Paroles - N°10

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P a r o l e ( s ) Découvrir, comprendre, raconter McDo, la fabrique à robots

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Dixième numéro du magazine Parole(s)

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P a r o l e ( s ) Découvrir, comprendre, raconter

McDo, la fabrique à robots

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Magazine Parole(s) - Numéro 10 - août 2013

Fondateur, directeur de la publication : Philippe Lesaffre Rédacteur en chef : William Buzy

Reporters : Floriane Salgues, Théophile Wateau, Baptiste Gapenne, Guillaume Aucupet, Frédéric Emmerich

Crédits photos : Ludo 29880, Emeric Tournaire, Gérard Stolk, Goletto,

Don Vip

Parole(s) est soutenu par la Coopérative d'Aide aux Jeunes Journalistes (CAJJ). CAJJ, association loi 1901, déclarée en sous-préfecture de

Langon le 26/06/2010 / Siège social : 508 Laville Ouest, 33500 Capian.

Pour contacter la rédaction : [email protected]

www.facebook.com/magazineparoles https://twitter.com/ParolesleMag

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C'est la lutte…

Par Philippe Lesaffre, co-fondateur de Parole(s)

Ce numéro sort au milieu des grandes vacances. La rédaction de ce magazine voulait parler voyage hors des frontières de la Gaule. Partir où ? A Berlin, par exemple. Que raconter ? Une balade en vélo au cœur de la capitale teutonne, un appareil photo accroché autour du cou, et

nous nous sommes décidés. A chaque coin de rue - ou presque -, un mémorial, une exposition en plein air ou un segment (réputé) du Mur, peint par un artiste contemporain… Pas besoin

d'historien pour se rendre compte que les Allemands ont « besoin » de "matière" pour se souvenir, afin de ne pas recommencer. Pas la peine de tout photographier, quelques clichés suffisent - vous le verrez dans notre reportage photo - pour comprendre que les Allemands

luttent contre l'oubli d'un passé révolu mais douloureux.

Pour ne pas oublier, également, le témoignage d'une Italienne et d'un Espagnol, présents lors de la "nuit d'horreur" à Gênes, en marge du G8 en 2001 (voir notre numéro précédent). Sans gêne, des policiers s'en sont violemment pris à des manifestants altermondialistes, regroupés

au sein d'une école, ce qu'ils racontent à visage découvert. *

PS : je termine par un petit mot sur Parol(e)s qui souffle en septembre sa première bougie. N'oublions pas (non plus) cette publication qui, depuis douze mois, tente de découvrir, de

comprendre et de raconter.

"Mon Dieu, aide-moi à

survivre à cet amour mortel"

* Le "Baiser fraternel"

(1990, restauré en 2009) de

Dmitri Vrubel sur la East Side Gallery, 1,3 km

de mur transformé en une fresque

géante

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Souvenirs d'une nuit d'été

Le 22 juillet 2001, à Gênes, la police italienne lance l'assaut sur l'école Diaz, qui abrite le siège du forum social, où sont hébergés plus de 300 manifestants altermondialistes et anti-G8 [lire notre numéro précédent]. Hommes, femmes, vieux, jeunes, manifestants et journalistes y sont passés à tabac. Nous avons rencontré Lucia et Sam, Italienne et Espagnol présents cette nuit-là.

Par Guillaume Aucupet Lucia a le visage fin mais les traits tirés. Quand elle me fait signe, devant le café où elle m'a donné rendez-vous, je perçois un sourire franc qui me rassure. Faut dire que j'appréhendais un peu de me retrouver face à cette jeune femme, sachant ce dont on allait parler. D'autant que je ne parle pas italien, autrement dit sa langue maternelle. Fort heureusement pour moi, après un « Ciao » obligatoire, c'est dans un français approximatif mais très compréhensible qu'elle entame la conversation. Alors qu'on échange les politesses d'usage, j'ai en tête tous les documents que j'avais vus, ou dont j'avais rêvé, en préparant cette rencontre. Les photos, les vidéos d'archives, le film de Daniele Vicari "Diaz, un crime d'Etat", les procès verbaux, les comptes-rendus d'audience au tribunal et les autres témoignages de victimes. En voyant Lucia dans sa robe bleue, les cheveux vaguement attachés au-dessus de sa nuque, j'avais du mal à l'imaginer au sol, le visage en sang, recroquevillée, sous les matraques de policiers hors de contrôle. C'est pourtant bien ce qu'elle a vécu douze ans plus tôt, dans une école de Gênes. Sam nous rejoint. Il a le visage creusé sous sa grosse barbe et des yeux noirs qui fuient les regards. Cet Espagnol d'une trentaine d'années ne parle pas français, mais comprend bien l'anglais. Les deux ne se connaissent pas. Ils ont pourtant manifesté dans les mêmes rangs, dormi sous le même toit, cédé sous les mêmes coups, en Italie, au début des années 2000.

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"No violence, no violence", l'appel inutile Je leur demande de partager leurs souvenirs de cette nuit du 22 juillet 2001. Assez machinalement - sans doute les a-t-elle déjà racontés des dizaines de fois - Lucia se lance dans son récit. « J'étais assise avec quelques amis, dans une petite salle. On faisait la liste des gens qui partaient avec nous le lendemain en se répartissant dans les voitures. On a entendu des bruits, puis des voix, de plus en plus fortes. On est sortis dans le couloir, et on a vu des gens courir un peu partout, certains criaient dans différentes langues, je ne me rappelle plus trop ce qu'ils disaient, mais on entendait distinctement le mot "police". Je me souviens que, sur le moment, je n'ai pas compris pourquoi tout le monde paniquait. Je me disais simplement que la police devait chercher quelque chose en particulier, et que nous n'avions rien à nous reprocher. Je suis descendue et j'ai vu une mare de policiers se précipiter sur les gens. Certains avaient les mains levées, d'autres disaient "no violence, no violence", mais ils ont vite compris que ça ne servait à rien. Pour ma part, j'avais une accréditation de presse, que j'ai sortie, mais, avant même de pouvoir la montrer, j'étais au sol.

« J'avais une accréditation de presse, que j'ai sortie,

mais, avant même de pouvoir la montrer, j'étais

au sol »

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J'étais en boule, et j'attendais que la vague passe. Je sens encore certains coups, notamment un coup de chaussure dans le ventre. Je ne sais pas pourquoi celui-là en particulier. Ensuite, il ne me reste qu'une image, celle de dizaines et de dizaines de chaussures qui passaient en courant dans

le couloir, dans tous les sens. Je n'ai aucun souvenir de cris, de pleurs, ou de bruits en général. Juste de ces chaussures. Puis le bâtiment a été évacué. J'ai su, plus tard, que les moins blessés avaient été arrêtés. Moi, on m'a mis dans une ambulance et on m'a soigné. J'avais des côtes fêlées, des fractures aux doigts et aux poignets, des contusions diverses. Je suis rentrée chez moi assez vite, deux jours plus tard. Je n'ai su que bien après ce qui s'était passé pour ceux qui avaient été arrêtés. Et je me suis dit que, finalement, quelques fractures, ce n'était pas si mal. » Sam l'a écoutée les yeux rivés sur son diabolo menthe. Avant même que je ne dise quoi que se soit, il se lance à son tour dans un monologue : « Moi j'étais près de l'entrée. Quand on a entendu que la police arrivait, on a tout de suite senti que ça allait mal se passer. Contrairement à Lucia, je n’étais pas serein. Je n'avais pourtant rien à me reprocher non plus, mais le climat qui régnait la journée dans les manifs m'avait impressionné - je n'avais même pas 20 ans - et, pour moi, le fait que des dizaines et des dizaines de policiers débarquent là où on dormait en pleine nuit ne pouvait pas être bon signe. Ils ne venaient pas pour nous apporter des couvertures...

Je me suis mis dans un coin, je n'ai pas du tout fais attention à ce que faisaient les autres. Quand j'ai vu les premiers policiers approcher, je me suis assis, pour essayer de montrer que je n'étais pas violent. Plusieurs policiers sont passés à côté de moi sans même me regarder.

Je n'ai pas vu arriver le premier coup. Derrière la tête. Si violent que mon visage est parti cogner le sol. Je sens encore la douleur au nez. Par la suite, je ne me rappelle que des sons. Des cris, des pleurs, un brouhaha multilingue, et des bruits que j'associe aux coups, sans vraiment savoir ce qu'ils étaient exactement. Je ne sentais rien nulle part, je ne pouvais pas bouger. Je ne sais plus si j'ai crié ou pleuré.

« Je n'ai pas vu arriver le premier coup. Derrière la

tête. Si violent que mon visage est parti cogner le sol. »

« Je n'étais pas serein… Les policiers ne sont pas venus

pour nous donner des couvertures »

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Démocratie abîmée Je ne sais plus comment, mais j'ai atterri dans une voiture. On était trois. Parmi les deux autres, l'un gémissait, et l'autre tremblait, beaucoup. Je ne sais pas quel souvenir ils gardent de moi, eux. J'ai fini dans un hôpital dans lequel on m'a soigné. Comme Lucia, j'avais plusieurs fractures, aux doigts, aux poignets, aux bras. Les aléas de la protection. Le nez, une arcade, une cheville, et des contusions un peu partout. J'y suis resté plusieurs jours, car je n'étais pas Italien et personne ne pouvait venir me chercher. J'ai surtout dormi. Je ne me souviens pas de grand-chose. »

Mes yeux se posent alternativement sur Lucia et sur Sam. Je les imagine, il y a quelques années, partir le poing levé vers Gênes, avec l'envie de dire aux huit grandes puissances de la planète qu'un autre monde est possible. Je les imagine, quelques jours plus tard, rentrer chez eux différents, changés. Ils racontent cet épisode avec une facilité qui me surprend. Sans doute, encore une fois, les ont-ils répétés en boucle depuis douze ans. Au fil des années, certains détails ont sans doute disparu, plus ou moins sciemment. Des bruits, des douleurs, des images. Reste l'essentiel. Le témoignage d'une brutalité gratuite, animale, hors de l'entendement commun. Une violence que les mots ne peuvent pas décrire. Mais les mots peuvent au moins maintenir ce souvenir en vie. Accomplir un devoir de mémoire, pour que la démocratie n'oublie pas qu'au XXIe siècle encore, un soir de juillet, elle a abîmé ses enfants.

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"I'm lovin' it !"

40 000 restaurants dans 116 pays, 64 millions de clients quotidiens, 75 hamburgers vendus chaque seconde, 28 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel. McDonald's, c'est aussi 2,5 millions d'employés, dont les " équipiers", ceux que vous croisez aux comptoirs.

Nombreux sont leurs témoignages sur les conditions de travail, l'hygiène, ou le gaspillage. Plus rare sont ceux sur leur formation. Comment le géant de la restauration rapide accueille-t-il ses nouveaux éléments ? Comment entrer dans le moule d'une mécanique bien huilée ? Éléments de réponse avec Florine, 23 ans, fraîchement débarquée chez "big M".

Propos recueillis et mis en forme par Frédéric Emmerich

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Passer au drive ne nous prendra que quelques minutes. Le temps de commander, de payer et enfin de récupérer son précieux sac d'où s’émane une si alléchante odeur. Mais derrière ce court laps de temps se cache une

redoutable minuterie où chaque geste compte.

Comment sont formés ces travailleurs qui nous donnent un repas en moins de quelques minutes ? Tout commence avec un dessin animé, destiné à vous expliquer les règles élémentaires de sécurité. Puis vient le brief rapide sur la tenue vestimentaire (uniforme complet, avec un polo bleu pour les équipiers en formation, noir pour les équipiers, et une chemise pour les managers) et sur la présentation (cheveux courts ou attachés, pas de barbe...). Très vite, vous voilà dans la fosse aux lions.

La première semaine, vous aurez avec vous un équipier-formateur. Vous commencez en principe à travailler pendant le "rush", c'est-à-dire la période de pleine affluence. Le formateur vous montre brièvement comment faire un big-mac - 836 calories, le produit phare de McDo - tout en vous expliquant le principe des dates limites de consommation des produits préparés.

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En gros, c'est votre premier jour, une demi-douzaine d'équipiers s'agitent autour de vous en cuisine ; côté caisse, vos collègues font face aux

fauves (autrement appelés "clients") et votre formation débute comme ceci :

« La cuisine est divisée en deux parties : côté grillé et côté frit. Il y a un responsable de chaque côté et c'est lui que tu dois avertir quand tu n'as plus de sauce. Tu prends un plateau, tu mets un set à plateau, tu places tes quatre mac comme ça, et toujours comme ça.

Ensuite il y a celui qui est à la prod', il te donne une cadence, par exemple : deux fois quatre, une fois huit. Quand le toaster sonne, tu sors tes pains et tu mets tes viandes. Tu mets bien les viandes au milieu sinon les clients gueulent et on jette tout. Tu dois suivre sa cadence qu'il la change ou pas. Il peut te demander de lancer un plateau en plus à côté de celui que tu es en train de faire.

Ensuite, tu fais la garniture : un jet de sauce, des oignons, 28 grammes de salade, deux cornichons sur quatre pains, une tranche de fromage sur les quatre autres en moins de 40 secondes que dure la cuisson des viandes. Tu poses ton plateau et tu sales bien tes viandes avant de les ramasser. Ensuite, tu as les viandes reg dans le réfrigérateur. Tu mets le gants pour les prendre et les poser dans cet ordre. Tu as un plan au cas où tu oublies. Tu vas chercher tes couronnes et tu donnes tes mac à la prod' en disant « Mac à l'emball', s'il te plaît. » A toi maintenant !

Fin de la formation.

« Tu places tes quatre mac comme ça, et toujours comme ça »

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Le tout, au milieu des bruits, des sonneries en tout genre, des grills et autres toasters qui bipent toutes les 45 secondes, des équipières qui s'apostrophent d'un bout à l'autre de la cuisine : «Y'a plus de sauce CBO s'il te plaît !» « Viandes à l'emball' s'il te plait ! » Oui, parce que le « s'il te plaît » est obligatoire. Non pas par politesse ou par respect entre collègue. Simplement pour l'image vis-à-vis des clients.

Une passage à l'état de machine

On pourrait croire que c'est impossible, mais en fait, après quelques rushs, tout rentre. On finit par retenir la composition des différents sandwiches. On n'oublie pratiquement plus de poser ses viandes avant de commencer la garniture. On s'habitue au bruit, à la précipitation, au rendement.

Tout devient vite machinal. Et pour cause : passer des heures à faire exactement les mêmes gestes, ça robotise. Si on vous changeait de place les différents bacs de salade, de fromage ou d'oignons, sûr que vous vous tromperiez. Mais si rien ne bouge, vous y arriveriez les yeux fermés sans souci. La formation au Mcdo, c'est le contraire de l'épanouissement intellectuel, c'est le passage à l'état de machine.

Pour les plus résistants, il y a des panneaux partout. Pour vous rappeler la composition des sandwiches, le temps de conservation des différents produits, comment saler et relever les viandes, quelle sauce utiliser. « Adopter le bon pistolet pour un meilleur rendement ! » Bref, chaque geste est codifié et ne peut pas être accompli d'une autre façon. Pas de place pour l'improvisation.

Et quand vous vous sentez enfin à l'aise, la sentence tombe : « Tu fais bien tes mac, maintenant va plus vite ».

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Des sacrifices

Plus vite, toujours plus vite. La règle d'or du restaurant, c'est la garantie du service en moins de trois minutes. Alors forcément, il faut suivre en cuisine. Quatre niveaux de cadence existent, et on passe de l'un à l'autre au gré du flux de clients. Le rendement est tellement important qu'il existe une planification spéciale pour augmenter la production. En cas de coup dur, chacun est cantonné à une action précise : pain, garniture ou viande. Le but ? Accroître le Saint rendement en limitant les changements d'outils. Faire correctement c'est bien, faire vite c'est mieux.

Si vous n'avez pas de chance, vous pourrez vous retrouver seul en cuisine, un soir, peu avant la fermeture. Il vous faudra alors avoir le même rendement que si tous les coéquipiers étaient là, et, bien sûr, servir avec le sourire. Car même si vous êtes complètement noyés, le sourire est obligatoire, pour vos collègues autant que pour les clients, pour l'ambiance, quoi !

Enfin, au cours de votre formation, il n'est pas rare qu'un manager, dans un moment d'ennui, vienne vous observer, vous et rien que vous, pendant un rush complet. C'est normal, il teste votre self-control, votre nervosité, et vérifie que vous avez bien intégré les règles de sécurité́ et d'hygiène, en cas de contrôle.

En revanche, les règles horaires, elles, ne sont pas toujours respectées. Le manager vous demandera parfois de pointer plus tard, ou plus tôt, suivant l'affluence. Oh, bien sûr, légalement, vous êtes en droit de refuser. Mais n'oubliez pas que vous êtes en formation - donc en période d'essai - et que la hiérarchie aime la main d'œuvre malléable, et de préférence docile.

Du coup, le rythme imposé par ces horaires entrecoupés vous empêchera d'avoir une vie « à coté », d'autant que même quand vous ne travaillerez pas, vous apprendrez à être disponible, juste au cas où... Bien sûr, en tant que nouveau, vous serez forcément sur le planning les week-end et les jours fériés, car ils sont payés comme des jours normaux quand on a moins d'un an d'ancienneté, et vous aurez donc la préférence des managers sur ce coup-là.

Mais grâce à tous ces sacrifices, au bout de deux mois, c'est promis, vous l'aurez, votre tee-shirt noir.

« La hiérarchie aime la main d'œuvre malléable, et de préférence docile. »

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A Berlin, la guerre contre l'oubli

Deux reporters de Parole(s) se sont rendus à Berlin il y a peu. Premier constat : l'histoire allemande y est contée à chaque coin de rue. Prière de garder en mémoire les événements qui ont marqué cette ville d'outre-Rhin. Deuxième constat : notre photographe est rentrée les poches pleines de photos.

Texte de Philippe Lesaffre Photos de Floriane Salgues

Personne ne peut y échapper. Grâce aux innombrables lieux de mémoire, aux multiples expositions souvent gratuites, aux nombreux musées et panneaux d'information, quiconque se balade dans les rues de Berlin trouve trace de son passé. Et, en particulier, de l'histoire de ce mur mondialement connu et du nazisme, qui imprègnent l'espace et l'architecture. « Les Allemands ont besoin de tout lâcher », remarque un touriste français, qui a « visité cette ville en 1965 et en 1989 », avant la chute du Mur, survenue il y a 24 ans. « Ils font une analyse permanente, contrairement aux Français, qui restent silencieux. Je note de nombreux tabous chez nous : mon père

était militaire de carrière et il faisait des choses qu'il ne faut pas encore dire », confie ce quinquagénaire, rencontré non loin du Mémorial de l'holocauste, lieu de mémoire dédié aux victimes homosexuelles des nazis. Un autre touriste, parisien, la vingtaine et une grand-mère originaire d'outre-Rhin, trouve logique de tout raconter, pour ne pas oublier : « Mieux vaut assumer son histoire plutôt que de la rejeter », explique Mickaël, qui vient de se balader du côté du Checkpoint Charlie, l'un des plus célèbres points de passage entre l'Est et l'Ouest. Bémol : « Cela me choque un peu qu'on vende des trucs copiant les objets d'époque, comme les chapeaux de soldats russes. » Le commerce contre l'oubli ?

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Se souvenir est un jeu…

La New-Yorkaise Lisa Grubb, connu pour ses œuvres colorées, a été invitée, en 2011, à peindre des morceaux du Mur de Berlin, cinquante ans après sa construction, dans le cadre du "Freedom park" (parc de la liberté). Cette exposition réunit différents artistes de pop art jusqu'en 2014, date du vingt-cinquième anniversaire de la chute du Mur. Ci-dessous, près du Checkpoint Charlie, une vache, « symbole de la réunification de l'Est et de l'Ouest »,

selon les mots de l'artiste.

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Thierry Noir, Lyonnais de naissance, s'est installé à Berlin en 1982. C'est le premier Français à avoir

peint le Mur, avant même sa chute. L'une de ses

nombreuses "œuvres" est exposée depuis 2006 à l'intérieur des Galeries Lafayette à l'angle de la

Französische Strasse (rue française), inaugurées en

1996. « Il est important que les

jeunes générations se rendent compte que ce n'était pas seulement quelques morceaux éparpillés mais des

kilomètres à travers la ville », avait confié l'artiste en 2009.

Tim Davies, originaire du Pays de Galles, qui vit en

Allemagne depuis longtemps, s'est également illustré pour le "Freedom

park", en 2012. Son "robot", qui représente « l'humain moderne », se trouve au

même endroit que la vache "joyeuse" de Lisa Grubb.

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Réviser ses

cours

Les panneaux d'information installés, en plein air, devant des

restes du Mur, au niveau de la

Zimmerstrasse à quelques pas du

Checkpoint Charlie, en face de l'ancien centre de la police secrète des

nazis entre 1933 et 1945, permettent aux touristes de réviser la montée en puissance

du nazisme et sa politique de persécution.

Devant le Lustgarten, le jardin du plaisir ou de l'envie, sur l'île aux

Musées, une exposition en plein air a été installée, début

2013, pour marquer les 80 ans de la prise de

pouvoir d'Adolf Hitler: le portrait d'hommes et de femmes, issus de la

société civile et victimes du national-socialisme dans les

années 30.

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Du théâtre de rue…

Les touristes et autres badauds s'arrêtent, la plupart du temps, devant de faux soldats. Ces "comédiens" accueillent, enseignent, sourient à longueur de journée. En tenue militaire

sous la pluie, ou sous un soleil torride. Au Checkpoint Charlie (voir ci-dessous), ou sur la Potsdamer Platz, devenue, après la guerre, la connexion entre les secteurs britannique,

américain et soviétique (voir page précédente), ils proposent des faux passeports. Et de se faire photographier.

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Les segments du Mur font recette. Outre les sites Web qui permettent la vente de petits morceaux soi-disant authentiques pour quatre

euros, les stands de "souvenirs" de Berlin, qui

animent les passages "obligés" des touristes, offrent des milliers de restes pour

quelques euros. Depuis 1990, ce commerce, initié par le

gouvernement est-allemand, fleurit. A disposition, aussi, des

drapeaux, forcément, mais aussi des vestes militaires, des bonnets de fourrure ainsi que des casquettes soviétiques.

… et du commerce !

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En route ! A une minute du Checkpoint Charlie, un musée propose aux curieux un petit tour en Trabant,

la célèbre voiture de la DDR que le monde entier a découvert à la chute du Mur quand les habitants de l'Est ont débarqué "de l'autre côté". C'est que la "Trabi", depuis, est devenue culte

à Berlin. Il lui fallait bien un espace dédié dans lequel chacun peut acheter des voitures en miniature, et, forcément, les "goodies" obligatoires - la Trabi en gomme, par exemple.

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Les maux du quotidien

Episode 8 : au secours, le prix du billet s'envole

Après une année riche en rebondissements, Notre Héros a besoin de changer d'air. De partir. Tant mieux, l'heure des vacances a sonné et les pubs des compagnies aériennes pullulent sur ses sites Web préférés, ce qui lui donne moult idées de destinations. Il se dit : « Tiens, pourquoi je ne partirais pas en Italie ? » Rome et son Colisée l'attirent. Destination : page

Web d'Air France. Il lance une recherche pour un décollage d'ici un mois et demi pour éviter la cohue des touristes estivaux. Il trouve un billet à 69, 95 euros, un tarif plutôt correct, selon lui. Nouvelle recherche pour un départ une semaine plus tard. Le prix est légèrement plus élevé. Au bout de cinq minutes, il retourne sur la page précédente, car l'horaire et le prix lui convenaient bien.

Pour les vacances, les Français utilisent en masse Internet pour se payer un beau voyage. Notre Héros n'échappe pas à cette mode. Il en a profité pour étudier certaines techniques de vente des compagnies aériennes visant à… tromper le bon consommateur.

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Oups : le billet coûte désormais 80 euros. Il se dit d'abord que tout est logique : plus le train ou l'avion se remplit, plus la place assise devient chère. Une pratique commerciale, liée à la fameuse loi de l'offre et de la demande, que toutes les compagnies - ferroviaires et aériennes - utilisent en effet sans se cacher. Notre Héros réfléchit une dernière fois, puis s'apprête à cliquer pour payer le "prix fort" lorsque le téléphone, sonnant, l'en dissuade. Son ami le conseille, pendant la conversation, de changer d'ordinateur : « Tu ne dois jamais payer sur le PC que tu as utilisé pour tes recherches. » Il s'exécute. Chope l'ordinateur de sa compagne. Refais la recherche. Bingo. Il retrouve le prix initial. Puis se dépêche de chercher sa carte bleue. IP Tracking Un peu plus tard, il en parle à une autre connaissance à qui la même anecdote est arrivée. Celle-ci, qui n'a qu'un PC à disposition, a payé au "prix modifié" son billet pour la Croatie. Pourtant au courant de certaines pratiques un brin déloyales des compagnies aériennes, elle tente de se justifier. « Les prix n'augmentent pas toujours de manière quasi-instantanée, cette hausse n'est pas systématique », a remarqué ce voyageur régulier. Cette affirmation est juste, Notre Héros s'en est aperçu. Mais, une chose est sûre, cette technique de vente fonctionne, nombreux sont ceux qui tombent dans le panneau. Elle a un nom barbare… l'IP Tracking. Elle consiste à récupérer l'IP de votre appareil, que ce soit une tablette ou un PC, puis à enregistrer la recherche effectuée afin que, si la transaction n'a pas eu lieu, le tarif ait été revu à la hausse de quelques euros. « Les gens pensent que les tarifs augmentent en direct, que le nombre de places diminue et qu'il faut vite dépenser son argent », assure un spécialiste à Notre Héros. Qui a failli se faire avoir. Mais il pourra, au final, profiter de son séjour en Italie, l'esprit tranquille.

« Les gens pensent que les tarifs augmentent en direct,

que le nombre de place diminue et qu'il faut vite dépenser son argent »