Post on 24-Nov-2015
1Lieux et noms de la vritConfrence prononce le 30 septembre 1986 au Boston Colloquium for the Philosophy of Science,
reprise le 21 mars 1987 la journe de travail sur La Vrit au Collge international de
philosophie (Paris). Premire publication dans le volume homonyme : Lieux et noms de la vrit,
Editions de lAube, La Tour dAigue 1994 (puis).
est Veritas (Herbert de Cherbury)
Lidologie est le lieu de la vrit. Entendons qu la question : Quest-ce que lidologie ? la
seule rponse possible est : ce lieu que constitue la vrit ds lors quelle se manifeste en personne.
Il ne sagit donc pas tant de localiser la vrit dans un espace prexistant que de dcrire la scne qui
se dploie partir de sa prsence.
Localiser la vrit est, lvidence, une opration dialectique. Les antinomies surgissent demble,
ce qui na rien dtonnant si nous admettons que la reprsentation de la place renvoie aux contraires
qui drivent eux-mmes du concept philosophique de la vrit : totalit et singularit, immanence et
transcendance. Il est aussi difficile de se reprsenter que la vrit est partout en son lieu et quelle y
occupe une place dtermine, de se reprsenter quelle lui est intrieure et quelle lui est extrieure.
Pourtant il est possible de dire que, la vrit tant l, un lieu se trouve constitu. Il est mme
possible de dire que cest seulement par la prsence de la vrit quun lieu est constitu : cest--
dire des rgions et des places, pensables dans leur diffrence, dans le minimum de dtermination
qui les distingue dun point ou dun chaos.
Que ce lieu soit lidologie, cest ce que la philosophie platonicienne avait demble reconnu - et c
est a cette nonciation que nous devons la dtermination aujourdhui encore platonicienne des
discussions sur lidologie. Le concept de lidologie doit osciller entre la rptition du platonisme,
lidentification de la vrit avec la prsence des ides dans llment du logos, et le renversement
du platonisme, laffirmation que cet lment nest quun thtre dombres, que la vrit se dtruit en
se prsentant comme ide, ou systme dides. Il est patent que lusage polmique du terme
didologie pour dnoter la mystification dun discours qui ne fait que donner lapparence de ltre
ou de la vrit des ides - ce quon pourrait appeler la conception bonapartiste de lidologie,
puisque Napolon est le premier, dit-on, avoir ainsi retourn la prtention des Idologues
prsuppose une description platonicienne du monde des ides, de son autonomie ou de son auto-
fondation. Et le fait que Marx, dans une partie de son usage du terme, ait repris son compte cette
polmique - mais pour remonter la premire critique raliste du platonisme : celle dAristote
accusant Platon davoir spar, sous le nom dides, ce qui dans le rel est insparable de la matire
- ne fait que confirmer cette constatation.
Que lidologie soit, selon un jeu de mots qui fait corps avec toute la philosophie moderne,
positivement le topos eidn ou ngativement le topos eidln (le lieu des ides ou le lieu des
simulacres), elle dsigne ncessairement la scne du sens. Et nous ne pouvons pas ne pas remonter
dabord cette oscillation initiale. En dautres termes nous ne pouvons pas affecter dune valeur
positive ou ngative lquation : idologie = lieu de la vrit, sans lexposer dabord pour elle-
mme. Cest, si lon veut, le premier moment dune phnomnologie du mouvement de
manifestation de la vrit, dans lequel elle se fait reconnatre : mais partir de son nom, et non pas
de la vise dune conscience.
2Le lieu du discours et le primat du nom
Ce lieu qui se constitue partir de la vrit, comme lespace de sa propre manifestation, est-il donc
le discours ? Est-ce un lieu discursif ? On peut le soutenir, cest--dire quon peut prendre au
srieux la mtaphore qui dcrit la discursivit, lenchanement des noncs ou plutt des phrases
comme constituant un espace , dans lequel chaque nonc a sa place, voire dans lequel chaque
chose, fait ou vnement, a sa place exactement reprsente (mesure) par la place dun nonc.
Cest par exemple ce que fait Wittgenstein dans le Tractatus en recherchant les conditions
(extrmement restrictives) sous lesquelles une telle identification de lespace de la vrit un
espace discursif ( logique ) peut tre soutenue. Dans ce cas privilgi on voit bien quil faut aussi
donner de la vrit un concept extrmement paradoxal, du moins au regard de la totalit de ses
usages (Wittgenstein dira plus tard quil faut privilgier un jeu de langage dtermin, tout en le
dniant comme jeu de langage, ce qui se traduit par le fait que la forme de vie qui linstitue, qui
donne sens ses rgles, devient limpensable, le mystique ).
Le concept de la vrit auquel conduit lidentification pure et simple du lieu de la vrit un lieu
discursif est cependant remarquable en ceci quil distribue la vrit sur une multiplicit infinie
dnoncs, qui ont tous exactement autant de titres reprsenter le vrai . Cest donc une variante
particulire (ou un fondement possible) pour ce que jappellerai plus loin la conception
dmocratique de la vrit.
Il ne fait pas de doute que, en lespace de quelques lignes, nous avons ainsi brutalement oscill dun
extrme lautre. Dans lidologie de Platon lexigence dun principe est constitutive, et ce principe
inconditionn ( anhypothtique ) est par excellence le vrai - mme sil ne peut tre seulement
nomm ainsi, sil ne peut pas tre en dernire instance rien que le vrai, pour des raisons auxquelles
je vais revenir. Et dans le renversement du platonisme, qui dsigne comme idologie lapparence du
vrai, cette exigence est conserve : on peut mme penser que cest partir de la critique du
principe , de la fonction hirarchique quil remplit par rapport toutes les essences, de linstance
de pouvoir quil reprsente ainsi dans llment du savoir, que sengage le renversement de
lidologie. Au contraire dans lespace logique de Wittgenstein, il ny a aucune hirarchie, aucun
principe : tous les noncs qui sont le vrai (et il y en a une infinit) sont sur un pied de stricte
galit, la fois indpendants les uns des autres et rflchissant dans leur construction les
conditions de leur vrit. Or cet espace logique est aussi sa faon une description de lidologie :
cest mme une extraordinaire tentative pour manifester la clture du monde de lidologie en tant
que lieu de la vrit, partir du prsuppos que les lments libres et gaux qui le
constituent sont tous homognes (ayant en commun la forme gnrale. de la proposition ), et
absolument univoques ( tableaux des vnements ou tats chaque fois singuliers dont la
dispersion constitue le monde ), Nous devrons nous demander, dune part si cette variante est la
seule possible (sil y a dautres dmocratismes de la vrit dans lhistoire de la philosophie) ; cl
autre part, si loscillation qui vient de nous apparatre (dune organisation hirarchique une
organisation galitaire du lieu de la vrit) est une alternative incontournable, comment elle se
constitue.
Il semble alors que nous pourrions renoncer identifier le lieu de la vrit avec llment du
discours, et mme que nous aurions d commencer par l : par poser que ce lieu ne peut pas tre
rduit un espace discursif, du moins en tant que le discours est un enchanement dnoncs, un
agencement de phrases. Cest ce que lentreprise extrmiste de Wittgenstein finit, semble-t-il, par
avouer, puisquelle tend exhiber une limite de lnonable, tout en affirmant que cette limite ne
saurait tre elle-mme nonce. Elle ne peut que se faire voir . En ralit il y a deux choses qui
se font voir dans la conception du Tractatus : lespace logique lui-mme (le lieu de la vrit), et
la limitation de cet espace. Donc ce qui se fait voir (sans s noncer) est la diffrence intrieure
de lespace logique et de son extrieur, de lnonable et du non nonable, du lieu et du non-lieu
3de la vrit. Cette diffrence intrieure est comme la trace dans la conception wittgensteinienne de
ce qui appartient en fait, dans toute la tradition philosophique, la question de la vrit : quelle
doive tenir ensemble lidentit de la vrit au discours et la non-rductibilit de la vrit aux
lments du discours ( signes , phrases ou noncs ). Il nest pas tonnant que, en ce point-
limite, sengouffrent nouveau, chez les lecteurs du Tractatus, les questions philosophiques
traditionnelles : la question du sujet et la question de lobjet, la question de savoir qui pense les
penses que constituent les propositions, et la question de savoir si les vnements partir
desquels sont forms les objets prsents dans les propositions existent ou non en soi .
En ralit le lieu de la vrit, tel que la constitu la philosophie, na pas la structure dune
discursivit homogne, mais celle dun monde, dans lequel doivent figurer la fois des tres de
langage et des tres non linguistiques : soit des objets dsigns par le langage et qui ne se rduisent
pas lui, soit des sujets qui mettent, produisent les tres de langage ; soit lun et lautre, Sil y a de
la vrit dans et par le langage, cest quil y a quivocit de ltre par rapport au langage : cest que
ltre du langage est non tre, flatus vocis, confront aux objets dont il parle, ou aux sujets qui le
parlent. La question de la vrit en son propre lieu ne peut alors que se dplacer vers lorigine, vers
le sens de ces distinctions : en gnral vers la rflexion sur la diffrence de ltre en tant que
langage (ou mot ) et de ltre en tant que chose , autre du langage.
Mais inversement il est tout fait impossible dliminer le caractre discursif de la vrit. Ou plutt
il nest possible de lliminer que sous la forme dune injonction antinomique, qui prescrit
lintrieur mme dun discours, en vertu dune certaine stratgie discursive, de se porter par la
pense, par le dialogue, ou par laction aux limites hypothtiques du langage, pour en sortir .
Mais le point de cette sortie devra toujours encore tre nomm. Cest mme, si nous acceptons de
prendre sur toutes les stratgies philosophiques deffectuation de la vrit un point de vue aussi
cavalier, dans la seule efficacit de ce nom que rsidera toujours la possibilit de prsenter une
sortie de la pure discursivit du langage comme le moment de la vrit : quon lappelle
intuition , contemplation , exprimentation , pratique ...
Nous souponnons alors que les choses se droulent en fait dans lordre inverse. Les stratgies
philosophiques constituent des trajectoires, plus ou moins sinueuses, pour dcouvrir que ce qui a
t nomm vrit ou, corrlativement, ce que nomme la vrit peut tre prsent comme le point o
le discours saccomplit, qui est le point o il sannule, sortant de lui-mme pour rejoindre son
autre (le rel, lintuition, le sens), mais aussi bien retourne ce dont il sort (le sujet parlant, ou
lobjet partir duquel il y a du discours qui forme un univers , et qui cependant nest pas tout,
nest pas le monde ).
Cest pourquoi la question de la vrit doit tre, avant toute chose, reconduite celle du nom de la
vrit, et de la vrit comme nom. Non pas : pourquoi la vrit est-elle nomme ?, car cest un fait
quelle lest dj au moment mme o nous en parlons, mais : comment est-elle nomme ?
Comment fonctionne sa dnomination ? Question tout fait pragmatique, dont nous pouvons
esprer apprendre quelque chose sur la vrit, et par consquent sur lidologie, mme sil sagit de
lexhibition dune antinomie.
Auto-rfrence
Une des vidences les plus incontournables du discours philosophique est le caractre
autorfrentiel de la vrit. Je ne sache pas de philosophie, empiriste ou dogmatique, relativiste ou
essentialiste, matrialiste ou idaliste, qui soit en dsaccord sur ce point : que cette reconnaissance
procde dune immdiate constatation ou quelle suppose une longue argumentation, et quelles que
soient les consquences quon en tire. La dfinition heideggrienne de la vrit (car cen est une
au moins formellement) comme louverture de lEtre, la fois voilante et dvoilante, donc
antinomique (dont on peut remarquer la dmarcation par Althusser titre de dfinition de
4lidologie en termes de reconnaissance et mconnaissance, ou dallusion/illusion) fait-elle
exception cette rgle ? Il me semble que non, car le fait de montrer que, sous le nom de la vrit,
ne peut jamais tre pens que lautre de la vrit, est simplement une faon dattribuer en propre
la vrit cette essence de diffrer indfiniment delle-mme (quon peut aussi appeler libert ). Et
seul le nom (ou lun des noms) de la vrit peut noncer cette thse (de mme que la mise en
question de la possibilit de dfinir la vrit prend ici ncessairement la forme : lessence de la
vrit est une nonessence , elle ne possde aucun des caractres logiques de lessence).
Plus gnralement il semble que toute nouvelle dfinition constitue dabord, dans lhistoire de la
philosophie, un moyen de restituer la transcendantale clart dont parlait Descartes [1] : rtablir
une autorfrence qui stait obscurcie dans les mots qui la commentent, abolir un mtalangage
illusoire dans lequel le nom de la vrit, pour tre compris et utilis, devrait dpendre dune
succession doprations pralables dans lesquelles il ne serait pas encore prsuppos. On peut faire
lhypothse que cet accord unanime (au-del duquel sans doute, et invitablement, toutes les
philosophies divergent : cest--dire quelles divergent en raison mme de cet accord) traduit bien
quelque chose dirrcusable : sinon une essence, en tout cas un mode dexistence, ou de prsence.
Plus prcisment le mode de prsentation de la vrit dans son nom. Une expression (tronque) de
Spinoza nonce cette vidence, que tous les philosophes pourraient reprendre leur compte : verum
index sui. Je propose de la prendre ici la lettre : la vrit, en tant que telle, na pas dautre
dsignation quelle-mme. Mais ceci veut dire plusieurs choses.
Premirement, on ne peut faire lconomie du nom de la vrit. Tmoin Tarski : dans son article de
1944 (The semantic conception of truth and the foundations of semantics ) [2], il ridiculise les
prtentions des philosophes qui ont object sa dfinition constructive du prdicat vrai dans les
langages formaliss quelle ne saisissait pas lessence de la vrit . Dclarant navoir jamais
compris ce que peut bien signifier le mot dessence (ce qui veut dire aussi rcusant a priori, pour
des raisons opposes celles de Heidegger, lide que le vrai soit de lordre de lessence, que
essence soit lun des noms de la vrit), il pose que dans son usage logique le mot vrai
( true ) pourrait parfaitement tre remplac par nimporte quel autre, par exemple frai
( grue ) pour peu quun Congrs mondial de logique le dcide lunanimit. Mais il ne le
propose pas lui-mme, pour la bonne raison quil sagit pour lui dexpliciter les conditions dans
lesquelles, dans un langage donn, il est possible daffirmer un nonc, ce qui renvoie explicitement
une tradition remontant au moins Aristote. Or, dans cette tradition, le sens mme des oprations
daffirmation et de ngation renvoie lalternative du vrai et du faux, donc une certaine faon de
comprendre le nom de la vrit, ou plus exacte-ment dutiliser le nom de la vrit. Aprs avoir
chang le mot vrai il faudrait aussi changer le mot affirmer , puis le mot proposition (ou
jugement), et ainsi de suite linfini. La proposition de se passer du nom de la vrit reviendrait
donc la proposition de permuter ou de suppler toutes les significations du langage ... bien quen
restant dans llment du langage (la convention unanime du Congrs mondial). Cest une faon
comme une autre de pointer lantinomie intrinsque de la notion de mtalangage, entendue dans un
sens absolu. Mais cest aussi, ironiquement, une faon davouer que, si on ne sait pas ce que peut
bien vouloir dire essence , on a besoin dun concept assez peu diffrent, prcisment celui de
mtalangage en gnral (ou de diffrence entre un langage-objet et un mtalangage), qui a
toutes les chances de reprsenter un autre nom de la vrit, en tant quelle nest pas soumise des
conditions logiques dtermines, mais quelle en commande lnonc. De mme que, selon le
Coran, il ny a de dieu que Dieu, il ny a de vrai que le Vrai.
Deuximement, cela veut dire quon ne peut rien ajouter au nom de la vrit pour la dsigner, part
des discours pour lexpliquer, lappliquer, la faire reconnatre, lui fixer des conditions, etc., cest--
dire des dveloppements du concept de la vrit dont la justesse, ladquation est toujours
suspendue la rptition. du nom de la vrit dans lenchanement des noncs qui font de ce
concept celui de la vrit (et non dune essence ou signification quelconque). Tout ce quon peut
5faire, cest ventuellement renverser intgralement la situation et daffirmer que tout le discours
nest fait que de noms du vrai, cest--dire que la vrit est lquivalent gnral de tous les noms du
discours qui sont vraiment des noms. Cette ide hardie et paradoxale est apparue quelques
philosophes. Nous lavons vue se profiler chez le Wittgenstein du Tractatus que je citais plus haut,
mais on pourrait donner dautres exemples, commencer par ltonnante dcision de Frege (dans
Sinn und Bedeutung) [3] de considrer la valeur de vrit comme la rfrence ou dnotation
identique de toutes les propositions. Et surtout on devrait remonter un philosophe comme
Spinoza : dans sa formulation complte (veritas norma sui et falsi) [4] la prsenta-tion quil donne
du caractre autorfrentiel de la vrit rsulte immdiatement du fait quil ny a pas dautre lieu
de la vrit que la connexion linfini, sans origine ni fin, donc sans hirarchie des noms, de
toutes les ides qui, en tant que telles, sont le vrai (et. comme on sait, pour Spinoza, toute ide pour
ce qui est de sa ralit ou positivit est en elle-mme vraie). Nous aurons nous demander plus
tard quelle alternative critique cette prsentation inverse ouvre par rapport la tradition dominante
dans le discours de la vrit. Mais pour linstant elle ne change rien, bien au contraire, au fait que la
vrit se dsigne elle-mme, et ne peut sexpliciter quen se rptant. Je lexprime en disant que la
vrit est un signifiant tout fait singulier en ceci quelle est son propre nom. Mieux : elle est le
nom de ce qui est son propre nom. Donc, en dernire analyse, un nom qui ne signifie pas mais
se montre ou sexhibe.
Autonymie, anonymat, diffrence
En adoptant cette formulation je ne pense pas tant soulever la question : quest-ce quun nom
propre, en gnral ? que celle-ci : peut-on, sans dboucher sur des absurdits, dire dun nom propre
quil se dsigne lui-mme ? Cette question fait penser aux paradoxes smantiques qui, depuis
lantiquit, renvoient la question de la vrit du scepticisme la logique et de la logique au
scepticisme. Ce qui na rien dtonnant, puisque ce sont des paradoxes de lautorfrence (on est
tent de dire : ce sont des paradoxes pour qui trouve que lautorfrence est paradoxale). Mais pour
linstant nous navons pas affaire aux problmes de consistance ou dinconsistance du discours dans
lequel figure le nom de la vrit, nous avons simplement affaire ce qui fait la singularit de ce
nom.
De mme, je laisse en suspens la question de savoir si la possibilit de penser la vrit comme ce
qui se nomme soi-mme implique la notion dun sujet . La personnification de la vrit, en tant
quelle nonce son propre nom et que son nom est le sien, dans un redoublement indfini (par
exemple dans la prosopope que Nietzsche voque ironiquement : Moi Platon je suis la
vrit [5], ou dans celle que sautorise Lacan, de faon nettement plus ambivalente : Moi la
vrit je parle ) [6] est une faon dexpliciter lautorfrence. Avant den conclure que nous avons
ici. affaire au sujet, sur le modle du Dieu qui profre Je suis celui qui suis , il faudrait se
demander si la rflexivit formellement implique dans ce redoublement de lautorfrence ne peut
tre pense que sous la catgorie de sujet. Et si, dans ce redoublement, ce qui se rvle nest pas la
simple quivalence entre une autonymie et une anonymie radicale (puisque je est nimporte qui,
de mme que je suis est nimporte quelle existence, je pense nimporte quelle pense). Ds
lors ce qui est soi-mme son propre nom peut aussi apparatre comme le sans-nom, linnommable.
Possibilit exploite, on le sait, par la tradition mystique.
Enfin il serait indispensable de se demander sil nexiste pas, non seulement des discours ou des
langues, mais des formations idologiques , cest--dire des univers de discours autonomiss par
lhistoire, par linstitution, par des rgles de gnration discursive, ou par lobjet de leurs noncs,
dans lesquels ne figureraient pas les noms de vrit et de vrai. Je pense que non et, circulairement,
que des formations idologiques (quelles relvent de la religion, du droit, de la morale, de la
politique, de la science, de lconomie, de lart, etc.) sautonomisent, sindividualisent prcisment
6par la faon dont elles entourent le nom de la vrit, cest--dire lassocient dautres par des
relations de dtermination et dquivalence. On pourrait dire ici, dans la terminologie de Derrida :
par la faon dont elles diffrent le nom de la vrit, cest--dire la fois dont elles le diffrencient
ou le divisent, et dont elles retardent son entre en scne, par diffrents dtours , qui font
intervenir autant de substituts .
Toutes ces questions renvoient un paradoxe trs simple, mais qui ne laisse pas dtre troublant, et
que nous devons lui-mme dvelopper. La vrit est son propre nom (propre), et-en-ce sens elle
devrait se suffire entirement elle-mme, s puiser dans la prsence de son nom (puisquon ne
peut ni le supprimer ni lui ajouter quoi que ce soit). Pourtant il y a toujours dautres noms de la
vrit, supplmentaires ou surnumraires, et mme un trs grand nombre (sinon une infinit, comme
dans la solution dmocratique que jvoquais linstant, o tout nom propre est un nom du vrai).
Cela veut dire que lautonymie de la vrit est la lettre intenable. Comme si, de ne se rfrer qu
elle-mme, la vrit ne se rfrait rien , aucun sens (non seulement aucun objet de
pense ou d exprience, mais aucun effet de sens pour celui, quel quil soit, qui a affaire ce
nom), moins de se ddoubler contradictoirement en elle-mme et un autre nom qui cependant ne
fait toujours que nommer la mme chose . Et cet autre nom ne saurait, lui-mme, tre unique.
Lunit de la vrit comme nom est immdiatement engage dans un processus de division en deux
et plus, ou de mtaphorisation infinie. [7]
Il y a dabord ce fait que demble le nom de la vrit vacille entre le substantif et ladjectif (la
vrit et le vrai), entre le singulier et le pluriel (la vrit et les vrits). Bien entendu cest la mme
chose. Pourtant ce sont deux choses diffrentes, et la rcurrence du dbat sur lessentialisme et le
nominalisme est l pour le montrer. Au dpart de ce dbat, il y a tout simplement cette contrainte
que le nom unique doit se diffrencier en sujet et prdicat. Et mme une philosophie qui pose que le
vrai nest pas un prdicat ne peut le faire quen faisant violence cette vidence linguistique que la
vrit se manifeste dans lnonc que quelque chose est vrai ou est le vrai , et
quinversement, dire du vrai quil est vrai cest dire la vrit : pour exclure le vrai du champ des
prdicats possibles, il faut donc dlimiter formellement celui-ci en dfinissant ce quest un prdicat
par des rgles qui identifient la vrit avec la prdication comme telle (exactement de la mme
faon que Kant exclut lexistence du champ des prdicats en faisant quivaloir le jugement effectif,
quil appelle synthtique , avec la position de lexistence possible - laquelle devient, de ce fait
mme, un nom philosophique de la vrit).
Leffacement de la ngation
Mais il y a une autre scission plus intressante. La formule spinoziste peut continuer nous servir
de guide : verum index sui et falsi. Le nom de la vrit, cest bien connu, ne sutilise quen
opposition (et plus prcisment, en opposition binaire ). Cest pourquoi elle a partie lie,
demble, au jugement, au critre. Tant que vrit se prsentait seulement comme un nom
propre autonyme, celui-ci navait aucune valeur diacritique, et de ce fait la plnitude de son tre-l
immdiatement donn correspondait au vide de sens absolu. Pour que la vrit commence se
remplir de sens, il faut quelle soit investie dans le jugement, laffirmation et la ngation. Il faut
donc que le nom de vrit commence signifier deux choses la fois : dune part cette vrit qui
nest quelle-mme, toute nue, et dautre part cette vrit qui est diffrence delle-mme et de son
contraire. Cest seulement avec cette opposition que, de pur signifiant qui ne signifie rien, le nom de
vrit commence acqurir du sens.
Intressons-nous ici non pas la ngation comme opration, mais lquivocit, lirrductible
pluralit de cette ngation. La ngation ne devient une opration dtermine qu la condition de
mettre entre parenthses ou de refouler cette quivocit, de slectionner un des sens de la non-
vrit pour lopposer au vrai (cest pourquoi le principe de contradiction na pu tre nonc
7comme tel qu la condition de sparer un plan de lnonc de tous les plans d nonciation
possibles sauf un, celui qui pose que les noncs disent ltre, attribuent aux choses leurs proprits
naturelles, et le cas chant artificielles). En effet la non-vrit sentend en plusieurs sens : il y a le
faux, mais il y a lerreur, loubli et linfidlit, le mensonge, il y a la fiction, il y a lillusoire ou
lapparence, et chacun de ces opposs du vrai a quelque chose dirrductible aux autres, non
seulement linguistiquement, mais en ce quil oblige choisir un sens pour la vrit. On dira peut-
tre que chacun deux a aussi son propre contraire : que vrit, vracit, authenticit, validit,
adquation, ralit, effectivit, etc., ne sont pas la mme chose. Mais cest prcisment ce que je
veux dire : ce que la ngation fait apparatre, cest que la vrit est contradictoirement une et
multiple, non pas au sens de la distribution du vrai sur des cas particuliers, des noncs, des objets,
en gnral des tants du mme genre, mais au sens de la division entre plusieurs domaines
dutilisation, plusieurs jeux de langage aux rgles incompatibles si on veut utiliser cette
terminologie. Cest lquivocit de la ngation, dans laquelle circule pourtant par analogie une
fonction de discrimination ou de rejet, qui constitue notre premire voie daccs lquivocit de la
vrit elle-mme, ralise dans la multiplicit de ses noms. [8]
Limportant est ici quon ne peut plus se contenter de discuter sur la vrit comme un nom qui
figure dans des noncs, on est oblig de prendre en considration des actes dnonciation, donc des
agents ou sujets, des rgles, des circonstances ou conditions dun usage correct, intelligible,
lexemple de ce que demande la tradition pragmatique (qui elle-mme nest pas unifie ). Nous
nous apercevons maintenant que lallusion lnonciation, avec son quivocit propre, tait dj
implique dans le fait initial : que lautorfrence soit tout simplement le caractre autonyme du
nom de la vrit. Ce fait ne peut tre reconnu (il ne se fait lui-mme reconnatre) que dans l acte
dnoncer une phrase du type le vrai cest le vrai , donc dans la rflexion nonciative de lnonc
(de mme que le nom je a pour seule dfinition possible je suis celui qui dit je , ce qui fournit
au moins lindice des raisons pour lesquelles toute une partie de la philosophie moderne sest
construite sur lidentit de la vrit et du sujet). Mais ce que nous venons de comprendre, cest
quune telle rflexion immdiate prsuppose toujours une ngation, dont elle demeure solidaire, et
le refoulement de cette ngation, et de son quivocit propre. La vrit snonce elle-mme en tant
quelle nonce implicitement son opposition la non-vrit, mais lopposition la non-vrit
demeure non-dite dans lnonc de la vrit. Si elle tait dite, il y aurait oscillation linfini,
rversibilit intgrale du vrai et du faux : on pourrait aussi bien dire falsum index sui et veri.
Lautonymie de la vrit est la fois la rduction une seule ngation de toutes les modalits
dnonciation qui posent la vrit du vrai (le vrai du vrai ) en opposition la non-vrit du
mensonge, de lerreur, de la fiction, et leffacement de cette opposition dans la ngation de la
ngation , cest--dire dans lauto-affirmation de la vrit, que signifie immdiatement
lnonc de son nom.
Inversement on doit se demander, nouveau, sil y a des discours, des jeux de langage, des
pratiques institutionnelles, qui ne seraient pas spcifis par une faon de nommer la vrit en
choisissant et refoulant son contraire. Et il me semble que ce nest pas le cas. En particulier il est
tout fait faux, en pratique, de dire que le discours de la science aurait le privilge de la rfrence
la vrit (tandis que dautres discours se rfreraient, pour leur compte, une autre norme que la
norme du vrai , une autre valeur que la valeur de vrit ), Le droit, la religion, la morale, la
politique, lart mme ne cessent dy avoir recours, mais autrement.
Cest plutt un certain discours sur la science (logique, philosophique) qui entreprend de dcider
qu elle seule a affaire au vrai, ou que seulement dans son domaine lopposition de la vrit et de la
non-vrit a un sens. Encore ce discours, quon peut considrer la fois comme une lgitimation de
la science (du point de vue de sa place dans un ensemble de pratiques sociales) et comme un
arraisonnement de toutes les pratiques et de tous les discours sous la norme suprme de la science
(cest--dire sous lidentification de la science au signifiant de la vrit) est-il tout fait rversible.
8Il se renverse dans lide que ce qui caractriserait en propre les sciences, par opposition toutes les
disciplines mtaphysiques , cest que le nom de la vrit ny a pas sa place, y est en quelque
sorte forclos, nappartenant qu un commentaire extrinsque, idologique , sur lenchanement
des noncs scientifiques, les oprations de la connaissance.
De mme le discours qui pose que la politique ou la morale nont pas affaire la vrit (mais
seulement la probabilit, ou lefficacit, ou la justice) se renverse-t-il en discours qui posent
que la vrit de la vrit, cest--dire la valeur minente ( architectonique ) dont elle reoit
finalement sa place, est la pratique, la vie, la libert, la justice.
Les matres-mots
Mais par l nous arrivons une nouvelle division intrieure lnonc du nom de la vrit, dans
laquelle ne cesseront pas doprer les deux mouvements que je viens dindiquer (oscillation du nom
de la vrit entre le substantif et ladjectif, ou le sujet et le prdicat ; ngation et refoulement de la
ngation), tout en engageant une dialectique beaucoup plus concrte, et aussi beaucoup plus
ambivalente.
Je lai anticipe plus haut en parlant de la multiplicit paradoxale des autres noms de la vrit.
Suivant quelques auteurs qui, chacun sa faon, ont dj rflchi sur le mme processus,
jappellerai ces autres noms les matres-mots. [9] Ici lnumration serait indfinie, bien que la
fonction soit reconnaissable et que, nouveau, il ne sagisse pas de dmontrer mais de montrer ce
qui, en un certain sens se fait voir soi-mme comme lquivalent de la vrit, cest--dire le nom
de la vrit comme autre.
Autre que quoi ? Autre que les choses, les objets, les tants, et autre que les sujets, les individus, les
interlocuteurs. Il y suffit parfois dune majuscule, marque de la vrit, trace muette , mais reprise
dans une paraphrase infinie de lautorfrence fondamentale (Derrida dirait : dans une
dissmination infinie de sa diffrance initiale, purement crite).
On a ainsi les transcendantaux traditionnels : lUn, le Bien, le Beau, lEtre, la Chose, etc., mais
aussi lInfini, lIdentit, la Ngation, la Finitude, la Diffrence.
On a Dieu et la Vie, lEternit, la Nature, lHistoire, lHomme, lEsprit, la Libert, la Science, la
Loi, la Justice, la Pratique, la Conscience, le Droit, lEtat, la Socit ; la Rvolution, lIndividu, le
Peuple, la Classe.
On a la Raison, la Critique, la Preuve, la Thorie, la Fiction.
On a la Terre (qui elle, ne ment pas ), la Race (Disraeli : All is race ; there is no other truth ).
On a le Sujet, le Pre, mais aussi la Femme. On a lArgent, la Valeur. Le March.
On a la Mort ( Matre absolu de vrit).
Toutes ces quivalences doivent tre matriellement attestes : pourtant leur nombre dfie
lnumration, et leur production est incessante. Dire que les matres-mots ordonnent la croyance
est simplement un plonasme : quest-ce que la croyance, sinon la reconnaissance de lefficacit des
matres-mots, de lidal ou de lidalit quils dsignent (ou dont ils dsignent labsence) ?
Que la fonction des matres-mots soit dtre invoqus en priv ou en public titre de garantie ou de
fondement pour la vracit, lauthenticit, la validit dun discours, d une pratique, dun genre de
vie, dune uvre (cest--dire comme principes de laffirmation des vrits, et comme critres de
distinction du vrai et du non-vrai) est aussi clair. De mme, quils soient suffisamment divers pour
couvrir toute exprience dans laquelle des objets, des circonstances, des vnements ont tre
reconnus pour ce quils sont, et pour ce quils valent, cest--dire recevoir un sens dtermin pour
des sujets qui, de ce fait mme, se reconnaissent mutuellement pour appartenir au mme monde ,
9 la mme humanit , la mme raison , la mme histoire ou, loccasion, pour ne pas y
appartenir, cest--dire pour se marquer rciproquement dexclusion). En dautres termes, les
matres-mots sont les mdiateurs invitables de lorganisation de lexprience par rapport au
discours dans lequel ils figurent eux-mmes, les mdiateurs du rapport des sujets aux objets ,
des objets entre eux et des sujets entre eux dans un seul nud de sens. [10] Mais ceci veut
dire quil ny aurait ni sujets ni objets dtermins, sur lesquels on puisse faire fond, quon puisse
compter et sur lesquels on puisse compter, quon puisse identifier comme choses, outils, uvres,
hommes et femmes, amis et ennemis, semblables et diffrents, si ne figuraient pas toujours en tiers
dans le discours et les institutions des matres-mots reconnus comme origines, fins, bref principes
(lui-mme un matre-mot).
Ce qui est moins clair, peut-tre, cest que les matres-mots soient tous des noms de la vrit. Nous
en avons plusieurs indices, nouveau de faon circulaire. Dabord le fait que certains discours
privilgis le disent. Par exemple la thologie dit que Dieu est la vrit mme (ipsissima veritas), de
mme que la vrit est divine, en mme temps quelle explique, par une thorie des noms
divins , que Dieu est le signifi commun de tous les matres-mots, cest--dire quils sont
quivalents en Dieu . Elle dit mme que cest Dieu qui le dit : Je suis la Vrit et la Vie (ou la
vrit vivante).
Ou encore lthique, par la bouche de la philosophie, dit que le Bien est la vrit, ou que la loi
morale (cest--dire lunit transcendantale de la libert et de lobligation) est la vrit de la vrit,
puisquelle prime sur elle, et quelle seule donne accs aux fins de la Raison tant spculative
que pratique.
Ou encore lconomie parle non seulement de la vrit de la monnaie (qui soppose sa
falsification) mais de la vrit des prix (ce qui veut dire que la vrit des relations conomiques est
dans les prix - pourvu quils soient libres , non fausss par des rglementations arbitraires).
Marx a admirablement interprt lautorfrence de la vrit dans sa phnomnologie conomique,
en montrant que les conomistes et les changistes ne font ainsi que prter leur voix ce que
disent les marchandises elles-mmes (ou du moins ce quelles diraient si elles pouvaient
parler ), en tant quelles sont support de valeur , quelles portent le signifiant de la valeur.
Le Droit aussi dit quil est un nom de la vrit, avec le Digeste : res judicata pro veritate habetur
(que Pierre Legendre traduit de deux faons : La chose juge se tient au lieu mme de la vrit ,
La chose juge est reue la place de la vrit ) [11] et avec Saint Thomas (fictio figura
veritatis) ; avec Hobbes pour qui la fiction juridique est institue par une autorit qui reprsente
vritablement le peuple (ou dans laquelle sexprime la vrit du pacte social effectivement
constitutif du peuple), ou avec Bentham dis-tinguant les fictions lgitimes (expressions de la vrit
du principe anthropologique de lutilit) des entits fabuleuses , donc les vraies fictions des
fausses fictions. [12] Ou avec Kelsen posant que tous les jugements attribuant un caractre
juridique une relation entre individus ne sont possibles qu la condition gnrale de supposer la
validit dune norme fondamentale (Grundnorm) . [13] Et ainsi de suite.
Contre-preuve : un matre-mot (comme dailleurs un Matre tout court, en tant prcisment quil se
dit tel) est ncessairement soumis la question de la vrit. Il ne peut valoir, tre reconnu et faire
reconnatre ce qui dpend de lui que sil est vrai, cest--dire sil est le vrai Dieu, le vrai Bien, la
vraie Justice, le vrai Beau, la vraie Loi, la vraie Science (toujours accompagne de la dnonciation
des fausses sciences ), la vraie Libert (Proudhon : Ironie, vraie Libert ! ).
Cest pourquoi Heidegger montre juste titre que la dfinition dite traditionnelle de la vrit
comme accord (adquation, correspondance) de la connaissance et de la chose (qui est en fait le
renversement rcent dune thse thologique exprimant que lIntellect divin est le nom de la Vrit)
prsuppose un sens plus originaire (et aussi plus ordinaire) qui est le vritable, lauthentique (seul
lor vritable est de lor, cest--dire que seul il mesure les valeurs).
10
La trace du conflit
Dans cette tautologie (Dieu est la Vrit sil est le vrai Dieu, le Bien est le Bien sil est le vrai
Bien, etc.) nous retrouvons lautorfrence du vrai, mais scinde en deux termes dont lidentit
laisse place au doute, et par consquent appelle la croyance, ou plus gnralement - puisque les
termes de croyance et de foi, en liaison avec lhistoire des noms de la vrit, ont reu aujourdhui
(mais pour combien de temps ?) une signification restrictive appelle la certitude, lassurance
acquise au terme dune rvlation, dune argumentation ou dune preuve. En dautres termes
lquivalence des matres-mots et de la vrit (le fait que les matres-mots soient dautres noms de
la vrit) se dit quotidiennement, mais sous une forme qui porte invitablement la trace dun conflit.
Entendons par l, non seulement, comme tout lheure, la trace dune ngation refoule, dun
contraire de la vrit formellement reconnu comme mensonge, erreur, illusion, etc., mais la
trace dune dngation, dun refus de reconnaissance quon a formul ou quon formulera, dune
contestation laquelle je , cest--dire quiconque nomme la vrit de tel nom, et mieux encore :
quiconque la nomme ainsi pour dautres, est (suis) invitablement confront. Par exemple : la
thorie de Marx est toute-puissante parce quelle est vraie (formule qui fait du nom de Marx un
nom de la vrit) porte la trace du doute sur le point de savoir si vraiment elle est vraie, ou si tant
vraie elle est toute-puissante, parce quil y en a qui nient quelle soit (thoriquement) vraie ou
quelle soit toute-puissante ( pratiquement vraie ), mais aussi qui placent ailleurs que chez Marx
(par exemple en Dieu, ou dans le March, ou dans le Monde Libre), la vrit et la toute-puissance ...
Mais il ne suffit pas de faire voir quil y a des matres-mots qui sont tous des noms de la vrit, il
faut encore montrer quils ne sont rien dautre que des noms de la vrit, cest--dire qu ils sont
tout aussi vides de sens propre, particulier, que le nom mme de la vrit, en tant quelle est
seulement son propre nom. Ici les choses deviennent trs intressantes, car on voit que deux procs
sont toujours simultanment luvre.
Dun ct il y a le fait quen dplaant le nom de la vrit de la Vrit mme sur Dieu, ou sur la
Science, ou sur la Loi, ou sur la Rvolution, on vide de sens Dieu, la Loi, la Rvolution, la Science,
pour en faire de purs signifiants profrer dans le discours, mettre en scne ou inscrire sur les
monuments des institutions. Ce qui est sans doute la condition pour que leur appel soit irrsistible
dans des conditions donnes (tout matre-mot dont lappel a t irrsistible deviendra un jour
impuissant, lexprience le prouve, comme elle prouve quon peut se faire de lourdes illusions sur
limpuissance acquise de tel matre-mot). Mais dans le mme temps on remplit de sens la vrit en
lui donnant pour signifi Dieu, la Rvolution, etc. Et plus prcisment on la remplit de sens en lui
donnant pour signifi toute la chane des matres-mots qui, de gr ou de force, sont subordonns
Dieu, la Loi ou la Rvolution, cest--dire qui subordonnent symboliquement la multiplicit des
paroles, des pratiques, de leurs agents et destinataires la vrit de Dieu, de la Loi, de la
Rvolution.
Mais de lautre ct il y a le fait quon ne peut pas dplacer (donc placer) le nom de la vrit sur un
matre-mot quelconque sans le prendre ailleurs, car le nom de la vrit est toujours dj quelque
part. Souvent des religions ou des philosophies sont alles jusqu supposer que le nom de la vrit
tait lui-mme absolument originaire (constituait lorigine du langage), ou absolument nouveau
(parce quelles lavaient elles-mmes forg), mais ce nest l, de toute vidence, quune fiction
constitutive de lidologie, une procdure deffacement de la trace du conflit. Aucun discours na
jamais pour la premire fois nomm la vrit dune faon dtermine, dvoilant ainsi ce quelle
est vraiment, cest--dire son essence. Mais tout discours de la vrit, mme lorsquil rpte une
vrit apprise, a toujours rcus dautres noms qui trompent sur la vrit, qui voilent ce quelle
est et ce quelle dit. Et par l mme tout discours de la vrit a toujours activement occult
lvidence dautres noms de la vrit.
Ainsi on ne peut pas dire que la vrit cest Dieu sans dire que la vrit ce nest pas le Monde, ou la
11
Nature, ou Csar : sinon en tant que le Monde est limage mme de Dieu, la Nature nest pas autre
chose que Dieu mme, ou bien lordre et la disposition que Dieu a tablie dans les choses cres
(Descartes, VIe Mditation), Csar est linstrument de la volont divine dont vient toute autorit
(Saint Paul, Eptre aux Romains). Et on ne peut pas dire que la vrit cest la Nature sans dire que la
vrit ce nest pas Dieu, ou ce ne sont pas les dieux (sinon en tant que Dieu et les dieux sont une
faon quivoque de dsigner la Nature).
De mme on ne peut pas dire que la vrit cest la Raison, ou lHumanit, ou le Droit, sans dire que
la vrit ce nest pas Dieu, ou du moins que ce nest Dieu que dans la mesure o Dieu est le prte-
nom de la Raison pour les ignorants (il y aurait donc tout un travail faire sur le rapport troit entre
la question du dplacement incessant des noms de la vrit et la thorie dite de la double vrit ).
Et on ne peut pas dire que la vrit cest la Rvolution sans dire que ce nest pas le Droit, ou du
moins pas le droit divin, ou pas le droit bourgeois (mais pour un vrai rvolutionnaire , ne va-t-il
pas de soi que tout droit est bourgeois ?). Une autre question intressante se dcouvre ici : quun
nouveau nom de la vrit peut en dplacer plusieurs, qui sont mutuellement conflic-tuels. Ainsi dire
que la vrit de la politique cest la Socit (ou que la Socit est la source de toute politique vraie),
cest la fois dire que ce nest pas lIndividu, et dire que ce nest pas lEtat (mais nous ne saurions
tenir pour vident a priori que le discours de lIndividu et le discours de lEtat soient
incompatibles).
Lido-logique
Il sagit ici de bien autre chose que du fait que le nom de la vrit ne va pas sans la diversit des
noms de ses contraires. [14] Il sagit du fait que le nom de la vrit ne se remplit de sens qu
expulser le sens dautres noms de la vrit (de noms de la vrit comme Autre), ou plutt les
remplir de non-sens, les nantiser, par une opration violemment conflictuelle, mais aussi
profondment ambivalente (nantiser un certain nom de la vrit, est-ce lanantir ? nest-ce pas
plutt le mettre en communication avec une certaine ide ngative du nant , comme disait
Descartes, et donc lui mnager la possibilit de ressurgir sous les traits malfiques de quelque Malin
Gnie, de quelque Ennemi de la Vrit ?). [15]
On dcouvre ainsi que le lieu de la vrit, le lieu idologique, est structur par une triple
logique , qui nest pas celle des fonctions de vrit mais plus gnralement :
1) celle du conflit ou de la lutte entre les matres-mots (dont la liste est apparemment indfinie : il
est donc tout fait vain de vouloir la circonscrire, et particulirement de vouloir en excepter par
principe tel ou tel nom, l exception tant la forme mme de la nomination du vrai). Une telle
lutte vise sapproprier le nom de la vrit, ce que nous pouvons aussi interprter comme un
processus rendant possible lappropriation de la vrit par des sujets et des institutions
dtermins ;
2) celle de la subordination des matres mots (et sans doute, par leur intermdiaire, de tous les mots)
certains dentre eux, enjeu de vrification permanente (et objectif privilgi de la construction
des systmes philosophiques, ce qui suffirait prouver limportance de la philosophie) ;
3) celle de la circulation du sens entre les noms de la vrit qui circulent eux-mmes comme
signifiants. Dans cette circulation les noms de la vrit constituent des relais, ou pour employer une
mtaphore qui marque mieux leur fonction active, des relances de la vrit vers l effectuation de
son sens, lefficacit de son emprise. Mais ce sont aussi, on vient de le voir, des obstacles, des
signifiants qui barrent ou raturent le nom de la vrit. La circulation du sens nous ramne
donc au conflit, dont elle ne peut jamais tre spare.
La question qui se pose maintenant est de savoir si cette triple logique, ou ce triple processus,
12
manifeste simplement la clture du lieu idologique de la vrit, dans lequel ne prendrait place
quune rptition, une permutation indfinie, ou sil traduit au contraire une incompltude, que lon
pourrait entendre de plusieurs faons.
Au sens dune dissmination du sens qui, jamais fix par aucun nom ou aucune hirarchie de noms,
serait constamment chass vers de nouveaux lieux idologiques, cest--dire exigerait
constamment que de nouveaux noms, tout neufs, soient idaliss et neutraliss de faon nommer
la vrit.
Au sens dune historicit (ou irrversibilit de lhistoire) de la vrit qui, quelle quen soit la cause
(quelle soit immanente au lieu idologique, ou quelle corresponde au fait que lidologie nest pas
le tout de sa propre dtermination), interdirait dadmettre une quivalence gnralise, un retour
ternel ou une rversibilit de principe dans sa circulation. Comme si, aprs tre passe de Dieu
lHomme, la vrit pouvait, loccasion, revenir de lHomme Dieu. Autre exemple non moins
actuel : comme si, aprs tre passe, non sans contestation, de lArgent au Travail, la vrit pouvait
revenir lArgent.
Enfin au sens o certaines formations idologiques seraient en un sens des non-idologies, cest--
dire des discours o la vrit ne fonctionne plus sur le mode de lautorfrence, o les noms de la
vrit ne fonctionnent pas comme des matres-mots, o la vrit ne puisse pas faire lobjet dune
appropriation par lintermdiaire de tel ou tel nom : du moins pas tout le temps , cest--dire en
chacun de leurs usages.
Les enjeux de ce genre de questions sont assez clairs : au minimum il sagit de savoir si le lieu de la
vrit doit tre en mme temps pens comme le lieu de lternelle rptition des-effets de matrise.
Force est cependant de constater que rien, dans la description que nous avons propose du
dploiement de la vrit en son lieu, ne permet dy rpondre. Parler de clture ou de non-clture,
voire simplement former lhypothse que clture et non-clture soient abso-lument discernables, ne
peut tre que lanticipation dun autre genre de rflexion sur les rapports de la vrit et de
lidologie.
Lhypothse nominaliste
En revanche nous avons rencontr au passage, deux reprises au moins, une question que nous
avons carte sans lexaminer vraiment. Cest, si lon veut, la question du nominalisme : mais de
cette variante particulire du nominalisme, nullement incompatible avec le ralisme , et
apparemment propre au discours philosophique ( certains systmes philosophiques trs atypiques),
qui renverse les perspectives, en liminant le nom de la vrit comme tel, non pas pour interdire de
parler du vrai, mais pour identifier le vrai la multiplicit infinie, excdant toute dnomination
univoque, de ses propres occurrences dans le rel, dans la pense ou dans le langage.
Plusieurs difficults surgissent immdiatement propos de cette hypothse. Premirement, nous
lavons esquisse partir dallusions des systmes philosophiques dtermins, particulirement
attachs la forme de la clture (non sans quelque ironie peut-tre). Peut-on supposer que des
systmes philosophiques se soient institus sans rfrence quelque nom de la vrit ? Les
exemples mmes quon vient de prendre suggrent immdiatement le contraire. Que sont donc la
Substance (autrement dit Deus sive Natura), la valeur de vrit frgenne (ou la Bedeutung des
propositions considres comme des noms ), la forme gnrale de la proposition
cabalistiquement dsigne dans le Tractatus [16], sinon dexplicites noms de la vrit ? Faut-il alors
supposer que ces systmes sont, en tant que tels, contradictoires, ou pour mieux dire, quils
combinent dans un conflit indfiniment reconduit la nomination de la vrit avec lidal dune
vrit sans nom, radicalement anonyme ?
Cette nouvelle suggestion relance plutt les interrogations quelle nclaircit la situation. Un tel
13
conflit en effet nest sans doute pas propre ces philosophies. Il se peut quelles ne fassent que lui
donner une prsentation particulirement visible . On pourrait soutenir quil constitue la
philosophie comme telle. En ce sens cest peut-tre dans toute philosophie quil faudrait rechercher
lhypothse de lanonymat et de la dispersion dmocratique des vrits. [17]
Dautre part, dire que la vrit est sans nom, au singulier (voire quelle est lAnonymat comme tel)
est une vieille formulation, mise au point par le no-platonisme et la thologie ngative, pour
manifester que la vrit est toujours encore au-del de tout nom dtermin : cest donc un nom de la
vrit, particulirement imprieux. Inversement, dire que toutes les vrits sont des noms
innombrables, et mme des noms propres de ce quelles sont, individuellement, nous fait
toucher la limite dutilisation du mot mme de nom (en tant quil suppose le verbe nommer).
Ce nest pas un hasard si chacun des philosophes mentionns ici met sa faon un jugement sur
les limites du langage, qui suppose pratiquement de le penser comme son contraire. Spinoza range
tous les mots (en tant que noms communs, renvoyant aux ressemblances des individus) dans
limagination et les exclut de la connaissance adquate. Frege subordonne toute assignation
rigoureuse des valeurs de vrit la neutralisation des proprits des langues naturelles , par la
construction dune idographie (Begriffsschrift) o se superposeraient exactement l architecture
dmonstrative et la construction des concepts. [18] Wittgenstein enfin identifie les signes des
tableaux (Bilder) du monde qui font eux-mmes partie du monde, cest--dire qui sont en
dernire analyse de simples vnements ou tats (Sachverhalte) ..
Pour linstant, lhypothse nominaliste et dmocratique, dont lobjectif antihirarchique est trs
manifeste : faire en sorte que la vrit se nomme en son propre lieu idologique, sans que surgisse
jamais le moindre matre-mot, nous apparat donc ncessairement comme une aporie. A vouloir que
disparaisse le matre-mot, ou quil se dissolve dans la masse, nest-ce pas le discours lui-mme
quon anantit ? A moins de rattacher la disparition, lclipse du matre-mot dautres nonciations,
dautres effets de vrit.
Notes
[1] Dans la lettre Mersenne du 16 octobre 1639 (Descartes, uvres philosophiques, Edition de F.
Alqui, Editions Garnier, 1967, Tome II, p. 144).
[2] Traduction franaise : La conception smantique de la vrit et les fondements de la
smantique , dans Logique, Smantique, Mtamathmatique, Armand Colin, 1974, vol. 2.
[3] Traduction franaise : Sens et dnotation , dans Gottlob Frege, Ecrits logiques et
philosophiques, tra-duction et introduction de Claude Imbert, Editions du Seuil, 1971.
[4] Spinoza, Ethique, Ile partie, scolie de la proposition 43.
[5] Nietzsche, Le Crpuscule des idoles, Comment le monde-vrit devint enfin une fable .
[6] La chose freudienne , rdit dans J. Lacan, Ecrits, Editions du Seuil, 1966, p. 409.
[7] Relevons au passage une modalit supplmentaire du redoublement : la mtaphorisation infinie,
comme telle, devient un indice autorfrentiel de la vrit, et permet den justifier telle nomination.
Ainsi Lacan peut voir dans le phallus le signifiant de la vrit, parce que le phallus est
mtaphoris Jinfini dans le discours de linconscient.
[8] Cf. le court texte de Freud, Die Verneinung (trad. fr. La Ngation, in Rsultats, Ides,
Problmes, volume II (1921-1938), P.U.F., 1985.
[9] Cf. notamment Jean-Claude Milner, Les Noms indistincts, Editions du Seuil, 1983. On pourrait
reconstruire ici toute une gnalogie, qui drive du commentaire des noms divins et de leur
renversement, passant par Bacon, Spinoza, Stirner, Marx, Nietzsche ... Dans Pragmatism, A New
14
Name for Some Old Ways of Thinking (1907), dnonant that typical idol of the tribe, the notion of
the Truth , William James avait crit : All the great single-word answers to the worlds riddle,
such as God, the One, Reason, Law, Spirit, Matter, Nature, Polarity, the Dialectic Process, the Idea,
the Self, the Oversoul, draw the admiration that men have lavished on them from this oracular
role ... (rd. Harvard University Press, 1981, p. 115). Milner rattache la signification
autorfrentielle du matre-mot la fonction de dire le Lien . Il donne la premire liste suivante :
LEtre, le Monde, le Travail, lHistoire, mais tout autant la Trifonctionnalit, la Race, les
Cosmogonies, les Mythes ... Clairement, le Lien ou the single-word answer peuvent tre
aussi des matres-mots : toute critique est rcuprable , ou plutt elle est aussi une nonciation de
ce quelle critique. Cf. galement Jean Robelin, Maimonide et le langage religieux, P.U.F., 1991, ch.
4 : Nom de Dieu ! ou le maitre-signe .
[10] Je minspire librement ici de Dominique Lecourt dans La philosophie sans feinte, J.E. Hallier -
Albin Michel, 1982.
[11] P. Legendre, Leons Il : Lempire de la vrit. Introduction aux espaces dogmatiques
industriels, Fayard, 1983, pp. 178 et 186.
[12] Enrique Mari : Jeremy Bentham : du "souffle pestilentiel de la fiction" dans le droit la
thorie du droit comme fiction , Revue interdisciplinaire dtudes juridiques, 1985, 15.
[13] Hans Kelsen, Thorie pure du droit. Introduction la science du droit, Editions de la
Baconnire, Neuchtel, 1953, p. 117.
[14] Il conviendrait de se demander si les deux refou-lements dont nous parlons, celui de la
ngation et celui du conflit, sont vritablement indpen-dants : non seulement parce que le
refoulement dun conflit passe par le marquage dun matre- mot destitu au moyen dune des
formes de la non-vrit (mensonge, illusion, imposture, igno-rance ... ), mais parce que la
hirarchisation des procdures de jugement ou de partage dans lordre de la vrit passe, elle,
par sa re-nomination. On songe ici ce que Derrida appelle palonymie (La Dissmination,
Editions du Seuil, 1972, p. 9 et sv.). Cest la question de lhistoire du mot vrit, et des diffrents
vocables que nous traduisons par vrit (cf. Marcel Dtienne, Le choix : Altheia ou
Apat , dans Les Matres de vrit dans la Grce archaque, Franois Maspero, 1967).
[15] Dans "DIEU EST DIEU", Essai sur la violence des propositions tautologiques , in
Philosophie buisson-nire, Jrme Millon, Grenoble, 1989, Stanislas Breton a examin une autre
ambivalence de lopration qui expulse le sens des noms de la vrit : domination et libration.
[16] Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, proposition 6 : La forme gnrale de la
fonction de vrit est [ p, x, N( )]. Ceci est la forme gnrale de la proposition.
[17] On en aurait un nouvel exemple avec la dfinition du vrai propose par A. Badiou dans L Etre
et lEvnement (Editions du Seuil, 1988) comme indiscernable gnrique dun vnement qui
force la capacit de nomination des procdures finies du savoir. Il semble que le platonisme du
multiple dfendu par Badiou cherche penser lgalit des vrits en construisant un infini
dinfinis particulirement irrductible. Cest peut-tre moins loign de Spinoza quil ne le croit,
ceci prs que pour Spinoza lexcs du fini dans son ordre propre se nomme plutt singularit .
[18] Claude Imbert, La dissidence des preuves : Leibniz, Kant, Frege , dans Phnomnologies et
Langues formulaires, P.U.F., 1992, p. 123 : Le symbolisme bi-dimensionnel ( ... ) implique une
quivalence entre le conceptuel et linfrentiel qui livre, sans nul doute, le premier la syntaxe du
second, mais suppose en change que les concepts arithmtiques fussent indiscernables des preuves
qui nervurent la discipline. Autant de dmonstrations formelles, autant de concepts, autant de
vrits. En termes spinozistes on dirait : toute ide est immdiatement ide de lide .