APHM - mission cholera Haiti - rapport avril...
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Persistance du choléra en saison sèche en Haïti :
Épidémiologie – État de la lutte – Recommandations pour une élimination rapide
Étude sollicitée par :
Ministère haïtien de la Santé Publique et de la Population (MSPP)
Étude financée par :
Ministère français des Affaires Étrangères Via l’Ambassade de France en Haïti
Étude réalisée par :
Stanislas REBAUDET & Renaud PIARROUX Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (APHM)
Université Aix-‐Marseille
Du 18 février au 29 mars 2013
APHM. Persistance du choléra en saison sèche en Haïti. Rapport final – avril 2013
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Remerciements A toutes les personnes, haïtiennes ou non, rencontrées pendant la mission et qui ont nourri ce travail. En particulier :
• Au MSPP : Dr Forence D. GUILLAUME (Ministre), Dr Marie Guirlaine RAYOND (Directrice Générale)
• À la DELR : Dr Roc MAGLOIRE (Directeur), Dr Robert BARRAIS (Directeur de la Surveillance, qui a activement participé à la majorité des investigations réalisées), Dr Mentor Ali Ber LUCIEN, Dr Fred-‐Shero CENADIN, Nickolson BARTHELEMY, Dr Sénou AMOUZOU, Dr CORVIL, Dr Patrick DELY…
• Au LNSP : Dr Jacques BONCY (Directeur), Dr Emmanuel ROSSIGNOL (chef du laboratoire de bactériologie), les chauffeurs Dubois, Michel et Honnel
• À l’UADS : Dr Joseph Ronald FRANÇOIS (Directeur), Dr Elie P. CELESTIN, Dr Pierre-‐André Jacques JOSEPH
• À la DPSPE : Dr Joselyne PIERRE-‐LOUIS (Directrice), Flaurine Jean-‐Jeune JOSEPH • À la DINEPA : Ingénieur Raoul TOUSSAINT (Directeur de la réponse aux
urgences), Lesly DUMONT… • Dans le DSN : Dr JASMIN (Directeur Départemental de la Santé), Dr Carol
ANTOINE (épidémiologiste départemental), ingénieur David HASHKAR (technicien URD-‐DINEPA), M. TERMIDOR (administrateur URD), Emmanuel NOËL (responsable CTE du Cap, DINEPA), M. PIRAM (hôpital de Borgne)…
• Dans le DSC : Dr Jean-‐Renold REJOUIT (Directeur Départemental de la Santé), Dr Paul Ménahel JASMIN (coordinateur choléra), Nadège JACQUES (épidémiologiste départementale), agronome MARSEILLE (technicien URD)…
• Dans le DSA : Dr Serge VERTILUS (Directeur Départemental de la Santé), ingénieur Clervil HENRISSAINT (URD), Frantz (TEPAC à Gonaïves)…
• À L’Ambassade de France en Haïti : Dominique DELPUECH (Chargé d’Affaires a.i.), Dr Jean-‐François SCHEMANN (conseiller technique, qui a soutenu et enrichi cette mission)…
• À l’Unicef : Edouard BEIGBEDER (Représentant), Olivier THONET (qui a participé à certaines visites de terrain et largement nourri notre réflexion)
• À ECHO : Nicolas LOUIS • Au CHU de Marseille : Dr Pierre GAZIN (pour son aide dans la rédaction du
rapport) Et à tous les autres non cités ci-‐dessus. Cette étude a été financée par le Ministère Français des Affaires Étrangères.
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Sommaire Remerciements ................................................................................................................................ 2 Sommaire ........................................................................................................................................... 3 Table des figures et des tableaux ............................................................................................... 4 Abréviations ...................................................................................................................................... 5 1. Introduction .............................................................................................................................. 6 2. Méthodologie employée ........................................................................................................ 9 3. Épidémiologie du choléra en Haïti pendant la saison sèche 2012-‐2013 ........... 11 4. Identification et investigation des principaux foyers de saison sèche ............... 14 4.1 Département Sanitaire du Nord (DSN) ................................................................................. 14 4.2 Plateau Central (DSC) ................................................................................................................. 15 4.3 Département de l’Artibonite (DSA) ........................................................................................ 15 4.4 Métropole de Port-‐au-‐Prince (DSO) ....................................................................................... 17 4.5 Synthèse .......................................................................................................................................... 17
5. État de la lutte communautaire pendant la saison sèche 2012-‐2013 ................. 18 6. Obstacles à la lutte communautaire pendant la saison sèche 2012-‐2013 ......... 20 7. Conclusion ............................................................................................................................... 22 8. Recommandations ................................................................................................................ 23
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Table des figures et des tableaux Figure 1 – Choléra en Haïti depuis 2010. Cas suspects notifiés quotidiens et
pluviométrie. ............................................................................................................................................... 6 Figure 2 – Choléra en Haïti et dans le reste du monde depuis 2009. ........................................... 7 Tableau 1 – Liste des personnes ayant participé aux investigations des foyers actifs de
choléra en saison sèche .......................................................................................................................... 9 Figure 3 – Méthodologie employée pour l’identification des foyers résiduels de saison
sèche, leur investigation, et les interventions ciblées ............................................................ 10 Figure 4 – Incidence mensuelle des cas suspects de choléra sur chaque commune au
cours de la saison sèche 2012-‐2013. ............................................................................................. 11 Figure 5 – Décès par choléra au cours de la saison sèche 2012-‐2013. ..................................... 13 Figure 6 – Répartition des cas de choléra dans l’Artibonite sur les 11 premières
semaines de 2013 (9 semaines pour Saint-‐Marc). ................................................................... 16 Figure 7 – État de la lutte communautaire dans les foyers résiduels de saison sèche
identifiés dans les communes visitées des Départements Sanitaires du Nord, du Centre et de l’Artibonite ...................................................................................................................... 18
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Abréviations APHM Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille CRL Chlore résiduel libre CTC Centre de traitement du choléra CV Couverture vaccinale DELR Direction d’Épidémiologie de Laboratoire et de Recherche DINEPA Direction Nationale de l’Eau Potable et de l’Assainissement DRU Département de Réponse aux Urgences DSA Département Sanitaire de l’Artibonite DSC Département Sanitaire du Centre DSN Département Sanitaire du Nord MSPP Ministère de la Santé Publique et de la Population OREPA Offices Régionaux de l’Eau Potable et de l’Assainissement TEPAC Technicien en Eau Potable et Assainissement Communal UCS Unités Communales de Santé (effectives uniquement dans le DSA) URD Unité Rurale Départementale de la DINEPA UTC Unité de traitement du choléra
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1. Introduction En octobre 2010 débutait en Haïti une épidémie de choléra dont la brutalité et l’ampleur restent sans précédent depuis le début de la 7e Pandémie en 1961 1. Malgré une intervention rapide du MSPP massivement appuyée par les ONG et la coopération internationale, l’épidémie persiste toujours dans ce pays de 27 750 km2 et 10 millions d’habitants. Près de deux ans et demi plus tard, environ 650 000 cas suspects et plus de 8 000 morts ont été recensés par le Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) (Figure 1). Figure 1 – Choléra en Haïti depuis 2010. Cas suspects notifiés quotidiens et pluviométrie. Données choléra au 18 mars 2013, fournies par le MSPP. Pluviométrie mesurée par radar satellitaire. Disponible sur : http://disc2.nascom.nasa.gov/Giovanni/tovas/realtime.3B42RT_daily.2.shtml. Pluviométrie moyennée sur la zone 18.25N-19.75N / 74.25W-71.75W.
L’incidence a largement diminué depuis fin 2011. Pendant la saison sèche 2011-‐2012 la transmission s’est réduite à quelques dizaines de communes, d’où l’épidémie semble être repartie avec le retour des pluies. Pour l’année 2012, Haïti n’en a ainsi pas moins notifié plus de cas suspects que l’ensemble du continent africain. Environ 900 décès ont été déplorés (Figure 2). Après un sursaut épidémique en partie attribuable à l’ouragan Sandy du mois de novembre 2012, l’incidence du choléra en ce début 2013 est retombée à un niveau proche de ce qu’elle était il y a un an.
1 World Health Organization, « Cholera [every year since 1968] », Weekly Epidemiological Record (s. d.), http://www.who.int/cholera/statistics/en/index.html.
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Précipitations quotidiennes lissées sur 5 jours (mm)
Nb de cas vus par jour
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Figure 2 – Choléra en Haïti et dans le reste du monde depuis 2009. Haïti ; Afrique Sub-saharienne ; Reste du monde Données de population tirées de la Banque Mondiale 2. Données choléra Haïti fournies par le MSPP. Données choléra 2009-2011 issues du rapport annuel OMS 3. Données choléra 2012 pour l’Afrique publiées par l’OMS-AFRO 4. * Données non encore publiées par l’OMS.
Cette situation n’est pas une fatalité. Hispaniola jouit d’une situation insulaire qui l’avait maintenu à l’écart des épidémies de choléra depuis un siècle au moins. La vulnérabilité d’Haïti aux maladies diarrhéiques est certes très élevée ; elle est cependant du même ordre que celle de nombreux pays africains. Ces derniers, bien que touchés assez souvent par le choléra, n'ont jamais connu d'épidémie de cette ampleur5.
2 World Bank, « World Databank. World Development Indicators(WDI) & Global Development Finance(GDF) », consulté le 26 mars 2012, http://databank.worldbank.org/ddp/home.do. 3 World Health Organization, « Cholera [every year since 1968] ». 4 WHO Regional Office for Africa, Disease Prevention and Control Cluster, et Epidemic and Pandemic Alert and Response Programme, « Overview of reported outbreaks in the WHO African Region -‐ Cholera », Outbreak Bulletin 2, no 10 (7 février 2013): 2. 5 World Bank, « World Databank. World Development Indicators(WDI) & Global Development Finance(GDF) ».
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Nb de décès par choléra noAfiés
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Enfin, il n’existe jusqu’à preuve du contraire aucun réservoir environnemental de Vibrio cholerae toxinogène en Haïti. En effet, une étude environnementale effectuée en juillet 2012 grâce à un financement de l'ambassade de France a montré que sur plus de 400 souches retrouvées dans les eaux d'Haïti, une seule, au maximum, était de type O1 et donc en lien possible avec l'épidémie en cours 6. Les autres étaient des souches autochtones, incapables de provoquer une épidémie de choléra. Cela montre que, soumises à une rude pression de la part des Vibrio cholerae non-‐O1 autochtones, les souches apportées par l’épidémie peinent à se maintenir dans l’environnement. Comme au Mexique en 1998 ou à Madagascar en 2001-‐2002 7, la guérison du dernier malade en Haïti et en République Dominicaine signera la fin de l’épidémie sur l’île d’Hispaniola. La persistance du choléra en Haïti n’est liée qu’à la circulation du choléra dans la population, elle-‐même probablement liée à une lutte insuffisante ou inadaptée. En conséquence, nous posons l'hypothèse que la lutte contre le choléra en Haïti ne met pas à profit la diminution saisonnière de la transmission épidémique en saison sèche, phénomène qui représente pourtant une opportunité à saisir pour limiter l’ampleur des flambées de saison des pluies. Nous pensons même qu’une lutte encore plus efficace en saison sèche pourrait permettre d’éliminer rapidement le choléra du pays. C’est afin de vérifier cette double hypothèse que le MSPP a officiellement demandé à l’Ambassade de France en Haïti d’organiser et de financer une étude épidémiologique menée par l’équipe du Pr Renaud PIARROUX, du centre hospitalo-‐universitaire de Marseille. Celle-‐ci comportera deux missions : l’une en saison sèche, l’autre en saison des pluies. Conduite du 19 février au 29 mars 2013 par le Pr Renaud PIARROUX et le Dr Stanislas REBAUDET, l’objectif de la première mission présentée dans le présent rapport était de réaliser un double état des lieux épidémiologique – le choléra en saison sèche est-‐il effectivement rétracté dans quelques foyers ? – et opérationnel – la lutte contre le choléra profite-‐t-‐elle vraiment de cette période de vulnérabilité ? La seconde mission sera réalisée entre fin mai et début juillet 2013. Elle aura pour objectif d’effectuer un nouvel état des lieux en saison des pluies afin d’étudier le lien épidémiologique entre les foyers de rétractation de saison sèche et les flambées de saison des pluies. Elle aura aussi pour objectif d'évaluer les évolutions apportées à la lutte suite aux recommandations de la première mission.
6 Sandrine Baron et Jean Lesne, Prévalence en Haïti de Vibrio cholerae dans les eaux de surface en saison chaude hors flambée épidémique. Rapport final de la mission de coopération franco-‐haïtienne, 1 juillet 2012. 7 World Health Organization, « Cholera [every year since 1968] ».
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2. Méthodologie employée La méthodologie employée comportait trois points (Figure 3) : 1. Identification des foyers de choléra en saison sèche :
1.1. par l’analyse de la base choléra nationale, afin de repérer les départements et les communes notifiant le plus de cas depuis début décembre 2012
1.2. par l’analyse des registres au sein des institutions de ces communes, afin d’identifier les sections communales et les localités les plus touchées. Une semaine a été consacrée à chacun des trois département les plus touchés, à savoir le Département Sanitaire du Nord (DSN) (4-‐8 mars) le Département Sanitaire du Centre (DSC) (11-‐15 mars), et le Département Sanitaire de l’Artibonite (DSA) (18-‐23 mars). Ces trois départements représentaient la grande majorité des cas enregistrés lors de la période étudiée.
2. Investigations conjointe des foyers identifiés, avec des représentants du MSPP et de la DINEPA des niveaux central, départemental et local (Tableau 1), sur le double plan : • épidémiologique : s’agit-‐il de choléra ? quels sont les facteurs de transmission
dans ce foyer ? • et opérationnel : quelles ont été les actions de lutte depuis le début de la saison
sèche en décembre ? Les communautés considérées ont-‐elles reçu des messages de sensibilisation et des intrants (savons, produits de chloration domiciliaire…) ?
3. Intervention ciblée au niveau des foyers identifiés avec séance de sensibilisation et distribution de pastilles de chlore (Aquatabs®).
Une évaluation plus globale de la réponse opérationnelle a par ailleurs été effectuée au travers de nombreux entretiens.
Tableau 1 – Liste des personnes ayant participé aux investigations des foyers actifs de choléra en saison sèche
Niveau MSPP DINEPA Central Épidémiologiste de la DELR +/-‐ Directeur du DRU Départemental +/-‐ Épidémiologiste
départemental +/-‐ coordonnateur choléra
Point focal du DRU (souvent technicien de l’URD)
Local/Communal +/-‐ brigadiers (DSC) TEPACs MSPP, Ministère de la Santé Publique et de la Population DINEPA, Direction Nationale de l’Eau Potable et de l’Assainissement DELR, Direction Nationale d’Épidémiologie, de Laboratoire et de Recherche DRU, Département de Réponse aux Urgences de la DINEPA URD, Unités Rurales Départementales de la DINEPA DSC, Département Sanitaire du Centre TEPAC, Technicien en Eau Potable et Assainissement Communal
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Figure 3 – Méthodologie employée pour l’identification des foyers résiduels de saison sèche, leur investigation, et les interventions ciblées
① Identification
des foyers de choléra sur la base nationale à communes sur les registres à sections et
localités
② Investigation de
terrain conjointe
MSPP / DINEPA
③ Intervention ciblée
Sensibilisation Distribution de produits de
chloration
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3. Épidémiologie du choléra en Haïti pendant la saison sèche 2012-‐2013
Du 1er décembre 2012 au 18 mars 2013, 24192 cas suspects de choléra et 205 décès associés ont été recensés par le système de surveillance. Cependant, ce nombre global de cas suspect, encore élevé, cache une tendance marquée à la décroissance et une hétérogénéité spatiale mises en évidence par la Figure 4. Figure 4 – Incidence mensuelle des cas suspects de choléra sur chaque commune au cours de la saison sèche 2012-2013. (Données de la DELR au 18 mars 2013)
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En décembre 2012, une grande partie du pays était affectée, avec des incidences mensuelles ≥ 5 cas /10000 habitants dans de nombreuses communes. Peu à peu, le choléra s’est rétracté ne persistant que dans les 3 départements du Nord (DSN), du Centre (DSC) et de l’Artibonite (DSA), épargnant la quasi-‐totalité de la partie sud du pays. Finalement, en février et mars, une vingtaine de communes, seulement, ont été affectées de manière significative (incidence mensuelle ≥ 5 cas /10000 hab.). Dans les autres communes, il est peu probable qu’il y ait eu des cas de choléra (les cas sporadiques notifiés dans ces communes étant probablement des diarrhées non-‐cholériques). L’évolution de la mortalité par choléra sur cette période (Figure 5) indique également un important recul. Sous réserve de données incomplètes, seuls 18 décès par choléra ont été recensés en février et mars 2013 par le système de surveillance (données au 18 mars). Sachant qu'en queue d'épidémie, le nombre de cas est volontiers surestimé (car les diarrhées non cholériques deviennent largement majoritaires), cette chute extrêmement marquée de la mortalité traduit un arrêt de l'épidémie sur presque tout le territoire haïtien.
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Figure 5 – Décès par choléra au cours de la saison sèche 2012-2013. (Données de la DELR au 18 mars 2013)
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4. Identification et investigation des principaux foyers de saison sèche
Les registres des principaux centres et unités de traitement du choléra (CTC/UTC) confirment ce délitement progressif de l’épidémie de choléra à l’échelle des sections communales et des localités depuis décembre 2012. Les investigations menées dans les 12 communes visitées dans les Départements Sanitaires du Nord (Cap-‐Haïtien, Quartier-‐Morin, Port-‐Margot, Borgne), du Centre (Hinche, Mirebalais, Cerca-‐la-‐Source) et de l’Artibonite (Saint-‐Marc, Gonaïves, Saint-‐Michel de l’Attalaye, Ennery, Gros-‐Morne) ont ainsi permis d’identifier 47 localités et quartiers ayant notifié des cas suspects en 2013. A eux seuls, ces micro-‐foyers représentent plus du tiers des cas suspects de choléra pris en charge dans ces CTC/UTC en 2013 et probablement la grande majorité des cas réels de choléra. En effet, il est très probable que la quasi-‐totalité des cas sporadiques notifiés ailleurs dans le pays correspondent à des diarrhées aiguës banales.
4.1 Département Sanitaire du Nord (DSN)
Dans le DSN, le principal foyer est situé sur la commune urbaine du Cap-‐Haïtien. Notons que la circulation du choléra dans ce foyer est avérée, car confirmée par des prélèvements positifs chez certains malades. La commune voisine de Quartier-‐Morin, qui rapporte pourtant de nombreux cas, s’avère en réalité largement épargnée, puisque seuls 5% des 610 malades hospitalisés dans son CTC entre début décembre et fin février habitaient effectivement cette commune. En fait, 64% des malades provenaient des quartiers tout proches de Cap-‐Haïtien, et le reste, des communes environnantes. Cette situation avait déjà été mise en évidence dès 2011 par l’épidémiologiste départemental (Dr Carol ANTOINE). C’est pour cette raison qu’en février 2013, le choix initial de vacciner contre le choléra dans la commune de Quartier-‐Morin a été reporté sur une partie du quartier de Petite Anse, dans la commune de Cap-‐Haïtien. Entre début janvier et fin février 2013, les cas recensés par le CTC de Quartier-‐Morin et celui de Cap-‐Haïtien se répartissaient de manière équivalente entre les 3 sections communales de Cap-‐Haïtien (Bande du Nord, Haut du Cap et Petite Anse). La distribution des cas par quartiers s’avère en revanche beaucoup plus hétérogène. Les cas se concentrent cependant dans certaines zones parmi les plus pauvres et souffrant d’un très mauvais accès à une eau traitée. Dans la majeure partie de la ville du Cap-‐Haïtien, le réseau d’adduction d’eau de la DINEPA n’est plus fonctionnel depuis 25 ans. Là où il est présent, le nombre d’abonnés peut être très faible (deux abonnés seulement dans le quartier Petite Anse où l’on envisage de faire des vaccinations!). D’autres quartiers comme Sainte Philomène disposent de petits réseaux gravitaires à la gestion autonome, et souvent non protégés et en très mauvais état. La population recourt donc largement à l’achat d’eau souvent non chlorée (traitée par osmose inverse, efficace mais sans effet rémanent), notamment au niveau de kiosques dont certains seulement sont gérés par la DINEPA. De nombreux forages avec pompes à bras, utilisés pour l’eau de boisson, échappent à tout contrôle. Dans l’arrière cour des maisons, de très nombreux puits artisanaux peu profonds avoisinent des latrines non surélevées et non étanches ; leur contamination fécale serait généralisée d’après la DINEPA. Enfin, l’absence de latrine dans certains quartiers
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favoriserait le recours aux « latrines volantes », pratique consistant à déféquer dans un sac plastique jeté sur le toit. On y recueillerait tout de même l’eau de pluie… Les marchés à Cap Haïtien, tel celui de Shada 1, constituent d’autres lieux de transmission à prendre en compte. Il n’y a pas de point d’eau traitée et les conditions globales d’hygiène sont désastreuses. L’existence de tels sites de transmission, où se presse la journée une foule d’habitants des quartiers environnants explique probablement le grand nombre de cas parmi les résidents des quartiers voisins comme le centre ville historique. Depuis le début de la saison sèche 2012-‐2013, les communes rurales les plus affectées du Département du Nord sont Plaisance et Limbé (Figure 4). En raison de suspicion de flambées actives dans les communes de Port-‐Margot et de Borgne, la mission a néanmoins décidé de prioriser l’investigation de ces communes voisines bordant la façade atlantique. Sur 83 cas pris en charge dans ces deux communes en février 2013, 30 provenaient de la section communale de Petit-‐Bourg-‐du-‐Borgne. Cette section pauvre est située dans les mornes et comprend un village de 3176 habitants. Il est desservi par des bornes fontaines alimentées par un captage et un réseau actuellement défectueux. En attendant les réparations envisagées par la DINEPA, la population recourt à des bornes fontaines éloignées et à la rivière toute proche.
4.2 Plateau Central (DSC)
Encore assez affecté en janvier 2013, le Département Sanitaire du Centre connaît depuis une accalmie remarquable. L’absence de décès enregistrés en février et mars nous amène à nous interroger sur l’existence de foyer de choléra encore actif actuellement. La commune de Cerca-‐La-‐Source a ainsi déclaré des incidences ≥ 50 cas /10000 habitants en février et mars. Il s’agissait en fait de cas diarrhées infantiles avec très peu de cas adulte pris en charge dans le CTC. De plus le très faible taux de positivité des tests de diagnostic rapide (réalisés systématiquement avec le soutien des Zanmi Lasante), et la négativité des prélèvements pour culture réalisés suite à notre passage plaident pour une absence (ou une quasi-‐absence) du choléra dans cette commune. Dans la commune de Hinche, les cas notifiés en février et mars provenaient surtout du quartier péri-‐urbain de Cité Silence (section de Juanaria) et de la localité de Rode (sur les sections d’Aguahédionde Rive Gauche et Rive Droite). Dans la commune de Mirebalais, les malades habitaient presque tous la section communale de Grand Boucan. Qu’il s’agisse de choléra ou non, les populations de ces zones connaissent toutes des difficultés importantes d’accès à l’eau.
4.3 Département de l’Artibonite (DSA)
Depuis début 2013, les principales communes affectées dans le Département de l’Artibonite sont Saint-‐Marc et Gonaïves. Viennent ensuite Saint-‐Michel, Gros-‐Morne et Ennery. Certains des prélèvements collectés en février et mars à Saint-‐Marc et Gros-‐Morne et analysés au Laboratoire National de Santé Publique se sont révélés positifs, attestant de la persistance de cas de choléra dans ces communes. Comme le montre la Figure 6, le choléra y affecte principalement quelques zones urbaines ou péri-‐urbaines.
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Figure 6 – Répartition des cas de choléra dans l’Artibonite sur les 11 premières semaines de 2013 (9 semaines pour Saint-Marc). (Données des CTC de Saint-Marc, Gonaïves, Ennery, Saint-Michel et Gros-Morne)
A Saint-‐Marc, la section communale rurale de Goyavier a constitué un important foyer en janvier. Depuis, de nombreux cas pris en charge au CTC de l’Hôpital Saint-‐Nicolas provenaient de la section communale de Lalouère (ou Haut de Saint-‐Marc), ainsi que de localités de la section Bois-‐Neuf comme Jeanton 2. Les populations de ces zones rurales recourent toutes à des sources d’eau non sécurisées, rivière ou sources non captées ou non protégées, que ce soit en raison d’une absence totale de réseau d’adduction ou de la dégradation d’un réseau ancien. La pratique du traitement de l’eau à domicile y est extrêmement réduite. Dans la commune de Gonaïves, la quasi-‐totalité des cas notifiés de janvier à mi-‐mars provenaient de divers quartiers pauvres de l’agglomération, comme Trou Sable, ou Gatereau. Le réseau de la ville ayant été largement détruit par les ouragans de 2004 et 2008, l’alimentation en eau y est globalement très difficile. Une partie importante de la population recourt à des puits peu profonds, peu ou pas protégés, et parfois voisins de latrines mal conçues. Le traitement de l’eau à domicile y apparaît également très restreint. A Saint-‐Michel de l’Attalaye, la moitié des cas pris en charge de début janvier à mi-‐mars provenaient du bourg de Saint-‐Michel, et notamment de certains quartiers périphériques comme La Visite. Deux réseaux d’adduction d’eau y desservent quelques particuliers et des bornes fontaines. Les fuites sont néanmoins nombreuses, et certaines
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Gros-‐Morne
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bornes fontaines ne sont donc plus alimentées. En mars, l’eau délivrée n’était plus chlorée faute d’intrants, alors même que le bourg subissait une épidémie.
4.4 Métropole de Port-‐au-‐Prince (DSO)
Malgré ses 2,5 millions d’habitants, son mauvais accès à l’eau et ses nombreux bidonvilles, la métropole de Port-‐au-‐Prince est relativement épargnée depuis début janvier. Les rares CTC encore fonctionnels ne prennent en charge que quelques dizaines de cas suspects par semaine. Il s’agit de cas sporadiques répartis sur les communes de Port-‐au-‐Prince, Carrefour et Delmas. Quelques prélèvements positifs ont été notifiés en février et mars à Delmas. Un seul décès a cependant été enregistré depuis le début de l’année dans la capitale, démontrant que la grande majorité des cas suspects ne sont pas des cas de choléra.
4.5 Synthèse
Au cours de cette saison sèche 2012-‐2013, le choléra s’est donc peu à peu fragmenté en quelques petits foyers résiduels. Et comme en 2012, c’est de ces zones de retranchement que repartiront vraisemblablement les flambées, au retour des fortes pluies attendues dans les semaines à venir. Cette diminution de transmission en saison sèche était une opportunité de lutte à saisir pour réduire au maximum le nombre de foyers persistants et prévenir les flambées de la saison des pluies. La lutte était apparue insuffisante en 2011-‐2012. Qu’en est-‐il depuis décembre 2012 ?
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5. État de la lutte communautaire pendant la saison sèche 2012-‐2013
Quarante-‐sept foyers actifs au cours de la saison sèche 2012-‐2013 ont été retenus suite à l’analyse des registres des CTC visités dans les 12 communes des DSN, DSC et DSA. Plus des deux tiers de ces foyers eux n’ont jamais été investigués (Figure 7). Seulement onze foyers ont bénéficié d’au moins une action de lutte au cours des 3 à 4 derniers mois. Cette lutte se résumait en une sensibilisation associée à une distribution de produits chlorés. Ce résultat est d’autant plus insuffisant que la plupart des actions menées date du mois de décembre et n’avaient pas ciblé les foyers principaux des communes considérées. Figure 7 – État de la lutte communautaire dans les foyers résiduels de saison sèche identifiés dans les communes visitées des Départements Sanitaires du Nord, du Centre et de l’Artibonite (Cap-Haïtien, Quartier-Morin, Port-Margot, Borgne [DSN] ; Hinche, Mirebalais, Cerca-la-Source [DSC] ; Saint-Marc, Gonaïves, Saint-Michel de l’Attalaye, Ennery, Gros-Morne [DSA])
* interventions n’ayant pas ciblé le foyer principal de la commune.
La section de Goyavier (commune de Saint-‐Marc) a bénéficié d’interventions en janvier 2013, mais aucune distribution n’a été réalisée dans la ville de Saint-‐Marc et dans les autres sections rurales de la commune depuis des mois.
Foyers non identifiés ou non investigués
Foyers investigués sans intervention
Sensibilisation sans distribution
Sensibilisation + distribution
10 2 5
4 4
6
2 3
3
8
*
*
*
*
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A Saint-‐Michel, seules certaines zones rurales ont bénéficié d’actions en décembre 2012 et janvier 2013 (avec l’aide d’ACF), tandis que le bourg, où se concentre la plupart des cas, n’a pas été ciblé. A Gros-‐Morne, un projet de santé communautaire financé par le CDC s’est principalement focalisé sur les zones rurales de la commune. Les populations rencontrées dans les principaux foyers des quartiers urbains et péri-‐urbains du bourg disent n’avoir reçu, depuis plus de quatre mois, ni Aquatabs® ni tout autre produit de traitement de l’eau. Le faible nombre de cas recensés dans les zones rurales de Gros-‐Morne ciblées par ces interventions reflète leur efficacité. L’absence de mesure de lutte dans le bourg principal montre qu’il existe des difficultés pour relier les informations épidémiologiques et les actions de lutte communautaire mises en œuvre. La période décembre 2012 – mars 2013 apparaît donc comme une occasion manquée de réduire efficacement l’incidence du choléra en Haïti, voir de stopper complètement sa transmission. Alors que le choléra s’est temporairement retranché dans quelques localités et quartiers, cette vulnérabilité n’a pas été mise à profit. Les interventions de prévention dans les communes visitées se sont avérées particulièrement restreintes et souvent non ciblées de manière optimale. Quelles en sont les raisons ?
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6. Obstacles à la lutte communautaire pendant la saison sèche 2012-‐2013
Il existe depuis quelques mois un réel déficit en ressources humaines permettant de mener à bien des actions de lutte communautaire ciblée. La DELR peine à détacher un épidémiologiste dédié à l’investigation régulière des flambées de choléra. Les épidémiologistes départementaux se disent presque totalement accaparés par les tâches administratives, les formations et les ateliers divers. Selon eux, ils ne disposent pas d’assez de temps pour les investigations. Sur le terrain, les brigadiers choléra ne sont plus financés depuis des semaines, voire des mois, dans la totalité des départements à l’exception du DSC, où leur contrat s’est terminé fin mars. Les agents de santé polyvalents ne sont pas encore déployés partout. De plus, il est à craindre que la multiplicité de leurs attributions ne nuise aux actions dédiées au choléra. Les ONG et les différentes agences se sont largement retirées, nombre de financements s’étant achevés fin décembre 2012. Dans le DSA, l’Unité Communale de Santé se trouve depuis plusieurs mois dans l’incapacité de payer les per diem des agents chargés de la sensibilisation et de la distribution d’intrant. Finalement, en cette fin de saison sèche, seule la DINEPA semble disposer de forces vives effectivement déployées sur le terrain. Depuis novembre 2012, chacune des 140 communes du pays s’est en effet vue attribuée deux TEPAC (Techniciens en Eau Potable et Assainissement Communaux), dont les missions essentielles sont le recensement des points d’eau et la lutte contre les urgences, telles le choléra. Le manque de moyens logistiques rend également difficiles les investigations de terrain et les interventions sur les foyers. En raison de pannes, ou parfois de détournements d’usage, le nombre de véhicules effectivement disponibles à la DELR et dans les directions sanitaires départementales est souvent insuffisant. Des dotations limitées en carburant sont souvent présentées comme autant d’obstacles à la réalisation d’investigations des foyers de choléra. La DINEPA peine parfois à acheminer les intrants dans les localités. Sur place, les TEPAC sont dépourvus de motocyclettes, en attente d’immatriculation depuis plusieurs mois. Ni les brigadiers, ni les agents de santé polyvalents ne disposent de moyens propres de transport leur permettant de se rendre facilement dans les foyers actifs. La mise à disposition des réserves disponibles de produits de chloration à domicile apparaît très insuffisante depuis plusieurs mois. Les TEPAC et les institutions de santé susceptibles de participer à la distribution d’Aquatabs® et autres produits de traitement de l’eau témoignent en effet souvent de difficultés à s’en procurer. Les OREPAs (Offices Régionaux de l’Eau Potable et de l’Assainissement) arguent souvent de stocks limités, qu’ils préservent pour les flambées de la prochaine saison des pluies. La DINEPA à Port-‐au-‐Prince dispose pourtant de réserves importantes, dont une partie est arrivée à péremption. L’UNICEF se dit à même de fournir d’importantes quantités de produits de chloration domiciliaire. Tout ceci s’accompagne de graves problèmes de coordination entre les acteurs de la réponse et ceux responsables de la production, de la diffusion et de l’investigation des alertes épidémiologiques. Au sein du MSPP, UADS et DELR apparaissent en concurrence, ce qui nuit à la circulation des informations épidémiologiques et à la clarté du discours stratégique. Au niveau départemental, épidémiologiste et coordinateur choléra ne collaborent pas toujours de manière satisfaisante. Au niveau local, les brigadiers choléra sont parfois totalement inconnus des institutions sanitaires.
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Le problème de coordination le plus important se situe entre les structures du MSPP et celles de la DINEPA. La responsabilité des uns et des autres dans la sensibilisation et la distribution des produits de chloration n’apparaît pas clairement établie : alors qu’elle est seule à disposer d’agents de terrains disponibles, la DINEPA souhaiterait s’en désengager au profit d’activités plus techniques. Inversement, alors que ressources humaines manquent, certains au MSPP, revendiquent le leadership de la sensibilisation et de la distribution des produits chlorés. Il existe d’importants blocages dans la circulation des alertes épidémiologiques. Jusqu’à tout récemment et depuis plusieurs mois, les alertes mail centralisées par l’OMS (à l’adresse [email protected]), puis redirigées vers l’UADS et la DELR n’étaient plus envoyées à la DINEPA et aux acteurs WASH. Mi-‐2012, la DINEPA avait pourtant répondu activement à la totalité des alertes dont elle avait été destinataire. La DELR produit également chaque semaine un bilan de la morbi-‐mortalité choléra à l’échelle communale. Ces données ne sont malheureusement ni interprétées (s’agit-‐il d’une commune en alerte ou non ?), ni diffusées aux acteurs de la réponse. Au niveau départemental, les personnels des directions sanitaires et des OREPA se connaissent rarement. Parfois, l’information épidémiologique ne circule même pas, par excès de précaution. Au niveau communal, les TEPAC demeurent largement inconnus des structures sanitaires et n’ont pas accès aux informations épidémiologiques générées par les CTC/UTC. Tous – DINEPA, ONG, agences – déplorent le manque d’accès aux informations épidémiologiques qui leur permettrait de guider les actions. La tenue des réunions sectorielles santé et WASH s’est faite trop rare ces derniers mois, et des querelles de personnes, notamment entre directions sanitaires départementales et OREPA en entravent le fonctionnement. Le contrôle exercé par l’État haïtien sur la myriade d’ONG impliquées dans la réponse au choléra est insuffisant. Il existe une profusion d’actions de lutte, dont certaines sont inadaptées. C’est le cas de la distribution de filtres à sable (Biosand filters) dont les bénéficiaires sont incapables d’assurer l’entretien, ou la construction de latrines mal conçues et sous-‐utilisées. Le contrôle sur le secteur commercial est défaillant comme en témoigne le marketing dangereux et mensonger effectué par les distributeurs d’un produit de traitement de l’eau, vendu sous la marque SAFI®. La promotion de ce produit, fabriqué par l’entreprise Clean Water Environmental (Michigan, USA) 8 repose largement des messages présentant la chloration comme néfaste, indiquant qu’elle est cancérigène. Ces messages sont diffusés sur les ondes radio 9 et sur des plateaux de télévision. 8 « Clean Water Environmental », consulté le 16 mars 2013, http://www.cwewater.com/. 9 cf l’enregistrement d’une publicité pour SAFI, largement diffusée sur la radio MEM FM (Hinche, département du Centre) et remise au MSPP.
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7. Conclusion La mobilisation de l’ensemble des acteurs et l’efficience de la lutte contre le choléra au cours de la saison sèche 2012-‐2013 ont pâti de difficultés humaines, matérielles, logistiques et de coordination que nous avons largement développées dans ce document. Cependant, au-‐delà de ces aspects opérationnels, la mission effectuée en février et mars a mis en évidence un biais de perception fondamental de la gravité de la situation épidémiologique actuelle. La plupart des acteurs rencontrés, prenant pour référentiel les incidences record enregistrées en 2010 et 2011, ne perçoivent les niveaux de transmission actuels du choléra que comme un bruit de fond qu’ils jugent acceptable. Pourtant le bilan de l’année dernière montre combien le nombre de cas et de décès liés au choléra est impressionnant comparé à ce qui est rapporté dans le reste du monde (cf. Figure 2). Ce biais de perception explique en partie pourquoi les acteurs publics et privés de la lutte ont pour la plupart interrompu leurs programmes. A ce premier biais de perception s’ajoute la conviction fermement ancrée de la présence de Vibrio cholerae toxinogène dans l’environnement « Cependant la bactérie étant dans l’environnement des cas sporadiques seront toujours diagnostiqués 10 ». Pourtant l’étude environnementale réalisée en juillet dernier montre que le choléra n’est pas endémique en Haïti 11. Grâce à l’étude que nous avons menée en février et mars 2013, nous savons maintenant que dans les zones humides d’Haïti, le germe responsable de l’épidémie est largement supplanté par des souches locales sans pouvoir épidémique. De plus, nous avons vu que la très grande majorité des foyers actuels se situent soit en zone urbaine, soit dans des zones rurales éloignées des estuaires. Ces deux biais de perception expliquent les erreurs stratégiques dans les domaines de la santé publique ainsi que de l’eau et de l’assainissement. La réponse du MSPP, considérant que nous sommes maintenant dans une perspective de long terme, se centre principalement sur la prise en charge des cas pour diminuer la létalité et promeut la vaccination. Cette arme est actuellement présentée comme essentielle à la diminution de la transmission. Certains acteurs prônent son utilisation chez les très jeunes enfants. Pourtant les études les plus complètes publiées à ce sujet montre qu’il s’agit d’un outil dont l’efficacité est modérée chez l’adulte (62% avec un recul de deux ans) et faible chez l’enfant de moins de cinq ans (38%) 12. Tout ceci ne poserait pas de problème majeur si des actions efficaces étaient menées en parallèle pour réduire au maximum la transmission dans les foyers résiduels. Il est encore nécessaire de mener des actions ciblées sur ces foyers actifs. Ces actions doivent notamment inclure des distributions gratuites de produits chlorés, de kits d’hygiène et des travaux urgents de réparation des réseaux de distribution ou de protection des ressources en eau. C’est pendant la saison sèche, lorsque l’incidence du choléra est à son nadir, qu’il est le plus vulnérable et que la lutte peut être la plus efficace. Or, nous l’avons vu, ce n’est absolument pas le cas actuellement. Le choléra n’est plus considéré comme une urgence, mais seulement comme une problématique de développement. Même s’il n’est pas devenu endémique dans le territoire haïtien, il est devenu endémique dans les esprits. 10 MSPP. DINEPA. Plan d’élimination du choléra 2013-‐2022. Page 9. 11 Il faut, selon l’OMS, au moins 5 années continues d’épidémie ; et le Vibrio cholerae épidémique ne s’est à ce jour pas durablement installé dans l’environnement haïtien 12 David Sinclair et al., « Oral vaccines for preventing cholera », Cochrane Database of Systematic Reviews (Online) no 3 (2011): CD008603, doi:10.1002/14651858.CD008603.pub2.
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8. Recommandations
Orientations stratégiques
① Réaffirmer la possibilité d’une élimination à court terme
• Ne pas considérer le choléra comme endémique en Haïti. • Objectif = 0 cas et 0 décès.
② Considérer l’élimination du choléra comme une urgence et non comme un enjeu de développement
③ Dissocier élimination du choléra et réforme du secteur de l’eau et de l’assainissement
Surveillance épidémiologique
④ Renforcer la production et la circulation d’alertes de qualité • Abaisser le seuil d’alerte : quelques cas groupés imposent une investigation. • Demander à la DELR de produire une analyse qualitative hebdomadaire des communes
en alerte et de la diffuser très largement. • Organiser une circulation efficace des informations épidémiologiques entre les acteurs
de la surveillance et de la réponse (e-‐mail, réunions sectorielles…)
⑤ Renforcer l’identification et l’investigation des foyers de transmission
• Mettre en place une équipe d’investigation dans chaque département où des foyers sont identifiés (actuellement : DSN, DSC, DSA, DSO), dotée de moyens logistiques propres.
• Nommer à la DELR un épidémiologiste exclusivement dédié au choléra et disposant de moyens d’investigation.
• Lorsque la transmission diminue, systématiser le recours aux tests de diagnostic rapide pour chaque cas suspect afin de différencier choléra et diarrhées aiguës non-‐cholériques.
⑥ Lutter plus efficacement contre les messages mensongers
Réponse ciblée dans les foyers de transmission
⑦ Réaffirmer le rôle de chacun et renforcer la coordination
⑧ Dans tous les foyers actifs, distribuer gratuitement et temporairement de l’eau traitée ou des moyens de traiter l’eau
• Nommer dans chaque commune un agent de santé dédié au choléra en commençant par les communes atteintes. Ces agents de santé doivent être munis d’une moto. Ils travailleront de concert avec les TEPAC et les autres acteurs.
• Distribuer des kits d’hygiène aux accompagnants de tous les malades dès le premier jour de la prise en charge.
• Mutualiser les moyens disponibles pour pouvoir distribuer des kits d’hygiène aux familles vivant dans les foyers de transmission actifs.
⑨ Réaliser en urgence des travaux de réparation dans les foyers actifs de choléra
• Doter la DINEPA de fonds propres permettant la réalisation de réparations urgentes.