Balibar Lieux Et Noms de La Vérité

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1 Lieux et noms de la vérité Conférence prononcée le 30 septembre 1986 au Boston Colloquium for the Philosophy of Science, reprise le 21 mars 1987 à la journée de travail sur « La Vérité » au Collège international de philosophie (Paris). Première publication dans le volume homonyme : Lieux et noms de la vérité, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigue 1994 (épuisé). « est Veritas » (Herbert de Cherbury) L’idéologie est le lieu de la vérité. Entendons qu’à la question : « Qu’est-ce que l’idéologie ? » la seule réponse possible est : ce lieu que constitue la vérité dès lors qu’elle se manifeste en personne. Il ne s’agit donc pas tant de localiser la vérité dans un espace préexistant que de décrire la scène qui se déploie à partir de sa présence. Localiser la vérité est, à l’évidence, une opération dialectique. Les antinomies surgissent d’emblée, ce qui n’a rien d’étonnant si nous admettons que la représentation de la place renvoie aux contraires qui dérivent eux-mêmes du concept philosophique de la vérité : totalité et singularité, immanence et transcendance. Il est aussi difficile de se représenter que la vérité est partout en son lieu et qu’elle y occupe une place déterminée, de se représenter qu’elle lui est intérieure et qu’elle lui est extérieure. Pourtant il est possible de ’dire que, la vérité étant là, un lieu se trouve constitué. Il est même possible de dire que c’est seulement par la présence de la vérité qu’un lieu est constitué : c’est-à- dire des régions et des places, pensables dans leur différence, dans le minimum de détermination qui les distingue d’un point ou d’un chaos. Que ce lieu soit l’idéologie, c’est ce que la philosophie platonicienne avait d’emblée reconnu - et c est a cette énonciation que nous devons la détermination aujourd’hui encore platonicienne des discussions sur l’idéologie. Le concept de l’idéologie doit osciller entre la répétition du platonisme, l’identification de la vérité avec la présence des idées dans l’élément du logos, et le renversement du platonisme, l’affirmation que cet élément n’est qu’un théâtre d’ombres, que la vérité se détruit en se présentant comme idée, ou système d’idées. Il est patent que l’usage polémique du terme d’idéologie pour dénoter la mystification d’un discours qui ne fait que donner l’apparence de l’être ou de la vérité à des « idées » - ce qu’on pourrait appeler la conception bonapartiste de l’idéologie, puisque Napoléon est le premier, dit-on, à avoir ainsi retourné la prétention des « Idéologues » présuppose une description platonicienne du monde des idées, de son autonomie ou de son auto- fondation. Et le fait que Marx, dans une partie de son usage du terme, ait repris à son compte cette polémique - mais pour remonter à la première critique « réaliste » du platonisme : celle d’Aristote accusant Platon d’avoir séparé, sous le nom d’idées, ce qui dans le réel est inséparable de la matière - ne fait que confirmer cette constatation. Que l’idéologie soit, selon un jeu de mots qui fait corps avec toute la philosophie moderne, positivement le topos eidôn ou négativement le topos eidôlôn (le lieu des idées ou le lieu des simulacres), elle désigne nécessairement la scène du sens. Et nous ne pouvons pas ne pas remonter d’abord à cette oscillation initiale. En d’autres termes nous ne pouvons pas affecter d’une valeur positive ou négative l’équation : idéologie = lieu de la vérité, sans l’exposer d’abord pour elle- même. C’est, si l’on veut, le premier moment d’une « phénoménologie » du mouvement de manifestation de la vérité, dans lequel elle se fait reconnaître : mais à partir de son nom, et non pas de la visée d’une conscience.

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  • 1Lieux et noms de la vritConfrence prononce le 30 septembre 1986 au Boston Colloquium for the Philosophy of Science,

    reprise le 21 mars 1987 la journe de travail sur La Vrit au Collge international de

    philosophie (Paris). Premire publication dans le volume homonyme : Lieux et noms de la vrit,

    Editions de lAube, La Tour dAigue 1994 (puis).

    est Veritas (Herbert de Cherbury)

    Lidologie est le lieu de la vrit. Entendons qu la question : Quest-ce que lidologie ? la

    seule rponse possible est : ce lieu que constitue la vrit ds lors quelle se manifeste en personne.

    Il ne sagit donc pas tant de localiser la vrit dans un espace prexistant que de dcrire la scne qui

    se dploie partir de sa prsence.

    Localiser la vrit est, lvidence, une opration dialectique. Les antinomies surgissent demble,

    ce qui na rien dtonnant si nous admettons que la reprsentation de la place renvoie aux contraires

    qui drivent eux-mmes du concept philosophique de la vrit : totalit et singularit, immanence et

    transcendance. Il est aussi difficile de se reprsenter que la vrit est partout en son lieu et quelle y

    occupe une place dtermine, de se reprsenter quelle lui est intrieure et quelle lui est extrieure.

    Pourtant il est possible de dire que, la vrit tant l, un lieu se trouve constitu. Il est mme

    possible de dire que cest seulement par la prsence de la vrit quun lieu est constitu : cest--

    dire des rgions et des places, pensables dans leur diffrence, dans le minimum de dtermination

    qui les distingue dun point ou dun chaos.

    Que ce lieu soit lidologie, cest ce que la philosophie platonicienne avait demble reconnu - et c

    est a cette nonciation que nous devons la dtermination aujourdhui encore platonicienne des

    discussions sur lidologie. Le concept de lidologie doit osciller entre la rptition du platonisme,

    lidentification de la vrit avec la prsence des ides dans llment du logos, et le renversement

    du platonisme, laffirmation que cet lment nest quun thtre dombres, que la vrit se dtruit en

    se prsentant comme ide, ou systme dides. Il est patent que lusage polmique du terme

    didologie pour dnoter la mystification dun discours qui ne fait que donner lapparence de ltre

    ou de la vrit des ides - ce quon pourrait appeler la conception bonapartiste de lidologie,

    puisque Napolon est le premier, dit-on, avoir ainsi retourn la prtention des Idologues

    prsuppose une description platonicienne du monde des ides, de son autonomie ou de son auto-

    fondation. Et le fait que Marx, dans une partie de son usage du terme, ait repris son compte cette

    polmique - mais pour remonter la premire critique raliste du platonisme : celle dAristote

    accusant Platon davoir spar, sous le nom dides, ce qui dans le rel est insparable de la matire

    - ne fait que confirmer cette constatation.

    Que lidologie soit, selon un jeu de mots qui fait corps avec toute la philosophie moderne,

    positivement le topos eidn ou ngativement le topos eidln (le lieu des ides ou le lieu des

    simulacres), elle dsigne ncessairement la scne du sens. Et nous ne pouvons pas ne pas remonter

    dabord cette oscillation initiale. En dautres termes nous ne pouvons pas affecter dune valeur

    positive ou ngative lquation : idologie = lieu de la vrit, sans lexposer dabord pour elle-

    mme. Cest, si lon veut, le premier moment dune phnomnologie du mouvement de

    manifestation de la vrit, dans lequel elle se fait reconnatre : mais partir de son nom, et non pas

    de la vise dune conscience.

  • 2Le lieu du discours et le primat du nom

    Ce lieu qui se constitue partir de la vrit, comme lespace de sa propre manifestation, est-il donc

    le discours ? Est-ce un lieu discursif ? On peut le soutenir, cest--dire quon peut prendre au

    srieux la mtaphore qui dcrit la discursivit, lenchanement des noncs ou plutt des phrases

    comme constituant un espace , dans lequel chaque nonc a sa place, voire dans lequel chaque

    chose, fait ou vnement, a sa place exactement reprsente (mesure) par la place dun nonc.

    Cest par exemple ce que fait Wittgenstein dans le Tractatus en recherchant les conditions

    (extrmement restrictives) sous lesquelles une telle identification de lespace de la vrit un

    espace discursif ( logique ) peut tre soutenue. Dans ce cas privilgi on voit bien quil faut aussi

    donner de la vrit un concept extrmement paradoxal, du moins au regard de la totalit de ses

    usages (Wittgenstein dira plus tard quil faut privilgier un jeu de langage dtermin, tout en le

    dniant comme jeu de langage, ce qui se traduit par le fait que la forme de vie qui linstitue, qui

    donne sens ses rgles, devient limpensable, le mystique ).

    Le concept de la vrit auquel conduit lidentification pure et simple du lieu de la vrit un lieu

    discursif est cependant remarquable en ceci quil distribue la vrit sur une multiplicit infinie

    dnoncs, qui ont tous exactement autant de titres reprsenter le vrai . Cest donc une variante

    particulire (ou un fondement possible) pour ce que jappellerai plus loin la conception

    dmocratique de la vrit.

    Il ne fait pas de doute que, en lespace de quelques lignes, nous avons ainsi brutalement oscill dun

    extrme lautre. Dans lidologie de Platon lexigence dun principe est constitutive, et ce principe

    inconditionn ( anhypothtique ) est par excellence le vrai - mme sil ne peut tre seulement

    nomm ainsi, sil ne peut pas tre en dernire instance rien que le vrai, pour des raisons auxquelles

    je vais revenir. Et dans le renversement du platonisme, qui dsigne comme idologie lapparence du

    vrai, cette exigence est conserve : on peut mme penser que cest partir de la critique du

    principe , de la fonction hirarchique quil remplit par rapport toutes les essences, de linstance

    de pouvoir quil reprsente ainsi dans llment du savoir, que sengage le renversement de

    lidologie. Au contraire dans lespace logique de Wittgenstein, il ny a aucune hirarchie, aucun

    principe : tous les noncs qui sont le vrai (et il y en a une infinit) sont sur un pied de stricte

    galit, la fois indpendants les uns des autres et rflchissant dans leur construction les

    conditions de leur vrit. Or cet espace logique est aussi sa faon une description de lidologie :

    cest mme une extraordinaire tentative pour manifester la clture du monde de lidologie en tant

    que lieu de la vrit, partir du prsuppos que les lments libres et gaux qui le

    constituent sont tous homognes (ayant en commun la forme gnrale. de la proposition ), et

    absolument univoques ( tableaux des vnements ou tats chaque fois singuliers dont la

    dispersion constitue le monde ), Nous devrons nous demander, dune part si cette variante est la

    seule possible (sil y a dautres dmocratismes de la vrit dans lhistoire de la philosophie) ; cl

    autre part, si loscillation qui vient de nous apparatre (dune organisation hirarchique une

    organisation galitaire du lieu de la vrit) est une alternative incontournable, comment elle se

    constitue.

    Il semble alors que nous pourrions renoncer identifier le lieu de la vrit avec llment du

    discours, et mme que nous aurions d commencer par l : par poser que ce lieu ne peut pas tre

    rduit un espace discursif, du moins en tant que le discours est un enchanement dnoncs, un

    agencement de phrases. Cest ce que lentreprise extrmiste de Wittgenstein finit, semble-t-il, par

    avouer, puisquelle tend exhiber une limite de lnonable, tout en affirmant que cette limite ne

    saurait tre elle-mme nonce. Elle ne peut que se faire voir . En ralit il y a deux choses qui

    se font voir dans la conception du Tractatus : lespace logique lui-mme (le lieu de la vrit), et

    la limitation de cet espace. Donc ce qui se fait voir (sans s noncer) est la diffrence intrieure

    de lespace logique et de son extrieur, de lnonable et du non nonable, du lieu et du non-lieu

  • 3de la vrit. Cette diffrence intrieure est comme la trace dans la conception wittgensteinienne de

    ce qui appartient en fait, dans toute la tradition philosophique, la question de la vrit : quelle

    doive tenir ensemble lidentit de la vrit au discours et la non-rductibilit de la vrit aux

    lments du discours ( signes , phrases ou noncs ). Il nest pas tonnant que, en ce point-

    limite, sengouffrent nouveau, chez les lecteurs du Tractatus, les questions philosophiques

    traditionnelles : la question du sujet et la question de lobjet, la question de savoir qui pense les

    penses que constituent les propositions, et la question de savoir si les vnements partir

    desquels sont forms les objets prsents dans les propositions existent ou non en soi .

    En ralit le lieu de la vrit, tel que la constitu la philosophie, na pas la structure dune

    discursivit homogne, mais celle dun monde, dans lequel doivent figurer la fois des tres de

    langage et des tres non linguistiques : soit des objets dsigns par le langage et qui ne se rduisent

    pas lui, soit des sujets qui mettent, produisent les tres de langage ; soit lun et lautre, Sil y a de

    la vrit dans et par le langage, cest quil y a quivocit de ltre par rapport au langage : cest que

    ltre du langage est non tre, flatus vocis, confront aux objets dont il parle, ou aux sujets qui le

    parlent. La question de la vrit en son propre lieu ne peut alors que se dplacer vers lorigine, vers

    le sens de ces distinctions : en gnral vers la rflexion sur la diffrence de ltre en tant que

    langage (ou mot ) et de ltre en tant que chose , autre du langage.

    Mais inversement il est tout fait impossible dliminer le caractre discursif de la vrit. Ou plutt

    il nest possible de lliminer que sous la forme dune injonction antinomique, qui prescrit

    lintrieur mme dun discours, en vertu dune certaine stratgie discursive, de se porter par la

    pense, par le dialogue, ou par laction aux limites hypothtiques du langage, pour en sortir .

    Mais le point de cette sortie devra toujours encore tre nomm. Cest mme, si nous acceptons de

    prendre sur toutes les stratgies philosophiques deffectuation de la vrit un point de vue aussi

    cavalier, dans la seule efficacit de ce nom que rsidera toujours la possibilit de prsenter une

    sortie de la pure discursivit du langage comme le moment de la vrit : quon lappelle

    intuition , contemplation , exprimentation , pratique ...

    Nous souponnons alors que les choses se droulent en fait dans lordre inverse. Les stratgies

    philosophiques constituent des trajectoires, plus ou moins sinueuses, pour dcouvrir que ce qui a

    t nomm vrit ou, corrlativement, ce que nomme la vrit peut tre prsent comme le point o

    le discours saccomplit, qui est le point o il sannule, sortant de lui-mme pour rejoindre son

    autre (le rel, lintuition, le sens), mais aussi bien retourne ce dont il sort (le sujet parlant, ou

    lobjet partir duquel il y a du discours qui forme un univers , et qui cependant nest pas tout,

    nest pas le monde ).

    Cest pourquoi la question de la vrit doit tre, avant toute chose, reconduite celle du nom de la

    vrit, et de la vrit comme nom. Non pas : pourquoi la vrit est-elle nomme ?, car cest un fait

    quelle lest dj au moment mme o nous en parlons, mais : comment est-elle nomme ?

    Comment fonctionne sa dnomination ? Question tout fait pragmatique, dont nous pouvons

    esprer apprendre quelque chose sur la vrit, et par consquent sur lidologie, mme sil sagit de

    lexhibition dune antinomie.

    Auto-rfrence

    Une des vidences les plus incontournables du discours philosophique est le caractre

    autorfrentiel de la vrit. Je ne sache pas de philosophie, empiriste ou dogmatique, relativiste ou

    essentialiste, matrialiste ou idaliste, qui soit en dsaccord sur ce point : que cette reconnaissance

    procde dune immdiate constatation ou quelle suppose une longue argumentation, et quelles que

    soient les consquences quon en tire. La dfinition heideggrienne de la vrit (car cen est une

    au moins formellement) comme louverture de lEtre, la fois voilante et dvoilante, donc

    antinomique (dont on peut remarquer la dmarcation par Althusser titre de dfinition de

  • 4lidologie en termes de reconnaissance et mconnaissance, ou dallusion/illusion) fait-elle

    exception cette rgle ? Il me semble que non, car le fait de montrer que, sous le nom de la vrit,

    ne peut jamais tre pens que lautre de la vrit, est simplement une faon dattribuer en propre

    la vrit cette essence de diffrer indfiniment delle-mme (quon peut aussi appeler libert ). Et

    seul le nom (ou lun des noms) de la vrit peut noncer cette thse (de mme que la mise en

    question de la possibilit de dfinir la vrit prend ici ncessairement la forme : lessence de la

    vrit est une nonessence , elle ne possde aucun des caractres logiques de lessence).

    Plus gnralement il semble que toute nouvelle dfinition constitue dabord, dans lhistoire de la

    philosophie, un moyen de restituer la transcendantale clart dont parlait Descartes [1] : rtablir

    une autorfrence qui stait obscurcie dans les mots qui la commentent, abolir un mtalangage

    illusoire dans lequel le nom de la vrit, pour tre compris et utilis, devrait dpendre dune

    succession doprations pralables dans lesquelles il ne serait pas encore prsuppos. On peut faire

    lhypothse que cet accord unanime (au-del duquel sans doute, et invitablement, toutes les

    philosophies divergent : cest--dire quelles divergent en raison mme de cet accord) traduit bien

    quelque chose dirrcusable : sinon une essence, en tout cas un mode dexistence, ou de prsence.

    Plus prcisment le mode de prsentation de la vrit dans son nom. Une expression (tronque) de

    Spinoza nonce cette vidence, que tous les philosophes pourraient reprendre leur compte : verum

    index sui. Je propose de la prendre ici la lettre : la vrit, en tant que telle, na pas dautre

    dsignation quelle-mme. Mais ceci veut dire plusieurs choses.

    Premirement, on ne peut faire lconomie du nom de la vrit. Tmoin Tarski : dans son article de

    1944 (The semantic conception of truth and the foundations of semantics ) [2], il ridiculise les

    prtentions des philosophes qui ont object sa dfinition constructive du prdicat vrai dans les

    langages formaliss quelle ne saisissait pas lessence de la vrit . Dclarant navoir jamais

    compris ce que peut bien signifier le mot dessence (ce qui veut dire aussi rcusant a priori, pour

    des raisons opposes celles de Heidegger, lide que le vrai soit de lordre de lessence, que

    essence soit lun des noms de la vrit), il pose que dans son usage logique le mot vrai

    ( true ) pourrait parfaitement tre remplac par nimporte quel autre, par exemple frai

    ( grue ) pour peu quun Congrs mondial de logique le dcide lunanimit. Mais il ne le

    propose pas lui-mme, pour la bonne raison quil sagit pour lui dexpliciter les conditions dans

    lesquelles, dans un langage donn, il est possible daffirmer un nonc, ce qui renvoie explicitement

    une tradition remontant au moins Aristote. Or, dans cette tradition, le sens mme des oprations

    daffirmation et de ngation renvoie lalternative du vrai et du faux, donc une certaine faon de

    comprendre le nom de la vrit, ou plus exacte-ment dutiliser le nom de la vrit. Aprs avoir

    chang le mot vrai il faudrait aussi changer le mot affirmer , puis le mot proposition (ou

    jugement), et ainsi de suite linfini. La proposition de se passer du nom de la vrit reviendrait

    donc la proposition de permuter ou de suppler toutes les significations du langage ... bien quen

    restant dans llment du langage (la convention unanime du Congrs mondial). Cest une faon

    comme une autre de pointer lantinomie intrinsque de la notion de mtalangage, entendue dans un

    sens absolu. Mais cest aussi, ironiquement, une faon davouer que, si on ne sait pas ce que peut

    bien vouloir dire essence , on a besoin dun concept assez peu diffrent, prcisment celui de

    mtalangage en gnral (ou de diffrence entre un langage-objet et un mtalangage), qui a

    toutes les chances de reprsenter un autre nom de la vrit, en tant quelle nest pas soumise des

    conditions logiques dtermines, mais quelle en commande lnonc. De mme que, selon le

    Coran, il ny a de dieu que Dieu, il ny a de vrai que le Vrai.

    Deuximement, cela veut dire quon ne peut rien ajouter au nom de la vrit pour la dsigner, part

    des discours pour lexpliquer, lappliquer, la faire reconnatre, lui fixer des conditions, etc., cest--

    dire des dveloppements du concept de la vrit dont la justesse, ladquation est toujours

    suspendue la rptition. du nom de la vrit dans lenchanement des noncs qui font de ce

    concept celui de la vrit (et non dune essence ou signification quelconque). Tout ce quon peut

  • 5faire, cest ventuellement renverser intgralement la situation et daffirmer que tout le discours

    nest fait que de noms du vrai, cest--dire que la vrit est lquivalent gnral de tous les noms du

    discours qui sont vraiment des noms. Cette ide hardie et paradoxale est apparue quelques

    philosophes. Nous lavons vue se profiler chez le Wittgenstein du Tractatus que je citais plus haut,

    mais on pourrait donner dautres exemples, commencer par ltonnante dcision de Frege (dans

    Sinn und Bedeutung) [3] de considrer la valeur de vrit comme la rfrence ou dnotation

    identique de toutes les propositions. Et surtout on devrait remonter un philosophe comme

    Spinoza : dans sa formulation complte (veritas norma sui et falsi) [4] la prsenta-tion quil donne

    du caractre autorfrentiel de la vrit rsulte immdiatement du fait quil ny a pas dautre lieu

    de la vrit que la connexion linfini, sans origine ni fin, donc sans hirarchie des noms, de

    toutes les ides qui, en tant que telles, sont le vrai (et. comme on sait, pour Spinoza, toute ide pour

    ce qui est de sa ralit ou positivit est en elle-mme vraie). Nous aurons nous demander plus

    tard quelle alternative critique cette prsentation inverse ouvre par rapport la tradition dominante

    dans le discours de la vrit. Mais pour linstant elle ne change rien, bien au contraire, au fait que la

    vrit se dsigne elle-mme, et ne peut sexpliciter quen se rptant. Je lexprime en disant que la

    vrit est un signifiant tout fait singulier en ceci quelle est son propre nom. Mieux : elle est le

    nom de ce qui est son propre nom. Donc, en dernire analyse, un nom qui ne signifie pas mais

    se montre ou sexhibe.

    Autonymie, anonymat, diffrence

    En adoptant cette formulation je ne pense pas tant soulever la question : quest-ce quun nom

    propre, en gnral ? que celle-ci : peut-on, sans dboucher sur des absurdits, dire dun nom propre

    quil se dsigne lui-mme ? Cette question fait penser aux paradoxes smantiques qui, depuis

    lantiquit, renvoient la question de la vrit du scepticisme la logique et de la logique au

    scepticisme. Ce qui na rien dtonnant, puisque ce sont des paradoxes de lautorfrence (on est

    tent de dire : ce sont des paradoxes pour qui trouve que lautorfrence est paradoxale). Mais pour

    linstant nous navons pas affaire aux problmes de consistance ou dinconsistance du discours dans

    lequel figure le nom de la vrit, nous avons simplement affaire ce qui fait la singularit de ce

    nom.

    De mme, je laisse en suspens la question de savoir si la possibilit de penser la vrit comme ce

    qui se nomme soi-mme implique la notion dun sujet . La personnification de la vrit, en tant

    quelle nonce son propre nom et que son nom est le sien, dans un redoublement indfini (par

    exemple dans la prosopope que Nietzsche voque ironiquement : Moi Platon je suis la

    vrit [5], ou dans celle que sautorise Lacan, de faon nettement plus ambivalente : Moi la

    vrit je parle ) [6] est une faon dexpliciter lautorfrence. Avant den conclure que nous avons

    ici. affaire au sujet, sur le modle du Dieu qui profre Je suis celui qui suis , il faudrait se

    demander si la rflexivit formellement implique dans ce redoublement de lautorfrence ne peut

    tre pense que sous la catgorie de sujet. Et si, dans ce redoublement, ce qui se rvle nest pas la

    simple quivalence entre une autonymie et une anonymie radicale (puisque je est nimporte qui,

    de mme que je suis est nimporte quelle existence, je pense nimporte quelle pense). Ds

    lors ce qui est soi-mme son propre nom peut aussi apparatre comme le sans-nom, linnommable.

    Possibilit exploite, on le sait, par la tradition mystique.

    Enfin il serait indispensable de se demander sil nexiste pas, non seulement des discours ou des

    langues, mais des formations idologiques , cest--dire des univers de discours autonomiss par

    lhistoire, par linstitution, par des rgles de gnration discursive, ou par lobjet de leurs noncs,

    dans lesquels ne figureraient pas les noms de vrit et de vrai. Je pense que non et, circulairement,

    que des formations idologiques (quelles relvent de la religion, du droit, de la morale, de la

    politique, de la science, de lconomie, de lart, etc.) sautonomisent, sindividualisent prcisment

  • 6par la faon dont elles entourent le nom de la vrit, cest--dire lassocient dautres par des

    relations de dtermination et dquivalence. On pourrait dire ici, dans la terminologie de Derrida :

    par la faon dont elles diffrent le nom de la vrit, cest--dire la fois dont elles le diffrencient

    ou le divisent, et dont elles retardent son entre en scne, par diffrents dtours , qui font

    intervenir autant de substituts .

    Toutes ces questions renvoient un paradoxe trs simple, mais qui ne laisse pas dtre troublant, et

    que nous devons lui-mme dvelopper. La vrit est son propre nom (propre), et-en-ce sens elle

    devrait se suffire entirement elle-mme, s puiser dans la prsence de son nom (puisquon ne

    peut ni le supprimer ni lui ajouter quoi que ce soit). Pourtant il y a toujours dautres noms de la

    vrit, supplmentaires ou surnumraires, et mme un trs grand nombre (sinon une infinit, comme

    dans la solution dmocratique que jvoquais linstant, o tout nom propre est un nom du vrai).

    Cela veut dire que lautonymie de la vrit est la lettre intenable. Comme si, de ne se rfrer qu

    elle-mme, la vrit ne se rfrait rien , aucun sens (non seulement aucun objet de

    pense ou d exprience, mais aucun effet de sens pour celui, quel quil soit, qui a affaire ce

    nom), moins de se ddoubler contradictoirement en elle-mme et un autre nom qui cependant ne

    fait toujours que nommer la mme chose . Et cet autre nom ne saurait, lui-mme, tre unique.

    Lunit de la vrit comme nom est immdiatement engage dans un processus de division en deux

    et plus, ou de mtaphorisation infinie. [7]

    Il y a dabord ce fait que demble le nom de la vrit vacille entre le substantif et ladjectif (la

    vrit et le vrai), entre le singulier et le pluriel (la vrit et les vrits). Bien entendu cest la mme

    chose. Pourtant ce sont deux choses diffrentes, et la rcurrence du dbat sur lessentialisme et le

    nominalisme est l pour le montrer. Au dpart de ce dbat, il y a tout simplement cette contrainte

    que le nom unique doit se diffrencier en sujet et prdicat. Et mme une philosophie qui pose que le

    vrai nest pas un prdicat ne peut le faire quen faisant violence cette vidence linguistique que la

    vrit se manifeste dans lnonc que quelque chose est vrai ou est le vrai , et

    quinversement, dire du vrai quil est vrai cest dire la vrit : pour exclure le vrai du champ des

    prdicats possibles, il faut donc dlimiter formellement celui-ci en dfinissant ce quest un prdicat

    par des rgles qui identifient la vrit avec la prdication comme telle (exactement de la mme

    faon que Kant exclut lexistence du champ des prdicats en faisant quivaloir le jugement effectif,

    quil appelle synthtique , avec la position de lexistence possible - laquelle devient, de ce fait

    mme, un nom philosophique de la vrit).

    Leffacement de la ngation

    Mais il y a une autre scission plus intressante. La formule spinoziste peut continuer nous servir

    de guide : verum index sui et falsi. Le nom de la vrit, cest bien connu, ne sutilise quen

    opposition (et plus prcisment, en opposition binaire ). Cest pourquoi elle a partie lie,

    demble, au jugement, au critre. Tant que vrit se prsentait seulement comme un nom

    propre autonyme, celui-ci navait aucune valeur diacritique, et de ce fait la plnitude de son tre-l

    immdiatement donn correspondait au vide de sens absolu. Pour que la vrit commence se

    remplir de sens, il faut quelle soit investie dans le jugement, laffirmation et la ngation. Il faut

    donc que le nom de vrit commence signifier deux choses la fois : dune part cette vrit qui

    nest quelle-mme, toute nue, et dautre part cette vrit qui est diffrence delle-mme et de son

    contraire. Cest seulement avec cette opposition que, de pur signifiant qui ne signifie rien, le nom de

    vrit commence acqurir du sens.

    Intressons-nous ici non pas la ngation comme opration, mais lquivocit, lirrductible

    pluralit de cette ngation. La ngation ne devient une opration dtermine qu la condition de

    mettre entre parenthses ou de refouler cette quivocit, de slectionner un des sens de la non-

    vrit pour lopposer au vrai (cest pourquoi le principe de contradiction na pu tre nonc

  • 7comme tel qu la condition de sparer un plan de lnonc de tous les plans d nonciation

    possibles sauf un, celui qui pose que les noncs disent ltre, attribuent aux choses leurs proprits

    naturelles, et le cas chant artificielles). En effet la non-vrit sentend en plusieurs sens : il y a le

    faux, mais il y a lerreur, loubli et linfidlit, le mensonge, il y a la fiction, il y a lillusoire ou

    lapparence, et chacun de ces opposs du vrai a quelque chose dirrductible aux autres, non

    seulement linguistiquement, mais en ce quil oblige choisir un sens pour la vrit. On dira peut-

    tre que chacun deux a aussi son propre contraire : que vrit, vracit, authenticit, validit,

    adquation, ralit, effectivit, etc., ne sont pas la mme chose. Mais cest prcisment ce que je

    veux dire : ce que la ngation fait apparatre, cest que la vrit est contradictoirement une et

    multiple, non pas au sens de la distribution du vrai sur des cas particuliers, des noncs, des objets,

    en gnral des tants du mme genre, mais au sens de la division entre plusieurs domaines

    dutilisation, plusieurs jeux de langage aux rgles incompatibles si on veut utiliser cette

    terminologie. Cest lquivocit de la ngation, dans laquelle circule pourtant par analogie une

    fonction de discrimination ou de rejet, qui constitue notre premire voie daccs lquivocit de la

    vrit elle-mme, ralise dans la multiplicit de ses noms. [8]

    Limportant est ici quon ne peut plus se contenter de discuter sur la vrit comme un nom qui

    figure dans des noncs, on est oblig de prendre en considration des actes dnonciation, donc des

    agents ou sujets, des rgles, des circonstances ou conditions dun usage correct, intelligible,

    lexemple de ce que demande la tradition pragmatique (qui elle-mme nest pas unifie ). Nous

    nous apercevons maintenant que lallusion lnonciation, avec son quivocit propre, tait dj

    implique dans le fait initial : que lautorfrence soit tout simplement le caractre autonyme du

    nom de la vrit. Ce fait ne peut tre reconnu (il ne se fait lui-mme reconnatre) que dans l acte

    dnoncer une phrase du type le vrai cest le vrai , donc dans la rflexion nonciative de lnonc

    (de mme que le nom je a pour seule dfinition possible je suis celui qui dit je , ce qui fournit

    au moins lindice des raisons pour lesquelles toute une partie de la philosophie moderne sest

    construite sur lidentit de la vrit et du sujet). Mais ce que nous venons de comprendre, cest

    quune telle rflexion immdiate prsuppose toujours une ngation, dont elle demeure solidaire, et

    le refoulement de cette ngation, et de son quivocit propre. La vrit snonce elle-mme en tant

    quelle nonce implicitement son opposition la non-vrit, mais lopposition la non-vrit

    demeure non-dite dans lnonc de la vrit. Si elle tait dite, il y aurait oscillation linfini,

    rversibilit intgrale du vrai et du faux : on pourrait aussi bien dire falsum index sui et veri.

    Lautonymie de la vrit est la fois la rduction une seule ngation de toutes les modalits

    dnonciation qui posent la vrit du vrai (le vrai du vrai ) en opposition la non-vrit du

    mensonge, de lerreur, de la fiction, et leffacement de cette opposition dans la ngation de la

    ngation , cest--dire dans lauto-affirmation de la vrit, que signifie immdiatement

    lnonc de son nom.

    Inversement on doit se demander, nouveau, sil y a des discours, des jeux de langage, des

    pratiques institutionnelles, qui ne seraient pas spcifis par une faon de nommer la vrit en

    choisissant et refoulant son contraire. Et il me semble que ce nest pas le cas. En particulier il est

    tout fait faux, en pratique, de dire que le discours de la science aurait le privilge de la rfrence

    la vrit (tandis que dautres discours se rfreraient, pour leur compte, une autre norme que la

    norme du vrai , une autre valeur que la valeur de vrit ), Le droit, la religion, la morale, la

    politique, lart mme ne cessent dy avoir recours, mais autrement.

    Cest plutt un certain discours sur la science (logique, philosophique) qui entreprend de dcider

    qu elle seule a affaire au vrai, ou que seulement dans son domaine lopposition de la vrit et de la

    non-vrit a un sens. Encore ce discours, quon peut considrer la fois comme une lgitimation de

    la science (du point de vue de sa place dans un ensemble de pratiques sociales) et comme un

    arraisonnement de toutes les pratiques et de tous les discours sous la norme suprme de la science

    (cest--dire sous lidentification de la science au signifiant de la vrit) est-il tout fait rversible.

  • 8Il se renverse dans lide que ce qui caractriserait en propre les sciences, par opposition toutes les

    disciplines mtaphysiques , cest que le nom de la vrit ny a pas sa place, y est en quelque

    sorte forclos, nappartenant qu un commentaire extrinsque, idologique , sur lenchanement

    des noncs scientifiques, les oprations de la connaissance.

    De mme le discours qui pose que la politique ou la morale nont pas affaire la vrit (mais

    seulement la probabilit, ou lefficacit, ou la justice) se renverse-t-il en discours qui posent

    que la vrit de la vrit, cest--dire la valeur minente ( architectonique ) dont elle reoit

    finalement sa place, est la pratique, la vie, la libert, la justice.

    Les matres-mots

    Mais par l nous arrivons une nouvelle division intrieure lnonc du nom de la vrit, dans

    laquelle ne cesseront pas doprer les deux mouvements que je viens dindiquer (oscillation du nom

    de la vrit entre le substantif et ladjectif, ou le sujet et le prdicat ; ngation et refoulement de la

    ngation), tout en engageant une dialectique beaucoup plus concrte, et aussi beaucoup plus

    ambivalente.

    Je lai anticipe plus haut en parlant de la multiplicit paradoxale des autres noms de la vrit.

    Suivant quelques auteurs qui, chacun sa faon, ont dj rflchi sur le mme processus,

    jappellerai ces autres noms les matres-mots. [9] Ici lnumration serait indfinie, bien que la

    fonction soit reconnaissable et que, nouveau, il ne sagisse pas de dmontrer mais de montrer ce

    qui, en un certain sens se fait voir soi-mme comme lquivalent de la vrit, cest--dire le nom

    de la vrit comme autre.

    Autre que quoi ? Autre que les choses, les objets, les tants, et autre que les sujets, les individus, les

    interlocuteurs. Il y suffit parfois dune majuscule, marque de la vrit, trace muette , mais reprise

    dans une paraphrase infinie de lautorfrence fondamentale (Derrida dirait : dans une

    dissmination infinie de sa diffrance initiale, purement crite).

    On a ainsi les transcendantaux traditionnels : lUn, le Bien, le Beau, lEtre, la Chose, etc., mais

    aussi lInfini, lIdentit, la Ngation, la Finitude, la Diffrence.

    On a Dieu et la Vie, lEternit, la Nature, lHistoire, lHomme, lEsprit, la Libert, la Science, la

    Loi, la Justice, la Pratique, la Conscience, le Droit, lEtat, la Socit ; la Rvolution, lIndividu, le

    Peuple, la Classe.

    On a la Raison, la Critique, la Preuve, la Thorie, la Fiction.

    On a la Terre (qui elle, ne ment pas ), la Race (Disraeli : All is race ; there is no other truth ).

    On a le Sujet, le Pre, mais aussi la Femme. On a lArgent, la Valeur. Le March.

    On a la Mort ( Matre absolu de vrit).

    Toutes ces quivalences doivent tre matriellement attestes : pourtant leur nombre dfie

    lnumration, et leur production est incessante. Dire que les matres-mots ordonnent la croyance

    est simplement un plonasme : quest-ce que la croyance, sinon la reconnaissance de lefficacit des

    matres-mots, de lidal ou de lidalit quils dsignent (ou dont ils dsignent labsence) ?

    Que la fonction des matres-mots soit dtre invoqus en priv ou en public titre de garantie ou de

    fondement pour la vracit, lauthenticit, la validit dun discours, d une pratique, dun genre de

    vie, dune uvre (cest--dire comme principes de laffirmation des vrits, et comme critres de

    distinction du vrai et du non-vrai) est aussi clair. De mme, quils soient suffisamment divers pour

    couvrir toute exprience dans laquelle des objets, des circonstances, des vnements ont tre

    reconnus pour ce quils sont, et pour ce quils valent, cest--dire recevoir un sens dtermin pour

    des sujets qui, de ce fait mme, se reconnaissent mutuellement pour appartenir au mme monde ,

  • 9 la mme humanit , la mme raison , la mme histoire ou, loccasion, pour ne pas y

    appartenir, cest--dire pour se marquer rciproquement dexclusion). En dautres termes, les

    matres-mots sont les mdiateurs invitables de lorganisation de lexprience par rapport au

    discours dans lequel ils figurent eux-mmes, les mdiateurs du rapport des sujets aux objets ,

    des objets entre eux et des sujets entre eux dans un seul nud de sens. [10] Mais ceci veut

    dire quil ny aurait ni sujets ni objets dtermins, sur lesquels on puisse faire fond, quon puisse

    compter et sur lesquels on puisse compter, quon puisse identifier comme choses, outils, uvres,

    hommes et femmes, amis et ennemis, semblables et diffrents, si ne figuraient pas toujours en tiers

    dans le discours et les institutions des matres-mots reconnus comme origines, fins, bref principes

    (lui-mme un matre-mot).

    Ce qui est moins clair, peut-tre, cest que les matres-mots soient tous des noms de la vrit. Nous

    en avons plusieurs indices, nouveau de faon circulaire. Dabord le fait que certains discours

    privilgis le disent. Par exemple la thologie dit que Dieu est la vrit mme (ipsissima veritas), de

    mme que la vrit est divine, en mme temps quelle explique, par une thorie des noms

    divins , que Dieu est le signifi commun de tous les matres-mots, cest--dire quils sont

    quivalents en Dieu . Elle dit mme que cest Dieu qui le dit : Je suis la Vrit et la Vie (ou la

    vrit vivante).

    Ou encore lthique, par la bouche de la philosophie, dit que le Bien est la vrit, ou que la loi

    morale (cest--dire lunit transcendantale de la libert et de lobligation) est la vrit de la vrit,

    puisquelle prime sur elle, et quelle seule donne accs aux fins de la Raison tant spculative

    que pratique.

    Ou encore lconomie parle non seulement de la vrit de la monnaie (qui soppose sa

    falsification) mais de la vrit des prix (ce qui veut dire que la vrit des relations conomiques est

    dans les prix - pourvu quils soient libres , non fausss par des rglementations arbitraires).

    Marx a admirablement interprt lautorfrence de la vrit dans sa phnomnologie conomique,

    en montrant que les conomistes et les changistes ne font ainsi que prter leur voix ce que

    disent les marchandises elles-mmes (ou du moins ce quelles diraient si elles pouvaient

    parler ), en tant quelles sont support de valeur , quelles portent le signifiant de la valeur.

    Le Droit aussi dit quil est un nom de la vrit, avec le Digeste : res judicata pro veritate habetur

    (que Pierre Legendre traduit de deux faons : La chose juge se tient au lieu mme de la vrit ,

    La chose juge est reue la place de la vrit ) [11] et avec Saint Thomas (fictio figura

    veritatis) ; avec Hobbes pour qui la fiction juridique est institue par une autorit qui reprsente

    vritablement le peuple (ou dans laquelle sexprime la vrit du pacte social effectivement

    constitutif du peuple), ou avec Bentham dis-tinguant les fictions lgitimes (expressions de la vrit

    du principe anthropologique de lutilit) des entits fabuleuses , donc les vraies fictions des

    fausses fictions. [12] Ou avec Kelsen posant que tous les jugements attribuant un caractre

    juridique une relation entre individus ne sont possibles qu la condition gnrale de supposer la

    validit dune norme fondamentale (Grundnorm) . [13] Et ainsi de suite.

    Contre-preuve : un matre-mot (comme dailleurs un Matre tout court, en tant prcisment quil se

    dit tel) est ncessairement soumis la question de la vrit. Il ne peut valoir, tre reconnu et faire

    reconnatre ce qui dpend de lui que sil est vrai, cest--dire sil est le vrai Dieu, le vrai Bien, la

    vraie Justice, le vrai Beau, la vraie Loi, la vraie Science (toujours accompagne de la dnonciation

    des fausses sciences ), la vraie Libert (Proudhon : Ironie, vraie Libert ! ).

    Cest pourquoi Heidegger montre juste titre que la dfinition dite traditionnelle de la vrit

    comme accord (adquation, correspondance) de la connaissance et de la chose (qui est en fait le

    renversement rcent dune thse thologique exprimant que lIntellect divin est le nom de la Vrit)

    prsuppose un sens plus originaire (et aussi plus ordinaire) qui est le vritable, lauthentique (seul

    lor vritable est de lor, cest--dire que seul il mesure les valeurs).

  • 10

    La trace du conflit

    Dans cette tautologie (Dieu est la Vrit sil est le vrai Dieu, le Bien est le Bien sil est le vrai

    Bien, etc.) nous retrouvons lautorfrence du vrai, mais scinde en deux termes dont lidentit

    laisse place au doute, et par consquent appelle la croyance, ou plus gnralement - puisque les

    termes de croyance et de foi, en liaison avec lhistoire des noms de la vrit, ont reu aujourdhui

    (mais pour combien de temps ?) une signification restrictive appelle la certitude, lassurance

    acquise au terme dune rvlation, dune argumentation ou dune preuve. En dautres termes

    lquivalence des matres-mots et de la vrit (le fait que les matres-mots soient dautres noms de

    la vrit) se dit quotidiennement, mais sous une forme qui porte invitablement la trace dun conflit.

    Entendons par l, non seulement, comme tout lheure, la trace dune ngation refoule, dun

    contraire de la vrit formellement reconnu comme mensonge, erreur, illusion, etc., mais la

    trace dune dngation, dun refus de reconnaissance quon a formul ou quon formulera, dune

    contestation laquelle je , cest--dire quiconque nomme la vrit de tel nom, et mieux encore :

    quiconque la nomme ainsi pour dautres, est (suis) invitablement confront. Par exemple : la

    thorie de Marx est toute-puissante parce quelle est vraie (formule qui fait du nom de Marx un

    nom de la vrit) porte la trace du doute sur le point de savoir si vraiment elle est vraie, ou si tant

    vraie elle est toute-puissante, parce quil y en a qui nient quelle soit (thoriquement) vraie ou

    quelle soit toute-puissante ( pratiquement vraie ), mais aussi qui placent ailleurs que chez Marx

    (par exemple en Dieu, ou dans le March, ou dans le Monde Libre), la vrit et la toute-puissance ...

    Mais il ne suffit pas de faire voir quil y a des matres-mots qui sont tous des noms de la vrit, il

    faut encore montrer quils ne sont rien dautre que des noms de la vrit, cest--dire qu ils sont

    tout aussi vides de sens propre, particulier, que le nom mme de la vrit, en tant quelle est

    seulement son propre nom. Ici les choses deviennent trs intressantes, car on voit que deux procs

    sont toujours simultanment luvre.

    Dun ct il y a le fait quen dplaant le nom de la vrit de la Vrit mme sur Dieu, ou sur la

    Science, ou sur la Loi, ou sur la Rvolution, on vide de sens Dieu, la Loi, la Rvolution, la Science,

    pour en faire de purs signifiants profrer dans le discours, mettre en scne ou inscrire sur les

    monuments des institutions. Ce qui est sans doute la condition pour que leur appel soit irrsistible

    dans des conditions donnes (tout matre-mot dont lappel a t irrsistible deviendra un jour

    impuissant, lexprience le prouve, comme elle prouve quon peut se faire de lourdes illusions sur

    limpuissance acquise de tel matre-mot). Mais dans le mme temps on remplit de sens la vrit en

    lui donnant pour signifi Dieu, la Rvolution, etc. Et plus prcisment on la remplit de sens en lui

    donnant pour signifi toute la chane des matres-mots qui, de gr ou de force, sont subordonns

    Dieu, la Loi ou la Rvolution, cest--dire qui subordonnent symboliquement la multiplicit des

    paroles, des pratiques, de leurs agents et destinataires la vrit de Dieu, de la Loi, de la

    Rvolution.

    Mais de lautre ct il y a le fait quon ne peut pas dplacer (donc placer) le nom de la vrit sur un

    matre-mot quelconque sans le prendre ailleurs, car le nom de la vrit est toujours dj quelque

    part. Souvent des religions ou des philosophies sont alles jusqu supposer que le nom de la vrit

    tait lui-mme absolument originaire (constituait lorigine du langage), ou absolument nouveau

    (parce quelles lavaient elles-mmes forg), mais ce nest l, de toute vidence, quune fiction

    constitutive de lidologie, une procdure deffacement de la trace du conflit. Aucun discours na

    jamais pour la premire fois nomm la vrit dune faon dtermine, dvoilant ainsi ce quelle

    est vraiment, cest--dire son essence. Mais tout discours de la vrit, mme lorsquil rpte une

    vrit apprise, a toujours rcus dautres noms qui trompent sur la vrit, qui voilent ce quelle

    est et ce quelle dit. Et par l mme tout discours de la vrit a toujours activement occult

    lvidence dautres noms de la vrit.

    Ainsi on ne peut pas dire que la vrit cest Dieu sans dire que la vrit ce nest pas le Monde, ou la

  • 11

    Nature, ou Csar : sinon en tant que le Monde est limage mme de Dieu, la Nature nest pas autre

    chose que Dieu mme, ou bien lordre et la disposition que Dieu a tablie dans les choses cres

    (Descartes, VIe Mditation), Csar est linstrument de la volont divine dont vient toute autorit

    (Saint Paul, Eptre aux Romains). Et on ne peut pas dire que la vrit cest la Nature sans dire que la

    vrit ce nest pas Dieu, ou ce ne sont pas les dieux (sinon en tant que Dieu et les dieux sont une

    faon quivoque de dsigner la Nature).

    De mme on ne peut pas dire que la vrit cest la Raison, ou lHumanit, ou le Droit, sans dire que

    la vrit ce nest pas Dieu, ou du moins que ce nest Dieu que dans la mesure o Dieu est le prte-

    nom de la Raison pour les ignorants (il y aurait donc tout un travail faire sur le rapport troit entre

    la question du dplacement incessant des noms de la vrit et la thorie dite de la double vrit ).

    Et on ne peut pas dire que la vrit cest la Rvolution sans dire que ce nest pas le Droit, ou du

    moins pas le droit divin, ou pas le droit bourgeois (mais pour un vrai rvolutionnaire , ne va-t-il

    pas de soi que tout droit est bourgeois ?). Une autre question intressante se dcouvre ici : quun

    nouveau nom de la vrit peut en dplacer plusieurs, qui sont mutuellement conflic-tuels. Ainsi dire

    que la vrit de la politique cest la Socit (ou que la Socit est la source de toute politique vraie),

    cest la fois dire que ce nest pas lIndividu, et dire que ce nest pas lEtat (mais nous ne saurions

    tenir pour vident a priori que le discours de lIndividu et le discours de lEtat soient

    incompatibles).

    Lido-logique

    Il sagit ici de bien autre chose que du fait que le nom de la vrit ne va pas sans la diversit des

    noms de ses contraires. [14] Il sagit du fait que le nom de la vrit ne se remplit de sens qu

    expulser le sens dautres noms de la vrit (de noms de la vrit comme Autre), ou plutt les

    remplir de non-sens, les nantiser, par une opration violemment conflictuelle, mais aussi

    profondment ambivalente (nantiser un certain nom de la vrit, est-ce lanantir ? nest-ce pas

    plutt le mettre en communication avec une certaine ide ngative du nant , comme disait

    Descartes, et donc lui mnager la possibilit de ressurgir sous les traits malfiques de quelque Malin

    Gnie, de quelque Ennemi de la Vrit ?). [15]

    On dcouvre ainsi que le lieu de la vrit, le lieu idologique, est structur par une triple

    logique , qui nest pas celle des fonctions de vrit mais plus gnralement :

    1) celle du conflit ou de la lutte entre les matres-mots (dont la liste est apparemment indfinie : il

    est donc tout fait vain de vouloir la circonscrire, et particulirement de vouloir en excepter par

    principe tel ou tel nom, l exception tant la forme mme de la nomination du vrai). Une telle

    lutte vise sapproprier le nom de la vrit, ce que nous pouvons aussi interprter comme un

    processus rendant possible lappropriation de la vrit par des sujets et des institutions

    dtermins ;

    2) celle de la subordination des matres mots (et sans doute, par leur intermdiaire, de tous les mots)

    certains dentre eux, enjeu de vrification permanente (et objectif privilgi de la construction

    des systmes philosophiques, ce qui suffirait prouver limportance de la philosophie) ;

    3) celle de la circulation du sens entre les noms de la vrit qui circulent eux-mmes comme

    signifiants. Dans cette circulation les noms de la vrit constituent des relais, ou pour employer une

    mtaphore qui marque mieux leur fonction active, des relances de la vrit vers l effectuation de

    son sens, lefficacit de son emprise. Mais ce sont aussi, on vient de le voir, des obstacles, des

    signifiants qui barrent ou raturent le nom de la vrit. La circulation du sens nous ramne

    donc au conflit, dont elle ne peut jamais tre spare.

    La question qui se pose maintenant est de savoir si cette triple logique, ou ce triple processus,

  • 12

    manifeste simplement la clture du lieu idologique de la vrit, dans lequel ne prendrait place

    quune rptition, une permutation indfinie, ou sil traduit au contraire une incompltude, que lon

    pourrait entendre de plusieurs faons.

    Au sens dune dissmination du sens qui, jamais fix par aucun nom ou aucune hirarchie de noms,

    serait constamment chass vers de nouveaux lieux idologiques, cest--dire exigerait

    constamment que de nouveaux noms, tout neufs, soient idaliss et neutraliss de faon nommer

    la vrit.

    Au sens dune historicit (ou irrversibilit de lhistoire) de la vrit qui, quelle quen soit la cause

    (quelle soit immanente au lieu idologique, ou quelle corresponde au fait que lidologie nest pas

    le tout de sa propre dtermination), interdirait dadmettre une quivalence gnralise, un retour

    ternel ou une rversibilit de principe dans sa circulation. Comme si, aprs tre passe de Dieu

    lHomme, la vrit pouvait, loccasion, revenir de lHomme Dieu. Autre exemple non moins

    actuel : comme si, aprs tre passe, non sans contestation, de lArgent au Travail, la vrit pouvait

    revenir lArgent.

    Enfin au sens o certaines formations idologiques seraient en un sens des non-idologies, cest--

    dire des discours o la vrit ne fonctionne plus sur le mode de lautorfrence, o les noms de la

    vrit ne fonctionnent pas comme des matres-mots, o la vrit ne puisse pas faire lobjet dune

    appropriation par lintermdiaire de tel ou tel nom : du moins pas tout le temps , cest--dire en

    chacun de leurs usages.

    Les enjeux de ce genre de questions sont assez clairs : au minimum il sagit de savoir si le lieu de la

    vrit doit tre en mme temps pens comme le lieu de lternelle rptition des-effets de matrise.

    Force est cependant de constater que rien, dans la description que nous avons propose du

    dploiement de la vrit en son lieu, ne permet dy rpondre. Parler de clture ou de non-clture,

    voire simplement former lhypothse que clture et non-clture soient abso-lument discernables, ne

    peut tre que lanticipation dun autre genre de rflexion sur les rapports de la vrit et de

    lidologie.

    Lhypothse nominaliste

    En revanche nous avons rencontr au passage, deux reprises au moins, une question que nous

    avons carte sans lexaminer vraiment. Cest, si lon veut, la question du nominalisme : mais de

    cette variante particulire du nominalisme, nullement incompatible avec le ralisme , et

    apparemment propre au discours philosophique ( certains systmes philosophiques trs atypiques),

    qui renverse les perspectives, en liminant le nom de la vrit comme tel, non pas pour interdire de

    parler du vrai, mais pour identifier le vrai la multiplicit infinie, excdant toute dnomination

    univoque, de ses propres occurrences dans le rel, dans la pense ou dans le langage.

    Plusieurs difficults surgissent immdiatement propos de cette hypothse. Premirement, nous

    lavons esquisse partir dallusions des systmes philosophiques dtermins, particulirement

    attachs la forme de la clture (non sans quelque ironie peut-tre). Peut-on supposer que des

    systmes philosophiques se soient institus sans rfrence quelque nom de la vrit ? Les

    exemples mmes quon vient de prendre suggrent immdiatement le contraire. Que sont donc la

    Substance (autrement dit Deus sive Natura), la valeur de vrit frgenne (ou la Bedeutung des

    propositions considres comme des noms ), la forme gnrale de la proposition

    cabalistiquement dsigne dans le Tractatus [16], sinon dexplicites noms de la vrit ? Faut-il alors

    supposer que ces systmes sont, en tant que tels, contradictoires, ou pour mieux dire, quils

    combinent dans un conflit indfiniment reconduit la nomination de la vrit avec lidal dune

    vrit sans nom, radicalement anonyme ?

    Cette nouvelle suggestion relance plutt les interrogations quelle nclaircit la situation. Un tel

  • 13

    conflit en effet nest sans doute pas propre ces philosophies. Il se peut quelles ne fassent que lui

    donner une prsentation particulirement visible . On pourrait soutenir quil constitue la

    philosophie comme telle. En ce sens cest peut-tre dans toute philosophie quil faudrait rechercher

    lhypothse de lanonymat et de la dispersion dmocratique des vrits. [17]

    Dautre part, dire que la vrit est sans nom, au singulier (voire quelle est lAnonymat comme tel)

    est une vieille formulation, mise au point par le no-platonisme et la thologie ngative, pour

    manifester que la vrit est toujours encore au-del de tout nom dtermin : cest donc un nom de la

    vrit, particulirement imprieux. Inversement, dire que toutes les vrits sont des noms

    innombrables, et mme des noms propres de ce quelles sont, individuellement, nous fait

    toucher la limite dutilisation du mot mme de nom (en tant quil suppose le verbe nommer).

    Ce nest pas un hasard si chacun des philosophes mentionns ici met sa faon un jugement sur

    les limites du langage, qui suppose pratiquement de le penser comme son contraire. Spinoza range

    tous les mots (en tant que noms communs, renvoyant aux ressemblances des individus) dans

    limagination et les exclut de la connaissance adquate. Frege subordonne toute assignation

    rigoureuse des valeurs de vrit la neutralisation des proprits des langues naturelles , par la

    construction dune idographie (Begriffsschrift) o se superposeraient exactement l architecture

    dmonstrative et la construction des concepts. [18] Wittgenstein enfin identifie les signes des

    tableaux (Bilder) du monde qui font eux-mmes partie du monde, cest--dire qui sont en

    dernire analyse de simples vnements ou tats (Sachverhalte) ..

    Pour linstant, lhypothse nominaliste et dmocratique, dont lobjectif antihirarchique est trs

    manifeste : faire en sorte que la vrit se nomme en son propre lieu idologique, sans que surgisse

    jamais le moindre matre-mot, nous apparat donc ncessairement comme une aporie. A vouloir que

    disparaisse le matre-mot, ou quil se dissolve dans la masse, nest-ce pas le discours lui-mme

    quon anantit ? A moins de rattacher la disparition, lclipse du matre-mot dautres nonciations,

    dautres effets de vrit.

    Notes

    [1] Dans la lettre Mersenne du 16 octobre 1639 (Descartes, uvres philosophiques, Edition de F.

    Alqui, Editions Garnier, 1967, Tome II, p. 144).

    [2] Traduction franaise : La conception smantique de la vrit et les fondements de la

    smantique , dans Logique, Smantique, Mtamathmatique, Armand Colin, 1974, vol. 2.

    [3] Traduction franaise : Sens et dnotation , dans Gottlob Frege, Ecrits logiques et

    philosophiques, tra-duction et introduction de Claude Imbert, Editions du Seuil, 1971.

    [4] Spinoza, Ethique, Ile partie, scolie de la proposition 43.

    [5] Nietzsche, Le Crpuscule des idoles, Comment le monde-vrit devint enfin une fable .

    [6] La chose freudienne , rdit dans J. Lacan, Ecrits, Editions du Seuil, 1966, p. 409.

    [7] Relevons au passage une modalit supplmentaire du redoublement : la mtaphorisation infinie,

    comme telle, devient un indice autorfrentiel de la vrit, et permet den justifier telle nomination.

    Ainsi Lacan peut voir dans le phallus le signifiant de la vrit, parce que le phallus est

    mtaphoris Jinfini dans le discours de linconscient.

    [8] Cf. le court texte de Freud, Die Verneinung (trad. fr. La Ngation, in Rsultats, Ides,

    Problmes, volume II (1921-1938), P.U.F., 1985.

    [9] Cf. notamment Jean-Claude Milner, Les Noms indistincts, Editions du Seuil, 1983. On pourrait

    reconstruire ici toute une gnalogie, qui drive du commentaire des noms divins et de leur

    renversement, passant par Bacon, Spinoza, Stirner, Marx, Nietzsche ... Dans Pragmatism, A New

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    Name for Some Old Ways of Thinking (1907), dnonant that typical idol of the tribe, the notion of

    the Truth , William James avait crit : All the great single-word answers to the worlds riddle,

    such as God, the One, Reason, Law, Spirit, Matter, Nature, Polarity, the Dialectic Process, the Idea,

    the Self, the Oversoul, draw the admiration that men have lavished on them from this oracular

    role ... (rd. Harvard University Press, 1981, p. 115). Milner rattache la signification

    autorfrentielle du matre-mot la fonction de dire le Lien . Il donne la premire liste suivante :

    LEtre, le Monde, le Travail, lHistoire, mais tout autant la Trifonctionnalit, la Race, les

    Cosmogonies, les Mythes ... Clairement, le Lien ou the single-word answer peuvent tre

    aussi des matres-mots : toute critique est rcuprable , ou plutt elle est aussi une nonciation de

    ce quelle critique. Cf. galement Jean Robelin, Maimonide et le langage religieux, P.U.F., 1991, ch.

    4 : Nom de Dieu ! ou le maitre-signe .

    [10] Je minspire librement ici de Dominique Lecourt dans La philosophie sans feinte, J.E. Hallier -

    Albin Michel, 1982.

    [11] P. Legendre, Leons Il : Lempire de la vrit. Introduction aux espaces dogmatiques

    industriels, Fayard, 1983, pp. 178 et 186.

    [12] Enrique Mari : Jeremy Bentham : du "souffle pestilentiel de la fiction" dans le droit la

    thorie du droit comme fiction , Revue interdisciplinaire dtudes juridiques, 1985, 15.

    [13] Hans Kelsen, Thorie pure du droit. Introduction la science du droit, Editions de la

    Baconnire, Neuchtel, 1953, p. 117.

    [14] Il conviendrait de se demander si les deux refou-lements dont nous parlons, celui de la

    ngation et celui du conflit, sont vritablement indpen-dants : non seulement parce que le

    refoulement dun conflit passe par le marquage dun matre- mot destitu au moyen dune des

    formes de la non-vrit (mensonge, illusion, imposture, igno-rance ... ), mais parce que la

    hirarchisation des procdures de jugement ou de partage dans lordre de la vrit passe, elle,

    par sa re-nomination. On songe ici ce que Derrida appelle palonymie (La Dissmination,

    Editions du Seuil, 1972, p. 9 et sv.). Cest la question de lhistoire du mot vrit, et des diffrents

    vocables que nous traduisons par vrit (cf. Marcel Dtienne, Le choix : Altheia ou

    Apat , dans Les Matres de vrit dans la Grce archaque, Franois Maspero, 1967).

    [15] Dans "DIEU EST DIEU", Essai sur la violence des propositions tautologiques , in

    Philosophie buisson-nire, Jrme Millon, Grenoble, 1989, Stanislas Breton a examin une autre

    ambivalence de lopration qui expulse le sens des noms de la vrit : domination et libration.

    [16] Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, proposition 6 : La forme gnrale de la

    fonction de vrit est [ p, x, N( )]. Ceci est la forme gnrale de la proposition.

    [17] On en aurait un nouvel exemple avec la dfinition du vrai propose par A. Badiou dans L Etre

    et lEvnement (Editions du Seuil, 1988) comme indiscernable gnrique dun vnement qui

    force la capacit de nomination des procdures finies du savoir. Il semble que le platonisme du

    multiple dfendu par Badiou cherche penser lgalit des vrits en construisant un infini

    dinfinis particulirement irrductible. Cest peut-tre moins loign de Spinoza quil ne le croit,

    ceci prs que pour Spinoza lexcs du fini dans son ordre propre se nomme plutt singularit .

    [18] Claude Imbert, La dissidence des preuves : Leibniz, Kant, Frege , dans Phnomnologies et

    Langues formulaires, P.U.F., 1992, p. 123 : Le symbolisme bi-dimensionnel ( ... ) implique une

    quivalence entre le conceptuel et linfrentiel qui livre, sans nul doute, le premier la syntaxe du

    second, mais suppose en change que les concepts arithmtiques fussent indiscernables des preuves

    qui nervurent la discipline. Autant de dmonstrations formelles, autant de concepts, autant de

    vrits. En termes spinozistes on dirait : toute ide est immdiatement ide de lide .