De Andia - Denys - Thomas - Eckhart

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LA VIA NEGATIONIS CHEZ THOMAS D’AQUIN ET MAITRE ECKHART J’ai choisi ce sujet pour honorer l’Université dominicaine de Fribourg en Suisse et répondre à l’intérêt de jeunes dominicains sur le rapport de l’école dominicaine et de Denys l’Aréopagite. Vu l’ampleur du sujet, j’ai dû me restreindre à l’unique question de la connaissance de Dieu par la voie négative chez Thomas d’Aquin et Maître Eckhart, Albert le Grand étant traité par un jeune dominicain. Introduction : La réception de Denys l’Aréopagite aux XIII e et XIV e siècles. Le passage du XII e siècle au XIII e siècle est marqué par deux événements qui modifient la lecture de Denys : la constitution du Corpus dionysien de l’Université de Paris et la redécouverte du néoplatonisme à travers le Liber de Causis. 1. Le Corpus de l’Université de Paris Henri François Dondaine, dans son livre sur Le Corpus dionysien de l’Université de Paris au XIII e siècle i , a montré le passage entre le Corpus anastasien du XII e siècle et le Corpus de l’Université de Paris qui apparaît au milieu du XIII e . Le premier Corpus latin de Denys comprenait essentiellement les œuvres de Denys l’Aréopagite traduites par Scot Érigène et les scolies de Maxime le Confesseur traduites et annotées par Anastase le Bibliothécaire. Dondaine reconnaît une double recension de la version de Scot : l’une, primitive, est antérieure à l’Expositio in Ierarchiam, l’autre, latinisée et corrigée sur le manuscrit de l’Empereur Michel le Bègue notamment pour les deux Hiérarchies, a profité des compléments de l’Expositio. Anastase a dû travailler sur cette seconde édition de la Versio Dionysii. Cette version se laisse apercevoir à la base des travaux de Jean Sarrazin, de Hugues de Saint Victor, de Thomas Gallus et d’Albert le Grand, mais elle n’est plus transcrite à partir du XII e siècle et remplacée par un autre Corpus. « De l’ancien Corpus, dit le Père Dondaine, toute la substance : texte et scolies, appartenait à la pensée grecque ; l’Occident n’y intervenait guère que comme traducteur et éditeur. Le nouveau Corpus ajoute à ce premier fonds un triple complément de commentaires, de gloses et de versions nouvelles, qui sont le fruit des essais occidentaux pour assimiler la pensée de Denys — avant les travaux du XIII e siècle ». Un choix de Commentaires latins est ajouté : pour la Hiérarchie céleste, les Expositiones de Scot, de Sarrazin et de Hugues de Saint Victor (recueil Compellit me), pour les autres livres de nombreux extraits du De divisione naturæ de Jean Scot, dissimulés parmi les scolies de Maxime (Opus alterum). ii La constitution du Corpus parisien montre les deux tendances latines de ses commentaires : l’une plus grecque, celle de Jean Scot, l’autre plus occidentale et augustinienne, celle de Hugues de Saint Victor : c’est devant ce Corpus que les dominicains du XIII e et XIV e siècles se trouvent placés. 2. Saint Thomas, disciple de Saint Albert Saint Thomas écouta à Paris, jusqu’en 1248, le commentaire des Hiérarchies par Albert le Grand, puis, à Cologne, celui des autres écrits. « Cum autem frater Thomas miro modo

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LA VIA NEGATIONIS CHEZ THOMAS D’AQUIN ET MAITRE ECKHART

J’ai choisi ce sujet pour honorer l’Université dominicaine de Fribourg en Suisse et répondre à l’intérêt de jeunes dominicains sur le rapport de l’école dominicaine et de Denys l’Aréopagite. Vu l’ampleur du sujet, j’ai dû me restreindre à l’unique question de la connaissance de Dieu par la voie négative chez Thomas d’Aquin et Maître Eckhart, Albert le Grand étant traité par un jeune dominicain.

Introduction : La réception de Denys l’Aréopagite aux XIIIe et XIVe siècles.

Le passage du XIIe siècle au XIIIe siècle est marqué par deux événements qui modifient la lecture de Denys : la constitution du Corpus dionysien de l’Université de Paris et la redécouverte du néoplatonisme à travers le Liber de Causis.

1. Le Corpus de l’Université de Paris Henri François Dondaine, dans son livre sur Le Corpus dionysien de l’Université de Paris

au XIIIe sièclei, a montré le passage entre le Corpus anastasien du XIIe siècle et le Corpus de l’Université de Paris qui apparaît au milieu du XIIIe. Le premier Corpus latin de Denys comprenait essentiellement les œuvres de Denys l’Aréopagite traduites par Scot Érigène et les scolies de Maxime le Confesseur traduites et annotées par Anastase le Bibliothécaire. Dondaine reconnaît une double recension de la version de Scot : l’une, primitive, est antérieure à l’Expositio in Ierarchiam, l’autre, latinisée et corrigée sur le manuscrit de l’Empereur Michel le Bègue notamment pour les deux Hiérarchies, a profité des compléments de l’Expositio. Anastase a dû travailler sur cette seconde édition de la Versio Dionysii. Cette version se laisse apercevoir à la base des travaux de Jean Sarrazin, de Hugues de Saint Victor, de Thomas Gallus et d’Albert le Grand, mais elle n’est plus transcrite à partir du XIIe siècle et remplacée par un autre Corpus. « De l’ancien Corpus, dit le Père Dondaine, toute la substance : texte et scolies, appartenait à la pensée grecque ; l’Occident n’y intervenait guère que comme traducteur et éditeur. Le nouveau Corpus ajoute à ce premier fonds un triple complément de commentaires, de gloses et de versions nouvelles, qui sont le fruit des essais occidentaux pour assimiler la pensée de Denys — avant les travaux du XIIIe siècle ». Un choix de Commentaires latins est ajouté : pour la Hiérarchie céleste, les Expositiones de Scot, de Sarrazin et de Hugues de Saint Victor (recueil Compellit me), pour les autres livres de nombreux extraits du De divisione naturæ de Jean Scot, dissimulés parmi les scolies de Maxime (Opus alterum). ii

La constitution du Corpus parisien montre les deux tendances latines de ses commentaires : l’une plus grecque, celle de Jean Scot, l’autre plus occidentale et augustinienne, celle de Hugues de Saint Victor : c’est devant ce Corpus que les dominicains du XIIIe et XIVe siècles se trouvent placés.

2. Saint Thomas, disciple de Saint Albert

Saint Thomas écouta à Paris, jusqu’en 1248, le commentaire des Hiérarchies par Albert le Grand, puis, à Cologne, celui des autres écrits. « Cum autem frater Thomas miro modo

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taciturnus, orationi et studio, propter quod venerat, sollicite esset intentus, coepit magister Albertus De divinis nominibus legere » (Vita B. Alberti 7). Le Père Gabriel Théryiii a formulé l’hypothèse que le manuscrit (ms Vatican grec 370) appartenait à S. Thomas. « Il observe - dit Dondaineiv - le même canon que S. Albert, mais il n’hésite pas à corriger la traduction de Scot par celle de Sarrazin ».

3. Le Commentaire des Noms divinsv

Le commentaire de Thomas d’Aquin est le dernier des grands commentaires occidentaux des Noms divins, après ceux de Jean Sarrazin, Robert Grossetête et Albert le Grand. Par son Commentaire des Noms divins, saint Thomas a transposé Denys dans le monde scolastique, cependant que Denys devenait, par les citations de son œuvre, un des trois auteurs les plus importants de la synthèse thomiste avec saint Augustin et Aristote.

Saint Thomas commença son Commentaire des Noms divins vers 1260-1261 (selon Walz) ou 1265-1266 (selon Pera). À la même époque (1261-1264), il poursuit la rédaction de la Summa contra Gentiles (l. II-IV), commente le Livre de Job et écrit le Contra errores Graecorum. Walz-Novarinavi en font l’objet d’un enseignement de Thomas aux frères d’Orvietto, mais Weisheiplvii songe plutôt à l’époque suivante lorsque Thomas sera à Rome.

La question de l’influence exacte de Denys pour la transmission du néoplatonisme à Thomas est très discutée. En 1975, P. Faucon dans sa thèse Aspects néoplatoniciens de la doctrine de saint Thomas d’Aquin, dit que « Denys fut choisi entre tous comme le maître incontesté »viii. Pour d’autres, « si Thomas est platonicien, c’est parce qu’Aristote l’est davantage qu’on ne le croit d’habitude » : c’est la thèse de C. Giacon, « Il Platonismo di Aristotele e san Tommaso », résumée par Rudie Imbach dans un article de 1978 sur « Le (néo-) platonisme médiéval, Proclus latin et l’Ecole dominicaine allemande ». Depuis les remarques de Chenu sur l’absence d’études sur le néoplatonisme, les études sur ce sujet se sont multipliéesix.

4. Le Liber de Causis

Un autre écrit, le Liber de Causisx, marque l’influence de la pensée néoplatonicienne au XIIIe s. L’énorme diffusion du Liber de Causis au XIIIe siècle vient de la fausse attribution de cet ouvrage comme complément du corpus aristotélicien. Dans cet écrit, dit Cristina d’Ancona, trois voix résonnent : « la voix d’Aristote, celle de Denys, celle de l’auteur lui-même, dont Thomas connaît le lien avec Proclus le platonicien, mais aussi ce qui l’en sépare »xi. C’est en effet Thomas d’Aquin, qui, dans son Commentaire du Liber de Causisxii, a détecté la dépendance du Liber de Causis avec les Éléments de théologie de Proclus.

Il y a donc une double dépendance de Denys et du Liber de causis par rapport à Proclus. Tant chez Thomas que dans le passage de Dante (de l’Épître à Cangrande della Scala), le De Causis est aussi rapproché du pseudo-Denys, et cela à juste titre : la parenté entre leurs doctrines est évidente aux yeux mêmes de ceux qui croient à l’authenticité « apostolique » de cet auteur, qui d’ailleurs appartient lui aussi, d’après Thomas d’Aquin, à l’école platonicienne.xiii

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Selon Cristina d’Ancona, « l’examen des raisons de l’influence du Liber de Causis sur la pensée médiévale n’est autre, finalement, que celui des raisons de ce double rapprochement »xiv avec Aristote et Denys.

Cependant Thomas d’Aquin a évolué dans sa pensée sur le rapport de Denys avec Aristote, d’une part, et le néoplatonisme, de l’autre. Il commence (vers 1255) par assurer que Denys suit Aristote presque partout (II Sent., d. 14, q. 1, a. 1) et termine (vers 1270) en disant que Denys est la plupart du temps d’accord avec les néoplatoniciens (De Malo, q. 16, a. 1, ad 3). Dans la Préface à l’Expositio super librum de divinis nominibus Proemium, il écrit : « …Dionysius in omnis libris suis obscuro utitur stilo plerumque utitur stilo et modo loquendi quo utebantur Platonici ».

C’est par le biais de la théologie négative que je montrerai la relation de Denys l’Aréopagite avec Thomas d’Aquin d’une part et Maître Eckhart, de l’autre.

I. LA VIA NEGATIVA CHEZ THOMAS D’AQUIN

Le De divinis nominibus a été commenté à la fois par Albert le Grand et par Thomas d’Aquin. Comme un dominicain va parler d’Albert le Grand, je ne traiterai que de Thomas d’Aquin, mais, vu l’ampleur de la question de l’influence de Denys l’Aréopagite et de Thomas d’Aquin, je me limiterai à l’étude de la connaissance de Dieu par la voie négativexv.

J’ai écrit un article sur « Remotio et negatio chez Thomas d’Aquin » en 2001xvi, mais maintenant il faut se reporter à la thèse du Père Thierry-Dominique Humbrecht sur Théologie négative et Noms divins chez Thomas d’Aquin (2006).xvii

Thomas a suivi les leçons d’Albert le Grandxviii sur le De divinis Nominibus en 1248-1252, à Colognexix, et fera son propre commentaire, à Orvieto (1261-1265). Ils héritent donc d’une longue tradition de traducteurs et de commentateurs. Mais, avant cette date Thomas a commenté les chapitres des Livres I et III des Sentences sur les trois voies de nomination de Dieu per causalitatem, per remotionem et per eminentiam et c’est à propos de la question des noms divins qu’il va élaborer sa propre doctrine.

La question des noms divins a été débattue dans tout le Moyen Age, non seulement dans le monde chrétien, avec les Dominicains, au XIIIe siècle, mais aussi chez les Juifs, comme Maïmonidexx et les arabes, comme Avicennexxi. C’est donc à l’intérieur d’un grand débat touchant le langage sur Dieu, c’est-à-dire la théo-logie, qu’il faut replacer l’évolution de la pensée de Thomas d’Aquin sur les trois voies, « per causalitatem », « per remotionem » et « per eminentiam ».

Thomas d’Aquin a retenu la distinction dionysienne des trois voies, affirmative, négative et par éminence, mais, d’une part, il cite ces trois voies dans différents textes, selon un ordre différent et, d’autre part, non seulement il évoluera dans son vocabulaire touchant la voie négative, mais surtout il se différenciera de Denys en donnant un sens plus positif à la voie d’éminence. C’est cette évolution que je veux montrer ; elle s’effectue en trois étapes : 1. de 1256-1258, dans les Livres I et III des Sentences, 2. de 1257-1264, dans le Commentaire sur le De Trinitate de Boèce (1257-58), le ch.14 du Ier Livre du Contra Gentilesxxii (1258

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printemps)xxiii, le Commentaire sur les Noms divins (après 1261) et le IIIe livre du Contra Gentiles III (entre 1261 et 1264), et 3. De 1265 à 1272 dans la Question disputée des Noms divins (à Rome, 1265 ou 1267)xxiv.

Mais tout d’abord, quel est le vocabulaire pour dire la négation ? Remotio et negatio sont la traduction latine de apophasis et aphairesis. L’apophasis est une proposition négative par opposition à une proposition affirmative, phasisxxv ou kataphasis, alors qu’aphairesis indique l’action d’ôter ou d’enlever ou de supprimer (aphaireô) quelque chose et s’oppose à prosthesis le fait d’ajouter quelque chose, comme la soustraction s’oppose à l’addition. Dans les Analytiques (An. Post. I,18,7) d’Aristote, l’expression ex aphaireseôs signifie « par abstraction ». L’idée de l’aphairesis comme suppression se trouve illustrée par les exemples de la boue et de l’or ou du sculpteur et de la statue que Plotin donnera dans sa première Ennéade « Sur le Beau »xxvi (Enn. I,6 [1] 9,7-12), mais c’est Proclus qui donnera au terme aphairesisxxvii le sens de négation transcendante qu’il prendra chez Denysxxviii.

Les traducteurs de Denysxxix, Scot Érigène (IXe s.), Jean Sarrazin (XIIe s.), Robert Grossetête (XIIIe s.) Ambroise le Camaldule (XVe s.) Pierre Lansel et Balthasar Cordier (XVIIe s.) ont donné de ces termes grecs différentes traductions latines : par exemple, aphairesis et thesis, dans le passage cité de la Théologie mystique, est traduit : ablatio et positio ou negatio et affirmatio, l’acte du sculpteur qui ôte le marbre est traduit par aufere ou tollerexxx. Ce geste indique le fait d’écarter ou de re-pousser, removere, le marbre superflu et l’action de cet « écartement » ou de cet « enlèvement » est la remotio.

1) « Per remotionem » : les Livres I et III des Sentences (1256-1258)xxxi

Dans la première époque, Denys emploie surtout l’expression « per remotionem ». La seconde voie, dans les Sentencesxxxii, est universellement désignée par le terme

« remotio », dans la formule « per remotionem », ou dans cette autre, équivalente, « per viam remotionis ». L’ordre des trois voies est différent selon les textes : soit « per causalitatem, per remotionem, per eminentiam » (I Sent., d. 3, q. 1, a.3), soit « per remotionem, per causalitatem, per eminentiam » (I Sent., d. 35, q. 1, a.1).

[ Dans la distinction 3, q.1, a.3 : Utrum Deus possit cognosci ab homine per creaturas, saint Thomas place en tête des trois voies la « remotio »:

La première voie « per remotionem » écarte de Dieu toute puissance et matérialité, car, du fait que Dieu est acte premier et pur, il est nécessaire que son essence soit dénuée (ou dénudée) de matière et soit seulement forme :

« Prima igitur via, quae est per remotionem, est haec : Cum a Deo omnis potentia et materialitas removeatur, eo quod ipse est actus primus et purus, oportet essentiam eius esse denudatam a materia, et esse formam tantum. Sicut autem participationis principium est materia, ita formae debetur intelligibilitas : unde forma principium cognitionis est… »

La seconde voie de la causalité est expliquée par rapport à la cause finale. L’intention et le désir précèdent la réalisation de l’acte ou de l’œuvre. L’exemple donné est celui de la flèche et de l’archer : la direction de la flèche vers un lieu déterminé est donnée par l’archer qui est en

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quelque sorte l’intelligence qui détermine la nature. La cause est donc principalement considérée comme cause finale.

La troisième voie d’éminence (tertia via, quae est per eminentiam ) instaure un ordre croissant « magis ac magis », dans la connaissance : des animaux (bruta), aux hommes (homines), aux anges (angeli) et enfin à Dieu (Deus) qui est au-dessus de tout.]

L’Ad Primum précise que la négation, quant il s’agit de Dieu, ne se fait pas « par défaut » (non secundum defectum), mais « par excès » (secundum excessum) :

[ « Ad primum ergo dicendum, quod quandocumque scientia vel intellectus vel aliquid quod ad perfectionem pertinet a Deo negatur, intelligendum est et non secundum defectum ; unde dicit Dionysius (in 7 cap. De divin. Nom.) : “Sine mente et insensibile esse, secundum excessum, et non secundum defectum in Deo est ordinandum.” Pro tanto ergo negatur nomen intellectus Deo proprie convenire, quia non secundum modum creaturae intelligit, sed eminentius. » ]

Denys dit exactement : « On doit attribuer à Dieu l’ “inintelligence” (anoun) et l’ “insensibilité” (anaisthèton) par suréminence et non par défaut (kath’ hyperochèn ou kat’ elleipsin), de sorte que nopus appelions “irrationnel” (alogon), Celui qui est au-delà de toute raison (tôi hyper logon), que nous attribuons l’imperfection à Celui qui est supérieur et antérieur à toute perfection et la Ténèbre insaissable et invisible à la Lumière inaccessible selon sa suréminence (par rapport) à la lumière visible » (DN VII, 2, 869 A).

L’exemple donné est celui de Dieu, « Lumière inaccessible » selon 1 Tm 6,16, qui est dit « Ténèbre », non par défaut (kat’ elleipsin), mais par suréminence (kath hyperochen).

Dans d’autres passages, Denys oppose kath hyperochen à kata sterèsin. La suréminence ou la surabondance (hyperochè) est une absence de privation (sterèsis), et l’aphairesis apparaît comme une négation de la privation : Dieu est celui en qui il n’y a pas de limites, par conséquent tout ce qui se dit de lui implique une négation de ce que nous connaissons qui est limité ou déterminé. L’éminence suppose donc, chez Denys, la négation de la privation et l’aphairesis apparaît, quant elle est appliquée à Dieu dans la voie négative, comme une négation de la négation, c’est-à-dire une négation transcendante.

2) 1256-1261 : « ascendimus per negationes »

La seconde époque est celle du Commentaire sur le De Trinitate de Boèce (1257-58), du ch.14 du Ier Livre du Contra Gentiles (1258 printemps)xxxiii, du Commentaire sur les Noms divins (après 1261) et du IIIe livre du Contra Gentiles III (entre 1261 et 1264).

1. Le Commentaire sur le De Trinitate de Boèce (1257-58)xxxiv

Thomas reprend la question de la connaissance de Dieu dans son Commentaire du De Trinitate de Boèce et cite les trois voies dans quatre articles différents. L’autorité invoquée dans le Sed Contra est toujours le verset de Rm 1,20, qui fonde la théologie naturelle.

Dans la question 1, article 2 : Utrum mens humana possit ad Dei notitiam pervenire. Thomas dit que l’esprit humain (mens) avance dans la connaissance de Dieu selon trois voies : la cause, l’excès et la suppression ou le retranchement :

[ « Et sic tripliciter mens humana proficit in cognitione Dei ; quamvis ad cognoscendum quid est non pertingat, sed an est solum. Et primo secundum quod perfectius cognoscitur ejus productio et efficacia. Secundo prout nobiliorum effectuum causa cognoscitur elongatus ab his omnibus quae in

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effectibus apparent. Unde dicit Dionysius de div. Nom., quod cognoscitur ex omnium causa et excessu et ablatione. »

Le texte des Noms divins auquel Thomas fait allusion est le § 3 du chapitre VII : « En outre, il faut rechercher comment, nous, nous connaissons Dieu, qui n’est ni intelligible, ni sensible, ni absolument aucun des étants. N’est-il pas vrai de dire que nous ne connaissons pas Dieu d’après sa nature— car cela est inconnaissable et dépasse toute raison et intelligence—, mais que c’est à partir de l’ordre de tous les étants, en tant que celui-ci est issu de lui et possède des images et des similitudes de ses paradigmes divins, que nous nous élèverons, selon notre pouvoir, par étapes et degrés, jusqu’à Ce qui est au-delà de tout, dans la négation de tout et le dépassement (en aphairesei kai hyperochè) de tout et dans la cause de tout (kai en pantôn aitia). C’est pourquoi Dieu est connu à la fois en tout et en dehors de tout » (DN VII,3, 869 C-872 A). ]

Dans l’ad 1um, Thomas reprend cette idée exprimée dans la suite du texte des Noms divins : « La connaissance la plus divine de Dieu, c’est celle qui est obtenue grâce à l’inconnaissance, dans une union au-dessus de l’intellect » (DN 872 A-B). Nous connais-sons que Dieu est (an sit), mais nous ne savons pas ce qu’il est (quid sit) :

« Ad primum igitur dicendum quod secundum hoc dicimur in fine nostrae cognitionis Deum tamquam ignotum cognoscere, quia tunc maxime mens in Dei cognitione perfectissime invenitur quando cognoscitur ejus essentiam esse supra omne id quod apprehendere potest in statu huius viae ; et sic quamvis maneat ignotum quid est, scitur tamen quia est. »

La supériorité de la voie négative sur la voie positive est affirmée par Thomas, comme par Denys :

« Ad quartum… Et praeterea intelligibile videtur magis dici per remotionem quam per positionem. Ex hoc enim unumquodque est intelligibile quod est a materia immune et separatum. Negationes autem in divinis verificantur, quamvis affirmationes sint incompactae, ut Dionysius dicit in 2 cap. Caelest. Hierarchia. »

Denys dit en effet de la voie négative qui use de termes « qui signifient non ce que (Dieu) est, mais ce qu’il n’est point (ou ti estin, alla ti ouk estin sèmainetai) » :

« Je crois en effet que cette méthode lui convient mieux… Si donc les négations (apophaseis), en ce qui concerne les réalités divines, sont vraies, au lieu que les affirmations (kataphaseis) sont inadéquates (anarmostoi)xxxv au caractère secret des mystères, c’est plus proprement que les êtres invisibles se révèlent par des images sans ressemblance avec leur objet » (CH 141 A).

La dissimilitude convient mieux à Dieu que la similitude.

2. Le ch. 14 du I Livre du Contra Gentiles (1258 printemps)xxxvi

Saint Thomas a consacré tout le chapitre 14 du I Livre du Contra Gentiles à la voie négative : « La connaissance de Dieu exige que l’on emploie la voie négative » (Quod ad cognitionem Dei oportet uti via remotionis).

« C’est dans l’étude de la substance divine que l’usage de la voie négative (via remotionis) s’impose avant tout. La substance divine, en effet, dépasse par son immensité toutes les formes que peut atteindre notre intelligence, et nous ne pouvons ainsi la saisir en connaissant ce qu’elle est (quid est). Nous en avons pourtant une certaine connaissance en étudiant ce qu’elle n’est pas (quid non est). Et nous approchons d’autant plus cette connaissance que nous pouvons, grâce à notre intelligence, écarter plus de choses de Dieu (ab eo poterimus removere). »

La voie négative (via remotionis) est présentée comme un processus d’approximation à l’infini : plus nous « écartons » de choses de Dieu, plus nous nous approchons de lui. La connaissance s’accroît à mesure que les « différences négatives » se multiplient.

« Ainsi progressivement, grâce à cette sorte de négations, nous le distinguons de tout ce qui n’est pas lui. Il y aura alors connaissance propre de la substance divine quand Dieu sera connu comme

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distinct de tout. Mais il n’y aura pas de connaissance parfaite, car on ignorera ce qu’il est en lui-même. »

Il y a donc un passage « à la limite », lorsque Dieu sera distingué de tout, mais la connaissance ainsi obtenue sera seulement le fait qu’il est « distinct de tout », ce qui est le signe de sa transcendance.

Que conclure de cette seconde étape ? a) « Remotio » reste le terme propre, et communément utilisé, la « negatio », quand il en

sera fait mention, se situera donc dans un contexte de « remotio ». Ce Dieu « distinctus », « remotus », n’est plus seulement, de façon absolue, le nié, le séparé, – mais ce qui se trouve avoir été écarté, mis à l’écart, à distance, ce qui se trouve avoir été éloigné, mis au loin progressivementxxxvii.

b) Ces deux ouvrages font à la « negatio » une place plus grande que le précédent. On trouve pour la première fois, dans le Commentaire sur Boèce, une formule comme : « per negationem, per causalitatem, per excessum »xxxviii. Mais, ici, comme au ch. 14 du Contra Gentiles, nous sommes, notons-le, dans un contexte logique.

Le De Trinitate et le Ier Livre du Contra Gentiles présentent le même souci de progresser dans la « remotio » pour obtenir finalement une connaissance propre, le même souci d’accumuler les « differentias negativas », les « negationes sequentes » vel « successivas » pour obtenir finalement une quasi-définition.

3. Le Commentaire sur les Noms divins (après 1261)xxxix

Avec ce commentaire, on pourrait se croire revenu en arrière car pendant des dizaines de colonnes, il n’est question que de « remotio »xl, terme auquel se substitue parfois son correspondant dionysien l’« ablatio »xli. Il faut persévérer jusqu’à la troisième leçon du treizième et dernier chapitre pour trouver un texte d’importance sur la négation.

[ « Et quia theologi consideraverunt quod omne nomen a nobis impositum deficit a Deo, ideo inter omnes modos quibus in Deum possumus ascendere per intellectum praeordinaverunt eum qui est per negationes per quas quodam ordine in Deum ascendimus. Primo enim anima nostra quasi exsuscitatur et consurgit a rebus materialibus, quae sunt animae nostrae connaturalia : puta, cum intelligimus Deum non esse aliquid sensibile vel materiale, aut corporeum : et sic anima nostra negando pergit… per omnes ordines angelorum a quibus est segregatus Deus… Ad ultimum autem anima nostra Deo coniungitur ascendendo per negationes… in supremis finibus universaliorum et excellentiorum creaturarum… Unde haec coniunctio nostri ad Deum… perficitur quando devinimus ad hoc quod cognoscamus eum esse supra excellentissimas creaturas » (De div. nom., ch. 13, 3e leçon)xlii. ]

Il y a un ordre dans l’ascension de la voie négative vers Dieu : nous commençons par sortir des choses sensibles et matérielles qui sont « connaturelles » à notre âme, en comprenant que Dieu n’est rien de sensible, de matériel ou de corporel, mais, après avoir écarté de Dieu ce qui est corporel, nous repoussons également les incorporels, à savoir les anges, car il est au-delà de tout ce qui est. C’est bien la finale des Noms divins de Denys :

« Les théologiens « eux aussi ont préféré la voie ascendante des négations en tant qu’elle fait sortir l’âme des choses qui lui sont connaturelles et qu’elle passe à travers toutes les intellections divines desquelles est séparé Celui qui surpasse “tout nom, raison et science”, et qu’au terme de tout, elle unit l’âme avec Celui-ci, autant qu’il nous est possible de nous unir (sunaptesthai) avec Celui-ci » (DN XIII, 3, 981 B).

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Au terme de l’ascension par les négations, on arrive à saisir « Celui qui est au-delà de tout » seulement en tant que « séparé de tout ».

4. Contra Gentiles III (entre 1261 et 1264)

La question posée par le chapitre 49 porte sur la connaissance angélique : « Comment les substances séparées ne connaissent pas Dieu dans son essence, bien qu’elles le connaissent par leur propre essence ». L’explication donnée est la composition des substances angéliques dont l’essence n’est pas l’être et qui, de ce fait, ne peuvent connaître l’essence divine qui n’est autre que son exister. C’est alors que Thomas ajoute :

« Cependant la substance séparée connaît par elle-même que Dieu existe, qu’il est cause de tout, au-dessus de tout, distinct de tout ce qui est et même de tout ce qui est concevable par une intelligence créée, cette connaissance de Dieu est pareillement à notre portée, car, par ses effets, nous connaissons de Dieu qu’il existe, qu’il est la cause des êtres au-dessus et distinct d’eux (per effectus enim de Deo cognoscimus quia est, et quod causa aliorum est, aliis supereminens, et ab omnibus remotus). C’est le sommet de notre connaissance en cette vie, comme le dit Denys dans son ouvrage De Mystica Theologia (I,1) : “Nous sommes unis à Dieu comme à un inconnu (cum Deo quasi ignoto coniungimur)”, cela vient de ce que nous connaissons de lui ce qu’il n’est pas (quid non sit), son essence nous demeurant absolument cachée. De là, pour marquer l’ignorance de cette sublime connaissance, il est dit de Moïse qu’il “s’approcha de l’obscurité en laquelle Dieu réside” (Ex 20,21) ».

Le « sommet de notre connaissance en cette vie » est de connaître Dieu (ab omnibus remotus) et de s’unir à lui comme à un inconnu (quasi ignoto). L’inconnaissance de l’essence divine est au cœur de notre union à Dieu, en cette vie.

Venons-en à la troisième étape où se constitue la doctrine thomasienne des trois voies.

3) 1265 à 1272 : Les trois voies « per modum negationis et per modum causae, sed etiam per modum eminentiae »

1. Quest. disp. des Noms divins (à Rome, 1265 ou 1267)xliii

L’œuvre qui, chronologiquement, fait suite à ce premier ensemble de textes, est la Question disputée des Noms Divins, insérée au premier livre des Sentences d. 2 a. 3 : Utrum pluralitas rationum, quibus attributa differunt, sit tantum in intellectu, vel etiam in Deo (Sent. I, q. 13, a. 4 ; de Potentia, q. 7 et I C.G., c. 36).

La problématique a changé, il ne s’agit plus de savoir si l’on peut connaître l’essence divine, mais si la pluralité des noms divins est seulement dans l’intellect ou en Dieu même. C’est la question des noms divins qui est maintenant posée.

Le Sed contra s’appuie sur le traité des Noms divins. Dieu est dit parfait parce qu’il enferme en lui toutes les perfections. Celles-ci ne sont, chez l’homme, que des participations aux perfections divines. Ainsi les perfections humaines, comme la sagesse et la bonté, sont semblables aux perfections divines de sagesse et de bonté qui sont « proprement » (proprie) en Dieu.

[ Praeterea Dionysius (9 cap. de divin. Nom.) dicit, quod creaturae dicuntur Deo similes, inquantum imitantur Deum, qui perfecte imitabilis non est a creatura. Ista autem imitatio est secundum participationem attributorum. Ergo creaturae sunt Deo similes, secundum sapientiam, bonitatem et huiusmodi. Sed hoc non potest esse, nisi praedicta essent in Deo secundum proprias

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rationes. Ergo ratio sapientiae et bonitatis proprie in Deo est ; et ita huiusmodi rationes non sunt tantum ex parte intellectus. » ]

Si les perfections ne sont pas seulement dans l’intellect humain, mais en Dieu, il s’agit de savoir comment elles peuvent être en Dieu. Dans la Solutio, Thomas répond que toutes les perfections sont unes en Dieu (unum in Deo), mais elles diffèrent selon la raison (ratione) et cette « raison » n’est pas tellement du côté de ceux qui raisonnent (haec ratio non est tantum ex parte ipsius ratiocinantis), mais de la propriété de la chose elle-même (sed ex proprietate ipsius rei). Quant à la question de savoir si les raisons des attributs sont en Dieu, Thomas sépare deux groupes d’opinions. D’une part Avicenne et Rabbi Moyses Maïmonide qui distinguent deux sortes d’attributs divins soit par mode de négation, soit par mode de causalité.

Le second groupe auquel Thomas fait allusion est formé de Denys et d’Anselme, pour qui les perfections qui sont dans les créatures existent d’une manière « prééminente » en Dieu. Cette « éminence » peut être dite de trois manières : quant à l’universalité, quant à la plénitude et quant à l’unité. Alors que pour le premier groupe, Avicenne et Maïmonide, les attributs divins sont dits de Dieu de manière équivoque (aequivoce), pour le second, Denys et Anselme, il y a un rapport d’analogie (per analogiam) entre ce qui est dit de Dieu et ce qui est dit des créatures.

Cette dispute est intéressante. St Thomas n’est plus sollicité par un texte à commenter : il y expose son premier jugement d’ensemble et personnel sur la question ; il regroupe et compare les diverses opinions et dégage les présupposés qui commandent chacune des positions.

2. Le De Potentia xliv

contient deux textes très proches de celui-ci. Pour la première foisxlv, St Thomas désigne à plusieurs reprises la seconde voie par une formule nouvelle et dont il usera désormais jusqu’à la fin de sa carrière : «…et sic… intellectus eas adinvenit ex consideratione creaturarum vel per negationem vel per causalitatem…»xlvi.

Dans la question 7, a.5 : Utrum praedicta nomina significant divinam substantiam, la question posée est : « Est-ce que les mots qui viennent d’être évoqués (à l’article 4 : bon, sage, juste) désignent la substance (même) de Dieu ? »

Dans la Réponse, Thomas critique la thèse de « Rabbi Moyses »— selon laquelle les noms divins n’expriment pas l’essence divine, mais peuvent être compris de deux manières : per similitudinem effectus et per modum negationis —, en se fondant sur l’analyse dionysienne de la négation.

La remotio est seulement le fait d’écarter ou d’ôter de Dieu ce qui ne convient pas à ce qu’il est, tandis que la negatio montre positivement que ce qui est nié de lui l’est par éminence et non par défaut. La remotio ne suffit pas pour montrer que les noms divins qualifient la substance divine et c’est bien cette objection extrême de Maïmonide qui oblige Thomas à répondre d’une nouvelle manière et non par la simple opposition répétitive de la connaissance de l’an est et de l’ignorance du quid est. La question n’est plus de savoir ce que nous connaissons de Dieu, mais si les noms divins qualifient la substance divine et c’est

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l’émergence de cette nouvelle objection d’un agnosticisme radical qui oblige Thomas à préciser en quoi les noms divins atteignent vraiment la substance divine qui pourtant demeure, en cette vie, inconnue en elle-même.

[ Dans la réponse à la seconde objectionxlvii, Thomas reprend la doctrine dionysienne des trois voies à propos de l’affirmation : « Dieu est sage ».

Réponse ad 2um : Quand Denys dit que les négations de ces mots à propos de Dieu sont vraies, il n’affirme pas pour autant que les affirmations (de ces mots pour Dieu) sont fausses, mais inadéquates (incompactae)xlviii...

Et c’est pourquoi, selon la doctrine de Denys (De mystica Theologia, c. 2 , De cael. hier., c. 2 ; De divinis nominibus, c. 2 et 3), ces mots se disent de Dieu de trois façons : a) affirmativement, nous disons “Dieu est sage” et il faut le dire de lui, car il y a en lui une similitude de la sagesse qui découle de lui ; étant donné cependant que la sagesse n’est pas en Dieu telle que nous nous la représentons (intelligimus) et que nous la nommons, b) elle peut être niée en vérité et on dira “Dieu n’est pas sage”. c) Ultérieurement, étant donné que la sagesse n’est pas niée de Dieu parce qu’il serait privé (deficiat) de sagesse, mais parce qu’elle est en lui de manière plus éminente (supereminentius) que nous ne l’exprimons et la concevons, il faut dire que “Dieu est supersage”. Et ainsi, en employant cette triple façon de dire que Dieu est sage, Denys donne parfaitement à entendre comment ces choses sont attribuées à Dieu. » ]

La pointe de la discussion n’est plus de savoir si l’on peut connaître ce qu’est (quid est) Dieu, mais si les noms divins « désignent » ou « signifient » (significant) la « divine substance ». Rabbi Moyses, en affirmant que l’essence divine est incommunicable, conclut à tort que les noms divins ne peuvent signifier la substance divine, alors que Denys, pour qui la Déité suressentielle est pure Ténèbre, affirme qu’il y a trois voies.

La problématique des noms divins de Thomas est tout à fait nouvelle par rapport à Denys, car il pose la question de l’attribution des noms divins à la substance divine, alors que Denys pensait que les noms divins étaient seulement des « participations » (metochai) de la Cause ; mais, si Thomas invoque encore Denys contre Maïmonide, c’est qu’il a, le premier, articulé la troisième voie de l’éminence sur les deux autres voies par causalité et négation, ce que Maïmonide ne fait pas. La substance divine, parce qu’elle excède notre connaissance, reste « inconnue de nous » (excedens, et ita a nobis ignoratur), et c’est pourquoi l’ultime connaissance que l’homme peut avoir sur Dieu est de savoir qu’il ne sait rienxlix l.

Qu’en est-il dans tous ces passages de l’usage des termes « remotio » et « negatio » ? Si saint Thomas use encore du verbe « removere », qui cette fois ne désigne plus qu’un mode de négation, – il n’est plus fait mention de la « remotio » comme telle. On assiste ici à une inversion de vocabulaire : le terme « negatio » supplante l’autre pour caractériser le processus dans toute sa généralité : il est désormais au singulier. [ Désormais, dans les derniers textes, le De Malo, le Commentaire sur les Romains et la question 27 de la Secunda secundae, Thomas parlera de la negatio ou de la via negationis.]

Conclusion : la voie d’éminence

La lecture des textes de Thomas d’Aquin sur la via remotionis ou la via negationis, nous a permis de voir son évolution sur l’emploi des termes remotio et negatio. Un fait est établi : à partir des années 65 ou plutôt 67 (Disputatio des Nominibus Divinibusli), St Thomas adopte le terme « negatio » pour désigner la seconde voie ; il n’use plus du terme « remotio » qu’à titre

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historique, pour décrire un processus avicennien ou maïmonidien auquel, sans pourtant l’exclure, il oppose et préfère le processus dionysien de l’éminence lii.

S’il abandonne le terme « remotio », c’est faute d’une matière à désigner par ce nom ; c’est que, pour lui, il n’y a plus de progrès : dans la voie négative, les réalités les plus hautes ne sont pas – selon le strict point de vue du mode négatif – plus proches de Dieu que les plus viles (nous retrouverons cela chez Maître Eckhart), toutes connaissent au même titre une composition interne entre essence et existence ; toutes peuvent donc être niées de Dieu d’une façon également absolueliii. S’il reste, dans notre connaissance de Dieu, du plus et du moins, ce n’est pas dans l’ordre de la négation mais, dans celui de l’éminence.

On peut donc distinguer deux étapes de la réflexion de Thomas sur les noms divins qui correspondent à deux confrontations : celle avec le Pseudo-Denys l’Aréopagite et celle avec Moïse Maïmoniode. Depuis les cours de saint Albert le Grand sur le De divinis nominibus, à Cologne, jusqu’au Contra Gentiles, la référence de Thomas sur la via remotionis est Denys, dont il commente le De divinis nominibus, et la problématique constante à propos de la connaissance de Dieu est celle de l’opposition du quid est et de l’an sit. Le passage du « commentaire » à la « question disputée » des noms divins a lieu à Rome, en 1265-1267, lorsque Thomas est confronté aux objections d’Avicenne et de Maïmonide : non seulement l’essence divine est inconnaissable, mais les noms divins ne l’atteignent pas. C’est alors que Thomas devra élaborer toute une réflexion sur l’attribution des noms divins à la substance divine, sur leur origine et sur leur intention. La problématique désormais n’est plus la problématique néoplatonicienne de l’Imparticipable au-delà de toutes ses participations, mais de l’acte de signifier et du Signifié, transcendant à toutes ses significations.

Dès lors la remotio comme approximation ou « voie ascendante des négations » ne suffit plus. Il n’y a plus d’échelle des négations car les plus viles comme les plus hautes s’équivalent. Seule la voie d’éminence permet de comprendre comment toutes les perfections préexistent et subsistent en Dieu sur un mode supérieur, lors que le mode sous lequel elles sont comprises, à partir des créatures, par l’intellect humain, est « déficient ».

La negatio est alors une négation de cette déficience ou de cette privation. Elle n’est pas seulement un refus de toute anthropomorphisme, comme le pense Maïmonide, ni une « négation transcendante » qui s’achèverait dans la « Ténèbre mystique de l’inconnaissance », comme le pense Denys, mais une négation de la limite humaine qui fait passer, à la limite, dans la plénitude divine.

De Denys Thomas a retenu cette phrase de la Théologie mystique qu’il cite dans le Contra Gentiles (III, c. 49) comme dans la Somme de Théologie (Ia, q. 12, a. 13, ad 1um) : « Nous sommes unis à Dieu comme à un inconnu (tanquam ignoto ou quasi ignoto) ». C’est cette découverte de la transcendance divine au sein de l’union avec lui qui demeure l’expérience mystique de Denys, reprise par Thomas pour exprimer l’union à Dieu dans la vie présente. L’« Ignotum » est un autre nom de « Celui qui est au-delà de tout ». Ce n’est pas un vide qui apparaîtrait lorsqu’on a écarté de Celui que l’on nomme « Dieu » toutes les perfections d’origine humaine que nous lui attribuons, mais la face cachée de Dieu qui ne peut se dévoiler que par la mort.

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II. LA THEOLOGIE NEGATIVE DE MAITRE ECKHARTliv

Vladimir Lossky a choisi comme thème de sa thèse posthume Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhartlv, préparée sous la direction d’Étienne Gilson, un thème dionysien. C’est en effet par Denys que Lossky a été conduit à Maître Eckhart, car Denys l’Aréopagite est le maître de la théologie mystique de l’Église d’Orientlvi et Maître Eckhart s’inscrit dans la tradition dionysienne. Or la théologie négative est le cœur de la théologie mystique et c’est sous l’angle de la théologie négative que Lossky aborde Eckhart.

La seule notion fondamentale est l’ineffabilité de Dieu et toute l’originalité d’Eckhart, dit Étienne Gilsonlvii dans son introduction au livre de Lossky, c’est que tous les noms divins doivent être niés, alors qu’ils ont été affirmés apparemment à l’exclusion des autres :

Nous verrons Maître Eckhart essayer de définir Dieu tantôt par rapport à l’Être, à l’Un ou à l’Intellect. Ce sont, comme le dit Denys, des « noms divins » et Dieu est au-delà de tous noms. Cependant Eckhart présente une autre doctrine des noms divins que Denys. Nous retiendrons trois noms divins : 1. l’esse absconditum, 2. l’Ego sum qui sum et 3. L’Un.

1) L’Ineffable et l’esse absconditum

Le nom de Dieu est un « nomen innominabile et omninominabile » (poluwvnumon –ajnwvnumon). Ce sont les deux première hypothèses du Parménide de Platon : « Si l’Un est Un » et « Si l’Un est » qui sont à l’origine de la distinction entre le « nommable » et l’« innommable ». Ce qui est, pour Platon, des hypothèses concernant l’Un devient, pour Denys, des voies concernant l’unique Dieu, un et trine : la voie affirmative, la voie négative et la voie par éminence. Dès le début des Noms divins, Denys définit son propos en disant que Dieu est ineffable, en tant que Cause suressentielle, mais qu’il est susceptible de multiples noms, en tant que Cause de tout ce qui est, et qu’il se limite à donner « l’explication » de ces noms dans son traité.

Dieu a des noms multiples dans l’Écriture sainte : il est la « Vie » (Jn 14,6), la « Lumière » (Jn 8,12 ; 12,46), « Dieu » (Gn 17,1 ; Ex 3,6 ; Dt 5,6), la « Vérité » (Jn 14,6) ; il se révèle au buisson ardent en disant : « Je suis Celui qui suis » (Ex 3,14). Mais son nom propre est « au-dessus de tout nom » (Ph 2,9), le nom qui est exalté au-dessus « de tout nom qui peut être nommé en ce siècle ou dans le siècle à venir » (EP 1,21). Cependant le Dieu suressentiel demeure ineffable et, comme l’Un du Parménide, « il n’y a de lui ni logos ni nom » (Parm. 142 a).

L’Ineffable de Maître Eckhart est-il celui de Denys, d’Augustin ou de Thomas d’Aquin ?

1. Les théologies négatives Lossky met en garde contre la réduction à une seule conception de la théologie

négative :

« Il y a autant d’ineffabilités que de théologies négatives. En effet l’Ineffable de Plotin n’est pas le même que celui du Pseudo-Denys, qui est à son tour est différent de l’Ineffable de saint Augustin ; et il faudra encore distinguer cet Ineffable de celui d’un saint Thomas d’Aquin. Or c’est l’idée qu’un théologien se fait de l’ineffabilité de Dieu qui détermine le rôle que le moment apophatique

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aura à jouer dans sa pensée. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu commencer notre étude sur l’idée de Dieu chez Maître Eckhart et, en particulier, sur la théologie négative qui lui est propre, par le thème et la quête de l’Ineffable »lviii.

Pour Denyslix, Dieu est ineffable, parce qu’il est suressentiel. Le « nom innommable » désigne « Celui qui est au-delà de tout » (MT 1048 B), au-delà de ce qui peut être nommé et au-delà de l’être.

Selon les trois voies de la théologie affirmative, négative et par éminence, les noms divins sont soit positifs : l’Être, la Vie ou l’Intellect, soit négatifs, en « alpha privatif » : ce qui est « sans essence » (anousios), « sans vie » (azôos) ou sans intellect » (anous) (MT 1040 D), soit en « hyper » pour exprimer la transcendance : la Trinité est « suressentielle » (hyperousios), au-delà de la bonté » (hyperagathos) et de la divinité » (hypertheos), selon la prière qui commence la Théologie mystique (997 A).

Pour Eckhart, Dieu est ineffable parce que sa nature est cachée : « mirabile quaerere nomen eius, cuius natura est esse absconditum ». C’est en tant qu’être — sub ratione esse — que Dieu est ineffable.

Ainsi les différentes sortes d’ineffabilités correspondent à différentes conceptions de l’être. Celle d’Eckhart se différencie de celle de Denys et s’apparente à la fois à celles de Thomas d’Aquin et d’Augustin : Eckhart n’a pas retenu le « suressentiel » dionysien et il prétend être fidèle à la conception thomiste de l’être, mais nous verrons qu’il ne l’est point.

Or Eckhart pousse l’ineffabilité divine à son comble : ce qui peut être encore désigné par un nom n’est pas Dieu.

« Même s’il y avait mille Dieux, là où Dieu a un nom, (l’intelligence) ferait encore la percée (Durchbruch), car elle veut entrer là où il n’y a pas de nom ; elle veut quelque chose de plus noble, de meilleur que Dieu, pour autant qu’il ait un nom » (Serm. XI, Quasi stella matutina, Pf., p. 59, 16-21).

Aucun « nom » ne peut dire « Dieu » qui est « sans nom » (sunder namen, namelôs) ou « au-delà de tous noms » (über alle namen). C’est le jeu des trois voies, positive, négative et d’éminence, qui conduit l’intelligence à aller au-delà du dicible et de l’indicible. Mais, dans son sermon latin sur Saint Augustinlx, Eckhart dit que le théologien peut connaître Dieu ablatione, eminentia et causa, sans s’engager dans la voie de l’expérience mystique.

Pour Thomas d’Aquinlxi, l’ineffabilité qui convient à Dieu, en tant qu’il est transcendant à tout, « segregatus ab omnibus », n’exclut pas l’être et dire que « Dieu n’est pas », c’est dire qu’il n’est pas un existant (non est existens), mais supérieur à l’existence des existants (supra existentia).

« Nous disons que, lorsqu’on parle de Dieu comme d’un non-existant (non existens), cela ne veut pas dire qu’il soit privé de toute existence, mais qu’il est au-dessus de tout existant (supra omne existens) en tant qu’il est son propre exister (suum esse). D’où il ne suit pas que Dieu soit absolument inconnaissable, mais qu’il excède toute connaissance, c’est-à-dire ne peut être compris » (S.T., Ia, q. 12, a.1, ad 3um).

—« privé de toute existence » : la négation n’est pas une privation (sterèsis) —Denys le dit aussi—, mais une négation des limites ou des déterminations qui ne peuvent convenir à celui qui est l’Illimité ou l’Infini (l’apeiron est exorcisé).

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—« au-dessus de tout existant » : Denys le dit aussi, et ajoute : « en tant qu’il est suressentiel » (hyperousios), alors que Thomas ajoute : « en tant qu’il est son propre exister (suum esse) », ce qui est le propre de Dieu à la différence de tous les êtres créés, composés d’être et d’existence.

Dans le De ente et essentia, Thomas précise que l’acte pur d’exister (puritas essendi), dont c’est l’essence même que d’exister, l’ipsum esse subsistens, est le « Qui est » de l’Exode :

« Hoc enim esse, quod Deus est, huius conditionis est, ut nulla additio sibi fieri possit : unde per ipsam suam puritatem est esse distinctum ab omni esse » (De ente et essentia, ch. V).

Eckhart reprendra avec prédilection l’expression « puritas essendi » dont « l’esse est distinct de tout esse ». L’échelle ascendante des négations de tout ce qui est aboutit à la puritas essendi, transcendante à tout esse créé. Eckhart retient de Thomaslxii une autre notion pour expliquer le Deus absconditus : c’est celle de « l’intimité » de l’être : « …esse autem est illud quod est magis intimum cuilibet, et quod profondius omnibus inest… Unde opportet quod Deus sit in omnibus rebus, et intime » (S.T., Ia, q. 8, a.1, resp.). Il y a une « intimité » de l’acte d’exister dans tout être concret créé par Dieu et cet acte d’exister est « plus intime à toute chose que ce qui détermine son être » (II Sent., d. 1, q.1, a.1, solutio).

2. L’esse absconditum

Eckhart, dans l’« Expositio in Iohannem », dit que Celui qui ne peut être nommé, c’est Celui dont la nature est d’être cachée : « nomen eius cuius natura est esse absconditum ». « Vere tu es Deus absconditus » dit le prophète Isaïe (45,15) et l’être divin lui-même, dit Eckhart, est un Esse absconditum. D’où le rapprochement avec le nom de l’Exode : « Ego sum qui sum » (Ex 3,14) : « Si Dieu peut être nommé Esse, c’est justement en tant qu’Être qu’il est un Deus absconditus, dont le vrai nom nous échappe. Or c’est ce que Maître Eckhart dit clairement ailleurs : deus sub ratione esse et essentie est quasi dormiens et latens absconditus in se ipso »lxiii. Et plus loin, il ajoute : « ubi et quando deus non queritur, dicitur deus dormire ». L’image du « sommeil » de Dieu indique cette ignorance dont il s’enveloppe lorsqu’il n’est point cherché.

La théologie négative de Maître Eckhart dépend de sa conception de l’être, c’est pourquoi Vladimir Lossky conclut cette analyse de l’esse absconditum de Maître Eckhart en disant :

« L’esse absconditum de Maître Eckhart est une notion mystique de l’être ; elle se réfère en même temps à Dieu et au vrai esse que la créature ne peut avoir que dans son fond secret. Lorsque, en partant de cette réalité mystique qu’il ne perd jamais de vue, Eckhart cherchera à développer sa doctrine de l’être dans les termes d’une théologie spéculative, il se verra obligé de distinguer l’Être divin et l’être créé dans un jeu de positions contradictoires, où la pointe de la négation se tournera tantôt vers Dieu, tantôt vers la créature »lxiv.

La conception mystique de l’esse absconditum recouvre : a) l’esse qui est Dieu, b) l’esse, opération divine dans le fond de l’âme, et c) l’esse parfait que les créatures ont en Dieulxv. Lorsque S. Jean dit : « Quod factum est in eo vita erat » (Jn 1,3-4), cela signifie que les choses créées, c’est-à-dire dotées d’esse par Dieu, en lui sont « vie » ; elles sont dans le Créateur ou la Cause première comme les raisons incréées des créatures.

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Eckhart est à la fois « mystique » et « dialecticien »lxvi, « mystique », dans sa conception de l’être et « dialecticien » dans son langage théologique. On peut se demander si la source de ses « propositions contradictoires » et quelquefois hérétiques n’est pas là.

À la fin, la quête de l’Ineffable est elle-même supprimée, comme Eckhart le dit dans le sermon allemand « Homo quidam nobilis abiit in regionem longinquam » (Lc 19,12) :

« Le principe n’a pas d’autre raison que la fin, car, dans la fin dernière, se repose tout ce qui fut jamais doué de raison. La fin dernière de l’être, ce sont les ténèbres ou la non-connaissance de la divinité cachée (das vinsterniss oder unbekantniss der verborgenen gothait), où “la lumière luit et les ténèbres ne l’ont pas comprise” (Jn 1,5). C’est pourquoi Moïse dit : “Celui qui m’a envoyé vers vous” (Ex 3,14), Celui qui est sans nom. Et c’est pourquoi le prophète a dit : “Vraiment tu es le Dieu caché” (Is 45,15) au fond de l’âme, le Fond de Dieu et le fond de l’âme n’étant qu’un seul et même fond (grund). Plus on te cherche, moins on te trouve. Tu dois le chercher de façon à jamais le trouver ; si tu ne le cherches pas, tu le trouves. Puissions-nous le chercher ainsi et rester éternellement en lui, avec l’aide de Dieu. Amen »lxvii.

« La fin dernière de l’être, ce sont les ténèbres ou l’inconnaissance de la divinité cachée » : c’est dans cette « fin dernière de l’être » qu’Eckhart retrouve la Ténèbre dionysienne. Il y a deux ténèbres, celle de l’Indistinction de l’Essence divine et celle de la particularité des essences créées, l’une au-delà, l’autre en deça de l’intellect. Entre les deux ténèbres, s’étend la région de l’intellect où les choses sont « essentiellement vraies » dans leurs « principes ». L’intellect humain dépouille les créatures de leur esse secundum pour s’élever vers l’esse primum de leurs raisons éternelles. Il découvre alors la lumière intelligible de la Cause essentielle, qui « luit dans les ténèbres » (Jn 1,5), étant « Ténèbre » inconnaissable en elle-même : « “Tenebrae”— abscondita Dei “super faciem abyssi”— super rationem omnis creaturae » (Exp. In Ex., C., LW II, p. 18, n.13). —« Le Fond de Dieu et le fond de l’âme n’étant qu’un seul et même fond (grund) » : ce qui intéresse Eckhart c’est l’union de l’âme et de Dieu.

2) L’Ego sum qui sum et la negatio negationis

C’est dans l’« Expositio in Exodum », qu’Eckhart fait l’exégèse du Nom de l’Exode « Ego sum qui sum » (Ex 3,14)lxviii et définit la négation qui lui correspond, à savoir la negatio negationis.

1. La negatio negationis

Pour Eckhart, la négation ne convient qu’à l’être créé, opposé à ce qu’il n’est pas, mais non à l’Être même, car il est impossible de nier quoi que ce soit de lui :

« Aucune négation, rien de négatif ne convient donc à Dieu, sinon la négation de la négation, signifiée par l’Un dit négativement (Unum negative dictum) » (Exp. In Ex., C., f. 44).

L’Unum negative dictum, attribué à l’Être absolu, reçoit la forme d’une négation géminée, celle de la negatio negationis qui est l’affirmation pure de l’Être. La négation de la négation rejoint ainsi, sous la forme négative, la double affirmation d’Exode 3,14 : « Ego sum qui sum ». Dans les deux cas, c’est par un « retour complet sur soi-même » que l’Être affirme son identité absolue.

« Negatio vero negationis purissima et plenissima est affirmatio : ego sum qui sum. Super se ipsum redit reditione completa, sibi ipsi inititur, se ipso est, ipsum esse est » (Exp. in Ex., C., f. 46).

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Le Nom de l’Exode exprime l’affirmation plénière de l’Être par la negatio negationis et la « conversion réflexive » ou le « retour complet » de l’Être sur soi-même (epistrophè pros eauto) par le « sum qui sum ». Ce « retour sur soi » est celui de la Monade dans le Liber XXIV Philosophorum : « Monas monadem gignit vel genuit, et in seipsum reflexit amorem sive ardorem » (proposition 1)lxix. La « conversion réflexive » du Nom de l’Exode répond à la réalité trinitaire : le Père engendre le Fils et réfléchit sur lui-même l’« ardeur » ou l’amour, c’est-à-dire l’Esprit Saint qui procède des deux.

Cette idée d’une negatio negationis est la différence fondamentale entre la théologie négative de Denys et celle d’Eckhart : pour Denys, la « négation transcendante » (aphairesis hyperochè) ne comporte pas un redoublement de la négation sur elle-même, mais un dépassement de ce tout ce qui est dans l’acte de la négation de ce qui est, dépassement qui exprime la transcendance de la réalité visée. Mais là encore, la conception de l’Être est différente : pour l’un, la Divinité est suressentielle et le nom de l’Exode, l’Être, n’est qu’un des noms divins, pour l’autre, il exprime la réalité divine comme telle, dans sa pureté et sa plénitude. Pour Eckhart, la « puritas essendi » affirme la pureté de l’Être absolu par élimination de tout ce qu’il n’est pas. La « plenitudo essendi » absorbe en Dieu tout être dans la mesure où il est. La « puritas essendi » s’exprime par la negatio negationis et la « plenitudo essendi » par le « sum qui sum ».

2. Le Nom de l’Exode : « Ego sum qui sum » (Ex 3,14).

Avec la maxime du Liber XXIV Philosophorum, le Ego sum qui sum reçoit le sens d’un « retour » de l’Être sur lui-même. Dieu se révèle comme Être dans le processus trinitaire qui a pour principe l’Un approprié au Père.

« Si l’Ego sum qui sum de l’Exode est la révélation de l’Être, l’Être qui se révèle apparaît comme Unité essentielle et les modalités de sa révélation, comme Trinité de personnes »lxx.

Avec Maïmonide, Eckhart interprète le geste de Moïse se voilant la face devant le buisson ardent (Ex 3,6) comme l’attitude de l’intellect devant la révélation divine.

Avec Avicenne, Eckhart dit que la « quidditas » divine n’est rien d’autre que son « anitas », le « Je » du « Je suis » est « ce qu’il est » : « nec habet quidditatem praeter solam anitatem quam esse signal » (Exp. In Ex., LW II, p. 21, n. 15). Dieu n’a pas de quiddité ou d’essence, mais seulement l’anitas ou l’esse.

Pour Maïmonide, le nom de Yahvé, le tetragrammaton, doit désigner le « Nécessairement existant », dont l’essence est identique avec l’existence. Le premier « sum » désignerait, d’après « Rabymoïses », le sujet qui est nommé et doit se rapporter à l’essentia, alors que le second « sum » est le prédicat qui le nomme ou sa « nomination » (agnominatio) qui correspond à l’esse (Exp. In Ex., LW II, p. 25, n. 19). D’où le caractère unique de la proposition Ego sum qui sum : le « sujet » est identique avec son « prédicat », l’agnominatum avec l’agnominans et la quidditas avec l’anitas.

Pour Thomas d’Aquin, l’Ipsum esse subsistens est un Esse comme Acte pur d’exister, différent de tout être fini qui actualise une essence dont il se distingue. La théologie négative

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de Thomas se situera dans cette « négation » du composé d’essentia et d’esse, négation qui n’est valable que pour Dieu.

Pour Maître Eckhart, —je suis ici l’interprétation de Lossky—, il y a « une réduction de l’exister à l’essence »lxxi. C’est un Être qui « se suffit » à soi-même. La « sufficientia » de l’Être ou de Dieu s’oppose à l’« indigentia » des êtres créés qui n’ont pas leur être ex se mais ab alio. Cette « sufficientia » de l’Être est un autre aspect de sa « puritas » ou de sa « plenitudo ». Si Maître Eckhart rapproche avec insistance le Ego sum qui sum de la Monade qui engendre la Monade et se réfléchit sur elle-même, c’est parce que les deux propositions —la 1ère du Liber 24 Philosophorum : « Monas monadem gignit vel genuit, et in seipsum reflexit amorem sive ardorem », —et la 15e du Liber de Causis ont pour lui un sens trinitaire : « Omnis sciens scit essentiam suam, ergo est rediens ad essentiam suam reditione completa ».lxxii Eckhart se distingue donc de Thomas et de Denys en donnant de l’Ego sum qui sum une interprétation trinitaire.

L’autre nom divin retenu est l’Un.

3) Deus unus est

Dans le sermon latin « Deus unus est », dont la copie manuscrite est couverte de notes par Nicolas de Cues, l’unité veut dire identité. Elle est réservée à l’Intellect, ce dernier étant approprié à Dieu-Un. L’esse unum cum Deo, l’identité avec Dieu, appartient à tout être créé dans la mesure où il a part à l’intellectualité. Les êtres créés sont donc simultanément unum et non-unum et les êtres intellectuels sont constitués ex esse et essentia, vel ex esse et intelligere (Opus sermonum, C., f. 150). L’intelligere est la faculté d’union à Dieu des êtres créés à l’image de Dieu ; par contre l’esse marque la distinction, la non-identité. C’est sur le plan de l’union ou de l’unum que l’intelligere est supérieur à l’esse.

Sans accepter les thèses de Mgr Grabmann, dans son analyse du sermon Deus unus est, sur le caractère proprement incréé et divin de l’intellect humain, il suffit de remarquer que « l’incréabilité » de l’intelligere des créatures faites à l’image de Dieu correspond à l’abandon de l’être déterminé, à la « sortie de ce monde et de soi-même », à l’« Abgesheidenheit » sans laquelle on ne peut atteindre « l’être un avec Dieu » (esse unum cum Deo) ou l’union mystique avec Dieu.

« Ascendere igitur ad intellectum, subdi ipsi, est uniri Deo ; uniri, unum esse, est unum cum Deo esse : “deus enim unus est” » (Op. serm., C., f. 151).

Le sermon « Deus unus est » sur l’Un-Intellect, dit Lossky, « réunit les éléments de la spéculation métaphysique d’Eckhart avec sa doctrine de l’union mystique. Le retour (epistrophè) par l’intellect et la grâce vers l’identité de l’être en Dieu, d’où toutes les choses sont “sorties” par la création. L’epistrophè dépasse la dualité de Créateur et de créature pour découvrir, au-delà de leur opposition, l’identité initiale de toutes choses avec elles-mêmes et avec Dieu »lxxiii. C’est plutôt dans la monè, principe de la proodos et fin de l’epistrophè, selon le schéma néoplatonicien, ou dans le « fonds (Grund) qui est à la fois le « fonds de Dieu » et le « fonds de l’âme », dans son origine et sa fin divine que se découvre « l’identité initiale —

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et finale — de toutes choses avec elles-mêmes et avec Dieu ». C’est là que se fait le dépassement de la dualité.

Le retour à la monè se fait par le détachement de tout, c’est pourquoi nous voulons conclure cette réflexion par l’Abgesheidenheitlxxiv, notion corollaire à celle de la théologie négative.

4) Le détachement (Abgesheidenheit)

Le dépouillement ou le « détachement » (Abgesheidenheit) de tout ce qui détermine les créatures dans leur être propre est une condition négative du retour à l’état déiforme qu’elles ont dans leur Cause, la fin de l’epistrophè, comme le principe de la proodos, est la monè. L’ens créé doit être dépouillé de son esse secundum, l’être d’une substance concrète, pour situer les créatures dans la lumière de leurs raisons éternelles.

Dans le Livre de la consolation divine, Maître Eckhart parle de « pureté » (lûterkeit) ou de « séparation » (abgescheiden von zît und von stat) comme d’un caractère propre aux facultés supérieures qui font de l’homme un être à l’image de Dieu. La pureté, ou « l’incréabilité » négative de son intelligere rapproche l’homme de Dieu. Il est comme « l’étoile du matin » qui fait face au soleil. C’est le thème du sermon « Quasi stella matutina ».

Pour se trouver dans l’Unité divine, l’homme doit s’anéantir dans sa « créabilité » : « Si tu pouvais t’anéantir toi-même, ne fût-ce qu’un instant ou même pour moins de temps qu’un instant, alors tout t’appartiendrait en propre qui réside dans ce mystère incréé du dedans de toi-même ».

Cet « anéantissement » est celui de l’Abgescheidenheit. Le détachement est la plus haute des vertus, il est supérieur à l’amour, à la miséricorde, qui les dépasse, selon le sermon allemand IX, « Quasi stella matutina », et à l’humilité, parce que ces vertus se rapportent aux créatures, alors que le détachement n’a plus rien à voir avec elles, puisqu’il est une séparation d’avec elles. « Le pur détachement est au-dessus de toutes choses », c’est l’« unique nécessaire » que Marie a choisi, laissant les affaires du monde à Marthelxxv.

D’où la définition du détachement : « Or je demande ici quel est l’objet du pur détachement. Je réponds ainsi : ni ceci ni cela n’est l’objet du pur détachement. Il repose sur le néant absolu et voici pourquoi il en est ainsi : le pur détachement se situe au sommet. Or celui-là est au sommet en qui Dieu peut agir selon son absolue volonté »lxxvi.

L’objet du détachement n’est « ni ceci ni cela », mais le « néant absolu ». L’homme veut toujours être « ceci ou cela » ou posséder « ceci ou cela », mais le pur détachement laisse Dieu faire en lui ce qu’il veut et être en lui ce qu’il est : « ni ceci, ni cela ».

Quelle sera alors la « prière du cœur détaché » ? « Je réponds en disant que la pureté du détachement ne peut pas prier, car celui qui prie désire obtenir quelque chose ou que Dieu lui enlève quelque chose. Or le cœur détaché ne désire rien et n’a rien non plus dont il aimerait être libéré. C’est pourquoi il est détaché de toute prière, et sa prière n’est rien d’autre que d’être conforme à Dieu » lxxvii.

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La « prière du cœur détaché » est le détachement de toute prière, si la prière est un désir de quelque chose. Eckhart illustre sa définition de sa prière en se référant à Denys l’Aréopagite :

« Denys dit : “Cette course ne consiste en rien d’autre qu’à se détourner de toutes les créatures pour s’unir à l’Incréé”. Et quand l’âme parvient là, elle perd son nom et Dieu l’attire en lui, de sorte qu’elle n’a plus rien en soi, de même que le soleil attire l’aurore de sorte qu’elle n’est plus rien. Rien d’autre n’y amène l’homme que le pur détachement ».lxxviii

Est-ce le dépassement de tout et auquel Eckhart fait allusion en parlant de Denys ?

CONCLUSION

La théologie négative de Maître Eckhart (ne devrait-on pas plutôt dire « les théologies négatives » ?) est le fruit d’influences croisées, directes et indirectes : néoplatonicienne, dionysienne, augustinienne et thomiste.

Je voudrais retenir seulement trois points de divergence entre Maître Eckhart et Denys ou trois questions : la negatio negationis rejoint-elle la négation transcendante (aphairesis hyperochè) ? la via eminentiæ correspond-elle à la suppression des contraires ? et le détachement est-il l’extase ?

1. La « negatio negationis » est une « reduplication » de la négation qui aboutit à une suppression de la négation et à l’affirmation de la puritas essendi divine, car la négation ne peut convenir à Dieu. Dieu, en tant qu’Ego sum qui sum, ne peut être nié, mais, dans le traité « Du détachement », il est nommé « néant absolu » par opposition à l’esse des créatures, ou encore, dans le même traité, « Être sans forme ».

La « négation transcendante » (aphairesis hyperochè), pour Denys, n’est pas du tout une suppression de la négation (car l’aphairesis ne se confond pas avec l’apophasis), mais le mouvement de dépassement du sensible et de l’intelligible, selon le titre des deux derniers chapitres de la Théologie mystique, pour viser « Celui qui est au-delà de tout » et s’unir à lui dans la Ténèbre. L’aphairesis hyperochè épouse ce mouvement de transcendance de la Cause suressentielle, mais Celle-ci et encore au-delà et la Théologie mystique s’achève par cette reconnaissance que « Celui qui est au-delà de tout » est à la fois au-delà de toute affirmation et de toute négation.

2. Quant à la notion d’éminence, chère à Thomas d’Aquin et à Denys l’Aréopagite, elle doit elle-même être éliminée et remplacée par ce que Vladimir Lossky appelle le « principe d’opposition ». Quant à Dieu, il est tantôt le « Dieu-Intellect » qui se connaît au-delà de tout ce qui est, tantôt le « Dieu-Un », Identité d’intelligere et d’esse.

3. Le « détachement » eckhartien n’est pas l’extase dionysienne (on pourrait plutôt parler d’enstase). Certes, dans les deux cas, il y a quelque chose d’abandonné : chez Eckhart, c’est le « soi » qui est encore « ceci ou cela » et qui s’attache au sensible ou à la présence sensible du Christ. Mais le « détachement » ou la « séparation » suppose une « coupure » qui ne se retrouve pas chez Denys : l’extase comme « sortie de tout et de soi-même », selon la Théologie mystique (MT 997 B), est le mouvement de l’éros qui jette l’intellect, nu et aveugle, dans la Ténèbre divine.

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Que conclure de cette étude sommaire qui se voudrait introductive à de nombreux travaux sur l’influence du Corpus dionysien sur l’école dominicaine, en particulier Thomas d’Aquin et Maître Eckhart ?

1. Tout d’abord que, avec la réception du Corpus dionysien, la question de la connaissance de Dieu, de sa nomination et de son ineffabilité est au centre des débats. Alors qu’au XIIe siècle, l’école de Saint Victor est plutôt centrée sur la Hiérarchie céleste, qu’Albert le Grand commente encore, l’école dominicaine, au XIIIe, reprend la question des Noms divins, avec les commentaires d’Albert et de Thomas.

2. Cependant il y a autant de conceptions des trois voies, surtout de la via negativa et de la via eminentiæ, que de conceptions de Dieu, qu’il soit défini par Denys comme « suressentiel » ou par Thomas comme Ipsum esse subsistens.

3. De Denys l’Aréopagite, Maître Eckhart retient surtout l’ineffabilité de Dieu et la théologie négative qu’il transforme avec son puissant génie.

Ses « propositions contradictoires » le conduisent vers une nouvelle conception de la théologie négative qui intéresse particulièrement les modernes : la suppression de la dualité. Nicolas de Cues dans sa « coincidentia contradictoriorum » (Apologia 15) se souviendra de lui. Voulant dépasser l’opposition entre le transcendant et l’immanent, Dieu et la créature, Eckhart cherche « une apophase de la non-opposition, de la non-distinction, une apophase qui n’exclut pas l’être parce qu’elle ne veut exclure que la distinction », dit Vladimir Losskylxxix. C’est pourquoi Rudolph Otto, dans son livre Mystique d’Orient et d’Occidentlxxx, fera une comparaison entre Maître Eckhart et Shankaralxxxi, ce grand mystique indien qui recherche la non dualité, l’advaita.

Mais le « pati divina » ne trouve plus d’écho chez lui, dans l’atmosphère raréfiée du « détachement » qui reconduit la créature au néant d’où elle est sortie. C’est peut être à la fin du XIIIe siècle, avec Hugues de Balmalxxxii, et au XIVe siècle que s’effectue une rupture entre une mystique intellectuelle et une mystique affective, rupture qui se continuera dans la « querelle de la docte ignorance ».

Les lectures du Corpus dionysien engendrent de nouvelles relectures. Je vous remercie de m’avoir suivie dans ma lecture des textes de Denys l’Aréopagite, de Thomas d’Aquin et de Maître Eckhart.

Ysabel de Andia, CNRS Paris

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i H. F. DONDAINE, Le Corpus dionysien de l’Université de Paris au XIIIe siècle, Edizioni di Storia e Letteratura, Roma 1953.

ii H. F. DONDAINE, Le Corpus dionysien, op. cit., p. 124 et toute la conclusion p. 122-128. Dondaine conclut : « Ces gloses tendent surtout à préparer une expositio textus claire et fructueuse, celle

exactement que S. Albert nous offre dans ses Commentaires. Manifestement, ce qui a commandé cette collection, c’est un but d’assimilation doctrinale que l’on voit d’ailleurs osciller entre deux inspirations différentes : l’augustinisme original de Hugues de S. Victor et une tendance érigénienne plus harmonique à Denys et Maxime. On a cru, en effet, apercevoir deux étapes dans la construction de ce Corpus : autour de la Hiérarchie céleste, le recueil Compellit me met Hugues à la place d’honneur ; il n’est pas impossible qu’il ait été compilé dès l’aube du XIIIe siècle. La seconde partie ou Opus alterum, manifeste plus de confiance en l’Érigène du Perifision, auquel elle n’emprunte pas moins de une page sur 15 : elle a pu être portée par la vague d’orientalisme qui vient mourir en 1241. Cependant ces deux parties sont entrées dans une construction très apparente dans tous nos manuscrits des XIIIe-XIVe siècles et l’intention générale de tout l’ouvrage reste bien celle qu’on a dite : mettre à la portée du théologien (de 1200 ou de 1240) l’univers dionysien déjà assimilé par la pensée occidentale… L’Opus majus, achevé au plus tard vers 1240-1250, et peut-être dans l’entourage immédiat d’Albert le Grand s’annexe la version de Sarrazin plus littéraire, et finalement la paraphrase de Thomas Gallus. « Exposer » Denys, si possible un Denys rejoint en son texte authentique, mais surtout un Denys clarifié, repensé par des latins, et en quelque mesure augustinisé : telle fut, semble-t-il, l’idée implicite qui a présidé à l’élaboration du Corpus parisien ».

iii G. THERY, “Le manuscrit Vat. grec 370 et saint Thomas d’Aquin”, AHDLMA 6 (1931) 5-23. iv H. F. DONDAINE, ibid., p. 114. v S. THOMAE AQUINATIS, In Librum Beati Dionysii De divinis nominibus Expositio, cura et studio Ceslai

PERA o.p., Marietti, Romae 1950, voir : J. DURANTEL, Saint Thomas et le Pseudo-Denys, Paris, 1919. vi WALZ-NOVARINA, p. 132-134, cité par J.-P. TORREL, Initiation à saint Thomas d’Aquin, Fribourg, 1993, p.

185. vii WEISHEIPL, p. 415. viii P. FAUCON dans sa thèse Aspects néoplatoniciens de la doctrine de saint Thomas d’Aquin, ix Henle (1956), W.N. Neidl (1976), I.E.M. Anderregen (1988), M.B. Evank (1989), F. O’Rourke (1992) et

les articles de J. Moreau et de A. Von Ivanka dans Tommaso d’Aquino nel suo settimo centenario (Roma-Napoli 1974) et de C. d’Ancona dans la Revue Thomiste ().

x Cf. C. D’ANCONA COSTA, Recherches sur le Liber de causis, (Études de philosophie médiévale), Vrin,

Paris, 1995. xi C. D’ANCONA, op. cit., Introduction, p. 8. xii THOMAS D’AQUIN, Super librum de causis expositio, par H. D. Saffrey, O.P., Paris, Vrin, 2002 ; THOMAS

D’AQUIN, Commentaire du Livre des Causes, Introduit, traduit et commenté par Béatrice et Jérôme Decossas, Philologie et Mercure, Vrin, Paris, 2005.

xiii C. D’ANCONA, op. cit., Introduction, p. 8. xiv C. D’ANCONA, op. cit., Introduction, p. 9. Plusieurs thèses du Liber de Causis le rapprochent de <Denys> : l’Un de la première hypothèse du Parménide et le Bien ajnupovqeton du livre VI de la République ne font qu’un seul principe, par conséquent l’Un-Bien est à la fois le principe, dont il est impossible de dire quoi que ce soit, et la cause de tous les intelligibles ; la causalité du premier principe est d’un ordre différent de celle des autres : « Causa prima Superior est omni narratione » (). Au-dessous de la Cause première, Un véritable et Être pur, il y a l’Intellect, comme chez Plotin : « Causa prima creavit anime mediante intelligentia » () et « Intelligentia est primum creatum et est plus similis Deo sublimi » (), et l’Âme. C’est donc dans le schéma des Ennéades de Plotin que le philosophe arabe anonyme a inséré les Éléments de théologie de Proclus. Mais celui-ci corrige Proclus sur le point de la multiplicité de divinités secondaires hiérarchisées les unes par rapport aux autres. Le monothéisme de l’auteur du Liber de Causis le rapproche du Pseudo-Denys, c’est pourquoi Critina d’Ancona conclut : « Rien ne s’oppose toutefois à l’hypothèse d’une influence — si indirecte soit-elle — des idées du pseudo-Denys sur l’auteur du Liber de Causis

xv Cf. Y. de Andia, « Négative (Théologie) », Dictionnaire critique de Théologie sous la direction de J.-Y. Lacoste, Paris, Puf, 1998, p. 791-795,

xvi Y. de Andia, « Remotio et negatio », Archives d’Histoire Doctrinale et Littéraire du Moyen Âge (AHDLMA), t. 68 (2001) 45-71.

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xvii Th.-D. Humbrecht, Théologie négative et Noms divins chez saint Thomas d'Aquin, Paris, Vrin,

« Bibliothèque thomiste, 57 », 2006. xviii Cf. F. Ruello, Les “Noms divins” et leurs raisons selon Albert le grand, commentateur du “De divinis

nominibus”, Paris, Vrin, 1963 et P. Simon, Prolegomena, dans S. Alberti Magni Opera omnia, éd. Cologne, t. 37 /1 : Super Dyonisium de divinis nominibus, Bonn, 1972, p. VI-VII.

xix « Durant ces quatre années, de 23 à 27 ans, Thomas a pu s’imprégner profondément de la pensée d’Albert, pour le compte de qui il a poursuivi le travail déjà commencé à Paris. C’est alors qu’il a mis au net ses notes de cours sur les Noms divins de Denys et sur l’Éthique à Nicomaque d’Aristote. » (Torrell, p. 37-38).

xx Maïmonide, Le Guide des égarés, trad. S. Munk, Lagrasse, 1979- Le Livre de la connaissance, traducteurs V. Nikiprowetsky et A. Zaoui, Paris, 1985 (2è éd.). Voir A. Wohlman, Thomas d’Aquin et Maïmonide. Un dialogue exemplaire, Paris, 1988 et Th. Alcoloumbre, Maïmonide et le problème de la personne, Études de Philosophie médiévale, Vrin, Paris, 2000.

xxi Cf. R. de Vaux, Notes et textes sur l’avicennisme latin aux confins des XIIe et XIIIe siècles, Paris, 1934 et A. M. Goichon, La philosophie d’Avicenne et son influence en Europe médiévale, Paris, 1940. La publication de l’ Avicenna latinus a été entreprise par S.Van Riet (t.1, Brill, Leiden, 1992).

xxii Voir Nouvelle Introduction de R.-A. Gauthier à Saint Thomas, Contra Gentiles, t. 1-4, Paris, 1954-1961. « La rédaction primitive des 53 premiers chapitres du Livre I revient à la dernière année du premier enseignement parisien (avant l’été 1259). En Italie, à partir de 1260, Thomas a révisé ces 53 premiers chapitres et rédigé la suite de l’ouvrage achevé, avec la rédaction du quatrième Livre en 1264-1265, très probablement avant le départ de Thomas pour Rome (1265) » (Torrell, p. 486 et ch. 6, p. 141-170).

xxiii Voir Nouvelle Introduction de R.-A. Gauthier à Saint Thomas, Contra Gentiles, t. 1-4, Paris, 1954-1961. « La rédaction primitive des 53 premiers chapitres du Livre I revient à la dernière année du premier enseignement parisien (avant l’été 1259). En Italie, à partir de 1260, Thomas a révisé ces 53 premiers chapitres et rédigé la suite de l’ouvrage achevé, avec la rédaction du quatrième Livre en 1264-1265, très probablement avant le départ de Thomas pour Rome (1265) » (Torrell, p. 486 et ch. 6, p. 141-170).

xxiv. Cf. A. Dondaine, « Saint Thomas et la dispute des attributs divins (I Sent., d.2, a.3) », Archivum Fratrum Predicatorum, 8 (1938), pp. 253-262

xxv Cf. Platon, Sophiste 263 e ; Aristote, De interpretatione 6,1. xxvi Plotin, Enn. I,6 [1], 42-52. Cette théorie de la laideur qui date de la première époque de la doctrine de

Plotin sera reprise dans l’un de ses derniers traités Sur l’Origine des maux (I, 8 [51]). xxvii Cf. J. Trouillard, L’Un et l’âme selon Proclos, Ch. V, Théologie négative et psychogonie, CEA, Paris,

1972, p. 133-154. Sur la théologie négative voir les études suivantes par ordre chronologique : V. LOSSKY, «La théologie négative dans la doctrine de Pseudo-Denys l’Aréopagite», Archives d’hist. litt. et doctr. du Moyen Age (AHLDMA) V (1930) 204-221 ; É. DES PLACES, «La théologie négative du Pseudo-Denys. Ses antécédents platoniciens et son influence au seuil du Moyen Age», Studia Patristica 17, Oxford 1982 ; C. GUERARD, «La Théologie négative dans l’apophatisme grec», RSPT 68 (1984) 183-200 ; M. CORBIN, «Négation et transcendance dans l’œuvre de Denys », RSPT 69 (1985) 41-76 ; S. LILLA, «La Teologia negativa dal pensiero greco classico a quello patristico e bizantino», (Prima parte), Helikon XXII-XXVII (1982-1987) 211-279 ; (Prima parte : continuazione), Helikon XXVIII (1988) 203-279.

xxviii Denys emploie l’expression hyperochikè aphairesis en DN II, 640 B. xxix Cf. Ph. Chevallier, Dionysiaca, 2 vol., Abbaye de Solesmes, DDB, Paris, 1937 et, Faksimile-Neudruck

der zweibändigen Ausgabe Brügge 1937 in vier Bänden. Mit einem Nachwort von Martin Bauer, Bd 1-4, Frommann-Holzboog, Stuttgart, 1989.

xxx Dionysiaca, Nachdruck, Bd. I, p. 572, 580-581. xxxi Pour la datation des œuvres de Thomas, voir J.-P. Torrell, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa

personne et son œuvre, Paris-Fribourg, 1993 (cité : Torrell), Chronologie sommaire, p. 479-482. Le Commentaire aux Sentences, « fruit de son enseignement comme bachelier sententiaire au début de premier séjour parisien (1252-1254), sa rédaction n’était pas encore achevée lorsqu’il commença son activité de maître (1256) ». (Torrell, p. 485 et ch. 3, p. 58 à 69). Sur le plan des Sentences, voir F. Ruello, « Saint Thomas et Pierre Lombard. Les relations trinitaires et la structure du Commentaire des Sentences de saint Thomas d’Aquin », Studi Tomistici (1974) 176-209.

xxxii I dist. 3 divisio primae partis textus, q. 1, a. 3 ; dist. 4, q. 2, a. 1, ad 2um ; dist. 35, q. 1, a.1 ; III dist. 35, q. 2, a. 2, q. 2.

xxxiii Voir Nouvelle Introduction de R.-A. Gauthier à Saint Thomas, Contra Gentiles, t. 1-4, Paris, 1954-1961. « La rédaction primitive des 53 premiers chapitres du Livre I revient à la dernière année du premier enseignement parisien (avant l’été 1259). En Italie, à partir de 1260, Thomas a révisé ces 53 premiers chapitres

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et rédigé la suite de l’ouvrage achevé, avec la rédaction du quatrième Livre en 1264-1265, très probablement avant le départ de Thomas pour Rome (1265) » (Torrell, p. 486 et ch. 6, p. 141-170).

xxxiv « Cet ouvrage fut rédigé lors de son premier séjour d’enseignement parisien dans les années 1257-1258 ou début 1259, entre le milieu du De Veritate et le début du Contra Gentiles » (Torrell, p. 503; voir ch. 4, p. 97-99).

xxxv Le terme latin très rare « incompactae » traduit le terme grec « anarmostoi ». Sur la supériorité de l’apophase chez Denys l’Aréopagite, voir DN XIII, 3, 981 A-B et MT III, 1000 B-C.

xxxvi Voir Nouvelle Introduction de R.-A. Gauthier à Saint Thomas, Contra Gentiles, t. 1-4, Paris, 1954-1961. « La rédaction primitive des 53 premiers chapitres du Livre I revient à la dernière année du premier enseignement parisien (avant l’été 1259). En Italie, à partir de 1260, Thomas a révisé ces 53 premiers chapitres et rédigé la suite de l’ouvrage achevé, avec la rédaction du quatrième Livre en 1264-1265, très probablement avant le départ de Thomas pour Rome (1265) » (Torrell, p. 486 et ch. 6, p. 141-170).

xxxvii À plusieurs reprises dans In Boetium, 6, 3 : « remotus » s’oppose directement à « proximus » et exprime au premier chef l’idée d’éloignement : « per cognitionem alicujus generis proximi vel remoti… »

Dans un texte ultérieur, la Dispute des Noms Divins (insérée en I Sent. d. 2 a. 3), se retrouvera la même opposition : « … non sunt in Deo, quasi fundamentum proximum habeant in ipso, sed remotum ». et. Mandonnet , p. 68.

xxxviii In Boetium, q. 6 a. 3. xxxix La date précise de la rédaction de l’Expositio super librum Dionysii De divinis Nominibus reste

incertaine : « durant le séjour à Orvieto (1261-1265) ou pendant la période suivante, à Rome (1265-1268) » (Torrell, p. 505). Sur la relation de Thomas d’Aquin à Denys l’Aréopagite que je ne peux développer, voir le livre de F. O’Rourke, Pseudo-Dionysius and the metaphysics of Aquinas, Leiden, Brill, 1992.

xl Deux exceptions : 1) « negationes omnium rerum conveniunt Deo per suum excessum » 312 b. Texte qui confirme nos observations : negatio est ici au pluriel, à l’inverse de « remotio » toujours au singulier. 2) « omnia ista quae de Deo affirmamus, possunt etiam ab eo negari » 353 b. Mais ce « negari » ne vise pas la « via remotionis » proprement dite dans son tout, mais seulement dans son terme, immédiat et absolu.

xli S. Thomae Aquinitatis, In Librum Beati Dionysii De divinis Nominibus expositio, cura et studio fr. Ceslai Pera o.p., Marietti, Romae, 1950, n° 732, p. 274.

xlii Ibid, n° 995-996 , p. 369-370. xliii Cf. A. Dondaine, « Saint Thomas et la dispute des attributs divins (I Sent., d.2, a.3) », Archivum

Fratrum Predicatorum, 8 (1938), pp. 253-262 xliv « Les questions disputées De Potentia datent du séjour de Thomas à Rome, très probablement dans la

première année de cette période (1256-1266) avant la rédaction de la Prima Pars de la Somme de Théologie » (Torrell, p. 489 et ch. 9, p. 234-238).

xlv Si l’on excepte une seule formule, sur Boèce, et dont nous avons vu qu’il ne fallait pas majorer la portée.

xlvi Corpus, quartum ad tertium. (Mandonnet, p. 68). Autre formule, équivalente : « per modum negationis ».

xlvii De Potentia, question 7, a.5, Ad 2um. Aucun nom qui désigne (significat) la substance d’une chose ne peut être nié en vérité de cette chose. En effet Denys dit (De cael. hier II,3, PG 3, col.140) qu’en ce qui concerne Dieu (in divinis), les négations sont vraies, mais les affirmations sont inadéquates (incompactae).

xlviii « Incompactae » signifie « non omnino convenienter coniuncta » : c’est-à-dire ce qui ne se rattache pas avec justesse (à son sujet).

xlix De Potentia, question 7, a.5, Ad 14um dicendum quod ex quo intellectus noster divinam substantiam non adaequat, hoc ipsum quod est Dei substantia remanet, nostrum intellectum excedens, et ita a nobis ignoratur : et propter hoc illud est ultimum cognitionis humanae de deo quod sciat se Deum nescire, inquantum cognoscit, illud quod Deus est, omne ipsum quod de eo intelligimus, excedere. »

l De Potentia, question 9, a. 7 : Utrum termini numerales praedicentur de divinis personis. Sed Contra, Dionysius dicit, (4 cap. De divin. Nom., cap. 13 a med.) : Unitas laudata et Trinitas quae est super omnia divinitas, non est neque unitas, neque trinitas quae a nobis aut alio quodam existentium sit cognita. Videtur ergo quod termini numerales per remotionem dicantur de Deo. (…) Nam et Dionysius dicit (in 2 cap. Caelest. Hierar.), quod negationes sunt maximae verae in Deo ; affirmationes vero sunt incompactae. Non enim scimus de Deo quid est, sed magis quid non est, ut Damascenus dicit (lib. 1, cap. 4). Unde et Rabbi Moyses omnia quae affirmative videntur dici de Deo, dicit magis esse introducta ad removendum quam ad aliquid ponendum. Dicimus enim Deum esse “vivum” ad removendum ab eo illum modum essendi quem habent res quae apud nos non vivunt, non ad ponendum vitam in ipso, cum vita et omnia huiusmodi nomina sint imposita ad

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significandum quasdam formas et perfectiones creaturam quae longe absunt a Deo ; quamvis hoc non sit usquequaque verum ; nam, sicut Dionysius (in lib. de divin. Nom., cap. 12, a med.), “sapientia” et “vita” et alia huiusmodi non removentur a deo quasi ei desint ; sed quia excellentius habeat ea quam intellectus humanus capere, vel sermo significare possit ; et ex illa perfectione divina descendunt perfectiones creatae, secundum quamdam similitudinem imperfectam. Et ideo de Deo, secundum Dionysium (cap. 1 mysticae Theol. et cap. 2 caelest . Hierar., et 1 et 2 de divin. Nom.), non solum dicitur per modum negationis et per modum causae, sed etiam per modum eminentiae. » Dans la question 9, art. 7, Thomas s’appuie de nouveau sur Denys contre Rabbi Moyses pour dire ce que signifient les termes numériques « un » et « trois », lorsqu’on parle de l’Unité divine et de la Trinité des Personnes.

li Si l’on supprime la Prima Pars commencée en 1266, la Dispute des Noms Divins qui, d’après son contenu devrait lui être postérieure, serait à dater de 1267, lors du second séjour à Rome.

lii Dans ces trois textes parallèles (Disp. p. 69, De Pot. q. 7 a. 5 et q. 9 a. 7), saint Thomas rattache la négation à Avicenne et Maïmonide et l’éminence à Denys.

liii De sorte que si l’on peut parler à juste titre d’une « via remotionis », l’expression « voie » négative se justifie moins, ou alors à la condition d’entendre « voie » au sens large de mode de connaissance, mode négatif.

liv Y. de Andia, « La théologie négative de Maître Eckhart », in : Maître Eckhart et Jan van Ruusbroec. Études sur la mystique « rhéno-flamande » (XIIIe-XIVe siècle), ULB, Bruxelles, 2004, p. 53- 70.

lv V. Lossky, Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart, Paris, 1960. lvi V. Lossky, La théologie mystique de l’Église d’Orient, Paris, 1945. lvii V. Lossky, Théologie négative…, op. cit., p. 10. « Le mérite le plus rare de cette longue étude est précisément son refus de réduire la théologie d’Eckhart au développement systématique d’une seule notion fondamentale… S’il y a chez Eckhart une seule notion fondamentale, c’est celle de Dieu ou plutôt c’est celle de l’ineffabilité de Dieu. Le titre de ce livre en situe donc l’objet au cœur de la doctrine, mais Eckhart a conçu son œuvre comme une enquête éminemment positive sur notre nescience de la divinité. Tentant successivement toutes les avenues déjà connues et poussant chacune d’elles à son terme, il fait voir que tout ce qu’on peut affirmer à bon droit de Dieu peut, et doit même en être finalement nié pour faire place à une affirmation apparemment contraire. Dieu est l’Être, assurément, mais n’est-il pas plutôt l’Un ? ou l’Intellect ? Comprendre qu’il est chacune de ces perfections, absolument, purement, donc en apparence à l’exclusion des autres, c’est justement en quoi consiste l’ignorance transcendante qui élève Dieu au-delà de toutes les affirmations ». lviii V. Lossky, op. cit., p. 13. lix Sur la théologie négative chez Denys, voir Y. de Andia, Henosis. L’union à Dieu chez Denys l’Aréopagite,

Leiden, 1996, Ch. XV, L’apophase et le silence, p. 375-398. lx Sermo de beato Augustino Parisius habitus, LW (= Lateinische Werke) V, p. 92. lxi Sur la théologie négative chez Thomas, voir Y. de Andia « Remotio et negatio », Archives d’Histoire

Doctrinale et Littéraire du Moyen Âge, tome 68, Année 2001, pp.45-71 ; repris dans : Y. de Andia, Denys l’Aréopagite. Tradition et métamorphoses, Vrin, Paris, 2006, p. 185-211.

lxii Pour V. Lossky, op. cit., p. 27 : « Il serait aussi faux de vouloir conclure au caractère foncièrement thomiste de la pensée d’Eckhart (M. Otto Karrer) que de chercher à tout prix à le séparer totalement du thomisme (Denifle et le P. Théry) ».

lxiii Eckhart, Exp. In Io., C., f., 122, lb. 51-52 ; V. Lossky, op. cit., p. 16. lxiv V. Lossky, op. cit., p. 37. lxv V. Lossky, op. cit., p. 44. lxvi Pour S. Breton, il n’y a pas d’opposition, mais « une insertion, au cœur même du problème intellectuel,

d’une exigence mystique », cf. S. Breton, « Métaphysique et mystique chez Maître Eckhart », Recherches de Science religieuse, 64/2 (1976) p. 161 ss. et p. 176ss. Il est revenu sur Eckhart dans son livre : Philosophie et mystique, Existence et surexistence, Grenoble, 1996, ch. IV.

lxvii Eckhart, Sermon allemand 15, dans Maître Eckhart, Sermons (1-30), Introduction et traduction française de Jeanne Ancelet-Hustache Paris, 1974, p. 138.

lxviii Cf. Centre d’études des religions du livre, Celui qui est. Interprétations juives et chrétiennes d’Exode 3,14, édité par Alain de Libera et Émilie Zum Brunn, Paris, 1986.

lxix Le Livre des XXIV Philosophes, traduit du latin, édité et annoté Par F. Hudry, Grenoble, 1989, p. 89 : « Deus est monos, monadem ex se gignens, in se unum reflectens ardorem ».

lxx V. Lossky, op. cit., p. 98. lxxi V. Lossky, op. cit., p. 107.

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lxxii Thomas d’Aquin, Super Librum de Causis expositio, par H. D. Saffrey, Vrin, Paris, 2002, p. 88 et P.

Magnard et alii, La demeure de l’être. Autour d’un anonyme. Étude et traduction du Liber de Causis, Vrin, Paris,1990, p. 63 : « Tout être connaissant qui connaît sa propre essence, vers elle fait retour, d’un retour total ».

lxxiii V. Lossky, op. cit., p. 173. lxxiv Cf. A. de Libera, Eckhart, Suso, Tauler ou la divinisation de l’homme, Paris, 1996, pp. 100-109. Reiner Schürmann, dans son livre : Maître Eckhart et la joie errante, Paris, 1972, p. 329-367, fait une

comparaison entre la Gelassenheit de Martin Heidegger et l’Abgeshedenheit d’Eckhart. lxxv Maître Eckhart, Les Traités. Traduction et introduction de Jeanne Ancelet-Hustache, IV. Du détachement,

Paris, 1971, p. 160 : « Le pur détachement est au-dessus de toutes choses, car toutes les vertus ont quelque peu en vue la créature, alors que le détachement est affranchi de toutes les créatures. Voilà pourquoi Notre Seigneur dit à Marthe : Unum est necessarium (Lc 10,42), c’est-à-dire : Marthe, celui qui veut être en paix et pur doit posséder une chose : le détachement »

lxxvi Ibid., p. 167. lxxvii Ibid., p. 168-169. lxxviii Ibid., p. 169. lxxix V. Lossky, op. cit., p. 38. lxxx Cf. R. Otto, Westöstliche Mystik. VergleiCH und Untersheidung zur Wesesdeutung, Gotha, 1926, 3e éd.

Münich, 1971, et traduction française par J. Gouillard, Mystique d’Orient et mystique d’Occident, Paris, 1951. Dans l’Appendice au livre de É. Zum Brunn et A. de Libera, Maître Eckhart. Métaphysique du Verbe et théologie négative, Paris, 1984, sur « L’ontologie de Maître Eckhart et la philosophie comparée » (pp. 221-234), les auteurs montrent l’importance d’Eckhart pour la philosophie comparée et les religions, en particulier le bouddhisme (cf. D.T. Suzuki, Mysticism, Chrsitian and Buddhist, Londres, 1970) et l’hindouisme (cf. B. Barzel, Mystique de l’Ineffable dans l’Hindouisme et le Christianisme. Çankara et Eckhart, Paris, 1982).

Sur la mystique rhénane, voir : La mystique rhénane. Colloque de Strasbourg, 16-19 mai 1961, Paris, 1963 ; M.-A. Vannier (éd.), Les mystiques rhénans, numéro spécial de la Revue des Sciences religieuses, 70/1 (1996) ; A. de Libera, La mystique rhénane. D’Albert le Grand à Maître Eckhart, Paris, Seuil, Points Sagesses, 1994.

lxxxi Cf. M. Hulin, Shankara et la non-dualité, Paris, 2001. lxxxii Cf. Y. de Andia, « “Consurge ignote ad unitionem”. L’interprétation de Denys l’Aréopagite dans la

Théologie mystique d’Hugues de Balma et les “deux voies” », in : Denys l’Aréopagite. Tradition et métamorphoses, Paris, Vrin, 2006, p. 213-256.