Willard La Défense Accuse troisième édition 1955

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NOUVELLE ÉDITIOM REVUE ET COMPLÉTÉE

PRÉFACE DE LÉON FEIX Membre du Bureau politique du Parti communiste français

OCIAILES 64, boulevard Auguste-Blanqui

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Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous les pays, Copyright 1955 by Gditions Sociales, Paris.

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ARCEL WILLARD est avocat - et militant - depuis trente-cinq ans.

C'est en effet à sa démobilisation, en octobre 1919,. qu'il entre a la fois au barreau de Paris et au Comité pour la IIIe Internationale en attendant d'adhérer, dès le Congrès de Tours, au Parti communiste français.

Cela fait pour Marcel Willard trente-cinq années chargées de lourdes responsabilités qui lui ont permis d'accumuler une expérience considérable, dans le domaine qui est le sien, celui de la défense de militants ouvriers tombés aux mains de l'ennemi.

Marcel Willard est - avant tout peut-on dire - le défen- seur du grand Georges Dimitrov. Le procès de Leipzig l'a profondément marqué. Tout au long des pages consacrées, dans La Défense accuse, à l'immense manifestation d'interna- tionalisme et de lutte pour la liberté que fut ce procès, res- sortent le respect et l'admiration de Marcel Willard pour celui qui, de façon magnifique, sut d'accusé se faire accusateur, infligeant une première et retentissante défaite à l'hitlérisme et aux pionniers de « l'Europe nouvelle B.

Au centre de la premiére édition de La Défense accuse, qui date de 1938, se trouvait Dimitrov. Ce n'était que justice. Et c'était faire œuvre éminemment utile : l'exemple du grand rbvolutionnaire devant ses a juges » devait guider, au cours des années qui suivirent Munich, des centaines de combat- tants antifascistes, des centaines de patriotes franpais.

Le tempérament généreux et les capacités de juriste de Marcel Willard l'ont amené à se battre un peu partout, notam-

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ment dans une bonne dizaine de « complots )>, montés comme toujours de toutes pièces, dans divers pays étrangers - en Bulgarie, en Hongrie, en Allemagne - et en France contre le Parti communiste et d'autres organisations démocratiques.

Il est au banc de la défense, lors du « complot B de 1923, lorsque le Parti se dresse contre la néfaste politique de l'accu- pation de la Ruhr qui devait si largement alimenter la pro- pagande revancharde de Hitler.

Il est au banc de la défense, au cours du <( complot » de 1925, mis sur pied parce que le Parti s'élève contre la guerre colonialiste du Maroc.

Il est au banc de la défense, en 1929, .quand le Parti est accusé de lutter contre la guerre impérialiste et pour le sou- ,

tien de 1Wnion soviétique. Il dirige, en mars 1940, la défense des députés communistes

engagés sur le « chemin de l'honneur », un mois et demi avant l'occupation du pays que prépare l'anticommunisme des gou- vernants de l'époque. Maurice Thorez rappelle, dans Fils du peuple, les paroles suivantes de Marcel Willard devant le tribunal :

Tant pis pour ceux qui, ayant semé le vent, comptent sur vous pour leur épargner la tempête. La tempete, ils l'auront.. .

Marcel Willard fait le maximum pour que la tempête n'épargne pas les responsables des malheurs du pays.

Lieutenant F. T. P., il participe, le 19 août 1944, tout au début de l'insurrection parisienne, à la prise du ministère de la Justice par les patriotes. Il est chargé, le jour même, des fonctions de ministre, avec le titre de Secrétaire général à la

. Justice. Époque exaltante dont Maurice Thorez a écrit :

Un frémissement immense secouait le pays. Tous avaient soif d'une vie nouvelle. Les forces de la réaction se terraient. Ceux qui avaient paotisé avec

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l'ennemi tremblaient à l'idée d'être obligés de rendre des comptes.

A son poste provisoire de Secrétaire général à la Justice, ,

Marcel Willard s'oriente résolument vers cette exigence de la nation : faire rendre des comptes. Il engage des poursuites contre des traîtres et des collabos. Il commence l'épuration de la justice de Vichy, jusqu'à l'arrivée à Paris du gouverne- ment d'Alger.

Mais le temps passe. En 1947, sur ordre de Washington, les ministres communistes sont évincés du gouvernement. Une politique contraire à celle qui a assuré la victoire des démo-

- craties sur l'hitlérisme est mise en œuvre sous la direction de ceux qui ont déjà décidé de continuer Hitler. Le programme du Conseil national de la Résistance est bafoué. Tandis que le sabotage de l'épuration rend aux collabos la liberté, les résis- tants sont poursuivis. La répression frappe de nouveau les travailleurs en grève, les patriotes, les combattants de la paix. La guerre faite au peuple vietnamien se développe, pour des intérêts qui ne sont pas ceux de la France.

Les armes em~oisonnées de l'anticommunisme et de l'anti- soviétisme sont ieprises de l'arsenal hitlérien : il. en est ainsi chaque fois que se prépare quelque mauvais coup contre la France et contre la paix.

Cette fois, les maîtres américains se prodiguent pour mon- trer le chemin à suivre. Le mac-carthysme dévoile le vrai visage de la démocratie du dollar. L'inquisition moyenâgeuse réapparait avec la chasse aux sorcières et l'hystérie anticom- muniste. Sous leur protection, on assassine en Grèce, dans l'Allemagne de Bonn. Les criminels de guerre libérés rechaussent leurs bottes de S. S., et Krupp retrouve sa fortune et ses usines de mort. Le bruit des bombes atomiques améri- caines annonçant dans le Pacifique quelque nouvel-~iroshima rythme ce cheminement de la conspiration, de la persécution, de la nouvelle terreur fasciste.

Mai 1952 : nouveau complot contre la classe ouvrière fran-

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çaise, son Parti communiste et les organisations démocra- tiques. Marcel Willard est là, fidble à son poste, à la tête de la défense, mettant toute son expérience, tout son talent, tout son cœur de patriote et de grand honnête homme à la << mani- festation de la vérité 3. Tout comme en 1923, en 1925, en 1929, en 1940.

Mais nous ne sommes plus en 1923, en 1925, en 1929, en 1940.

Les forces de la démocratie et de la paix ont fait des pro- grés considérables et mettent en échec la marche à la guerre , commencée en 1947. A leur tête, la grande Union soviétique, . qui va audacieusement vers le communisme, sans se laisser détourner de sa route par les chantages et les criailleries de ceux qui représentent déjà le pass6. La Chine, l'immense Chine de plus de 600 millions d'hommes et de femmes, a rompu définitivement avec l'état de dépendance dans lequel la tenaient les impérialistes. La plupart des pays d'Europe dans lesquels Marcel Willard fut naguére appelé comme défenseur sont aujourd'hui dirigés par les hommes qu'il defendit contre les fascistes et les hobereaux. En France, les « forces prcfondes » de la nation se lèvent ; elles ont déjà remporté d'importants succès.

L'un des mérites de la nouvelle édition de La Défense accuse, c'est précisbment de paraitre en un moment où se préparent et se livrent de grandes batailles pour la paix, pour la démo- cratie, pour le pain des travailleurs, d'où sortiront sans aucun doute de nouvelles victoires.

Quoi de plus exaltant pour mener ces luttes à bien que l'exemple des combattants dont parle Marcel Willard et qui forment comme une chaîne d'un siècle de courage, de lucidité et d'honneur.

La leçon de Babeuf et de Blanqui, celle des Communards et de Thælmann, celle des bolchéviks russes et des députés communistes franpais du « chemin de l'honneur », la leçon de Dimitrov, le lecteur la retrouvera, ardente comme une flamme, dans le martyrologe de la Résistance française, dans le procés

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des onze communistes américains, dans la mort de Beloyannis, dans l'affaire Henri Martin; dans la vie et la mort d'Ethel et Julius Rosenberg.

Cette leçon, elle est dans la défense de Jacques Duclos, prenant & bras-le-corps les hommes du <( complot )> de 1952, imposant le respect aux ennemis des travailleurs, impulsant de sa prison la lutte de tout un peuple, animant le combat populaire pour l'indépendance nationale et la paix.

Que comptent, face à de tels exemples, les misérables manœuvres d'hommes qui voudraient faire tourner en arrière la roue de l'histoire, même si ces hommes disposent d'un arse- nal de calomnies anticommunistes, de polices oEcielles et « parallèles 3, d'officines d'espionnage et de nervis ?

La ~ é f e n s e accuse n'est pas seulement œuvre d'historien, de témoin, de juriste. C'est une œuvre militante, résolument orientée vers l'avenir. C'est une œuvre d'éducateur.

Merci pour tout cela, Marcel Willardl Léon FEIX.

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AVANT-PROPOS

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AVANT-PROPOS

ROIS années se sont écoulées depuis la deuxième ddition de ce 1 ivre. Trois années trépidantes d'histoire et riches d'enseigne- ments. Les classes privilégiées lancées à corps perdu dans la

course a u profit maximum et aux armements, les .gouvernements de commis qui expriment et font prévaloir les intérêts de ces classes, sans hésiter à leur sacrifier l'intérêt national, l'indépendance et la sécurité nationales, ont perdu non seulement toute perspective, mai s le choix des moyens.

L'imposture a perdu le choix de ses fictions, la mystification le choix de ses mythes, à mesure que se réduisait b champ d'action, la faculté de,manceuvre d u régime, e n même temps que ses débouchds, ses marchés de capitaux, et que s'amenuisait l'indépendance de la nation à l'égard d u n protecteur D dévorant d'outre-Atlantique.

A défaut d'une mythologie nouvelle (celle d u fascisme ouvert étant, depuis d ix ans, discréditée par sa défaite), le fascisme honteux (mais de moins e n moins caché) est obligé de recourir à l'antiphrase. C'est a u nom de la Liberté que les forces mystificatrices confisquent les libertés dont elles ont lâché le drapeau : leur (( monde libre 11

est celui d'un Franco, d 'un Grand Turc et d 'un Mac Carthy. C'est a u nom de l'Europe unie, de (( l'idée européenne )), qu'elles divisent l'Europe et la réduisent à celle de Charlemagne, d u Saint-Empire ou du Vatican. Au nom de la défense qu'elles préparent l'agression$ atomique. Au n o m de la patrie qu'elles trahissent la patrie. Au nom de la paix qu'elles s'efforcent de dégeler leur c guerre froide B. L a bassesse est réduite à emprunter le masqhe et le vocabulaire de la noblesse d'dme pour étouffer les forces qui s'élèvent et mettre au ban la générosité des masses.

Mais les peuples ne se laissent plus tromper aisément. Leurs avant-gardes organisées reprennent des mains de leurs oppresseurs

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les drapeaux de l'indépendance et des libertés. Les yeux s'ouvrent sur la marche impétueuse qui entraine, sur un tiers de la planète, près d 'un milliard d'êtres humains, portant l'avenir comme un enfant sur leurs épaules, dans la voie de la paix, vers des lendemains ira- ternels. Partout, dans les pays où ne sont pas encore brisées les chaînes, les consciences s'éveillent, les mains se cherchent et, plus nombreuses, plus souvent, s'unissent. L a poussée populaire est telle que l'ébran- lement gagne un à un les continents. Elle exaspère les contradictions d u oieus monde rétréci, qui , armé jusqu'aux dents, épouvanté par les (( menaces de paix D, ne compte survivre qu'en misant sur la tension internationale, le chantage nucléaire et l'aventure apo- calyptique.

Comment venir à bout de la résistance de jour en jour plus lucide des peuples? I l ne su f i t pas de leur donner le change et de reteindre à neuf les épouoantails défraîchis. I l faut user de la violence et la justifier. B 'où cet avatar américain d u fascisme, incarné par un Mac Carthy, qui assassine avec une jovialité photogénique les époux Rosenberg, tient la science e n lisière, met hors la loi la paix et le non-conformisme baptisé non-loyalisme. D'où l'exportation autori- taire de cette marchandise de contrebande sous pavillon étoilé. D'où, e n Allemagne occidentale, e n Italie, en France, la mise sur le pied de guerre de l'appareil répressif.

En France, coincidant avec la signature des accords de Bonn et du traité de Paris, qui tendaient à prostituer la France, à aliéner ce qu'il l u i restait de souveraineté, à faire litière de sa sécurité e n réarmant l'Allemagne de la revanche, le coup de force du (( complot ».

J'ai longuement hésité à inclure dans cette réédition un chapitre sur le complot 1952, dont l'histoire n'a pas encore atteint son terme, puisque les pourszrites n'ont pas encore été clôturées par des ordon- nances de non-lieu. Pas assez de recnl. E t , surtout, comment faire tenir en quelques pages un récit qui vaudrait u n volume?

Mais il m'a paru impossible de passer sous silence, en 1954, des faits s i récents dont l'apport ne peut qu'actualiser le sujet d u livre et son objet : les enseignements de la résistance opposée a la répression de classe.

C'est pourquoi j'ai cru devoir essayer de résumer e n un chapitre, sans doute incomplet et sans prétention exhaustive, les phases et la leçon d 'un procès qui, grdce 21 l'efficacité de l'action populaire unie, se meurt avant terme, sans avoir e u à affronter la lumidre publique d'une audience. Je ne prétends pas pallier l'insuffisance de ce cha-

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pitre; mais, après tout, n'est-ce pas le sort inévitabb d'un ouvrage comme celui-ci d'être toujours inachevé 2

Des raisons du même ordre m'ont incité à consacrer un bref cha- pitre a u x deux rnartgrs américains dont le ilestin tragique a souleod vers eux l'admiration universelle, ma i s aussi la colère des peuples contre un régime de terreur et de bellicisme proposé e n modèb au prétendu (( monde libre u. Ethel et Jul ius Rosenberg ont ogert à tous les braves gens du monde Z'exemple inoubliable et fécondant de leur fermeté d'âme devant la mort, le chantage & la mort, le chantage au reniement. 11 est vrai que cette adjonction nécessaire n e peut être que d'une grande humidité auprès d u bouleversant message contenu dans les lettres d u couple héroique.

Puissent ces compléments confirmer assez clairement la continuité d'un comportement exemplaire qu'opposent, depuis un siècle et demi, aux forces pourrissantes d u passé, de la servitude et de la mort (dont le déclin ne réduit pas le danger), les fiers porte-parole des forces de paix et d'avenir, des forces montantes e n marche dont le mouvement irréversible est celui même de l'histoire I

Novembre 1954.

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AVANT-PROPOS DE LA DEUXIÈME GDITION

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A la mémoire de LAnine et de Staline. A la mémoire de Georges Dimitrov. A la mémoire de nos héros tombés et B nos héros

survivants. A mon Parti et A son guide Maurice Thorez. Aux travailleurs de France e.t de toutes les patries.

A première édition de ce livre date de 1938. Elle a paru quelques semaines avant Munich. Elle est introuvable, depuis que le gouvernement des fossoyeurs l'a mise à

l'index et que l'occupant nazi l'a mise a u pilon. A la Libération, qui pensait qu'une réédition serait si pro-

chainement utile ? L a charte d u Conseil national de la Résistance était notre loi, et ceux qui comparaissaient aux bancs des accusés, ce n'étaient pas des révol ut ionnaires : c'étaient, a u contraire. des fascistes, des collaborateurs, des traitres.

Depuis lors, depuis 1947 (date où les communistes ont été, sur les injonctions d'outre- Atlantique, évincés d u gouvernement français, comme des gouvernements italien et belge), nous avons assisté a u sabotage de Z'épurat ion, a u renversement des al1 iances, à la remise en place des munichois et des (( collabos 1) (« ces pré- curseurs qui avaient eu raison trop tôt ))), a u déferlement de la répression contre les travailleurs en grève, contre les patriotes, contre les partisans de la paix.

De nouveau, une politique de servitude à l'égard de l'impé- rialisme le plus dominateur, une politique de conspiration et de provocation contre les pays qui ont supprimé ou suppriment

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l'exploitation de l'homme par l'homme, une politique de prdpa- ration agressive et de participation B la guerre c des mêmes contre les mêmes 11, implique le cheminement des mêmes, par 2a dictature policière, vers le f ascisme. U n f ascisme qui n'ose avouer son nom.

Cette conjoncture de lutte aiguë, de lutte de classes à l'échelle nationale et internationale, de lutte entre les forces invincibles de libération et les oppresseurs, enire les camps de plus en plus i n é g a u ~ de la paix et de la guerre, et dont l'enjeu n'est rien de moins que l'existence des peuples et l'avenir de l'homme, confère un regain d'actualité a u grand problème que posent les époques de tension sociale et de terreur policière :

Comment un combattant révolutionnaire doit-il se conduire lorsqu'il t o m b e au pouvoir de l 'ennemi ? Quelle doit être son at t i tude en présence de l'appareil d'État, et notamment de ses juges ?

Constater l'actualité d u problème, c'est rappeler l'attention sur l'enseignement et les exemples des grands révolutionnaires de l'histoire. E t , avant tout, sur l'ezpérience contemporaine, celle des meilleurs disciples de Marx, de LBnine et de Staline.

Au centre de cette expérience, le comportement d 'un h6ros prématurément disparu, Georges Dimitrov.

La victoire de Leipzig, qui, neuf ans avant Stalingrad, a montré publiquement que le fascisme alors invaincu n'est pas invincible et comment il peut être mis en échec a u ceur même de sa citadelle, demeure l'exemple le plus concluant.

Aucun succés ne fut arraché dans des conditions plus dures, sur le terrain choisi par l'ennemi. E t le recul d u temps, loin d'en réduire la portée, puissamment la consacre.

Toutefois, les dix-huit .années qui se sont écoulées depuis, les douze années qu i ont suivi la première édition de cette étude ont été si fécondes en événements et en leçons qu'il n'était plus possible de songer à une simple réédition.

Pendant ces dix-huit, ces douze ans d'histoire accélérée, notre expérience française et internationale de 1 a répression policière et judiciaire, de l a résistance d cette répression, s'est singulière-

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ment - et a u prix de p e l s sacrifices ! - enrichie et approfondie. Une mise e n place et une mise a u point s'imposaient. Aux

solutions de facilité consistant, par exemple, à reproduire le manuscrit original, daté et précédé d'une longue introduction explicative et complétive, nous avons préféré un remaniement sévère.

Mais ce livre, qui n'est ni un livre d'histoire ni un manuel, répond d un propos politique et pratiquement éducatif: c'est dire qu'il ne doit rebuter aucun militant, ni par son volume ni par son prix. A? fallait donc e n retrancher plus qu'on y ajoutait. Comment faire 3

Quitte à sacrifier totalement un certain nombre de chapitres, donc d'exemples, et à en comprimer quelques autres, tout en laissant à la bataille de Leipzig sa place à peu près centrale, nous avons partiellement compensé ces coups de taille (parfois pénibles, je l'avoue) par l'adjonction d'exemples récents que nous avons choisis.

Ce choix nous a été inspiré soit par leur force significative, soit, pl us ar b itrairement, par les possibilités inégales (eu égard a u temps disponible) de notre documentation. Qu'on nous excuse si nous avons dû modifier puelque.peu en faveur de la France l'équilibre international de la première édition!

On verra que les exemples nouveaux ne font guère, dans leur ensemble, pue confirmer les enseignements antérieurs d 1938. Avant tout, l'enseignement dimitrouien.

Est-ce à dire pue cette édition remaniée ne comporte pas de retouches concernant le fond des problèmes ?

Nous avons pensé que l'expérience des procès de masse qui, depuis la dernière guerre, ont souvent caractérisé la tactique répressive d u capitalisme aux abois nous faisait un devoir:

1. De tenir compte des leçons inoubliables de la Résistance et de ses martyrs : la politique des otages nous a cependant lai& moins de traces judiciaires pue d9« écrits sous la potence 1)

ou de messages fébrilement rédigés au petit jour des exécutions. 2. De ne plus nous borner a u cas des grands militants, des

pilotes illustres, dont nous nous étions attachks d faire valoir

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l'attitude, en immolant quelque peu les exemples, plus anonymes et neanmoins probants, des militants de base et des travailleurs sans parti, organisés ou non.

3. De préciser nos appréciations sur le rôle des avocats dans la ddfefense politique. Depuis 1936-1938, il a évolué, surtout dans les procès de masse. Et, s'il est toujours vrai que le militant doit assumer lui-même la direction de sa propre défense, il ne serait plus juste de cantonner automatiquement sur le plan technique, juridique, ceux des avocats qui ont fait leurs preuves et dont le militantisme a rompu toute amarre avec la formation *

bourgeoise et l~ déformation professionnelle. L'« état de siège D dont parlait Lénine ne doit pas être appliqué sans distinction d tous les défenseurs quels qu'ils soient.

Cela posé, il demeure que l'objet principal de ce livre est d'armer les combattants livrés ou non ci eux-mêmes, de les aider, par des exemples positifs (ou parfois négatifs), à se défendre politiquement, donc ofiensiuement, comme il convient d des révol ut ionnaires conséauents.

S'ils sont assist& ;l'avocats désignés d'office (comme cela est arrivé et peut advenir en période de guerre ou de terreur fasciste), ou même d'avocats librement choisis par eux, la vigil ance est toujours nécessaire : il est indispensable d'être, à chaque instant, en mesure de corriger les manquements, les déviations, de combler les lacunes politiques de la défense, de désavouer à temps une éventuelle trahison, un éventuel sabotage.

C'est à la défense politique et &elle seule que tous les moyens de fait et de droit doivent être subordonnés.

E t cette défense politique elle-même est commandée par une r2gle d'or, d'oh dérivent toutes les autres (pue nous essayons de formuler dans la conclusion de cette étude) et qui permet d'en tracer, puis d'en vérifier la ligne :

. 1. J e dis seulement a quelque peu B, car, dans la première édition, des chapitres

étaient déjà consacrés aux militants de la Ire Internationale, aux ouvriers de Wuppertal et aux cheminots de Bucarest (chapitres conserv6s) ; d'autres (que le nouveau format du livre m'a contraint de sacrifier) avaient trait aux combattants de la Commune de Paris et de la Commune autrichienne, aux 57 Polonais de Luck et aux mineurs des Asturies.

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Pour qu9alne r6volntionnsire soit juste, il faut et il sufflt qu9elle soit conforme aux iint6rêts des masses Isborieuses,

Même à défaut de culture et d'expérience politiques, un ouvrier, fût-il un adolescent et sans parti, pourra, guidé par son instinct de classe, servir la cause de ses frères de combat, la cause des travailleurs, l a sienne propre, m ieux pue tous les Raspail , les Torgler, les Parsal des deux continents.

C'est (1 toi, jeune travailleur, qu'est particulièrement dédié ce livre : il aura atteint son but et réalisé son ambit ion s'il par- vient d susciter ton émulation, d exalter ton cœur, devant les grands exemples dont il résume à ton usage l'impérissable enseignement.

S'il t'arrive, a u cours de la lutte que ta mènes, coude à coude avec tes camarades, pour ton pain, pour la Eiberté, pour l a propreté, pour la paix, d'être emprisonné, inculpé o u accusé par les mercenaires de l'ennemi, et si tu venais à douter de toi- même, de t a force, de notre force, a h I souviens-toi de ces hommes, de ces femmes qui , enchaînés comme toi, ont su tenir tête victo- rieusement à ce colosse aux pieds d'argile q u i s'appelle le f ascisrne.

Souviens-toi de Dimitrov et des dimitroviens. Souviens-toi de Rakosi , de Thælmann , de Gheorgiu-Dej. Souviens-toi de Guy Môquet, de Gabriel Péri et de Pierre T imbaud. Souviens-toi des grands révolutionnaires de France. Souviens-toi de notre Maurice Thorez dans sa prison de Nancy , infligeant à son juge d'instruction la plus cinglante et la plus fructueuse des leçons l. So uviens-toi des meilleurs staliniens de toutes les patries.

Et montre-toi digne d'eu$. Pour que nous puissions, nous autres, tes fréres, nous eflorcer

d notre tour de devenir dignes de toi.

1. Voir MAURICE TEOREZ, Fils du peuple, p. 65.

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L A LETTRE DE LÉNINE SUR LA DÉFENSE l

N juin 1904, un certain nombre de militants du Parti ouvrier social-démocrate de Russie étaient arrêtés.

Et voici que, le même mois, une loi d'instruction crimi- nelle, visant les accusés politiques, est promulguée, qui, dans un certain nombre de cas, substitue aux mesures administratives une procédure judiciaire.

A ces formes nouvelles de la répression, quelle tactique nouvelle faut-il adamter ?

a on vie né il de répondre au juge ? Vaut-il mieux lui dénier toute compétence et refuser de se défendre ? Est-il préférable de limiter ce refus à l'instruction et de faire, dans un plaidoyer final, une profession de foi politique ? Ou n'importe-t-il pas de participer A l'instruction et aux débats, et d'user, devant le tribunal, de toutes les possibilités d'agitation ?

Faut-il ou non faire appel au concours d'un avocat et quel rôle lui impartir ?

Doit-on se déclarer membre du Parti ou simplement se réclamer des idées qu'il exprime ?

C'est à Lénine que les prisonniers s'adressent pour lui demander son avis.

Lénine leur répond le 19 janvier 1905, et c'est cette lettre fameuse qui a été publiée en 1924 dans la Prolétarskaia Réooloutsia *.

1. Cette lettre est connue sous le nom de Lettre d Stassova, du nom de l'une de ses destinataires, la camarade s Absolut r, qui n'était autre, sous l'un de ses pseudonymes, qu'lIé1ène Dmitrievna Stassova.

2. Le Parti ouvrier social-dhmocrate de Russie, fond6 en 1898, était le Parti socialiste forme dans la tradition marxiste. Aprh le congrès de 1903, les éléments minoritaires, grouphs en fraction opposante, ont constitué le Parti menchévik. La majorité a donné naissance au Parti bolchévik.

3. Nous verrons plus loin qu'avant cette 6poque les social-démocrates russes s'étaient fait une règle de garder un silence absolu durant toute l'instruction.

4. Voir LENINE : Lettre B H.-D. S tassov~ et aux ernpris~qpt5s de hJoscou 9,

Quvres complétes, t. VII, p. 76-79, B. S. I., Paris, 1928.

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Quelle modestie et quelle prudence dans cette réponse du grand etrathge ! Quelle leçon pour les esprits suffisants ou confus i

11 n'expose ses réflexions que pour ouvrir un débat, qu'alimen- tera l'expérience ultérieure des emprisonnés, et il se défend d'appor- ter ainsi fût-ce un essai de solution ce problème dont il pose les données,

Mais il les pose avec un r6aIisme, une clairvoyance, une rigueur dialectique telles que les nombreuses annees de pression, de terreur blanche, puis d'oppression fasciste qui ont suivi, n'ont pu que confirmer l'orientation décisive qu'il donnait & la recherche d'une solution pratique.

La stratégie recommand6e par LQnine doit être ajustée aux conditions concrétes du moment, notamment la nature du tribu- nal, aux possibiiités de la défense.

1. De deux choses l'une : Ou la défense est impossible, donc inutilisable pour l'agitation

politique. Elle est, par exemple, totalement étouffée par la loi ou par le juge.

11 peut alors être opportun de refuser toute participation A l'instruction e t aux &bats, de n boycotter 1) le tribunal. Mais il ne faut jamais pratiquer cette stratégie du refus sans en avoir, au préalable, proclamé les raisons e t sans l'avoir fait précéder d'une déclaration de principes, d'une u protestation ouverte, déterminée, énergique ».

Si, au contraire (ce qui es% le cas le plus gbnéral), il existe une possibilité de dEfense politiquement utilisable, il convient de la faire valoir, de participer activement & l'instruction et aux débats, de mener la bataille avec toutes les armes possibles. '

On aurait évidemment tort de se priver de l'occasion de faire quelque agitation contre le tribunal m&me 1.

Il faut alors que chaque intervention du militant soit digne d'être une déclaration du Parti et tourne au bénéfice de sa propagande, de son action.

On voit que, dans toutes les hypotli&ses, même les plus ddfavo- rables & la défense, Lénine tient pour désirable et nécessaire un expos6 de principes, qu'il convient de prhparer avec le plus grand soin.

1. Ouv. cit., p. 79.

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A cet égard, il n'existe pas de meilleurs exemples que le plaidoyer . de Karl Marx devant la cour d'assises de Cologne et les interventions de Dimitrov devant le Tribunal d'Empire.

2.. Est-ce à dire qu'il soit opportun de se reconnaitre membre du ' Parti .ou de telle organisation politique illégale ou semi-légale?

Le militant doit se faire une règle absolue d'écarter délibérément toute question concernant l'organisation.

Un combattant fait prisonnier n'a pas à renseigner l'ennemi. Le renseigner, c'est lui fournir des moyens nouveaux de nous

ddcimer, de nous affaiblir. C'est lui livrer des armes qu'il n'a pas encore su prendre, c'est l'armer davantage et c'est nous désarmer.

Le renseigner, c'est trahir. Il faut donc déclarer qu'on s'abstiendra, pour des raisons faciles

à comprendre, de traiter des relations organiques, mais que l'on professe telles opinions et que l'on parlera comme tel.

Mes relations organiques, je m'abstiens de les examiner, je les passe sous silence, je me garde de parler formellement au nom d'une organisation. Mais, social-démocrate, je vous parle de notre Parti et je vous prie de considérer mes d6clarations comme un essai d'exposer précisement les opinions social-démocrates qui ont B t B défendues dans toutes les publications social-démocrates 1.

Il va de soi qu'un chef connu et reconnu, un Dimitrov, un Rakosi, un Thælmann, n'aura pas A cacher sa qualité de chef.

Mais le principe exposé par Lénine vaut pour eux comme pour les militants du rang :

Ne rien dire qui puisse renseigner 19adrersaire sur Is vie interieme et P activitb de 1' organisation.

Principe qui ne souffre aucune exception. C'est parce que Dimitrov s'y est strictement conformé que ni la

police, ni le juge d'instruction, ni la Cour de Leipzig n'ont pu ni déchiffrer, ni utiliser les adresses et les numéros de téléphone soigneusement maquillés qui avaient été saisis chez lui, et que ses liaisons, son activité de militant illégal sont demeurées secrètes.

C'est aussi parce que des communistes français tels que Dalidet ont su souffrir la torture jusqu'à la mort sans desserrer les dents

1. puv. cit., p. 79.

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sur leurs liaisons clandestines que le Parti de Maurice Thorez a pu, sous l'occupation hitlérienne, conserver une grande partie de ses cadres dirigeants.

3. puel doit être le rôle de l'avocat ? Lénine, qui connaissait bien (et pour cause I ) la corporation des

avocats, la tenait, dans son ensemble, pour essentiellement réac- tionnaire. 11 savait que, dans le meilleur des cas, un avocat, même intelligent, honnête et libéral, est toujours porté par sa formation professionnelle tout sacrifier au (( succès de sa cause r, à l'acquitte- ment ou à la condamnation minimum de son client.

Il n'y a la rien d'injurieux : il est normal qu'un avocat scrupu- leux, placé entre son devoir de technicien désireux d'assurer une défense « efficace 1) et son souci de ne pas entraver le système, a son avis « maladroit n, de l'accusé qu'il assiste, soit enclin a résoudre ce cas de conscience en fonction du résultat qu'il assigne à sa tâche.

Seul un défenseur plus militant lui-même qu'avocat peut mieux comprendre e t seconder le dessein politique de ses camarades, en mettant leur service les ressources de son talent et de son expé- rience juridique. Et encore, cet avocat révolutionnaire, ou, mieux, ce révolutionnaire avocat, ne doit jamais cesser de se défendre lui- même contre sa déformation professionnelle et sa formation bourgeoise.

Combien n'en ai-je pas connus de ces avocats, inscrits dans un parti révolutionnaire, qui, pour n'avoir pas senti ou assimilé leur rôle, ont, plus ou moins inconsciemment, donné le pas au juridique sur le politique et ont ainsi, en croyant les servir, desservi leurs camarades accusés 1

Aussi Lénine avait-il grandement raison lorsqu'il mettait les militants en garde contre les écarts libéraux des avocats les meilleurs, fussent-ils inscrits au Parti social-démocrate.

Mais, dans nombre de cas, du moins quand le Parti est illégal, ce n'est pas à des avocats révolutionnaires (que les pouvoirs autocratiques ou dictatoriaux chassent de leurs palais de justice) ou ce n'est pas seulement à eux (quand leur nombre est insuffisant ou leur expérience médiocre) que les accusés pourront confier leur défense.

Ils choisiront (lorqu'ils en auront le choix) des avocats honnêtes et, parmi eux, les plus intelligents.

Mais alors, que le militant le sache, il ne doit pas faire appel & leur concours ou l'accepter sans leur avoir posé ses conditions. Et

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LA LETTRE DE LÉXINE SUR LA D ~ E N S E 27

d'abord celle-ci : qu'ils se confinent strictement dans leur tâche de juristes.

Et, pour éviter qu'ils ne lui jouent de (( mauvais tours a, iIs doivent surveiller leur zèle, les c tenir en main a, leur appliquer (( lesrigueurs de l'état de siège n.

Laissons ici Ia parole à Lénine, qui, crûment mais justement, définit les rapports de l'accusé politique et de ses défenseurs :

Leur déclarer à l'avance : Si t u te permets, vieux salaud, la moindre inconvenance ou de verser dans l'opportunisme politique (parler de l'inculture, de l'erreur du socialisme, des entrainements, de la répudiation de la violence par les social-démocrates, du caractère pacifique de leur enseigne- ment et du mouvement, etc., ou quelque chose de ce genre), je t'interromprai tout de suite en public, moi l'accusé, je te traiterai de misérable, je déclarerai repousser ta défense, etc ... Mettre ces menaces à exécution. Ne prendre que des avocats intelligents, il n'en faut pas d'autres ; leur déclarer à l'avance : Bornez-vous exclusivement à criti- quer e t a mettre dedans )) les témoins e t le procureur sur la vérification des faits e t la structure de l'accusation ; bor- nez-vous exclusivement à discréditer les aspects du tri- bunal.. .

o Les juristes sont les gens les plus réactionnaires, disait, je crois, Bebel. Sache ta place, mon ami. Ne sois qu'un juriste, tourne en ridicule les témoins de l'accusation et le procureur, oppose tout au plus ce tribunal-ci au jury des pays libres, mais ne touche pas aux convictions de l'accusé e t prends bien garde de ne pas dire ce que tu en penses ou ce que tu penses de ses actions l.

Certes, le rôle des avocats a évolué depuis 1905. Une différen- ciation s'est produite. I i

On a pu e n voir quelques-uns se révéler comme des militants I l exemplaires, qui ont payé courageusement leur tribut à la répres- ,

j sion. ,r,

Parmi ceux-ci, les nobles figures de nos fusillés, Georges Pitard, a

Antoine Hajje et Rolnikas, qui ont combattu à leur poste jusqu'à 4 leur arrestation comme otages et qui sont tombés fièrement pour i; la défense. Et, auprès d'eux, des patriotes tels que LQon Nordrnann ; 1

Y*,____&> >, ir.%.--'- -, 1 F

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28 LA D ~ F E N S E ACCUSE

et Joseph Python, qui, non communistes, sont restés jusqu'a la mort fidèles à leur mission.

Par contre, on a pu constater la lâcheté de maints pseudo-défenseurs, traltres à leur tâche, l'échine courbée devant les autorités qu'ils servent, leur complicité honteuse avec l'accu- sation. E t pas seulement dans les pays ouvertement fascistes.

Outre ces cas extrêmes, il existe également des bavards qui, même sous une étiquette militante, n'ont pas su se défaire de leur déformation professionnelle et bourgeoise.

A l'égard de ceux-là aussi, 1'« état de sibge r doit être maintenu, alors qu'il ne serait pas juste de le maintenir mécaniquement envers les défenseurs effectivement militants et qualifiés qui ont fait leurs preuves.

Mais ce qui n'a pas changé depuis 1905, ce que tout militant inculpé doit tenir pour une règle absolue, c'est ue, livré ii lui- 9 même ou assisté d'un défenseur, ce défenseur ût-il librement choisi, fût-il honnête et sa défense fût-elle aussi loyale qu'intelli- gente, le militant doit compter sur lntin8rne et sur lui seul pour assurer et diriger sa défense poiitique.

Cette règle, qui exige une grande vigilance, ne souffre aucune exception. Bien entendu, ce qui varie selon le caractère, l'attitude et les actes du défenseur, c'est la nature et l'intimité de la collabo- ration entre le militant et lui, c'est l'harmonie de la double défense, politique et juridique. Mais le juridique doit toujours rester subordonne au politique.

E t c'est le militant qui - conseil pris, dans le meilleur des cas, du technicien supposé digne de sa confiance - doit tracer la ligne et conserver la direction.

La primauté du politique, le sacrifice de la d6fensive personnelle & l'offensive politique ne postulent nullement le mépris des fac- teurs techniques, des moyens de procédure.

Au contraire : surtout à défaut de défenseur choisi, le militant doit apprendre et bien s'assimiler toutes les ressources de la loi, toutes les possibilités de la défense.

A la fin de sa lettre au Comité central, Lénine, aussi modeste dans ses conclusions que puissant dans sa dialectique, répétait que ses « r6flexions anticipées » ne prétendaient pas à résoudre le ~foblème.

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11 faut attendre, disait-il, que l'expbrience nous ait quelque peu éclair6s. Et, dans l'élaboration de cette expé- rience, les camarades auront le plus souvent il s'inspirer des circonstances concrètes et de l'instinct du rdvolution- na ire 1.

Or, depuis près d'un demi-siècle, l'expérience invoquee par Lénine a été conduite par des combattants qui, sans avoir tous lu les conseils du maître, s'en sont, grâce à leur K instinct de rholu- tionnaire u, objectivement inspirés.

Et c'est bien, entre toutes, l'exp8rience de Dimitrov qui a confirmé l'enseignement de Lénine, qui l'a illustré et enrichi en l'adaptant aux conditions contemporaines de la répression. Mais aussi aux possibilités nouvelles qu'offrent la montée impétueuse, la solidarité (nationale et internationale) des forces populaires.

Certes, aujourd'hui comme hier, dans les pays capitalistes, l'appareil judiciaire e t policier exprime les intérêts d'une minorité dominante, des monopoles apatrides.

L'État y demeure une r force spéciale de répression a dont cet appareil fait partie. E t cette force consiste toujours principalement en des (( détachements spéciaux d'h~mnes armés, disposant de prisons, etc ... o. Plus que jamais, cet (( etc ... n de Lénine comprend les cabinets d'instruction e t les salles d'audience, aussi bien que les officines de police.

Mais ce qui est nouveau, depuis la victoire libératrice des armées soviétiques et le rétrécissement de l'aire impérialiste, c'est . l'existence organisée d'un immense camp de la paix et de la démocratie réelle, dont les progrés irrésistibles modifient rapide- ment l'équilibre des classes et accélèrent l'ébranlement, la désagré- gation de l 'atat bourgeois.

11 en résulte qu'à présent, beaucoup plus qu'a 1'8poque de la victoire dimitrovienne de Leipzig, il est possible de faire reculer la répression. Le fascisme n'est pas plus inévitable que la guerre.

Si Dimitrov a eu des précurseurs, il a eu, il a encore des disciples. Leurs exemples nous permettront d'étudier les princi es de l'auto* défense. Ces principes ne sont ni des recettes ni i! es formules. L'a instinct révolutionnaire n du militant devra savoir les ajuster

1. Ouv. cd., p. 99. 2. L ~ N X N E : L'État et la Révolution, Gditions sociales, 1947, p. 16 et 23. 3. Ouv. cit., p. 79,

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avec fermeté, souplesse et réalisme aux r circonstances concrètes n, qui ne sont ni toujours ni partout les mêmes.

La lutte contre les violences oppressives et répressives forme, forge et trempe chaque jour de nouveaux combattants, pr6- pare de nouveaux cadres aux générations qui montent.

Chaque révolutionnaire qui tient tête au juge, au bourreau, est le porte-parole responsable e t le porte-drapeau, dans les rangs ennemis, de la grande armée prolétarienne. Il ajoute une pierre à la forteresse, un sac de terre à la tranchée d'où sortira la contre-offen- sive victorieuse. Tous n'ont pas le génie d'un Marx, d'un Lénine, et tous n'ont pasl'audace, l'autorité d'un Dimitrov ; mais tous, quelles que soient leur expérience du combat et leur culture, peuvent ajou- ter quelque chose à l'héritage, enrichir de leur propre fonds le patri- moine collectif qui se transmet, s'accroît et se complète d'âge en âge.

Ils peuvent, en ce sens, continuer ces grands maftres. Mais peut-être l'effort qu'ils ont à dépenser sera-t-il moins pénible

s'ils ont présents l'esprit les grands exemples du passé ; s'ils se sont bien assimilé l'enseignement de nos héros, de nos maîtres, sans doute seront-ils mieux préparés à le vivre, ii l'illustrer, & le rajeunir.

A l'époque ou Lénine, dans sa lettre de 1905 au Comité central, formulait pour la première fois, dans des conditions politiques don- nées, les principes essentiels del'autodéfense, quelle était l'expérience puisée par les révolutionnaires dans la lutte contre la répression ?

Cette expérience, assez variée selon le lieu, 1'6poque, les conjonc- tures, les rapports de forces, comportait toutefois une certaine unité de traits, de caractère, de méthode.

C'est un fait que la plupart des grands révolutionnaires avaient observé avant la lettre ces lois posées par Lénine :

Défendre sa cause et non sa personne. Assurer soi-même sa défense politique. Se montrer physiquement et politiquement courageux. Me pas renseigner l'ennemi sui ce qu'il doit ignorer. Attaquer le r6gime accusateur. S'adresser, par-tlessus las tête du juge, aux masses. Il ne saurait être question d'étudier ici tous les grands procès

politiques des deux derniers siècles. Nous nous bornerons à en rappeler quelques exemples types, en fonction de l'autodéfense A laquelle ils ont donné lieu ; nous en réduirons au minimum n6ces- saire l'historique, l'analyse et les citations.

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LES PRÉCURSEURS

DE BABEUF A LIEBKNECHT

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E 10 mai l?96 (21 floreal an IV), le Directoire, les dirigeants corrompus de la réaction thermidorienne mettaient fin, par l'arrestation des c Égaux o, au dernier soubresaut, à la

dernière chance de la Révolution, dont, près de deux ans plus tôt, la chute de Robespierre avait brisé le ressort. Cette dernière tentative de rétablir une République démocratique, qui, aux yeux de Babeuf et dequelques conjur&, devait être le point de départ vers une société communiste, a été vaincue : elle a ét6 vaincue par la grande bourgeoisie, maitresse de l'État, consciente de sa force ascendante, et par la division des forces populaires.

Petit-fils de paysans picards, fils d'un fonctionnaire ruiné, Gracchus Babeuf, véritable plbbéien, avait constaté, plus encore B l'école de la misère et au contact des opprimés qu'à la lecture des philosophes, l'inégalité sociale, la servitude ouvrière et paysanne, la r6alité des oppositions de classes. En révolte, dès sa jeunesse, contre l'injustice, à l'avant-garde de la lutte, en Picardie, contre

*les aides Y (impôts de consommation) qui frappaient les pauvres, sensible à toutes les revendications du peuple, auquel il voue son amour, sa confiance et sa vie, il est incorruptible comme Robes- pierre, homme de masses comme Danton, mais moins ambitieux et plus humain, moins phraseur et plus clairvoyant, moins nourri d'abstractions et plus proche des travailleurs, ses frères, qu'aucun autre.

Nul n'a été plus pur et plus calomnié, .plus prophétique e t plus méconnu : en avance de prés d'un demi-siècle sur son temps, il a voulu pousser 4 son terme la Révolution, ti l'heure où celle-ci était défaillante.

11 s'est attaqué non seulement & la corruption, mais A ses causes ; il a port6 les premiers coups à la propriété foncière et industrielle, au profit, à la concurrence ; il a prétendu faire payer les possédants.

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Ce démocrate conséquent, cet ancêtre du socialisme l, a voulu mettre fin, tout en ignorant sa nature, & l'exploitation de l'homme par l'homme, réaliser l'égalité de tous dans l'instruction et dans le travail, édifier une société sans riches ni pauvres, une société composée non de citoyens pourvus de droits théoriques, mais de travailleurs libérBs.

Et s'il a, en l'an II, commis la faute de combattre Robespierre aux côtés des thermidoriens, il aura, en l'an III, le réalisme poli- tique de proposer & ses adversaires jacobins de la veille l'union des forces r6publicaines pour la défense du régime. Ce ne sera qu'aprbs l'échec de cet effort qu'il se résoudra conspirer. Il aura Qgalement la souplesse de rallier i?i sa conjuration les n patriotes de 1789 B, sur le mot d'ordre des émeutes de prairial : retour à la Constitu- tion démocratique de 1793, considérée comme un cr acheminement & un plus grand bien m.

Mais c'est sur les travailleurs que Babeuf prend appui, c'est & eux qu'il fait confiance : la hausse des prix, le pain cher, l'inflation, les fermetures d'entreprises, l'agiotage, la corruption des Tallien et autres grands bourgeois installés au pouvoir, le n rbgne des catins a, l'insolence antipopulaire de la jeunesse dor6e (muscadins, incroyables, « ligueurs ip de 19Qpoque), la rbaction croissante, la Constitution conservatrice de l'an II 1, le retour offensif des roya- listes avoués ou honteux, la Terreur blanche avaient provoqu6 une assez violente lutte de classes e t déterminé quelques grèves.

L'insurrection de prairial avait Bté rdprimée, les Jacobins Btaient traqubs, la SociétB du Panthéon Btait dissoute. Babeuf, plusieurs fois arrêté, se cachait, était réduit B 1'illégalitB.

C'est dans ces conditions qu'il avait constitué, avec quelques amis (dont les premiers furent Sylvain Maréchal, Félix Lepeletier, Antoinette Didier, Darthé et Philippe Buonarroti, descendant de Michel-Ange), le comité secret qui devait organiser l'insurrection po ulaire.

8e fut la Conjuration des &aux, dont les textes de propagande les plus remar uables sont l'Analyse de tu doctrine de Babeuf, le Manifeste des 2 gaux, et surtout l'Acte insurrecteur, dont l'audace et le réalisme rappellent Marat et, malgr6 les imprécisions, les ooncessions, les lacunes, annoncent de loin le Manifeste communiste.

La conspiration était minutieusement préparhe. Mais, comme 1. Sur l'importance et les limites de l'ap srt de Babeuf dans I'histoire du

socialisme, voir O. et C. WILLARD : Bobcuj, 8ditions sociales, p. 4'1 e t suiv.

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toute conspiration, elle était A la merci d'un traître, et Babeuf ne mbconnai~~ait pas ce danger inhérent à pareille entreprise.

~ & j & , pourtant, la conjuration commençait B pénétrer une

P artie du peuple et de l'armée, à Paris et dans certains centres de P *ovince, lorsqu'un mouchard, le capitaine Grisel, membre du

militaire, dénonpa les conjurés. Le 21 floreal an IV (10 mai 1796), chez le menuisier Dufour,

331, rue Papillon, ils étaient arrêtés. Aussitôt, le Directoire, inaugurant une tradition qui allait deve-

nir classique, les calomniait, pour les priver du soutien des masses : il leur prêtait l'intention de livrer Paris au pillage e t au massacre. Et la presse gouvernementale (déjà !) crachait sur les vaincus.

Vaincus ? Babeuf ne s'avoue pas vaincu. Mieux: il menace. De sa prison de l'Abbaye, il écrit aux membres du Directoire une lettre orgueilleuse où, loin de nier son rôle, il exagére & dessein la force de la conjuration et entend que l'on traite avec lui a de puissance d puissance B. Que ces citoyens prennent garde : en cas de procès, il se frit fort de démontrer (( que ce proeès ne serait pas celui de la justice, mais celui du fort contre le faible, des oppresseurs contre les opprimés n.

Tant pis pour ceux qui, en le condamnant B mort, feraient de lui un martyr I C'est (( toute la démocratie de la République française 8

qu'ils irriteraient. Babeuf n'est pas toute la conspiration, il n'en est qu'un chaînon. Plus on veut comprimer le feu et plus <i sa flamme menace de se réveiller subitement forte et explosive a. Cette lettre ne produisit pas I'effet escompté.

Quant aux derniers conjurés, ils n'allaient pas tarder B tomber, Grenelle, dans un piège de provocateurs, tendu par Barras et le

ministre de la Police, Cochon. Transfdré au Temple, d'où il écrivit à son ami Lepeletier une

lettre admirable de dignité, dans laquelle il se montre conscient de son sort et de son rôle, il est, le 30 août, transporté, avec ses coaccusés, Vendbme ; car c'est A Vendôme, et non à Paris, où ils sont trop connus, trop populaires, que les Égaux auront à répondre de leur conjuration devant la Haute Cour de justice. Soixante-cinq accusés, dont dix-huit contumax.

Ils étaient inculpés de conspiration contre la sûreté. intkrieure de la RBpublique, conspiration tendant la destruction du gouvernement et de la Constitution de l'an III,

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Dés le début de l'instruotion, qui devait durer de longs mois, les conjurés s'étaient concertés sur la tactique à suivre. Fallait-il avouer ou non la conjuration ?

Oui, avait déjà décidé Babeuf, qui, au cours des interrogatoires de police, n'avait songd qu'a soutenir la légitimité de ses actes, mais sans compromettre personne :

n Intimement convaincu que le gouvernement actuel est oppresseur, j'aurais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le renverser. Je m'étais associé avec tous les démocrates de la République; il n'est paa de mon devoir d'en nommer aucun1. s

Et, interpellé sur les moyens qu'il comptait employer : (( T o u s les moyens sont légitimes contre Les tyrans, répondit-il. Je

n'ai pas à donner les détails des moyens qui eussent été employés l n Quelques jours plus tard, aprbs avoir discuté sur le rôle dirigeant

qu'on lui imputait, il ajoutait fibrement : a Je consens après cela & porter cependant la plus forte peine du

crime de tramer contre des oppresseurs; car j'avoue encore que, quant à. l'intention, personne n'a pu conspirer contre eux plus fortement que moi : j'ai la conviction que c'est un crime commun à tous les Français, du moins à toute la partie vertueuse, à tout ce qui ne veut pas de l'affreux systbrne du bonheur d'un très petit nombre, fond6 sur l'opprobre et l'extrême misère de la masse ; je me déclare complètement atteint et convaincu du forfait, et je déclare que c'était celui de tous les conspirateurs pue je servais. a

Mais tous les accusés n'étaient pas d'accord sur l'opportunité de cette attitude, et la plupart d'entre eux s'imaginaient qu'en niant ils auraient plus de chances d'être acquittés. Pour éviter la divi- sion dans le camp de la défense, Babeuf crut devoir se rallier à une tactique transactionnelle, mi-juridique, mi-politique. On décida de contester l'existence du ((concert D, dont la preuve était néces- saire pour établir la conspiration, et de soutenir que, ce concert eût-il existé, a il était dénué de toute criminalité, soit par b défaut de moyens d'e~écution, soit parce que, dans l'hypothèse la plus favo- rable, le but qu'on leur attribuait était légitime et fondé en droit 3.

Confin6 dans cette tactique, assez peu compatible avec ses déclarations antérieures et son propre caractère, moins soutenable encore en présence des documents saisis, qui étaient accablants, Babeuf ne pouvait se sentir tout à fait A l'aise. Par bonheur, son

1. B U ~ M A R R O T I : Hist~ire de la eunspiratwn pow l'égalité, dite de Babeufr édition de 1859, p. 209,

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tempérament, son sens politique devaient le préserver de toute opportuniste.

On a vu avec quel soin Babeuf s'est toujours applique & ne compromettre aucun camarade et A ne pas renseigner l'ennemi sur la , . vie et l'activité de son organisation.

11 est un Second précepte de Lénine et de Dimitrov que Babeuf, avant la lettre et guidé par son juste instinct, a remarquablement

: les défenseurs, loin d'être solidaires des accusés, contra- riaient souvent leurs desseins ; ils s'efforçaient de noyer les débats dans un flot d'incidents de procédure, qui n'avaient guére d'autre effet que de les prolonger. Babeuf, Germain, Antonelle et Buonar- roti ne se sont pas laisse égarer de leur voie par ces roueries de robins et ils se sont défendus eux-mêmes. Ils ont défendu leurs camarades, leur parti, leur cause.

Tandis que Darthé déniait à la Haute Cour tout pouvoir de le juger, refusait de répondre et de se défendre, ces quatre hommes n'hésitèrent jamais a glorifier l'action, les principes et les buts de la conspiration, à s'honorer (( des fers qu'ils portaient et du danger dont ils étaient menacés l 1). Si coincés qu'ils fussent entre la déci- sion commune de ne pas avouer et les preuves écrasantes de l'ac- cusation, on peut dire qu'ils se tracèrent et suivirent jusgu'au bout une ligne de défense politique et courageusement révolutionnaire. Là encore, leur exemple illustre et devance les traditions essentielles de l'autodéfense révolutionnaire.

D'ailleurs, la Haute Cour fit, de son côté, ce que devaient faire, au cours de l'histoire, tous les tribunaux contre-révolutionnaires commis la besogne de juger des accusés révolutionnaires et d'étouffer leur défense : elle s'efforça d'étriquer les débats, de les enfermer dans les bornes du fait, d'interdire aux accusés toute discussion politique.

Comme le remarque fortement Buonarroti, près d'un siMe et demi avant le procès de Leipzig, le tribunal

et ne fut que l'instrument de ceux qui, au mepris de la sou- veraineté du peuple, s'étaient emparés de l'autorité supreme par la violence et par la ruse 2. B

Le citoyen Gandon préside : c'est un exécutant m6diocre. Bailly et

1. BUONARROTI, ouv. ci$., p. 238. 2. Buorr~~ltao~r, suo. cd., p. 217.

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Viellart sont les accusateurs nationaux. Le procès, qui allait durer du 2 ventôse an V (20 février 1797) jusqu'au 7 prairial (26 mai), trois mois, comme le procès de Leipzig, est un des plus émouvants épisodes de la lutte menée par les premiers socialistes, alliés aux derniers Jacobins, contre la bourgeoisie thermidorienne, déjà prête à se restituer au césarisme.

f l Ba euf avait étudié très attentivement la loi, ce qui lui per- mettait de tenir tête au président et aux accusateurs sur leur propre terrain. N7Btant pas grand orateur, il prépare et rédige d'autant plus soigneusement ses interventions.

Dès la premihre audience, il dbcline la compétence de la Haute Cour (( pas indépendante du gouvernement '1) et réclame des juges naturels, parce que, n dans une cause qui intéresse le peuple, c'est le peuple ou un tribunal choisi par lui qui doit prononcer ».

Il fletrit « le fameux Cochon3 a, ministre de la Police, n cet homme de confiance de Louis XVIII D, sans que le président, éberlué, songe ii l'interrompre. Puis il exige la communication préalable à chaque accuse de toutes les pièces d'instruction et de tous les documents saisis. Le lendemain, Germain se joint B lui et dbnonce avec plus de violence les illégalités et les calomnies dont les accusés sont victimes ; il qualifie l'acte d'accusation de a tissu d'infamies, œuvre exécrable de la plus noire, de la plus lûche rnéchan- cet4 a, compare son auteur à « la dégofitante harpie Caléno, gui imprimait le souillure et la fétidité auz choses que ses mains -tau- chaient n, et déclare : « C'est au peuple que j9adresse ma défense; les jurés, ses vrais représentants, la recueilleront 5 )B

Quand, le 6 ventôse, l'accusateur national Viellart prononça son requisitoire haineux, les accusés, traités de scélérats, ne se firent pas faute de l'interrompre. En vain le prbsident essayait41 de rétablir le calme. Babeuf, décide ne rien laisser passer, indigné d'entendre l'accusateur falsifier et tronquer des textes, ne se laisse pas retirer la parole ; il crie au président : n I l ne vous appartient as de me dire de me taire. r E t à l'accusateur : (( Nous voulons qu'on

fise les pièces exactement, qu'on ne les tronque.pas 6. n

1 . Dbbats du procks instruit par la Haute Cour de justice contre Drouet, Babeuf et autres, recueillis par des sténographes, Paris, Imprimerie nationale, p. 29,

2. Ibid. 3. Id., p. 26. 4. Id . 5. Id., p. 54 e t 60. 6. Id., p. 75 et 76.

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Et comme l'accusateur termine sa lecture : (( l'an IV de la Répu- blique démocratique B venir n, Babeuf conclut : n Oui, elle est d venir, la République démocratiquex I r,

L'accusateur fait ensuite le procès n des époques mémorables de la Révolution n. Les accusb l'interrompent. Darthé s'écrie : n Nous sommes les hommes du 14 juillet. Viellart ayant alors l'audace de riposter : Et nous aussi a, c'est un tumulte général p ' i l déchatne.

Enfin, A trois heures et demie, Babeuf demande au président N qu'on nous fmse grdce du reste de ces horreurs n. D'autres font observer A l'accusateur que son réquisitoire « le condamne lui- même * ; d'autres, qu'il est sans talent. Amar veut qu9il aille

- jusqu'au bout pour qu'on connaisse bien sa haine contre Zs peuple, la liberté et l'égalité a, et que soient mises au jour u sa bassesse et sa lâcheté B.

Un des incidents les plus irritants pour la défense fut provoqué ar la prétention des accusateurs de faire entendre comme témoin mouchard Grisel. Buonarroti, Germain, Babeuf, quj, on l'imagine, ne ménagérent

pas le traitre, invoquèrent la loi qui interdisait l'audition du dénon- ciateur, lorsque celui-ci tirait ou pouvait tirer profit de son acte. L'accusateur Bailly voulut être subtil : il soutint que Grisel n'avait pas dénoncé, mais rkvélé la conspiration e t que le dénonciateur, c'était le Directoire lui-m6me.

Ce subterfuge ne fit pas fortune, écrivit Buonarroti. Il souleva les rires et la colère des accusés. Le plus éloquent fut Antonelle, ui estima « dificile de bien défendre la justesse d'esprit et la bonne oi du citoyen Bailly i, et releva vertement son Qloge malencontreux 9

des principes de l'an III, qui, disait l'accusateur, (( s'affermissent et s'affermiront " B

Lorsque la Haute Cour eut decidé de maintenir G&el sur la liste des temoins et que, pour récuser d'autres sous-Grisel, Babeuf obtint la parole, le président, irrite par les premiers mots, le menaça de la lui retirer. C'est alors que le chef des (( agaux a, annonçant 18 encore Dimitrov, Bvoqua magnifiquement la présence invisible du peuple :

a II est d'autres hommes que nos juges qui nous entendent, qui nous 5. Id., p. 76. 2. Id., p. 122. 3. id., p. 207 e t suiv.

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écoutent. Le peup-le aussi est intéressé d tout ce que nous dkons. Nous devons toujours parler ici comme s'il était prdsent ... C'est devant lui tout entier que nous nous justifions l... B

E t Babeuf de livrer au mépris populaire la liste des temoins Q charge :

n Qui distingue-t-on, en eoet, sur cette liste ? Des mouchards et des esclaves, puis des esclaves et des mouchards. Qu'on la suive, on va ooir figurer ici la lie de la société, les excréments de tous les vices, le résidu de toutes les dépravations '. u

Sous ces coups de fouet, le président s'affole e t menace encore Babeuf de le réduire au silence :

a Comme cela, riposte Babeuf, ce sera tr2s commode. Vous nous aviez promis de nous juger dans nos cachots, de nous juger tout seuls: jugez-nous !... . Voulez-vous faire mon discours Z Faites-le I 3

Et if. continue ... C'est ainsi que la déposition du ternoin Guillaume donne lieu

A de tels incidents que les rappels à l'ordre sont vains, que les accusés prennent la parole chaque fois qu'on la leur refuse, que le président ne peut même achever la lecture d'un jugement spécial. (Vous appelez cela un jugement ! crie Darthé), que Babeuf couvre la voix du président. ( J e ne demande pas la parole, je m'adresse aux jurés !) et demande. aux jurés B si chacun n'a pas le droit de rappeler le tribunal d l'ordre et à la pudeur n.

Lorsque la Haute Cour, avouant son impuissance, se retire pour dresser procès-verbal, les accusés chantent La Marseillaise : « Tremblez, tyrans !... n

La déposition du mouchard Grisel occupa deux audiences. Antonelle et Germain, qui étaient les plus éloquents, lui avaient dit brutalement son fait. Babeuf, en qui l'éloquence le cédait au sens politique, attaqua surtout, à travers lui, les thermidoriens, qui, après avoir réprimé l'insurrection de prairial an III, se per- mettaient de la diffamer et de baver sur les démocrates vaincus. E t il exalta ces e journées funestes, mais saintes et révérées, désas- treuses, mais honorables, oii le peuple et ses délégués fidèles firent leur devoir, où ses traîtres mandataires, oU ses atjarneurs, ses assas- sins, les usurpateurs de la souueraineté et de tous ses droits mirent

4 . Id., p. 229 e t suiv. 2. Id. , p. 230. 3. Id . , p. 233.

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le comble à des atrocit6s dont aucune histoire n'ogre l'exemplex n. Et il invoqua l'exemple héroïque des victimes qui s'étaient défen- dues, elles aussi, devant la Haute Cour.

(( Tombés comme VOUS, nous devons vous imiter et paraître devant nos persécuteurs, inébranlables comme vous, et tout véritable répu- blicain doit honorer l'époque où vous mourûtes victimes des plus détestables ennemis de la République 2. a

Babeuf ne put achever : le président le força à se taire. Parmi tous les espions, policiers et repris de justice appel& à

la barre, il y eut deux exceptions, deux révoltés : Barbier et Meunier rétractèrent les faux témoignages qu'on leur avait extorqués sous la menace; ils se solidarisèrent avec les accusés et chantèrent : (i Levez-vous, illustres victimes;.. o On les condamna aux fers.

Du demi-millier de pièces à conviction qui alimentaient les débats, la plus importante était l'acte de création du Comité secret.

C'est l'occasion de cet acte que Babeuf put ii son aise défendre la conspiration inavouée.

a Ce n'est point ici, dit-il, un procès d'indiviclus : c'est celui de la R ~ p u b l i q u e ... Cet acte ... appartient à la République, la Révolution, à l'Histoire.. . J e dois le défendre a. a

Peu après, Babeuf lançait à la liberté sa plus noble apostrophe : n Génie de la Liberté! Que de grâces j'ai 9 te rendre de m'avoir mis

dans une position où je suis plus libre que tous les autres hommes, par cela même que je suis chargé de fers! Qu'elle est belle m a place!

u'elle est belle ma cause! Elle me permet exclusivement le langage je la périt i... Au milieu de mes chaînes, ma langue est priviligiée sur foutes celles de l'incalculable nombre des opprimés et des malheureux, a chacun desquels on n'a pu, comme à moi, bâtir pour demeure un cachot. I l s soufrent , ils sont vexés, pressurés, accablés sous la plus cuisante ddtresse, courbés sous le plus odieux avilissement et, pour comble d'atrocité, il ne leur est plus permis de se plaindre 4... n

Babeuf glorifie la Constitution de 1793, condamne les usurpa- teurs, les tyrans qui l'ont arrachée au peuple ; le président lui retire la parole. Quand il la reprend, c'est pour imposer, après un

1. BUONARROTI, OUV. cil., édition de 1828, p. 35. 2. Id., p. 36. 3. l d . , p. 33 4. Id., p. 39-40.

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préambule adroit, le thbme du droit & l'insurreotion : lorsque le peuple est opprimb, l'insurrection est légitime.

Ouelsues accusés et l'un des défenseurs crurent habile d'attri- bugr il &des agents provocateurs l'origine de la conjuration ; ce n'était pas seulement la nier : c'était la renier, c'était la discré- diter politiquement. Babeuf s'insurgea. Et lorsque Rioord s'avisa d'imputer l'acte insurrecteur au traître Grisel, Babeuf n'hésita pas & démentir son camarade :

« Non. Ce n'est pas une pièce qui doive faire rougir son auteur, et Grisel es8 un trop grand scélérat pour avoir fait un pareil acte '. r

A mesure que le procès approche de son terme et se dégage du fatras des documents, on voit plus nettement s'entrechoquer, sous l'emblème de deux Constitutions, les deux époques, les deux forces, les deux conceptions du monde : révolution et contre-révolution, 9793 et l'an III.

L'accusation et le tribunal brandissent la Constitution réaction- naire de l'an III et, suivant eux, il ne s'agit que de savoir si les accua6s l'ont ou non enfreinte, s'ils ont voulu ou non la renverser : il n'est pas permis d'en contester la légitimité. Sur ce terrain, I'accusation ne risque pas de perdre.

Au contraire, Babeuf et ses amis refusent de laisser circonscrire dans ce cercle étroit leur dbfense et le n libre arbitre a des jurés.

( Représentants du peuple, soyez lui-même : il faut avoir son cœur pour exprimer su volonté '. a

Ce qui seul doit compter pour ces juges populaires, pour ces mandataires du peuple, ce sont les droits du peuple. Or ces droits oot ét6 violés par la Constitution de l'an III : la véritable loi des Frangais, c'était celle de 1793, qui, solennellement acceptée par le peuple, consacrait sa souveraineté. Celle de l'an III, au contraire, n'a jamais été acceptée par lui et le dépouille de sa souveraineté. Quelle est celle des deux qui est légitime ?

E t Babeuf conclut sa longue plaidoirie finale par un défi au bourreau, une acceptation sereine de la mort. Mais non sans avoir annoncé prophétiquement aux jurés ce que signifierait une . condamnation :

« La décision des jwés va résoudre ce problème : la France res- tera-t-elle une République, ou sera-t-elle la proie des brigands qui la

1. id., p. 43 2. l d . , p. 49

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&hem breront et redev iendra-t-elle une monarchie 3.. . Citoyens jurés,.. voulez-vous accélérer la contre-révolution et précipiter la chute des patriotes sous les poignards des royalistes triomphants l 3 D

Le peuple, présent à l'audience, non seulement aux bancs des jurés, mais dans l'auditoire et même parmi les soldats, Bcoutait avidement son tribun, son porte-drapeau, qui, conformant ses actes

ses paroles, était prêt à mourir pour sa cause. Il l'entendait attaquer victorieusement le pouvoir, défendre et glorifier les dates, les souvenirs les plus populaires de la Révolution. C'était Babeuf

ui, A la tête de ses camarades, exprimait les intérêts, la volonté l u peuple, et qui confondait A ce point les accusateurs que l'un d'eux, un jour, à bout d'arguments, fut réduit & murmurer cet aveu de déroute : n Au surplus, j'obéis. a

Il s'en fallut de peu que ce peuple auquel Babeuf et les siens s'adressaient avec raison comme à leur seul défenseur ne répondît à leur ap el. Il s'en fallut de peu qu'ils ne fussent libérés par une - B évasion ont on leur fournit le moyen. Il s'en fallut de peu qu'ils ne fussent acquittés. Ils l'eussent été si l'un des jurés républicains n'avait cédé au chantage, aux menaces de mort des ennemis de la liberté.

Babeuf et Darthé furent condamnés à mort et leurs camarades ii la déportation. Babeuf et Darthé se frappèrent d'un stylet, sans réussir A se tuer. L'auditoire indigné les eût arrachés aux gen- darmes si les baïonnettes ne l'avaient refoulé.

Ils marchèrent a l'échafaud « comme à un triomphe u. Le dernier mot de Babeuf fut pour ce peuple qu'il a tant aimé.

Mais le peuple n'était pas pr6t : il ne savait plus où reconnaître les siens ; il était 'ignorant, il était divis6 ; il se sentait seul et sans direction. Il était surtout las de lutter pour d'autres. Tandis qu'il souffrait, la jeune bourgeoisie, qui s'était servie de lui, confisquait ses conquêtes. Une conspiration, même exemplairement préparde, ne pouvait donc que manquer de racines populaires : ce' fut la le vice initial et mortel de la machine que Babeuf avait cr6ée et qu'un Grise1 devait suffire à enrayer. Économiquement et politiquement, la République des Égaux n'était pas mûre, et Babeuf avait eu le tort d'avoir raison un peu trop tard et beaucoup trop tôt : un peu trop tard pour lutter efficacement contre Thermidor ; beaucoup trop tôt pour prévoir comment et par quelles forces serait enfantée

4. Id . , p. 54.

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'EST encore sous la forme conspiratrice que, pendant la Restauration et surtout la monarchie de Juillet, reparaît l'action démocratique et socialiste. Les sociétés secrétes, les

clubs se multiplient. En janvier 1832, déjà, quinze républicains des (( Amis du

euple a comparaissaient devant la cour d'assises de la Seine. ['un d'eux, interpellé son tour sur sa profession, répond : a Prolétaire. n

LE PRÉSIDENT. - Ce. n'est pas une profession. L ' a c c u s É . - Comment! Ce n'est pas une profession ? C'est la

profession de 30 millions de Français qui vivent de leur travail et qui sont privés de droits politiques.

LE PRESIDENT, interloqué. - Eh bien, soit I Greffier, inscrivez que l'accusé est prolétaire.

Quel est cet homme de vingt-six ans qui, dès ses premiers mots, s'impose, impose aux débats un caractère social et politique imprévu ? Il n'a pas d'avocat ; il se défend lui-même ; que dit-il aux jurés ?

a Je suis accusé d'avoir dit d 30 millions de Français, prolétaires comme moi, qu'ils avaient le droit de oivre. S i ceEa est un crime, il me semble d u moins que je ne devrais en répondre qu'à des hommes qui ne fussent juges et partie dans la question. Or ... remarquez bien que le ministère public ne s'est point adressé & votre dquité et à votre raison, mals à vos passions et & vos intérêts; il n'appelle pas votre rigueur sur un acte contraire à la morale et aux lois; il ne cherche qu'à ddchaîner votre vengeance contre ce qu'il vous représente comme une menace ù votre existence et é vos propriétés. Je ne suis donc pas devant des juges, mais en prdsence d'ennemis : il serait bien inutile d& lors de me défendre ... LE ROLE D'ACCUSATEUR EST LE SEUL QUI CONVIENNE AUX OPPRIMÉS. >)

Et cet homme accuse. Il accuse les possbdante :

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46 LA DÉFENSE ACCUSE

n Oui, ceci est la guerre entre les riches et les pauvres; les riches l'ont ainsi voulu, car ils sont les agresseurs. Seulement, ils trouvent mauvais que les pauvres fassent résistance; ils diraient volontiers en parlant d u peuple: u Cet animal est s i féroce qu'il se défend quand on l'attaque. 1) Toute la philippique de M. Z'aaocat général peut se résumer dans cette phrase. )i

Il oppose les 30 millions de tmvailleurs, Qcras6s d'impôts, aux deux ou trois cent mille privilégiés « qui dévorent paisiblement les milliards prélevés sur la masse et se donnent des airs de victimes. Il me semble que c'est la, sous une nouvelle forme et entre d'autres' adversaires, la guerre des barons féodaux contre les marchands qu'ils détroussaient sur les grands chemins ».

Que veut ce peuple détroussé ? Il n'a pas besoin d'aumônes : u C'est de lui-même qu'il entend tenir son bien-être. D Ce qu'il veut, ce sont des lois faites pour lui, (( parce qu'elles le seront par lui n : le suffrage universel d'abord.

u Voilà comment nous entendons la République; pas autrement. a Cet homme qui fait entendre un langage qu'on n'avait guère

entendu depuis Babeuf, ce dénonciateur de l'injustice fiscale et sociale, va être acquitté par le jury. Mais la cour, qui ne lui par- donne pas les vérités qu'elle a dû subir, le condamne Q un an de prison et deux cents francs d'amende. a Ce n'était pas la peine de nous faire venir ici 1 n proteste un juré.

Quel est donc cet accus6 indomptable ? C'est Louis-Auguste Blanqui, fils d'un conventionnel girondin.

Blanqui ! C'est par le vieux Buonarroti qu'il a reaueilli l7h8ritage de Babeuf,

Blanqui 1' « enfermé n ! La plus grande figure du mouvement prolétarien français pendant plus d'un demi-siècle. ' Un demi- siècle de souffrance et de combat sans relâche ! Trente-sept années dans les prisons de la monarchie, du second Empire et de la RBpu- blique (y compris la troisième, celle des Versaillais) ! En butte aux persécutions de tous les régimes, il a tenu en échec leurs geôliers, leurs polices, leurs magistratures courbées. Il a voue sa vie de militant et de reclus inébranlable la cause de la liberté, de la révolution libératrice.

Si ses conceptions relèvent encore du socialisme utopique et sectaire, il a eu le mérite de déceler1 l'existence et l'importance

4. Peu aprbs la victoire populaire ,confisqu6a par les banq&= philippards,

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de la lutte des classes (sans pourtant voir en elle le a moteur de l'histoire 3)). Le mérite d'agir, de lutter contre le pouvoir d'État bourgeois. Et cela dans la période ascendante du capita- lisme et dès la premiere prise de conscience de la classe ouvribre française.

La pensée de Blanqui et, bien davantage encore, SON ACTION s'opposent nettement g la funeste utopie proudhonienne, au verba- lisme démobilisateur du petit bourgeois Proudhon l.

Tel est l'apport que n'ont jamais pardonné à ce terrible lutteur, qui a toujours accordé ses actes à ses paroles, ni la bourgeoisie capitaliste qui l'a implacablement persécuté jusqu'ii sa mort, ni les faux monnayeurs du marxisme, qui se sont fait la main en falsifiant son enseignement politique.

Qu'est-ce qui caractérise le comportement de Blanqui devant ses geôliers et ses juges?

Dans ses prisons, il se préparait A la lutte. E t cela quelles que fussent les conditions qui lui étaient imposées. En cas de dbtention collective, comme B Belle-Ile, il se faisait organisateur et tentait l'évasion. Dans la solitude atroce du Mont-Saint-Michel, il se livrait à l'étude, à la méditation. Fidèle ses principes de sobriété, d'exactitude et de méthode, il parvenait A maintenir sa santé, son équilibre physique et moral. Et il trouvait toujours le moyen l

- même dans les circonstances les plus difficiles - de prendre contact avec l'extérieur, de se tenir informé des événement8 (un bout de journal dans les latrines), d'observer tous ces gens qui passent dans son champ de vision, ce travailleur qui pêche ou qui

A - -- - - - - cUTtive~ X p é S t r G s o n ënt6n&emènt. Que pise,-aütoiir de-hl, le peuple ? Telle était la hantise de l'homme qui ne cédait pas. De l'homme qui savait n'être jamais seul.

Jamais seul non plus devant ses juges. Jamais en posture d'accusé ou de vaincu, fût-ce en période de reflux du mouvement popu- laire. Par-dessus leur tête, cet éternel accusateur s'adressait aux masses dont il avait conscience d'être le porte-parole. Ce qu'il

de juillet 1830 (victoire à laquelle il avait participe les armes à la main), c'est lui qui, tout jeune encore, en 1832, disait à la si: Société des amis dia peuple B : e II m jaut pas se dhsimuleP qu'il y a guerre à mort entre les classes pi composent la nation. D

1. Néanmoins, dans la mesure oh Blanqui a sous-estimé l'importance de l'action de masse, des organisations de masses, il a laissit le champ libre à l'influence proudhonienne.

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défendait, ce n'était pas sa personne. Mais sa classe. Nul, mieux que lui n'a su transformer ses procès en proch du rbgime et de l'oppres- sion.

La r6volution de Février 1848 l'avait lib6ré. Pas pour long- temps.

Impliqud dans les affaires du 17 mars et du 16 avril, il va parti- ciper activement & la journbe du 15 mai.

Les élections du 23 avril ont porté à la Constituante une majorit6 de r4publicains a modérés r. Blahqui, Raspail et Proudhon ont Qohoué. C'est le règne de Lamartine, qui siège a au plafond u, et des doctrinaires du cc juste milieu » : conservatisme déguisé. L3Assern- blée se réunit le 4 mai. Crise économique et Gnanciére : la bour- geoisie ne manque pas d'en attribuer la cause aux manifestations populaires. Le 14 mai, l'Assemblée interdit par décret le droit, de- venu traditionnel, d'apporter collectivement des pétitions à la barre. C'est un défi.

Les clubs et les cornites décident d'organiser pour le lendemain une manifestation de masses, destinée à reconquérir le droit perdu et & exiger une intervention militaire en faveur de la Pologne opprimée.

Blanqui n'est pas d'accord : il estime la démonstration inoppor- tune et mal préparée. Dans son club, la SociBté républicaine cen- trale, il la combat. Mais il finit par céder 2i 1'« invasion du sentiment populaire a. Il s'y rallie. Et, comme d'habitude, il ne sera pas il l'arrière- arde ! 7 Le 15, a foule envahit l'Assemblée, au cri de tr Vive la Pologne ! D, auquel ne tarde pas à s'ajouter celui de n Vive l'organisation du travail l 1) Raspail, à la tribune, lit une pétition qui demande l'intervention en Pologne. Barbès préconise un impôt d'un milliard sur les riches. Blanqui, ii son tour, réclame la libération des démo- crates emprisonnés, et peu peu, la question polonaise, il substitue la question sociale : au nom des travailleurs, il exige e de l'ouvrage et du pain a ; si le peuple a perdu confiance en la République de Février, c'est que les hommes qu'il aime ont été écartés du pouvoir. Huber déclare l'Assemblée dissoute. On propose un nouveau gou- vernement provisoire. Mais voici les bataillons bourgeois de la garde nationale. La foule est expulsée. La garde la poursuit B lth6tel de ville et l'en déloge. La journée a tourné court. Mais la bourgeoisie, comme son assemblée, a eu chaud. Revenue de sa terreur, elle prbpare sa vengeance.

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Pour commencer, 400 arrestations. Puis la sanglante répression de juin : le prolétariat parisien, isolé de la petite bourgeoisie et de la paysannerie, &ait écrasé par les troupes de Cavaignac. Cavai- gnac déblayait la voie devant Louis-Napoléon. La République embourgeoisée faisait le lit du dictateur.

La réaction rassurée, triomphante, ordonne la mise en accusation des hommes du 15 mai. Un décret du ministre Odilon Barrot les défère à la Haute Cour nationale. Cette Haute Cour, instituée six mois après les événements dont elle avait à connaître, devait après coup aggraver le sort de ces hommes par son caractère de juri- diction spéciale et sans recours : violation grossière du principe qui s'oppose à l'application rétroactive des textes pénaux. Le peuple eut beau protester ...

La détention préventive avait duré neuf mois : une fois de plus, Blanqui s'était insurgé contre l'instruction secrbte, (( qui n'a jamais pour but, surtout e n politique, la découverte loyale de la vérité, mais son travestissement au profit de l'accusation. 1)

C'est le 7 mars 1849, à Bourges, que les débats s'ouvrirent. Parmi les accusés principaux, le commandant en chef de lagarde nationale, Courtais, les citoyens Barbès, Raspail, Albert, Huber, Sobrier. Louis Blanc et le préfet de police Caussidière refusèrent de se constituer prisonniers.

Blanqui n'attend pas l'interrogatoire pour prendre la parole : il s'élève contre les suppressions de pièces et argue de faux les documents falsifibs.

Le lendemain, les accusés vont décliner la compétence de la Haute Cour, -trop visiblement créée pour les besoins de la cause. Raspail fait un discours argutieux, subti et déférent. Blanqui, lui, n'y va pas par quatre chemins : il réclame ses juges naturels :

VOUS croyez, de bonne foi, être un tribunal 2 J e vous demande la permission de vous dire et de oous prouver que vous n'êtes qu'une m n m i s s i o n spéciale ... ; oous êtes u n expddient dangereux imaginé par u n pouvoir qui se précipite dans des pensées de vengeance 2. ))

Bien entendu, la cour se déclare compétente. C'est le 9 que l'interrogatoire commence : mais la plupart des

1. Le même Odilon Barrot qui, dans un instant de franchise, a lâché cet aveu historique : La Ugatité TLOW tuel Ses successeurs actuels ne le disent pas : pour n'Atm pas étouffés tro tôt par leur légalité ou ce qu'il en reste, ils préférent prendre les devants : i !' s l'étouffent.

2. Procès des accusés du 1 5 mai 1848, p. 67, Bouraux, 1849.

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accusés, les plus fiers, refusent de répondre : le premier, Blanqui. Raspail, là encore, se singularise : il a accepté la juridiction de

la Haute Cour ; il répond. Quatre ou cinq autres l'imitent. Le premier témoin, le restaurateur Dagneaux, est un mouchard :

Blanqui le dhonce comme tel, au scandale du président : (( On regardait, dit-il ,son établissement comme un foyer de police et lu i comme im espion. u

Blanqui excelle & poser aux témoins à charge des questions qui les surprennent et les désarçonnent l. A chaque instant, par son &-propos incisif, il met l'accusation dans l'embarras.

Il n'hésite pas à dénoncer, dans la journée du 15 mai, la part de la provocation.

K Qui donc en a profité 3 1) La parti populaire a tout perdu ... Nous , hommes de la République

démocratique ... nous n'avions aucun intdrêt d renverser Z'Assemblée, issue d u su8rage universel; cela èût été stupide et ne pouvait que nous précipiter dans l'abîme. Une m a i n cachée a changé dans ce jour notre position, qui était magnifique, et cela a u profit d'hommes politiques qui ont bien s u e n profiter. u

E t Blanqui montre sa clairvoyance en expliquant pourquoi il avait voulu s'opposer & la manifestation : c'était parce qu'il sentait le moment mal choisi, le prolétariat menacé d'isolement, le peuple mal préparé ; on ne joue pas avec l'insurrection. Ni on ne l'impro- vise : on devait bien le voir, un mois plus tard, en juin ?

L'insurrection n'est ni un sport ni un bavardage. Et, dira-t-iI dans sa défense finale, avec une ironie à peine contenue :

« Si no us avions voulu renverser l 'dssem blée nationale, je vous prie de croire que nous nous y serions pris autrement. N o u s avons quelque habitude des insurrections et des conspirations, et je vous assure qu'on ne reste pas trois heures a bavarder dans une assemblée qu'on veut renverser. u

Auprès de ce langage, combien celui d'un Raspail paratt plat I

1. C'est lui qui, volant au secours d'un camarade coaccusé, que prétend acca- bler un témoin tendancieux, lance froidement au président interloqué : a Je prie monsieur le Président de vouloir bien recommander aux témoins de dire dès la pre- mière fois leur véritable vérité I t

2. La classe ouvrière parisienne, isolée des boutiquiers et des paysans, a été écrasée le 26 juin, après une héroïque résistance. Les boutiquiers et les paysans, séparés de la classe ouvrihre, incapables de s'opposer à l'offensive de l'oligarchie bourgeoise, allaient à leur tour faire les frais du coup d'gtat chsarien de Louis- Napoléon Bonaparte (2 décembre 1851).

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Faussement chevaleresque, Raspail a tendu la main ... et l'autre joue à ceux qui vont le condamner sans égards :

« Si vous nous condamniez, croyez-vous que nous vous e n vou- dr iom ?... S i vous noas condamnez, quand nous sortirons de ces lieux où oous nous enverrez pourrir ... nous irons vous tendre la m a i n et vous la prendrez, car le passé sera oublié et l'avenir commencera. a

Mais la manière onctueuse n'a jamais valu B celui qui l'emploie le résultat escompté : cet échange de Beurs et de sourires n'a pas

- préservé Raspail de ses six ans de détention ! La lâcheté n'est jamais sage, a dit Anatole France,

Blanqui, lui, n'est pas de ceux qui courbent l'échine devant les puissants du jour : un peu moins brutal, un peu moins cassant peut-être à l'égard des jurés que lors de ses premiers procès, plus maftre de lui, plus souple d'esprit, plus habile, mais toujours aussi ferme, aussi digne, aussi viril, il s'adresse, par-dessus les têtes qui sont là, au peuple de France, seul juge naturel qu'il reconnaisse et réclame :

Je suis devant oous, messieurs les jurés, et ce n'est pas à vous que je parle, c'est à la France, la seule Haute Cour de justice que je connaisse et dont les arrêts ne sont pas susceptibbs de cassation l. D

La dbfense de Blanqui est exclusivement politique : (( Nous sommes traduits devant la cour comme des hommes poli-

tiques; il faut donc que nous nous d&/endions comme des hommes politiques »

Barbès, a la fin des débats, s'est ddshonoré en donnant libre cours sa haine contre son compagnon de chaînes Blanqui. Au lieu de faire face à l'ennemi commun, il n'a pu résister à son désir de ressusciter, contre celui en qui, même à cette heure, il n'a vu qu'un rival, un document calomnieux d'origine policière, qui n'avait sali que ceux qui en avaient fait usage. Incident pénible, spectacle désastreux, dont seul pouvait profiter et se réjouir l'autre côté de la barricade.

Autant Barbès est 17hornrne des grands mots, des grands gestes, des attitudes multiples, autant Blanqui est l'homme d'une seule attitude, et sa parole, moins sonore, est beaucoup plus directe, populaire, substantielle : il ne parle que pour dire quelque chose,

1. Id., p. 614. 2. BLANQUI : Man intérêt est ce gui me touche le moins. Id . , p , 615 3. Id., p. 615.

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CCUSE

et, dédaignant les coups regus dans le dos ou les morsures au jarret, il ne connaît qu'un ennemi, il sait lui faire front1. Comme s'il avait prévu l'incident du lendemain, il disait fièrement A la cour :

« Debozzt sur la brèche pour défendre la cause du peuple, les coups que j'ai reçus ne m'olzt pas atteint e n face; assailli sur les flancs, par derrière, moi , je n'ai fait tête que d u cdté de l'ennemi,sans me retourner jamais contre les attaques aveugles, et le temps a trop prouvé que les traits lancés sur moi, de n'importe quelle main , sont tous allés au travers de mon corps frapper la révolution. C'est Id m a justification et m o n honneur.

11 C'est enfin cette conscience du devoir accompli avec calme et ténacité qu i m'a soutenu la tête haute d travers les plus cruelles épreuves. Le jour des détrompements et des réparations arrivera: que ce jour ne doive briller que sur u n cachot, peu m'importe, il me trouvera dans mon domicile habituel, que j'ai peu quitté depuis douze ans. La révolution victorieuse m'en avait arraché un moment; la révolution trahie et vaincue m'y laisse retomber 1)

11 refuse de jouer le rôle d'un Raspail et d'atténuer sa partici- pation à la journée du 15 mai. S'il est venu àl'Assemblée sans aucun optimisme, est-ce une raison pour le représenter, comme l'a fait le procureur général, comme entrant malgré lui dans la salle, mon- tant malgré lui à la tribune et prononçant un discours malgré lui ?

« C'est un peu boulqon, un peu grotesque ... Je n'ai pas pensé qu'il fallait dire des sottises parce que des sottises étaient faites ... »

E t lorsque Blanqui conclut en disant que si, en dépit de l'opinion, qui sait que les vrais coupables ne sont pas sur ces bancs, une condamnation était prononcée, « ce serait ... une chose fâcheuse pour tout le monde, et la Haute Courde justice laisserait dans l'histoire, dès son apparition, une trace malheureuse et ineoaçable i , des appiau- dissements éclatent dans l'auditoire.

Le 2 avril, six accusés (dont le mouchard Borme) étaient acquit- tés. Barbès et Albert étaient condamnés à la déportation, Blanqui A dix ans de détention, les autres a cinq, six OU sept ans de la même peine. Le lendemain, les contumax étaient condamnés à leur tour.

Des lors, la vie de Blanqui s'écoule de prison en prison et se partage entre le travail, la conspiration et les tentatives d'évasion.

1. Admirons la sobre et hautaine dignité de sa riposte Barbès : a J'ai du moins la conscience de n'avoir 'amuis sdparé ma défense de celle de mes coaccusés: cette conscience me sufit B ( ~ d . , p. 745.)

2. Gustave GEFFROY : L'Enfer&, p. 175, Paris, Fasquelle, 1897.

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l

Amnistié le 15 août 1859, il combat le second Empire. Le 14 juin 1 i

1861, devant le tribunal correctionnel de la Seine, au président l

qui lui demande si, malgré ses vingt-cinq ans de prison, il a conservé ses idées et le désir de les faire triompher, (( Oui, répond-il, jusqu'dr

1 La mufi. )) I

1 Le 31 octobre 1870, apprenant la reddition de Bazaine, le peuple 1

de Paris, dans un sursaut patriotique, s'emparait de I'hôtel de 1 1

ville, puis en était délogé. Blanqui avait participé à la tentative. Thiers, qui prépare sa trahison, le traque, le fait condamner Q mort 1 par contumace. Le 17 mars 1871, quelques heures avant l'insurrec-

I i tion parisienne, Blanqui est arrêté, mis au secret, transférk, au large 1 de Morlaix, dans un fort oh il occupe une casemate sous bonne garde. I

Il fut, loin de Paris, r la tête qui manqua à la Commune l n. Dans sa casemate sordide, il ignora que deux arrondissements ,

!

l'avaient élu. Pendant la sanglante répression versaillaise qui suit l'écrasement

de la Commune, Blanqui est encore maltraité, calomnié, provoqué : il vieillit, mais ne faiblit pas ; son granit est inattaquable. 11 s'adonne ii l'économie politique, a l'astronomie. 11 écrit. Le 15 février 1872, le président du conseil de guerre lui pose machi- nalement les questions rituelles : n Quel est votre domicile ? Blanqui répond avec calme : c Je n'en a i pas, s i ce n'est la prison. 1)

On lui demande compte de l'insurrection manquée du 31 octobre 1870, et le commissaire du gouvernement réclame la dépoitation dans une enceinte fortifiée, car il faut enfin (( supprimer cet homme de la société française u. Blanqui laisse son défenseur parler du 31 octobre et réfuter comme il peut l'accusation. Pour lui, il se borne à cette observation concise :

u Je ne suis pas ici pour le 31 octobre: c'est le moindre de mes forfaits. Je représente ici la République .traînée à la barre de votre tribunal pur la monarchie. M. le commissaire d u gouvernement a condamné tour ù tour la Révolution de 1789, celle de 1848, celle da 4 septembre. C'est azz nom des idées monarchiques, c'est a u nom du droit ancien, e n opposition a u droit nouveau, comme il dit, que je sui% jug6 et que, sous Za République, je vais être condamné. n

Condamné à la déportation perpétuelle, il est transféré à Clair- vaux où, à soixante-six ans, on l'enferme dans une cellule-cercueil. En 1878, le peuple, un peu partout, vote pour sa libération. Il est

4 , Karl NARX : La Guerre civile en fiance, p. 6 3 , aditions sociales, Paris, 1953.

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élu triomphalement à Bordeaux. Son élection est annulée. Mais, sous la pression populaire, il sera gracié le 10 juin 1879. Il revient aussitôt à Paris et reprend la lutte ; malgré son âge et sa sant6 définitivement en ruines, il dépense, chaque soir, dans les réunions publiques ce qu'il lui reste de forces. E t cela jusqu'à l'extinction de sa longue et terrible vie.

Il tient encore pendant dix-huit mois. Et, le le" janvier 1881 (il a soixante-seize ans), la mort le foudroie. Debout. Il avait passé la moitié de ses jours en prison, la moitié d'un siècle à lutter contre les ennemis du peuple, leurs geôliers et leurs juges.

Jamais il n'a cédé à l'oppresseur ni transigé avec lui. Son sens de la lutte des classes, son instinct révolutionnaire, sa fermeté dans l'action, son esprit de sacrifice ont pu servir de modèle aux générations de militants qui ont suivi la sienne.

Ses faiblesses principales résident dans l'insuffisance scienti- fique du théoricien et dans l'attachement de l'organisateur aux méthodes conspiratrices.

Le matérialisme de Blanqui, disciple des philosophes français . du X V I I I ~ siècle ét continuateur de Babeuf, ne s'est pas élevé jusqu'au matérialisme historique.

Contemporain (à quelques années près) de Marx et d'Engels, il est demeuré réfractaire leurs découvertes décisives, à leur conception scientifique du développement social et de ses lois. Il a subi l'influence des saint-simoniens, dont il répudiait pourtant la religiosité, mais non complètement l'idéalisme.

Sensible à l'implacabilité de la lutte des classes (qu'il se repré- sentait comme la lutte des riches contre les pauvres), il a néan- moins fondé sa critique du régime capitaliste sur des critères prin- cipalement moraux, tels que la notion abstraite de « justice D.

A ce manque de rigueur théorique, il est impossible de ne pas lier l'erreur des méthodes d'action, nées dans les sociétés secrètes où Blanqui avait reçu sa formation militante. 1 I

Si Blanqui a fortement senti la nécessité de détruire l'appareil d'État, de désarmer la bourgeoisie et d'armer les travailleurs, il a 1 méconnu l'importance, pour parvenir à cette fin, d'une organi- sation de classe, d'un parti révolutionnaire qui s'appuie sur le

i mouvement des masses ouvrières.

A ses yeux, la révolution sociale devait être accomplie par des groupes de conspirateurs bien préparés à l'insurrection. Dans l'intérêt du prolétariat, qui ne manquerait pas de la soutenir.. . i

1 l

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BLANQUI 55

11 n'a pas su apprécier l'importance, pour la révolution, du développement de la conscience de classe prolétarienne e t de l'élévation de son degré d'organisation, en tant que condition indispensable pour la victoire future du communisme l.

11 n'en demeure pas moins que toute tentative de résurrection des méthodes blanquistes irait aujourd'hui à l'encontre des inté- rêts fondamentaux du mouvement ouvrier 2.

Cela dit, il est incontestable que, parmi les militants français de la période prémarxiste, Blanqui demeure le plus grand. L'homme qui n'a jamais désespéré, jamais cédé à l'ennemi.

A l'ennemi qui, en accablant sa personne, rendait à son énergie révolutionnaire un inoubliable hommage : (( Rendre Blanqui à l'insurrection, s'était écrié Thiers pour refuser a la Commune un échange d'otages, ce serait envoyer une force égale à un corps d'armée ! ))

Il convient toutefois de ne pas confondre la pensée de Blanqui, quelles que soient ses erreurs, avec les déformations, les falsi- fications qui l'ont trahie, non seulement de la part de ses adver- saires (surtout les dirigeants du socialisme corrompu), mais de la part des disciples abusifs qui s'en sont réclam6s.

(( L' instinct révolutionnaire, a écrit Engels, et la décision rapide de Blanqui ne sont pas donnés à tout le monde. Hamlet peut parler tant qu'il veut d'énergie, il restera toujours Harnlet. 1)

L'enseignement historique de Blanqui, c'est l'intransigeance et la fidélité dans l'action révolutionnaire. Son héritage authen- tique, c'est la flamme révolutionnaire qui, sans jamais vaciller, brûlait en lui et qu'il a su transmettre.

Staline classe Blanqui parmi les chefs prolétariens des temps d'orage, a des chefs praticiens, pleins d'abnégation et d'audace, mais faibles e n théorie. Les masses n'oublient pas de sitôt les noms de ces chefs )i 3, que Staline oppose aux dirigeants théoriciens, faibles en matière d'organisation et de travail pratique, tels que Plekhanov et Kautsky.

1. Grande Encyclopédie soviétique, 2 e éd., t. V, p. 288. 2. Jean BRUHAT : « Le souvenir d'Auguste Blanqui -a, dans L'Humanité du

5 février 1955. 3. J. STALINE : a Lénine, organisateur e t chef du Parti communiste de

Russie D dans Unine , p. 15, @ditions sociales, Paris, 1946.

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C'est en Lénine et en Staline que se sont fondues n la force de la théorie et l'expérience pratique de l'organisation du mouvement prolétarien n.

Depuis trente-cinq années, un nouveau ciel d'orage, mais cette fois crépusculaire, pèse sur un régime pourrissant. Grâce aux grands maîtres du socialisme scientifique, les rêves imprécis de l'éternel (( enfermé )) ont pris terre sur un tiers de la planète. Et ils prennent corps partout où les masses travailleuses, armées d'une théorie et d'une expérience vérifiées, brisent les chaines dont Auguste Blanqui, homme d'action, a si douloureusement, mais si héroïquement senti le poids.

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KARL MARX A COLOGNE

1848 en Allemagne. A la révolution française de Février, qui avait chassé Louis-Philippe et institué la deuxième République, faisaient écho, dans l'espace de deux ou trois semaines, l'insurrec- tion de Vienne (13 mars), qui chassait Metternich, et celle de Berlin (18 mars), qui ne chassait pas Frédéric-Guillaume IV, mais le forçait à prendre un masque libéral, sans rien changer d'ailleurs a son administration policière et bureaucratique.

Une puissante aristocratie foncière, qui a conservé son caractère féodal et la plupart de ses anciens privilèges.

En face d'elle, les forces ascendantes, que domine une bour- geoisie, moins riche et moins concentrée qu'en Angleterre et en France, mais qui s'enrichit et ae développe ; une petite bourgeoisie urbaine et rurale extrêmement nombreuse, mais géographi- quement morcelée et socialement divisée ; un prolétariat faible, opprimé, disséminé, qui, avant d'avoir hissé la bourgeoisie au pou- voir, ne peut mener une action indépendante : telles sont les bases de la démocratie naissante.

L'Assemblée nationale siège à Francfort et donne un beau spectacle d'impuissance bruyante, qui ne réussit pas même à intimider les princes ni à unifier le pays : « Parlement d'un pays imaginaire D, elle est composée en majorité de libéraux bavards.

Mais voici que, le 31 octobre, la révolution est vaincue à Vienne. La réaction reprend courage et s'organise. A Berlin, le ministère Brandebourg-Manteuffel engage la lutte contre l'Assemblée prus- sienne et l'expulse de la capitale, qu'il met en état de siège. Le 5 décembre, il promulgue d'autorité une nouvelle Constitution.

L'Assemblée de Franofort est bafouée : lorsqu'elle s'avise de réaliser l'Empire et d'offrir la couronne impériale au roi de Prusse, celui-ci oppose un refus poli : il ne veut tenir la couronne que des princes, non des élus.

On fait trbs mollement appel au peuple. La droite de l'bssern- blée se retire. La gauche continue à bavarder, à se discréditer par son indécision socore.

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Tandis que l'émeute gronde à Berlin, l'Assemblée attend, n'agit pas, hésite à choisir, choisit trop tard. Elle sera dispersée le 18 juin 1849 et disparaîtra (( de la scène politique sans que personne prenne garde à son départ 1). Et, en juillet, à Dresde et à Rastadt, la première révolution allemande sera définitivement écrasée.

La petite bourgeoisie, vantarde et timorée, aprés avoir excité les ouvriers à s'insurger pour elle, n'aura employé son pouvoir QphBmère qu' a A défendre les effets de l'insurrection B. Incapable de garder ce pouvoir et d'cc adapter les institutions B ses besoins et à ses idées propres u, sa faiblesse, sa lâcheté aura permis

Q la réaction féodale, bureaucratique et absolutiste de se remettre des coups formidables qui l'avaient abattue en mars 1848 1.

Quel rôle le parti du prolétariat, le Parti communiste, a-t-il joué dans ces événements ? En l'absence de toute liberté, il s'était formé clandestinement, mais sur la base granitique du Manifeste. et sous la direction géniale de Karl Marx.

Il savait déja que la classe ouvrière ne pouvait accomplir la révolution libératrice ni même entreprendre un mouvement insurrectionnel pour son compte

avant que les grands industriels n'aient conquis le pouvoir politique et n'aient transformé 1'8tat conforrnhnent leurs besoins 2,

mais que, de son côté, la bourgeoisie ne pouvait y parvenir sans I'aide active des masses laborieuses. L'expérience de 1848-1849 devait confirmer sa théorie.

Depuis l'insurrection berlinoise, il y avait en Prusse deux pou- voirs bien inégaux : le pouvoir féodal de la couronne et la démo- cratie bourgeoise, représentee par l'Assemblée nationale prus- sienne. Celle-ci, avant de finir lâchement, et n si bien apprivoisée qu'elle fût n, se refusait encore à mourir. Et, lorsque le minis- tère Brandebourg-Manteuffel l'eut chassée de Berlin (novembre 1848), elle riposta en lui refusant le droit de lever les impôts.

Cette décision demeura sans grand effet, car, au lieu de résister par la force à la perception des taxes, on se borna presque partout

1. Karl MARX : L'Allemagne en 1848, p. 201, Schleicher, 1901. 2. Id.

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KARL MARX A COLOGNE 59

à une rhsistance passive. Le seul appel énergique à la résistance active émana du Comité des associations démocratiques de la pro- vince rhénane, qui siégeait à Cologne et dont l'organe était la Neue rheinische Zeitung (la Nouvelle Gazette rhénane).

, Ce comité, constitué par Marx et ses deux camarades Schapper et Schneider, ne se faisait pas grande illusion sur l'issue du mou- vement, que le coup d'État royal avait déjà brisé à Berlin (le 6 décembre, l'Assemblée prussienne, qui trainait une assez lamen- table agonie, était dissoute). 11 luttait pour l'exemple et pour l'honneur.

Le 20 novembre, les trois signataires de l'appel étaient inculpés de rébellion. Le 7 février, c'est le procès de la Nouvelle Gazette rhénane : Marx, Engels et le gérant sont acquittés. Le lendemain, c'est le procès du Comité : Marx et, à ses côtés, Schapper et Schnei- der, comparaissent devant le jury et reconnaissent être les auteurs de l'appel incriminé.

La défense de Marx est un vdritable monument politique. Engels, dans sa préface, en souligne la double importance :

En premier lieu, on voit ici un communiste expliquer aux jurés bourgeois que le devoir propre de leur classe, de la bourgeoisie, était précisément d'accomplir, de pous- ser jusqu'à leurs dernières cons&pences, les actes qu'il a commis et grâce auxquels il comparaft en qualit6 d'accusé devant eux l.

Qui l'emportera, de la force féodale et monarchique condam- née par l'histoire ou de la bourgeoisie aidée du prolétariat, qui ne s'intéresse à la lutte que pour conquérir ses libertés, ses coudées franches ? La bourgeoisie laisse dissoudre son Parlement e t désarmer sa garde nationale. a Les commanistes montent alors sur la brèche a e t somment la bourgeoisie d'agir.

En second lieu ... ce plaidoyer défend le point de vue révolutionnaire contre la légalité hypocrite du gouver- nement 2,

qui prétend exiger des révolutionnaires le respect des lois qu'il a lui-même violées.

Dès le début de sa défense, en effet, Marx, répondant au réqui- 1. Id., p. 204-205. 2 . Id. , p. 206,

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sitoire, engage le combat sur le plan politique et, sana préambule, sans précaution oratoire, comme sans violence verbale, mais avec une force dialectique irrésistible, attaque l'ennemi sur son propre terrain :

x S u r quoi le ministère public a-t-il appuyé sa critique de la déci- sion de l'Assemblée nationale de refuser les impôts 3 S u r les lois d u 6 et d u 8 avril 1848. E t qu'a fait le goasernernent en octroyant, de sa propre autorité, le 5 décembre, une Constitution et e n imposaat au pays une nouvelle loi électorale 3 11 a déchiré les lois d u 6 et d u 8 avril 1848. Ces lois n'existent plus pour les partisans d u gouvernement. Doivent-elles exister encore pour ses adversaires .?

» ... Après le 5 décembre, ... tou,t moyen devenait légitime contre une faction qui ne reconnaissait plus même les conditions auxquelles elle était un gouvernement. Le pays ne pouvait plus le reconnaître comme gouvernement l. B

La couronne n'a pas même sauvé les apparences de la légalité. En cassant les nouvelles élections, le ministère n cassait la loi même vis-à-vis de laquelle il était responsable a.

Il s'agit ici d'un conflit de deux forces, que ne peut trancher aucun tribunal, sinon celui de l'histoire :

a Qui , de la couronne ou de l'dssenzblée, était dans son droit 3 C'est Ià une question historique. T o u s les pays, tous les tribunaux de Prusse pris ensemble ne peuvent e n décider. Une seule puissance peut résoudre le problème: c'est l'histoire. Je ne conçois donc pas qu'on ait pu nous faire asseoir a u banc des accusés e n vertu d u Code pénal a.

1) Entre deux forces, la force seule peut décider 4. L a contre-révolu- tion a vaincu; mais seul le premier acte d u drame est terminé ... Et qui vous répond, messieurs, que le minktère actuel, qve ces fonction- naires qui s'en faisaient, qui s'en font encore les znstruments, ne seront pas condamnés pour crime de haute trahison par la Chambre présente ou par celle qui l e i succédera 3 r

Mais ces lois des 6 et 8 avril, qui pourtant l'absolvent, Marx, poussant l'offensive, ne les reconnaît pas, car elles sont nées d'une union conclue entre le gouvernement e t la vieille Diète fbdérale,

9. Id., p. 212-213. 2. Id., p. 214. 3. Id. , p. 216. 4. Id., p. 216. 5. Id., p. 216-227.

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61 KARL MARX A COLOGNE , i j

soucieux de conserver un ordre l6gal que, prdeisément, la révolu- .I :!

tion avait aboli. La Diète elle-même exprimait des rapports 4 sociaux anciens, contre lesquels la révolution était dirigée : elle JI :I

représentait surtout la grande propriété fonciére, base de la société féodale.

Et Marx démontre avec puissance comment la société moderne, bourgeoise, repose au contraire sur l'industrie et le commerce ; comment la grande propriété foncière s'est industrialisée, commer- cialisée ; comment les anciens seigneurs féodaux, (( tombés a u rang 1' de fabricants de bétail, de laine, de blé, de betteraves, d'eau-de-vie, etc., L I ; cherchent, eux aussi, à produire le plus possible, avec le moins de :I il

frais possible ..., achètent 1& où on peut le faire meilleur marché, ... !l

vendent là 02 on peut vendre le plus cher l. D Mensonge que leurs , $1

(( illusions vieillottes n, qui dataient d'un ordre de production i l :1

qu'exprimait encore la Diète. a i ' La nouvelle société bourgeoise, fondée sur un mode de produc- 1

tion modifié, devait s'emparer du pouvoir politique. R Telle fut la jj cause de la Révolution, qui fut dirigée non seulement contre la royauté :i a absolue, mais encore contre la représentation par un État d 'un ~ r d r e Il

social depuis longtemps aboli par l'industrie moderne 2... D De quel j

droit, dès lors, l'ancienne société (la Diète) a-t-elle pr4tendu dicter :1 :i

des lois à la nouvelle, i( qui cherchait dans la Réuolution le moyen ?I '1 de fonder son droit n ? ,,!

Défendre le droit, est-ce c défendre des lois qui appartiennent 9 (1

f 8

une dpogue historique passée ... n ? Mais r la société n e repose pas sur la loi ... C'est la loi qui doit se fonder sur la société. Elle doit être

I

$1

l'expression de ses intérêts, de ses besoins communs u... Née d'une :I

situation donnée, elle doit disparaître avec elle. « Béjendre les 1

I

anciennes lois a u détriment des besoins, des exigences d u développe- II I

ment social, revient, a u fond, simplement d défendre des intérêts ' 1 I

particuliers qui ne sont plus de saison contre l'intérêt général qui , l

convient a l'époque 5. N ,

Cette défense des anciennes lois n'ayant d'autre fonction que :l de faire prévaloir des intérêts spéciaux qui ne sont plus dominants, il

'c'est un abus de la puissance publique, qui tend A subordonner Gl II , I

!

1. Id., p. 219. 1 2. Id., p. 220, !:

C l

3. Id., p. 220. 4. Id., p. 220. I I i

i ,

5. Id., p. 225. t : ; 1 0 I

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(( violemment les intérêts de la majorité aux intérêts de la minorité l *. C'est cette attitude qui, en contradiction avec les besoins présents, (( prépare les crises sociales qui éclatent en révolutions politiques 1).

La seconde partie de la défense commence par un admirable exposé historique: a La puissance absolue de la couronne était brisée. Le peuple avait vaincu. Tous deux conclurent un armistice, et le peuple fut trompé 3. a Elle démontre l'absurdité des compromis entre deux pouvoirs en présence : ici, un monarque absolu et une Chambre constitutionnelle. l

L'accusation reproche à l'Assemblée de n'avoir pas cherché l'entente : (( Je ne sais, dit Marx ironiquement, si c'est falsification intentionnée - je suis fort éloigné de le supposer chez le ministère public, -ou ignorance 4. )) C'est, au contraire, en recherchant l'en- tente, la transaction à tout prix, que l'Assemblée s'est aliéné le peuple.

Écoutez ce langage toujours actuel : (( Si le pe~p le reproche quelque chose à l'Assemblée de Berlin, ce

sont bien ses propensions Ù t'entente. Si des membres de cette Assem- blée éprouvent quelque repentir, c'est bien au sujet de leur furieuse recherche d'un compromis. C'est cette rage qui a peu à peu détaché le peuple d'elle, lui a fait perdre toutes ses positions, l'a exposée enfin auz attaques de la couronne, sans qu'un peuple fût derrière elle. Quand elle voulut afirmer une volonté, elle se trouva isolée, impuis- sante, parce qu'elle n'avait pas su au bon moment avoir une volonte et l'affirmer. Elle dévoila cette manie quand elle nia la révolution et sanctionna la théorie du compromis; quand elle se rabaissa, d'assem- blée révolutionnaire qu'elle était, au rang d'association suspecte de partisans de compromis »

Elle ne sut pas non plus se ménager l'affection des paysans : elle préféra éviter tout conflit avec la couronne. Elle (( voulut encore faire la paix quand il ne pouvait plus être question que de s'armer pour la guerre n. C'est, par contre, la couronne qui ne voulait ni ne pouvait vouloir d'entente. C'est elle qui a wu clair. Pourquoi ?

Quelles étaient les forces en présence, en lutte ? Deux fractions d'une même société ? Non pas. Mais deux sociétés : l'ancienne

1. Id., p. 222. 2. Id., p. 222. 3. id., p. 225. 4. ild., p. 231. 5. Id., p. 232. 6. Id., p. 233-236.

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XARE MARX A COLOGNE 63

société féodale et la moderne société bourgeoise ; la société de la libre concurrence et la société fondée sur I'association corporative,

la société de la f o i et la société de la science n. Antagonisme qu'aucun compromis ne peut résoudre : l'ancienne

soci&,é, exprimée politiquement par la monarchie de droit divin, la tutelle de la bureaucratie et l'indépendance de l'armée, ne pou- vait laisser toucher à sa base matérielle, sociale (propriété seigneu- riale et servage, petite industrie patriarcale ou corporative, supré- matie de la campagne sur la ville). La société bourgeoise, de son côté, étant fondée sur la libre concurrence, ne peut tolérer l'entrave des privilèges fonciers, de la tutelle bureaucratique. t( O n trouve chez elle des classes, on n'y rencontre plus d'états. S o n développement a sa source dans la lutte de ces classes; mais celles-ci s'unissent p o w faire front contre les états et leur royauté de droit divin1. n

Pour chacune de ces sociétés, c'est une question de vie ou de mort que l'autre disparaisse. (( Pas de trêve donc entre les deux socié- tés. Leurs intérêts matériels, leurs besoins exigent une lutte d mort: Pune doit triompher, l'autre succomber. Voilà la seule entente qui puisse s'établir entre elles 2. r

Marx dirige ensuite son lance-flammes dialectique sur la thèse de l'accusation d'après laquelle le refus des impôts t( ébranlerait les assises de la société n. Il rappelle le rôle historique du refus d'impôts dans l'histoire des rapports entre le tiers état et la royauté, depuis le moyen âge jusqu'aux temps modernes. Dans tout régime constitutionnel, les Chambres ont le droit de rejeter le budget proposé par le pouvoir exécutif, ce qui équivaut à un refus parle- mentaire de l'impôt.

Mais, dit le ministère public, l'appel du comité allait plus loin que la d6cision de l'Assemblée, puisqu'il provoquait à la violence : (( Du moment que la perception des impôts a été déclarée illégale, ne doisrje pas repousser par la violence l'exercice violent de l'illégalité ? n

Deux voies s'ouvraient : l'Assemblée s'est engagée dans la voie de la simple résistance passive ((( ces messieurs ne voulaient pas risquer leur tête * 1)). Mais le peuple, de qui l'Assemblée défaillante tenait son mandat, ne devait choisir que la voie révolutionnaire. La nation est entrée en scène, elle a agi n dans la plénitude de sa

1. Id., p. 237. 2 . Id., p. 237-238. 3. Id., p. 241-242. 4. Id., p. 242 .

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puissance n. « Si la couronne fait zzne contre-révolution, la nation y répond à bon droit par une révolution. Le peuple n'a que faire, en ce cas, de l'autorisation d'une Assemblée nationale l. 1)

Karl Marx résume et conclut. (t C'est seulement le premier acte, dit-il, qu i vient de finir. La lutte entre les deux sociétés, médiéaale et bourgeozse, renaîtra sous des formes politiques 2. » Il annonce sa foi raisonnée dans la victoire finale, quelle qu'en soit l'échéance, prochaine ou non.

Pas de péroraison. Pas un mot sur sa propre personne. Le procès politique du procès et du régime qui l'a voulu. L'enseignement politique d'une époque, a l'usage de ceux qui feront l'avenir et changeront le monde.

Ce chef-d'ceuvre de dialectique ne persuada pas seulement les jurés, qui, a l'unanimité, prononcèrent l'acquittement. Il porta loin. Après le Manifeste, il expliqua aux ouvriers qu'ils ne doivent pas demeurer indifférents à la forme politique du régime, qu'ils doivent s'unir aux forces de la démocratie bourgeoise contre la réaction féodale; il leur montra que leur action, avant même de devenir indépendante et libératrice, exprimait bien dès il présent (( les intérêts véritables et bien compris de la nation tout entière. ))

Quatre cinquièmes de siècle devaient s'écouler avant que, dans une salle d'audience du meme pays, on pût entendre une voix comparable, une voix qui appelât tous les travailleurs du monde à s'unir contre un autre retour offensif du moyen âge I Car l'ironie des temps voulut que cette bourgeoisie, si lâchement timorée dans sa jeunesse, devint, quatre-vingt-quatre ans plus tard, dans sa vieillesse, lâchement incendiaire et féroce.

Le maitre accusateur de 1849 était le créateur immortel du socia- lisme scientifique, le jeune Marx, à peine âgé de trente e t un ans.

Ce dédain de toute défense personnelle, cette densité politique, cette rigueur dans l'analyse et cette puissance dans la synthèse, ce mépris de l'emphase e t de l'ornement oratoire, cette simplicité directe et précise de la forme, rien ne les met mieux en relief que leur heureux contraste avec l'éloquence brillante, superficielle et superlative de Ferdinand Lassalle, contemporain de Marx et impliqué, lui aussi, dans le mouvement de résistance rhénan.

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LA PREMI~RE INTERNATIONALE ET LES TROIS PROC&S DE PARIS

NE idée chère à Dimitrov, c'est qu'un ouvrier sans grande expérience politique eut, grâce à son instinct de classe et B son dévouement pro Y étarien, faire bonne contenance devant

le tribunal et servir utilement sa cause. Il parlera sans doute moins bien, ne trouvera pas assez vite la riposte juste aux attaques .de l'accusation; mais il ne dira rien, du moins, qui puisse nuire à sa classe, à son parti, dont il ne perdra jamais de vue l'intérêt et pour lesquels il sera toujours prêt à se sacrifier.

C'est là une vérité dont l'histoire du mouvement ouvrier inter- national fournit de nombreux exemples. Mais il en est peu qui soient à la fois plus frappants et moins connus en France que certains exemples français : il est vrai que la bourgeoisie franqaise a tout fait pour les étouffer et les salir.

La défense des ouvriers de la première Internationale, au cours des trois procès que 1'« Empire libéral 1) avait institués pour enrayer le mouvement révolutionnaire, mériterait une étude spéciale. Nous ne pouvons ici qu'en donner un rapide aperpu et en citer quelques brefs moments.

C'est le 28 septembre 1864, à Londres, qu'était née l'Association internationale des travailleurs. Un programme lu, au cours d'un meeting, par Tolain, l'un des trois délégués français, fut adopté comme base d'organisation. C'est deux ans plus tard, à Genève, qu'eut lieu le premier congrès et que furent votés les statuts ins- pirés par Marx. Un an après, au congrès de Lausanne (au cours duquel s'opposèrent le collectivisme et le mutuellisme, qui d'ail- leurs l'emporta), il fut décidé que, l'émancipation sociale des tra- vailleurs étant inséparable de leur émancipation politique, il fallait lutter B tout prix pour les libertés politiques. L'Association

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LA D ~ F E N S E ACCUSE

adhéra également au congrès de la paix qui, quelques jours plus tard, tint ses assises à Genève.

Paix et liberté ! La section française de la rue des Gravilliers, en associant ces mots d'ordre à ses revendications économiques, déclarait la guerre à l'Empire.

L'« Empire libéral )), qui avait cru pouvoir apprivoiser le mou- vement ouvrier français en lui accordant (le 25 mai 1864) le droit de coalition (peu dangereux pour le régime et bien illusoire sans les droits corrélatifs de réunion et d'association), n'admit pas cette intrusion du (( social n dans le domaine politique.

Pis encore : les travailleurs français, non contents de soutenir les grévistes de Roubaix, se permirent de protester contre l'inter- vention franqaise en Italie et de manifester, le 4 novembre 1867, sur les grands boulevards.

L'Association était devenue « subversive » ; on s'avisa que, malgré ses trois années d'existence publique, elle était non auto- risée, illicite, et, en vertu d'une loi d'avril 1834, des poursuites furent engagées, le 30 décembre, contre tous les membres du bureau parisien, parmi lesquels Camélinat, H éligon, Murat.

Condamnés, chacun, à cent francs d'amende (et l'Association dissoute), les quinze militants firent appel. Devant la cour, Murat présenta la défense commune. Elle fut politiquement assez faible.

La cour confirma le jugement. E t voici que de nouvelles forces montent sur la brèche. Une

deuxième commission se forme, composée de neuf membres : entre autres le relieur Varlin, le teinturier Benoît Malon, le bijou- tier Cornbault. La commission annonce publiquement sa consti- tution, sans souci des poursuites ; elle lance un appel en faveur des grévistes de Genève, où les gars du bâtiment luttent pour la journée de dix heures. La presse, en publiant l'appel, crée aussitôt cet arsenal de calomnies qui deviendront traditionnelles et ne se renouvelleront guère : e meneurs étrangers », (( ordres venus de Londres D, 1' (( or de l'Internationale r. En 1868, déjà !

Le 22 mai, le gouvernement défère les neuf membres de la com- mission devant le tribunal correctionnel de la Seine.

Au cours de ce second procès, c'est Varlin qui prend la parole au nom de tous, et avec quelle vigueur de classe I

(( Si, devant la loi, dit-il, nous sommes, vous des juges et nous des accusés, devant les principes, nous sommes deux partis: vous le

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parti de l'ordre d tout prix, de la stabilité, nous le parti réformateur, le Parti socialiste 1. »

Il met en relief l'inégalité sociale, il oppose la minorité jouisseuse, parasitaire, et « la grande masse languissant dans la misère et dans l'ignorance, ici s'agitant sous une oppression implacable, là décimée

ar la famine, partout croupissant dans les préjugés et les supersti- p. twns qui perpétuent son esclavage de fait r. Il évoque K la haine ~ o u r d e entre la classe qui veut conserver et celle qui oeut reconquérir ».

Chacun fut condamné à trois mois de prison et cent francs d'amende. L'Association était décapitée : elle était encore trop faible pour surmonter l'épreuve.

1869-1870 : l'assassinat de Victor Noir par le prince Pierre Bonaparte a soulevé l'indignation populaire ; 200.000 hommes 1 I suivent les obsèques ; il s'en faut de peu qu'ils ne marchent sur i Paris ; une 'grande grève éclate au Creusot ; les sociétés ouvrières I I se fédèrent et grandissent ; le vent souffle à l'union syndicale et I 3 politique ; l'Internationale se jette dans la lutte antiplébiscitaire.

i i Enfin, c'est la provocation policière connue sous le nom de (( com- i plot des bombes r, grâce à quoi le ministre Émile Ollivier prétend effrayer le Français moyen et diviser l'opposition.

Le ministre Émile Ollivier n'est autre que celui qui, quelques semaines plus tard, le 30 juin 1870, avant la guerre franco-alle- mande, aura la clairvoyance de dire : (( De quelque côté qu'on regarde, on ne voit aucune question irritante engagée et, à aucune époque, le maintien de la paix en Europe n'a été plus assuré. r

C'est ce ministre si bien inspiré qui fait insinuer par sa presse que l'Internationale n'est pas étrangère au complot. Le Conseil fédéral parisien ,repousse avec dédain la calomnie : si le complot existe, l'Internationale n'y est pour rien. Mais elle défie le régime.

K L'Association internationale des travailleurs, conspira- tion'permanente de tous les opprimés e t de tous les exploi- tés, existera, malgré d'impuissantes persécutions contre les soi-disant chefs, tant que n'auront pas disparu tous les exploiteurs, prêtres et aventuriers politiques. B

1. Procès de l'Association internationale des Travailleurs, 2e édit., publiée par la Commission de Propagande du Conseil fédéral parisien de l'Association inter- nationale des Travailleurs, juillet 1870, p. 161.

2. Id., p. 161. 3. Id., p. 164.

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Cette fois, c'en est trop : cet appel est tenu pour une déclaration de guerre. Et, sous la prévention paradoxale d'avoir été, soit chefs ou fondateurs, soit simples membres d'une société secrète ( !), trente-huit militants de l'Association vont comparaître le 22 juin devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de la Seine.

Le 30 juin, le jour même où Émile Ollivier annonçait avec tant d'à-propos la paix européenne, la défense collective fut présentée par le tourneur en cuivre Chalain. Société secrète, l'association la plus connue, la plus nombreuse, la plus discutée dwmonde ? Société secrète, celle dont chaque résolution est publiée par ses vingt-cinq journaux et dénigrée par tous les journaux bourgeois ?

Que veut l'Association ? L'affranchissement des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes. Plus de n sauveur )) intéressé, plus d'arriviste : « L'expérience a appris aux classes ouvriéres qu'elles ne devaient compter que sur elles-mêmes : et c'est l'idée mère de Z'lntér- nationale. D On lui reproche de fomenter secrètement des grèves ? Absurdité.

a Ce qu'il y a de vrai, c'est que la rapacité des grands industriels, la concurrence immorale et e#rénée qu'ils se font aux dépens des tra- vailleurs plongent ceux-ci dans une misère de plus e n plus profonde, et cela dans une époque oii les idées de justice et d'émancipation ont pénétré les masses1. a

La cause des grèves, ce sont les amendes, les retenues arbitraires qui, sous couleur de prévoyance, ne sont qu'un moyen de prélever sur le salaire pour n'en remettre à l'ouvrier que quelques bribes. (( C'est la somme de travail progressant toujours, sans augmentation de salaire, exténuant le travailleur, préparant le chômage et amenant, avec un surcroît de fatigue, une augmentation de dépendance et de misère 2. ,))

La fortune d'une minorité de parasites et d'oppresseurs s'édifie sur le gaspillage des richesses, sur la spoliation de la classe ouvribre, (( car l 'un ne saurait aller sans l'autre ».

« Pouvez-vous croire que, pour sentir des maux intolérables et croissants, les ouvriers aient besoin qu'on leur apprenne qu'ils sou firent ? n

4. Troisième procès de I'Association internationale des fravailleurs A Paris, Paris, Armand Le Chevalier, &lit., juillet 1870, p. 100.

2. Id., p. 101. 3. Id., p. 102.

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LA P R E M I ~

Mais les privilégiés ne veule qu 'ils font, ils ne connaissent le mal s'aggrave.

~ h a l a i n dénonce la a Sainte- Alliance des gouvernements et des réactionnaires u contre l'Internationale, l'ignorance et la séche- resse de cœur des économistes, « ces grands-prétres du bourgeoi- sisme l a. Il dit l'espoir des travailleurs en la a destinée de l'espèce -

humaine )). c Oui, les prolétaires sont enfin las de la résignation! Ilssunt las

de voir leurs tentatives d'émancipation toujours comprimées, toujours slsioies de déceptions; ils sont las d'être les victimes du parasitisme, de se sentir condamnés à un travail sans espoir, à une subalternisation sans limites, de voir toute leur vie dévorée par la fatigue et les priua- tions, et ils sont las de ne ramasser que les miettes d'un banquet dont ils font tous les frais '. 1)

Les travailleurs repoussent la guerre de toutes leurs forces, et le temps n'est pas éloigné où l'Internationale rendra, en dépit des velléités gouvernementales, toute guerre impossible a n. Ils protestent contre l'emploi de la force armée au service du Capital, « de la féodalité industrielle et agricole, non moins odieuse que l'ancienne 4 ». On les injurie en les traitant de pillards et de partageux.

Ce qu'ils veulent, c'est se gouverner eux-mêmes, sans inter- médiaire ; c'est la liberté, c'est l'abolition de l'usure, des monopoles, du salariat, c'est l'instruction intégrale. ..

u Quel que soit votre verdict, nous continuerons, comme par le passé, à conformer ouvertement nos actes Ù nos convictions républicaines et socialistes =. ))

Et Chalain conclut par un acte de foi dans l'Internationale invin- cible, expression de la République sociale et universel1e.

Au cours des débats, il y eut d'autres interventions courageuses qui méritent d'être citées :

Fournaise se vit retirer la parole pour s'être fait gloire d'avoir été parmi les fondateurs de l'Internationale et d'avoir été condamné.

L'ouvrier ciseleur Theisz se vit également imposer silence pour

1. Id., p. 103. 2. Id., p. 10.4. 3. Id., p. 105. 4. Id., p. 106. 5. Id., p. 106,

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70 LA DEPENSE ACCUSE

avoir magnifiquement requis contre le régime Qconomique et mis en relief ses contradictions, ses mensonges :

« Depuis 1789, toutes vos Constitutions afirment et prétendent garantir la liberté, l'égalité, la fraternité ! Or, chaque fois qu'un peuple accepte comme but une formule abstraite, philosophique, économique, religieuse, il n'a plus ni repos ni trêve qu'il n'ait fait passer cet idéal du domaine des théories dans le monde des faits. Nous voulons, nous, faire descendre la formule révolutionnaire, des abstractions poli- tiques où elle se tient depuis 1789, dans les réalités sociales. Votre système économique, votre organisation industrielle a pour résultat inévitable, fatal, d'augmenter toujours le nombre des salariés et de subordonner le travailleur au capitaliste, en même temps que vous affirmez comme base de Z'organisation sociale L'égalité politique par le su8rage universel; et vous vous étonnez de cet immense cri de révolte que poussent les travailleurs du monde entier; vous vous étonnez du trouble, de la confusion qui s'introduit dans le vieux corps social l Ce qui nous étonne, nous, c'est votre inconséquence1 ! 1)

Le révolutionnaire hongrois Léo Fraenkel, un marxiste animé du plus ardent internationalisme prolétarien (la Commune lui confiera le ministère du Travail), railla l'avocat impérial, qui, d'un refus de réponse à l'instruction, avait déduit que l'Association était secrète :

J'ignore à quelle école philosophique M. l'avocat impérial a appris Ea dialectique ; mais son raisonnement me paraît aussi logique que celui qui consisterait, en voyant un enfant fermer les yeux, a déclarer que son père est aveugle 2.»

Casse, enfin, se félicita du procès, qui faisait ((une très grande propagande en faveur de l'Internationale N ; malgré les interrup- tions répétées du président, il fit prévaloir son droit de dire qu'il désirait la révolution de tout son cœur et qu'il voudrait G qu'elle éclatât demain 1). E t il conclut par ce défi : (( Vous voulez nous abattre ? S i c'est là votre prétention, monsieur l'avocat impérial, per- mettez-moi de vous retourner le mot de mon ami Murat: ne touchez pas a la hache. L'arme est lourde, votre main est débile et notre tronc est noueux 5. 1)

1. Id., p. 188 et 189. 2. Id., p. 213. 3. Id., p. 192. 4. Id., p. 104. fi. Id., p. 198,

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Varlin, Malon, Murat, Johannard, Pindy, Combault et Héligon furent condamnés à un an de prison, leurs camarades à deux mois. terna nationale était déclarée (( société secrète D. Mais, au point où elle en était, un tel procès - Casse avait dit vrai - ne pouvait plus que la servir. Les accusés s'étaient défendus en prolétaires, et les prolétaires les avaient entendus. Quelques mois plus tard, les condamnés du 8 juillet seront les héros de la Commune.

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Nous, communistes; nous sommes des gens d'une facture à part. Nous sommes taillés dans une étoffe à part. Nous formons l'armée du grand stratège proléta- rien, l'armée du camarade Lénine. Il n'est rien de plus haut que l'honneur d'appartenir a cette armde. Il n'est rien de plus haut que le titre de membre du Parti qui a pour fondateur et pour dirigeant le camarade Lenine ...

STALINE, 26 janvier 1924 l.

E plus grand disciple de Marx, d'Engels et de Lénine, leur continuateur, dont le génie domine la pensée, l'action, l'his- toire de notre temps, Joseph Staline, n'a pas manqué de nous

montrer par son exemple comment se comporte un dirigeant bol- chévik tombé aux mains de l'ennemi.

S'il n'a pas eu à comparaitre devant les tribunaux tsaristes, il a été, depuis sa vingt et unième année, arrêté sept fois. Six fois déporté dans les conditions les plus dures, il s'est évadé cinq fois/ E t c'est la révolution de février 1917 qui l'a délivré, après trois années de souffrances, en Sibérie, prés du cercle polaire.

En prison, au bagne ou dans l'illégalité, il a toujours su, non seulement tenir tête et imposer respect à ses geôliers comme à la police, mais développer son œuvre de penseur, de combattant, de chef responsable. Il a su défendre avec intransigeance les prin- cipes du léninisme et mettre en deroute l'opportunisme des « éco- nomistes D, des menchéviks, des liquidateurs du Parti. Partout et toujours en contact avec les travailleurs, dont il est devenu le guide. . Un jour, en 1908, de la fenêtre de sa cellule, il aperçoit un groupe de militants qu'on avait extraits de la prison pour les conduire au .

bagne, enchafnés.

1, J, S T ~ L I N B : u Ldnine est mort ., dans kfnine, p. 19.

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STALIME BRISEUR

n Gardez les &aines, leur crie-t-il, eltes noas serviront pour en&-& ner le gouvernernent du tsar. »

Il n'avait pas encore trente ans... Mais déjà, derriére lui,, quinze ans de vie militante I Et, neuf années plus tard, sa prediction s~accomplissait : grâce à des hommes d'acier tels que l ~ i , ~ t e l s que son maître Lénine et leurs compagnons de lutte, les épaules meur- tries - des travailleurs russes allaient secouer leurs chaînes et, pour toujours, s'en décharger.

Depuis lors, tous les peuples ont su que leurs chalnes sont brisables ...

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L'ATTITUDE DES BOLCHÉVIKS DEVANT LES TRIBUNAUX TSARISTES

L'histoire du Parti nous apprend ... que la victoire de la révolution prolétarienne, la victoire de la dictature du prolétariat est impossible sans un parti révolutionnaire du prolétariat, exempt d'opportunisme, intransigeant vis-à-vis des conciliateurs et des capitulards, révolution- naire vis-à-vis de la bourgeoisie et de son pouvoir d'gtat.

Histoire du P. C. ( b ) de Z'U. R. S. S.

VART la Révolution d'octobre, le Parti bolchévik s'était forgé, sous la direction de Lénine, dans sa lutte implacable contre l'autocratie tsariste et ses soutiens. Héritier de la tradition

marxiste, avant-garde éprouvée du prolétariat révolutionnaire, il n'a jamais dédaigné, dans son activité illégale, l'héritage et l'en- seignement des mouvements populaires antérieurs : il s'est, au contraire, méthodiquement inspiré de leur longue expérience pra- tique e t tactique ; il l'a continuée et enrichie, sans toutefois faire à ces mouvements périmés la moindre concession de principe.

Les narodniks (populistes), qui militaient entre 1870 et 1880, intellectuels roturiers et travailleurs manuels, avaient souvent fait preuve, aux mains de l'ennemi, d'une conscience et d'une audace révolutionnaires qui, par l'admiration qu'elles inspiraient au peuple, avaient fortement contribué au rayonnement de leur Cause et à l'éducation des masses.

Quelques-uns d'entre eux ont su tenir tête si victorieusement à leurs accusateurs, à leurs juges, que les historiens bourgeois eux- mêmes s'inclinent devant leur courage et leur valeur.

Le résultat de ces procès

ne fut pas tout à fait, malgré les condamnations pronon- cées, celui qu'attendait le gouvernement. Grâce à la publi- cite des débats, qu'on n'osait pas encore tout à fait sup-

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primer, le public put s'instruire des procédés arbitraires et violents de la police et mettre en regard le dévouement et le zèle quasi évangélique des inculpés ; les déclarations retentissantes de Sophie Bardina trouvèrent partout de l'écho 1.

Les deux grands procès qui dominent l'époque sont celui des Cinquante et celui des Cent quatre-vingt-treize. Ils ont eu lieu l'un et l'autre en l'année 1877. Chacun d'eux a imposé au respect universel une belle figure révolutionnaire : celui des 50, le tisserand Alexéiev ; celui des 193, l'intellectuel Michkine.

Les 193 propagandistes qui furent condamnés le24 janvier 1878 n'étaient pas groupés dans une organisation homogkne : ils appar- tenaient à cette jeunesse intellectuelle qui s allait au peuple >t et n'étaient liés que par une certaine communion de foi révolution- naire. Au cours de ce grand procès, leur porte-parole le plus remar- quable et le plus courageux fut Hippolyte Michkine.

Malgré les interruptions incessantes du président, qui prétendait le confiner dans son rôle d'accusé et lui interdire toute attaque dirigée contre le régime tsariste, Michkine réussit à exposer, pour l'édification du peuple, l'essentiel des idées professées par le mou- vement, à dénoncer la politique de l'autocratie. Il soutint sa lutte émouvante jusqu'à son expulsion de la salle d'audience.

c Maintenant, il est évident pour tout le monde qu'ici, à chaque mot sincère, on ferme la bouche au prévenu. Maintenant, j'ai parfai- tement le droit d'alfirmer que ce n'est pas une justice, mais une comé- die, voire quelque chose de pire, de plus répugnant, de plus honteux...))

A ces mots, les gendarmes s'emparent de Michkine, lui ferment la bouche. La voix étouffée, il achève dans un souffle :

(( ... qu'une maison de tolérance. Là, des femmes pressées par la misère vendent leurs corps; ici, des juges enfoncés dans l'ignominie, dans la servilité,'mus par l'appât de l'avancement et de hauts traite- ments, vendent la vie d'autrui, prostituent la vérité et la justice, ce qui est le plus sacré pour l'humanité 2. r

On l'arrache de son banc, on l'entraîne. Dans l'auditoire, le scandale est tel qu'on fait évacuer la salle.

Quelques mois plus tôt, en février-mars 1877, on avait entendu

1. LAVISSE et RAMBAUD : Histoire générale, 2e édit . , t. XII, p. 393. 2. TCHERNOM O R D IB : L'Attitude des Bolchéoiks devant les juges, Bureau d'gdi-

t h , Paris, 1932.

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le viril langage d'un autre homme : un autre langage, un langage de classe ; e t l'instinct de classe dominait en lui l'idéologie popu- liste. Cet homme n'allait pas au peuple : il en Btait. C'était un ouvrier, un ouvrier tout à fait conscient, qui connaissait, pour l'avoir vécue, pour en avoir souffert, I'exploitation du capital e t l'oppression du régime.

En la personne de Pierre AlexBiev, c'est déj jà le prolétariat qui fait son entrée dans la salle d'audience et qui présente A l'ennemi son compte & régler. Un compte aussi terrible que simple. Ce compte est un passif, cette défense de créancier est un réquisitoire.

Que dit Alexéiev ? Il dit la vie quotidienne de l'ouvrier, ses journées de travail de 17 heures, son salaire mis6rable de 40 kopeks, sur lequel, pour un rien, on pr4lève des amendes ; il dit sa fatigue abêtissante, les humiliations dont on l'abreuve, le mépris où l'on tient ses besoins les plus élémentaires.

(( Ne voyons-nous pas u'autour de nous tous s'enrichissent et s'amusent à nos ddpens 3 5 ommes-nous donc si bêtes que de ne par comprendre pourquoi nous sommes s i mal payés et OU passe le fruit de nos peines ? Les um, sans travailler, vivent dans l'opulence ... Le peuple ouvrier, quoique privé de toute instruction, regarde tout cela comme un mal passager et le gouvernement comme le pouvoir poli- tique temporairement usurpé pur lu force ))

Mais comment va-t-il conclure ? Mais sur qui, sur quoi les tra- vailleurs peuvent-ils compter ? De quel côté se tournent-ils pour chercher une issue ti leur misère, pour se libérer ?

Jusqu'alors, les générations d'accusés, les intellectuels dominés par l'influence de Bakounine, dedaignaient la résistance 8. l'oppres- sion politique ; il devait appartenir un ouvrier, comme Pierre Alexéiev, de declarer la guerre à l'autocratie, de lier la révolution politique à la révolution sociale et de tenir devant les juges du tsar le même langage que, sept ou huit ans plus tôt, devant un tribunal du second Empire, les ouvriers parisiens de la premihre Inter- nationale.

u Le peuple trauai2leur de Russie n'a à compter pue sur ses propres forces. I l n'attend de secours de personne ... sinon de la jeunesse intellectuelle 3...

Le prbsident lui crie de se taire ; alors Alexeiev 6lléve le ton :

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a ... Et b joug du despot e, protigé pw les baïonnettes des soldats, sera brisé I I r

Cette audace nouvelle produisit un tel effet de stupeur sur tout l'auditoire et même sur les gardes que, declara son défenseur, u si AlexBiev s'était dirigé vers la sortie, personne ne l'aurait arrêté : tout le monde avait-perdu la tête 1).

Le discours d9Alexéiev, édité en brochure, connut le plus grand succés populaire et servit longtemps Q l'agitation.

C'est de ces révolutionnaires que les bolchéviks ont Bté le8 héritiers e t les continuateurs pour le courage, I'intransigeance rbvolutionnaire et la stratégie offensive. C'est l'expérience accu- mulée par ces combattants qu'ils ont reprise, adaptée, rajeunie. Mais leur tdche &ait beaucoup plus complexe : d'une part, l'ennemi employait des méthodes bien moins primitives, bien plus raffinées ; d'autre part, il ne suffisait plus de dénoncer le régime : il fallait situer le Parti par rapport aux autres, démontrer la clairvoyance de son analyse et la justesse de ses objectifs, exposer sobrement, clairement, son programme et sa tactique.

A quel moment ? Au moment où cet exposé pouvait le mieux 6tre entendu, c'est-à-dire dans la salle d'audience, devant le tri- bunal. Alors même que les débats avaient lieu ii huis clos, ce qui était devenu le cas général, la présence d'un avocat servait au moins h sauvegarder un minimum de publicité et & empêcher l'étouffement total de la défense : il était difficile au gouvernement d'bviter que, par l'entremise du défenseur et de la littérature clandestine, un peu de vérit6 ne fût connue.

Mais il en allait tout autrement avant les débats, pendant l'ins- truction, sui était strictement secrbte. Les déclarations de l'inculpé ne pouvaiênt être utilisées que contre lui, sans aucun profit pour la ropagande. Pour déjouer les ruses de la fameuse Okhrana

o ice politique secrète) et des magistrats instructeurs, la tactique (P f la moins dangereuse, la plus indiquée, était celle du silence. Aussi, le plus souvent, les bolchéviks ont-ils refusé de répondre aux interrogatoires.

Les instructions duraient très longtemps : leur objet, la préoc- cupation dominante des policiers et des juges, c'était d'arracher aux détenus des renseignements utilisables sur l'organisation et son activit6. On employait les moyens les plus vari8s : la torture ou

1. Id., p. 28.

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le mensonge, la terreur ou l'appel aux a bons sentiments s. A la fin du siècle dernier, I'Okhrana s'était rendu compte que la méthode brutale ne parvenait pas à plier la résistance inflexible des militants éprouvés. C'est alors que, sous la direction du fameux Zoubatov, initiateur du ((socialisme policier », la police tenta l'usage de la manière douce. La menace et les coups étant sans eff et, on essaya de la promesse et de 'la « discussion 1). Le mouchard de la nouvelle école offrait des eigarettes au prévenu, lui déclarait sa sympathie et lui suggérait que son salut dépendrait de son (c franc parler o. Si le prévenu hésitait, on lui faisait croire qu'on savait tout, que ses camarades avaient déjà parlé.

Bien des révolutionnaires inexpérimentés étaient pris au pibge : ils étaient dès lors perdus. Ou ils avouaient, renseignaient l'ennemi sur ce qu'il voulait connaître, dénonçant, même sans le savoir, leurs camarades, et ils étaient engagés dans la voie sans retour de la trahison ; une fois compromis aux yeux des leurs, ils devenaient, pour I'Okhrana, une proie facile. Ou ils ergotaient et s'embrouil- laient : ils aggravaient alors leur propre cas, sans parvenir à sauver leurs camarades ; ils risquaient même de fournir à leur insu le fil conducteur qui manquait à la police pour atteindre l'organisation. E t c'était aussi la mort politique.

Ainsi, ceux qui (( parlaient 1) perdaient presque à tout coup ; et c'est pourquoi le Parti bolchévik recommandait à ses militants de ne pas répondre au juge d'instruction.

Après la révolution de 1905 et la disgrâce de Zoubatov, la police revint à la manière forte, et la torture fut de nouveau érigée en méthode normale d'instruction. Le refus de répondre comportait un grave surcroît de souffrances physiques. Mais un bolchévik affrontait ce péril avec courage et le préférait en tout cas au ter- rible danger politique d'une parole imprudente.

Cependant, si au caractère secret de l'instruction il fallait oppo- ser le meilleur secret défensif, celui du silence, il convenait, au contraire, d'utiliser au maximum la publicité directe ou indirecte des débats, de transformer le prétoire en tribune et de s'y faire le porte-parole du Parti. Là encore, pas un mot sur l'organisation et son activité, mais une profession de foi préparée d'avance, un exposé précis du programme bolchévik. Ces exposés, que, dans sa lettre de 1905 sur la défense, Lénine estimait très utiles, étaient publiés dans la presse illégale et, clandestinement diffusés, contri- buaient puissamment B l'éducation révolutionnaire des masses.

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Avant que l'aile révolutionnaire du Parti social-démocrate fût devenue. le Parti bolchévik, il advint, en 1901, que l'imprimerie

de son organe, l'lskra, fut découverte et que plusieurs militants furent arrêtés. Parmi eux, Léon Goldmann. Lorsque, après deux. années d'instruction, le procès eut lieu, à huis clos, Goldmann réussit à mener la lutte sur deux fronts : contre l'ennemi extérieur, 4U i qualifiait de mutinerie a la propagande révolutionnaire, et contre l'ennemi intérieur (« économistes D, libéraux, néo-populistes) dont se délivrait alors le Parti de Lénine. 1

La défense de Goldmann fut un acte politique important, un exposé du programme de l'lskra. C'est au cours de son plaidoyer p ' i l s'écria :

« La volonté du peuple est une loi. Et, quand un gouvernement veut juger le peuple, c'est dire pue l'heure a sonné où le peuple doit mettre son gouvernement au banc des accusés l. 1)

Quatre ans plus tard, le même thème était repris devant les juges de Moscou :

« Si vous étiez conséquents avec vous-mêmes, vous auriez dû mettre sur le banc des accusés tout le peuple russe. Mais alors sait-on bien qui serait le juge et qui serait l'accusé ? 1)

Ce fier langage était tenu par un bolchévik du Comité de Mos- COU, Bogdan Knounianz. C'était quelques semaines après le

dimanche rouge D de Saint-Pétersbourg, après la fusillade du Palais d'Hiver (9 janvier 1905). On avait trouvé sur Knounianz le manuscrit d'un tract : il n'y avait pas d'autre preuve de son aEliation au Comité. S'il avait voulu se borner à une défense juridique, il ne lui eût pas été difficile d'obtenir son acquittement. Mais ce ne fut pas sa personne, ce fut sa cause qu'il d6fendit.

La cour ayant prononcé le huis clos, il déclara : Le huis clos rendant impossible le contrôle de l'opinion publique,

seul juge dans le litige entre les révolutionnaires et le gouvernement, j'estime inutile ma participation aux débats judiciaires et je vous avertis que je ne répondrai pas aux questions. Je me réserve le droit de prononcer le dernier mot, croyant de mon devoir révolutionnaire de saisir toutes les occasions qui se présentent pour propager mes idées »

Il eut effectivement le t( dernier mot 11, et ce fut pour préciser la

1. Id., p. 31. 2 . Id. , p. 35. 3 . Id. , p. 33.

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doctrine de Marx et d'Engels, le programme des bolchéviks : cc Nous avons la certitude que ni les rdformes spéciales, ni les amé-

liorations partielles n'amèneront, e n régime bourgeois, le prolétariat au socialisme, mais une lutte sans pitié contre la base de ce régime, la propriété des moyens de productzon, et que seul le passage de ces derniers aux mains de la collectivité mettra u n terme à l'exploitation des couches sociales les unes par les autres. La dictature d u prolé- tariat, l a prise d u pouvoir politique par la classe ouvrière en est la colzd ition indispensable l. ))

E t ~noun iakz de conclure par un défi : (( N e faut-il pas être un pince-sans-rire pour réclamer la déportation

Ù perpétuité, alors que nul d'entre vous n'a la certitude d u lendemain 3 Toute la Russie est en proie à une eflervescence bouilhtnante. Du jour au lendemain, il ne restera pierre sur pierre ni de l'ancien gouvernement, ni de tout ce fatras d'arrêts et de verdicts judiciaires, et ceux que vous avez jetés aujourd'hui sur le banc des accusés seront alors les plus actifs militants de la jeune Russie ... Comment pouvez- vous perdre votre temps à pendre des résolutions de papier2 ? a

Le tribunal ainsi fouaillé n'osa pas condamner Knounianz à plus de quatre mois d'emprisonnement.

Selles sont les conditions de lutte dans lesquelles s'est formée la riche expérience des bolchéviks, de ces militants ouvriers d'un type nouveau, armés de la théorie marxiste-léniniste et liés (( aux masses qui leur ont donné naissance, les ont nourris et les ont éduqués o ; de ces militants invaincus et invincibles qui, sous la direction de Lénine et de Staline, allaient prouver au monde que, dans la guerre comme dans la paix, il n'est pas pour eux de for- teresse imprenable.

C'est de cette expérience vieille d'un demi-siècle, adaptée B l'état mouvant des rapports de forces, que Lénine, en 1905, à la veille de la première révolution, posait clairement e t fortement les premières données.

La stratégie de la répression variait : la stratégie de la défense devait, elle aussi, se renouveler. Au courage, il fallait associer la souplesse, l'esprit d'initiative, pour assurer à l'énergie révolution- naire son meilleur rendement.

1: Id., p. 34. 2. ..Id.; p. 35. 3. S T A L ~ B : P& une formation boZcMoik, p. 44. Editions sociales, Paris,

1948. Voir aussi la condusion de l'Histoire du P. C. ( b ) de t'U. R. S. S.

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L'ATTITUDE DES BOLCBÉVIKS $1

C'est pourquoi, si modestement, Lénine refusait B ses a réflexions anticipées 1) le caractère d'un (( essai de solution du probléme B et recommandait A ses camarades de s'inspirer, chaque fois, r des circonstances concretes et de l'instinct du révolutionnaire a.

~ e p u i s lors, l'expérience révolutionnaire a confirmé les données de Lénine et, même avant le proces de Leipzig, de nombreux révo- lutionnaires s'étaient comportés, dans les prisons et devant les tribunaux de tous les pays, en vbritables émules des bolchéviks.

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LES PRÉCURSEURS POLONAIS : WARWSKI

E nom de Ludwik Warynski est inscrit en lettres d'or dans l'histoire du mouvement ouvrier polonais.

Dès 1876, à vingt ans, initié à l'enseignement de Marx, il sait voir dans la classe ouvrière la classe d'avant-garde dont la mission historique est de mettre fin à l'oppression nationale et à l'exploitation de l'homme par l'homme.

En 1878, il semble avoir pris part à l'élaboration, par le groupe socialiste de Varsovie, du (( programme de Bruxells u.

Deux ans plus tard, devant le tribunal deCracovie, il proclame le caractère scientifique du marxisme.

En 1882, le premier parti ouvrier de Pologne : Prolétariat, fonde son programme sur le matérialisme historique.

Du 23 novembre au 30 novembre 1885, les organisateurs uu Prolétariat comparaissent, à Varsovie, devant le tribunal militaire tsaristel. C'est là que Warynski va donner la mesure de sa force dialectique et de son imperturbable héroïsme, qui se refusent à une défensive argutieuse :

((.Peu importe, s'écrie-t-il, le détail des accusations portées contre moi : je ne perdrai pas de temps d les réfuter. Ma tâche consiste ci brosser le tableau véritable de nos aspirations et de notre activité, que le procureur a présentées faussement.

u Nous ne sommes ni des sectaires, ni des rêveurs coupés du réel, comme le prétendent l'accusation, et MÊME LA DÉFENSE. La théorie socialiste a obtenu droit de cité dans la science, et les faits de la oie contemporaine témoignent sans cesse en sa faveur. Une critique écrasante du système social en vigueur a été élaborée par de sérieux

1. La documentation relative A ce proch m'a étb fournie par la militante polonaise Félicia Alter.

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LES BRÉCURSEURS POLONAIS 83

penseurs; ils indiquent également quels sont les embryons d'un régime meilleur qui se développent rapidement dans les conditions d'aujourd'hui...

1) La tâche du Parti ouvrier consiste à éveiller chez les ouvriers la conscience de leurs propres intérêts et les appeler a défendre leurs droits de façon conséquente. Le Parti ... organise la classe ouvrière et la conduit au combat contre le gouvernement et les classes privi- ~égiées.. S i nos eflorts ont été couronnés de succès, c'est vous, mes- sieurs, qui pouvez en juger sur les données que l'instruction a mises en lumière ... 1)

Warynski, calmement, évoque la nécessité historique de la transformation sociale :

«Nous ne sommes pas au-dessus de l'histoire : nous sommes soamis à ses lois. Le renversement auquel nous visons, nous le, considérons comme le résultat du développement historique et des conditions sociales. Nous le prévoyons et nous nous efforçons d'être prêts pour le moment où il surviendra. ))

Face aux soudards tsaristes qui vont le condamner à mort, Warynski conclut sa déclaration par une suprême profession de foi et de solidarité politique.

(( J'en ai fini, messieurs les juges, je n'ai plus qu'un mot à dire: quelle que soit la sentence rendue contre moi, je vous prie de ne pas séparer mon cas de celui de mes camarades.

)) J'ai été arrêté avant eux. Mais ce qu'ils ont fait, je l'aurais fait moi-même si j'avais été 9 leur place. J'ai fidèlement servi ma cause, je suis prêt 6 lui sacrifier ma vie. »

Cette phalange de vaillants devanciers est tombée prématu- rément : les oppresseurs en ont condamné quatre à la pendaison, vingt-cinq au bagne. A leur raison de vivre, ils avaient sacrifié leur vie. Ils ont, conformément aux derniers mots de Warynski, fidèlement servi leur cause.

Et, soixante ans après, leur cause a triomphé ... leur cause pour laquelle, pendant plus d'un demi-siècle encore, a souffert et lutté leur peuple. Libéré par les armées soviétiques et son propre combat, ce peuple héroïque reconstruit sa capitale suppliciée et construit son avenir avec un enthousiasme qui n'a pas fini d'éton- ner ses innombrables admirateurs. E t la mémoire des martyrs, des Warynski, inspire les réalisateurs de leur idéal, les édifica- teurs de la Pologne socialiste.

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LES GRANDS ANTIMILITARISTES ALLEMANDS

1870-1914. Bismarck et Guillaume II. La monarchie militaire de Prusse, victorieuse des États allemands, de l'Empire autrichien, de l'Empire français. Puis le second cycle d'invasions, la défaite et la révolution avortée.

Ce demi-siècle d'histoire allemande est dominé par une grande lignée révolutionnaire : en face de Bismarck et de Guillaume, les deux Liebknecht, Wilhelm et Karl, le père et le fils, également irré- ductibles. A leurs côtés, deux autres figures qui en sont insépa- rables : August Bebel, le frère d'armes de Wilhelm, et Rosa Luxem- bourg, la compagne de lutte (jusque dans la mort) de Karl.

1848-1918. C'est le vieux Liebknecht qui, dans sa jeunesse, a pris part au mouvement de 1848 et à l'insurrection badoise de 1849, comme, soixante-dix ans plus tard, son fils se devouera à la révolution de 1918 et dirigera l'insurrection berlinoise à l'issue de laquelle il succombera.

1870-1914. C'est le vieux Liebknecht qui, en 1870 et 1871, avec Bebel, refuse par deux fois de voter les crédits de guerre, comme, quarante-trois ans plus tard, le refusera son fils.

Et ce refus vaut à Wilhelm et &Bebel un procès de haute trahison. On leur reproche d'avoir voulu changer la Constitution et détrôner le roi par des moyens violents. Les débats, ouverts le 11 mars 1872, dureront quinze jours et se termineront par la condamnation des deux chefs socialistes à deux ans de détention dans une enceinte fortifiée.

Le procureur n'hbsite pas & s'attaquer au socialisme marxiste, Marx lui-même, au congrès international de Genève (1866) ;

aux congrès allemands de Nuremberg (1868) et d'Eisenach (1869),

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voire A la Commune de Paris, dont l'organe social-démocrate, le Volksstaat, s'était déclaré solidaire.

Wilhelm Liebknecht riposte à 1' offensive par l'offensive. DQs la quatrième audience, il requiert contre le système capitaliste. J1 en analyse les effets :

a Ceux dont le travail crée la valeur et produit la richesse nationale restent pauvres, et ce sont ceux gui font travailler les autres qui deviennent rzches et qui monopolisent dans leurs poches la richesse natzonale. 1)

Mais ce que le procureur a visé, c'est, bien plutôt encore que la doctrine, l'action entreprise par les accusés pour la mettre en œuvre, pour instituer l'ordre social nouveau. C'est leur internationalisme surtout qu'il taxe de trahison envers la patrie. Et c'est précisément cet iiiternationalisme ouvrier qui inspire à Liebknecht ses plus beaux accents :

n Seul celui qui a intérêt a u maint ien des déplorables conditiom actu, !les, seul celui qui est l'ennemi d u progrès humain, peut être opposé au principe de l'internationalisme et se sentir menacé par hi. Mais c'est une entreprise désespérée que de se dresser contre lui! Le principe international est immortel comme l'humanité. »

Or, pour réaliser cet idéal internationaliste, ne faut41 pas renverser 1' e ordre n existant ici ? Il sera renversé par une loi naturelle : /

n U n Btat comme l'Allemagne bismarckienne et prussienne, dit-il au cours de la dixième audience, est, de par son origine, voué ci la nécessité fatale d'une destruction violente. L e sort de l 'Empire fran- çais, dont il est une copie servile, lui annonce son avenir. Né sur le champ de bataille, enfant du coup d'État, de la guerre et de la réoo- lution d'en haut, il est destiné & déchoir sans trêve de coup d%tat en coup d'État, de guerre en guerre, et à tomber en miettessur le champ de batailie ou à être vaincu par la révolution d'en bas.

1) Cela, c'est la loi de la nature. N A la quatorziéme audience, le tribunal entrave A un tel point la

défense que Liebknecht, excédé, déclare qu'il s'abstiendra doré- navant de parler. Mais ni lui ni Bebel n'avaient tout dit. Et ce sont les paroles de défense qu'ils avaient à dire qu'ils ont publiées après le procés.

De ce double plaidoyer a rentré n, voici l'extrait le plus caract8- ristique (il est de Wilhelm) :

a Mak un verdiet ne changera rien d nos conoictions. Envoyez-

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nom pour des années au cachot et, le jour où nous e n sortirons, vous devrez nous condamner de nouveau, car nous serons tout aussi cou- pables qu'aujourd'hui. V o u s pouvez envoyer nos personnes en prison, mais non le socialisme. Il est au-dessus de vous, comme il est au- dessus de nous ! ))

C'est Rosa Luxembourg qui, avec Karl Liebknecht, a repris et brandi le flambeau pour le compte de sa génération, celle d'entre les deux guerres (1870-1914).

Quelques mois avant le grand choc qui allait décimer l'Europe, en novembre 1913, Rosa, parlant aux ouvriers de Francfort, leur avait dit :

(( Si l'on nous demande de prendre les armes contre nos frères français ou contre nos frères d'autres pays, nous déclarerons : Non et non, nous ne ferons pas cela! 1)

Scandale. Campagne de la presse nationaliste. Haute trahison. Propagande (( subversive n. Procbs. Rosa riposte au procureur :

K S i M. le procureur conçoit toute notre propagande comme étant (( subversive n, cette assertion grossière et rudimentaire est due uni- quement à ce que M. le procureur n'est pas capable de penser d'après les méthodes socialistes. n

Le procureur avait laissé entendre que Rosa, pour se dérober A la peine qui allait lui être infligée, pourrait bien prendre la fuite. Mais Rosa de répliquer :

(( ... En 1913, pour ne citer que cette année, nombreux sont ceux de vos collègues quz ont travaillé à la sueur de leur front pour faire infliger soixante mois de prison à mes camarades de la presse socia- liste. Avez-vous jamais entendu dire qu'un seul de ces pécheurs ait pris la fuite par crainte d u châtiment ? Croyez-vous que cette accumu- lation de peines ait agi, ne fût-ce que sur un seul de ces socialistes, de façon à le troubler dans ses convictions ou dans le sens qu'il a de son devoir de classe ?Que non! Notre œuvre se rit des pièges que tendent VOS articles et paragraphes; elle croît et prospère malgré tous les procu- reurs. 1)

l Rosa Luxembourg fut condamnee à un an d'emprisonnement:

Mais lorsqu'elle eut purgé sa peine, pendant la guerre, le gouverne- l

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ment ne la relâcha pas. Il se contenta de la changer de prison. Elle i I

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resta enfermée jusqu9en novembre 1918. Ce fut la révolution qui la libéra. On sait comment la Louise Michel allemande, en janvier 1919, fut assassinée avec son frère de combat et d'héroisme, Karl Liebknecht,

KARL LIEBKNECHT A BERLIN.

C'est Karl, fils de Wilhelm, qui a renouvelé deux fois la tradition de son illustre père : en 1914, celle de 1871 ; en 1918, celle de 1848. Mais en y ajoutant celle de Lénine, son père spirituel.

C'est Karl qui, seul, dans le Reichstag hystérique de décembre 1914, s'est dressé contre le vote des crédits de guerre. Il est mobilisé. 11 refuse de porter les armes. On l'envoie au front pour y faire des travaux de terrassb_.ient.

Le l e* mai 1916, le voici en permission à Berlin ; à 8 heures du soir, sur la Potsdamer Platz, il distribue un tract en criant : « A bas la guerre ! A bas le gouvernement ! 1) La police accourt pour le matraquer, l'arrêter. On l'accuse de haute trahison envers la patrie (comme jadis on avait accusé son père).

De sa prison, il adresse au tribunal de la Kommandatur berlinoise deux recruêtes :

a L a guerre actuelle, écrit-il dans la première, datée du 3 mai, n'est pas une guerre de défense nationale ou de libération de peuples opprimés o u de lutte pour le bien-être des masses.

n Du point de vue d u prolétariat, elle n'est rien d'autre que l'apogée de l'oppression politique, d u vampirisme économique, de la boucherie des classes ouvrières a u profit d u capitalisme et de l'absolutisme.

a A pareil crime, il n 'y a qu'une réponse que puisse donner la classe oavrière de tous les pays: la lutte internationale contre les gouverne- ments capitalistes et les classes dominantes de tous les pays, pour liquider cette oppression et cette exploitation, pour mettre fin a la guerre par une paix conclue dans un esprit socialiste. »

Dans la seconde requête, datée du 8 mai, il écrit : c ... Tout socialiste combat au nom d u prolétariat international

contre le capitalisme international. I l l'attaque là où il le trouve et Id od il peut l'attaquer d'une façon eficace, c'est-à-dire dans son propre pays. C'est dans son propre pays qu'il combat, a u nom du prolétariat international, son propre gouvernement et les classes dominantes, en tant qu'elles représentent le capitalisme international. D

Le 3 juin, devant le tribunal, on donne connaissance a Karl de

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l'acte d'accusation. C'est alors qu'il accuse 4. son tour. .. Dans son admirable réponse, il démasque les véritables traîtres à l a patrie.

(( ... Je n'ai pas à me défendre, dit-il. J'afirme ici sans restriction m a foi dans le socialisme international, m a foi e n la politique que j'ai menée publiquement devant le pays tout entier depuis des années; je maintiens chaque syllabe de la feuille volante que j'ai distribuée à la Potsdamer Platz; je répète de toutes mes forces le cri que j'y a i lancé : a A bas le gouvernement ! A bas la guerre! u Je souligne chaque mot de m a requête envoyée à la Kommandantur le 3 mai , chaque mot que j'ai prononcé a u Parlement sous les huées de rage de mes adversaires. J e n'ai pas d me défendre. Mais, puisqu'il est question de trahison envers la patrie, je dirai ce que j'en pense.

u La trahison envers la patrie a été, depuis toujours, le privilège des classes dirigeantes, des princes, des aristocrates : elle est dans leurs traditions. Les vrais traîtres à l a patrie ne sont pas assis aujourd'hui au banc des accusés. I l s sont assis derrière les comptoirs de l'industrie lourde, derrière les comptoirs des fournisseurs de munitions, dans les grandes banques, dans les propriétés rurales des junkers. On les voit Ù la Wilhelmstrasse, dans l'allée des Tilleuls, dans les palais des ministres et des princes, dans les châteaux et sur les trdnes.

B Les vrais traitres à la patrie, ce sont, e n Allemagne, les membres responsables et irresponsables d u gouvernement...

n Ce sont eux q u i ont jeté l'humanité dans un chaos de violence bar- bare, eux qui transforment l'Europe e n un amas de décombres, l'enveloppant dans une atmosphère de mensonge et d'hypocrisie, 022 l a vérité est aveuglée et étout7ée. Ce sont eux gui continuent et continue- ront cette action infernale jusqu'ù ce que les masses blessées et asservies arrêtent leurs Bras.

)) Les vrais traitres à la patrie, ce sont ceux qui, ayant intérêt & la guerre elle-même et à ses fins impérialistes, ont caché leur avidité et leur besoin de domination sous un zèle patriotique bruyant ; ce sont ceux qui ne peuvent tolérer de voir un peuple libre, même dans d'autres pays, ceux qui sont décidés à léser le peuple allemand, aujourd'hui encore, dans ses espoirs de libération, ceux. qui ont assez peu de scru-

ules pour décrire cette guerre comme une guerre de délivrance. Si h e u r e n'est pas encore venue pour eu3 de rendre des comptes, c'est parce que la masse d u peuple est aujourd'hui encore la victime de leurs m a m u o r e s , qui tendent à créer la confusion, c'est parce qu 'aujou~- d'hui encore le peuple ne sait pas la vérité. ))

C'est le 28 juin que commencent les débata. Malgr6 les protes-

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LES GRANDS ARTIMILITARISTES ALLEMAPVDS 89 1 !

tations de Karl, on ordonne le huis clos. Au réquisitoire, il riposte P ar la déclaration suivante :

« Eh! allez-y, ne vous gênez pas! Poursuivez jusqu'au bout la nouvelle action glorieuse d u militarisme allemand, qui veut conpué- rir le monde et que sa mauvaise conscience précipite dans une terreur panique de son propre peuple ! C'est bien le fait d 'un gou- vernement bluseur qui, tout e n briguant la popularité, incarcère la liberté, traite la vérité comme contrebande et vend le mensonge de par les rues.

D Bien sûr, la crainte éprouvée par l'accusation devant le danger que court notre gouvernement capitaliste, la crainte dont est né tout ce procès est bien fondée. Mais c'est e n elle que je puise tout mon espoir. r

Condamné aux travaux forcés, Liebknecht fait appel. 11 compa- raît devant la cour le 23 août 1916. Il ne perd pas cette occasion d'exposer son programme, ses buts de guerre :

(( Le but de la guerre que je mène est que torts les États impéria- listes, leurs gouvernements et leurs classes dirigeantes soient vaincus, vaincus par la nasse de leurs propres peuples. C'est dans la réalisa- t ion de ce dessein que je vois la seule possibilité d'établir une paix durable qui puisse servir le bien des grandes masses populaires de tous les pags. n

Le procureur requiert contre lui une condamnation à six ans e t demi de travaux forcés et dix ans de privation de ses droits civiques.

Nouvelle contre-offensive de Karl, . qui s'écrie : (( Travaux forcés! Perte de droits czvzgues! Soit! Votre honneur

n'est pas mon honneur! Mais je vous le d i s : il n'y e jamais eu un général qu i ait pu porter son uniforme avec plus d'honneur que moi je porterai m o n unif orme de forçat ! n Je suis ici pour accuser, non pour me defendre leS . n A bas la guerre ! A bas le gouvernement! 1)

Le procureur perd contenance et ne peut maîtriser sa colère. Il ose invoquer contre le héros populaire le jugement que le r peuple a porterait sur lui. C'est alors que Liebknecht, le prenant au mot, lui lance le défi qui, par-dessus sa tête, par delà le tribunal e t son huis dos, va résonner dehors comme un appel au peuple :

n Non, mais rendez-oous compte! L e procureur m e décrit comme un homme sans honneur; il demande pour moi six ans et quelques mois de travaux forcés et d i x années de privation de mes droits civiques. Je d k quelques mots pour critiquer son réquisitoire, et voici que c'est lui

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qui pique une crise! 11 se réclame d u (( peuple 1) contre moi. &fais osez donc faire appel a u peuple, n o n pas en paroles seulement, non pas derrière les portes d7 u n tribunal d ix fois verrouillées et e n vous cachant d u peuple !Enlevez donc au peuple les chaînes et les garrots de l'état de siège ! Rassemblez-le, ce peuple, ici ou e n tout autre l ieu; rassemblez les soldats sur le champ de bataille, où vous voudrez. E t fa i t s -moi comparattre devant cette assemblée, devant ce tribunal. D'un côté, vous tous, le tribunal, le procureur général et aussi ces messieurs de l'état-major, d u ministère de la Guerre et du bureau de-la presse et qui vous voudrez encore ! De l'autre, moi tout seul ou l 'un de mes amis. De quel côté sera la masse d u peuple, une fois que le voile d u mensonge sera arraché de ses yeux? De votre côté ou d u mien? Je ne doute pas de la réponse !

11 A bas le gouvernement ! A bas la guerre ! r Ce n'est pas en vain, Karl, que t u t'es adressé au peuple. Tu

seras enfermé pour deux ans ; mais c'est ce peuple en qui t u crois et qui, lui aussi, croit en toi et, par toi, en sa cause, c'est ce peuple qui, deux ans plus tard, viendra te libérer, comme il viendra libérer Rosa.

Ce seront les journées révolutionnaires de novembre 1918, puis, en face de la trahison social-démocrate, les efforts héroïques de ce groupe Spartakus dont tu seras le chef.

En janvier 1919, l'insurrection berlinoise écrasée, Karl et Rosa, vous serez abattus par les ennemis du peuple et par ceux qui le trahissent.

Mais ce ne sera pas non plus en vain que, chaque année, tous les prolétariats de l'univers célébreront pieusement votre mémoire : vous serez deux de ces (( trois L 1) dont le troisième sera Lénine et que les travailleurs associeront dans un commun amour.

Certes, il sera martyrisé, ce peuple d9A1lemagne dont vous êtes les meilleurs champions, dont il s'en est fallu de si peu que vous ne fussiez les libérateurs, comme il avait été le vôtre.

Certes, vous serez encore trop longtemps suppliciés dans la chair de votre postérité politique, des Thælmann, des Klaus, des Fiete Schultze, des Edgar André et de leurs milliers d'émules.

Mais lorsque 6 le voile du mensonge sera arraché de ses yeux », lorsqu'il saura s'unir contre ceux qui le frappent dans le dos, de quel côté sera-t-il, ce peuple ?

C'est vous qui, les premiers, aurez vu clair. Et aujourd'hui, celui qui fut votre jeune compagnon de lutte et

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LES GRANDS ANTIMILITARISTES ALLEMANDS 91

qui, pendant la semaine sanglante de 1919, échappa de justesse à votre sort, comme il allait échapper, vingt-cinq ans plus tard, au sort de son ami Thælmann, Wilhelm Pieck, votre continuateur, dont la noble vie porte témoignage pour trois générations de combattants, péside la jeune République démocratique allemande dont votre

tendait à préparer l'avènement.

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MAURICE THOREZ A LA PRISON DE NANCY

AURICE THOREZ avait vingt-neuf ans. Condamné à six mois d'emprisonnement pour avoir dénoncé les desseins gouverne- mentaux d'agression contre l'union soviétique, il échappait

,depuis deux années ii la police et menait la vie clandestine sans interrompre son travail de militant. C'était l'époque où l'ennemi, non content de frapper le Parti communiste français de l'extérieur, avait réussi à faire pénétrer dans ses rangs et jusque dans sa direc- tion des agents tels que Doriot, Barbé et Célor.

Pendant l'été de 1929, la police, renseignée par trahison, cernait l'immeuble où siégeait le Cornit6 central et arrêtait Maurice Thorez.

Transféré à Nancy, où il allait subir une condamnation supplé- mentaire, il parvient à forcer le respect de ses geôliers.

Il est bon de lire et relire, dans Fils du peuple l, le chapitre dans lequel il raconte comment il imposait le respect, non seulement aux gardiens de prison, mais au magistrat qui s'était permis de le héler grossièrement et, n'obtenant de lui ni réponse ni regard, de faire irruption dans sa cellule :

- Monsieur, lui dis-je avec le plus grand calme et la plus grande fermeté, veuillez sortir immédiatement... - Vous ne savez pas à qui vous parlez ... Je suis le juge d'instruction I - Et, moi, je suis un ouvrier communiste, w ditenu

politique qui n'a rien à faire en ce lieu avec un juge d'instruc- tion. Sortez; !

Il n'insista pas et sortit a.

' Maurice Thorez nous relate également la leçon de courtoisie qu'il a donnée à un avocat qui était entre brusquement au parloir, le. chapeau sur la tête.

1. Maurice THOREZ : Fi& du peuple, $ditions sociales, p. 61. 2. Idem, p. 62.

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MAURICE $PTORE% A LA PRISON

~ v e c la même méthode qui ne laissait rien passer, ni rien perdre du terrain conquis, Maurice Thorez obtenait, pour lui et pour ses

d e détention, l'admission au régime politique, quis un parloir spécial. Il organisait l'instruction des jeunes emprisonnés P &tiques ; il employait les loisirs que lui laissait le travail en com- mun à compléter sa formation politique, A (( concentrer sa pensée ,ut. les grands problèmes, à lire la plume à la main, mkditer, écrire ». A étudier l'allemand.

En lisant Marx et Engels (dans le texte), Lénine et Staline, ainsi 4 ue les grands écrivains, il savait tirer de ses lectures I'enseigne-

qui éclairait la situation actuelle de la France. Bientôt après sa libération, en juillet 1930, il était élu par le

Comité central secrétaire général du Parti. Et, dès lors, il entre- prenait et dirigeait le redressement nécessaire qui allait permettre d'isoler, de démasquer et de liquider le groupe Barbé-CBlor. c i Pas de mannequins dans le Parti ! Que les bouches s'ouvrent ! B

Sous la conduite du prisonnier exemplaire de Nancy, le Parti communiste français, de plus en plus lié aux masses, prend son impétueux essor et lutte victorieusement pour l'unité d'action ouvrière, l'unité syndicale, le rassemblement de toutes les forces démocratiques dans un Front populaire qui eût pu, à son appel, s'élargir (en temps utile pour éviter Munich, la guerre e t l'occupa- tion) en un large Front national des Erançais.

L'objet de ce bref chapitre est de rappeler comment un militant tel que Maurice Thorez a su, dans sa jeunesse, non seulement par- faire la culture générale et politique du penseur, de l'homme d'action, de l'homme d'État qu'il est, mais transformer sa prison en école de cadres.

Prenons-en de la graine !

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LA BATAILLE

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ATAILLE DE LEIPZIG

n fdvrier 1933, Hitler et ses lieutenants, parvenus au pouvoir depuis quelques semaines l, y sont encore mal assurés. Le capital financier n'est pas unanime à miser sur eux, sur eux

seuls, du moins sans réserve ni méfiance ; il a placé auprès d'eux d'autres hommes, qui représentent des puissances rivales, des appétits concurrents, des factions plus traditionnelles ; il n'a pas voulu tenter d'un coup le grand virage, ni confier la barre à ces démagogues, sans les encadrer de ses conservateurs éprouvés.

Dans l'autre camp, divisé, désarmé, dans le camp du prolétariat, il subsiste une force encore inentamée, qui ne fléchit pas, qui tient tête : le Parti de Thælmann.

11 faut d'abord et à tout prix abattre cette force organisée, qui constitue un danger grave - et le seul - pour le régime.

E t c'est pourquoi les dirigeants hitlériens et les groupes d'in- térêts actifs, décisifs, dont ces soudards sont les mercenaires, les recruteurs de masses, méditent de frapper un grand coup.

Les élections gén8rales vont avoir lieu dans quelques jours ; elles donneront des millions de voix au communisme : il n'y a pas de temps Q perdre.

Il faut briser Ia classe ouvrière, décapiter et détruire son avant- garde, son Parti.

Aprbs quoi, l'on se présentera comme les saint Georges vain- queurs du dragon marxiste ; on s'imposera, non seulement & la bourgeoisie allemande, mais toutes des bourgeoisies du monde, comme les chefs qualifiés, indispensables, de la guerre sainte contre le communisme. E t l'on se débarrassera facilement des concurrents, des clans antagonistes.

3 . A la suite d'élections aussi a libres a que celles dont les petits-Europ6ens d'au- jourd'hui, sous tutelle américaine, prétendent faire une condition préalable des négociations qu'exigent la rhnification démocratique et pacifique de 1'Alle- magne, ainsi que la sécurit6 collective, la coopération des peuples de l'Europe I

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! La mythologie germanique et wagnérienne a fait mourir les

vieux dieux en incendiant leur Walhalla. La mythologie nationale-socialiste fera mourir les vieux partie

parlementaires en incendiant leur Reichstag. E t l'incendie, porté au compte du parti révolutionnaire, on le

fera passer pour le signal d'une insurrection communiste, que seule une dictature fasciste aura eu la force de faire avorter.

En fait, cet incendie sera bien un signal, mais le signal du coup de force hitlérien, de la terreur brune, de la curée. L'heure H dela Bête.

Le 27 février, vers 9 heures du soir, le Reichstag est en flammes. Le Hollandais Van der Lubbe est pris en flagrant délit : ce jouet

l des provocateurs est baptisé communiste.

Aussitôt, c9est la chasse A l'homme. Les prisons, les casernes, les 1

camps de concentration vont se peupler d'otages livrés des tortures sans nom. La machine à humilier l'homme, le mécanisme i

1 I exterminateur commence à fonctionner.

Dès lors, dans le camp hétérogène où se joue la lutte pour le pouvoir, les rapports de forces se modifient : le fascisme national- socialiste va détenir tous les postes de commande.

Toutefois, le Parti communiste allemand s'obstine à rester debout. Malgré la terreur et l'imposture, cinq millions de voix se prononcent pour lui (dix millions de travailleurs votent contre Hitler). On arrête ses militants. On s'empare de son chef aimé, Ernst Thælmann, qui est aussi l'apôtre e t le symbole vivant de l'unité d'action ouvrière.

Quant A l'incendie, on pourra d'autant plus facilement l'irnpu- ter aux communistes que, le soir du 27 février, un de leurs élus, Torgler, a été vu parmi les derniers députés qui aient quitté le Parlement. Torgler, malgré la décision contraire du Comité central de son Parti, se livre à la police, pour prouver son innocence. On va échafauder un grand procès qui montrera aux paysans, aux petits bourgeois, au monde entier que les communistes sont des incendiaires. Il était grand temps que ~it1e.r vînt ...

On s'en remettra aux techniciens de la police et du droit, du soin de préparer ce procès, qui doit être le procès du Parti communiste allemand.

Mais voici que la providence nazie va permettre d'élargir encore l'opération : un beau soir de mars, dans un restaurant, un garçon de café mouchard fait arrêter trois étrangers, trois Bulgares : u des conspirateurs communistes ».

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La Mgation bulgare se frotte les mains : bonne prise. Excellente de débarrasser la dictature de Sofiade trois militants dange-

peux, contre lesquels elle s'empresse de fournir le matériel acciisateur. L'un d'eux, surtout, est redoutable : c'est un vieux combattant

révolutionnaire qui n'a jamais désarmé. Dirigeant des syndicats et du Parti communiste bulgare, membre du Comitd

,xécutif de l'Internationale communiste. Ennemi terrible du fascisme, de la terreur blanche instituée par le roi Boris e t par le sinistre Tsankov.

Dimitrov l Un des chefs de l'insurrection de septembre 1923. condamné & mort par contumace, A l'issue de ce procès qui avait eu lieu aprés l'attentat provocateur de l'église Sainte-Nédélie ? Coïncidence de date, équivoque opportune à exploiter. Dimitrov est présenté comme un professionnel de l'explosion et de l'incendie.

En sa personne et grâce à lui, ce n'est plus le Parti allemand, c'est l'Internationale communiste elle-même, c'est le communisme universel que le fascisme hitlérien va pouvoir'terrasser en brandis- sant la croix gammée, la croix crochue de la nouvelle croisade !

On sait comment, par Dimitrov, a été relevé le défi, comment, en pleine citadelle ennemie, il a, pendant un an, mais surtout pen- dant trois mois de débats publics, la face du monde, accepté et men6 le comhat ; comment, sur son acier trempé, la bête brune, ivre de sang, maitresse de l'heure et du lieu, s'est brisé les crocs.

L'héroïsme et la force dialectique d'un homme, d'un vieux lutteur qui est un homme nouveau, et, à l'appel de sa grande voix, la poussée irrésistible des masses, l'ont emporté.

Comment e t pourquoi Dimitrov a-t-il vaincu ? Comment, malgré l'isolement Qtroit où il était confiné, malgré les brimades qu'on lui infligeait, comment et par quel effort exemplaire de courage, d'énergie, de maîtrise de soi, d'intelligence, de génie intuitif et dbductif, le héros de la défense offensive a-t-il pu décider du sort d'une telle bataille ?

1. C'est précisément à l'occasion de ce procès qui, au printemps de 1924, s'est terminé par sa condamnation à mort, que j'ai fait sa connaissance. Quand je l'ai rencontré clandestinement à Vienne (où déjà la police n'était pas facile à dépis- ter), avant de faire en Bulgarie mes premières armes de combattant antifasciste, son incognito Atait tel que je ne me doutais pas d'abord à qui j'avais affaire.

b

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C'est ce (t secret a de Dimitrov, c'est ce u miracle r de Leipzi que Dimitrov lui-même, le Dimitrov de l'histoire, plus gran encore que le Dimitrov de la légende, va nous expliquer.

11 ne faut pas croire que la lutte ait comrnenc6 le 21 septembre 1933, au moment précis où se sont ouverts les débats publics devant le Tribunal d'Empire.

Ces débats ont été précédés de sept mois d'instruction policibre et judiciaire secrète. Que connaîtrions-nous de ces premiers combats, de cette préparation stratégique, si Dimitrov vainqueur n'avait été libéré ?

Mais si, aujourd'hui, nous sommes en mesure d'analyser sur s les phases principales de l'instruction, c'est grâce au fait que trov a su conserver, mettant ti rofit le désarroi des vaincus, 4' une partie importante de ses lettres, e ses mémoires, de ses notes ?

Pour bien suivre la ligne de Dimitrov, il est nécessaire de se rappeler clairement les objectifs que se proposait l'ennemi en montant, après la provocation de l'incendie, la provocation du procès.

Ces objectifs, Dimitrov les énumère lui-même en un article publié par la Praoda du 4 mars 1934 et reproduit, en guise de préface, dans l'édition de ses Lettres, notes et documents :

En premier lieu : disculper les provocateurs. En second lieu :

Justifier la terreur sauvage e t les monstrueuses persécu- tions contre le prolétariat révolutionnaire ; légitimer devant l'opinion publique la destruction barbare d'énormes valeurs culturelles, la croisade contre la science, l'anéantissement sans pitié du libéralisme bourgeois de gauche, les pogroms de masses, les meurtres, etc. ?

En troisième lieu : Alimenter une nouvelle campagne anticommuniste. Le

procès devait servir de fondement à un nouveau procés monstre contre le Part i communiste allemand 3.

1. A cet égard aussi, Dimitrov s'est montré fidèle à la tradition de Marx e t d'Engels. Engels, en effet, dès le début du procès de Cologne, &rivait à Marx : u Il faut, avant tout, conserver des copies exactes de tous les documents ... avec toutes les signatures qui les certifient : ces matériaux constitueront une brillante série de pièces justificatives. P

2. G. DIMITROV : Lettres, notes et documents datant de ma aétention et du procès de Leipzig, p. 9-10, E. S. I., 1936.

3. ~ d . , p. ao.

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Le proces devait apporter la preuve que le gouvernement fasciste combattait a victorieusement N le communisme mondial et avait sauvé à temps l'Europe capitaliste du danger communiste. Les têtes des quatre accusés devaient être la monnaie d'appoint que les fascistes emploieraient dans leurs prochains marchandages avec les pays capitalistes ; ceux-ci, - en contre-partie des cc mérites historiques u de Hitler, lui accorderaient des concessions sur la question de l'égalité des armements, etc. l.

Mais lorsque Dimitrov fut arrêté, dix jours aprbs l'incendie du Reichstag, que savait-il ? Dès l'origine, m'a-t-il dit, une triple véritd s'est imposee & lui

avec évidence : 1. Il s'agissait d'une provocation gouvernementale. 2. C'étaient les nazis qui avaient mis le feu au Reichstag. 3. Jamais il ne serait question, au cours du procès, de rechercher

les véritables incendiaires : il fallait que les coupables, ce fussent les ennemis du régime, c'est-&dire les communistes.

Partant de ces donnhes, il Qtablit les principaux repères de son plan d'action, qui consiste à repousser politiquement l'accusation d'incendie.

Il Qtait politiquement impossible que les communistes fussent les incendiaires : l'incendie ne pouvait avoir été allumé que par des provocateurs ou des fous; c'était un attentat dirigé contre la classe ouvrière allemande et son Parti communiste : de ces vérités évidentes, Dimitrov va non seulement tirer la preuve de son inno- cence, mais déduire où sont les coupables.

Ce n'est qu'à titre tout à fait accessoire, subsidiaire, que Dimitrov consentira A se disculper par ce que les juristes appellent un r moyen de fait ri. Ce moyen de fait Qtait décisif, puisqu'il établissait que, pendant la nuit de l'incendie, Dimitrov n'était pas à Berlin e t u'il n'avait appris l'événement que le matin du 28, dans le train

j e Munich. (( J e déclarai, me dit Dimitrov, que cette question, comme les

autres, n'avait pour moi qu'une signification de second ordre. Mon

1. Id., p. 18.

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alibi ubitable, c'était le fait que, parce que communiste responsable, je ne pouvais être l'incendiaire du Reichstag. - 1

u Mais, s'il était nécessaire, pour des motifs juridiques, d'éclaircir ce i point, je serais capable de prouver que, ce jour-là, i'étais, non d Berlin, mais à Munich ... ))

Ainsi, si péremptoire que fût ce moyen, cet alibi, qui devait juri- diquement suffire ti le dispenser de tout autre effort de défense et i dont un Torgler se serait contenté, Dimitrov ne l'a employé qu'avec i

réserve. Il n'affecte nullement de le négliger ; mais il le relègue à ! l'arrière-plan, pour bien montrer que la seule preuve décisive, le 1

seul alibi décisif qui vaille aux yeux d'un militant, c'est la preuve ou l'alibi politique et que la seule défense qui mérite un rôle d'objet-

\ i

tif, c'est la défense politique. Le politique, c'est le but : que le juridique n'excède pas sa

fonction de moyen ! Est-ce A dire qu'il soit juste de mépriser ce moyen ? Loin de là.

A plusieurs reprises, Dimitrov m'a rappelé avec insistance que, « pour une bonne défense politique, il est nécessaire de bien con- naftre la loi et de bien l'utiliser. I l faut y prêter attention, paragraphe par paragraphe, mais toujours du point de vue de la défense poli-

/ tique et non de la défense personnelle.

x En d'autres termes, quand un militant est en prQsence d'une accusation concrète, il doit la réfuter par des faits concrets, mais sans

i jamais perdre de vue l'objet politique de sa défense. a

1 Telle est l'idée directrice qui va dominer toute la defense de i

Dimitrov, depuis le premier interrogatoire, de police jusqu'A la i i clature des débats.

Comment répond-il aux interrogatoires de police ? Il est enfermé dans la P ~ S O ~ de la préfecture (Polizeipresidium),

isolé, privé de toute information précise sur les intentions adverses, sur l'usage que la police compte faire de déclarations reçues sans témoin, sans garanties de droit. Son premier souci est de ne pas fournir d'armes à l'ennemi.

Il refuse, par principe, de signer aucun des procbs-verbaux d'Mi- terrogatoire que les policiers chargés de l'enquête ont rédigés d'aprbs .ses réponses ~ e r b & ~ *

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11 rédige lui-même une déclaration (il prend soin de l'écrire en langue bulgare), dans laquelle il résume tout ce qu'il estime nbces- saire de dire. Rien de moins, rien de plus. La primauté de l'alibi poli- tique sur l'alibi personnel. L'accent marqué sur le jugement do'c- t r i r d du Parti à l'égard des actes de terreur. La protestation indi- g née contre les premières brimades.

Mais, surtout, pas un mot de trop. Dimitrov ne dit de son acti- vité passée que ce qui peut en être connu sans aucun dommage pour la cause qu'elle a servie, qu'elle sert, et pour les organisati.ons qui la servent.

Nous retrouvons ici cette seconde règle directrice que nous avons relevée dans la lettre de Lénine : la discrétion. Ne jamais renseigner l'ennemi sur l'activité, sur la vie intérieure de I7organi- sation.

(( Partant d 'un tel point de vue l, me dit Dimitrov, il m'était facile d'exwliauer aue tout ce aui concernait m o n activité de communiste illé- gal, toÛt ce pui concernait le Parti bulgare, parti illégal, ne pourrait faire l'objet d 'un interrogatoire de police. Je refusai toute réponse à de pareilles questions. n

De même, ni la police, ni le juge d'instruction, ni le Tribunal d'Empire n'ont pu parvenir trouver la clef des adresses et des numéros de téléphone chiffrés qu'on avait saisis chez lui : Dimitrov avait pris ses précautions.

K Tous les efforts déployés, m'a-t-il dit, pour trouver une explica- tion des adresses chitfrées ou des numéros de téléphone qu'on avait trouvés sur moi sont naturellement restés vains pour la police et pour le juge d'instruction, et, puisque les adresses étaient vraiment maquillées, tout est demeuré inintelligible et inconnu pour la police et Dour le tribunal. 1)

Dimitrov s'est également attaché - et avec succbs - B ne compromettre aucune des personnes chez qui il avait séjourné et même à détourner d'eux tout soupçon.

Le 28 mars, Dimitrov est transféré à la prison préventive de Moabit, et l'instruction judiciaire commence : elle est confiée à ce fameux juge d'instruction Vogt, que Dimitrov devait, quelques mois plus tard, confondre et déshonorer publiquement.

1. A savoir qu'il suarai t de montrer qu'un communiste ne pouvait avoir rien de cornmusi avec une prov~cation dirigée contre sa classe e t son parti,

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Sitôt inculpé, Dimitrov engage le combat : il écrit & quelques grands amis politiques (Barbusse, Cachin, etc.) des lettres destinées à les informer, à informer, par leur entremise, tous les militants, tous les travailleurs, de son sort, du régime qui lui est infligé.

Ces lettres sont rédigées en langue allemande e t trés habilement, de manière à ne pas offrir la moindre prise & la censure pénitentiaire, le moindre prétexte à son veto : toutefois, elles ne sont parvenues qu'exceptio>nellement à leurs destinataires.

- Il est vrai qu'elles avaient un autre objet : celui de ne.laisser

passer aucune brimade, aucune aggravation de traitement, ctans réagir, sans riposter, sans imposer le res ect. P Ainsi, ces lettres à double fin visaient à a fois B établir le contact avec l'opinion populaire universelle, à l'alerter, à en alimenter l'indignation et, d'autre part, à décourager net, chez l'ennemi, tout emploi de moyens démoralisateurs.

Concurremment, Dimitrov bombardait le juge d'instruction de protestations, de déclarations écrites : il ne s'inclinait devant aucune chicane ; il exigeait son dû. Il le faisait sous une forme impeccablement correcte, exemplairement digne, sans aucune vio- lence de langage, sans aucune fanfaronnade, sans aucune phrase inutile, mais avec une simplicité calme et ferme qui toujours frap- pait juste : il pouvait ainsi tout dire avec un maximum d'eficacité ; il pouvait ainsi, sans se découvrir, porter les coups les plus directs.

Ne rien laisser passer, exiger le respect de ses droits, de sa personne, de son honneur de militant, se faire craindre, en dépit de ses chaînes, comme un ennemi intraitable et dangereux, qu'on ne joue pas impunément, qu'il est inutile et même imprudent de bri- mer : c'est là que Dimitrov excelle et, mieux qu'aucun de ses émules, réussit. -

a En géndrul, m'a dit Dimitrov, on s'est abstenu d'employer contre moi des moyens de démoralisation, parce qu'on était convaincu d'avance de leur inefficacité. D

C'est ainsi qu'en tenant tête à ses ennemis, Dimitrov les tint en échec, força peu B peu l'épaisseur de silence où l'on essayait d'étouf- fer sa voix.

C'est ainsi qu'il parvint A prendre contact avec l'extérieur, A obtenir, à travers ses murs, l'audience et le soutien des massea.

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C'est ainsi qu'il parvint, par surcroft, arracher des concessions, des améliorations de son régime. Mais au prix de quels efforts

&ents et tenaces I * Un exemple significatif : le juge d'instruction avait ordonné que les mains de Dimitrov fussent enchaînées. Nuit et jour! DQs que lui fut infligé cet odieux traitement, il ne cessa de protester : N'est-il pas temps de lever cette mesure barbare? u Le juge d'instruction n'ayant rompu son mutisme que pour oppo-

ser un refus Q toutes ses demandes, Dimitrov n'hésite pas àcommen- ter ce refus avec une ironie cinglante : il feint d'avoir cru qu'un pri- sonnier politique ne serait pas plus mal traité que les brigands e t les assassins, et il remercie le juge de l'avoir délivré, du moins, de cette 8 illusion n.

a Oui, c'est bien ainsi et c'est logique. Je suis entre les mains de l'ennemi de classe, qui s'e florce aussi d'emp 10 yer la justice comme une arme pour exterminer le communisme, c'est-à-dire, pratiquement, pour anéantir ses soutiens convaincus, conséquents et inébranlables 1. ))

On voit déjà comment la contre-attaque dimitrovienne est pr8parée par l'artillerie du ridicule I Toutefois, ce procédé direct ne devait pas encore suffire contraindre au recul ce fonctionnaire ~416, ni à faire tomber les chalnes.

Dimitrov s'attacha donc, sans jamais se laisser rebuter par les refus de la censure, à renseignerles peuples sur son sort, Ales prendre & témoin, A les introduire en tiers dans le débat.

D'oii ces lettres adressées à telles personnalités choisies e t dans lesquelles, parmi quelques généralités inoffensives, il glissait une ligne, un mot riche de sens. Quand, par hasard, une de ces lettres passait, un peu de vbrité filtrait à travers les murs, les fron- tibres 2.

Le code d'instruction criminelle, qu'il obtint il force d'insistance, lui apprit que l'enchaînement était strictement rbglementé par la loi. Les conditions requises par celle-ci n'étant nullement réalishes dans son cas, cette a mesure de sécurité a était inopportune et illégale.

fameux WA~eicher t , et (parce qu'il ne' s'abusait nullement sur la conscience professionnelle de ce nazi en robe, qui n'avait et n'au-

1. Id.! p. 30. 2. Voir, par exempIe, la lettre au D? Bolotner, directeur du sanatorium de

Hislovodsk, Lettres, P L C S ~ ~ S et docuwnts, p. 61, document no 15.

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LA D ~ ~ E N S E ACCUSE

rait iamais transmis ses requêtes) au président du Tribunal d'Em- pire vlui-même l.

En même temps, Dimitrov, ayant appris par la presse hitlé- rienne la polémique engagée entre le procureur général Dr Werner et Romain Rolland, rédigea une lettre à l'adresse du grand écrivain : l'objet de cettf. lettre était de prendre contact avec l'opinion popu- laire, de la &seigner à la fois sur l'acte d'accusation, que Dimi- trov avait enfin repu, et sur le supplice des fers qui durait depuis cinq mois.

Cette lettre ayant étB censurée, sous prétexte qu'elle appréciait et critiquait l'acte d9accusation, Dimitrov la recommença en suppri- mant le passage incriminé ; mais il eut l'idée de modifier la phrase qui visa'it l'enchafnement.

Au lieu de présenter cet enchainement comme une brimade pré- sente, comme une mesure encore en vigueur dans l'instant qu'il la dénonçait, il feignait que, ce jour même, elle eût été supprimée par une décision du tribunal et qu'elle ne fût plus qu'un cauchemar terrible, mais passé 2.

Cette lettre parvint B son destinataire et, par son entremise, elle allait atteindre son double objectif : décider du retrait effectif des fers e t informer le monde que, pendant cinq mois, jour et nuit, ces fers avaient enserré les poignets de Dimitrov.

Se représente-t-on bien la tension d'énergie qu'il a fallu s'imposer, puis soutenir, pour acquérir et conserver cette maîtrise de soi, cette victoire de chaque instant sur soi-même, qui devait assurer à Dimi- trov son autorité, sa domination, sa victoire sur l'ennemi ?

Du jour oii il est arrêté, impliqué dans cette provocation, quelle illusion ce vieux lutteur peut-il nourrir sur son sort?

Membre de l'Internationale communiste, « agent de l'étranger a, ' chef responsable de I'armbe ennemie, cet otage de choix représente

précisbment ce qu'il faut abattre : sur sa tête se joue la « mission civilisatrice a du rbgime, e t c'est gros jeu.

Comment échapperait-il à la mort T Peut-être n'osera-t-on pas

1. Voir les documents nos 16 et 1 7 des Lettres, notes et documents, p. 64-66. 2 . Voir le fac-similé A* 11 et le doçupexat no $8 (p. 68-69) des Aettres, notes et

(locuments.

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m,ntenir contre lui cette folle prévention d'incendie ; mais on le condamnera du moins pour haute trahison.

Que pouvait-il savoir ? L'instruction était précisément conduite de façon qu'il ne pût rien savoir, qu'il ne pût se défendre contre ceux 4 ai I'accusaient. Les confrontations étaient escamotées : D e s gens arrivaient, traversaient le couloir et ne disaient pas un mot. Ce n'était donc en aucune manière des confrontations réelles. Je n'ai été confronté ni avec Van der Lubbe, ni avec Torgler. La pre- mière fois que j'ai vu Van der Lubbe, c'est dans ta salle d'audience (auparavant, je l'avais aperçu très superficiellement au Reichstag, devant le juge d'instruction). Quant à Torgler, c'est d Leipzig, au tribunal même, que je l'ai vu pour la première fois.

)) J'étais persuadé que je serais acquitté du chef de l'incendie, mais que je ne serais pas libéré, que, sous n'importe quel prétexte, on allait m'exterminer... r

En tout cas, son destin est clair et il le regarde en face, froide- ment.

Il est au secret le plus absolu, isold du monde extérieur. Aucun défenseur, aucune aide juridique ; il ignore le droit et la procedure allemande. Tous les avocats étrangers dont sa famille a sollicité le concours se sont vu refuser net l'autorisation de l'assister. Le seul avocat allemand sur lequel il croyait pouvoir compter se voit forcé de se démettre.

Il ne sait pas ce qui se passe autour de lui : pas de journaux étran- gers, pas même encore de journaux allemands. Pas de livres. Pas un pfennig pour acheter un manuel ou un dictionnaire, pour améliorer l'ignoble ordinaire de la prison. Et trente-cinq anndes de vie militante ont usé son organisme, altéré sa santé.

Les calomnies immondes auxquelles il lui est interdit de répondre. La mort de sa femme. d 'es t la plus grande perte,le coup le plus dur que j'aie reçu de ma vie *. a

Tout autre oonnaitrait des heures de profond découragement. Mais un Dimitrov ne se laisse ni réduire ni déprimer. Pas un instant, il ne s'avoue vaincu ; pas un instant, il ne doute de sa tâche, du succès de sa cause.

Il sait dompter en lui tout instinct de conservation, refouler tout réflexe Bgoïste ; il sait faire le sacrifice de sa liberté, de sa santb, de sa vie, faire abstraction de sa personne,

. Id., p. 34, et document no b

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Est-ce là un fait d'héroisme personnel dont Dimitrov se sente fier ? Pas du tout. Le héros était à peine libéré - mais loin d'être remis de ses maux et de sa fatigue,après une année de cachot, de souffrance et de combat - lorsque l'une de ses premières paroles fut pour dire :

t( N'avoir pas peur de la mort, voyez-vous, ce n'est pas de l'h.4roïsme personnel : c'est, au fond, le propre du communiste, de l'ouvrier réuo- lutionnaire, du bolchévik '. o

Comment un bolchévik peut-il mener la lutte jusqu'à la victoire s'il ne l'engage pas d'abord contre lui-même ?

Dimitrov est un grand révolutionnaire, un militant. Il est donc un homme, un homme qui sent et qui souffre autant, sinon plus que les autres : il a donc autant, sinon plus que les autres, de matière humaine B comprimer, à dominer.

Rien n'est plus instructif, plus édifiant que les lettres adressées par Dimitrov à sa mère bien-aimée, à sa sœur. Il ne se défend pas d'être un fils, un frére, un mari mutilé.

Mais cet homme qui saigne est avant tout un homme qui croit et qui veut.

Mais cet homme qui veut est d'abord l'homme de sa tlche, il est d'abord le combattant de première ligne, le chef responsable : il fixe sa pensée sur sa responsabilité, sur son rôle, sur le but qu'il s'est assigné, sur la ligne qu'il s'est tracée. Ce but, cette ligne, il ne les perd pas de vue.

-

a Lorsgu'on veut réaliser une pareille ligne, m'a-t-il dit, il ne faut pas trembler pour sa peau. r

On s'en doute ! 6

E t je ne crois pas trahir un secret de Dimitrov en présumant que, de tous ces combats qu'il s'est livrés à lui-même avant de tenir en Qchec l'ennemi extérieur, leplus dur est celui qu'il a su gagner contre sa propre colère.

C'est ce combat dont la lecture des notes de prison permet de sur- 1 i

prendre quelques phases. Pendant toute la durée de sa détention, Dimitrov tint un journal où il notait les événements au jour le jour. Ce journal était utile à sa documentation, à sa défense ; mais il 1 I avait aussi pour objet d'aider le prisonnier à conserver son équilibre.

1. Voir, dans Lettres, notes et documents, p . 172, document ne 52 , l'extrait de l'entretien accordé par Dimitrov aux correspondants de la presse communiste de l'&ranger (fin avril 1934).

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certains jours, en effet, son calme chèrement conquis épreuve, et il fallait à son excès de compression, do

la solitude, l'immobilité (sans compter le mal physique) les effets, une soupape, un volant régulateur.

C'est ainsi que, le l e ' mai, Dimitrov, entendant monter de la rue les rumeurs du cortège nazi, qui allait parodier, souiller la fête du travail, sent le besoin d'épancher le trop-plein de sa douleur, de sa colère ; il confie au journal l'amertume de cette antithèse, Moscou- Berlin :

Cinquième dimanche ici 1 Combien de temps encore ? l e * mai (lundi) : journée du a Travail national ». Moscou, Berlin, deux antipodes de l'histoire. Et je suis enfermé à Moabit 11, enchaine I Assez fâcheux e t triste I...

Mais aussitôt la volonté se bande et Dimitrov répète A son usage l'apostrophe de Danton, marchant vers l'échafaud : pas de fai- blesse1 l u

Pour se vaincre et se discipliner, Dimitrov travaille : nous ver- rons plus loin comment il prépare sa défense, transcrit, annote (avec une colère qui se maîtrise en ironie) l'acte d'accusation, étudie i

le droit et la procédure criminelle, analyse la stratégie adverse, élabore ses plans de contre-attaque.

Mais ces travaux indispensables ne sufisent pas à son besoin d'activité : il en entreprend d'autres, de longue haleine : il utilise particulièrement, dans la bibliothèque de la prison, les livres néces- saires à une connaissance approfondie de l'histoire d'Allemagne ; il apprend également le français, l'anglais.

Shakespeare ayant échappé à la censure, il se trouve un Humlet dans la bibliothècrue. La belle aubaine Dour un Dimitrov ! Il se le - -

procure. 11 le lit dans le texte. 11 le midite. 11 le commente. 11 y trouve une grandeur accordée à la sienne, un univers à l'échelle de sa pensée.

On imagine la rencontre de Shakespeare et de Dimitrov ; on se ; figure Dimitrov, la puissance faite homme, contemplant Hamlet i

comme Hamlet contemplait le crâne du bouffon Yorick exhumé 1 i

par un fossoyeur. j t l %J

2. Id., fac-simile, no 6. i: i

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110 LA D~GFENSE ACCUSE

Mais ce n'est plus ici le sort d'un homme ou le sort d'un pays qui se joue : c'est le destin des classes, le destin de l'espbce humaine. Et, pour Dimitrov, «être)), c'est vouloir, c'est agir. Contempler, c'est regarder en face.

L'enseignement de H amlet, ce rêveur condamn6, c'est du moins la lucidité, le courage de penser jusqu'au bout, la franchise envers soi- même. Aussi n'est-il aucunement paradoxal que le bolchbvik Dimitrov ait choisi dans ce drame immortel cinq vers c&l&res dont il a fait sa devise :

Avant tout, sois sincère envers toi-même. Auss i infailliblement pue la nuit suit le jour, Tu ne pourras alors tromper personne1.

Aprbs Shakespeare, nous verrons que ce sera Galilée : le héros reconnaft les siens. Et les siens l'ont aide &.vaincre sa colkre.

Cependant, Dimitrov ne reve que pour mieux aiguiser sa vision : il tâte l'adversaire, il observe ses points faibles, il se prépare & l'offensive.

Comme nagubre devant la police, il se défie des procès-verbaux qu'après chaque interrogatoire le juge d'instruction soumet & sa signature, et il la refuse.

Il se charge lui-même de résumer ses déclarations, il les rédige de sa propre main, les envoie au juge, en spécifiant qu'il en assume - à l'exclusion de tout autre document - la responsabilité.

C'est là une excellente précaution, dont on ne saurait trop recommander l'emploi. Elle s'impose, en tout cas, au militant inculpé dans un pays qui n'est pas le sien, interrogé dans une langue qui, si bien qu'il la possède, n'est pas sa langue mater- nelle : la présence d'un interprète, quel qu'il soit, ne sufit pas & l'en dispenser.

-

Il nous est impossible ici, dans le cadre de cet essai, d'analyser en détail ces déclarations. Qu'il nous soit néanmoins permis de

1. Id., fac-similé, no 3.

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souligner une fois de plus la prudente réserve e t la dignitd calme avec lesquelles Dimitrov expose à l'ennemi ce que celui-ci peut e t doit savoir; il prend date, met au point, relève les mensonges, les insinuations, les calomnies, les faux, les contradictions des témoins à charge. Il donne le pas ii l'alibi politique sur I'alibi personnel.

Il assume déjà la défense du Parti communiste allemand contre tout grief, tout soupçon diffamant de n putschisme 1) et de terro- risme. 11 n'attend pas les débats publics pour établir, au nom de l'Internationale communiste et de sa section allemande, son pre- mier exposé de principes.

(( Il est de notoriété publique qu'en accord avec les d é c k i o m de Z'lnteraationale communiste et d u Parti communiste allemand lui- même, toute la politique et l'activité communistes de cette période avaient pour directives la mobilisation politique des masses contre le fascisme, l'instauration d'un front unique d u prolétariat allemand, la lutte de masses économique et politique pour la défense des intérêts vitaux et des droits de tous les travailleurs; elles tendaient ainsi 9 gagner a u communisme la majorité de la classe ouvrière.

a Cette ligne et cette orientation concrète de la politique comrnuniste, en Allemagne, établies dans des décisions qui sont obligatoires pour chaque membre d u Parti, excluent complètement, d u côté communiste, toute action terroriste, tout plan d'aventure ou de révolte. Ces actes, l'internationale et le Parti allemand les déclarent inadmissibles, insensés, nuisibles a u communisme et a u prolétariat et, comme tels, les condamnent expressément, résolument l. n

D'ailleurs, le juge d'instruction n'était pas le seul adversaire à combattre : il fallait également faire front au (( défenseur » 1

Le tribunal ayant refusé à Dimitrov le droit de se faire assister par un des avocats allemands et étrangers qu'il avait choisis, un avocat national-socialiste avait été désigné d'omce pour n défendre a les trois accusés bulgares : le Dr Teichert.

Le Dr Teichert est un bon Arven. le crâne dégarni extérieurement et intérieurement, médiocre etdco*formiste A ;ouhait : le bon nazi moyen.

Défendre de Dimitrov cet individu

Dimitrov, c'est-à-dire entraver la défense politique tel fut le rôle B la taille duquel on crut devoir étirer ?

falot.

9. Id., p. 40-41.

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Défaut de psychologie ? Peut-être. Mais il n'&ait pas nécessaire d'être un a aigle a pour aider la justice hitlérienne et l'accusation dans cette besogne facile de sabotage, pour refuser, par exemple, & un homme isolé, enchaîné, la documentation dont il avait besoin, pour se désolidariser de lui publiquement, pour hurler avec les lou S. & il ne sut réussir ni A décourager Dimitrov, ni même B entamer son sang-froid, ni à empêcher Dimitrov d'être le défen- seur de Dimitrov.

La première fois que le juge d'instruction prévint Dimitrov, privé de tout concours juridique, qu'un défenseur lui serait commis, a naturellement, me dit-il, je refusai B.

Néanmoins, lorsque le Dr Teichert eut écrit à son n client a pour l'aviser de sa désignation et lui annoncer sa visite, Dimitrov se garda de décliner immédiatement ce concours imposé.

Pourquoi ? a Parce que, d'après la loi allemande, un avocat étranger ne peut

&re admis que comme collaborateur d'un avocat allemand; je n'ai donc pas renoncé a u défenseur d'ofjice, m'a dit Dimitrov, Farce que je'uoalais insister pour obtenir les déjenseurs de mon chozx et pue cela ne m'était possible qu'au cas o ù Teichert restait mon défenseur d'office. J'ai soutenu cette tactique jusqu'au commencement des débats. D

En attendant l'admission encore espérée de l'un des avocats Qtrangers de son choix, quelle tactique Dimitrov adopta-t-il à l'égard du Dr Teichert ? Une tactique à la fois souple et ferme, qui visait ce double but : mettre le Dr Teichert à sa place en lui faisant comprendre, avec toute la courtoisie possible, qu'à défaut d'avocat choisi, Dimitrov se défendrait lui-même et, provisoirement, utiliser le concours de ce défenseur d'office en se procurant, par son entre- mise, les documents indispensables à la préparation de la ddfense politique.

a J e pouvais attendre d u défenseur qu'on m'avait imposé qu'il me ferait parvenir tout le matériel nécessaire, sachant toutefois très bien , qu'au défenseur d'office incombait ta mission, non de me débdre , mais de saboter m a juste défense. o

Telle est la ligne directrice de toute la correspondance que Dimitrov adresse au Dr Teichert ; les premiers mots de sa première lettre sont pour marquer clairement la préséance, la suprématie des défenseurs librement choisis : K ils se mettront probablement en

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rapport avec vous a. Aux questions du Dr Teichert, pressant son a client )) de lui faire connaftre ses propositions de preuves, Dimi- trov répond, non sans hauteur, qu'il a exposé l'essentiel de son affaire dans ses déclarations écrites, qu'il le prie de les examiner d' c assez prés u, qu'il ne pourra formuler de propositions de preuves que lorsqn'il aura entre les mains le texte même de l'acte .

d'accusation, « qui, s'il est vraiment motivé par l'incendie du Reichstag, doit être un chef-d'œuvre de la justice allemande u.

Pour souligner le caractère politique du procès, d'où résulte la primaut6 de la défense politique, il ne manque pas de faire observer, avec le plus grand naturel et sans ironie apparente, à l'avocat nazi que (( c'est dans les proch politiques qu'apparatt le mieux la manière dont on fait de la justice un instrument de la politique a.

C'est ainsi que Dimitrov aborde, attaque, r sans la moindre muflerie r, mais sans vaine platitude, c'est ainsi qu'il se prépare A (( tenir en main o et à ({ placer sous la rigueur de l'état de siège a cet agent de l'ennemi ; c'est ainsi qu'il applique effectivement, à l'égard de cet avocat, les conseils de Lénine. Dés lors, leun relations sont nettement posées. E t Dimitrov,

qui ne laisse rien passer, ne manque pas une occasion de mettre à l'épreuve le n concours e t le dévouement professionnel x du Dr Teichert.

Il lui demande de faire publier un démenti contre une abomi- nable calomnie de presse qui tendait à discréditer sa personne et Q l'atteindre dans sa vie privée. Or le Dr Teichert se garde bien de a défendre )) l'honneur de (( son client 1).

Il lui demande de faire ce m'il faut Dour aue lui soit remise la documentation élémentaire 'qui lui &anq<e (décisions de la XIIP Assemblée plénière et programme de l'Internationale com- muniste, décisions du Parti communiste allemand, documents relatifs à l'attentat de l'église de Sofia). Or on sait dans quel sens s'exerça l'activité du Dr Teichert !

Aux yeux du Dr Teichert, la défense de Dimitrov devait être strictement limitée il la démonstration, par témoins, que, (( les jours ayant prbcédé l'incendie, il n'avait pas été au Reichstag a.

Observons, en passant, que, même d'un point de vue étroite-

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système Qtait absurde. E t Dimitrov re lhe cette nant ainsi A cet avocat, dont la robe noire dissimule hemise brune, une lepon mérit6e :

.&-je désigner des témoins qui établiraient que, pas été a u Reichstag.? 11 est à peu prés impossible

rouver par témoins ce qui n'a pas eu lieu '. u que Dimitrov, connaissant bien le rôle qu'avait

et qui consistait à saboter la défense politique, ne se faisait aucune illusion sur la possibilité d'un accord. 11 sen- tait que ce nazi mettrait tout son zèle à déranger ce plan de défense et entreprendrait de son propre chef des démarches que lui, Dimitrov, devrait désavouer. Aussi estima-t-il prudent de prévenir ces excès de zèle et de prendre date avec une netteté

i

nse, bien entendu (mais j'y ihsiste explicitement, afin d'éviter tout malentendu indésirable) que je ne puis, dans m o n aflaire, accepter la responsabilitd que des démarches et propositions que vous aurez effectuées, e n votre qualité de défenseur, sur mes indica- tions expresses ou avec m o n accord préalable, dans le sens de ma façon de voir et de mes suggestions.

x Quant à tous autres actes dont vous croiriez devoir prendre Z'ini- tiatiue, je me réserve le droit de les accepter o u de les désavouer. Je vous prze de vouloir prendre note de m a déclaration 2. n

Voilà qui était clair. Comme il fallait s'y attendre, le Dr Tei; chert accusa le coup et n'accepta pas sans se cabrer cette première mesure d' n état de siège 1). Il prétendit mener la d6fense comme bon lui semblait et repousser, à cet égard, toute instruction.

(( 11 faut vous faire à cette idée qu'il ne s'agit pas de la défense du Parti communiste, mais de la vôtre propre. D

La réponse de Dimitrov est un chef-d'œuvre de tact, d'ironie et de dignit6, un modèle de cc mise en boîte n.

C'est dans le post-scriptum qu'il attaque de front les préten- tions de l'avocat d'oflice, la conception qu'il a de son rôle et de ses rapports avec son a: client D.

La leçon magistrale qu'il lui administre est aggravée par une

1 I 1. DIMITROV : Lettres, noies et documents, p. 46, document no 11.

2. Id., p. 59-60. 1 I

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bonne humeur qui glace, une politesse qui claque comme une lanière de fouet :

r P.-S. - Bien que je ne sois pas un juriste, je crois en savoir assez long pour comprendre qu'un définseur commis n'a pas besoin de recevozr de l'accusé ses directives. Bien entendu, je n'ai jamais eu pareille intention. Mais, par contre, le défenseur désigné d'oflce n'est pas un supérieur de l'accusé et, dans l'espèce, il n'a pas à agir selon ,le principe autoritaire, dit Führerprinzip. Une entente réci- proque du défenseur et de l'accusé est ici absolument indispensable. Autrement, l'accusé peut renoncer d la faveur d'une défense obstinée et préférer se défendre lui-même, fût-ce tr is imparfaitement ? a

A la lecture de ces mots, on peut admettre que le crâne rougie- sant du Dr Teichert ait été pén6tré d'une idée claire, que son cer- veau de serie et d'ofice ait compris ce que parler veut dire. Mais on verra que ce malheureux auxiliaire de la justice brune avait encore beaucoup B apprendre.

C'est seulement après le commencement des débats et lorsque le tribunal eut successivement refusé d'admettre & la défense les . avocats étrangers choisis par Dimitrov, c'est seulement alors que Dimitrov renonça publiquement ii l'assistance du Dr Teichert.

Cette premiére offensive contre la défense d'office visait égale- ment le tribunal e t ses refus : elle avait une valeur de protestation, de représailles.

c'est a ce moment que mon nom fut proposé. On sait que le tri- / bunal devait m'opposer la même fin de non-recevoir. 1

a L a renonciation au défenseur d'office, m'a dit Dimitrov, avait, d ; ce moment déjd, une grande importance politique.

D Le premier jour d u procès, je rencontrai Popov dans le couloir et je lu i d i s rapidement : a II nous faut renoncer a u défenseur d'office. D Je savais que l'avocat librement choisi par Torgler ne pouvait que 1 i' 4 nous nuire. Popov me répondit: (( C'est, impossible: nous ne pouvons 1 1 pas faire cela. D

i> C'est à la suite de ce désaccord que je décidai de ne pas renoncer publiquement à Teichert dès la première journée des débats, comme j'en avais l'intention.

P C'est seulement le troisiéme jour, au cours de mon interrogatoire, pue je le fis. Je dis d plusieurs reprises que j'allais me défendre moi- même.

1. Id., p. 72.

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B Mais mes coaccusés, Popoo et Tanev, ne se joignirent pas d ma renonciation: ils considérèrent Teichert comme leur défenseur de fait, ce qui permit d celui-ci de déclarer officiellement: n Dihitrov ne m'accepte pas comme défenseur; mais les deux autres Bulgares m'ont reconnu comme tel. n

Cette attitude qui consiste ii refuser toute défense d'onice est une règle qui s'impose à tout militant. Ce qui varie avec les cir- constances concrètes du procès, c'est le moment où ce refus peut et doit être déclaré, où il connaîtra son maximum d'eflicacité. On voit que, si Dimitrov ne s'était pas heurté à l'incompréhension de ses camarades, c'est au seuil même des débats qu'il eût envoyé promener Teichert.

Mais cette attitude indispensable, et que suffit A légitimer sa valeur de principe, il ne faut pas l'assimiler à une ((maladresse volontaire n; il ne faut pas s'imaginer que son effet nécessaire soit d'empirer pratiquement le sort de l'accusé, de l'isoler davantage, èn le privant de tout concours juridique.

En effet, lorsque l'accusé renonce au défenseur d'ofice, renonce- t-il par 1â à rien exiger de lui ?

( Non, répond Dimitrov. J'ai renoncé officiellement d la défense de Teichert; et, malgré cela, je lui a i demandé plusieurs choses dont j'avais besoin pour ma défense.

P Quelques journaux fascistes ont écrit: a Dimitrov a renoncé au défenseur d'office pour avoir les mains libres dans sa défense poli- tique. Mais, chaque fois que celui-ci peut lui être utile, il se sert de lui. D

n Cela n'est aucunement une contradiction. a E t Dimitrov m'a dit encore : n En réalité, le défenseur d'ofice ne fait pas moins pour la défense

Zorspu'on renonce à lui pue lorsqu'on l'accepte. a J'estime que Teichert éprouvait, en face de moi, un certain senti-

ment de pression. Pourquoi ? Précisément parce que j'aaais renoncé à lui pour des motifs politiques.

» De plus, la campagne de l'étranger exerçait également sur lui une certaine pression, et c'est pour ces raisons qu'il essaya, dans diverses questlons non politiques, de me prouver qu'il défendait vrai- ment ses clients.

B A mon avis, on peut tirer de là cette leçon qu'un défenseur d30@ce fera quelquefois davantage pour l'accusé lorsque celui-ci l'aura refus4 gu'il ne l'aurait fait au cas contraire, car il se sentira d'autant plus contraint d'observer une certaine objectivité. B

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Il est évident que la défense des trois Bulgares et de Torgler eût gagné à prbsenter l'ennemi un front uni ; il est certain que les coaccusés de Dimitrov auraient dû suivre la juste ligne que son exemple même leur traçait.

Malheureusement, il n'en fut rien. Popov et Tanev ne renoncèrent pas au concours du Dr Teichert :

ce fut lii une faute qui precéda et engendra d'autres fautes et qui ne simplifia pas la tâche de Dimitrov.

Quant à Torgler, il fit bien pis encore : de sa propre volonté, librement, il crut habile de confier sa défense à un avocat national- socialiste, c'est-à-dire à un agent de l'ennemi. Cet avocat, le Dr Sack, était connu comme un des plus haineux adversaires de l'Internationale communiste et du Parti allemand. De la part d'un militant responsable, d'un déput6 communiste, un pareil choix constituait, non seulement une faute, mais une première trahison.

Ainsi, face la meute, Dimitrov paraissait isol6.

LES DEBATS : DIMITROV ATTAQUE.

Ce qui, dans toute cette affaire, m'a paru le plus étonnant, c'est l'imprudente sottise des autorités hitlériennes, qui, ayant dépensé tant de soins & prbparer, à mettre en scbne la double provocation de l'incendie et du procès, n'avaient négligé qu'une chose : la psychologie de leurs victimes, n'avaient sous-estimé qu'un détail : le génie du communisme, le génie de Dimitrov.

Quand on relit les écrits, les déclarations OU Dimitrov s'&ait déjà révélé pendant six mois d'instruction, on reste confondu devant ce fait que, le 23 septembre encore, les magistrats commis à la besogne de le juger ne se doutaient nullement de l'homme qu'il était.

S'ils s'en Qtaient dout6s, l'auraient-ils interrogé tout de suite après Van der Lubbe, avant les trois autres coaccusés ? Lui auraient-ils offert ainsi, dès le début, cette occasion de s'imposer,. de dominer les débats, de leur donner le ton, de créer un climat où devait, s'épuiser leur rage impuissante ? E t la première interven- tion de Dimitrov les eût-elle surpris comme une bombe ?

Ces juges, ces procureurs, ces avocats, ces chemises brunes, ces journalistes de tous pays s'attendaient& B- cette entrée

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LA D ~ ~ ~ E N S E ACCUSE

triomphale du prolétariat dans la salle d'audience, à l'appel d'un homme enehafné 3

1 i

Nullement. Tant il est vrai que ces ignorants appartiennent, 1

comme l'a dit Dimitrov, B cr une classe qui sombre et qui n'a .plus aucune perspective I D.

Pendant six mois, on avait cru instruire le procès du cornmu- i

nisme : on avait combin6 des n preuves )), sudcite des témoignages, pr6paré de u bons témoins o. Ces témoins, qu'on avait recherchbs 1

1

de préférence parmi les ouvriers, avaient pour tache d'établir que i i

le Parti communiste allemand aurait organisé, pour la fin de 1

février ou le début de mars 1933, une insurrection armée dont i l'incendie du Reichstag devait être le signal.

Certes, malgré l'emploi de la torture, aucun communiste ne 1 i i

s'était prêt6 ce jeu ; aucun ouvrier militant n'avait fourni I'ins- trument docile dont l'accusation avait besoin. Et Dimitrov allait 1 ouv voir constater aue les seuls témoins de l'accusation n'étaient i

1 que o des députés hafionaux-socialistes, des journalistes fascistes, des criminels de droit commun, des faux monnayeurs, des voleurs réci- divistes, des psychopathes et des morphinomanes l n.

Mais le fameux e cercle diabolique u des témoins à charge était ferm6 2, les mouchards avaient été bien styl8s ; les rôles étaient appris ; l'artillerie de papier était prête.

On allait donner le grand jeu : on allait inviter le monde entier, accueillir sa presse, mobiliser les câbles et les ondes. La mise en scène du spectacle incombait au ministère de la Propagande, en la personne du Dr Schmoltz, préposé à la distribution des commu- niqués officieux et des sourires officiels.

Le tribunal voulait mener le procès rondement, commodément, comme un procès de droit commun (dont l'utilisation politique, bien entendu, serait unilatérale).

Les deux premières journées du procés avaient été consacrkes h l'interrogatoire de Van der Lubbe : loque humaine aux oreilles décollbes, au regard éteint, l'apparence d'un moribond exagbrément drogué, incapable d'émettre d'autres sons que (( oui a, « non 1) ou a je ne sais pas B.

Le troisième jour, 23 septembre, comme i l l'habitude, le tri- bunal, en robe grenat, fait son entrée sous les feux croisés des pro-

1- Id., p. $4, 12. 2. Id., fac-similé, no IV.

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jecteurs. A l'auditoire debout, les bras tendus, le prdsident rend son salut. Présidentiel Zi souhait, sûr de soi, c'est lui qui, dans la farce judiciaire, tient le rôle de la magistrature int8gre D et fait observer les règles du jeu. Le président Bünger, petit bonhomme chauve, d'aspect paterne, est de belle humeur ; il regarde la salle oZi chacun, chaque chose est à sa place, où tout est en ordre. Il se frotte les mains et s'écoute parler.

Il interroge l'accusé no 2 : un homme de cinquante ans, aux traits beethovéniens, qui, depuis deux jours, le regarde en face d'une fagon gênante. Pas même un Allemand : un Bulgare, en faveur de qui sa légation n'interviendra pas !

Dimitrov se lève. Les traits calmes, le regard durci. Le président Bünger se souvient alors que cet homme n'a pas

craint de tenir tête au juge d'instruction, qui s'en est plaint. Aussi le vieux routier de la présidence croit-il opportun de mater ce regard indiscipliné, en invitant Dimitrov A changer d'attitude en da nt les débats.

« Dans votre propre intérêt n, dit-il avec bonhomie. Et Dimitrov de marteler ses premiers mots : n Si vous étiez innocent comme moi et que, comme moi, vous ayez

croupi en prison pendant sept mois, dont cinq mois aux fers, vous comprendriez que l'on perde son calme. D

La lutte est engagée. Le prbsident n'en croit pas ses oreilles. Il n'insiste pas. Il questionne.

Dès lors, chaque réponse est une riposte. Dans la salle, étonnés, les journalistes se regardent.

Ce n'est pas l'accusé bulgare Dimitrov qui se défend : c'est la I I P Internationale cc faite chair r qui prend la contre-offensive.

C'est si vrai que, le lendemain, la presse nazie est elle-même obligée d'en convenir.

Dès les premiers mots de Dimitrov, écrivent les Leipziger Neueste Nachrichten, on sent déjà que cet homme a fait de ce grand procès une partie intégrante de sa propre vie, essentiellement politique. Peu importe son rôle dans l'incendie du Reichstag. E n tout cas, il est déjà démontré que Dimitrov est un incendiaire moral du plus mons- trueux calibre ... Le monde civilisé doit faire disparaître ce programme de la IIIe Internationale devenu chair, s'il ne veut pas sombrer dans une nuit sanglante e t sans fin.

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Le ton &ait donné. L'initiative du combat, la direction des débats avaient changé de main, avaient changé de camp.

Lorsque le président Bünger essaya de les ressaisir, il ne parvint pas même à se ressaisir lui-même : il se mit en colère ; mais ses colères ne rétablirent pas son autorité. 11 eut beau menacer, cou- per la parole, imposer silence, multiplier les expulsions de la salle d'audience : il n'était pas de taille à lutter contre cette force de la nature, cette puissance dialectique et cet héroïsme toujours maître de soi, qui le domine et le ridiculise.

Est-ce à dire que Dimitrov ait employé un vocabulaire ou un ton insultant, qu'il ait commencé par caractériser le tribunal comme un instrument de la dictature fasciste 3

Nullement, car il savait qu'en procbdant ainsi, il eût perdu toute possibilité de se faire entendre.

(( J'ai plutiît mené ma défense de manière que tout le monde se rendit compte que le tribunal est un instrument de la dictature fasciste. r

A la fermeté, Dimitrov a su joindre la souplesse et la connais- sance exacte de ses droits. Il avait étudié à fond et dans ses moin- dres détails l'acte d'accusation. Tout l'acte d'accusation, pas seulement la partie qui le concernait. E t cela précisément parce que Dimitrov a tout subordonné à la défense politique.

u Dès le début, m'a-t-il dit, j'ai considéré l'accusation comme étant dirigée, non pas contre ma personne, mais contre notre Parti et notre cause. Plus tard, on a uu que j'étuis le seul d avoir étudié l'acte d'accusation dans son entier. Torgler s'était occupé presque uniquement des textes qui le concernaient lui-mhe. Tanev et Popov, eux aussi, s'étaient contentés de se faire traduire par tinterpréte les passages qui les visaient. a

E t cette connaissance approfondie de l'accusation, de la loi, Dimitrov sait la mettre, avec un incomparable à-propos, au service de son offensive politique.

Avec quelle hauteur Dimitrov revendique son r6le et sa respon- sabilité de chef, et notamment la part (( active et dirigeante u qu'il a prise, en septembre 1923, à l'insurrection des ouvriers et paysans bulgares ! Avec quelle rigueur il procède à l'examen critique et autocritique de ce mouvement, à l'analyse des causes de son échec I

a Je suis fier de cette insurrection héroïque. D Je regrette seulement que mon Parti et moi, nous n'ayons pas

eneore été alors de véritables bokhéoiks. C'est pourquoi, cette rdvolte

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f&torigut?, prolétariat en tête, nous ne sdrnes pas l'organiser et ta diriger victorieusement.

a Notre organisation, notre politique, notre tactique non bolché- ~ i k s , notre défaut d'expérience révolutionnaire et surtout notre attitude opportuniste soi-disant neutre, le 9 juin, lors du coup d'État miMaire fasciste, tous ces facteurs ont beaucoup aidé les assassins, les bourreaux du peuple et les usurpateurs d abattre ce soulèvement des masses l. n

E t Dimitrov met en valeur l'enseignement politique de cette expérience ; il professe sa foi dans le succès final :

« Mais le Parti en a tiré et mis d profit la sanglante leçon, et la lutte libératrice des ouvriers et paysans bulgares, éclairée par la grande expérience de la révolte de septembre, avance inébranlable- ment, sous la conduite du Parti, vers la victoires définitive ". »

A qui est destin6 ce fier langage que Dimitrov tient face aux robes grenat et aux chemises brunes ? Aux ouvriers et paysans bulgares qui, par delà ces murs, l'écoutent. A tous les ouvriers et paysans du monde, auxquels la presse universelle apportera l'écho de ces paroles. Aux ouvriers et paysans allemands, aux ouvriers et paysans asservis par tous les fascismes, il dédie tout l'espoir raisonné, robuste, vivifiant, toute 1' n énergie politique D accumulée dans ces mots d'avertissement qu'il jette aux « Don .

Quichottes B de la r6action, de la terreur et de l'anticommunisme : a C'est là, en vérité, un avertissement salutaire pour tous ceux qui,

dans les autres pays, mettent leur zèle à exterminer le cornmunisrne, . pour tous les modernes héros de Cervantes a

Son activité de réfugié politique en Allemagne ? Il la définit avec le même soin de ne compromettre personne, de ne rien trahir et, en même temps, de ne rien renier, de faire valoir son honneur de militant, de maintenir le débat sur le plan politique où il l'a norté : a

n Je ne me suis pas immiscé dans la politique allemande. Je n'ai aucune liaison avec le Parti communiste allemand. Ce n'était pas utile pour mon travail.

1) Mais je vous dis franchement pue, si mon travail l'avait exigé, je me serais mis en rapport avec le Parti communiste allemand *. m

1. Id., p. 80-81. 2. Id., p. 81. 3. Id., p. 81. 4. Id., p. 82.

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E t , comme I'accusation lui fait grief des publications révolu- tionnaires qu'on avait saisies chez lui e t des articles publiés sous sa signature dans la Correspondance internationale, il prend fibrement ses responsabilités :

, a Je déclarai, m e rappela Dimitrov, que ces documents étaient miens et que moi, comme communiste et comme membre de Unter - nationale communiste, j'en revendiquais l'entière responsabilité. :,

E t ce fut là, pour Dimitrov, l'oocasion de cet exposé de principes auquel Lénine attachait t a n t d'importance :

n Il est exact pue je suis un bolchévik, u n révolutionnaire prolé- tarien. Je dois souligner: n rd~olutionnaire prolbtarien o, purce m e . dans notre monde à l'envers, le Kronprinz tient à se ~roclarner &%&tionnaire et qu'il y a aussi des ri%olÙtionnaires aussi fous pue, par exemple, Van der Lubbe / * n II esif également esact qu'en tant que membre d u Comité central du Parti communiste bulgare et de l'Exécutif de l'Internationale communiste, je suis communiste dirigeant et responsable.

B E t je suis volontiers prêt d répondre intégralement de tous les actes, décisions et documents de mon Parti bulgare et de l'Interna- tionale communiste. Mais c'est justement pour cette raison que je ne suis pas u n aventurier terroriste, un putschiste, un incendiaire.

u Par ailleurs, il est parfaitement exact pue je suis pour la révo- lution prolétarienne et pour la dictature du prolétariat. Je suis fer- mement convaincu qu'elle est la seule issue, le seul moyen de salut contre la crise économique et la catastrophe guerrière d u capitalisme.

n Et la lutte pour la dictature du prolétariat, pour la victoire du communisme, est, sans aucun do'ute, le contenu de m a vie. Je vouflrais vivre encore au moins vingt ans pour le communisme et puis mourir tranquille. C'est justement pourquoi je suis un adversaire décidé de la terreur individuelle et d u putschisme.

a E t cela, non pour des considérations sentimentales et humani- taires. En accord avec notre doctrine léniniste, les décisions et la discipline de l'Internationale communiste, qui sont, pour moi et pour tout viritable communiste, la loi suprême, je suis, du point de vue de l'opportunité révolutionnaire, dans l'intérêt de la révolution prolétarienne et d u communisme, contre la terreur individuelle, contre les aventures putschistes.

a Je suis vraiment un partisan, u n admirateur enthousiaste du Parti communiste soviétique, parce que ce Parti dirige le plus grand pays du monde - un sixième du globe - et qu'il construit si héroi-

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ouentent, si victorieusement, le socialisme, sous la direction de notre grand chef Staline l. a

Jamais chef de parti prol6tarien tombé aux mains de l'ennemi n'a dépassé ce niveau de grandeur ; aucun n'a brandi plus haut le drapeau de son parti, de sa classe ; aucun n'a soutenu plus

l'honneur et le prestige de sa cause. Mais ce que la lecture de ces paroles inoubliables ne pourra

iamais rendre, c'est leur naissance aux lèvres du héros, c'est leur Jelatement sobrd et martelé dans le silence de la salle, en présence des juges atterrés, des journalistes stupéfaits ; ces paroles, hachées d'interruptions dès que le président se fut ressaisi, portaient en elles une .énergie telle qu'aucune force, aucun coup de poing sur la table, aucune consigne d'étouffement, aucune épaisseur de mur ne pouvaient les arrêter. Les robes grenat ont beau s'agiter dans leurs fauteuils ; les chemises brunes et les uniformes noirs ont beau entrer, sortir, s'affairer; ces messieurs de la Propagande et de la Gestapo ont beau ricaner, chuchoter, préparer des communiqués, transmettre des ordres, distribuer des sourires à la presse ; tout l

cet appareil ostentatoire, brutal et mielleux, si bien préparé, perd i

sa contenance e t sa taille même. Ces gens deviennent tout petits. i L'échelle se renverse, les règles du jeu se brouillent, les rôles ,

s'intervertissent. 1

Le Prolétariat international a fait son entrée dans la salle d'au- 3 (

dience. Il ne la quittera plus. Il ne s'en laissera pas chasser, même I lorsque Dimitrov en sera violemment exclu.

Après sa profession de foi, Dimitrov prend et ne perd plus l'ini- i 4

tiative - de l'attaque ; il porte à l'accusation les premiers coups, et i 1 quels coups ! Prenant les juges A partie et la presse à témoin, il affirme son

innocence : « J e peux dire tranquillement que je n'ai pas eu davantage

aflaire avec l'incendie du Reichstag que, par exemple, dans cette salle, un correspondant étranger ou bien messieurs les juges eux- mêmes ! ))

Il désavoue les procès-verbaux d'instruction ; il en conteste la sincérité ; il rappelle qu'il a refusé de les signer et qu'il ne prend la responsabilitb que de ses d6clarations écrites :

1. Id., p. 82-84. 2. Id., p. 85,

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K L'instruction a été menCe sur une hypothèse et dans une intention. bien déterminée: faire de moi, à tout prix et en dépit de tout, pour Tribunal d'Empire, un incendiaire.

» Et cela, après qu'une enquête de plusieurs mois a été impuissante (c'est, à présent, si clair pour moi) d découvrir les auteurs véritables'. n

Pas un terme violent ou susceptible d'être relevé par un juge, et pourtant tout est dit. Chacun de ces mots, décoché, frappe juste 1 et fort. i

A mesure que devait s'ouvrir la brèche, les coups allaient devenir plus terribles, l'offensive allait graduellement se développer.

1 i

Avant le soir de ce jour mémorable, tous les câbles e t les fils I

spéciaux vibraient, frémissaient, transmettaient ii tous les conti- nents quelques-unes de ces paroles de flamme, et la stupeur des journalistes qui les avaient entendues allait se propager partout. i

n La dignité semble innée chez ce Bulgare u, s'écrie le grave / Times. Et les journaux hitlériens eux-mêmes ne peuvent cacher 1 leur surprise, leur inconsciente admiration : c'est ainsi qu'ils r6vèlent au peuple allemand réduit au silence et à l'esclavage le héros qui parle et qui va parler en son nom, sa fougue victorieuse, sa force invincible, élémentale, sa puissance dialectique et psy- chologique e t le respect qu'il impose a la presse étrangère subjuguée :

Dépourvu de sentiment, Bcrit la Neue Leipziger Zeitung, il ne fait pas appel au sentiment d'autrui. Il a étudié le caractère des hommes comme une loi, pour l'utiliser à ses fins. C'est un psychologue accompli. Il n'était pas facile au D* Bünger de maintenir cet homme volcanique sur le banc des accusés. I l déplaçait le microphone selon ses besoins et n'oubliait jamais de s'adresser indirectement aux corres- pondants étrangers. C'est un Bcho qu'il cherche et que (un coup d'œil sur la presse étrangère le montre) il trouvera a.

i Il est vrai que, le surlendemain (si ma mémoire est fidèle), au I

cours d'une réunion de presse, le représentant du miaistre de la Propagande allait, en présence des correspondants étrangers

k (le maladroit I), remettre au pas, sans amhité, les journalistes

1. id., p. 86. 2. id., p. 77.

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allemands coupables de favoriser involontairement la propagande communiste 1

N O U ~ ne pouvons ici, dans le cadre de cette étude, retracer dans leur détail les phases des débats ou reproduire toutes les réponses, les ripostes, les questions de Dimitrov, qui ont été publiées ailleurs. Mais nous nous proposons de marquer les traits dominants d'une stratégie qui a fait ses preuves.

Stratégie essentiellement politique et off ensioe. Cette stratégie, dont les comptes rendus e t les documents

(notamment les lettres de Dimitrov) nous enseignent la valeur et le succès, Dimitrov a bien voulu me la résumer en quelques paroles claires et saisissantes.

a D'abord, prendre et garder l'initiative. D A la faveur de cette initiative, il m e fallait concevoir et exécuter

un plan stratégique. D Je me suis attaché ù démolir politiquement, non pas seulement

l'accusation, mais l'ennemi lui-même. A le démolir dans l'op inion publique et à le rendre ridicule.

D J 'a i commencé par la police. P u i s ce fut le tour du juge d'ins- truction, le célèbre Vogt ...

n J 'ai attaqué également les deux procureurs ... Purisius et Werner ... r P u i s les avocats, tout spécialement l'avocat de Torgler, le D* Sack,

et naturellement le Dr Teichert. Celui-ci ne s'en est pas relevé. a E t aussi la presse, la presse hitlérienne : je l'ai toujours attaquée;

j'ai essayd de démasquer chacune de ses calomnieuses campagnes, ui, d'ailleurs, m e renseignaient et m'orientaient indirectement sur & portée de mes coups.

r L e tribunal s'est ainsi trouvé isolé, a8aibl i ... a Contre la police et le juge d'instruction, nous avons déjh w

comment Dimitrov avait amorcé l'attaque dés avant les débats. Pendant les débats, il ne manqua pas une occasion de les mettre en fâcheuse posture et de marquer des points à leurs dépens.

C'est seulement au cours de la troisième journée, le 23 septembre, que Dimitrov annonça son intention de se défendre lui-même. Jusqu'au début de la partie du procès qui devait s'ouvrir il Berlin, Dimitrov put encore conserver l'espoir qu'au défenseur

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d'office le tribunal finirait par accepter l'adjonction d'un defenseur choisi.

Aussi, dès ses premiers conflits avec le président Bünger, l

Dimitrov mit-il en valeur une des causes de ces incidents, pour I

adresser au tribunal un dernier ultimatum : ou vous admettrez la défense Marcel Willard, ou je me défendrai tout seul.

a Si j'avais e u un défenseur de m o n choix, j'aurais certainement su éviter des incidents préjudiciables à m a propre défense ... Je n'ai, d l'égard de M. le Dr Teichert, tant comme homme que comme avo- cat, aucune méfiance personnelle. Mais, dans l'état de choses actuel, e n Allemagne, je ne puis avoir la confiance nécessaire en son rôle de défenseur désigné d'office. E t c'est pourquoi je cherche à me défendre moi-même : d'o2 mes initiatives quelquefois peu juridiques.

x Dans l'intérêt de m a défense devant le Tribunal d'Empire, de même - je le pense - que dans l'intérêt d u cours normal des débats, l

je m'adresse encore et pour la dernière fois au Tribunal d'Empire, i 1

en le priant d'admettre à collaborer à ma défense l'avocat Me Marcel Willard, proposé récemment par ma sci.ur.

n Si, par malheur, cette dernière requête est, elle aussi, repoussée, il ne m e restera plus qu9é me défendre moi-mênze comme je 1e.pourrai et comme je l'entendrai. 1)

Or, le tribunal ayant refusé l, ce fut au cours de la premihre 1 1

1. Toutefois, avec deux avocats bulgares et un américain, j'avais pu, non sans i peine, parvenir à assister aux audiences, me glisser dans le procès, puis h arra- J cher au Tribunal d'Empire l'autorisation de collaborer indirectement Zt la défense aux cdtés du Dr Teichert, qui dut bien subir ma présence indésirable.

1 DBs lors, je commençai à bombarder le tribunal et les avocats allemands de 1 1

propositions écrites, de questions indiscrhtes, de conclusions, de lettres ouvertes, dont Dimitrov recevait rarement les copies (interceptées par le directeur de la

I prison ou la Gestapo), mais dont la presse non allemande publiait de larges

1 1

extraits, Ci la grande fureur des fonctionnaires du Dr Gœbbels. i J e tenais presque chaque jour des conférences de presse, accordais des inter- 1

views à la barbe du Dr Schmoltz (agent de Gcebbels), alors que son approche 1 1

faisait fuir les journalistes saturés de ses communiqués de propagande. i Ma guérilla se prolongea plus d'un mois. Jusqu'au jour od le président crut

devoir suspendre une audience (qu'il tenait alors A Berlin, en plein Reichstag, pour la u reconstitution du crime a), afin de permettre à la Gestapo de m'arrêter e t de me mettre à mon tour au secret, premier prisonnier français de Hitler : i dix jours de prison pour a outrages ii la magistrature et aux autorités allemandes B 1 i

Aprhs quoi, deux policiers me reconduisirent A la frontière. 1 1

C'est la camarade Felicia Alter qui put assister à la dernière phase du procés 1 et en adresser des comptes rendus au Cornit6 international de DBfense, qui siégeait à Paris.

1

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1 1 I

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audience qui eut lieu à Berlin, le 4 octobre, que Dimitrov signifia sa décision d'être désormais son propre défenseur.

E t il eut A faire face, non seulement au procureur et aux juges, mais Zi l'avocat d'office (qui se prévalait de la faiblesse, à son endroit, des deux autres accusés bulgares) et au Dr Sack, l'avocat choisi par Torgler, qui tous deux se partageaient la besogne. L'un, Teichert, (( se bornait D à saboter la défense politique de (( son client n, à lui refuser les documents nécessaires, que Dimitrov ne pouvait se procurer que par son entremise. A l'audience, il n se bornait r> à se taire, du moins chaque fois que son client était attaqué, interrompu, brimé, exclu des débats. Le D* Teichert avait une étonnante capacité de silence : il faisait un glorieux pendant à son confrère, le Dr Seiffert,*qui, lui, ne savait que mettre un mouchoir sous les narines incontinentes de Van der Labbe.

Quant à l'autre, le Dr Sack, plus habile et plus dangereux, il assumait le rôle actif : il provoquait Dimitrov et, suppléant les procureurs, intervenait auprés du président pour faire couper la parole à ce Bulgare accusateur qui menait les débats, pour le faire réduire au silence, pour le faire châtier.

Telle était la division du travail entre ces avocats bien styles qui appliquaient, chacun à sa façon, la régle en vigueur dans les (( libres 1) barreaux nazis :

Dans sa défense passionnée de l'autorité de l'fitat, le défenseur doit désirer - et l'expérience montre qu'il le désire presque toujours - qu'une condamnation vienne couronner l'accusation I.

Plus d'une fois, Dimitrov, qui connaissait parfaitement ses droits d'accusé, eut l'occasion d'infliger des leçons aux deux cornpéres :

n Je savais, par exemple, m'a dit Dimitrov, pue c'était mon droit d'intervenir chaque fois qu'une déclaration de témoin me mettait en cause, chaque fois qu'un document était lu ou invoqué contre moi: j'avais la possibilité de poser moi-même des questions sur ces décla- rations, sur ces documents.

» Un jour, Teichert et Sack m'ont contesté ce droit: je leur a i mis sous le nez la loi et les ai confondus. Ils n'ont pas eu le beau rôle! D

Ainsi Dimitrov exécutait point par point son plan : il démo-

1. Rudolph DIX : a ~ ' a t a t totalitaire et la profession libre d'acosat n, Deutsche Jurisien Zeitunp, 1934, p. 243 et suiv.

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lissait non seulement I'accusation, mais les accusateurs e t leurs auxiliaires, les défenseurs d'office comme les procureurs, et il brisait les résistances d'où qu'elles vinssent, fût-ce d'un Torgler.

Il eut aussi lutter, surtout au début du procès, contre le tra- ducteur-juré que le tribunal avait commis pour qu'il servit ddnter- préte aux trois Bulgares.

Au cours d'une des premières audiences, il s'était permis de traduire inexactement la déposition d'Héléna Dimitrova, sœur de Dimitrov, et Dimitrov l'avait immbdiatement rappelé & l'ordre. Depuis lors, possédant admirablement les deux langues, Dimi- trov ne cessa jamais de contrôler ces traductions, et l'interprète, le sachant, était contraint l'exactitude.

Dimitrov avait l'œil à tout : rien ne lui échappait ; mais, remi- sant à leur place les faits subalternes, il ne se laissait jamais détourner par eux de sa défense politique.

La presse nazie déversait chaque jour des tombereaux de men- songes, de calomnies, d'ordures contre le géant qui jouait sa tête et ne la baissait pas, sans égard aux règles du jeu. Stylée par le ministère de la Propagande, elle aboyait aux chausses de cet accusé accusateur, elle essayait de le mordre aux jambes, de le salir, de le discréditer.

Dimitrov ne manqua pas de faire front. Mais cette presse même, la seule qu'il pût lire (et il la lisait attentivement), lui servait de repère, le renseignait et (( l'orientait indirectement sur la portée de ses' coups o.

n Avais-je quelque hésitation, a observé Dimitrov après sa libé- ration, je me reportais au Vœlkischer Beobachter, l'organe officiel du Partr national-socialiste. Au ton d u compte rendu, je pouvais juger de la qualité de mon tir et le rectifier le lendemain, sr besoin était. Les bêtises de ce stupide journal ont guidt! m o n tir. 1)

e La lecture de la presse hitlérienne, m'a dit Dimitrov, m'apprit bien des choses : c'est par le Vœlkischer Beobachter que j'ai su qu'on avait organisé à Londres une (( comédie l a.

B Tout cela me montrait que la question de la défense avait été également posde hors d'Allemagne, et plusieurs remarques poUrnigues de la presse fasciste contre la « presse juive )) de l'étranger me confir- m2rent dans mon opinion. D

La presse hitlérienne n'était pas la seule source ennemie qui a le

3 . C'est ainsi que les nazis qualifiaient le contre-proe&s de Londres.

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renseignat et l'orientât a : le juge d'instruction, le parquet, la défense d'ofice, le tribunal même lui révélaient, sans le vouloir, bien des choses, bien des armes que ce puissant cerveau ne laissait jamais échapper, qu'il annexait il son propre arsenal, malgré les efforts conjugués des juges, des geôliers et des avocats hitlériens,

Un exemple de cette clairvoyance et de cette audace qui caracté- risent la tactique du grand stratbge : le fameux cas Van der Lubbe.

Ici encore, laissons parler Dimitrov, de qui j'ai eu la joie de tenir cette émouvante confirmation de ce que j'avais observé et que les journalistes Btrangers ne parvenaient pas B comprendre :

CC Dès te début s'est posée pour moi l'énigme Van der Lubbe. Pour déterminer ma stratégie, ma ligne de défense, il était essentiel de savoir si Van der Lubbe était un provocateur conscient ou un agent inconscient.

n A priori, je n'en savais rien. n J'ai couru de très grands risques en posant7es questions, en

provoquant les réponses qui m'ont édifié: j'ai demandé ci Van der Lubbe s'il me connaissait, s'il connaissait Popov, Tanev, Torgler; s'il avait été un provocateur conscient, il aurait menti.

o J'ai dû insister dangereusement, mais j'auais obtenu la certitude dont j'aoais besoin; j9étais renseigné. D

Pour apprecier leur valeur le sang-froid, la hardiesse, 1%. propos, la promptitude d'esprit qu'exigeait le succés de ce véri- table raid tactique et psychologique, il faut se souvenir qu'avant les débats, jamais Dimitrov n'avait vu ni entendu l'incendiaire hollandais, ,qu'il a e connaissait alors ni son passé, ni son état physique, ni ses relations; il faut se souvenir aussi que les moindres questions de Dimitrov étaient entravées par les interruptions et les rappels a l'ordre rageurs du président. C'est donc de haute lutte qu'il fallait, en faisant front partout à la fois, arracher ces réponses décisives.

C'est encore Dimitrov qui mit en doute l'authenticité des décla- rations attribuees A Van der Lubbe parjes procés-verbaux d'ins- truction. C'est encore lui qui, en dépit de toutes les tentatives de diversion, exigea que la lumibre fbt faite sur l'emploi du temps de Van der Lubbe, & la veille de l'incendie.

Qui ne se souvient de la révélation capitale du Livre brun, de ce fameux souterrain par oii les incendiaires nazis, reunis clandestine- ment au palais du président Gcering, avaient pu pénétrer, & l'insu de

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tous, dans l'édifice provocatrice ?

L'existence de ce souterrain e t son rôle étaient, bien entendu, un secret d'État : il ne fallait à aucun prix qu'ils fissent l'objet d'une question ; en tout cas, on peut présumer que Ie président Bünger eût joué gros jeu en la laissant poser !

C'est précisément pour l'avoir posée seul, sous ma signature, B l'exclusion des trois autres avocats étran ers, que j'avais déja attiré sur moi l'attention haineuse de la estapo, qui, dès lors, guetta tous mes gestes.

t Il va de soi que j'avais essayé de faire connaître à Dimitrov cette

question en lui envoyant copie de ma lettre ; mais ce pli, comme presque tous les autres, m'avait été retourné par la prison.

Comment, dans ces conditions, - Dimitrov a-t-il pu deviner l'exis- tence et l'usage du souterrain ?

C'était là pour moi un sujet d'émerveillement e t je n'ai pas manqué, à Moscou, de lui en faire part, en le priant de m'expliquer son étonnante intuition :

« Un témoignage, me répondit-il, m'a intrigué: celui d 'un homme qui, pressé de questions, a parlé d 'un endroit oil il avait entendu cer- tains bruits, certaines sonorités. J'ai voulu savoir. Les juges et les procureurs m'ont aidé sans le vouloir. J 'a i exigé une reconstitution, une visite générale de cet endroit mys tér~eux: c'est aimi que j'ai connu le souterrain et compris son usage. 1)

Bien entendu, lorsque Dimitrov posa la question terrible et redoutée à l'électricien du Reichstag, puis à l'inspecteur Scranovitz, le président empêcha les témoins de répondre. Mais tout le monde avait compris que les incendiaires avaient pu, sans être vus, passer par le souierrain.

LE CERCLE DIABOLIQUE.

Nous avons vu comment, pendant plus de six mois, on avait prbparé les témoins et les témoignages, comment, faute de commu- nistes, faute de militants ouvriers authentiques, on s'était rabattu sur des repris de justice, des mouchards, des députés nazis. Les rôles avaient Qté bien distribués, les leçons avaient été bien apprises.

Trop bien.

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Et c'est prbcis6ment cet excès de soin qui allait trahir l'artifice ; la perfection même du cercle qui allait trahir le compas. Le n cercle diabolique 9 des témoins charge était si bien fermé qu'il sufit à Dimitrov de le tracer publiquement pour susciter le désarroi et le scandale dans les rangs ennemis. Déjà, le 28 octobre, Dimitrov avait amorcé l'offensive : Les

témoins jouent ici les rsles qui leur ont été distribués. D Mais c'est le 31 octobre, après l'audition du témoin Lebermann,

que Dimitrov cerna l'accusation dans son propre cercle : r Le cercle des principaux témoins à charge contre nous autres,

accusés communistes, s'est fermé aujourd'hui. Commencé par les députés au Reichstag du Parti national-socialiste, par des journa- listes nazis, il est terminé par un voleur l. a

Tout d'abord, le tribunal n'osa pas entendre ; mais la presse avait entendu. Le président n'osa pas comprendre ; mais le monde avait compris.

Le même jour, les juges se passaient de main en main le cercle fameux, le a cercle diabolique », où, de sa main, en trois couleurs, Dimitrov avait expliqué géométriquement sa pensée.

Les dépositions s'y trouvaient confrontées, opposées, leurs auteurs caractérisés (dgputés ou journalistes nazis, criminels de droit commun, voleur et morphinomane). Le dessin et sa légende étaient si clairs qu'il suffisait d'un coup d'=il pour en saisir la portée terrible : figurant synoptiquement les contradictions e t la symétrie trop visible des témoignages, le (( cercle diabolique 8 en dénonçait la fabrication. E t mieux encore : la marque de fabrique !

En effet, le dessin corn ortait deux cercles concentriques : le cercle extérieur révélait f e schéma dramaturgique des metteurs en scéne du procbs, qui avaient eu le tort d'être trop (( conscien- cieux a, de manquer de fantaisie, de n'oublier aucune des combi- naisons susceptibles d'unir, compromettre, accuser les person- nages : Torgler avec Lubbe, Torgler avec les Bulgares, les Bulgares avec Eubbe.

Et le cercle intérieur contenait un point d'interrogation et un point d'exclamation, dont I'ironie n'a pas dû Bchapper indéfini- ment au président Bünger lui-même : on ne pouvait mieux désigner le sc6nariste, le régisseur, l'inspirateur mystérieux de la provoca-

1. Id., fac-sirnile no IVs 2. Id., tac-simil4 no IV.

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tion e t du spectacle, celui que, dbs le 22 octobre, Dimitrov avait appelé, par opposition au pitoyable Faust-Van der Lubbe, le MBphisto de l'incendie.

Ah ! si l'on avait pu étouffer le scandale, escamoter les paroles et le dessin de Dimitrov 1 Mais e'était impossible, puisque tous les grands journaux du monde allaient en parler. E t c'est pourquoi, le lendemain, le Vœlkischer Beobachter relevait le propos que le président avait laissé passer. Le président Bünger, affolé, allait essayer de se faire pardonner sa lenteur d'esprit, sa défaite, en pronongant contre Dimitrov sa troisième exclusion des débats.

Trop tard: le coup avait porté, et au moment choisi où il pouvait produire le plus d'effet. L'accusation, déja bien démantelde, s'ef- fondrait maintenant sous le ridicule devant l'opinion populaire. Le cercle diabolique demeurait marqué au fer rouge au Iront du Méphisto-Gcering.

Nous l'avons dit, Dimitrov avait le g h i e de percevoir, dans l'ins- tant même, le point faible, et son tir précis, rapide, ne le manquait pas. Le président avait beau s'agiter, sonner, menacer, frapper du poing sur la table, couper ou retirer la parole : le mot mortel était dit, la cible était touchée et Dimitrov ne se rasseyait qu'il n'eût atteint son but, crevé le ballon trop bien gonflé.

Au oommissaire Heisig, qui avait interrogé Van der Lubbe et, dans son rapport, prétendait que le malheureux Hollandaislui avait parlé couramment en langue allemande, il demande :

n Est-ce de ses propres lèvres pue Van der Lu b be parlait courammenf l'allemand 3 Est-ce de ses propres lèvres et de sa propre voix qu'il a déclaré ce qui sert de base d l'accusation ?

Quand le nazi Kroyer atfirme avoir vu et entendu, au Reichstag, Popov et Torgler discuter ensemble :

n En quelle langue 3 R lui demande simplement Dimitrov, rap- pelant ainsi au tribunal, au public, que Popov ne sait pas l'allemand et que Torgler ignore le bulgare.

Les leçons, bien apprises, avaient ét6 bien rdcitées. Mais il suffi- sait d'un pareil choc ou d'une pareille morsure au point voulu, au moment voulu, pour que le témoin perdît contenance et pour que tout ce mécanisme si bien fabrique se déréglât.

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LES DEUX MÉTHO'DES.

L'intérêt exemplaire de ce procès réside dans l'opposition qu'il met en lumière entre deux méthodes, entre deux lignes de sens contraire, dont l'histoire a condamné l'une et glorifié l'autre.

La première est suivie par ceux qui réduisent leur défense ii la dhfense de leur propre personne. Il leur suffit d'établir juridique- ment leur alibi, leur innocence.

L'un d'eux, Torgler, hésite encore se renier : mais il se châtre et ne pr6tend qu'à rassurer les juges. Un instinct de conservation trompeur l'a isolé des masses, le détourne du combat ; son avocat, un ennemi, le tient entre ses mains et le détruit politiquement. I l va trahir.

Deux autres, Tanev et Popov, ne renient pas leur classe, leur Parti ; mais ils perdent de vue le but, l'intérêt de leur classe ; ils croient, bien à tort, plus habile de se montrer n sages )), c'est-&-dire faibles. L'un d'eux a tenté de se suicider. L'un et l'autre, ils ferment les yeux sur l'exemple du chef, ils ne se solidarisent pas avec lui, ils refusent de désavouer leur avocat d'office. E t celui-ci pouvait prendre prétexte de leur attitude pour refuser & Dimitrov toute documentation politique.

L'interprète lui-même dit un jour A Dimitrov: ((Vos deux cama- rades sont très peureux. a E t Dimitrov de me rappeler ce fait malheureusement notoire :

a Ils l'ont montré lorsque je fus exclu de la salle d'audience. Mes eoaccusés ne se sont pas solidarisés avec moi et n'ont nullement pro- testé contre mon expulsion. ))

Quant & Dimitrov, au contraire, il a toujours suivi l'autre méthode.

Il a tout subordonné (alibis compris) Q la défense politique de sa classe, de son Parti, de son Internationale, A la contre-offensive qui devait décider de la victoire.

Le président Bünger ne manquait pas, lui non plus, d'opposer à la terrible efficacitd de cette méthode la u sagesse n des trois autres communistes :

u Voyez-vous, Dimitrov, vos coaccusée ont une attitude correcte et honnête ; vous comprendrez maintenant pourquoi le tribunal prend de telles mesures extraordinaires contre vous. r En vain t'accusation ébranlée révéla-t-elle son désarroi en

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offrant à Dimitrov l'occasion de plaider qu'a rbs tout rien ne prouvait que Van der Luhbe n'eût pas agi seue sans instigateurs et sans complices. Et c'était l'acquittement assuré. Le commu- nisme eût été condamné en la personne du Hollandais, dont on prétendait qu'il n'avait été exclu du Parti que pour exécuter un travail spécial.

C'est ce contrat tacite avec le diable, o'kt ce compromis avec l'accusation qu'aucun militant ne peut accepter sans se déshonorer politiquement.

Pour un Dimitrov, la question ne se pose même pas. Devant l'accusation défaite, il ne songe u'A pousser son avantage, mener l'offensive politique jusqu'à la x Qroute de l'ennemi.

Van der Lubbe, c'est le ((pitoyable Faust )) qui sibge seul au banc des accusés. Dimitrov entend confondre publiquement le Méphisto qui se cache :

a E n n a qualité d'accusé fortuit et innocent, et plus encore en ma ualité de communiste et de membre de l'Internationale communiste, 'i' 1 ai le plus grand intérêt à ce que l'affaire de l'incendie du Reichstag

soit éclaircie de toutes parts, et qu'en même temps le Méphisto d ispuru apparaisse au grand jour1. n

E t c'est ainsi que Dimitrov, qui dirige les débats alors même qu'il en est exclu, contraint l'accusation et le tribunal (en dépit de la résistance des Teichert et des Sack) B abandonner cette ligne de repli ; c'est ainsi qu'il pose, comme nous l'avons vu, la uestion du souterrain ; c'est ainsi qu'il propose d'entendre le chef 8 u Parti communiste hollandais, pour Btablir que Van der Lubbe s'est conduit non pas en agent, mais en ennemi du Parti et qu'il n'en a reçu aucune mission 2.

C'est ainsi que, pour Dimitrov, se défendre, c'est défendre ses camarades coaccusés, Popov, Tanev, Torgler, c'est leur tendre la perche, leur donner l'exemple, redresser leurs fautes, intervenir en leur faveur et h leur place contre les témoins qui les accusent.

Se défendre, c'est attaquer. Attaquer les véritables incendiaires, les Gœring-Méphisto, le régime national-socialiste.

C'est poser et résoudre la question maîtresse : Qui avait intérét à l'incendie du Reichstag ? A gai pouvait et devait profiter cette évidente provocation ? Tel est le théorème.

1. Id., p. 97, document no 25. 2. Id., p. 101, document no 27. 1

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ATAILLE DE LEIPZIG 133

De l'inspecteur Brosig il essaie d'obtenir une réponse à la ques- tion suivante, qui n'est pas admise :

a L'incendie du Reichstag n'a-t-il pas été le signal de la destruction des partis ouvriers et n'a-t-il pas mis fin aux conflits internes du gouvernement hitlérien ? a

On voit ainsi se développer les trois thbmes principaux de la défense politique :

Insurrection communiste ? Non. Ni vrai ni vraisemblable. Le terrorisme était le fait des nazis. L'incendie n'a profité qu'au régime hitlérien. Ces trois thèmes sont liés diülectiquement et, plus souvent,

Dimitrov passe du premier, qui est défensif, aux suivants, qui sont offensif S.

Défendre et glorifier le Parti communiste allemand ; le défendre et le glorifier en pleine citadelle de l'hitlérisme, à la barbe des juges, des bourreaux ; le défendre et le glorifier devant les travail- leurs d'Allemagne qui souffrent, qui luttent, qui espèrent ; le défendre et le glorifier, ainsi que l'Internationale communiste, a la face du monde : c'est la tâche que Dimitrov s'impose e t ne - perd jamais de vue.

Mais, aussi bien pour réfuter les calomnies, les mensonges rela- tifs à l'incendie-signal d'insurrection, que pour exposer devant l'univers la véritable politique du Parti communiste allemand, qui donc serait plus qualifié que son chef, le docker de Hambourg,. le héros du prolétariat, du peuple antifasciste ?

E t Dimitrov ne craint pas d'invoquer le témoignage d'Ernst Thelmann ! Il lui demandera 1 de déposer sur les persécutions dont le Parti a été l'objet, persécutions qui, depuis l'avènementLde Hitler au pouvoir, ont fait place à une véritable (r campagne d'extermination 1).

Il lui demandera si l'activité du Parti, d'accord avec les décisions de la I I P Internationale, n'était pas tout entière orientée vers le travail de masses, la lutte de masses et l'unité d'action des tra- vailleurs. Il lui demandera comment le Parti a condamné toute déviation terroriste et exclu de son sein tout aventurier.

Si Thælmann ne fut pas entendu, c'est Dimitrov qui se chargea de répondre B sa place.

Mais c'est dans les questions qu'il requiert en vain de poser aux

a, Id . , p. 306, document no 29,

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anciens chanceliers Brüning et von Schleicher, au vice-chancelier von Papen, à l'ancien ministre Hugenberg e t au vice-président du c Casque d'acier D, Dusterberg, qu'apparaissent avec le plus de hardiesse et de précision les thèmes de contre-offensive :

a Est-il vrai que l'incendie du Reichstag a été utilirf d fond par la direction nationale-socialiste pour surmonter toutes les dificultés gouvernementales qui s'étaient élevées, pour installer son autocratie, pour établir ce qu'elle appelle l> i Ztat totalitaire 1) ?

)) Est-il vrai qu'en janvier et février 1933 personne n'attendaa sérieusement qu'éclatât, sur l'initiative du Parti communiste, une insurrection immédiate et que cette légende n'a été répandue yu'~près l'incendie du Reichstag, pour justifier les mesures de force du gouuer- nement et les actes de violence des formations de S. A. et de S. S. l 2 2)

C'est ainsi que, sous la forme interrogative, Dimitrov réussit à développer le thème le plus audacieux, le plus dangereux, le plus décisif. C'est ainsi que, sans le nommer, il parvient peu à peu & traquer publiquement le fameux u Méphisto D de l'incendie.

Qui, en effet, avait intérêt ii faire diversion aux luttes internes du (( camp national 11, ti les résoudre en faveur des nazis, (( sauveurs de l'Allemagne r, à rompre l'unité d'action ouvrière, il justifier la campagne d'extermination engagée contre l'avant-garde commu- niste du prolétariat ?

Qui, sinon les h6n6ficiaires du coup d'gtat ? Qui, sinon la tyrannie brune totalitaire ? Qui, sinon Méphisto ?

Débusqué à ce point, Méphisto dut comparaître. Il ne comparut qu'A la barre des témoins. Et, pour l'y convier, les robes grenat en essuyèrent d'avance la poussière.

Ce Méphisto à double face (il s'appelait Goering et Gcebbels) fut donc invité à se prononcer sous serment sur les soupçons et les « diffamations o propagés contre lui B l'étranger, en particu- lier dans le Livre brun. C'était la mettre d'avance sous ses pas un tapis de fleurs.

Le génbral-ministre Gœnng était content de lui : n'était-ce pas un coup de maître ? Il allait pouvoir, devant cette presse étran-

4. Id. , p. 111-112.

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g?m, si accessible la propagande n judéo-bolchévik 9, modifier l'atmosphère, redresser les débats, faire le procès, le vrai procès, du Parti communiste et de la 111% Internationale. Il allait, à la face du monde, se présenter en gardien de la civilisation. Il allait remettre. à neuf, regonfler toutes les vessies crevées, ressusciter toute la mythologie endommagée par ce Dimitrov, toute la mytho- logie anticommuniste de la croisade prêchée contre la démocratie, sous le signe de la croix crochue. On allait voir un peu ...

E t voici ce qu'on voit : aussitôt son discours fini et le marxisme une fois de plus exterminé sous les murmures admiratifs de son auditoire, sous les regards serviles de son personnel en uniforme noir, brun ou grenat (étuis à revolver, face à main, croix gammée), en face de ce sous-produit à face humaine du vieux monde, de ce morphinomane adipeux et chamarré, sûr de lui, sûr de son équi- page armé jusqu'aux dents, de son appareil de violence bien astiqué, un homme se dresse.

Un homme pâle, amaigri, enfermé depuis neuf mois, la hache du bourreau suspendue sur sa nuque, un homme apparemment seul, qui, depuis six semaines, tient tête aux procureurs, aux avocats d'office, à la presse, aux témoins mouchards, aux juges ; qui, accusé, refuse le rôle et renverse le jeu, accuse les accusateurs.

Un vieux lutteur qui est un homme nouveau, qui, sans autre espoir que celui de servir sa classe, affronte, sur le sol ennemi, le régime ennemi, alors tout-puissant, ivre de son pouvoir, le régime dont la force extérieure, ostentatoire, masque la faiblesse et dont les parfums d'apparat cachent l'odeur de putréfaction.

Un débiteur qui s'affirme créancier et qui impose sa crbance, défie tranquillement en combat singulier ce général obése, représentant d'un moyen âge mal grimé, d'une décrépitude mal fardde, cet âne vêtu de la peau du lion et dont le coup de pied ne l'inti- mide pas.

Dimitrov, lui, représente la force réelle, « volcanique n, irrbsis- tible, du prolétariat universel, des peuples en marche, la vérité historique, l'avenir, la jeunesse du monde.

Le regard de Gering le toise de haut : Dimitrov soutient son regard. E t le regard de Dimitrov n'est plus soutenable : il semble traverser l'ennemi, puis l'ignorer, traverser les murs, les obstacles, pour ne e'arr8ter que sur les foules invisibles qui le voient, qui l'accueillent, qui s'en emparent.

La voix de Dimitrov, issue du silence comme celle de Beethoven,

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.-y 7 -- - C n r r -in- .

138 LA E ) I ! ~ ~ S E ACCUSE

cette voix sourde, lente, martelante, s'apprête, elle aussi, Q franchir l'espace.

De ce combat tragiquement inégal entre la violence qui s'étale et la force qui se contient, entre le maltre de l'heure et du lieu et son otage enohalné,. peut-on douter qui sortira vainqueur ? Gœring n'en doute pas : il attend le choc, le front haut, les jambes écartées.

E t voici la seconde émouvante, historique entre toutes, où l'on voit Dimitrov se lever, les traits calmes, une ombre d'ironie au coin des lèvres, prêt et maître de lui, engager l'attaque.

Les premieres questions crèvent les premiers mensonges, les premières vessies, et les clouent avec précision sur le garrot du général : son communiqué de presse révélant que Van der Lubbe arrêté portait une carte du Parti (la réponse de Gering est un aveu), son parti pris de ne pas rechercher les complices nazis de Lubbe A Henningsdorf. Au profit de qui ? (Cette fois, la réponse est une dérobade.)

Gering essaie encore de ne pas broncher. Mais Dimitrov, poussant l'avantage, ne le laisse plus reprendre

soufne. Méphisto, ayant incriminé la conception communiste du monde, s'entend demander :

« Monsieur le président du Conseil sait-il pue cette criminelle conception d u monde régit la sixième partie du globe ? »

Le président du Conseil commence à perdre son sang-froid, s'en prend au règlement des traites soviétiques.

« L' Union soviétique, le plus grand et le plus beau pays du monde. Est-ce connu ? D

Cette fois, c'en est trop : le ministre incendiaire s'oublie jusqu'à injurier l'accusé, jusqu'à lui promettre la potence devant ceux-là mêmes qu'il a commis à la besogne de I'y condamner.

E t le président d'intervenir, non pas pour rappeler le général- ministre & la pudeur, au respect de la justice ou, du moins, des apparences, mais pour imposer silence à l'insulté, pour interdire à Dimitrov de continuer sa propagande communiste !

Alors Dimitrov, plus que jamais vainqueur de soi, manie cour- toisement le fouet :

a J e sais très satisfait de la réponse de monsieur le président du Conseil. r,

Comme le president, affolé, lui retire la parole et se dispose & l'expulser, Dimitrov se domine, domine l'ennemi diminué et lente- ment enfonce le couteau entre les deux épaules de la brute :

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(t Vous avez donc peur de mes questions, monsieur le prdsident du Conseil 3 1)

Gering n'est plus qu'un général vaincu, un Qtat-major en déroute, un ballon dégonflé. 11 a perdu toute contenance : il sursaute, s'agite, écume, s'étrangle :

(( Hors d'ici, canaille 1 )t

L'âne a perdu sa peau de lion. On peut emmener le vainqueur. Son ombre, son image est encore là, présente, plus haute encore, faire craquer la salle, à l'échelle de ce qu'elle exprime.

E t Méphisto sort à son tour, humilié, amoindri, rapetissé, comme l'accusation, comme le tribunal. C'est le désastre.

La presse étrangère n'allait pas manquer de relever ce n manque de maîtrise a et ce a débordement affectif 1). (( Le témoin Gœring n'avait pas comparu pour témoigner, mais bien pour se défendre. r

Treize ans plus tard, cet incendiaire démasqué, l'un de ceux' dont la torche allait mettre le feu au monde, n'était plus même seulement un général vaincu : il était très officiellement l'accusé Gœring. E t j'ai pu le voir enfin à sa place naturelle, dans son box de criminel de guerre. Devant le Tribunal interallié de Nuremberg, qui l'a condamné à la potence. Avis ses émules !...

Deux jours après cette journée culminante de la bataille de Leipzig, le subtil Gcebbels tentera en vain de réparer les balour- dises de son rival et compère.

Dimitrov ira droit au but : il interrogera le ministre du mensonge et de la mise en scène sur les attentats et meurtres commis par les nationaux-socialistes.

Gcebbels, loin de se mettre en rage, essaiera de se tirer d'affaire par des citations pédantes, des grimaces et des pirouettes.

Malgré sa prétention de tenir tête ii celui qu'il baptise, en rica- nant, «petit agitateur communiste)), et malgré ses objurgations à la presse, il sera, à son tour, le vaincu de sa journée. Les rieurs eux- mêmes ne seront pas avec lui, et la presse étrangère, indocile, mal persuadée, lui signalera poliment qu'il e se trompe s'il s'imagine avoir apporté quelque chose de nouveau aux débats r.

Mais le mot de la fin, c'est Dimitrov qui le prononcera dans son discours final, en disant que MM. Gœring et Gœbbds auront fait ainsi la meilleure propagande communiste. Oh l bien involon- tairement et sans doute à leur insu :

Ces messieurs n'en sont en aucune façon responsables. dan ne saurait mieux dire.

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Nous avons examiné, dans son principe e t ses applications, la stratégie offensive de Dimitrov à l'égard de la police, du juge d'instruction, des procureurs, des avocats, de la presse, des témoins nazis, mouchards et ministres. Nous avons étudié* comment Dimi- trov a mis à nu publiquement tous les points faibles de l'ennemi, avec quelle clairvoyance et quel héroisrne tenace il a dkmasqué les provocateurs incendiaires.

II nous reste A illustrer de quelques exemples la stratégie de Dimitrov à l'égard du tribunal même.

(( Envers lui, ma tactique a été plus souple. Mais j'ai pu toujours conserver l'initiative prise dès le début. a

Nous savons déjà comment il avait pris et gardé cette initia- tive, en dépit des interruptions, refus de parole, expulsions et bri- mades dont il fut l'objet de la part d'un président aux abois.

En quoi Dimitrov, pour conserver la maîtrise des débats, s'est-il montré à la fois souple et ferme ?

Il s'est montré souple en ce sens qu'il ne s'est jamais départi de son sang-froid, mis pendant trois mois à rude épreuve, que son attitude est toujours demeurée calme, impeccable, sans violences verbales inutiles : ce qui lui permettait de tout dire, de pousser son qffensive politique en profondeur et d'atteindre tous ses objectifs, même les plus périlleux, sans jamais offrir il la répression, aux sanctions d'audience, le moindre prétexte qui eût pu paraftre plausible à l'opinion internationale.

a Pour Cbranler I'accusation, m'a-t-il dit, il ne faut pas faire uni- quement des discours politiques devant le tribunal et passer sous silence les détails de l'accusation. ))

Il m'a dit encore qu'a il faut faire aftention soigneusement à tous les détails de l'accusation et du procès, suivre tout, compter avec tout, utiliser toutes les possibilités que le procès peut offrir: des accusations concrètes doivent être combattues par des faits concrets, et tout cela doit être fait du point de vue et dans l'intérêt de la défense politique n.

e t re courageux et tout subordonner A la défense politique ne signifie pas qu'il faille prononcer des discours de meeting ou injurier les juges.

Méditons ces paroles instructives et riches de sens que j'ai notées au cours de mes entretiens avec Dimitrov :

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a Il faut avoir une attitude courageuse. Mais il est faux et stupide de ne proférer que des phrases communistes et d'insulter le tribunal ... a

C'est grâce à cette souplesse que Dimitrov a pu, jusqu'au bout, poser les questions les plus nécessaires, acculer les témoins, soit & l'aveu ou 2 la rbtractation, soit aux contradictions et aux mensonges maladroits, que la presse étrangère était obligée de reproduire et de commenter. Et lorsque, à partir du l e r décembre, le tribunal l'eut privé du droit de poser des questioris orales, il soumit au tribunal les questions qu'il avait rédigées par kcrit.

C'est grâce A cette souplesse que Dimitrov a pu révéler aux masses populaires comment, dans les conditions les plus dificiles, on peut et doit utiliser toutes les possibilités légales. Il l'a démontr6 par son propre exemple avant de le formuler dans son immortel rapport au V I P congrès de l'Internationale communiste.

C'est enfin grâce à cette souplesse qu'il a pu démontrer au monde entier que les abus d'autoritb, les brimades, les coups de force multipliés contre lui étaient autant de preuves non de la force, mais de lu faiblesse réelle de l'ennemi, particulièrement du tribunal, instrument judiciaire de l'ennemi.

Mais cette souplesse était alliée B une fermeté de granit, à une fermeté devenue légendaire à un tel ?oint que la légende, en la popularisant partout, l'a illuminée d une lumière crue, laissant quelque peu dans l'ombre les autres traits de cette figure où rien ne manque. !r Ses ripostes célbbres, ses déclarations Qcrites (qu'il a su nous conserver) témoignent de l'extraordinaire autorité qu'il avait su prendre et mesurent la force des positions qu'il avait su conquérir.

Montrons, par un ou deux exemples, avec quel à-propos et quelle efficacité Dimitrov a fait claquer, aux oreilles des juges, son ironie.

D'abord, cette leçon de modestie, d'humilité même, qu'il dédie ik la faune grenat e t brune dont il analyse les réflexes avec un œil de zoologiste.

a Je passe ma vie à étudier. le i encore, dans cette salle, j'apprends théooriquement et pratiquement beaucoup de choses, et, entre autres, ce qu'est la justice du troisième Reich ! a

C'est ce thème que Dimitrov devait développer (cette fois sans ironie) deux ans plus tard, devant le V I P congrès de l7Internatio- nale communiste, dans le discours de clôture qu'il a prononcb A la suite des debats qui ont suivi son rapport :

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Un tel- ennemi, a-8-2 dit en parlant du fascisme, il faut le connaître exactement et sous toutes ses faces ... Il ne faut avoir aucun scrupule A apprendre même chez l'ennemi, si cela nous aide à lui tordre le cou plus vite et plus sûrement 1.

Un autre exemple nous est fourni par la lettre, d'une admirable dignité, qu'il envoya au président le lendemain de l'audience d'oh il fut expulsé (c'était alors sa deuxième expulsion), pour s'être écrié qu'il n'était pas seulement l'accusé Dimitrov, mais qu'il était aussi le défenseur de l'accusé Dimitrov.

Aprés avoir rappelé que c'est par le fait du tribunal, qui lui a refusé tous les défenseurs de son choix, qu'il a été réduit à se défen- dre seul et donc à comparaître en sa double qualité d'accusé et de défenseur de soi-même, après avoir répété cette phrase qui vient de provoquer l'expulsion, il donne B son indignation une forme froidement sarcastique :

(( J'admets qu'à la fois comme accusé et comme défenseur de moi- méme je suis désagréable et gênant pour mes accusateurs et pour leurs commettants. Mais je n'y peux rien.

)) Le parquet a été assez imprudent pour me faire asseoir, moi, malgré ma complète innocence, au banc des accusés, devant le Tribu- nal d'Empire; vous devez maintenant payer les frais de votre impré- voyance. Vous avez préparé la sauce, il faut maintenant l'avaler. Que vous la trouviez bonne ou non, ce n'est pas mon affaire; ça ne m'in- téresse pas du tout.

1) Je pense comparaître devant v o w comme un accusé politique, non comme un soldat dans sa caserne ou en prisonnier de guerre dans son camp de concentration 2. ))

Puis il aborde un thème qu'il reprendra dans son discours final et qu'on pourrait formuler ainsi : n Notre meilleur propagandiste, c'est votre maladresse ! )) Et il conclut par un défi et un ulti- matum dont rien n'approche la hauteur :

(( J'ai le droit naturel de me défendre et de prendre une part active aux débats, comme accusé et comme défenseur de moi-même. I l est clair qu'aucune expulsion de vos audiences ne saurait, à cet égard, m'intimider. Ces expulsions, qui m'écartent précisément des audiences les plus importantes, constituent une violation évidente de mon droit

1. (J. DIMITROV : CEuvres choisies, p. 109 et suivantes. 2. Lettres, notes et documents, ouv. cit., p. 97.

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de défense; elles montreront simplement à l'univers que mes accusa- teurs eux-mêmes ne se stqtent pas tellement sûrs de leur affaire; elles ouvriront les yeux à beaucoup de ceux qui manquent de sens critique, et, par là, elles sont propres à donner à la propagande communiste un aliment nouveau.

u Si l'on continue d me traiter de cette façon insupportable, je dois dire franchement que je me verrai contraint de me demander s'il est vraiment encore utile pue je comparaisse plus longtemps devant le tribunal. Et peu m'importent les suites qui pourraient en résulter l. 1)

Cette mise en demeure porta si bien que, pendant un certain temps, les mesures d'expulsion ne furent pas renouvelées.

DÉCLARATION FINALE DE DIMITROV 2. LA DÉFENSE ACCUSE.

Après trois mois de lutte sur plusieurs fronts, le document auquel Dimitrov devait consacrer tout son soin, c'était naturelle- ment sa déclaration finale.

Nous avons dit plus haut l'importance primordiale que Lénine attachait A ces déclarations de principes, qu'il conseillait de préparer d'avance. Dimitrov nous a conservé ses notes prépara- toires.

Ce sont ces notes qu'il eut sous les yeux lorsqu'il dut exposer à l'improviste, avant la date prévue, cet inoubliable chef-d'œuvre de l'autodéfense révolutionnaire.

Analysons-les. Elles sont divisées en seize points. Les cinq premiers constituent l'entrée en matière :

1. Après avoir rappelé comment, malgré ses mises en demeure, les défenseurs qu'il avait choisis avaient été systématiquement écartés et comment il avait dû se défendre seul, Dimitrov déclare ne se sentir engagé en rien par la plaidoirie du Dr Teichert et ne reconnaître pour valables que ses propres déclarations. C'est ici que se situe la fameuse objurgation indirecte adressée A Torgler :

1. Id., p. 98. 2. Depuis que ce chapitre a été rédigé sur la base des notes de Dimitrov, un

livre a paru oii se trouve reconstituée intégralement l'inoubliable audience au cours de laquelle a éclaté ce plaidoyer final dont le texte apparaît tel qu'il fu t prononcé, avec les interruptions et les incidents qui l'ont haché e t écourté. Ce livre, dont nous ne saurions trop recommander la lecture, ce sont les CEuvres choisies de G. DIMITROV, prefacées par Maurice THOREZ (*ditions Sociales, Paris, 1952).

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a Je préfère ktie condamné à mort, innocent, pluGt que d'obtenir un acquittement grâce à des défenseurs tels que, par exemple, M. le Br Sack l. n

2. Dimitrov explique avec fierté la rudesse de son franc langage : a J'ai coutume d'appeler les choses par leur nom 2. a Ce qu'il défend, ce n'est pas un client, comme le ferait un avocat,

ce n'est pas sa propre personne : c'est son honneur de communiste. ( Je défends mes idées, mes convictions communistes. Je défends le

sens et le contenu de ma vie. C'est pourquoi chaque phrase que je prononce devant le tribunal est le sang de mon sang et la chair de ma chair 3. n

Ces paroles ne sont pas seulement admirables par leur excep- tionnelle dignité, par l'émotion qu'elles dégagent, mais aussi par l'énergie politique que, dès l'exorde, elles accumulent dans la dé- fense. Elles condamnent d'avance les interruptions du président ; les mots rudes que Dimitrov doit employer sont amplement justifiés par l'indignation que provoque en lui le fait qu'un crime anticommuniste soit inscrit au compte du communisme 4 u.

Et voilà l'atmosphère créée, le mot de la fin revendiqué haute- ment, non pour l'accusé, mais pour le communisme accusateur.

3. Les deux points suivants constituent l'exemple le plus achevé de cet alliage dimitrovien de force, d'habileté et d'ironie que nous avons étudié plus haut.

Pomquoi Dimitrov consent-il à prendre au sérieux la juridiction suprême qui prétend le juger ?

a On m'a souvent reproché de ne pas prendre au sérieux la plus haute juridiction allemande : c'est absolument inexact.

D 11 est vrai que, pour un communiste comme moi, la plus haute instance, c'est le programme de l'lnternationale communiste ; la pl us haute juridiction, c'est la Commission de contrble de l'lnternationale communiste.

a Mais, en *mawqualitd d'accusé, je dois considérer le Tribunal d'Empire comme une instance b prendre tout à fait au sérieux. r Non seulement parce que les membres de ce tribunal sont hautement qualifiés ', mais aussi parce qu'il constitue un rouage très important

i. Id., p. 130 et suiv., document no 37. 2. Id., p. 131. 3. Id., p. 131-132. 6. Id., p. 132. 5. Le président Bunger et ses assesseurs muets ont-ils senti la morsure de ce

coup de dent, la brûlure de ce coup de fouet irréprochablement correct, impla- cablement courtois ?

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Cette fois, ce n'est plus l'acte d9~ccusation du procureur'~arisius qu'il fouaille ; ce sont les a témoignages a de Méphisto :

e D'nprès moi, les discours de MM. Gering et Gebbels ont produit wrtainernent, eux aussi, des effets de propagande favorables aux communistes;. mais ces messieurs n'en sont en aucune façon responsu bles *.

5. C'est ici que Dimitrov va exposer cet autre thème que, deux ans plus tard, il développera dans son rapport au VIIe congres : u Nous ne sommes pas les partisans du nihilisme national. u Les communistes qui ne font rien pour rattacher la lutte de leur peuple ù ses traditions et d son pussd réoolutionnaire ... abandonnent volon- tairement aux falsificateurs fascistes tout ce qu'il y a de précieux dans le passi! historique de la nation, pour berner les masses popnluires 6.

Dimitrov, indifferent aux injures de la presse, lorsqu'elles visent sa personne, reléve hardiment celles qui visent le peuple de son pays, traité d'« enragé a et de r barbare a.

Ce qui est enragé et barbare, c'est le fascisme, et non pas seule- ment le fascisme bulgare, mais aussi le fascisme des autres pays 6.

de la puissance de l'État, de l'ordre social qui règne ici, parce qu'il est une instance qui peut, définitivement et sans recours, prononcer ta peine la plus élevée ? n

Admirez la richesse de sens, la concentration, la profondeur de ce langage, I'impeccable maîtrise de sa forme, I'impeccable maîtrise de soi, la sérénitd héroïque devant le mort, qu'avec tant de hauteur il exprime 21

4. Dimitrov reprend ensuite le thbme que nous avons dé@ souligné dans sa lettre du 12 octobre au président : u Qui est res- 1 ponsable de la propagande communiste suscitée par sa ddfense? a LB encore, la fierté du militant le dispute à I'ironie : i

!

P Que ma défense devant le Tribunal d'Empire obtienne, par 1 1

surcroît, un eflet de propagande, c'est possible. On peut aussi admettre pue mon attitude devant le tribunal puisse servir d'exemple ci un I

accusé communiste. Mais ce n'était pas là le dessein de ma défense 8. ~b i

1. On ne saurait plus adroitement caract4riser le tribunal comme un instru- ment de l'appareil d'gtat hitlérien 1

2. Id. , p. 132. 3. Id . , p. 133. 4, Id., p. 133. 5. Georges DIMITROV : CEuores choisies, p. 165. 6. G. DIMITROV : Lettres, notes et documents, p. 133.

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(( Dans quel pays, je vous le demande, les fascistes ne sont-ils ni des barbares ni des sauvages 2 ))

Peiit-on tenir plus fier langage en face de ceux-la qui, affublés de leur livrée brune sous la robe grenat, sont les dociles instru- ments du pire fascisme ?

Et Dimitrov prend la défense des ouvriers et paysans bulgares, du peuple bulgare ; il exalte sa lutte libératrice :

J e n'ai pas la moindre raison d'avoir honte d'être Bulgare. Je suis fier d'être un de la classe ouvrière bulgare, qui combat si vaillamment contre le fascisme et pour le cornmunisnel. r

6. Nous voici tout naturellement amenés au cœur de la défense politique, du plaidoyer qui, de plus en plus, se transforme en réquisitoire. Ce n'est plus l'accus8 Dimitrov, ce n'est plus même le défenseur de l'accusé Dimitrov qui parle : c'est le bulgare, allemand, universel; c'est la I l l e Internationale tout entière; c'est le communisme qui se campe en posture de riposte et qui, conscient de sa destinée historique, parle en maître, en vainqueur, et prend la plus glorieuse contre-ooensive, que désormais rien ne L

pourra contenir. Dimitrov s'attaque au mythe central, au sophisme sanglant,

sur lequel est fondée l'accusation, la provocation judiciaire, qu'il a déjA mise si mal en point !

L'incendie, fanal de l'insurrection, de la destruction du Reich, de la dictature prolétarienne ?

C'est la thèse du procureur gihéral Werner. E t Dimitrov de rappeler quelques précéde,nts fameux, parmi

lesquels l'assassinat, en France, du président de la République istère du mensonge Doumer, l'attentat de l'église de Sofia (que le mi?'

a osé imputer il Dimitrov !), les incendies allemands de Poméranie (dont il démasque les instigateurs capitalistes, avec leurs mobiles crapuleux).

Puis il énumére quelques faux, quelques falsifications que nous a transmis l'histoire : la (( lettre Zinoviev D de 1926 en Angleterre, les taux fabriqués en serie dans une officine de Russes blancs à Berlin, enfin la dépêche d'Ems, œuvre de Bismarck, à l'origine de la guerre de 1870 2.

1. id., p. 134. 2. Cette dernibre citation fit sursauter le prbsident,. qui interrompit Dimitrov

en disant que cela depassait les limites d'un debat judiciaire I

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LA BATAILLE DE L E P Z I G

7. Après Werner, Gering. Après l'accusateur, le Méphisto. Leur thèse commune est échafaudée sur l'afirmation gratuite qu'en février-mars 1933 les communistes étaient n forcés D d'entre- prendre quelque chose. n Alors ou jamais ! ))

Dimitrov deniolit d'un coup d'épaule cette « argumentation a si sordidement caractéristique du fascisme hitlhrien. D'abord, /

cette leçon hautaine : « Qui veut vraiment combattre un adversaire doit, au moins, bien le connaître l ! a

Puis il va brandir le drapeau du Parti communiste allemand. Ce Parti communiste allemand, interdit, réduit à l'illégalité, était-il perdu ? Loin de la. Il savait que bien d'autres Partis frères luttaient, eux aussi, dans l'illégalité la plus absolue. Il savait N que les bolchéviks russes, tout illégal et persécuté de façon sanglante qu'était leur Parti, n'en avaient pas moins organisé et accompli la Révolution victorieuse d'0cto bre 191 7 2.

r> Le Parti communiste allemand peut, lui aussi, préparer illégale- ment la réoolution prolétarienne et l'accomplir 3. ))

E t voici une autrdeçon pour ces nazis, exhibitionnistes de la force, une leçon qui a dû faire grincer ce faux colosse aux pieds d'argile :

a Les communistes n'ont heureusement pas la vue aussi courte que leurs adversaires ! Et, même dans les situations les plus difficiles, ils ne perdent pas le contrôle de leurs nerfs 4 / n

Maintenant, c'est le drapeau de l'Internationale communiste que Dimitrov fait flotter dans la salle d'audience, an milieu d'un auditoire hostile, atterré :

a Qu'est-ce au juste que l'internationale communiste ? 1) Un Parti universel, avec des millions de membres et de partisans. a Sa première, sa plus grande section, c'est un parti gouvernant

qui dirige le plus grand pays du monde. .P Un tel Parti mondial ne joue pas avec les mots et les actes. n Un tel Parti ne peut pas dire oficiellernent telle ou telle chose à

ses millions d'adhérents et, en même temps, mais en secret, faire le contraire.

a Un tel Parti ne tient pas une comptabilité en partie double. r Et ce Parti, qui compte des millions de membres, a publié, en

flvrier 1933, un appel aux communistes allemands ... 1. Id., p. 137. 2. Id. , p. 137. 3. Id., p. 138. 4. Id., p. 137,

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a Travail de masses, lutte de masses, résistance de masses, front unique, pas d'aventure l l B

Jamais pareille glorification du drapeau rouge orné de la faucille , et du marteau n'avait résonné dans une citadelle ennemie, n'avait

retenti plus haut et plus loin à travers l'espace. Tous les peuples du monde, frémissants d'émotion, l'ont entendue.

8. Et Dimitrov s'efforce alors de pousser l'offensive jusqu98 son terme : après avoir constaté l'effondrement de la légende (« incen- die allumé par les communistes D, n incendie, fanal de l'insurrec- tion))), il va démontrer, avec unelogique de fer, que l'incendie a pour- tant constitué un signal: le signal d' (( une grande campagne oisant à l'anéantissement des travailleurs et de leur avant-garde, le Parti communiste allemand 1).

9. La question-clef : « Qui avait intérêt ? Q u i avait besoin de l 'kcendie d u Reichstag tt la fin de février ? u

Analyse de la situation à cette époque. Analyse profonde, analyse marxiste-léniniste. Ici encore, tout doit être cité :

(( a ) Luttes intestines dans le « camp national 1). Les nationazx- socialistes seuls a u pouvoir ou la (( coalition hationale u (domination de Thysssn- Krupp) .

1) 6) Mouvement de front unique chez les travailleurs, pour la résistance à la dictature fasciste. Wels, Leipart, Seoering, Braun sont de plus en plus délaissds par les ouvriers sociaux-démocrates. Croissance gigantesque de l ' in flicence d u Parti communiste allerna~zd.

3 La direction nationale-socialiste avait besoin : » a) D'une manœuvre de diversion liée d ses dijîcaltés intérieures,

d'un moyen pour établir son hégémonie au sein d u camp national. 1) b) De la rupture du front unique naissant chez les travailleurs. P C) D'an motif qui s'imposât pour une persécution massive du

Parti communiste et de tout le mouvement ouvrier. n d) D'une preuve pour démontrer que les nationaux-socialistes

sont les sauveurs de L'Allemagne, en jace d u danger bolchkoik et communiste 4. 1)

10. E t Dimitrov attaque la ligne de repli de l'accusation. Il s'en prend à l'équivoque maladroitement créée autour du personnage de Faust-Van der Lubbe. Nouveau point faible qu'il met publiquement

1. Id., p. 138. 2. Id., p. 139.

1 3. id., p. 139. 4. Id., p. 140.

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LA BATAILLE DE LEIPZIG

B nu avant d'y porter le coup de grâce : (( Lubbe n'a pas dté seul. B Parisius: K De la réponse à cette question dépend le sort des

autres accusés ! n n Non, mille fois non! La salle des sdances a. été incendiée par

d'autres personnes. L'incendie allumé par Lubbe et le feu mis à la salle des séances ne coïncident que dans le temps; mais ils sont fon- damentalement ditférents. Le plus vraisemblable, c'est que Lubbe est un instrument inconscient, dont ces personnes ont abusé; mais Lubbe n'est pas un communiste.

n I l est un prolétaire déclassé en révolte. Et c'est ainsi iue l'alliance clandestine de la folie politique et de la provocation politique a produit 1' incendie du Reichstag.

r Celu i qui, dans l'alliance, représente la folie politique est assis au banc des accusés; mais les alliés qui assumaient la provocation politique ont disparu. Le pitoyable Faust est là, mais le rusé Méphista manque. 1)

11. E t maintenant l'autre question-clef : a Pourquoi Z a Comment est-il advenu pue des communistes innocents aient 8 é

accusés d'être les incendiaires ? Je laisse parler les faits l ! r Effectivement, Dimitrov aborde un à un les faits concrets que

l'instruction et les débats ont apportés, les textes qui émanent de l'ennemi lui-même ; il les interroge, ils répondent : par exemple, la déclaration de G ~ r i n g au lendemain de l'incendie, la carte du Parti saisie sur Lubbe, le refus de rechercher les compagnons nocturnes de Lubbe, le mystère soigneusement entretenu sur l'identité du « particulier qui a apporté la première nouvelle de l'incendie au corps de garde de Brandebourg a 2.

u Stratégie totalement erronée de l'enquête. On cherche les ineen- diaires 0.5 l'on ne peut les trouver. Comme complices de Lubbe, il faut d tout prix trouver des communistes!

)) De tout cela, la principale responsabilité incombe & Gœring Lui-même 3. 1)

12. Avant de retracer le « cercle diabolique des témoins A charge i ) , Dimitrov désarticule ironiquement le mécanisme ' de l'enquête e t les mobiles des accusateurs, qui a se sont fait la tâche assez simple n.

ri Les fonctionnaires de la commission de l'incendie se sont dit : les

1. Id., p. 141. 2. Id . , p. $42. 3. Id., p. 142.

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150 LA DÉFENSE ACCUSE

~kri tables complices font d4faut: il faut donc en d e r d'autres d leur place ; et, d'après la ligne suioie, ce sont des communistes qu i devront être les incendiaires de rechange! L a nature a horreur d a vide 1 !

Puis il fait défiler le cortège, en circuit bien fermh, des (( témoins d6cisifs n. 13. Dimitrov, & ce point de son offensive, se recueille ; il élbve

le débat pour enseigner les travailleurs allemands, pour marquer les fautes de leurs chefs sociaux-démocrates.

Après avoir cité Goethe, il commente, à l'usage des masses qui l'écoutent, le fameux dilemme du grand poète :

a Oui, qui ne veut pas être l'enclume doit être le marteau. o Cette vérité, les ouvriers allemands, dans leur ensemble, ne l'ont

pas comprise en 1918, pas davantage en 1923, ni non plus e n juillet 1932. Les chefs sociaux-démocrates en sont responsables. A u jourd'hui, les traoailleu.rs allemands peuvent bien le comprendre 2. n

14. Désormais, Dimitrov, proche du but, n'a plus besoin de modérer les coups de botte qu'il administre à « ses juges B. 11 piétine si bien les règles du jeu et leurs gardiens assermentés que ceux-ci, encore une fois, l'empêchent d'achever. Reportons-nous aux notes qui, elles, ne sont pas coupées.

n Je ne voudrais pas faire de peine a u x magistrats supérieurs qu i me jugent; mais je dois dire e n toute franchise que je crois aussi peu e n l'aveugle Thémis qu'en l'existence d 'un dieu D

p 15. E t voici la péroraison (mais ce terme est trop déplaisant pour être applicable à une Bloquence qui est aux antipodes de la rhétorique), voici la digne conclusion du discours politique le plus puissant qui, depuis la plaidoirie de Karl Marx à Cologne en 1849, ait jamais été entendu dans une salle d'audience et, au dela de ses murs, par les opprimés des deux continente.

Ce finale est d'une telle résonance, d'une telle envolée, qu'il révèle, en coexistence avec le Dimitrov lutteur, le Dimitrov héros, le Dimitrov dialecticien, le Dimitrov satirique, le Dimitrov ana- lyste et le Dimitrov psychologue, un Dimitrov grand poète.

C'est ici qu'il évoque, sans aucune emphase, avec une grandeur simple, cet ancêtre spirituel des mart rs de l'idée claire, de la vérité : Galilée devant les inquisiteurs. &est ici qu'il reprend B son

1. Id.,"p. 142. 2. Id . , p. 143. 3. Id., p. 143-148,

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compte l'inoubliable cri de la conviction scientifique tyrannisée, confiante en son destin.

a Quand même et malgré tout, la terre tourne ! n Dimitrov adopte ce cri, comme il avait fait siens, dans sa cel-

lule, les trois vers de Hamlet, comme il avait fait sien, dans son même discours final, le vers de Gœthe. Il l'adopte, il l'adapte, il I'actualise, il le transforme en cri d'espoir, de joie, en cri de victoire communiste.

C'est ici la roue de l'histoire qui tourne en dépit des juges de Dimitrov. Elle tourne ; elle continuera de tpurner ; qu'elle nous écrase en 'passant, elle n'en tourne pas moins vers le triomphe des travailleurs, vers 1' « Octobre mondial n ; et cette vérité, elle aussi, deviendra (( le bien commun de l'humanité entière a.

Nous les communistes, non moins résolument que le vieux Galilée, nous pouvons dire: Et pourtant elle tourne! Elle tourne, la roue de l'histoire ; elle tourne en avant, vers une Europe soviétique, vers une Union mondiale des Républiques soviétiques.

1) Et cette roue que pousse le prolétariat, sons la conduite de l'ln- ternationale communiste, nulle mesure d'extermination, nulle peine de travaux forcés, nulle peine de mort ne l'arrêteront. Elle tourne et tournera jusqu'à la victoire définitive du communisme 3. o

Mais la victoire immédiate est-elle bien acquise ? Sans doute auprès des masses. Pourtant, un Dimitrov ne se

tient pas pour satisfait d'un acquittement (( faute de preuves o. Or c'est ce que propose le procureur.

Dimitrov se présente en créancier, non pas en débiteur. Il veut. faire valoir, froidement cette fois e t juridiquement, sa créance et Pa créance de ses coaccusés.

e Nous les Bulgares, de méme que Torgler, devons être acquittés, non pas à cause de l'insuffisance des preuves, mais parce qu'en notre qualité de communistes nous n'avons rien eu et ne pouvions rien avoir Ù faire avec cet acte anticommuniste 4. a

3 . Id . , p. 146, 2. Id . , p. 146. 3. Id., p. 146. C'est A cet instant que le prbsident Bünger, qui s'était déjà levé,

rêt à sortir, dès lyévocation des mots historiques de Galilée, retire définitivement parole A Dimitrov, que les Schupos empoignent et forcent B se rasseoir. Les

paroles qui suivent et que nous extrayons des notes de Dimitrov n'ont donc pas Bté prononcées : ce sont celles que le tribunal a fuies: 4. Jd., p. 146-143

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Il exige des comptes : n Je propose : 1. Que Ee Tribunal d'Empire reconnaisse notre innocence et

I'injust ice de l'accusation. 2. Que Van der Lubbe soit considérk comme un instrument dont

les ennemis de la classe ouvrière ont abus&. 3. Que les comptes soient demandés d ceux qui sont coupables de

cette aecusat ion znjust i fiée. 4. Que ces responsables soient condamnés à des dommages-

intérêts envers nous, pour le temps et la santé qu'ils nous ont fait perdre, ainsi que pour les soufirances qu'ils nous ont fait endurer l. B

Et, pour finir, un rappel, une réplique, mais B présent sur le mode sec, tranchant, p&emptoire, de sa mise en demeure et de sa prkdiction sur la roue de l'histoire :

(( Un temps. viendra où ces rdclamations seront réglées avec leurs intérêts 2. a -

On sait que, lorsque, le 23 décembre, le tribunal eut prononcé la sentence d'acquittement, fondée, en de longs attendus, sur 1' a insuffisance des preuves s, Dimitrov, indigné, demanda vai- nement la parole pour juger à son tour le ju ! ement de ses juges. Mais ceux-ci s'enfuirent de la salle. Relisez es notes que Dimi- trov avait fiévreusement prises pendant la lecture des motifs et selon lesquelles il espérait pouvoir encore parler 3.

Il y compare le parquet, le tribunal, (( une mère qui a fait une fausse couche B. E t il présente le jugement comme un a essai malheureux de résoudre ce problème insoluble: rassasier le loup sans que soit dévoré l'agneau a. Mais le loup hitlérien, le Méphisto n'écha peront pas à leur sort de traltres.

@eE accents eût trouvé Dimitrov pour leur dire, au mépris de sa vie, de quel côté avait été commise la trahison 1

a Haute trahzson 3 Non I Trahison du peuple, c'est-à-dire trahison envers le peuple allemand!

4. Id., p. 147. S. Id., p. 147. 8. Id., p. 1 4 8 e t suiv., document no 38. 4. Id., p. 149. 5. Id*, p. i 4 &

47. 47.

3. la.. D. 1 4 8 e t suiv., document no 38. 49. L4&

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P Dictature fasciste - Dictature du capital de Thyssen et de Krupp1 !

j~ Le décèlement et la condamnation des auteurs, des inspirateurs cachés. du Méphisto, restent réservés au tribunal de la dictature

du p-rolétaria~ Y.

Telle est la prophétie terrible que ces gens ont eu peur d'en- tendre 1

Qui ne se souvient encore de la joie qui accueillit dans le monde entier la nouvelle de l'acquittement ? E t qui ne se souvieqt de la colère et de l'angoisse qui nous envahirent tous lorsque la presse nous annonça que les quatre acquittés, loin d'être libbrés, étaient l'objet d'une mesure de n détention protectrice B.

Cette angoisse s'aggrava lorsque les trois Bulgares furent trans- feres à Berlin, dans la prison souterraine de la Gestapo, et que les brimades recommencèrent.

Dimitrov, isolé, malade, reprit le combat, bombarda de lettres le préfet de police de Leipzig et le ministre de l'Intérieur ; ces lettres sont des modèles de fermeté, de maîtrise de soi : dans la dernière, datée du 7 février 1934 (un mois e t demi après la sentence), il exige son expulsion très prochaine vers 1'U. R. S. S. ou un autre pays limitrophe de l'Allemagne et, pour le cas où il ne serait pas fait droit à sa demande, il affirme son intention de faire la grève de la faim :

a Plutôt une fin horrible qu'une horreur sans fin. Voici exactement onze mois que je subis cette affreuse détention a

Huit jours après, le gouvernement de 1'U. R. S. S. admettait les trois Bulgares à la citoyenneté soviétique. Douze jours plus tard, c'était la libération! Une libération si précipitée que, dans son désarroi, l'administration pénitentiaire oublia de dater l'ordre d'expulsion, oublia de visiter les bagages : grâce à quoi Dimitrov pu+ emporter tous les documents qu'il avait eu soin de conserver.

Quelques mois plus tard, à Moscou, je me suis entretenu lon- guement avec lui. Et ce sont ses rdponses A mes questions qui m'ont inspiré l'idée de ce livre.

On sait comment, pendant la seconde guerre mondiale, où sa malheureuse patrie fut encore sacrifibe par la dynastie allemande

1. Id., p. 150. 2. Id., p. 148. 3. Id., p. 15 et suiv., document ne 48.

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dee Cobourg aux exigences de l'agresseur, il est devenu l'apôtre de la Résistance bulgare, jusqu'à l'insurrection triomphale de septembre 1944 ( 2 P anniversaire de l'insurrection vaincue).

Je l'ai revu, en avril 1947, B la tête d'un peuple admirable, qui v6nère en lui le symbole vivant de sa libération e t le pilote sans repos de son acheminement vers le socialisme. Ses traits beetho- vkniens, tirés par l'insomnie, étaient adoucis par la moustache bulgare. Mais son regard n'avait pas changé. Le regard de Leipzig. Ce regard, je l'ai senti peser sur moi, sur nous autres de France, E t nous nous sommes étreints ...

Hélas I Dimitrov, usé prématurément par ses Bpreuves et ses fatigues, allait être arraché par la mort à l'amour de son peuple et de ses innombrables amis groupés dans le camp de la paix. Son mausolée est érigd à Sofia, mais son image multipliée vit dans des centaines de millions de cœurs. E t son enseignement est impérissable.

Nous avons essayé d7Qvoquer en Dimitrov le militant exem- plaire, le chef communiste tel qu'il doit être et tel qu'il est lors- qu'il tombe entre les mains de l'ennemi ; nous avons essayé de montrer 17incomparable héros et le puissant dialecticien marxiste- léniniste, isolé du monde extérieur, seul, vainqueur de soi-même ,et tenant tête à tous, policiers, geôliers, procureurs, juges, défen- seurs d'o%ce, témoins, mouchards, ministres, journalistes.

Si seul apparemment qu'il a dû lutter pour et même contre ceux dont il pouvait escompter l'appui, ses camarades coaccusés, hélas ! défaillants.

Seul ? Vraiment seul 3 Non. Le moment est venu de dire qu'en vérité Dimitrov d a

pas été seul, qu'il a su ne pas être seul, qu'il a su vaincre aussi la solitude.

De même qu'il avait su rompre les anneaux de fer qui enchai- naient ses mains, de même qu'il sut rompre le n cercle diabolique n des témoins B charge avant de le refermer sur le Méphisto qui l'avait forgé, de même il réussit à rompre le cercle de silence, d'isolement et de mensonge oc l'ennemi croyait le tenir captif. b Et, s'il g parvint, ce fut précisément par sa dialectique et son héroïsme.

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Devant lui, derriére lui, autour de lui, ar-dessus le crâne obtus P de ses juges, par delà les régisseurs de a Propagande, par delé l'auditoire hostile et consternb, il sut se faire entendre de son véritable auditoire, invisible, mais présent, mais innombrable.

Il sut forcer l'audience des millions de travailleurs allemands et non allemands, l'audience de tous les peuples.

11 sut, malgré les rigueurs du secret, malgré les efforts du pré- sident et des hommes en uniforme commis à sa garde, transfor- mer son banc d'accusé non seulement en siège d'accusateur, mais en tribune. E t quelle tribune ! La plus haute qui jamais ait été Qrigée en pleine citadelle ennemie.

Il sut mobiliser les peuples à l'appel de sa grande voix, de sa voix sourde et saccadée, qui allait traverser les murs, traverser les mers et les continents.-

E t sans cette mobilisation - Dimitrov l'a dit à la presse sovié- tique et étrangère, dès son arrivée à Moscou, le 27 février 1934 - (( nous ne serions certainement pas ici à vous parler. Et le fascisme allemand n'aurait pas renoncé à nous anéantir moralement et phy- siquement l o.

(c Jesavais, m'a-t-il confirmé plus tard, que, s'il existait une possi- bilité de nous sauver, elle ne pouvait résulter que de notre lutte coura- geuse, conséquente et bolchévik devant le tribunal, cette lutte étant liée à la grande vague de mécontentement que les provocations soulève- raient en Allemagne et à l'étranger.

» Hême du point de vue personnel, la défense politique et révo- lntionnaire est la plus juste. r, Le procès de Leipzig a mis en relief le résultat des deux méthodes, celle de Dimitrov et celle de Torgler.

(( Torgler, m'a rappelé Dimitrov, croyait pouvoir se sauver plus facilement et se préparer a n destin moins dur en choisissant u n défen- seur nazi et une défense non politique. Le résultat, c'est qu'il est encore e n prison et que, moi , je suis libre. u

Telle fut, dans ses grandes lignes, la stratégie de Dimitrov. Il eut le génie de la concevoir et le caractère de l'appliquer inflexi- blement.

i. Id., p. 165.

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a 11 ne suffit pas de savoir ce qu'il faut faire, il faut aussi avoir le courage de l'accomplir l. ))

Et cette stratégie n'eut pas seulement pour conséquence la libé- ration de Dimitrov et de ses deux camarades bulgares.

Elle produisit tous les effets politiques que Dimitrov en atten- dait, et sans doute les effets ont-ils dépassé son attente. Même aujourd'hui, il est encore dificile de les mesurer.

Tout d'abord, les objectifs de provocation que se proposait le gouvernement hitlérien, comme incendiaire et comme accusateur, U

n'ont pas été atteints : Les provocateurs de l'incendie et du procès n'ont pas été dis-

culpés ; bien au contraire, les véritables incendiaires ont été démas- qués, condamnés, déshonorés, et le procès destiné à les couvrir a, e conformément a u x lois de la - dialectique,... - tourné e n son propre - -

contraire r, à leur propre confusion. La terreur intimidatrice et exterminatrice appliquée par la dic-

tature nazie contre le prolétariat révolutionnaire, contre le libéra- lisme bourgeois, contre la culture et la science, contre les défenseurs de la liberté et de la paix, n'a pas été « justifi6er. C'est contre la pro- vocation, contre la terreur brune, que le véritable tribunal, celui de l'opinion universelle, s'est prononcé. Ce tribunal a consacré les ~ a r o l e s terribles que les juges de Leipzig en fuite n'ont pas voulu entendre :

« Dictature du capital de Thyssen et de Krupp !... Trahison envers le peztple allemand 3! r

La fiction du fascisme hitlérien vainqueur du marxisme, sau- veur de la civilisation occidentale et candidat à la direction de la croisade anticommuniste, a été une première fois discréditée. Le marxisme enterré chaque jour est un cadavre que, sans doute, on ne tue jamais assez. La preuve, c'est que ce dragon mal tu6 a bel et bien terrassé son saint Georges armé jusqu'aux dents. Et, en le terrassant, il lui a arraché son heaume, son masque de fer ; il a mis à nu le visage immonde, taché de sang, décomposé de haine, le visage de la piste brune.

3 . Préface de Dimltrov à une biographie de Thælmann, dont un extrait est reproduit dans les Lettres, notes et documents, p. 184, document no 53.

2. Lettres, notes et documents, p. $66.

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Par contre, si la peste brune et son Gcering n'ont pu réaliser leur plan, les objectifs du grand (( soldat de l'Internationale D

ont été atteints. Dans ce conflit qui a opposé deux mondes, c'est celui des incen-

diaires du Reichstag, des incendiaires de bibliothèques, des incen- diaires de l'Espagne, des incendiaires de la civilisation, qui, sur son propre territoire, a perdu la partie, reculé en désordre et montré sa faiblesse.

La bataille de Leipzig s'est terminée par le premier échec sérieux de ce régime. Le géant au pied d'argile a chancelé.

La nuit sanglante du 30 juin l, après Leipzig, a révélé au monde cette précarité que Dimitrov allait proclamer un an plus tard à la tribune du VI I e congrès de l'Internationale communiste. Nul plus que lui n'était qualifié pour poser les données de ce théorème que, par son propre exemple et en jouant sa vie, il avait déjà résolu!

Ce n'est pas en vain que Dimitrov a su se faire entendre des millions de travailleurs communistes, socialistes, sans parti, d'Allemagne et des autres pays. Ce n'est pas en vain que, pendant trois mois, les masses opprimées, asservies, traquées par le fascisme, ont Bcouté cette grande voix qui était leur voix, qui exprimait leur révolte, réveillait leur confiance, leur espoir de vaincre, exaltait leur fierté. La voix même de leur destin.

Cette voix dénonciatrice dominait leur oppresseur, confondait leur tortionnaire.

Elle révélait aux ouvriers sociaux-démocrates, aux petits bour- geois républicains eux-mêmes, les erreurs de leurs chefs, les causes de leur défaite, A tous les travailleurs, elle faisait connaître, en même temps que l'innocence des accusés et du Parti calomnié de Thælmann, la politique véritable, juste, unitaire, du communisme international.

Elle annonçait la victoire possible : (( Mon intention était de montrer aux masses opprimées dans les

prisons, dans les camps de concentration, dans les usines, etc., à ces masses qui oivaient dans un certain état de dépression, une étincelle de courage révolutionnaire.

» Je voulais leur montres Bar l'exemple qu'il n'est pas du tout si temible que cela de lutter contre le fascisme. »

1. Nuit du 30 juin 1934: règlement de comptes sanglant entre nazis, au coiirs duquel Hitler a abattu de sa main Rœhrn, chef des S. A. (sections d'assaut).

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Et c'est ainsi que, neuf années avant Stalingrad, onze annees avant que la bête fût forcée dans son repaire et que le drapeau libérateur flottât sur les ruines du Reichstag, tous les peuples, cour- bés ou non sous le joug du fascisme, ont appris que le fascisme n'est pas invincible, qu'il est vulnérable, qu'il suffit qu'on le frappe au défaut de sa cuirasse.

11s ont appris à distinguer la ligne juste de la ligne fausse et la voie qui conduit h la libération de celle qui conduit Q la servitude. A Torgler, ils ont opposé Dimitrov.

Et , bientôt, des centaines de combattants allaient suivre l'exemple décisif et, rivalisant d'intrbpidité, se montrer les disciples, les émules du maftre.

Mais cette victoire possible, quelle en est la condition ? C'est encore notre grand combattant stalinien qui, par ses actes,

l'a montrée : l'unité d'action des masses travailleuses, dont il s'est fait l'initiateur et le symbole vivant, un an avant d'en devenir le théoricien.

C'est lui qui, dans la forteresse ennemie, a fait appel aux tra- vailleurs des deux Partis prolétariens ; c'est lui qui, en plein cœur de cette Allemagne hitlérienne où la classe ouvriére avait été défaite par sa propre division, par son isolement, par la politique de capitulation de la social-démocratie, a eu l'initiative e t la har- diesse de défendre non seulement le glorieux Parti communiste et les ouvriers communistes, mais aussi les ouvriers sociaux-démo- crates et jusqu'à leur Parti. E t les nazis ne s'y sont pas trompés.

a On pourra constater, m'a rappelé Dimitrov, si l'on suit avec attention mon attitude en face du tribunal, que je n'ai pas défendu seulement les ouvriers communistes et le Parti communiste, mais égal lement les ouvriers sociaux-dernosrates et, dans une certaine mesme, le Parti social-démocrate.

1) J'ai fait cela parce que c'était politiquement juste. Je savais que c'était, du point de vue tactique, nécessaire, parce que ce fait contri- buerait à Ils lutte commune des travailleurs communistes et socis- listes contre le fasoisrne, aussi bien en Allemagne qu'A l'étranger.

a C'est pour cette raison que j'ai aussi posé la question devant Gering et surtout devant Gœbbels. Et celu,i-ci m'a dit devant le tribunal: a Je comprends: vous voulez prendre, devant la cour, non seulement la défense du Parti communiste, mais aussi la défense du Parti social-démocrate. D

Ainsi, avant de mettre son autoritb, son prestige, son expérience

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aü serYice de cette politique largement unitaii.8 et d'en poser les fondements dans ses trois discours d'août 1935 l, Dimitrov l'avait appliquée à Leipzig. Il l'avait tris consciemment voulue et préparée.

E t les travailleurs encore divisés l'ont compris. Ils ont compris que, pour vaincre, il leur faut s'unir.

Leur propre expérience leur a montré qu'unis ils &aient assez forts pour se faire, eux aussi, entendre et craindre. Assez d'abord pour arracher quatre victimes au bourreau. Tel est l'enseignement salutaire que désormais ils n'allaient plus oublier.

Dimitrov libre ! Lihéré par eux 1 Jamais encore, nulle part au monde, ils n'avaient pris ce point conscience de leur force, fille de leur union 1

Pour la première fois depuis bien longtemps, ouvriers commu- nistes, socialistes, inorganisés, rassemblés coude à coude, clamaient en commun leur enthousiasme, leur colère. L'impulsion était donnée. E t ce n'est pas par hasard qu'en France, pendant ce mois historique de février, qui devait finir sur la libération des trois Bulgares, les travailleurs des deux Partis devaient, en ran s serrés, dans les rues de Paris, s'unir contre l'assaut fasciste et fe faire reculer. Fraternité d'armes qui allait produire le pacte d'unité d'action, l'unité syndicale et le Front populaire.

La encore, on peut dire de Dimitrov qu'avant de donner la formule il avait donné la preuve.

1. Les lire et les relire dans les Euvres choisies de G. DIMITROV, ouvrage cité, p. 37 e t suivantes.

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DISCIPLES ET MULES

DE THBLMANN A PRESTES

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DANS L'ALLEMAGNE DE THXLMANN

... 11 serait ridicule d'identifier la clique de Hitler avec le peuple allemand.

STALINE, 23 février 1942.

Quoi qu'il advienne, nous sommes les vainqueurs de demain!

Fiete SCHULTZE.

Militant j'ai vécu, militant je mourrai, criant une dernière fois : Vive le communisme J

Edgar ANDRB.

ES vaincus de Leipzig, ce n'étaient pas seulement les incen- diaires, mais, pour un temps, leur vocation européenne et ses mythes. Notamment, 1'8rection de la croix gammée

en emblème de ralliement pour la croisade contre le n péril rouge n. Saint Georges avait été désarçonné par le dragon. Un champion ne doit pas être vu dans cette posture, surtout par ceux A qui il offre ses services d'aventurier travesti en prévôt.

Toutefois, la dictature hitlérienne allait tirer la leçon de sa défaite. A coups de fouet, à coups de hache, ies tortionnaires des camps et des sous-sols furent chargés d'une besogne plus silen- cieuse. Plus de proces & grand spectacle qui tournent à la confusion du metteur en scène : l'étouffoir du huis clos devient la règle. Comme il est bon de se prémunir contre les préju és profession- nels des magistrats, fussent-ils rampants, on crée d es cours mar- tiales comp&ées de créatures et de soudards : on les baptise, par antiphrase, « tribunaux du peuple D. Une « défense 1) bien stylée, standardisée : la servilité de l'avocat devient la condition de son accès A la barre, de sa liberté, de sa vie. Les comptes rendus de presse sont remplacés par les communiqués de la Propagande, c'est-&-dire par le mensonge rationalis& ou par rien : le mutisme.

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ACCUSE

On peut ainsi calomnier, humilier, condamner tranquillement. C'est la sécurité de l'agresseur.

L'objectif : préparer l'aventure extérieure, pour regonfler les fictions de la croisade et remettre en selle les porteurs de torches, en finir avec l'Allemagne de l'antifascisme et de la paix. A cet effet, discréditer publiquement, pour la détruire sans bruit, son avant- garde, le Parti de Thælmann, la frapper dans son chef emmuré et dans ses meilleurs porte-parole.

Mais l'exemple de Dimitrov et des deux Liebknecht reste vivant au cceur de leurs disciples. Comme Dimitrov, Thælmann lui-même a su faire connaitre au monde les traitements dont il a été victime. Lorsque, en juin 1934, une délégation de travailleurs sarrois par- vient a le voir, reconnaissant en eux des messagers authentiques du prolétariat mondial, il leur crie, avant d'être entraîné par les gardiens : Camarades, on me torture ! u E t sa vie est encore protégée par la vigilance internationale. Son procbs, huit fois fixé, est ajourné huit fois. Il n'aura pas lieu. Il ne sera assassiné par ses bourreaux (au camp de Buchenwald) que quelques mois avant leur dbbâcle, avant la libération des peuples.

Il ne se faisait aucune illusion sur son sort : dans une lettre admirable qu'en janvier 1944 il adressait Zi un compagnon de captivité, il Bcrivait que le régime ne reculerait devant rien. u Pour en finir d temps avec Thælmann. n Il disait : e J e ne suis pas un homme de nulle part ... J e suis la chair de la chair de la classe ouvrière allemande. 11 Il annonçait n le printemps socialiste des peuples a. Et, sûr de la r victoire définitzve du socialisme authentique a, il recommandait la fermeté ses compagnons de lutte survivants, a car être un soldat de la révolution signifie garder une fidélité inal- tirable d la cause, une fidélité qui résiste à l'épreuve de la vie et de la mort ... n

Dans cette Allemagne, de plus en plus décimée, de Thælmann et de la paix, des militants ont su lutter, souffrir et mourir le front haut : des dimitroviens tels qu'Auguste Lüttgens, Rudolph Klaus, Toni Waibel, Fiete Schultze, le magnifique Edgar André.

Les derniers mots d'Albert Kuntz devant la cour d'assises de Berlin-Moabit, en juin 1934 :

a Tant qu'il y aura en moi un souffle, communiste, rien ne m9emp&- ehera de l'être, et vous aurez beau n e frapper à mort, vous n'y pourrez rien changer. u

Aucun supplice n'eut raison de la résistance de Rudolph Klaus,

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grand mutilé de guerre, condamné A mort le 17 décembre 1935

P Our le simple crime d'être resté fidèle à son Parti. Si bien que ses luges, dans l'exposé des motifs, ont osé écrire :

« Par ses actes et pendant ses détentions précédentes, l'accusé a montré qu'on ne peut espérer le corriger de ses idées politiques. C'est pourquoi le tribunal ne peut appliquer aucune autre peine que la p i n e suprême et prononce un verdict de mort. »

C'est lui qui, lorsqu'un procureur lui avait demandé s'il n'avait rien à ajouter pour sa défense, avait répondu :

(( C'est un assassinat politique. C'est un acte de justice de classe. Le prolétariat me vengera. 1)

Devant le juge d'instruction, Fiete Schultze, de Hambourg, avait dit :

(( Je sais que le procureur demande m a tête. Qu'il se hâte! S inon le communisme arrivera a u pouvoir avant qu'il l'ait obtenue. r

Le procureur s'est hâté. Mais la haine qu'il bave dans son réqui- sitoire rend un hommage involontaire aux vertus du héros :

« L'accusé est un ennemi mortel de notre État. Ce serait une injustice criante que de le laisser en vie. S a langue est plus dange- reuse que les balles de ceux qui ont tiré sur son ordre. Il doit mourir ... D

Dès que la peine capitale est prononcde, Fiete Sohultze . - . s'écrie :

a U n combattant de moins, n a i s nous triompherons quand même ! P,

Et, apostrophant l'auditoire, il l'invite A le voir mourir : « Venez tons à l'exécution et vous verrez comment sait mourir

un communiste! » Les policiers se jettent sur lui, et force leur est de faire évacuer

la salle, où un vivat &touffe produit un remous. Mais le peuple allemand a pu voir comment sait mourir un communiste.

(( Puisse le communisme, auait hurlé le procureur, périr avec l'accusé Fiete Schultze, qui en est la parfaite incarnation ! u

Mais, si Fiete Schultze, parfaite incarnation du communisme, est mort comme il est mort, après avoir défendu son Parti comme il l'a fait, c'est précis6ment pour que vive et triomphe le commu- nisme, créateur de héros tels que Fiete Sohultze. E t ce n'est pas

ar hasard qu'au même instant les ouvriers de Saxe et du Wurtem- {erg en -8ve tenaient tête aux mêmes oppresseurs pour bngue d'un Fiete Schult,ze « Btait plus dangereuse que des b

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Wuppertal et Elberfeld ont, comme Hambourg, une longue tradition révolutionnaire. Les exploités de l'industrie textile, mal payés, ont fait de la vallée de la Wupper, depuis 1848, une puissante ligne de défense contre tous les féodaux, ceux de l'aris- tocratie impériale, ceux de l'oligarchie financière. Engels et Las- salle avaient rendu justice & la maturité politique de ces ouvriers d'Elberfeld et de Wuppertal, qui se battaient déjà sur les barri- cades. Ce sont leurs fils qui ont lutté victorieusement contre les troupes de Kapp et d9Ehrhardt. Même depuis I1avènement dela dictature hitlérienne, ils continuaient & discuter d'égal à égal avec les patrons et leurs hommes de confiance. N'était-ce pas un exemple intolérable, et ce prolétariat mal asservi ne devait4 pas être brisé ?

C'est ce que décida la Gestapo, qui, en 1935, peu avant les élections des conseils d'entreprises, réussit à attirer les ouvriers dans une vaste provocation : 1 200 arrestations, 628 accusés l

Pendant l'instruction, 16 d'entre eux succombèrent aux tor- tures. La veuve de l'un d'eux, Willy Muth, une militante digne de celui qu'elle pleure, nous a dit que son compagnon avait été sup- plicié pendant sept jours et que son cadavre était couvert de brû- lures faites au fer rouge.

Oue reprochait-on à ces trois générations de travailleurs (vieil- laras, anliens combattants et jeunes ouvriers)? D'avoir pris A cceur la défense de leurs revendications collectives et d'avoir voulu reconstituer des syndicats libres.

Comme, dans le troisième Reich, il n'y avait plus de conflits ouvriers - (( vérité D officielle 1 - tous ces hommes étaient traités en communistes, c'est-à-dire en criminels de droit commun... Or, parmi eux, il y avait non seulement des communistes, mais aussi des sociaux-démocrates, des chrétiens, des sans-parti, voire des hitlériens embrigadés dans le Front du travail.

En face de leurs juges - trois officiers supérieurs de S. A., deux chefs de groupe de S. S. et un lieutenant d'aviation, - la plupart de ces travailleurs tortures ont fait preuve d'un admirable esprit de classe, d'une dignit6, d'une fermeté révolutionnaire qui méritent d'être citées en exemple.

rc Ici, dans cette salle, s'est écrie un vieil ouvrier social-démocrate,

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a comparu jadis August Bebel, lorsqu'il a Bté inculpé en vertu de loi antisocialiste. Nous sommes restés ce qu'il était. a

Puis c'est un jeune ouvrier de vingt-six ans qui explique avec une noble simplicité comment il est devenu communiste :

a Mon frère dtait volontaire en 1914. J'étais encore tout jeune. II vint en permission pour la première fois en 191 7 et me dit : Si jamais, quand tu auras mon âge, il y a une nouvelle guerre et que tu t'en- gages, je te tuerai de ma main. Voilà pourquoi, plus tard, je suis devenu communiste. Je sais que l'Allemagne soviétique, alliée à l'Union soviétique, rendra impossible toute guerre en Europe? a

C'est devant le tribunal d'Elberfeld qu'un enfant de dix-huit ans, Otto Funke, s'entendant condamner à quatre ans de travaux for- cés, s'est écrié :

-

e Dans quatre ans, vous ne siégerez plus là-haut: c'est nous qui y serons l a

Les condamnations pouvaient pleuvoir ; les officiers et les bour- reaux travestis en juges avaient beau distribuer les travaux forcés et la réclusion, par centaines d'annbes : de tels accusés demeuraient irréductibles.

Hommes du peuple, ils puisaient dans le peuple présent leur audace et leur force de résistance. E t leur force, en retour, décu- plait 1'Bnergie du peuple, qui avait les yeux fixés sur eux.

Les travailleurs de Wuppertal, comme ceux de Neukœln, comme ceux de Hambourg, n'ont pas oubli8 ...

Pendant le procès de Fiete Schultze, Edgar André parut à la barre comme témoin. Le président lui ayant posé la question rituelle. :

o N'êtes-vous pas parent ou allié de l'accusé T - Une grande idée commune nous a apparentés 11, répondit André.

Puis il fit l'éloge de son camarade. Comme il était emmené par

1. Quatorze ans plus tard, le 13 octobre 1949, dans son télégramme historique à Wilhelm Pieck et A Otto Grotwohl, Staline a déclaré : a ... JI n'est pas douteux que l'existence d'une Allemagne démocratique et éprise de paiz à côtd de l'exis~ence d'une - Union soviétique &prise de pais ezclut la gossibilitd de nouvelles guerres en Europe ... a

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168 LA DÉFENSE ACCUSE 1

les gardes, il se retourna une fois encore pour crier B Schultze : - Adieu, Piete; mes meilleurs souhaits / - Merci, Edgar; à toi de même, répondit Schultze. L'un et l'autre sont tombés sous la hache du bourreau. La

grande idée communo qui les apparentait et que leur énergie farouche a si bien servie est plus vivante que jamais.

Edgar André était, lui aussi, un des militants les plus populaires de Hambourg. Lui aussi, il s'est vu accuser comme chef du Front ro~~ge; c'est lui qui en a inventé le langage muet, le salut, celui du poing fermé.

Un homme sain, un fort entre les forts. Sa bonté était prover- biale. Nul plus héroïquement que lui n'a tenu tête au fascisme oppresseur. Nul n'a opposé à l'ennemi plus de calme, plus d'ironie. Nul n'a dominé la souffrance et le supplice avec plus belle humeur.

Fils de petits artisans d'Aix-la-Chapelle, ouvrier du bâtiment, il s'est engagé pendant la guerre. Fait prisonnier sur le front fran- çais, il adhère, dès son retour en Allemagne, au Parti social- démocrate. Il le juge, il le quitte. En 1922, le voici communiste. En 1925, il' se voit confier, à Hambourg, la direction du Front rouge des anciens combattants. En 1929, à la grande joie des hitlé- riens, le ministre social-démocrate Severing interdisait cette orga- nisation de défense. André milite alors dans le mouvement .syndi- cal, parmi les marins et les dockers, parmi les chômeurs. Personne n'est plus aimé de ses camarades, B qui il prodigue son dévouement. Personne n'est plus redouté, plus détesté de l'ennemi, A qui il porte de rudes coups.

A plusieurs reprises, les nazis veulent en finir avec celui qu'ils surnomment le (( général rouge n. Ils l'attirent dans un guet-apens : il y vient, accompagné de marins, et se défend victorieusement. D'autres attentats échouent. Son ami, Ernst Henning, député, comme lui, au Parlement de Hambourg, est attaqué par trois nazis, qui le prennent pour André. Henning est tué ; les assassins sont récompensés. Sous les fenêtres de sa femme, on chante : (( André I André ! A ton tour maintenant f D

11 refuse de se cacher. 11 milite. Le 3 mars 1933, il est arrêté. On ne relâche pas un pareil otage. On l'a gardé plus de trois ans ; et, après un procès de deux mois, on l'a supprimh.

Notre Edgar, disait Thælmann, qui le connaissait et se connais- sait en hommes, quelle volonté, quel esprit clair et sain I »

*

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DANS L'ALEEMAGNE DE THBLMANN 169

Edgar en prison. Son sourire (t clair et sain a, son sourire iro- nique, son sourire de fort, qui défie le bourreau, réconforte sa femme, ses compagnons de chatnes, ses frères de lutte. La torture n'a pas raison de son sourire, de sa foi, de sa santé politique, de son extraordinaire équilibre. E t pourtant on n'a rien épargné pour le briser : on a supplicié son corps a un tel point que cet homme grand, solide, sportif, n'est plus que l'ombre de lui-même. Il devient sourd. Ses cheveux blanchissent. Mais il serre les dents et se tait. (( Vois-tu, dit-il à sa femme en souriant, ça, c'est l'expression de la joie du vainqueur ! Mais je puis supporter beaucoup de choses, beaucoup plus que ceux qui veulent m'abattre. »

Isolé de tous, il trouve le moyen de rompre l'isolement. Un jour, il apprend qu'un mouchard s'est glissé dans les rangs

du Parti, du comité des chômeurs : Willy Kaiser. Dans sa cellule, il se hisse aux barreaux dela lucarne, et tous les détenus l'entendent crier : « Attention ! Attention ! C'est Edgar Andrd qui vous parle !

'

Camarades, Willy Kaiser est un mouchard !n Il risque un surcroît de torture ; mais les camarades sont avertis.

Un autre jour, encadré de ses gardiens, André, blessé sur tout le corps, appuyé sur des béquilles, suit le couloir de Ia prison. 11 ren- contre un groupe de nouveaux détenus politiques, rangés militaire- ment. 11 vient à eux en boitant et les interpelle : a A gauche alignement ! o Tous obéissent au commandement. (( Merci, camarades, leur dit-il alors ; je vois que vous n'avez rien oublié. D Les gardiens l'entraînent. Mais les camarades ont compris ce que signifie, sous la plaisanterie, le mot d'ordre (( alignement à gauche. 1) Et ce mot fait le tour des prisons hitlériennes l.

Comment venir à bout d'un pareil homme 3 Il était trop lié aux masses, qu'il avait tant servhs, pour qu'on n'hésitât pas 3 lui faire un p~oeès politique. On pense le discréditer, donc l'isoler, en lui reprochant des crimes de droit commun : il sera plus facile de le condamner à mort.

C'est ainsi qu'on lui impute (( 200 actes de terreur commu- niste u commis de 1927 à 1932 1 On ajoute au meurtre et à la tenta- tive de meurtre la rituelle (( préparation & la haute trahison a, frappée de mort par des textes appliqués rétroactivement ... 1. Vers la fin de son procés, il reçoit la visite d'une délégation belge. On lui a

prescrit les réponses qu'il doit faire ; on le surveille étroitement. Comme Thæl- Inann, il force la consigne et révèle aux délégués les tortures infligées par la Gestapo.

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Le 4 mai 1936, les débats oommencérent ; ils durèrent prhs de dix semaines. Pas d'autre avocat que le défenseur d'office. Un défenseur choisi ? Il n'y faut pas songer : ce serait un adversaire de plus. « Devant u n tribunal comme celui-là, dit-il à sa femme, un avocat ne peut pas nous défendre comme nous le voudrions, puisque ce ne serait pas un convaincu. Ce serait jeter l'argent par bs fenêtres. A l'heure qu'il est, tout communiste doit présenter sa défense lui- même. Et je le ferai, t u peux y compter. a

De fait, la défense d'Edgar André se classe parmi les plus exem- plaires qu'on ait entendues. Le disciple de Dimitrov s'est montré digne de son maltre.

E t le peuple de Hambourg, massé devant l'édifice où siégeait le tribunal, n'a pas dissimulé sa sympathie ardente. 11 n'est pas jusqu'au public, pourtant bien trié, qu'on avait admis dans la salle d'audience qui n'ait manifesté son respect pour le héros.

On pouvait croire qu'il était brisé par trois années d'isolement, de tortures, de souffrances physiques et morales. Il n'en était rien. C'étaient les bourreaux qui avaient brisé leurs efforts sur lui. Il n'était diminué que dans son corps. Mais il avait gardé son sourire ; la presse fasciste elle-même en convenait :

Nous connaissions, écrit le Hamburger Tageblatt, par les manifestations de rue des dernières années, cette silhouette aux vêtements usés, un cache-nez autour du cou. L'aspect de cet homme a compléternent changé, mais il garde son sourire ironique ...

Dès Yinterrogatoire, Edgar engage le combat politique ; il affirme avec force que la terreur individuelle est le fait non pas de son Parti, qui la condamne, mais des nationaux-socialistes.

(( L e Parti communiste et son Comité central étaient hostiles à la terreur individuelle, bien que cette méthode ftît appliquée par nos ennemis, les nationaux-socialistes. Nous étions et sommes adversaires de la terreur individuelle, parce que son application empêche de mobi- liser les masses, parce qu'elle isole des masses. u

Le président l'interrompt, parce qu'un tel ton e est inadmissible de la part d'un accusé ». C'est ce ton qu'il va relever chaque fois qu'André réfutera, accusera l'accusation I

Edgar Andrk n'en dit pas moins ce qu'il a à dire ; à cet effet,

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U n jour, André prend à partie le procureur et l'interpelle rudement :

Je lançai, dit-elZe, un coup d'œil rapide vers Edgar. Je vis qu'il souriait du coin des 18vres. NOUS nous &ions compris.

Dès le début de sa déclaration finale, il fait allusion A cette inter- vention des peuples :

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Comme il retrace l'évolution de sa vie politique et qu'il entend parler au nom de son Parti d'abord et secondairement en son propre nom, le président lui interdit de se défendre politiquement.

c Je m'incline devant l'autorité, riposte Edgar, non sans hauteur, puisque la force prime le droit. Mais je n'ai nullement l'intention de déposer les armes et de céder le terrain sans combat. Cependant, je ne puis pas n o n plus ne pas présenter m a défense avec sérieux. Je le dois à m o n Parti. Je me le dois à moi-même. 1)

11 démolit un à un tous les chefs de l'accusation fragile ; il pro- teste énergiquement contre l'emploi des mouchards comme témoins à charge, contre le refus opposé par le tribunal à l'audition des témoins décharge résidant à l'étranger, contre l'emprison- nement de ceux qui ont Bté arrêtés à la suite de leur déposition.

Les rappels à l'ordre ont beau pleuvoir, il poursuit, il pousse l'offensive. E t c'est l'inoubliable conclusion :

« Messieurs, s i le procureur général vous a demandé pour moi la dégradation civique, moi , je vous dis ceci: votre sentiment de l'hon- neur n'est pas le mien et mon sentiment de l'honneur n'est pas le vôtre. Toute une conception d u monde nous sépare. Nous n'appartenons pas à la même classe. Il existe u n abime entre nous. Si, par vous, l'im- possible peut être rendu possible, si, par vous, un militant innocent peut être envoyé a u poteau d'exécution, je suis prêt. Je ne veux pas de grâce ! Hilitsnt j'si vécu, militant je mourrai, criant une der- nier@ fois: Vive le cornmunisrne ! »

Après plusieurs jours de délibération, c'est le 10 juillet que le tribunal a prononcé la peine de mort. Ce jour-là, dans la salle d'audience, il y avait des gens qui pleuraient. Edgar n'obtint même pas la permission de revoir sa femme une dernière fois. Celle- ci raconte que, dans la rue, des inconnus lui serraient la main, au risque de leur liberté ; qu'un vieil ouvrier social-démocrate lui disait qu'il mourrait volontiers pour Edgar, s'il savait pouvoir lui sauver la vie ; que même un membre des S. S. lui manifestait à sa façon sa sympathie.

Pas de grâce ! Tel est le leitmotiv des dernières lettres d'Edgar : R Je ne veux pas de grâce. C'est mon droit que je veux... La mort ne m'a jamais fait peur. Elle ne m'eflraie pas davantage aujourd'hui. Les uns meurent dans leur lit, d'autres sur le champ de bataille. II n'est pas besoin d'être grand philosophe pour savoir mourir avec dignité. a Il recommande & sa femme d'être « gaie et joyeuse n ; il continue & stimuler le courage de ses camarades.

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Un seul recours demeure : la revision. Le monde entier l'espère. Un fait nouveau, un coup de théâtre donne un corps imprévu ii cet espoir : un des principaux témoins à charge se rétracte. Est-il possible de refuser la revision ? Des juristes, des professeurs, les syndicats de France, d'Angleterre, des autres pays, la sollicitent, Puis on attend ... Un beau jour, on apprend que, le 4 novembre, Edgar a ét6 décapité. La politique hitlérienne du fait accompli. Du monde entier jaillit un cri de douleur e t de colère. Un cri d'an- goisse pour ~hælmann.

Edgar André n'est plus. Son sourire légendaire s'est figé. Et pourtant lui survit. L'élan de solidarité suscité par son attitude n'a pas été perdu. Endécernant le prix Nobel à Karl von Ossietzky, c'était l'Allemagne de la paix, ou ce qu'il en restait encore, c'étaient les innombrables martyrs qui résistaient e t succombaient dans les camps sous les coups des agresseurs que les forces progressistes de l'an 36 entendaient soutenir dans leur lutte.

Ernst Thælmann, Edgar André, Fiete Schultze, Rudolph Klaus et tant d'autres héros tombés obscurément sur le front allemand de la paix et de la liberté, votre sacrifice a-t-il été vain 1

On aurait pu le croire entre l'an 40 et l'an 45, tant qu'on n'en- tendit outre-Rhin, dans le pays des deux Liebknecht, aucune voix s'élever contre les atrocités sans nom de la clique hitlérienne, contre les tortionnaires de Lidice et d'oradour, de Kiev et de Varsovie, contre les chiens e t les chiennes sanguinaires des camps de la mort.

Mais, quelle que soit la responsabilité d'un peuple dans les crimes commis en son nom et par les siens, (( il serait ridicule de l'identifier l u avec ses bourreaüx.

Aujourd'hui, Wilhelm Pieck, ce vieux compagnon de lutte d'Ernst Thælmann, préside la République démocratique allemande, où les victoires triomphales des armées soviétiques ont permis à la classe ouvrière allemande de revivre et, pour la première fois dans son histoire, de prendre èn main ses destinées ? En cette Alle- magne nouvelle, la jeunesse est éduquée dans l'esprit de la démo- . cratie réelle et de la paix. Le peuple allemand ne veut A aucun prix ni du démembrement de son pays, ni de son enrôlement

1. Staline, 23 février 1942. Voir Su r la grande guerre de l'Union soviétique pour lesalut de la patrie, p. 42 , Moscou, 1946. 1 2 . a L'établissement d'une République démocratique et pacifique allemandé, a écrit Staline dans son message du 13 octobre 1949, constitue un tournant dans l'histoire de l'Europe. B

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dans une coalition militaire, dans une armée revancharde, sous les ordres de criminels de guerre impunis, travestis ou non aux couleurs européennes.

A qui la faute, sinon aux monopoles des deux rives atlantiques et rhénanes, sinon aux forces qui avaient suscité Hitler et qui ressuscitent les spectres sanglants du nazisme, si les concitoyens d'Edgar André, les travailleurs de Hambourg et de Wuppertal demeurent opprimés et séparés de leurs frères de l'Est, libérés d'un passé & jamais maudit ?

L'Allemagne militariste d'Adenauer et de Krupp, soutenue, financée, réarmée par l'impérialisme américain, n'a pas manqué de renouer avec la tradition hitlérienne et de l'accommoder A la manière mac-carthyste. Pour éliminer tout obstacle à la renaissance de la Wehrmacht, elle a traduit pour haute trahison devant la Cour suprême de Karlsruhe les combattants de la paix qui s'étaient permis de lancer un referendum populaire contre le réarmement et pour la paix l.

En juillet 1954, fidèles à l'exemple de leurs grands devanciers, Oscar Neumann, secrétaire du Parti communiste allemand, e t . deux de ses camarades, Emil Bechtle et Karl Dieckel, ont tenu tête aux épigones des juges de Leipzig et glorifié la cause de 1'Alle- magne démocratique et pacifique.

Haute trahison ! 1) s'exclamait le président. (( C'est le réarmement des revanchards allemands, ripostait Neu-

mann, qui est un crime de haute trahison envers les peuples. » A la politique agressive de Washington, il oppose la politique

de l'Union soviétique. Le président éclate. Neumann fait front : (( A cette tribune que me donne la Cour suprême du gouvernement

de Bonn, je ueux solennellement déclarer tout mon attachement, celui de mes camarades, celui du Parti communiste allemand. à Pidéal de progrès et de paix qui est celui de L'Union soviétiqué. »

Et que déclarent ces militants avant la sentence de condam- nation 3

c J'aime mon fils, dit Karl Dieckel, et je ne ueux pas qu'il soit victime du militarisme. Et, parce que j'aime mon fils, je ueux que tous

1,. Près de neuf millions de signataires s'étaient prononcés pour la réunifica- tion et pour la paix. (( Propagande 1 D s'écriait l'accusation. Propagande contraire à la Constitution ... alors que la Constitution de Bonn se proclame hostile à la emilitarisation !

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les fils et toutes les filles de m o n peuple vivent libres et heureux. Voilà pourquoi j'ai, communiste, consacré toutes mes forces a u referendum contre le réarmement allemand. 1)

Et Neumann conclut sa déclaration finale en ces termes/: ./

« Nous avons toute raison d'être fiers de notre œuvre. L e danger de la remilitarisation, il est vrai, pèse encore lourdement et la C. E. B. n'est pas encore morte. Mais elle est déjà frappée gravement grâce, e n particulier, a la lutte d u peuple frangais. En joignant nos efforts a u x siens et à ceux de tous les peuples, nous la porterons e n terre. Mais , par notre combat, nous avons déjà empêché Adenauer et Blank de mettre sur pied dans les délais qu'ils avaient fixés la nouvelle Wehrmacht, et notre jeunesse n'a pu encore être envoyée dans les casernes.. .

1) Redoublons donc d7e#orts. Pour m a part, j'exige de ce tribunal le droit à la liberté, car j'en a i besoin pour reprendre la bataille l. a

Ainsi, même du côté occidental de l'Elbe, l'Allemagne de Marx et d'Engels, de Beethoven et de Heine, des Liebknecht et de Thælmann, n'a pas oublié l'appel si longtemps étouffé de ses meilleurs fils. Refusant l'aventure et la division, elle ne se borne pas à conserver pieusement leur mémoire : elle médite leur exemple, se réveille à leur appel et se prépare B mériter le prin- temps que lui annonçait le message de Thælmann : le printemps socialiste des peuples.

1. Neumann e t Dichter ont été condamnés à trois ans d'emprisonnement, Bechtle à huit mois. Une commission internationale de juristes a caractérisé ce procès d'opinion comme inspiré par la raison d'gtat et comme un type de terrorisme judiciaire. Trois mille poursuites en l'espace d'un an, sous le régime d'Adenauer, contre des (( criminels de paix )) ! Et, au moment où la présente réédi- tion est sous presse, les juges de Karlsruhe ont à connaître d'une requête gou- vernementale tendant à la mise hors la loi du Parti communiste allemand.

Les premières audiences de ce procès, que j'ai pu suivre (vingt et un ans aprbs la bataille de Leipzig) m'ont rappelé les précédents hitlériens : même mépris des principes de légalité et d'hgalité devant la loi (qu'un Hitler du moins ne pro- clamait pas). Un sol orl les nazis, les criminels de guerre reprennent les leviers de commande et les armes, n'est que trop favorable à l'acclimatation d'un fascisme à l'américaine, qui n'avoue pas son nom e t se réclame hypocritement de Ici liberté

u'il bafoue. Toutefois, le climat n'est plus le même qu'en 1933 : les rapports ae forces ont chan,, ; les travailleurs, les jeunes surtout, refusent la remilita- risation qu'on prétend leur imposer et la croisade fratricide qu'on leur prêche. C'est cette opposition montante qui fait la force de la défense.

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L'EXEMPLE DE' MATHIAS RAKOSI

ORÇQUE j'eus enfin réussi B voir Mathias Rakosi dans sa prison de Budapest, il y avait déjA neuf ans qu'il était détenu, isole du monde exthrieur, privé des soins qu'exigeait son

cœur malade, et terriblement rationné dans ses lectures. Aprbs lui avoir transmis le salut de son frère, celui de Dimitrov et (( de tous ses amis du monde entier, qui s'occupaient activement de lui n, j'ai pu lui dire (en présence du directeur de la prison et d'un substitut) que

l'opinion publique universelle, intéressbe son procbs, avait les yeux fixbs sur lui, veillait sur lui, et qu'elle &ait convaincue qu'il présenterait une dbfense digne de lui- même, digne de Dimitrov.

Digne de Dimitrov ? Parmi les héros si nombreux qui se sont montrés les disciples du maftre, nul n'en a Bté plus digne. Ni plus proche, malgré leurs natures différentes.

Budapest, B son tour, a servi de champ clos aux deux forces ennemies, aux deux mondes qui s'étaient mesurés h Leipzig.

Le procés Rakosi n'avait pas seulement pour objet une ven- geance de classe : il visait d discréditer aux yeux des masses la démocratie soviétique, à diviser le peuple, en excitant les paysans, les intellectuels, contre le mouvement ouvrier révolutionnaire, à disculper l'oligarchie hongroise de sa trahison nationale, à justifier sa terreur blanche et sa politique d'aventure.

En 1917, Rakosi Btait risonnier de guerre en Russie. A la fin de la guerre, il regagne fa Hongrie, y adhére, en 1918, au Parti communiste et, propagandiste actif, est arrêté en février 1919 1.

Depuis l'abdication de l'empereur et la chute de l'ancien

1. Sur la vie de Rakosi, lire BBla ILL^ : MdtyOo Rakosi, prbface de Marcel Cachin, fiditeurs français réunis, 195 2. .

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régime, le pouvoir &ait exercé par un Conseil national. Le comte Michel Karolyi, devenu président de la République, avait confie le gouvernement A un cabinet de majorité sociale-démocrate. Devant les exigences territoriales des Alliés, le comte Karolyi démissionnait, et les communistes, en accord avec les sociaux-ddmocrates, insti- tuaient, sans aucune effusion de sang, la dictature du prolétariat.

On se souvient de l'héroïsme avec lequel les Conseils hongrois, refusant de souscrire aux injonctions des Puissances victorieuses, tinrent en échec la coalition. Mais ils furent trahis par les sociaux- dbmocrates e t par les officiers mercenaires de l'ennemi.

Mars-juillet 1919 : au bout de quatre mois e t demi de création sociale et de combats, la Commune hongroise succombe sous l'effort conjugué des forces blanches, des armées tchèques et roumaines, de l'état-major français.

Les magnats magyars, sitôt rentrés il Budapest dans les four- gons de l'étranger, déchaînent une effroyable terreur sur le pays mutilé, saignant : c'est le régime semi-féodal et dictatorial du régent Horthy.

Rakosi, qui avait été commissaire adjoint au Commerce, puis s'était battu en qualité de chef dans l'Armée rouge, échappe au massacre. Il n'a encore que vingt-cinq ans.

En 1925, le voici, au péril de sa vie, à son poste, A la tête de son Parti persécuté. On l'arrête, on l'enferme. Il restera enfermé plus de cruinze ans !

premier réquisitoire, qui, dressé depuis 1920 contre les an- ciens commissaires du peuple, exigeait sa tête, est provisoirement écarté. On va procéder en détail.

On le traduit (en novembre 1925) devant une cour martiale, qui ne peut condamner qu'A la peine de mort, et le bourreau est dans la salle d'audience !

C'est dans ces conditions que Rakosi se défend pour la remière P fois : pas un instant il ne se départ de son sang-froid ; i allie la souplesse tactique à une fermeté révolutionnaire admirable. 11 n'accepte de répondre qu'aux questions concernant les principes communistes, (( non d celles qui peuvent nuire au travail illégal de notre Parti u l.

1. Sur les procés de 1925, 1926 et, 1935 e t pour connaitre le texte des admirables déclarations de Rakosi devant les juges, il est indispensable de lire Pace au t~ibunal fasciste, fiditions sociales, 1952.

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G Vous m'accusez d'avoir fomentd une insurrection, dit-il, en substance, aux juges. Mais, au contraire, m a tâche politique actuelle est de lutter pour un Parti communiste légal. ))

E t la cour martiale est obligée de se déclarer incompétente. 11 comparaît alors, en 1926, devant un tribunal de droit commun. K ... J e suis rentré, dit-il fièrement, pour aider d construire le

Parti communiste. Oui , je me sens responsable de cette activité. M a i s devant le prolétariat, devant le Parti cornmuniste hongrois,

devant l'Internationale communiste; il n'y a pas d'autres juges pour moi! B a

Au président, qui prétend Qtouffer sur ses lèvres la glorification de l'Union soviétique et le rappeler à la défense de sa personne :

t( J e n'ai pas à me défendre u, répondit-il. E t il va, malgré les interruptions, élargir le débat, prendre

l'offensive. Il fait lui-même le procès des féodaux hongrois et des a quelques milliers de gros capitalistes qui exploitent un peuple de huit millions 1).

Ces messieurs ont-ils tenu les belles promesses de bonheur et de renaissance nationale qu'ils avaient prodiguées au peuple, il y a sept ans, lorsqu'ils ont repris le pouvoir ?

« N o n B, constate froidement Rakosi. Il les apostrophe : e Qui êtes- vous ? Que représentez-vous ? Quelle est votre raison d'être historique ? Vous n'êtes rien d'autre pue ceux qui, depuis quatre siècles, oppriment les ~ravailleurs, les paysans de ce pays. Vous avez rétabli le capital financier, d'essence internationale. Vous avez réinvesti la petite noblesse dans les fonctions publiques, où elle est à présent deux fois plus nombreuse qu'elle n'était a u sein de la grande Hongrie, avant la mutilation des traités. Et c'est le peuple qui paie! ))

A cette dictature, Rakosi oppose la vraie démocratie, la dbmo- cratie des travailleurs réalisée par le pouvoir soviétique. Il oppose le patriotisme authentique au prhtendu patriotisme de la classe dominante : u police d'assurance u qui ne l'empêche pas de vendre l'indépensance économique du pays.

Et au procureur général, qui compte sur un châtiment exemplaire pour décourager le mouvement communiste, Rakosi rappelle « qu'on n'a jamais réussi à réprimer un mouvement d'émancipation par des mesures répressives a.

Les communistes bravent la mort. (( 11 n'y en a pas un seul parmi nous qu i ne soit prêt à aller b

I'dchafaud pour le Parti communiste, pour le communisme. Ce n'est

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pas de la bourgeoisie que nous d o n s prendre des leçons de grandeur âyâme ln

Le tribunal, dans len motifs de son jugement, se garde bien da faire allusion à l'activité gouvernementale de Rakosi : le Rakosi qu'il prétend juger, c'est le communiste ill6gal de 1925. Huit ans et demi de bagne !

Il va de soi que ce tribunal savait parfaitement gui il condam- nait : un des héros de la Commune hongroise, et pourquoi, en réalit6, il le condamnait à cette peine si disproportionnée & l'inculpation officielle et à son tt tarif a normal 1

Mais on comptait bien qu7B ces huit annQes et demie de mort lente il ne résisterait pas : c'était mal connaître ce révolutionnaire indomptable.

Ce mort en sursis s'est permis de ne pas faiblir. Pour un peu, il serait sorti vivant de sa tombe ! Il faut l'en empêcher à tout prix, renouveler sa claustration.

Sa peine expire en 1937 : le gouvernement garde son otage, le transfère de Szeged B Budapest et reprend contre lui les vieux griefs, non seulement anterieurs à la condamnation qu'ils avaient déjà, en fait, déterminée, mais vieux de plus de quinze ans !

Après avoir spéculQ sur son dé érissement et son agonie, on vab

n6moire. cl' spéculer sur sa fatigue, l'usure e ses nerfs et la défaillance de sa

Sept mois de prévention s'écoulent. Et, lorsque l'acte d'accu- sation est enfin signé, on précipite soudain la procédure1 : on ne laisse pas même tt Rakosi le temps de compulser son énorme dossier ; on le prive de tout moyen de préparer sa défense politique ; on lui refuse toute lecture en langue étrangère; on intercepte les journaux, même hongrois ; on limite, on contrôle ses communi- cations avec ses avocats. On le coupe du monde extérieur.

On ne peut relever contre lui aucun fait condamnable. On ne peut pas même Qtablir s'il a participé ou non à telle délib8ration incriminée du Conseil des commissaires du peuple. Peu importe : c'est la démocratie prolétarienne qu'il s'agit de traber au banc dm

1. C'est cette précipitation voulue, succedant 8 tant de lenteur voulue, que l'un des défenseurs de Rakosi, le professeur Vambésy, a caractérisée d'une image heureuse : r Voére tribunal accéléré, messieurs, me fait penser à ce voyageur qui, pour se iendre de Budapest à Paris, emprunterait un char à bœufs jusqu'à Belle- ville et, de 18, pour se rendre B l'Opera, lancerait 8 pleins gaz une magnifique Hispano I r

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accusés. C'est le proch de la Commune hongroise que la dictature blanche entend instituer en la personne de son otage.

Mais on refusera & Rakosi le droit de défendre ce & quoi on lui fait un crime d'avoir concouru, à plus forte raison le droit de contre-attaquer le régime agresseur.

Et., pour mieux saboter la défense politique, ainsi que pour tourner fe traité de Trianon, que l'accusation viole impudemment, on va dhaturer la qualification des actes gouvernementaux qu'on veut condamner : on va les assimiler Ct des crimes de droit commun. Fausse monnaie, sédition, trahison, meurtres ... E t gui ose porter de telles accusations ? Un gouvernement terroriste, composé de faux monnayeurs, de traîtres, de meurtriers !

C'est là ce que saura montrer Rakosi, dont

la vaillante attitude, le profond dévouement la rholu- tion, l'hbroïque défense de la cause prolétarienne déjoueront dans une large mesure les plans des organisateurs de ce mons- trueux proci%. (Télégramme de Dimitrov au Comité Rakosi.)

Pour comprendre A quel point Dimitrov a raison, il faut se rendre compte qu'au moment où s'ouvre ce procbs, en février 1935, Rakosi est emmuré depuis onze ans, qu'il est physiquement affaibli, qu'il est isolé du monde.

C'est dans ces conditions que cet homme étonnant va saisir I'occasion que lui offre un tel proces d'élargir, de pousser à fond l'offensive qu'il avait déjii entreprise dix ans pIus td t , devant les jupes de 1936.

Dans le secret-de sa cellule, il en étudie profondement les données. Voici seize ans' qu'aux yeux des masses le personnel dirigeant et bénéficiaire de la contre-révolution a fait la preuve de ses abus de confiance et de son incapacité.

Rakosi sait voir que le moment est venu pour lui de mettre B rofit la publicité des débats pour établir au grand jour le bilan

{anqueroutier du rkgime. Et sa fermeté va être égale A sa clairvoyance. Pas de phrase vaine : des faits. Pas d'histoires : de l'histoire. Reléguant au second plan sa défense personnelle, ses alibis

personnels, dédaignant tout ergotage, il va prendre sans hdsiter, fibrement, la responsabilitb de toutes les mesures r4volutionnairea du pouvoir prolétarien.

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3

AU nom du peuple dont il est ici le conscient porte-parole, il aura facilement raison des pauvres habiletés des tendeurs de pikg+ et, avec ironie, avec force, il saura s'imposer, accuser, contre- attaquer l'adversaire.

DBs le début de l'interrogatoire, au prdsident qui le prend de haut et le traite en ennemi public de droit commun u, il tient tête avec calme ; il ne se laisse intimider ni par les interruptions bru- tales, ni par les rappels it l'ordre.

a Avez-vous assisté, lui demande-t-on, it la seance où le Conseil des commissaires du peuple a décid6 d'envoyer des troupes pour diprimer la grève des cheminots en Hongrie occidentale ? Avez- vous participé it la décision concernant l'établissement de tribu- naux révolutionnaires ? Avez-vous collaboré au deoret qui a ordonné l'organisation d'une Armhe .rouge ? ))

Rakosi répond qu'il ne peut se rappeler, au bout de seize ans, à quelles séances il a assisté, s'il a voté ou non, A telle date, telle mesure, et il fait observer qu'on aurait dû lui poser ces questions en 1925, alors que ces souvenirs étaient moins anciens dans sa mé- moire.

(( Mais, ajoute-t-il, je déclare d'une façon tout aussi nette que j'approuve toutes les mesures et décrets du gouvernement soviétique, que je prends toute la responsabilité de ce que j'ai fait au nom de l'État ouvrier et paysan.

r Ainsi, la répression de la gréve des cheminots Ctait une néces- sitB vitale poar le pouvoir prolétarien. Au moment même où nous luttions, les armes 9 la main, contre les impérialistes, la bourgeoisie hongroise, le comte Bethlen et les autres x patriotes )) hongrois de Vienne sont accourus à l'aide de l'ennemi qui attaquait notre patrie, en orgunisant une gréve de cheminots; c'était Ca, leur patriotisme ! 1)

Et, comme le président le rappelle brutalement à l'ordre, (t je n'ai pas besoin, riposte-t-il avec hauteur, pa'on m'apprenne ce qui est convenable et ce qui ne l'est pas u.

Second rappel à l'ordre, que suivront. beaucoup d'autres ! La foroe du mouvement était telle parmi les travailleurs et dans

l'armée que, le 21 mars 1919, la classe ouvrière avait pu prendre le pouvoir sans aucune violence. Et Rakosi note avec humour les marques de loyalisme dont il avait été l'objet, notamment de la part du procureur général de l'époque.

Mais pourquoi avait-on proclamé 1'8tat de siége ?

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182 LA D ~ F E N S E ACCUSE

a Nous sauions, par toute t'expérience de l'histoire, que la bourgeoisie n'accepte pas volontiers qu'on lui arrache le pouvoir. Les mouvements contre-r&olutionnaires qui ont éclaté dans la suite ont confirmé cet -

enseignement historique. Interrogé sur le but de la c i guerre rouge a, r NOUS voulions, répond fihrement Rakosi, reprendre aux Tchèques

. et aux Roumains les territoires hongrois occupés. Nous y aurions réussi si le cadre des officiers contre-révolutionnaires ne nous en avait empêchés en portant la décomposition dans l'armée ! a

Nul ne sait mieux que Rakosi arracher ces messieurs de la contre-révolution leur masque patriotique e t les mettre en posture de chiens serviles. Il ne laisse rien passer : il suit chaque déposition avec l'attention la plus soutenue, prend note, pose les questions précises qui désarçonnent les t6moins à charge. Ce n'est pas chose facile, car le prbsident s'efforce de parer les coups, d'interdire les questions dangereuses.

Cependant, la défense de Rakosi est surtout dominée par le souci non de justifier, mais de faire valoir publiquement la dic- tatiire du prolétariat, véritable démocratie des travailleurs.

Le journaliste français Stefan Priacel, qui a suivi les dbbats, '

nous relate un épisode émouvant 'qui nous montre comment Rakosi, isolé depuis 1925, ignorant les triomphes ultérieurs de l96dification socialiste en U. R. S. S., entendait glorifier la patrie du prolétariat vainqueur, telle qu'il l'avait connue dix ans plus tôt, avec ses chiffres de l'époque ...

La veille du réquisitoire, l'avant-veille des plaidoiries, un inci- dent provoqué par le président avait eu pour effet de réduire Rakosi préparer sa défense au cachot, sans lit, sans lumière, à la demi-diète !

Le président ayant rapporté tendancieusement une réponse antérieure de Rakosi,

a J e n'ai pas pu dire cela n, protesta Rakosi. Le président lui interdit de le contredire let le rappela & l'ordre.

E t comme Rakosi, insistant, observait que le procès-verbal d'audience devait permettre de constater qui avait raison, le président, furieux, lui infligea trois jours de cachot. Rakosi ne se tint pas pour battu.

(( Fort bien, dit-il, dans ces conditions, je ne ferai pas d'autres déclarations. D

Pour cette u insolence 3, Je président porta la peine A neuf jours I

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MATHIAS RAKOSI 183

a VUUS n'en avez pas le droit, riposta Rakosi : la loi vous défend de me condamner d plus de six jours de cachot d lo fois! a

Rakosi se rassit et refusa de prendre part aux débats. Les deux délégués de l'Association juridique internationale

présents à l'audience, Étienne Milhaud et Bing, des barreaux de Paris et de Londres, firent alors, par l'entremise de Me Vambéry, une démarche auprés du tribunal, pour obtenir qu'il fût sursis 4 cette punition, si préjudiciable & l'accusé, qu'elle empêchait de préparer son intervention finale. Malgré la promesse du président, Rakosi fut enfermé au cachot.

Les derniers mots de Rakosi avant le r6quisitoire furent encore pour professer sa foi : 11 est incontestable que j'ai été u n communiste convaincu, que je le suis, que je le serai toujours. a

Après le réquisitoire et les plaidoiries, Rakosi prend la parole ; il dispose d'une heure et demie : il consacre une heure e t vingt- cinq minutes à la mise au point de l'histoire, B l'exposé des prin- cipes et du programme communistes ; il n'emploiera que les cinq derniéres minutes à la défense de sa vie.

Rakosi raille l'indignation A retardement de la bourgeoisie hon- groise contre 1' (( horreur n du pouvoir soviétique : u On semble bien l'avoir mise en glacibe pour la conserver plus fraîche. n Il proclame que l'ennemi, le destructeur de la civilisation, c'est la guerre, dont le capitalisme est responsable. 11 s'attaque ironiquement à la r philo- sophie n du procureur, aux yeux de qui le bolchévisme n'est rien d'autre qu'un (( crime u. « Je considère comme étant au-dessous de m a dignité de répondre aux basses insultes de BI. le procureur, qui a caractérisé les membres du gouvernement des conseils comme des criminels et des aventuriers étrangers venus des bas-fonds. .. a

u Insolence u qui vaut à Rakosi un rappel B l'ordre. Et dès lors, sans cesse interrompu par le président, qui croit percevoir dans chaque parole un acte de propagande communiste, Rakosi entre- rend une magistrale analyse historique : causes économiques de

fia banqueroute bourgeoise et de la Révolution, politique de division sociale-dbmocrate, politique timorée du gouvernement Karolyi. Autocritique Bmouvante, à longue portee (fautes écono- miques et militaires de la Commune hongroise, conservation des cadres de l'ancienne armée). Puis c'est le commandant de I'Arrriée rouge, trahie par les n grands patriotes r, qui parle : ? a Dans tout ce que j'ai fait, j'ni rempli mon devoir de wmmuniste convaincu et j'ai servi le prolétariat aussi bien pue je le pouvais. Je ne

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veux pas essayer de rapetisser mon rSle. Toute Zn politique du gou- vernement des conseils, tous les actes de la dictature du prolétariat, y compris mes propres actes, j'en assume la responsabilitd, la conscience tranquille. J'ai conservd nos idées d'alors jusqu'aujourd'hui et, mème après dix ans de cachot, je n'ai aucune raison de m'en repentir! r

Le lendemain, Rakosi conclut en prenant A témoin les peuples qui l'écoutent :

« La lutte dont je suis le soldat est une lutte mondiale ... B Si la bourgeoisie hongroise 'a tardé dix années remuer les

problèmes de port6e universelle posés par la Commune hongroise, c'est qu'elle avait certaines arrière-pensées.

u En f ace de cette hésitation, j'ai gardé tranquillement, fermement, mes convictions communistes. Les dix anndes passées en prison ne m'ont pas changé. Je suis et reste le même combattant du communisme. Quel que soit le sort qui me soit rbserv6, à moi individuellement, la cause pour laquelle je lutte triomphera. »

A ces mâles paroles fait écho le jappement final du prdsident, qui aboie une dernière injure et un dernier jour de cachot. Puis, le tri- bunal revient avec le verdict : détention perpétuelle, dans laquelle on consent à compter ... les neuf mois de d6tention préventive !

Avant que cette odieuse condamnation fût confirmée par la cour d'appel, en juillet 1935, Rakosi fit une nouvelle et remar- quable dddaration : u Ne parlez pas de cela )), tel fut, cette fois, le refrain des interruptions présidentielles, quand Rakosi &nonça la trahison de la bourgeoisie hongroise, la terreur blanche, la supé- riorité de la démocratie soviétique, a seule obitable démocratie 8. E t quelle fut la conclusion du héros ?

n En ce qui concerne ma personne, je ne désire pas plus ici que devant le tribunal de première insiance prononcer un discours défensif. Tenant compte de ce que je défends aujourd'hui encore les mêmes idées qu'en 1919 ...

LE PRÉSIDENT. - Aujourd'hui encore ? Bien l RAKOSI. - Et je conclus ... LE PRÉSIDENT. - Pas comme en première instance l RAKOSI. - Mais comme devant la Table royale en 1926. Je

maintiens tout ce que j'ai dit devant le tribunal. M a conviction reste intacte. Je suis et reste un communiste, un combattant discipliné de mon Parti. J'attends calmement tout ce qui peut arriver. Je sais que . l'avenir nous appartient, à nous les communistes, les ouvriers, les travailleurs. La victoire doit être et sera nôtre.

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Tant de courage et d'adresse n'ont pas 6th dépensés en vain. La contre-révolution n'a pu atteindre, ii travers Rakosi, les buts qu'elle se proposait : elle n'a pu ni deshonorer par la calomnie la grande idée de la dictature du prolétariat, ni justifier rétrospectivement sa trahison, sa férocité, ni justifier d'avance sa participation $ la

hitlérienne. Pourquoi ? Elle avait compté sans la force d'âme et la dialec-

tique n d'un des plus audacieux combattants du mouvement ouvrier révolutionnaire D. Elle avait compté sans l'action populaire natio; nale et internationale.

La solidarité rouge, écrit E' (c Uj Magyarsag B, n'est pas morte ; elle embrasse la moitié du monde, elle pénhtre jusqu'à nous, jusque dans la salle d'audience.

Rakosi n'est pas seul :

il voit autour de lui, ajoute le m h e journal, les observa- teurs venus de l'étranger ; c'est pourquoi il peut parler de haut dans la salle des débats, comme si sa mission était d'émettre un jugement sur le pass6 ... Il sent et il fait sentir qu'il n'est pas seul.

Or tels sont les facteurs qui, dans une large mesure, ont d6jou6 les plans de la dictature; tels sont les facteurs qui ont également sauvé Rakosi d'une mort immédiate.

Mais, par une condamnation per étuelle, on a voulu river le P prolétariat hongrois de son chef le p us qualifié, le peuple hongrois de son plus héroïque défenseur ; on a voulu frapper en lui les amis de la liberté e t de la paix ...

En réduisant physiquement cet irréductible, en supprimant B petit feu cette force qui ne se rendait pas, on a voulu lui faire expier la peur immense de l'oligarchie magyare, et cette peur n'&ait pas seulement rétrospective.

On s'est ima in6 pouvoir Qtouffer !e rappel et l'appel, le souvenir et l'espoir de 7 a révolution, le souvenir des quatre mois de la Commune e t l'espoir que les fruits en mûriraient. Mauvais calcul. Le peuple, lui non plus, n'a pas oublié. Du fond de sa mishre actuelle, il se souvient ; il reconnalt la voix des siens : il lit les journaux, les tracts, la littérature illegale ; il se réunit en a cortbges- minute a, en meetings insaisissables.

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II sent, il sait que lorsque, un jour, groupé derrière des chefs tels que son Rakosi, il aura repris le pouvoir, il saura, cette fois, le garder. . . . . * . . * . * * * . * * . . . *

Voila ce que j'écrivais en 1938. Cinq ans plus tard, le pays de Staline sauvait la vie prbcieuse du héros. Quelques mois avant l'invasion de l'U. R. S. S. par la soldatesque hitlérienne. Cinq ans plus tard encore, l'Armée rouge délivrait son pays. Seize ans après avoir écrit ces lignes, je constatais comment ce peuple libéré a su, avec l'aide soviétique, non seulement (( conserver le pouvoir D qu'il avait reconquis, mais transformer sa patrie et la conduire sur la voie du socialisme. Dans une marche irréversible.

Le pays de Kossuth avait dépass6 les rêves de son grand poète, Petofi, mort à vingt-six ans, il y a un siècle, sur le champ de bataille de Segesvar. Pour son pays et pour la liberté.

Quant à Rakosi, je l'ai retrouvé extraordinairement peu vieilli : même simplicité directe, cordiale, soufiante ; même rayonnement humain que lorsque, dans la prison dont il avait fait une école de cadres, une (( académie communiste a, il incarnait ce peuple alors crucifié. Ce peuple qui, aujourd'hui, maître de son navire, navigue dans le sillage tracé depuis trente-sept ans par la nef socialiste l'étoile rouge.

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A Roumanie réactionnaire et semi-féodale des rois Hohen- *

zollern, des Maniu, Vaïda-VoIvod et Co, était sous la dépen- dance des impérialismes occidentaux (anglais, français, am&

ricains). Ses richesses étaient accaparées par les banquiers étrangers. Sous ce talon de fer, le peuple roumain était plongé dans une misère noire, qui, pendant la crise économique des années 1929-1933, devint intolérable. Les ouvriers étaient parmi les plus mal payés d'Europe. La mortalité infantile atteignait un pourcentage effrayant.

Cette situation allait susciter, dans le prolétariat, une vague révo- lutionnaire. A la pointe du combat, les cheminots, qui ne gagnaient que cinquante lei par mois I En mars 1931, une conférence nationale des travailleurs des chemins de fer, de la mine et du pétrole élit un comité d'action, que va présider un jeune cheminot, Gheorghiu Dej.

La lutte prend de l'ampleur. Elle atteint son apogée en février 1933, avec la grève unanime des grands ateliers n Grivitza 1) de Bucarest. Les cheminots occupent l'usine, soutenus par la solida- rité de masses ouvrières toujours plus larges.

Les premières unités militaires lancées contre les grévistes refusent de tirer. Le gouvernement affolé fait appel aux formations de la police et de l'armée les plus entraînées à la répression. La sirène appelle les ouvriers à la résistance, que dirige Gheorghiu Dej, avec ses camarades Chivu Stoïca, Petresco, Vassiliki, Doncea. Après un siège de vingt-quatre heures, les 7 000 grévistes sont decimés à coups de mitrailleuses : plus de 400 tués, plus de 300 bles- sés, et comme, au cours du massacre, la police avait tué par erreur l'un des siens, des centaines de survivants sont arrêtés, torturés, inculpés de rébellion et d'homicide l.

i. J'ai revu, en 1949, la cour sanglante oit, quelques jours avant l'incendie du Reichstag, avait eu lieu cette grande lutte ouvrière, la premihre qui ait suivi

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FENSE ACCUSE

En juin, le conseil de guerre de Bucarest en condamne deux au bagne perpétuel, 106 B cinq sibcles de r6clusion. L'indignation internationale est telle que le recours des huit accus4s principaux est accueilli, leur jugement casse et renvoyb devant le conseil de guerre de Craiova. A Craiova, petite ville de garnison, sans ~rol6- tariat, il paraft plus facile de soustraire le proces au contr6le des masses. C'est là qu'on espbre Btouffer la voix d'un Gheorghiu Dej.

Vain calcul : malgr4 I'htat de sibge e t la terreur, lorsque la voi- ture cellulaire arrive B la gare centrale de Bucarest, les pisonniers sont acclam8s. A CraIova, ce sont les témoins de la défense qui manifestent. Une délégation de paysans leur apporte des œufs et des gfiteaux, demande leur libération. La solidarite internationale parvient B s'exprimer en pleine audience : les cheminots de France y sont représentés par trois des leurs, qui sont entendus la barre et demandent l'acquittement de leurs camarades roumains 1.

Quel était le jeu de l'accusation ? De faire Btablir par les accusés les moins r4sistants B la torture, par les provocateurs, pàr les témoins ii charge, que le niveau de vie des cheminots ne justifiait pas la grhve, que la grève avait 6tQ inutile, que les grévistes avaient . tir6 sur la troupe et que la mort du policier Qtait leur euvre.

C'est cette construction savante que le poing des ouvriers saura démolir. L'un d'eux, Constantin Doncea, assume délibérément la défense collective. Ses fréres de travail et de combat l'avaient élu pour délégu6 : comme tel, Q l'audience, il parle en leur nom : il parle aux juges comme il parlait aux représentants de l'État-patron. Et son langage est simple et nu :

a Les paroles qu'en simple ou prier je oaU prononcer ici, vertement et sans farder la vérité, attendaient depuis longtemps d'être prononcdes. Je p e w enfin rn'ezplipuer devant les milliers d'o~uriers gui m'ont accordé leur confiance et qui m'ont élu leur chef. C'est d eux et à e u seuls que je dok toutes mes ezplications. C'est d eux seuls que je dois rendre compte de mon mandat. a

I1av&nement du fascisme en Allemagne ; le tertre des fusilI6s, l'endroit orli a été 4x4 le jeune Roàita, la main sur la manette de la siréne qu'il avait actionnbe. Les principaux dirigeants de Ia grhve sont aujourd'hui ministres. Petresco est ghnéral. Quant A l'usine, oh j'ai interroge des survivants de fbvrier 1933, elle tient une place d'honneur dans la réalisation des plans et l'émulation socialiste.

1. L'Association juridique internationale avait délégut3 Ci Craïova un avocat parisien, Charles Bourthoumieux, auf ourd'hui juge et ancien membre supplbant du Conseil supérieur de la magistratuse,

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Et, pendant deux audiences, Doncea, safis dire iin mot de lui, va faire vivre les souffrances des-cheminots roumains, va requerir contre l'administration des chemins de fer, contre le gouverne- ment, contre la bureaucratie syndicale réformiste, contre les mouchards, dont l'un va lui demander grâce !

Quant au jeune dirigeant ouvrier Gheorghiu Rej, comme dans l'usine de Grivitza la Rouge, il mène, et sur quel ton! la contre- attaque :

n Ce procès est un faux, car les vrais accusés ne sont pas sur ces bancs: ils se trouvent au gouvernement., d la direction des chemins de fer, à la direction des syndicats réformistes, parmi les accusateurs d'aujourd'hui ... n

Devant de pareils hommes, les bureaucrates réformistes, 9"' viennent décocher aux accusés le coup de pied de l'âne, sont ma B l'aise. Tel est le cas du témoin Oprescu, qui, serre de près, n'hésite pas ti mendier le secours du président pour se dérober aux coups trop précis et protéger sa retraite :

e illonsieur le président, ici, c'est moi qui a i l'air d'être l'accusé, et Doncea Z'aceusateur. Ce rôle ne me convient pas du tout. a

Au cours de ce procès, l'accusation voulait trop prouver : pour établir que les ouvriers avaient tiré, des policiers avaient eux-mêmes percé, puis photographih des trous dans un mur d'église qui fait face aux ateliers de Grivitza. Mais le bedeau et le curé avaient surpris i'o ération. L'indignation populaire est telle qu'ils ne craignent pas 8 en venir témoigner.

Les débats durent vingt-quatre jours. Les six principaux accus& sont condamnés & douze ou quinze ans de travaux forcés.

Mais la condamnation avait elle-même été condamnée d'avance par Gheorghiu Dej :

u La sentence que vous allez, prononcer, loin d'intimider ou de faire reculer les ouvriers, sera un encouragement à l'action et ù la lutte. 1,

La défense accusatrice de Gheorghiu Dej, Doncea et leurs camarades, en dénonçant l'oppression fasciste, a puissamment montré aux masses comment on peut lui tenir tête et, en glori- fiant le mouvement de février, a suscité dans la classe ouvribre un élan de solidarité, une prise de conscience qui n'ont pas BtB perdus.

Gheorghiu Dej, transfbré de forteresse en forteresse, a su, avec Chivu StoIca, Kichinevski, transformer la trop c6lèbre et sano

, glante prison de Doftana en foyer de lutte et en Bcole de cadres.

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En universite marxiste-léniniste ! C'est de sa cellule l que le futur secrétaire général du Parti ouvrier roumain a dirigé la Résistance antifasciste et contribué B l'unification ouvrière, qui a ouvert la voie à la libération.

Et c'est parce que des hommes tels que les cheminots de Buca- rest, tels que Gheorghiu Dej, aujourd'hui dirigeant du Parti ouvrier de Roumanie, c'est parce que tous ces vaillants enfants du peuple roumain se sont forgés dans l'épreuve, c'est parce qu'ils ont su (( indisposer 1) les soudards qui les jugeaient, les policiers et les geôliers qui les frappaient, que l'indignation universelle, la vigilance des peuples a pu veiller efficacement sur leur vie.

C'est parce qu'ils sont ainsi devenus ce qu'ils sont qu'à présent, sous la sage direction de pareils briseurs de chaînes, la République populaire roumaine, arrachée au fascisme, à la féodalité et à la domination impérialiste étrangère par les victoires des armées soviétiques libératrices, s'est engagée, classe ouvrière en tête, dans l'édification de la démocratie &elle, de la société socialiste et qu'elle tient une place d'honneur dans le camp de la paix.

Ë '

1. En 1949, j'ai visité ce sombre berceau de la Roumanie nouvelle e t je me suis & i recueilli dans l'infernale R Section H 8 , où les victimes ensanglantees parvenaient à k faire entendre leurs a chœurs parlés B et à correspondre entre eux par les tuyaux C i

du calorifère. l

? k

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HÉROS ALBANAIS

L en est de même des autres democraties populaires, dont les cadres se sont forgés dans la lutte contre la terreur fasciste. L'Albanie, par exemple. L'Albanie des rudes montagnards qui,

si pauvres de ressources, mais si riches en héroisme, inscrivent en tête de leur martyrologe l'étudiant Kemal Stafa.

Kemal Stafa, qui n'avait desserré les dents sous les tortures les plus atroces que pour crier à ses bourreaux : (( Frappez ! Mais le jour viendra où le peuple vous demandera compte de tout cela ! a

Kemal Stafa qui, en février 1939, devant le tribunal de Tirana, communiquant à tous ses camarades sa fière confiance, disait à ses juges : n Je su i s communiste, et je suis certain que, quoi qu'il arrive, nous sauuerons l'Albanie ! n

Devenu l'un des intimes collaborateurs de son chef, Enver Hodja, il est de ceux qui ont dirigé la résistance des partisans. Hélas ! tombé héroïquement dans un combat (le 5 mai 1942), il n'a pu vivre cette libération dont il avait été à la fois l'un des artisans et le prophétique annonciateur.

On comprend que l'Albanie, géographiquement petite, atteigne 21 la grandeur par la trempe de ses hommes l, qu'elle n'ait jamais plié devant les tyrannies étrangères, quel que fût leur emblème (croissant, faisceau ou croix gammée) et qu'elle tienne en échec la menace atlantique d'un Tito et d'un Papagos !

1. Et je regrette que le sujet de ce livre ne me permette pas d'bvoquer l'indom table Alki Kondi, vainqueur de la torture, et les cinq Léonidas albanais qui, 21 août 1944, dans les montagnes de Mirdita, ont tenu tête jusqu'à la mort à 300 assaillants.

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LE HÉROS BRÉSILIEN CARLOS PRESTES, CHEVALIER DE L'ESPÉRANCE

'AM$RIQUE, elle aussi, est illustrée par toute une legion de révolutionnaires qui ont su combattre et se défendre B l'égal des meilleurs disciples européens de Dimitrov.

L'histoire de l'Amérique latine est aujourd'hui dominée par une des plus nobles figures qui se soient imposées & l'admiration, B l'amour des peuples : c'est celle de Luis Carlos Prestes, dont le nom déjà légendaire a depuis longtemps dépassé les frontières de l'immense Brésil, sa patrie, et conquis une universelle popularit6.

Qui n'a pas entendu parler du a chevalier de l'espérance a, de ce héros d'épopée qui a consacré sa vie à l'indépendance de son peuple, opprimé par le. dictature semi-féodale des Vargas e t Dutra, par le fascisme importe d'Allemagne et par l'impérialisme yankee l ?

Qui n'a pas entendu conter l'histoire extraordinaire, mais vraie, a la chanson de geste des quinze cents de la colonne Prestes n, de leur expédition & travers le pays - plus de 20.000 kilomètres en trois ans (1924-1927) ?

Ils se frayaient un chemin libérateur, franchissant torrents e t montagnes, combattant A un contre dix, mais partout aidés par les pa sans miséreux et désespér6s à qui ils annonçaient la bonne T nouve le d'une vie plus digne.

Replié avec sa fidèle phalange en Bolivie, puis en Argentine, ce général de ving-sept ans Btudie et médite les grands maîtres du marxisme-léninisme.

Tandis que le dictateur Vargas vendait le Brésil B l'encan,

1. Lire le beau livre de Jorge AMADO : Le Chevalier de l'esplrancs, gditeurs 7

français rbunis. 2. Romain ROLLAND : Appel publie dans la Correspondance internationale,

no 8, de 1937 (p. 241).

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livrant ses richesses aux impérialismes étrangers, aggravant & l'extrême la détresse et la colère des masses, l'Alliance nationale libératrice (janvier 1935) élut Q l'unanimité président d'honneur le (( chevalier de l'espérance n.

Et voici qu'une insurrection éclate dans le 'Nord-Est (où la mortalité infantile atteint 50 p. 100). Prestes en prend la tête et devient l'ennemi no 1 du régime.

Le soulèvement écrasé, la chasse l'homme commence, A la fapon hitlérienne. Arrestations en masse. L'élite de l'armée, de la culture, de la démocratie gorge ses prisons.

Un député communiste allemand, Arthur Ewert, qui n'a rien B voir dans l'insurrection, est* incarcéré depuis la fin du mois de décembre 1935, emmuré vivant dans un trou sans aeration, sans lit ni linge, torturé, sous-alimenté : il a maigri de 30 kilos l

Ghioldi, secrétaire général du Parti communiste argentin, étranger lui aussi aux événements de novembre, est arrêt6 en février 1936. Maltraité, affaibli, atteint d'une maladie de déficience, il perd toutes ses dents.

Prestes lui-même est pris en mars. Écroué dans la prison de la police spéciale, il est séparé de tous, isolé du monde, au^ secret le plus strict. Ce n'est qu'un an plus tard que, pour la premihre fois, sa mére pourra obtenir de ses nouvelles.

Sa femme, Olga Benario, d'origine allemande, est, aprbs plu- sieurs mois d'emprisonnement, extradée en Allemagne. En sep- tembre 1936, on l'embarque de force, enceinte et près d'accoucher, sur un bateau hitlérien. Elle est enfermée dans une prison de Berlin, avec son bébé, puis dans un camp de concentration, d'où elle ne reviendra plus.

La police de Vargas a fait ainsi coup double : elle a rendu ... ou demandé à sa complice et suzeraine, la Gestapo, un de ces services que les dictatures fascistes ne se refusent pas entre elles. Et, par surcroît, elle a cru trouver là, par la torture morale la plus raffinée, un moyen de pression capable de réduire la résistance indomptable de Prestes.

Espoir déçu : Prestes n'est pas de ceux qui fléchissent. Prestes a tenu tête à ses bourreaux comme à ses juges.

Les forces de paix, de démocratie, d'indépendance, qu'on a voulu frapper en lui, ont, Q son exemple, contre-attaqud.

La campagne en faveur de Prestes est devenue puissam- ment internationale. C'est elle qui a ouvert la première bréche

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dans les murs du cachot où le héros isolé est voué il la mort lente. C'est l'admirable solidarité des peuples qui a sauve la vie de

Prestes, de Ghioldi et de leurs compagnons de chafnes. C'est elle qui a rendu à la vieille mère de Prestes l'enfant de son

fils, le bébé d'olga, ramené de Berlin en France par un avocat français de I'Associat ion juridique internationale.

Le procès s'est ouvert, en première instance, le 7 mai 1937. Après une instruction de dix-sept mois. Devant un tribunal d'ex- ception intitulé de (( Sûreté nationale )), en vertu d'une loi d'excep- tion (affublée du même titre), votée en septembre 1936, c9est-&-dire longtemps après les faits u'elle réprime, longtemps après l'arres- P tation des accusés, et app icable rétroactivement.

A l'école hitlérienne. Pas de défense orale. Limitation à cinq du nombre des tQmoins Q dbcharge, qui doivent se présenter spon- tanément, sans citation. Droit pour le tribunal de rejeter les ques- tions de la défense lorsqu'elles lui semblent susceptibles non seulement d'excéder le cadre du procès, mais d'en prolonger le cours. Faculté de condamnation sans preuve, par n libre conviction n.

L'assistance de l'avocat commis d'office est obligatoire. Celui que le barreau de Rio-de-Janeiro a désign6, Me Sobral Pinto, catholique libéral, qui d'ailleurs prend sa tâche au sérieux, non sans courage, se heurte au refus catégorique de Prestes. ph Dans de telles conditions d9étouffement, dépouillé de tout droit de lire et d'écrire, privé de tout moyen matériel (même de papier, de porte-plume et de crayon) indis ensable la préparation de sa défense politique, Prestes dénie fa compétence de ce tribunal inconstitutionnel et refuse de comparaître. La plupart des coac- cusés en font autant. On les traîne de force ; on emploie même les gaz contre deux d'entre eux.

Le tribunal siège dans la prison. Aprbs une journée de (( debats B, il clbture cette sinistre farce de justice en condamnant Prestes B seize ans et huit mois d'emprisinnement, Ewert B quatorze ans, Ghioldi A quatre ans.

Avant la sentence, Me Sobral Pinto a cru devoir prononcer une plaidoirie OU il déformait la pensée de celui qu'il s'était chargé de défendre.

Fidèle aux conseils de Lénine, Prestes n'hésite pas A le désa- vouer.

Il lui écrit une lettre dans laquelle il lui explique les raisons de son désaccord et trace les lignes directrices de son action. Au

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moment même où il la lui tend, la police spéciale la lui arrache des et la déchire.

11 la reconstitue, et c'est son texte qu'il lira quelques mois plus tard, le 8 septembre, devant la juridiction d'appel, le Tribunal militaire suprême.

Ce sera toute sa défense, puisque, aussi bien, chacun des accusés ne dispose que de quinze minutes. S'il a use de ce droit a, son avocat n'a pas la parole (et c'est pourquoi cette instance a refusé la parole B Me Sobral Pinto).

Qu'on imagine dans quelles conditions Prestes, Ewert et Ghioldi ont, cette fois encore, comparu 1 Ce n'est plus le huis clos : un public restreint est admis. Mais la police est mobilisée ; les rues voisines, les toits même du palais de justice sont garnis de mitrailleuses.

Mesures de violence. Mais, surtout, mesures de-la peur qu'ins- pirent au régime Vargas les masses ; de l'amour que le peuple Bprouve pour son hbros, pour ses héros.

En descendant de la voiture cellulaire, Prestes est provoqué, assailli par les policiers qui l'escortent. Frappé jusqu'au sang.

A l'audience, il proteste. Pendant le quart d'heure qui lui est a accordé 1) (pas une minute de plus), il peut tout juste lire le document où est résumée sa défense et qui tient lieu de plaidoyer.

Nous avons ce document entre les mains. Nous nous bornerons Q en citer les extraits qui montrent comment un disciple de Dimi- trov peut mettre à profit le moindre temps de parole iour adopter une ligne offensive, pour démasquer l'ennemi, pour faire pénétrer dans les masses les mots d'ordre politiques de son Parti.

(( N u l plus que moi ne désire expliquer publiquement et bien haut ses gestes, son attitude devant le peuple brésilien et toute l'opinion publique mondiale ...

)) ... Ma Iibertd, par l'usage que j'en fais, est quelque chose de très grave pour les juges de la réaction, qui peuvent même penser qu'elle dépend de leur conscience et qu'elle est entre leurs mains. Je leur fais justice. Devant elle, ils doivent se considérer comme ridicules et insignifiants, comme les invertébrés de la clique gétulistel, qui tremblent de peur devant la possibilité que ma parole et, par mon intermédiaire, bu parole de mon Parti puissent parvenir jusqu'aux oreilles de notre peuple.. .

P Pour moi, dans la situation tout d fait particulibe o& je me

4 . Du prénom de Vargas : Getulio.

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trouve, l'essentiel est qu'on sache que je continue d lutter contre c e a qui exploitent et oppriment notre peuple. »

S'adressant à son avocat d'office, catholique, il aflirme que seul le régime de libération nationale que veulent les communistes, et avec eux leurs allies non oommunistes du Front populaire (r dont uelques-uns sont aussi catholiques que vous a), assurera ]a liberté

8e conscience et d'opinion. a Les maîtres de l'heure, s'écrie-t-il, ont peur de la liberté. Au nom

d'une u guerre sainte o contre le communisme, en fait ils emprisonnent, torturent et assassinent non seulement les communistes, mais tous ceuz qui ne sant pas d'accord avec les dirigeants :,

Citant l'exemple de Dimitrov, il refuse de prendre devant les tribunaux une attitude negative de « boycottage a : .

(( Nos adversaires veulent-ik nous juger ? Nous donnent-$s une tribune pour que nous nous &fendions ? Nom l'acceptolls avec plaisir et sans illusions; conscients des facteurs essentiels qui diter- minent la décision des juges, mus faisons de notre mieuz pour employer une telle tribune, en la considérant comme un poste d'honneur où nous avons accédé par la lutte de class es... a

Dans un passage remarquable p. ar son réalisme et son 4an il s'adresse à l'arm6e brésilienne, qu il oppose ' B la police de Vargas, et dont il exalte le rôle progressif, a les traditions de dignit6, de fierté, de courage civique P (depuis Benjamin Constant), la liaison historique avec le peuple.

a Étant des communistes, donc des soldats de la révolution prold- tarienne, nous n'oublions jamais oil nous sommes et quels sont les rapports sociaua: actuels de notre pays. Et, dans la lutte présente pour 19inddpendance économique et pour le progrès du Brdsil, ce sont justement les oficiers de notre armée et de notre marine qui, parmi les dlèments de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie nationale, peu- vent le mieux observer et sentir combien sont nicessaires la révolution nationale 1 i bdratr ice, l'instauration d' un gouvernement rdellement indépendant des banques et des grandes entreprises dtrangères, a w i bien pue des propriétaires féodaux gui exploitent notre peuple.. . r

Utile et fier langage, dont le peuple et une partie même de l'armée ne sont pas prés d'oublier la rdsonance.

Quant ii Rudolfo Ghioldi, nous possédons son remarquable plaidoyer, qui est un modèle de mesure, d'ironie et de dignité.

Pendant la guerre mondiale, le 7 novembre 1940, Prestes allait comparattre une troisième fois :

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CARLOS PRESTES

Je veux profiter, dit-il calmement ses juges, de l'occasion pi m'est offerte pour rendre hommage d ce jour, 23e anniversaire d'une des plus grandes dates de l'histoire, la grande Révolution russe, qui

délivré un peuple de la tyrannie. a Trente ans de détention. Il en a purgé dix. Du fond de sa cellule,

sa confiance et sa fermeté inflexibles rayonnent dans tout le pays, son prestige devient légendaire. '

C'est seulement en 1945 que Prestes, sauvé par la vigilance a été libéré. Élu sénateur, il reprend le drapeau des

forces démocratiques et dénonce les ennemis de la paix, l'impéria- lisme tentaculaire des États-Unis. Le coup d'État du dictateur Dutra (l'ancien ministre de la Guerre que Hitler avait décoré) réduit le Parti communiste dissous à l'illégalité. Une Chambre introuvable annule les mandats de ses représentants parlemen- t aires.

La chasse à l'homme recommence. Prestes est poursuivi, traqué. 1 Dans son combat clandestin, il appelle le peuple' brésilien, les

peuples d'Amérique latine, à la lutte contre la trahison nationale, contre la double oppression du propriétaire féodal et de l'impéria- I lisme étranger, pour leur indépendance et l'amélioration de leur l

misérable sort. Afin de complaire Washington, qui exige des arrières sûrs

dans les pays colonisés, dans ce riche Brésil, réserve de matériaux stratégiques (pétrole, fer, manganèse, caoutchouc, uranium) et de r matériel humain N à bon marché (neuf paysans sur dix sont sans terre), la dictature a lancé une loi de (( sécurité », de type hitlérien, et une réédition brésilienne à grand spectacle du procès new-yorkais des Onze.

Mais la situation n'est plus celle de 1936 : le Parti de Prestes est devenu fort et influent. Partout, dans les campagnes comme dans les entreprises, ont surgi des comités de défense et se resserre l'alliance des ouvriers et des paysans.

Dans le monde entier, le mouvement de solidarité s'amplifie. Il peut faire reculer la dictature. Il doit aider les peuples d'Amé- rique latine à libérer leur libérateur. A preserver des griffes enne- mies cette grande figure, ce San Martin des temps modernes, à faire triompher ce qu'elle exprime, la lutte contre l'impérialisme, contre les forces de guerre. A sauver, en la personne de son che- valier, l'espérance des peuples.

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1. LES

A NOS JOURS

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LES DÉPUTÉS COMMUNISTES FRANÇAIS

u Nous, communistes, nous appelons le peuple à lutter pour le pain, la liberté e t la paix. Oui, nous sommes des communistes ! Nous sommes fiers d'6tre les héritiers de ces communards qui, par leur sacrifice, ont sauvé la République, ont lutté pour l'émancipa- tion des travailleurs, e t dont Marx disait qu' a ils montaient à l'assaut du ciel r.

B Le communisme, c'est la paix dans le développe- ment de la dignité humaine, dans l'essor des sciences et des lettres, dans l%panouissement de la civilisation.

B Nous sommes Français, e t c'est pourquoi nous vou- lons de toutes nos forces une France libre, forte et heureuse.

8 Nous sommes internationalistes, et c'est pourquoi chaque victoire du prolktariat, en quelque pays que ce soit, nous la consid4rons comme notre victoire.

B Oui 1 Nous considérons la construction du socia- lisme en U. R. S. S. comme le premier acte de la révolution mondiale qui délivrera les peuples de l'oppression et de la guerre.

P Communistes français, avec Maurice Thorez, Jacques Duclos, Benoît Frachon e t tous nos amis coïncul~és, nous travaillons à la libération de la rance: Nous avons confiance en notre pays, en la France de 1793, de 1830, de 1848, de la Commune de Paris, des 9 et 12 février 1934 e t de mai 1936.

D Nous avons coiifiance dans le peuple de France e t nous sommes convaincus que, trds rapidement, il portera au tombeau le régime capitaliste, responsable de la misère et de la guerre. Vive la France libre I Vive la France heureuse e t forte 1 Vive la paix I E n avant vers le communisme 1 P

(Fin de la déclaration terminale lue par François Billoux au nom des Trente l.1

1. Barel, Bartolini, Benoist, Berlioz, Billoux, Bonte, Brun, Cornavin, Costes, Cossonneau, Cristofol, Croizat, Dadot, Demusois, Jean Duclos, Fajon, Gaou, Grésa, Lareppe, Lévy, Lozeray, Martel, Midol, Mbquet, Musmeaux, Petit, Pra- chay, Prot, Rochet, Touchard.

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I le Parti communiste frangais peut être fier de son passé, il existe un moment de son histoire (qui, depuis trente ans, se confond avec l'histoire de la France) où son courage et sa

clairvoyance se sont affirmés avec une force trop souvent peu connue ou méconnue : c'est celui où, seul, SOUS les sarcasmes, sous les hurlements de mort des loups et des chiens, il a su faire face & cette n drble de guerre s ui a préludé au désastre franpais.

Le Parti de Maurice %horez avait, aux yeux des monopoles internationaux et antinationaux, commis un certain nombre de crimes : c'est lui qui avait engagé, à la tête et au profit des masses, les batailles victorieuses de février 1934 contre le premier assaut du fascisme Paris ; c'est lui qui avait animé l'unit6 d'action ouvrière, l'unité syndicale, puis le Front populaire (c'est-&-dire l'alliance du prolétariat et des couches moyennes), groupant ainsi la France laborieuse sous le triple mot d'ordre : Pain, Liberté, Paix.

C'est lui qui, tendant la main aux travailleurs catholiques, s'&ait efforcé de réaliser l'union de la Nation française et qui avait su entrainer la grande majorité du peuple vers les conquêtes sociales de 1936.

Leur grande peur de 1936, voih ce que le grand patronat, les monopoles sans patrie voulaient faire payer la classe ouvriére ; ils comptaient sur le fascisme étranger pour sauvegarder leurs privilèges. Et leurs fondés de pouvoir, les gouvernants r fos- soyeurs r, de LBon Blum ii Daladier-Reynaud, n'ont pas hésité à réparer les conditions objectives de la défaite, en encourageant

Ls agresseurs de l'ilnti-komintern : coup de poignard dans le dos de la République espagnole (opération baptisée par antiphrase n non-intervention n), dans le dos de la Tchécoslovaquie (opération de Munich), dans le dos de 1'U. R. S. S. (duplicité des ((négociateurs a occidentaux de Moscou). Par antisoviétisme, les futurs collabo- rateurs de Hitler avaient s8paré la France de ses alliés natureh et précipité la guerre.

Contre la trahison, seule se dressait l'avant-garde ouvriére groupée autour de son Parti. 11 fellait à tout prix la diviser, l'isoler, l'abattre. Le le' juillet 1939, le traître Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, que Gabriel PBri avait fustigé en pleine Chambre en l'appelant r ministre étranger des affaires françaises r,

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avait promis à l'ambassadeur hitlérien von Welczek que a les élections seraient suspendues, les réunions publiques arrêtbes ..., les communistes mis ù la raison1 a. Cette honteuse promesse déférait Q une mise en demeure signifiée cinq mois auparavant Q l'ambassadeur Coulondre par le ministre nazi von Ribbentrop 1

Voila pourquoi la n drôle de guerre o allait être dirigée contre le peuple. Et, par là même, contre la France. Contre les peuples. Et, par là même, au profit des incendiaires du Reichstag, champions de la croisade prétendue « européenne )) (déjtt !), contre la citadelle du socialisme, l'Union soviétique.

Contre 1' Union soviétique. Tandis que les précurseurs de Vichy et de Montoire abandonnaient la Pologne A son sort et s'abste- naient de toute incursion, même aérienne, sur la Ruhr, persuadant ainsi l'envahisseur a que les puissances occidentales n'avaient pas l'intention de se battre, puisqu'elles laissaient passer une occasion si favorable a, ils prélevaient sur les effectifs et le matériel des- tinés au front (et reconnus insuffisants), pour (( secourir )) la Finlande de Mannerheim et confier à Weygand les préparatifs d'une inter- vention militaire en direction du Caucase.

Contre le peuple de France. En plagiant les méthodes hitlé- riennes : un an auparavant, un mois avant Munich, Daladier avait déclaré la guerre A la classe ouvrière organis&e, dressee contre les décrets-lois de misère signés Paul Reynaud ; puis, dès novembre 1938, il avait exercé des représailles de classe contre les grévistes (dbjà trahis par les Jouhaux, Dumoulin et consorts). E t la n dr6le de guerre a était à peine commencée que, conformément & la promesse de son collègue Georges Bonnet à l'ambassadeur de Hitler, le ministre de l'Intérieur Sarraut rédi- geait ses communiqués de chasse à l'homme : mise hors la loi du Parti communiste, arrestations arbitraires par milliers, les syn- dicats de la C. G. T. dissous, dissoutes les organisations démocra- tiques et leurs biens confisqués, les municipalités progressistes destituées, 160 périodiques interdits ; Romain Rolland, Decoster, Gorki mis & l'index. Les lois sociales abrogées; un demi-siècle de conquêtes ouvribres biffé rageusement d'un trait de plume.

C'est dans cette atmosphère de pogrom que les plagiaires serviles

1. C'est Georges Bonnet lui-même qui a consigné cet engagement dans une note o ~ c i e l l e qui figure au Livre jaune, publié par le gouvernement, sous le no 140.

2. Livre jaune, document 46. 3. Déclaration du général von Keitel au procès de Nuremberg, 4 avril 1946.

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des incendiaires nazis, pactisant avec une cinquième colonne déja apostée aux leviers de commande civils et militaires e t misant presque ouvertement sur la defaite pour accélérer le règlement de comptes, ont brutalement traqué les députés communistes.

Faute de pouvoir enfermer cinq. ou six millions de Français OU même un million et demi d'électeurs, on incarcère leurs élus non mobilisés. On clôture A la sauvette la session parlementaire avec la complicité du président Herriot, et voilà 35 représentants du peuple (dont 20 victimes de la dernière guerre, 3 grands mutilés) emmurés dans la prison de la Santé, au régime cellulaire des ban- dits. Six mois de prévention dans le froid de l'hiver et la vermine, sans moyen sérieux d'organiser leur défense avant le procès.

Sous quel prbtexte ? Pour avoir refusé de renier leur idéal. Pour n'avoir pas consenti Q désavouer la politique de paix de 1'U. R. S. S. ,.qui, en concluant un pacte de non-agression avec 1'Alle- magne, avait retardé le mauvais coup hitlérien (prémédité avec la complicité des Puissances signataires de Munich), et ainsi gagné le temps nécessaire à la préparation de ses victoires libératrices.

Le motif avoué ? Le groupe parlementaire communiste, qui, après la dissolution du Parti, était devenu, de façon regulière et ouverte, le « groupe ouvrier et paysan )), avait, le l e r octobre, adressé au président de la Chambre une lettre demandant que le Parlement fût appelé à délibérer sur le problème de la paix. Cette lettre se permettait d'affirmer que la Chambre avait compétence pour préserver la paix que le peuple veut, et qu'il était encore

ossible h la France de s'associer à l'action pacificatrice de FU. R. S. S., facteur de sécurité et d'indépendance nationale. Tel était le corps oEciel du crime. La seule pièce à conviction.

a Mots d'ordre émanant ou relevant de la I I P Internationale n, dbclarait l'accusation 1

Comme il fallait à tout prix empêcher les députés communistes encore libres (les mobilisés par exemple) de dénoncer, de la tribune parlementaire, la forfaiture et la politique antinationale du gou- vernement et de sa majorité, on expulsait violemment de la Chambre Florimond Bonte et Gaston.Cornavin, d6jà mortellement malade, qui, l'un e t l'autre, avaient spontanément affronté la meute. Quelques semaines plus tard (le 9 janvier 4.9401, la même meute en chassait à coups de poing quatre autres, quatre mobi- lis8s, Raymond Guyot, Fernand Grenier, André Mercier, Charles Michels (qui, livré aux nazis, allait être, en octobre 1941, fusille à

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LES D É P U T ~ S COMMUNISTES PRANQAIS 205

~hâteaubriant) ! L'instruction du procès était en cours lorsque, faisant peser sur elle le fait accompli des « pouvoirs exécutif e t législatif, gouvernement et majorité, qu'enrageaient la panique e t la haine, décidèrent la déohbance de tous les élus communistes,

l'exception d'une infime poignée de renégats. Avant ce vote sans précédent, qui préjugeait la condamna-

tion et privait des millions de Français de toute reprbsentation parlementaire, aucune interruption ne put empêcher Gtienne Fajon de faire entendre dans cette Assemblée, déjh mûre pour toutes les abdications, les dernières paroles françaises qu'ait enregistrées le Journal officiel de la troisiéme République.

Avec une admirable dignité, Fajon flétrit la trahison : il pro- clame que les persécutions éclairent les travailleurs sur le caractère véritable d'une guerre « que vous avez le front de présenter, au moment où vous anéantissez toute liberté à l'intérieur d u puys, comme - - une guerre de défense de la liberté.

n Les travailleurs établissent, à juste raison, une relation de cause à e#et entre notre déchdance et votre politique de destruction des lois sociales, d'imposition extraordinaire des salaires, d'écrasement des agriculteurs et des petits commerçants, de vie toujours plus chère.

B Cette politique qui frappe les masses laborieuses, nous cons- tatons qu'elle se déroule avec l 'appui de tous les partis de cette Chambre, u c o m ~ r i s le varti socialiste. U

n c'kt que vous savez que le peuple n'approuve pas cette politique que vous dissoluez ses organisations et que vous frappez ses meilleurs défenseurs.

n Vous poavez, aujourd'hui, messieurs du gouvernement, nous per- sécuter, emprisonner certains d'entre nous, les chasser d u Parlement.

o Mais vous n e pouvez pas briser la volonté d u peuple de France, sa volonte de conserver ses conquêtes sociales, frnit de ses luttes passées, sa volonté d'aller plus loin dans la voie d u progrès social, économique et politique.

P Cette volonté populaire, elle s'exprimera malgré vos décrets, malgré vos persécutions. Elle sera un jour plus forte que vous. »

Fajon et Mouton, les deux seuls oommunistes présents, furent les deux seuls députés à voter contre la déchéance. L'unanimitb des autres allait rdussir à être a entre soi ». Entre soi, pour précipiter la France dans la « divine surprise n du dbsastre. Entre soi, en chassant les élus intègres qui, cinq mois plus tard, se seraient dresses publiquement contre la honteuse désertion de Vichy.

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Cependant, l'instruction du procès suivait son cours, sous cette pression sans réplique et sous 2es hurlements hargneux de la presse aux ordres.

Chaque jour, & la prison et dans le cabinet du juge (un certain capitaine de Moissac), l'accusation perdait pied : on ne savait plus ce qui « relevait d'une inspiration étrangbre ou de la IIIe Interna- tionale a : la formation du groupe ouvrier e t paysan ? Non, convenait-on, elle était légale : son incrimination était une erreur de scribe! La lettre au président de la Chambre ? Il était plu8 commode de la tronquer, de la falsifier : c'est ce que ne devait pas hésiter à faire l'accusation. E t le 'uge en était réduit, pour justifier aprés coup la violation de Eimmunité parlementaire, ii questionner des représentants du peuple sur leurs opinions poli- tiques ! 11 est vrai qu'il n'y comprenait goutte et dissimulait malaisément son pénible embarras.

Trente-deux députés communistes, fidèles & leur mandat, fidèles à leur idéal, au peuple dont ils exprimaient les aspirations et méritaient la confiance, ripostaient par de fières déclarations,

ue l'un d'eux, Florimond Bonte, membre du Comité central, cite 8ans son beau livre justement intitulé : Le Chemin de l'honneur1.

Jamais je n'oublierai les heures que, chaque jour, pendant les six mois de l'information, j'ai vécues, comme responsable de leur défense, dans l'intimité de ces hommes véritables. Leur principal souci était d'être les dignes porte-parole de leur Parti, de la classe ouvrière, de la nation. Nous discutions ensemble le document collectif qui devait constituer l'audience le manifeste du Parti. Nous travaillions au parloir de la prison. C'est là que j'ai vraiment appris A connattre cette bquipe, dont le dirigeant était Françoia Billoux, membre du Bureau politique : un stalinien de la meilleurs trempe. Autour de lui, les caractères s'affirmaient. De Georges Lévy, un vieillard d6j& toujours optimiste et souriant, au jeune et infiexible Waldeck Rochet. E t comment oublier notre cher Ambroise Croizat, dont la prison commençait à miner la santé ! E t le vaillant Gaston Cornavin, qui, se sachant perdu, avait délibérément sacrifié à son devoir d'élu communiste sa liberté provisoire de grand malade ! Les malades et les mutilés a tenaient le coup a. Quant aux faibles, infiniment rares, nous nous employions A les revigorer. Très peu se sont abaissés au reniement. Un ou deux de

1. i%iitions Hier et Aujourd'hui, 1949, p. 88 à 114.

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,es ren6gat~ se sont plaints auprès de l'ennemi des prétendues que j'aurais exercées sur eux l.

Le parloir de la prison et mon cabinet (où affluaient les cama- rades encore libres, les mobilisés permissionnaires, les femmes et les enfants des détenus 2) constituaient les derniers mètres carrés où le Parti pût encore mener une activité semi-légale. Peu avant le procès, se manifesta le double jeu, la trahison de ce Vassart qui s'était vainement efforcé de saboter notre travail et mes liaisons. Mais déjà me parvenait un flot de lettres qui témoignaient de k fidélité et de la solidarité ardente des masses laborieuses.

Le procès allait commencer le 20 mars, au palais de justice, dans la salle des assises, devant le troisième tribunal militaire de Paris. Il s'agissait de prendre immédiatement l'initiative e t de conquérir la maitrise des débats. D'Qviter leur étouffement, de retarder l'inévitable huis clos.

Nous avions pris soin de citer comme témoins, entre autres, deux des principanx auteurs de la forfaiture, deux ministres : le pr6si- dent du Conseil, Daladier lui-même, et Georges Bonnet, (( ministre étranger des Affaires françaises a, qui avait promis et s'était vant8, devant le représentant de Hitler, de nous u mettre A la raison r.

Bien entendu, ces deux témoins, peu soucieux d'être hisses au pilori, même entre quatre murs, se dérobaient : ils s'abritaient derrière un texte du premier Empire. Premier incident : nous exigeons leur comparution, que le tribunal nous refuse. Mais comme, ce jour même, nous avions appris la chute du ministère Daladier, nous allions un peu plus tard revenir la charge : le Bonnet, n'étant plus ministre, n'était plus couvert par le décret impérial : il lui restait ti se porter malade ... E t il fit constater sa maladie ... diplomatique par un certificat médical de complaisance I

DBja le tribunal avait dû subir, à l'occasion de cet incident, les déclarations cinglantes et encore publiques des députes détenus.

3 . La dénonciation du deputé Daul m'a valu d'être menace d'arrestation par la meute parlementaire dans sa séance du 20 février 1940 (Journal oficiel, p. 2451, sur l'initiative du socialiste Georges Barthélemy, rapporteur de la a commission de dkchéanee B.

2. Parmi ces enfants, le plus inoubliable est Guy M6 uet, le jeune hhos assas- 3 sin4 par les nazis 4 Châteaubriant et non encore vengé e tous ses détnonciateurs. 3. Vassart, ancien membre du Comité central, renégat. 4. Les deux ministres munichois qui, après Munich, avaient, le 6 dbcemhre 1938,

signe avec von Ribbentrop l'accord de Paris qui laissait à Hitler les mains libres B l'Est.

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Ces dernières heures de publicité furent occupées et prolongées par . un combat, pied à pied, contre le huis clos que le gouvernement réclamait par l'organe de son commissaire.

Et, l'un après l'autre, voici les n accusés 1) debout, accusateurs et refusant le bâillon l. Il faisait nuit quand le président-colonel Gaffajoli bredouilla l'ordonnance trois fois nocturne de huis clos. Nuit dans le prétoire. Nuit sur la vérité. Nuit sur la France entière. La nuit propice aux mauvais coups. C'était avouer la peur de las lumière. La peur du peuple. Mais on ne chasse pas ainsi le pup le de la salle d'audience. Même invisible, il y demeure present. Dans l'enceinte bien close et militairement gardée, sa grande voix n'a cessé de se faire entendre.

Pendant deux semaines, ni le huis clos, ni la trêve pascale, ni la drôle de guerre, ni les jappements plaintifs du petit n'ont pu empêcher ces députés probes de tenir le n chemin de l'honneur n et de dominer de haut les débats. Ils analysaient la provocation policière e t judiciaire et marquaient au fer rouge les provocateurs. Exécutif et exécutants, ministres fossoyeurs et leurs rnaltres, monopoles et leurs mercenaires.

Ils savaient qu'ils n'étaient pas seuls. Un jour, dans cette salle d'audience hermétiquement close où

ne pénétraient, en dehors de nous, que les complices et les comparses (juges et mouchards) du forfait, il entra de l'extérieur une bouffée d'air pur.

De nobles représentants de la pensée française ont eu le courage (car il en fallait !) de venir apporter leur témoi nage aux élus accusés-accusateurs, de rendre hommage non seu f ement à l'idéal qu'ils incarnaient, mais B leur vie, ii leur action, aux valeurs humaines, aux valeurs d'avenir qu'on s'efforçait de frapper en eux.

L'inoubliable Paul Langevin, gloire de la science, e t notre cher Jean-Richard Bloch, honneur des lettres, deux grandes figures sur lesquelles les (( Européens a de style nazi (pas encore atlantique) allaient s'acharner. Deux morts toujours vivants. Et, auprès d'eux, notre v6nt5ré Marcel Cachin, les professeurs Henri Wallon e t René Maublanc. Un liberal anglais de la Chambre des lords

Comme elles sont fières et directes, les dbclarations offensives des élus communistes ! Elles constituent ii la fois des démons-

1. Voir leurs déclarations dans Le Chemin de l'honneur, p. 149 B 223. 2, Voir Maurice THOREZ : Pils du peuple, aditions sociales,p. 172.

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%rations politiques et des professions de foi, qui respirent une inébranlable en la victoire des forces montantes de la

classe ouvrière, du peuple de France, de leur Parti. a Nous sommes ici des hommes, avait dit l'ouvrier métallurgiste

Alfred Costes, descendant des camisards, qui ont tous de la terre de France à la semeile de leurs souliers ... a

Aprbs la calme et forte intervention de Billowr , Bonte un rbquisitoire solidement charpent& Pas un retranchement de la Fretendue accusation, de la trahison, qu'il n'ait impitoyablement forcé l 1 Et il termine sur une affirmation d'attachement A la plus - - magnifique des causes.

a Oui, nous le proclamons, le communisme est le plus bel idéal qu'un être humain ait jamais pu concevoir ... D

Et il évoque sa patrie, fidèle à ses traditions, jalouse de son indépendance, fière de ses conquêtes sociales, rayonnante de son génie et de sa culture, en marche a vers la civilisation nouvelle et supérieure du communisme a.

Impossible de citer ici tout ce qui mériterait de l'être. Chacun de ces militants s'est defini très simplement, en rbduisant au mini- mum les allusions 5i sa personne, à sa vie exemplaire.

n Ce n'est as après trente-cinq ans de fidélité à la cause ouvrière, f s'écrie Alfre Musmeaux, que je vais aujourd'hui renier mon passé pour sauver ma liberté. s

Quant au vieux militant Lucien Midol, il se reconnait coupable d'avoir touiours voulu défendre les intérêts des travailleurs! --

c Je suis toujours Midol le cheminot ... Et je veus bien être condamné sur ces intentions-là ... Je tâche d'être le communiste qui met son action en accord avec son verbe. B

Henri Martel, le député mineur, dont les nazis allaient tuer les deux fils, oppose avec rudesse la droiture naturelle des travailleurs à la lâcheté des renégats.

n Fautil, pour être libre, être ldehe 3 Faut-il, pour être libéré, renier un peuple 3 Je n'en renierai aucun. Condarnnez-moi pour cette fidéliti, si vous voulez. Je ne réclame pas la pitié ... r

Le dégoût du reniement, c'est aussi ce qu'exprime Prachay : (( Aucun motif d'abjurer le communisme. Abjurer, d'ailleurs, ce

serait absoudre les politiciens qui ont mené la France au désastre, et cette absolution, nous ne voulons pas la leur donner. :,

1. Voir son discours in extenso dans Le Chemin de l'honneur, p. 238 h 293. '1

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Condamnation dont la valeur Qtait testamentaire, puisque, B oeine libéré du bagne algérien, trois ans plus tard, Prachay est mort pour la France.

Prosper Môquet, le père du jeune héros de Châteaubriant, exprime son admiration pour l'Union soviétique, dont n je resterai demain encore le laudateztr » ; le président l'interrompt pour lui dire que (( la Russie, Fa n'intéresse pas le tribunal a !

Étienne Fajon, en uniforme, était le seul prévenu libre. Sa déclaration est une remarquable l e p n de marxisme-léninisme : il caractérise l'impérialisme, analyse les raisons de classe de la guerre, non pas antihitlérienne, mais antisoviétique, antipopulaire, dont les travailleurs ne veulent pas ; ils se souviennent des de l'histoire, comme leurs pères, en 1919, lors de la premibre agression contre YU. R. S. S. Les persécutions, les 7 Fajon les repousse du pied.

t N'insulte pas qui veut. ))

Alors que es renégats ne relévent que du mépris (et Fajon a préfère de beaucoup la haine de ses adversaires leur m&pris a), les militants fidèles et dévoués ont de quoi braver les outrages. Le Parti, ils lui doivent tout :

(( Quand je fais le bilan des petites choses que j'ai données d mon Parti et des joies intellectuelles et morales auxquelles il m'a permis d'accéder, je conclus qu'il ne me doit rien et que je lu i dois tout ... n

Inutile d'ergoter sur l'accusation-prétexte. Fajon, parlant au nom de tous, élève le débat sous un jet de lumière crue.

u Si c'est un crime de lutter contre l'aventure antisoviétiqne, contre le grand capital, alors nous serons condamnés, car nous entendons poursuivre cette lutte sans faiblesse jusqu'au bout ... a

Quel que soit le verdict, le communisme vaincra. 11 est la synthèse du mouvement ouvrier et de la pensée socialiste. Or le mouvement ouvrier est invulnérable : combien est-il plus fort qu'a l'époque où la a saignée effroyable )) qui a suivi la Commune n'est parvenue B l'assoupir que brièvement 1

u Quant à la pensée socialiste, vous n'avez pas de prison assez vaste ni de murs assez épais pour la contenir! a

Quand on relit & présent les réponses et les déclarations des dbpu- tés, e t surtout leur déclaration collective terminale l, on est frappé de leur caractère, sinon prophétique, du moins étonnamment actuel.

5 . Nous en reproduisons la fin, en Bpigraphe, au début de ce chapitre. .

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A la vbrité, cette remarquable actualité de leurs paroles est due simplement à la clairvoyance du Parti de Maurice Thorez : munis de la boussole merveilleuse que nul ne peut leur confisquer, celle de Marx-Engels-Lénine-Staline, ils ont su non seulement voir clair, mais avoir le courage dimitrovien d'agir clair, de conformer leurs actes à leur vue, à leur perspective, comme à leur parole.

n Leur crime, ai-je pu dire A ces tout petits hommes d'un jour p i composaient le tribunal militaire, c'est d'avoir eu raison avant tout le monde. ))

Six années avant les aveux des généraux nazis devant le tribu- nal interallié de Nuremberg, nous avions pu, de l'analyse des faits, déduire que (( le conflit actuel était dirigé non pas contre Hitler, mais contre les peuples n. Contre le nôtre en particulier et contre le ~ e u p l e au pouvoir sur un sixième du globe.

D'autre part, bien loin de pouvoir connaftre ce que devait révéler, après la Libération, la publication de la correspondance échangée entre le général Gamelin et le trop fameux Weygand (blanchi malgré nous par la Haute Cour de justice) sur les prépa- ratifs d'une (( opération contre les régions pétrolifhres du Caucase », nous avions pu jeter aux juges : n Est-ce pour faire échec à Hitler et pour protéger des intérêts français qu'on organise u n théâtre d'opérations en Méditerrannée orientale, s i prés de la mer Noire et de la Transcaucasie ? CONTRE Q U1 l 3

Contre qui 3 Tandis que la cinquibme colonne ouvrait les voies à l'invasion,' préparait %hy, ~ G t o i r e et la suite, la presse ne fulminait contre Hitler que parce qu'en arrêtant aa poussée vers l'est devant l'Armée rouge, aux confins de la Pologne et des pays baltes, il (( désertait 1) la croisade antisoviétique (prêchée par lui depuis sept ans), sa mission de gendarme, de chien de garde au service des privilèges. Un grave journal, Le Temps, allait jusqu'à lui reprocher son abandon du germanisme !

La drôle de guerre prenait ainsi de plus en plus visiblement son style de réglement de comptes au profit de la Sainte-Alliance des oligarchies, des impérialismes.

Et nous disions pourquoi les peuples refusaient (( de considérer cette gaerre comme leur guerre a. Nous notions d'infamie les chefs socialistes, ces chiens qui hurlaient avec les loups.

Ces apprentis sorciers, disais-j e dans ma plaidoirie, qui se jugent

2. Voir aussi la déclaration collective finale dans Le Chemin de l'honneur p. 341.

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infaillibles, mais qui ne le sont que dans l'erreur, ne se soupiennent même pas du sort que le fascisme, la réaction, a toujours réserpé à leurs précurseurs en reniement, & leurs semblables, et ih praissent ignorer qu'un jour leur tour viendra, car jamais la réaction ne s'arrête ù mi-chemin.

)) Mais un autre jour viendra 02 tous ces comptes seront réglé^, AVPC LEURS I N T ~ RÊTS COMPOSES I 9

La ruée logique vers le désastre, nous la prédisions : « A l'acclimatation totale de l'hitlérisme safis ~ & r , au pla-

giat 100p. 100 de la dictature sans cerveau, il ne manque plus guère, dans cet arsenal ..., que la hache du bourreau et la torche des incendiaires ! n

Mais, par del& la catastrophe prémédit6e par les classes domi- nantes, par delà la culbute des prktendues (( &lites a, comme par dela le crâne des juges e t des gouvernants, les députés, s'adressant au peuple, (( notre juge à tous, en dernier ressort B, annonçaient sa victoire libératrice. La victoire de la classe ouvrière identifiée & la nation. La victoire rholiitionnaire (( qui délivrera les peuples de l'oppression et de la guerre n.

La déclaration collective terminale est un modèle de fermet& sans concession, un modèle de lucidité politique. Nous pouvons, dans Le Chemin de l'honneur, la relire avec fierté 3.

Comme c'est avec fierte que j'avais présent&, quelques heures avant sa lecture, ses trente signataires à leurs soi-disant juges :

Ils ne défendent pas leur personne : ils défendent ce qui leur est plus cher que la liberté, que la vie : leur honneur politique de cornmu- nistes ... Non pas leur être, mais leur raison d'être, le sens même de leur vie. Ils défendent les masses laborieuses qu'ils ont conscience de représenter.. . Ils se prisentent sans for fanterie, mais sans faiblesse... Leur défense ne se déjend pas : elle accuse. r

Elle n'a pas seulement accusé : elle a condamné. Elle a condamne la petite poignée de renégats, dont il ne vaut

la peine de parler que pour dire qu'ils ont subi le sort commun des gens de leur sorte. S'ils ont achete pbniblement ce qu'ils appelaient leur liberté et mendie la restitution, plus provisoire

1. Voir aussi la déclaration collective finale dans Le p. 338.

2. Le Chemin de t'honneur, p. 346. 3. Le Chemin de t'honneur, p. 330 344.

Chemin de Z'honneu~,

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LES DIÉPUT s COMMUNISTES FRANÇAKS 213

,noore, de leurs sihges parlementaires, ce qu'ils y ont gagné, .c'est le Le mépris même des politiciens méprisables qu'ils servaient. E t c'est la chute, sinon dans l'oubli, dans les oubliettes de 19bistoire.

Des oubliettes où les ont déjà rejoints leurs juges. Ces pâles Brigées, dbguisées en juges, la défense justicière des

députés les avait, pa r ma voix, prévenues : K Le tribunal quz nous condamnerait se condamnerait lui-même

devant le peuple comme devant l'histoire. N

Ne condamne pas qui veut : cinq ans de prison et 5 000 francs d'amende par tête, déchéance des droits civiques et politi ues, avaient prononcé ces balbutiants fantoches, tenus à bout de % ras par leurs montreurs, eux aussi déj8 désarticulés. n Au nom du peuple français )), disaient-ils, aprés avoir entendu les dernieres paroles de ses représentants authentiques !

Trois mois plus tard, un Parlement né sous le signe du Front populaire, traMre il son origine, à son mandat, il sa patrie, un Parlement préalablement mutilé, châtré par ses propres soins, allait capituler honteusement, le président Herriot sa tête, en entrafnant dans son effondrement non pas la France, mais la

-- troisième République, la République septuagénaire des Versaillais. Le Versailles du petit Thiers, dit n foutriquet a, allait, sous le petit Reynaud, céder la place auVichy d'un amine octogénaire du nom de Pétain,

Cependant, transfdrés de prison en prison, devant l'avance des armées hitlériennes, puis déport6s en Algérie et emmurés au bagne de Maison-Carrée, les députés ne devaient être libérés que plusieurs mois après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord. Le 5 fbvrier 1943, ils reprenaient leur poste de combat

Devant leurs geôliers comme devant leurs juges, ils s'étaient

1. Cette condamnation s'appliquait à vingt-sept dbputés communistes et, par contumace, aux neuf qui avaient échappé 21 l'arrestation : Maurice Thorez et Jacques Duclos, Catelas et Gabriel Péri (tous deux assassinés par les hitlériens), Dutilleub (qui fut arr6té plus tard, sous l'occupation), Nonmousseau, Ramette, Riga1 et Tillon.

Quant aux trois grands mutilés, ainsi que Renaud Jean et Philippot, ils furent condamnés à quatre ans de prison avec sursis.

Mais ceux-ci mêmes allaient être arrêtés, malgré le sursis, à la sortie de la salle d'audience et enfermés dans un camp de concentration.

2. V Q ~ Le Chmin de l'honneur, p.-351 Zi 676.

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montrés dignes de leurs devanciers, dignes du Parti de Gabriel Péri et de Guy Môquet, de Pierre Sémard et de Timbaud : dans l'épreuve, ils avaient acquis et vérifié leur trempe, cette c trempe particulière l B qui durcit l'acier militant. E t c'est en ceux qui sont ainsi trempés qu'un peuple comme le nôtre reconnaît les siens.

4. Maurice ~ a b a e z : Rapport au Comité central d'Ivry, janvier 1945.

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DE 1940 A NOS JOURS,

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LES HÉROS DE LA RESISTANCE

C'est en vain que certains voudraient effacer les pages de gloire et d'héroïsme que tant de Français communistes ont écrites avec leur sang. C'est en vain que les serviteurs du roi dollar, embouchant la trom- pette des Gœbbels et des Philippe Henriot, voudraient nous représenter comme a étrangers B à la nation. .Le sacrifice de nos mortq, l'action des vivants témoignent pour notre Parti, chair de la chair de la classe ouvrihre, porteur des espoirs du peuple de France.

Maurice THOREZ : Fils du peuple.

ENDANT les quatre années qui ont suivi ce procbs mémorable e t qui furent des années de détresse, d'humiliation nationale, mais aussi de lutte finalement victorieuse, bien des martyrs

sont tombés. Bien des héros ont tenu tête jusqu'ii la mort, et sous la torture,

au tortionnaire nazi ou N collabo D. Combien, parmi eux, d'anonymes, disparus sans traces 1 Combien

d'autres, dont nous ne oonnaissons le comportement que par les lettres, par les écrits que, sous la potence ou le couperet, ils nous ont laissés l Ou par les cris vengeurs que, devant le peloton d'exé- cution, leurs camarades survivants ont pu entendre !

Que de lacunes dans le martyrologe de la Résistance! Et comment choisir entre les exemples pieusement recueillis ?

DBs I'invasion de la France par la soldatesque hitlbrienne, la RBsistance s'&ait organisée & l'appel du Parti communiste français, traqué par des gouvernements de trahison. Son premier document public, daté du 16 juin 1940, exigeait la défense de Paris, l'arme- ment du peuple e t l'arrestation des traîtres, en vue de transformer la guerre en une guerre réellement nationale. Au début de juillet, paraissait dans L'Humanité illégale, sous la signature de Maurice Thorezet de Jacques Duclos, l'appel historique du Parti &la résistance.

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Le méme mois, trois cents communistes étaient arrêtés dans la région parisienne par la police française. Des centaines d'autres le furent en octobre. Ce furent les premiers otages sacrifiés à - -

l'ennemi. Un an plus tard, vingt-sept d'entre eux (dont un enfant de dix-

sept ans, Guy Môquet) étaient, par représailles, fusillés dans les carrières de Châteaubriant. Ils sont tombés, les yeux dans les yeux des fusilleurs, La Marseillaise aux lèvres.

Et, à la stupéfaction des nazis, l'un deux, l'ouvrier métallurgiste Jean-Pierre Timbaud, unissant, dans un dernier soume, le patrio- tisme et l'internationalisme prolétarien, s'écriait : « Vive le Parti communiste allemand ! 1)

Le 23 août 1941, en plein Paris, B la station de métro Barbès- Rochechouart, un officier supérieur hitlérien était exécuté : le héros qui lançait ce signal d'un combat sans merci pour la libéra- tion, c'était un ouvrier communiste, celui qui allait devenir notre légendaire colonel Fabien. Sa fiére devise : e Vaincre et vivre 1).

Le Parti communiste français n'a jamais-prétendu au monopole du sacrifice : il entraînait A ses côtés « celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas D. Mais, par le nombre et l'audace consciente de ses martyrs, il a bien mérité qu'on l'appelât le Parti des fusillés.

Les fusillés, nombre d'entre eux sont tombés en série, otages que les bourreaux ne se donnaient pas la peine de juger. Les murs sinistres des cachots portent la trace de leurs suprêmes pensées.

1 Ceux du Mont-Valérien par exemple. I Et c'est tout prbs de cesmessages d'héroïsme que furent assassinés

le philosophe Georges Politzer, le savant Jacques Solomon, l'écrivain Jacques Decour. E t ceux du Musée de l'homme. Et tant d'autres ...

Notre grand Gabriel &$mi qui avait fustigé les Munichois, les traitres, dans les colonnes de L'Humanité et la tebune de la Chambre, écrivait, avant de mourir, son testament mémorable :

i ç « ... J'irais dans la même voie si j'avais à recommencer ma vie. i Je crois toujours, cette nuit, que mon cher Paul Vaillant-Couturier / avait raison de dire que le communisme est la jeunesse du monde et

qu'il prépare des lendemains qui chantent. Je vais préparer tout ct l'heure des lendemains qui chantent. Jeme sens fort pour aoronter la mort. Adieu, et que vive lu France!

1. Voir ARAGON : c Le T6moin des martyrs n, L'Homme communiste, Galli- mard, édit., p. 111 B ., '133.

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Avant d'écrire ces mots sublimes dans la nuit qui devait s'ache- ver sur son supplice, Péri avait reçu la visite d'un traitre qui osait lui proposer un marché infâme : la vie sauve contre un reniement. Ce traftre, Gabriel l'avait chassé avec, au front, comme une flé- trissure, le non historique du héros. ' Non, ils ne sont pas morts en vain, ces hommes et ces femmes de France, ceux des maquis e t ceux des camps, comme l'exemplaire D anielle Casanova.

- - - o Que ma mort serve à quelque chose n, s'écriait notre moderne

Bara, Guy Môquet I A ce vœu répond l'affirmation de Roland Cauchy, capitaine F. T. P., fusil16 au Mont-Valérien, d'Eiigéne Clotrier, capitaine d'honneur F. T. P., torturé et fusil16 par la

, Gestapo, de Julien Ducos, jeune ouvrier fusillé ii vingt-trois ans. a Notre sacrifice n'aura pas t té inutile. Nous serons vengés. B Tous n'ont pas été tués sans jugement. Quant ii ceux qui, avant

que d'être assassinés n légalement i), ont été jugds, soit par les cours martiales hitlériennes, soit par le Tribunal d'État ou les Sections S~bciales de la France trahie, il en est malheureusement peu qui nÔus aient laisse trace de leur défense. Quelques-uns de leurs meilleurs avocats ont fini par subir leur sort. Disparus, Pitard, Haj je, Rolnikas, Python ...

Toutefois, les thmoignages qui nous restent nous permettent d'affirmer qu'à la différence des Communards, qui, à de rares excep- tions prbs, surent beaucoup moins bien se défendre qu'ils ne surent mourir l, nos martyrs ont, dans leur ensemble, tenu tête avec honneur e t politiquement aux machines il condamner.

Tel fut le cas de Jean Catelas, le cheminot, membre du Comité central du Parti communiste français. De Jean Catelas. soldat de Verdun et des Brigades internationales, qui sut affronter dignement le Tribunal d'État. C'est lui qui, aprés quatre mois de tortures, marchait à l'échafaud, dès l'aube du 24 septembre 1941, en criant B ses camarades : « Courage, camarades! Courage jusqu'au bout ! n E t c'&ait, dans sa gorge, une strophe de La Marseillaise qui allait être par la guillotine tranchée.

Tel fut aussi le cas de Madeleine Marzin, de Suzanne Masson, des Vingt-trois du groupe Manouchian.. .

1. II est vrai que leurs avocats rivalisèrent de lâcheté. Mais, Ci l'exception de Louise Michel et de Ferré, ils n'ont généralement pas imprime à leur autodéfense un caractbre politiquement offensif.

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LA MANIFESTATION DE L A RUE DE BUCI

E printemps de l'an 42. Devant Moscou et Léningrad, la pous- sée hitlérienne avait été brisée. La bête blessée se préparait

son dernier bond. De tout son poids. Les griffes tendues vers Stalingrad. Sébastopol tenait bon. Les armées soviétiques supportaient seules tout le choc. Le second front n'existera qu'à l'état de promesse, jusqu'au jour où, deux ans plus tard, il aura déjà changé d'ab jectif (non plus militaire, mais politique ; non plus contre l'envahisseur, mais contre l'allié soviétique trahi). Tou- tefois, à l'écoute de Londres, beaucoup de gens comptaient sur ce second front promis et suivaient les conseils attentistes de la B.. B. C.

presse et radio s'efforçaient de dissimuler l'action de la RQsis- tance, qui, F. T. P. en tête, portait à l'ennemi des coups de plus en plus rudes. Ce que les journaux ne pouvaient taire, ils. le pré- sentaient comme le fait de « terroristes )) isol6s. Il fallait une action de masse en plein Paris pour rompre ce silence et prouver devant tous le mouvement en marchant.

La population franpaise était irritée p,ar les restrictions, le trafic noir, les rbquisitions de vivres au profit de l'occupant. Elle était prEte à agir contre les affameurs. Il suilisait d'un signal de combativité pour qu'elle prît conscience de sa force.

Ce signal allait à peu près coïncider avec l'anniversaire de la Commune. Les r collabos r en furent si épouvantés qu'en leur nom un certain colonel Farge, commissaire du gouvernement, basse- ment et visant bas, communiquera sa peur au tribunal : i Si, le 31 mai, me de Buci, les agents ne s'étaient pas rendus

maftres de la situation, une nouvelle Commune éclatait à Paris. B Pas moins l Qtie s'était-il donc passé ? Le 31 mai, & l'angle des rues de Seine et de Buci, les rnénagbres

faisaient, comme B l'accoutumée, la queue devant les vitrines de l'épicerie a h o D. Des tracts avaient été distribués. La police

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LA MANlFESTATlON DE LA RUE DE BUCI 221. l

veillait. E t voici que, sous ses yeux, les femmes forcent I'entrhe. i A leur tête, la plus menue. Un gros homme lui barre le passage :

Vos tickets ? - Aujourd'hui, c'est sans tickets ! a Avec ses camarades, elle s'empare des boîtes de sardines et les

lance à toute volée en direction des ménagéres, qui, rompant la

i file, les ramassent.

Des hommes solides, de jeunes gars de seize & vingt ans, tout 1 i

prêts & la rescousse, refoulent le g6rant e t son personnel. Une 1 I mêl6e s'engage avec la police. 1

Quelle est cette femme toute menue qui dirige l'action ? Une l 1

institutrice sans peur, Madeleine Marzin. A ses côtés, de simples 1 i

gens, concierges, blanchisseuses, postiers, métallos. Dans la bagarre, des coups de feu sont échangés. Il y a des tués i

e t des blessés de part et d'autre. Deux agents sur le carreau. Des I i i !

arre stations : un 'poupe de résistants armes était resté jusqu'au bout pour protéger les ménaghres.

La brigade spéciale no 2 se venge sur ceux qui lui sont tombes sous la main : des étudiants, des femmes. Sur Yvonne ChauvirB, sur Madeleine Marzin, qu'elle frappe un jour entier à coups de nerfs de bœuf. De l'eau au visage, et l'on recommence. Menier a I'ojil crevé. Mais Vichy et sa brigade spéciale avaient eu peur.

Le magistrat chargé de l'instruction s'appelait Ménégaux. Inculpation : assassinat, tentative et complicit6, pillage et asso- ciation de malfaiteurs ! Emmenés au palais de justice sous bonne escorte, les accusés comparaissent devant le fameux Tribunal d'lhat.

Ce tribunal d'exception fonctionnait depuis peu : il avait été institué en septembre 41. De pur style hitlérien : les a juges a qui le composaient étaient désignés par décrets de Vichy. Magistrats ou non, des gens s sûrs o. Pas même une cour martiale l Ni cir- constances atténuantes ni sursis. Aucun recours, fût-ce en cassa- tion. La mort sans phrase.

Une procédure ultra-sommaire qui denieure secrète jusqu'h la veille de l'audience : c'est-à-dire du huis clos ! Pas de défenseur pendant l'instruction. Pendant les débats, pas de défenseur libre- ment choisi ; des avocats commis d90Ece, qui s'en donnent B cœur joie : un Isorni et un Castille encensent le a marbchal a, présentent leurs (( clients a comme des égarés. Leurs clients qui revendiquent fièrement la responsabilité de leurs actes l

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Le président était u n magistrat en retraite, du nom de Devise : il avait le goût du sang. C'est ce Devise-là qui, avant l'audience, confiait à un avocat qu'il croyait être celui de Madeleine Marzin : a Elle va être condamde à mort B. E t cela sur un ton jovial. Le misérable est mort assez récemment. Impuni !

Les débats du procés ont duré deux jours. A huis clos bien sûr, sauf pour la police et la Gestapo. Pendant les plaidoiries, ces messieurs, en imperméable couleur mastic, Btaient assis derriére le tribunal et prenaient des notes.

C'est dans cette atmosphère que les «. accusés de Buci D tenaient tête à l'accusation, qui, perdant pied, provoquait. Les accu&s &pondaient avec calme, brièvement. Sans rien renier. La dignitb des femmes contribuait & affermir le courage des hommes.

C'est à Madeleine Marzin qu'il incombait de souligner le sens de la manifestation.

a Les communistes, dit-elle, défendent comme toujours les conditions de vie du peuple, gui est démuni de* tout, alors qu'il. y a de tout en France. Le 31 mat, il s'agissait de montrer aux Parisiens le chemin de Paetion et comment, pw la lutte, il leur est possible d'amtliorer leur sort. 1)

Le commissaire du gouvernement, colonel Farge, réclame ses morts. Pas de preuve ? Qu'importe I

u Nous ne saurons jamais qui a tué les deux agents l... Mais la mort était présente rue de Buei; les criminels que vous avez à juger lui ont donné rendez-vous dans cette salle et elle vient vous demander justice. 19

Dans ces conditions-la, la mort ne pouvait être que fidele au rendez-vous. Elle fera bonne mesure. Cinq proies, condamnées Zi la peine capitale : le postier André Dalmas, le métallo Edgar Lefé- bure, l'ernploy6 Menier, l'institutrice Madeleine Marzin. L'étu- diant Pierre Benoit, par contumace.

Huit aux travaux forch. Quant aux quatre btudiants, on a l'hypocrisie de les envoyer dans une maison d9Qducation surveillée ... pour les livrer par la suite aux autorités allemandes, qui, le 8 février 1943, au Mont-Valhien, les fusilleront tous. Aprbs Stalingrad, aprés le (( tournant d8cisif B de l'histoire.

Morts en héros, Pierre Grelot, Louis Artus, Lucien Legros,

1, Le calibre des balles retrouvées dans leurs corps ne colncidait pas avec celui du seul revolver qui eût et6 saisi sur l'un des accusés.

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LA MANIFESTATION DE LA RUE DE BUCI 223

Jacques Baudry. Mort e n héros, leur camarade Pierre Benoit, le par contumace, arrêt6 plus tard comme F. T. P.

Je meurs en Français pour m a patrie », écrit Louis Artus 4 - -

son père* a Nous allons mourir avec le sourire aux lèvres, écrit Lucien

Legros à ses parents, car c'est pour le plus bel idéal. J 'ai le senti- ment, à cette heure, d'avoir vécu une vie complète. r

Morts e n h6ros sous la guillotine, le lendemain du verdict, Edgar Lefébure, l'admirable postier André Dalmas, qui,

le jour de son execution, Qcrivait B son Parti : a Que tous sachent que toutes mes pensées sont alldes, comme va

encore notre dernière pensée, d notre cher Parti, d notre grande Internationale communiste, à notre magnifique lutte des peuples pour leur libération, d notre cher Staline, lutte pour laquelle nous donnons aujourd'hui notre vie, froidement, le regard droit, la tête haute, fiers de mourir pour notre Patrie martyre, qui demain renaftra. D

Ils sont tombhs, La Marseillaise aux Ibvres. a Quand a été prononcé le verdict, &rit encore Andr6 Dalmas,

une seule personne a frémi : le président Devise. n Nous sommes demeuris impassibles.. . a A aucun moment je n'ai pleuré, mais les larmes me montent aux

yeux quand je revois l'inoubliable et magnifique sourire de Madeleine Marzin après le verdict.

D TOUS, nous nous sommes embrassés, presque sans émotion, car une incroyable f élicitd nous baignait : nous avions vaincu, nous dtions dignes de notre grand Parti et de tous ceuz que la lutte a dévorés avant nous.

a Au retoar, nous avons chant6 La Marseillaise, exactement comme vous la chanterez au jour du grand triomphe.

a J'insiste Id-dessus; au fond, nous n'wons pas grand mérite. P C'est s i simple de mourir quand on sait exactement PO URQ UOI

on meurt. a II est d'autant plus facile de mourir que l'on attache davantage

de prix à la vie. P Ici, une seule chose nous prive: nous sommes isolds les uns des

autres, P NOUS sommes mieux que des frères. MaW. nous nous sentons les

uns et les autres à travers les murailles. comme si des liens invisibles nous unissaient.

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a U n seul regret: ne plus participer à la lutte gigantesque, ce que nous ferions avec des moyens et une ardeur décuplés.

u Vive notre grand Parti!

« Je sais qu'ils sont innocents, avait dit le traître nonaginaire Pétain, mais il faut un exemple. r

Un exemple ? Ce sont les héros qui nous l'ont donné. Et il y a, parmi eux, une survivante qui l'a Bchappé belle I

C'est Madeleine Marzin, dont Dalmas évoquait r l'inoubliable - et magnifique sourire n. .

Pendant son transfert à Rennes, grâce ii la complicité de ses camarades du convoi et des cheminots de la gare Montparnasse, el1 e réussit à s'évader.

Hier au Conseil municipal, aujourd'hui députée de Paris. Une rescapée qu'en l'an 54 les traltres impunis ont le droit de couvrir d'outrages ! Une femme toute menue, toute modeste, qui veille sur la fiamme des morts. E t sur la flamme de Paris. Ce Paris de la Commune et des barricades qui a su s'emparer des canons d'un Trochu et des chars d'un Choltitz. Ce Paris ouvrier qui n'oublie pas e t ne s'oublie pas ...

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. . SUZANNE MASSON SOUS LA HACHE

UZANNE MASSON, dessinatrice industrielle, avait travaillé dans plusieurs usines de la région parisienne, notamment à La Courneuve. Dés 1926, elle militait, syndiquée B la C. G. T. U.

En février 1934, elle prend une part active A la lutte ouvrière contre le premier assaut du fascisme. Puis, dans la C. G. T. réuni- fiée, aux grands combats revendicatifs de 1936. Licenciée en 1938 e t inscrite sur les listes noires du patronat pour son action syndi- cale, elle consacre son temps Q l'école de rééducation crébe par la Fédération des métaux. En 1939,. pendant la n drôle de guerre n, elle rédige un tract admirable, qui réfute les mensonges du régime Daladier sur la réoccupation, par 1'ArmBe rouge, des régions d'Ukraine et de Biélorussie qu'avait annexées la Pologne blanche des colonels et des hobereaux.

Dès I'occupation nazie, elle est de cette phalange de militants qui, répondant à l'appel du Parti communiste, distribuent clan- destinement des journaux et organisent la RBsistance ouvrière.

Arrêtée par la police française l, qui, ayant trouvé chez elle un revolver e t une valise de tracts, la livre & la Gestapo. Internée en Allemagne dans la forteresse d'Anrath, elle refuse de travailler pour l'ennemi. Mieux encore, elle persuade aux autres prisonnihres d'en faire autant. Comme Pbélope, les voici toutes qui défont, le dimanche, le tricot de la semaine I

Ce refus de travail prend une signification hautement nationale et politique à 1'8poque où se généralise la déportation en Alle- magne des ouvriers français (par le S. T. O. du nazi Sa-et de ses complices de Vichy). A l'époque où les traftres"jp.etain, Laval e t consorts se livrent au plus odieux chantage, glorifient la a relève a. La relbve des prisonniers de guerre par les a volontaires r du travail forcé l

1. A Paris, 95, boulevard Macdonald, 03 une plaque a 6th apposée pour per- pétuer la m8moire de l'h6i.oïne.

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Le courage efficace de Suzanne Masson lui vaut, il deux reprises, le cachot. E t quel cachot l Elle surmonte son affaiblissement physique, elle communique B ses compagnes de captivitb sa vail- lance calme et souriante, a son inébranlable foi e n la victoire finale l a.

C'est en juin 1943, Lübeck, devant une cour martiale, qu'elle compara%. Détention d'armes, appels il la RQsistance, liaisons clandestines. Son attitude est exemplaire : elle impose le respect et 19admiration son avocat d'office, un nazi, e t 19interprbte - allemand.

--... ils reconnaitront son indomptable hérolsme : ier son action, elle en revendique fibrement

la responsabilité. Dans une lettre au procureur, nous rdvèle son n défenseur r

nazi, elle avait décIar6 n'avoir fait que son devoir de Françai~e envers sa patrie, son devoir de communiste B l'égard de l'humanit6. n S a n s aucune haine pour le peuple allemand, qu'elle estimait ti sa juste valeur. r Le verdict ne saurait infiuer en aucune manière sur sa position. La lettre se terminait n sur un vœu de succès pour l'ln- ternationale prolétarienne, à laquelle elle s'était vouée entièrement a.

Les déclarations de l'interprète Schickemann nous donnent une idée sans doute bien incomplète des réponses de Suzanne Masson au tribunal :

a Elle admettait avoir combattu l'idée de la n reldve D parce que quiconque travaillait e n Allemagne et pour l'Allemagne travaitlait contre la Prunce et contre l 'Un ion soviétique, qu'elle vénbrait comme patrie du communisme. »

a Vous rendez-vous compte, l u i demande le prisident, des cons6quences de votre acte ? r

a Je m'en rends compte, je les prends sur moi. a a Elle savait, écrit l'interprète, quel devait être le verdict, mais

elle n'hésitait pas un seul instant; inébranlable, d'une voix ferme, elle répondait à toutes les questions. Son attitude nous a remplis du plus profond respect pour cette femme brave et s i maîtresse d'elle- m&me. 1)

La sentence : double condamnation A mort. Elle l'écoute u dans un calme parfait P. Lorsque l'avocat lui avait proposé d'in-

1. D'aprbs sa citation posthume B l'ordre de la nation, qui la dhclare c morte en héroïne a.

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SUZANEJE MASSON 'SOUS LA HACHE 227

traduire un recours en grâce, avec hauteur elle avait refusé. -n A Hambourg, oii elle est transférée aprbs sa condamnation, l'h& j

<

roine Suzanne Masson sera y*-c le @'novembre + ______ _=- 1943, décqitée -- à la hache Quatre ans auparavant, p . e n d a n i o l e de guerre a, un gouier- . x

nement munichois l'avait fait inculper d' (( espionnage n, avec quel- ques ouvriers de l'usine Rateau. Au juge d'instruction, qui allait

un non-lieu, c'est elle qui avait déclaré proph8tiquement : tc L'avenir vous montrera que les communistes sont les meilleurs

~ ~ a n ç a i s , restés fidèles à l'i&ernationalisrne et à leur patrie.-)) Comment caract6riser plus lucidement ce que la vie e t la mort

de Suzanne Masson ont su prouver ? Sans autre dbfenseur nazi, isolée, maW non pas seule, elle a puisé sa force dans sa fi Fun élit6 au Parti des fusillés, dans son amour indivisible pour son peuplo et pour l'union soviétique libératrice. C'est sa confiance inébranlbe ui lui a permis, dans son cachot comme sous la hache, de ne jamais

jouter de la victoire. E t la victoire est aussi sa victoire. Elle a vaincu, non seulement

le bourreau, mais la hache du silence. En terre nazie, sans assistance et sans liaison extérieure, elle

aurait pu penser que, de ses paroles, de son attitude, rien ne serait jamais connu. Comment prévoir qu'un jour cet avocat, demeuré hitlérien jusqu'après la défaite de son dieu (en 1945, il n'est pas déshabitué du « Heil Hitler! 1)) et cet interprète assermenté des nazis rendraient hommage à son héroisme ?

Lâche, il lui eût ét6 possible de sauver du moins sa tête. Simple- ment courageuse, de se taire, de se contenter du fataliste (( à quoi bon 3 1).

Suzanne Masson n'a pas douté : devant cette cour martiale ennemie, à l'ombre de la hache, elle n'a pas hbsité & aflirmer sa conviction de travailleuse franpaise, 5i professer sa foi de patriote et de militante.

Pourquoi 7 Parce qu'elle était .communiste. Comme telle, elle &ait sûre que ses camarades sauraient. Et ils ont su, ils savent, l'épaisseur du secret a 6th percée. Elle a gagn6, Suzanne Masson I

Je dis n ils savent a. Mais ce que nous ne saurons jamais assez, ce que nous n'aurons jamais fini d'apprendre auprbs d'une héroine

,telle que Suzanne Masson, c'est que le patriotisme le plus haut et l'internationalisme prolétarien, la rande fraternité des peuples, sont unis par le plus indestructible es liens : celui qui est empreint dans le sang pur de nos marhyrs.

f

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LES VINGT-TROIS DU GROUPE IEA.NQUCHIAN1

A liaison du atriotisme et de l'internationalisme n'a pas Qté P seulement i lustrée en France par des Français tels 9"" LP. Timbaud et Suzanne Masson : nombreux furent es combattants immigrés qui se sont battus e t sont morts Q la fois pour leur pays et pour la France. Pour la cause des peuples.

Ce fut le cas des Vingt-trois. Sur les vingt-trois accusés du groupe Manouchian, il n'y avait que trois Français : u tourbe internationale a, c'est ainsi que la presse hitlérienne de langue française présentait ces héros, et l'objectif principal de leur proces était de justifier une ignoble affiche (u La libération par l'armée du crime D), de faire croire aux Français que la Résistance &ait dirigée par des N étrangers r, de décourager et de diviser le peuple en misant sur la xénophobie et l'antisémitisme.

Qu'avaient-ils fait, ces (( étrangers B 3 C'était pendant l'automne 1943 : l'Armée rouge, culbutant la

Wehrmacht, libérait l'Ukraine. Pas plus de second front qu'en 1942. En France, malgré les rodomonts démobilisateurs de la radio gaulliste, mûrissaient les conditions de l'insurrection nationale. Les francs-tireurs et partisans agissaient.

Au seul Misaak Manouchian, pobte arménien, l'accusation n'a pas imputé moins de 56 actions, qui ont coûté aux nazis 150 morts et 600 blessés. Sans compter les actions qu'elle n'a pas connues 1 Sa poésie a délaissé le temps des cerises pour le temps des grenades.

Il ne se passait gubre de semaine sans qu'en plein Gross Paris des détachements militaires ennemis ne fussent attaqués e t décimés. Le commandant du Gross Paris était le é n h l von Schaunburg : c'est lui qui désignait à ses pelotons fi e tueurs la liste des otages A fusiller. Le 10 juillet encore... Et, le 28, il était dechiqueté par une bombe. Les auteurs de cet exploit: le jeune

1. Lire Pages de gloire dcs Vingt-trois, brochure Bditbe par le C. F. D. -1.

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LES VINGT-TROIS DU GROUPE MANOUCHIAN 229

polonais Rayman, surnomm6 ir Tchapafev r, l'Espagnol Alfonso e t l'Italien Fontano, du groupe Manouchian.

Vers la même époque, les jeunes Français, non volontaires pour le travail en Hitlérie, étaient saisis dans des rafles et d6port6s. Le dgr ier en chef &ait le standartenführer Julius Ritter. Le 29 sep- tembre, il était exécut6. Par Alfonso Celestino, de l'armbe répu- blicaine espagnole, - et Rayman - Tchapaiev, tandis que Fontano assurait leur protection.

Cependant, avec l'aide d'un provocateur, la police et la Gestapo arrêtent les patriotes par centaines. Ayant mis la main sur les héros a Qtrangers o, l'occupant met en scène un procés A grand spectacle. Le 17 février 1944, ik I'hôtel Continental.

La .prBparation d'artillerie avait B t B confiée A une presse qui rivalisait de bassesse et d'abjection. Sous ce pilonnage d'ordures explosives et sous le feu des sunlights, le proces dure deux jours. La défense 3 Six avocats hitlériens commis d'office 1

Mais eux, les Vingt-trois, que disent-ils ? Au prbsident qui lui demande pourquoi, Qtranger, il cherche A

libbrer la France, l'Espagnol Alfonso répond : a J'artime que tout ouvrier conscient doit, olf qu'il soit, ddfendre

sa classe. D Quant & Rayman-Tchapafev, il se considère comme un soldat :

a Question de vie ou de mort, pas d'autre moyen d'entrer en lutte contre I'arrnt!e d9 occupat ion I D

Avant de rendre sa sentence de mort, le tribunal militaire nazi, par la voix de son président, précise que K ce n'est pas seule- ment le sort de l'Allemagne qui est en jeu, mais celui de l'Europe p...

Déjh ! Les dernières parofes de ceux qui vont mourir sont pour procla-

mer leur foi dans la justesse de leur cause, dans la libération pro- chaine de la France. Elles sonnent comme un glas aux oreilles des assassins de iustice déià vaincus.

S'ils vivaiént encor;, ces héros, la progéniture de Vichy les abreuverait d'injures, les expulserait, les déporterait '.

3. Depuis que ces lignes ont étb écrites, deux héros du groupe Manouchian ont étb chassés de Paris comme indésirables par les gouvernants de la nouvelle abdication nationale 1 Mavian et Kostantinian ont été envoyés en résidence sur- veillée, l'un dans le Puy-de-DBme, l'autre dans le Cantal, puis dans 171s&re. Et voilà plus d'un an (plus de dix-huit mois pour Kostantinian) que ce scandale dure 1 Un comité d'initiative s'est constitué pour en informer l'opinion e t pour

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Ils ont &b fusill&, au Mont-Valérien le 21 f6vrier 1944. r A deux doigts de la victoire et du but )), écrira, quelques heures avant sa I mort, l'admirable Manouchian, dont la dernibre lettre est le chant

1 du cygne d'un vrai poète : (( Bonheur h ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de

la liberté, de la paix de demain! 1)

Lui aussi, comme Suzanne Masson, roclame qulil ne nourrit aucune haine contre le peuple alleman %. 1 1

« Le peuple allemand et tous les* autres peuples vivront en paiz 1 et en fraternité. D E t il va tomber comme il a vecu, en regardant le soleil en face ... A ses cdtés, Rayman-Tchapaiev, le jeune ouvrier juif polonais

i de vingt et un ans, dont le dernier message aura ét6 un cri de joie :

Vive la vie belle et joyeuse comme vous l'aurez tau s!... Que tout 1 1 i le monde vive , heureux j. .: 1) 1 1

obtenir que l'indignation populaire y mette fin. Celle-ci est déjà parvenue à empêcher que Mavian ne soit déporté dans un camp d'Allemagne occidentale ; mais n'est-ce pas une question d'honneur pour notre peuple d'arracher la libéra- tion totale de ces deux combattants de la Résistance française ?

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Je suis traque par toutes leurs polices, elles ont le droit de tirer sur moi sans sommation, ma tete est mise ii prix. Mais je ne me suis pas Bvadé pour me laisser reprendre maintenant, sans vendre chCement ma vie. a Mieux vaut mourir debout que vivre 2i ge-

LEUR MESSAGE EST UN CHANT..

noux. r Je ne l'ai pas oublié ... Charles DEBARGE, 14 juillet 1942 l.

ANS toutes les lettres de nos fusillés, Français ou immi (qui ont Bté réunies dans un Qmouvant recueil par les tions France d'abord), dominent quelques thbmes très simples,

dont l'insirttance et la sereine grandeur bouleversent l'âme des sur- vivants :

u Personne n'a flanché - Je n'ai pas desserré les lbvres - Aucun camarade n'est tombé par mon fait ... a E t la fierte devant le courage des autres ... ((Ce qui me rend heureux, écrit Joseph Delobel, fusillé & Arras en 1942, au printemps, c'est le cran, le courage montré par tous les camarades communistes. B

La fiertb aussi, dans ce face-&-face avec la mort, du devoir accompli e t la conscience d'avoir agi pour une juste cause. Le r j'irais dans la même voie 2 de Gabriel PBri :

J e ne regrette rien de ce que j'ai fait et serais tout prêt à recom- mencer. a (Andrd Chassagne et André Durand, fusillés au Mont- Valérien). (( Ne p1eu.rez pas sur mon sort, car il est enviable. ip a Je meurs pour mon idéal, pour la France. t) (Jean Fournier, fusillé le 20 mai 1944.) r Pour la libdration de la France r, reprennent les voix de Georges Hervewyn, le fusillé de la place Balard, e t de Maurice Pirolley, deux heures avant son exécution. A vingt ans 1

1. Les Carnets de CharlesDebarge, recueillis Gd. sociales, p. 75.

commentés par Madeleine Riff aud,

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* Pour la libertd des peuples - Pour la paix et la froternitd des peuples - Sans haine contre le peuple allemand a, dit, entre autres, PArmbnien Manouchian.

a Pour mon Parti, mon beau Parti a, affirment la plupart de ces patriotes, fidèles Q la cause confondue de la classe ouvriére, du peuple et de la nation. a Nous allons leur montrer comment savent mourir les communistes P (Robert Hamel, ainsi que Pierre Rebière, du Comité central, qui, aussitôt. après le massacre de Châteaubriant, avait abattu B. Bordeaux un oflicier ennemi).

Rien n'est plus Bmouvant et B la fois plus tonifiant que ces professions de foi suprêmes, ces professions d'amour et de fidélit6 que nous léguent ces martyrs lucides qui vont affronter la mort en chantant.

C'est encore notre cher Pierre Rebière : « Il n'est pas facile d'écrire les mains enchabnées, ma&, pour icn

communiste, il n'est rien de tout b fait impossible ... A mon Parti je dois compte de mes dernières actions. J'az écrit ce que j'ai pu pour pue ceux qui prendront ma place sur lu K grande barricade a puissent disposer de mes armes et de quelques munitions, afin que ma mort ne soit pas tout à fait la fin de ma lutte ... Je répète que, si je veux garder toutes mes facultis $sans excitation morbide ni abattement, je le dois à ma CONFIANCE, à na CERTITUDE dans le Parti communiste, dans le marxisme développé par Paction de Lénine et de Staline, et je peux penser avec compassion à tous ceux qui sont tombés sans idéal ou sans avoir eu confiance absolue en celui-ci. Ils ont dû bien sou0rir ... Pour nous, c'est tellement plus facile ... 11

C'est Julien Hapiot, lui aussi un ancien des Brigades internatio- nales, organisateur des F. T. P. du Nord, torture et fusillé (sep- tembre 1943) par la Gestapo :

a A quelque$ jours de mon exécution, je veux clamer une fois de plus mon amour au grand Parti communiste. J e remercie tant celui-ci de m'avoir éclair8 et donné les connaLssancts satisfaisantes pom me permettre Gêtre utile d mes concitopem. Grâce a lui, ,mon existence nluura pas été inutile ... a

C'est le lieutenant F. T. P. Paul Camphin, exécuté en novembre 1943 :

« Adieu, mon beau Parti! Adieu, mon beau pays! Celui qui oa mourir vous salue.., *

Et ce cri bouleversant de l'ouvrier métallurgiste Maurice Laca-

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UR MESSAGE EST UN CHANT

%ette, responsable politique des F. T. P. de Bretagne, fusille en août 1943 :

r ... Et s'il y a quelque chose dont je suis fier- aujour#hili, d la veille 3e disparaitre, c'est de ma droiture de militant, de ma fidilit4 au Parti et -d sa cause ... D

Oui, c'est en chantant qu'ils partent, le jeune lycden Pierre Benoit (« Le réve des hommes fait Cgdnement ... La vie sera belle. Nous partons en chantant ... a), Julien Hapiot (r C'est au chant de nos aieuz pue nous irons au poteau d'exdcution r) et tant d'autres, fiers non pas tant ' d'eux-mêmes que de la cause pour laquelle ils tombent.

De cette cause dont tous annoncent avec une sereine certitude le triomphe.

n J e sais que la lutte que nous avons entreprise ne sera pas aban- donnée et que bientdt la victoire viendra couronner notre sacrifice. D (Pierre Lamandt5, lieutenant-colonel F. T. P., fusillé au mont Valérien.)

u Le triomphe est certain. B (Joseph Delobel.) n Le nazisme et le fascisme sont à la veille de mourir pour toujours. a

a J e suis certain que nous triompherons, que 1s hommes seront heureux. a (Maurice Lacazette.)

u Ayez confiame en la victoire, elle est Id toute proche. a (Jean Robert, guillotiné à Nlmee en avril 1943.)

a J e sais sûr que plus tard il y aura un monde de joie et d'amm.r (Fernand Zalkinov, étudiant, ex6cut6 B seize ans 1 )

Mais la victoire ne se conquerra pas sans lutte. Et c'est l'appel clairvoyant B la reléve. La vraie relève :

a ... J'ai choisi la bonne route. la route qui mène au bonheur des peuples dans une humanité récokciliée. &fais ce chemin est long et difficile; beaucoup pwmi nous sont tombés, d'autres tomberont encore... Ce sont des centaines, des milliers de patriotes qui se dresse- ront pour la relève. r (Jean Robert.)

Et encore l'intrépide Rebiére : u Je comprends bien que va s'ouvrir une pLriode de lutte, D o m

LES FORMES NEUVES NE MANQUERONT PAS D'ÉTONNER CERTAINS. II faudra avoir le cœur solide et beaucoup de courage. Et dire que je vais me coucher et dormir ... t>

Cet appel au combat durement victorieux, c'est celui que lan- cera notre inoubliable Pierre SQrnard, ancien secrhtaire g é n h l du Parti communiste franpais, dirigeant de la Fédération des cheminots :

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a Ma dernihe penske est avec vous, camarades de lutte, avec tous les membres de notre Parti, avec tous les Français patriotes, avec les héro" ues combattants de l ' A m & Rouge et son chef, le grand Staline.

i meurs ovec la certitude de la libération de la France. Dites mes amis les cheminots qu'ils ne fassent rien qui puisse sider les na gis.

a Les cheminots me comprendront, ils m'entendront, iis agiront ! J'en suis convaincu.

D Adieu, chers amis, l'heure de mourir approche. Mak je sais que les nazis gui vont me fusiller SONT DSJA VAINCUS et que la France saura poursuivre le grand corn bat. Vive l' Union soviétique et ses alliés sl Vive la France! a

Voila comment nos martyrs ont fait face A la mort. La tête haute et les yeux sans bandeau. Avec une âme de vainqueurs. Dignes émules d'0leg Kochévor, de Zoïa Kosmodémianskala, des millions de h6ros qui ont illustré la patrie libératrice de l'homme véritable. De l'homme nouveau l.

1. E t c'est 4 la mémoire de ces martyrs que ne craignent pas de faire insulte, en acceptant de réarmer leurs bourreaux, les ministres d'un jour qui, dedaigneux du testament de nos morts comme de la sécurité des vivants, sacrifient à une Europe-croupion la France que ses héros ont tant contribué A faire I

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CHANT DES LENDEMAINS

L A terre de France qui de leur sang génbreux s'est ensemencée n'est pas la seule où des pierres et des croix jalonnent le chemin des martyrs. Au pays d'oradour fait, entre autres,

pendant le pays de Lidice. E t le bourreau Heydrich ne le cédait en rien au bourreau Stulpnagel.

Julius Fucik était le grand espoir de la nouvelle géndration d'bcrivains tchéques. Lié à son peuple, à son Parti, rbdacteur au Rudé Pravo l, légal puis illégal, il a écrit son dernier e reportage n et chant6 son chant du cygne « sous la potence B. Le chant des torturés.

a La cellule 267 chante. J'ai chanté toute ma vie, je ne sais pas pourquoi je devrais cesser maintenant, justement à la fin, au moment où je vis le plus intensdrnent... II n'y a pas de oie sans chants comme il n'y a pas de vie sans soleil. Et nous ici, nous avons besoin de deux fois plus de chants parce que le soleil ne vient pas jusqu'à nous S... n

1943 : le P r mai 1 Dans la cour de la prison, il se fait moniteur : il mime et fait mimer le geste qui martèle et le geste qui fauche. Le marteau et la faucille. Les autres a réphtent les exercices avec ferveur )). ..

r Voila, les amis, c'est notre manifestation du l e* mai, et cette pantomime, c'est notre promesse du l e r mai, à laquelle, même en montant à la mort, nous restons fidèles. ))

Un camarade a fléchi sous la torture 2 il a parlé (( pour proteger sadpeau a. Qu'y a-t-il gagné ?

n Un lâche perd plus que sa vie. Il a perdu. Il a déserté l'armée glorieuse et il s'est ezposb même au mépris de son ennemi le plus bas. Et, même vivant, il ne vivait plus. Parce qu'il s'est exclu de la collectivité 3. ))

Si la solitude est le lot du lâche, la fraternité en préserve les autres. La fraternité des opprimés. u Une fraternité de peu de mots e t de grands services. D

1. Organe du Parti communiste tchécoslovaque. 2. Julius Fucm : &rit sous la potence, $d. Pierre Seghers, p. 58 et 59. 3. Id. , p. 80.

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236 LA D*FENSE ACCUSE

. a Le prisonnier n'est pas seul ... Les cellules ont des mains, tu sens comme elles te soutiennent, afin que tu ne tombes pas quand tu retournes après les tortures de l'interrogatoire., Les cellules ont des yeux, elles te regardent quand tu pars pour l'exécution et tu saM qu'il faut y aller la tête haute parce que tu es leur frère et que tu ne dois pas les a8aiblir même par un pas chancelant... l n

Mais l'approche des Qcheances se précipite. Laquelle devancera l'autre 3

« C'est une course de l'espoir avec la guerre. La course de la mort avec la mort. Qui est-ce qui viendra la première : la mort du fascisme ou ma propre mort ?... J'ai toujours pensé combien il est triste d'être le dernier soldat frappé au cœur par la dernière balle et dans la der- niére seconde. Mais quelqu'un doit être ce dernier-là. Si je savais que je peax,être celui-là, je voudrais l'dtre encore maintenant 2. r

Mais, tandis que Fucik évoque - et avec quel relief! - les figures des héros, ses compagnons, et les figurines i, des tortion- naires, son heure approche.

Et il écrit ses derniéres paroles, où deborde son amour de la vie, son amour des hommes:

u Mon rdle aussi approche de sa fin. Je ne récris plus, cette fin. Je ne la connais plus déjd. Ce n'est plus un rôle. C'est la vie. Et dans la oie il n'y a pas de spectateurs.

u Le rideau se lève. B Hommes, je vous aimais. Veillez l a

l

Cette jeune vie allait être fauchée & Berlin, le 8 septembre 1943, quinze jours aprés la condamnation B mort 4.

Veillez l La patrie de Jean Huss veillait. LibérBe par les armees soviétiques, elle veille, non seulement sur la mémoire de ses héros, mais sur l'exécution de leurs volontés dernibres. Et, vigilante A l'égard des espions et des traîtres soudoybs par les services secrets Btrangers, elle prbserve et construit les lendemains que rêvait, en chantant dans sa cellule et jusque sous la potence, l'exemplaire Bcrivain Julius Fucik,

1. Id., p. 80 A 82. 2. Id., p. 102 e t 103. 3. Id., p. 192. 4. En novembre 9952, le procés de Prague nous a appris que c'est l'un des

complices du trattre Slansky, Reicin, ancien ministre de la Défense nationale, qui avait dénonce à la Gestapo l'admirable Fucik. Ce pourvoyeur de potence a avoue et--expie ses crimes.

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DE 1940 A NOS JOURS.

III. SOUS LA DOMINATION AMERICAINE

Autrefois, la bourgeoisie se permettait de jouer au libbralisme, elle défendait les libertés démocratiques bourgeoises et se créait ainsi une popularitb. Mainte- nant, il ne reste plus trace du libbralisme. Les préten- dues r libertés individuelles B n'existent plus, les droits de l'individu ne sont reconnus maintenant qu'à ceux

' qui possèdent un capital, e t tous les autres citoyens sont considérés comme un matériel humain brut, bon seulement à etre exploit& Le principe de l'égalitt! en droits des hommes et des nations est foulé aux pieds, il est remplacé par le principe qui donne tous les droits B la minorith exploiteuse et prive de droits la majoritb exploit4e des citoyens. Le drapeau des libertes démo- cratiques bourgeoises est jeté par-dessus bord. Je

ense que, ce drapeau, c'est à vous, reprbsentants des bartis communistes e t démocratiques, de le relever e t de le porter en avant si vous vous voulez rassembler autour de vous la majorité du peuple. Nul autre que vous ne peut le relever.

STALINE : a Discours au XlXe Congrés du Parti communiste de l'Union sovié- tique r, Derniers dcrits, p. 167-188, $ditions sociales, Paris, 1953.

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LE PROC&S AMÉRICAIN DES ONZE

Il suffit de se pencher sur les statistiques et de lire les œuvres de Jack London, d'Upton Sinclair, de Théodore Dreiser, de John Steinbeck, pour se rendre compte de la férocitb des antagonismes de classe, de la violence des luttes, du courage des ouvriers amhri- cains, de l'existence des forces progressiyes, du climat économique et social où mûrissent, pour les vendanges futures, les raisins de la c o k e I

Jean FREVILLE : Les Briseurs de chaines.

ME Eleanor Roosevelt porte un grand nom. C'est elle qui, B la troisième commission de 1'0. N. U. qu'elle préside, a mis aux voix la Déclaration internationale des droits de l'homme,

dont l'article 2 condamne solennellement toute discrimination raciale, sociale ou politique. Rien de plus naturel quand on repr6- sente le pays du (( Premier Amendement r, tutélaire de la liberte d'expression et de réunion.

Or, tandis que Mme Roosevelt tenait cet 610 uent nouveau-n6 sur les fonts baptismaux des Nations soi-disant dnies, voilà que, dam sa patrie même, la liberté, dont la statue éclaire peut-être le monde, mais tourne certainement le dos au port de New-York, était refusée à douze citoyens coupables de professer le marxisme- léninisme ... C'est-à-dire une doctrine qui, depuis un sibcle, parais- sait n légale a, sinon légitime, à touq les concitoyens de Mme Roose- velt. Une doctrine qui est A la fois plus ancienne et plus actuelle que le bronze creux de la c8èbre statue !

Douze citoyens à qui le gouvernement de la R libre entreprise n fait grief, non pas d'avoir commis tel ou tel acte contraire aux lois, mais d'être demeurés fidèles à leurs opinions et & leur Parti : a conspiration tendant au renversement e t & la destruction du gouvernement des États-Unis par la force.. . r. L'organisation d'un

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Parti l6gal et de ses Qcoles, la diffusion de son programme, tel Qtait leur crime !

Le procès -d'opinion Q l'état pur. Hitler lui-même, qui ne se réclamait nullement de la a démocratie D ni d'une déclaration d'indépendance reconnaissant au peuple le droit de a changer de gouvernement a, s'&ait cru oblige d'allumer un incendie avant d'en accuser les mécréants.

L'AmBrique du président Truman, oii la cagoule du Ku Klux Klan va de pair avec le masque, l'affublement n démocratique a, 1'Amérique ne s'embarrasse pas de donner un simulacre de corps à ses accusations, ni d'accorder sa justice aux traditions qu'elle ose encore arborer, aux institutions dont elle brandit e t propose en exemple le a libéralisme a.

Tant il est vrai que, sous le règne agressif des monopoles, la liberté, comme la paix, ne sont plus tolérables qu'en tant que matériel plastique et sonore! Le bronze des statues ou la majus- cule des mots servent & désamorcer la chose. A falsifier et mystifier.

Ce qu'il fallait frapper dans les Douze, ce n'était pas seulement le communisme, en la personne de dirigeants tels que William Foster et Eugène Dennis l, ce n'était pas seulement la doctrine scientifique du marxisme-léninisme : c'était aussi 1'0 position & la politique de guerre, la résistance au fascisme, P la t) iscrimination raciale, au lynchage des Noirs ; c'était l'Am6rique de Jefferson et de Tom Payne, même celle de Lincoln e t de Franklin Roosevelt.

Sur cette Amérique-la, il s'agissait de faire prévaloir l'Amérique du juge Lynch, du juge Medina.

Au juge Medina, on avait pris soin d'assurer un jury f6ddral fabriqué sur mesure. L'homme qui préside Q cette fabrication est le juge George Knox : il a érigé en systbme (et il s'en vante) l'élimination des travailleurs, des chômeurs, des Nè reg, des Juifs, des partisans de la paix et des citoyens suspects f e non-confor- misme. Un premier triage par quartiers urbains - les r beaux quartiers a I - est complété par une seconde sélection qu'on peut appeler a écrémage ».

Bien entendu, ces s6lections ont ét6 pratiquees de façon parti- l

1. Les noms des dix autres: Benjamin Davis, Robert Thomson, John William- son, Jack Stachel, Henri Winston, John Gates, Gilbert Green, Irving Potash, Carl Winter, Gus Hall; Sur leurs figures et leur passé, lire la brochure de Vladimir POZNER : Le Procès des Douze, Bditée par le Comité français d'action en faveur des 1 douze dirigeants du Parti communiste des Stats-Unis, p. 4 à 6.

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culièrement savante et soigneuse pour le procès anticommuniste I

des Douze! Un rapport de la Haldane Society anglaise et une conférence de

Me Dennery, avocat parisien, qui a assisté CL la première partie du procès, nous édifient sur ces méthodes et sur les nombreuses audiences qu'il a fallu consacrer CL leur discussion. Elles ont été doctement >pprouvées par la Cour fédérale. Me Dennery a été frappé par l'impudence de l'accusation et le cynisme qui a présidé B la conduite de cette parodie de justice. n J'ai la certitude, nous a- t-il dit, qu'il y avait là une somme considérable d'hbrésies et même de sauvageries juridi ucs. a E t il évoquait la silhouette du juge Harold Medina, sa (( c f ésinvolture boulevardière a, ses plaisanteries grossières l, alternant avec des colères calculêes a pour noyer le poisson au moment où certains témoignages peuvent devenir plus précis x.

A une cour ainsi composée, il fallait un instrument de a droit » : ce fut le Smith Act (la loi Smith), qui présentait cette double vertu d'être inconstitutionnelle et r parfaitement inapplicable à l'es- pèce P. Il restait B l'accusation de la détourner de son sens.

La défense s'est battue pied pied sur le plan juridique, ce qui a valu aux avocats d'être condamnés à. leur tour à l'emprisonne- ment. Pour avoir (entre autres griefs) provoqué des incidents de nature & n endommager la santé a du juge Medina !

E t les Douze, comment se sont-ils comportés ? William Foster, dont le proces a bt6 disjoint en raison de son état de santé, avait rédigé une brochure intitulbe Pour la défense du Parti communiste et de ses dirigeants poursuivis, dont il a fait, l'an dernier, 'une analyse autocritique développée 2.

Cette brochure comporte un exposé théorique et pratique de l'exp6rience accumulée par le mouvement communiste mondial, en ce qui concerne la politique de front uni, depuis 1935.

(( Dans sa défense, écrit Poster, qui Btait au fond une attaque contre le capitalisme, notre Parti a suivi une ligne marxiste-léni- niste juste. 1)

E t il estime pue, devant le tribunal, « nous avons exposé en

1. Un exemple de sa vulgarité : our écarter des documents produits par la défense, il s'&rie : a Je ne vais pas es lire non plus, vous pouvez les mettre dans votre pipe e t les fumer I D

P 2. Pour une paiz durable, pour m e démocratie poptain?, 1 5 août 1950.

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242 LA DÉFENSE AGCUSE

génbral d'une façon juste l'ensemble des questions de la force et de la violence dans la lutte de classes 1).

Des onze qui ont effectivement comparu, c'est Eugène Dennis ui, à la fois comme dirigeant et comme avocat, a assumé la

Béfense coiiective. Sa déclaration finale est un important dooument politique. Après avoir dénoncé les faux témoignages <r préfabri- qués 11 et &futé l'accusation, « qui ne prétend pas seulement être ventriloque et parler à notre place u, mais voyante extra-lucide-en essayant de déchiffrer la pensée des communistes, Dennis va faire un ample exposé doctrinal : les principes de base du marxisme- léninisme et la signification du socialisme scientifique.

Mais il condamne d'abord le système hitlérien d'incrimination collective.

a Ce qui a commencé en Allemagne nazie contre les Juifs et les communistes a frappé très rapidement les protestants et les catho- liques, les social-démocrates et les syndicalistes, et, peu après, tout le peuple allemand était embrigadé, toute l'humanité progressive '

dtait attaquée ... n Il d i t comment les communistes utilisent les leçons de l'histoire :

il cite l'exemple de Carl Schurz, ce contemporain de Lincoln qui, élu à la Chambre des représentants, eut, en 1898, le courage de s'opposer à la guerre hispano-américaine. Par patriotisme. u Si ma patrie a tort, il faut la remettre dans le droit chemin. n

(( Et nous, les accusés, nous avons dit au jury que nous sommes , d'accord avec l'idée patriotique exprimée par Carl Schurz. n

Dennis glorifie le combat de masse mené par les communistes pour la paix, contre la politique d'intervention dans les affaires intérieures de la Grèce, de la Turquie, de la Chine.

I I

1 Contre le plan ~ a r s h a l l , « de sin~~tre'au~ure, qui exporte des armes,

de l'anticommunisme et des crises économiques en Europe, et qui s'immisce dans la vie économique et politique de l'Europe occidentale u.

Contre le Pacte atlantique, « qui ressuscite les zones anticommu- nistes 1). Contre la diplomatie de violence n des conspirateurs qui veulent une guerre atomique ».

« Nous nous sommes unis avec des quakers, des catholiques, des protestants, des Juifs, avec des ouvriers et des employés, des Noirs et des Blancs, des jeunes et des femmes. D'opinions divergentes sur toutes les questions imaginables, ils commencent à se mettre d'accord sur le fait qu'eux, pas plus que nous, ne veulent d'une guerre atomique, d'une autre guerre mondiale. u

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Et, après avoir compare ce procès avec le procès de l'incendie du Reichstag, Dennis conclut par une courageuse affirmation de fidélité commune & la cause persécutée e t de confiance en la victoire finale.

e D'une façon ou d'une antre, nous continuerons a servir la cause de la paix, de la démocratie et d u progrès social, à laquelle nous avons consacré nos vies!

x D'une façon ou d'une autre, cette cause triomphera inévitablement, parce que personne, ni aacune administration fédérale, ne peut arrêter la marche e n avant de l'histoire, la marche e n avant de la paix. Personne ne peut tuer les idées ou emprisonner les principes et les opinions. a

Le procés, commencé en janvier 1949, allait prendre fin plus de huit mois après, en octobre, par le verdict attendu. Comme si la sélection savante du jury, le conformisme excité du juge Médina, les faux témoins, la a sauvagerie juridique a des débats ne consti- tuaient pas des gages suffisants pour l'accusation et le gouverne- ment, on avait fait donner l'artillerie lourde, on avait déchaîné la meute B voix unique de la presse monopolisée. Les chiens de la chasse aux Rouges. n DBportez-les, fusillez-les, débarrassez le pays du péril rouge ! » Un climat de pogrom. Une véritable (( danse du scalp l a. L'opinion, ainsi préparée, ne fut nullement surprise, mais plutôt soulagée par les condamnations 2. La liberte d'entreprise était sauvée. Les États-unis étaient préservés pour l'instant de l'invasion apocalyptique !

Lorsque les avocats furent A leur tour condamnés pour avoir compromis la santé du fameux Medina, c'est encore Eugène Dennis qui caractérisa ce procès ((sinistre et policier a et la double sentence, « prodùit illégitime et malfaisant de la conspiration bipar- tisane >) contre la démocratie et la paix.

Mais de tels verdicts serviront ((2 alerter et dresser notre peuple contre ce gui s'est passé ici n. E t Dennis lance à rr Son Honneur D Medina et à ses pareils cet avertissement final :

« Dans l'Allemagne nazie, dans l'Italie mussolinienne, des hommes siégeant dans de hautes juridictions prononcèrent aussi des décisions profascistes. Mais je rappellerai à la Cour que le peuple a renversé

1. Vladimir POZNER, OUV. c d . , p. 6 . 1 2. Ils furent tous condamnés à cinq ans d'emprisonnement (sauf Robert Thom- . ,

son, condamné à trois ans) et à 10 000 dollars d'amende. ; 1 I

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ces décisions. Exactement comme notre peuple renversera les otltres. Et la sentence qu'il rendra sera pour ta p a h , la démocratie et le progrès social. ))

Un journaliste français conservateur, un académicien 1, obser- vait que, sans décret, sans loi, sans débat parlementaire 11, ce jugement seul avait eu pour effet do mettre le Parti communiste américain hors la loi : c'est ainsi que le pays de Franklin, mais aussi des juges Lynch et Medina, pense réussir cette performance : introniser le fascisme (pas le mot, la chose) sous le couvert de la n démocratie 1). D'une démocratie ploutocratique et raciste qui assassine (avec ou sans forme de justice) les hommes de couleur. D'une démocratie au napalm qui, Bible en main, extermine des peuples, transforme des villes en nécropoles, qui entretient ou ressuscite des dictatures de type hitlérien (Franco, Tito, Syn man Rhee). Tandis que Mme Eleanar Roosevelt continue il présifer la commission internationale des droits de l'homme !

Ce monstre judiciaire que constitue le prochs des Onze ne procède pas seulement de la discrimination politique de style fasciste : il a mX la justice américaine sur le pied de guerre. Comme le sont, aux États-unis, l'économie et l'armée. La justice améri- caine 3.. .

Dans sa prison, Eugène Dennis avait raison d'écrire que ce pro- cbs avait été conduit (( dans le feu de la préparation et pour les besoins de l'agression impkrialiste et de la guerre criminelle contre la Corée a et que la décision de la Cour fédérale u vise tous les parti- sans de la paix u.

C'est vrai. Les trusts américains ont besoin de la guerre pour - retarder la crise Bconomique inéluctable et la montée des forces démocratiques : c'est la logique de la peur.

Pour réaliser (( le maximum de profits n en dominant tous les marchés, qu'ils leur soient accessiblesr par la corruption ou par la conquête. En pillant les pays colonisés : c'est la logique de la cupidité impérialiste.

lbouffer les forces de libération et de paix, c'est la fois l'un des buts de leur politique d'agression et la condition de sa possi-

1. Gtienne GILSON : Le Monde, 20 octobre 1949. 2. Soyons justes : Mme Roosevelt vient de protester enfin contre la loi Smith

contre sa consécration par la Cour suprême, qui a confirmé le monstrueux verdict ' et contre l'emprisonnement des Onze.

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hilit6 : il leur faut des mercenaires souples et des arrières sûrs. -- Et ce n'est pas chose facile.

Le procès des Onze n'a pas étéun simple procès de sorcellerie tramé par les broyeurs de noir et de rouge, à l'ombre de la statue x éclai- rante 1) et d'un quadrillage de barreaux, pour justifier et aggraver la chasse aux sorcières.

C'est aussi un ct surplus », un produit d'exportation, comme le coca-cola et le mensonge comprimé en (( digest D, comme le gangs- térisme et l'obsession du désespoir, comme le mépris et la haine de l'homme pour l'homme.

Un signal : le signal du colonisateur aux Gtats r bénéficiaires de son aide et de sa protection a. Du patron A sa clientèle qui, Q la baisse des actions, préfbre l'abaissement de la nation.

A la contagion de la eur, de la peur des peuples, devait faire pendant la contagion J e l'exemple. ~t l'exemple, Qmanant du maftre, prend valeur d'injonction.

Dans chaque pays vassal, il existe assez de Medina en herbe pour que cette jurisprudence passe les océans, assez de juges courtisans pour accomplir la même besogne. Pour mieux étouffer, au nom de la Liberté, ce qu'il reste des libertés. Pour mieux « recon- vertir u la justice en justice de guerre au profit des criminels de guerre d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Polir mieux réduire l'irré'ductible e t grandissante masse des partisans de la paix.

Mais l'avertissement terminal de Dennis vaut pour tous les peuples. E t , d'une rive & l'autre de l'Atlantique ou du Pacifique, les peuples contre lesquels cette jurisprudence de guerre est instituée serrent les rangs autour de leurs Dennis et de leurs Robeson. Comme de leurs Henri Martin e t de leurs Beloyannis.

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G AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS... 11

E triple apanage des classes moribondes est le mensonge, la violence et la trahison.

Le mensonge, car la vérité, la réalité les tue. La violence, car la légalité les étouffe. La trahison, car elles sont de plus en plusdétachées de la nation

(par la crainte panique de perdre leurs privilèges) et n'espèrent plus que dans la guerre et la servitude pour se survivre.

Si la France de l'an 40 n'a pas sombré, elle le doit essentiellement son avant-garde ouvribre, qui a tenu tête aux persécutions de la

bourgeoisie « munichoise n, puis à la conjuration des envahisseurs et des n collabos », jusqu'aux victoires libératrices de 1'U. R. S. S., qui, en sauvant les travailleurs du monde entier, en sauvant l'avenir de l'homme, ont prouvé la supériorité historique du socia- lisme dans la guerre comme dans la paix.

Dans la France de l'an 50, le maître a changé de nom, de langage et d'accent, non de but ni de méthodes. Les incendiaires dela Corée n'ont rien à envier à ceux du Reichstag, de Varsovie et d30radour. Le capitalisme affaibli est de plus en plus parasitaire.

Il a pris l'habitude servile de (( construire l'Europe », c'est-à- dire de faire bon marché de l'indépendance nationale. E t de livrer le territoire l'occupant du jour, qui s'installe, comme en pays conquis, dans les ports, les gares, les centres industriels. Il s'efforce de lever, sur une terre encore meurtrie et parmi les familles des derniéres victimes, les mercenaires de la prochaine agression contre le peuple même qu'il opprime et contre les peuples au pouvoir.

De la préparation, les gouvernants éphémères et rampants passent aux actes. Aux actes de guerre et de répression : guerre au Viet-Nam au profit des gros planteurs colonialistes, des banques et des monopoles d'outre-Atlantique. Terreur policière et répression judiciaire, administrative, patronale, contre les arriéres politique- ment peu silis. Et par tous les moyens. Peu importent les principes

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R BU NOM DU PEUPLE FRAHÇAIS ... .)) 247

constitutionnels et les libertés élémentaires, pourvu que les O po- sants et les suspects soient «mis & la raison n ! A la raison d9&at, cela va sans dire, qui se confond de plus en plus avec la raison du département d'État.

Tandis que les criminels de guerre et les traîtres d'hier sont gracihs, acquittés, amnistiés, libérés, réhabilités, promus ou remis aux postes de commande, les prisons se repeuplent de travailleurs en lutte pour leur pain, de patriotes et de combattants de la paix. SOUS le couvert, bien entendu, de I'anticommunjsme, religion de la Sainte-Alliance repeinte à neuf, pour la défense européenne B et la stratégie atlantique !

De même que, pendant I'occupation nazie, on baptisait a terro- ristesn tous les résistants authentiques, aujourd'hui on taxe de com- munisme tous les bons Français, d'opinions et de conditions diverses, qui s'unissent de plus en plus nombreux avecles communistes contre la guerre qu'on fait et la guerre qu'on prépare, contre les charges qu'elles imposent, contre la misère et l'oppression qui les accompa- gnent ou les précédent, contre le cheminement qu'elles tracent vers un fascisme qui n'ose plus avouer son nom. Tant il est vrai que la classe ouvrière et son avant-garde, loin d'être isolées, entrainent des masses toujours plus larges dans le camp universel de la paix !

Qu'une jeune Française se couche sur les rails pour arrêter un train qui transporte du matériel de mort, et il se trouve, dans la ville où siégeait Montesquieu, un tribunal militaire pour la condam- ner B un an de prison1 ! Mais le peuple arrache la libération anticipée de son héroine, Raymonde Dien. Comme il emporte l'acquittement des dix-huit combattants de la paix arrêt& à Roanne, des douze de Saint-Brieuc, des patriotes de Pranee d'abord, des seize Martini- quais de Basse-Pointe. ..

Qu'un jeune marin s'insurge contre le mensonge e t les atrocités d'une guerre injuste, témoigne contre l'odieuse tromperie, e t voici deux tribunaux militaires pour le frapper de cinq annees de réclu- sion l E t c'est seulement après plus de trois ans que l'action

1. C'est le même tribunal, présidé par le même juge, qui (pendant qu'a Paris son collègue, le juge d'instruction Duval, manifestait sa haine partisane en levant la main sur le jeune patriote Paul Laurent) se préparait, sous la pression d'une campagne bien orchestrée e t d'une loi de circonstance votée à la sauvette,

condamner moins lourdement les bourreaux SS d'oradour ... que les principes consacrés ti Nuremberg par la justice internationale !

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LES MILITANTS AFRICAINS DE COTE-D'IVOIRE

Le prolétariat ne peut se libbrer sans libérer les peuples opprimés.. .

. .. L'Bre est révolue où l'on pouvait en toute sérénith exploiter et opprimer les colonies et les pays dépen- dants.

STALINE : tes Questions du léninisme.

Les peuples des colonies ne peuvent plus vivre comme par le passé, Les classes dominantes des m é t w poles ne peuvent pas gouverner les colonies comme auparavant.

1 JDANOV, septembre 1947.

'EXPLOITATION de l'homme par l'homme : parmi ses aspects les plus répugnants, l'oppression d'une nation par une autre nation. L'impérialisme, stade suprême : sa face la plus

hideuse, le colonialisme. Pillard, corrupteur et meurtrier. L'Afrique noire en sait quelque chose. Imaginez, sur un territoire immense l, une population paysanne 2,

clairsemée, cloisonnée en tribus ou en sociétés de type féodal, divisée par le langage (plus de 500 dialectes différents), la coutume, la religion, et bien plus encore par l'arbitraire de l'administration coloniale qui spécule sur tous ces facteurs de désunion. Maintenue dans l'ignorance par l'analphabétisme (95 p. 100 d'analphabétes), faute d'équipement scolaire et de personnel enseignant. Décimée par les épidémies, faute d'équipement sanitaire e t de personnel médical.

1. Plus de 5 000 kilomètres de Saint-Louis-du-Sénégal Q Pointe-Noire, plus de 4 000 de Dakar à Abéché.

2. Sur 20 millions d'habitants, 90 p. 100 vivent d'agriculture, d'élevage, de chasse ou de pêche ; 2,5 p. 100 sont des salariés. Presque pas d'industrie de transformation.

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L'Afrique noire sous domination française a le malheur d'inté- resser particuliérement les monopoles et tout le camp de la guerre : réserve de matières stratégiques, de main-d'œuvre et de chair B canon bon marché, base de repli, de transit et de départ pour les conjurés de l'agression américaine.

Des capitaux sont en agés dans l'aménagement de ses routes, Ci de ses ports, de ses aéro romes. Effort rentable à condition que le climat soit politiquement sûr.

Or le temps est loin où les populations africaines acceptaient sans trop réagir le travail forcé, les coups de chicote, la « supério- rité des civilisateurs 1) et leur pacotille à troquer contre la sueur et le sang des Noire.

Après la Libération, celles de l'A. O. F. et de l'A. E. F. ont pris au sérieux les chartes de l'Atlantique et de San-Francisco, les phrases de la Constitution : 1' (( Union française D, la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démpcratiquement leurs propres affaires, Q quoi la France a entend conduire les peuples dont elle a la charge, écartant tout système de colonisation fondé sur l'arbitraire n.

J'ai pu admirer la marchandise que couvre ce pavillon fraudu- leux et constater comment les hommes d'un jour qui usurpent le droit d'agir au nom de la France traitent les peuples (( pris en charge 1) !

Le régime de l'indigénat, le travail forcé, légalement abolis, subsistent en fait, ainsi que la discrimination raciale, l'inégalité Blectorale et civique. Les gouverneurs, administrateurs, chefs de subdivisions, les juges de paix x à compétence restreinte D (mais B nocivité étendue) se comportent comme autant de tyrans et tyran- neaux à l'égard des races méprisées.

Mais les Africains ne veulent plus d'un passé maudit. Ils exigent le droit de vivre, de vivre libres, et le respect de leurs droits cons- titutionnels. Pour mieux lutter, ils se sont groupés, dès 1946, en dépit des vieilles querelles ethniques et tribales, en un puissant mouvement libérateur, le Rassemblement démocratique africain (R. D. A.), qui englobe toutes les couches sociales, opprimées. par l'impérialisme français.

C'est en Côte-d'Ivoire que le R. D. A. possédait sa section la plus forte (800 000 adhérents sur une population de 3 millions et demi), que dirigeaient des militants QprouvBs, dont quelques-uns sont aujourd'hui encore en prison.

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Janvier 1949 : déclaration du président Truman (le point 4 concerne 1' n aide aux pays arriérés n), conférence sur la défense de l'Afrique centrale. La coalition atlantique se dessine. Comment assurer les arrières, diviser, intimider, briser le mouvement de libération ?

Une provocation de longue haleine va être montée par le gouver- neur général Béchard, socialiste, et le gouverneur Péchoux, socialiste, sous la direction des ministres (S. F. 1. O. et M. R. P.) des territoires d'outre-mer. Il faut réduire le R. D. A. par tous les moyens, ont dit Moutet et Coste-Floret. Les instruments : des renégats, des agents de l'administration, constitués en a partis r> fantômes. Les moyens : la corruption et la terreur.

Février 1949 : premiére étape. Le renégat Djaument, ancien conseiller de la République non réélu, ayant essuyé un échec, télégraphie aux sections de l'Ouest : La bataille de zr estruc- emier tion du R. D. A. soviétique (sic) est engagée. )) Il donne A ses amis des consignes provocatrices, que tentent de déjouer les militants responsables.

Le 6 février, A Treichville (quartier africain d'Abidjan), dans la réunion que Djaument a convoquée, ses auxiliaires sont seuls armés, et la police, qui refuse de les fouiller, les protège. Avec la complicit6 de celle-ci. ils attauuent les militants. La réunion dissoute; ils jouent du' revolverxet du fusil. La foule exaspérée manifeste, assiège les cases des provocateurs dans les deux quartiers africains (TreichviUe et Adjamé). Des militants sont blessés. Les dirigeants du R. D. A. interviennent et rétablissent le calme. C'est eux qu'on arrête. n J'en ai reçu l'ordre u, leur dit le juge.

Et c'est contre ces hommes qu'une instruction est ouverte pour pillage, meurtre, rébellion, port d'armes, coups e t blessures volon- taires, les véritables meurtriers bénbficiant d'un non-lieu. (( Cette fois, je tiens le R. D. A. n, s'était écrié le ministre Coste-Floret.

Sur les trente-cinq accusés détenus, les dirigeants les plus vis& sont : le pharmacien J.-B. Mockey, l'étudiant Jacob Williams, le commerçant Philippe Viéra, le secrétaire de greffe Albert Paraiso, le poéte Bernard Dadié, les commis Mathieu Ekra e t Sérikoré. Dans l'infecte prison où ils sont enfermés, ils parviennent à imposer le respect. Mais non sans lutte.

En décembre, après dix mois de prévention, ils font la gréve de la faim : dix-sept jours. Immédiatement se déclenche dans toute la population un admirable mouvement de solidarit& Amux de

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télégrammes, réunions, cortéges. Une manifestation sans précé- dent: celle des femmes, qui, de toutes parts, pieds nus, viennent jusqu'à la prison exiger la libération des militants, les compagnes de ceux-ci en tête.

Une gréve totale des achats de produits importés paralyse les affaires spéculatives et met en danger les profits des monopoles, des trois géants qui pompent les richesses du pays : SociBté com- merciale de l'ouest-Africain (S. C. O. A.), Compagnie française de l'Afrique occidentale (C. F. A. O.), Compagnie frangaise de la'Côte- d'Ivoire, façade du trust anglo-hollandais Unilever.

Le 28 décembre, la direction du R. D. A. enjoint aux prisonniers affaiblis de cesser la grève de la faim : plusieurs ont perdu jusqu'au cinquibme de leur poids, quelques-uns sont alités. La grève des achats continue.

L'administration colonialiste, affolée, a chancelé sous le coup. Elle prémédite ses représailles : Ce sera le second stade de la provo- cation. Le plus sanglant.

Dès le 22 octobre, un arrêté (aggravant un arrêté antérieur) interdit tous appels de fonds, guêtes et collectes (même à domicile) sans autorisation administrative prbalable. On pense ainsi couper

1

1

les ailes à la solidarite : vain calcul. Elle s'étend, s'organise. Le 1 1

r télégraphe africain 1) l donne à plein. La classe ouvrière, le peuple de France, en lutte contre le même ennemi, multiplie meetings i

et messages. A leur tour, les réunions publiques et même privées sont arbitrai-

rement interdites. Les tirailleurs indigènes ne sont pas assez sûrs : l

,

souvent ils fraternisent. On fait venir en toute hâte des troupes métropolitaines, des parachutistes, des mercenaires alaouites.-

Janvier-février 1950 : le sang commence à couler. A Dimbokro, a Séguéla, à Bouaflé et ailleurs, le peuple est provoqué, mitraillé. Déploiements de force, expéditions punitives de type Oradour, incarcération de chefs respectés qui refusent, malgré le chantage et les coups, d'abandonner le R. D. A., menaces contre les défenseurs (comme à Dimbokro, contre Blanche Matarasso, avocate pari- sienne).

En dix-huit mois, une quarantaine de morts (dont trente en quinze jours), près de 3 000 emprisonnés !

C'est dans ce climat de terreur que s'est ouvert le prochs de 1. On entend par Ih surtout les messa es transmis de proche en proche par

signaux sonores (tam-tams, tambours, etcf.

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Grand-Bassam. Le procès de Mockey et de ses camarades, mili- tants responsables du R. D. A.

L'instruction avait été conduite dans des conditions inouïes d'illbgalité : perquisitions irrhgulières, procès-verbaux fantaisistes, documents disparus.

La tension était si grave que tout était à craindre, jusqu'au massacre en masse des foules qui, franchissant la lagune sur un pont bien gardé, amuaient devant le palais de justice.

Trois avocats étaient venus de Paris pour concourir à la défense : Renée Stibbe, Henri Douzon et moi. Un de Dakar, Boissier-Palun. Je n'oublierai j arnais mes premiers contacts avec les trente-deux militants,-dans cette prison où ils étaient parqués sous le soleil du tropique. Leur moral, leur courage, leur intelligence, leur maitrise, leur conscience politique. Pas un n'avait fléchi.

Devant la cour d'assises, nous livrons nos premiers combats, our obtenir que le service d'ordre spectaculaire laisse entrer dans

fa salle une partie de cette foule vibrante qui, souvent venue de loin, déferle contre les portes, insoucieuse de la chaleur ou de la pluie. Pour obtenir que les accusés puissent recevoir leurs colis alimentaires, les documents, les livres (y compris les ouvrages doctrinaux) dont ils ont besoin pour assurer leur défense politique. Enfin, pour obtenir l'audition du gouverneur Péchoux. A chaque audience (deux par jour, sauf le dimanche, du 2 a71 22 mars), nou- veaux incidents pour conserver et consolider les droits acquis.

DBs le premier jour, pendant plus de cinq heures, Ekra, Paraiso, Dadié, Sérikoré, Mockey, soutenus par nous, imposent à la cour leur quintuple déclaration. Ils refusent le rôle d'accusés et se dressent en accusateurs : ils accusent l'administration colonialiste et les gouvernements antipopulaires qui se sont succédé depuis 1947 ; ils expriment leur reconnaissance aux forces démocratiques mondiales qui leur témoignent leur solidarité. En premier lieu B la classe ouvrière française et à son Parti communiste. Ils affirment leur foi dans la victoire de la liberté et de la paix.

Citons quelques extraits de ces cinq réquisitoires anticolo- nialistes :

J.-B. Mockey dénonce la « démocratie Péchoux n : entre elle et la vraie dbmocratie, même fossé qu'entre le ma'itre et l'esclave. Le peuple n'en veut pas ; il surmonte ses vieilles divisions pour s'unir « dans une fraternité complète 1).

r C'est ce phénom&ne qui va nous permettre de liquider le colonia-

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l isme devenu enragé et assassin. Car il faut bien se persuader que, lorsqu'une administration, un gouvernement décrète une répression

1 féroce contre les légitimes aspirations d'un peuple q u i a pris-conscience

1 i

de son rôle historique, la fin de cette tragédie, quel que soit le cours des événements, est toujours marquée par la victoire ... du peuple opprimé. n

Bernard Dadié, le poète, évoque lyriquement le visage de la France véritable, celle de 89. i ,' 1

n Cependant l'on. agit comme s i l'on ne voulait nous montrer de 1 la France qu'un visage défiguré ... celui qu'on veut nous faire voir au delà des bataillons, des chenillettes et des tanks. a

1 Et il stigmatise la poignée de renégats : qu'ils s'en aillent, mais i

qu'ils se souviennent de la fière réponse d'une Africaine à un gou- verneur qui tentait de la corrompre par l'offre d'une voiture et

1 d'une rente : « Ce n'est pas a u moment où les femmes de France et du

i monde entier luttent pour la liberté et la paix que nous, femmes africaines, allons nous croiser les bras.. . Depuis vingt ans, je marche d pied, je n'ai que faire de votre voiture ... N o u s continuerons la bataille à côté de nos frères et de nos maris qu'on arrête et qu'on tue.. . a

Paraiso proclame, dans une forme puissante, la fin des divi- i sions tribales. Au R. D. A., plus de races : i

n Il y a des Africains tout court, et tous ceux, Blancs ou Jaunes, qui, comme nous, sont décidés b délivrer l'homme de l'exploitation et de l'oppression colonialistes et impérialistes, cette plaie de l'huma- nité. ))

Il annonce un monde nouveau où tous les hommes fraterniseront : u Contre vents et marées, le R. D. A. continuera, sans crainte, son

ceuore d'émancipation de l'Afrique noire, sa lutte anticolonialiste. I l ne permettra plus à Fégoisme des magnats du dollar, fauteurs de guerre, d'aliéner nos 1 i bertés et nos droits eonst itut ionnels. R i e n ne saurait ébranler cette volonté de fer, ni altérer notre noble idéal. u !

Et il fait sienne la péroraison de Dimitrov à Leipzig : l amue 1 de l'histoire ...

Mathieu Ekra célèbre la résistance du peuple français à l'asser- 1 I

oissement, à la misère importée par le plan Marshall n, il la politiquea atlantique d'armement e t de guerre. Pourquoi présente-t-on stu- pidement le R. D. A. comme un parti qui prêche la haine raciale contre les non-Africains, contre la France T Pour créer (( la psychose d'une haine blanche et opposer les fiançais à leurs frères d'dirique r.

a Politique de provocation et de persécution, d'intimidation et de i J

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corruption ... politique folle, aveugle et contraire aux intérêts de la France. D

E t il rappelle à la cour que, derribre elle, siège r une juridiction sans appel : le tribunal des peuples r.

u E n vérité, le verdict que vous aurez à prononcer ici sera peu de chose pour nous s'il ne rencontre pas le jugement des millions de simples gens qui, de près ou de loin, vous regardent et vous écoutent.

a ... Sur le dur chemin du progrès et du bonheur pour l'Afrique ... on peut nous brimer, nous persécuter, nous condamner, nous massa- crer, rien n'y fera : nous avons choisi la lutte et nous briserons le carcan colonialiste. Nous sommes R. D. A., R. D. A. nous restons. 1)

Le retentissement de pareilles déclarations, dont la dignité force le respect de cette cour composée de magistrats coloniaux et d'agents de l'administration au visage fermé, est immédiat et considérable.

L'accusation et les représentants des groupements fantômes, parties civiles, font défiler les temoins à charge : sous le feu de nos questions, ceux-ci ne vont gubre cesser de se contredire, de syem- brouiller ; quelques-uns, confondus, s'effondrent. L'un d'eux est si bien pris en flagrant délit de mensonge que nous parviendrons à le faire arrêter pour faux témoignage. Quant aux renégats, ils sont mis à mal publiquement. Un jour, pour expliquer leur inhi- bition, ils nous accuseront d'utiliser des gris-gris ? Et l'adminia- tration pénitentiaire fera fouiller les détenus I

Chaque nuit, dans la cour du chef Baoulé, se réunissait une foule attentive : à la lumière de deux lampes-tempête, un militant R. D. A. faisait un compte rendu d'audience, scrupuleusement objectif. Deux ou trois camarades traduisaient son rapport dans leurs langues respectives. Une extraordinaire émotion se dégageait de ces immobiles visages tendus, de ces assemblées silencieuses qui, soudain, exprimaient leur sensibilité politique en applaudis- sant leurs porte-parole persécutés et accusateurs.

A la dernière audience, après les plaidoiries, c'est Jacob Williams qui, au nom des huit membres du Comité directeur, a lu la sobre et fière declaration finale ; elle mériterait d'etre citée en entier.

Un hommage à la solidarité de plus en plus lucide de r tous les

9. ArnuIettes a protectrices D ou fétiches considérés comme conférant à qui les porte un pouvoir magique.

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peuples opprimes et exploites par l'impérialisme u. I.,>afErmation solennelle que « l'Afrique noire a conscience de la justesse de notre cause D.

L'indépendance du mouvement n'exclut pas son alliance avec ceux qui l'aident dans sa lutte. Sa lutte « contre toute politique d'expansion coloniale des trusts étrangers en Afrique noire ... P. Contre la politique de guerre.

u Nous lutterons contre tous les fauteurs de guerre imp&ialistes, parce que nous voulons la paix pour instruire et éclairer nos peuples. Nous avons besoin de la paix potEr faire entrer notre pays dans la voie du développement économique et social. r l

Contre le colonialisme a sous toutes ses formes B. Et ce ne sont pas les pers6outions « qui nous empêcheront de poursuivre cette

1 i

œuvre... 1). 1 (( S i nous devons être condamnds pour nos idées et nos opinions

politiques, nous subirons toutes les peines du monde, la tête haute: l

nos femmes pourront nous regarder les yeux dans les yeux. Nos enfants ne baisseront pas la tête de honte, parce que nous aurons choisi le chemin de l'honneur, la lutte et les souffrances, afin de préparer pour eux des lendemains qui chantent ... u

Après une interminable attente, le verdict : sur trente-deux, i i

vingt-trois (acquittés ou sursitaires) sont lib6rds, dont Dadi6 Ber- nard et Sérikoré.

i i

Mais les neuf qui restaient emmurés, avec des peines de trois Q cinq ans, étaient parmi les meilleur^ : c'étaient les dirigeants reconnus du mouvement que l'Administration colonialiste avait voulu décapiter.

Si Ies peuples d'Afrique apprennent - et ils apprendront de mieux en mieux - ce que vaut la fausse monnaie des promesses gouvernementales, s'ils éprouvent que ce n'est pas la lâcheté qui paye, ni le reniement, ni le compromis fallacieux, le marché de dupes avec I'op resseur, mais au contraire et uniquement l'union P dans la lutte, a solidarit6 dans l'action, c'est par leur propre expérience e t par la comparaison des résultats ...

C'était donc pour une part grâce au comportenient de ces hommes qui s'étaient montrés eficaeement inaccessibles B la crainte et &fractaires aux tentatives de séduction l.

3. Malheureusement, depuis que ces lignes ont été écrites, la pression du colo- nialisme n'a que trop réussi à réduire la r6sistance de certains dirigeants du

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Au cours de la tournée que nous avons faite en brousse, Douzon et moi, nous avons pu mesurer l'impulsion que ce comportement avait imprimée au R. D. A., jusque dans les villages les plus isolés e t les plus frappés par la terreur.

Rien de plus saisissant que la solidarité africaine, dont 194an, loin de ralentir, de s'essouffier ou de céder B l'intimidation admi- nistrative, n'a cessé de se renforcer pendant tout le procès. Et de faire reculer la répression.

Chaque jour, le palais de Bassarn était assiégé, non seulement par la population du pays, qui, matin et soir, passait et repassait la lagune, mais par des délégations venues de très loin, chargees de provisions pour les prisonniers. La salle d'audience s'entr'ou- vrait devant leur poussée. Mais l'immense majorité restait dehors, maintenue par le service d'ordre, n'entendant rien, voyant à peine. Sous le soleil torride ou les averses tropicales, cette foule, dont les militants accusés exprimaient les aspirations, demeurait la, pour les acclamer à leur sortie de I'audience et dans leur voiture cellulaire.

Inoubliable, cette manifestation, dès le premier jour, des piro- guiers sur la lagune, bravant, sous leurs banderoles interdites, les forces de police & pied et en voiture ! Et, quelques jours plus tard, cet étonnant cortége de femmes qui, formé devant le palais de justice lui-même, a brandi pendant plus d'une heure ses pan- cartes exigeant la libération des emprisonnés !

Inoubliables, ces démonstrations de masse défiant calmement la répression, tandis qu'un ministre, presque inaperçu, venait encourager et décorer les renégats et les provocateurs !

Inoubliables, ces visages, ces regards, ces mains qui se ten- daient vers nous, vers notre peuple, vers les travailleurs de France, dont la fraternité de combat nous avait délégués à leur aide !

Confiance oblige. Le peuple responsable des méfaits commis en son nom, le peuple conscient de cette vérité qu'en en laissant opprimer un autre il ne peut être un peupie libre, tous les peuples engagés dans un combat décisif contre les mêmes ennemis sur

R. D. A. Ceux-ci, entraînés par Houphouet-Boigny, president du mouvement e t riche propriétaire de plantations, ont cru pouvoir apaiser l'oppresseur en le flat- tant, autrement dit en dénonçant leur alliance avec la classe ouvrière française et son avant-garde organisée, en ralliant, avec les renégats qu'ils avaient eux- mêmes désavoués, la majorité gouvernementale qui accable leur peuple.

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HENRI MARTIN

On ne sape pas le moral d'une armée qui combat pour .une cause juste l.

" E N me battant contre la guerre injuste d u Viet-Nam, je défends l'honneur de la France. s

Qui tient ce fier langage devant le president et les officiers du tribunal maritime de Toulon ? Un jeune marin qui, pour l'amour de son pays et de la liberte, a passé son adolescence dans les maquis berrichons, où il a traqué, les armes A la main, la bête nazie.

Son père est un ouvrier ajusteur. Sa mhe, une paysanne catho- lique.

a J'avais seize ans quand j'ai commend à distribuer des tracts qui appelaient la population de mon village à lutter contre l'occupant. J'aimais et j'aime non pays de toutes mes forces. Après avoir combattu dans les maquis du Cher, j'aurais pu rentrer chez moi. J'avais dix-sept ans. Je ne l'ai pas fait. J'ai demandé à partir pour le front de Royan. Là, j'avais un capitaine de vingt-quatre ans, qui savait conduire des hommes. I l est tombé, face à l'ennemi, le 3 dé- cembre 1944. Avant de mourir, il nous a dit: (( Les gars, allez-y, il faut vous battre jusqu7au bout pour la justice et la liberté. a Je tiens ce serment encore aujourd'hui en me battant contre la guerre injuste du Viet-Nam 2... 3

1. Cette v6rit6 prend tout son sens et sa valeur prémonitoire B l'heure oit des gouvernants asservis qui trahissent la nation et dénationalisent l'armée osent accuser Alain Le LAap, Ducoloné, Laurent, Baillot et Meunier, de a démoralisation de l'armée et de la nation a f

2. Voir les brochures Henri Martin, par Paul TILLARD, et Un Exemple, par Héléne PARMELIN, éditées par le Comité de défense Henri Mutin, Paris, 1351, auxquelles j'ai emprunt6 plusieurs citations. Voir Bgalemsnt la pi&ce Drame d Toulon et surtout Matricule 2078, par Hélène PARMELIN, les Éditeurs Français

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LA DÉFENSE ACCUSE

Pourquoi ce jeune maquisard du Cher s'est-il engagé volontaire- ment dans la flotte pour débarquer en Indochine ?

,Parce qu'il croyait s'y battre contre l'occupant, le pillard japo- nais. Pour la justice e t la liberté, lui avait-on dit.

a En m'engageant, j'ai cru me battre pour le bonheur du peuple vietnamien. Liberté, Égalité, Fraternité ne sont pas pour moi de vains mots. Je n'ai pas un uniforme sur mon cœur et sur ma -

conscience. n Peu à peu, lemarin comprendra la besogne à laquelle on astreint

les soldats français : c'est la provocation sanglante d'Haiphong; ~ u i s ce sont les incendies de villages, les atrocités. Le doute s'in-

W .

Sinue en lui, puis la colère. n Je voulah lutter contre les Japonais, non contre le peuple

vietnamien. C'est si vrai que, lorsque j'ai vu quel travail on me faisait faire, j'ai demandé par trois fois à résilier mon engagement. Par trois fois on me l'a refusé. n

Le ,président ne comprend pas ... Un soldat qui discute les ordres de ses chefs, qui se permet de réfléchir e t de juger ... E t la discipline ?

La discipline, telle que la conçoit le tribunal, c'est celle dont a fait reuve le premier assesseur, un capitaine de frégate qui a servi t ichy, & l'état-major de l'amiral traitre Darlan, et qui, ostensible-

ment, est là pour surveiller l'opération répressive. Voire, au besoin, ses pairs.

Et c'est devant un tel (( juge 1) que comparait ce h&os de vingt- quatre ans qui n'a voulu servir que son idéal de résistant, la liberté et sa patrie I

Pourquoi comparaît-il devant des gens qui ne comprennent pas ou feignent de ne pas comprendre ?

Parce qu'à son retour en France, il a témoigné de ce qu'il a vu. Fidele à son passé si bref et si riche, il éclaire civiquement ses cama- rades sur le caractère véritable et les dessous de cette guerre injuste, atroce, ruineuse e t sans issue, menée contre un peuple qui veut être libre. Au profit de qui ce massacre de tant de jeunes vies, cette souillure de tant de jeunes ames ?

Mourir pour ,la ~rance;d'accord, écrira-t-il dans sa prison, mais pas pour la Banque d'Indochine. Les ouvriers vietnamiens sont nos frères. n

Et les tracts signés n un groupe de marins a se répandent par millions & terre et bord. Ils ne se bornent pas ii affirmer : ils

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HENRI MARTIN 261

expliquent. Ils expliquent aux marins ce qu'on leur cache : pour quels intérêts sordides ils se battent ; les trafics sur la piastre, sur le riz. Et, lorsque le scandale des (( chéquards a étale au grand jour la corruption des généraux et politiciens responsables d'une guerre pourrissante, les tracts flétrissent comme ils le méritent ces profiteurs du sang vietnamien et français :

( C'est pour vos millions que vous sacrifiez nos vingt ans. r Pour leurs millions et pour offrir à l'impérialisme yankee des

bases d'agression contre la Chine. E t les marins sont appelés à lut- ter pour la paix : (( Paix au Viet-Nam ! - Plus un sou, plus un homme ! - Retour du corps expéditionnaire ! - Salut aux dockers, marins, soldats et travailleurs qui, contre la guerre, mènent le même combat ! a

a Démoralisation de l'armée a, s'écrient les véritables démorali- sateurs, démasqués. Dénoncé, Henri Martin est enfermé préventi- vement pendant sept mois. Mais il refuse de se faire l'auxiliaire de la répression. Comparaîtra-t-il seul ?

Non. Aucun tract ne recommande l'indiscipline ni le sabotage. Tous exhortent à l'union, à l'action des marins aux côtés du peuple. L'accusation a besoin d'être corsée. Pour frapper Dimitrov, il fallait l'instrument Van der Lubbe : pour faire condamner Henri Martin ...

On s'avise de cette canaillerie : le quartier-maître Heimburger a Qté entraîné par un agent à un acte de sabotage k r un porte-avions, le Dixmude. On lui fait ddclarer qu'il avait mis Martin au courant de son projet. Il a beau se ressaisir et se rétracter loyalement : le second maître mécanicien Henri Martin, dont il fallait à tout prix altérer la figure et déformer, discréditer l'action, n'en est pas moins mS1é à cette trouble histoire : complicité de sabotage ! Tandis que le provocateur, un nommé Liébert, n'est pas même inquiété.. .

Mais la campagne populaire prend corps. Les organisations démocratiques se mobilisent. Des comités de défense sont constituhs. Partout des tracts, des inscriptions, des affiches ; de partout, des lettres, des télégrammes : « Libérez Henri Martin ! )) Lorsque le pro- cés commence, le 17 octobre 1950, la noble image du marin patriote est devenue l'un des emblèmes du combat gén6ral pour la paix.

E t c'est dans ce climat, sous la protection d'un deploiement spectaculaire de police (dont la menace ne parvient pas Q pr6- server les oreilles du tribunal maritime des cris de la foule : Libérez Martin !), que le président prélude à l'interrogatoire.

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262 LA B ~ F E N S E ACCUSE

D'abord des f h r s : un passe remarquable, un marin courageux, intelligent, disciplin6 ... Et soudain, sous ces fleurs, le dard :

a Pourquoi avez-vous changé d'attitude ? o a Je n'ai pas changé d'attitude. Ce n'est pas moi qui manque d

mes engagements. C'est le gouvernement. On m'a trompé. a Et aussitôt, très calme, Henri Martin attaque. Pas de p,hrases.

Une sobre leçon de civisme que, sinon les juges, l'auditoire, le peuple entendront. La fameuse question de la discipline : - « En vous engageant, vous saviez que vous seriez amené & obbir,

A faire la guerre. a - (( Je ne me suis pas engagé pour faire une giierre qui frappe les

gosses et les femmes ... D Marin, oui . Mercenaire, non. D -

- u Mais vous avez fait l'apologie du refus d'obéissance ? B - n I l n'y a pas de désobéissance quand il s'agit de lutter contre un

gouvernement qui trahit les intérêts de la France. Ceux qui luttaient contre Vichy n'étaient pas des traîtres. 3

Le premier assesseur en prend pour son grade. Le president per- siste A ne pas vouloir comprendre.

t( Mais alors, chacun peut faire ce qui h i plait ? B - t( Entre faire ce qui plait & chacun et désobéir à des ordres crimi-

nels, il y a une dioérence fondamentale ... u La Constitution proclame que la République i( n'entreprendra

aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun euple B. E n Pour moi, dit Henri Martin, la onstitution n'est pas u n c h i g m - de papier. s

Il y a huit ans, Toulon était déjà en état de siège : c'était la soldatesque nazie qui l'occupait. Les marins ont refusé d'obéir et de livrer leurs navires l'ennemi : ils ont sabord6 la flotte (oii &ait le premier assesseur 7). De quel côté était l'honneur ? De quel côté la discipline A 1'Bgard de la France ?

K De même qu'ù dix-sept ans j'accomplissais mon devoir de patriote en combattant dans les rangs des F. T. P., malgré les ordres du gouvernement de Vichy, de même je fais mon devoir de citoyen et de marin en luttant contre les actes du gouvernement contraires aux principes constitutionnels et aux intérêts du peuple de France. n

De quel côt6, aujourd'hui, la fidblité envers le peuple ? De quel côté la trahison ?

a Si Pon me traîne devant le tribunal, c'est parce que les hommes

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HEMRI MARTIN 263

qui dirigent mon pays le trahissent comme au temps de l'occupation. B

Viril langage. Devant les visages fermés du tribunal maritime, c'est le second maitre Henri Martin qui se fait le défenseur de la marine française, qu'un gouvernement a français a subordonne

un Btat-major étranger. C'est lui qui, très simplement, défend, non pas sa personne, rnaiske qu'il personnifie ': la France authen- tique et son indépendance nationale, la jeunesse de France et son avenir. Une jeunesse qui refuse de sacrifier son corps et son âme, d'immoler des vies fraternelles B des intérêts inavouables, contraires sa vocation et h son destin.

Le marin citoyen ne se borne pas à revendiquer hautement la* responsabilité de tous ses actes : il accuse. 11 accuse et dbmasque les traftres-tels qu'ils sont, là où ils sont, ceux qui gouvernent et ceux qui exécutent. Les traftres et leurs maîtres du prétendu r Nouveau Monde n, qui prbtendent mettre Chanteclair a à la rai- son )) et la colombe sous les verrous.

Et sa voix porte loin. Elle porte bien au del& de ces oreilles closes, de ces murs gardés, de ce port même, encore dévast6, meurtri par la trahison d'hier, que continus la trahison d'au- jourd'hui.

Elle portera si loin que tout le pays l'entendra, qu'elle passera les frontières et les rivages. Elle portera chez ces criminels de guerre d'outre-Océan qui prbparent, plus insatiables de domination que leurs devanciers d'outre-Rhin, un nouveau règlement de comptes mondial contre la Chine populaire et le pays du socialisme, contre tous les peuples mobilisds dans le camp de la paix.

Mais les ministres, aussi éphémères qu'indignes, exigent un exemple :

u Votre indulgence aurait des conséquences incalculables D,

ose conclure le commissaire du gouvernement. Comme s'il était question d'indulgence I

Henri Martin a eu le mérite impardonnable d'être le premier soldat qui ait organisé l'action de masse contre cette guerre déshonorante.

Depuis lors, des officiers français, dont un colonel, prisonniers de guerre au Viet-Nam, ont confirme ce que le second maître avait eu le courage et la clairvoyance de dire : qu'une guerre entreprise contre un peuple (( dresse pour la défense de sa liberté P est à la fois injuste et sans espoir ; que le corps expeditionnaire a se bat pour des intérêts américains B.

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LA DÉFENSE ACCUSE

Cependant, le siège du tribunal était fait : acquitter Henri Mar- tin, c'eUt été, non seulement condamner les gouvernants améri- cains de langue française, mais rendre impossible la continuation du crime (oh avaient trempé tous les partis, à l'exception des corn- munistes et de leurs alliés progressistes), le maintien du dispositif d'agression contre les peuples libérés.

La sentence fut rendue le 19 octobre 1950. Le tribunal4tait contraint de désavouer l'accusation de (( complicité de sabotage a odieusement machinée contre Martin : le jeune second maître était acquitté de ce chef. Mais il était condamné B cinq ans de réclusion et à la dégradation militaire pour G entreprise de démora- lisation... u, c'est-&-dire uniquement pour ses tracts dénonçant une guerre contraire aux intérêts de la France1.

Cependant, le verdict n'a pas été rendu à l'unanimité. Deux offi- ciers se sont prononcés pour l'acquittement total. Ces deux officiers de carrière, en refusant de condamner la condamnation de la (( sale guerre n, ont ainsi reconnu le caractère patriotique de l'ac- tion menée contre elle, pour l'honneur de la France et de sa marine, comme pour la fraternité des peuples.

Dès lors, la réaction du peuple allait donner sa mesure. Comme, près d'un tiers de siècle plus tôt, aprbs les jugements de haine qui avaient frappé les soldats et les marins de la mer Noire.

Par le pullulement immédiat des comités Henri Martin sur tout le territoire, cette réaction allait même marquer le changement aualitatif accompli depuis lors dans la conscience e t la force populaires.

Le sort de la jeunesse, dans deux pays, était en cause. Henri Martin s'était délibérément sacrifié pour elle ; il en était devenu le porte-drapeau. La jeunesse ouvrière de France allait, à son tour, prendre en main la défense de son défenseur. Autour d'elle e t de son vivant symbole qui personnifiait, aux yeux de tous, la volonté nationale d'indépendance et de paix, se mobilisaient rapidement les masses travailleuses

Cette mobilisation remportait un premier succès : la Cour de cassation, en annulant la sentence de Toulon, désavouait en fait ceux qui l'avaient rendue, comme ceux qui l'avaient inspirée.

Un immense espoir s'ouvrait : les travailleurs sentaient s'ébran-

- 5 . Le génbral Revers, impliqu6 dans l'affaire des a chbquards r, n'a pas BtB condamné, ni même jugé, pour dbmoralisation de l'armée. E t cependant I...

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HENRI MARTIN

ler sous leurs poings les barreaux de la ge6le. Mais le gouverne- ment, engagé dans une politique d'agression dont il n'est plus que l'instrument docile au service d'intérêts stratégiques étrangers, ne veut plus même courir le risque de s'en remettre aux régles ordinaires du jeu : l'enjeu est trop gros. La raison du département d'État exige que le sort d'Henri Martin, que la condamnation, en sa personne, de l'action de masse pour la paix au Viet-Nam, ne dépende plus d'une simple majorité de voix, de consciences militaires, ne soit plus à la merci d'un scrupule national ou - juridique.

Un tribunal préfabriqub, comme le jury fédéral de New-York, une unanimité - talons joints, - de juges Q la Medina ou à l a Kaufmann, voilà ce qu'il lui faut.

Le Mzedina, on le trouve à la Cour de Rennes. Un conseiller, du nom dé Gallant, va présider le tribunal maritime, qui maintiendra

- la peine infligée par les juges toulonnais, en évitant leur division et leurs maladresses de forme.

Dans le tribunal figurera un oficier qui, ayant déja, en l'an 43, porté les armes contre la France libre e t pourchassé des patriotes, défendra sa conception du patriotisme et de la discipline française ! Quant au commissaire du gouvernement chargé de requérir, il a fait ses preuves à Bizerte, sous Pétain, en faisant condamner des résistants ! Rien n'est laissé au hasard ...

Cette sélection de fantômes stylés va siéger à Brest. A Brest, le port martyre, dont le même gouvernement vient de relâcher le tortionnaire, ce général nazi Ramcke, accueilli en triomphateur par les revanchards allemands et les fantoches de Bonn. A Brest - ou plutôt ii l'écart de Brest. A l'écart de ces ouvriers bretons, de ces dockers, de ces gars du bâtiment qui, tant de fois, ont tenu la police en échec, sans ménager leur sang (le sang encore frais d'Édouard Mazé). A l'abri du peuple.

Toutefois, même dans ce demi-huis clos de cour martiale, il n'était pas facile d'ignorer l'action de masse qu'on voulait frapper. De partout, les messages, les télégrammes de solidarité affiuaient, s'empilaient sur la table du président. Dans la presse la plus bour- geoise, des officiers supérieurs et généraux reconnaissaient le bien- fondé de la cause à laquelle s'&ait voué Martin ; ils ne mâchaient plus les vérités que le second maître, au péril de sa liberté, avait fait connaître et sur la base desquelles son crime était d'avoir organisé l'action. D'abord l'action des marins.

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Aussi calme B Brest qu'à Toulon, c'est B cette action qu'il demeure inflexiblement fidèle. Qu'on n'attende pas de lui la moindre parole d'abandon ! Henri Martin n'est ni un faible ni un solitaire, comme ce malheureux Heimburger, qui sollicite le pardon de sa tentative de sabotage l.

Tant qu'on ne voudra pcrs traiter, je crierai: il faut cesser cette guerre l a

Une guerre a dont on ne saurait plus dire sans conteste (écrivait presque la même heure un colonel dans le journal Le Monde) qu'elle sert les intérêts de la France ... B.

Mais ce n'est pas la France qui se prononce dans l'École navale de Brest : ce sont ces sept fantômes de glace en robe e t en uniforme.

Cinq ans de rdclusion pour le jeune héros sans peur et sans reproche qui n'a baissé ni la voix ni les yeux. Et la dégradation militaire.

Ces cinq années de bagne décochees A bout portant dans le silence d'un pretoire bien garde, cette perspective d'isolement

hysique, d'extinction il petit feu dans l'anonymat matriculé de fa chiourme, comment, sous les regards du phe, de la fiancée, des amis présents, comment Henri Martin les accueille-t-il ?

Pas un mot de regret ou de desespoir. Une simple et juste conclusion politique :

<r C'est donc qu'ils veulent la guerre ! n La sentence de guerre et de servitude, de vengeance et de peur,

ceux qui l'ont rendue et ceux qui l'ont dictée ont été aussitôt jugés comme ils le méritent. Par la colère d'abord de tout un ~ e u ~ l e .

i J.

De ce peuple même K au nom duquel » ils ont osé ... se clouer au p i h i de l'histoire. Et qui, L a Marseillaise aux lèvres, relève le défi.

cr Libérez Henri Martin ! Paix au Viet-Nam ! » Il y a trente ans, ce peuple a su arracher du bagne les mutins de

la mer Noire. Sa campagne libératrice avait porté le coup de grâce

3.. Le commissaire du gouvernement, obligé de faire la part du feu en renon- çant à retenir contre Henri Martin l'accusation canaille de n complicité de sabo- tage u, a cru pouvoir ainsi jouer l'impartialité. Le bon ap8tre i

Quant à l'inspirateur du sabotage, le provocateur Liébert, qui avait entraîné Heimburger, il a été publiquement démasqué comme ancien volontaire au service de la marine hitlérienne. La police secréte l'utilisa par la suite en l'introduisant IZ bord de divers navires et dans différents services, pour y inciter les marins à commettre des actes condamnables, afin de les rendre passibles de la rkpression. La caractéristique même du provocateur.

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HEERI MARTIN

Q l'intervention militaire antisoviétique, d6jà vaincue par la , révolte que l'histoire a glorifiée.

A plus forte raison, l'action engagée aujourd'hui pour la libé- "

ration d'Henri Martin peut et doit mettre la conjuration des impérialismes en posture intenable.

u Libérez Henri Martin ! B Sur ce mot d'ordre s'unissent, dans les Cornites Martin, des

catholiques et des communistes, des hommes et des femmes de toutes convictions, de toutes conditions sociales.

g l i bdrez Henri Martin ! r Un seul et même cri qui ne cessera de retentir, un seul et même

grondement qui ne cessera de s'amplifier en tonnerre et de se transformer en acte, jusqu'au jour où sera délivré le reclus héroïque, cette jeune et sereine figure de la volonté populaire. E t la délivrance d'Henri Martin contribuera dans une mesure inestimable à sauver la jeunesse de deux patries, à réconcilier la France et la nation vietnamienne par le rappel du corps expéditionnaire et la cessation

I d'une guerre odieuse.

1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Depuis la dernibre édition de ce livre, l'action populaire est par- venue & libérer le jeune héros : le 2 août 1953, les portes du bagne de Melun s'ouvraient enfin devant lui.

Cependant que la résistance victorieuse des patriotes vietna- miens refoulait l'agression, dont le scandale des piastres soulignait le caractère sordide et commençait (malgré les tentatives d'étouf- fement) à silhouetter quelques bénéficiaires.

Henri Martin libre, plus libre que les gouvernants persécuteurs qui avaient tenu sa jeunesse emmurée pendant plus de trois années et quatre mois, c'est la France véritable et fraternelle que le poète vietnamien oppose aux massacreurs qui agissent en notre nom, mais pour le compte des monopoles :

Nous aimons le peuple de France Au combat, comme nous, pour la Paix. Nous serrons plus fort nos fusils. Notre amitié fait trembler le ciel et les prisons.

Henri Martin, notre fierté, noble figure du patriotisme et de l'amitié des peuples, Henri Martin, symbole vivant de nos combats pour la paix du monde ...

Un an plus tard, à Genève, la volonté des peuples parvenait à

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imposer le cessez-le-feu en Indochine. Dans le silence soudain des canons, des bombardiers, la France d'Henri Martin et du vail- lant Léo Figuières - et-non une autre usurpant son nom - pou- vait enfin, impunément et le front haut, tendre la main au peuple si longtemps crucifié qui, sur le colonialisme oppresseur et son maître transatlantique, avait conquis durement la consécration de son droit & l'unité et à l'indépendance.

C'est à cette France-là qu'il revient de montrer son visage. Un visage qu'elle ne permettra plus & personne de défigurer.

1. ~ é ; FiguiBres, poursuivi comme messager de paix e t plusieurs fois condamné, est encore rbduit à la vie clandestine.

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A L'CEILLET

Les sacrifices des communistes, on ne peut les com- parer qu'A ceux des premiers chrétiens. E t encore, il y a une différence : les chrétiens acceptaient le mar- tyre e t la mort dans l'espoir de gagner le royaume des cieux, tandis que les communistes font le don de leur vie sans rien attendre en retour pour eux-memes. Ils donnent leur vie pour que se lèvent sur l'humanité des lendemains meilleurs, plus heureux, qu'ils ne conoaîtront pas ...

'EST un fils de la Grèce qui parle. Un fils si authentique de la Grèce des héros que, pour tenter de le salir avant de le tuer, les mercenaires des Barbares contemporains (de Hitler

ruman) le traitent d'agent étranger. Comme jadis les Bazaine traitaient le patriote Varlin. Comme aujourd'hui les créatures de Pétain traitent ceux qui refusent leur trahison.

Mais quel sourire détend soudain, devant la mort qu'il affronte calmement, les traits émaciés et sévères de Nikos Beloyannis ? Il tient entre les doigts un œillet rouge qu'il approche de ses lèvres entr'ouvertes.

Dans la phalange-de nos martyrs, chacun, face au bourreau, laisse à l'anthologie légendaire de l'histoire une ima e particu- lière, un attribut de sa propre figure qui la distingue $ es autres : la fleur et le sourire aux lèvres, tel est, depuis le geste de l'homme à l'œillet, le message du héros hellénique. Le message de cette Grèce qui a tenu tête à tous ses envahisseurs, qu'ils fussent Perses, Romains ou Ottomans, Italiens ou Allemands, qu'ils soient Britan-

s ou Yankees. De cette Grèce toujours fidèle au grand yle, qui avait immortalisé en Prométhée le héros dans les

nes, plus fort que les divinités oppressives et leur destin. cette Grèce dont un autre fils, Manolis Glezos, lui aussi menacé

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de mort, avait délivré l'Acropole de la souillure barbare en arra- chant l'ignoble emblème à croix gammée.

A dix-sept ans, Nikos Beloyannis, étudiant en droit à Athènes, adhérait au Parti communiste : chassé de la Faculté, il est, au bout de deux ans, condamné A deux mois de prison. Deux ans après, le dictateur Metaxas le fait encore arrêter : ces lèvres qui, seize ans plus tard, souriront si fièrement devant la mort, la torture ne parvient pas à les desserrer. Deux années de prison, quatre années de déportation. Il s'évade, il est repris.

Dans sa patrie piétinée par l'invasion, où les hordes mussoli- niennes vaincues sont relayées par les troupes nazies, les geôliers changent de maîtres, les maltres changent d'uniforme : ils se passent la consigne de mort lente.

En 1943, Beloyannis leur Qchappe et rejoint l'Armée populaire, 1'E. L. A. S. ; abandonnant ses manuscrits d'économie politique et d'histoire littéraire, le voici combattant parmi ces magnifiques andartès dont les poQtes n'ont pas fini de chanter les exploits : B la tête d'un r&giment, dans le Péloponnése,il attaque les colonnes allemandes en marche vers le sud.

Athènes libérée, le haut commandement britannique couvre de louanges n l'immense contribution des andartès à la cause com- mune des alliés 1) ; mais il fait débarquer d'Égypte en Grbce deux formations encadrées d'officiers monarcho-fascistes. Et, par un véritable coup de force, le g6néral anglais Scobie démobilise, en face de ces formations, l'armée libératrice ; il provoque 1s massacre des patriotes. A la guerre civile se mêle l'intervention étrangère, aux mitrailleuses des n bataillons de sécurité r se joignent les tanks du nouvel occupant. Pendant plus d'un mois, les patriotes, unis en un front commun, résistent. Pour mettre un terme A l'effusion de sang, ils signent, B Varkiza, un accord que ni le gouvernement, ni les autorités britanniques ne respecteront. L'Armée nationale une fois démobilisée et désarmée par mesure unilatérale, les traitres d'hier, les collaborateurs de l'ennemi hitlérien, organisés en bandes bien équipées, encouragés par le gouvernement monarchique à la dévotion de l'envahisseur, livrent de nouveau la Grèce, meurtrie et décimée, à une terreur sanglante.

E t c'est dans ce climat que s'ouvre, en mars 1946, une campagne dlectorale faussée par un régime de coup d'État, la faveur duquel, de l'aveu même du president du Conseil, n seuls les candidats monarchistes peuvent se déplacer en toute liberté u : 70 p. 100

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d'abstentions. Les élections hissent au pouvoir le parti a popu- liste )) du dictateur Tsaldaris et ct lé disent x, le monarcho-fascisme. L'oppression et la répression redou "b lent. E n vertu d'une loi d'ex- ception n pour le rétablissement de l'ordre et de la sécurit6 a, c'est par dizaines de milliers que se comptent les arrestations. Des cours martiales distribuent les condamnations à mort.

La résistance populaire, en état de légitime défense, se réfugie et s'organise dans les maquis de la montagne : en octobre 1940 naît l'Armée démocratique. Quant à l'intervention Qtrangère, elle change de mains : aux Anglais se substituent les Américains. La Grèce martyre sert désormais de champ d'expérience & la doctrine Truman et de base stratégique péninsulaire à l'impé- rialisme tentaculaire des U. S. A. Dans tous les domaines, écono- - -

mique, politique, militaire, la domination du nouvel occupant est 4 peu près totale !

La terreur hitlérienne avait Bté vaincue : la terreur yankee en assure la relève. Aux horreurs de Dachau succèdent les horreurs de Makronissos, l'île de la mort. Les iles les plus insalubres de la mer Égée se repeuplent de patriotes déportés. Dans les locaux de la police et des services secrets, les tortionnaires s'en donnent Q cœur joie. Au nom, bien entendu, de la a dbfense du monde libre !

n Pas de quartier ! Tuez-les tous ! u Tel était le slogan du général Van Fleet 3, le chef des nouveaux Barbares, il qui la trahison titiste, véritable coup de poignard dans le dos, allait permettre de réduire, sur les monts Grammos, la farouche résistance des andartès,

La guerre civile terminée, la terreur est loin de ralentir, et l'hémorragie continue : une nation ruinée, vidée de sa substance par l'a aide économique n des colonisateurs ; un peuple saigne .à blanc, dont le niveau de vie est le plus bas d'Europe. Pour le tenir en main, la cour martiale et le peloton d'exécution devant qui défilent et tombent les patriotes, les partisans de la paix. Trente mille sont déportés dans les camps d'agonie.

Et, malgré tout, malgr6 une loi électorale truquée, ce peuple indomptable parvient à élire dix des siens, dix de ses h6ros dé-

1. Le même général Van Fleet, qui s'était fait la main en Grhce, a sévi ensuite en Corée, où il a fait massacrer la population et les prisonniers de guerre, oh il a r6pandu le napalm et la peste.

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portés, parmi lesquels celui qui avait arraché la croix gammée de l'Acropole : plus de 11 p. 100 des voix s'étaient portées sur Ie seul Parti démocratique légal, 1'E. D. A.

Comment venir à bout de cette résistance obstinée à l'oppres- sion ? Tandis que le gouvernement Plastiras tentait de l'endormir en promettant l'amnistie et la suppression des cours martiales, le proconsul américain - l'ambassadeur Peurifoy - et ses seides décidaient de discréditer et de décapiter le mouvement.

De le discréditer par la calomnie infâme et de le décapiter en mettant à mort ses meilleurs dirigeants. C'est alors que paraît l'homme à l'œillet, que comparaît Nikos Beloyannis. Deux fois, devant deux équipes de juges militaires, comme s'il fallait, par ces soudards, le faire tuer deux fois.

Le 19 octobre 1951 s'ouvre le premier procès : le procés des quatre-vingt-treize. Pas même un procès, nous dira Me Dennery, l'avocat parisien qui a assisté aux débats : t( un coup de filet contre des gens de la Résistance D. Le tribunal siège, dans une salle lugubre, de la tombée du jour il la nuit ; il est présidé-par un certain colonel Stavropoulos, qui ne sait que vociférer contre la défense. Il brandit, comme une massue mortelle, la loi 509 (de 1947), qui frappe de la peine capitale ou de la réclusion perpé- tuelle les adversaires du régime qualifiés de K chefs ».

Quel était le crime des quatre-vingt-treize ? D'avoir inscrit sur les murs d'Athènes : Assez de sang I a ou : (( Les Américains en Amérique ! u Ou encore de s'être rencontrés et d'avoir été surpris, dans une pâtisserie par exemple, en train de converser à voix basse, probablement pas sur le goût des gâteaux. Des suspects, selon la police. Parmi eux, l'admirable couple Beloyannis et Elli Joannidou.

L'instruction avait été menée par des professionnels de la tor- ture : l'Américain Driscoll, surnommé « Boxe n, assisté d'un tor- tionnaire de l'époque Métaxas e t d'un hitlérien. Leur « machine de vérité )), c'était l'instrument du supplice électrique : une chaise sous le corps ou une couronne sur la tête. L'objectif : l'aveu et le reniement. La signature d'une u déclaration de repentir D. A ce régime, dans les cellules minuscules et glacées, il y en a qui deviennent fous.. .

Et, dès que le président, A la première audience, appelle les accusés, le drame dechire le silence. - Georges Tsamis I

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Pas de réponse. - Tsamis ! Un accusé se lève : - Tsam is est devenu fou dans les locaux de la Slireté : il est dans

un asile ... Le -président a beau crier qu'il ne permet pas qu'un accusé

dise ces choses, il y en a d'autres que Tsamis qui ont perdu la raison. Une femme s'est suicidée.

Le défilé des témoins à charge va donner tout son sens à la sinistre farce : aux gendarmes e t policiers de tous poils s'ajoutent les renégats, les mouchards, les malheureux u repentis s qui ont signé sous la torture ou sous la menace et accepté de servir d'auxi- liaires à la police : l'un de ceux-la aussi est soudain saisi par la démence. D'autres reviennent sur leurs déclarations extorquées, ils essayent de dire comment. De singuliers avocats commis à leur défense se font gloire de servir l'accusation et le soudard qui préside ; hurlant avec les loups, ils se permettent de désavouer et d'insulter leurs confrères qui, .simplement, accomplissent leur mission en dbnonçant l'arbitraire du procès et en contestant la compétence militaire.

Pis encore : ils aboient contre les accusés qui, jouant leur tête, refusent le jeu. L'un de ces avocats policiers prétend leur faire signer une pétition en faveur du tribunal dont leur intérêt, dit-il, est de ne pas indisposer les juges ! Beloyannis s'indigne et conseille à ses compagnons de chaînes de dire non. L'avocat le couvre d'injures et le provoque. Beloyannis hausse les épaules, il ébauche ce sourire déjà légendaire.. .

Face à la meute, Nikos Beloyannis, Elli Joannidou (mère d'un béb6 de quatre mois né dans la prison) et leurs camarades tiennent tête et dominent l'ennemi. De très haut. Maitres d'eux-mêmes, ils maîtrisent les débats. Leur exemplaire dignité fait l'admiration de tous, des quelques simples gens qui sont la, des deux avocats étrangers (britannique et français) qui ont Qté admis comme obser- vateurs, le barreau d'Athènes leur ayant refusé de participer à la défense.

L'un d'eux, Me Claude Dennery, nous dira A son retour que les accusés ont été pour lui, de par leur comportement, le sujet d'une des plus grandes émotions ressenties dans sa vie d'homme et

' ' d'avocat. Déjà, Beloyannis a exercé son sang-froid contre les policiers,

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dont les bévues ont fait murmurer - ou rire - la salie. Mais il n'y avait pas de quoi rire, e t c'est dans un silence bouleversé que Nikos Beloyannis va présenter sa dbfense accusatrice.

L'interminable Bpreuve touchait B son terme : c'était la dernibre nuit, vers deux heures du matin. Ni l'épuisement physique, ni la tension consécutive trois semaines de débats, ni la brutalité du président, rien n'avait pu étouffer la voix, entamer la résistance du héros amaigri.

11 parle, e t aussitôt sa sérénité impose le respect, fige les arti- fices, bouscule les conventions du jeu, suscite, parmi les chamar- rures de l'auditoire et les uniformes du service d'ordre, une présence de masse qui ne se discutera plus.

D'autres se sont étonnés de se trouver là. Beloyannis, non. En sa personne, c'est la politique du Parti communiste grec, c'est sa lutte pour la liberté, l'indépendance nationale et la paix qu'on prétend juger.

Un procbs d'opinion. La preuve, c'est que, pour effacer le r crime B, pour avoir la vie sauve, il suffisait de se renier. Tel &ait bien l'objet des marchés dégradants que voulait imposer la police par la violence ou par la menace. Or un reniement saurait4 effacer autre chose que des opinions T A coup sûr, pas des actes. Pas un acte antinational !

(( Si j'a~ais signé une déclaration de repentir, il est très probable que vous m'auriez acquitté. Cependant ma vie est liée à l'histoire du Parti communiste ... J'aurais pu vivre dans l'aisance : j'ai préféré une existence de privations et de dangers. An cours de n a vie, j'ai eu à choisir des dizaines de fois entre viore et mourir. Entre viore en trahissant mes idées ou mourir en leur restant fidèle, j'ai toujours choisi le second chemin. Aujourd'hui encore, c'est wlui ue je préfère. r e Et, si c'était B refaire, je referais ce chemin ... e chemin de notre Gabriel Péri, le chemin de Nikos Bejoyannis. Deux mil& naires et demi après Sophocle, leur langage ne cède pas en noblesse Q celui d'Antigone, ui, elle, croyait aux dieux. (( Ils donneront x leur vie pour des len emains meilleurs qu'ils ne connaîtront pas D, déclare Nikos. « Pour des lendemains qui chantent D, écrivait Péri.

Beloyannis fustige les chantages policiers par lesquels le pouvoir monarcho-fasciste cherche à obtenir les honteuses déclarations de repentir. Par deliî les juges, il accuse le gouvernement de vouloir ainsi intimider, museler, avilir non seulement I'opposi-

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tion, mais sa majorité, non seulement les conscienoes Ies plus faibles, mais la conscience même de la patrie.

ci ~ i k s i , on enseigne aux Grecs, d tau; les Grecs, à lever les bras en l'air devant le danger et ses dpreuues. Je souhaite d cem qui s'appliquent à donner de pareilles a leçons n qu'ils n'aient pus d cueillir les fruits de leurs efforts. 1)

Lorsque - des officiers tombaient aux mains de l'Armée populaire ... l in juge l'ayant interrompu pour fulminer contre cette allusion sacrilbge, Beloyannis, avec hauteur, le rappelle au sang-froid :

n Je dis ce que j'ai ou. J e n'éprouvais azlcune estime pour ceux d'entre ces officiers qui, une fois capturés, protestaient de leur sym- pathie 6 notre égard. Par contre, j'estimais ceux qui déclaraient avoir combattu pour une cause à laquelle ils croyaient. Ceux-ci, je les considérais comme des hommes. a

Nikos a soif. Le président lui refuse un verre d'eau. r Peu im- porte r, répond Beloyannis, qui, calmement, expose le programme et l'action de son parti.

Le procureur s'étrangle. a Le Parti communiste est ill6ga1, il est défendu B quiconque

de proclamer ses principes, sous peine de contrevenir A la loi. B a C'est sur ces principes que je suis jugé. J9en parlerai. a Et Beloyannis continue. Il attaque, il fonce. Parlons un peu

de ce fameux argent étranger que la plus traditionnelle des ca- lomnies prétend voir couler dans les caisses du Parti 1 Il ne se borne pas à réfuter : il défie les partis de-la réaction de justifier l'origine de leurs fonds. N Agents de l'étranger n ! De quels côtés sont-ils 2 Les yeux noirs de Beloyannis plongent dans les yeux de ses juges. Et c'est à présent que, les traits durcis, il leur lance l'immortelle apostrophe dont les dernieres paroles figurent en tête de ce chapitre.

Les agents de l'étranger sont-ils parmi ceux qui, plus désin- téressés que les premiers chrétiens, offrent leur vie pour la plus grande des causes ? Que les agents de l'étranger se regardent eux- mêmes, s'ils l'osent !

a voyons un peu quel genre de (( parti de l'étranger 11 nous sommes. Qu'on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu / Car on connait très bien, dans le monde entier, le r6le que jouent les Ami- ricains en Grèce. Ic i même, on a ddcrit et dhnontré le rdle qu'ils ont joud au cours des interrogatoires, à la SBretd.

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r Les communistes, eus , ne sont pas les instruments de l'étranger. Le est un idéal de toute l'humanité et un rnowement international. I l est issu d'une poignée d'hommes, au temps de Marg, et il atteint aajourd'hui huit cent millions d'êtres humains. 71 s'étendra sur la p l a d t e entière.

a ,!&-il possible que des « instruments de l'étranger D aient pu créer un mouvement aussi grandiose ? Quel est l'agent de l'étranger qui donne avec tant de générosité sa vie, comme la donnent des milliers de communistes ? D

Le président a beau s'agiter sous le regard et le verbe du héros, il a beau faire effort pour dissiper l'émotion qu'une telle grandeur ddgage : Beloyannis dédaigne les interruptions. Il dira ce qu'il a & dire. Et pas autre chose :

a Le Parti communiste de Grèce a ses racines plongées dans le peuple et nou,rries de son sang; ce n'est pas par des tr ibunaux militaires, ni par des pelotons d'exécution qu'on l'extermine.

n L'objet de sa politique a toujours étd le bien de notre peuple et de notre patrie. Et il demeure toujours le même, c'est pourquoi le peuple le soutient. L a Parti communiste de Grèce demande la pacification du pays, sa reconstruction, sa démocratisation. La réaction s'y oppose et entraîne la Grèce vers de noueelles catastrophes, semant partout la haine et la terreur.

B C'est pour la politique de mon Parti que vous me jugez. V o s tri- bunaux sont donc des tri bunaux de circonstance. Aussi , je ne demande pas votre indalgenee ; j'accueillerai ma condamnation avec fierté et stoïcisme, et je dévisagerai avec courage votre peloton d'exécution.

n Je n'ai pas autre chose d dire. 1)

Simplement. Aussi simplement que s'expriment en langage d'bpopée les héros d'Eschyle. Pas autre chose à dire. Pas autre chose ? Peut-être avec cette voix qui, h l'instar de la grande voix dimitrovienne, percutait si loin par delà les juges.

Mais voici que va naître le silence qui relaye la parole, qui la prolonge à l'infini. Mais voici que va prendre corps, comme une

résence qu'aucun marbre de Paros ne saurait fixer, la légende. Ea iegende faite chair et sang. Mais voici que va s'ébaucher, face à la mort défiée, l'image qui ne mourra pas. Le geste si naturel et Xe sourire bouleversant de l'homme à la fleur.

Beloyannis s'est rassis à son banc. Dans le petit bouquet ano- nyme qu'elle vient de recevoir, une femme, une de ses cama- rades, prélève un œillet rouge ; elle le tend Nikos.

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E t c'est alors que, ce visage durci, un sourire le détend. Les doigts qui tiennent la fleur, les yeux, les narines, les Ièvres du héros impriment un style charnel à son message politique. Les narines frémissent, les lèvres s'entr'ouvrent. Le fier sourire accueille, presque à la toucher, la fleur que les doigts tiennent et lentement approchent ... Tandis que les yeux ne voient plus la salle, mais déjA ces lendemains meilleurs, plus heureux, qu'ils ne connaîtront pas ...

Dans la nuit du lendemain 15 novembre au surlendemain, le tribunal délibérait. Beloyannis devisait avec ses camarades ; comme Dimitrov, il lisait Shakespeare. Après huit heures d'attente, le verdict : douze condamnations à mort l, alors que le procureur n'en avait demandé que dix. Sept hommes, cinq femmes, parmi lesquels Nikos Beloyannis et sa compagne Elli Joannidou.

Ils ne seront pas exécutés, avait juré le président Plastiras, qui avait obtenu son élection sur la promesse d'une amnistie. Mais, derrière lui, il -y avait l'ambassade américaine, insatisfaite. E t son favori, le principal concurrent de Plastiras, le général prohitlérien Papagos 2. Le chantage du créancier yankee était d7au- tant plus efficace que s'aggravaient la débâcle Bconomique de la Grèce et la détresse du peuple. L'exportation paralysée, couvrant A peine le tiers des importations, la moitié du budget engloutie dans les dépenses militaires (un Grec sur cinq sous les armes), quatre cent mille chômeurs, trois millions de paysans sans tlerre ...

Il était grand temps d'organiser une diversion de grand style et, du même coup, d'abattre les héros populaires : cela commence par la déchéance des élus de 1'E. D. A. (Alliance démocratique de gauche), expédiés en déportation dans les îles ; et cela continue par le montage d'un grand K complot contre la sûreté de l'Étlat 1).

Une odieuse accusation d'espionnage devait permettre, aux yeux de l'ambassadeur Peurifoy et de la clique gouvernementale,

1. Et vingt-trois à I'emprissnnemenit perpétuel. 2. De par la grâce de l'occupant américain, c'est le général Papagos gui, suc-

cédant à Plastiras, est devenu président du Conseil. E t ( 'est lui qui, c'est Tito e t le compère turc, a signé le pacte balkanique des provocateurs de guerre sous l'égide des Etats-unis.

3. C'est le même ambassadeur Peurifoy qui, en juin 1954, plénipotentiaire a la fois des Gtats-Unis e t du trust américain United Fruit au Guatemala, a fait poi- gnarder dans le dos le gouvernement démocratique e t national du président Arbenz en imposant au petit e t vaillant peuple guatémaltéque la dictature de l'usurpateur Castillo Armas,

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278 LA DI~FERSE ACCUSE

de d6shonorer et d'isoler les communistes. Et, pour mieux étouffer la chose, il était prdvu de mettre A profit les vacances de l'O. N. U. L'or ane de Papagos révélait sans fard ces intentions, pas fâché que 'i e sang des victimes marquées retombe sur le Ponce Pilate Plastiras. u Espionnage d tout prix, écrivait ce journal, m i m e dans je cas od cette accusation ne pourrait résulter des indices que possCde l'autorité eompdtente qui exerce la poursuite. )) DiEcile de pousser le o nisme plus loin. Y C est le ministre de la Police, Rendis, qui est chargé de l'opé- ration. Rien ne sera laissé au hasard : la police avait mis la main sur la liaison radiophonique entre les démocrates athéniens et le poste émetteur de la Grbce Libre ; dans la cave où il était traqué, le militant Vavoudis s'était donné la mort aprbs avoir brûlé ses documents. Restait & fabriquer de fausses dépêches pour prouver cette tl liaison avec l'étranger 1). Qu'à cela ne tienne ! La police les fabrique. L'occupant obéi ne dissimule pas sa satisfaction.

Le procès est au point : les otages communistes seront condamnés & mort et, cette fois, exécutés. Comme agents secrets d'une puis- sance étrangère. E t aussi (pour complaire au corrupteur syndical Irving Brown) comme « ennemis de la reconstruction et de l761évation du niveau de vie populaire n.

Bien entendu, parmi les vingt victimes B livrer aux bêtes, on ne manque pas de faire figurer les condamnés à mort du premier procès, Beloyannis en tête. Et peu importe u'à l'époque des émissions interrompues ceux-ci fussent depuis 9 ongtemps ernpri- sonnés ! Peu importe ue, jusqu'aux audiences du second procès, 3 on se soit bien gardé e leur communiquer les faux I L'exécution hâtive, précipitée, du mauvais coup, est la condition de sa réussite.

Cette hâte, Beloyannis va, dès les premières audiences du procès des Vingt, qui s'ouvre le 15 février 1952, en dénoncer la cause :

u N o m n'avons pas eu le temps de consulter nos avocats, ni de réunir les documents .indispensables pour conjofondre les témoins de l'accusation. Cette hdte est tout à fait inexplicable, oauf si on doit e n croire M. Papandreou, qui écrit, dans le dernier nurndro d'ElIada, qu3il a fallu une intervention dtrangke pour que le procds ait lieu. r

Les (( documents B de l'accusation falsificatrice étaient si gros- siers que, pour sauver Ia mise, le gouvernement, gêné, avaiffait publier par sa presse des commentaires contradictoires. Ces contradictions, Beloyannis ne manque pas de les relever, non sans hauteur :

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L'HOMME A L'CE][LLET

n Nous avons v u une succession de dimentis p O n nous a dit d'abord que certains documents parce que leur contenu intéresserait la sûreté un second démenti a affirmé qu'il n'existait p II s'agit en fait d'une petite cuisine de

Pendant que la lecture est donnée de s'en désintéresse : il ouvre son Shakespe scandale du colonel Simos qui préside :

a Votre aoaire ne m'intéresse pas, riposte Beloyannis. J e préfère étudier la poésie anglaise ... 3

Le défilé des témoins h charge : des policiers, dont plus d'un a servi l'occupant antérieur, l'op resseur hitlérien. u Un vieux P règlement de comptes B, observe Be oyannis.

(( Ce sont eux qui, depuis vingt-cinq ans, nous poursuivent. O n a le sentiment qu'ds sont venus ici pour régler leurs comptes avec no us. ))

Ils servent le maître du jour, mais mal. Si mal que les journaux de Plastiras e t de Papagos se découragent. n Personne ne croit plus aux histoires d'espionnage de M. Rendis s, Qcrit l'un. E t l'autre de gémir que le procès a fait fiasco !

Belovannis n'a pas de peine A tourner en dérision des K docu- ments ;) dont le contenu était depuis longtemps public. n Je suis ici, dit-il, pour avoir appliqué le programme de mon parti. x Et, ce programme, il l'expose. Au centre, la défense de la paix :

n L a Grèce a sou8ert presque sans interruption depilis neuf ans, et plus que tout autre pays, des guerres et particulièrement de la dernière effusion de sang. Ces sacrifices e n êtres humains, les dévas- tations, les ruines ont pris des proportions terrifiantes. Les seuls responsables. .. , ce sont les impérialistes étrangers et leurs sous-ordres grecs, qui ont fait de l'accord de Varkiza un chiffon de papier, qui, apres la guerre, ont entravé l'évolution démocratique du pays, pro- longé la guerre civile, et gui refusent d'accepter les propositions sov,étiques de pacification durable.

o L a transformation de la Grèce e n base stratégique et les menées des impérialistes américains et anglais font courir a u peuple grec de plus graves dangers. Ce n'est qu'en participant a la lutte mondiale pour ta paix, e n assurant la démocratisation d u pays, sous un gou- vernement démocratique, la coopération avec 1'U. R. 8. S. et les démocraties populaires, que le peuple grec peut Mifier sa vie et son développement pacifique. B.

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Et Beloyannis reprend, avec une admirable élévation, le thème qu'il avait développé devant ses premiers juges : les agents de l'étranger, où sont-ils ? Où sont-ils, les véritables patriotes ?

n Les témoins de l'accusation ont dit que chaque communiste .

est un espion, que les communistes ne sont pas des Grecs, que le Parti communiste n'est pas un parti grec ... &fais le patriotisme d'un parti, d'un citoyen, ne peut être éprouvé que lorsque la liberté, l'inté- grité, 1' indépendance de sa patrie sont en danger. .. x

Selon ces critères, ce sont les partis réactionnaires qui sont asservis à l'étranger. C'est, par contre, le Parti communiste qui n'a cessé de lutter pour la patrie en péril :

c Lorsque la liberté, l'intégrité et l'indépendance de notre patrie ont été mises en danger par l'offensive de Mussolini, c'est de sa prison que Zaehariades écrivit cette lettre magnifique dans laquelle il appelait tous les Grecs à transformer chaque pont et chaque village en forteresse.. . n

Un tel parti, qui a prouvé par le fait son caractère hautement national, d'ailleurs inséparable de son internationalisme . prolé- tarien, n'a de lepons de patriotisme à recevoir de personne : 4

« Le Parti communiste de Grèce n'a pas besoin de demander aux* autres... u

Beloyannis dévisage fiérement ces (( autres B que sont les juges de service :

a ... des certificats de.patriotisme; il les a gagn& par son propre sang et par ses armes. 1)

Le président perdrait contenance s'il ne glissait pas : ((Surtout par les armes... n

« Surtout par son sang, lui lance Beloyannis, quine se départ pas de son calme. Par le sang qu'il a versé dans tous les lieux d'exécution hitlériens et fascistes ! Et puis aussi par ses armes, en combattant les Allemands et les Italiens dans les plaines et les montagnes de la Grèce. B

E t le héros, qui sait de quoi il parle et pour qui, va exhaler son chant du cygne :

(( Voild notre activité. Voilà les sacrif ces que nous avons offerts 6 la patrie. C'est ainsi que nous, nous aimons la Grèce. Avec tout notre c@ur et tout notre sang ... 1)

Pour qui donc ces paroles de chair, ce bouquet suprême où I'hornme à I'ceillet a mis la Beur de son âme de héros ? Ge n'est Certes pas pour les mercenaires de l'occupant qui il fait face

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L'HOMME A L ' ~ I L I , ~ T

et qui vont exécuter leur consigne en condamnant à mer nis, Elli Joannidou et six autres militants.

C'est pour ce peuple décimé qui refuse de courber la c'est pour tous les, peuples solidaires que va soulever et de colbre la nouvelle de la condamnation. Le mouvement solidarité prend une telle ampleur, une telle unanimit commanditaires américains, redoutant son efkacité, leurs tueurs autochtones et multiplient sur Plastiras, su bourg, ce monarque a leurs yeux trop anglophile, leurs exigences et leurs chantages.

a La Grèce, écrit 'le New York Times, est notre expérience de laboratoire dans la direction de ta politique des autres nations. »

Alors, c'est le grand jeu : une démonstration navale imposante annoncée à Phalère, une visite personnelle du général boutefeu Eisenhower à Athbnes. La conférence de Lisbonne a consacré l'incorporation de la Grboe dans la coalition des agresseurs.

La mythologie cruelle de l'ère crétoise n'avait pas prévu cette sanglante irruption atlantique dans les eaux de la mer Égée. Pendant ce mois de mars où le sang généreux de l'homme A l'œillet doit servir de gage 4 une entreprise de servitude, que la Grèce martyre n'oubliera jamais, chacune des nuits de Beloyannis et de ses compagnons d'agonie peut être la dernière, chacun de leurs réveils renouvelle le suprême supplice que les Atrides n'avaient pas connu, ni les victimes du Minotaure.

Dans la nuit du 29 au 30 mars, la commission des grâces a livré ii la mort Nikos Beloyannis et trois autres otages. Sur le polygone de Goudi, où les hitlériens fusillaient leurs victimes, les condamnés refusent de se laisser bander les yeux.

Avant que le peloton ait exécuté l'assassinat, Nikos Beloyannis a le temps de crier : c Vive le Parti communiste grec ! u

Il avait fallu l'injonction menaçante des colonisateurs pour empê- cher le gouvernement (dont quatre ministres avaient démissionné) de céder à la marée de l'indignation populaire universelle. u Nous ne sommes jamais seuls n, avait écrit de sa cellule Elli Joannidou.

Je souhaite pue mon sang eontribne à la pacification de ma patrie martyrisée B, avait écrit Nikos Beloyannis.

Mais le mouvement, qui n'a pu le sauver, est loin d'être perdu. -

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'EXÉCUTIDN d ~ ~ t h e l et Julius Rosenberg a marqué une nou- velle étape dans le cheminement de l'impérialisme américain sur la voie qui le mène du fascisme inavoué de la guerre froide

au fascisme étalé de l'agression. D'autre part, le comportement du couple héroïque a contri-

bué à cristalliser, dans le monde entier, la résistance unie, unanime, des forces de vie contre les forces de mort.

Jamais - même au temps de la a passion de Sacco et Vanzetti a - l'émotion et la colère n'avaient atteint cette chaleur de fusion capable de souder les peuples autant que pendant l'interminable torture infligée B ces deux êtres jusqu'aux minutes suprêmes de l'agonie où, sur la chaise de brûlure, leur fermeté avait eu raison d'un tel chantage au reniement que ni les martyrs de l'antiquité, ni Jeanne sur son bûcher n'en avaient subi de semblables...

Depuis le procès des Onze, nous avons vu la Justice améri- caine sur le pied de guerre, avec sa suite atlantique. Mais la guerre froide s'était dégelée. Vers le milieu de juin 1950, à Séoul, John Foster Dulles, porte-parole de son gouvernement en Asie, prêchait la croisade contre la paisible République populaire de Corée. Une semaine plus tard, son fantoche, maintenu a coups de dollars sur l'échine des populations du Sud, lançait ses hordes au-delà du 38e parallèle. C'était là le signal qu'attendait le président Truman pour faire couvrir par sa majorité mécanique de 1'0. N. U. l'intervention d'un corps expéditionnaire dans ce pays voué dès lors à l'incendie, au massacre, à la guerre bactériologique et & toutes les atrocités d'une barbarie savante.

Par ailleurs, le Pentagone, citadelle militaire de l'impérialisme le plus fort, et le Département d ' ~ t a t ne pouvaient plus miser aussi efficacement sur le chantage la destruction atomique, pour la bonne raison que le n~onopole de l'arme radioactive était perdu et la guerre froide aussi mal engagée que la guerre coréenne.

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L'opinion publique, à qui ce monopole avait été offert comme on inculque une religion révélée, avait subi un rude choc. Elle était ébranlée ii la fois dans sa croyance ii la guerre presse-bouton sans risque sérieux et dans sa foi en l'invincibilité de son armée, de ses n marines )) (depuis que les revers de Corée avaient empêché les i( boys x de manger en famille la fameuse dinde de Noël).

Elle pouvait n'être pas insensible aux dangereuses offensives de paix de l'ennemi n, l'Union soviétique persistant à réclamer l'in- terdiction des armes d'extermination massive.

Il devenait urgent non de trop rassurer cette opinion, mais de la désorienter, de canaliser son affolement dans un sens favorable à la militarisation du pays.

Mais comment renouveler, comment porter à son paroxysme la mobilisation de la peur et de l'hystérie guerrière que les experts du service psychologique estimaient indispensable pour faire accepter cette militarisation totale et l e sacrifice des boys n dans une expédition lointaine, déjà compromise ?

Parmi les mythes utilisables, n l'espionnage rouge D était le plus commode, le plus compatible avec le mythe du superman et de sa mission, de l'Américain-citoyen-supérieur, à qui la trahison seule pouvait soustraire, au profit de l'ennemi, du monstre-à-la-bombe- entre-les-dents, sa supériorité, son privilège, son avance atomique.

Une bonne condamnation à mort et une exécution à grand spec- tacle feraient l'affaire. Elles feraient même coup double ou triple en intimidant les forces de paix qui exigeaient la fin de l'aventure coréenne, en frappant, en égarant les consciences, enfin en ameu- tant contre les (( rouges n les familles qui attendaient le retour de leurs garçons cloués sur place par la résistance d'un peuple en lutte pour sa liberté.

Or voici qu'un tribunal de province, celui de New-Mexico, proche des laboratoires militaires de Los Alamos, avait B juger des n espions rouges n. Un nommé David Greenglass, accusé lui-même d'espionnage, avait une raison assez sordide (un besoin d'argent non satisfait) d'en vouloir à son beau-frére et associé Julius Rosen- berg. Julius et sa femme, Ethel, professaient des opinions progres- sistes : ils avaient collecté des fonds pour les enfants des réfugiés espagnols; ils ne cachaient pas leur admiration pour les vainqueurs de Stalingrad. En sa triple qualité d'ingénieur, de juif et d'oppo- sant au passé « subversif B, Julius constituait donc, comme le dira plus tard son défenseur, la a cible parfaite ».

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C'était contre les époux Rosenberg, et non contre un Greengla sans valeur, sans caractére et sans autre position politique côté du manche, qu'il &ait possible de monter une exemp machination.

L'avocat de David et Ruth Greenglass, John Rogg, un ré du Mouvement de la Paix, négocia avec le procureur Say marché suivant : moyennant dénonciation par eux des Rose les Greenglass tireraient leur épingle du jeu.

Le 17 juillet, Julius était arrêté sous l'inculpation d'avoir trans- mis & une puissance étrangère (on devine laquelle) des secrets ato- miques : un mois plus tard, c'était le tour d'Ethel, en tant que u soutien moral x de son mari ! Les Greenglass n'étaient plus des coaccusés, mais de simples complices, et Ruth ne tardait pas & être libérée.

C'est le 6 mars 1951 que s'ouvrit le procès devant le Tribunal fédéral de New-York (district sud). Sur les 118 témoins annoncés par l'accusation, que soutenait le procureur Saypol, 100 s'étaient volatilisés. On s'était bien gardé de convoquer les savants, qui n'auraient pu, sous peine de discrédit, cautionner les élucubrations invraisemblables des dénonciateurs. Aucune charge, sinon la dépo- sition préfabriquée et monnayée du couple Greenglass, celle d'un certain Elitcher, récidiviste avoué du faux témoignage, celle d'un mouchard professionnel rétribué par le F. B. 1. L'atmosphère était cr4ée par la presse : pas un mot sur les réfutations de la défense; tous les feux de la publicité sur les allégations incroyablement gros- siéres du procureur et du juge unique, Irving Kaufman.

Le 5 avril, un jury crédule, systématiquement préparé et pilonné, concluait a la culpabilité de Julius et d'Ethe1, et le juge Kaufman prononçait la peine attendue de lui : la mort sur la chaise électrique !

Morton Sobell, condisciple de Julius, enlevé de force au Mexique par des agents du F. B. 1. sur la simple dénonciation d'Elitcher, était condamné a trente années d'emprisonnement.

Seule, la lâcheté devait recevoir sa prime, comme dans les pro- cès de sorcellerie : cela aussi était nécessaire au succès de I'opération ; 11

au surplus, comment ne pas faire honneur au marché conclu? Le 1 juge Kaufman se montra a régulier m. Ruth Greenglass était déja // hors de cause et David, dont le cas fut disjoint, ne devait être ' i

condamné, le lendemain, que pour la forme, au minimum de la peine applicable (quinze ans de prison), avec la perspective d'une II

libération conditionnelle pour bonne conduite ! ji jj ii // I

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Ce qui importait, c'était l'image violente des deux ((espions rouges )) sur la chaise électrique. Si les soldats de Mac Arthur n'avaient pas fait une promenade militaire couronnée par un joyeux Christmas, si la guerre froide n'était pas gagnée, si les savants soviétiques avaient mis au point la bombe A « des années avant la date prédite par nos meilleurs savants ( c'est le juge Kaufman qui parle), il fallait un couple émissaire. Et, sous les projecteurs, le juge Kaufman avait commenté la condamnation par ces mots a historiques 3 :

n A la lumière des cirConstances, j'ai le sentiment que je dois rendre, sur les principes de cette conspiration diabolique pour détruire une nation craignant Dieu, une sentence telle qu'elle démontrera de façon définitive que la sécurité de ce pays doit demeurer inviolée.. . .n

On ne saurait mieux prêcher la mise à mort pour raison d'Êtat. Ce ton de prêche à la manière du cardinal Spellman caractérise assez bien l'avatar américain du meurtre rituel, la figure américaine du fascisme.

Pour combattre cette sinistre farce de justice montée contre deux innocents, un Comité national s'était constitué. Son premier acte avait 6 th l'édition et la diffusion de la sténographie complbte du procès. La lecture en frappa de stupeur tous ceux, juristes ou non, .qui y d6couvrirent le néant des charges, l'invraisemblance et les contradictions d'une accusation qui se détruisait elle-même comme ne l'eût détruite aucune défense.

Postérieurement au procès, plusieurs documents furent publiés qui, eux, apportaient la preuve de I'innooence, notamment la photocopie d'une lettre dans laquelle Greenglass reconnaissait comment et par qui (le F. B. 1.) lui avaient été extorquées ou sug- gérées ses dénonciations. D'un second document, émanant d'un défenseur du meme Greenglass, il résultait que la femme de celui-ci le considérait comme hystérique et capable de x déclarer des choses même s'il savait qu'elles n'étaient pas vraies a. Un troisième docu- ment révélait pourquoi le F. B. 1. tenait dans son filet le faux tbmoin.

Tel étant l'homme sur la foi duquel les époux Rosenberg avaient été condamnés à mort, et son témoignage - pratiquement le seul tdmoignage A charge - étant publiquement démantelé, il allait de soi, s'il s'était agi d'une simple erreur judiciaire, d'une affaire comme une autre, que n'importe quel appareil judiciaire eût été contraint de reviser le procès.

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LES ROSENBERG 287

Mais il s'agissait bien d'une affaire quelconque l Il s'agissait bien d'une erreur judiciaire I Il faut à tout prix, fût-ce au prix de - t 1 3

la réprobation universelle, ue meurent les Rosenberg pour que vive la politique au nom %e laquelle leur mort était d'avance décidée. Qu'ils meurent, mais qu'ils ne meurent pas d'un coup. 11 y avait à sauvegarder la forme, r les garanties », dira plus tard Eisenhower. E t qui sait si des mois d'agonie, dans l'attente, chaque jour, chaque nuit, du dernier petit matin, ne permettraient pas d'obtenir un instant de lassitude, de faiblesse ? A l'aune d'un Green- glass ou d'un Mac Carthy évidemment ... i

i Ces mois d'agonie, bout à bout, cela a fait deux ans ! Deux années 1 1

de torture morale infligées a ce couple entre tous exemplaire, une torture interminable, atrocement aggravée par la skparation, par l'arrachement de deux enfants à l'affection ardente de cette mère

1 1 I i et de ce père martyrisés.

Deux ans I Pendant ces deux annbes, cet homme et cette femme a ordinaires n, ainsi offerts en pâture à une frénésie publique entre- tenue, n'ont pas faibli. Ils n'ont jamais cessé d'opposer leur refus inébranlable B l'odieux marché que les bourreaux leur ont offert jusque dans la chambre du supplice. Leur héroïsme simple leur était si naturel qu'il se défendait d'être de I'héroisme. Ils n'ont iamais cessé, tout en criant leur amour de la vie, de préférer ti la ;ie leurs raisons de vivre. . - - - - -

La vie, la liberté, moyennant l'indignit6 du reniement ou la bassesse de dénoncer d'autres innocents, pour les livrer à la bête ? Non, merci !

r Cette vie nous est fermée. Nous sommes innocents, comme nous Pavons toujours proclamé et soutenu depuis l'époque de notre arres- tation. Telle est la vérité. Méconnaître cette véritt? serait payer trop cher même le don inestimable qu'est la vie, puisque, si nous achetions ainsi notre droit à la vie, nous ne poumons plus vivre avec notre dignité et le respect de nous-mêmes. »

Le courage du couple était B la mesure humaine, sans goût pour les grands mots ni pour l'affectation d'insensibilité.

n Nous ne sommes pas des martyrs ou des héros et nous ne désirons pas l'être. Nous sommes jeunes, trop jeunes pour la mort. Nous dési- rons ardemment voir nos deux fils, Michael et Robert, grandir et deoe- nir des hommes. Nous désirons, dans chaque fibre de notre être, pou- voir être un jour rendus d nos deuz enfants el reprendre la v ie familiale harmonieuse que nous menions avant le cauchemar de notre arresta-

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t ion et de notre condamnation. Nous désirom être rendus un jour (3 la sociét8 où nous pourrions consacrer notre énergie à la criution d'un monde-où tous auront la paix, da pain et des roses.

ii Oui , nous souhaitons vivre, mais dans la dignité simple de ceux qu i ont été honnêtes avec eux-mêmes et avec leurs concitoyens. En consdquence, e n toute honnêteté, nuus pouvons seulement dire pue nous sommes innocents. »

Aux côtés des Rosenberg, une autre figure merite l'admiration, non seulement des combattants de la justice et de la paix, mais de tous les gens de cceur : celle du défenseur Emmanuel Bloch, qui a payé de sa sécurité professionnelle, puis de sa vie, son dévouement B la cause de l'innocence persécutée et la fidélité de son combat pour le salut des Rosenberg, puis pour la protection de leurs enfants.

Pendant trois ans, jusqu'à sa mort, sans égard aux injures et aux menaces, il s'est voué à ce noble combat. Il a &puis8 toutes les pos- sibilités de recours pour obtenir l'annulation du jugement, la revi- sion du procès. Toutes ses requêtes ont été repoussées, malgr6 l'évidence de leur argumentation. Et sous quels prétextes !

En refusant d'accorder un simple délai d7ex6cution, le juge Kaufman, plus sinistre que le juge Thayer, qui avait sur la cons- cience le meurtre judiciaire de Sacco et Vanzetti, et surpassant en cynisme le juge Médina (du procès des Onze), osait déclarer : i

r Nous croyons que, si les Rosenberg devaient être un jour rendus a la liberté, ils continueraient certainement à professer leur allégeance et leur profonde dévotion à la Russie soviétique ... »

Emmanuel Bloch, digne de ceux qu'il défendait, ne se découra- geait pas, ne désespérait pas. Secondé par sa collaboratrice Gloria Agrin, il multipliait les recours devant toutes les instances- de l'implacable appareil d'État : tribunal de district, Cour d'appel, Cour suprême.

Ses appels étaient répercutés par le Comité américain pour'la défense des Rosenberg, par les comités nationaux qui avaient surgi en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne ... l, dont les publications se répandaient dans le monde entier. Le mouvement acquérait dans tous les milieux une telle force que, sur l'insistance des catholiques, le Pape lui-même dut joindre sa voix A cet unisson. Des pétitions se couvraient de signatures. Des milliers d'intellec-

1.. Et aussi par l'Association internationale des Juristes démocrates.

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tuels, des millions de simples gens, révoltés par c l'affair tout ce qu'elle signifiait non seulement d'injustice, mais d frénétique pour la paix et pour l'homme, pren part à la lutte pour les valeurs qu'incarnaient 1 . AJa fin de 1952, tous les moyens juridiques

leur épuisement, il ne restait plus qu'à tenter 1 ter l'exécution : la décision de grâce dependait Le quadriennat Truman touchait à sa fin : pouvait-on espérer de Ponce Pilate autre chose que le geste biblique ? Mais au rictus du président démocrate allait succeder le rictus républicain d'Eisenhower, de même qu'à la doctrine du containment celle du refoulement. Sur d'autres dents le rictus de la guerre froide et chaude. Ce que la presse bien stylée appelle un sourire ....

Mais toutes les formes x n'avaient-elles pas été observées, toutes les r garanties des lois américaines a, dira le prdsident Eisenhower pour sa a tranquillité d'esprit n ?

Dans leur dernier appel, Ethel et Julius s'étaient écriés : ( On nous a donnéseulement l'appareil, mais non la substance de

la justice/ D La-mort ! répond Eisenhower entre une partie de golf et une

grimace de sourire sous l'éclair de magnésium. Et il ferme sa porte à Emmanuel Bloch, il refuse de recevoir un savant tel que le pro- fesseur Urey.

L'appareil de la mort légale était prêt à broyer. Non toujours sans grincement. Pour obtenir une chance de revision, il fallait d'abord requérir un nouveau délai. Or ce n'est qu'à la majorité de cinq voix contre quatre que la Cour suprême avait (le 15 juin) repoussé la requête. Et, deux jours plus tard, la Cour étant en vacances, l'un de ses membres, le juge Douglas, avait eu l'honnêteté d'ordonner le sursis.

Aussitôt, sur l'ordre d'Eisenhower, le ministre Brownell s'op- posait à la décision, et la Cour, convoquée en toute hâte par son président Vinson, décidait (par six voix contre trois) d'annuler le sursis, sans avoir pris le temps d'examiner le dossier. Non sans que la mauvaise conscience leur eût dicté ce triste et confondant l Ï

alibi : ' i

La décision d'annuler le sursis ne signifie pas que la Cour : I 1 approuve la peine de mort prononcée en cette affaire ... n i

I / f Les trois opposants, dont le juge Douglas, avaient eu le mérite i

d'exprimer leur désaccord et d'expliciter leur protestation. 1 19 1 1

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290 LA BÉFENSE ACCUSE

Comment dire l'émotion qui souleva les peuples devant l'appareil à broyer ? Cette Bmotion de masse n'allait pas tarder à devenir si puissante, si unanime que, de partout, de tous les continents, affluaient & la Maison Blanche et aux ambassades des Btats-Unis des délbgations, des télégrammes, des messages comme des cris.

A la veille de l'exécution, ce fut, dans le monde entier, une véritable levée, un ameutement des cœurs. A Paris, sur la place de la Nation, des dizaines de milliers d'hommes et de femmes Btaient réunis. Nombreux furent ceux qui, la nuit, veillèrent et dont le flot déferla vers l'ambassade américaine. Et, le lendemain matin, à l'annonce de l'irréparable, les fleurs de la douleur e t de la colère jonchaient les carrefours. Dans les usines, de multiples débrayages ...

Aux États-Unis, quelques milliers de simples gens ont eu le courage de manifester, et leur cortège a plus d'une fois battu les-- murs de la sinistre prison de Sing-Sing. Crânement fidèles à 1'Amé- rique de Jefferson et de Franklin, ils ont bravé la meute frénétique des chasseurs de sorcières. Honneur à eux, à ces combattants de la paix qui ont sauve l'honneur de leur pays1 1 Hélas 1 ils ne sont pas parvenus à entraîner derrière eux les masses fourvoyées ou terrorisées, dont l'action aurait seule pu être d'une efficacité décisive.

Au petit jour du 29 juin, tout &ait consommé : la machine de mort avait supprimQ ses victimes ; elle avait fonctionné ent$e le bourreau et l'écouteur, oui, l'écouteur qui guettait' les a aveux D in estremis prés du t6léphone qui reliait aux oreilles du ministre la salle du sacrifice humain. Il avait fallu quelques minutes de decharges pour brûler la chair et les os des époux sublimes et venir

bout de leur mutuel amour, de leur volonté de vivre, de leur combat invaincu pour la vie des autres ...

Cependant, les puissances de mort ne se tenaient pas pour satis- faites ; le massacre des innocents ne leur suffisait pas : elles allaient poursuivre de leur haine prédicante, bihle en main, les deux enfants orphelins e t le défenseur qui avait tout donné ii la cause des deux gén6rations.

Dès juillet, Emmanuel Bloch devait comparaître devant la commission disciplinaire de son barreau : le jour des funérailles, il

3. Mais, pour un Urey, un Robeson, un Howard Fast, qui forcent Ie respect, combien de savants, d'écrivains se sont dbshonorés par leur silence 1

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_ , -3

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s'était permis de caractériser le crime d'Eisenhower. Et le barreau allait, sans crainte de s'avilir, citer Bloch devant la Cour suprême de New-York pour demander sa radiation. Le mystére de sa mort n'est pas encore éolairci ... . Par sa disparition, voilà les enfants privés de leur tuteur, ballottés de juge en juge par des institutions ti philanthropiques 3, sou- cieuses d'élever ces orphelins à l'américaine et dans le mépris de leurs parents, de leur faire oublier les suprêmes paroles d'Ethel attendant le supplice :

« V o u s devez vous convaincre que la vie vaut d'être vdcue. Soyez consolés à l'idée qu'en ce moment même, alors que notre fin approche, nous e n sommes convaincus avec une force qui triomphe du bour- reau... 1)

Oui, cette force sereine d'$the1 et de Julius, la force de ce qu'ils personnifient aura triomphé. Leur force était celle même du camp de la paix. Leur force est celle des centaines de millions d'êtres qui exigent la révision du procès infâme et, non pas la réhabilita- tion des Rosenberg, dont la mémoire vaut mieux qu'une statue, mais la déshabilitatien publique des bourreaux.

La colère unanime des peuples contre ces bourreaux, l'enthou- siasme des peuples pour le couple déjà légendaire, vainqueur de la mort, ne se sont pas démobilisés.

Dans la semaine de juin où était décidée la mort des Rosenberg, les mêmes émules du nazisme faisaient saboter par leur sanglante marionnette Syngman Rhee l'armistice coréen en incorporant de force trente mille prisonniers de guerre, e t leurs agents secrets pro- voquaient cette émeute berlinoise qui pouvait mettre le feu A

(

~ ' E u ~ o D ~ . signes de force ? Pas plus que, vingt ans plus tôt, l'incendie du

Reichstag. Une fois de plus, le faux saint Georges qui avait troqué sa couleur vert-de-gris contre le kaki du battle-dress et sa croix gam- mée contre la croix du prêcheur Spellmann ou 1's barré du dollar était désarçonné par le dragon. A son tour, le colosse d'outre- Océan, comme son prédécesseur d'outre-Rhin, avait vu mettre A nu son pied d'argile sur lequel il chancelle e t basculera.

La terreur n'électrocute pas la vérité. Il est vrai que la résis- tance de la vérité l'exaspère. Les procès de sorcellerie ne suffisent plus & la rassurer, ni à égarer les consciences qui s'éveillent. Moins d'un an après le crime, la terreur éprouvait le besoin de jeter la paix hors ia loi et de pourchasser ses meilleurs combattants en les

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privant de leur voix, de leur m&tier, de leur patrie l. Mais les yeux que la mort a éteints transmettent leur flamme aux yeux qui s'ouvrent. E t les yeux qui s'ouvrent ne se ferment plus...

De même qu'en février 1934, les travailleurs de France, dont l'union avait été galvanisée par la victoire de Leipzig, avaient su se battre coude à coude pour faire reculer le fascisme, de même la chaleur ,de la colère les avait intimement soudés lorsque, un peu plus d'un mois après le double assassinat judiciaire de New-York, ils arrachèrent de leurs prisons Henri Martin et les derniers otages du e complot 1). 1

i 3. C'est en aofit 1954 que le Congrés des Gtats-Unis ( A l a suite d'une surenchère

furieuse entre r r8publicains B et démocrates r) a d6cidB la mise hors la loi du Parti communiste américain.

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LE COMPLOT DES PIGEONS

Les coups de marteau brisent le verre et trempent l'acier.

POUCHKINE, cité par Maurice Thorez le 30 décembre 1949.

'EST a Ia fin du mois de mai 1952 qu'un gouvernement français, dont le président et le ministre des Affaires Btrangères s'étaient déjA signalés pendant l'occupation hitlérienne en se

rangeant aux côtés du traître Pétain, signait à Paris et A Bonn les honteux accords qui tendaient ti consacrer l'abandon de la souve- raineth nationale et la renaissance, la suprématie d'une Allemagne revancharde réarmde sous la tutelle des monopoles américains, sous la bénédiction du Vatican, et restituée à sa mission de gendarme européen.

La même semaine, le général Ridgway, qui venait de faire ses preuves sur les ruines fumantes de la Corée, contre un peuple que le napalm et la guerre bactériologique vouaient à l'extermination, atterrissait dans la région parisienne, où, fraichement promu au commandement des forces d'agression et de répression atlantiques, il proclamait son intention de mettre sa sinistre exphience au service de l'ordre occidental.

La présence de Ridgway sur les pavés frémissants de Paris, moins de sept années après l'insurrection victorieuse contre les chars de von Choltitz, était ressentie comme un défi par le peuple de notre capitale. Le 28 mai, ce peuple manifestait puissamment sa colère. Et la police, massée par un préfet socialiste qui revenait des États- Unis, où un stage l'avait préparé à l'emploi des méthodes éprouvées dans ce pays des chasseurs de sorcières, était impuissante B intimider les patriotes qui défilaient dans la rue avec sang-froid et déjouaient les provocations. , j,d - ,t4

C'est alors que, dans la soide, le gouvernement tendait un

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guet-apens à la souveraineté populaire : il faisait arrêter le leader de l'opposition parlementaire, Jacques Duclos, secrétaire du Parti communiste français, dans l'auto qui le transportait vers son domi- cile, plus d'une heure après la fin des manifestations. En saisissant la voiture e t ses occupants, la police confisquait la serviette du déput6 et s'emparait de son contenu, notamment de son cahier de notes personnel qui, avant d'être mis s'ous scellés comme piéce i i conviction, avait été assez longtemps soustrait au (( pouvoir judi- ciaire N français pour permettre & la presse américaine et 9. ses obligés de s'en assurer la primeur.

Ce coup de force avait été perpétré au mépris de l'inviolabilité que la Constitution accorde aux représentants du peuple. Le pré- texte 3 Flagrant délit, puis crime flagrant. Lesquels ? Plusieurs versions successives exprimaient l'affolement des ministres et de leurs hommes de main : tout d'abord, transport d'armes à l'occa- sion d'une manifestation interdite. Les t( armes 1) saisies consistaient en un revolver vide appartenant au chauffeur, en une matraque trouvée 9. portée du camarade qui assurait la sécurité de Duclos depuis un attentat dont celui-ci avait failli être victime, en un poste ordinaire de radio qualifié (( émetteur u pour les besoins de la cause, et surtout en un couple de pigeonneaux comestibles, baptisés « pigeons voyageurs s. Cette fable des deux pigeons, lancée par un certain Brune, ministre de police et vétérinaire de son Qtat, aura sauvé des oubliettes de l'histoire un nom qui paraissait voué ii la plus terne obscurité.

Le lendemain, menottes aux poignets, l'otage Jacques Duclos se voyait inculper non plus de transport d'armes, mais de complot contre la sûreté intérieure de l'État. Et, comme il est difficile de comploter tout seul, 160 manifestants arrêtés, incarcérés au régime de droit commun, côte à côte avec des escrocs, subissaient la même inculpation.

Sous couleur de perquisitions, des équipes plus ou moins rivales de policiers mettaient à sac le siège des organisations et des jour- naux démocratiques, dont elles dernénageaient en vrac toutes les archives et les fichiers d'adhérents, de correspondants ou d'abon-

i. Ces perquisitions de pillards s'éclairent d'un jour nouveau depuis que cer- tains règlements de comptes entre policiers sp6cialisés dans l'anticommunisme commencent à démasquer et à identifier le gang d'agents provocateurs et d e mouchards, formés A l'école de la Gestapo ou de l'américaine 0. S. h'., qui ont participé à ces opérations. A chaque régime les héros qu'il mérite !

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n6s. Quelques jours auparavant, un compére de ce Brune, l'avocat radical Martinaud-Déplat, qui siegeait & la Justice, avait fait appréhender André Stil, rédacteur en chef de L'Humanité et lau- réat récent du prix Staline.

Dès sa premikre déclaration au juge d'instruction ~ a c ~ u i n o t , Jacques Duclos démasquait la forfaiture des véritables complo- teurs et précisait leurs objectifs antinationaux :

n Les ministres indignes qui livrent la France a u x occupants amé- ricains ne peuvent supporter l'activité patriotique de ceux qu i furent, hier, a u x premiers rangs d u combat contre les occupants nazis et qui luttent, a u jourd'hui, pour la reconquête de notre indipendance nationale.

n L e gouvernement sent monter contre lu i la colère d'un peuple qu'il a tenté de tromper avec sa prétendue baisse, alors que la misère des masses populaires ne cesse de s'accroitre..? ))

Et Jacques Duclos montre comment le gouvernement a pense pouvoir endiguer l'indignation populaire en frappant le Parti en la personne d'un de ses dirigeants. La forfaiture est évidente' e t - 5. Duclos accuse :

r( C'est vous, monsienr le Juge, qui avez acceptd la lourde respon- sabilité de commettre la forfaiture dont le gouvernement a besoin ; mais, en ce moment de l'histoire du monde, où tant de changements se produisent et sont appelés à , se produire, les mauvaises actions risquent fort de n'être pas rentables très longtemps.

n Quant à moi, je comparais devant vous la conscience tranquille, conuaincu. d'avoir servi la cause de la classe ouvrière, la cause du socialisme, dont rien, rien a u monde, ne pourra empêcher la victoire finale.

1) Je ne suis pas sûr, monsieur le Juge, que votre conscience soit aussi tranquille que la mienne, car vous savez bien que votre dossier ne résiste pas d u n examen honnête ... u

Hier Pétain, aujourd'hui un Pinay : l'histoire se renouvelle, mais dans une autre siiuation a. Même rëcours aux troupes occupantes pour se garantir contre la colère du peuple. Même mépris de la légalit6. Même objectif de guerre.

1. Voir Jacques Du CLOS : Écrits de la prison, p. 20 et suivantes. Si je ne m'étends pas davantage sur cette phase du complot, c'est qu'aucun commentaire ne me parait ajouter à ces 6crits où J. Duclos se révèle comme l'un des meilleurs pam-

hlétaires politiques de notre temps. (Relire notamment sa lettre au Prbsident de fa RBpublique.)

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a Ce que veut le gouvernement Pinay , aaec les autres membres de la coalition atlantique, c'est recommencer la guerre de Hitler contre l 'Union soviétique, pays d u socialisme, qui, SOUS la conduite de Staline, a été l'élément décisif de notre libératiun, et aussi contre les démocraties populaires. 1)

Complément inévitable : n le recours aux méthodes fascistes, uti- lisées d'abord contre les communistes, et destinées & être beaucoup plus largement étendues, si l'action populaire ne parvenait. -. pns à l'empêcher r .

Pourquoi les premiers coups sont-ils portés contre les corn- munistes ? Parce qu'ils défendent les droits d u peuple. C o m m e le disait le communard Varl in , K la cruauté est la seule ressource des pouvoirs qu i tombent ».

E t Jacques Duclos, avan t de conclure à l'annulation des pour- suites, lance au juge cette apostrophe dimitrovienne :

ti Vous êtes chargé de défendre un de ces a pouvoirs qui tombent D, monsieur le Juge, n a i s la roue de l'histoire tourne, et rien ne l'empê- chera de tourner. b

n Par delà toutes les machinations policières, par del& tous les dos- siers truqués et par delà L'utilisation de f a m , une chose est certaine :

a C'est le peuple qui l'emportera, dans le grand combat qui se livre entre les forces d u passé qu i voudraient faire se survivre un vieil ordre social périmé, pourri, et les forces de l'avenir e n marche sur le chemin d u combat et du sacrifice, qui conduit à l'aube lumineuse du socialisme. 1)

Au cours de ce premier interrogatoire qui avai t lieu a u réfectoire de la prison, l 'homme sur la sellette, ce n'était guère Jacques Duclos. Mais comment rendre le t o n sur lequel, plongeant son regard droit dans les y e u x fuyan t s du juge, qui n'en menai t pas large, Duclos le fouaille de son ironie vengeresse :

u Voyons, monsieur le Juge, regardez-moi les yeuz dans les yeax et dites-moi : vous y croyez, oous, ri ce complot ? »

Dans une déclaration ultérieure, Duclos, face a u même magistrat , Qvoquait l 'ombre ... et le sort du sinistre Gœring :

(t Lorsque le gouvernement vous charge de présenter la manifesta- tion d u 28 mai comme ayant revêtu un s caractère insurrectionnel x, il ne fait que reprendre les arguments déjà utilisés par Ger ing contre Dimitrov. En effet, Gœring accusait les communistes d'avoir pro jeté l'insurrection pour le 27 février 2933 et il les accusait naturellement d'être armés.

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D On notera, monsieur le Juge, la ressemblance étrange qu'il y a entre les motifs d'une inculpation pue vous mettez en avant et ceux dont se servait l'ignoble Gairing, dont nul n'ignore comment il a ter- miné sa carrière de faussaire et de criminel de guerre. ))

Au bout d'un mois, pendant lequel s'étaient multipliées préves et délégations des entreprises, la forfaiture gouvernementale, dénoncée par Jacques Duclos dans une plainte accusatrice contre le procureur de la République et le juge d'instruction, puis à la tribune du Parlement face aux ministres responsables, était constatée par la Chambre des mises en accusation de Paris, déclarant illégales e t nulles l'arrestation et les poursuites et ordonnant la mise en liberté immédiate de Jacques Duclos. Quelques semaines plus tard, André Stil et, les uns apr& les autres, les manifestants incarcérés étaient mis en liberté provisoire. Sans méconnaître la volonté d'indépen- dance de certains magistrats, c'est par la vigueur de la réaction populaire, par la puissance de l'action de masse que ces succes ont été arrachés.

Toutefois, l'équipe ministérielle ne se tenait pas pour battue. La prerniére lancée du (( complot n se terminait par un échec ; il fallait en préparer la relance. Comment atteindre, discréditer, décapiter le Parti de la Résistance et de la renaissance française, le Parti des fusillés et des hommes vivants, le Parti de la classe ouvrière et de ses alliés qui, malgré les truquages électoraux, réunissait encore sur ses représentants plus du quart des suffrages populaires ? Com- ment, sans démanteler la façade des institutions, isoler le Parti et du même coup intimider, démoraliser, diviser les travailleurs groupés dans les organisations syndicales, dans le mouvement de la Paix 3

6' En frappant à la tête et en mobilisant à cet effet les gran s moyens (la Justice militaire et son étouffoir) et les grands mots tels que celui de trahison. Les voleurs, pour donner le change, crient n au voleur ! 11 et font donner leur presse qui pilonne leur cible.

La charnière entre les deux phases de l'opération, ils croient l'avoir trouvée dans les ports, notamment dans les ports de guerre. Dès le 28 mai, A Toulon comme à Paris, les travailleurs avaient manifesté contre la venue en France du général Ridgway-la-peste. A la faveur d'une provocation, la police avait réussi à occuper et à piller la Bourse du Travail de Toulon. Perquisitions, fouilles, arres- tations massives. Sur l'injonction du gouvernement, la Justice maritime (celle48 même qui avait condamné le marin de France

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Henri Martin) ouvrait une instruction pour atteinte B la eûret8 extdrieure de l'État. Le prétexte principal était fourni par la saisie, chez un technicien de la marine, de n documents secrets intkres- sant ia défense nationale a.

Quels étaient donc ces documents dont le caractère (( secret n etait anirmé par le ministre de la Guerre Pleven (assurant, dans la répression, la relève de ses infortunés collègues de l'Intérieur et de Ia Justice) ? Un rapport dans lequel, en 1946, ce technicien appe- lait l'attention sur l'état deplorable d'un outillage qui se rouillait dans le petit port du Brusc ; une étude concernant certain appa- reil de détection sous-marine 8. la mise au point duquel il avait collaboré avec l'inventeur et dont il avait à donner la description au cours d'un examen qu'il devait passer.

Ces documents Btaient si peu secrets que l'officier de marine chargé de l'instruction militaire avait refusé de les retenir A charge e t qg'il s'était ouvert nettement de sa conviction négative au juge civil Roth, un digne émule du juge américain Médina, à qui était confiée l'information locale sur le complot contre la sûreté inté- rieure. Ce néant de l'accusation n'empêchait nullement la presse gouvernementale de hurler Q d'espionnage rou e B, ni le juge Roth, poursuivant ses interrogatoires contre les $irigeants régio- naux de la classe ouvrière, entassés en prison, d'outrepasser sa compétence et de se substituer au Tribunal maritime en s'arro- geant le droit de poser des questions sur les prétendues atteintes a la sûreté extérieure de l'État. Par contre, le juge militaire se refusant au jeu, au rôle d'exécutant, le ministre Pleven n'hésitait pas le frapper d'une mise à la retraite. Mais la Cour d'appel d'Aix allait désavouer à la fois les (( bons Européens » Martinaud- Déplat et Pleven en faisant relâcher tous les militants maintenus en détention préventive pendant plus de trois mois. Quant au non-lieu général, il ne devait intervenir que deux ans plus tard ...

Cependant, le faux ((mystère u des ports étant dissipé grâce la vigilance des masses, le gouvernement Pinay préparait silen- cieusement la relance de l'opération mal en agée. Plus d'impro- % visation. Viser haut sans ménager les coups as. Pas d perdre : la rentrée parlementaire d'octobre s'annonce l'emprunt Pinay a échoué ; la baisse des prix, les pay croient plus ; les promesses de non-majoration des irn petits commerçants les voient démenties par les feuilles mentent leurs forfaits ; quant aux ouvriers, il y a beau j

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savent & quoi s'en tenir sur les bluffs destinés b justifier le blocage des salaires et les cadences inhumaines. Pis encore : la perspective du &armement des revanchards de Bonn soulève dans le peuple une opposition assez puissante pour trouver son écho jusque dans la majorité gouvernementale des Assemblées, et, malgré le camouflage européen, déjà craquelé, il est au moins aléatoire d'affronter un débat public. Enfin, la « sale guerre B d'Indochine est si impopulaire qu'il est grand temps d'en faire retomber les revers, sinon les trafics et les scandales, sur ceux qui les dénoncent et exigent la paix : si le corps expéditionnaire et les fantoches mercenaires se démoralisent, une bonne diversion permettra de trouver des démoralisateurs et, du même coup, de museler I'oppo- sition. On retardera d'autant l'heure de rendre des comptes.

C'est ainsi que, dés les premiers jours d'août, à l'époque des vacances, deux juges d'instruction soigneusement choisis Qtaient détachés auprès du Tribunal militaire de Paris et commis la tâche de trier les tdnnes de documents saisis en mai pour y pré- lever la matière d'une inculpation monstre contre les dirigeants du Parti communiste français, de la C. G. T. et de l'Union de la Jeunesse Républicaine de É'rance : n participation à une entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation ayant pour objet de nuire B la défense nationale o, crime punissable de la peine de mort.

Peu importait que « l'entreprise u consistât dans l'expression à ciel ouvert de l'irrésistible courant d'opinion qui s'opposait à la guerre, à l'occupation américaine, à la course aux armements, à l'aliénation de l'indépendance nationale. Peu importaient les libertés proclamées par la Constitution. Les gouvernants qui conspiraient contre les intérêts vitaux de leur pays, les ministricules éphémères de la démoralisation comptaient faire accomplir par une Justice militaire organiquement discrète, disciplinée, hiérar- chisée (sous commandement atlantique), une besogne que le pou- voir législatif, moins inaccessible & la volonté populaire, eût hésité a exécuter : la mise hors la loi de toute résistance A leur politique de servilité europbenne et d'asservissement, d'oppression colo- nialiste ; la mise au pas d'un peuple qui refuse de se soumettre aux injonctions extérieures ; l'implantation en France d'un fascisme à l'américaine.

Deux bons mois de préparatifs silencieux, et la bombe éclatera le jour J.

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La prerniére semaine d'octobre, à la veille de la rentrée parle- mentaire et de ses difficultés prévues, nouvelle ruée policière dans les organisations démocratiques livrées à un pillage en règle. Au nom de la loi et sur mandat, valant blanc-seing, des juges d'ins- truction Michel et Duval.

Arrestation d'Alain Le Léap, secrétaire général de la C. G. T. et sans parti, de quatre dirigeants de la Jeunesse Républicaine de France (U. J. R. F.), Ducoloné, Laurent, Baillot et Meunier, tous jetés à la prison de Fresnes, au régime de droit commun. Mandats d'arrêt contre des militants responsables du Parti communiste français. Le texte invoqué contre eux était un décret-loi de l'an 40 qui ne prévoyait rien de moins que la peine de mort : son auteur, l'ex-ministre socialiste Sérol, allait, bientôt après, donner sa mesure en collaborant avec l'occupant. Et il était donné à un gou- vernement présidB par un conseiller national de Pétain d'utiliser ce décret de guerre, jamais ratifié par le Parlement, contre des patriotes n fauteurs de paix n. Il était donné aux démoralisateurs conjurés d'imputer leurs propres crimes à ceux qui les démasquent et montrent à nu la trahison là OU elle est.

Mais ce n'était as assez : il fallait atteindre la direction même du Parti comme te i' le et comme force motrice de l'opposition effeo- tive à briser. Impossible de s'exposer à un nouveau désaveu en renouvelant le coup qui avait si piteusement avorté contre Jacques Duclos, c'est-à-dire en passant outre à l'immunité parlementaire. Cette immunité, on va demander au Parlement, à la majorité gouvernementale de la lever, en misant sur la haine et la peur du communisme, sur la solidarité sûre des politiciens (la seule qui unisse les crabes dans leur panier) contre le danger communiste. Pour rallier les hésitants scrupuleux, les moyens de chantage ne manquent pas.

C'est ainsi que, dès le premier jour de leur session, l'Assemblée nationale et l'Assemblée de l'Union française étaient saisies d'une demande en autorisation de poursuites contre Jacques Duclos (l'otage no 1 qui avait échappé à l'imbécile opération des pigeon- neaux), Étienne Fajon, François Billoux, Raymond Guyot, Léon Feix.. .

Cette demande était étayée par un document laborieux de 138 pages qui prétendait édifier la Commission parlementaire compétente sur les objectifs et « l'état d'esprit n des opposants passibles de mort pour crime d'opinion, qu'on voulait jeter dans

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les cellules laissées vides par les criminels de guerre blanchis e t les traîtres redevenus éligibles !

Ce règlement de comptes de classe, qui rappelait d'autant mieux l'an 40 qu'il coïncidait avec une résurrection de s l'ordre euro- péen » -si cher au Dr Gœbbels, ressemblait singulièrement à une tentative de revanche de la trahison-contre la Résistance.

Néanmoins, la commission parlementaire ne se pressait nullement de discuter, ni même d'étudier le document massue : elle préférait laisser aux juges du Tribunal militaire la besogne de défricher et voir venir.. .

Les deux juges Michel et Duval, siégeant à la caserne de Reuilly, flanqués d'un peloton de greffiers, de secrétaires et d'experts, ne manquaient pas de zèle ni de répondants. C'était en mars 1941, c'est-à-dire à l'époque ohdéjà les poursuites visaient les patriotes baptisés alors « terroristes u, que l'un d'eux (le plus ancien) avait découvert sa vocation de magistrat ; il n'était sans doute pas de ceux pour qui le serment d'allégeance ti Pétain posait des pro- blèmes. Quant à l'autre, la sérénité judiciaire dont il faisait pro- fession ne devait pas l'empêcher de manifester sa haine partisane par un geste violent vers la personne de n son inculpé u le plus calme, Paul Laurent, geste qui suscita immédiatement une requête en récusation contre ce magistrat passionné.

E t c'étaient ces deux juges qui interrogeaient B longueur de' journée des hommes tels que Le Léap et ses camarades de déten- tion ! Comment les interrogeaient-ils ?

Ils avaient dans leur jeu tous les avantages que leur accordait la loi et ceux qu'elle ne leur accordait pas : l'avantage d'une pré- paration telle que leurs questionnaires étaient rédigés d'avance ; l'avantage d'une documentation méticuleusement triée, de textes soigneusement tronqués, interprétés, déformés, métamorphosés B la suite de perquisitions illégales et nulles, de commissions roga- toires qui équivalaient a des blancs-seings en faveur de la police ; I'avantage du mépris de la chose jugée, les discours et écrits publics choisis comme preuves d'une a entreprise plus ou moins occulte B étant pour la plupart couverts par des acquittements ou la prescription.

Ils avaient surtout l'avantage du secret : non seulement la presse ouvernementale observait la consigne de mutisme, mais les juges

grandissaient sur la presse démocratique et la défense la menace d'une disposition pénaIe qui assimile à la divulgation de cr secrets

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intéressant la défense nationale a, donc à la trahison, toute infor- mation concernant la marche de cette instruction à huis clos. Comme il serait commode, entre ce huis clos et, le cas échéant, celui de débats ult6rieurs devant le Tribunal militaire, de mener jusqu'au bout l'opération dans un silence que les gouver- nants et leurs journaux pourraient seuls rompre à leur guise, unilatéralement !

Mais la défense ne se laissait pas étouffer : de plus en plus accu- satrice, elle parvenait, en dépit du secret, à se faire si bien entendre des travailleurs que, chaque jour, la caserne de Reuilly &tait assiégée de délégations Qlues dans l'unité, que des pétitions affluaient de partout chez les juges et dans les cabinets ministé- riels. Aucune mesure ne pouvait comprimer ce flot qui battait les murs de l'dtouffoir.

L'opinion publique, documentée par le Comité national d'action x pour la libération des emprisonnés politiques, grâce aux textes cités

dans le document parlementaire et grâce é alement aux révé- P lations des militants inculpés, s'indignait de a passion partisane qui transpirait B un tel point des interrogatoires que la conduite de ceux-ci rappelait les methodes inquisitoriales en honneu~ sous le régime de Vichy. C'est ainsi qu'elle avait la stupeur d'apprendre qu'aux yeux des juges constater que, sous le commandement des généraux étrangers, américains aujourd'hui et demain peut-être nazis, I'armée perd tout caractère national, c'est participer une entreprise de démoralisation.

Que, faire le procès d'un gouvernement qui abdique toute dignité et prétend implanter en France les bourreaux d'0radour ou de Séoul, qui consent à reconstituer la Wehrmacht et le potentiel militaire de l'Allemagne de Krupp, à abaisser et sacrifier son pays au profit des forces d'invasion, c'est démoraliser l'armbe et la nation.

Qu'appeler le peuple français à s'unir et à se mobiliser contre la course aux armements, contre la fabrication, la manutention et le transport du matériel américain d'agression, contre l'oppression coloniale et l'odieuse aventure d'Indochine, c'est vouloir nuire à la défense nationale, telle, du moins, que prétend la concevoir un gouvernement qui l'a abjurée !

Quand cette opinion est informée que l'un des juges s'est permis de comparer l'action ouverte des dhmocrates et patriotes visés A l'aotivit6 d'une « association de malfaiteurs D et que l'autre a fait

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le geste de gifler dans son cabinet le jeune communiste Paul Laurent, la mesure est comble et la stupeur fait place la colbre contre les rnachinateurs et les machinistes de l'opération.

Les délégations se multiplient. Elles redoublent encore chaque fois que les juges sont saisis d'une demande de mise en libert6, qu'ils rejettent délibérément pour des (t motifs a qui non seule- ment ne trompent personne, mais aggravent le sentiment quasi unanime de l'arbitraire policier. L'inquiétude gagne meme les personnalités de toutes tendances qui sont en désaccord avec la politi ue du gouvernement.

Et % ientôt l'écrivain Vercors se fera l'écho de cette &notion : dans une lettre ouverte au garde des sceaux, diffusée il des cen- taines de milliers d'exemplaires, il posera des questions trés simples qui demeureront sans réponse et conclura que, n si tout cela est vrai ...; si l'on en vient à considérer comme propagande criminelle de démoralisation tout écrit, parole ou campagne . visant à constater et à combattre la politique gouvernementale ; si la participation au crime peut désormais résulter de l'adhésion ii une association ou ii un simple mot d'ordre, cela veut dire que c'en est déjà fait pour nous de la LIBERTÉ et qu'il est temps, une fois encore, d'en effacer la présence trompeuse au fronton de nos monuments B.

Quel était le comportement des militants inculpés 7 J'ai dit que leur défense se faisait de plus en plus offensive. Certaines de leurs déclarations, de leurs ripostes, au cours des interrogatoires, méritent de figurer dans une anthologie de la rbsistance B la répres- sion. Cette anthologie, qui ne saurait trouver place dans ce cha- pitre, vaudrait une vaste publication, qui reste B faire.

Un exemple entre cent parmi les réponses d'Alain Le Léap, toujours conscient de parler au nom et à l'adresse des millions de prolétaires groupés ou non dans la grande centrale syndicale dont il est l'un des diri eants :

En novembre 1952, f! e juge Michel lui demandait compte d'un rapport prhsent8 par lui a n Congrès confédéral, rapport dans lequel il constatait la solidarité de combat qui lie les travailIeurs de la métropole aux peuples coloniaux.

u Le fait de dire la vérité aux travailleurs, s'écrie Le Leap, est-ce là le crime de démoralisation 3

' n V m s devriez savoir qu'un militant syndicaliste ne ment jarnak aw travailleurs, de peur de perdre leur confiance. r

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La vérité, c'est le caractère injuste et colonialiste de la campagne d'Indochine. Le Léap en rappelle l'origine, puis il évoque un sou- venir bouleversant de la Conférence syndicale panasiatique de Pékin :

K Lorsque j'étais d la Conférence syndicale panasiatique de Pékin, j'ai écouté avec une attention que vous devez comprendre I'interoen- l ion faite par le chef de la délégation syndicale vietnamienne, et j'ai e u honte; j'ai eu honte en tant que Français de penser que la popu- lation vietnamienne pouvait peut-être supposer que la population de m o n pays était complice de ce qui se passait e n indochine. Je l'ai dit devant le tribunal militaire de Lyon lors du procès des Combat- tants de la Pa ix de Roanne. J 'a i dit de quelle angoisse j'ai été étreint lorsque j7entendis dresser, dans des termes cependant mesurés, t'acte d'accusation d u corps expéditionnaire. E t le président de la Centrale syndicale vietnamienne a déclaré qu'il ne confondait pas les travail- leurs français avec leur gouvernement et qu'il adressait à la C. G. T. et à tous les travailleurs français le salut fraternel des travailleurs vietnamiens. Est-ce que le fait de dire a u peuple français ce qu'est cette guerre est un crime de démoralisation de l'armée et de la nation? a

Quant aux jeunes compagnons de chaînes de Le Léap, militants responsables de 1'U. J. R. F., ils ne le cédaient en rien & leurs afnbs : formés à l'école de la Résistance, ils faisaient face avec un Ger sang-froid aux questionneurs qui prétendaient les traiter de haut. A l'un d'eux, Louis Baillot, le juge demandait en quoi il s'estimait qualifié et qui l'avait mandaté gour faire le procès du gouvernement.

u J 'ai le droit que la Constitution reconnait à toat citoyen. Serait-ce un crime de lèsemajesté que de critiquer la politique gouvernementale et serait-ce pour cette raison pue je suis poursuivi ? r

Le juge n'ayant pas craint d'assimiler l'organisation des jaunes et le Parti communiste à une « association de malfaiteurs a, Baillot relevait l'injure au nom des milliers de jeunes Franqais assassinés pendant l'occupation pour avoir défendu l'indépendance de leur Pays*

Interrogé quelques jours plus tard, Guy Ducoloné ripostait ii la calomnie en glorifiant « le Parti des hommes et des femmes qui luttent pour la paix et l'indépendance nationale, pour un avenir radieux de libération et de bonheur, od les jeunes ne seront plus voués au chômage et à la misère, où ils pourront développer toutes ,leurs qualités physiques et intellectuelles u.

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Et, saluant la mémoire des fusillés, Ducoloné interpelle avec force les insulteurs :

(( En ces temps de péril mortel pour la patrie, ceux qui nous insultent aujourd'hui seraient peut-être en peine de dire ou et comment ils participaient à. la défense nationale.

u J'étais alors déporté à Buchenwald. Je sais cependant que les mêmes outrages étaient placardés en rouge sur les murs de Paris par les occupants et leurs valets français, parmi lesquels figurait, par exemple, M. Perrier de Féral, baron de Schwartz, aujourd'hui direc- teur de cabinet du garde des sceaux. Ces mêmes outrages étaient repris dans t'enceinte du tribunal d'gtat et des sections spéciales par des magistrats qui a~aient sombré dans la trahison, tandis que le sub- stitut Parodi tombait glorieusement dans le même camp pue les commn- nistes.

o Quels furent les malfaiteurs et quels furent les héros? Je dénie hautement d quiconque le droit d'outrager la mémoire de mes cama- rades, d'insulter mon Parti et mon idéal. u

La défense offensive qui prenait appui sur le mouvement de masse, mais qui, en retour, le galvanisait à mesure qu'elle filtrait à travers l'épaisseur des murs et l'étanchéité toujours plus ou moins poreuse du secret, ajustait sa tactique a la réalité mouvante des événements.

Lorsque la nervosité de I'accusation qui perdait pied, lorsque la passion des magistrats questionneurs, trahie par leurs diatribes et le geste violent de l'un d'eux, aont devenues si évidentes pour tous, que les militants détenus décidèrent de requérir la récusation des deux juges d'instruction, ceux-ci virent opposer leurs interro- gatoires, transformés en monologues, un boycottage en règle. Mais le refus de répondre quand ceux-ci passaient outre ne tendait nullement à leur faciliter la besogne, ni à leur accorder une trêve :

ce refus suppléaient des déclarations de principe fortement rédigées.

On avait bien tenté de rendre vigueur au complot en liant arti- ficiellement aux poursuites métropolitaines les poursuites engagées en Afrique du Nord et l'on avait transporté, d'Algérie en France, puis enfermé à la prison de Fresnes Ali Yata, le secrétaire du Parti communiste marocain, champion des luttes menées par son peuple contre l'oppression colonialiste et de ses aspirations nationales A l'indépendance : on pensait ainsi circonvenir les couches moyennes, les intellec.tuels hésitants ou incrédules et diviser le mouvement

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populaire. Mais la fière attitude d'Ali Yata, qui, maîtrisant sa soli- tude et la maladie dont il souffrait, tenait admirablement tête aux juges et aux geôliers, ne pouvait que déjouer ces bas calculs.

C'est ainsi que, dès qu'il eut connaissance des sanglantes pro- vocations policières de Casablanca (décembre 1952), Ali Yata ne se borna pas a dénoncer les crimes commis contre le peuple dont il est le porte-parole ; il analysa les causes de 18 répression : intérêts et desseins des seigneurs de la colonisation, implantation des impé- rialistes américains dans les bases destinées à transformer le Maroc en bastion de guerre contre l'Union soviétique.

Et, par dela son juge, Ali Yata s'adresse à l'opinion française. Dans une de ses plus nobles d8clarations, il apostrophe les oppres- seurs :

n Qu'ils jettent un coup d'œil sur les quarante anndes de protectorat qu'ils ont vécues. L a répression colonialiste a souvent déferlé comme un raz de marée. Les interdictions ont plu dru. Mais jamais le mouve- ment national marocain n'a reculé. A chaque coup de force, après un flottement momentané, a toujours succédé un essor impétueux. Il e n sera de même de nos jours, et d'une façon qualitativement et quantita- tivement supérieure, le peuple marocain étant conscient de la justesse de sa cause et jouissant de l 'appui de tout le camp de l'humanité pro- gressiste, qu i comprend notamment 1' Union soviétique, la Chine popu- laire, les Républiques populaires d'Europe, la classe ouvriBre et le peuple travailleur de France, les peuples dépendants et coloniaux.

u Certes, des mères pleureront encore leurs fils, des épouses leurs maris, des enfants leurs pères.

n Certes, des patriotes souffriront encore dans leur chair et dans leur pensée.

u Mais le Maroc aura inéluctablement son indépendance. Avant tout, grâce à la lutte et à l 'union de son peuple, convaincu que la vie est indigne d'être vécue sans liberté et sans honneur i

a Ce n'est donc pas servir la France que de recourir a u 3 méthodes répressives. Ce qui la servira et la grandira, c'est que le Maroc recouvre sans retard sa souveraineté effective et devienne son a m i et son allié. Ce qui la servira et rehaussera son prestige, c'est que des négociations, à cet e pet, s'ouvrent rapidement avec les vérita bles représentants d u peuple marocain, que les prisons relâchent leurs détenus politiques, que les camps de concentrat ion soient supprimés, les mesures d' inter- nement, d'expatriation et d'expulsion a brogdes, les poursuites judi- ciaires arrêtées.

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a Les travailleurs de France, en exigeant cela par leur action toujours plus grande, se montré&, encore une fois, les meilleurs artisans de la grandeur française, comme les plus fidèles amis du peuple marocain. n

Le comportement d'Ali Yata, comme celui de Le Léap, de Duco- lonket de tous leurs camarades, contribuait chaque jour davantage il susciter de nouveaux défenseurs des justes valeurs qu'ils incar- naient, Q déconsidérer l'op6ration dont ils étaient les otages, à sou- lever contre celle-ci l'indignation populaire qui, malgr6 la règle du silence, soutenait la défense accusatrice.

En mars 1953, le complot r menaçait de pourrir sur pied. II était .temps de le sauver par une nouvelle relance : c'est ce dont s'avisèrent les Excellences du cabinet René Mayer, succédant A Pinay et conservant, dans une équipe tout aussi (( européenne x, les Pleven e t autres Martinaud-Déplat. La veille même du jour où René Mayer et Bidault allaient passer l'Atlantique pour quémander à Washington leur investiture et une injection de dollars, les poli- ciers étaient lancés contre deux autres dirigeants syndicaux ,Molin0 et Tollet, e t recherchaient Benoît Frachon, secrétaire général de la C. G. T., ainsi que Marcel Dufriche, dans le vain espoir de désorga- niser la centrale ouvrière déjà privée de Le Léap. Une perquisition, aussi illégale que les précédentes, saccageait les locaux de la C. G. T. Enfin, André Stil était de nouveau incarcéré pour les mêmes (( faits u qui, quelques mois plus tôt, n'avaient pas été retenus par la Cour de Paris comme de nature à justifier la détention !

Cette fois encore, la fermeté des militants aura raison des pâles accusateurs, qui se voient accusés avec une ironie vengeresse. Les ripostes d'André Stil, par exemple, cinglent au visage les juges, gifieur ou non.

Un jour (mai 1953)' le juge Duval, non content d'avoir imputé au lauréat du prix Staline les faits et gestes d'un héros de son livre : Le Premier Choc, s'avisait de demander à André Stil, membre du Comité central du Parti communiste français, s'il niait avoir donné (( à une réunion tenue par lui à Marseille, en avril 1952, des indica- tions au nom de la direction du Parti 1):

A. STIL. - C'est une question de caractère policier portant sur la vie intérieure légitime d'un parti légalement eonstitu6, et je lause aux policiers le soin de répondre ci de telles questions.

LE JUGE DUVAL. - Dois-je conclure de votre réponse que vous estimez que la vie intérieure de votre Parti doit demeurer plus OU moins occulte vis-à-vis de la Justice ?

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LA D ~ F E N S E ACCUSE

A. STIL. - Je considère que le Parti eornmunkte français, le premier parti de France, n'a de comptes à rendre qu'au peuple de

,France et qu'il n'en a en &ut cas pas à rendre à un juge partisan, simple agent de la politique gouvernementale. Je tiens à faire rernar- uer que ces deux questions confirment que c'est toute la politique du

! b t i communiste français et son fonctionnement que l'on veut mettre en cause. Les preuves en éclatent à tous les moments de ces interroga- toires, et l'on est fondé ainsi à mettre au défi le juge Duval de déclarer qu'il ne considère pas comme un crime d'être communiste. Nous lui présentons ce défi.

Le juge Duval, esquivant le défi par une nouvelle question dont André Stil caracterisera le caractère K policier et conforme il la conception américaine de la liberté n, s'attire cette constatation immédiate :

A. STIL. - Je constate que, comme nous l'avions annoncé, le juge Duval s'est bien dérobé au défi que nous lui avons présenté. C'est un aveu monumental. Il se refuse en eget à dire qu'il ne consi- d2re ppas comme un crime d'être communiste. Cela montre on ne peut plus clairement le fond réel de ce procès d'opinion que l'on nous fait ...

Déjà, sous les coups de la défense offensive et surtout sous la pesée de plus en plus unitaire des masses, le complot se désa- grégeait. Force était de remettre en liberté Jean Meunier et, avant tout interrogatoire sur le fond, André Tollet. Mais les autres se voyaient maintenus sous les verrous sous le prétexte rituel que ce maintien « était nécessaire à la manifestation de la vérité 3.

La vérité, les dernières déclarations des accusés accusateurs confirmaient QUI tenait à la faire éclater et Qur en avait peur, QUELLE opération euro éenne compromise elle gênait. Les chutes ministérielles (A René 8 q e r succédait l'équipe Laniel) alternaient avec les scandales mal étouffés. Il convenait d'affubler la raison d'gtat d'un masque de rechange : c le règlement de la procédure interviendrait dans un bref délai n ; alors, & quoi bon ? Il sufiisait d'accélérer la clôture de l'instruction et la rbdaction du réquisitoire

our livrer au Tribunal militaire les prévenus, sans attendre que P~ssembtée nationale eût enfin lev6 l'immunité parlementaire de Jacques Duclos et des autres députés communistes visés.

Entre temps, il avait fallu relâcher Ali Yata ; on avait essayé de monnayer sa libération provisoire en exigeant de lui une forte

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caution ; mais, & cette exigence illégale et scandaleuse, Ali Yata avait opposé, malgré son Btat de santé, un inébranlable refus. E t la Chambre des mises en accusation avait dû ordonner sa mise en liberté sans condition.

Au réquisitoire monumental (monumental par son volume et aussi par l'audace de ses allégations), la défense riposta par un mémoire solide. Mais la Chambre des mises en accusation décida. .. de ne rien decider sur les moyens et exceptions soulevés : elle ordonna un complément d'instruction qu'elle confiait ... aux juges

. Michel et Duval, en instance de récusation ! Les motifs, emprun- tés au réquisitoire, se voulaient accablants.

Trois semaines plus tard, la même Chambre, autrement compo- sée, ordonnait la mise en liberté immédiate des cinq derniers otages, y compris Le Léap. Que s'était-il passé ? En leine période de P. congés, les travailleurs, loin de se démobiliser, s etaient unis pour exprimer leur colère et leur volonté. Les honnêtes gens de toutes les couches laborieuses (d'accord ou non avec ce que les patriotes emmurés pendant huit mois avaient eu le courage et la clairvoyance d'exprimer tout haut en dépit de leur isolement physique et des menaces auxquelles ils faisaient front) prenaient de plus en plus clairement conscience du fait que les valeurs en jeu, c'étaient leurs propres libertés, liées à l'indépendance et a la sécurité de leur. patrie, A la coexistence pacifique des peuples.

DQsormais, le complot était A l'agonie. Les gouvernements suc- cessifs avaient (sous la houlette tenacement europeenne de Pleven, incrusté & son siège ministériel) joué de la Justice encasernée pour faire pression sur la commission parlementaire et sur une majorité de semaine en semaine plus hésitante soua la pression popu- laire. Or voici que le rapport de la commission concluait au rejet des autorisations de poursuites visant les députés commu- nistes. Il déclarait que les poursuites n'étaient Nr LOYALES NI SÉRIEUSES.

Toute l'opération était ainsi jugée e t tous ses initiateurs se vo aient englobés dans la r6probation. Aussi, le jour du d6bat pu 1 lic devant l'Assemblée, le gouvernement faisait donner la arde. La garde européenne. Des tenants de la C. E. D., tels que

kené Mayer et Pleven lui-même (rompant ainsi avec la tradition parlementaire qui voue au silence le pouvoir exécutif, censé trans- mettre, sans prendre parti, la requête de l'accusation). En adop- tant le rapport de la commission, l'Assemblée n'en devait infliger

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qu'un désaveu plus cinglant, plus humiliant, aux conjurés du vrai complot l.

N i loyales ni sdrieuses : les poursuites ainsi condamnées à l'égard de tous, les exécuteurs avaient bonne mine ! Ceux des inculpés qui avaient jusqu'alors échappé à la police e t poursuivi dans la pénombre leurs tâches militantes reprenaient un à un leur travail au grand jour. Tel fut le cas de Benoît Frachon, secrétaire général de la C. G. T., et de Souquière. Il était devenu impossible de les garder en prison plus de quelques heures.

Ni loyales ni sérieuses !Au juge Michel, qui l'interrogeait, Benolt Frachon ripostait simplement, avec une force tranquille qui n'ad- mettait pas de réplique, en faisant sienne, sans commentaires superflus, l'appréciation de l'Assemblée sur les poursuites. N i loyales ni sérieuses : chaque réponse était ponctuée de ce rappel percutant sans parade possible. E t Frachon ne manquait pas de souligner que ces poursuites visaient en lui l'action publique, démo- cratique, indépendante de la Centrale syndicale la plus représen- tative de .. la classe ouvriére, action dont il revendiquait l'entière responsabilitée

Lors du premier interrogatoire (8 decembre 1953), le juge Michel croyait devoir incriminer un article de Frachon publié dans L'Hu- manité en 1949, et particulièrement cette phrase : « Pour sauver la paix, la classe ouvrière, sous la conduite de ses organisations syndi- cales, doit dire non & la guerre par ses actes. )) Quels actes ?

Frachon rappelle avec calme les vieilles et solides traditions de la classe ouvrière franpaise, de la C. G. T., i1 glorifie la lutte natio- nale des travailleurs usant de leur droit chèrement conauis de refuser un travail contraire aux intérêts de leur classe ou de leur patrie :

« Ces refus personnels et collectifs, il y en a e u sans arrêt depuW la date où a été écrit cet article, dans les ports notamment. Pour ma part, je me félicite que, depuis 2949, la compréhension du danger contre lequel nous luttions ait fait des progr& immenses dans toutes les couches de la population; pue ce que nous exprimions alors dans cet article se traduise par un large mouvement populaire, réclamant la diminution des budgets de guerre qui ruinent le pays, conduisent

i.. Il est juste de souligner ici l'efficacité de la position offensive adopthe, aussi bien à la Commission des Immunités parlementaires qu'en séance publique, par les députés communistes, notamment Pronteau e t Pierrard, forts de l'appui des masses, qui s'était manifest6 par de nombreuses délégations.

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a u chSrnage et b la misére; que, d'autre part, les dangers que fait cou- rir à notre pays la politique de guerre contre laquelle nous avons luttd et lattons encore soient devenus si évidents que l'immense majorité des Français se prononce contre les conséquences de cette politique et pue cette opposition populaire a empêché jusqu'alors nos gouvernants d'obtenir la ratification des accords de B o n n et de Paris. 1)

La Cour . de cassation étant saisie des décisions antérieures, le dossier, dont le tonnage ne pouvait dissimuler le vide, n'avait plus qu'à dormir jusqu'au jour oh ... Depuis que ces lignes ont été écrites et que la présente réédition est sous presse, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi des patriotes inculpés contre l'arrêt qui avait ordonné un complément d'information. D'un jour B l'autre, donc, peut être tiré de son sommeil le dossier que tant de ministres successifs avaient mis plus de deux ans gonfler de vent atlantique.

Mais ce n'est pas en vain que, si longtemps, la caserne de Reuilly a été battue par le flot des délégations populaires. E t il ne suffit pas au peuple que les poursuites ne soient ni continuées ni aban- données. Il exige leur liquidation compléte par un non-lieu géné- ral qui aurait dû, sous peine de déni, suivre de près le non-lieu parle- mentaire ; mais le complot, comme les complots antérieurs de 1923,1925,1929 et de l'an 40, est déjà depuis longtemps condamné à mort par l'histoire. En attendant que l'histoire, c'est-à-dire le peuple qui la fait, fasse justice des instigateurs, des véritables Our- disseurs du complot contre la France et la paix, qui n'ont pas encore rendu leurs comptes. Mais voici que déjà, grâce aux militants levés avant le jour, le jour approche de forcer le destin.

Les Pleven, les Martinaud-Déplat et autres Excellences euro- péennes passent. E t la roue de l'histoire qu'évoquait, après Dimi- trov, Jacques Duclos continue sa course. Aujourd'hui, si justice n'est pas faite de la forfaiture et de ses responsables, la lumière se fait publiquement, crûment, devant un peuple quasi unanime {entraînant & sa suite des personnalités, voire des groupements bourgeois menacés dans leurs intérêts), sur la n sale guerre 1) indo- chinoise et sur la « communauté européenne o. Le Parlement lui- même, tel qu'il est (loin d'être l'image du pays), cédant B une poussée que rien ne démobilise, a condamné la guerre d'Indochine en empêchant de justesse le sabotage des négociations de Genève.

11 a voté contre la trop fameuse C. E. D., qui sacrifiait ouver- tement l'inddpendance française à la prépondérance, sous uniforme

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supra-national, d'une armée allemande revancharde équipée par les Etats-Unis.

Mais les forces de guerre déconfites se sont ressaisies. Elles ne cessent de chercher, dans le cadre c européen )9, des moyens non- veaux de surmonter leurs contradictions internes et de tromper plus astucieusement les masses travailleuses. Aux dépens de la souveraineté des nations et de leur coopération pacifique. Au mépris des propositions soviétiques, si lumineuses qu'aucun brouil- lard artificiel ne parvient longtemps les obscurcir.

E t voici que, sous une autre forme - celle des accords de Londres et de Paris, - resurgit la terrible menace d'un militarisme alle- mand réarmé de pied en cap (malgré la volonté du peuple allemand lui-même), pourvu même de l'arme atomique et inclus dans une coalition provocatrice, exterminatrice, qu'il est appelé à dominer aux côtés de son parrain d'outre-Océan.

Plus nécessaire et urgente que jamais demeure la vigilance des peuples, qui doivent prendre solidement en main la cause de la paix et déchirer les voiles d'imposture & l'abri desquels les impé-

' rialismes s'efforcent toujours de cacher leurs préparatifs d'agression. Le peuple de France, classe ouvrière en tête, a éprouvé par son

expérience politique I'eficacité victorieuse de l'action, de l'action de masse unie. Frustré dans son pouvoir d'achat, dans l'exercice, de ses libertés, dans sa shcurité, dans son indépendance, il corn-

rend de jour en jour plus nettement la liaison indissoluble de ses futtes pour le pain, la liberté et la paix, qui sont le triple aspect d'un même combat. Il a tenu en Bchec le n complot r, il a libér6 ceux des siens qui s'étaient engagés, comme leurs devanciers des ans 39-40, dans le chemin de l'honneur. Il suffit qu'il fasse entendre haut et clair l'unisson de sa grande voix pour que la chasse aux sorcières soit chassée de ses rivages et pour que, dans la détente et l'entente internationales, sa patrie retrouve son visage, sa présence et sa vocation libératrice.

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CE QU'ILS NOUS ENSEIGNENT

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CE QU'ILS NOUS ENSEIGNENT

de passe ma vie A Btudier. Ici encore, dans cette salle, j9apprends théoriquement et pratiquement beau- coup de choses... DIMITROV, A Leipzig, devant le Tribunal d'Empire.

ous voici parvenus au terme de notre ex !' loration. Nous avons parcouru vol d'avion plus d'un siéc e et demi, deux ou trois parties du monde, mais surtout un continent trop

mal connu des possibilités humaines. Camarade lecteur, c'est à dessein que je t'ai souvent arrêté en

route pour entendre avec toi les hommes et les femmes que je veux te faire aimer, ceux qui souffrent, qui luttent, ceux qui meurent, non seulement pour toi, mais pour que leur exemple fructifie.

Cette étude aurait-elle seulement réussi à te faire un peu mieux connaftre quelques-uns de nos héros, à te les faire admirer plus familièrement, à te permettre de vivre, en leur exaltante compagnie, un peu de leur vie saorifihe, de leur passion, de leur combat, de leur victoire, aurait-elle manqué son but ?

Pas tout A fait. Mais j'en attends davantage. Nos héros sont grands. Ils sont aussi nos modèles, nos maftres. Notre ambition doit être & leur taille : susciter parmi nous, parmi les combattants d'aujourd'hui et de demain, des émules bien avertis.

Quelque profondes que soient les diffbrences de formation, de culture, d'expérience, de tempérament, qui distinguent nos granda militants, n'as-tu pas saisi les traits communs qui les rapprochent en une seule patrie, qui les unissent en une seule famille ? Sommes- nous ou non de leur lign6e ? Te sens-tu leur compatriote, leur parent ?

De Babeuf Q Karl Marx, de Karl Marx il LBnine, de LBnine à Dimi-

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trov, de Dimitrov A Prestes, en cette Qtendue de cent cinquante années, les conditions politiques ont eu beau varier dans le temps comme dans l'espace.

On dirait qu'eux tous, prisonniers, ils ont eu affaire au même geôlier, au même bourreau ; accusés, au même tribunal ou conseil de guerre, instrument d'une classe, d'une clique, d'une dictature, animé du même mépris des lois qu'il prétend appliquer, des hom- mes qu'il prétend juger ; aux mêmes témoins policiers, aux mêmes provocateurs. On croirait qu'à travers nos héros c'est toujours la méme civilisation que, par le même procès, on s'efforce d'atteindre, de discréditer, de supprimer, pour justifier le même moyen âge, la même Sainte-Alliance, la même croisade antipopulaire.

Leur attitude, leur dOfense politique offrent bien des caractbres communs.

Le défenseur auquel ils ont tous eu recours semble, lui aussi, le même à travers les âges : c'est le peuple opprimé, qiii entend leur appel, qui s'infiltre dans la prison, dans la salle d'audience, pour les libérer et mieux apprendre à se libérer lui-même. Ce sont les peuples opprimés. E t aujourd'hui, à leurs côtés, tous les peuples libérés. Classe ouvrière en tête. Tout le camp organisé de la démo- cratie et de la paix.

Ces similitudes ne sont-elles qu'apparentes ? Certes, ce serait une grave erreur que de méconnaltre les diffé-

rences de lieu, de temps, l'évolution des rapports de forces, et que de sous-estimer les conditions politiques données qui ont commandé la stratégie mouvante de la répression, celle de la défense.

Devant cette diversité, rien ne serait plus vain qu'un manuel d'autodéfense qui prétendrait recommander la meilleure formule applicable en tel ou tel cas ; rien ne serait plus faux ni plus pédant qu'un recueil de rhgles, de dogmes auxquels, n'importe où, n'im- porte quand, dans n'importe quelles circonstances, le militant

, type, le militant en soi u, le (( parfait militant x, devrait, dans sa prison, devant le tribunal, conformer invariablement sa conduite.

Et si nous avons évoqué ici quelques grands exemples, ce n'est nullement dans le dessein d'inviter le militant à les copier, B les imiter servilement, automatiquement.

« I l faut éduquer nos combattants, m'a dit Dimitrov, de mani8re qu'ils soient capables d'adapter leur méthode d'autodéfense auz conditions du procès et d la situation.

r La meilleure éducation. est naturellement la pratique. r

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La pratique de la lutte et l'instinct de classe, cultivé par l'exemple. De plus en plus, nos militants doivent apprendre à ne compter

que sur eux-mêmes. Dans les pays fascistes ou coloniaux surtout, l'assistance de l'avocat, asservi au régime ou terrorisé, n'est sou- vent qu'un piège de l'ennemi, un moyen subtil de saboter la défense.

Cette nécessité de ne compter que sur ses propres forces pour se défendre exige du révolutionnaire une éducation de ces forces, de cet instinct de classe : ln prutique.

(t Chacun, m'a rappelé Dimitrov, doit savoir se défendre avec des mots très simples, très primitifs, mais avec son instinct de pro- Iétaire, avec son déoouernent de prolétaire à l a came de la classe ouvrière et du communisme. ))

Nous avons déjh cité ce véritable critérium de l'autodéfense que Dimitrov m'avait Bnoncé si clairement et qui vaut aussi bien devant la police ou le bourreau que devant le juge d'instruction et à l'audience :

Avoir toujours en vue l'intérêt de sa classe, de son Parti, tel doit être le leitmotiv, la ligne gbnérale et la loi de la dbfense. »

Et Dimitrov en déduit que tout ouvrier, même ignorant la loi, sans expérience et sans facilité d'élocution, pourra toujours garder une attitude juste, bolchévik.

« II parlera peut-être moins ou d'une façon moins habile; il n e trouvera pas toujours les arguments qui frapperont l'accusation en son point faible, mais, en tout cas, il ne fera ni ne dira rien qui puisse être exploité contre le Parti. Il se tiendra mieux que n'importe quel Torgler. o

Néanmoins, il est évident que cet instinct,'ce dévouement, cette intuition de classe du combattant seront des guides meilleurs, des orienteurs plus sûrs lorsqu'ils seront eux-mêmes orient8s, guidés, cultivés par une expérience personnelle de la lutte et, à défaut de cette expérience ou en outre, par l'expérience nationale et internationale de plusieurs générations de révolutionnaires.

D'où l'utilité, soulignée fortement par Dimitrov, de popula- riser les bons .exemples d'autodéfense et de critiquer les mauvais, de flétrir les t r ah i sok A trois reprises, au cours de notre entretien, Dimitrov avait insisté sur ce théme conforme B la juste politique stalinienne des cadres que, moins d'un an plus tard, il allait définir avec unc telle autorité A la tribune du V I P congrès de l'Interna- tionale communiste.

Étant bien entendu que la meilleure Bducation des cadres

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s'obtient au feu de la lutte, il est nécessaire de la développer par 1'6tude analytique des exemples positifs et négatifs, trop souvent méconnus, que nous fournit l'histoire.

Mais que se dégage-t-il de cette analyse ? Quelle synthbse ? Si, comme nous l'avons dit plus haut, il faut bien se garder de

toute généralisation mdcanique, de tout esprit dogmatique ou formel de catkchisme, il n'en est pas moins vrai que les analogies qui nous ont frappés au cours de cette Btude ne sont ni superficielles ni, moins encore, dues au hasard. L9autodéfease politique a ses lois. Quelques lois simples, élémentaires, peu nombreuses, que nous

enseigne l'expérience historique de nos héros. Certes, l'autod6fense n'est pas une géométrie. Ses lois ne sont

pas des théorèmes. Leur rigueur, étant d'ordre dialectique, n'en doit pas exclure la vie. Bien au contraire. Il appartient au mili- tant de les assimiler, de les adapter avec souplesse - mutatis mutandis - aux données concrètes, particulières, qui varient avec le temps. le lieu, les circonstances politiques, la position et la tac- tique ae. l'ennemi.

Pour que l'exposé en soit plus clair, nous allons - avec le minimum d'arbitraire inhérent ii toute classification - distinguer parmi ces lois le principe no 1 qui en conditionne l'application, puis les règles élémentaires e t les deux lois maîtresses qui commandent la stratégie de l'autodéfense.

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NE PAS TREMBLER

'ESTIME avoir eu tort, dans la première Qdition de ce livre, de compter cette condition premiére parmi les règles néga-

J tives. Ne pas avoir peur, c'est d8jà une vertu maîtresse, une victoire

continue sur soi-même, une conquête continue de soi-même. Un lieu commun, dira le militant ? Peut-être. Mais il n'est pas

superflu de le définir, de le méditer, car, pour un militant précisé- ment, de pareils mots prennent tout leur sens.

Maitriser en soi la béte, cette peur de bête devant la mort, sur- tout devant la souffrance, la torture, c'est lh chose plus facile & dire qu'à faire.

D'ailleurs, si c'était si facile à faire, pourquoi cette victoire sur la peur serait-elle rare chez ceux qui ne sont pas des militants ? Ce n'est pas par le fait du hasard, ni en vertu d'un parti pris ou d'un choix arbitraire, que la plupart des héros contemporains dont nous avons cité l'exemple sont des communistes.

Mais ce n'est pas tout. La peur physique ne caractérise pas u toute la bête 1).

Imagine-toi ce militant ouvrier dont les pires supplices n'ont pu desserrer les dents. Il s'est évanoui. Un seau d'eau le ranime.

Avant de rappeler le bourreau, c'est le renégat, le mouchard qu'on introduit. Celui-ci lui promet la vie sauve s'il consent, lui aussi, à renier sa cause ; un avenir brillant s'il trahit ses camarades. Perfidement, il lui insinue que le Parti s'est montré injuste envers lui, que personne ne lui saura gré de son sacrifice. L'ouvrier sait que, s'il accueille le traître comme il le mérite et dbs qu'il l'aura chassé, ce sera de nouveau le tour du tortionnaire. Et cependant il ne faiblit pas, il n'hésite pas.

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LA D ~ F E N S E ACCUSE

Pour vaincre la peur, il ne suffit pas d'être courageux physique- ment, ni même de savoir affronter ses risques.

Il s'agit d'être courageux POLITIQUEMENT. Or le courage poli- tique exige une volonté de bonne trempe et de la méthode. Une autodiscipline bien ajustée que l'on s'impose.

Conserver les yeux fixes sur son but et la conscience qu'on n'est pas seul. Même au secret, même à huis clos, même entre les quatre murs étanches d'une chambre de tortures.

Se dominer, c'est dompter aussi bien la solitude ET LA COLÈRE que la peur : c'est dompter toute la bête. u Cafard » compris.

En évoquant Dimitrov dans sa cellule, j'ai essayé de montrer au prix de quel effort et par quels moyens, par quelle tension, par quels travaux il est parvenu à se maîtriser.

Conserver ton équilibre, ton intégrité physique, morale, intel- lectuelle, travailler, étudier, te cultiver, méditer politiquement (mais que t a méditation ne soit pas exclusivement politique), sans laisser échapper la moindre occasion de contact avec les autres, avec l'extéiiêur (le peuple, l'organisation, le Parti), organiser, quand la détention est collective, tes compagnons de chaînes, te tenir constamment prêt au combat, prêt à sa phase la plus pro- chaine, et ne jamais céder à l'ennemi, même a celui que tu peux '

porter en toi : tels sont tes objectifs. A chacun sa méthode. Les modèles ne te manquent pas. Prends

exemple sur ceux qui tu te sens le pius apparenté. Que ce soit sur l'un de nos grands morts : sur Dimitrov ou sur Blanqui, sur Edgar André ou Suzanne Masson, qui ont su n'être jamais seuls, sur Pierre Semard ou sur Fucik, sur Dalrnas ou sur Danielle Casanova, dont la belle humeur inspirait à tous confiance et courage. Ou

ue ce soit sur nos vivants : sur Gheorghiu Dej ou sur Rakosi, !ont quinze années de prison n'ont pu entamer la souriante énergie. Sur notre Henri Martin ...

Prends exemple surtout sur Staline, le plus grand des briseurs de chaînes I

Être fier d'être un militant et de la responsabilité que l'esprit de Parti contraint et permet d'assumer. E t cela en tous lieux et si longtemps que puisse durer l'épreuve, tandis qu'interminablement le temps s'écoule l...

4. Bien entendu, ne iamais se laisser intimider par la solennit& de 19appageB judiciaire, dont la pompe désuète n'a pour objet que de dissimuler tant bien que mal, sous son clinquant et son mystère artificiel, LA RBALITÉ D E CLASSE qu'elle recouvre

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L'autodiscipline, 1' autodomination, comme l'autocritique, sont la condition préalable et nécessaire de 13sutod6fense. Si t u ne t'es pas dominé toi-même, comment veux-tu dominer l'ennemi ?

, Tant que tu n'as pas vaincu en toi l'instinct de conservation, I'égoïsme, la faiblesse, l'irritation, l'ennui, le désir ou l'absence de désir (l'atonie, cet adversaire mortel), comment veux-tu venir B bout des forces coalisées contre toi et te montrer le digne porte- parole de ta-classe, de ton peuple, de ton Parti ?

Oui. Dimitrov avait raison en donnant force de décision & la

I 1 I I i i

- - 7

pensée de l'indécis Hamlet : Avant tout, sois sincère envers toi-même. ))

Etre sincère envers soi-même, c'est aussi^ être sincère envers son peuple, sa classe, son Parti. Toute la vérité, tu la leur dois. Dérobes- tuquelque chose à ceux qui font confiance à t a droiture de militant, t u t e voues à glisser tôt ou tard vers t a perte. Vers le déshonneur et la trahison.

La fausse honte est la pire conseillère. Imagine que, naguèreou jadis, tu aies cédé à un moment de faiblesse et que t u dissimules ta faute à ton organisation : quel atout pour l'ennemi, non seule- ment pour l'ennemi que tu portes en toi, mais pour l'ennemi de classe qui t e c tiendra D l

Si t u comprends cette vbrité, t u saisiras l'importance que les oommunist es attachent à l'honnêteté du militant, à sa sincérité la plus scrupuleuse devant le Parti.

« Le manque de sincérité du communiste vis-à-vis du Parti,. le mensonge & 19Bgard du Parti représentent le pire mal et sont incompadible~ avec la qualité de membre du Parti B.

La sincérité envers soi-même, c'est la condition première de notre morale. C'est aussi la condition première de notre stratégie et de ses succès. Pourquoi ?

*

Être sincère envers soi-même, ce n'est pas seulement se con- naitre (au sens de la formule socratique), c'est aussi, c'est surtout conquérir sur son sang chaud son sang-froid, c'est conquérir sur soi la liberté d'esprit (critique et autocritique), la liberté indispen- sable pour voir clair. En soi et hors de soi. Pour agir clair. Pour connaître l'ennemi en vue de le mieux combattre.

Voir clair pour analyser correctement (fût-ce dans les conditions

1. Extrait de I'article III des statuts du Parti communiste de l'Union sovié- tique (voir les Cahiers du Communisme, novembre 1952, numéro spécial sur le XIXe Congrès du P. C . de 1'U. 8.).

21

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LA DÉFENSE ACCUSE

les plue dures) les rapports de forces. Pour tracer la ligne qu'on décide de suivre et ne s'en pas laisser écarter, sinon pour la recti- fier après l'analyse autocritique. La clairvoyance détermine la ! justesse, donc l'efficacité de nos réactions.

C'est tout cela que nous autres, militants, nous appelons : ne pas tremblerl Est-ce si simple ? Non, mais à notre port6e.

Encore, militants communistes, avons-nous cette chance de / posséder une boussole qui ne trompe jamais. Pour peu que nous ayons en toutes conjonctures les nerfs et la tête assez solides pour

1 f 1

savoir la consulter et nous guider sur elle 1 Jamais le combat n'est gagné d'avance. Mais l'enjeu est tel 1

qu'il vaut que, derribre toi, si t u crains de fiancher, tu brûles les ponts. Et tu gagneras. Avec le sourire.

1 Il serait d'ailleurs faux de dramatiser ou même d'exagérer : il

1 ne s'agit pas d'être puritain ni de faire de l'austérité son but. 11 ne faudrait pas croire que ce choix du sacrifice ne comporte que des sacrifices.

Bien au contraire. Le courage paye. Il paye toujours. A comptant: i i

ou ti terme. Dimitrov a été libéré. Torgler a-t-il recueilli le bénhfice 1 de sa faiblesse, alors du moins qu'il n'était qu'un lâche et pas encore un traître ? En prison, il était pour les geBliers hitlériens

1 1

un objet de mépris. Dimitrov, au contraire, avait forcé leur estime et leur respect.

Si Dimitrov n'avait pas fait abandon de sa vie, s'il n'avait pas 6t6 courageux pour quatre, s'il n'avait excité, comme Torgler, que la pitié qui revient aux accusés innocents, mais non l'admiration, l'enthousiasme irrésistible des masses, aurait-iI survécu (trop peu de temps, hélas l) pour le bonheur de son peuple, de tous les peuples? E t Rakosi T Et Gheorghiu Dej ? E t Prestes ?

Bien entendu, je n'entends pas dire par la qu'il suffira de se montrer courageux pour être préservé de la mort. Pour vaincre et vivre. Trop nombreux sont les hhos que nous pleurons e t que nous avons à venger. Point n'est besoin de remonter juaqu'à Babeuf : la mort de nos martyrs, les cris de douleur et de colère qu'elle nous a arraches résonnent encore trop profondément dans nos cœurs pour nous permettre une telle généralisation.

Mais, si la trahison a pu sauver la vie de quelques déserteurs, en leur ôtant d'ailleurs toute raison de vivre, il n'est pas vrai que la faiblesse, la non-résistance, qui tue politiquement, soit un moyen de conjurer la mort ou la souffrance. Bien loin de 18 1

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La voie dimitrovienne de k rbsistance, de la r&istance offen- sive, est la seule qui s'ouvre sur une perspective de libbrdion. La seule efficace.

On peut dire qu'elle est toujours libératrice, puisque, dans le pire des cas, si le combattant, non lib6ré lui-même, vient à tomber le front haut, il aura du moins frayé le passage à la relève et contribué par son exemple à la libération de ses frères de combat.

a Ne pas trembler n, c'est bien la condition première de l'auto- dbfense: Le principe no 1.

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NE PAS RENSEIGNER L'ENNEMI

E pas renseigner l'ennemi sur ce qu'il n'a pas à connattre, c'est là encore un axiome que posent avec force, avec insistance, nos grands maftres de stratégie autodéfensive : e, Staline, Dimitrov et leurs disciples.

La vérité totale, que t u dois & tes frères de combat, t u ne la dois au'& eux. Face B ton adversaire de classe, sois circonspect et garde- coi de toute indiscrétion.

Refuser de répondre B toute question qui vise l'organisation A la- quelle on appartient l, sa vie et son activitbinterne ; s'abstenir & tout '

prix de dire un mot qui puisse fournir à l'ennemi les armes qui lui manquent e t qu'il cherche 2, voila l'A B C du combattant tombe captif.

Méconnaftre cet A B C , ce serait à la fois mieux armer l'ennemi contre nous et nous désarmer en face delui : ce serait trahir. Oui, trahir.

A cette règle absolue, pas d'exception l A qui l'enfreint, cons- ciemment ou non, pas d'excuse. Nul n'a le droit de l'ignorer. Qui l'ignore ou la viole est un traître.

Ne rien livrer, ne rien renier, telle est la double loi que, dans sa lettre de 1905, formulait Lénine :

Mes relations d'organisation, je m'abstiens de les examiner, je les passe sous silence, je me garde bien de parler formellement au nom d'une organisation ; mais, social-démocrate, je vous parle de notre Parti et vous prie de considbrer mes déclarations comme un essai

L

1. Ne pas même rdvbler A quelle instance intérieure de l'organisation l'on appar- tient.

2. Ne jamais oublier que le renseignement le plus anodin sur nos méthodes pra- tiques de travail ou de liaison peut permettre & l'ennemi d'obtenir, par recoupe- ment, ce qu'il cherche.

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d'exposer précisément les opinions sociales-démocrates qui ont B t B développées dans toutes nos publications, nos brochures, nos tracts, nos journaux l.

Nous avons vu comment tous les grands révolutionnaires se sont- conformés & cette loi.

C'est ainsi que Dimitrov, tout en glorifiant le Parti bulgare, dont il s'afErme fier d'être un chef responsable, refuse net de ré- pondre à toute question concernant ce Parti illégal.

Cest ainsi qu'il préfère sacrifier la preuve de son alibi, plutôt ue d'indiquer le nom de l'ami bulgare qu'il a vu A Munich le jour

l e l'incendie du Reichstag et dont le témoignage eût ét6 décisif. Cest ainsi que, grâce à sa discrétion, tous les efforts dépensés

par la police, le juge d'instruction et le tribunal pour connattre les adresses et les numéros de téléphone chiffrés qui avaient été saisis chez lui sont demeurés vains e t que le secret de ses liaisons politiques a été strictement sauvegardé.

C'est cette loi léniniste que Dimitrov lui-même, au cours de notre entretien, définissait en ces termes :

a On ne donne pas d'information sur la vie intérieure et sur l'activitd du Parti. L'ennemi n'en doit rien connaitre. A plus forte raison si le Parti est illégal 2. 1)

Cette loi comporte un corollaire : ne pûs compromettre les amis, les sympathisants qui, d'une façon quelconque, ont rendu service au militant capturé ; ceux qui, par exemple, l'ont logé sous un faux nom. Dimitrov s'est toujours efforcé, dans ses déclarations relatives à ceux de ses hôtes que la police avait découverts, d'amé- liorer leur situation : il insistait sur le fait, rigoureusement exact, qu'aucun d'entre eux n'avait su qui il était ni ce qu'il faisait.

Ceux qui nous ont aidés ont droit B cette marque élbmentaire de gratitude, et c'est aussi le seul moyen de ne pas décourager une sympathie active, dont nos combattants ont toujours besoin.

1 . LÉNINE : CEuvres complètes, t. VII, p. 77. 2. Notons ici la discrétion et l'adroite ironie avec laquelle le marin patriote

Henri Martin a repondu au juge d'instruction qui lui demandait s'il appartenait à une organisation : - Oui. - Vous êtes nombreux 1 - Trks nombreux. - Combien ? questionne le juge, alléché. -Des millions 1 Huit millions de jeunes Français qui ne veulent pas mourir pour

les miltiasdaires gr&ricains et les mil2ionnaires franpis !

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326 LA B ~ F E N S E ACCUSE

MOINS ON PARLE ... Moins on parle, mieux ça vaut ... Devitnt la police, tais-toi. Et

souviens-toi que nul ne peut t'obliger de parler. Nul ni rien, même les COURS. Les coups. cela laisse des traces, et ces traces, tu les feras cinstater m&dicalernent, avant de plainte.

oins on parle ... Tais-toi et ne donne que ton identité. Sans plus. Rien sur le fond. Devant le juge non plus, d'ailleurs, hors la présence de ton défenseur choisi.

Fais-toi respecter. Ne te laisse pas tutoyer. En prison, exige tes droits, la politesse et le régime politique. Cela ne t'empêche pas de réclamer sans cesse t a mise en liberté. N'oublie pas l'exemple (que je t'ai rappelé plus haut) de Maurice Thorez, à la prison Charles IV de Nancy.

Moins on parle et moins on signe, mieux ça vaut ... Méfie-toi des procès-verbaux. Si tu refuses de les signer, que veux-tu qu'il t'arrive 3

Tous les militants qui ont Bté interrogés par un policier ou un juge d'instruction savent de quelle façon tendancieuse leurs déclarations orales sont le plus souvent G résumées ii dans le procès-verbal qu'on leur demande de signer.

Mais ce qu'il faut qu'ils sachent, c'est que jamais ils ne doivent si ner un procès-verbal d'instruction sans l'avoir soigneusement P re u et vérifié. Si la transcription de leurs réponses est infidèle ou incompléte, ils doivent soit exiger et obtenir les rectifications ou additions nécessaires, soit refuser inflexiblement leur signature, que, plus tard, l'accusation ne manquerait pas d'exploit& contre eux, @

Le moyen le plus sûr de ne pas s'exposer A fournir des armes contre soi ou contre les siens, c'est évidemment de ne signer dans le doute aucun procès-verbal d'interrogatoire et par princi aucun procès-verbal de police. Il en est ainsi surtout lorsque procès-verbal n'est pas rédigé dans la langue maternelle du mili- tant ; aucun traducteur-juré n'est assez sûr pour nous préserver d'une simple erreur ou, à plus forte raison, d'une ruse ennemie.

C'est pourquoi Dimitrov n'a signé aucun des procès-verbaux rédigés par la police ou le juge d'instruction. Il résumait lui-mêm a tête reposée, ses réponses dans des déclarations écrites, et

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n'oubliait jamais d'y joindre ses propres questions ou demandes, ses réserves, ses protestations. Bon gré, mal gré, le magistrat instructeur devait annexer ces déclarations à son dossier.

Voilà encore un exemple que nous recommandons à ton atten- tion. Betiens ta plume, retiens ta langue.

FAUT-IL RÉPONDRE AU JUGE D'INSTRUCTION ?

Ne desserrer les dents en aucun cas devant la police, tel est le principe 4émentaire sur lequel nous ne saurions trop insister.

Mais devant le juge d'instruction ? Nous avons vu plus haut que les bolchéviks et même, avant la

scission, les sociaux-démocrates russes avaient poussé plus loin encore la prudence : jusqu'au silence absolu pendant tout le cours de l'instruction. Nous avons dit pourquoi. Toute autre a t t ihde ne comportait que des dangers. Pour le militant interrogé lui-même et surtout pour l'organisation.

Est-ce à dire que cette tactique, justifiée par l'expérience, doive être adoptée par tous, partout, toujours et dans n'importe -- auelles conditions ? Non. L

Alors, dans quels cas est-elle préférable ? A quel critérium le militant doit-il se rapporter ?

Ce critérium, c'est encore Lénine qui l'a indiqué dans sa lettre de 1905, mais sans distinguer entre l'instruction et les débats. Le critérium vaut pour tout le procès : il est déterminé par la nature même du tribunal, la tactique de l'accusation et, d'une façon générale, les possibilités de la défense.

La défense est-elle possible ? Si elle ne l'est pas (qu'elle soit étouffée par l'arbitraire de la loi

ou par l'arbitraire du juge, qu'elle soit paralysée par des preuves accablantes ou que le militant inculpé soit hors d'état de l'assu- rer), elle ne peut guère offrir que des dangers, sans aucune compen- sation politique : en ce cas, mieux vaut s'abstenir de répondre, de articiper à l'instruction et même, le cas échéant, aux débats.

&ais jamais sans avoir proclamé pourquoi. Jamais sans avoir formulé une déclaration de principes, une protestation a ouverte, déterminée, énergique B.

Si, par contre - et c'est le cas général, - la défense est pos-

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sible, elle est politiquement utilisable. Il est donc nécessaire de l'utiliser, d'en épuiser la possibilité. En bon agitateur, le militant doit alors employer au mieux les armes dont il dispose. Car, en ce cas, c'est la bataille sur tout le front. II ne doit jamais perdre de vue qtx chacune de ses déclarations est une déclaration du Parti, qu'elle engage le Parti et doit servir sa propagande.

Ainsi, le point commun de toutes les hypothèses, des plus favo- rables aux pires, et quelle que soit la possibilité de la défense, c'est la nécessité de la déclaration politique, de la profession de foi, qui, préparGe avea le plus gran soin, sera soit l'annonce d'une ab$- tention, d'un « boycottage JI, soit la pièce maîtresse de la défense.

On voit clairement que la olé de cette stratégie léniniste, c'est 17utilité politique. L'utilité au Parti, l'utilité à la classe ouvrière. C'est B son osef ficient d9utilit8 politique que se mesure 19ef ficacitb, comme la valeur d'une défense.

Mais o'est précisément ce coefficient qui varie avec le lieu, le temps, les conditions politiques et tactiques. C'est parce qu'en 1905, en Russie, les conditions politiques avaient changé et o'est parce qu'une loi récente (de juin 1904) avait modifié, élargi la procédure pénale que les bolchéviks ont dû assouplir et différen- cier leur stratégie judiciaire : celle du refus, du (( boycottage D, ne suffisait plus à tout ; elle n'était pas non plus à rejeter dans cer- tains cas. Aussi Lénine, toujours réaliste, ne pouvait-il pas répon- dre par oui ou par non aux questions que lui posaient Çtassova et ses camarades emprisonnés. Il y répondit avec une prudence, une clairvoyance, un discernement prophétiques.

Aujourd'hui même, ces questions ne supporteraient pas de réponse schématique. En France, depuis 1897, l'instruction pré- paratoire est entourée de certaines garanties, qu'il serait d)aiUmrs dangereux de surestimer : en présence de leur avocat, les inculpés politiques refusent rarement de répondre l ; ils utilisent l'ins- truction pour faire valoir leurs droits, leurs protestations, pr6- parer leurs armes. Dans l'Allemagne hitlérienne de 1933, Dimitrov participe A l'instruction, mais sous la forme de déclarations Qcrites. Lorsque le juge est suppléé par le renégat et le bourreau, mieux vaut se taire,

1. Sauf, bien entendu, quand ils ont affaire à un juge qu'ils srit récusé. La tac tique du boycottage a été employée par Alain Le Léap et ses coïnculpés à l'égard des deux juges d'instruction Michel e t Duval, qui, ayant conduit leurs interso- gatoires sans sérénitél ont été I'objet d'une procédure de récusation,

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A l'audience, l'accusé politique régle en général sa tactique sur celle de l'accusation, du tribunal, la publicité ou le huis clos des débats, la présence ou l'absence d'avocats choisis, d'une faqon générale sur les possibilités et les rapports de forces. Il est extrême- ment rare qu'il soit acculé à la tactique du silence, B la grève totale de la défense. Nous avons montré comment, dans les pires condi- tions, savent se faire entendre un Uimitrov, un Rakosi, un ~ e l o i a n n i s et tant d'autres.. .

Transformer le banc des accusés en tribune, tel est le but que s'efforce d'atteindre tout bon militant. Mais comment l'atteindre ? suivant quels principes ?

Là encore, ce sont les conseils de Lénine et l'enseignement de Dimitrov, confirmés par une expérience plus que séculaire, qui vont nous guider dans l'examen de ces principes.

Ces principes se ramènent à deux lois maitresses qui dominent la stratégie de l'autodéfense.

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LES DEUX LOIS MAITRESSES

LE RAPPORT DES FACTEURS JURIDIQUES ET POLITIQUES

A premiére de ces deux lois régit les rapports et les conflits des facteurs juridiques et politiques dans la défense.

Avant de l'énoncer, il faut d'abord définir l'autodéfense politique. i,

C'est de cette définition que procède notre loi, qui peut se formuler ainsi :

PAS D E DEFENSE « PERSONNELLE D. TOUT SUBORDONNER, Y COMPRIS LES MOYENS JURIDIQUES, A LA DEPENSE POLITIQUE ET, A CETTE FIN, NE COMPTER QUE SUR SOI-MÊME.

Mais subordonner ne signifie pas déprécier. Et c'est précisé- ment parce que les facteurs juridiques ne sont que des moyens qui doivent être mis au service de la défense politique - et cela sans aucune exception ni réserve - qu'il serait politiquement faux de sous-estimer, de négliger ces facteurs.

Il faut connattre à fond la loi et l'accusation. Dans la plupart des cas, nous l'avons vu, l'accusation e t le

tribunal prétendent refuser au procès tout caractère politique ; même devant les juridictions exceptionnelles e t les cours martiales, les communistes sont considérés comme des prévenus de droit commun i

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LES DEUX LOIS MAITRESSES

On eepbre ainsi pouvoir étouffer la défense plus commodbment, Qviter toute propagande révolutionnaire & l'audience, prbserver le rBgime de toute contre-offensive qui le mettrait publiquement en fâcheuse posture. On espère aussi discrbditer, deshonorer le militant et le priver de l'appui des masses.

Le rôle éIémentérire de l'autodéfense est de restituer an procès min caractère politique.

Mais, à cet effet, il faut lutter pied pied contre I'acousation et ses auxiliaires. Il faut connaître leurs armes, savoir comment les manier, pour pouvoir les leur prendre et les ietourner contre eux. Aucune arme n'est négligeable.

Ne rien ignorer de ses droits, avoir étudié, dans leurs moindres détails, I'acte d'accusation et tous les documents du dossier, c'est là une préparation indispensable de l'autodéfense.

Je le répète, comme Dimitrov me l'a répété : « Pour une bonne défense politique, il est nécessaire de bien connattre la loi et de bien l'utiliser. 1)

C'est parce que Dimitrov s'était initié profondément aux lois, la procédure allemandes, qu'il a usé comme on sait de son droit

d'intervenir, de poser des questions, chaque fois qu'un témoin le mettait en cause, qu'un document était invoqué contre lui. On se souvient qu'un jour, les avocats nazis lui ayant contesté ce droit, il avait pu, sur leur propre terrain de juristes, leur infliger un Bchec cinglant .

Quant à I'acte d'accusation, au lieu de se borner, comme ses ooaccusés, à I'étude des passages qui le concernaient personnelle- ment, il l'avait analysé, dans ses moindres détails, tout entier. Pour- quoi ? Précisément parce qu'il le considérait comme dirigé non pas contre sa personne, mais contre sa cause, contre son Parti, préoisé- ment parce quela défense qu'il préparait était une défense politique.

Aussi. cruelle autorité son exemple confbre-t-il a ses recom- mandatio6s ! Plusieurs fois, au c&rs de notre entretien, il a insisté sur ce point :

(( Il n'est pas juste de sous-estimer les détails de l'accusation. II ne faut pas faire uniquement des discours politiques devant le tri- bunal et passer sous silence les détails de l'accusation: il faut bien plufôt l'ébranler tout éntière par des témoins, etc. l... a

1. Cette citation de Dimitrov ainsi que plusieurs de celles qui suivent figu- rent déjà plus haut, Bank les pages consacrées à la bataille de Leipzig. S ~ I G

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Et il en est ainsi tout le long des débats, dont il convient de suivre attentivement et de mettre à profit toutes les péripéties, tous les incidents :

r II faut faire soigneusement attention ci tous les détails de Paccu- sation et' du procès. Il faut suivre tout, compter avec tout et utiliser toutes les possibilités que le procès peut donner. Des accusations concrètes doivent être combattues par des faits concrets ... n

Mais sous quel angle ? Dans quel intérêt 7 Dans quelle direc- tion ? Avec quelle perspective ? C'est la que Dimitrov éclaire la vérit6 qu'il formule en braquant sur elle l'indispensable projecteur:

TOUT CELA DOIT ÊTRE FAIT D U POINT DE VUE ET DANS L ' I N T É R ~ T DE LA DÉPENSE POLITIQUE.

C'est 18 ce que Tanev et Popov n'ont pas compris, ce z i quoi Torgler s'est consciemment dérobé : ne défendant que leur per- sonne, ils se sont bornés aux moyens de fait et de droit ; ils se sont cantonnb, emprisonnés dans la défense technique, juridique, et ils s'en sont remis à ces techniciens, Si ces juristes d'un genre particulier qu'étaient leurs défenseurs nazis l

Torgler, fui aussi, avait eu des précurseurs. Dans l'un dea procès de Cologne, l'accusé Hermann Becker n'avait eu d'autre souci que de se disculper :

n Becker, écrivit Engels B Marx, s'est tiré d'atfaire avec beaacoup à' impudence. D

6 Becker, écrivit Marx à Engels, a rabaissé le caractère de tout le procès. a

Il en fut ainsi de Raspail après l'affaire du 15 mai. e même encore, au cours d'un grand procès institué en Russie

tsariste contre la direction du Parti ouvrier social-démocrate, Kamenev avait adopté une attitude qui lui valut cette apprécia- tion justement sévère de LQnine :

Ce procès a révélé une fermeté insuffisante, devant le tribunal, de ce détachement d'avant-garde de notre sociale- démocratie révolutionnaire ... Chercher à établir sa soli- darité avec le social-patriote Jordanski, comme l'a fait le camarade Rosenfeld (Kaménev), ou son désaccord avec le Comité central, c'est là une méthode fausse, une méthode

croyons utile de les reproduire dans ce chapitre terminal, c'est à cause de leur importagce didactique, de leur vibleyr éducative pour les militantq.

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inadmissible du point de vue d'un social-démocrate réva. lutionnaire.

A cette époque, Staline était déporté au village lointain de Monastyrskoïé. Dés qu'il apprit le reniement de ce Kaménev (qui fut démasqué beaucoup plus tard et condamné comme traltre par le Tribunal suprême de Moscou), il convoqua tous ses camarades de déportation, et, sur son initiative, fut stigmatisée la pusifla- nimité du renégat.

Tous les grands révolutionnaires que nous avons évoqués ici, surtout les bolchéviks, Dimitrov et ses disciples, ont choisi juste- ment la voie opposée à celle des Raspail, des Torgler et des Kam& nev, la seule qui conduise au but. Au but politique.

La défense technique, juridique, doit être subordonnée d la défense politique et la servir.

Une des conséquences de cette loi toujours valable, c'est que le militant accusé doit se montrer très circonspect dans le choix de ses moyens de disculpation ; il doit éviter même I'apparence a de se justifier d'une façon inopportune 1) '.

C'est ainsi qu'il faut prendre garde auz alibis. Nous avons vu comment Dimitrov avait volontairement affaibli

son alibi de Munich, juridiquement décisif, en refusant de faire connaître le nom du principal témoin (un réfugié bulgare) qui l'eût confirmé ; comment il avait relégué cet alibi au second plan, derrière le seul alibi politiquement recevable : s'il n'avait pu être l'incendiaire du Reichstag, ce n'était pas tant parce qu'à l'heure de l'incendie il était plusieurs heures de Berlin, que parce qu'il était communiste.

C'est encore en vertu du même principe que le militant doit toujours revendiquer fihrement la pleine responsabilitb de ses paroles, de ses actes. Mieux encore : celle des actes et des docu- ments authentiques de son Parti.

Telle a été l'attitude invariable de Dimitrov et, avant lui, de tous ses devanciers, comme, après lui, de tous ses disciples. Souve- nez-vous de Rakosi, se proclamant solidaire de toutes les déci- sions du gouvernement révolutionnaire, qu'il y eût ofi non par- ticip6, qu'il s'en souvînt ou non.

Ainsi, en tout Btat de cause, le politique prime le juridique. Le

a, Lettre de Lénine au Comité central SUF la défense (i905).

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juridique, c'est le moyen ; le politique, c'est la fin. S'il n'est pas politique d'ignorer le moyen, les moyens de droit et de fait, il est moins politique encore de laisser le juridique dépasser son rôle de moyen.

C'est cette règle, absolue qui doit commander l'attitude de l'accusé politique A l'égard des avocats.

Nous avons dit plus haut, en commentant la lettre de Lénine à Stassova, que, depuis un demi-siècle, mais surtout depuis l'an 40, notre expérience s'est enrichie et qu'une sélection féconde en enseignements s'est produite parmi les avocats militants. Il en est parmi eux, souvent parmi les jeunes, qui sont devenus loya- lement des militants avocats, e t qui ont fait .leurs preuves ; qui, ayant réussi à rompre les amarres de classe et à surmonter la deformation professionnelle, demeurent fidèles à l'exemple de leurs propres martyrs.

A l'un de ceux-là, t u peux déléguer la mission de te seconder dans t a défense politique. Dans les procès 'de masse (où, en géné- ral, ne sont pas impliqu6s que des militants), il n'est pas mauvais que le plus qualifié (politiquement et professionnellement) se fasse le porte-parole de la défense consentante et solidaire.

Je dis que t u peux (en accord, si possible, avec ton organisation) lui confier ce soin. MAIS SOUS TON CONTROLE. SOUS TA RESPONSA- BILIT*. Avec un discernement e t une vigilance toujours en éveil. Ne le laisse pas t'empêcher de faire t a déclaration politique et de diriger t a défense politique. Cela dit, s'il mérite t a confiance, tiens compte de ses conseils et coopère avec lui.

Les autres avocats, non militants, éprouve-les. A toi de savoir dans quelle mesure t u dois être, à leur Bgard, circonspect. Il en est d'excellents qui, pour être sans parti, n'en sont pas moins loyaux et valeureux. De récents procès en ont révélé. Quant aux autres ...

Quel que soit le régime, n'hésite jamais à lutter pour choisir toi-même ton avocat. Ce concours te sera toujours utile. Tu seras déchargé du fardeau juridique, et le combat engagé contre l'accu- sation sur son terrain sera moins inégal.

Le militant, fût-il un Dimitrov ou, sans atteindre à cette taille, eût-il une certaine formation de juriste, peut attendre beaucoup, même politiquement, d'un défenseur qu'il aura choisi.

« Si, m'a dit Dimitrov, j'avais pu avoir pour avocat un camarade ou un sympathisant de mon choix, j'aurais peut-être obtenu la doeu-

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mentation dont j'avais besoin; j'aurais pu faire pub Ezer à l'étranger l'acte d'accusation.

D Un tel avocat aurait pu établir entre le monde extérieur et moi une certaine liaison.

a Mais c'est justement pour ces raisons-là qu'on m'a refusé ce choix. S'il m'avait laissé le libre choix d'un défenseur étranger, le gouvernement fasciste savait bien qu'alors cette affaire tournerait en catastrophe, et il a tout fait pour empêcher cela. 1)

Mais comment exercer ce libre choix ? Comment, veux-je dire, lorsque les circonstances t'empêchent de l'exercer parmi des avocats militants ou recommandés par ton organisation ?

Ne prendre que des avocats intell~gents, recommande sagement Lénine. Intelligents et honnêtes. En aucun cas, un ennemi de ta classe, de la classe ouvrière et de sa cause, nous rappelle Dimitrov. En aucun cas, un agent de l'ennemi.

L'exemple de Torgler, accordant son crédit & un Dr Sack, l'exemple antérieur de nombreux communards parisiens, l'exemple postérieur de certains Résistants n'illustrent que trop cette vérité d'évidence.

Mais, même dans le cas le plus favorable, ne t'en remets jamais B lui du soin de diriger t a défense. Ta défense politique, t u dois TOUJOURS l'assumer toi-même.

Avant d'accepter son concours, pose-lui tes conditions : qu'il s'abstienne de se substituer A toi ; qu'il se soumette ou se démette !

Si, militant lui-même, il croit devoir empibter sur ton domaine politique, qu'il ne le fasse jamais sans ton accord préalable et précis. Gardez-vous d'oublier, bien entendu, l'un et l'autre, l'accord indispensable avec ton organisation. S'il se permet quelque liberté a l'égard de tes convictions, s'il

interprète sa façon la pens6e de ton Parti, n'hésite pas à Pin- terrompre, à le désavouer.

C'est le (( sache ta place, moh ami >i de Lénine, que Dimitrov, sans avoir lu comme toi la lettre de 1905, a su si bien appliquer au défenseur choisi par Torgler, avant de le formuler devant moi en ces termes :

a J e suis d'avis que nos accusés communistes ne deoraient jamais se fier 100 p. 100 aux défenseurs qu'ils ont librement choisis. Même assistés d'un aoocat de leur chok, ils doivent déclarer qu'ils n'acceptent pas 19ent2re responsabilité de toutes les démarches entreprises par

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leur défenseur. L'accusé doit toujours garder la main libre pour sa défense politique.

il Dès que le défenseur porte atteinte au Parti, l'accusé doit se lsvw et désavouer oficiellernent le défenseur. u

C'est dire que nos combattants u doivent être éduqués de manière b pouvoir ne compter que sur leurs propres forces o. E t c'est la raison d'être de ce livre.

Ce qui est vrai dans le meilleur des cas l'est il plus forte raison si t u as affaire à un avocat bavard ou douteux, que t u auras eu le tort ou la malchance de choisir, mais le sang-froid, le discernement un peu tardif de juger eomme'tel.

Celui-là, confine-le strictement dans sa tâche technique de juriste. L'état de siège. Qu'il se limite A sa mission, telle est la condition sine qua non B laquelle tu subordonneras son concours e t dont t u surveilleras sans relâche l'accomplissement.

Mais si tu n'obtiens pas même le droit de choisir ton ddfenseur ? Car il peut arriver (par exemple, en periode de guerre ou de fas- cisme) que l'on t'impose, que l'on te designe d'ofioe un défen- seur B.

Prbsume alors (jusqu78 reuve contraire, et encore ...) qu'a ne

Que faire ? F mérite que la confiance de ennemi I

C'est Dimitrov qui nous l'enseigne, par sa propre expérience d'abord, et par les conclusions qu'en ma présence il en a tirees :

a il faut toujours refuser le concours d 'un défenseur désign6 d90fiee; il faut expliquer ce refus par des motifs politiques. a

En relatant le prochs de Leipzig, nous avons opposé, assez fortement pour n'y plus revenir, l'attitude de Dimitrov envers le D* Teichert ih celle de Popov et de Tanev. Nous avons indiqué comment et pourquoi Dimitrov avait choisi son heure, pourquoi il avait différé jusqu'au troisième jour d'audience la proclamation

ublique de son refus, auquel, malgré ses efforts, ses coaccusés Eulgares n'avaient pas voulu s'associer, comment le Dr Teichert avait essayé de se servir contre Dimitrov de ce défaut de solidarité.

Mais tous les accus6s ne savent pas se défendre comme Dimi- trov. Ce refus, politiquement rnotivb, du défenseur d'office consti- tue-t-il un principe qui ne sou @ aWJme e x w t i o n ? D0it-a être toujours appliqué par le militant, fût41 inhabile B se défendra lui-même 3

Oui. La r2gk est absolue. Le militarit le plus inapte B 17autod6-

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fense doit aussi déclarer publiquement qu'il ne prend pas la respon- sabilité des actes et des paroles d'un défenseur non choisi par lui.

a Mais cela ne signifie pas, ajoute Dimitrov, que l'accusé ne puisse rien exiger du défenseur d'office. J'ai renoncé à Teichert et, malgré cela, je lui ai réclamé ce dont j'auais besoin pour ma défense ... Cea n'ès$ là nullement une contradiction. H

Et Dimitrov a constaté que le dkfenseur d'office ne fait pas moins pour la défense lorsqu'on renonce Q lui que lorsqu'on l'ac- cepte. Peut-être même, sous la pression du refus motivé politi- quement et de l'opinion populaire ainsi alertée, fera-t-il davan- tage, car, m'a dit Dimitrov, a il se uerra forcé d'observer une certaine ob jectiaité 1).

Bien entendu, le militant ne doit jamais se faire aucune illusion sur le rôle de ce défenseur, qui ne vwe et ne peut viser qu'd saboter la défense politique.

C'e~t là un fait invariable que le militant ne perdra jamais de vue et qui commandera ses relations avec cet agent de l'ennemi : relations sur le pied de guerre 1

LA STRATÉGIE OFFENSIVE

La seconde règle mattresse exprime dans notre secteur de lutte (contre la police et la justice de classe) une des lois capitales de la guerre :

Comme en politique internationale, il n'y a pas deux façons eficaces d'affronter la bête : si, de peur de l'irriter, tu la caresses, elle te dévorera ; si t u ne veux pas être dévoré, dompte-la ; si t u ne veux pas être muselé, muselle-la.

Il n'y a pas de « juste milieu a. Marx Q Cologne, Blanqui Q Paris, Dimitrov Leipzig (pour ne citer que ces exemples-là) l'ont démon- tré. L'échec des défenses défensives, invertébrées, & la Raspail, l'a confirmé.

u Prendre et garder l'initiative n, c'est la juste ligne dimitro- vienne. Avant de me la retracer, Dimitrov se l'&ait tracée il lui-

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même et il l'avait suivie inflexiblement ; il lui devait sa viotoire et sa liberté. Mous avons vu comment.

Du début de l'instruction préparatoire jusqu7& la fin des débats, Dimitrov a su imposer à l'ennemi, maître pourtant du lieu, de l'heure, de l'appareil e t de la mise en scène, son initiative irré- sistible.

Il s'est toujours attaché à détruire non seulement I'accusation, mais toutes les forces adverses. Il les a ridiculisées devant l'opinion. 11 s'est attaqué successivement & la police, au juge d'instruction, aux avocats nazis, B la presse hitlérienne, au G cercle diabolique u des témoins à charge.

n L e tribunal, m'a-t-il rappelé, s'est ainsi trouvé isolé, aguibli. r Envers ce tribunal isolé, quelle tactique a-t-il adoptée ? Une

tactique plus souple. Mais toujours conforme à sa stratégie offensive. Une tactique empreinte B la fois de souplesse et d'audace.

((L'INITIATIVE PRISE DÈS LE D ~ B U T , JE L'AI TOUJOURS CON- SERVÉE. u

Cette souplesse et cette audace harmonieusement dosées, nous en avons assez Btudié les exemples et les effets pour n'y plus revenir ici. Mais rappelons encore, au risque de nous répéter, ce que Dimi- trov nous a dit sur cet aspect de sa tactique. Tout d'abord, pas de grossièreté, pas de violence verbale inutile :

u l l est faux et stupide de ne proférer que des phrases communistes et d'insulter le tribunal,..

a Je n'ai pas commencé par caractériser le tribunal comme an instrument de la dictature fasciste, car je savais qu'en parlant ainsi je perdrais la possibilité de continuer mu défense : j'ai préféré mener ma défense de manière que tout le monde serendît eomptepueletribunal est e flectiuernent un instrument de dictature fasciste ...

u ... Utiliser toutes les possibilités que le procés peut donner ... Suivre, sans en perdre un détail, les débats, les déclarations da juge, du procureur, des témoins, de la presse hitlérienne. D

La lecture attentive de la presse ennemie est toujours instructive : c'est elle qui a appris à Dimitrov l'existence du oontre-procés de Londres, l'importance du mouvement international de solidarit6 ; c'est elle qui le renseignait toujours sur la portée des coupa qu'il avait frappés & l'audience et qui lui permettait ainsi, le caséchdanf, de rectifier efficacement son tir.

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C'est graoe cette attention sans relâche et grSce à la hardiesse de ses initiatives (telles ses questions concernant Van der Lubbe) qu'il a pu tout révoir, tout reconstituer : e Mes déductions étaient d'ailleurs comp étées par mon intuition, l'intuition politique d'un bothéoik. ))

P D'où la précision terrible de son offensive. La stratégie de l'autodéfense comporte un autre principe que,

dans les procès collectifs, les militants ne doivent jamais mécon- naître: c'est la sup6riorit6 de la d6fense collective, chaque fois qu'elle est possible. Simple conséquence de la dépers~nnalisation,~ qui est, nous l'avons vu plus haut, inhérente à la conception léniniste et - dimitrovienne dei'autodéfense politique.

Si ce que t u défends, ce n'est pas t a personne, mais t a cause, ton Parti, dès que tu n'es pas seul à comparaltre, t u dois les défendre aussi- bien en tes camarades qu'en toi-même. Et, quand les militants accusés peuvent communiquer ensemble, il est bon qu'ils confient au plus expérimenté, au plus qualifié politiquement d'entre eux, le soin de présenter la défense collective l.

Qu'on se rappelle les défenses collectives des ouvriers de la Ire Internationale : celle de Tolaim, celle de Varlin, celle de Chalain !

Qu'on se souvienne que Dimitrov, lui aussi, a7défendu tous ses coaccusés, qu'il les a défendus malgré eux, malgré leurs défenseurs nazis, malgré toutes les règles du jeu à l'observation desquelles Qtaient préposés les fonctionnaires de la Propagande, les procureurs et le résident du tribunal I

Si f a défense collective n'est pas toujours possible et ne peut Qtre érigée en loi, le principe qui la justifie engendre un corollaire dont la rigueur absolue s'impose A tous les militants collectivement accusés :

Toute infraction à cette règle est une faute grave, impardonnable : c'est celle qu'ont commise les coaccusés de Dimitrov ; nous l'avons

. demontré plus haut et nous avons marqué l'usage que les avocats nazis, les procureurs, le président ont fait contre Dimitrov de son isolement. Opposant à son indomptable résistance l'attitude ((sage, correcte et honnête a de Torgler, de Tanev et de Popov, le tribunal

1. de ne parle ici que de 19autod6fense. Pour ce qui est de la defense collective mafiée & un militant avocat, voir p l u haut.

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misait dans cette antithèse le prétexte de ses mesures de force, 1

d'exclusion. De ces exemples négatifs, tirons la leçon qu'ils contiennent.. On

peut la résumer, avec Dimitrov, en ces deux propositions, qui ne sont nullement limitatives :

1. LORSQU'UX ACCUSÉ RENONCE AUE COMMUN DEFENSEUR D'OFFICE, LES COACCUSÉS DOIVENT EN FAIRE AUTANT.

2. LORSQU'UN ACCUSÉ EST EXCLU DES DEBATS, SES COACCUSÉS N'ONT PAS LE DROIT D'Y ASSISTER SANS PROTESTATION.

E n aucun cas, des militants coaccusés ne peuvent, sans réagir, sans se solidariser avec lui, laisser porter atteinte à la personne, à l'honneur politique, à la défense d'aucun de leurs camarades.

D'une façon absolument générale, qu'il s'agisse de t a propre défense ou de celle de tes camarades, militant, tu dois connaître assez tous tes droits, tous tes moyens, toutes tes armes, pour ne rien laisser passer.

Comme Dimitrov, qyi, par sa correspondance habile, a su forcer le secret du cachot, qui, B force d'adresse et de ténacité, a su faire tomber les chaînes de ses mains, ne manque pas une occasion de faire valoir ton dû, de faire respecter t a dignité. Par tous les moyens, par la parole ou par 17écrit,lettres qui franchissent ou non la censure, protestations, requêtes opportunes, déclarations de principe toujours scrupuleusement préparées, conformément aux conseils de LBnine, exemplairement illustrés par Dimitrov.

E t si, comme c'est à peu prbs partout la règle, t u as droit au dernier mot, construis d'avance avec grand soin ton plaidoyer final, qui doit être un acte politique.

Si t u es un communiste, n'oublie pas ce que t'a rappelé Lénine : ce plaidoyer doit contenk un expose du programme et de la tactique du Parti. C'est un document qui engage ton Parti.

Souviens-toi de la plaidoirie de Marx, du discours terminal de Dimitrov. Mais ne les copie pas. Sois concret : inspire-toi souple- ment des circonstances, de ton instinct de classe. Ne perds jamais de vue l'intérêt de t a cause et ne dévie pas de la ligne offensive que t u t'es tracée.

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LES OBJECTIFS ATTEINTS

Le communiste n'est pas ce sectaire, ce fanatique borne dont parlent les ennemis du peuple ; il est le lutteur d'avant-garde, le pionnier de l'avenir, l'homme nouveau qui s'efforce de convaincre tous les travail- leurs e t les gagne par l'exemple de son dévouement inalthable à leur cause.

Maurice THOREZ : FiZs du peuple.

E conformer à ces lois maîtresses, les appliquer avec réalisme, les adapter aux conditions données, les faire entrer dans la vie, accorder, dans ce cadre solide, libre cours B son sens de

classe, à son intuition révolutionnaire, à son esprit d'initiative, en un mot pratiquer une véritable autodéfense politique, servie par une juste stratégie offensive, c'est d'abord mettre dans son jeu la meilleure chance de salut, en suscitant le plus efficace défenseur, la vraie défense d'office : la réaction libératrice des masses.

n Je savais, m'a dit Dimitrov, que, s'il existait encore une possi- bilité de nous sauver, elle ne pouvait résulter que de notre lutte coura- geuse, conséquente et bolchéoik devant le tribunal, en liaison avec une grande vague de mécontentement, soulevée par les provocations, en Alle- magne et a l'étranger. B

Mais une bonne autodefense politique, adroitement, audacieuse- ment offensive - quel que soit le sort personnel de son héros, - produit toujours des conséquences, immédiates ou non, dont la victoire de Leipzig fournit, parmi tant d'autres exemples, le meil- leur.

Elle dQjoue les plans, brise les armes de l'ennemi. Elle peut même le forcer à reculer demain devant les nouveaux orimes qu'à la

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faveur d'un pr&cédent, qui, sans ta résistance, eût rhssi , il comp- tait préparer contre d'autres militants, contre tes camarades ou tes chefs également réduits en otages. Elle contribue B le discrbditer publiquement, à mobiliser contre lui l'indignation des couches populaires antifascistes ou hésitantes.

Elle exalte le courage de nos militants, qui, décimés, traqués, proscrits, se trouvent souvent dispersés, isoles dans les cachots, dans les camps, dans les 'Ues ou dans l'illégalité.

En leur montrant ce que peuvent l'héroisrne e t l'intelligence r6volutionnaires, même entre les griffes de l'ennemi, elle leur prouve n qu'il n'est pas du tout si terrible de lutter contre le fascisme u, et cela dans son propre repaire, sous la menace directe de ses crocs.

Elle peut même fournir au Parti un apport id6oIogique, une aide éducative, de portée immense.

Rappelle-toi Dimitrov exposant la politique nationale de son Parti, avec l'analyse critique de ses erreurs. Dimitrov mettant A nu la faiblesse, la précarité du fascisme, à l'endroit même, A l'heure même oii il parait le plus puissant. Dimitrov défendant les tra- vailleurs sociaux-démocrates et même leur Parti (en 1933 !), pour susciter la formation du front unique. Dimitrov mûrissant la semence unitaire, frayant génialement la voie à l'alliance du prolétariat et des couches moyennes, aux Fronts populaires natmnâux.

Elle peut et doit enfin parvenir, ton autodéfense politique offensive, A gagner au profit de ta cause, non pas la compassion que le cceur populaire ne marchande jamais a l'innocence, mais la sympathie active, l'enthousiasme unissant et agissant de ces masses nationales et internationales dont tu as su te montrer le digne porte-parole.

Combien cet objectif est-il plus accessible aujourd'hui qu'au temps de Blanqui ou même de Thælmann l A présent, il existe une armée organisée des forces de paix qui sur toi veille. Pense qu'en retour, il dépend de toi d'accroitre son potentiel, de contribuer Q son élan conquérant. Par ton comportement, tu peux l'aider faire pén6trer plus avant dans les couches indécises la prise de conscience, la torche de vérité, de paix, qui éclaire son chemin triomphal, qui dissipe les ombres néeessaires à la préparation des mauvais coups.

Écoute la voix du grand Staline :

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LES OBJECTIFS ATTEINTS 343

La paix sera conserv6e et consolidée si les peuples prennent en main la cause du maintien de la paix et s'ils la défendent jusqu'au bout. La guerre peut devenir inëvitable si les fauteurs de guerre parviennent B envelopper les masses populaires de mensonges, B les tromper e t 4 les entraîner dans une nouvelle guerre mondiale *.

Et rends-toi compte qu'ils t'entendent, ces peuples qui t e sauveront. Mesure t a responsabilité. La grande cause à laquelle t u es appelé gagner, parmi eux, les cœurs et les cerveaux réfrac- taires à nos efforts, la grande cause que, par ton audience, t u concourras à faire triompher, c'est la cause même de la paix.

Quand on est le champion d'une pareille cause, il faut s'en montrer digne. Autodefense ? Non : défense de la vie!

1. DBclarations de Staline sur les problbmes de la paix. Voir Derniers kcrits, fiditions sociales, Paris 1953, page-67.

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OU PUISENT-ILS LEUR FORCE ?

Il faut enfin comprendre que, de tous les capitaux prbcieux existant dans le monde, le plus prbcieux et le plus décisif, ce sont les hommes, les cadres.

STALINE : Les Questions du léninisme, p. ,513.

OUR suivre une pareille li ne, pour étre le porteur d'une areille cause, nous avons %it qu'il ne faut pas trembler. 11

faut une force de résistance A toute épreuve. Cette force de résistance, où la puiseras-tu ? Où l'ont-ils puisée,

tous ces héros dont nous avons célébré l'attitude et l'autodéfense offensive 3

Dans un double réservoir. Un réservoir intérieur: leur foi politique, leur f o i raisonnde dans

la justesse, dans la vertu de leur doctrine. Un réservoir extérieur: leur Parti, leur classe, leur peuple. C'est & ces réservoirs de -- force que leur force - inégalement -

s'alimente et se renouvelle. 1 n V a *-L:-- 1 -mm-

- ----- C'est parce que ces réservoirs, ces sources a,aiirnen~a~iuii iüur

font défaut, que les accusés non révolutionnaires ou contre-révo- lutionnaires ne sauront jamais résister et se défendre offensivement comme des communistes. -

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OU PUISENT-ILS LEUR FORCE ? 345

plus hardis eux-mêmes perdent-ils le plus souvent, lorsqu'ils aont démasqués, tout esprit de résistance ?

En un étonnant unisson, le chceur des ennemis et des faux amis de l'union soviétique a déclamé les thèmes de la surprise et de l'incrédulité devant l'effondrement et les aveux humiliés des accu- sés trotskistes et boukhariniens. Et de crier à l'invraisemblance psychologique, pour accréditer l'explication selon laquelle on aurait employé contre ces tra'itres des moyens qui sont réellement en usage et même Qrigés en système de l'autre côté, dans le camp impé- rialiste, c'est-&-dire chez ceux qui les ont payés.

Les accusés n'étaient pas des enfants : c'étaient des hommes expérimentés, très intelligents, de formation révolutionnaire. On leur a donné cent fois l'occasion de rétracter publiquement leurs aveux : ils les ont confirmés, parfois amplifiés.

E t (si nous en croyions nos choristes) ces aveux, par cela même qu'ils sont concordants dans leur ensemble, constitueraient, en faveur des accusés, une présomption d'innocence l

En vérité, si ce sont les criminels qu'on défend, si c'est leur accusateur qu'on accuse, tu l'as bien compris, n'est-ce pas ? c'est tout simplement parce que l'accusateur, c'est le peuple au pouvoir, c'est la démocratie des travailleurs, dont on voudrait bien désarmer la légitime défense.

Mais, puisque des agneaux s'égarent parmi les loups, puisque les bonnes ames, indignées de ce concert d'aveux, trouvent tout naturel de concerter leurs bêlements avec les hurlements bien conduits des loups et des chiens, explique-leur pourquoi, comment les indignes objets de leur attendrissement, les renégats, les traîtres coupés des masses, comme tek, se sont effondrés.

Ces honnêtes gens raisonnent, de bonne foi sans doute, comme si le procèr avait lieu dans leur pays, dans un Etat capitaliste. Ils *. oublient ou ils ignorent, d'une part, la différence des rapports qui existent entre le tribunal et l'accusé selon le régime économique et social, et, d'autre part, que Ya question-clef est celle de savoir SUR QUELLE CLASSE, SUR QUELLES FORCES s'apyuie~l'acousé qui compa- raît devant une juridiction donnée.

Dans les pays capitalistes, l'appareil judiciaire exprime (fût-ce verbalement n au nom du peuple u) les intbrêts de la minorité dominante. En U. R. S. S., oh la classe ouvriére victorieuse a libéré les travailleurs, c'est-&dire l'écrasante majorité de la popu- lation, dans le pays du socialisme où s'est Bdifiée une société sans

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classes antagoniques, l'appareil judiciaire exprime les eonqu6tes de la Révolution, les intéréts de la patrie socialiste, les intérêts et l'avenir du peuple au pouvoir l.

i

Devant cette justice populaire, un accusé qui a trahi toutes ces valeurs dont le tribunal a la garde, qui les a livr6es à l'ennemi, qui, spéculant sur leur défaite et se faisant fort de la provoquer, s'est allié & l'impérialisme agresseur, qu'exprime-t-il, lui ? Qu'exprime- t-il, sinon les intérêts et la volonté de l'ennemi qu'il sert e t qui le paie ?

Le voici convaincu de ses crimes, accablé par l'évidence des preuves (documents, témoignages, aveux d'un complice). Dans quel réservoir, dis-le-moi, trouverait-il les forces qu'exigerait sa iésistance 3

-

Aucune base doctrinale. Il a renié depuis longtemps la cause de son Parti, qui aurait dû demeurer sa raison d'être. Dans le meilleur des cas, s'il a jadis été sincère, s'il a Bté, à un moment quelconque, un opposant convaincu et si, avant sa dégénérescence criminelle, il a jamais cru servir B sa façon une politique, il a vu cette politique funeste s'écrouler. Le voici maintenant face à face avec sa défaite et sa honte. Il assiste amérement au désastre de sa vie manquée, de son personnage condamné par I'histoire, de ses revirements, de ses reniements, de sa duplicité vaine, de ses trahisons inutiles.

A u c u n appui dans les masses, dans aucune fraction des masses. Aucune base, aucune racine dans la terre nationale, et c'est d'ail- leurs ce qui l'a rejeté vers la conspiration au service de l'ennemi.

II est irrémédiablement isolé. Isolé de la communauté populaire, plus unanime que jamais, où il fait figure de corps étranger.

Que lui reste-t-il donc ? Autour de lui, le mépris de tous. Devant lui, aucune perspective. Derrière lui. dès lors crue sa conspiration est éventée, plus une

ligne de repli. Plus un renfort Plus un espoir de1&vanchë, même posthume. Ni de résurrection politique.

1. Par sa fonction même, par sa structure, par ses contacts, le tribunal sovi6- tique est effectivement populaire. 11 est composé de juges élus au suffrage uni- versel, égal, direct, au scrutin secret, lies au peuple à qui ils ont des comptes ti rendre et ar lui révocables. Sa justice au grand jour, ainsi contrôlée par le peuple, est, pour f' e peuple, a une école d'éducation dans l'esprit de la discipline sociale a, ccomrne l'a dit justement A. VYCEINSSI : Justice soviétique, Moscou, 1939,

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6'LT PUISENT-ILS LEUR FORCE ?

Plus rien. Plus personne. Plus personne ? Si, peut-être, mais & l'étranger : l'ennemi qu'il a

servi, qui s'est servi de lui. E t encore.. . Les forces de mort qui l'ont « tenu », dès lors qu'il est « brûlé », le lâchent avec dédain.

.Dans cette solitude glacée, d'où tirerait-il, sinon la force, du moins la gloriole de plastronner, de nier l'évidence ? Dans quelle réserve cette pauvre gloriole trouverait-elle de quoi s'alimenter ?

Alors, rien d'étonnant qu'il s'effondre ! Comment ne s'effondre- rait-il pas ?

Et il s'effondre au point que, trahissant jusqu'à sa trahison même, ses aveux laissent incrédules nos psychologues de l'absurde et de l'angoisse et que leur épouvante n'est pas entièrement feinte l

Effectivement, la lutte est terriblement inégale. II est en général de formation marxiste, et ce sont des marxistes qui l'interrogent. Appuyés sur des preuves accablantes, forts du soutien populaire, le procureur, le tribunal sont armés contre lui d'une dialectique acérée qui joue A plein rendement.

Les rôles sont intervertis, et ce qui fait la force des héros dimi- troviens devant les tribunaux fascistes, fait ici la force de l'accusa- teur et du juge révolutionnaire en face du traftre isolé et confondu sous le feu croisé des interrogatoires.

Il ne lui reste plus d'autre ressort que l'instinct de conservation, ui ne peut animer une résistance impossible, mais qui inspire sea

jemiers sursauts, ses &ticences (car il n'a avoué le plus souvent que l'indéniable) et ses implorations.

Se fait-il illusion sur le sort qui l'attend T Peut-être encore s'il s'agit de quelque agent d'exécution plus ou moins subalterne, de quelque tueur plutôt dirigé que dirigeant ? L'instinct de conser- vation ne peut, en ce cas, le pousser qu'à flatter le tribunal et l'opinion en ergotant sur l'étendue de sa responsabilité, en faisant étalage de ses remords, vrais ou feints, dans l'espoir que c'est là pour lui la seule chance de sauver sa peau.

Au cas contraire, l'instinct de conservation l'incite le plus sou- vent B se condamner lui-même, voire à amplifier ses premier8 aveux (dans une certaine mesure, puisque l'exp6rience prouve u'it ne dit pas tout), dans le dessein désssp6ré de sauver quelque

o 71 ose de son passé, de sa décomposition, de ses ruinas ... 1 1. Les dernières paroIes de Boukharine avant sa condamnation : a ... Lorsqu'on

sa demande : Si tu meurs, au nom de quoi mourras-tu ? C'est alors qu'apparaît

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Et, maintenant, détournons nos regards de ces bas-fonds et regagnons l'altitude où respirent nos héros.

S'ils y respirent péniblement, c'est qu'ils sont enfermés, bru- talisés, torturés physiquement et moralement. Mais souviens-toi du double réservoir qui les alimente en oxygène.

Cet oxygbne,ils ne l'absorbent pas tous également : ils l'absorbent selon la capacité de leurs poumons. E t c'est pourquoi, jeune mili- tant, nous t'engageons à bien développer tes muscles thoraciques, ton tour de poitrine révolutionnaire.

Mais il y a d'autres causes d'inégalité. Ces réserves où tu renou- velles ta force de résistance, ton oxygène, elles sont elles-mêmes de valeur inégale et variable.

De valeur inégale, selon le dynamisme de t a foi, la vertu de ta doctrine.

Ce n'est pas par hasard que la plupart de ces héros dont la défense nous est apparue exemplaire sont de la même lignée politique: ce sont des révohtionnaires conséquents.

Ce n'est pas par hasard que les meilleurs sont ceux chez qui la passion révolutionnaire, le courage le plus indomptable sont liés a la fermeté doctrinale la plus solide, à la clairvoyance la mieux maîtrisée.

Ce n'est pas par hasard que, depuis que le marxisme existe, ce sont le plus souvent des marxistes. Ce n'est pas par hasard que, depuis que Lénine a vécu, ce sont le plus souvent des communistes. Oui, des communistes.

Ce n'est pas par hasard que le plus grand parmi ces accusés communistes, c'est celui qui s'est révélé le mieux armé de la puis- sance dialectique de Marx, de Lénine et de Staline : le stalinien Dimitrov.

Mais en quoi le réservoir extérieur, ton Parti, t a classe, ton peuple, est-il de capacité variable ? En quoi t a force peut-elle être affectée par ces variations ?

L'expérience le montre : Si les communards parisiens, qui ont su si bien mourir, se sont

en général mal défendus devant la justice versaillaise, ce n'est pas seulement par faiblesse doctrinale; c'est aussi l parce que leur

soudain, avec une netteté saisissante, un gouffre absolument noir. 11 n'est rien au nom de quoi il faille mourir, si je voulais mourir sans avouer mes torts.*& B

1. Secondairement, sans doute,

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mouvement écrasé avait perdu la plupart de ses points d'appui. Par contre, la fermeté légendaire d'un Blanqui, d'un Rakosi,

d'un Edgar André, d'un Henri Martin, comme de tant d'autres précurseurs et disciples de Dimitrov, se vivifie au contact d'une force organisée qui résiste ou qui monte.

En sorte qu'on pourrait, sans négliger, bien entendu, les facteurs individuels et nationaux, démontrer que l'énergie de cette réserve est plus ou moins grande selon le signe positif ou négatif du mou- vement, selon le sens ascendant ou descendant de sa courbe.

N'est-ce pas là encore une leçon que nous donne l'histoire, une leçon qui nous rappelle A, notre tâche humaine et politique, tou- jours actuelle, de solidarité ?

N'est-ce pas là le sens profond de l'enseignement que Dimitrov a bien voulu tirer devant moi de sa propre expérience, afin de servir la campagne internationale engagée pour la libération de Thælmann ?

(( La meilleure méthode pour exercer une pression sur un gouver- nement et un tribunal fascistes, c'est, à mon avk, d'encourager la mobilisation des masses dans leur propre pays. La campagne inter- nationale est naturellement, elle aussi, d'une grande importance; mais c'est la campagne nationale, dans le pays même, gui sera décisive l. u

Notre devoir national et international est donc de ne rien négli- ger, de nous dépenser sans compter pour accroître, amplifier ce capital de forces oh la force de nos héros se renouvelle et qui peut ainsi doublement contribuer à leur victoire. A notre victoire. A la victoire prochaine des forces de paix et de libération.

Comprends-tu maintenant pourquoi nos héros ne sont jamais seuls, pourquoi, si tu es un vrai militant révolutionnaire, un vrai communiste, même enfermé au secret le plus strict, isolé du monde extérieur, tu ne seras jamais seul ?

Que dis-je ? De nos jours, il t'est facile d'être moins seul encore que ces anciens, qui n'ont pas eu, comme toi, la chance de pouvoir prendre appui sur un camp de la paix comme le nôtre I

N'as-tu pas vu Dimitrov et ses Bmules rompre le cercle de soli- tude qui les étreignait et faire entrer le prolétariat en pleine cita- delle ennemie ?

Ne les vois-tu pas s'adresser, par-dessus la tête du geôlier, du

1. Voir aussi plus haut, p. 153 B 156.

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juge, du bourreau, & leur auditoire naturel, ii leur dbfenseur vdritable ?

N'entends-tu pas leur voix entrecoupée d5nterruptkms traver- ser 1'4paisseur des murs, franchir les terres et les océans, mobiliser, B son appel, l'armée immense du travail aux poings serrés ?

Derrière eux, autour d'eux, partout, la présence invisible, mais réelle, mais innombrable, des masses opprimées, des martyrs de la liberté, de la paix, ensevelis vivants dans des linceuls de pierre, des ouvriers en lutte pour leur pain, des chômeurs affamés en marche, e t des peuples entiers qui s'unissent contre la servitude et la guerre.

Derrière eux, autour d'eux, ce tiers vivant de la planete qui, de l'Elbe au Pacifique, s'est libéré à jamais de l'emprise impéria- liste, de l'oppression nationale, de I'exploitation des monopoles, du chômage, de l'inculture, de l'insécurité.

Ce sixième du globe qui, faisant atterrir le rêve des générations devancières, a réalisé le socialisme et, en dépit de ses terribles sacrifices de guerre, en dépit de la menace extérieure e t de la conspiration permanente des privilèges, édifie méthodiquement la société communiste et inaugure, dégagé de la bête, l'âge de l'homme .

Ceux des chantiers et des usines collectives, les bâtisseurs qui crbent, les brigades stakhanovistes gui s'élancent, en une course irnpétiieuse au rendement, a l'assaut de la nature dont leur maitrise transforme le visage.

E t leurs frères des champs débornés, des terres défrichées, qui sèment e t moissonnent l'avenir e t dont les tracteurs, les bras motorisés, rapprochent la campagne de la ville.

Et la jeunesse heureuse au muscle dur, au regard clair, qui, n'ayant pas connu le vieux monde, n'en détruit que mieux, Y ar- tout, jusque dans sa conscience, les vestiges, tout en en déve op- pant l'acquis, cette jeunesse qui, en construisant, apprend A se construire et qui prépare, dans l'essor des forces productives, le libre élan de l'homme nouveau.

Le privilège du héros dirnitrovien, c'est qu'il porte en lui, en tout lieu, dans le désert de son cachot ou de son fle, comme dans le désert humain de la salle d'audience, l'énergie irrbsistible de ces foules.

Cest cette énergie qui devient le nerf de ses nerfs, la chair de sa chair ; c'est elle qu'il incarne et qu'il exprime.

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ou PUISENT-ILS EEUH FORCE 3 351

C'est cette énergie des forces montantes qu'il offre de sa force, de sa résistance, ainsi multipliée, décupl&, centuplbew

E t c'est de cet échange de forces que peut naftre la valeur la plus féconde, la plus fécondante, une grandeur humaine qui dépasse toute mesure commune, une victoire créatrice de victoires nouvelles.

Aucune de ces victoires ne se perd. Le vainqueur peut tomber ; une escouade le remplace. Et, si

l'escouade est décimée, un bataillon comble la brèche. Et chacune de ces relèves successives, progressives, enrichie de l'héritage héroique, l'enrichit à son tour.

L'armée ne pleure pas ses morts : elle transfuse ses blessés leur sang, qui devient muscle. Elle ne s'agenouille pas devant leurs corps : elle apprend d'eux A vaincre. A vaincre et vivre. A leur exemple, elle grandit, elle avance, elle organise le terrain conquis.

Quelles que soient les fluctuations du combat, elle est invincible. Une avant-garde de vivants la guide et la dirige.

Dimitrov, Prestes, Rakosi, Thælmann, Suzanne Masson, Henri Martin, vous tous, morts et vivants, nos porte-parole, nos porte- drapeau, vous qui avez souffert et lutté pour nous, vous qui préférez A la défense de votre personne la défense de notre cause, à votre vie notre raison de vivre, gloire à vous I

Vous êtes le bataillon de choc dont le sacrifice fraie la voie B l'offensive, au triomphe de la liberté et de la paix, Q la victoire finale, à la libération des peuples, à la civilisation de demain. Des lendemains qui chantent.

Vous êtes notre légion d'honneur. Notre légion stalinienne, dont les survivants, comme les morts,

sont l'honneur de l'humanité nouvelle, les pionniers de l'avenir, les porteurs de notre inébranlable espérance.

l@f mai 1951 -P décembre f 954.

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...................................... P R É F A C E . par Léon Feix AVANT-PROPOS DE LA TROISIÈME ÉDITION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . AVANT-PROPOS D E LA D E U X I È M E ÉDITION ..................... LA LETTRE D E L É N I N E S U R LA D É F E N S E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LES P R ~ ~ C U R S E U R S

DE BABEUF A LIEBKNECHT

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . BLANQUI KARL MARX A COLOGNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LA P R E M I È R E INTERNATIONALE E T LES TROIS PROCÈS D E PARIS . STALINE, B R I S E U R D E C H A I N E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'ATTITUDE D E S BOLCHEVIKS D E V A N T LES T R I B U N A U X TSA-

R I S T E S ................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LES PRÉCURSEURS POLONAIS : WARYNSKI

LES G R A N D S ANTIMILITARISTES ALLEMANDS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Wilhelrn Liebknecht et Bebel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Rosa Luxembourg à Francfort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ka.rl Liebknecht à Berlin' . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

...................... MAURICE THOREZ A LA PRISON D E NANCY

LA BATAILLE DE LEJPZI G

IJA B A T A I L L E D E LEIPZIG ..................................... Le secret de Dimitrov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Face à la police hitlérienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pendant l'instruction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La victoire Za plus rude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Contre le cléfenseur d'office . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les débats: Dimitrov attaque 117 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L a stratégie de Dimitrov 125 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le cercle diabolique 130 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les deux méthodes 133 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Méphisto- Ger ing en déroute 136 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L e tribunal m i s en k h e c 140 . . . . . . . . . . Déclaration finale de Dimitrov . L a défense accuse 143

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Acquittement et libération 152 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L a victoire de Leipzig: ses causes 154

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les objectifs atteints 155

DISCIPLES ET ZMULES DE THÆLMANN A PRESTES

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . DANS L'ALLEMAGNE D E THRLMANN 163 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les ouvriers de Wuppertal 166

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Edgar André 167 . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'EXEMPLE D E MATHIAS RAKOSI : . . . . . . . . 176

H É R O S R O U M A I N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .S. 187 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les cheminots de Bucarest 187

H É R O S ALBANAIS 191 * . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LE HÉROS BKÉSILIEN CARLOS PRESTES, CHEVALIER D E L'ESPÉRANCE . 192

DE* 1940 A NOS JOURS

1 . LES D ~ ~ P U T B S COMMUNISTES FRANÇAIS

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LEUR MESSAGE EST U N CHANT 231 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... LE CHANT D E S LENDEMAINS 235

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III . SOUS LA DOMINATION AM~~RICAINE

CE QU'ILS NOUS ENSEIGNENT

..

LES RÈGLES ÉLÉMENTAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . N e pas renseigner l 'ennemi 324 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Moins on parle 326

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Faut-il répondre a u juge d'instruction ? 327 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LES D E U X LOIS MAITRESSES 330

. . . . . . . . . . . . Le rapport des facteurs juridiques et politiques 330 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L a stratégie offensive 337

LES OBJECTIFS ATTEINTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Où PUISENT-ILS LEUR FORCE ? 344

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A C H E V É D ' I M P R I M E R

PAR L'IMPRIME RIE CRÉTÉ,

L E 1 0 M A R S 1 9 5 5 , A C O R B E I L - E S S O N N E S

Dépbt légal : l e r trimestre 1955.

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