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14 | Jeudi 24 octobre 2019 | Le Quotidien Jurassien

couvrent, se protègent. Parler à unjardinier municipal dans les rues deGenève, le questionner simplementsur le diamètre de son tuyau d’arro-sage, est chose impossible. Tous lesmétiers qui interviennent dans l’es-pace public sont interdits de parole.»

Le journaliste est aussi malmenépar le quidam, qui se sent la légitimi-té de le remplacer, sans ne rienconnaître du métier: «D’où vient laconcurrence aujourd’hui dans le mé-tier qui est le nôtre? Des reportersamateurs, des infos-lecteurs, de cesagenciers à la petite semaine qui vo-lent du réel jour et nuit, animent lesréseaux sociaux, finissent par êtrepubliés sur les sites des journaux»,regrette-t-il.

Après un livre documentaire pleinde justesse sur les violences conjuga-les, et une immersion chez les pom-piers, Thierry Mertenat confirmeson talent à parler du réel, de l’hu-main, de l’urgence, sur le support li-vre: «Ce livre est le récit à plusieursvoix d’un métier ordinaire qui s’in-vente au jour la nuit sans se renier,n’oubliant jamais d’ouvrir les guille-mets pour donner la parole aux au-tres.» Dehors est un manifeste, quirend ses lettres de noblesse à un mé-tier mis à mal, et à son inépuisablevivier, la condition humaine.

JULIE KUUNDERS

Thierry Mertenat, Dehors, Éd. Labor etFides, 228 pages

tion, la saisir et la comprendre?Comment crée-t-on le lien, laconfiance? Comment tisse-t-on unréseau? Que choisit-on de dire, ou aucontraire, de taire? Il explique sa dé-marche: «Ni voyeur ni intrusif dansl’approche: je ne mets jamais le pieddans la porte, mais quand elle s’ou-vre, j’ai de la peine à repartir.»

Localier menacéMais le dehors, on arrive à le pein-

dre avec des mots quand il est passépar le filtre du dedans. Le journalistedigère la réalité brute, et la recracheavec sa poésie du bitume. «(...) le de-hors l’oblige à courir et pédaler, lededans à se poser et rédiger.» Ilconsigne ces moments où la vie dé-borde dans son quotidien, auquel ilest indéfectiblement attaché. Sa «Ju-lie», petit nom officiel donné à sonjournal, La Tribune de Genève.

Son journal il le chérit, il le défend,tout comme sa profession, mise àmal par des fonctionnaires trop zé-lés. Interrogé à ce sujet, qui est à plu-sieurs reprises exemplifié dans sonlivre, il commente: «La judiciarisa-tion de la société éloigne, par défini-tion, les journalistes de l’actualitéquotidienne, quand cette même ac-tualité concerne le fait divers, l’acci-dentel, bref l’imprévisible. Il est deplus en plus difficile d’obtenir uneinformation simple et vérifiée. Lesintermédiaires se multiplient, se

Les pieds battent le pavé,les mains occupées par le calepin� JOURNAL Du haut vers le bas: le journaliste Thierry Mertenat a délaissé les pièces de théâtre pour les scènesde rue. Dans son dernier ouvrage, «Dehors», il a consigné tout ce qui fait son quotidien, et qui anime sa plume.Une routine de rudesse, qu’il retranscrit avec tendresse, cultivant «ignorance, incrédulité et candeur»

Après un livre documentaire plein de justesse sur les violences conjugales et une immersionchez les pompiers, Thierry Mertenat confirme son talent à parler du réel, de l’humain,de l’urgence. PHOTO MAGALI GIRARDIN

«L e malheur des gens est aubout de la rue. C’est lemoment de sortir sa cartede presse: «Racontez-

moi...» Thierry Mertenat est de cesjournalistes à l’ancienne, de ceux quine comptent pas leurs heures. Arpen-tant les rues de Genève à vélo, jour etnuit, il est là, il écoute, il recueille. Pre-mière oreille attentive, celle dans la-quelle on dépose ses bobos. Le journa-liste ne choisit aucun camp, mais n’estpas pour autant arbitre. Plutôt témoin.Passeur de parole. Spectateur du théâ-tre de la vie, qui souvent, choisit la ruepour décor. Le dehors.

Thierry Mertenat, Jurassien à Genè-ve, se retrouve localier d’une façon iné-dite, délaissant la rubrique culturelle,rubrique dite «noble» pour la rubrique«caniveau». Il se prend de passionpour les petites gens, comme pour lesgros filous. Les clochards, et les pyro-manes. Les portés disparus et les hom-mes de loi. La foule, et la solitude. Letravail du journaliste est alors de met-tre un coup de projecteur sur ces say-nètes de la vie, qui se jouent sans fardni paillettes. Il est motivé par l’envie decomprendre, de saisir le tissu humain,de mettre des mots sur, parfois, deschoses indicibles. Le viol ou les violen-ces commises sur des personnesâgées, par exemple. Dans Dehors,Thierry Mertenat raconte ce qui se pas-se en marge des faits divers. Commentappréhender un moment, une situa-

� BANDE DESSINÉE

«Les 5 terres», un «Game of Thrones» animalier réussides séries comme Arthur ouWollodrin, dans lesquelleséclatait déjà tout son talentpour reconstituer des universmédiévaux fantastiques. Ici,aidé du coloriste DimitrisMartinos et de l’encreur Lu-cyd, il donne magnifiquementvie à l’univers et aux personna-ges développés à Lewelyn,donnant aux animaux anthro-pomorphes qui peuplent lescinq terres une palette d’ex-pressions très large. Les dé-cors et les vêtements sont trèsdétaillés. Bref, c’est un plaisirpour les yeux. Lewelyn et Lere-culey prévoient de sortir un al-bum tous les quatre mois afinde boucler chaque cycle endeux ans. Il faut espérer quecette cadence soutenue ne pré-téritera pas la qualité des al-bums à venir, car ce premiertome augure une saga qui de-vrait contenter, tant au plangraphique qu’au plan scéna-ristique, les amateurs les plusexigeants de médiéval fantasti-que. FLORIAN GERBER

Lewelyn/Jérôme Lereculey, Les5 terres t1 – De toutes mes forces,Éd. Delcourt, 56 pages.

deux jeunes auteurs, Andorysset Patrick Wong. Le travail dece triumvirat donne une sortede Game of Thrones animalierfranchement réussi, avec sesintrigues de cour, ses trahi-sons, ses secrets et ses règle-ments dans le sang. Les cinqroyaumes promettent unegrande diversité de cultures enlien avec les animaux qui lespeuplent. Ainsi, Angleon, leroyaume au centre du premiercycle, est la terre des grandsfauves, tigres, lions et autreslynx, hautains et centrés surun honneur boursouflé.Quant aux quatre autresroyaumes, encore à découvrir,ils sont peuplés respective-ment de cerfs, d’ours, de lé-zards et de singes. Le rythmeest sans temps mort, les per-sonnages, nombreux, sontbien introduits de manière àéviter de noyer le lecteur soustrop d’informations et laconclusion, surprenante etchoquante, joue parfaitementson objectif: donner envie delire la suite.

Au dessin, on retrouve Jérô-me Lereculey, qui a déjà colla-boré avec David Chauvel sur

son père, quitte à devoir épou-ser le prince Khalden d’Arnorpour arriver à ses fins. De soncôté, la princesse Astrelia dé-couvre avec effroi qu’elle estenceinte de son amant, un gar-de issu de la plèbe, signant làun acte déshonorant synony-me de mort. Pendant cetemps, le jeune This Delliana,tout juste arrivé dans la capita-le, fait tout son possible pour

intégrer la garde royale.Attention, saga fleuve

à l’horizon. Les 5 terres,c’est cinq cycles de sixalbums prévus, rienque ça. Mais le pre-mier tome est-il à lahauteur de ces ambi-tions? D’abord, pre-mière découverte, lenom du scénariste Le-welyn cache en faittrois scénaristes dif-férents qui confron-tent leurs avis: l’ini-tiateur du projet, Da-vid Chauvel, direc-teur de collectionchez Delcourt qui asigné plusieurs ré-cits de cape etd’épée, ainsi que

L e roi d’Angleon CyrusMagneon est mou-rant. N’ayant pas defils, il compte léguer

le trône à son neveu Hirus, unva-t-en-guerre ambitieux et va-niteux. Craignant que son cou-sin ne déclenche un conflitdestructeur pour Angleon, laprincesse Mileria ourdit dansl’ombre pour essayer d’obtenirle soutien du Conseil et accé-der ainsi au trône de

� SORTIE DE PRESSE

Viols et meurtresau pied de l’antenne

C’ est sous le signe de l’embléma-tique antenne de Chasseralque Jean-François Jobin a pla-cé son histoire. Chasseral Love,

le premier roman de ce professeur natif de lavallée de Tavannes, est construit autour dumeurtre de la jeune Nora. Un matin, DanielGlauser, professeur à l’école secondaire deTavannes, retrouve le corps de l’adolescentedans un champ de maïs. Cette macabre rencontre va précipi-ter l’homme de sciences dans une spirale de suspicion et de so-litude. Son quotidien s’effondre: «À cette heure-ci, il aurait dû setrouver devant sa classe préférée, celle des petits, vifs et curieux,si attentifs. (…) Il n’osait imaginer ce que leurs parents leuravaient raconté. À supposer que Marianne l’appelle tout à l’heu-re pour l’inviter à reprendre son enseignement, combien detemps faudrait-il pour que revienne la vie d’avant, la vie norma-le?» Il va falloir tout un roman, tout un processus, pour que Da-niel retrouve une stabilité. Il passera par la case prison, la casesolitude, la case remise en question, autant de réflexions dérou-lées avec en trame de fond une intrigue bien ficelée: Qui étaitvraiment Nora? Que faisait-elle dans ce champ cette nuit-là?Comment la police mène-t-elle son enquête? On retrouve dansChasseral Love les particularités de cette région du Jura Sud, sestraditions et son histoire. Jean-François Jobin parvient à dérou-ler un polar efficace, avec des protagonistes convaincants. On selaisse porter par une écriture sobre et maîtrisée, jusque dans unfinal peut-être un poil trop rocambolesque. Même si le récit setermine à la James Bond, Chasseral Love reste un premier polarrégionaliste, qui a été mûri et mérite qu’on y jette un œil. JK

Jean-François Jobin, Chasseral Love, Éd. Mon village, 334 pages.