Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes
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8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes
1/8
t
' Re\ ue
des
sciences religieuses 68 n 2 (1994), p. 159-172
ECKHART ET
LE LIVRE DES CAUSES
L ETRE COMME PREMIER-CRÉÉ
LA POSSIBILITÉ DE PENSER
ET D'EXPRIMER LA CA USA PRIMA *
l. Le premier effet de la cause premiere dans
le
développement
d'un « systeme » originairement cohérent de la réalité est l'objet de la
quatrieme proposition du
Liber
de
causis
: « La premiere des choses
créées est
l etre
et avant celui-ci rien d'autre n'est créé (il n'y a ríen
d'autre de créé) ))
(prima rerum creatarum est esse et non
est nte
ipsum creatum aliud). Cette proposition a souvent été citée par des
philosophes
du
Moyen Age. Elle désigne l'Etre (ou l'Etre
en
·tant
qu'exister) comme
une
chose créée
et
produit ainsi une analogie
oula
pensée
de
la différence entre
un
Etre créé et
un
Etre absolu, incréé, qui
est 'origine créatrice
de
ce qui est créé. En lien étroit avec la gradation
de la réalité entiere élaborée par Proclus, le Liber de causis conc;oit
cependant l'Etre composé
du
fini et de l'infini (limité-illimité) comme
« plus
un
»
(vehementius wzitum)
que toute autre chose créée. Cela luí
vient
de
sa proxímité immédiate- qui,
au
sens littéral
du
terme n est
médiatisée par ríen - avec
f ~
pur ou vrai. Alors que Proclus faít
découler de 1 Etre la
Vi
e et 1 Esprit (la Pensée) sans stadés intermédiai
res, c'est-a-dire
en
líen intense avec l'Etre, le
Liber de causis
fait ici
l'économie de la vita et raccroche le concept d inteliigentia a l'Etre.
considere
si
peu la
«
suite d'abord établie comme une différence,
qu'il affirme encore dans le commentaire de la proposition IV une
identité entre
esse
et
intelligentia ou
laísse
du
moins possibilité de
soutenir que l'Etre puisse etre immédiatement la Pensée : et esse
quidem creatum primum est intelligentia totum, verumtamen intellige-
tia in ipso est diversa per modum quem diximus (1 ).
Cct article cst
la
fin
de
1
article
paru
dans
le
recucíl :
Voici
Maitre
Eckhart, éd.
par
E. ZtJM BRUNN,
J. Millon, Grcnoble.
1994
(Sommaire
p. 218).
(1) IV,
44,
64, sq.
- Concemanl
la Propasitio IV dans
d'autres contcxtes
médiévaux :
R.
SCIIÓNBERGI:iR
Die
Transfonnatimz
des klassischen Seinsl erstiilzdnis-
ses. Studien
zw·
Vorgesclziclue des neuzeitlichen Seinsbegriffes
im
Mittelalter,
Berlin,
1986, 270
sq.,
317.
-
8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes
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160 W.
BEIERWALTES
La
proposition portant sur
l Etre
comme Premier-Créé est essen
tielle, en tant que proposition authentique, pour la conception de l Etre
propre
a
Eckhart. Dans les passages ou il nomme cette proposition non
seulement dans ] ensemble de citations non identiques et donnant a
penser, on peut dégager les constellations conceptuelles suivantes de
ses commentaires parcimonieux : Dans l interprétation de I affirma
tion creavit deus, ut essent omnia, (« Dieu créa afin que tout soit),
soutenue par le
Livre de la sagesse,
la proposition désignant I Etre
comme Premier-créé vise de maniere tres générale
la« ratio creabili
tatis » (2). L Etre ne fonde pas seulement le fait que quelque chose
soit créable, mais il est tout autant une indication pour ce qui est créé.
- L Etre ne vient pas s ajouter comme un supplément a ce qui est créé,
il précede bien plus -les autres modes de 1 etre-créé en tant que
possibilité fondatrice et réeUe de toutes les différenciations et concré
tisations dans les multiples formes de l étant : praevenit et prius est
omnium. Dans le sens du Liber de causis, le fondement se trouve dans
le fait que
esse omnium est immediate a- causa prima et a causa
universali omnium
(3). L Etre compris comme
ratio creabilitas
im
plique l idée qu un etre vivant ou pensant ne peut l etre que paree
qu il
est.
Ainsi, l Etre, en tant que créé, n est pas isolé en soi ou ne
s hypostasie pas seulement soi-meme, mais représente pour chaque
forme individuelle de la réalité dans son ensemble le fondement réel,
ouvrant toutes les possibilités des possibles, englobant tout en soi soit
la structure fondamentale qui rend possible et
«
réalisable
»
toute
forme particuliere de la réalité. L acceptation de cette proposition sur
l Etre comme Premier-Créé détermine une maniere de penser et de
parler différenciée au sujet de
1
« Etre
»
dans son ensemble : l Etre
comme e hose créée, considéré sous 1 aspect de la ratio creabilitatis,
est adistinguer de l Etre meme de Dieu qui est incréé, et qui, de ce
fait, n est pas soumis a la
ratio creabilitatis,
c est-a-dire l Etre pur,
absolu, qui ne se réfere qu a soi-meme et riche en et de soi-meme.
Cette auto-référence de l Etre pur comme
intelligere
ou
sapientia
est
cependant le fondement de l Etre créé, précédé par l üztelligere
fondateur de I Etre créatif, mais
en
lui-meme en tant que non-créable,
il est luí est identique. Par ce mode de l Etre intense et identique a son
intelligere, Dieu agit dans ses créatures. Deus autem se toto est esse
et operatzir
in
creaturis per ipsum esse et sub ratione
esse
(
« comme
l Etre lui-meme, il agit dans les créatures par l Etre et dans la mesure
(2) In Sap. 24,
CEuvre
latine,
2,
344, 5; 5, 41,
11
; la, en 41, 7,
«
esse
»esta
comprendre comme chose créée : «
unde statim cum venimus ad esse, venimus
ad
creaturam ».
(3) Prologus generalis in opus tripartitwn 8,
CEttvre
latine, l. 143, 4 sq. Pour
« immediate », cf. H. EBELJNG,
Meister Eckarts Mystik. Studien
zu
den Geisteskiimp
fen um die Wcnde des
13.
Jahrhunderts,
Stuttgart, 1941, p. 56 sq.
I
EC::KHART ET
LE UVRE
DES
CAUSES
161
ou il est l Etre » (4). A partir de ce point, on peut rnettre clairem.ent
en évidence la relation des deux modes de l Etre
dans
leur différence:
Paree que
Dieu est l Etre lui-meme
dans
ou
en tant
que sa n s é ~ et;
paree qu
il agit dans le créé « par son Etre meme » et sous le mode
de
sa pensée identique
a
on Etre, ce qui pour lui est premier,
sa
pro pre
essence, est aussi le premier « Résultat » de son agir créatif vers
J extérieur :
prima rerum creatarum est esse.
Cet aspect
final.de·
l affirmation du Livre de la Sagesse, creavit, ut úsent onmia, Maltre.
Eckhart le souligne particulierement lorsqu il désigne le «
ens sive
esse
» comme
primus tenninus creationis,
«le premier but de .}a _
création » (5) ou l identifie avec la
fin
(6). C est ainsi que, a travers,
l activité créatrice de Dieu, qui produit l Etre, se réalise dans cet Etre
du créé la « premiere cause (immanente) des choses créées et de la
création » elle-meme.
La«
Premiere
»cause
immanente, c est-a-dire
celle agissant a coté des trois autres modes des causes est cependant
la «fin
», prima causa causarwn .finis est
(7). L
Etre
posé comme
premiere réalisation de l agir causal - d apres quoi l Etre est
déter.:.
miné comme fin causée ou comme cause de la fin du mouvement de
la création - est en tant que ratio creabilitatis en meme temps
fondement pour toute singularisation créative ultérieure. Si
1 esse,
compris comme « fin
»
du mouvement de la création est une possibi..: ·
lité de compréhension
(unus intellectus)
(8) de la proposition du
Liher
de causis,
une autre interprétation sous l aspect de la
causa efficiens
serait alors possible (9). La « fin » mise en valeur englobe, en e(fet,
l aspect de la
causa efficiens :
Dieu comme la cause premiere met en
reuvre dans son acte créateur l Etre comme fin de ce mouvement.:
meme, de sorte que
1
« effet
»
est identique a la « fin » ; ou encore :
la causa e.fficiens se réalise comme la fin de son propre mouvement.
Les lignes de fond de la compréhension de la proposition IV, telles
qu elles apparaissent e hez Maitre Eckhart, sont mises en reuvre
dal1s
le commentaire substantiellement différent qu en fait S. Thomas. En
faisant constamment référence
a
Proclus, cet entendement évoque la
dialectiqué
du
simple (ce qui est commun, général) et du multiple
au
·
sein meme de l Etre créé.
Il
exclut l idée que
l Etre
en tant
que
Premier-Créé puisse désigner un quelque chose comme étant singli
lier, déterminé et qui serait créé
(subjectunz creatum).
Il désigne plutót
(4) In
Sap
23,
fEII\ re latine
2, 343, 9 sq .
(5) In
Joh 65,
CEm l e
latine 3,
54, 5. . .
(6) In Sap 26, CEuvre latine
2,
346, 7. Expdsitio libri Genesis 141,
CEuvre,
latine
1, 295. 2.
(7) CEuvre latine 1, 295, 2; 2, 346, 7
sq.
(8) CEuvrc
latine
I, 295,
l.
· :
(9)
«
Utrum in deo sit ídem esse et intelfigere
»,
4, CEuvre latine 5, 41, 9 sq.-; bz
Joh 66, CEuvre latine 3, 54, 6 sq.
-
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162 W.
BEIERWALTES
l'essence
a
proprement parler d'un objet de la création » (propria
1atio obiecti creationis). L'essence de ce qui est créé n'est pas pour
luí l'etre-ceci-ou-cela
(hoc ens),
mais l'Etre aproprement parler qui
se réalise sous de multiples aspects dans le singulier. En tant qu'il est
le plus forme] et le plus
«simple»,
l'Etre de la quatrieme
propositio
-.le
Premier-Créé- n'est pas pour autant le concept le plus vide, une
absence de détermination en soi indifférenciée, un pur Exister qui ne
·serait que pour lui-meme, hypostasié. L'universalité, la simplicité et
tout simplement la« formalité »de l'Etre sont plutot le fondement qui
rend
possible toute singularisation, multiformité et détermination
essentielle de l'autre, c'est-a-dire de l'étant individuel. L'Etre comme
fondement universel comporte la singularisation (concrétisation,
iridividualisation) comme
étant
toujours une possibilité en soi. Or,
dans l'horizon de l'infinie multiplicité de possibilités, cette réalité
possible incluse dans l'Etre parvient au repos dans la forme d'essence
déterminée d' un
étant: esse est aliquid.fixwn et quietum in ente.
Dans
l'acte de multiplication (multiplicari. diversijicari) de son unité
originairement posée, 1 Etre, médiatisé
en
tant que fin de
1
acte
créateur, se révele ainsi comme fondement de création et de conserva
tion de chaque étánt. C est aussi dans ce contexte que la proposition
.súivante peut se comprendre :
«
L'Etre est ce qui est en chaque chose
ce
qu'il y a de plus intime et qui pénetre au plus profond
»
(10). Cela
·correspond exactement a la pensée que Maitre Eckhart applique a la
premiere these du
Liber de causis : «
Rien n' esta ce. point Un, rien ne
. convient mieux, ríen n'est aussi intimement lié a son action et a
. n'importe quel objet que l'Etre meme et sa cause premiere » (11).
-Dans
1
Etre en tant que Premier-Créé
se
révele 1 acte premier de
l'origine divine et, en tant que constitutíf premier et
le
plus intime,
trouve en tui la base
de
l'épanouissement de son agir ultérieur.
Afin de renforcer et de nuancer cette pensée, Maitre Eckhart
·s' appuie assez souvent sur trois a u res propositions du
Liber de causis.
Pour le moins, elles représentent des éléments essentiels au sein d un
probable projet d'ensemble d'une théorie qui expose le mode et
l'intensité de l'agir de la cause premiere, du Dieu créateur, done de
son Etre-dans le créé, mais qui en meme temps fait prendre conscience
(du) et garde
a
présent
a
la conscience le fait que 'origine divine
'demeure elle-meme dans 1 agir et en tant qu' étant dans le créé. La
. : 1 0) Somme Théologique l, q. 8. a. 1esse autem est illud qund est magis illlimum
cu libet et quod profimdius onmibus inest. Sur ce
qui
précede, e . mon étude citéc en
·note 3, page
212. ·. .
; (11) In
Sap 194. (Euvre latine 2,
529, 7-9 :
Nihil autem tam wwm nihil tam
éOJll eniens.
nihil tam illtimum et coni1mctwn effectue
et
reí cui/ibet quam esse ipsum
et causa sua prima, ut ait propositio prima de causis, In Joh, 34, (Euvre latine, 3,
28,5
sq.
'
ECKHART ET
LE
UVRE
DES CAUSES
163
premiere propositio du Liber de causis souligne l'agir de cause
premiere, son intensité, qui le fait atteindre jusqu'aux domames les
plus éloignés du réel : cette cause premiere « ne prend pas sa
puissance de la deuxieme cause (ou des c a u ~ e s secondes); alors que
celle-ci se distingue d'elle et dans une certame mesure se meut hors
d'elle, la
premiere ne se sépare pas d'elle, ne met pas un terme a son
«
influence
».
Bien plus, la premiere cause « aide
»
parfaitement
toutes les (causes) secondes, «elle leur est fortement attachée et les
maintient »,
elle « demeure » en elles (12). En vue également de cette
séquence, Maitre Eckhart défend énergiquement la these selon la
quelle tout étant et tout objet singulier n'
a
pas simplement son Etre
de Dieu, mais qu ille possede « sans quelque
m é d i ~ t í o n
que ce soit »,
«
immédiatement
»
(inunediate)
:
«paree
que
D1eu
est totalement
Etre, purement Un », il est aussi
«
nécessairement par
l u i m e ~ e
immédiat, présent achaque réalité singuliere, non pas achaque partle
l'une apres l'autre,
ni
a une partie par
le
truchement de l'autre
»
(13).
Paree que I'Etant ne doit pas seulement son Etre, mais aussi son
unité, sa vérité et sa bonté a
E t r ~
divin, qui est ces structures
fondamentales,
e
est-a-dire une identité auto-référée, on comprend
alors conséquemment
1
affirmation suivante :
es se autem deus esl
- «
l'Etant est Dieu
»)
(14). Pour défendre cette these
c o n t ~ e
les
fausses interprétations de panthéisme qui se fondent sur _le fmt
q u ~
1 Etre créé par Die u luí serait identique, que
D ~ e u
est ce qm est lm
créé en égalité d'essence, que le monde
est
Dteu, une these du L1ber
de causis
vient apporter son appui :
Causa prima reg_if res
( c r e a ~ a ~ )
omnes praeter quod commisceatur cum eis ( « la prem1ere cause reg1t
toutes les eh oses (créées), sans
se
confondre avec elles
»)
(15). La
lumiere di vine agissant, au sens johannique du terme, dans la ténebre,
e
est-a-dire dans.1e créé,
«
n'y est
pas
enfermée, elle ne se confond pas
avec
elle»,
elle n'est pas englobée (comme
un
Tout)-en
elle(l6).
Dieu, selon un paradoxe antipanthéiste, est · de la meme maniere
comme un Tout
dans
le singulier, mais en tant que Tout il reste et
( 12) Líber de causis, prop. I : Non separatur ( .. ) non removetur ( .. ) adiuvat,
adhaeret, sen·at, il fluit l'Írtutem suam, remanet
in
ea.
.
(13) Prnlogus in npus propositionum 14,
CEuvre
latine I,
173,
14-16:
(
..
)
q_wa
deus se tofo esse. simpliciter est wws sive Ullll/11 est, necesse est, tu se roto 1 1 1 1 1 1 1 e d ~ a e
toti assit singulo, quod non parti post partem ne partí per partem avant cela est CJtce
la
premiere propositio du Líber de causis.
. ·
(14) /bid.
173,
4. Cf. pourcette affirmationW. BmERWALTES,
«
Platonismus und
ldcalismus » Francfort 1972, dans le chapitre Deus est esse, esse est deus, la
quatrieme
s ~ c t i o n
p.
7
sq.; A.
DE
LIBERA, .«Le pro?leme de l'ctre chez
~ a t u : c
Eckhart: Logiquc ct métaphysique de l'analogJe », Caluers de la Revue de Tlleolog1e
et de Pllilosoplrie 4, 1980.
(15) Propnsitio XIX.
(16) In Jo
h.
12, (Euvre latine, 3,
12,
6 sq.
-
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W. BEIERWALTES
demeure en-dehors, quia ipse sic totus est in rebus singulis quod totus
est extra (17). Cette forrnulation paradoxale rappelant 1'ltinerarium de
S. Bonaventure ( 18), a été développée par Maítre Eckhart comme une
rétlexion spéculative de la plus haute subtilité qui tente de mettre en
évidence la relation dialectique de l'Etre-en et de l'Etre-au-dessus de
Dieu. Pour ce faire, il part dans son commentaire sur la Sagesse d'une
proposition, qui unit et tient ensemble la divergence et l'unité de la
différence et de l'indifférenciation:
« Deus indistinctum quoddam est
quod sua indistinctione distingitur » « Dieu est un Indifférencié qui
par son indifférenciation se distingue (de toutes les choses créées)
» ).
Cette proposition implique un double aspect de 1' indifférenciation :
l. L'indifférenciation en Dieu lui-meme comme unité trinitaire, qui
n a pasen
elle de véritable altérité. Par cette indifférenciation
en soi,
l'unité pure
se
distingue de ce qui est différencié en soi et par rapport
a
autre chose. 2. Cette proposition vise aussi 1'indistinctum-esse de
Dieu en rapport avec ce qui par lui est créé :
i
s'agit du fondement
de l'Etant en tant que son Etre intérieur, lié de maniere immédiate et
«
sans distinction » a lui. C est par ce intimum es se cuil ibet cependant
- le meme Etre en Tout chaque fois exprimé différemment de maniere
singuliere - que l'Etre se distingue du singulier. A cause de son
indistinctio
dans le Tout, J'Etre distingue de maniere active les objets ·
singuliers entre eux et en meme temps de soi-meme (19).
(17)
Expositio fibri Genesis.
166, CEuvre
latine,
1 312, 11. Cf. aussi en annexe
au
Liher de causis, ibid,
69, 233, 2 sq. In
Sap
135, CEuPre
latine
2, 473, 8 :
Deus sic
totus est in quolibet, quod totus est extra quolibet. Semron 71 CEuvre állemande,
3,
217, 6 sq. : Got vliuzet in allc creáturen, und blibct er doch unberüerct von in allen.
Er
enbedarf i r niht.
( 18)
V 8 : Ideo est intra onmia, non inclHswn. exta onmia, non exclusum, supra
omnia, non elatum, infra omnia, no prostratum.
Cf.
BEIERWALTES, Denken des Einen.
Francfort, 1985. p.
41
Osq., aussi p. 424 sq.
(19) J'ai présenté
ce
philosophcme plus en détail dans
ldentititt und Differenz,
Fnmcfort , 1980. 97 sq. (Unterschied durch Ununterschiedenhci t). L'uni verselle
cohércnce de I'agir de la premicre cause a
été
explicitée plus précisément par Maitre
Eckhart en une formulation visib1ement cmpruntée au commentaire de Thomas sur
la premicre
propositio. L agir
de Dieu immédiatcment lié aux choses (agir en elles)
- actio dei immediatissima est re
bus est expliqué en licn avec la phrase de Thomas :
Primo advenir et ultimo recedit;
In
Sap
176,
(Euvre latine
2, 511, 7 sq. In
Joh
93,
CEuvre
latine
3, 81, 1 sq.
(primo adest ( .. ) postema abest).
Cf. Thomas 8,1 Osq. :
impressio causae primae primo
ad1•enit
el ultin¡o reced it,
l'agir ou l'empreinte active
que confere aux choses créées la cause premiere
«
advient
en
premier et se retire en
dcmicr
».
En lien avec
Isa ie
41,4 :
ego sum primus et novissimus
dans le
Prologus
opus propositiomun
13.
(Euvre latine
1, 173,
13
sq.:
adest primo quia prima (causa)
abest ultimo, quia novissima.
De méme
qu on
ne peut rien penser au-dela
«
du
premicr-et-ultime-Etre de Dieu
»,
on ne pcut pas davantage penscr
au-deH1
de la cause
prcmiere. Lorsqu'est évoqué le fait qu'elle
-
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5/8
166
W. BEIERWALTES
. mimiere que Thomas) montre la différence de l'Etre et de l'agir pour
la création, mais constitue aussi une indication pour une maniere juste,
.c'est-a-dire conformée a Dieu, de vivre : l'homme, afio d'etre
« unifié
»
et «conformé
a
Dieu
»,
doit, comme Dieu lui-meme, etre
. er1 tout conforme aun seul mode (d'etre). Cela signifie qu'il ne doit
pas s'égarer dans 1 ~ d é t ~ i l des c ~ o s e ~ . s i n g ~ l i ~ r e s
ni
se r e ~ f ~ r c e r ?ans
des modes-d'etre smguhers, mats qu tl dmt bten plus se hbérer d eux
dans une uni-versio. Ce n est que de cette maniere qu'il est comme
Dieu « partout
»
e.n meme.temps
q ~ ~
«
m l l ~
part
»
et é p ~ s s e ainsi la ·
.différenciation qm détermme le cree (dtversttas receptwnts ), dans la .
perspective de son fondement
i n - d i f f é ~ n c i é
en une .forme.de
p e n ~ é e
et de vie qui soit d'abandon et de retratt. La converston qm
se
réahse
dans un long proces de prise de conscience de soi réalise en l'homme
lui-meme
la
una dispositio procédant
de Dieu, un état
de
l'homme
..
qui, dans les sermons de .Eckhat; est décrit ma.niere pénétrante
comme une naissance de Dteu en
1
homme.
La
hbérat10n des représen
tations et des modes (modi) dans le sens d'une in-différenciation et
·d un devenir-un toujours plus intense avec soi-meme et avec son
propre fondement (quanto quis elongatur a multo unwn inten4it,
tcútto est pe1fectior e t divinior) (22), l'abandon consctemment réahsé
de son propre dénuement (egestas) dans lequel l'homme
se
cram
ponne au multiple et singulier, conduit, une f o i ~ de p us de n ~ n i e r e
paradoxale, a la plémtude ou au Royaume, qu est .1 Un dtvm par
soi-méme (23). « Tu
te soucies pour beaucoup de choses, une seule est
nécessaire »(Le
10,41) (24) :
l'un qui est riche par soi-meme est le
seul nécessaire pour une vie comblée et réussie. -
. 2. A l'idée que la cause premiere, malgré la participation libre et
créatrice offet1e par sa propre plénitude d'etre, se distingue de tout ce
qui est autre par. sa t r a ~ s c e n d a n c e et son
a ~ t ~ r i t é c o r r ~ s p o n d e n t d.e
.. maniere tout a fatt consequente deux proposttiOns du Ltber
de
causls
,ayant trait
a
a possibilité de penser et de dire la
prima causa
:
Causa
.
pt:ima superior est omni narratione, («la cause premiere est plus
· élevée que toute affirmation » (2.5), c'est-a-dire qu'el le dépasse toute
possibilité
d ' e x ~ r e s s i o n d a ~ s
sens d'une a f f i r m a t i o ~ de
l ~ e s ~ e n c e
par une désignatton ou nommat10n conceptuelle
(narratw
=
szgnifica
.tio). Des affirmations concemant la cause premiere n'atteignent pas
son Etre au sens propre (esse ipsius), mais se révelent comme
'manifestement secondaires, médiatisées par ce qui est second, s' avé
raht de ce fait comme des manieres de dire imitées et finalement ,
. f ~ d é q u a t e s
(non narratur nisi
per
causas secun-
(22) In Joh 113.97, 14 sq.
(23) Semw 22
Homo
quidam erat dives), 209, (Euvres latine,
4,
194, 4 sq.
(24) /bid. 194, 9. cf. la remarque
n°
2.
·
1
t l< ; \
P r n n n . ~ i t i o
V.
ECKHART ET
LE
UVRE DES
CAUSES
167
das; ipsa ( .. non significatur nisi ex causa secunda) (26). La seconde
proposition ayant trait au
meme domaine est la suivante :
Causa prima
est super omne nomen quo nominatur,
(«
la premiere cause est
au-dessus de tout nom par lequel elle pourrait etre nommée
»
(27) .
Ces deux propositions
se
fondent dans la pensée néoplatonicienne
dans la mesure ou celle-ci repose également sur la conviction que l'Un
peut etre appréhendé et con qui transforme la reconnaissance du caractere conceptuel
du caractere ineffable du fondement divin en louange de ce
qui se
montre comme
apparition
ou
action de
J'esse lce de
I'Un
ou
de
Dieu,
Cf.
mon
interprétation
de
fhymne
'O
lTÚVTwv ÉlTÉKnva dans·
Denken des
Einen; 309 sq. L'affirmation dans le
commentaire
de la
proposicio V du Uber de causis, ipsa causa plima) 11011 significa
tur nisi ex causa secunda (
..
) el 11011 nominalllr per nomen causati primi nisi per
modum altioren et meliorem, correspond aussi bien
a
a conception platonicienne
qu
·a
celle de Proclus dans la these de Elem.
Tlteol.,
123 (108, 25 sq.), selon laquelle « lout
le divin est ineffable
en
raison de unité supreme el inconnaíssable pour tout ce qui est
second, mais saisissable par ce qui participe de luí (= ce qui « dépend
»
de
ce
qui est
second).
La pensée de Plotin (VI,
9,
3, 49 sq.). que nous disons plus
nous meme
que nous
n'ex.primons
l'essence de l'Un
\orsque
nous parlons de celui-ci, apparait chcz Maitre
Eckhart en lien avec une relation qu'il fail directement avec
le
li.ber de causis
Propositio V) : « Notez bien ceci :
Dieu
est sans nom, car personne ne peul dire quoi
que ce soit ou comprendre
quoi
que ce soit de lui. Pour cette
raison
un mailre profane
dit :
Ce
que nous disons ou comprenons des causes premieres, nous
le
disons et le
comprenons de nous-memes, car les causes premieres sont au-dessus de ce qu ·on peut
dire
et
comprendre » (Sennon 83, Euvre allemande 3, 441, 1-4). Ainsi, toute
affirmation
faite
sur Dieu reste
malgré
tout toujours inadéquate : « Ainsi un maitre
parle de la cause premiere. qu'ellc
est
au-dessus (supra) des mots. Cette inadéquation
provient du langage. Cela provient de \'incommensurabilité et de la pureté premiere
de l'essence di vine»
Semzon
20a,
Euvre
allemande,
1,
329, 1-3); une autre
fois,
en
-
8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes
6/8
168 W.
BEIERWALTES
tion, Eckhart les utilise aússi pour la question d' une nomination
adéquate de l'E tre divin. les relie avec le psaume 137,2 et
Philippiens 2,9 : magnificasti super omne nomen sanctwn tuum.
Donavit illi nomen, quod est super omne nomen. Dans son Expositio
libri Exodi (29), illes met dans un contexte tres suggestif: l'affirrna
tion
du
Liber de causis selon laquelle la cause premiere est superior
onuzi narratione, serait a comprendre secundum illud Psalmi, selon les
mots
du
psaume et ceux de l'épltre aux Philippiens, de sorte que la
réflexion théologique converge avec la philosophique, ou ce qui est
plus : elle appara'it déterminée par celle-ci.
Dans le contexte du commentaire
de
1'Exode de
Ma itre_
Eckhart,
surtout concemant l'auto-définition
de
Dieu ego
swn
qui
swn,
dans
laquelle Dieu Iivre lui-meme
son«
nom
», il
convient d' avoir présent
a
'esprit que
narratio
et
nomen
ne signifient pas seulement
«
affinna
tion
» ou «
dénomination
»
se référant aDieu, mais aussi le
«
nom
»,
par lequel Dieu lui-meme se désigne et par lequel nous pouvons le
nommer. Autrement dit, il s'agit la d'un nom qui
ne
peut désigner
que
Dieu,
son
nom propre (30). Dans une séquence d'argumentation
distincte, Eckhatt tente de montrer que « Etre » (esse) ou « qui est
(der IST, qui est) est le «premien> et d'entre tous les noms (ou
désignations) de Dieu le plus « approprié » le plus adéquat dans le
sens le plus fort du terme (hoc nomen esse est primum et magis
proprium inter omina nomina dei ( .. ) esse est proprium nomen solius
dei) (31 ). Ce nom est le plus approprié paree qu'il est le fondement de
toutes les autres dénominations possibles. Celles-ci ne doivent pas
seulement se référer ace nom, mais représentent la différenciation
interne d'une identité relationnelle avec lui-méme. Avant toute autre
manifestation, c'est dans ce nom que Dieu s'est exprimé lui-meme
dans l'indication (Anzeige) centrale et en meme temps la plus
englobante de son étre : Ego sum qui sum (32). Pour cette raison
évoquant la Propositio V du Uber
de causis,
il écrit : « Un maltre profane dit
qu'aucune langue ne peut fournir de paroles adéquates pour parler de Dieu en raison
de la grandeur et de la pureté premiere de son essence » (Sennon 20b,
CEuvre
allemande,
346, 3-5
).
(29)
Euvre latine, 2,
35 ;
41,
sq.
(30) Cf. les réflexions analogues de Maltre Eckhart concernant les noms propres
humains
«
Martinus
» :
E_xpositio
Libri Exodi
165,
CEuvre latine
2, 144, 18 sq. Pour
une«
théorie du nom
»
chez Eckhart, cf. A.
DE LIBERA,
n. 14,
Le probleme
de
l étre,
20-27.
(31)
Jhid.
Expositio Libir Exodi 163,
CEuvre latine
2, 142, 13 sq. 164; 144, 5.
165; 145, 8. 168; 147, 6.
(32) Pour l'interprétation de Ex 3, 14, «Ego
qui sum
» dans le contexte de
l'histoire de son intcrprétation et en regard du fondement néoplatonicien du concept
d'Etre,
cf. W. BEJERWALTES, Platonismus und ldealisnms,
5-28. K.
ALBERT, Meister
Ec:kharts
These
vom Sein. Umersuchwzgen zur Metaphysik des Opus tripartitum,
Saarbrücken, Kastellaun, 1976.
) }
. ~ · . •
;
· · ~ ~ ~
ECKHART ET LE UVRE DES CAUSES
- compris en tant que « premier Nom » - i1 est « au-dessus de tout
nom
»,
c'est-a-dire « au-dessus » ou « avant » tous les autres noms o.u
désignations possibles de_Dieu (33). La ve proposition du Liber de,
causis, «La premiere cause est plus haute que toute expression », ,
Maí'tre Eckhart la comprend apartir de
la
proposition XXI : cdusa
prima est super onme nomen. Il prétend que par la ne soit aucunement
et définitivement ex primé 1 « ineffabilité de Dieu » (deus non imiar
rabilis) (34), mais qu'il s'agit la de l'indication déterminante a ce
premier nom ETRE qui, de ce fait, est « exclusif » et qui inclut en
lui-meme- en les
dépassant-
tous les noms ou dénominations (35).
Ainsi le « nom qui est au-dessus de tout nom » peut-il etre compris
non comme innommable (imzomin.abile), mais comme « nommant
tout
»
(omninominabile)
:
Dieu, en vertu de son nom unique et le plus
approprié qui est
ETRE
est en méme temps celui qui a
«
tout-nom
»
( «
Allnamig
»
)(36). L'inclusion de tous les
«
Noms
»
dans ETRE rte
signifie certes pas que l'idée de Dieu soit transposée sur un concept
limité, qui pourrait étre pensé sur le meme plan que d'autres concepts
et de la meme maniere. Cependant, l'ampleur du nom unique ETRE ne
signifie aucunement une réduction l imitative de tous les autres noms
a celui-ci -· « ríen n' est plus riche que cette pauvreté » (37). Il· est
plutót la dénomination du fondeinei1t d' une identi té qui englobe toutes
les possibilités de l'étant réel_.eñ .Dieu lui-meme, fondement de ·son
activité créatrice : di ves per
sé ·
- .
3. Les réflexions menées
jusqu'a
présent se sont concentrées sur
la structure inteme et le mouvement de l'origine divine et sur sa mise
en ceuvre et son agir dans l' Autre. Pour ces deux domaines de pensée
le concept de relation (Relationalitiit) s'est avéré comme un fil-rouge
déterrninant. Celle-ci apparait, en se différenciant selon les doma:ines
respectifs, soit comme un mouvement « stable » en soi (i.e.
otus
(33)
Expositio Lihri
Exodi,
166,
CEuvre
latine
2, 146, 3 sq.
168;
147, 8
s q ~
_ ·
(34)
/bid.,
35,41,
JI..
(35)
/bid.,
166 ; 146,
4.
. . .
(36) 41,15. 42, l. A part Asclepius, cité dans la remarqu e 1de\' CEuvre
latine,.
2,42_
(éd. WeiB),
il
faudrait évoquer Denys qui dés igne le fondem ent divin d'abord comme
polu-numon, puis comme an-numon et comme hupe r-numon (e f. aussi dans la nouvelle -
interprétation
de
1 hymne OTráVTwv ~ T r É n v a e . supra, noten 28, M.
SJCHF.RL,
« Eiq. ..
neoplatonischer Hymnus unter den Gedichten Gregors von Nazianz », in Go11imos;·
Neuplato11ic cmd Byza11tine
Studies,
presented to LG. Weterink at 75, Buffalo;New ·
York, 1988, 61-83; p. 77 sq. V. Lossky voit lui aussi cette afftrmation d'Eckhart en
relation avec Denys qui intitule les deux premiers chapitres de son interprétation
d'Eckhart se concentran sur l'étude de la négation et du concept d'etre
Nomen
innominabile
et
Nomen omninominabile,
in
Théologie négative et comwissance de
Die
uclzez Maftre Ecklzart, Paris, 1960, 13 sq. Ce chapitre développpe la complexitéde
la réOexion qui n' a pu etre qu' évoquée ici. Cf. assu p. 42 sq., 60 sq. : :
(37) Eckhar t cite cette phrase du commen taire de l'évangi le
de
Jean que fait
Augustin.
-
8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes
7/8
170 W. BEIERWALTES
·
~ a ~ i l i s
et status nobilis, soit en relationnalité « posée » ou donnée se
reahsant, dans un mouvement temporel, de modes différents.
. D.ans l'esprit
? un Coro lariunz de relatione,
la réponse a la
quest10n de la relat10n de Mai'tre Eckhart au
Liber de causis ne
devrait
pas omettre la these qui désigne un Etre-en ou un Etre-dans constitutif
· de:maniere adéquate tout en continuant d'et re a l'reuvre dans un
. n ~ u v e a u concept du monde (Nicolas de Cues).
. . Eckhart relie la these que la tradition dé signe comme
«
proposition
d' Anaxagore
» (quodlibet in quolibet) a a propositio Xl du Liber de
c a u s i ~
:
Primorum omnium quaedam swtt in quibusdam
per
modum
qm hcet,lft sit unum. eorum in alio) («
Tout ce qui es t premier est lié au
pomt qu Il est poss1ble que l'Un du tout peut se trouver dans l' Au
tre »)
(38).
Thomas, lui, la relie
a
a
propositio
l
03
de l'
Elementario
. heologica de P r o c l u ~
:
omn.ia in omnibus, proprie autem in unoquo
que. Les deux propos1t1ons mettent en reuvre la question de la maniere
t
du mode
de
l'Etre-en réciproque, des relations internes et de
l'affirmation d'essentialités spirituelles, mais elles thématisent avant
tout I'.E re-en-récipr.ocité ou l'Etre-identique de la Trinité des person
n ~ ~ · d i v m e ~ . Ce qm vaut pour la ~ a u s e (causa), a savoir qu'« elle
~ . h y p o ~ t a ~ I ~ t o t a l e f I e ~ t
.dans ce
q_ui
est
causé», ~ s t . e ~ c o r e
plus vrai
·
pour
1
ongme
(prmctptwn).
Mmtre Eckhart
fmt
ICI
nettement la
: ~ i s t í p c t i c ; m .
entre
c e ~ d ~ u . x
concepts en désignant,
d a ~ s hi
sphere de
l Etre
di_vm,
le
prmctpwm
comme le nom le plus approprié en
comparmson avec la causa : les moments de l'étant du mouvement
trinitaire, Eckhart les pense comme la relation entre « les causes
originelles, primordiales ou toute-premieres
»
avec ce qui est causé ou
. «de l'origine a qui est originé». « .. ) L'origine s'hypostasie
.
o t a l e f I ~ n t .
so1-merne) et
~ ~ c
toutes ses
p ~ i c u l a r i t é s
dans ce qui
est
ongme.
J ose. affirmer 9u
Il d e s c ~ n d auss1
avec ce qui lui est
propre « Je suis dans le Pere et le Pere est en rnoi » (Jn 14,1
O)-
de
sorte que non seulement ceci est dans cela, mais aussi que ce « cela »
represente toute chose quelconque : « Moi et le Pere sommes Un »
(Jn
0,30)
~ 3 9 ) : L ' u n } t ~ trinitairement mue est done comprise, grace a
~ n e i ~ t e r p r e t ~ t i o n
spec1fique de la phrase
quodlibet in quolibet
comme
1dent1té relatmnnelle - ce qui est un exemple de plus de la tentative
..
.
· · , ( ~ 8 ) Pour la relation antre la
Propositio
XI et la proposition d' Anaxagore chez
~ c ~ h a " ( , cf. /11 Joh 320, CEuvre latine 3, 269, 8 sq.; Semw 2, 1, 6, C E u ~ · r e La-
tme· 4,1 8. 5 sq. -
· · . ' . ( 3 ; 9 ~ /bid., _ C E u v ~ e atine 4, .8: 4-11 :.In causis autem primordialibus sive
o r z . g u ~ n ~ z b u s pmnoprzmzs, ub1 magzs proprze nomen est principii quam causae,
p m z c l p u ~ m se toto et com omnibus suis proprietatibus descendit in principiatum.
Audeo.dzcere quod etiam cum suis prop riis - Joh
4:
ego inpatre et pater
in
me
est-
ut m? -: solwn lwc sit
in
illo quodlibet in quodlibet, sed lwc sit illud, quodlibet
in
·
quolzbet, Joh O : ego et pater unum sw11us.
ECKHART
ET
LE UVR DES CAUSES
171
d'Eckhart
d
affirmer et de r e p r é s e n t ~ r ~ e s
«
d.onnées .» théologiques
par
1
argumentation
ou
la conceptuahsatJon philosophiques.
Pour
Nicolas de Cues,
qui connaissait
ce
texte - dans. son
manuscrit sur Eckhart il l a corrigé et souligné par une n o ~ e - le
quodlibet in quolibet
devenait le lei motiv,
p e r m e t t ~ n t
de repre,senter
l'univers comme un rapport de relatwns ou de fonct10ns
e ~ t r e
1Un et
le Tout. En référence a son origine,
il
relie l'Etre-en
r é c t p r ~ u e
de
'Un dans l'Univers a l'Etre de Dieu dans le Tout. En r a t ~ o n .de
l'auto-explication créatrice
d e ~ ·
Absolu, qu_i pose. t,out premter heu
la dimension de l'altérité, l umvers- aussi constdere comme
Tout.-
1 universum devient une quidditas contracta qui englobe en. s o ~ sem
tout le singulier, une « essentialité limitée ». En vertu du p n ~ c 1 p e de
la
contractio
cette essentialité universelle supposée etre
1'umversum,
est limitée
«
d'une maniere dans le soleil et d'une autre dans la lune.
»
De la sorte, l'idée de contractio permet d'éviter le d a n g ~ r d'une
conception de
1'
identification qui, en
r e g ~ r d du
:rou t mettrmt .tout ce
qui est singulier sur le meme l?lan. De
~ e ~ ~
qu ?n
ne
peut ratsonna
blement accepter
l
dée que D1eu pourrmt s
I d e n t l f ~ e ~
avec le
T o u ~
du
monde dans sa propre explicatio,
dans la mesure
ou Il
reste
l u , t - m ~ m e
dans son
auto-explication,
de rneme
on
ne peut penser que
l umv_er
sum
puisse etre le Tout
n soi t a ~ t
que, présent dans le
s m g u h e ~ :
L'Etre-en de l'univers dans le smguher qu tl englobe est analogue a
1
imrnanence du principe divin dans le monde
d a n ~
le sens d'une
auto-différenciation de l'univers. Ce n'est
qu a
partir d'elle que le
singulier est ce qu'il est
lui-meme.
L'idée propre a Cues sur la relation entre Dieu. et l londe
c'est-a-dire sur l'Etre-en de Dieu dans le Touto u dans le smguher (qm
s'un.ifie dans le tout), dépend d une sféterrnination spécifique de
l'univers : celui-ci, contrairement au
Deus ipse sive esse. absolutun:,
est
a
comprendre comme une
(ptidditas
contracta».
SI,
contra.ctw
signifie une limitation en direct10n du quelque ~ l w . s e , d un cec1 ou
d un
cela
il
convient alors de penser le Tout ou
1
umvers comme
u ~ e
J i m i t a t i o ~
individuante a chaque singulier dans et
c o m ~ e
garantis
sant-englobant
(das.
e w a l r e 1 ~ d
U m f a s . ~ ~ n d e ) de,
ce
smg_uher J ~ s t e
ment, pour éviter
1'
mterpretat10n panthetste
1
x p r ~ s s 1 0 n
bibhque
selon laquelle « Tout est d a n s . l e , T o u ~ », Cues m.trodUit concept de
l'univers comme médiation dtfferenctante (medtante
u m v e r ~ o )
de ce
divin Etre-dans le Tout : « Dieu, qui est Un, est _dans , 1 ' \ ~ t v e r s Un:
L'univers est cependant en
t o u ~ e
ch?se
de
rnamere
h ~ t e e » . . ~ c l
signifie que l'univers est le smguher
en
ce sens qu
Il se
hm1te
lui-meme
a son essence.
A partirde l'affirrnation de l'Etre-en divin médiatisé
~ a r l ' ~ n i v e r s ,
Nicolas de Cues développe aussi
1
Etre-en réciproque du smgulzerdans
-
8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes
8/8
72
W. BEIERWALTES
1
univers lui-meme, pour lequel cet univers est un príncipe analogue a u
príncipe divin: dans l'in-fmi il y a le singulier, ainsi que le réciproque
et le contradictoire, de telle maniere qu' il peut etre compris comme une
pluralité relevant (aufueben) l unité en lui. En revanche, dans l'univers,
en tant qu'imageexplicative de l'in-fini, se trouve l'Etre-en
du
singulier
comme relation chaque fois déterminée d(fféremment.
Par
cette rela
tion, qui est 1 action de
ce
príncipe analogique de 1 universum, le
singulier en tant que concrétion toute particuliere du Tout est lié de
maniere spécifique out autre singulier dans
1
univers, de sorte que
l'univers devient un réseau de relations étroitement tissées ou une
cohérence de fonctions (funktionszusammenhang) qui est en mouve
ment. L'Univers, en tant que cohésion de ce Tout est, dans chaque chose
particuliere, ce Tout lui-meme, sans pour autant, en raison de satonalité
et de son universalité, devoir, de par lui-meme,
s y
identifier;
c est
Uí
l analogie de l'action de l'in.,.fini divin. Cependant, tout ce qui est
singulier représente ou reflete I'univers ou le Tout dans ses réalisations
singulieres: quodlibet in quolibet (40).
Abstraction faite de l'esquisse de la question de savoir en quoi le
projet de
Nicolas de Cues
d un
monde relationnel peut etre lié a la
réception eckhartienne de la proposition
d
Anaxagore, la réflexion de
Cues pmmait etre bien enrichie, confirmée o u du moins stimulée
par
la
maniere dont Ma tre Eckhart concroit le quodlibet in quolibet appliquée
a
ia maniere-d'Etre de Dieu dans son commentaire du livre de la
Sagesse et de l'Ecclésiaste: ( ..)in mínimo lzabeturmaximum, quodli-
bet in quolibet , unde ibi maius et minus, multum et paucum locum non
habent. In divinis quodlibet in quolibet et maximum
in
mínimo (41).
Werner BEIERWALTES,
Université de MUNICH.
(Traduit de l 'allemand par Michel Deneken).
(40) Nicolas de Cucs, De docta ignoramia
Il,
5 ; 76, 5-1 O(édition E. Hoffmann
et R. Klibansky) : Nam
cwn manifestwn sit ex primo libro Dewn ita esse
in
omnibus
quod omnia sunt in ipso et nw¡c constet Deum
quasi mediante universo
esse in
onmibus, llinc omnia in omnibus esse constar et
quodlibet
in
quolibet.
Universum
enim quasi ordine naturae ut perfectissimum praecessit omnia, ut quodlibet
in
quolibet esse posset.
(41) In Sap
271,
CEuvre
latine
2, 601, 6
sq. Sennones et Lectiones super
Ecc/esiastici
20. CEuvre
latine 2,
248, l sq. On peul mettre ceci en relation avcc la
remarque marginal e 2 de Cues :
in
divinis quodlibet
in
quolibet, maximum in minimo.