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BBF 2001 Paris, t. 46, n° 3 82 OUTILS L ’émergence du concept de compétence dans la fonction publique peut paraître paradoxale à certains. En effet, l’accès aux emplois publics obéit à un certain nombre de principes simples, notamment l’accès par concours garantissant l’équité et une définition de l’activité liée au statut et au grade. Quels indicateurs de la compétence ? Même s’il faut distinguer la fonction publique d’État de la fonction pu- blique territoriale, cette primauté des statuts a façonné le paysage du ser- vice public et son mode de manage- ment. L’avancement et la mobilité sont la plupart du temps liés à ces grands principes. On peut sans doute plus parler de gestion administrative des carrières que de gestion des com- pétences, bien que les choses puis- sent être très différentes entre une structure universitaire et une média- thèque municipale. Si la gestion des compétences de- vient un leitmotiv, de quoi parle-t-on précisément ? Au-delà du concept qu’il faut élucider, il s’agit de repérer en quoi une approche « compé- tence » dans la fonction publique peut améliorer la gestion des res- sources humaines dans les structures. Mais surtout, comment s’y prendre ? Comment mettre en place des dispo- sitifs qui soient garants de la régle- mentation publique et qui soient suf- fisamment partagés pour ne pas générer d’autres formes « d’injus- tice » ? « Quels sont les indicateurs de la compétence ? » est donc une ques- tion centrale aujourd’hui. Mais sur- tout, comment peut-on construire ces indicateurs ? Un sujet en débat Pourquoi parler aujourd’hui de gestion des compétences dans la fonction publique alors que le cadre réglementaire est inchangé ? Plu- sieurs facteurs agissent simultané- ment. Certains sont liés à l’évolution du travail et au sens que souhaite y trouver tout professionnel.Travailler est aujourd’hui un important facteur de réalisation de soi. Être reconnu André Chauvet Grand Format Conseil et Formation [email protected] Arguments bibliothéconomiques

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L’émergence du concept de compétence dans la fonction

publique peut paraître paradoxale à certains. En effet,

l’accès aux emplois publics obéit à un certain nombre de

principes simples, notamment l’accès par concours garantissant

l’équité et une définition de l’activité liée au statut et au grade.

Quels indicateurs de la compétence ?

Même s’il faut distinguer la fonctionpublique d’État de la fonction pu-blique territoriale,cette primauté desstatuts a façonné le paysage du ser-vice public et son mode de manage-ment. L’avancement et la mobilitésont la plupart du temps liés à cesgrands principes.On peut sans douteplus parler de gestion administrativedes carrières que de gestion des com-pétences, bien que les choses puis-sent être très différentes entre unestructure universitaire et une média-thèque municipale.

Si la gestion des compétences de-vient un leitmotiv, de quoi parle-t-onprécisément ? Au-delà du conceptqu’il faut élucider, il s’agit de repéreren quoi une approche « compé-tence » dans la fonction publiquepeut améliorer la gestion des res-sources humaines dans les structures.Mais surtout, comment s’y prendre ?Comment mettre en place des dispo-

sitifs qui soient garants de la régle-mentation publique et qui soient suf-fisamment partagés pour ne pasgénérer d’autres formes « d’injus-tice » ?

« Quels sont les indicateurs de lacompétence ? » est donc une ques-tion centrale aujourd’hui. Mais sur-tout, comment peut-on construireces indicateurs ?

Un sujet en débat

Pourquoi parler aujourd’hui degestion des compétences dans lafonction publique alors que le cadreréglementaire est inchangé ? Plu-sieurs facteurs agissent simultané-ment. Certains sont liés à l’évolutiondu travail et au sens que souhaite ytrouver tout professionnel.Travaillerest aujourd’hui un important facteurde réalisation de soi. Être reconnu

André Chauvet

Grand FormatConseil et Formation

[email protected]

Arguments bibliothéconomiques

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compétent devient un enjeu social etpersonnel de premier plan,mais aussiet surtout une des conditions de lamotivation.Peut-on s’investir durable-ment dans une mission sans rétribu-tion de quelque nature qu’elle soit ?

La fonction publique est traverséedepuis quelques années par des chan-gements considérables : une volontépolitique d’optimisation des moyens,une préoccupation constante sur leservice rendu, le management parprojet et le développement de la« transversalité », des défis technolo-giques et humains de grande enver-gure…

Pour faire face à ces enjeux, ils’agit de contribuer à développer et à valoriser les compétences des per-sonnels, condition de l’investisse-ment, voire du surinvestissementsollicités et nécessaires. L’adminis-tration du personnel, telle qu’elle estpratiquée aujourd’hui dans la plupartdes organisations publiques, si elleaffiche le principe d’équité et detransparence, génère en fait souventla frustration,voire le découragementdans l’examen du rapport entre inves-tissement sollicité et gains en retour.Mais cela ne suffit pas à expliquer lerecours permanent à une improbablegestion des compétences.

L’évaluation des politiques pu-bliques, la rationalisation et l’op-timisation des moyens mobiliséssupposent la prise en compte perma-nente du rapport entre mission affi-chée, moyens mobilisés et effetsobservés. L’État ne peut plus se pré-valoir d’un principe a priori de perti-nence de l’action publique :

« Les difficultés budgétaires et lacrise de légitimité de l’action pu-

blique conduisent à une inflexionmême de l’action publique ; au postulat du bien-fondé de principedont bénéficiait la gestion publique,parée du sceau magique de l’intérêtgénéral a succédé la conviction quel’État est tenu de rendre des comptes,en démontrant la pertinence desactions menées ; et cette vision nou-velle atteint aussi la loi. La loi nebénéficie plus, du seul fait de sonexistence, d’un postulat d’effica-cité. 1 »

Or, parmi les moyens mobilisés,les ressources humaines, considéréesjusqu’alors sur le principe de l’inter-changeabilité, apparaissent tout àcoup comme un facteur décisif, etcela pour plusieurs raisons.

L’évolution des structures et desattentes sociales nécessite le dévelop-pement de compétences de plus enplus nombreuses.Mais il ne s’agit pasd’un phénomène ponctuel pour faireface à une évolution brutale. Il estquestion ici d’un mouvement perma-nent, où la situation des structuresn’est jamais réellement stabilisée.Une procédure est à peine maîtriséequ’une nouveauté se profile déjà àl’horizon,génératrice d’autres difficul-tés. Pour y faire face, le professionneldevra apprendre encore et toujours.Or, ni la motivation, ni les compé-tences ne se prescrivent par décret.

Il faut donc imaginer et élaborerdes dispositifs qui prennent encompte toutes les variables évoquées :pression publique, changement per-manent, reconnaissance et valorisa-tion des compétences, motivation.Mais il faut surtout que ces mesuress’appuient sur le quotidien des pro-fessionnels et que ceux-ci soientimpliqués dans ces changements.

Le mode de recrutement a évolué.La question démographique (nom-breux départs en retraite entre 2000et 2010) va sans doute accentuercette recherche de nouvelles compé-

tences. On voit bien que le moded’organisation administratif actuel, s’ilgarantit le déroulement de carrière,ne favorise guère la formalisation et lareconnaissance des compétences.

Dans la fonction publique terri-toriale, les modes de recrutement,notamment pour les cadres A et B, serapprochent du secteur privé : ré-ponse à des offres, curriculum vitaedans la bourse de l’emploi, élabora-tion de fiches de postes détailléesallant au-delà des seules références aucadre d’emploi…

Dans la fonction publique d’État,certaines procédures implicites sontle signe d’un changement sur ce ter-rain. La réussite à un concours n’estpas la garantie de l’efficacité profes-sionnelle. Si un employeur rechercheun professionnel, c’est moins pourson statut que pour sa capacité à faireface à des situations de plus en pluscomplexes. Le professionnel, lui, atout intérêt à faire valoir ses compé-tences, ses réalisations, ses réussites.Les dispositifs de validation desacquis professionnels, existants et àvenir,vont encore renforcer cette ten-dance.Tous ces signes montrent bienque les compétences,même de façoninformelle, pénètrent le champ desressources humaines de la fonctionpublique.Mais de quoi parle t-on ?

Les compétences : de quoi parle-t-on ?

Le concept de compétences est deplus en plus utilisé dans le monde dutravail.Il n’est pas toujours défini avecclarté, et, en fonction des contextes,on peut lui attribuer des sens diffé-rents. Paradoxalement, la définitiondes compétences ne fait plus vrai-ment aujourd’hui l’objet d’un débat.Ce sont surtout les modes de repé-rage et de formalisation qui suscitentdes interrogations. La question cen-trale est : « Comment passer d’unconcept à un outil opératoire ? »

Si l’on dit que la compétence ren-voie à la mise en œuvre de ressources(des savoir-agir) par une personne

Q u e l s i n d i c a t e u r s d e l a c o m p é t e n c e ?

Professionnel du conseil et de la formation,André Chauvet est consultant en ressourceshumaines et directeur associé de Grand FormatConseil et Formation, à Saint-Étienne. Il travaillesur la mise en œuvre de démarches qualité dansles services, et intervient depuis plusieurs années àl’Enssib lors de stages de management. Il a publiéun article sur « Le bilan de compétences et l’aide àl’explicitation », et termine un ouvrage sur lespratiques d’accompagnement à la mobilitéprofessionnelle.

1. Cité par Gilbert Benhayoun et Yvette Lazzeridans L’évaluation des politiques publiques del’emploi, Paris, PUF, 1998, coll. « Que sais-je ? », n° 3358.

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dans une situation professionnelledonnée,cela ne nous avance guère. Ilest plus pertinent d’en repérer lescaractéristiques qui sont l’objet d’unapparent consensus2 :– la compétence permet de donnerune consistance à un ensemble decapacités « informelles » et procédu-rales difficiles à repérer. Elle permetde nommer ce qui est invisible,caché,dans les situations de travail ;– elle est liée à l’action, elle permetd’effectuer,de réaliser.Il n’y a de com-pétences réelles que mises en actes.Elle renvoie à un contexte de mise enœuvre déterminé ;– elle suppose une action efficace etpertinente. Mais elle ne peut se repé-rer selon le seul mode Absence/Pré-sence. Le niveau d’expertise est unedonnée essentielle, notamment dansune logique de repérage des possibili-tés de transferts ;– si elle renvoie à différentes fa-milles de capacités (des savoirs, dessavoir-faire et des savoir-être dans latrilogie classique), elle ne se réduit nià un savoir, ni à un savoir-faire. On nepeut la réduire à un acquis de forma-tion.Elle concerne la mobilisation deces acquis ;– c’est un système qui associe defaçon combinatoire divers éléments.Elle n’est pas de l’ordre de la simpleapplication, mais de la constructionou plutôt de la reconstruction ;– d’autre part, elle se développe (etpeut se perdre également si elle n’estpas mobilisée pendant longtemps ousi les contextes de travail changentbeaucoup) ;– elle est individuelle. Elle corres-pond à la mise en œuvre combinéede différents savoirs et savoir-faire,par une personne particulière, à unmoment donné, dans un contextespécifique.

Ce dernier point est essentiel. Leconcept de compétence est apparu àun moment où l’évolution des « pro-cess » de travail a rendu difficile la

description des fonctions « a priori ».Le travail ne peut plus être réduit à un ensemble d’actions standardiséesreproductibles quel que soit l’acteur.Au contraire, l’opacité et la com-plexité des situations de travail ontamené à reconsidérer le poids desstratégies individuelles dans l’effica-cité.

Sur ce thème, Philippe Zarifian 3

propose une approche intéressantede la compétence : « La compétenceest la prise d’initiative et de respon-sabilité de l’individu sur des situa-tions professionnelles auxquelles il

est confronté »,ou encore : « La com-pétence est une intelligence pratiquedes situations qui s’appuie sur desconnaissances acquises et les trans-forme avec d’autant plus de forceque la diversité des situations aug-mente.»

Son approche se fonde sur l’obser-vation de l’évolution du travail.Tra-vailler aujourd’hui suppose de faireface à des situations-problèmes pastoujours prévues. La notion d’événe-ment est centrale dans ses travaux.Toutes les situations de travail ne peuvent être « prédécrites »,analyséesa priori. La personne compétentesaura mobiliser des ressources pours’adapter à une situation imprévue.Etainsi, elle développera de nouvellescompétences. Un certain nombre

d’éléments sont à considérer : laconfrontation à des situations iné-dites ; la communication autour deces situations ; l’autonomie et le ni-veau de responsabilité, conditionsd’une possible prise d’initiative ; lacapacité à s’interroger sur sa pratiqueprofessionnelle.

On voit que cette approche boule-verse les conceptions habituelles enanalyse du travail, puisqu’elle insistesur le côté nécessairement précaireet mouvant des compétences.Toutn’est pas réductible à une analyse dutravail a priori.

Une autre définition nous paraîtéclairante. La compétence renverraità l’articulation de trois paramètres : lesavoir, le vouloir et le pouvoir. Il nesuffit pas d’être capable de mobiliserune compétence pour pouvoir lefaire. Les contextes sont plus oumoins favorables. De même, mettreen œuvre une compétence supposeque l’on ait envie de le faire. Et cer-taines situations de travail n’incitentpas toujours le professionnel à don-ner le « meilleur de lui-même ».

Que faire face à cette complexité ?Peut-on rendre les choses simples ?« Le simple n’existe pas, il n’y a que du simplifié », disait Bachelard.Comment alors s’y prendre concrète-ment ?

Approcher la compétence

Plusieurs problèmes techniques etméthodologiques se posent dès quel’on souhaite mettre en place un dis-positif de gestion des compétencesdans une organisation : qui va éva-luer ? À partir de quels éléments ob-servables ?

La garantie d’efficacité du dispo-sitif suppose que l’on puisse iden-tifier en amont des « indicateurs »observables et incontestables. Or,c’est bien ici que la difficulté appa-raît. La mobilisation d’une compé-tence est toujours « en situation ».Elleest contingente au contexte. Il ne suffit pas de savoir faire quelquechose pour pouvoir le faire. Savoir,

2. Cf. notamment les travaux de Guy Le Boterf,De la compétence à la navigation professionnelle,Paris, Les Éditions d’Organisation, 1997.

3. Philippe Zarifian, Objectif compétence : pourune nouvelle logique, Rueil-Malmaison, ÉditionsLiaisons, 1999, coll. « Entreprise et carrières ».

L’opacité et la complexitédes situations de travail

ont amené à reconsidérerle poids des stratégies

individuellesdans l’efficacité

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vouloir et pouvoir sont toujours lestrois variables en interaction. D’autrepart, comment formaliser, nommer,voire mesurer « quelque chose » qui,par nature, est volatil, mouvant, systé-mique ?

De nombreuses tentatives réali-sées jusqu’alors en bibliothèque sesont heurtées à plusieurs obstacles :imprécision du concept de compé-tence (de quoi parle-t-on ?), absencede consensus sur les observables dela compétence, confusion autour duconcept de savoir-être. Ainsi il est fait en permanence référence à des« mots-valise » du type « autonomie »,« dynamisme »… sans trop savoir cequ’ils recouvrent précisément entermes d’observables professionnels.Les offres d’emploi sont actuellementde bons indicateurs de cette absencede clarté.

Si les indicateurs sont contes-tables, ils seront légitimement contes-tés et on verra apparaître une dérivede type « jugement de valeur »,fondéesur la subjectivité de l’évaluateur,mislui-même dans une position délicatepar rapport à ses collègues.

Il paraît plus pertinent de cons-truire un dispositif progressif passantpar les quatre phases suivantes :– se mettre d’accord sur le vocabu-laire ;– élaborer des descriptifs d’activitéspour chaque agent ;– définir de manière concertée desobjectifs de travail annuels tant pourles services que pour les agents ;– formaliser les compétences et pré-ciser les éléments observables de cescompétences.

Ces différentes phases seront réali-sées en associant et impliquant toutesles catégories de personnel de l’éta-blissement dans un souci de clarté etd’appropriation.

1re étape

La première étape consiste à semettre d’accord sur le vocabulaire,sans pour autant rigidifier les choses.Il s’agit bien ici de favoriser l’usagecollectif de ces notions et non de

transposer un vocabulaire et des pra-tiques inadaptés au monde des biblio-thèques.

L’activité

L’activité est l’ensemble des tâcheset des actions réalisées concrètementpar un professionnel pour remplir samission, atteindre les objectifs fixés.Elle renvoie au « faire ».Elle n’indiquerien sur la manière dont le profes-sionnel s’y prend ni sur ses compé-tences. Ainsi, « assurer l’accueil dupublic en bibliothèque » est bien uneactivité. Un certain nombre d’activi-tés sont observables, visibles. Mais deplus en plus d’activités de travail sontopaques, difficiles à appréhender. Ils’agit par exemple de toutes les situa-tions d’analyse et de conception oùles indicateurs seront rares.

La compétence

La compétence est l’ensemble desressources mobilisées par une per-sonne dans une situation de travailparticulière, qui lui permettent defaire face aux situations profession-nelles auxquelles elle est confrontée.Plusieurs dimensions distinguent lacompétence de l’activité :– une dimension « valeur » : ce qui estfait est pertinent,adapté,efficace…– une dimension stratégique : ellerenvoie à la manière dont quelqu’unva s’y prendre pour résoudre un problème. En effet, tout n’est pas« procédurable ».Un personnel de bi-bliothèque qui fait face à un grouped’usagers agressifs pourra être effi-cace en utilisant différentes straté-gies. Et il combinera de nombreusesressources.

En général, la compétence est for-malisée par : « verbe le plus précispossible-compléments » mentionnantle contexte de mise en œuvre, parexemple,construire une méthodolo-gie d’analyse des attentes du publicd’une médiathèque…, conduire unedémarche de projet informatique enbibliothèque…, organiser le recense-ment et le stockage d’ouvrages…

Les indicateurs sont les élémentsconcrets, observables, quantitatifs ouqualitatifs permettant d’apprécier,selon le cas, dans quelle mesure unobjectif est atteint, ou si la perfor-mance attendue a été réalisée ouencore si la technique utilisée est maî-trisée. L’indicateur est l’élément ob-servable qui valide : par exemple,étude de satisfaction réalisée avecdonnées exploitables, nouvelle si-gnalétique testée et mise en place,nombre de rayons libérés, réponse à toutes les réclamations, temps deréponse, temps de diffusion, taux desatisfaction… Mais on voit bien à lalecture de ces quelques exemplesque les indicateurs évoqués ne sontpas tous du même niveau.

Certains peuvent être considéréscomme des preuves.On se situe alorsdans une logique déductive. « Si telindicateur apparaît, je suis sûr de ma conclusion… » D’autres sontbeaucoup plus des éléments quali-tatifs où la subjectivité n’est pasabsente. Ils servent plutôt de « fais-ceaux d’indices » ou de signes per-mettant de « faire l’hypothèse que ».On est alors dans une logique induc-tive et le terme d’indicateur peut êtreconsidéré comme impropre dans lamesure où ces signes observables ne sont pas la preuve incontestablerecherchée. En ce qui concerne lacompétence, nous utiliserons plusvolontiers le terme d’observable. Ensomme, ce qui est observé de l’acti-vité donne des indications plus oumoins fiables de la compétence mo-bilisée.

La performance

La performance renvoie aux résul-tats de l’action, référés à ce qui étaitattendu. Si la compétence se centresur les ressources mobilisées pourproduire une action efficace, la per-formance,elle, est multiforme. Il peuts’agir d’un résultat comptable : tempsde réalisation, nombre d’ouvragestraités, temps de communication,nombre d’abonnés, taux de satisfac-tion… Il n’a de sens que s’il est mis

Q u e l s i n d i c a t e u r s d e l a c o m p é t e n c e ?

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en rapport à une valeur : norme,réfé-rence… Sinon il ne permet pas uneinterprétation, donc il ne présenteplus d’intérêt. Il peut s’agir d’un effetobservable : résolution d’un pro-blème ponctuel, mise en œuvre d’uneprocédure, réalisation d’un projet…Dans bien des cas, la performancecroise différents observables.Évidem-ment, la performance est un indica-teur précieux de la compétence.

Cela étant, l’absence de perfor-mance n’est absolument pas la garan-tie d’une absence de compétence.Des éléments de contexte peuventempêcher la mobilisation des compé-tences. Il est parfois facile de ren-voyer sur l’individu la responsabilitéde déficiences organisationnelles oumanagériales. D’autre part, la compé-tence individuelle n’est pas toujoursdissociable de la compétence collec-tive. Le travail d’équipe, s’il est sou-vent un gain, peut apparaître danscertaines situations comme un obs-tacle à l’expression des compétencesindividuelles. De même, certainescompétences individuelles ne peu-vent être mobilisées qu’avec l’appuides savoir-faire d’autres profession-nels.

2e étape

Au cours de la 2e étape, sont éla-borés des descriptifs d’activité pourchaque agent. Les situations de tra-vail sont rarement clarifiées et l’im-plicite autour de certaines activitéssensibles est un obstacle à lever.Comment chasser l’implicite, sourced’incompréhension,donc de conflits ?L’observation du fonctionnement desbibliothèques révèle des consensusapparents qui masquent l’absence deprécision sur ce qui est réellementattendu. Deux questions ne peuventêtre évacuées : « Qu’est-ce qui estattendu du professionnel en termesd’activités ? » et « À quoi et commentverra-t-il que ce qu’il réalise estconforme aux attentes de la struc-ture ? ». Faute d’y répondre claire-ment, on prend le risque de bâtir undispositif construit « sur du sable ».

Avant d’imaginer d’improbablesdispositifs d’évaluation des compé-tences externes aux professionnels, ils’agit de mettre à leur disposition desoutils de régulation, d’ajustement,d’auto-évaluation interne.

Il faut créer des moyens simplesd’autopositionnement. « Si j’ai uneidée plus précise de ce qui estattendu de moi, et si je peux repérerdes éléments qui m’indiquent si je lefais conformément aux attentes, ledialogue sera plus facile en cas dedifficultés. »

3e étape

Il s’agit de définir de manièreconcertée des objectifs de travailannuels tant pour les services quepour les agents. Comme nous l’avonsindiqué précédemment,les situationsde travail sont de moins en moinsstandardisées et les changementssont rapides. L’émergence de nom-breux projets facilite une gestion parobjectifs.Quels que soient le statut etla fonction d’un agent, il est toujourspossible d’identifier des objectifs detravail individuels,soit liés à ses activi-tés habituelles, soit pour un projetparticulier. Cela sera d’autant plussimple et efficace que les objectifs duservice auront été discutés et forma-lisés auparavant. Ce travail va per-mettre à la fois de clarifier lesattentes,de donner du sens au travailindividuel et collectif, et d’anticiperles difficultés éventuelles.

Précisons qu’un objectif est unrésultat à atteindre dans un délai

fixé avec des moyens préalablementdéterminés. Ce résultat doit êtreobservable et évaluable. Parmi lesexemples d’objectifs, on peut citer :aménager la signalétique d’une section, élaborer des supports decommunication à partir des don-nées statistiques de la bibliothèque,constituer une base de données,assurer le traitement des réclama-tions, libérer de la place dans lesrayons de la salle…

Sans revenir sur la définition duterme indicateur et son ambiguïté,précisons qu’il peut concerner uneréalisation : le projet a été réalisé ; unnombre : délais, durée, budget, quan-tité… ; une qualité (par exemple,exploitable.Il s’agira alors de préciseren quoi c’est exploitable : représen-tativité statistique…). Souvent, cesobjectifs précisent les trois aspects.Ces trois étapes de travail peuventpermettre la mise en place d’entre-tiens annuels d’activités, momentsprivilégiés de dialogue et de régula-tion dans une organisation.

4e étape

Formaliser les compétences etpréciser des éléments observables :très peu de structures du secteurpublic ont atteint ce point aujour-d’hui. Les dispositifs de gestion desressources humaines en place per-mettent au mieux de clarifier ce quiest attendu de chacun en terme dequalité de travail. Avoir une représen-tation partagée de ce qu’est précisé-ment le travail à faire est un élémentcentral. Se donner des indicateurspermettant de s’évaluer est égale-ment essentiel. Cela étant, il s’agit,dans bien des cas,d’une réflexion surla conformité.Or,une approche com-pétence suppose une investigationplus approfondie, notamment si onenvisage de favoriser la mobilité pro-fessionnelle.

Il faut donc aller plus loin en per-mettant un travail sur ce qui est réel-lement le cœur de la compétence,c’est-à-dire ce qui fait qu’une per-sonne particulière est susceptible de

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Quels que soient le statutet la fonction d’un agent,

il est toujours possibled’identifier des objectifs

de travail individuels

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mobiliser efficacement des res-sources, parfois au-delà de ce qui lui est demandé, et éventuellementdans un autre contexte (hypothèsedu transfert). En effet, le concept de compétence est intéressant dans lamesure où il permet de « pronosti-quer » une efficacité de l’action endehors du seul contexte « ici et main-tenant ». Le développement de fonc-tions transversales est caractéristiquede cette situation. Des fonctionscomme « correspondant de forma-tion » vont nécessiter, pour la per-sonne concernée, de mobiliser desressources au-delà de sa « zone defonction habituelle liée à sonstatut ». Inversement, l’interrogationactuelle sur des fonctions de typecatalogueur dans les bibliothèquespose la question de ce qui a été déve-loppé dans un contexte techniquedonné (avec le développement d’ex-pertises techniques de niveau élevé),et de ce qui est mobilisable à nouveaudans un environnement mouvant.

Pour faire face à ces situations nou-velles, le seul recours au descriptifd’activité limite la perspective.Il s’agitbien véritablement de développer etde mobiliser des compétences nou-velles. Il est donc indispensable de lesformaliser et de préciser comment età partir de quels observables on lesprend en compte.

Comment faire ?

Plusieurs choix méthodologiquessont possibles, qui sont fonction desobjectifs fixés au dispositif et auxmoyens d’investigation que l’on sou-haite utiliser. On peut élaborer desréférentiels compétences/métiers,précisant ce qu’il est nécessaire desavoir mobiliser pour occuper leposte décrit. On se situe dans unedescription a priori de la situation detravail. On peut également élaborerdes cartes de compétences indivi-duelles évolutives. On se situe alorsdans une description a posteriori. Eton peut bien sûr combiner les deuxapproches.

Élaborer des référentielscompétences/métiers

Les référentiels compétences/mé-tiers ont plusieurs fonctions :– clarifier les compétences atten-dues dans telle fonction (connais-sances,savoir-faire…) ;– identifier des niveaux de maîtrisepour chacune d’entre elles ;– repérer des passages possiblesd’une fonction à une autre (hypo-thèse du transfert de compétences) ;– favoriser le recrutement et l’évolu-tion professionnelle ;– articuler compétences requises/plan de formation, tant pour l’organi-sation que pour les personnels.

Certains référentiels existent déjà.Nous pouvons au moins citer le Ré-pertoire opérationnel des métiers etdes emplois (ROME), document deréférence de l’Agence nationale pourl’emploi (ANPE). Nous pouvons éga-lement évoquer le Répertoire desmétiers de la fonction publique ter-ritoriale, élaboré il y a quelquesannées,qui a le mérite de clarifier uncertain nombre de concepts et detenter une mise en forme cohérentedes différents métiers. Il précise no-tamment des savoir-faire transversauxen identifiant pour chacun d’eux unniveau de maîtrise. Citons égalementle travail réalisé sous la directiond’Anne Kupiec 4, document de réfé-rence pour les professionnels.

Si les référentiels ne conviennentpas (parfois trop détaillés,parfois tropimprécis), on peut en élaborer denouveaux. Il s’agit alors d’initier laréalisation de véritables cartogra-phies des métiers qui nécessitent uninvestissement considérable et sou-vent plusieurs années de travail.

Une des caractéristiques de cesréférentiels (qu’ils existent ou qu’onles crée),c’est qu’ils abordent la com-pétence du point de vue du métierou de la fonction.Ils mettent en avantce qui est requis pour mener à bien

les missions et les activités du métierou de l’emploi. Il s’agit donc biend’aborder la compétence sous l’angledu travail prescrit, même si la cons-truction de ces référentiels se fondesur l’analyse de situations de travailréelles.

Concrètement, le référentiel s’ap-puie sur la déclinaison des activitésen compétences. Le niveau de com-pétence est souvent abordé à partirde quelques paramètres.On retrouvesouvent le niveau de complexité,le niveau de maîtrise des connais-sances, ou encore le type de dé-marches utilisées.Nous les préciseronsplus loin. Ce référentiel va permettred’avoir une référence pour toute dis-cussion concernant le travail ; desavoir précisément ce qu’il est néces-saire de mobiliser pour être efficacedans une fonction (les prérequis auposte) ; de repérer les compétences àdévelopper pour une personne sur leposte, et donc d’initier des stratégiesde formation.

En revanche, il formalise seule-ment « ce qu’il est nécessaire demobiliser pour… »,et n’est donc passuffisant pour approcher la compé-tence de la personne. Prenonsl’exemple édifiant de certains per-sonnels cadres C dans les biblio-thèques. Leur compétence ne peutêtre réduite à ce qu’ils doivent mobi-liser en situation de travail. Ils possè-dent souvent d’autres ressources nonexploitées. Cela nous amène à unedeuxième approche possible.

Élaborer des cartes de compétences individuelles

Si cette deuxième approche pré-sente le risque de la subjectivité,elle aun intérêt évident. Elle s’appuie sur la réalité du travail (réalisations, ini-tiatives),garantit la souplesse et l’évo-lution,et sera d’autant plus pertinentequ’elle pourra s’appuyer sur un tra-vail préalable de référentiel-fonction.La carte des compétences indivi-duelles est en phase avec l’évolutiondu professionnel. On voit bien toutl’intérêt (notamment en terme de

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4. Premier recensement des métiers desbibliothèques, rapport rédigé par Anne Kupiec,Paris, Université de Paris X-Mediadix, 1995.

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communication autour du travail),mais également les dérives possibles,faute d’observables incontestables.

Si la formalisation des compé-tences vise à favoriser la réflexion sur les possibilités de mobilité ou detransfert, il faut distinguer plusieurstypes de compétences. Par commo-dité et pour clarifier le propos, nousdistinguerons compétences spéci-fiques et compétences transversales,même si l’utilisation de ces termespourrait donner lieu à débat d’ex-perts.

Les compétences spécifiques. Lescompétences spécifiques renvoientaux savoir-faire et aux connaissancesspécifiques dans l’exercice de l’acti-vité.Elles ont un champ d’applicationrelativement réduit, souvent à undomaine professionnel clairementidentifié. Reprenons l’exemple ducatalogage.

Si le référentiel du professionneldu catalogage identifie les compé-tences suivantes – par exemple, dé-finir les règles de gestion ducatalogage, structurer et coder unedescription bibliographique,élaborerune politique de catalogage, vérifieret assurer la cohérence des accèsdans le catalogue –, on voit immédia-tement, quel que soit le niveau d’ex-pertise technique du professionnel,que cette formalisation délimite apriori un champ d’application et nenous indique en aucune façon les élé-ments mobilisables dans un autrecontexte.Dans l’exercice de ces com-pétences spécifiques, le profession-nel va également mobiliser d’autresressources que l’on peut appelertransversales.

Les compétences transversales.L’évolution des connaissances tech-niques amène à s’interroger de plusen plus sur l’importance de ces« métacompétences ». Elles renvoientà un certain nombre de savoir-fairemobilisés quotidiennement dans uneorganisation : communiquer, gérer,animer une équipe, concevoir etconduire des projets…

Il est illusoire de penser que cescompétences sont transférables sans

difficulté d’une situation profession-nelle à une autre. Comme nousl’avons vu, la compétence est tou-jours mobilisée dans un contexte etdans un jeu de contraintes.Cela étant,il paraît de plus en plus important de les formaliser, car elles vont per-mettre la négociation autour du chan-gement professionnel.

Le tableau 1 peut aider à mieuxcomprendre cette distinction et àstructurer notre investigation sur cescompétences transversales. Il s’agitbien ici d’un travail a posteriori unefois la démarche réalisée,qui se réfèreau travail d’une personne sur un pro-jet spécifique.

Si, à partir de cette situation ponc-tuelle, nous souhaitions élaborer un référentiel de la compétence« Conduire un projet en biblio-thèque », et donc extrapoler au-delà

de « l’ici et maintenant », nous pour-rions utiliser la matrice qui figuredans le tableau 2.D’autres paramètrespeuvent être utilisés dans ces référen-tiels.Il s’agit donc ici,à partir de l’ana-lyse d’une réalisation professionnelleindividuelle, de construire un docu-ment de référence utilisable pourtoutes les situations comparables.

À partir de cet exemple d’unecompétence transversale en biblio-thèque, on peut imaginer le travailqui pourrait être accompli dans lesannées qui viennent pour favorisercette prise en compte des compé-tences dans les organisations pu-bliques : la mise en œuvre dedispositifs d’analyse du travail et d’observations des réalisations pro-fessionnelles ; l’élaboration de ré-férentiels-fonction spécifiques aumonde des bibliothèques (à partir de

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Compétence « Conduire une démarche de projet en bibliothèque ».La mise en œuvre de cette compétence suppose la mobilisation desressources les plus adaptées. Cette compétence générale permettrala mise en œuvre d’actions.

Ressources Ensemble des savoirs, savoir-faire, savoir-être et stratégies que la per-sonne est susceptible de mobiliser. Ils ne deviendront compétencesque lorsqu’ils seront mobilisés dans une situation donnée. Cettesituation est singulière. Son niveau de complexité sera à préciser. Lesressources concernent l’aspect mobilisable.Par exemple :– maîtrise des méthodologies de projet : diagnostic, planification,suivi… ;– maîtrise des situations de communication complexes… ;– gestion des situations d’urgence ;– adaptation à des interlocuteurs multiples et d’origines diverses ;– et bien d’autres encore.On repère très vite que toutes ces ressources ne sont pas évaluablesdirectement. Elles ne peuvent qu’être inférées à partir d’élémentsobservables.Cette inférence est inductive, c’est-à-dire qu’il n’y a jamais de certi-tude. Elle a le mérite de se fonder sur des faits, ce qui limite son carac-tère hypothétique.

Éléments observables Résultats

Par exemple : projet réalisé ou projet réalisé dans les délais.Ces indicateurs concernent tous les éléments observables, chiffrables :délai d’attente, de transmission, nombre d’abonnés…Moyens mobilisésIls concernent la dimension stratégique du travail. Comment la personne s’y prend-elle pour être performante ?Ces indicateurs sont observables. Ils laissent des traces : document decommunication, documents de synthèse, constitution de groupes detravail, de comité de pilotage, mise en œuvre d’outils d’évaluation.Seuls, ils ne garantissent pas que les moyens mobilisés ont été perti-nents. Ils doivent être croisés aux indicateurs de résultats. Éléments de contexte Ils renvoient au niveau de complexité de la situation : taille de lastructure, budget disponible, nombre de personnes…Tous ces observables peuvent éventuellement permettre l’identifica-tion d’un niveau de maîtrise ou d’expertise.

Tableau 1. Compétence, ressources, éléments observables

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matrices d’observation telles quecelle présentée ci-dessus) ; l’introduc-tion d’entretiens annuels favorisant laprise en compte des réalisations pro-fessionnelles réelles et leur mémori-sation.

Car nous ne devons pas perdre devue que la formalisation de compé-tences répond à plusieurs préoccu-pations : rendre communicables lesinformations recueillies (ce qui sup-pose de réduire le nombre de mes-sages aux aspects essentiels et doncde faire des regroupements) ; servirde « mémoire » pour le professionnel ;travailler sur les observables des situa-tions de travail ; permettre une négo-ciation sociale au-delà de la situationsingulière dans laquelle la compé-tence est mobilisée (mobilité, valida-tion des acquis…).

Concrètement, le tableau présentéci-dessus peut servir de grille de re-cueil d’éléments observables pour

élaborer une carte des compétencesindividuelle.Elle aura d’autant plus desens et de valeur qu’elle pourra êtreréférée à un référentiel de compé-tence élaboré en amont.

Mais une des difficultés rencontréeaujourd’hui tient justement à l’éclate-ment des fonctions qui cadrent demoins en moins avec les référentielsélaborés a priori et qui croisent biensouvent deux ou trois fonctions.

Un certain nombre d’ambiguïtésdemeurent et on ne passe pas facile-ment d’une gestion administrativedes carrières (qui a ses avantages) àune gestion des compétences (qui ases dérives).

Ces quelques éléments-là mon-trent la difficulté à construire desréférentiels. Mais également la néces-sité sans doute de se doter de mé-thodologies permettant de rendrelisibles, donc communicables, les réa-lisations professionnelles.

C’est dans cet esprit qu’est pro-posé en encadré (page suivante) unexemple d’analyse de situations detravail qui permet de préciser desobservables, lesquels pourront servirensuite de points d’appui lors des dis-cussions dans l’organisation.

Que faire de ces observables ?

Les observables permettentd’échanger et de négocier autour dessituations de travail. À l’éternelleconfrontation entre « je fais très bienmon travail » et « il y a un certainnombre de choses qui ne vont pas »peut succéder un dialogue fondé surdes éléments moins subjectifs. C’estd’une importance cruciale danstoutes les situations où les savoirs encause sont de type relationnel.

Compétences et aménagementdes situations de travail peuvent êtredéveloppés. Se former ou changerune pratique professionnelle n’a desens que si on a conscience d’unmanque ou d’une difficulté, ou si onéprouve le désir d’évoluer. L’absencede performance peut avoir de mul-tiples causes. La clarification des élé-ments observables liés à l’activité detravail permet de mieux repérer cequi relève des compétences mobili-sées par l’agent, ou ce qui tient aucontexte organisationnel de travail.Les réponses peuvent être formativesou structurelles, centrées sur la per-sonne ou la situation de travail ou lesdeux.

Enfin, la trace de ces activités peutêtre formalisée. L’évolution de la for-mation et du travail, notamment ledéveloppement des dispositifs devalidation des acquis professionnels,va rendre indispensable la structura-tion de l’histoire professionnelle sousune forme communicable. Le travailévoqué ci-dessus peut constituer uneétape fructueuse (mais bien sûr trèsincomplète) pour aider le profession-nel à repérer, structurer et communi-quer sur son expérience. On peutmême penser que cette gestion de

Q u e l s i n d i c a t e u r s d e l a c o m p é t e n c e ?

COMPÉTENCE CRITÈRES

« Conduire un projet en bibliothèque » Complexité

Identifié souvent sur une échelle de 1 à 4. Ce niveau de com-plexité est évalué à partir d’éléments observables de différentesnatures : taille de la structure, nombre de personnes à gérer, dif-ficulté technique, budget, niveau de responsabilité, délais, inter-action relationnelle (avec qui ce travail est effectué…)…

ConnaissancesLes connaissances requises sont également positionnées entermes de niveau de maîtrise (souvent aussi sur une échelle de 1à 4). Les niveaux évoqués sont souvent :Niveau 1. Sensibilisation : « Je connais, j’ai entendu parler de… »Niveau 2. Pratique : « Je pratique, je sais faire… »Niveau 3. Maîtrise : « Je comprends et maîtrise suffisamment pourpouvoir expliquer et former. »Niveau 4. Expertise : « Je fais évoluer le savoir. »

Savoir-faire spécifiquesCe critère renvoie au niveau de maîtrise (que l’on peut lui aussipositionner sur une échelle), par exemple « Maîtrise des outilsd’évaluation de projet ».

Démarches intellectuelles utiliséesDans le ROME, on distingue les démarches d’application, detransposition et de création. Ce critère permet de positionner les rapports entre le profession-nel et les procédures de travail. A-t-il une latitude par rapport àces procédures ? Doit-il inventer des solutions ?Plus il est autonome dans les choix stratégiques, plus une partiede la réussite ou de l’échec pourra lui être attribuée.

Résultats attendusPar exemple : Projet réalisé ou projet réalisé dans les délais.Ces indicateurs concernent tous les éléments observables et chif-frables.

Tableau 2. Matrice pour l’élaboration d’un référentielde la compétence « Conduire un projet en bibliothèque »

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compétences n’a de sens que si lespersonnels y voient un intérêt àmoyen terme, et repèrent commentils peuvent l’utiliser à leurs propresfins, notamment dans une perspec-tive de mobilité professionnelle.

Perspectives

Les quelques illustrations qui pré-cèdent n’ont pas la prétention de servir de modèle. Elles cherchent seulement à mettre en forme desconcepts par nature multiformes.Elles prennent appui sur des travauxréalisés avec des équipes en biblio-thèque, étalés sur plusieurs mois etimpliquant des personnels de toutecatégorie. Sur ce champ, personnen’est aujourd’hui en mesure de pro-poser un modèle cohérent, utilisablepartout et incontestable. Noussommes donc encore à l’ère du « bri-colage », ce qui pourrait parfois nousinciter à l’immobilisme. Pourtant,l’enjeu est d’importance ; car,contrai-rement aux craintes souvent manifes-tées, le travail sur les indicateurs n’estpas l’élaboration de procédures stan-dardisées et contraignantes, formemodernisée du taylorisme, même si la lucidité nous amène à craindre certaines dérives. Développer etconstruire en équipe des outilsd’autocontrôle est une des réponsespossibles à ces inquiétudes légitimes.La clarification des moyens mobiliséset des effets observés est la garantied’un dialogue dans l’organisation etdu développement des initiativesindividuelles, condition de dévelop-pement des compétences et de lamotivation au travail.

Janvier 2001

O U T I L S

Exemples d’analyse de situation de travail

Dans l’exemple présenté ci-dessous, nous faisons l’hypothèse qu’un premier travailpréalable concernant la clarification des attentes par rapport à l’activité décrite a étéréalisé : procédures formalisées, identification pour chaque agent des comportementsprofessionnels attendus (élaborés lors du dialogue de la phase précédente et pasdécrétés par le/la responsable du service) lors de situations habituelles et lors de situa-tions exceptionnelles…

Compétence : Organiser des actions de formation pour les utilisateursQuels éléments observables ?

Réussite des actions • Les usagers se « débrouillent » seuls : ils utilisent les outils qui leur ont été présentés.

On peut préciser cet item à partir d’indicateurs plus précis et observables : fréquenced’utilisation des outils mis à disposition, nombre de questions au personnel sur cesujet…

• Les usagers se débrouillent mieux qu’avant : cet indicateur important (puisqu’il per-met d’identifier un écart avant/après) suppose une évaluation en amont et le recueild’informations de même niveau et selon les mêmes modalités après l’action de for-mation.

Ces indicateurs n’ont de sens que s’ils permettent d’ajuster l’intervention en fonctiondes éléments observés.Dans le cas de plusieurs actions de formation sur des sujets différents, on pourra éla-borer un tableau de bord précisant les observables recueillis pour chaque action.

Complexité de l’action : contexte de réalisationHétérogénéité des publics.Hétérogénéité des attentes.Taille du public.Conditions matérielles de réalisation de l’action.Comportement du public.Certains éléments, absents au départ, peuvent être recueillis en cours d’action (ques-tionnement systématique, questionnaire…).

Traces de l’actionRéalisation de documents de formation.Conception d’un déroulement pédagogique.Élaboration d’un dispositif d’évaluation et de suivi.

Reproductibilité de l’action : niveau de fréquenceIl est très différent de réaliser occasionnellement une action ou de la reproduire régu-lièrement. Plus on sera fréquemment confronté à une situation professionnelle com-plexe, plus on sera à même de mobiliser et d’adapter des ressources nouvelles etvariées.

Savoir-faire personnelFaire face à des situations imprévues.Communiquer clairement et précisément des messages.Être vigilant à la réceptivité du groupe.Modifier le déroulement prévu pour s’adapter aux attentes des participants.

Tous ces comportements professionnels nesont pas « standardisables » (heureuse-ment !). Cela étant, il est très important de les formaliser, car ils sont parfois lecœur même de la compétence. Bien sûr,on pourra structurer des interventions(documents, guides, procédures…). Mais ilfaudra que quelqu’un « les mette enmusique ». Et là, les singularités apparaî-tront produisant des effets différents.Simplement, nous nous intéresserons plutôt à ce que ces « manières de faire »permettent concrètement (effets obser-vés) plutôt qu’à leur caractère nécessaire-ment subjectif (quelqu’un d’autonome,quelqu’un « qui communique bien »),source de débats infinis et stériles sur lesreprésentations de chacun.Pour résumer, qu’est-ce qui nous permet-tra de dire que tel agent possède la compétence « Organiser des actions deformation pour le public » et éventuelle-ment à quel niveau de maîtrise ?

On voit bien que, dans l’exemple, sontcombinés :– des observables relatifs à l’organisationde la formation (sur lesquels l’agent n’apas tout pouvoir) ;– des indicateurs relatifs à la stratégie duprofessionnel (qui sont de son champ d’in-tervention).Ce travail sera d’autant plus pertinent quel’on pourra se référer à un documentpréalable analysant a priori ce qui estattendu du professionnel, l’analyse a pos-teriori permettant alors de comparer cequi est réalisé et ce qui était attendu. Maissurtout, on pourra répondre d’autant plusfacilement à la question que l’agent lui-même sera au clair sur ce sujet.Car on s’aperçoit en situation que le seulfait de formaliser des observables a desvertus en soi : développement de la vigi-lance sur certains points, autopositionne-ment et ajustement de l’action, analysedes points à améliorer tant au niveau dudispositif que des comportements, identi-fication des stratégies et des initiativespossibles.