la conception d’eux-‐ mêmes qu’ont articulée les musiciens qui l’ont créée, mais aussi l’usage symbolique que d’autres artistes et écrivains noirs ont pu faire de cette musique, et les relations sociales qui ont produit et reproduit cette culture expressive unique où la musique joue un rôle fondamental. Les musiques du monde de l’Atlantique Noire étaient l’expression primaire des particularités culturelles que cette population s’est appropriées et qu’elle a adaptées aux nouvelles circonstances. Détachées de leurs conditions d’existence originales, les bandes sonores de cette projection culturelle afro-‐américaine ont nourri une nouvelle métaphysique de la négritude au sein des espaces publics alternatifs20. »
19 GILROY, Paul, L’Atlantique noir, Modernité et Double Conscience, Cahors, Kargo, 2003 20 Ibid.
25
Gilroy en conclut que l’évolution de la musique est toujours liée au poids culturel
d’origine. Rapportée de l’esclavage, la musique issue de l’Atlantique noir s’adapte au
nouveau contexte social sans oublier sa valeur d’origine, sa perspective identitaire et sa
force politique. La musique s’est mélangée au contexte contemporain occidental mais
n’en perd pas sa valeur d’origine.
Gilroy a étudié tout particulièrement la culture hip-‐hop, qu’il décrit comme le tout
dernier produit d’exportation de l’Amérique noire à rencontrer le succès, notamment en
Grande-‐Bretagne, pays d’origine du sociologue. La volonté politique de cette culture est
évidente, selon l’auteur : volonté éducative et posture péremptoire de nationalistes.
Avec cette force d’expression, les artistes ont créé un mouvement politique, ils ont
élaboré des formes symboliques pour parler de l’identité noire et se distinguer des
« autres ».
Ainsi, les traditions musicales de l’Atlantique noir ont acquis une signification
politique particulière, mais l’idée d’une culture raciale authentique a été soit contestée
soit négligée de manière symptomatique. Le problème des origines culturelles et de
l’authenticité a persisté et revêtu une importance accrue au fur et à mesure que la
culture de masse acquérait de nouvelles bases technologiques et que la musique noire se
muait en un phénomène véritablement global. L’hybridation de la musique noire dans
un contexte occidental contemporain est un véritable débat dessiné entre artistes issus
de cette culture. Le problème ici est de garder une musique authentique, historique,
datant de l’esclavage tout en s’intégrant dans les logiques capitalistes du monde
contemporain. Gilroy donne un exemple avec la musique « pop » :
« La culture pop est prête à soutenir de manière sélective la survalorisation de l’authenticité que souhaitent certains penseurs noirs ; elle a mis à l’oeuvre cette logique spéciale dans la commercialisation de la prétendue world music. L’authenticité accroît la séduction des marchandises culturelles choisies et s’est affirmée comme un élément capital du mécanisme de radicalisation qui s’avère nécessaire pour faire des musiques non européennes et non américaines des articles acceptables dans un marché de la pop en expansion. Le discours de l’authenticité a joué un rôle notable dans la commercialisation massive en direction d’un public blanc, des tomes successifs de la culture populaire noire21».
21 Ibid.
26
La culture hip-‐hop est aussi originaire d’un savant mélange : bien loin d’être sortie
tout droit du blues, elle a lentement émergé de la fécondation croisée des cultures afro-‐
américaines et de leurs équivalents antillais. Le hip-‐hop fait converger plusieurs
dynamiques et s’enrichit de multiples apports. Gilroy rappelle que « les dynamiques
syncrétiques de la forme hip-‐hop s’enrichirent d’un apport distinctement hispanique, et
de l’appropriation des mouvements de breakdance ». Cependant ce mouvement n’est
pas seulement le produit de ces traditions différentes. La place centrale qu’y occupaient
le « break » et les techniques apportées par l’évolution numérique telles que le « cut » et
le « mix » prouve que le hip-‐hop est bien né d’une recombinaison. L’utilisation
symptomatique du « sample » dans la musique hip-‐hop révèle bien cette volonté de
rendre le passé audible dans le présent. Ce genre musical est donc le produit des divers
influences, de différents styles influencés par un but commun : la mise en valeur de la
culture identitaire noire. Ainsi, l’hybridité formellement intrinsèque au hip-‐hop s’est
montrée incapable d’empêcher que ce style ne soit utilisé comme un symbole
particulièrement puissant de l’authenticité raciale. Significativement quand cela se
produit, le mot « hip-‐hop » est facilement remplacé par « rap », préféré à l’autre parce
qu’il est profondément marqué par l’influence ethnique afro-‐américaine.
Paul Gilroy prend l’exemple de l’artiste influent Quincy Jones qui s’est battu tout au
long de sa carrière pour mettre en évidence la participation des Noirs dans l’industrie du
divertissement. Dans son album paru en 1990 Back on the Block, Quincy Jones démontre
de manière persuasive que les divisions générationnelles de la culture et de la musique
afro-‐américaine cachent une continuité de tradition. Jones décrit le rap comme un outil
culturel, dans l’un de ses morceaux « The Dude », il expliqua avoir voulu que ce projet
« intègre toute la famille de la musique noire américaine (…), toutes les musiques du
gospel au jazz font partie de ma culture ». Ces différents genres musicaux sont liés par
l’héritage musical de l’Amérique, une tradition partagée « des griots-‐conteurs africains
que prolongent aujourd’hui les rappeurs ».
Cependant, comme le souligne justement Gilroy dans son ouvrage, il faut prendre du
recul sur cet héritage culturel proclamé par ces formes musicales : « la musique ne peut
se réduire au dialogue figé d’une identité raciale réfléchie et d’une communauté raciale
immuable »22. Il ne faut donc pas tomber dans l’écueil d’une déconstruction superficielle
de la blackness qui ignorerait l’importance de la commercialisation de la musique.
22 Ibid
27
La musique revêt un caractère définitivement culturel ; cependant ce n’est pas la
seule caractéristique de celle-‐ci. Dans une logique capitalistique, l’industrie musicale se
sert de cet atout pour vendre à des communautés particulières qui se sentent proches
d’un genre musical. C’est donc donc un atout indéniable de segmentation des publics.
La musique est un atout communicationnel indéniable pour les marques car d’une
part nous l’avons vu, sa valeur culturelle permet un positionnement précis et d’autre
part certaines caractéristiques immuables à la musique donnent une dimension
émotionnelle particulière à la marque.
B) Un langage universel vecteur d’émotion
La dernière étude de la SACEM23 sur les pratiques d’écoute de la musique démontre
bien la valeur accordée par les Français à la musique. 99% d’entre eux écoutent de la
musique et trois personnes sur quatre affirment qu’elles ne pourraient pas s’en passer.
La musique est présente quotidiennement puisque neuf personnes sur dix écoutent de la
musique tous les jours avec une moyenne de deux heures vingt-‐cinq. D’autre part les
Français aiment la musique de manière active puisque neuf personnes sur dix déclarent
se tenir informées de l’actualité musicale. Même si les médias traditionnels restent les
sources d’informations les plus plébiscitées, internet est la deuxième source avec 47%.
La recherche de découvertes musicales souligne l’implication des Français dans la
musique, ce n’est pas un simple hasard s’ils apprécient la musique, ils cherchent bien à
écouter toujours plus de musique car cela leur procure des sensations qu’ils ne
retrouvent pas dans d’autres loisirs.
Cette étude s’est intéressée aussi à l’impact direct de la musique sur le moral des
Français. Le verdict est sans appel puisque 92% d’entre eux affirment que la musique les
met de bonne humeur. La musique a en effet des vertus exceptionnelles et immuables
qui sont évidemment des atouts communicationnels de bon augure pour les marques.
23 Etude publiée en février 2014 par la SACEM (disponible en ligne http://www.sacem.fr/files/content/sites/fr/files/mediatheque/sacem/presse/etudes/etudes_francais_musique_lieux_de_vente_fev2014.pdf) consultée le 18 juillet 2014
28
L’état d’esprit d’une personne influe fortement sur son comportement, notamment en
tant que consommateur. L’utilisation croissante des musiques actuelles offre pour les
marques une véritable « valeur auditive ajoutée » comme a pu le souligner Jacques
Séguéla24.
Tout d’abord la musique est un langage universel, c’est une forme de
communication qui parle d’elle-‐même Lorsque nous sommes intéressés par cette forme
artistique, la musique procure des émotions qui n’ont pas besoin d’être décodées. C’est
aussi un langage intemporel qui n’a pas de date d’expiration. La musique crée une
mémoire collective et des instants de nostalgie qui donnent une certaine forme de plaisir
aux individus. Ainsi les styles musicaux sont typiques d’une époque que nous aimons
nous remémorer. Par exemple, la soul est intrinsèquement liée aux années 1970 et à la
libération des moeurs. La musique permet donc naturellement des associations d’images
cohérentes qui permet à une marque de se renforcer ou de se repositionner. La musique
est d’ailleurs très liée à l’état d’esprit d’une personne : 87% d’entre elles écoutent un
style de musique en fonction de leur humeur. Nous aimons donc écouter de la musique
dans le sens où elle nous conforte dans notre humeur. C’est d’ailleurs pour cela que le
design sonore d’un lieu de vente est très étudié car il va influencer le comportement du
consommateur. La musique permet de masquer le silence qui est source de stress et,
lorsqu’elle est utilisée à bon escient, elle crée du désir chez le consommateur et ainsi une
volonté d’acheter.
Cette influence que détient la musique confirme son impact émotionnel très
puissant. Les marques sont en perpétuelle recherche d’émotion en voulant toucher plus
l’affect que l’intellect des consommateurs. Ainsi lorsque que l’un d’eux est influencé par
l’environnement sonore d’une marque, il est moins méfiant et sceptique et a plus de
facilité à s’attacher à la marque. Aujourd’hui les émotions musicales sont au coeur de
nombreuses recherches et on a pu démontrer que les réponses émotionnelles à la
musique n’étaient pas uniquement subjectives. Les oeuvres musicales ont une structure
expressive puissante qui permet d’imposer un état émotionnel commun à un grand
nombre d’auditeurs. Cette puissance d’évocation permet de regrouper les
consommateurs en « tribus musicales » et devient donc un véritable facteur de
segmentation des marchés.
24 SAP, Alexandre, Du rock et des marques, Maxima, Paris, 2013
29
Dans son ouvrage Alexandre Sap révèle les points essentiels du contenu de marque que
sont la passion, la relation et l’émotion. Dans un environnement où le digital prend une
place essentielle, la passion et l’émotion créent un engagement social fort. Ainsi, comme
le souligne justement Alexandre Sap « les téléphones portables ont remplacé les
briquets dans les salles de concert. Le public est un ensemble de friends sur Facebook
qui publient, likent et partagent ce moment d’émotion »25.
C) L’exemple de Hennessy : une communication hip-‐hop
Hennessy est une marque de cognac français, qui connaît néanmoins un véritable succès
aux Etats-‐Unis. C’est la marque de cognac la plus vendue aux Etats-‐Unis, et 80% de sa
clientèle est noire-‐américaine. C’est aussi le spiritueux le plus cité dans les textes de rap
avec plus de cinq cent chansons y faisant référence. Cela n’est certainement pas une
coïncidence.
L’entreprise s’est rapidement impliquée dans le domaine de la musique, et tout
particulièrement dans la musique afro-‐américaine par excellence : le jazz. Ce genre
musical fait partie intégrante de la culture afro-‐américaine puisque cette musique est
inspirée des « work songs », chant de travail des esclaves africains. Le jazz est au départ
le symbole de la lutte pour la reconnaissance des Noirs américains et la volonté de
métissage des cultures africaines et occidentales. Hennessy soutient donc la richesse et
l’inventivité du jazz et lance dans les années 1980 la « Hennessy Jazz Search ». Les plus
grands musiciens afro-‐américains sont alors invités à jouer lors de ce festival et un jury
récompense les meilleures prestations.
Cette implication au sein de la culture afro-‐américaine explique l’engouement des
rappeurs américains à citer Hennessy. Le rap étant une nouvelle forme d’expression
artistique des Noirs américains issus de milieux défavorisés, Hennessy se devait une
nouvelle fois de laisser son empreinte sur ce genre musical. Cependant la marque ne
s’est pas tout de suite impliquée dans le rap tandis que le spiritueux est cité dès le milieu
des années 1990 par de grands rappeurs tels que Mobb Deep ou Nas. Au début des
années 1990, ce genre musical est encore très mal reçu, et Hennessy reste en retrait.
Cependant, la marque s’implique dans la culture hip-‐hop progressivement à partir des
25 SAP, Alexandre, Du rock et des marques, Maxima, Paris, 2013
30
années 2000. Dans sa campagne « Never blend in » en 2003, la marque va alors utiliser
l’image d’artistes noirs américains les plus célèbres et reconnus de l’époque. On peut
alors retrouver des portraits classiques de Marvin Gaye, Isaac Hayes ou encore du
rappeur Rakim26. Cela est une réussite pour Hennessy puisque les ventes augmentent de
plus de 50% sur le marché américain.
La véritable stratégie hip-‐hop de Hennessy commence avec la création de la
plateforme musicale « Hennessy Artistry » en 2006. Tous les ans, l’entreprise organise et
finance des événements musicaux d’une très grande ampleur. « Hennessy Artistry » se
déroule dans de nombreux pays mais les concerts les plus fameux se déroulent aux
Etats-‐Unis. Hennessy invite des artistes reconnus dans les différents pays, le genre
musical au sein de ces événements diffère selon le pays pour toucher le plus
précisément possible la clientèle visée. Hennessy Artistry Japan a par exemple invité en
2012, Osaka Monaurail, un groupe mythique japonais de musique Funk, très influent
depuis les années 1990.
La créativité des artistes est au centre même de l’événement. Hennessy artistry a pour
objectif de produire une série d’œuvres qui connecte les plus prestigieuses musiques
avec un visuel graphique et artistique créé par des designers qui dansent sur le même
son. Pour exemple, à la suite de cet événement en 2009, la marque a invité un grand
nombre d’artistes pour exprimer leur créativité autour du thème Henessy V.S bottle,
dans le but de produire cinq nouvelles boites au design soigné et charismatique.
Ainsi les concerts organisés par Hennessy Artistry aux Etats-‐Unis invitent les grands
noms de la scène hip-‐hop. Cette plateforme a été lancée pour souligner le caractère multi
culturaliste de la marque, et lui conférer toujours plus de crédibilité. En s’insérant dans
la création d’événements musicaux, Hennessy justifie son implication dans la culture
hip-‐hop. D’autre part, Hennessy relaie l’information en s’alliant avec des médias
stratégiques proches de cette culture tels que MTV ou Trace TV, créant ainsi un contexte
énergique.
La marque va jusqu’à commander la réalisation d’un film viral « The Art Of
26 Annexes Figure 2 p.93-‐94
31
Blending »27 de trente minutes, diffusé sur les réseaux sociaux, réalisé par Thibaut de
Longeville, reconnu pour son importante connaissance du milieu hip-‐hop et consultant
expérimenté en stratégie de marque. Ce film a donc pour objectif de promouvoir
« Hennessy Artistry » en mettant en avant la qualité des artistes invités. Comme nous le
confirme Thibaut de Longeville, Hennessy avec ce film notamment, cherche à exploiter
la métaphore de l’art du mélange d’un point de vue marketing, “l’objectif de cette serie
de concert, Hennessy Artistry, c’est de montrer qu’avec le mélange d’artistes de scenes
musicales différentes, de générations ou de pratiques artistiques differentes, on créé des
mélanges qui offrent une experience de marque supérieure”. 28
C’est un film en noir et blanc, composé de morceaux de concerts et interviews, le ton
se veut intimiste pour créer une proximité avec la scène hip-‐hop. Le noir et blanc est
utilisé pour rappeler l’univers esthétique du jazz et surtout permet de mettre en retrait
les logos de la marque sur la scène pour se concentrer sur la performance des artistes29.
Ainsi, le film offre une vue perspicace de ce qu’est le hip-‐hop de nos jours : une musique
intellectuelle rassemblant des artistes talentueux et engagés pour créer un genre
musical très esthétique. Durant les premières minutes du film, on y entend la musique
du groupe The Roots avec des images-‐portraits des artistes les plus importants
participant à Hennessy Artistry. Cette introduction permet de se mettre directement dans
l’ambiance voulue par Hennessy, qui met en lumière une musique de qualité interprétée
par des artistes renommés. Les deux premières interviews sont celles de personnalités
extrêmement influentes dans le milieu hip-‐hop, Ahmir Thompson et Erykah Badu, qui
sont tout de suite amenées à parler des valeurs de la musique qu’ils partagent grâce à
une plateforme musicale telle que proposée par Hennessy. Tous les artistes prenant la
parole mettent en avant le fait que la marque de cognac a réussi a rassemblé le meilleur
de la musique sur une scène éclectique. Tous ses artistes définissent ce qu’est la
musique pour eux, bien plus qu’un métier mais une véritable façon de vivre et de penser.
La musique est pour eux un univers à part entière dans lequel ils s’épanouissent et
évoluent. Les artistes partagent leurs histoires personnelles avec la musique, la place
évidente que détient la musique dans leur vie. Avec ces interviews et cette multitude de
concerts, Hennessy cherche à prouver son implication dans et surtout sa proximité avec
l’univers hip-‐hop. Le mot qui revient le plus souvent est « blending » car c’est ici le but de
cette démonstration. La marque cherche à mettre en avant le mélange de cette culture, 27 « The Art Of Blending » réalisé par Thibaut de Longeville (disponible en ligne : http://vimeo.com/26122255) 28 Entretien avec Thibaut de Longeville p. 108 29 Ibid
32
ses différentes influences, son ouverture et sa créativité. Ce film donne une définition de
la musique qui va bien au-‐ delà du plaisir purement acoustique, mais une véritable façon
de penser qui guide les artistes tout au long de leur vie. Hennessy cherche à relier ces
valeurs aux engagements soutenus par la marque. Dans cette stratégie de brand content
musical, la marque a bien compris l’enjeu : « il n’y a pas d’amour mais que des preuves
d’amour » comme l’affirme le poète Pierre Reverdy. Dans cette optique, ce film cherche à
mettre en valeur la philosophie de la musique hip-‐hop et prouve que Hennessy Artistry
s’engage dans le développement de la culture hip-‐hop et participe concrètement à sa
mise ne place.
Lorsque l’on se concentre sur l’affiche du film30, on peut analyser le nom et l’image
des artistes qu’Hennessy met en avant. Le poster nous apprend que le concert a été
organisé par The Roots et Q-‐Tip.
The Roots est un groupe emblématique de la scène hip-‐hop, il est dénommé au sein
de la scène hip-‐hop « la conscience noire », cela n’est donc pas sans lien avec le type de
communication auquel veut aboutir Hennessy. The Roots est l’un des premiers groupes à
poser leur rap avec des instruments, ils ont imposé une formule qui a fait école et forcé
le respect des pairs. Leur musique est un mélange de rap, soul, jazz et funk. Sur la scène
se dégage une aura tout à fait particulière. Le groupe renvoie donc à l‘image voulue par
Hennessy de mélange des genres. D’autre part, point important, The Roots s’est tout de
suite démarqué du « gangsta rap » de l’époque et s’est plutôt inspiré des intellectuels et
leaders politiques noirs. Ils ont toujours conservé vis-‐à-‐vis de l’univers clinquant du rap
une attitude de retrait qui a forcé le respect de leurs pairs. Ahmir Thompson, le batteur,
celui que l’on voit en haut à droite de l’affiche, multiproducteur de rap américain, est vu
comme une sorte de messie. C’est un homme de l’ombre mais qui est à la tête de très
nombreux projets. Ce personnage influent et respecté de tous est à lui seul un des cœurs
les plus vivaces de la musique noire actuelle. On comprend donc le vif intérêt pour
Hennessy de placer cet artiste au centre du film, il est la représentation même de toutes
les valeurs défendues par Hennessy : respect, implication dans la culture noire
américaine, talent, image éloignée du « gangsta rap ».
La seconde personnalité mise en avant est Q-‐Tip, on retrouve des qualités proches
de celles de The Roots et Ahmir Thompson. Il est aussi perçu comme un militant du hip-‐
hop en raison principalement de son implication au sein du groupe A Tribe Called Quest,
30 Annexe figure 3 p. 94
33
considéré comme l’un des groupes les meilleurs et les plus novateurs de l’histoire de ce
mouvement. Les artistes de ce groupe, originaires du Queens, sont les premiers à
critiquer le « gangsta rap » et la tournure machiste que prenait le rap à la fin des années
1980. Q-‐Tip, parallèlement à sa carrière de rappeur reconnu et respecté, est également
producteur de grands artistes de la scène hip-‐hop comme Nas ou Mobb Deep. Ainsi les
qualités que l’on retient d’un tel personnage sont un esprit novateur et créatif, un genre
musical original et une carrière qui impose le respect. Une fois encore, Hennessy
cherche à relier ses qualités à l’événement mis en scène ici dans « The Art of Blending »
et donc in fine à l’image de l’entreprise.
En s’impliquant dans des événements de ce type, Hennessy renforce la crédibilité de
son implication au sein de la culture afro-‐américaine en mettant en avant les qualités de
grandes personnalités hip-‐hop tout en prenant soin de ne pas évoquer directement le
spiritueux. Hennessy veut créer une association d’idées en amenant le produit aux mains
de personnes influentes telles que décrites ci-‐dessus. L’affiche du film tout comme le film
en lui-‐même, en noir et blanc, tend à recentrer l’attention sur les qualités de la personne.
Les images sont très épurées, esthétiques, rien de clinquant, on tente de se focaliser
uniquement sur les valeurs représentées par ces personnalités.
Ce type de production, un film viral d’une trentaine de minutes, a été adapté uniquement
pour un visionnage sur le web. Thibaut de Longeville nous explique la stratégie de viralité
mise en place « il y a eu un dispositif original, une première Facebook, c’est la première fois
que cela se faisait. Pour pouvoir voir le film, il fallait “aimer” Hennessy sur des territoires
géolocalisés. Donc il y a avait une heure de première communiquée pour chaque territoire. Le
film était visible dans cette fenêtre de temps pour toutes les personnes qui avaient “liké” la
page fan Hennessy. Il y avait en amont des trailers qui circulaient, toute une communication
digitale pour que les personnes ciblées soient au courant de la diffusion d’un film d’envergure
avec un line up d’artistes importants, et qu’il y avait simplement deux clics à faire pour pour
visionner ce film. C’est assez novateur comme manière de communiquer autour d’un film ».31
Internet permet aujourd’hui de produire ce type de format qui serait inadaptable sur les
médias traditionnels tels que la télévision ou le cinéma. « The Art of Blending » a été mis sur
la plateforme Viméo : un site web communautaire destiné au partage et au visionnage de
31 Entretien avec Thibaut de Longeville p. 108
34
vidéos faites par les utilisateurs. Un tel site web est donc propice à la viralité des vidéos et à
la mise en valeur des créations d’artistes. Ce type de plateforme permet de faciliter
largement la visibilité d’artistes peu connus mais aussi d’entreprises comme Hennessy.
Internet, tout particulièrement la phase de Web participatif, est une opportunité
pour le secteur musical, car il développer notamment un nouveau type de
consommation qu’il est pertinent de décrire maintenant.
III. L’avènement du web participatif : un atout pour la filière musicale
Le développement d’internet et des technologies de l’information et de la
communication (TIC) ont transformé l’industrie de la musique. Cela a notamment induit
une crise sans précédent du CD, notamment dûe au piratage ; mais cette vision
manichéenne du développement d’internet n’est que trop réductrice.
Le web participatif, est une aubaine pour les secteurs tels que la musique. Tout
d’abord, les différentes plateformes d’écoute offrent de nouvelles façons de consommer
de la musique, l’internaute prend une place importante dans la mise en visibilité des
artistes sur le web et ainsi le grand public adopte de nouveaux comportements grâce
aux différentes opportunités offertes sur internet.
A) De nouvelles façons de consommer de la musique
Le Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP) a publié le bilan 2013 du
marché de la musique enregistrée et il en ressort quelques points intéressants. Même si
le marché physique est encore dominant (61%), le marché numérique a un potentiel
important. Le fait le plus saillant sur ce marché est bien le streaming, avec une nette
progression de 9,6% des ventes numériques. Le bilan du SNEP nous confirme que le
35
streaming séduit de plus en plus de consommateurs qui affiche une progression de 4%
et fidélise aujourd’hui 1,4 million d’utilisateurs en France32.
Les internautes écoutent donc aujourd’hui la musique différemment : actuellement
le modèle le plus en vogue est le streaming légal dont les deux représentants les plus
puissants sont Deezer et Spotify. L’écoute de la musique en ligne a dépassé les
téléchargements de mp3 depuis 2012. Le secteur est extrêmement porteur et les plus
grands s’y mettent : Google, Apple et Amazon.
Cette nouvelle façon d’écouter de la musique est bien plus dynamique. Avec ces
plateformes musicales cela devient une véritable activité participative et non plus une
pratique individuelle. La plupart des plateformes sont conçues d’une telle façon qu‘elles
deviennent de véritables réseaux sociaux. Tout est fait pour que la musique que l’on
écoute soit partagée. Cette volonté de créer une véritable communauté autour de la
musique met en avant les valeurs de partage et de découverte.
Cette volonté de développer la curiosité des utilisateurs est poussée par les
plateformes musicales qui proposent des playlists aléatoires, ou encore listes de
musique en fonction d’un style musical choisi. La recherche de l’internaute est alors
facilitée avec ce mode de fonctionnement. Comme nous l’avons évoqué précédemment,
la musique influence notre humeur, c’est un langage universel, d’autres plateformes
jouent sur cette caractéristique et développent des sites entièrement dédiés à la
découverte. Je pense notamment au site « stereomood » : ce site propose des pistes de
musique aléatoires où en choisissant l’humeur dans laquelle nous nous trouvons, la
musique permet de nous conforter dans cet état d’esprit.
Dans ce sens, internet change notre rapport à la musique puisqu’il offre un nouveau
champ de possibilités. Notre rapport aux autres est aussi modifié puisque l’échange, la
découverte par l’autre devient un point essentiel au sein du web participatif. Cette
nouvelle façon de consommer de la musique est bien plus implicante puisque nous
choisissons de mettre à la vue de tous nos préférences musicales.
Cette nouvelle identité musicale que nous nous forgeons est cependant assez
complexe car elle impose une pression, c’est une tendance narcissique qui tend à
dénaturaliser la valeur essentielle de la musique pour ne devenir qu’un outil utilisé pour
« paraître ». Consommons-‐nous alors la musique pour nous ou pour les autres ? Ici
pourrait-‐on rencontrer la déviance potentielle de ce nouveau mode de consommation.
32 “Le marché de la musique enregistrée bilan 2013 », SNEP, (disponible en ligne : http://www.snepdigital.com/wp-‐content/uploads/2014/02/Dossier-‐presse-‐MIDEM-‐20141.pdf) , publié le 3février 2014, consulté le 20 septembre 2014
36
Emmanuël Souchier s’est interrogé sur l’introduction de l’écran et des nouvelles
technologies dans l’univers de l’écrit33, nous pourrions faire de même pour un univers
culturel tel que celui de la musique. L’écran a remplacé le CD ou bien même le vinyle,
l’individu n’est plus face à lui-‐même mais a pour interface une machine qui change les
comportements individuels. Ces bouleversements technologiques qui privilégient le flux,
l’immatérialité, et la spontanéité définissent une nouvelle vision de l’homme :
« L’homme (anthropologique, social, psychologique…) s’exhibe en affirmant sa
domination sur l’imprimé-‐machine. Etre de trace manuscrite, spatiale et corporelle,
l’homme revendique ainsi son existence au monde »34. Ce besoin de représentation fait
aujourd’hui partie de notre mode de consommation de la musique sur internet et
renforce par la valeur de la musique le sentiment de sa propre identité.
Avec ces nouveaux outils digitaux, le consommateur adopte un nouveau
comportement et peut se sentir plus impliqué dans son rapport à la musique. Une écoute
active de la musique permet aussi de suivre ses artistes préférés, l’internaute entretient
de nouveaux rapports avec ceux-‐ci dont il peut se sentir plus proche.
B) L’internaute, nouveau relais des artistes
La révolution numérique a modifié le travail des artistes : que ce soit dans la
création, la production, la promotion, tout le système a été repensé pour faire face aux
nouvelles demandes et pratiques des utilisateurs mais aussi à celles de artistes. L’artiste
doit faire face à de nouvelles réalités. L’autoproduction est largement facilitée : avant, la
pré-‐production était payée par la major dans un studio, aujourd’hui avec les nouvelles
technologies numériques, un ordinateur, un ampli et un budget minimum peuvent
suffire. A côté de cela une nouvelle dépendance se crée, l’artiste ne peut plus passer à
côté du rôle majeur que détient la communauté sur internet. Il s’autopromeut.
Cependant, pour ce faire, il a besoin d’une fidèle et solide communauté de fans ; une
véritable stratégie sur le web doit être mise en place. L’autopromotion constitue la
pratique la plus visible et le moteur le plus dynamique de la révolution numérique. Cette
stratégie web repose sur un bouche-‐à-‐oreille entre internautes, décuplé et optimisé par
33 Souchier Emmanuël. « L'écrit d'écran, pratiques d'écriture & informatique », in : Communication et langages. N°107, 1er trimestre 1996 34 Ibid.
37
les réseaux sociaux. La première conséquence à ce bouleversement est la redistribution
des cartes jusqu’alors confinées par les canaux de distribution classiques. Le Web
participatif offre un potentiel de promotion inégalé et permet de rendre visibles des
artistes auparavant invisibles. Faire une autopromotion efficace implique une stratégie,
il ne s’agit plus d’alimenter une page Facebook. L’autopromotion implique un nouveau
rapport avec les fans-‐internautes, le public doit se sentir impliqué et surtout les artistes
doivent donner du contenu à partager, un bon contenu au bon moment, engageant des
stratégies pour nourrir leurs fans et entretenir le désir et l’émotion.
Pour obtenir une promotion à la hauteur de leur espérance, certains groupes de
musique n’hésitent pas à s’associer à de grandes marques. En offrant aux internautes un
contenu de qualité, ceux-‐ci n’hésitent pas à le relayer et à s’investir. Aujourd’hui, les
agences de communication et les labels développent de nombreuses campagnes virales.
Air France Music et son agence BETC music ont organisé l’opération « fly with
Phoenix » sur Facebook, qui permettait de gagner des billets d’avion pour un concert
exceptionnel du groupe au Chili. Le fan devait alors rechercher le groupe caché dans l’un
des 70 vols ; si la personne choisissait une place à côté du groupe, elle avait la chance de
s’envoler avec eux.
Ainsi en s’impliquant dans un tel jeu, le fan devient un véritable relais pour l’artiste,
une telle opération permet une visibilité exceptionnelle sur les réseaux sociaux.
L’internaute, consciemment ou non, s’implique en tant que « fan » et partage, avec cette
action, son engouement pour la musique de ce groupe.
L’étude réalisée par le CSA en partenariat avec l’agence The Hours confirme
l’engouement par le grand public pour ce type de collaboration35. Le bénéfice qu’en
tirent les deux parties est bien d’ordre relationnel. Ainsi les marques ne parlent pas pour
ce genre d’opération de retour sur investissement mais bien de « retour sur émotion »
ou de « retour sur engagement »36. Il s’agit bel et bien ici de développer l’engagement du
grand public dans sa relation à la marque et à l’artiste. En proposant des expériences
vivantes et vibrantes avec leurs publics, ceux-‐ci cherchent à développer un relationnel
engageant qui permet de transformer le consommateur en véritable porte-‐parole de la
marque et de l’artiste.
35 Musique et publicité, une histoire en développement, Newsletter SNEP, 2 avril 2014 36 Ibid.
38
Cette nouvelle relation entre l’artiste et son public offre une dimension engageante tout
à fait particulière. Le grand public joue aujourd’hui un rôle tout nouveau pour les
artistes dans l’espace bien particulier qu’est le Web participatif.
C) Le rôle endossé par le grand public sur le Web participatif
Le web participatif transforme les internautes en une communauté, l’individu est
inséré dans un groupe auquel il participe activement. Ce nouveau rôle endossé par le
public a permis aux artistes de demander légitimement un soutien actif de la part de
leurs fans. Je pense notamment au crowdfunding qui se développe largement. Le
financement participatif fait appel au public, existant ou potentiel, et s’appuie sur une
fanbase pour développer la carrière d’un artiste en l’aidant à financer un projet
artistique. Avant l’arrivée des nouveaux outils digitaux, ce sont des techniques qui
n’étaient pas imaginables. Aujourd’hui, comme le dit justement Adrien Aumont, le
fondateur du site de crowdfunding Kiss Kiss Bank Bank, « on peut créer de la musique,
communiquer et lever des fonds depuis son studio »37. En France, les montants récoltés
via le crowdfunding ont triplé en un an ; les projets musicaux figurent au premier rang
des collectes réussies38. Ce n’est pas un hasard si cette méthode de récolte de fonds
rencontre un tel succès. Celle-‐ci s’inscrit dans la suite logique de la nouvelle relation
artiste-‐fan : ce type de collecte est l’occasion pour l’artiste d’étendre sa notoriété à l’aide
d’une communication active autour d’un projet à venir. Pour le contributeur, ce soutien
apporte une double contribution : celle d’être intégré à une aventure créative collective
et celle de recevoir des objets liés à la création.
Le succès que rencontrent ces plateformes informe sur l’état d’esprit des
internautes qui sont, dans un tel contexte, favorables aux collaborations permettant
d’offrir des projets audacieux et créatifs. Les diverses opportunités offertes grâce aux
nouveaux outils digitaux alliés aux nouveaux comportements du grand public sur
internet sont propices au développement du brand content musical.
37 « Crowdfunding, un outil au service de la musique », Mon projet musique (disponible en ligne : http://www.monprojetmusique.fr/temoignage/crowdfunding-‐un-‐outil-‐au-‐service-‐de-‐la-‐musique/), publié le 7 avril 2014, consulté le 4 aout 2014 38 « La musique fait son crowdfunding », Irma, (disponible en ligne : http://www.irma.asso.fr/LA-‐MUSIQUE-‐FAIT-‐SON) publié le 19 mars 2014, consulté le 4 aout 2014
39
Le public développe un nouvel intérêt pour la scène musicale, les internautes
renoncent au CD mais s’investissent différemment. Le Centre national de la chanson des
variétés et du jazz (CNV) a récemment publié des chiffres qui témoignent de l’externalité
positive qu’a le web sur l’affluence aux concerts. En 2011, l’organisme a recensé une
hausse de 13% du nombre de spectacles de variétés et musiques actuelles. Autre fait
intéressant, 90% de ces représentations se font dans de petites salles, le public se
déplaçant pour les genres musicaux les plus sensibles aux évolutions du web tels que le
hip-‐hop, le reggae et les musiques électroniques 39 . Ces chiffres prouvent que
l’engagement sur internet peut aussi se ressentir sur la scène réelle. Même s’il serait
trop réducteur de faire des généralités, ces chiffres annoncent une approche différente
de la musique sur internet. Avec les outils performants proposés sur le web, certains
consommateurs sont plus intéressés par la découverte et le développement de leurs
connaissances et de leurs capacités à s’impliquer dans un domaine.
Malgré le sentiment de liberté supposé sur la toile, le comportement des
consommateurs et leurs actions sont guidés et contrôlés dans le but d’aboutir à la
communication voulue par les marques. Ainsi le Web communautaire est bien un atout
communicationnel pour les marques si elles régissent savamment leurs relations avec le
grand public. Dans ce contexte, nous avons vu, dans le développement du nouveau mode
de communication selon le principe de dépublicitarisation, la place particulière accordée
par le grand public à la musique. Il est donc cohérent que de plus en plus de marques
s’attèlent à une communication telle que le brand content musical. Dans cet exercice
difficile où la marque doit dévoiler ses multiples facettes, la partie digitale est un aspect
essentiel car elle permet une mise en valeur des possibilités développées par le brand
content.
39 Vion-‐Dury Phlippe, « Internet, ce qui pouvait arriver de mieux à la musique », Le Nouvel Observateur, (disponible en ligne : http://rue89.nouvelobs.com/rue89-‐culture/2013/04/19/numerique-‐detruit-‐ni-‐musique-‐ni-‐les-‐artistes-‐241593) publié le 19 avril 2013, consulté le 23 juillet 2014
40
Partie 2. Une mise en exergue des atouts du brand content musical par la communication digitale
Il serait maladroit pour une marque de se lancer dans une communication telle que
le brand content musical sans percevoir tout ce que cela implique.
Lorsqu’une marque s’engage dans un processus de dépublicitarisation, elle valorise
d’une part un contenu mais plus encore sa culture, caractéristique essentielle de son
identité. Le brand content est intrinsèquement lié à la brand culture qui crée un univers
particulier se nourrissant des tendances et modes de vie. La valorisation de la culture de
la marque permet de produire du sens et donne la vision du monde qu’elle veut faire
partager. La brand culture est aujourd’hui un pilier d’une stratégie durable dans la
gestion d’une marque. Ainsi, une marque ne doit pas simplement proposer du contenu
mais valoriser et développer sa culture et pour cela il convient qu’elle se dote d’éléments
tels que le digital.
En plus de mettre en lumière l’aspect culturel de la marque, le web valorise le
contenu en lui-‐même, il lui confére une autre dimension avec des techniques de
communication propres à l’espace digital.
Enfin, comme nous l’avons évoqué précédemment, le consommateur/public dispose
d’une place particulière sur internet, dans une logique de contenu de marque. Il est
essentiel de transformer le consommateur en véritable public ayant une place centrale
dans une stratégie de contenu de marque. La marque doit développer un lien particulier
avec ses consommateurs et le web, notamment les réseaux sociaux facilitent aujourd’hui
cet échange indispensable.
41
I. Le digital : un atout indispensable pour passer du brand content à la brand culture
Avant de continuer notre réflexion, il faut avant tout définir la notion de « culture »
pour l’appliquer aux marques. Pour l’Unesco, la culture désigne « l’ensemble des traits
distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société
ou un groupe social ». Cette définition permet de faire plusieurs constats sur l’évolution
que doit suivre la marque. La marque n’est pas une entité strictement commerciale qui
propose des biens, elle ne doit pas se réduire à un simple discours mais doit être chargée
de sens, elle passe aussi par des images, icônes, des objets et des façons de faire. Dans
notre société, l’accumulation des biens, la crise économique, font que les
consommateurs sont à la recherche de sens et de repères structurants. La
mondialisation a permis une acception plus large du mot « culture » : il désigne un
phénomène social qui articule l’expérience de la vie quotidienne. Cette théorie est
particulièrement significative dans le contexte de la révolution médiatique qui est le
nôtre, où l’imprimé perd de plus en plus de terrain face à la technologie, à l’audiovisuel
et au digital40.
L’émergence de la culture de marque s’appuie sur la prise de conscience que la création
de contenu de marque n’a aucune valeur sans la production de sens. La marque telle
qu’on la définit aujourd’hui n’est plus un simple producteur de biens mais se complète
dans un univers chargé de sens, de symboles où s’articulent des valeurs et des pratiques.
Ainsi la création de contenu sans dimension culturelle est dépourvue d’intérêt.
Le contenu est un moyen lorsque la culture est une fin : il permet d’instaurer un
univers auquel le consommateur s’identifie, mais il doit être le moyen de préparer le
terrain d’une relation vivante et riche avec un consommateur fidèle puisqu’intéressé par
l’univers de la marque. Ainsi l’objectif ultime d’une politique de contenus est le
développement d’une stratégie culturelle riche de sens.
40 Bô, Daniel, Brand culture : développer le potentiel culturel des marques, éd. Dunod, Paris, 2013
42
La marque doit être une entité vivante, toujours en évolution qui donne à vivre des
expériences. Pour développer une culture riche de sens, elle doit entretenir un univers
créatif singulier. Enfin, dans notre société contemporaine, la place du numérique étant
croissante, l’interactivité est un critère essentiel de la culture de marque.
A) La marque doit donner à vivre une expérience
Les marques cherchent à créer de véritables « événements » au sens médiatique du
terme.
Jocelyn Arquembourg41 s’est intéressée à la construction médiatique des événements, à
l’analyse de leurs rôles exacts au sein de ces pratiques de construction et s’est interrogée
sur la dimension narrative de l’information. L’auteur a étudié les grands récits
médiatiques qui ont fait l’histoire tels que le tsunami ou le couronnement de la reine
d’Angleterre, mais je pense qu’il est intéressant de rattacher cette réflexion à notre sujet.
Les marques cherchent aussi à créer de grands événements médiatiques pour faire vivre
une expérience marquante à leurs consommateurs. C’est dans ce sens qu’elles façonnent
aussi leurs événements par l’intermédiaire des médias, notamment par internet.
Les médias ont le pouvoir de donner un caractère disruptif ou non à l’événement. Ils
vont permettre de donner du relief à l’événement, et ainsi transformer celui-‐ci en
véritable expérience pour le public.
Eliséo Veron en donne une définition particulièrement intéressante en considérant que
« les événements sociaux ne sont pas des objets qui se trouveraient tous faits quelque
part dans la réalité et dont les médias nous feraient connaître après coup les propriétés :
ils n’existent que dans l’exacte mesure où les médias les façonnent »42. Selon ses propos,
la dimension événementielle n’existe pas en soi mais seulement dans la mesure où les
médias en parlent. Les médias façonnent les événements qui correspondent alors à
l’ensemble des strates de discours qui se répondent d’un support médiatique à un autre.
41 Arquembourg, Jocelyne « L’événement et les médias »,Paris, eac, 2011 42 Veron, Eliseo « Construire l’événement, les médias et l’accident de Three Miles Island, Paris, èd. de minuit, 1981
43
L’événement est façonné pour raconter une histoire, Jocelyne Arquembourg
l’énonce justement :
« L’événement appelle le récit, à la fois comme une activité de détermination qui permet de décrire et d’expliquer les faits et comme une activité de compréhension qui permet d’en exprimer le sens. Dès lors que les médias essaient de rendre compte de ce qui arrive, ils mettent en oeuvre des opérations, qui, à bien des égards, relèvent d’une mise en récit.43 »
Rapporté à la logique communicationnelle d’une entreprise, le processus de création
de contenu crée des événements, des expériences à vivre d’une part pour poser les
limites du contexte et d’autre part pour légitimer l’implication de la marque dans un
univers thématique. Dans la constitution de tels événements, les médias sont les
médiateurs entre la marque et son public, ils se focalisent sur les points essentiels sur
lesquels veulent se concentrer les marques. Leur rôle est donc d’instaurer une relation
entre l’énonciateur et le destinataire et de mettre en valeur l’aspect concret de leur
démarche.
Internet a cette force de donner à vivre une expérience plus intense au public. Le
brand content connaît aussi des changements et doit mettre au point de nouvelles
architectures éditoriales pour toucher au mieux son public. Le Web participatif offre
aujourd’hui des contenus innovants, qui ont une force de mémorisation que les marques
se doivent d’exploiter. En se positionnant avec des expériences innovantes (nous allons
en analyser un exemple ci-‐dessous), la marque assure au public un moment unique. Les
consommateurs cherchent à utiliser les nouveaux outils offerts par internet, l’important
est de répondre à une vraie attente média du consommateur. Dans le contexte actuel de
saturation des contenus, la marque se doit d’innover. Avec la révolution numérique, le
format vidéo se démocratise, les messages sont souvent plus simples à appréhender.
Exemple intéressant de l’utilisation cohérente des nouvelles fonctionnalités
digitales, le cas Paco Rabanne. Avec sa ligne de parfum Black XS, la marque cherche à
devenir un acteur de la scène rock. Ainsi en mars dernier, pour le lancement du nouveau
parfum, la marque s’est associée au magazine Be et a proposé un nouveau type
d’opération spéciale. Les lecteurs posaient simplement leur smartphone sur la
couverture du magazine pour lancer la lecture d’un album cinq titres exclusifs des
Plastiscines. Cette opération, réalisée par Universal Music and Brands, était soutenue 43Arquembourg, Jocelyne « L’événement et les médias », Paris, eac, 2011
44
par des contenus exclusifs à retrouver sur le web et les réseaux sociaux du magazine Be,
des Plastiscines et bien sûr de la marque Black XS. La marque depuis son lancement en
2005 se lie à la musique, elle a d’abord été partenaire du festival Les Inrocks, elle a
ensuite créé un label musical puis un site web « Be a rock star » proposant un contenu
musical exclusif ainsi qu’un concours permettant à de jeunes talents d’enregistrer leur
premier album. Ainsi avec des partenariats, des contenus exclusifs à retrouver sur un
site dédié et les réseaux sociaux, la marque fait vivre à ses fans une expérience
particulière à retrouver exclusivement sur internet.
Avec ces expériences, les marques offrent une communication plus directe, concrète,
et incarnée. Le recours à des figures de people qui incarnent des valeurs de la marque et
les transmettent mieux qu’un long discours en est un exemple, cette volonté n’est pas
nouvelle mais la façon d’y parvenir est innovante. L’essor de la communication
événementielle marque aussi le besoin d’une expérience sensible immédiate qui fasse
vivre dans l’instant les valeurs et l’univers de la marque et forge un ancrage concret de la
marque dans l’univers dévolu.
Cette dimension événementielle est essentielle car la culture doit se donner à voir et
à vivre, il est primordial de permettre aux consommateurs d’en faire l’expérience et d’en
éprouver la profondeur. La culture ne doit pas être seulement un champ de
représentations mais un champ d’expériences vécues. Autre aspect essentiel du
déploiement d’une culture vivante : elle se doit d’être complexe et doit se développer
sans cesse dans la création de nouveaux objets, de nouvelles pratiques, de nouvelles
oeuvres.
B) La culture de marque : un univers créatif
La culture de marque se traduit comme un univers riche de sens, pour cela la
marque doit avoir une densité symbolique comprenant plusieurs caractéristiques telles
que l’histoire, la technique, le style, les contenus, la publicité etc. Tout cet ensemble
foisonnant participe à alimenter l’univers créatif de la marque.
45
Aujourd’hui le consommateur est sollicité de partout, on lui envoie des messages,
des images qui demandent à être réinterprétées en flux continu. Sur cette vaste scène, il
existe bien des noeuds, des lieux formant des espaces sémantiques où l’individu se
repère. La notion de densité sémantique rapportée à la marque est analysée par le
sémiologue Raphaël Lellouche :
« L’objet et la communication des marques sont régis par ces mêmes principes de densité et de saturation : ‘plus je regarde, plus je vois’ et ‘plus je m’intéresse, plus je découvre’. Une marque est un objet à tiroirs qu’on n’a jamais fini de regarder, qui réserve toujours des surprises dans la multiplicité de ses expressions. La production de contenus permet en particulier aux marques d’exprimer pleinement leur niveau de densité immatérielle, au même titre que la densité visuelle véhiculée par exemple par la publicité : les marques peuvent désormais faire comprendre plus facilement aux consommateurs intéressés par une marque ‘plus y vont s’y pencher, plus ils vont découvrir’.44 »
Selon Raphaël Lellouche, c’est en offrant un univers riche, aux différentes strates, à
plusieurs degrés de lecture que la marque donnera envie à l’individu de s’y intéresser
plus précisément et de ne pas « zapper ». Avec l’arrivée de nouveaux médias, notamment
d’Internet, la sollicitation permanente, la profusion de contenus éphémères ont conduit
à une culture du « zapping » où nous nous habituons à évacuer une information aussi
vite que nous l’avons consommée. La densité sémantique telle que définie par Raphaël
Lellouche est une valeur précieuse pour la marque mais d’autant plus difficile à
instaurer dans un tel contexte. La présence d’une marque dans un champ aussi compact
exige de ne pas se limiter à des actes de communication rares et isolés, la marque doit
associer une grande quantité, une grande qualité et l’utilisation de nombreux canaux.
D’autre part, un contenu de marque créatif doit développer sa « générativité »,
concept formé par Noam Chomsky ; un contenu doit pouvoir se démultiplier, et au fur et
à mesure laisser entrevoir différentes formes. Chaque contenu doit pouvoir être le début
d’un autre contenu et ainsi démontrer la profondeur sémantique de la marque. C’est-‐à-‐
dire qu’il doit s’inscrire dans une logique de démultiplication et de constitution de
patrimoine.
Avec la révolution technologique, les marques ne contrôlent plus la totalité de leur
contenu. Pascal Somarriba, consultant marque médias, parle de « l’hypertexte ouvert de
la marque ». L’hypertexte est une notion dont l’ambiguité a été révélée notamment pas
44Bô, Daniel, Brand culture : développer le potentiel culturel des marques, éd. Dunod, Paris, 2013, p.74
46
Yves Jeanneret dans son ouvrage « Y’a-‐t-‐il vraiment des technologies de l’information ? ».
Cette notion définit l’activité de textualisation sur le réseau, permettant l’accès à un
monde de données interconnectées. L’hypertexte serait « ouvert et non clos, bifurquant
et non linéaire, orienté vers le lecteur et non contrôlé par
l’auteur ».45Traditionnellement l’entreprise avait la main sur l’émission de ses textes,
aujourd’hui nous sommes passés à la cohabitation entre textes contrôlés et textes non
produits par la marque. Pour Pascal Somarriba, « l’hypertexte » est une nouvelle
opportunité pour les marques qui font face cependant à de nouvelles interrogations
notamment sur la gestion des textes incontrôlés et l’image véhiculée pour la marque.
Certaines marques se sont déjà positionnées en permettant ouvertement l’interprétation
et l’appropriation de ses textes par le public. Comme le conclut justement Pascal
Somarriba, « par ce biais, l’entreprise exprime sa capacité d’adoption et sa disponibilité
collaborative encourageant l’incorporation de contributions créatives et culturelles
émanant du ‘dehors’. Ainsi géré, l’hypertexte contribue à enrichir le sens de la
marque »46.
Cet exemple d’hypertexte démontre la valeur créative des nouveaux outils de
communication acquis sur Internet. L’espace sur le web offre une liberté d’expression
importante, propice au développement de l’univers créatif de marque. Etant un médium
relativement nouveau, nous trouvons moins de codes préétablis, ce qui permet pour la
marque, mais aussi les consommateurs, de développer un espace de création plus
important.
La créativité suit cependant elle aussi des règles. Pour être riche de sens, elle doit
avant tout être cohérente et dégager une ligne directrice. Une culture de marque doit
faire converger les signaux faibles émis par la marque elle-‐même et les mettre en valeur
comme expressifs de la culture. Pour cela il existe différentes positions que la marque
peut adopter. Lorsque l’on prend l’exemple de Hennessy, la marque s’est appropriée un
thème original et a défini un territoire culturel qui est celui du hip-‐hop. A partir de là, la
marque devient un acteur culturel en se plaçant sur la scène musicale, principalement en
montrant sa présence dans d’autres formes telles que le graphisme. Entre autre la
marque a demandé à l’un des artistes graphistes les plus reconnus, Futura 2000, de
revoir le stylisme de la bouteille pour une édition limitée du spiritueux. 45 Jeanneret Yves « Y’a-‐t-‐il vraiment des technologies de l’information, Septentrion, Paris, 2011, p.172 46 Bô, Daniel, Brand culture : développer le potentiel culturel des marques, éd. Dunod, Paris, 2013, p.77
47
Toutes les manifestations d’une marque doivent dépendre d’un lien organique
commun, la marque doit être créative tout en restant cohérente, elle doit refléter une
vision du monde.
L’univers créatif de la marque déployé sur internet doit être complété par les
multiples canaux sur lesquels la marque doit jouer. Pour mettre en valeur sa créativité,
la marque doit être présente en simultané sur le plus de fronts possibles. Même si la
présence des marques sur les sites, blogs, réseaux sociaux est aujourd’hui une condition
sine qua non d’une importante visibilité, des tests consommateurs consacrés au brand
content ont prouvé l’impact des canaux physiques (produits, lieux de vente, etc.) car le
consommateur appréhende le contenu avec son corps et l’ensemble de ses sens47. Ainsi
une communication qui se limiterait au petit écran mobiliserait uniquement le cerveau
et aurait un impact limité. C’est pour cette même raison que les outils digitaux doivent
travailler sur le concept de « réalité augmentée » pour avoir toujours plus d’influence
sur le comportement des consommateurs. Le contenu sera mémorisé bien plus
facilement s’il fait appel aux sens de la personne. La réalité augmentée désigne les
différentes méthodes qui permettent d'incruster de façon réaliste des objets virtuels
dans une séquence d'images. Elle s'applique aussi bien à la perception visuelle
(superposition d'image virtuelle aux images réelles) qu'aux perceptions proprioceptives
comme les perceptions tactiles ou auditives. Les possibilités offertes par les nouvelles
techniques numériques alliées aux contenus construits dans le réel peuvent permettre
de pallier ce manque de sollicitation des sens ressenti lors des tests consommateurs.
Nous verrons plus précisément par la suite la valorisation des contenus apportés par les
outils digitaux.
Ce besoin de faire travailler les sens se traduit pour le public par une volonté
d’interactivité. Aucune culture ne grandit dans l’isolement, elle se construit et s’enrichit
au fur et à mesure de différents contacts.
47 Ibid. p.83
48
C) L’interactivité : un critère essentiel de la culture de marque
La marque est un organisme relationnel qui se nourrit à deux niveaux : d’une part,
de relations interculturelles, les marques fortes contribuent à enrichir la culture autant
qu’elles lui empruntent des éléments constitutifs. D’autre part, la culture est le socle de
relations interhumaines en construisant une relation symbolique forte avec le public.
La culture est par définition construite par son environnement, elle est perméable
aux mutations et doit s’adapter de manière stratégique aux stimuli et aux provocations
extérieures. Elle tire sa richesse de son ouverture et de sa capacité d’adaptation. La
capacité pour une marque de se fondre dans un univers numérique en permanence
sollicité, faisant face à des usages qui lui échappent, permet à une marque de travailler
sa capacité d’interactivité avec son environnement. Le pôle de densité symbolique
travaillé par la marque, sa densité sémantique explicitée précédemment, doit montrer sa
capacité d’adaptation aux stimulis extérieurs qui sont nombreux. Ces derniers peuvent
être les communautés, les tendances sociétales, les usages ou encore les évolutions
technologiques. En étant toujours à l’écoute des sollicitations extérieures, les marques
contribuent au développement de la culture, cela peut être d’un point de vue matériel
et/ou symbolique. Les marques empruntent des formes symboliques à la culture
environnante en émettant dans l’espace public des images et discours remplis de sens.
Pour donner un véritable poids sémantique et procurer des émotions, les marques
n’hésitent pas à jouer sur la métaphore et la métonymie dans leurs discours. Le
philosophe et théoricien du XVIIIème siècle, Dumarsais s’est penché sur le plaisir
procuré par ces figures de style. Ces tropes sont particulièrement intéressants selon lui
car ils disposent d’une grande richesse de sens, et reposent sur un échange intersubjectif
dense entre l’émetteur et le récepteur. Lorsque ce dernier comprend les intentions du
locuteur, il éprouve alors un sentiment de satisfaction car il se sent appartenir à un
cercle d’initiés48. Dans un contexte communicationnel de marque, cette analyse pourrait
se traduire par le fait qu’une marque, en offrant un message à décoder, permet au
consommateur de se sentir appartenir à un même cercle culturel et construit alors une
interactivité forte de sens.
Prenons toujours l’exemple de Hennessy, les campagnes de la marque se sont
toujours appuyées sur une idée forte : « The art of blending », autrement dit « l’art de 48 Michele Prandi, « Métonymie et métaphore : parcours partagés dans l'espace de la communication », Semen (disponible en ligne : http://semen.revues.org/2386) publié le 1er février 2007, consulté le 31 juillet 2014
49
mélanger ». Compris au sens littéraire, la marque se positionne comme un précurseur
dans la mixologie, qui est cet art du mélange des boissons pour réaliser des cocktails.
Dans le film « The Art of Blending » justement, de courtes scènes mettent en avant les
artistes dégustant un cocktail Hennessy. Cependant, ce message est bien une métaphore
pour parler d’un aspect culturel plus riche de sens, à savoir la valeur accordée au
mélange dans la culture musicale du hip-‐hop. Les interviews des artistes expriment cette
volonté qui est de mixer les genres, les différentes inspirations pour créer une culture
unique qui est propre au hip-‐hop. Les amateurs du cognac Hennessy déchiffreront ainsi
le message de l’entreprise. En utilisant des icônes archétypales de cette scène musicale,
et un discours rempli de métaphores, la marque joue peu sur la composante explicative
mais privilégie la séduction en exploitant des procédures axées sur les croyances et les
jugements de valeur.
Cependant, il est important de s’arrêter sur la notion d’interactivité qui est remise
en question par de nombreux auteurs, notamment à l’ère du Web participatif. Que veut
dire exactement cette notion et peut-‐elle être vraiment appréciée sur Internet ? Cette
notion s’est largement popularisée, notamment avec le développement des médias
informatisés, mais on y voit aujourd’hui un certain abus de langage. L’interactivité a été
très vite rattachée à la révolution numérique, où le développement des outils digitaux a
permis de définir une nouvelle posture du récepteur qui devient co-‐auteur. La
« polychrésie » de cette notion, comme l’emploie Yves Jeanneret, permet de se
demander réellement ce que cache comme idéologies cette notion d’interactivité.
Yves Jeanneret dans son ouvrage « Y a-‐t-‐il (vraiment) des technologies de
l’information » définit la notion d’interactivité comme une métaphore car cette
thématique attribue à la machine la capacité d’agir comme nous49 et met en garde la
confusion entre le machinique et l’humain. Yves Jeanneret réfute l’idée qu’il y ait
interaction avec la machine car celle-‐ci est dépourvue de sens et sans intention il n’y a
pas de véritables actions.
Si l’on s’attache à la définition de nombreux auteurs, les outils digitaux ne permettent
pas de parler littéralement d’interactivité. Catherine Kerbrat-‐Orrechioni interroge la
définition d’interaction, cela implique pour elle une coproduction et une coprésence,
deux actants qui travaillent à produire quelque chose ensemble50. Elle va plus loin dans
49 Jeanneret, Yves, « Y a-‐t-‐il (vraiment) des technologies de l’information ? », Lille, PU du Septentrion, 2007, p.166 50 Kerbrat, Orrechioni, « les discours en interaction », Paris, Armand Colin, 2005, p.16
50
sa définition en s’appuyant sur la réflexion de Goffman et suppose qu’il doit y avoir une
présence physique. Selon l’auteur :
« La notion d’interaction implique que le destinataire soit en mesure d’influencer et d’infléchir le comportement du locuteur de manière imprévisible alors même qu’il est engagé dans la construction de son discours ; en d’autres termes, pour qu’il y ait interaction, il faut que l’on observe certains phénomènes de rétroaction immédiate »51.
Cette définition écarte la notion d’interaction pour les médias informatisés car même si
la machine répond à l’homme, c’est une réponse automatique, la machine ne questionne
pas le sens de ses réponses.
Si l’on ne peut pas parler d’interactivité à proprement parler, les médias
informatisés offrent bien un simulacre de l’interactivité. Il ne suffit pas de s’arrêter à la
définition de la notion pour en comprendre le véritable sens. Proulx et Sénécal ont
réfléchi à la valeur donnée dans notre société à l’interactivité :
« Cette problématique de l’interactivité participe au premier chef, de la construction de la norme idéale à atteindre en matière de communication qu’il s’agisse des interactions inter humaines ou entre humains et machines ».52
L’interactivité est avant tout une idéologie, elle se construit en grande partie par les
discours sans fondement scientifique véritable. Elle n’est donc pas tant de l’ordre de la
réalité technique mais de la représentation sociale et de l’élaboration discursive de la
réalité. Cette notion sert bien de « référent imaginaire global » comme l’a annoncé
Catherine Guéneau53. En apposant ce mot sur un objet difficile à définir, les utilisateurs
soumettent une valorisation positive pour s’approprier l’objet et en imaginer un usage
bénéfique. On déplace un objet technique complexe vers l’évidence que cela apporte
quelque chose au niveau social. Eleni Mitropoulou met en lumière que l’effet de croyance
est fondamentale : en cas d’interactivité, le récepteur a l’air d’être celui qui choisit, or
tout est programmé à l’avance, l’utilisateur aura le simple choix d’opérer ou non
l’activation d’un contenu54. Les différents construits sémiotiques au sein des médias
informatisés valorisent le rôle du récepteur et lui donnent l’impression d’être actif. Un
51 Ibid. 52 Proulx Serge et Sénécal Michel « l’interacitivité technique, simulacre d’interaction sociale et démocratie ? », TIS, 1995 53 Guéneau Catherine « L’interactivité, une définition introuvable » dans Communication et langages, 2005 54 Mitropoulou, Eleni « Média, multimédia et interactivité : jeux de rôles et enjeux sémiotiques, dans Actes sémiotiques (disponible en ligne : http://epublications.unilim.fr/revues/as/4540), publié le 2 mars 2007, consulté le 12 décembre 2013
51
dispositif interactif dans les médias informatifs est plutôt un dispositif donné comme
interactif.
L’interactivité reste donc une notion essentielle dans notre sujet pour donner le
pouvoir au public de faire partie intégrante de la culture dans laquelle les individus
s’engagent et les marques évoluent.
Nous l’avons expliqué, pour que la marque soit dotée d’une culture riche de sens,
elle doit savoir mettre en valeur un contenu instaurant un univers auquel le
consommateur adhère et s’identifie. Les outils digitaux permettent aujourd’hui
d’enrichir un contenu et de valoriser le fond du message en rendant la forme tout aussi
intéressante.
II. La valorisation du contenu grâce aux outils digitaux
Comme on a pu l’analyser avec la notion d’interactivité, les médias informatisés offrent
aujourd’hui un discours mais aussi des outils qui nous permettent de vivre plus
intensément les expériences et de valoriser le discours des marques. Les entreprises
n’hésitent pas aujourd’hui à combiner les bénéfices tirés du digital et l’atout de créer des
événements réels. Le contenu de marque a pour objectif de devenir multidimensionnel :
le consommateur devient un explorateur du paysage de la marque. Le contenu se
voulant riche et complexe, il doit aborder une mise en récit : pour que les marques
fassent parler d’elles, elles doivent raconter une histoire. Ce storytelling postmoderne est
aujourd’hui largement exploité sur internet.
52
A) Expérience live et outils digitaux : le cas Ricard S.A Live Music Plus que dans n’importe quelle autre culture, le public a besoin de se sentir en
interaction avec la musique qu’il écoute. Pour ressentir pleinement les bienfaits que
peut apporter la musique, tous ses sens doivent être développés et il cherche un
véritable point de communication avec l’artiste. Principalement lors des concerts, il y a
un système d’influence mutuelle, l’énergie que dégage le musicien sur scène influence le
comportement du public et vice versa. Il n’est pas innocent d’entendre les fans crier ou
brandir des panneaux, ils sont toujours à la recherche de plus d’interactivité.
L’amplification de ce phénomène est aujourd’hui possible avec les dispositifs digitaux.
L’aboutissement du brand content est d’obtenir un haut niveau d’engagement dans
une expérience, il a besoin pour cela de l’expérience live. Aujourd’hui de plus en plus de
marques combinent les avantages du live et du digital. Gaël Solignac Erlong, le directeur
général de l’agence Sixtizen en parle dans un entretien avec Daniel Bô : « il faut des
actions de terrain pour créer un contact réel intime, donner du corps au territoire de la
marque, et jouer sur la complémentarité du web pour mobiliser la communauté et
engager une relation pérenne »55. De nombreuses marques saisissent aujourd’hui
l’opportunité de créer des expériences exclusives à vivre online en invitant le public à de
nouveaux rendez-‐vous médiatiques.
Ricard en a fait l’expérience réussie au cours de la dernière fête de la musique le 21
juin 2014 à Paris. Avec l’art contemporain, la musique est l’un des axes forts du mécénat
culturel de la société Ricard, qui s’est dotée d’une scène et d’une équipe dédiée au projet
Ricard S.A Live Music dans le but de soutenir l’essor de jeunes artistes. Ricard se place
comme défenseur de la scène indépendante. Ricard est aujourd’hui une marque active et
s’active à plusieurs niveaux : Ricard S.A Live Music est partenaire de nombreux festivals
comme les Francofolies de la Rochelle ou Le Rock Dans Tous Ses Etats à Evreux, elle
organise une tournée de concerts, elle est aussi partenaire d’un label « Believe Digital »
et soutient « le Fair » qui accompagne chaque année une sélection de quinze artistes
émergents. Pour étendre sa visibilité, Ricard S.A Live Music a un site web56, un blog
alimenté régulièrement d’articles sur les festivals pour lesquels la marque est
partenaire. Elle est aussi active sur les plus importants réseaux : Facebook, Twitter, 55 Bô Daniel, « Brand content : comment les marques se transforment en médias », Paris, éd. Dunod, 2009 56 ricardsa-livemusic.com/
53
Instagram et Youtube. Cette visibilité sur le web permet notamment à la marque de se
placer comme une des marques les plus en avance en matière d’expérience digitale en
France.
Ainsi le 21 juin dernier, la marque a pu tester son influence sur les réseaux sociaux
au cours d’un concert organisé par Ricard. Ce concert organisé tous les ans est le point
d’orgue de l’action de la marque dans la musique permettant de réunir plus de 15 000
spectateurs. L’opération a été lancée sur un constat simple : pendant les concerts les
temps de pause entre les groupes peuvent être longs et influer sur l’énergie du public57.
L’agence Kindai en charge de l’opération a donc mis en place un dispositif interactif pour
permettre au public de se divertir pendant ces temps de pause. Le dispositif était
construit autour d’une promesse forte : gagner un pass backstages pour vivre le live
depuis la scène aux côtés des artistes. Le public était alors invité à partager ses instants
#RicardMusic sur Twitter et Instagram. Les publications s’affichaient en temps réel sur
un écran géant de la scène que l’on pourrait appeler de « mur social ». Pour inciter les
spectateurs à participer, Ricard S.A live music a mis plusieurs temps forts « prêts à
partager » tels que retrouver « Charlie » le personnage emblématique de la BD et
partager un selfie avec lui, ou encore un slam effectué dans une bulle géante avec l’un
des membres de l’équipe Ricard. Pour Aurélien Fouache, un des créateurs de ce
dispositif, ces temps forts prêts à partager sont essentiels pour inciter le public à
prendre des photos «il faut pousser les consommateurs à être creatif, ils ne vont pas
simplement participer parce qu’on leur dit que c’est cool, il faut leur donner une raison de
faire des photos »58. Au final cette expérience a été extrêmement bénéfique pour la
marque qui a assuré de nombreux retours positifs de la part des spectateurs. 16 000
personnes présentes au concert, 580 instants live partagés pendant le concert, 900 000
internautes ont été exposés au dispositif #RicardMusic sur Twitter et Instagram59.
Lorsque l’on s’attarde sur les tweets des internautes, ils parlent majoritairement de
leurs coups de coeur musicaux et expriment leur point de vue sur les artistes qui se
produisent ; ajoutés à cela souvent des « selfies » ou autoportraits mettant en valeur le
spectateur au milieu de la foule et en arrière plan, la scène et les artistes60. Le « selfie »
témoigne d’une représentation de soi valorisée, d’un quotidien. Il s’agit pour l’auteur de
57 Entretien avec Aurélien Fouache p.111 58 Ibid. 59 Chantrel Flavien, « le dispositif digital du Ricard SA Live Music » Le Blog du modérateur (disponible en ligne : http://www.blogdumoderateur.com/dispositif-‐digital-‐ricard-‐live-‐music/) publié le 9 juillet 2014 consulté le 12 juillet 2014 60 Annexe figure 4 p.94
54
montrer son soi en contexte. Ainsi cette utilisation du selfie n’est pas pour valoriser
l’individu en tant que tel mais pour le valoriser à travers son contexte, au moment où il
choisit de déclencher la photo. Cette représentation de soi durant une expérience
musicale exprime la recherche de reconnaissance de la part des autres internautes dans
un moment qu’ils estiment enviable. Cette volonté de mettre en arrière plan le public et
la scène prouve le sentiment de cohésion entre le musicien et son public, et la
valorisation de l’artiste que l’individu veut mettre en valeur. Par des autoportraits
exprimant la joie de se trouver ici à un moment X, les individus expriment leur besoin
d’interagir avec l’ensemble du public mais aussi avec l’artiste se produisant sur scène.
Ricard SA Music Live a mis en oeuvre un community management qui se veut proche
du public, le ton utilisé plutôt familier et humoristique a pour but de faire réagir le
public et institue le sujet mis en avant dans les posts en utilisant le hashtag
#RicardMusic. Pour l’événement du 21 juin, la communication a été faite en amont avec
des photos de la préparation de la scène, des équipes, et des musiciens. Les posts sur
twitter « taguent » les personnalités présentes, les musiciens qui se produisent mais
aussi d’autres artistes qui assistent simplement à l’événement. Ricard SA Live Music met
en place une certaine cohésion, et donne le ton, l’ambiance dans laquelle se déroulera cet
événement. Ainsi, on comprend l’utilité des réseaux sociaux pour accentuer l’état
d’esprit dans lequel la marque se retrouve. Le discours de Ricard porte sur les artistes, la
qualité de l’organisation et les différentes attractions qui attendent le public. Durant
l’événement, les posts sur Twitter ont alterné avec des photos des musiciens se
produisant sur scène en direct et l’interaction avec le public en « retweetant » leurs
posts ou en engageant une discussion ou en incitant à une action telle que la prise de
selfie avec Charlie pour obtenir des pass VIP 61 . En s’engageant dans une telle
communication, Ricard laisse une empreinte durable sur l’événement, il se présente
comme véritable organisateur de l’événement, et opte pour un ton intimiste lorsqu’il
parle des musiciens afin de se positionner toujours plus proche de cette scène musicale.
D’autre part, en engageant l’interaction sur les réseaux sociaux avec son public, Ricard
prouve son engagement dans cette relation qu’il veut pérenne. Avec ce rendez-‐vous
annuel pris en ce jour symbolique de la fête de la musique, Ricard SA Live Music marque
de son empreinte la musique, notamment l’essor de la nouvelle scène indépendante
française.
61 Annexe Figure 5 p.96-‐97
55
A la suite de cet événement, un billet a été consacré au déroulement de la soirée sur
le blog de Ricard SA Live Music62. L’écriture de ce billet a été confiée à Sarah Bastin, une
photographe professionnelle qui bâtit sa production dans le monde de la musique. Ce
qui frappe tout de suite avec cet article est que l’on sent le jugement avisé d’un
connaisseur dans le secteur de la musique : « La basse revient comme The Drums et Two
Door Cinema Club ont pu nous en faire tourner la tête ». Sarah Bastin décrit avec les mots
justes les interprétations de chaque artiste mais reste dans un ton intimiste. L’article est
écrit d’une telle façon que l’on pourrait penser à un journal intime avec l’écriture à la
première personne du singulier : « : « Je ne savais pas grand chose de ce groupe avant
mon arrivée ce 21 juin mais le public avait l'air de tout savoir ». Elle donne son avis mais
s’implique au nom de Ricard : « Invités pour la Ricard SA Live Session à la Flèche d'Or en
mai 2013, ODEZENNE est de retour sur notre scène ». Cette photographe, qui a d’ailleurs
couvert l’événement, parle en tant que spectatrice de l’événement, ainsi même si elle est
rattachée à la marque Ricard, elle offre un point de vue très proche de celui du
spectateur, elle est donc à mi-‐chemin entre la marque et son public et permet encore une
fois de consolider la relation entre les deux protagonistes. En utilisant une artiste,
professionnelle du secteur musical, Ricard se place lui-‐même en tant qu’acteur légitime
dans cette culture, son implication ainsi que ses relations avec de tels artistes lui
permettent de rendre plus naturel et toujours plus sérieux son rôle dans le secteur
musical.
En plus de cet article, la marque a produit des vidéos marquant les moments forts de
la soirée63. Des plans courts se succèdent entre des portraits des musiciens, et les
réactions du public, notamment de nombreux exemples de prises de selfies s’affichant
sur le mur social, une mise en avant de l’interactivité visible durant l’événement. Ricard
S.A Music Live ne prend pas la parole dans ces 2 minutes 30 de vidéos mais donne toute
la place à la musique et aux images. Le logo est simplement apposé en haut à droite, la
visibilité de la marque ne semble jamais forcée.
62 Bastin, Sarah « Live report : la fête de la musique avec Griefjoy, Rocky, Odezenne, et Pendentif, Ricard SA Live Music le blog, (disponible en ligne : http://blog.ricardsa-‐livemusic.com/2014/06/live-‐report-‐la-‐fete-‐de-‐la-‐musique-‐a-‐paris-‐avec-‐griefjoy-‐rocky-‐odezenne-‐et-‐pendentif/) publié le 23 juin 2014, consulté le 26 juin 2014 63 Ricard SA Live Music (disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=0IPHpKwFqRA) publié le 2 juillet 2014, visionnée le 4 juillet 2014
56
Grâce à ce type de contenu, la marque donne à voir ses multiples facettes dans le
domaine musical et permet au public de devenir un véritable explorateur du paysage de
la marque.
B) Un contenu de marque multidimensionnel
Le contenu de marque doit permettre de construire des ensembles, de rayonner
autour du produit pour créer un monde composé de différentes couches que le public
peut découvrir au fur et à mesure. Ces ensembles sont créés pour renforcer la projection
et l’engagement du consommateur mais aussi pour favoriser la compréhension du
message. Ainsi la marque se présente non plus comme des « instantanés de
consommation » ni comme une simple institution à connaître mais a pour but de se faire
reconnaître comme un monde à fréquenter dont les éléments constitutifs sont
interconnectés et font sens64.
Le philosophe américain William James a beaucoup travaillé sur la notion
d’expérience : il en conclut que chaque expérience que nous faisons est liée à un tissu
global d’autres expériences ; une expérience n’existe donc jamais isolément, et elle est
reliée consciemment ou non à un univers plus global. La conscience ne peut jamais
découper radicalement une expérience ni un élément isolé de l’expérience. Selon ses
mots, l’expérience est un « continuum », par exemple mon expérience d’un tableau n’est
jamais séparable de l’expérience d’une après-‐midi au musée, elle-‐même reliée à un le
souvenir d’un séjour en Italie65. Rapportés à notre sujet, ces « champs de conscience »
évoqués par le philosophe peuvent être transposés en « champs de marque ». Une
expérience, quelle qu’elle soit, n’est qu’un élément d’un univers (la scène « indé » en
France par exemple pour l’événement Ricard) qui lui donne sens et dont il n’est qu’une
action concrète à un moment donné.
Cette volonté de rendre la marque « multidimensionnelle » est d’autant plus forte
avec les nouveaux dispositifs digitaux ; le sémiologue Raphaël Lellouche en explique la
raison :
64 Bô, Daniel « Brand content : comment les marques se transforment en médias », Paris, éd. Dunod p. 77 65 James William, publié en français sous le titre « Philosophie de l’expérience, un univers pluraliste », Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2007
57
« Le contenu de marque est par essence multidimensionnel et prolifère sur un mode hypertexte. C’est d’autant plus fort sur le web car toutes les actions qui étaient dispersées dans des médias exclusifs les uns des autres (publicité, marketing direct, public-‐rédactionnel, etc.) sont désormais reliées sur un hyper media (…) Désormais le consommateur est un explorateur ou un voyageur, la marque donne à voir plusieurs facettes de sa personnalité et de son univers. La communication ne passe plus seulement par l’imaginaire mais par la connexion de choses pratiques. »66
Selon ces mots, le web permet de relier plus facilement les différentes facettes d’une
marque ; le consommateur est mis dans la posture d’un enquêteur, il doit découvrir les
différentes actions de la marque et c’est à lui de reconstruire l’univers de la marque à
partir des différents indices. Ceux-‐ci doivent cependant être bien « ficelés » par la
marque car l’image que se fabrique le consommateur, surtout sur internet, peut
facilement ne pas être celle souhaitée par la marque. Le territoire donné par la marque
n’est plus une idée abstraite mais se concrétise dans la construction d’un univers. Dans
ce processus la marque devient un paysage à l’intérieur duquel on peut se promener.
La marque en créant sur internet des formats vidéos plus longs, en ayant une
communication langagière plus libre telle que vue avec Ricard, s’offre plus de libertés, se
rapproche de sa cible et peut aussi l’élargir. Le « champ de marque » s’exprime sur un
modèle non plus focalisant mais rayonnant. Si l’on veut créer une communication riche,
il faut que celle-‐ci soit susceptible de toucher l’esprit par plusieurs points. En organisant
plusieurs niveaux de lecture, la marque s’assure que son message sera mémorisé grâce
aux diverses connexions effectuées dans le cerveau des consommateurs.
Ricard a bien cerné le côté multidimensionnel dont la marque doit se doter. Ainsi en
créant une entité à part entière, en nommant autrement son rôle de mécène musical
« Ricard S.A Music Live », son implication dans la musique est perçue comme un projet à
part entière. Ce mécénat est entrepris depuis 25 ans, il a eu le temps d’évoluer, de
percevoir ce qui marchait ou non auprès du public, la marque a aujourd’hui une position
stratégique qu’elle entretient avec ses multiples actions dans le domaine, notamment
son développement sur web.
La figuration du site web a voulu mettre en avant les multiples facettes de la
marque. La première information que l’on découvre est la timeline sur la page
66 Idem. p. 79
58
d’accueil 67 . Une façon moderne et tout à fait adaptée aux nouvelles façons de
communiquer sur le web. Cette frise chronologique interactive, déroulable selon les
envies de l’internaute, donne une vision d’ensemble sur toutes les actualités musicales
organisées par Ricard S.A Music Live. Le premier onglet « Nos concerts » déroule les
différents événements musicaux dans lesquels la marque s’implique. Tout d’abord, on
découvre le projet « Ricard Live Sessions » lancé en 2011 ; la marque organise des
concerts entièrement gratuits pour valoriser la scène indépendante française, Ricard
annonce clairement que ces live ont pour but de « rencontrer les fans de musique dans
les salles de musiques actuelles ». Ces rendez-‐vous réguliers se font dans des salles
parisiennes reconnues telles que le Glazart ou La Flèche d’Or. Durant la période estivale,
Ricard organise une tournée de ces « Live Sessions ». Enfin comme nous l’avons déjà
abordé, Ricard S.A Live Music organise la fête de la musique. Sur son site, la marque met
en avant aussi les artistes qu’elle soutient et qui ont été majoritairement découverts
grâce au « Fair », le concours dont Ricard est partenaire. Pour chaque artiste ou groupe,
une description est donnée qui se veut assez recherchée, les références sont pointues et
les comparaisons à d’autres artistes influents de la scène permettent de renforcer le
profil de connaisseur du mécène. De plus, Ricard accentue sa communication, pour
chaque concert un article « reporting » est publié ainsi qu’une vidéo du concert la
plupart du temps. Les vidéos sont construites à la manière de courts métrages, entre 4 et
8 minutes en moyenne ; on y voit des extraits du concert, l’arrivée des fans dans la salle
ainsi que l’artiste qui prend la parole au micro de « Ricard S.A Live Music », où il
explique son parcours, ses sentiments et surtout sa passion pour la musique. Ces vidéos
mettent en image le rôle de Ricard qui est de rapprocher les musiciens et leurs fans et de
créer une relation intime.
En outre du site, Ricard S.A Live Music alimente un blog, tenu par des blogueurs
musicaux influents. Des articles sont donc régulièrement postés sur, d’une part les
concerts 100% Ricard S.A Live Music tels que les « Live Sessions » ou la fête de la
musique, et d’autre part les nombreux festivals desquels Ricard est partenaire. Ainsi la
marque prouve qu’elle n’appose pas simplement son étiquette sur un festival mais
prend part entière à l’événement. Lorsque l’on s’attarde sur les différents articles, on
voit que le style peut en être différent mais le ton familier et intimiste est toujours
présent. L’auteur nous livre bel et bien son avis, comment il a vécu ce moment musical,
souvent avec humour. Encore une fois, ce ton très personnel et cette écriture qui
67 Voir Annexe figure 6 p.97
59
s’apparente à de l’écrit-‐parlé cherchent à placer la marque au plus proche de son public,
et à en dévoiler les différentes facettes. Ces différents styles d’écriture ont tous pour
point commun de parler au nom de « Ricard S.A Live Music », ainsi la marque donne à
voir différents points de vue. D’un point de vue ergonomique, le blog est simple et se
déroule comme un véritable carnet de voyage, nous y trouvons uniquement les articles
illustrés de photos de qualité.
Ces différents récits cherchent à alimenter l’histoire de la marque et son rapport à la
musique. Cette mise en récit s’apparente à une technique communicative qui fait ses
preuves depuis de nombreuses années même si elle reste souvent remise en question :
le storytelling
C) Développement d’un storytelling postmoderne
Le storytelling est une discipline en plein essor depuis quelques années. Thomas Jamet le
définit comme « une structure narrative utilisée par les marketeurs, ou les politiques, et
visant à modeler l’opinion et les esprits dans le but d’attiser l’attention en utilisant des
ressorts actanciels proches de ceux des contes et légendes »68. Pensé comme une « arme
de distraction massive » par Christian Salmon, son but est bien de changer la perception
qu’a le consommateur de la marque69.
Les médias digitaux ont accentué ce désir de mise en récit car ils nous permettent à
présent de vivre l’émotion de manière plus forte. Nous avons vu dans nos exemples que
ce soit avec Ricard ou Hennessy, les médias digitaux sont de forts véhicules narratifs qui
permettent d’assouvir cette volonté primaire en chacun de nous raconter des histoires.
Le nouvel espace de narration offert par le web bouleverse nos attentes médiatiques,
Stéphane Hugon, dans un entretien avec Thomas Jamet, relate justement ces
modifications au sein de la société :
68 Jamet, Thomas « Les nouveaux défis du brand content au delà du contenu de marque », Paris, Pearson France, 2013, p.20 69 Salmon Christian « Storytelling : la machine à fabriquer des histoires et à formater les gens », Paris, La Découverte, 2008
60
« La structure narrative du mythe fondateur est alors réagencée. Ce qui portait nos histoires, cette grille secrète va éclater et se reconfigurer, intégrant de nouvelles formes d’esthétique, de nouveaux moteurs d’adhésion. Les micro-‐récits deviennent aussi importants que les grands discours dans la construction sociétale de tout un chacun. La pop culture est une culture de masse mais peut être aussi une culture faite par la masse. »70
Un nouvel imaginaire est rendu possible par les nouvelles technologies et
transcendé par une nouvelle culture de masse touchant tous les domaines. Ces nouvelles
technologies offrent une pratique et une vision du monde différente. Ces nouvelles
possibilités de découverte et d’expression offrent une place de choix pour les marques
qui sont aujourd’hui omniprésentes et très influentes. On parle aujourd’hui de la
« puissance » d’une marque. Un institut américain, Millward Brown, publie un
classement annuel des marques les plus « puissantes » et il n’est pas anodin que ce
soient les marques phares des nouvelles technologies telles que Google ou Apple qui se
retrouvent en tête du classement. Leur statut est en grande partie lié à leur capacité
unique de créer de la relation avec une puissance inégalée. Les grandes marques ont su
faire face aux changements de notre société contemporaine qui cherche la construction
d’un discours identitaire et l’élaboration de nouvelles stratégies de différenciation. Les
dispositifs de communication du Web participatif nous permettent une connexion
beaucoup plus rapide à l’autre et une communion autour d’histoires que l’on va partager
et échanger. Dans cette configuration, notre rapport au temps médias que l’on
connaissait est aujourd’hui complètement différent. On y parle de plus en plus de petites
histoires de la vie et des plaisirs quotidiens plutôt que des longs discours impersonnels.
Aujourd’hui, l’identité de la marque se raconte tout autant dans les spots publicitaires
que sur les forums, les chats ou les blogs.
Le storytelling possède une notoriété en demi-‐teinte, notamment à la suite de l’ouvrage
de Christian Salmon qui dépeint un mode communication visant uniquement à orienter
les comportements. Dans cette logique les histoires ne seraient que des outils de la
propagande moderne destinée à berner les individus. Cependant à l’ère numérique, il
serait réducteur de penser le storytelling comme un mensonge face à des usagers
totalement crédules, tout simplement parce que le web a une mémoire quasi indélébile
où tout mensonge peut être extrêmement préjudiciable pour une marque. De même,
70 Jamet, Thomas « Les nouveaux défis du brand content au delà du contenu de marque », Paris, Pearson France, 2013, p.25
61
l’opinion publique est de mieux en mieux informée et toujours plus critique à l’égard des
trop beaux discours de marque.
A l’ère du numérique, les marques construisent des histoires qui font sens : les
webseries, l’interactivité, les user generated content, la participation sont des éléments
qui font partie des nouvelles formes de discours narratifs et qui aliment la nouvelle
architecture de la communication. La différenciation des sources, la multiplication des
publics, mais aussi la fin de la relation univoque marque-‐consommateurs a forcé le
développement de ce storytelling postmoderne.
Cette mise en discours de la réalité est dûe à une constation majeure : les publics ne
se reconnaissent plus dans les histoires globales mais cherchent les petites histoires,
convictions et anecdotes. Comme l’énonce justement Stéphane Hugon « la jurisprudence
a progressivement occulté la loi ». La marque insère dans sa communication une logique
de co-‐construction. Son identité et son contenu ne se font pas uniquement par un
discours de marque descendant mais la narrativité se construit avec une communauté
participative.
III. La place du consommateur : une communauté participative
Ce qui a majoritairement bouleversé la manière de communiquer des marques est
bien la place que se sont octroyée au fur et à mesure les consommateurs, notamment
grâce à leur force de parole sur le Web. Le Web communautaire est bien le fruit d’une
volonté des utilisateurs de s’exprimer plus librement qu’on ne le leur permettait
auparavant.
Le digital bouleverse aujourd’hui les comportements des consommateurs : d’un premier
abord au niveau social, l’utilisation du digital a modifié les comportements entre
individus. La relation à la marque est également pensée différemment, puisque le
consommateur n’imagine pas aujourd’hui consommer sans engager une relation avec la
62
marque. De nombreuses marques aujourd’hui passent par un contenu de marque
musical car l’implication du consommateur est ainsi facilitée grâce à un engouement très
fréquent pour la musique.
A) Le digital induit une nouvelle forme de sociabilité
Les nouvelles façons de communiquer des internautes sont régulièrement remises
en question de part le fait que communiquer avec les autres via un écran impose un
anonymat qui peut vite séparer et isoler d’une communauté. Or une autre vision est
aujourd’hui possible, la communication telle qu’imaginée par Ricard S.A Music Live
s’éloigne de cette vision pessimiste. Elle nous permet, par exemple, d’apprendre à
consommer la musique autrement et de manière plus dense en mettant en avant le
plaisir de prendre part à une communauté de fans.
Le digital peut redéfinir les contours d’une nouvelle sociabilité où les pratiques
digitales ne riment pas avec isolement social. Une étude du Pew Research Center montre
que l’usage de nouvelles technologies a plus tendance à rapprocher qu’à éloigner. Les
utilisateurs de réseaux sociaux ont ainsi un réseau de connaissances 20% plus large que
celui des non-‐internautes, plus de chances d’aller dans un parc public ou dans un bar
tandis que le contact direct en face à face reste leur premier moyen de communication
avec leurs proches.71 Toujours selon cette étude, les réseaux sociaux offrent cette
possibilité de s’ouvrir à une communauté que l’on n’aurait peut-‐être jamais rencontrée
dans le réel : les bloggers auraient 95% de chances de se confier à quelqu’un d’origine
ethnique différente. Activité digitale rime donc avec ouverture sociale. Le vagabondage
identitaire qui nous fait passer en quelques secondes d’un site de jeu en ligne à Facebook
puis à LinkedIn explique ce modèle de fabrication des histoires et la multiplication des
identités qui composent chacun d’entre nous. Le digital permet ici de reconnaître les
identités multiples des individus.
Bruno Ollivier s’est intéressé aux concepts d’identité et d’identification et à leurs
évolutions au fur et à mesure que les supports de communication se sont diversifiés, les
hommes ont toujours utilisé les outils de communication à leur disposition pour se
repérer, donner sens à leur existence et construire leur identité. Pour l’auteur, l’identité 71 « Social Isolation and new technologies », Pew Research Center, Etude réalisée sur 25 000 américains en 2009 (disponible en ligne : http://www.pewinternet.org/files/old-media//Files/Reports/2009/PIP_Tech_and_Social_Isolation.pdf), publié en novembre 2009, consulté le 5 aout 2014
63
fonctionne à partir de signes et de représentations de la réalité et non de la réalité elle
même, toute identité suppose une élaboration sémiotique de la réalité. Cela nous permet
d’écarter d’une part une première contestat à l’encontre des réseaux informatiques
selon laquelle ils nous écartaient du réel et nous faisaient privilégier une communication
uniquement virtuelle. Le virtuel et le réel ont finalement toujours partagé la même
« réalité » ; il n’est donc pas pertinent d’imaginer un mur entre les deux72. Une identité
fonctionne à partir de signes et de représentations de la réalité et non de la réalité elle-‐
même. Les éléments sémiotiques sont choisis par l’individu pour signifier, établir et
prouver une appartenance à un groupe social. Le sujet choisit de mettre en valeur un
certain nombre d’éléments pour être conforme aux autres membres du groupe73.
L’auteur donne donc une première définition de l’identité : elle est avant tout une
construction, ce qui revient à refuser de traiter du caractère réel ou non, car il est
impossible de nier l’importance des sentiments d’appartenance. Ce qui est déterminant,
ce sont les messages qui circulent et qui provoquent adhésion ou rejet. L’identité est
donc « un système d’auto-‐représentation que acteurs et groupes d’acteurs choisissent et
qui met en jeu un point commun, pas forcément réel, qui les unit »74. Selon cette
définition, les phénomènes identitaires sont donc à traiter comme des phénomènes de
communication. Penser ainsi l’identité, le rôle des outils dans la structuration des
identités est primordial, chaque nouveau support de communication induit de nouvelles
formes d’identités et d’identification.
A l’âge adulte l’identification passe par la participation à un groupe l’individu
s’identifie à tous ceux qui ont la même attitude que lui à l’égard d’un objet. En premier
lieu, les médias de masse ont permis de créer des foules à distance réunies par les
mêmes sentiments au même moment et qui pourront s’identifier par une même
passion.
Bruno Ollivier rapproche les temps d’identification et culture car les productions
culturelles sont à son sens les principaux moyens de produire de l’identification, à un
niveau collectif. Avant lui, Freud affirmait que toutes les productions culturelles servent
à fortifier les sentiments d’identification par la foule car elles font éprouver du plaisir
commun et fondent une identité collective : « Les oeuvres de l’art exaltent les sentiments
72 Jamet, Thomas « Le mur n’a jamais existé », Influencia, (disponible en ligne : http://www.influencia.net/fr/actualites/in,ricochets,mur-‐jamais-‐existe,462.html) publié le 11 novembre 2009, consulté le 6 aout 2014 73 Ollivier Bruno « Identité et identification : sens, mots et techniques », Paris, éd. Lavoisier, 2007 74 Idem. p. 36
64
d’identification dont chaque groupe culturel a si grand besoin, en nous fournissant
l’occasion d’éprouver en commun de hautes jouissances » (Freud, 1934).
Les mutations introduites par l’arrivée des réseaux informatiques et audiovisuels
ont eu pour première conséquence en termes de circulation des identités
l’élargissement de la cible, l’immédiateté et la déterritorialisation. Avec l’essor d’Internet
l’identification est de plus en plus liée à une pratique culturelle visible. Le respect de
l’identité devient le respect de la pratique culturelle du sujet ou du groupe. L’identité
devient quelque chose qui se voit et qui se montre, les médias jouent alors un rôle de
miroir de l’individu. Internet offre à chacun la possibilité d’identités multiples. Ollivier
parle de « travestissement identitaire » où la relation à l’identité se trouve transformée
dans les relations virtuelles qu’offre le réseau. Je ne partage cependant pas la position de
l’auteur qui a une vision radicale sur le rôle joué par internet qui ne permettrait pas de
rencontrer quelqu’un de différent. Les nouvelles possibilités offertes par le Web
participatif permettent à l’individu, en effet, de construire lui-‐même son univers culturel.
Je pense justement que créer des communautés qui se rassemblent pour une passion
culturelle commune telle que la musique est un signe d’ouverture sociale. Par le biais
d’interconnexions avec des individus partageant cette même passion, l’individu peut
s’ouvrir à de nouvelles possibilités grâce cette nouvelle forme de sociabilité. L’auteur
met en cause le fait qu’internet, comme tout progrès technique, ne produit pas de
rencontres avec un Autre qui serait radicalement différent, mais le faisons-‐nous
vraiment dans la vie « réelle » ? Nous ne sommes pas amenés tous les jours à rencontrer
des personnes dont nous sommes différents en tous points. Ainsi, contrairement à
l’auteur, le fait de se rapprocher grâce à la musique peut permettre la rencontre d’autres
identités ayant une culture et des points de repère différents.
Mon propos est évidemment à nuancer et je ne cherche pas à faire l’éloge de cette
nouvelle forme de sociabilité sur internet qui comporte évidemment des faiblesses. Si
Internet peut créer un nouvel environnement social propice à l’échange, il peut aussi
renfermer et développer une certaine estime de soi, un narcissisme trop développés. Les
dispositifs digitaux sont propices au regard permanent de l’autre sur son identité, ce
sentiment de jugement et cette recherche d’appartenance peuvent induire l’individu à
créer une identité totalement fictive pour simplement plaire à un groupe
d’appartenance.
65
Même si le côté « social » en terme de communication digitale fait encore débat, une
chose est sûre pour les marques : elles doivent aujourd’hui créer un échange avec leurs
consommateurs.
B) Echange virtuel entre marque et consommateur devenu indispensable
« Je suis ce que je partage » pourrait bien être le credo de la société des temps
modernes. Avec les médias digitaux, les nouveaux consommateurs d’information
partagent des contenus sur des médias fondés sur l’open source (logiciels gratuits et
modifiables sous certaines conditions) et le partage, la diffusion « naturelle »
d’informations. Avec les réseaux sociaux, les utilisateurs partagent leurs émotions et
diffusent leurs sentiments, actes qui entretiennent le sentiment d’union dans un groupe.
Les marques doivent donc agir en conséquence et entretenir cette volonté d’union à
travers le partage et l’échange.
L’analyse des réseaux sociaux de Ricard S.A Music Live démontre cette volonté de
partage de la part de la marque et elle se caractérise de différentes manières.
La page Facebook compte une communauté de fans assez importante75, 42 500 fans
dont la tranche d’âge principale est 18-‐34 ans76. Pour fidéliser cette communauté et
l’agrandir, Ricard S.A Live Music doit échanger régulièrement avec celle-‐ci. Lorsque l’on
observe le type de discours, on remarque déjà la cohérence de ton entre le site, le blog et
les réseaux. Facebook est utile aux fans à plusieurs égards : il est informatif, ludique et
esthétique. La marque cherche à créer une ambiance générale en mettant en valeur la
musique et les artistes qu’elle partage. Ricard S.A Live Music donne en premier lieu des
informations sur les artistes qui ont émergé grâce à son implication, met en lien des
photos ou vidéos et se place ainsi comme l’un des porte-‐paroles des artistes qu’elle
considère comme leurs artistes. Avec ces posts, Ricard S.A Live Music met en valeur un
cercle d’artistes que la marque cherche à faire connaître et à partager avec leurs fans. La
marque alimente régulièrement la page Facebook avec des jeux concours permettant de
gagner des places de concert ou bien des goodies (toujours utiles à l’activité musicale) :
la marque incite les fans à se rendre à certains spectacles et se place comme un
75 https://www.facebook.com/ricardsa.livemusic/ 76 Statistiques Facebook : https://www.facebook.com/ricardsa.livemusic/likes
66
organisateur professionnel d’événements musicaux, expert tout particulièrement de la
scène indépendante française. La plupart du temps, les fans ont à « liker » et partager le
post pour obtenir leurs places de concert : en partageant ce post, le fan démontre
activement qu’il s’implique dans cette communauté et cherche à faire partie des
privilégiés qui pourront assister à un live musical organisé ou simplement sponsorisé
par Ricard. Ce type de post permet à la marque de mettre en oeuvre son désir de
rassembler une communauté impliquée et active. Autre élément significatif sur la page
Facebook : la marque met en ligne des albums photos des lives et les photos les plus
visibles sont manifestement des images du public : Ricard cherche ici à prouver que
cette communauté participative est aussi importante que les artistes se produisant sur
scène, c’est une façon implicite de placer les fans sur un piédestal : la communion entre
l’artiste et son public est ici sacralisée par ces photos que la marque choisit de mettre en
avant sur un réseau de partage. Enfin, pour rendre ce contenu vivant et représenter la
marque comme une entité proche de son public, le community manager rédige des posts
fréquemment appelés « call-‐to-‐action », en d’autres termes qui incitent les fans à
répondre, à être actifs : la marque n’hésite pas à poser des questions, demander l’avis
des fans mais aussi à leur répondre directement dans le fil de commentaires. Ricard
répond toujours à la troisième personne du singulier, le « on » implique toute une
équipe en charge du projet « Live Music », et tutoie les fans, ce qui semble vouloir
éliminer les distances qu’il pourrait y avoir entre les deux protagonistes et garder un ton
familier et amical proche du public77.
Ricard S.A Live Music a su aussi adapter sa communication aux différents médias.
Ainsi sur Twitter un site que l’on pourrait qualifier d’information sociale, la marque
privilégie le partage d’information musicale en temps réel et donne principalement à lire
et à écouter. Sur Twitter, Ricard met en scène son côté professionnel de la musique avec
un simple résumé « activiste du Live et de la scène émergente depuis 1988 » : cette
présentation pose les bases du rôle que la marque cherche à légitimer et mettre en
valeur. Cependant la création régulière de hashtag spécifiques à un sujet rend la marque
attractive et incite à la réponse et aux retweet. Ricard a, par exemple, mis en place le
sujet #RicardMusicOldies en incitant les fans à poster une image de leur souvenir avec
Ricard Live Music. Une façon simple et ludique de justifier l’implication de la marque
dans le monde de la musique depuis les années 198078. Et d’inciter les fans à créer
eux-‐mêmes du contenu bénéfique à la marque. Ces différents posts ont cependant tous 77 Annexe figure 7 p.98 78 Annexe figure 8 p.100
67
le même but : se montrer proche mais aussi connaisseur de la scène musicale et de ses
artistes.
Grâce aux nouveaux outils de communication, la marque cherche à toujours plus
impliquer le consommateur pour créer un lien engageant entre les deux
C) L’implication active du consommateur : l’exemple de la campagne « Get Loud » de Converse
L’histoire de la marque de baskets Converse est intimement liée à l’avènement de la
musique Rock n’ Roll. Dans une période où le brand content musical a le vent en poupe,
la marque n’hésite pas jouer sur cette caractéristique. Sur son site, Converse propose un
résumé historique de la marque par période. A partir des années 1950, avec la naissance
du Rock n’ Roll, la marque est alors intimement liée à son développement. Elle est
décrite comme faisant partie de l’un des accessoires majeurs pour incarner ce
mouvement. L’histoire ainsi contée par la marque Converse se développe depuis 60 ans
en connivence avec l’histoire du rock.
Comme nous l’a affirmé Thibaut de Longeville au cours de notre entretien, leur
positionnement de marque est totalement lié à la musique. Ils ont été essayé d’integrer
l’univers du sport à travers le basket, mais leur lacune en terme de développement
technique comparé aux concurrents n’ont pas permis de garder une place légitime dans
ce milieu.
Aujourd’hui la marque s’implique de différentes façons dans cet univers musical :
de manière pérenne avec « converse avant poste », des concerts gratuits et réguliers
tous dans des lieux conviviaux tels que les bars, ou encore « Converse Rubber Tracks
Paris » : un concours destiné aux jeunes talents qui a permis à certains d’enregistrer
gratuitement dans un studio parisien. Comme nous l’a raconté Thibaut de Longeville
Converse Rubber Tracks a aussi ouvert un studio à Brooklyn. Ces studios permettent à la
marque de communiquer sur un lieu physique où ils peuvent capter des images inédites.
Converse a aussi mis en place un campagne très ingénieuse appelée « Three artistes
one song », où ils font collaborer trois artistes d’univers musicaux différents dans le but
de créer une chanson. Il y a eu notamment la collaboration avec Pharell, Santogold et
68
Casablancas « My Drive Thru » qui est aujourd’hui un tube. Ce qui très interessant en
terme de positionnement est que Converse est resté en retrait tout au long de la création
et de la diffusion de la chanson pour ne pas qualifier le morceau de « musique de pub ».
D’autre part le design du clip de la chanson, qui a fait date de par sa qualité et son
originalité, a été repris ensuite pour une très importante campagne d’achat d’espace
global. Voilà comment s’est fait le lien entre Converse et la chanson. C’est un beau cas
d’étude où la marque permet la création d’une chanson complètement intégrée dans des
univers musicaux dits légitimes et non catégorisé comme musique de pub79.
Converse développe aussi son activité musicale dans des campagnes d’une plus
grande ampleur médiatique et événementielle telles que « Get Loud ».
La campagne Converse « Get Loud » a pour but d’engager fortement la cible, fans de
rock, en leur proposant une expérience digitale qui célèbre l’esprit de cette musique. La
marque a voulu mettre en valeur l’engagement des fans de la scène rock en leur
permettant de prouver cette dévotion à travers d’une expérience digitale unique. « Get
Loud » est donc une série de cinq concerts donnés par cinq groupes émergents dans des
lieux inattendus de la capitale.
Converse a imaginé tout un dispositif digital pour permettre aux fans de gagner leurs
places. En amont, ils devaient suivre la page Facebook « Get Loud Converse » pour ne
manquer aucune info et s’inscrire au concert voulu. Lorsque les fans recevaient un
courriel, ils disposaient de quatre heures pour gagner leurs places. Pour pouvoir assister
à un concert, les fans devaient se rendre sur le site dédié à l’événement getloud.fr et
partir à la chasse aux concerts sur Google Maps. Le but du jeu était simple : se déplacer
dans Paris grâce à l’application Google Maps et plus la souris s’approchait du lieu du
concert, plus le son augmentait80.
L’idée de cette campagne est donc de détourner un outil fonctionnel du web de
manière ludique. Cette expérience digitale permet de jouer sur les différents sens :
l’ouïe, la vue, le toucher. On se prend facilement au jeu et il est difficile d’arrêter tant que
l’on ne retrouve pas le lieu du concert. Google Maps utilisé quasi quotidiennement par
les internautes permet en temps normal de rechercher le positionnement d’une adresse
spécifique. Dans le cas de « Get Loud », nous en faisons une utilisation toute autre, nous
prenons le temps de nous « promener » dans Paris, la chasse aux trésors est entièrement
79 Entretien avec Thibaut de Longeville p.104 80 Annexe figure 9 p.101
69
ludique car nous n’avons pas besoin d’appréhender la manipulation de Google Maps,
cela est assez instinctif. Le jeu de chasse aux trésors nous rappelle des souvenirs
d’enfance mais y joint par la même occasion des outils de communications modernes.
Les fans entrent donc facilement dans l’expérience, car elle utilise de nouvelles
fonctionnalités permises grâce au digital. L'expérience est encore plus étonnante sur
mobile, où grâce à la géolocalisation, les fans peuvent être guidés en stéréo dans les
vraies rues de Paris.
Converse a su pour l’occasion intégrer les outils fonctionnels du quotidien pour les
insérer dans une campagne interactive où l’implication des fans permettait de dévoiler
le contenu. La marque a dégagé le vif intérêt de ses nouveaux consommateurs en
demande d’expériences uniques et novatrices et s’est essayé aux nouvelles compétences
offertes avec le Web participatif En mettant en lumière toujours la musique et les
artistes, Converse a célébré l’engagement et l’implication de ses fans pour ses concerts
de la scène émergente. Une fois encore, cette expérience alliant live et dispositifs
digitaux a rencontré énormément de succès et prouve l’engouement des amateurs de
musique pour ce type d’expérience proposé par les marques. Les effets positifs de ce
type d’expérience, que l’on appelle « advergame » (publi-‐divertissement), s’expliquent
de plusieurs manières : contrairement à la publicité traditionnelle, le choix de
l’interaction est laissé libre et la durée de l’exposition au message n’est ni limitée ni
imposée.
L’onglet « AfterShow » sur le site getloud.fr permet de visionner les images et vidéos
de ces concerts. Les photos sont délibérément des photos amateurs, et elles expriment
un point de vue du spectateur : on retrouve majoritairement des photos des spectateurs
avec leurs amis dans une ambiance festive. Le focus ne se fait pas sur les musiciens mais
bien sur le public81. En publiant officiellement ces photos sur le site dédié, Converse se
place aux côtés du public et tient à mettre en scène l’événement tel que réellement vécu
au cours du concert. Ces photos parfois mal cadrées, ou floues, cherchent à attirer
l’attention sur le côté Rock de la scène et permettent de se concentrer sur l’élément
principal : la musique. La vidéo, produite quant à elle par des professionnels, reste
cependant dans le même ordre d’idée : elle offre une vision à partir de la place du
spectateur : l’image bouge, telle la tête d’un fan ; il y a de nombreuses prises de vue en
contrebas, et quelques plans tout de même sur les Converse portées par les musiciens82.
81 Annexe figure 9.1 p. 101 82 Annexe figure 9.2 p.103
70
Cette technique permet à l’internaute d’imaginer le concert tel que l’ont vécu les
spectateurs. Cette volonté de la part de Converse de créer du contenu immersif nous a
été confirmé par le réalisateur de ces vidéos Thibaut de Longeville83.
Cet exemple de campagne définit les nouvelles priorités d’une marque : penser en
fonction des usages des consommateurs/fans et de leur engagement « actif ». Il s’agit
aujourd’hui d’emmener les consommateurs vers des dispositifs interactifs à même de
procurer des expériences gratifiantes, qu’elles soient divertissantes, informatives ou
fonctionnelles. Lorsque le consommateur se sent « engagé », cela reflète un état mental
de connexion intense avec le dispositif. Ainsi en participant à ce type d’événements, les
consommateurs sont engagés à la vie de la marque, au-‐delà de l’achat et permettent de
faire vivre cette communauté de marque et d’en être même les défenseurs.
Comme nous l’avons vu, le succès ou non d’une stratégie de brand content musical
dépend d’une multiplicité de facteurs mais qui sont principalement liés à l’écoute et
l’ouverture de la marque. La marque se doit d’être en phase avec le développement des
outils communicationnels mais aussi s’ancrer dans un univers musical dans lequel il
peut s’affirmer connaisseur.
83 Entretien Thibaut de Longeville p.108
71
Partie 3. Brand content musical et digital : une formule magique ?
Il n’existe pas à proprement parler de formule magique concernant le brand content
musical, cependant nous avons pu constater que la plupart des facteurs qui construisent
une bonne stratégie ou non sont éminemment subjectifs, de part l’aura supposé de la
musique sur le public mais aussi par l’engouement pour les nouveaux dispositifs
digitaux.
Il est très difficile de dompter la force subjective de ce sujet pourtant il est important
ici de s’attaquer au terrain de la rationalité et de l’objectivité pour ainsi poser les limites
de ces stratégies de communication. Nous analyserons successivement l’imaginaire
autour du brand content, la maitrise complexe de cette nouvelle aire digitale de
communication, mais aussi l’utilisation de la musique et de ses artistes dans une logique
finalement commerciale.
72
I. L’imaginaire autour du brand content
La majeure partie des marques cherche aujourd’hui à intégrer une stratégie de
brand content sans en comprendre réellement les tenants et les aboutissants. Se pose en
premier lieu une véritable question de légitimité des marques à créer du contenu,
notamment face aux éditeurs traditionnels. D’autre part, rappelons que l’objectif
principal des marques est de vendre tandis que le brand content se situe dans une
optique différente, ainsi il est légitime de se demander si le brand content peut
permettre de répondre à cette attente.
A) Mise en cause de la légitimité des marques à se placer au rang d’éditeur de contenu
Editeur de contenu est un métier à part que les marques ne sont pas forcément en
capacité d’assumer. La création de films ou d’événements ponctuels ne permet pas
d’ériger la marque en éditeur de contenu et surtout de se faire reconnaitre comme tel
par les consommateurs.
Tout d’abord la création de contenu doit être « générative », c’est à dire que la
marque doit créer un patrimoine de contenu mobilisable à long terme et ne doit pas
céder à la tentation du « one shot » c’est à dire constituer des événements éphémères
sans liens entre eux. Une opération de brand content stratégique doit s’inscrire dans la
durée pour créer un véritable univers, pour donner naissance par la suite à diverses
mobilisations créatrices toujours en lien les unes avec les autres.
Lorsque l’on prend l’exemple de la marque Hennessy, son contenu suit une création
logique avec l’utilisation d’archétypaux liés les uns aux autres. La campagne « Never
Blend In » au début des années 2000, offre un discours de marque qui met en scène des
icônes tels que Marvin Gaye et Isaac Hayes ce qui lui a permis logiquement de glisser
dans la culture Hip-‐hop d’utiliser comme référents de nouvelles figures des temps
modernes de cette culture comme Ahmir Thompson ou Q-‐Tip.
73
Le brand content a pour but de constituer un univers de cohérence au sein d’un
champ social plus dispersé. Ainsi la « générativité » du brand content désigne « la
capacité en amont d’entrevoir le potentiel de développement dans le temps et sous des
formes diverses, d’une plate-‐forme de brand content ou d’un projet culturel de
marque »84. Le contenu ne doit pas être une fin en soi, mais comme nous l’avons déjà
évoqué, il doit permettre la construction de la culture de marque.
Au delà de la capacité des marques elles-‐mêmes à développer une stratégie
culturelle sur le long terme, les consommateurs et les éditeurs traditionnels remettent
en question l’aptitude des marques à développer un tel univers. Même si les marques
sont capables de proposer du contenu, elles n’ont pas toute l’aura nécessaire pour
s’imposer comme éditeur de contenu. La mise à disposition de contenu éditorial pour les
marques suscite en effet plusieurs interrogations en particulier du côté des
consommateurs. Les marques doivent aussi savoir répondre à l’impression de prime
abord de faux contenu ou de contenu de moins bonne qualité par rapport à celui des
éditeurs traditionnels. Ce problème renforce l’idée de créer des contenus sur le long
terme pour renforcer leur crédibilité. Les marques ont à faire à divers soupçons :
mélange des genres, volonté suspecte ou intention cachée. Lorsque la posture de la
marque ou ses intentions ne sont pas clairement exposées dans le contenu, le risque est
que cette volonté de brand content, se hisse simplement au rang de publicité cachée.
D’autre part le contenu peut paraitre inadéquat ou impertinent. La marque doit établir
une juste mesure entre créativité et territoire de marque. Le problème réside dans le
périmètre imaginaire des marques, l’univers de référence de marque est déterminant et
il sera d’autant plus difficile pour une marque de s’imposer dès lors que l’univers qu’elle
cherche atteindre ne crée pas des connexions naturelles. Les consommateurs sont
particulièrement sensibles aux affinités et à l’ancrage des contenus dans les patrimoines
de marque que ce soit au niveau fonctionnel ou stylistique. Ainsi le décalage entre un
contenu proposé et les valeurs de la marque donnent l’impression d’une tentative ratée
et le contenu pourrait bien desservir l’image de la marque.
Ainsi réfléchir à un contenu de marque repose bien plus sur l’idée de proposer
simplement un contenu créatif qui se veut ludique, pédagogique ou divertissant. La
marque fait face à de nombreuses interrogations qu’elle doit étudier avant le
développement d’une telle stratégie.
84 Bô Daniel, « Brand content : les limites du one shot et la force du génératif », Influencia (disponible en ligne : http://www.influencia.net/fr/actualites/rub,brand-‐content-‐limites-‐one-‐shot-‐force-‐generatif,47,2261.html), publié le 11 janvier 2012, consulté le 2 avril 2014
74
Tout au long de cette réflexion, nous nous sommes arrêtés sur des stratégies de
contenu de marque réussies ; néanmoins, toutes les marques ne parviennent pas à créer
un contenu de qualité adapté à leurs besoins. Le contenu de marque peut apparaitre
totalement inutile si les marques confondent le contenu avec la fonction qu’il remplit :
créer de la communication qui ait de la valeur pas seulement pour les marques mais
aussi pour un public qui a toujours le choix de consommer d’autres contenus. Dans
l’économie de l’attention qui caractérise notre époque, les consommateurs ont toujours
plus de choix de contenus tandis que leur capacité d’attention n’est pas extensible. Les
contenus qui ne parviennent pas à s’imposer comme des contenus culturels autonomes
en résonance avec la culture musicale ou en capitalisant sur le territoire d’artistes sont
voués à disparaître ou à simplement résonner comme des « coups marketing » sans
construction de valeur à long terme.
Nous ne pouvons omettre que l’objectif principal d’une marque reste l’incitation à
l’achat, ce qui pose une question principale pour la marque : le brand content peut-‐t-‐il
faire vendre ?
B) Le brand content peut-‐il faire vendre ?
La marque ne peut pas laisser libre cours à la créativité d’un contenu de marque car
elle est toujours soumise à l’image de marque. L’entreprise doit toujours faire passer
une image positive. Cette recherche de valorisation peut favoriser la diffusion d’un
discours abusivement positif sur la marque. La culture du contenu et la culture
publicitaire ont des objectifs bien différents. En publicité, le message baigne dans une
atmosphère bon enfant toujours peuplée de valeurs consensuelles, de héros positifs et
de gens courtois tandis que le vrai spectacle se soucie peu de ces exigences. L’image
dégagée par la création d’un contenu n’est pas forcément la priorité des artistes, ils
cherchent avant tout à exprimer des sentiments qui ne sont pas forcément de l’ordre du
bienveillant. S’ils en tirent une aura ou un capital sympathie dans la société, c’est de
façon indirecte par la qualité du contenu lui-‐même. L’éditeur de contenu traditionnel se
soucie beaucoup moins du « quand dira-‐t-‐on » car ce qui importe avant tout c’est le
75
contenu lui même. Lorsque l’on se veut proche de son public, il est en outre maladroit de
vouloir dessiner des portraits de personnages parfaits car cela ne reflète en rien la
réalité. Les contenus qui marchent aujourd’hui présentent justement des personnages
complexes qui n’ont rien du héros parfait ce qui démontre bien l’attente d’un public qui
se veut plus proche de la réalité et n’est plus enclin à intégrer les discours utopiques des
publicitaires. L’exemple le plus probant est bien l’analyse des séries à succès. Les héros
des séries comme House of Cards ou Docteur House sont tout ce qu’il y a de plus
politiquement incorrects : ambigü, cynique, profiteur, avide de pouvoir. Les séries
bienveillantes ont totalement été évincées par ces nouvelles séries d’une part car elles
proposent un contenu plus riche, plus complexe mais aussi car elles sont déliées des
bonnes moeurs que la société moderne a tendance à rejeter car elles semblent
aujourd’hui sonner comme faux.
Même si c’est aujourd’hui ce type de contenu qui fonctionne le mieux, il est difficile
d’imaginer une marque se lancer dans la création de contenus aussi segmentant ou de
rester totalement transparent. Même lorsque les marques utilisent des sujets sensibles,
les marques jouent sur la relativité et en tirent toujours le meilleur.
La communication Hip-‐hop de la marque Hennessy cherche avec ses différents contenus,
à prouver son implication au sein de cette culture mais ne veut en tirer que les
meilleures valeurs. Son discours évince une partie de sa relation avec la culture Hip-‐hop
et notamment le discours des rappeurs qui fait cependant partie intégrante de son
succès aux Etats-‐Unis. Ce que Hennessy ne met pas en avant est que le rap est né d’une
contestation violente et l’appellation du cognac dans les textes de rap était avant tout un
symbole de rébellion contre les « wasp » (white anglo-‐saxon protestant) buveurs de
whisky. Les wasp désignent l’archétype de l’américain blanc aisé dont la pensée et le
mode de vie ont structuré la nation américaine depuis les premières colonies du dix-‐
huitième siècle. Le terme exclut par définition les minorités dont les afro-‐américains.
C’est pourquoi, pour les défenseurs des droits civiques et de la désagrégation des Afro-‐
américains des années 60, les wasp furent la communauté adverse contre laquelle ils se
polarisaient. Les rappeurs ont fait alors référence à Hennessy en premier lieu par
contestation à une pensée selon laquelle les spiritueux de luxe étaient réservés à une
élite. Pour contrer l’idée selon laquelle le spiritueux appartient à une certaine classe
sociale, les rappeurs vont s’approprier cet objet et le placer au cœur de leur vie où la
violence est leur quotidien. La référence à Hennessy était donc en premier lieu une
76
contestation, et cherchait à provoquer le respect en plaçant la bouteille comme symbole
de pouvoir.
Pour contrer cette image qui reflétait pourtant la réalité et pour maintenir son statut
de produit de luxe sans offenser pour autant la communauté afro-‐américaine fortement
inspirée par les rappeurs, Hennessy lance la campagne « Feelings of Hennessy » dans les
années 1990, qui met en avant pour la première fois le côté émotionnel du cognac. Le
fait d’axer la campagne autour de valeurs émotionnelles permet une interprétation très
large. Cette campagne a permis à l’entreprise de garder une image luxueuse tout en
offrant la possibilité à la communauté hip-‐hop d’adapter le message selon leur style de
vie. Hennessy s’est donc réapproprié le discours pour recentrer le propos sur des
valeurs positives.
Ahmir Thompson, le batteur du groupe The Roots rappelle justement que « La
musique noire américaine évolue à chaque fois qu’elle est digérée. Le Hip-‐hop est
devenu une musique confortable comme le jazz à son époque. Le Hip-‐hop est né d’une
rébellion. Le rap est né durant les années d’oppression sous le gouvernement Nixon et
Reagan puis Bush »85. Hennessy n’a jamais présenté le rap comme une rébellion à un
système politique mais s’est plutôt attaché aux notions d’ascension sociales, de réussites
et de mixité. Une façon limitée de parler de cette culture complexe.
Ainsi même si Hennessy reste un bel exemple de réussite car la marque a su
s’imposer dans ce milieu culturel, il était important de relativiser cette implication qui
ne met pas en valeur toutes les facettes du Hip-‐hop car elles ne permettent pas toutes de
mettre en valeur le produit.
Le brand content maitrisé peut donc faire vendre pour les marques mais il doit suivre
des exigences de communication propre au métier et n’est pas totalement libre comme
les éditeurs de contenus traditionnels. Il faut prendre du recul même sur les contenus de
qualité et créatifs proposés par les marques qui ne peuvent pas éviter certaines
problématiques marketing.
Tout comme les stratégies de brand content, les nouvelles opportunités de
communications sur internet nourrissent des idéaux qu’il faut remettre en cause.
85 Blondeau, Thomas « Combat Rap : 25 ans de Hip-‐hop », Paris, Castor Music, 2007, p.77
77
II. De l’imaginaire autour des outils digitaux
Les progrès dans le domaine numérique sont fulgurants et semblent irrésistibles mais
comme toute période de changement, celle-‐ci comporte des risques et demande un
temps d’adaptation. Il s’agit donc de poser des limites et de ne pas tomber dans un
angélisme qui consisterait à ne voir que des côtés positifs à l’apparition des nouveaux
outils de communication digitale. Cette nouvelle ère pose de véritables questions quant
à l’utilisation de ces outils de communication et surtout leur contrôle de la part des
internautes mais aussi des entreprises et des artistes.
A) Du point de vue des utilisateurs
L’ère du digital donne aussi lieu à de nombreux excès et dérives. Les problèmes tant
juridiques qu’éthiques ont entrainé des questionnements. L’exemple de la loi HADOPI
contre le téléchargement illégal d’oeuvres artistiques et les protestations qu’elle a
soulevées démontre que nous n’avons pas encore trouvé le juste équilibre et les bonnes
règles du jeu. Par exemple, internet a déjà prouvé qu’il était le terrain des excès et des
communautarismes et qu’il pouvait rapidement se transformer en outil de propagande
délibérément utilisé par les organisations terroristes. Cet exemple pris à l’extrême
démontre qu’un travail important de maitrise de l’information et de la communication
est à faire sur ces plateformes de communication.
Sur le plan individuel et à propos de l’homme dans son essence, l’ère digitale nous
pousse à être sans cesse sollicités nous obligeant à être connecté en permanence et à
faire face à un « hyperchoix » comme s’emploie à le dire Alvin Toffer dans Le choc du
Futur86. Cette économie de l’attention peut aboutir à une réelle fatigue. Les individus
sont confrontés à de nombreux changements sur une période de temps extrêmement
courte. Ainsi le temps passé à apprivoiser ces nouvelles technologies est en constante
augmentation. La rapidité avec laquelle la technique progresse pose un nouveau
questionnement et pas des moindres : celui de l’obsolescence de l’homme dans un
86 Toffler, alvin « Le choc du Futur », Paris, Gallimard, 1987
78
monde dominé par des machines plus intelligentes que nous87. Certains philosophes se
sont aussi attelés à la relation homme-‐machine et en ont conclu que l’homme pourrait
développer des sentiments de honte face à la capacité des machines. L’intellectuel
allemand Gunther Anders parlait dès 1956 de « honte prométhéenne »88 : l’impression
de devoir son existence à un processus aveugle non calculé et ancestral, à la différence
des produits qui eux sont irréprochables. La question est donc bien la relation homme-‐
machine et la dépendance entrainée par celle-‐ci lorsque nous perdons le contrôle de son
utilisation. L’utilisation des nouvelles technologies et leur emprunte dans notre vie
quotidienne font que nous entrons de plain-‐pied dans une réalité guidée par ordinateur.
Ramené à notre sujet d’étude le brand content musical, les stratégies digitales ont
démontré que nous entrons dans une civilisation dominée par l’émotion. Les nouveaux
médias et les technologies qu’ils mettent en oeuvre sont construits sur le primat de
l’humain et de l’émotion. Les nouveaux moyens médiatiques offerts poussent à
retrouver ses instincts et à se plonger dans la dimension du récit. L’utilisation des
nouveaux outils pousse donc les internautes à être en demande permanente de
sensations en oubliant peut être le but essentiel qui est de profiter du contenu à leur
disposition. Le web participatif a ce travers qui est de rendre les utilisateurs
« nombrilistes » plutôt que de se focaliser sur la qualité du contenu. L’important semble
être plutôt le degré d’utilisation de nouvelles technologies que la connaissance qu’ils en
tirent.
L’utilisation des outils digitaux qui ont pour idéal d’améliorer l’expérience peuvent à
contrario détourner l’utilisateur de sa recherche pour le plonger dans un besoin de
démonstration face aux autres et de sensationnalisme partagé par une communauté.
Une meilleure connaissance de ces outils digitaux et surtout une prise de recul
permettent d’apprécier les bénéfices que l’on peut tirer de cette nouvelle ère. Les
mythes atour du numérique alimentent aussi les marques et les artistes qui peuvent être
confrontés à de nouvelles problématiques.
87 Jamet, Thomas « Rennaissance mythologique : l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale », Paris, éd. François Bourin, 2011, p.170 88 Anders, Gunther « L’obsolescence de l’homme », Paris, Encycopédie de Nuisances, 2002
79
B) Du point de vue des marques et des artistes
La mise en place d’une stratégie digitale pour les marques est aujourd’hui
essentielle, d’une part pour tenter de se démarquer de ses clients et d’autre part pour
leur visibilité. Avec des consommateurs de plus en plus connectés, une marque est
directement mal perçue si elle ne se rend pas visible sur la toile.
Cependant les stratégies digitales relèvent d’un différent mode de pensée, la marque
doit se rendre compte qu’elle passe du « hard power » au « soft power ». Les marques
sont bien plus vulnérables sur internet avec des consommateurs de plus en plus
insaisissables et intransigeants. Avec les multiples façons de communiquer, (réseaux
sociaux, blogs sites etc.) les points de contacts entre marques et consommateurs se
multiplient mais ce qui implique un comportement client qui évolue et se morcelle. Avec
les nombreuses possibilités offertes sur la toile, on l’a vu, une personne peut se créer des
identités multiples et peut donc changer de comportement en fonction du moment de la
journée et du canal de relation à la marque qu’elle utilise. Le consommateur selon qu’il
est sur tablette, mobile, ordinateur, Facebook, Twitter aura des attentes différentes de la
part des marques. Les entreprises prennent donc le risque de perdre le pouvoir sur un
consommateur insaisissable. Le pouvoir de la marque a longtemps été un pouvoir de
« contrôle » et de diffusion uniforme d’un message marketing de marque vers des
consommateurs passifs. Aujourd’hui la notion de pouvoir a évolué vers un pouvoir
d’influence, de diffusion virale et d’engagement avec des consommateurs partenaires qui
se veulent de plus en plus co-‐producteurs. En multipliant les formats des messages
propres sur chaque canal les marques peuvent avant tout créer un sentiment de
saturation de la part du consommateur et surtout à force de vouloir en faire trop créer
un « bad buzz », expression extrêmement populaire.
L’utilisation d’une stratégie de brand content digital permet au premier abord de
créer facilement de nouvelles relations avec un consommateur qui prend une posture
différente : celle de public. De nombreuses marques imaginent que la simple création de
contenu ou de storytelling permettent de s’imposer sur internet. Sur le web, les marques
cherchent avant tout à faire du « buzz » pensant qu’il est un élément constitutid fu
« miracle digital »89. Les marques doivent être toujours plus réactives et réfléchir en
amont à la communication de crise digitale, elles doivent adopter un comportement et
89 STADLER, Sophie « Le buzz, beaucoup de bruit pour quoi ? », CB News n°32, Juillet-‐Aout 2014, pp. 40-‐48
80
des réactions nouvelles dans un espace en constante mutation où l’utilisateur a le
dernier mot. Un espace plus large de communication impose une nouvelle gestion de la
relation client, l’idée selon laquelle les outils digitaux font naturellement ce travail
conduit les marques à de nombreuses impasses et à la forte résonance d’une mauvaise
image de marque.
Le digital a aussi bouleversé l’univers musical et le rapport des musiciens avec leur
public. L’apparition de la musique sur les plateformes digitales a changé
considérablement le rapport des consommateurs à la musique. La présence de la
musique facilement atteignable par tous pour un prix dérisoire où le téléchargement
illégal a obligé l’industrie de la musique à repenser sa façon de faire de l’argent. Le
téléchargement illégal donne un tout autre pouvoir au consommateur où il lui
appartient de payer ou non la musique qu’il écoute. Cette nouvelle façon de consommer
a bouleversé les relations entre labels, musiciens et consommateurs. Les nouvelles
modalités d’expression pour les artistes sur les réseaux sociaux et les plateformes
musicales ont fait de la toile pas seulement un outil de promotion mais une véritable
nécessité en terme de profit. Les artistes se doivent aujourd’hui de maintenir une
relation digitale avec leurs fans. Tous les professionnels de la musique s’accordent à dire
que la visibilité sur internet est aujourd’hui primordiale, d’une part pour la promotion
d’artistes mais aussi pour vendre en ligne. La vente de disques continue de chuter tandis
que les plates-‐formes musicales tel que iTunes n’ont jamais été aussi rémunératrices. Le
succès d’un artiste ne se mesure plus seulement avec l’argent qu’il se fait grâce aux
tournées ou à la vente d’albums mais aussi et surtout à sa présence sur internet et les
réseaux sociaux car c’est ce que demande principalement les fans. Le nouveau rôle de
communicant de l’artiste ne risque-‐t-‐il pas d’altérer sa relation à la musique ? Cette
nouvelle relation avec le public peut avoir pour conséquence négative de modifier le
rapport de l’artiste avec la musique et de déshumaniser le tout dans le but de rentrer
dans le cadre tel qu’imposer à l’ère digital. Ainsi, internet a incontestablement multiplié
les façons pour les artistes de se faire découvrir et de créer de véritables communautés
visibles et puissances favorables à la reconnaissance de l’artiste sans passer par des
labels. Mais cela induit de nouvelles dépendances où le musicien se voit de plus en plus
travailler son image dans un univers où le consommateur semble avoir les pleins
pouvoirs. L’artiste a tendance à devenir une véritable vitrine où son image est plus
regardée que sa musique.
81
La situation pour les musiciens est donc ambiguë, ils ne peuvent pas aujourd’hui ne
pas être sur la toile mais ils doivent aussi avoir conscience des limites d’une telle
visibilité et de la complexité de la relation aux fans.
Notre société actuelle est toujours en perpétuelle demande d’avancées
technologiques mais c’est également une culture qui valorise la musique qui fait
aujourd’hui partie de notre vie quotidienne. Le défi auquel nous faisons face est de
savoir combiner ces deux amours de manière complémentaire plutôt que l’un entrave le
succès de l’autre.
Ces évolutions digitales ont modifié les rôles des marques mais aussi des
professionnels de la musique qui cherchent à développer des contenus innovants. Nous
l’avons vu, marques et musique peuvent former un duo gagnant mais encore une fois
cette relation comporte des limites.
III. Un véritable travail d’implication des artistes avec la marque
Le brand content musical est une opportunité pour les marques de développer leur
potentiel culturel et pour les artistes de se faire reconnaitre par le grand public,
cependant cette stratégie de communication n’est pas une formule magique qui
fonctionne systématiquement. Elle comporte des risques d’une part pour l’artiste et
d’autre part pour la marque.
82
A) Les risques pour l’artiste
De nombreux professionnels de la musique tirent la sonnette d’alarme quant à
l’explosion des relations marques-‐musiques, et à juste titre. Le brand content n’est pas la
seule alliance possible entre les deux : placements de produits, habillages publicitaires,
endorsement, co-‐branding, les « marketeurs » ne manquent pas d’idées pour faire
fructifier cette alliance. Cette nouvelle relation a d’ailleurs permis l’ouverture de
nouvelles branches dédiées aux relations entre musique et marques avec des agences de
communications spécialisées, des structures intégrées dans les maisons de disques ou
encore des consultants. Face à l’effondrement des ventes de disques, toutes ces
opérations de communication doivent leur existence au sauvetage de l’industrie
musicale.
Dans ce rapport particulier marque/artiste, les intentions se sont
vraisemblablement inversées et comme nous l’avons évoqué plus haut, beaucoup
d’artistes se développement comme des marques à part entière bien plus puissantes
émotionellement que les enseignes et vendent alors leur rayonnement aux marques.
Ce nouveau pouvoir détenu par les artistes comporte cependant certaines limites
lorsque les collaborations avec les marques deviennent trop importantes. En s’associant
à de très nombreuses marques, les artistes risquent d’être « cannibalisés » c’est à dire
totalement « engloutis » par l’image de la marque90. A vouloir mettre en lumière leur
pouvoir émotionnel, les artistes se hissent eux aussi au rang de produit de
consommation en effaçant toute la dimension artistique du musicien. L’artiste est alors
vu simplement comme un produit qui s’achète et se vend. L’exemple le plus probant est
bien celui de la chanteuse Lady Gaga qui ne compte pas moins de vingt sponsors. En
outre, ces vingt sponsors sont des marques de tous les bords qui ne permettent même
pas d’assurer la cohérence pour l’image de la chanteuse. La plupart de ces clips sont
devenus un simple étalage de tous ses sponsors de sorte que la performance de l’artiste
ne semble plus être important. En outre, l’association d’un artiste à une marque, si celle-‐
ci est connotée d’une identité trop forte peut « vampiriser » l’image du musicien de sorte
que celui-‐ci ait une image trop liée à la marque et qu’ainsi aucune autre marque ne
veuille travailler avec lui91. Ces effets nocifs démontrent l’influence de l’image de marque
90 HELLIO, Bertrand, Cours de « Brand content musical » enseigné au CELSA 91 Ibid.
83
qui a le pouvoir d’assombrir l’aura du musicien pour n’en faire qu’un vecteur de
communication dénudé de son âme d’artiste.
Avec ces nouveaux moyens de communication et ses nouvelles relations, le danger
pour l’artiste est de perdre l’essence même de son travail qui est la passion musicale et
prioriser le développement de ses nouvelles fonctions de d’homme d’affaire. Un artiste
est censé partagé avec son public une émotion à travers la musique ; hors aujourd’hui,
on semble prioriser la forme sur le fond : avides d’images sensationnalistes, le musicien
en oublie le coeur de son métier pour plaire aux marques d’une part et au
consommateur d’autre part. De nombreux musiciens pointent du doigt cette
conséquence.
Le musicien «Babx » pointe du doigt cette réalité :
« En quelques années, le monde de la musique dite « actuelle » a été complètement avalé par l’idée de la communication et du marketing. Maintenant, il ne s’agit plus que de ça (…) Internet s’est développé en dix ans d’une manière énorme. L’industrie de la musique a évolué en lien avec ce phénomène. Il a fallu en permanence essayer de s’adapter avec souvent beaucoup de trains de retard, à sa rapidité, à celle supposée des internautes. (…) La musique est le seul art qui se soit fait phagocyter à ce point par des logiques commerciales. Maintenant la musique doit servir à illustrer une pub, elle doit être consommable par tous, dans tous les contextes, et doit absolument divertir. Par exemple, ce qu’on demande à un chanteur en ce moment c’est de faire chanter son public, de le faire taper dans les mains… »92
Un des risques de cette relation entre les marques et les artistes est de ne pas savoir
poser des limites. Les artistes semblent vouloir faire partie des nouvelles logiques
commerciales sans pour autant savoir contrôler cette relation. Ce risque est cependant
tout aussi important pour les marques qui sans maitrise de leurs stratégies risquent
d’être dépassés.
92 Scherer, Léa « Babx : ‘La monde de la musique actuelle a été avalé par le marketing’ », Rue89 (disponible en ligne : http://rue89.nouvelobs.com/rue89-‐culture/2014/08/30/babx-‐monde-‐musique-‐actuelle-‐a-‐ete-‐avale-‐marketing-‐254509) publié le 30 aout 2014, consulté le même jour
84
B) Les risques pour la marque
Pour qu’une association avec un artiste soit crédible et donc réussie, la marque doit
mener un véritable travail en amont de conseil stratégique en fonction de son territoire et de
ses valeurs pour determiner l’artiste qui sera le plus en affinité et qui apportera le plus à la
marque. C’est un travail unique avec chaque artiste, du sure-‐mesure car on ne peut pas
travailler de la même façon avec tous les artistes. Les marques ont généralement ce problème
de vouloir tout de suite collaborer avec des artistes célèbres mais n’ont aucune idée de ce
qu’ils pourraient faire ensemble ni de la manière d’animer leur future relation 360°. Un
véritable en amont implique la rencontre entre marques et artistes pour fournir un véritable
travail commun, créer des associations qui reposent sur des valeurs communes. Dans notre
entretien, Thibaut de Longeville pointe du doigt cette réalité «Il ne suffit pas aujourd’hui de
prendre simplement l’artiste le plus populaire et de dire simplement qu’il va être le porte parole
de la marque. Ca ne sera pas forcément le bon “fit” pour l’image de la marque.”93 Le danger est
de penser que le consommateur est encore dupe de ces relations factices or aujourd’hui celui-‐
ci détecte facilement les associations factices. Cela peut conduire à un dégoût de la part des
consommateurs de l’artiste mais aussi de la marque.
La marque a donc un véritable travail d’implication avec l’artiste. La mise en place
notamment de cellules dédiées à ce rapprochement dans les majors ou les agences de
communication spécialisées met en avant cette réalité.
En posant un pas dans l’univers de la musique, la marque doit se rendre compte
qu’elle ne parle plus à un consommateur mais à un public dont elle doit créer une
proximité évidente. La tradition des marques à sonder les attentes et besoins de leurs
consommateurs peut être un avantage pour l’examen des attentes de leurs publics.
Cependant la notion de public n’a pas la même définition que celui de consommateur. Le
consommateur est en relation directe avec le produit que vend la marque, au sens stricte
c’est la personne qui consomme la marque. Or aujourd’hui, il n’est pas anodin que les
marques abandonnent cette notion préférant parler de public. Cela fait référence plus
facilement à une communauté, et met en avant la relation entre la marque et autrui.
Parler de « public » induit le développement d’une dimension culturelle et l’importance
de la connaissance de ces publics. Parler à un « public » permet à une marque de
93 Extrait entretien p.107
85
s’impliquer dans l’univers artistique mais oblige aussi la marque à conduire le public
comme juge final du spectacle. En devenant acteur principal de la scène, la marque met
en jeu une véritable politique éditoriale soumis à l’appréciation d’un public déjà
impliqué et connaisseur de l’environnement. La marque doit donc determiner, en
analysant son univers de référence, quel type de contenu serait le plus judicieux, sur
quels supports et pour quels objectifs. L’imitation ne fonctionne pas dans cette stratégie
car la politique éditoriale doit correspondre à une indemnité et à un projet singulier.
L’implication de la marque est donc primordiale car les consommateurs sont
aujourd’hui des publics matures, informés des tenants et des aboutissants de la
communication et du marketing. Ils savent faire la différence entre une publicité cachée
et un véritable travail de création de contenu qui aura été obtenu autour de valeurs
communes entre un artiste et la marque. Comme l’a affirmé Aurélien Fouache au cours
de l’entretien, trop de marques tentent de simplement surfer sur la tendance de
l’association marques-‐musique, peu de marques sont réellement respectueuses de
l’univers musical « La marque qui sera la plus gagnante sera celle qui arrivera à se
différencier par son état d’esprit, à démontrer qu’il y a vraiment quelque chose derrière
et que ce n’est pas que de la publicité ».94
94 Extrait de l’entretien p. 111
86
CONCLUSION
Si l’association entre marques et musique semblait à première vue une nouvelle
stratégie de communication comme une autre, nous nous sommes rendu compte, au fil
de ce travail de recherche que la confrontation de ces deux entités est bien plus
complexe qu’il n’y paraît.
Nous avons observé dès le départ de notre analyse que la relation entre la musique
et la communication n’est pas nouvelle, on voit apparaître les premières traces de cette
union dès le Moyen-‐Âge avec les crieurs ambulants. La relation s’est développée,
officialisée jusqu’à, aujourd’hui y apposer un terme lourd de signification : le brand
content musical. Nous avons voulu dans ce mémoire analyser cette relation face aux
mutations technologiques, notamment à l’ère digitale, et chercher ainsi à comprendre
quelle mutation celle-‐ci a engendrées. Si, à première vue, le digital est venu actualiser
l’imbrication entre musique et marques de manière saisissante, il était intéressant d’en
analyser les conséquences pour en révéler les défis communs que s’attendent à relever
ces deux entités.
Nous avions dans une première hypothèse, postulé que le brand content musical,
associé à une stratégie digitale s’appropriait les valeurs de la musique pour mettre en
avant l’image de marque. Le travail de vérification de cette hypothèse nous a permis
d’analyser d’une part l’évolution des stratégies de communication et surtout des
nouvelles méthodes de « dépublicitarisation » face à la saturation des messages
publicitaires traditionnels et d’autre part d’expliciter ce que cachait le terme brand
content. En outre, le développement des sites de réseautage social ont mis en exergue
les nouvelles façons de penser, de consommer et de communiquer du grand public.
Parallèlement à cela, la mise en avant des différents atouts de la musique nous a permis
d’expliquer sa propension communicationnelle singulière et le transfert de valeurs
positives que la musique pouvait procurer aux marques. Le nouveau rapport aux
marques imposé par cet univers digital et les possibilités d’ouverture sociale et
culturelle notamment offerte par la musique ont permis de valider cette hypothèse sur
le rôle que peut jouer la musique associée à une communication digitale.
87
Notre deuxième hypothèse affirmait que le digital permettait de démultiplier les
effets d’une stratégie de brand content musical. Pour travailler sur cette hypothèse, nous
nous sommes arrêtée sur une notion devenue aujourd’hui essentielle pour la marque,
celle de brand culture ou culture de marque. La création de contenus, si elle est
pertinente, doit avoir pour but de développer une identité culturelle forte. En outre,
nous nous sommes concentrée sur l’utilité initiale du digital dans la création de contenu
qui est une mise en valeur du contenu mais aussi des consommateurs devenus co-‐
créateurs. A travers l’étude notamment des cas de Hennessy, Ricard S.A Live Music et
Converse, nous avons pu mettre en lumière tout l’intérêt du digital cependant notre
recherche a abouti à nuancer notre propos et à pointer du doigt la vision idéaliste de la
communication digitale associée au marketing musical. La deuxième hypothèse a donc
été confirmée mais dans une certaine mesure seulement puisque l’analyse de notre objet
de recherche nous a permis de prendre du recul par rapport aux fonctions du digital.
Ainsi cette seconde hypothèse nuancée nous a amenée à nous lancer de manière
plus assurée dans la troisième hypothèse, à savoir réfléchir sur les limites de
l’association du brand content, de la musique et du digital. L’emballement des marques
pour développer cette nouvelle fonction qu’est la création de contenu nous a fait nous
poser des questions quant aux réelles motivations des entreprises et à leur légitimité à
acquérir ce nouveau statut. Le brand content attire énormément aujourd’hui mais pas
toujours pour les bonnes raisons et certains parlent aujourd’hui de brand content pour
mieux orchestrer une publicité en réalité déguisée. Nous nous sommes ici attardée à
remettre en question la création de contenu par une entreprise qui a, in fine, un objectif
mercantile. Nous en avons conclu que le brand content pouvait avoir totalement sa place
au sein d’une entreprise mais cette stratégie de communication demande un véritable
travail de réflexion en amont et d’implication avec les artistes ainsi qu’une autre
manière de penser le développement de sa marque. Même si le brand content peut faire
vendre, cela n’est pas l’objectif premier, la marque travaille avant tout sa légitimité à
faire partie d’une certaine culture. L’imaginaire des qualités du digital a ici aussi été
remis en question et nous avons posé les limites de l’utilisation de ces outils d’une part
par les utilisateurs et d’autre part pour les marques et les artistes.
« L’ hypersollicitation » et les nouveaux rapports que cela induit font du digital un outil
complexe qui demande un certain nombre de connaissances mais aussi un recul
nécessaire pour utiliser au mieux ces nouvelles méthodes de communication.
88
Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur le brand content musical, on peut
légitimement se demander si cela est un effet de mode ou si c’est une stratégie qui va
perdurer et continuer à se développer. Cependant, ce travail de recherche m’a permis de
penser que cette stratégie va continuer de se développer. Nous l’avons vu, il ne s’agit pas
uniquement d’enjeux de production, de diversification ou de créativité mais d’une
véritable mutation au sein de la communication. Cependant, avec les limites que nous
avons posées, nous pouvons affirmer que les stratégies de création de contenu doivent
être construites et pensées d’une manière singulière. Dans l’avenir, le brand content va
devoir sans cesse évoluer avec les transformations du digital et de la musique pour sans
cesse s’adapter à la culture dans laquelle les marques s’insèrent. Une stratégie de brand
content musical efficiente doit penser contenu et création dès le départ et intégrer cela à
une plate-‐forme médias la plus complète possible pour n’omettre aucun point de
contact. Cette stratégie va continuer de se développer avec la technologie, les
innovations dans ce domaine permettent de penser que l’expérience consommateur et
l’usage sont la clés d’une réalité où les médias classiques, qui ont du mal à se réinventer,
utilisent de plus en plus le digital. Il est donc évident aujourd’hui qu’une opération de
contenu de marque même de qualité n’aura pas le même impact si elle n’utilise pas les
nouveaux outils de communication qui sont mis à la disposition des consommateurs.
Nous avons mis en exergue la relation ambiguë entre la musique et le digital, celui-‐ci est
l’une des causes de l’effondrement de la vente de disque tandis qu’il a offert de nouvelles
possibilités pour cette industrie à bout de souffle économiquement. Une chose est sûre,
la musique va aussi continuer de se développer à l’ère où le digital est devenu une
évidence en terme de communication.
Le brand content musical a alors de nouveaux défis à relever dans un environnement en
perpétuel changement mais où les mots d’ordre restent la création, le partage et
l’émotion dans le respect de la culture.
89
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ANNEXES
Figure 1 : Clip interactif « Happy » Pharell Williams
Figure 2 : Campagne Hennesse “Never Blend in”, 2003 Figure 2.1 : Portrait de Marvin Gaye
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Figure 2.2 : Portrait du rappeur Rakim
Figure 3 : Affiche du moyen-‐métrage « The Art Of Blending »
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Figure 4 : Posts des spectateurs relatifs au concert Ricard S.A Live Music du 21 Juin 2014
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Figure 5 : Tweets Ricard S.A Live Music au cours du concert
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Figure 6 : Timeline page d’accueil ricardsa-‐livemusic.com
98
Figure 7 : Analyse des posts Facebook Figure 7.1 : mise en avant de l’implication de la marque dans les festivals
7.2 : Exemple de posts “call-‐to-‐action”
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7.3 : Mise en avant du public dans les albums photos
7.4 : interaction avec les fans
100
Figure 8 : Analyse des tweets Ricard S.A Live Music
Figure 9 : Dispositif digital sur le site getloud.fr par Converse
101
Figure 9.1 : exemple de photos publiées dans l’onglet “after show” Photos amateurs focalisés sur le public
102
Figure 9.2 : captures d’écran exemple video Vidéo prise lors du concert du groupe “Wall of Death” Vision en contre-‐bas
Nombreuses prises de vues du côté du spectateur
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Entretiens semi-‐directifs Entretien avec Thibaut de Longeville : directeur de la société de production 360 Creative, il est réalisateur, producteur ; il est notamment spécialisé dans le contenu de marque musical. Il est le réalisateur du moyen-‐metrage “The Art of Blending” pour Hennessy et des videos des concerts “Get Loud” pour Converse. Tali Boumandil (TB) : Quel était le message que voulait faire passer Hennessy à travers « The Art of Blending » ? Thibaut de Longeville (TdL) : Le territoire de communication de Hennessy c’est le monde de la musique depuis longtemps, depuis qu’ils font du marketing aux Etats-‐Unis. Ils ont crée une série de concert en 2007 don’t l’objectif est de scénariser une des valeurs clé de la marque qui est l’art du mélange, l’art de l’assemblage des différentes eaux de vies et donc il font tres souvent l’analogie entre le travail d’un maître de chai et de celui d’un chef d’orchestre. Ils exploitent cette métaphore d’un point de vue marketing depuis longtemps. L’objectif de cette serie de concert, Hennessy Artistry, c’est de montrer qu’avec le mélange d’artistes de scenes musicales différentes, de générations ou de pratiques artistiques differentes, on créé des mélanges qui offrent une experience de marque supérieure. TB : Pourquoi utiliser le noir et blanc dans le film ? TdL : C’était une proposition de ma part, pour mettre en retrait les logos de la marque. C’était pour deux choses en fait : premièrement pour une question esthétique car j’adore le noir et blanc et deuxièmement, je savais que les musiciens étaient assez élégants, sapés, l’univers visuel naturel de The Roots, Q-‐Tip est assez “jazzesque” donc graphiquement ça se marrie hyper bien et troisièmement ça me permettait d’effacer ce qui ressortait directement de la marque, ça donnait une élégance. Si le postulat de la marque c’est dire “nous sommes fans de musique, on veut des vrais musiciens qui ont du talent”, ils veulent des musiciens reconnus majoritairement, comme The Roots. Avec ce postulat, c’était un mauvais parti pris de la marque d’avoir une scène avec des logos trop presents. J’ai voulu capter uniquement la pureté de la performance musicale. En outre, vue la qualité des artistes qui étaient presents, le noir et blanc permettait au film de lui donner un côté intemporel. TB : Qu’est ce que ce genre de production apporte à la marque concrètement ? TdL : Tout d’abord, Le premier territoire d’expression pour eux c’est de faire ce genre d’événement. Ensuite, comme ce sont des événements qui se sont passés dans de très belles salles pour un public privilégié, pre-‐selectionné, c’est la plus belle plate-‐forme d’exposition pour ce genre d’événement et de le rendre visionnable pour le plus grand nombre possible de personnes. Il y a eu aussi pout ce film plein de petites capsules de durées differentes d’environ une minute trente, pour faire savoir au grand public qu’ils étaient les mécènes de ce genre d’initiatives.
104
TB : Quelle a été la stratégie pour diffuser le film ? TdL : Avec une agence anglaise, on a travaillé sur une stratégie de diffusion du film. Il y a d’abord eu un événement de prestige pour le présenter comme une veritable création artistique avec une présentation cinématographique à Los Angeles dans le cadre des Grammy Awards, en gros donc ça donnait tout de suite un cachet de sérieux à l’expérience. Derrière cela, il y a eu un dispositif original, une première Facebook, c’est la première fois que cela se faisait. Pour pouvoir voir le film, il fallait “aimer” Hennessy sur des territoires géolocalisés. Donc il y a avait une heure de première communiquée pour chaque territoire. Le film était visible dans cette fenêtre de temps pour toutes les personnes qui avaient “liké” la page fan Hennessy. Il y avait en amont des trailers qui circulaient, toute une communication digitale pour que les personnes ciblées soient au courant de la diffusion d’un film d’envergure avec un line up d’artistes importants, et qu’il y avait simplement deux clics à faire pour visionner ce film. C’est assez novateur comme manière de communiquer autour d’un film. TB : Cela a-‐t-‐il eu le succes attendu sur les réseaux sociaux ? TdL : Cette stratégie là était aussi contrainte par le fait que la marque n’avait pas sécurisé les droits musique de toutes les chansons à l’intérieur du film donc ils n’avaient le droit de montrer ces images que dans un territoire totalement brandé Hennessy, en d’autre termes, ils ne pouvaient pas le mettre sur Youtube. Donc ils ont eu le meilleur résultat qu’ils pouvaient avoir en restreignant l’espace de visibilité. Ca leur a servi surtout à faire que les gens qui suivent Hennessy soient enthousiasmés par l’initiative de la marque, et aussi à faire du recrutement, beaucoup de gens ont suivi Hennessy juste pour voir le film. Ils ont été très contents mais moi en tant que réalisateur, j’aurais aimé les emmener sur un territoire de diffusion beaucoup plus large. TB : Quels sont les projets musicaux de la marque TdL : Ils montent de grands événements musicaux très régulièrement, leur cible est principalement homme entre 21 et 45 ans donc ils organisent de gros événements de musique notamment autour du All Star Game, le show de Basket. Par ailleurs ils choisissent un ambassadeur tous les deux ans environ, ils ont le rappeur Nas depuis deux ans maintenant avec qui ils mènent de nombreux événements. L’autre veine de communication est le graphisme, le design, le street-‐art. Ils font des événements pour connecter ces univers proches. Ils fetent en 2015 leur 250 ans, ils vont mener beaucoup de choses notamment sur leur patrinoine musicale. Ils nous ont fait travailler sur leur storytelling musical. Il y a énormément de concurrence dans ce domaine mais ce qui fait leur force est leur ancienneté, ils font du mécénat musical depuis 1880.
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TB : Comment avez-‐vous retracé leur histoire avec la musique du coup ? TdL : on a d’abord fait de la recherche pour démontrer leur investissement dans la musique. Ensuite on a réecrit tous les événements de storytelling autour de chacune des histoires qui nous semblait les plus éloquentes. On a consigné tout cela sous la forme d’un livre. On a aussi crée un mini documentaire de huit minutes qui montre à quel point il y a toujours eu la musique dans l’ADN de la marque. Ce ne sont que des elements crées en interne dans le but d’éduquer tous les directeurs marketing et aussi pour que ces elements soient prêts dans le cadre d’une exposition pour les 250 ans de la marque. On a aussi crée un modèle d’exposition avec une grande fresque qui mettait en scène physiquement ce storytelling avec des archives print, des extraits videos, audios et une espèce de scénographie de ce riche historique musical. Leur but était de démontrer que dans chaque style musical, ils ont pu travailler avec les plus grands. TB: On va parler de Converse maintenant, tu travailles depuis quand avec eux ? TdL : depuis 2012, avec les concerts “get loud”, “avant-‐poste” et d’autres initiatives qu’ils ont mené. TB : Tu as fait quoi exactement pour eux ? TdL : on ne fait que du contenu, on a donc été en contact avec leur positionnement dans le monde de la musique. On a capturé trois concerts pour le projet “Get Loud”. Ils ont fait récemment un revirement de positionnement. En terme marketing, la quasi totalité des ventes vient d’un seul produit ce qui est très très rare aujourd’hui, c’est un des dangers de la marque. Pendant très longtemps, la communication revenait à dire que c’est une chaussure de basketball, ils ont essayé de continuer d’exister dans le monde du basket mais ça ne leur a pas trop réussi car ils n’ont pas l’ingienerie pour developer des produits. Ils ont donc fait plein de communication vintage. Aujourd’hui leur positionnement est vraiment la musique, être partenaire de la creation. Deux veines donc, la musique et la créativité au sens large. Converse veut être un créateur d’expérience, si possible pionner dans leur domaine. Cela veut dire à chaque fois une manière de créer quelque chose de novateur ou d’inédit ou d’apporter quelque chose au consommateur que le concurrent ne pourrait pas forcément. Ils ont eu une initiative que je trouve remarquable qui s’appelle “three artists, one song” où ils prennent trois artistes qu’ils aiments bien et qu’ils font collaborer sur une chanson. Notamment il y a eu ce morceu avec Pharell, Santogold et Julien Casablancas qui s’appelle “My Drive Thru” qui est un cas d’étude interessant en terme de positionnement. Ils ont engagé une agence qui s‘appelle Cornerstone qui est très forte en terme de collaboration avec des artistes. Cornerstone a crée ce line up très original, ils les ont fait rentrer en studio sans aucune contrainte. Il se trouve que le morceau est un hit, l’agence a poussé ce titre exactement comme quand elle fait des lancements de chanson pour un label independent. Converse ayant une image assez cool, ils ont réussi quelque chose d’assez inédit, la chanson a été reprise par les dj’s, jouée en radio car il n’y avait rien de “Converse-‐isant” dans ce morceau, on pouvait ne pas savoir que le morceau avait été produit par la marque. En revanche, là où le lien a été fait de manière intelligente est qu’ils ont pris des réalisateurs suédois pour faire le clip qui montre une fresque d’origami mettant en scène les artistes. En meme temps ils avaient une campagne
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d’achat d’espace globale qui était leur plus gros achat d’espace, avec une galerie de personnages assez variée qui étaient unis par ce même principe d’origami, les jambes étaient reliées. Les personnalités ont été très bien choisies, tout en noir et blanc. C’est comme si la musique de la pub devenait un tube. Mais ça n’a pas été vue comme une simple musique de pub mais plus comme une experience réalisée grâce à la marque. C’est un très bel exemple où une marque a permis la creation d’une chanson complètement intégrée dans des univers musicaux dits légitimes et acceptés par les relais médiatiques de musique comme telle et pas vue comme une pub. Converse a aussi créé Rubber Tracks, un studio de musique à Brooklyn. Il donne à la disposition des artistes avec lesquels ils travaillent. Ca leur permet d’être un lieu où ils captent des images, ils communiquent sur un lieu physique qu’ils ont créé comme un studio de Motown, ils continuent d’être derrière des projets ambitieux. Avec “Get Loud” ou “Avant poste”, ils veulent créer des experiences particulières, ils sont à la recherche de nouveaux talents. Leur univers est très rock depuis quelques années, surtout avec le projet “Get loud”. Ils ont organisé une série de concerts dans des endroits insolites où les gens ne pouvaient participer que par un système de recrutement digital. Le but était de prendre des artistes qui jouent normalement dans des salles assez importantes et de les faire jouer dans des endroits de quartier qui ne sont pas du tout des salles de concert. Il y a eu un concert dans une épicerie à Bastille, une autre dans un parking dans le 9è arrondissement etc. Le postulat était “faite du bruit” pour encourager les spectateurs à exprimer leur rock n ‘roll attitude. TB : Pour les concerts “Get Loud” justement, est-‐ce qu’on t-‐ a demandé de filmer d’une manière spécifique ? Car j’ai remarqué que la camera bouge beaucoup, elle se retrouve principalement dans le public etc. TdL : Complètement, on a eu un brief très spécifique où il nous était demandé d’avoir un point de vue totalement immersif donc d’être du point de vue du spectateur. Ils voulaient vraiment cela, et ils demandent à toutes les boites de production dans les autres pays de faire exactement pareil, d’avoir comme ça une série filmée comme ça à l’intérieur de l’expérience avec le public qui bouge en meme temps etc. Ca rend compte de l’energie de la performance des musiciens mais aussi celle du public qui participle. TB : Et les photos c’est pareil j’imagine ? Car ce sont quasiment que des photos amateurs. TdL: Oui pendant les concerts, ils distribuaient des appareils jetables packagé “Converse Get Loud”, les spectateurs faisaient leurs photos, ils devaient rendre ensuite l’appareil photo en mettant leur adresse et Converse renvoyait les tirages des photos. Les spectateurs étaient amenés par eux memes à montrer leurs moments festifs. TB : Tu penses que c’est une technique de communication pour se montrer plus proches de leurs consommateurs ? TdL : C’est surtout d’être plus cool, de proposer quelque chose de marrant qui est aujourd’hui un des challenges les plus importants de ce type de marque. Les consommateurs sont de plus en plus imperméables au marketing et aux publicités, ils souscrivent à l’univers d’une marque parce qu’ils aiment la marque. C’est une marque qui a les mêmes valeurs, la meme sensibilité qu’eux. Il ne suffit pas aujourd’hui de prendre simplement l’artiste le plus populaire et de dire
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simplement qu’il va être le porte parole de la marque. Ca ne sera pas forcément le bon “fit” pour l’image de la marque. TB : Du coup question plus générale, c’est quoi pour toi les ingredients d’une stratégie de brand content musical réussi ? TdL : Il y a tout d’abord la pertinence du choix de l’association. Le mieux est quand l’artiste consomme naturellement le produit. Ensuite c’est l’ambition de l’initiative qu’ils vont mener ensemble, un projet qu’ils ne feraient pas tout seul, il faut que la marque apporte quelque chose de plus. Au niveau des contenus, le plus important est qu’ils s’effacent, certaines des initiatives les plus réussies, ce sont celles qui sont plus proches du mécénat que du brand messaging. Les meilleurs sont ceux qui pénètrent la pop culture où l’artiste est accepté exactement comme tel, typiquement la chanson “My Drive Thru”, où les choses sont approchées avec énormément de realisme et d’authenticité. C’est évident que la sphère digitale aujourd’hui multiplie les opportunités pour ça. L’industrie de la musique est en recherche de renouveau, du coup tout est permis et les marques ont un énorme rôle à jouer à l’interieur de ça. TB : Donc pour toi qu’est-‐ce que cela a changé l’arrivée du digital ? TdL : Ca a récolutionné l’industrie de la musique, la chute des ventes de disques notamment mais ça a ouvert d’autres possibilités. Du coup les artistes se servent de ces medias pour se faire connaître. Les projets de clips, d’images, de documentaires et tout ce qu’on a envie de voir autour d’un artiste constituent de grosses opportuniés pour les marques en se positionnant sur les univers de ces artistes là.
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Entretien avec Aurélien Fouache : Directeur adjoint de l’agence de brand content digital Kindai. Il a mis en place notamment le dispositif digital autour du Live Ricard S.A Live Music lors de la fête de la musique. TB : Quel est ton role exactement chez Kindai Aurélien Fouache (AF) : Je m’occupe de tout ce qui va être “operations spéciales” c’est à dire des cas comme Ricard, pas des comptes à l’année. Le client vient nous voir avec un problème qui implique un dispositif digital complexe. Le poste en lui meme c’est “creative technologist”. TB : Etait-ce la première collaboration avec Ricard ? AF : Oui. Les marques d’alcool ont un problème particulier. Avec la loi Evin, ils n’ont pas le droit de faire de la publicité en montrant le produit. Donc toutes ces marques de type Heineken, Pelforth, etc. elles ont toutes une entité musicale ce qui leur permet de créer des points de contact avec le consommateur d’alcool sur un lieu où le festivalier en general boit de l’alcool. Avec la musique, ils peuvent communiquer de manière indirecte. TB : Ricard organise depuis plusieurs années ce rendez vous lors de la fête de la musique, pourquoi cette année avoir mis en place un dispositif digital ? AF : Ils ont toujours le challenge de se demander comment un consommateur peut avoir envie de revenir à un événement recurrent de ce type. Donc comment animer l’événement, comment créer de l’interaction. Mais c’était déjà le cas il y a dix ans avec les photocall par exemple. Ricard voulait animer les temps de pause et en même temps avoir de la resonance sur les réseaux sociaux. Le but était d’animer le spectacle pendant les temps de pause. L’attente du client était de travailler l’affecte des consommateurs de Ricard en renouvellant la manière dont se déroule les événements et les concerts. Tout l’outil et la technologie du dispositif a été entièrement crée pour l’événement. C’est la première fois par exemple qu’on utilisait l’application real-‐time d’Instagram. Comment est venue cette idée du selfie avec Charlie ? Penses-‐tu que ce type de dispositif impliquant le selfie incite les gens à interagir ? AF : Ce n’est pas notre idée celle-‐ci, on avait proposé quelque chose de plus conséquent mais par manque de temps et de moyens, on n’a pas pu le mettre en place. Ce type de dispositive a été en fait un test pour voir si Ricard allait investir dans ce type d’événements. Vu le succes de ce dispositif, notre autre proposition de projet a été bien reçue, du coup l’année prochaine nous accompagnerons Ricard sur les tournées d’été avec le dispositif initialement prévu. L’idée du selfie avec Charlie était d’avoir un “call-‐to-‐action” physique, il faut pousser les consommateurs à être creatif, ils ne vont pas simplement participer parce qu’on leur dit que c’est cool, il faut leur donner une raison de faire des photos.
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TB : Quel a été le retour que l’on t-‐a fait après ce concert ? Les gens ont-‐ils apprécié ce mur social ou s’affichaient leurs tweets ? AF : Ricard a été très content de l’événement, on a eu beaucoup de participation alors que le dispositif était effectif uniquement pendant les temps de pause. Ricard ne voulait pas dénaturer la performance des artistes. Il y a une diffusion en cumulée d’à peu près une heure donc pas très longtemps au final mais il y a tout de même eu un tweet par seconde environ. TB : Selon toi qu’est ce qu’apporte le développement d’un dispositif digital durant un live ? AF : Une interaction que tu ne trouves pas forcément ailleurs. D’abord il faut savoir que Ricard, ce sont les plus légitimes pour ce type d’événement en France, ça fait plus de 20 ans qu’ils font ça, ils ont quand même amené The Cure pour un concert à République. Chez Ricard S.A Live Music ce sont de véritables passionnés ; avec leur public, c’est la même mentalité. Donc on s’est demandés, en tant que spectateur qu’est ce qui pourrait améliorer ton expérience ? Mettre un mur social qui permet d’afficher ton tweet devant 20 000 personnes, c’est quand même amusant. C’était drôle d’ailleurs parce que tu avais même des spectateurs qui ne se connaissaient pas et qui interagissaient via ce mur, on a mis leur conversation en avant. Le but du jeu est donc de créer de l’interaction, de faire quelque chose de different, et animer les temps de pause pour ne pas que l’ambiance redescende. Cette experience a prouvé la résonance que cela pouvait apporter sur les réseaux sociaux, c’est d’autant mieux pour une marque d’alcool qui ne peut pas parler directement de son produit et qui fait juste des concerts. TB : Comment vois-‐tu l’avenir de l’association entre marques et musique ? AF : Ricard est vraiment respectueuse des artistes et honnête dans sa demarche, ce qui n’est pas le cas de toutes les operations musicales des marques et qui font parfois du marketing pure et dure. C’est un mileu quand même compliqué et la plupart des marques tournent en rond, il y a du travail quant à la manière d’organiser les événements, ils doivent se renouveller. Majoritairement on n’arrive pas à les différencier, ce sont souvent les memes concerts avec simplement un logo different. C’est une stratégie encore nouvelle, l’expérience du concert est dure à faire évoluer. La marque qui sera la plus gagnante sera celle qui arrivera à se différencier par son état d’esprit, à démontrer qu’il y a vraiment quelque chose derrière et que ce n’est pas que de la publicité. TB : QU’est ce que le digital apporte de plus à une campagne de brand content ? AF : Créer de l’affect. Le digital permet aux gens de vivre des experiences chez eux. Sur internet, tu n’as pas de limites, tu peux créer ce que tu veux donc tu peux créer un événement où ton audience va être plus attentive parceque la personne va être toute seule chez elle ; de lui faire vivre des experiences interactives qui lui permettent de retranscrire certaines choses que tu peux vivre dans la vie réelle. Cela permet de créer des émotions, chose difficile à
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concevoir à travers un print par exemple. Pour moi, ce qui est interessant c’est que le digital n’a pas de limite, tu peux le connecter au monde réel. A l’avenir, cela va se faire de plus en plus de connecter des objets à internet, que ton action online ait un impact dans la vie réelle, là il y a une vraie expérience. La technologie ne va pas te permettre d’être creatif mais va servir ta créativité pour rendre ton experience inédite, exclusive. L’internet des objets va apporter une nouvelle dimension aux expériences que tu peux créer auprès de ton audience. Dans 2-‐3 ans, ça va arriver en France mais les clients français sont encore frileux. TB : Face aux nouveaux outils digitaux, quelles sont les nouvelles attentes des consommateurs ? AF : A la base, ce n’est pas naturel d’instaurer une relation avec une marque. Ce qui est sûr, c’est que le client ne veut pas de publicité intrusive. Aujourd’hui le Graal pour une marque c’est de créer de l’interaction car ce n’est pas naturel de parler à une marque. Les marques aujourd’hui veulent créer une préférence de marque par rapport à leurs concurrents. Concrètement les reseaux sociaux, ça ne va pas permettre de faire des ventes mais par contre ça va permettre de se positioner sur un secteur. Aujourd’hui plus tu échanges avec la marque, plus tu es d’accord avec ce qu’elle raconte. Donc il faut travailler la notoriété spontanée. Les medias sociaux cherchent à publier du contenu pour dire à leurs consommateurs “on se ressemble, on peut donc échanger ensemble et donc tu peux consommer mon produit”.