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Chapitre 11 Le développement durable 1. L’émergence des problèmes écologiques et l’apparition de la notion de développement durable 1.1 Un constat : la multiplication des problèmes écologiques Document : l’évolution de l’émission de GES depuis la première révolution industrielle et le réchauffement de la planète Document : les conséquences néfastes de l’activité économique sur l’environnement La concentration de gaz à effet de serre dans les basses couches de l’atmosphère, responsable du changement climatique, responsable du changement climatique, s’accroît de manière exponentielle depuis un peu plus de deux siècles : un peu moins de 280 ppm, en moyenne au cours des siècles qui ont précédé le commencement de l’ère industrielle, plus de 400 ppm aujourd’hui, avec un rythme annuel d’émissions mondiales qui s’accélère dangereusement au cours des trois dernières décennies au lieu de se réduire. Le changement climatique qui en résulte est désormais incontestable et perceptible : non seulement la température moyenne à la surface de la terre augmente (elle s’est accrue d’environ 0,8° C depuis la fin du 19 ième siècle), mais les phénomènes climatiques extrêmes (sécheresses, canicules, tempêtes, ouragan, cyclones, inondations …) deviennent plus fréquents et plus intenses dans toutes les régions du globe. (…) La vie sur notre planète prend des formes d’une variété presque infinie. C’est cette diversité biologique que l’on désigne par le terme de biodiversité. (…). Selon les données collectées par l’Union internationale ECE1 Camille Vernet Nicolas Danglade 2017-2018 1

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Chapitre 11 Le développement durable

1. L’émergence des problèmes écologiques et l’apparition de la notion de développement durable

1.1 Un constat : la multiplication des problèmes écologiques

Document : l’évolution de l’émission de GES depuis la première révolution industrielle et le réchauffement de la planète

Document : les conséquences néfastes de l’activité économique sur l’environnement La concentration de gaz à effet de serre dans les basses couches de l’atmosphère, responsable du changement climatique, responsable du changement climatique, s’accroît de manière exponentielle depuis un peu plus de deux siècles : un peu moins de 280 ppm, en moyenne au cours des siècles qui ont précédé le commencement de l’ère industrielle, plus de 400 ppm aujourd’hui, avec un rythme annuel d’émissions mondiales qui s’accélère dangereusement au cours des trois dernières décennies au lieu de se réduire. Le changement climatique qui en résulte est désormais incontestable et perceptible : non seulement la température moyenne à la surface de la terre augmente (elle s’est accrue d’environ 0,8° C depuis la fin du 19 ième

siècle), mais les phénomènes climatiques extrêmes (sécheresses, canicules, tempêtes, ouragan, cyclones, inondations …) deviennent plus fréquents et plus intenses dans toutes les régions du globe. (…) La vie sur notre planète prend des formes d’une variété presque infinie. C’est cette diversité biologique que l’on désigne par le terme de biodiversité. (…). Selon les données collectées par l’Union internationale pour la conservation de la nature, environ 30% des espèces connues sont menacées. (…) La planète est entrée dans une nouvelle ère d’extinction massive d’espèce, la sixième recensée par les paléontologues, la précédente ayant été, il y a environ 65 millions d’années, celles qui a vu disparaître les dinosaures. Parallèlement, la disparition de nombreux écosystèmes (du fait de la pollution, des changements d’utilisation des sols notamment du fait de l’artificialisation engendrée par l’urbanisation et l’aménagement des voies de communication et autres infrastructures) se produit à un rythme rapide. Les modifications de l’environnement engendrées par les activités humaines depuis un peu plus de deux siècles sont trop amples et trop brutales pour que le processus de l’évolution permette à la plupart des espèces vivantes et aux écosystèmes de s’y adapter, comme cela a pu se produire dans le passé lorsque les changements ont été progressifs.Or les écosystèmes comme les espèces vivantes, outre leur valeur intrinsèque liée à leur singularité, rendent d’innombrables services aux humains : certains constituent des ressources récréatives ; d’autres, que l’on ne soupçonne pas toujours, fournissent des services de régulation, tels que l’épuration des eaux polluées, la purification de l’air, la capture des gaz carboniques, etc. Sans parler des services dont on peut aisément évaluer la valeur économique, tels que ceux de pollinisation par les insectes des plantes cultivées produisant la plupart ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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de nos fruits et légumes : l’effondrement des populations d’abeilles a, déjà, dans certaines régions, des conséquences tangibles, d’un coût mesurable par celui des méthodes employées pour féconder les fleurs dans les vergers (…).

Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, Un nouveau monde économique. Mesurer le bien-être et la soutenabilité au 21ème

siècle, Odile Jacob, 2015 p.150

Document : exemples de grandes catastrophes environnementales1978 : Catastrophe de l’Amoco Cadiz (marée noire sur les côtes bretonnes). 1979 : Accident nucléaire à Three Miles Island au Etats-Unis1984 : Une fuite chimique toxique fait 10 000 morts et 300 000 blessés à Bhopal en Inde. 1985 : Le trou dans l’ozone de l’Antarctique est découvert par des scientifiques britanniques et américains. 1986 : Accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl qui engendre une énorme explosion radioactive toxique1989 : Le tanker Exxon Valdez échoue et engendre une marée noire en Alaska1991 : La pêche à la morue sur la côte Est du Canada s’effondre (passage brutal de 190 000 à 2 700 tonnes)2009 : Incendies et glace font les manchettes. La glace marine disparaît presque entièrement de l’océan Arctique et la sécheresse qui a commencé en Australie en 2003 cause les pires feux de friches de l’histoire.

D’après https://www.iisd.org/pdf/2009/sd_timeline_2009_fr.pdf

Synthèse : L’impact des activités humaines sur l’environnement

Document : La prise en compte progressive des problèmes environnementauxJusque dans les années 1960, la place de l’environnement dans le débat public est restée mineure dans la très grande majorité des économies développées et inexistante dans les pays en développement. (…) La première prise de conscience des problèmes environnementaux se développe au cours des années 1970 et 1980 avec la succession de catastrophes industrielles et leur médiatisation à l’échelle planétaire. L’un des premiers incidents graves est celui de la baie de Minimata au Japon (…). Depuis 1932, une usine pétrochimique rejetait du mercure dans la baie. Ces déversements continueront jusqu’en 1966 et aboutiront à un bilan officiel de 13 000 victimes dont 900 décès. La deuxième grande catastrophe est celle de Seveso dans le Nord de l’Italie, (…) de Bophal en Inde, (…) de Tchernobyl en Ukraine. (…) A partir des années 1980, de nouveaux problèmes environnementaux surgissent. (…) Le risque climatique qui résulte de l’augmentation (…) de la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère en est sans aucun doute le plus emblématique. Ces nouveaux problèmes sont caractérisés par au moins trois évolutions majeures par rapport aux risques technologiques locaux évoqués précédemment. Tout d’abord, ils prennent la forme d’externalités négatives multilatérales publiques qui ont toutes les caractéristiques d’un mal (bien) public global. Leur dimension planétaire implique une coopération entre Etats qui fait généralement défaut, ce qui explique qu’ils se révèlent si difficiles à gérer. (…)Ensuite, ils entraînent une transformation majeure dans la perception de la relation entre qualité de l’environnement et développement économique. (…) A partir des années 1980, un dilemme se manifeste entre la poursuite de la croissance économique dans les mêmes conditions et la protection de l’environnement. De cette transformation va naître le concept de développement durable. L’objectif est dorénavant de concilier développement économique et préservation de l’environnement. Enfin, les catastrophes industrielles mentionnées précédemment ont causé des dégâts considérables sur les écosystèmes locaux (…). Mais, ils sont sans commune mesure avec les dommages écologiques, humains et économiques qui peuvent résulter de ces nouveaux risques planétaires. Ces nouveaux risques possèdent une quatrième caractéristique : une forte incertitude. Celle-ci est d’ailleurs multiple et porte aussi bien sur les origines et les causes des problèmes que sur leurs divers impacts environnementaux, sur la santé des individus, ou encore sur l’évaluation économique des dommages causés et anticipés. Il en résulte une grande difficulté à établir un consensus et une prise de conscience solide des enjeux, autant de conditions nécessaires (mais souvent insuffisante) pour que les politiques environnementales soient acceptées. Comment faire supporter aux

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Activités humaines

Emission de GES Destruction biodiversité Destruction Ecosystème

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citoyens des coûts élevés aujourd’hui pour éviter des dégradations environnementales plus ou moins lointaines dans le temps, et, qui plus est, incertaines ?

Lionel Ragot in Cahiers Français, L’environnement sacrifié ?, n°374, juin 2013

1.2 Les problèmes écologiques sont liés aux activités humaines

1.2.1 Développement économique et problèmes environnementaux

Document : rattrapage économique et émission de GES, la Chine

1.2.2 Les conséquences des inégalités sur les problèmes environnementaux

Document : les inégalités renforcent la problématique écologique La crise des inégalités et les crises écologiques sont souvent juxtaposées ; il faudrait plutôt les articuler pour les comprendre. La relation social-écologique est à double sens : les inégalités sociales nourrissent les crises écologiques ; les crises écologiques grossissent en retour les inégalités sociales.Considérons la première de ces deux flèches. L’enjeu écologique de la crise contemporaine des inégalités peut d’abord être compris de manière micro-écologique. Du côté des riches, (…) Thorstein Veblen (et sa « consommation ostentatoire ») nous apprend que le désir de la classe moyenne d’imiter les modes de vie des plus fortunés peut conduire à une épidémie culturelle de dégradations environnementales. Du côté des pauvres, Indira Gandhi, seul chef d’Etat présent au sommet fondateur de Stockholm en 1972, nous enseigne que « la pauvreté et le besoin sont les plus grands pollueurs » : la pauvreté engendre dans le monde en développement des dégradations environnementales insoutenables, mais rendues nécessaires par l’urgence sociale de vivre. Ces dégradations résultent d’un arbitrage perdant à moyen terme entre bien-être présent et bien-être futur : les ressources naturelles constituant de fait le véritable patrimoine de la majorité des habitants des pays pauvres, leur dégradation se traduira à terme par un appauvrissement des populations. L’éradication de la pauvreté est donc un objectif écologique, à condition qu’elle ne soit pas considérée comme un simple rattrapage sur le mode de l’hyperconsommation, mais qu’elle entre dans le cadre d’une redéfinition de la richesse et de ses indicateurs. Il est encore plus intéressant de raisonner de manière macro-écologique, en considérant les effets dynamiques de la relation entre riches et pauvres, et non pas les comportements isolés des uns et des autres. Cinq mécanismes apparaissent alors.L’inégalité accroît inutilement un besoin de croissance économique potentiellement nuisible à l’environnement. Le raisonnement est ici intuitif : plus la création de richesse est accaparée par un petit nombre, plus le reste de la population aura le besoin de compenser cet accaparement par un surcroît de développement économique. Le besoin de croissance économique sera donc inutilement gonflé par l’inégalité. La situation récente des Etats-Unis à cet égard est particulièrement frappante. Les données produites par les économistes Emmanuel Saez et

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Thomas Piketty pour la période 1993-2011 montrent que 1 % de la population américaine a accaparé 75 % de la croissance économique. Une meilleure répartition des revenus aurait permis de diminuer la croissance totale nécessaire à la satisfaction des besoins de l’immense majorité des américains, et ainsi de réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays. Inégalité et insoutenabilité vont de pair. L’inégalité accroît l’irresponsabilité écologique des plus riches. En creusant l’écart de revenu et de pouvoir d’achat entre les habitants d’un même pays ou de deux pays différents, elle aggrave l’incitation à l’externalisation des coûts propres au capitalisme, au niveau national comme international. Parce que cet écart s’accroît, il est plus facile de transférer les dommages environnementaux des plus riches (individus ou pays) vers les plus pauvres. L’inégalité de revenu et de pouvoir agit alors comme une désincitation à la responsabilité écologique (…). Prenons l’exemple concret d’une entreprise confrontée à un choix de production : elle peut soit vouloir réduire l’impact écologiquement nuisible de sa production, soit vouloir minimiser le coût économique de la compensation du dommage qu’elle causera. L’inégalité de revenu et de pouvoir agira doublement pour l’inciter à localiser sa production dans une zone socialement défavorisée : d’une part parce que la disposition à payer pour la qualité environnementale y sera peu importante (la compensation d’un éventuel préjudice écologique y sera également minime) ; d’autre part parce que le risque d’une action collective qui pourrait s’opposer à cette production dommageable sera limité par la faible puissance politique des habitants. Le raisonnement vaut aussi au niveau international et constitue l’arrière-plan de nombreux épisodes catastrophiques trop humains, qu’il s’agisse du désastre chimique de Bhopal en décembre 1984 ou de la pollution du delta du Niger aujourd’hui. L’inégalité qui affecte la santé des individus, amoindrit la résilience social-écologique des sociétés et affaiblit leurs capacités collectives d’adaptation. De nombreux travaux récents confirment l’impact néfaste des inégalités sur la santé physique et mentale des régions et nations (…). La notion de résilience (…) désigne au sens large la capacité d’un système à tolérer un choc et à revenir à l’équilibre après celui-ci sans changer de nature. La vulnérabilité aux désastres dits « naturels » ou, plus généralement aux crises écologiques est souvent décrite comme la résultante de l’exposition au choc et de la sensibilité à celui-ci, ces deux éléments constituant l’impact potentiel du désastre sur un individu ou une collectivité. Pour avoir une idée de l’impact final du choc écologique sur les populations, il faut soustraire de cet effet potentiel la capacité d’adaptation et la résilience. Sur chaque terme de cette équation (exposition, sensibilité, résilience, adaptation), l’inégalité de revenu et de pouvoir a un effet négatif. Les inégalités conduisent en somme à un décuplement des dommages sociaux engendrés par les chocs écologiques. L’inégalité entrave les capacités d’action collective susceptibles de préserver les ressources naturelles. Selon la « logique de l’action collective » (Mancur Olson), un petit groupe d’individus riches seraient prêts à assumer le coût élevé de politiques environnementales ambitieuses, convaincus qu’ils seront ceux à en tirer le plus grand profit. Les plus riches ont en effet pour eux, sur le plan logistique, l’avantage du petit nombre. Un groupe plus large dont les revenus seraient hétérogènes, ne saurait, dans la perspective d’Olson, trouver les moyens de s’organiser efficacement pour préserver l’environnement. Ce modèle, qui pourrait laisser à penser que l’inégalité est favorable à la préservation des ressources naturelles, a pourtant été doublement démenti de façon très convaincante. D’une part, de nombreuses études montrent que l’inégalité est, dans les faits, néfaste à une gestion soutenable des ressources communes puisqu’elle désorganise et démobilise les communauté humaines. D’autre part, les travaux d’Elinor Ostrom révèlent que les bonnes institutions, celles qui permettent aux communautés de préserver à long terme les ressources naturelles essentielles à leur développement, sont, contrairement à ce que la logique de l’action collective pourrait laisser croire, fondées sur des principes de justice et de réciprocité. Enfin, l’inégalité réduit la sensibilité des plus modestes aux enjeux environnementaux et la possibilité de compenser les éventuels effets régressifs des politiques environnementales. Plus les inégalités de revenu sont importantes, moins il est aisé de sensibiliser les individus les plus défavorisés aux enjeux écologiques, enjeux qui supposent de projeter son bien-être dans le temps et de s’abstraire en partie des difficultés du présent. Dans une société où la pauvreté et la précarité s’accroissent, la sensibilité environnementale décline… naturellement.

Eloi Laurent, Le bel avenir de l’Etat-Providence, Les Liens qui Libèrent, 2014

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1.3 Les enjeux des problèmes écologiques

Document : un impact négatif sur la croissance de long terme

Source : Trésor-Eco « Conséquences économiques du changement climatique » n°30, Février 2008

Document : l’intérêt du rapport Stern (2006 – publié pour le Ministère des finances britannique)Le message du rapport Stern reste économiquement fondé : le laissez-faire en matière climatique coûterait bien plus de richesses à l'humanité que les mesures de prévention requises pour maîtriser puis réduire les émissions de gaz à effet de serre, à condition que celles-ci soient conçues de façon à en minimiser le coût économique. A l'appui de cette analyse, Stern mobilise efficacement la littérature existante pour livrer une évaluation qualitative très richement documentée sur les effets du réchauffement et n'hésite pas à prendre ses distances avec certaines règles bien établies du calcul économique pour en quantifier l'impact sur le PIB. La plus grande réussite du rapport est d'avoir porté le débat sur le terrain économique, à la fois en objectivant l'intérêt économique de l'action et en mettant au premier plan la question centrale de l'efficacité des politiques publiques en matière climatique.

Source : Trésor-Eco « Conséquences économiques du changement climatique » n°30, Février 2008

Document : L’urgence d’agir pour le climatElévation du niveau de la mer affectant des îles et des villes côtières, dérèglements climatiques, précipitations et sécheresses extrêmes, récoltes incertaines : nous avons tous à l’esprit les conséquences de la hausse des températures. Les coûts en seront économiques mais aussi géopolitiques, entraînant une migration et un fort ressentiment des populations les plus affectées. En l’absence de sursaut de la part de la communauté internationale, le changement climatique risque de compromettre de manière dramatique et pérenne le bien-être des générations à venir. Si les conséquences précises de notre inaction sont encore difficiles à quantifier, il est clair que le statut quo serait catastrophique. Alors que les spécialistes s’accordent pour dire qu’un réchauffement de 1,5 à 2°C est la borne supérieure de ce que nous pouvons raisonnablement accepter, le cinquième rapport d’évaluation du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), publié en 2014, estime que la température moyenne augmentera de 2,5 à 7,8°C avant la fin du 21 ème siècle. Nos émissions de gaz à effet de serre (GES) (…) n’ont jamais été aussi élevées. Limiter l’augmentation de 1,5 à 2°C représente donc un défi énorme, surtout dans un contexte mondial de croissance démographique forte et de désir légitime d’un nombre important de pays d’accéder au niveau de vie occidental. (…) Pour réussir donc, nous devrions transformer radicalement notre mode de consommation de l’énergie, la façon de nous chauffer, de concevoir et d’implanter nos logements, de produire des biens et des services, de gérer notre agriculture et nos forêts. A ces politiques d’atténuation destinées à réduire les émissions de GES, devront de surcroît s’ajouter des mesures d’adaptation, c’est-à-dire des actions pour lutter contre les impacts du réchauffement, par exemple

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la mise en place de réseaux d’alerte aux crues, le rehaussement de certains ponts en construction, la protection des zones humides, les changements de culture et la migration.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.263-265

Document : les problèmes écologiques renforcent les inégalitésSi les inégalités de revenu et de pouvoir contribuent puissamment à nos crises écologiques, elles s’incarnent aussi dans la montée en puissance des inégalités environnementales. La relation social-écologique est, rappelons le, à double sens. L’inégalité face aux nuisances et aux pollutions quotidiennes de l’environnement est ainsi considérable. C’est d’abord vrai sur le plan mondial : les études de l’OMS montrent que l’environnement affecte de manière significative plus de 80 % des principales maladies et déterminent notamment les facteurs déclencheurs des maladies chroniques, qui sont désormais à l’origine de près des deux tiers des décès annuels sur la planète. Le médecin et chercheur Paul Farmer (Harvard) fait observer dans ses travaux que de nombreuses maladies sont devenues, dans le monde en développement, des « symptômes biologiques de lignes de fracture sociales ». C’est ensuite vrai en Europe : la commission Marmot a établi en 2010 qu’un écart de 10 ans d’espérance de vie pouvait séparer les habitants des quartiers les plus favorisés de ceux des quartiers les plus défavorisés au Royaume-Uni (…). C’est enfin vrai en France, où deux types de résultats commencent à être articulés et soumis à l’attention des responsables politiques : le lien entre pollution d’une part et mortalité et morbidité d’autre part (…), et le lien entre exposition aux pollutions et indicateurs de défaveur sociale.La combinaison dynamique des dimensions sociale et environnementale de l’inégalité donne le vertige. Les travaux sur les effets de la pollution atmosphérique dans la région de Los Angeles mettent en évidence le lien entre exposition aux pollutions et résultats scolaires via les maladies respiratoires qui se développent chez les enfants (l’asthme en particulier). Plus vertigineuse encore, les résultats obtenue par la chercheuse de Princeton Janet Currie, qui propose une véritable théorie de la perpétuation social-écologique de la pauvreté : les enfants issus de familles défavorisées (appartenant souvent, aux Etats-Unis, aux minorités ethniques) ont de fortes chances de naître en mauvaise santé du fait de l’environnement malsain dans lequel la grossesse de leur mère se sera déroulée, cette faiblesse sanitaire infantile se traduisant par une scolarité heurtée et un parcours professionnel difficile. L’injustice se perpétue alors en cycle, d’inégalités environnementales en inégalité sociales.

Eloi Laurent, Le bel avenir de l’Etat-Providence, Les Liens qui Libèrent, 2014

1.4 Tenir compte des problèmes écologiques dans l’évolution du bien-être : la notion de développement durable

Document : Les grandes dates de la prise de conscience des problèmes environnementaux1968 : Paul Ehrlich publie The population bomb qui porte sur les liens entre la population humaine, l’exploitation des ressources et l’environnement. 1971 : Le conseil de l’OCDE décrète que ceux qui sont à l’origine de la pollution doivent en payer le prix (principe pollueurs-payeurs)1972 : Le Club de Rome publie Halte à la croissance qui soulève de vives controverses et prédit des conséquences désastreuses si la croissance n’est pas ralentie. Les pays développés critiquent le rapport parce qu’il ne tient pas compte des solutions technologiques et les pays en développement sont outrés parce qu’il appelle à l’abandon du développement économique. Cette même année se tient la conférence des Nations Unis sur l’environnement humain au cours de laquelle est créé le PNUE (programme des Nations Unies pour l’environnement). Cette conférence qui se déroule à Stockholm trouve ses racines dans les problèmes de pollution et de pluies acides en Europe du Nord1974 : Rowland et Molina publient leurs travaux sur le chorofluorocarbone (CFC), calculant qu’une poursuite de l’utilisation du CFC au rythme actuel causerait de graves dommages à la couche d’ozone. 1982 : Publication de la charte mondiale de la nature des Nations Unies. Elle adopte le principe selon lequel toute forme de vie est unique et doit être respectée quelle que soit la valeur qu’elle représente pour l’humanité. Elle appelle aussi à une meilleure compréhension de notre dépendance par rapport aux ressources naturelles et la nécessité de maîtriser leur exploitation. 1987 : Publication du rapport Bruntland (Notre avenir à tous). Le Protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone est adopté. 1988 : Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est constitué aux fins d’évaluer les données scientifiques, techniques et socioéconomiques les plus à Jour dans le domaine

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1992 : Sommet de la Terre à Rio de Janeiro. Les parties s’accordent sur Action 21, la Convention sur la biodiversité, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, la déclaration de Rio et les principes forestiers non contraignants. 1997 : Adoption du Protocole de Kyoto pour limiter les émissions de GES. 2000 : Objectifs du Millénaire pour le développement fixés par les Nations Unies. Parmi l’ensemble d’objectifs, un objectif cible les atteintes à l’environnement. Le singe colobe rouge de Miss Waldron est déclaré disparu. Il s’agit de la première extinction depuis plusieurs siècles d’un membre de l’ordre des primates dont font partie les humains. 2002 : Sommet mondial pour le développement durable à Johannesburg. 2005 : Entrée en vigueur du protocole de Kyoto. Il a force obligatoire à l’égard des pays développés qui sont parties aux objectifs de réduction des émissions de GES et il établit le mécanisme pour un développement propre pour les PED2006 : Le Rapport Stern défend de façon convaincante du point de vue économique l’argument selon lequel les coûts de l’inaction à l’égard des changements climatiques augmenteront jusqu’à 20 fois plus que ceux de la mise en oeuvre des mesures nécessaires pour faire face au problème aujourd’hui. La même année, la NASA signale le rétablissement de la couche d’ozone dû, en partie, à la réduction de la concentration d CFC découlant de leur élimination progressive en vertu du Protocole de Montréal. 2007 : Attention plus soutenue du public concernant les changements climatiques. Le documentaire de l’ancien vice-président américain, Al Gore, intitulé Une vérité qui dérange remporte l’Oscar du meilleur film documentaire. Les prévisions alarmantes du GIEC à propos de la santé de la planète font les manchettes. Le GIEC et M. Gore sont lauréats du prix Nobel de la Paix.

D’après https://www.iisd.org/pdf/2009/sd_timeline_2009_fr.pdf

Document : la réalisation du bien-être humain doit être soutenableC’est un rapport des Nations Unies publié en 1987 sous la direction de Gro Harlem Brundtland (alors premier ministre de Norvège) qui a posé les bases et formulé pour la première fois une définition générale de la soutenabilité, en introduisant ce que l’on appelle en France le développement durable. Le rapport, préparatoire au Sommet de la Terre de Rio (1992) met en exergue la notion de capacité limitée de l’environnement naturel à répondre aux « besoins » présents et futurs des humains. L’objectif n’est donc pas tant de « sauver la planète » que de ne pas compromettre la possibilité pour le plus grand nombre d’humains de continuer d’y vivre et d’y prospérer. (…)

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : l’émergence d’une nouvelle notion, le développement durableLe problème de la conciliation entre croissance économique, cohésion sociale et préservation des ressources naturelles est formulé dès 1971 par les experts du Club de Rome, une association privée internationale créée en 1968. Chargés de dresser un inventaire des difficultés auxquelles font face les sociétés, ces experts alertent alors les opinions publiques en publiant un rapport intitulé « Halte à la croissance ». Face à la surexploitation des ressources naturelles due à la croissance économique et démographique, ils prônent la croissance zéro. C'est dans ce contexte que se tient la Conférence des Nations Unies sur l'environnement humain en 1972, qui s'interroge sur les conditions d'un modèle de développement compatible avec l'équité sociale et la protection de l'environnement.En 1987, le rapport Brundtland (du nom de son instigatrice, alors premier ministre de Norvège) propose une définition du développement durable, qui fait encore référence : « un type de développement qui permet de satisfaire les besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs ».Deux concepts sont inhérents à cette notion, précise ce rapport :

- le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d'accorder la plus grande priorité

- l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.

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Source : INSEE, site internet

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2. Expliquer les problèmes écologiques et la destruction du capital naturel 

2.1 Comportements de passager clandestin et destruction des biens communs : une première série de défaillances de marché

Document : La tragédie des biens communs (Garrett Hardin – 1968)La source principale de risque d’extinction des ressources renouvelables tient dans la conjonction de deux phénomènes : le libre accès à la ressource et l’existence d’externalités de production. Une ressource renouvelable est en effet intermédiaire entre bien privé et bien public (ou bien collectif). Elle partage avec le premier son caractère rival qui fait que sa consommation par un agent l’interdit aux autres, et elle possède comme le second la difficulté d’exclusion de son usage. La capture d’un poisson supplémentaire par un pêcheur entraîne une diminution de la taille de la population (de poisson), donc de sa taille future, et conduit à rendre plus difficiles et donc plus coûteuses les captures ultérieures. On est là en présence d’une externalité de production, où l’activité d’un pêcheur a des conséquences sur l’ensemble des exploitants (on entend ici par externalité l’existence d’une différence entre le coût privé pris en compte par le pêcheur dans sa décision de capture et le coût social supérieur qui sera supporté par la collectivité du fait de sa décision). La combinaison de ces deux facteurs, externalité d’exploitation et accès libre, conduit à la «  tragédie des biens communs » analysée par Hardin.

Gilles Rotillon, Economie des ressources naturelles, coll. Repères, La Découverte, 2010

2.2 Externalités et absence de prix du carbone augmentent les émissions de GES : une deuxième série de défaillances de marché

Document : pollution et externalités négatives Dans nos économies de marché, le prix d’un bien remplit en principe une double fonction : il agit comme un signal envoyé aux producteurs et aux consommateurs, qu’il renseigne sur la rareté relative du bien ; et il permet l’évaluation des biens lorsqu’on cherche à faire des comparaisons ou des additions de biens disparates. (…) Or on sait maintenant, à la suite des travaux précurseurs de l’économiste britannique Arthur Pigou, que, dans de nombreuses circonstances, les prix de marché ne reflètent pas l’intégralité des coûts. C’est notamment le cas en présence des externalités : toutes les situations dans lesquelles les choix et les actions d’un individu ou d’une entreprise ont des conséquences induites sur le bien-être ou sur les coûts d’un autre individu ou d’une autre entreprise, conséquences qui ne sont pas prises en considération par celui qui les occasionne et qui ne reçoivent pas de prix sur le marché. L’exemple classique d’une telle situation d’externalité est justement celui de la pollution. (…) L’existence d’externalités entraîne donc une « inefficacité sociale », une « défaillance de marché » : l’équilibre atteint est sans doute optimal du point de vue des décideurs individuels mais ne l’est pas du point de vue de la collectivité tout entière.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

2.3 Asymétrie d’information, incertitude et absence de prix du carbone réduisent l’investissement dans la transition énergétique : une troisième série de défaillances de marché

Document : l’importance du soutien au secteur de l’énergie en raison des défaillances de marchéOn a pu montrer que des aides ciblant des secteurs à forte concentration de main d’œuvre qualifiée stimulent davantage la croissance. Un autre critère, étroitement relié au précédent, est celui de la contribution potentielle du secteur à la croissance de l’économie dans son ensemble (l’existence d’externalités technologiques). Ainsi, un premier domaine où l’intervention sectorielle s’impose naturellement est celui des énergies renouvelables et de l’environnement. Outre les externalités environnementales (une firme individuelle ne prend pas en compte les effets de son activité de production sur l’environnement et le climat), il y a une « dépendance historique » (path-dependance) dans le processus d’innovation technologique. Plus précisément, des entreprises ou individus qui ont innové dans les technologies polluantes dans le passé tendent à innover dans ces mêmes technologies dans le futur. Une étude récente utilise une base de données internationale sur les brevets dans l’industrie de l’automobile afin d’établir la dépendance historique qui caractérise les innovations propres et sales. Cette étude montre que

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si le prix du pétrole augmente (par exemple, à la suite d’une augmentation de la taxe carbone), les entreprises redirigent leurs innovations vers les brevets propres. En outre, la propension à innover de manière propres est positivement corrélée avec les stocks d’innovations propres déjà détenus, mais négativement corrélée avec les stocks d’innovations sales déjà détenus. En d’autres termes, on observe bien un effet de path dependance dans les activités innovantes des entreprises, puisque des entreprises qui ont précédemment investi dans des technologies pour les moteurs à combustion continuent d’investir dans ces technologies dans le futur, et inversement pour les entreprises qui ont investi dans des technologies pour les moteurs électriques. L’effet de path dependance dans l’innovation, couplé au fait que les entreprises ont jusqu’à présent investi principalement dans des innovations « sales », implique d’en l’absence d’intervention gouvernementale, nos économies tendent à générer trop d’inventions « sales ». C’est ainsi que nous avons pu montrer que l’équilibre d’une économie en « laisser-faire » est susceptible de conduire à des désastres environnementaux. Il est au contraire souhaitable que le gouvernement intervienne pour rediriger le progrès technologique vers les inventions propres. en fait, la politique optimale pour combattre le changement climatique est de combiner une taxer carbone et une politique de subvention des innovations propres.

Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.200

Document : l’existence d’un chemin de dépendance incite à agir vite pour stimuler la transition énergétique

Parmi ceux qui sont convaincus de la nécessité d’une transition énergétique mais reconnaissent en même temps qu’une telle transition est coûteuse, le débat achoppe souvent autour de l’arbitrage entre les coûts immédiats d’une intervention et ses bénéfices à long terme. Préfère-t-on supporter un coût maintenant et des bénéfices demain parce que l’on valorise davantage l’avenir que le présent, auquel cas il faut intervenir dès à présent pour préserver notre environnement, ou bien accorde-t-on davantage d’importance à notre bien être immédiat au détriment de notre bien être futur (et de celui de nos enfants), auquel cas, on différera toujours la lutte contre le réchauffement climatique ? Le rapport Stern, qui suppose une faible préférence pour le présent prône une intervention immédiate, tandis que l’économiste W.Nordhaus fait l’hypothèse d’une préférence plus forte pour le présent, ce qui le conduit à recommander des politiques plus graduelles. La prise en compte de l’innovation dans le débat sur le réchauffement climatique remet en cause le calendrier optimal des politiques environnementales. Elle incite à agir vite et par conséquent donne raison à N.Stern. En effet, ne pas intervenir induit non seulement une détérioration de l’environnement mais, de plus, en l’absence d’intervention de l’Etat, les entreprises continuent d’innover dans les technologies polluantes où elles ont déjà acquis une avance technologique. Et plus les technologies polluantes prennent de l’avance par rapport aux technologies vertes, plus les politiques environnementales requises pour redresser la barre et faire basculer l’économie vers les technologies propres seront coûteuses.

Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.91-93

Document : chemin de dépendance et marchés financiersPlusieurs indices montrent que les marchés financiers n’ont pas encore pris en considération l’ampleur du réchauffement climatique et de ses conséquences économiques. Ils continuent à financer massivement les énergies « sales » et ne répondent que partiellement aux besoins de financement de la transition vers une économie bas carbone. Ainsi entre 2011 et 2013, les investissements dans les énergies renouvelables ont diminué de 23% malgré les immenses besoins énergétiques de la planète ; de ce fait, l’écart cumulé entre besoins de financement et financement apportés augmente. (…) Ce déficit de financement a été qualifié par le Programme des Nations Unies pour l’environnement de « mauvaise allocation flagrante des capitaux. (…) Comment comprendre ce défaut de prise en compte des enjeux climatiques ? il faut se référer à ce que les économistes appellent des imperfections de marché. Ces imperfections désignent l’ensemble des phénomènes susceptibles d’entraîner de mauvaises décisions de la part des acteurs, en raison de la structure du marché ou de défaillances informationnelles. Le climat cumule la quasi-totalité des catégories d’imperfections dégagées par les économistes : déficit d’information, dispositifs incitatifs qui favorisent la performance à très court terme, caractère de bien public global du climat à l’origine d’incapacités à décider et de comportements de « passagers clandestins », les uns comptant sur les autres pour initier des actions et en assumer les coûts. Ajoutons que les marchés ont longtemps perçu le risque climatique comme une incertitude, c’est-à-dire une menace non probabilisable.

Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p. 141

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Document : prix du carbone et marché incompletL’incertitude politique et l’inaptitude des marchés financiers pour investir dans les infrastructures environnementales constituent un double handicap. (…) Les investissements verts ont des handicaps supplémentaires. Le plus rédhibitoire est l’inexistence ou l’inadéquation du prix du carbone déterminé sur le marché des droits à polluer. (…) Sans une valorisation crédible suffisante du carbone, garantie par les gouvernements et croissante dans le temps, et sans arrêt des subventions aux énergies fossiles, ces investissements sont dominés par les infrastructures existantes. Pour rediriger l’épargne dans les investissements bas carbone, il faut abaisser les profils de risque des projets pour les investisseurs sans surcharger les contribuables.

Source : M.Aglietta « Sortir de la crise et inventer l’avenir », Michalon, 2014, p. 288

Document : les défaillances de l’Etat se rajoutent aux défaillances de marchéLa régulation des marchés, la fiscalité et les subventions n’ont pas encore été adaptées au monde post-énergies fossiles. A titre d’illustration, les subventions pour les énergies propres atteignent 100 milliards de dollars par an, contre 600 pour les énergies fossiles. Ce ratio, défavorable à la transition énergétique, se retrouve dans différentes formes de politique publique : la politique industrielle à travers les subventions aux exportations, le soutien à l’innovation à travers les subventions à la recherche. Il ne faut donc pas opposer l’inefficience des marchés au volontarisme des Etats : marchés et Etats doivent travailler à mieux intégrer les enjeux climatiques et sont appelés à évoluer ensemble.

Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p.145

2.4 Les individus ont une préférence pour le présent au détriment de l’avenir

Document : la dimension temporelle du calcul coût/bénéficesSi les politiques publiques comme les choix privés se font sur la base d’un calcul coût-bénéfices, le contexte de la soutenabilité est comparable à celui des décisions d’investissement, elles ont une dimension temporelle. On ne peut donc se contenter de comparer simplement les coûts supportés aujourd’hui avec les bénéfices futurs, d’autant que ceux-ci sont hypothétiques et susceptibles de profiter à des générations qui ne sont pas encore nées, donc pas parties prenantes à la décision. Dès lors que l’analyse coûts-bénéfices a une dimension temporelle, on ne peut comparer directement les sommes qui surviennent à des dates différentes, en raison de ce que les économistes appellent la « dépréciation du futur » : les sommes placées aujourd’hui rapportent un intérêt ; les individus ont également une « préférence pour le présent » qui leur fait préférer une somme aujourd’hui à la promesse de la même somme dans le futur. Il convient donc de convertir les sommes futures en leur montant équivalent actuel. (…) Le taux d’actualisation est donc le prix du temps. Lorsque ce calcul concerne des décisions privées, d’investissement par exemple, il est usuel de choisir une valeur du taux d’actualisation proche du taux d’intérêt observé sur le marché, dans la mesure où l’alternative à une telle décision est la possibilité de placer la somme dont on dispose à ce taux. Mais comment choisir le taux d’actualisation applicable à des décisions publiques, comme les politiques environnementales, et aux évaluations de phénomènes dont les conséquences sont, par nature, souvent très lointaines dans l’avenir et entachées, dans tous les cas, d’une incertitude qui tient avant tout aux limites de notre savoir ? C’est un choix politique. (…) Bien sûr, les générations futures seront plus riches que nous, si la croissance économique se poursuit comme cela a été le cas dans les siècles passés, mais les dommages qu’elles subiront du fait de nos actes doivent aussi être mis en balance avec les coûts des mesures que nous pouvons prendre pour éviter ces dommages. Si le taux d’actualisation choisi varie de 1,4% à 6% on assiste à une différence de 1 à 10 dans l’évaluation des gains ou des pertes.

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Le danger de cet instrument qu’est l’actualisation est donc évident : dès lors que l’on s’intéresse à des coûts survenant à des dates suffisamment éloignées dans le temps, choisir une valeur positive, même très faible, du taux d’actualisation conduit à minimiser les coûts supportés par les générations futures, au regard des éventuels bénéfices que les projets analysés sont susceptibles de procurer aux générations présentes. (…) La controverse suscitée par le Rapport Stern (2007) qui tentait d’évaluer les coûts et les bénéfices des politiques climatiques a eu le mérite de montrer que le choix du taux d’actualisation social était déterminant dans l’évaluation. Elle a aussi permis de mettre en pleine lumière cette question de l’incertitude. Martin Weitzman a ainsi montré que si le changement climatique augmentait la probabilité d’évènements climatiques aux effets catastrophiques, alors il convenait de retenir une valeur très basse, voire nulle, de la préférence pour le présent  : c’est, en quelque sorte, une application opérationnelle du principe de précaution. Lorsque l’incertitude est grande, ce qui est le cas dans la plupart des contextes de l’évaluation de la soutenabilité, la prudence est de mise et le taux d’actualisation doit être très faible.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : la schizophrénie de l’opinion publique Pour engager sérieusement la lutte contre le réchauffement climatique, la première démarche est sans doute de donner aux citoyens les signaux qui rendent le changement non seulement souhaitable mais acceptable. (…) Mais il existe une schizophrénie dans les opinions publiques entre la prise de conscience du dérèglement climatique, qui appelle l’action des gouvernements, et la préférence indécrottable pour le présent qui freine les initiatives et aboutit à un certain immobilisme. Les responsables politiques ont d’ailleurs bien senti qu’il était contre-productif de résoudre le défi climatique sous la forme d’une « pénalité » ou d’une « punition » (…). Il apparaît donc avisé de changer de méthode en mettant, par exemple, l’accent sur les créations d’emploi. Mais peut-on réellement parier sur les retombées, les innovations, les investissements, les emplois de la «  croissance verte » ? (…) Une épargne abondante est disponible, prête à s’investir, mais les investissements qui pourraient stimuler cette « croissance verte » sont découragés par le manque de visibilité en particulier pour le paramètre central, le prix du carbone. La lutte contre le réchauffement climatique change indubitablement la politique, mais ce changement se présente à ce jour sous une forme paradoxale puisqu’un consensus assez large sur sa réalité semble établi dans les opinions publics et les médias … alors que les décisions politiques, soumises aux froids calculs des électeurs et des élus, sont plutôt marquées du sceau de l’attentisme voire de l’immobilisme.

Source : ss la direction de Jacques Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme » Eyrolles, 2015, p.19

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Document : les difficultés « d’accumulation » du capital naturel

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Conséquence négative sur l’accumulation de capital naturel

Le capital socialLe capital institutionnel

Incitation / impact sur le calcul coûts-avantages des AE

Deux problèmes :

L’activité économique s’accompagne de comportements de passager clandestin, d’externalités, d’asymétries d’information qui provoquent des problèmes écologiques

Comment modifier les comportements des AE pour réduire ces défaillances de marché ?

La préservation du bien-être futur nécessite des dépenses au temps présent : quel montant de dépenses est-on prêt à fournir ? si la préférence pour le présente est forte, la dépense pour le future sera faible ;

Comment augmenter la préférence pour l’avenir ?

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3. Comment rendre compte d’une dynamique de développement durable ? Mesurer le bien-être et sa soutenabilité

3.1 Les limites du PIB 3.1.1 Ce que le PIB ne mesure pas

Document : en deçà, à côté et au delà du PIBLe changement climatique, les atteintes à la biodiversité et à la dégradation des écosystèmes entament chaque jour un peu plus, dans la méconnaissance générale, notre qualité de vie future et celle de ceux qui nous suivront. (…) « Le retour de la croissance » que l’on annonce en France pour 2015 et 2016 sera une attente déçue. L’enjeu n’est donc pas de tenter de forcer l’allure en alimentant une chaudière poussive au besoin en désossant la coque de notre navire mais de se doter d’une boussole fiable pour éviter le naufrage et naviguer aussi paisiblement que possible sur les eaux du nouveau monde économique. Les indicateurs de bien-être et de soutenabilité, qui visent à aller au delà du PIB sont parfois perçus ou caricaturés comme d’amusants gadgets. Ils sont bien plus que cela : ce sont des vecteurs de transition et des viatiques démocratiques. La mesure précise et pertinente du bien-être et de la soutenabilité est en effet une dimension essentielle de la qualité du débat public. (…) Les indicateurs économiques conventionnels (comme le PIB) peuvent être utiles pour comprendre une partie de la réalité, mais cette partie est bien trop limitée et se réduit comme peau de chagrin à mesure que montent en puissance les défis écologiques. On connaît les critiques classiques adressées au PIB qui découlent de sa dénomination même : le produit intérieur brut. (…) On peut corriger ces défauts et améliorer le PIB. Mais le véritable enjeu consiste à le dépasser dans trois directions. « En deçà du PIB » émergent les déterminants profonds du développement humain qui sous-tendent l’accumulation quantitative des facteurs de production et l’amélioration qualitative de leur assemblage nécessaire à l’accroissement du niveau de production. Les institutions, la géographie, l’ouverture internationale se combinent depuis des siècles pour ouvrir ou fermer la possibilité de l’expansion économique.« A côté du PIB » prospère ou non le bien-être humain qui dépend bien plus de la santé et de l’éducation que de l’accumulation du revenu et qui n’y est pas réductible. (…) Augmenter le PIB ne suffit pas à se développer humainement, il y faut des politiques spécifiques qui se donnent pour objet direct l’éducation, la santé, les conditions environnementales ou encore la qualité démocratique. Sans la considération de cette pluralité du bien-être, une dimension, généralement la dimension économique, s’impose aux autres et les écrase, mutilant le développement humain. « Au-delà du PIB » se dessine l’enjeu écologique : que nous importe un taux de croissance de 10% du PIB si les écosystèmes, l’eau, l’air qui sous-tendent notre bien-être sont ravagés ? Que nous importe la croissance si la vie même devient impossible ? Ou pour le dire avec les mots du ministre de l’Environnement chinois Zhou Shengxian en 2011 : « Si notre terre est dévastée et que notre santé est anéantie, quel bienfait nous procure notre développement ? »

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.10-13

Document

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Conditions de la croissance : « En deçà du Pib »

Croissance : mesurée par le PIB

Autres dimensions du bien-être : « A côté du PIB »

« Au-delà du Pib »

Le développement = augmentation du bien-être humain (élargir les choix qui s’offrent aux individus de mener la vie qu’ils souhaitent)

Le développement durable= augmentation du bien-être humain de

génération en génération

La qualité des institutions et du capital social a des conséquences sur le développement économique

Enjeu écologique du développement humain 

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3.1.2 Mesurer le bien être économique autrement

Document : du Pib au niveau de vie des ménagesDistinguer PIB et revenu, c’est établir une distinction entre la production de richesses et leur répartition effective entre les membres de la société. Mesurer le revenu, c’est évaluer le revenu des ménages, c’est-à-dire le revenu qui leur parvient effectivement au terme du processus de création de richesse économique (la production). Le grand partage social de la richesse commence entre salaires et profits. (…) On peut encore affiner le diagnostic en mesurant dans l’ensemble des profits la part qui revient à la finance représentée par la distribution de dividendes des entreprises à leurs actionnaires. (…) Mais y a-t-il vraiment une différence entre la mesure du développement économique à partir du PIB, des profits, de la progression des marchés financiers et du revenu des ménages ? Ne peut-on pas dire que ces grandeurs évoluent dans le même sens ? La réponse est négative, et elle l’est d’autant plus dans la période actuelle. Un détour par les derniers chiffres de l’économie américaine permet de s’en convaincre.

Les données disponibles sur les Etats-Unis sont tout à fait claires : la régression du revenu des ménages résulte autant de la part de la richesse revenant aux entreprises et captée par la finance que de celle qui est accaparée par les plus hauts revenus. L’économiste Emmanuel Saez a montré que depuis la reprise de la croissance du PIB en 2010, 90% des gains de revenu ont été captés par le 1% supérieur de la distribution des revenus. Autrement dit, la « reprise » économique est un mirage pour 99% des citoyens américains, qui n’ont vu leur revenu augmenter que de 0,8% entre 2009 et 2012 tandis que les revenus du 1% les plus riches augmentaient d’environ 35% dans le même temps (soit 45 fois plus). Il s’agit là de la reprise économique la plus inégalitaire depuis que les statistiques économiques modernes existent. La croissance du PIB américain ne nous dit rien de ces phénomènes d’inégalité. (…) Les données européennes nous invitent à une décomposition plus fine des éléments qui forment le revenu des ménages, celui-ci comprenant au moins trois composantes principales  : le revenu tiré des activités marchandes, les impôts et cotisations versés et enfin les prestations sociales perçues. Le revenu des ménages ne se limitent pas au revenu marchand mais est correctement mesuré par le «  revenu disponible brut ». (…) Dans le cas français, une décomposition du revenu des ménages entre les années 2010 et 2013 montre une perte totale de revenu de plus de 1600 euros, qui s’explique par une baisse du revenu marchand, une hausse des prestations sociales et une hausse de la fiscalité. Les trois effets se cumulent donc ici : la crise économique qui se poursuit et explique la perte du revenu marchand, le soutien de l’Etat providence qui vient compenser cette baisse et la politique d’austérité qui s’est traduite par une hausse de la fiscalité. Alors même que pendant la période 2010-2013, le PIB affiche une progression de 1,2% en moyenne.

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Il importe de prendre en considération au moins deux éléments nouveaux pour apprécier à sa juste mesure la situation réelle des français et passer du revenu disponible brut au niveau de vie, qui est le revenu tel qu’il est vécu par les personnes. Le premier élément est l’inflation, (…) le deuxième élément est la partie des ménages qui est dite « contrainte » ou « préengagée ». Ces dépenses représentent en moyenne 30% du budget des français et leur part a doublé au cours des dernières décennies, sous l’effet de la hausse des dépenses de logement.(…) Une fois pris en compte ces éléments, le niveau de vie des ménages recule de 2,3% en 2012, tandis que le PIB lui augmente de 0,4%. L’écart entre l’indicateur de référence du débat public et celui qui mesure le revenu vécu des français s’établit à près de 3 points de pourcentage, la différence entre une croissance faible et une récession profonde ! Comment s’étonner dans ces conditions du malaise démocratique français ? on mesure l’écart qui se forme entre un discours politique fondé sur les chiffres de la croissance du PIB et la réalité quotidienne des citoyens. (…) Utiliser de mauvais indicateurs économiques, c’est courir le risque de parler à ses concitoyens dans une langue étrangère.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.10-13

Document : quel indicateur pour mesurer le bien-être économique ?

3.1.3 Le bien-être ne se résume pas à un bien-être économique

Document : la notion de développement humainPour Mahbub ul Haq, co-concepteur avec Sen du premier Rapport mondial sur le développement humain de 1990, « le principal objectif du développement est d’élargir les choix qui s’offrent aux gens. (…) Les gens attachent de la valeur aux réussites qui ne transparaissent pas du tout, ou immédiatement, dans les chiffres relatifs aux revenus ou à la croissance économique : un meilleur accès aux connaissances, une meilleure nutrition, de meilleurs services de santé, des moyens d’existence plus sûrs, une certaine sécurité contre la criminalité et la violence physique, du temps libre bien rempli, des libertés politiques et culturelles et un sentiment de participation aux activités de la communauté. L’objectif du développement est de créer un

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Le PIB PIB/hab Revenu des ménages RDB Niveau de vie

Tenir compte de la répartition des revenus primaires et des inégalités de revenus

Tenir compte de la taille de la population

Tenir compte de la redistribution des revenus

Tenir compte de l’inflation et des dépenses préengagées

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environnement favorisant l’épanouissement pour que les gens puissent jouir d’une vie longue, saine et créative ». Le développement devient, avec cette approche qui dépasse le seul revenu, le processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent les individus. (…) L’emploi reste, dans les économies développées, la principale source de revenu, d’insertion sociale et d’épanouissement personnel. Dès lors, l’accès de tous ceux qui le souhaitent à un emploi doit demeurer l’un des objectifs premier de toute politique économique et sociale. (…) Mais ces politiques ne doivent pas se contenter de poursuivre un objectif quantitatif de création d’emplois, condition nécessaire mais non suffisante du progrès humain : elles doivent aussi viser à en améliorer la qualité. La santé est sans doute la dimension du bien-être humain la plus intuitive, celle que tout un chacun reconnaît d’emblée comme la plus essentielle. (…) La santé a une dimension directe et indirecte : elle procure directement du bien-être via la longévité et elle garantit indirectement le bien-être économique via la capacité de travailler et donc de « gagner sa vie ». il n’est donc guère surprenant de voir la santé sous forme de « capital humain ». (…) L’IDH présente le grand intérêt d’aborder l’enjeu du développement en agrégeant ensemble trois dimensions : le revenu, la santé et l’éducation. (…) L’éducation occupe un place à part parmi les dimensions du bien-être humain pour deux raisons principales. La première est qu’elle représente à la fois un bénéfice immédiat et la promesse d’un bien-être futur. La seconde est que l’éducation est à la fois un accomplissement personnel et une réalisation sociale. (…) Le bonheur est assurément la dimension du bien-être humain la plus insaisissable. (…) Le point de départ de toute étude sur le bonheur doit donc être la reconnaissance de sa polysémie et de sa pluralité. L’étude des relations entre bonheur et revenu se révèle précieuse car elle permet d’éclairer les relations entre indicateurs objectifs et subjectifs de bien-être. (…) Le paradoxe d’Easterlin permet d’éclairer cette question. il se compose de (…) constats empiriques. Le premier constat est que les plus riches dans une société donnée à un moment donné, se déclarent plus heureux que les plus pauvres. (…) Cependant, deuxième constat, à mesure que le revenu augmente dans le temps pour un pays donné, les individus ne se déclarent pas plus heureux. (…) Il n’y a donc pas de relation mécanique au cours du temps entre accroissement du revenu et accroissement du bonheur. (…) Compte tenu de la nature actuelle de la croissance économique des pays, l’augmentation a des conséquences environnementales néfastes alors même que le progrès qu’elle induit en matière de bonheur est très faible. Pour le dire clairement, les chinois ont beaucoup perdu de leurs ressources environnementales les plus vitales sous l’effet d’une croissance effrénée pour un gain en termes de bonheur qui paraît limité. (…) Si la relation entre bonheur et revenu est forte lorsque seules ces deux variables sont mises en présence, elle s’efface devant l’importance des relations sociales et de la jouissance des libertés civiles dès que ces autres déterminants sont pris en considération. Si les pouvoirs publics veulent augmenter le niveau de bonheur des citoyens, il est donc plus important d’améliorer directement ces dimensions plutôt que d’augmenter le revenu. (…) La confiance est tout autant un déterminant qu’une dimension du bien-être humain. on peut désirer la confiance pour elle-même comme pour ce qu’elle permet d’accomplir dans les sociétés humaines. La confiance est la clé de la coopération sociale. Elle domestique l’incertitude attachée aux conduites humaines pour la transformer en risque acceptable ou non. Elle favorise la réciprocité et accélère les transactions de tous les ordres. Ce faisant, elle libère la puissance de l’intelligence collective qui est au cœur de la prospérité. (…) La confiance est à la fois un moyen et un résultat du bien-être, ce que l’on appelle parfois le « capital social ». (…) Les institutions sont les formes concrètes de la coopération sociale, l’incarnation des règles et des principes qu’une société se donne à elle-même pour se gouverner et se projeter dans le temps. Elles sont (DC.North) « les contraintes humainement formées qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales ». (…) Elles sont les règles du jeu et du progrès social, un jeu pratiqué par les personnes mais aussi les organisations comme les entreprises, les syndicats ou encore les associations. En mesurant la qualité des institutions, on entend dépasser les indicateurs économiques pour adopter une perspective longue du développement humain, qui n’est pas durable sans des institutions de qualité, à commencer par les institutions les plus élémentaires qui garantissent l’ordre public et la paix civile, telles que la police et la justice, la défense et la diplomatie. (…) Un enjeu important pour les pays en développement est la question de la justice sociale ou de l’égalité, qui dépasse la question des droits politiques et des libertés civiles pour évaluer les démocraties dans leur deuxième âge, celui des droits sociaux.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.20-126

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Document : le développement améliore le bien-être des individusJ’emploie le terme bien-être pour désigner toutes les choses bonnes pour un individu, tout ce qui rend la vie meilleure. Cela inclut le bien-être matériel, comme le revenu et la richesse ; le bien-être physique et psychologique, représenté par la santé et le bonheur, l’éducation et la capacité à participer à la vie de la société civile par le biais de la démocratie et de l’état de droit.

Source : Angus Deaton « La Grande Evasion. Santé, richesse et origine des inégalités » Puf, 2016

Document : les autres dimensions du bien-être humain

Document : l’exemple de la ChineNous vivons encore sous le règne du PIB mais force est de constater que le nouveau monde économique est en train d’être défriché sous nos yeux. Nul pays n’illustre mieux la révolution du bien-être et de la soutenabilité en cours que la Chine, qui est véritablement entre deux mondes, celui de l’économie du 20 ième siècle et celui du 21ième siècle, en train de basculer de l’un vers l’autre. Ainsi donc, si l’on en croit les récents calculs du FMI, la Chine a ravi en 2014 aux Etats-Unis la place de première puissance économique mondiale mesurée par le PIB. (…) Mais la Chine est l’illustration parfaite des raisons pour lesquelles le PIB doit être dépassé en ce début de 21 ième siècle. Mieux encore : les dirigeants chinois en paraissent convaincus ! Pour commencer la taille de l’économie chinoise ne nous dit rien du bien-être économique réel des chinois. (…) Or on constate que le revenu par habitant en Chine est non seulement 10 fois moins important qu’en Suède (la Chine est classée 121ième pays) mais qu’il est en outre deux fois plus inégalement réparti. (…) Le bien être humain ne se limite pas ailleurs pas au bien-être économique. Dans des dimensions aussi essentielles pour le développement que la santé et l’éducation, la Chine se situe nettement derrière le groupe des nations les plus avancées. Des indicateurs comme le bonheur des habitants relèguent la Chine au même rang (fait notable : alors même que le revenu par habitant a été multiplié par 4 ces 20 dernières années, les indicateurs de bonheur des Chinois ont eu tendance à reculer). Lorsque l’on élargit la focale pour envisage le progrès social, et notamment la question des libertés civiles et des droits politiques, la situation apparaît encore plus dégradée : la Chine se classe parmi les 5% des pays les moins libres de la planète.Enfin, et serait-on tenté de dire surtout, les dégradations environnementales massives dont la Chine est le théâtre depuis les années 1990 font douter que la première puissance économique du monde puisse le demeurer longtemps. Apprécié sous l’angle non plus seulement du niveau de vie statique mais du développement soutenable, le modèle de croissance chinois de ces dernières années s’apparente à une véritable autodestruction. (…) La bonne nouvelle pour l’avenir vient du fait que les dirigeants chinois ont désormais accepté cette réalité  : en conséquence, ils abaissent leur objectif de croissance du PIB pour rehausser leurs objectifs de développement. Le pouvoir chinois a ainsi adopté depuis 2006 ce qui revient à un tableau de bord de développement soutenable comprenant des cibles environnementales qui viennent compléter les objectifs économiques et sociaux que se fixe le pays. Cette nouvelle stratégie de développement « harmonieux » qui reconnaît que la croissance économique a marche forcée finira par anéantir le développement humain a été très clairement explicitée dès 2006 par le Premier Ministre Wen Jiabao.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.240

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Bien être humain dépend

Bien être « économique » : du Pib au niveau de vie des ménages

Bien être non « économique » : éducation, santé, emploi, bonheur, confiance, institution

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3.2 Définir un indicateur de soutenabilité du développement

3.2.1 La « véritable richesse des nations » et sa transmission

Document : l’ensemble des « capitaux » transmis aux générations suivantesConstruire une mesure de la soutenabilité globale sous la forme d’une indicateur unique suppose que l’on définisse précisément ce qui permet aux générations présentes et futures de subvenir à leurs besoins, ou, dans une optique plus large, d’assouvir leur aspiration au bien-être. (…) De même que les économistes ont l’habitude de penser la fourniture de biens et services comme nécessitant l’utilisation, dans le processus de production d’un stock de capital productif (outils, machines, bâtiments), les différentes personnes qui participent à la production, avec leurs qualifications ; la fourniture des autres composantes du bien-être peut être comprise comme le résultat de la mobilisation de stocks de capitaux de nature différente : le capital naturel, qui fournit aux humains les ressources naturelles, l’environnement et tous les bénéfices qu’il recèle, et le capital social, constitué des institutions, modes d’organisation sociale, de toutes les habitudes, traditions, pratiques culturelles qui régissent la vie en société et les rapports des individus entre eux au sein de ces sociétés humaines. La somme de toutes ces composantes (le capital productif produit par l’homme, le capital humain, le capital naturel, le capital social) constitue la « véritable richesse des nations » ; c’est cet ensemble de capitaux qui, combinés en mobilisant les techniques et les savoirs disponibles, assure aux générations présentes la couverture de leurs besoins et leur fournit le bien-être dont elles jouissent. C’est donc aussi cet ensemble de « moyens de bien-être », ces stocks de capital, qu’il convient de préserver, voire d’accroître, et de léguer aux générations futures pour qu’elles puissent, à leur tour, satisfaire leurs besoins et jouir d’un bien-être au moins égal au nôtre : c’est en somme le patrimoine de l’humanité.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : l’amélioration du bien-être humain dans le temps

3.2.2 Mesurer l’évolution de la « véritable richesse » : une lecture par les flux ou par les stocks ?

Document : l’analyse par les fluxLes tentatives de construction d’indicateurs synthétiques alternatifs au PIB incluant des dimensions autres que la production et la consommation recensées par les comptables nationaux ont des origines diverses. En 1972, Tobin et Nordhaus avaient proposé d’élargir le champ d’évaluation en incluant dans leur mesure du « bien-être économique soutenable » des éléments du capital naturel et du capital humain. (…) Des progrès considérables ont été depuis lors accomplis dans la collecte et l’analyse de données sur l’environnement, les ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

Réalisation du bien-être humain au temps t

Réalisation du bien-être humain au temps t+n

Transmettre des capitaux qui sont des « moyens de bien-être » : Le capital physiqueLe capital humain Le capital technologiqueLe capital naturel

La « véritable richesse des nations » : le patrimoine qui sera transmis =

Le « capital total »

Les incitations à l’accumulation / transmission de ces capitaux dépendent : Le capital socialLe capital institutionnel

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ressources naturelles, les écosystèmes et la nature et l’ampleur des atteintes que les activités humaines infligent. Parallèlement les comptables nationaux ont affiné et harmonisé les méthodes d’évaluation économiques de certains des flux de nuisance … Même si les prix retenus pour estimer la valeur économique de ces flux sont sujets à discussion, leur évaluation fournit une base commune pour la publication d’une nouvelle comptabilité nationale, tel que le « PIB vert » qui retranche à la mesure usuelle de la croissance, une évaluation monétaire de plusieurs flux prélevés sur les ressources naturelles et des pollutions infligées à l’environnement.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : le PIB vertDans le cadre de la conférence Rio +20, l'ONU a présenté un indice « vert » mesurant la richesse économique mais aussi le capital naturel des 20 pays les plus développés. L'adoption de ce nouveau type d'indicateur est loin d'être acquise.Peut-on encore parler de croissance économique en faisant fi du niveau de consommation des ressources naturelles et de leur disparition quasi irréversible ? Ce n'est pas l'avis des Nations unies. Mettant à profit la conférence sur le développement durable, Rio +20, qui se tient jusqu'au 22 juin, les experts du Programme des nations unies pour l'environnement (PNUE) y ont présenté un indicateur permettant de mesurer le niveau de richesse globale - Inclusive Wealth Index (IWI) -d'un Etat. Une sorte de produit intérieur brut (PIB) vert qui agrège toute une série de valeurs liées au niveau de production manufacturière d'un pays, mais aussi au capital humain et environnemental dont il dispose. « Cet indice exprime le véritable niveau de richesse d'une nation et sa capacité à soutenir durablement sa croissance ", estime le PNUE. A la différence du sacro-saint PIB, basé sur le court terme, et de l'indice de développement humain (IDH), calculé à partir de l'espérance de vie, du niveau d'éducation et du niveau de vie.Dans son rapport, le PNUE s'est intéressé à la richesse globale de 20 pays (voir tableau) qui, à eux seuls, représentent 56 % de la population mondiale et pèsent près des trois quarts du PIB de la planète, et ce sur la période 1990-2008. Qu'y découvre-t-on ? Tout d'abord que le taux de croissance de la Chine, des Etats-Unis, de l'Afrique du Sud et du Brésil s'accompagnent d'une érosion « significative » de leur « bas de laine » environnemental constitué d'une série de ressources renouvelables et non renouvelables : pétrole, forêts, stocks de poissons, minerais. Sur la période couverte, le niveau de ressources naturelles par habitant a ainsi baissé de 33 % en Afrique du Sud, de 25 % au Brésil, de 20 % aux Etats-Unis et de 17 % en Chine. De tous les pays étudiés, le Japon est le seul à n'avoir pas vu son « capital nature » diminuer, du fait d'une augmentation de sa couverture forestière.Le PIB progresse plus que l'IWI Sur la même échelle de temps, le produit intérieur brut a bondi de respectivement 442 %, 37 %, 31 % et 24 % en Chine, aux Etats-Unis, au Brésil et en Afrique du Sud. Des scores bien supérieurs à ceux que ces mêmes pays enregistrent en termes de « PIB vert » cette fois. Celui de la Chine n'augmente plus en effet que de 45 % et celui du Brésil de 18 %. Celui des Etats-Unis progresse encore plus lentement (+13 %), tandis celui de l'Afrique du Sud décline même (-1 %). Au bout du compte, l'IWI ou « PIB vert " confirme que c'est chez les pays à forte croissance économique que les ressources naturelles connaissent une dégradation rapide, et qu'un fort taux de croissance démographique compromet les perspectives de développement durable. C'est notamment le cas pour le Nigeria et l'Afrique du Sud. A noter aussi que les premiers pays à s'être industrialisés, et ce en commençant par puiser dans leurs ressources domestiques, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, n'ont plus qu'une part très faible de capital naturel. D'où le fait qu'ils figurent plutôt en haut du classement pour leur IWI. Mais la Chine les devance, et les autres pays émergents (Inde, Brésil) figurent aujourd'hui dans le peloton de tête.@JolCossardeaux (1) Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Australie, Brésil, Canada, Chili, Chine, Colombie, Equateur, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Inde, Japon, Kenya, Nigeria, Norvège, Russie et Venezuela.

source : https://www.lesechos.fr/19/06/2012/LesEchos/21208-041-ECH_a-rio--l-onu-presente-un-nouvel-indicateur--le---pib-vert--.htm#qStZT57PHl5Spp4Q.99

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Document

source : https://www.lesechos.fr/19/06/2012/LesEchos/21208-041-ECH_a-rio--l-onu-presente-un-nouvel-indicateur--le---pib-vert--.htm#qStZT57PHl5Spp4Q.99

Document : un indicateur pour mesurer l’impact de l’activité humaine sur la terre, l’empreinte écologique

Certains chercheurs ont eu l’idée d’évaluer l’ampleur des « traces » des activités humaines à l’aide d’indicateurs appelés « empreintes » dont le plus connu est « l’empreinte écologique ». Il s’agit de mesurer la pression qu’exercent la vie et les activités humaines sur l’environnement naturel, soit sur un phénomène spécifique et bien identifié (par exemple l’empreinte carbone, pour évaluer la pression sur le climat) soit en s’efforçant d’inclure et de synthétiser différentes dimensions des atteintes à l’environnement global et aux ressources naturelles. (…) L’attrait de cette évaluation par empreinte tient à ce qu’elle permet, en principe, d’évaluer la « capacité biologique » de la planète, représentant l’offre disponible de ressources naturelles et de services écosystémiques, et de la comparer à ce que nécessiterait (…) la consommation effectivement observée : l’écart entre cette « offre biologique » et la « demande » émanant des consommations humaines donne une indication sur la « pression excessive » de ces dernières sur les capacités naturelles de la planète. (…) L’évaluation de l’empreinte écologique indique ainsi que depuis 1980 l’humanité a dépassé la capacité biologique de la planète et « surexploite » désormais, et de plus en plus, les ressources biologiques disponibles. (…) Même si elles sont fondée sur une méthodologie discutable (…) ces empreintes pointent vers l’enjeu essentiel : la « résilience » de la planète, c’est-à-dire sa capacité d’endurance. La démarche adoptée par l’approche dite des « limites planétaires » peut être vue comme une généralisation de celles des empreintes qu’elle améliore de différentes manières. (…) Cet indicateur fait clairement apparaître les quatre domaines dans lesquels, en l’état actuel de nos connaissances scientifiques, les risques sont élevés  : les atteintes à la biosphère, et les perturbations des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore, l’utilisation des sols et le changement climatique,

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

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Document : l’empreinte écologique

Source : université de Valenciennes

Document : l’épargne nette Ces indicateurs corrigés ne sont toutefois pas des indicateurs de soutenabilité : tout au plus nous renseignent-ils sur la vraie valeur nette de ce que nous produisons, et sur la part de notre consommation présente qui sera prélevée sur ce que nous laisserons aux générations futures. Ce qui est déjà bien, mais purement statique. L’effort d’évaluation économique de la soutenabilité a cependant franchi une étape importante avec l’élaboration et l’évaluation par la Banque mondiale de la notion d’épargne nette ajustée, première tentative pour mettre en œuvre la notion de « capital total ». La première étape consiste à passer de l’épargne brute à l’épargne nette, en soustrayant une estimation de la dépréciation du stock de capital productif produit. (…) A l’évolution de cette épargne nationale nette, il convient d’ajouter les investissements faits dans d’autres catégories de capital (capital humain) ou en soustrayant une estimation de la dépréciation du stock de capital naturel (pollution ou exploitation des ressources naturelles). (…) Les pays exportateurs de matières premières ne sont soutenables que s’ils réinvestissent dans la formation de capital humain ou de capital productif. (…) Mais le commerce international de matière première introduit à l’évidence une distorsion dans l’image que donne l’indicateur de la contribution de chaque pays à la soutenabilité globale : la Chine ou, dans une moindre mesure la France, apparaissent très soutenables en partie parce qu’elles sont importatrices nettes de ressources naturelles minérales, tandis qu’à l’inverse, les exportations de matières premières grèves les indicateurs de soutenabilité des autres pays. (…)

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : l’analyse par les stocks proposé par la Banque mondiale Les évaluations de la richesse véritable des nations publiées par la Banque mondiale en 2010, qui concerne cette fois les stocks et non les flux, fournissent des informations intéressantes sur la répartition du capital total dont dispose l’humanité.

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L’une des principales limitations de l’indicateur de « richesse véritable » élaboré par la Banque mondiale tient aux méthodes d’évaluation des composantes du capital, singulièrement, bien sûr, celles qui sont les plus éloignées des rapports marchands, et pour lesquelles les prix utilisés sont des prix « imputés ». (…) Dépasser certaines au moins de ces limites est précisément l’ambition du programme IWR (Inclusive Wealth Report) lancé par les Nations Unies dont le premier rapport à été publié en 2012. Concentré sur 20 pays, il s’appuie sur une analyse plus générale de la soutenabilité pour proposer une évaluation plus satisfaisante des composantes de la « richesse totale » des nations. La principale amélioration par rapport à l’épargne nette ajustée tient à une définition plus large et une meilleure évaluation du capital naturel, pour tenir compte, notamment des éco-systèmes. L’indicateur de richesse véritable est, de ce fait, plus sensible aux dégradations environnementales. Mais la valorisation du capital humain demeure très discutable, alors même que son accumulation domine, comme dans la richesse véritable calculée par la BM, les évolutions de la richesse totale. (…) La répartition de la richesse totale mondiale semble moins déséquilibrée : le capital humain en constitue 54%, le capital naturel 28% et le capital manufacturé 18%.(…) Le stock mondial de richesse par habitant ainsi corrigé a diminué de 0,3% par an entre 1990 et 2010.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : prendre en compte des « actifs manquants » et des « prix imputés »Le bien être des individus aujourd’hui et demain dépend de beaucoup d’autres dimensions que celles qui sont comptabilisées dans le PIB ; et ce dernier est produit en mobilisant des ressources dont les coûts ne sont pas pris en compte du tout, ou pas complètement. L’intuition qui fonde l’analyse dynamique de la soutenabilité est donc qu’il existe des « actifs manquants », des ingrédients essentiels du bien-être humain qui ne sont pas inclus dans la mesure usuelle du capital et qu’il convient de valoriser convenablement. La construction d’indicateurs de soutenabilité véritablement dynamique repose donc sur une approche patrimoniale et s’apparente à la démarche d’une organisation cherchant à évaluer ses actifs productifs pour établir son bilan : recenser les éléments qui constituent son actif et ceux qui viennent en déduction ; les valoriser, en utilisant les prix de marché lorsqu’ils paraissent fiables, mais en recourant à des prix « imputés » dans tous les autres cas, notamment pour valoriser les coûts futurs anticipés. Tout indique que notre « hors-bilan »- tout ce qui n’apparaît pas dans le bilan établi selon les normes comptables usuelles – est probablement plus important que ce que l’on comptabilise habituellement ; mais les méthodes nécessaires à son évaluation n’en sont qu’à leurs balbutiements.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

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3.2.3 La construction des indicateurs nécessite des choix politiques

3.2.3.1 Distinguer un modèle de « soutenabilité faible » et un modèle de « soutenabilité forte »

Document : la construction d’un indicateur synthétique s’appuie sur le concept de soutenabilité faibleL’une des principales objections que soulève cette évaluation de la soutenabilité à l’aide d’un indicateur unique de « richesse véritable » ou de « richesse totale » tient à la démarche d’addition des différentes composantes de ce stock, qui suppose que celles-ci sont parfaitement et indéfiniment substituables : un euro accumulé en capital productif ou en capital humain compense un euro perdu en capital naturel. (…) Avec ce type d’indicateur, si la population mondiale continue d’augmenter, et pourvu bien sûr qu’elle soit suffisamment éduquée, alors le processus actuel de développement économique apparaît éminemment soutenable (…). C’est d’ailleurs une critique qui s’applique aussi à l’IDH : les trois dimensions étant considérées sur un pied d’égalité dans la construction de l’indice, une baisse dans l’une d’elles peut être compensée par une hausse d’une autre.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : les différentes capitaux qui forment la véritable richesse des nations sont-ils substituables ou complémentaires ?

Peut-on raisonnablement faire l’hypothèse d’une substituabilité sans limite entre les différentes composantes du stock de richesse véritable, à l’échelle de la planète ou celle d’un pays ? On peut dans une certaine mesure substituer, grâce aux progrès technologiques, du capital manufacturé au capital naturel : l’Europe a certes massivement réduit la taille des forêts depuis le Moyen Age, mais qui songerait à se plaindre que des villes ou des champs cultivables les aient remplacés ? Il y a bien des possibilités de substitution, et elles sont d’autant plus étendues que nos compétences et nos savoirs, donc notre capital humain, s’accumulent. Mais cette substitution peut-elle être poursuivie sans limite et sans risque ? C’est ici, deux conceptions de la soutenabilité qui affleure : la notion de soutenabilité « faible » qui sous-tend la construction des indicateurs discutés précédemment, et celle de soutenabilité « forte ». Alors que la première postule la substituabilité entre les différentes composantes du capital total, la seconde met l’accent sur les limites qu’impose la disponibilité des ressources naturelles épuisables, la capacité d’absorption ou de résistance de l’environnement naturel, en un mot la résilience de la biosphère. (…) Il n’est à l’évidence, ni raisonnable ni politiquement et moralement défendable d’opter pour la soutenabilité « forte » qui implique de préserver à n’importe quel prix (donc à un prix fantôme infini) l’environnement naturel et les écosystèmes existants, jusque y compris en sacrifiant les possibilités de développement humain de la partie de l’humanité dont les besoins vitaux ne sont aujourd’hui pas assouvis. Mais si la soutenabilité « faible » nous permet d’espérer que le monde que nous laisserons aux générations futures sera vivable, elle laisse planer une incertitude sur la capacité des humains d’aujourd’hui et de demain à maîtriser les risques qu’elle porte en germe, et ne nous garantit nullement que ce monde de demain sera agréable ou aimable. Evaluer en termes monétaires est donc utile, indispensable même pour pointer les pires erreurs de trajectoire et pour peser sur les choix, individuels et collectifs ; mais la monétisation a ses limites. La mesure de la soutenabilité ne saurait donc se réduire à la seule dimension économique : c’est une affaire démocratique.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : Durabilité forte et durabilité faibleLes tenants d’une durabilité faible considèrent que capital naturel et capital construit peuvent être substitués l’un à l’autre de manière quasi parfaite. Pour eux, si on veut que la durabilité ne soit pas que l’expression d’une émotion, la société doit trouver des outils pour préserver la capacité productive pour le futur (Solow). La durabilité faible se définit alors par la règle selon laquelle la somme du capital naturel et du capital construit doit être maintenue constante ce qui permet de remplacer du capital naturel par du capital construit. Cela revient à n’accorder aux biens que la valeur des services qu’ils rendent et non une valeur d’existence. Le progrès technologique est censé générer en permanence des solutions aux défis environnementaux posés par l’accroissement de la production de biens et de services. Si certaines ressources naturelles sont irremplaçables, la plupart n’ont de valeur que temporaire. Elles sont remplaçables par d’autres ressources qui produiront, à l’avenir, le même service. La destruction d’écosystèmes fragiles, l’envahissement urbain, la surexploitation des ressources non renouvelables, sont acceptables dès l’instant où des procédés de remplacement existent. Le rapport entre générations s’exprime ici comme dans une sorte de marché. Chaque génération a le droit de se ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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favoriser un peu par rapport à la suivante et chaque génération peu faire un taux d’escompte par rapport à toutes les générations futures. Néanmoins, le taux d’escompte ne devrait pas être trop grand. Or, il n’existe pas de mécanismes permettant d’allouer efficacement des ressources dont on appréhende mal la valeur, et les marchés existants sont impuissants à juger de la valeur future de ces ressources. Les tenants d’une durabilité forte considèrent que capital naturel et capital construit ne peuvent être substitués de manière parfaite. Leur raisonnement emprunte explicitement au principe d’entropie qui décrit une situation d’irréversibilité thermodynamique : toute transformation énergétique s’accompagne d’une dégradation irrémédiable d’énergie sous forme de chaleur. Or, le capital construit est le plus souvent un agent de transformation (outil, travail, etc.) tandis que le capital naturel constitue la matière transformée. Dès lors le capital construit ne peut se substituer au capital naturel de manière parfaite. Cela supposerait un flux circulaire de la matière-énergie permanent et sans perte, qui serait absurde. Au mieux, il est possible de diminuer le gaspillage en recyclant les ressources déjà utilisées. En examinant le monde depuis cette perspective, certaines actions humaines peuvent conduire à des irréversibilités graves. Selon les partisans de la durabilité forte, il existe un seuil dit « capital naturel critique », au-delà duquel le capital naturel doit être préservé, car il fournit des biens et des services qui ne sont pas remplaçables par le capital construit (H. Daly). Il s’agit de maintenir l’échelle de l’activité humaine suffisamment basse pour ne pas déranger le fonctionnement naturel des systèmes de support vitaux. Les décisions doivent donc viser la préservation a priori. Afin de limiter la dégradation qualitative et quantitative du capital naturel, il faut restreindre les quantités de matière et d’énergies extraites de la biosphère. Cette limitation aux activités humaines modifierait le rythme de croissance des économies, doublement contraintes par les injonctions d’une utilisation efficace des ressources disponibles et d’une consommation faible. (…) Il y a une véritable rupture conceptuelle entre les deux durabilités. (…) La durabilité faible est insuffisante parce qu’elle n’attribue pas de valeur intrinsèque aux biens environnementaux, qui ne valent que par leur contribution à la production, alors qu’en réalité ils ont une valeur en soi, ne serait-ce que parce qu’une partie de l’humanité l’apprécie et préfère qu’il soit protégé. Mais la durabilité forte recèle aussi des contradictions profondes, car l’environnement est dynamique et sa transformation par l’homme, inévitable. Certaines ressources non renouvelables seront inutiles demain.

François Mancebo, Développement durable, collection 128, Armand Colin, 2013 (2ème édition) p.47-50

Document : La question décisive du degré de substituabilité des différents types de capital naturel selon Pierre-Noël Giraud

Récemment, la prise en compte des préoccupations environnementales et sociales dans l’analyse de la croissance économique a conduit à une approche théorique, encore assez peu formalisée et objet de recherches très actives, qui analyse la « richesse des nations » (clin d’œil explicite à Adam Smith) à partir du processus d’accumulation de quatre types de capitaux. Le capital technique : ensemble des infrastructures et des biens de production fabriqués par l’activité économique ; le capital humain : ensemble des savoirs et savoir-faire accumulés dans les individus ; le capital naturel ; enfin le capital social : ensemble d’institutions et de règles, publiques et privés, formelles et informelles, qui font que tous ces capitaux se combinent plus ou moins bien pour produire de la richesse. Ces quatre types de capitaux sont complémentaires : il faut que les quatre augmentent ensemble pour que le flux de richesse produite par leurs combinaisons s’accroisse. Par exemple, rien ne sert d’améliorer la formation des hommes, s’ils ne peuvent pas travailler sur des machines plus nombreuses et plus sophistiquées. Rien ne sert d’accumuler des machines et des infrastructures et de former les  hommes, si le pays sombre dans la guerre civile (effondrement du capital social).Ces quatre types de capitaux sont également en partie substituables. C’est ainsi que dans certaines conditions, une diminution du capital naturel, comme l’épuisement des réserves minières, peut être compensée par une augmentation des trois autres types de capitaux. Cependant, le capital naturel n’est qu’en partie substituable par les autres capitaux. Certaines dégradations du capital naturel sont irréversibles. Il en est ainsi par exemple de l’extinction massive d’espèces vivantes, autrement dit de la réduction de la biodiversité. Si certaines espèces ont aux yeux des hommes une valeur d’existence élevée, leur disparition ne peut pas être compensée par l’augmentation d’autres types de capitaux.(…) Le plus petit commun dénominateur des critères définissant le développement soutenable selon ses partisans, me paraît être le suivant : 

• La richesse à la disposition des générations futures ne doit pas diminuer du fait d’une consommation « excessive » de capital naturel. Mais je m’autorise à substituer autant que nécessaire les capitaux entre eux pour maximiser la consommation de ma génération. Je m’autorise donc à consommer du capital naturel, mais

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seulement s’il est substituable par d’autres types de capitaux et à condition que la quantité totale de capital que je transmets à la génération suivante reste au moins constante. 

• Il ne faut cependant pas provoquer de dégradations irréversibles du capital naturel, s’il existe un risque important que cette dégradation coûte très cher aux générations futures.Il faut donc distinguer la consommation de capital naturel substituable et les dégradations irréversibles. Si le capital naturel substituable peut être consommé, éventuellement en grande quantité, à condition qu’on augmente d’autant d’autres formes de capitaux, c’est que les générations futures, si elles accordaient plus de prix que nous à ce capital naturel substituable, pourraient elles-mêmes le reconstituer en utilisant les autres formes de capitaux. En revanche, les dégradations irréversibles du capital naturel doivent être absolument évitées.En pratique, on considère aujourd’hui qu’il n’existe que deux grandes formes de dégradations irréversibles : la dégradation du climat et la réduction de la biodiversité. La plupart des autres consommations de capital naturel concernent du capital substituable. On ne peut pas, certes, reconstituer le pétrole qu’on a brûlé, mais on peut parfaitement fabriquer des carburants à partir de ressources renouvelables comme la biomasse, donc ultimement à partir de l’énergie solaire dont l’abondance, à l’échelle des besoins humains, est quasiment infinie. De même, des dégradations comme la pollution de l’eau ou des sols sont en général réversibles.

Pierre-Noël Giraud, La mondialisation. Emergences et Fragmentations, La Petite Bibliothèque des Sciences Humaines, éditions Sciences Humaines, 2012 (2ème édition)

Document : la construction d’un indicateur synthétique de développement soutenable

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Construire un indicateur unique (synthétique) de soutenabilité

Difficultés méthodologiques : pour certains « actifs » (les actifs manquants), il n’existe pas de prix de marché ; il faut donc

les valoriser (les prix imputés)

Mesurer l’évolution des flux des actifs qui forment le « capital total » :

Le bien-être économique soutenableLe Pib vert

L’épargne nette ajustée (BM)

Mesurer l’évolution des stocks des actifs qui forment le « capital total » :

La richesse véritable des nations (BM)La richesse totale des nations (ONU)

Ces indicateurs adoptent la démarche de la soutenabilité faible, pour laquelle les

variations de capitaux peuvent se compenser

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Document : mais l’application du concept de soutenabilité « faible » soulève des remarques

3.2.3.2 Engager le débat politique sur la préservation du capital naturel : le rôle de la démocratie

Document : Réduire la pollution mais jusqu’où ?L’humanité doit aujourd’hui faire à un risque global très grave, sous la forme du changement climatique. Il est abondamment clair qu’en émettant des gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone, nos activités économiques ont largement contribué à l’augmentation observée de la température moyenne sur Terre. En ce sens, l’approche économique du changement climatique part de l’analyse de la pollution en général. (…)Tous les processus de production polluent, à des degrés divers. Pour un état donné des techniques, nous ne pourrions donc supprimer toute pollution qu’en renonçant à produire, ce qui nous amènerait à la pauvreté absolue. En revanche, il arrive un point où, la pollution s’accumulant et devenant de plus en plus insupportable, il serait préférable de réduire la production. Il existe donc un niveau intermédiaire de pollution qui concilie au mieux la nécessité de produire et l’objectif de contrôle de la production : c’est ce que l’on appelle le « niveau de pollution optimal ». Je suis conscient de ce que cette formule peut avoir d’inacceptable pour les écologistes les plus purs, pour qui accoler le qualificatif « optimal » au mot pollution est scandaleux. Il est clair que ce niveau de pollution « optimal » dépend des préférences sociales et de l’état des techniques : si une société est particulièrement sensible à la pollution, ou si elle dispose de technique de pollution peu polluante alors ce niveau optimal y sera très bas. 1Coût d’opportunité : il correspond à l’alternative la plus favorable à laquelle un agent économique renonce lorsqu’il réalise un choix.

Bernard Salanié, L’économie sans tabou, Le Pommier, 2011

Document : la démocratie pour exprimer les préférences de la société Les conditions nécessaires de la transition des valeurs vers le bien-être et la soutenabilité sont politiques  : il faut construire des institutions qui portent sur les principes du nouveau monde économique. Le débat contradictoire et parfois le conflit sont nécessaires dans cette perspective. Mais nous disposons pour cela, en Europe et en France en tout cas, du système politique le plus efficace qui soit : le régime démocratique, ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

Critique du critère de soutenabilité « forte » : le capital naturel doit avoir une

valeur supérieure aux autres et ce « capital » est strictement complémentaire

des autres pas substituables ; mais l’application stricte de ce principe

empêcherait l’accumulation des autres formes de capitaux

Admettre que tous les capitaux ne sont pas parfaitement substituables; au-delà d’un

certain seuil, il n’est plus possible de remplacer une qualité de l’environnement dégradé par du progrès technique ou du

capital humain ;

Il est donc indispensable de pouvoir exprimer les choix de la société en faveur de telle ou telle combinaison des capitaux, dans un contexte d’incertitude et de préférence

pour le présent +/- forte ; il faut donc construire un indicateur qui indique la trend de soutenabilité et la

position par rapport à une/des situations dangereuses ;

Construire un indicateur unique (synthétique) de soutenabilité = utiliser le concept de soutenabilité « faible » =

Considérer que les différents capitaux sont substituables

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dont la qualité première est de pouvoir sans cesse interroger ses erreurs pour se remettre en cause. (…) Le débat public en économie n’est pas une page blanche sur laquelle il suffirait de commencer à écrire, en ce début du 21ième siècle, le chapitre de la transition du bien-être et de la soutenabilité. Le débat économique est en réalité peuplé d’indicateurs qui dominent les commentaires et les analyses. (…) Au cœur des préoccupations contemporaines on trouve le « carré mystique » formé par la performance des marchés boursiers, le niveau du déficit et de la dette publics et la croissance du PIB. Aucun de ces indicateurs n’a trait au bien-être ou à la soutenabilité. (…) La priorité pour entamer la nécessaire dépollution du débat économique consiste à rendre pluriel ce qui est monolithique et à introduire de la complexité dans cet ensemble de fausses certitudes. (…) C’est donc à restaurer la pluralité des valeurs économiques qu’il nous faut employer et nul régime politique n’est plus apte à cette tâche que la démocratie. La qualité d’un indicateur n’est en effet pas déterminée par sa valeur technique (même si elle importe à l’évidence) mais par sa « contestabilité » démocratique, c’est-à-dire qu’il puisse être mis en débat de manière contradictoire et compréhensible. (…) Beaucoup peut tout d’abord être fait dans le cadre du Parlement et de l’action gouvernementale, en travaillant en deux directions. La première consiste à intégrer les indicateurs de bien-être et de soutenabilité à la décision budgétaire, qui est historiquement le lieu de la délibération démocratique. (…) L’enjeu est d’aboutir à la création d’une Commission permanente d’information et d’évaluation des choix budgétaires au sein du Parlement, composée de représentant de l’Etat, des territoires et des citoyens. Cette instance pourrait devenir un lieu de délibération continue de l’impact des choix publics sur le bien-être et la soutenabilité. (…) Autrement dit, il faut créer une véritable culture parlementaire du bien-être et de la soutenabilité. La seconde direction dans laquelle œuvrer est celle de l’évaluation des politiques publiques. (…) La démocratie participative doit venir renforcer ces réformes du gouvernement représentatif. Il importe de comprendre à ce sujet que la démocratie n’est pas seulement une dimension du bien-être, mais aussi et surtout, la méthode qui doit présider à sa définition. (…) En tout état de cause, les commissions d’experts, comme la Commission Stiglitz en 2009, ne peuvent au mieux qu’attirer l’attention publique. Il est donc préférable d’associer le plus tôt possible les citoyens et leurs représentants à ce qui est avant tout une délibération démocratique sur des valeurs et non une décision technique sur des outils. C’est précisément pourquoi le collectif FAIR (Forum pour d’autres indicateurs de richesse) a été constitué en 2008 comme s’en sont expliqués ses membres fondateurs : « Nous pensons que l’on ne peut pas confier à des groupes d’experts, dont les contributions sont évidemment utiles, le soin de dire quelles sont les fins à considérer et comment les prendre en compte. La participation de la société, la délibération politique sont indispensables pour dire et sélectionner les fins que l’on vise, et pour pondérer les critères d’évaluation qui leur correspondent ». Ce qui nous amène finalement à la dimension militante de la démocratie. Comme le montre l’économiste écologique Joan Martinez Alier, il existe des conflits « écologico-distributifs », c’est-à-dire des conflits sociaux qui portent sur la répartition des ressources et des nuisances naturelles. Son argument tient dans l’idée que le coût de l’extraction, du transport et de la consommation des ressources naturelles est d’abord supporté par les plus pauvres et les plus vulnérables. De cet état de fait, résulte une vérité contre-intuitive : l’écologie n’est pas un luxe mais une nécessité, elle n’est pas l’apanage d’une classe aisée qui aurait sublimé le besoin matériel mais la condition de survie des défavorisés de tous les continents. Les pauvres sont soucieux de leur environnement parce qu’ils sont les premières victimes de sa dégradation.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

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Document

Document

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Conséquence négative sur l’accumulation de capital naturel

Le capital socialLe capital institutionnel

Incitation / impact sur le calcul coûts-avantages des AE

Agir sur les comportements : éviter défaillances de marché ;

sortir du chemin de dépendance

Agir sur les valeurs/les idées pour modifier les institutions et produire les bonnes incitations

Instruments ? Débat : quel degré de substituabilité accepter ?

Construction des indicateurs de

développement soutenable

Méthode : rôle du débat démocratique

Objectif : changer les comportements = prendre en

compte les défaillances de marché

Enjeu préservation du capital naturel 

Objectif : changer les valeurs = priorité à la soutenabilité (au bien-être

durable plutôt que présent)

Définition des instruments et évaluation des politiques publiques

Définition de l’espace adéquat des politiques publiques : territoire,

nation, monde

Conséquence : redéfinir le cadre des politiques économiques pour les nouveaux enjeux du 21ième siècle

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4. Les instruments de la politique environnementale

4.1 Instruments réglementaires et instruments économiques

Document : Instruments réglementaires et instruments incitatifsLa question que posent les économistes est simple : comment modifier le système de prix de façon qu’il reflète mieux le coût de l’utilisation intensive du carbone dans nos sociétés ? Trois solutions peuvent être envisagées. D’abord, la réglementation : l’Etat peut édicter des règles pour empêcher certains acteurs d’émettre des gaz à effet de serre. C’est par la réglementation, par exemple, que la puissance publique a lutté contre l’émission des gaz responsables du trou de la couche d’ozone (les CFC). Ensuite, la taxe sur l’émission de carbone. La taxe a une vertu principale : elle incite les individus et les entreprises à engager toutes les mesures de réduction des émissions dont le coût unitaire, à la marge, est inférieur au taux de taxe appliqué. On peut se référer à un taux de taxe optimal : c’est le taux qui refléterait exactement la valeur des dommages infligés à l’environnement par l’émission de GES. Cette taxe au taux optimal qui conduit les agents à « internaliser » parfaitement le coût des externalités qu’ils font subir à la société est appelée « taxe pigouvienne ». Enfin, la puissance publique peut attribuer des droits, et permettre aux agents de les échanger. Cette solution inspirée des travaux de R.Coase, s’est traduite, dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, par l’attribution de quotas d’émissions et la création de marchés où ces quotas peuvent s’échanger. Un quota d’émissions représente l’autorisation de rejeter une quantité de GES donnée. Créer un marché de permis consiste à définir un nouveau « bien » (le droit d’émettre une tonne de GES), à décider de la quantité de droits d’émissions en circulation, à allouer les droits d’émission aux acteurs (sur un marché primaire), et à permettre aux droits de s’échanger (sur un marché secondaire).

N. Stern, R. Guesnerie, Deux économistes face aux enjeux climatiques, Le Pommier, 2012

Document : La réglementationLa réglementation suppose l’intervention d’un agent particulier, garant de l’intérêt général. (…) Dans la pratique c’est une institution spécifique qui tient ce rôle (comme les agences de l’eau en France). (…) Une norme, définie par une quantité maximale de rejets, est assortie de pénalités dissuadant toute infraction (…). En pratique, elle peut prendre différentes formes, selon qu’elle définit la technologie utilisable (norme de procédé), les critères auxquels doivent se conformer les produits nuisibles à l’environnement (norme de produit), les caractéristiques des milieux récepteurs (normes de qualité) ou le seuil maximal de polluant acceptable (norme d’émission).

Gilles Rotillon et Philippe Bontems, Economie de l’environnement, coll. Repères, La Découverte, 2007

Document : La taxationLa solution préconisée par Pigou (1932) consiste à imposer à l’entreprise une taxe t par unité de rejets égale au coût marginal de réduction de la pollution. On a vu que les externalités naissent de l’écart entre les coûts privés, pris en compte part les agents économiques au moment de leurs décisions, et les coûts sociaux que ces décisions font supporter à la collectivité. Le principe du pollueur payeur est un principe (…) qui consiste à faire supporter au pollueur cette différence entre coût social et coût privé. Ainsi, c’est le coût social de ses décisions qui sera considéré par le pollueur. (…) Ce principe se traduit par une augmentation du prix du bien vendu par le pollueur (qui répercute l’augmentation de ses coûts), et donc par une baisse de la demande de ce bien, ce qui conduit à en produire moins et par conséquent à diminuer la pollution. L’existence d’externalité est ainsi pris en compte (internalisée) d’abord par le pollueur, puis par le consommateur, par l’intermédiaire du prix.

Gilles Rotillon et Philippe Bontems, Economie de l’environnement, coll. Repères, La Découverte, 2007

Document : Le marché des quotas d’émissionDans un système de permis échangeables, c’est la création d’un marché de droits d’émissions qui fait émerger un prix pour les rejets de GES. L’origine de ce type d’instrument est attribuée à Ronald Coase2, pour qui il suffit de fixer les droits de propriété sur l’usage du bien environnemental et de permettre des échanges entre les acteurs souhaitant utiliser ce bien pour parvenir à un résultat économiquement efficace. Le marché de permis fixe, comme la norme, un plafond global d’émissions ; cependant la quantité est répartie entre les différents agents économiques, qui ont le droit d’échanger leurs droits à polluer, en fonction de leurs capacités (c’est-à-dire leurs coûts) à réduire leurs émissions. Les marchés de permis échangeables régulent donc les émissions de GES par les quantités et non par les prix comme dans le cas des taxes. La possibilité d’échanger les permis fait cependant émerger un prix : les agents économiques peuvent soit réduire leurs émissions, soit acheter des permis à quelqu’un d’autre qui n’en aurait pas besoin ; ceux dont les coûts marginaux de réduction des

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émissions sont les plus faibles réduiront donc leurs rejets davantage afin de vendre les permis excédentaires aux acteurs ayant des coûts plus élevés. Les réductions d’émissions se font donc là où elles sont les moins chères.

Christian de Perthuis, Suzanne Shaw, « Normes, écotaxes, marchés de permis : quelle combinaison optimale ? » in Cahiers français n°355, mars-avril 2010

Synthèse - Réglementation, taxation, marché de quotas d’émissionNormes Taxation Marché de quotas

d’émissionInstrument réglementaire

X

Instrument économique X XContrainte XIncitation X XAction par les quantités X XAction par les prix X

Document : comment appréhender les externalités et leur donner une valeur ? Le cas du carboneComment faire en sorte que ces « externalités négatives », ces nuisances, soient éliminées, ou en tout cas limitées, et qu’elles soient effectivement prises en compte dans les indicateurs qui mesurent le bien-être et la soutenabilité ? Dans certains cas, il est possible d’interdire purement et simplement l’activité qui engendre la nuisance  : on interdit bien le tapage nocturne ; on a de même interdit l’amiante dans un certain nombre de pays développés ; les gaz fluorés contenus dans les aérosols et les systèmes de réfrigération nocifs pour la couche d’ozone ont été bannis par le protocole de Montréal en 1987 et ont aujourd’hui presque disparu. (…) Mais beaucoup de choses ne peuvent tout simplement pas être interdite. (…) On ne peut pas bannir les émissions de CO2, dont une part est inhérente au métabolisme des organismes vivants et dont l’essentiel provient de nos consommations d’énergie.Mais on peut les limiter, et il faut pour cela que les émetteurs y soient incités. Il faut que les atteintes à l’environnement fassent supporter à ceux qui en sont les auteurs, un coût économique, afin de les inciter à « économiser » la nature. C’est le principe « pollueur-payeur » ; mais c’est aussi la condition pour que les nuisances ou les activités qui sont à leur origine puissent être intégrées dans les indicateurs de bien-être et de soutenabilité. Deux méthodes alternatives permettent, en principe, de faire supporter au décideur (producteur ou consommateur) le coût « total » de ses activités : la taxe ou la vente de permis ; leur résultat est parfaitement équivalent quant à l’inclusion du coût de la nuisance dans le calcul économique des décideurs et quant à l’évaluation. La différence tient aux outils de l’intervention publique dans le mécanisme de prix : alors que la taxe oblige les autorités à en fixer le montant, le système de « permis » exige qu’elles déterminent la quantité totale autorisée, la détermination du prix étant laissée au marché, par confrontation entre cette offre totale, fixée par elles, et la demande émanant des agents privés à l’origine de la nuisance. A quel niveau fixer le prix ? En théorie, la réponse est simple : le prix doit être tel que le dommage causé soit tout juste compensé par le coût que supporte celui qui l’inflige. Mais, en pratique, nous n’avons, la plupart du temps, pas d’indications précises sur le coût du dommage à l’environnement, que l’on ne peut donc approcher que de manière indirecte. (…) L’incertitude demeure toutefois importante, la plupart du temps, comme l’illustre l’exemple du prix du carbone : la plupart des pays n’en impose aucun ; les pays de l’UE ont instauré un « marché » du carbone » sur lequel le prix de la tonne de carbone émise est aujourd’hui voisin de 5 euros ; tandis que certains pays, comme la Suède, ont institué, depuis longtemps, une taxe carbone dont le montant est aujourd’hui d’environ 130 euros la tonne.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : La réglementation, un problème d’efficacité économiqueSi une taxe est mise en œuvre, celle-ci incite chaque pollueur à diminuer ses rejets jusqu’au point où le coût marginal de réduction des rejets égale sa taxe à payer. En effet, il vaut mieux payer la taxe que dépolluer à un coût supérieur, et, inversement, il est préférable de dépolluer plutôt que de payer la taxe quand celle-ci est plus élevé que le coût marginal de dépollution. La répartition des efforts est alors efficace puisque le coût total de ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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réduction de la pollution est minimisé grâce à l’égalisation des coûts marginaux avec la taxe. Les pollueurs dotés des coûts marginaux de dépollution les plus faibles sont ainsi incités à réduire leurs émissions plus fortement que les autres. En revanche, si une norme uniforme pour tous les pollueurs est adoptée, la répartition des efforts entre les sources est nécessairement inefficace si les coûts marginaux respectifs diffèrent (ce qui est évidemment le cas dans la réalité). Les entreprises les plus capables de réduire leurs émissions (coût marginal faible) dépolluent trop peu tandis que les entreprises avec des coûts marginaux élevés effectuent trop d’efforts. Pour atteindre un même objectif de pollution, une norme se révèle plus couteuse qu’une taxe.

P. Bontemps, G.Rotillon, L’Économie de l’environnement, La Découverte, coll. « Repères », 2007.

Document : La réglementation est nécessaire malgré toutLa réglementation reste la pratique la plus utilisée. Malgré les critiques faites à leur endroit, les instruments réglementaires sont prédominants dans les politiques environnementales. Les règles et normes s’enracinent d’abord dans des pratiques anciennes, partagées par les administrations et les représentants des secteurs économiques. Elles sont ensuite préférées des agents, car ces derniers sont associés à leurs procédures d’élaboration. (…)Il faut, enfin, noter que la réglementation reste, dans un certain nombre de cas, le seul outil utilisable pour prévenir les risques inacceptables et les effets irréversibles.

L. Abdelmalki, P.Mundler, Economie de l’environnement et du développement durable, De Boeck, 2010

4.2 L’application des instruments pour changer les préférences

Document : modifier les incitations pour changer les valeurs et renforcer la préférence pour le futurCet ouvrage s’est efforcé jusqu’ici de montrer que de nombreux indicateurs de bien-être et de soutenabilité, alternatifs ou complémentaires par rapport aux indicateurs économiques conventionnels, étaient susceptibles d’éclairer les décideurs publics et les citoyens sur la richesse véritable de la vie humaine et la complexité réelle de notre monde économique. Nous avons en somme répondu à la question « pourquoi ? ». Il nous faut à présent apporter des éléments de réponse à la question « comment ? ». Comment changer les attitudes et les comportements pour inscrire dans les faits cette nouvelle vision du réel et redessiner notre espace économique pour le faire davantage correspondre à nos contraintes et à nos valeurs ?La capacité de changement des sociétés humaines dépend de deux leviers fondamentaux : les attitudes et les comportements de leurs membres. Les comportements sont déclenchés par des signaux économiques que les personnes perçoivent (ou non) et auxquelles elles choisissent (ou pas) de répondre. L’inertie est ainsi une forme de comportement, qui peut résulter de la non perception d’un signal comme de l’impossibilité ou de l’absence de volonté d’y répondre. Prenons un exemple concret de signal et de réponse : la hausse du prix du tabac, qui induit en moyenne une baisse du volume de tabac consommé dans les sociétés contemporaines. Il faut bien noter que le fait de réduire sa consommation de cigarettes n’implique pas nécessairement une adhésion au message de prévention sanitaire qui justifie pour les pouvoirs publics le renchérissement du prix du paquet de cigarettes. Le fait d’ajouter sur un paquet rendu plus coûteux de quelques euros des photographies insoutenables de lésions causées par le cancer des voies respiratoires a précisément pour objet de susciter une telle adhésion, en l’occurrence en jouant sur la peur du consommateur. On espère ainsi que celui-ci changera le regard qu’il porte sur sa propre consommation et que celle-ci lui apparaîtra comme irresponsable, lui ôtant son caractère désirable individuellement ou socialement (la consommation à des fins sociales est particulièrement présente chez les jeunes fumeurs). On espère qu’au-delà du simple comportement (moins acheter de tabac du fait des ressources monétaires devenues moins abondantes), c’est l’attitude du consommateur qui évoluera dans le sens souhaité. C’est alors le système de valeurs du citoyen qui est sollicité en plus du système d’incitations du consommateur : on achètera moins de paquets de cigarettes parce que l’on est convaincu que c’est mauvais pour sa santé (ou celle des autres) et cette conviction l’emporte désormais sur toute considération de plaisir. On voit que ce second mécanisme est plus durable et plus puissant que la désincitation pécuniaire  : là où la hausse des prix peut être vécue comme une contrainte à laquelle on refuse de se soumettre ou que l’on tente par tous les moyens de contourner, le changement de valeurs est un choix qui est souvent, dans le cas du tabac, définitif. L’introduction et l’usage des indicateurs de bien-être et de soutenabilité relèvent de la même logique d’action : il ne s’agit pas seulement d’imposer des nouveaux instruments de mesure à une société qui s’y plierait de plus ou moins bonne grâce mais n’y croirait pas le moins du monde, mais de convaincre que cette réforme sera bénéfique et qu’elle mérite un changement de nos attitudes. Il convient, comme dans le cas du tabac, de mener ces deux objectifs de changement des comportements et de transformation des attitudes de front en ayant conscience que les comportements commencent par changer pour une raison très simple : la nécessité. ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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A l’été 2014, au plus fort d’une sécheresse qui dure alors en Californie depuis trois années (…), un grand quotidien (…) fait paraître un dessin humoristique qui tient en deux vignettes : sur la première qui porte la date de 1894, c’est-à-dire le pic de la ruée vers l’or dans la région, on aperçoit un prospecteur penché vers la rivière et scrutant fiévreusement son tamis pour s’écrier : « De l’or ! ». Sur la seconde vignette, datée de 2014, en pleine sécheresse donc, le même personnage dans la même position s’écrie : « De l’eau ! » ? Ce qui a changé à plus d’un siècle de distance n’est pas la réalité mais le regard que porte sur elle ce chercheur d’or, qui a compris en 2014 la valeur inestimable de ce qu’il tenait en 1894 pour négligeable quand son regard était accaparé par le seul métal précieux. (…) La valeur n’est pas figée pour toujours, elle est fondamentalement une construction sociale qui varie au gré des choix et des circonstances (…). Il adviendra un moment où, en Californie, sous l’effet de la sécheresse, un kilo d’or vaudra moins cher qu’un litre d’eau. Les comportements auront déjà changé à ce moment-là et sans doutes aussi les attitudes mais il sera peut-être trop tard pour préserver les écosystèmes de la région et la présence humaine sur cette terre d’abondance (…). Il nous faut donc devancer, anticiper l’inversion des valeurs qui est déjà en marché et qui en train de remettre le développement économique à sa place pour donner la priorité au bien-être et à la soutenabilité. Cette transition des valeurs prendra de longues décennies et on ne peut pas compter sur les marchés pour la porter, en tout cas spontanément. Il nous faut modifier nous-mêmes le système de valorisation sociale, en diminuant celle de la croissance économique et en rehaussant celle du développement humain et du développement soutenable, en diminuant celle des bénéfices des générations présentes pour augmenter le bien-être des générations à venir. En changeant les repères des sociétés contemporaines, on modifiera les comportements des personnes et en se livrant à une pédagogie de ce changement, on transformera leurs valeurs, ce qui achèvera de changer leurs comportements.

Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, Un nouveau monde économique, Odile Jacob, 2015, p.204-207

Document : Les instruments économiques peuvent être de puissants alliés dans cette entreprise à condition d’être contrôlés par la puissance publique. C’est tout le sens de la taxation du carbone que beaucoup, au-delà des seuls économistes, voient comme une solution efficace pour lutter contre le changement climatique : on espère ainsi canaliser la puissance des échanges marchands au service d’une modification des comportements de production, de consommation, de logement, de transport, etc. qui va progressivement réduire le rôle des énergies fossiles dans le système économique. Mais ce changement des comportements doit s’accompagner d’une prise de conscience qui conduira les individus à opter pour une solution bas carbone parce qu’ils sont convaincus de leurs bénéfices et pas seulement parce qu’ils sont contraints par le système de prix. Cet argument renvoie à la place qui doit être celle des incitations économiques dans la transition des valeurs. Il est en effet essentiel d’éviter une erreur très souvent commise par les chercheurs et les décideurs consistant à rabattre le développement humain et le développement soutenable sur la croissance du PIB et la valeur monétaire tout en prétendant les dépasser. Croyant promouvoir une nouvelle vision du monde économique, on dira ainsi que la santé est importante parce qu’elle rapporte des « point de PIB » ou que la démocratie doit être souhaitée parce qu’elle est un facteur de croissance ou encore que la pollution doit être combattue parce qu’elle freine le développement économique. Cette façon de s’éloigner du PIB pour mieux y revenir illustre bien la différence entre une révolution et un rond point : la santé est importante en soi, pas parce qu’elle permettrait davantage de croissance économique ; de la même manière la démocratie importe pour le bien-être qu’elle procure aux individus et pas parce qu’elle les rendrait plus productifs, enfin la pollution compte pour ses effets sur la santé humaine et les écosystèmes. En d’autres termes, les politiques publiques doivent viser les objectifs finaux du bien-être et de la soutenabilité et pas des objectifs intermédiaires, surtout quand ces derniers constituent des entraves à l’atteinte des objectifs finaux ! Il n’y a pas de véritable transition des valeurs si seules les valeurs secondaires sont modifiées mais que la croissance demeure l’ultima ratio de la coopération sociale. Pour paraphraser Albert Einstein, si l’on continue à avoir l’esprit en forme de marteau, on continuera à voir les problèmes en forme de clou.

Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, Un nouveau monde économique, Odile Jacob, 2015, p.204-207

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5. Quel niveau d’action publique pour promouvoir la soutenabilité de la croissance et du développement ?

5.1 Les politiques de développement durable au niveau national

5.1.1 Une nouvelle politique industrielle pour lutter contre les défaillances de marché qui freinent la transition énergétique

Document : la transition énergétique à l’origine d’un nouveau cycle long d’innovationL’investissement dans la maîtrise du changement climatique a le potentiel de renouveler profondément le régime de croissance dans le sens du développement durable. La transition énergétique, liée au changement climatique et pas seulement à la rareté à venir des sources d’énergie fossile, n’est pas qu’un processus de substitution des sources d’énergie renouvelables à des non renouvelables. C’est une transformation d’ensemble de la production dans le sens de l’efficacité énergétique à laquelle l’efficacité carbone est étroitement corrélée. En ce sens, on peut qualifier cette transformation de vague d’innovation séculaire. Les innovations séculaires nourrissent l’accumulation du capital sur de longues périodes parce qu’elles bouleversent la vie des sociétés. C’est une coévolution du changement des structures économiques et des institutions sociales qui oriente des trajectoires de croissance sur de très longues périodes. S’inscrivant dans la logique capitaliste, ces innovations radicales sont concrétisées dans les structures de la production et dans les modes de vie par les paris de la finance. Les crises d’adaptation sont donc toujours marquées par des crises financières de grande ampleur qui résultent des excès dans la valorisation des promesses de rentabilité que ces innovations engendrent. A travers ces crises financières, c’est le régime de croissance qui se redéfinit. Les grandes vagues d’innovation peuvent se chevaucher, la crise d’adaptation d’un type d’innovation coexistant avec l’émergence du suivant. C’est ainsi que l’organisation taylorienne du travail développée dans les chaînes intégrées de production de l’industrie lourder a essaimé dans la production de masse des biens durables de consommation, fer de lance de la vague d’innovations suivante. En recoupant les informations sur les dates des révolutions industrielles et sur les déclenchements des crises financières majeures, puis sur l’étude de l’époque dite fordiste, on peut dresser le tableau suivant complété par des connaissances parcellaires sur les révolutions en cours des technologies de l’information et de l’environnement.

Ce tableau décrit le déploiement de ces innovations qui scandent les époques historiques du capitalisme depuis la première révolution industrielle. Elles sont bien au-delà des politiques économiques. toute la société des pays qu’elles transforment est concernée, soit directement, soit par les répercussions de la mobilité du travail sur les secteurs plus traditionnels. Toutefois, ces innovations requièrent une complémentarité des investissements publics et privés. C’est ainsi que l’automobile a remodelé entièrement les villes. Elles se déploient en phases successives. Les investissements structurants jouant un rôle majeur dans leur expansion parce qu’ils induisent des flux d’investissement qui réalisent le paradigme de l’innovation majeure dans l’ensemble de l’économie. c’est le lien entre l’innovation générique qui révolutionne le progrès technique et transforme le mode de vie et les innovations incrémentales qui la réalisent concrètement dans les entreprises.

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La possibilité d’une vague d’innovations radicales fondées sur l’environnement n’est pas reconnue par tous. Si l’on fait remonter l’événement inaugural à l’avertissement du Club de Rome en 1972, la phase d’émergence est particulièrement longue. Même le sommet de la terre à Rio en 1992, et les conférences internationales qui ont suivi n’ont pas véritablement lancé la phase de diffusion. Celle-ci est en effet la phase où le principe qui porte l’innovation séculaire considérée devient dominant dans les choix d’investissement des pays leaders dans les technologies qui concrétisent cette innovation. Même si de plus en plus d’acteurs économiques et de gouvernements sont convaincus de la réalité du changement climatique et de son origine humaine, le lien financier qui déclenche les investissements massifs de l’entrée en phase de diffusion n’a pas encore été noué.

Source : M.Aglietta « Sortir de la crise et inventer l’avenir », Michalon, 2014, p. 288

Résumé : la position d’Aghion, Cette et Cohen « Changer de modèle » 2014Une nouvelle politique industrielle

Agir sur l’environnement des entreprises

Mobilité sur le marché du travail ;Accès au financement des activités innovantes ;Dévaluation fiscale ;Stimuler l’enseignement supérieur ;Favoriser la mobilité professionnelle

Aides financières aux entreprises : comment aider des entreprises sans aider un champion national (ie sans choisir le vainqueur de la compétition avant) ?

En subventionnant des secteurs concurrentiels plutôt que des entreprises ;

Tenir compte de la transition énergétique (l’enjeu du développement durable)

Le financement des activités liées à la transition énergétique est touché par de nombreuses défaillances de marché auxquelles l’Etat doit répondre et qui le conduisent à se substituer au marché ;Il faut éviter que ne se renforcent des phénomènes de chemins de dépendance dans des technologies sales ;Les innovations dans le secteur de l’environnement sont le moteur d’une nouvelle phase d’« innovation séculaire »

Document  : les modalités de l’intervention publiqueLa lutte contre le réchauffement climatique est une affaire collective. Elle est « additive » : tous y contribuent à hauteur de leurs émissions. Les pouvoirs publics ont un rôle particulier à y jouer. D’une part, il leur incombe de mener des actions de financement direct pour développer la recherche et l’information et pour adapter les infrastructures publiques aux exigences climatiques. De l’autre, taxation, réglementation, subventions, assurances … sont essentielles pour créer un cadre général favorable aux investissements verts. (…) Le défi est de parvenir à mobiliser le secteur privé pour la fourniture d’un bien public, à savoir la lutte contre le réchauffement climatique. Pourquoi les investisseurs privés ne s’engagent-ils pas plus avant dans les investissements verts favorables au climat ? Essentiellement parce qu’ils n’ont pas à être gouvernés par la philanthropie et que le profil des retours financiers est trop incertain et lointain. Les politiques publiques peuvent améliorer ce profil de plusieurs façons : en donnant plus de visibilité au cadre réglementaire et au calendrier d’introduction de normes plus exigeantes en termes d’émissions de carbone ; en soutenant la recherche et l’information sur le réchauffement climatique lui-même, mais aussi sur les innovations techniques ; en partageant certains risques (techniques, climatiques, politiques) ; ou encore en contribuant à soutenir la demande pour les produits issus des investissements verts.

Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p.120

Document : Agir sur le financement (aides publiques et nouveaux instruments financiers)Un frein majeur au développement rapide de la transition est celui du financement  : pas de prix carbone, peu de transferts tarifaires, peu de ressources disponibles du côté des Etats, de charges financières importantes pour les compagnies européennes d’électricité touchées par le développement rapide des renouvelables. Une véritable politique de la transition énergétique impliquerait d’importantes innovations financières. Ainsi l’Allemagne s’est dotée d’un groupe bancaire public très actif dans la promotion de cette transition. Plus généralement, le développement rapide de green bonds (obligations vertes) et de certaines formes de crowdfunding montre que les investissements de changement peuvent attirer des fonds. En France, des propositions ont été faites pour

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rendre éligibles à la politique de rachat de la BCE des titres privés dont l’impact bas carbone serait garanti par le gouvernement.

Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p. 93

Document : le coût de la transition, la préférence allemande pour une énergie chèreEn Allemagne, la transition énergétique s’accompagne de la sortie du nucléaire. Dans ce pays, les énergies renouvelables se développent rapidement. Leur production d’électricité est institutionnellement achetée par les électriciens à des prix préférentiels. Cela entraîne la diminution de la production des grandes centrales thermiques voire la fermeture de certaines d’entre elles. En 2013 et 2014, plusieurs dizaines de gigawatts de capacité ont ainsi été mis sous cocon. Au niveau européen, l’électricité renouvelable allemande se traduit parfois par une vente d’électricité à un prix négatif aux pays voisins car l’Allemagne ne peut absorber toute sa production. la transition énergétique allemande est coûteuse : la fermeture des centrales nucléaires entraîne la construction de centrales à charbon qui augmentent temporairement les émissions de GES. Le coût de la transition allemande fait débat mais les citoyens paraissent pour l’instant prêts à payer des prix élevés pour une électricité de transition.

Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p. 90

Document : les contradictions de la politique énergétique dans le cadre européenL’organisation traditionnelle des systèmes énergétiques est très vivement interpellée par la transition énergétiques et la nécessité de diminuer l’intensité carbone des structures en place. (…) La construction d’un marché européen de l’énergie est fondée sur un principe essentiel du traité de Rome : la libre circulation des marchandises et des services, qui doit être orchestrée par le jeu des marchés et de la concurrence. Pour l’électricité et le gaz naturel, des filières qui étaient souvent organisées en monopole, il a fallu attendre 1996 et 1998 pour que deux directives européennes déclenchent la libéralisation des marchés. En fonction de ces directives, la concurrence doit être introduite partout où cela est possible et l’intégration verticale doit être brisée afin de séparer clairement les activités jugées concurrentielles de celles qui doivent être maintenue en monopole. (…) C’est ainsi que les pays européens ont été amenés à créer des autorités de régulation pour le gaz naturel et l’électricité, des autorités en principe indépendantes des instances politiques. A côté du principe des marchés et de la concurrence, les gouvernements européens ont voulu adjoindre des objectifs de politique générale visant au développement durable et à la diminution de l’intensité carbone. C’est ce que l’on appelle le paquet climat-énergie, une décision européenne de 2009 qui impose la règle des « 3x20 pour 2020 » : améliorer de 20% l’efficacité énergétique, monter la part des énergies renouvelables à 20% du bilan énergétique et réduire de 20% nos émissions de GES par rapport au niveau atteint en 1990. On comprend bien que ce ne sont pas les marchés et la concurrence qui vont automatiquement conduire à la réalisation de ces objectifs. Il existe donc une sorte de contradiction entre le principe de la concurrence et ce que l’on peut appeler une « vision européenne de l’énergie » qui reflète une prise de conscience et une responsabilité politique collective vis-à-vis du réchauffement climatique. En 2014-2015, la réduction des émissions de GES a été réaffirmée en fixant un nouvel objectif de réduction à hauteur de 40% à l’horizon 2030. (…)

Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p. 93

5.1.2 Vers un Etat-social écologique : « le bel avenir de l’Etat Providence » (L.Eloi)

Document : Répondre au défi climatique, un enjeu aussi important pour les démocraties que la réponse à la Question Sociale du 19ième siècle

Le défi climatique devrait bien conduire à changer la logique du capitalisme, ou plus largement de l’économie industrielle qui a produit le réchauffement. Et si l’on se place dans une perspective d’histoire économique et politique, on peut y voir un défi à certains égards comparable à celui qu’a représenté la transformation du capitalisme concurrentiel du 19ième en un capitalisme organisé ou institutionnalisé au 20 ième. Cette « grande transformation » a abouti à un ensemble d’innovations institutionnelles dont la théorie de la régulation a formalisé la logique, elle a mis en mouvement des forces économiques nouvelles connues sous le nom de « fordisme ». Au 20ième siècle, le capitalisme a ainsi connu une première mutation, le salariat s’est transformé, le pouvoir d’achat a augmenté, la protection sociale s’est généralisée ; au 21ième siècle, le climat le met au défi d’une mutation d’ampleur comparable. Le paramètre déterminant était, pour le fordisme, le lien entre salaire réel et productivité ; le paramètre déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique, c’est le prix du carbone. Mais si le jeu de ces paramètres économiques est dans les deux cas essentiel, c’est comme l’enseigne l’histoire, le contexte politique qui joue un rôle déterminant pour organiser de telles mutations : le climat peut-il aussi changer la logique des choix politiques ? ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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La prise de conscience par les opinions publiques de la réalité et des dangers du réchauffement climatique est bien le point de départ d’une révolution. C’est en effet dans les régimes démocratiques qu’est née la sensibilité aux questions d’environnement et que sont apparus ses premiers fruits, il suffit de comparer l’état de l’Europe occidentale et de l’Europe orientale au lendemain de la chute du mur de Berlin pour s’en convaincre.

Source : ss la direction de Jacques Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme » Eyrolles, 2015, p.18

Document : l’Etat social-écologique « Faire face aux crises écologiques du 21ème siècle, c’est donc à la fois s’attaquer aux causes sociales qui les créent (à commencer par les inégalités) et atténuer leurs conséquences, également sociales. L’Etat-providence est le moyen le plus puissant pour y parvenir. »

Eloi Laurent, Le bel avenir de l’Etat-Providence, Les Liens qui Libèrent, 2014

Document : L’Etat social-écologique ou comment dépasser l’arbitrage entre question sociale et question environnementale (Eloi Laurent, Le bel avenir de l’Etat Providence, 2014)

Mettre en oeuvre une politique social-écologique revient à articuler enjeux sociaux et défis environnementaux pour permettre un progrès dans l’une et l’autre dimension simultanément (…) . Mais dans bien des cas, envisager et concevoir une politique social-écologique consiste à reconnaître l’existence d’un arbitrage entre la question sociale et la question environnementale pour parvenir à la surmonter (c’est l’exemple de la fiscalité carbone, qui peut, si l’on y prend garde, avoir des conséquences sociales néfastes). On peut formaliser cette approche à l’aide d’une matrice social-écologique. (…)

Chaque quadrant représente une évaluation combinée des résultats sociaux et environnementaux d’une situation. Dans le quadrant supérieur gauche, la pauvreté énergétique résulte à la fois de la pauvreté monétaire et de la surconsommation d’énergie. L’isolation thermique des habitations permet de réduire la consommation d’énergie (et les émissions de GES, ce qui engendre une amélioration environnementale), laquelle se traduit par une baisse des dépenses des ménages, donc un progrès social. Dans le quadrant supérieur droit, la taxation du carbone sans compensation sociale est à la fois socialement régressive, parce qu’elle touche davantage les plus pauvres, qui consacrent une grande partie de leurs revenus à la consommation d’énergie, et efficace du point de vue environnemental, car elle réduit les émissions de GES en donnant un prix au carbone. L’introduction de compensations sociales en fonction du niveau de revenu et du lieu d’habitation (zones rurales vs zones urbaines, zones péri-urbaines vs centres urbains) maintient l’efficacité environnementale de la mesure (la compensation ne doit pas être comprise comme une exonération), mais rend plus juste son impact social et facilite donc son acceptabilité politique. Enfin, le quadrant inférieur gauche prend l’exemple de l’analyse coûts-bénéfices (ACB) appliquée aux projets d’infrastructure, par exemple la construction de logements dans une région riche en zones humides. Lorsque les ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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effets des services rendus par la biodiversité et les écosystèmes ne sont pas ou seulement partiellement pris en compte dans l’analyse, la réalisation du projet augmente le bien-être humain en même temps qu’elle aboutit à la destruction des écosystèmes et de la biodiversité. La politique social-écologique consiste donc dans ce cas à modifier les indicateurs utilisés pour la décision en intégrant la valeur sociale des écosystèmes et de la biodiversité. Quand une évaluation correcte, fondée sur une analyse de la richesse globale (y compris les avantages tirés du capital naturel), est réalisée, le projet d’infrastructure est déplacé vers un emplacement moins nocif ou bien annulé, ce qui conduit à un progrès social et environnemental.

Eloi Laurent, Le bel avenir de l’Etat-providence, Les liens qui libèrent, 2014 p.93-97

Document : Des politiques publiques cohérentes pour garantir efficacité environnementale et équité sociale

Au niveau national, on objecte parfois qu’une taxation du carbone coûtera aux plus démunis. La tarification du carbone entraîne une diminution du pouvoir d’achat des ménages, y compris celui des plus modestes, ce qui peut être vu comme un obstacle à sa mise en oeuvre. (…) Ce qui est vrai, mais ne doit pas empêcher la réalisation de l’objectif écologique. En matière d’intervention publique, il est important d’associer à chaque objectif un outil adapté, et si possible de ne pas chercher à manipuler un outil, tel que la tarification carbone, pour atteindre une multitude d’objectifs. En ce qui concerne les inégalités, l’Etat devrait plutôt recourir à l’impôt sur le revenu autant que possible pour redistribuer les revenus de manière transparente, tout en menant indépendamment une politique environnementale adaptée. Celle-ci ne devrait pas être détournée de son objectif premier pour répondre aux inquiétudes légitimes quant à l’inégalité. De tels arguments pourraient en effet conduire plus généralement à l’adoption de politiques que nous jugerions tous indésirables, comme tarifer l’électricité à un dixième de son coût (bonjour les fenêtres ouvertes avec des radiateurs brûlants ou, pour les plus aisés, les piscines extérieures chauffées toute l’année ; adieu l’isolation des bâtiments et autres comportements écologiques) ou encourager le tabagisme en se débarrassant des taxes élevées sur le tabac sous prétexte que les plus démunis fument beaucoup. Exemples délirants ? Pourtant, et quelle qu’en soit la raison, c’est ce que nous faisons aujourd’hui avec le carbone.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.299-300

5.2 Le rôle des politiques publiques territoriales : la « transition polycentrique » (E.Ostrom)

Document : Les territoires et la « transition polycentrique » (E.Ostrom)Il existe au moins trois raisons fortes qui font des territoires (régions, métropoles, départements, villes) plus que les Etats-nations, les vecteurs par excellence de la transition du bien-être et de la soutenabilité. La première tient à leur montée en puissance sous le double effet de la mondialisation et de l’urbanisation. Les territoires ne sont plus des subdivisions administratives de l’espace national mais des multiplicateurs autonomes de développement. Toute politique publique est désormais territoriale. Deuxièmement, la nécessité de mesurer et d’améliorer le bien-être humain au plus près des réalités vécues par les personnes impose l’échelle territoriale. L’IDH calculé pour la France entière est utile pour les comparaisons internationales ou historiques mais il ne nous dit rien du développement humain réel dans le pays et notamment des différences parfois fortes qui peuvent exister entre les territoires. Enfin, les territoires sont plus agiles que les Etats et davantage capables de mettre en mouvement les nouveaux indicateurs et de les traduire en nouvelles politiques. On parle à ce sujet, à la suite d’Elinor Ostrom (Prix Nobel 2009) de « transition polycentrique » pour signifier que chaque échelon de gouvernement peut s’emparer de la transition du bien-être et de la soutenabilité sans attendre une impulsion venue d’en haut. (…) L’approche territoriale du bien-être est indispensable et le cas de la France permet de s’en convaincre complètement. Une étude conduite récemment pour l’Association des régions de France par la Direction de la prospective du Nord-Pas-de-Calais, très en pointe sur la conception et l’usage des indicateurs de bien-être de soutenabilité, permet de saisir tout ce que ces indicateurs apportent à la compréhension des trajectoires de développement des régions françaises. L’étude croise 3 indicateurs : le PIB par habitant, l’IDH et l’indicateur de santé sociale. ce dernier présente l’avantage d’enrichir encore l’approche du bien-être par rapport à l’indice de développement humain en agrégeant non pas trois mais quatorze indicateurs parmi lesquels les conditions de travail, de logement, la sécurité ou encore la qualité du lien social. En comparant le classement des différentes régions françaises obtenu selon ces trois indicateurs, on constate trois faits particulièrement intéressants. Tout d’abord, les régions les mieux classées selon le PIB par habitant ne sont pas les mieux classées selon l’IDH. Pour autant, deuxième constat, la corrélation entre PIB/hab et IDH n’est pas négligeable. Mais dernier

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constat, les dimensions non monétaires du développement humain (santé et éducation) sont quant à elles très faiblement corrélées au PIB/hab. Ces considérations nous dévoilent deux réalités essentielles : d’une part, la carte du PIB par habitant ne coincide pas en France avec celle du développement humain, autrement dit les régions les plus riches économiquement ne sont pas nécessairement les plus développées humainement ; d’autre part, les dimensions non monétaires du développement humain, la santé et l’éducation, ne « découlent » pas du revenu : il faut donc des politiques spécifiques qui prennent ces enjeux à bras-le-corps car le simple fait d’être riche ne suffit pas pour être bien éduqué et en bonne santé, ou riche humainement. Tout dernier constat, le niveau du Pib par habitant et l’indicateur de santé social sont encore moins corrélés que le PIB par habitant et le niveau de développement humain. ce dernier point nous indique que lorsque le revenu est remis à sa place dans un ensemble plus vaste qui vise à mieux appréhender la pluralité du bien-être humain, son influence diminue. Autrement dit, en élargissant la définition du bien-être pour y inclure de nouvelles dimensions, on met encore plus de distance entre la carte de France de la richesse économique et celle de la richesse humaine. Les travaux de qualité sur le bien-être territorial en France se multiplient ces dernières années et permettent de laisser de côté des débats devenus trop étroits sur le développement économique territorial (réduit au pib ou au revenu par habitant) ou « l’attractivité économique » considéré sous le seul angle d’une « compétitivité » dont la définition est mal assise. (…) L’Insee a ainsi proposé récemment une étude de la qualité de vie dans les territoires français en croissant une trentaine d’indicateurs. Il en résulte une cartographie du bien-être territorial. (…) L’Insee dégage huit grands types de territoires. Ce qui apparaît c’est une carte de France des arbitrages territoriaux entre différentes dimensions du bien-être humain. (…) L’OCDE s’est aussi récemment engagé sur le terrain de la mesure du bien-être territorial.

On repère immédiatement qu’en matière de logement ou d’environnement, la région capitale est nettement en dessous de la moyenne des autres régions françaises alors qu’elle les dépasse en matière de revenu et de santé. Il s’agit là d’éléments très utiles portés à la connaissance des pouvoirs publics franciliens qui peuvent les mettre à profit dans la conception de politiques publiques adaptées au profil du bien être territorial de la région.

Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150

Document : La transition polycentrique en action, l’exemple des pêcheurs d’Alanya en Turquie

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Examinons brièvement une solution imaginée par les participants à une situation – à Alanya (Turquie) – qui ne peut être qualifiée ni de régulation centrale, ni de privatisation. La pêche littorale, à Alanya, est une opération d’envergure relativement limitée. Une bonne partie de la centaine de pêcheurs locaux opèrent à partir de bateaux de deux ou trois personnes, en utilisant divers types de filets. La moitié des pêcheurs appartiennent à la coopérative de producteurs locale. La première moitié des années 1970 fut l’âge sombre d’Alanya. La viabilité économique de la pêche était menacée par deux facteurs. D’une part, la pêche illimitée avait engendré de l’hostilité et, parfois, de violents conflits entre les utilisateurs. D’autre part, la concurrence entre les pêcheurs pour les meilleures zones de pêche avait fait grimper les coûts de production ainsi que le niveau d’incertitude concernant le potentiel de récolte de chaque bateau. Au début des années 1970, les membres de la coopérative locale commencèrent à expérimenter un système ingénieux d’allotissement des sites de pêche parmi les pêcheurs locaux. Après plus d’une décennie d’apprentissage par essais et erreurs, les règles utilisées par les pêcheurs du littoral d’Alanya furent définies comme suit :

Chaque année, en septembre, une liste de pêcheurs éligibles (tous les pêcheurs licenciés d’Alanya) est préparée, sans tenir compte de l’adhésion à la coopérative.

Au sein d’une zone normalement utilisée par les pêcheurs d’Alanya, tous les lieux de pêches sont nommés et listés. Ces sites sont suffisamment espacés pour que les filets placés sur un site n’entravent pas le passage du poisson qui devrait être disponible sur les sites adjacents.

Ces sites de pêche nommés et leur attribution sont en application de septembre à mai. En septembre, les pêcheurs éligibles tirent au sort les lots auxquels ils sont affectés. Chaque jour, de septembre à janvier, chaque pêcheur se déplace vers est jusqu’au lot voisin. Après

janvier, les pêcheurs se déplacent vers l’ouest. Ce système donne aux pêcheurs des opportunités égales par rapport aux bancs qui migrent d’est en ouest entre septembre et janvier et inversement entre janvier et mai.

Le système a pour effet d’espacer suffisamment les pêcheurs entre eux pour que les capacités de production soient optimisées sur chaque site. Tous les bateaux de pêche disposent en outre de chances égales de pêcher sur les meilleurs sites. Les ressources ne sont pas gaspillées dans la recherche des meilleurs zones ou dans la lutte pour y accéder. Aucun signe de surcapitalisation n’est apparent. Une fois par an, au moment de la loterie, la liste des sites de pêche est signée par chaque pêcheur et déposée auprès du maire et de la gendarmerie locale. Toutefois, le processus de contrôle et d’application du système est assuré par les pêcheurs eux-mêmes, en tant que produit dérivé du système de rotation. Le jour où un pêcheur déterminé est affecté à l’un des sites les plus productifs, il est certain que ce pêcheur exercera cette prérogative (si l’on exclut tout problème technique de dernière minute). Tous les autres pêcheurs peuvent s’attendre à le trouver de bonne heure sur son site du jour. Par conséquent, tout effort de contourner le système en se rendant sur un bon site le jour où l’on est assigné à un mauvais a peu de chance de passer inaperçu. Les infractions aux règles seront constatées précisément par les pêcheurs qui ont le droit de bénéficier des meilleurs sites et qui seront enclins à défendre ce droit, si nécessaire par la force. Leur droit sera appuyé par tous les autres participants au système. Les autres voudront assurer que leur propre droit ne sera pas usurpé lorsque leur tour viendra de pêcher sur les meilleurs sites. Les quelques infractions survenues ont été réglées rapidement par les pêcheurs au bistrot du coin. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un système de propriété privée, les droits d’utilisation des sites de pêche et le devoir de respecter ces droits sont clairement définis. Et s’il ne s’agit pas d’un système centralisé, la législation nationale qui a donné juridiction à de telles coopératives pour mettre en place des «  dispositifs locaux » a été utilisée par les agents responsables de la coopérative pour légitimer leur rôle d’aide à la conception d’un ensemble exploitable de règles. Le fait que les responsables locaux avalisent chaque année l’accord signé renforce également sa légitimité. La supervision et l’application réelle des règles, toutefois, sont confiées aux pêcheurs. Les fonctionnaires d’un gouvernement central n’auraient pu élaborer un tel règlement sans mettre une équipe entière au travail (à la pêche en fait) à plein temps dans la région pendant une longue période. Les sites de pêche de valeurs économiques variables sont communément associés à la pêche littorale, mais ils sont presque impossibles à cartographier sans une expérience approfondie du terrain. Cartographier cet ensemble de sites de pêche, en faisant en sorte que les activités de pêche de chaque bateau ne réduisent pas la migration du poisson vers les autres zones, aurait constitué un défi de taille sans une information chronologique et topologique approfondie fournie par les pêcheurs, à supposer qu’ils eussent été disposés à collaborer à une expérience recourant à divers systèmes et cartes pendant une décennie. Alanya fournit un exemple de mécanisme de propriété commune indépendant dans lequel les règles ont été élaborées et modifiées par les participants eux-mêmes et dont ils assurent également le contrôle et l’application. Le cas des pêches littorales d’Alanya n’est qu’un exemple empirique parmi de nombreux dispositifs institutionnels imaginés, modifiés, supervisés et appliqués par les utilisateurs de ressources communes ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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renouvelables afin de parer les stratégies individuelles qui, si on leur laissait libre cours, réduiraient les revenus collectifs de la communauté d’utilisateurs. (…) Les cas empiriques de ressources communes gouvernées efficacement fournissent des alternatives théoriques et empiriques à l’affirmation selon laquelle les acteurs concernés ne peuvent surmonter les problèmes qui surviennent lorsque de multiples individus utilisent une ressource donnée. La clé de mon argument est que certains individus se sont libérés du piège inhérent au dilemme des biens communs, pendant que d’autres, toujours pris dans un cercle vicieux, continuent de détruire leurs propres ressources. Ceci m’amène à m’interroger sur les différences entre ceux qui ont rompu les chaines du dilemme des biens communs et ceux qui en sont toujours prisonniers. Ces différences peuvent être liées aux facteurs internes à un groupe donné. Les participants peuvent simplement ne pas avoir la capacité à communiquer les uns avec les autres, ne pas disposer des moyens de développer la confiance ou ne pas être conscients qu’ils doivent partager un avenir commun. Par ailleurs, des individus puissants qui profitent de la situation actuelle, tandis que d’autres la subissent, peuvent faire obstacle aux efforts consentis par les moins puissants pour changer les règles du jeu. Ces groupes pourraient avoir besoin d’une certaine forme d’assistance extérieure pour briser la logique perverse de leur situation. Les différences entre ceux qui ont surmonté les dilemmes des biens communs et les autres peuvent aussi être liées à des facteurs extérieurs au domaine concerné. Certains participants ne disposent pas de l’autonomie nécessaire pour modifier leurs propres structures institutionnelles et sont empêchés d’entreprendre des changements constructifs par des autorités extérieures indifférentes aux perversités du dilemme des biens communs ou qui, dans certains cas, en tirent même profit. Ajoutons à cela la possibilité que des changements externes puissent balayer un groupe, lui donnant trop peu de temps pour ajuster ses structures internes afin d’éviter des résultats sous-optimaux. Certains groupes souffrent de systèmes d’incitations pervers qui sont eux-mêmes le résultat de politiques poursuivies par des autorités centrales. De nombreuses réponses potentielles viennent à l’esprit lorsqu’on se demande pourquoi certains individus ne réalisent pas des bénéfices collectifs pour eux-mêmes tandis que d’autres le font. Toutefois, tant que les analystes supposeront que les individus ne peuvent modifier eux-mêmes de telles situations, ils ne s’interrogerons pas sur la manière dont les variables internes et externes peuvent renforcer ou affaiblir les efforts des communautés d’individus à traiter de manière créative et constructive des problèmes pervers tels que la tragédie des biens communs.

Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, coll. Planète en jeu, De Boeck, 2010 (édition originale : 1990) p.32-35

Document : La Transition polycentrique en action, l’exemple des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des politiques climat-énergie

Plusieurs facteurs se conjuguent pour imprimer à la transition une forte composante décentralisée. Le mouvement européen de libéralisation et, d’autre part, la crise économique et financière tendent à réduire le pouvoir directeur des gouvernements et des Etats qui sont confrontés à une limitation drastique de leurs disponibilités financières. Une sortie de crise macroéconomique est aujourd’hui beaucoup plus difficile que par le passé et on comprend que les gouvernements recherchent des relais de croissance et favorisent par ailleurs, souvent sous pression, une certaine décentralisation. Les collectivités locales, quant à elles, sont beaucoup plus motivées pour agir sur le plan économique et social, et le couple énergie-environnement est un thème qui motive localement les consommateurs-électeurs. Il y a plusieurs éléments dans cette motivation ; d’abord une prise de conscience progressive de l’importance du sujet énergie-climat, ensuite une assez forte appétence pour lancer des projets économiques et sociaux locaux qui avivent parfois des rapports de force dans lesquels les intérêts purement locaux s’affrontent entre eux et peuvent s’opposer en outre à des objectifs de service public ou d’intérêt général. En France, les affaires récentes de l’interconnexion électrique avec l’Espagne, du barrage de Sivens, de la ferme des mille vaches ou de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sont des cas d’école sur la difficulté croissante des décisions publiques. Une porte de sortie réside dans la « démocratie participative » qui reflète bien un besoin de décentralisation démocratique avec les dangers que cela peut comporter pour la solidarité nationale et l’intérêt général. La polarisation sur des projets locaux est en soi une démarche englobante. Elle correspond à une volonté des citoyens d’agir directement sur l’environnement quotidien : qualité de l’air qu’ils respirent, de l’eau qu’ils boivent, du bruit qu’ils peuvent supporter, commodité des transports, confort et propreté de leur environnement proche. Par ailleurs, les projets locaux sont d’autant plus appréciés qu’ils suscitent la création d’entreprises et d’emplois locaux non délocalisables. On a bien là, en émergence, une dynamique économique locale qui inclut les question énergie-climat mais qui va bien au delà. Plusieurs types de collectivités locales sont concernées par la décentralisation : les régions, les départements, les communautés de communes et les communes elles-mêmes. Rappelons qu’en 2009, après l’adoption du paquet énergie-climat, 400 villes européennes s’étaient mobilisées à Bruxelles pour affirmer qu’elles souhaitaient aller « plus vite et plus fort » que les « 3 x 20 pour 2020 ». Elles sont aujourd’hui plusieurs milliers

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à être engagées dans des programmes locaux énergie-climat. Au niveau européen, une organisation comme Energycities permet de suivre les programmes et les réalisations de nombreuses municipalités. En Allemagne, les Stadwerke s’inquiètent souvent d’un développement massif de la production d’électricité éolienne dans le Nord qui n’est pas automatiquement accompagné par la construction de lignes haute tension pour transporter l’électricité du nord vers le sud. Cette inquiétude se traduit par l’encouragement d’installations énergétiques locales qui renforcent la sécurité des approvisionnements. En France, le débat qui a accompagné la préparation de la loi sur la transition (2012-2014) a donné lieu à des centaines de débats locaux au moment où les régions préparaient leurs plans locaux énergie-climat. Une immense mobilisation populaire s’est effectuée sur ces thèmes. Ces implications locales incluent nécessairement la volonté d’utiliser les ressources énergétiques locales et souvent de les combiner, ce qui n’était pas la préoccupation majeure des acteurs traditionnels. Ces combinaisons de ressources s’inscrivent dans un environnement énergétique global marqué par de multiples incertitudes : incertitudes sur l’étendue des ressources et l’accès à celles-ci, sur les coûts et les prix, sur les effets du réchauffement climatique, sur la sécurité des approvisionnements. Face à ces incertitudes, la réponse de pur bon sens est celle de la diversité et c’est dans cette optique que de nombreuses collectivités locales font leurs choix. Cet enracinement décentralisé constitue un élément nouveau de l’équation énergie-climat et on le retrouve fréquemment au niveau international.

Sous la direction de Jacques Mistral, Le climat va-t-il changer le capitalisme ?, Eyrolles, 2015 p.89-90

5.3 La coopération internationale pour mettre en œuvre une gouvernance mondiale sur l’enjeu climatique

5.3.1 La coopération internationale pénalisée par les comportements de passager clandestin

Document :On peut appeler au dialogue, on peut rêver d’un autre monde où les acteurs économiques (…) changeraient leurs habitudes de consommation et décideraient d’adopter des comportements écologiques vertueux. Il faut dialoguer, expliquer les enjeux, sensibiliser aux conséquences de notre comportement collectif. Mais tout cela risque de demeurer bien insuffisant. La réalité est que le dialogue s’est noué il y a plus de 25 ans et qu’il est suffisamment médiatisé pour que personne ne l’ignore ; que la plupart d’entre nous sommes prêts à faire de petits gestes pour l’environnement, mais pas à nous priver de notre voiture, à payer notre électricité beaucoup plus cher, à restreindre notre consommation de viande ou nos voyages en avion pour des destinations lointaines ; que les initiatives locales de développement durable sont très louables, mais en elles-mêmes ne suffiront absolument pas. A la vérité, nous souhaiterions que les autres agissent ainsi à notre place et pour nous – ou plutôt pour nos petits enfants. Aussi irresponsable soit-elle, notre politique commune est facilement explicable. Elle est le fruit de deux facteurs : l’égoïsme vis-à-vis des générations futures et le problème du passager clandestin. En d’autres termes, les bénéfices liés à l’atténuation du changement climatique restent essentiellement globaux et lointains, tandis que les coûts sont locaux et immédiats.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.268

Document : Le problème du passager clandestinChaque pays agit d’abord dans son propre intérêt, au nom de ses agents économiques, tout en espérant profiter des efforts des autres. En économie, le changement climatique est présenté comme un problème de bien commun. A long terme, la plupart des pays devraient tirer un bénéfice important d’une réduction massive des émissions globales de GES, car le réchauffement climatique aura des effets économiques, sociaux et géopolitiques considérables. Cependant, les incitations individuelles à cette réduction sont négligeables. La majorité des bénéfices liés aux mesures d’atténuation prises par un pays donné profite en réalité à d’autres pays. Ainsi un pays donné supporte 100 % du coût de ses politiques climatiques (…). En revanche, (…) il ne recevra que 1 % des bénéfices de cette politique si le pays en question représente 1 % de la population mondiale (…). En d’autres termes, le calcul est vite fait, ses politiques vertes bénéficieront en quasi-totalité aux autres pays ! C’est un peu comme si vous aviez le choix entre consommer 100 € aujourd’hui et épargner cette somme, sachant que 99 € de cette épargne vous serait prélevés pour être redistribués à des inconnus. De surcroît, la plus grande partie des bienfaits de cette politique ne bénéficie pas aux individus aujourd’hui en âge de voter, mais plutôt aux générations futures. Par conséquent, les pays n’internalisent pas les bénéfices de leurs politiques visant à réduire leurs émissions : ces politiques demeurent insuffisantes, les taux d’émissions se maintiennent à des niveaux élevés et le changement climatique s’accélère. Le problème du passager clandestin (free rider) conduit à la tragédie des biens communs, comme le démontre une multitude d’études de cas (…). La politologue américaine Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, a montré

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pour sa part comment de petites communautés stables sont capables, dans certaines conditions, de gérer leurs ressources locales communes sans se retrouver victimes de cette tragédie, grâce à des mécanismes informels d’incitation et de sanction. Ces approches informelles pour limiter le problème du passager clandestin ne sont évidemment pas applicables au changement climatique, car dans ce cas les parties prenantes sont les 7 milliards d’individus qui habitent actuellement la planète ainsi que leur future descendance. Trouver une solution au problème des externalités mondiales est complexe, car il n’existe aucune autorité supranationale susceptible de mettre en œuvre et de faire respecter une approche classique d’internalisation des coûts comme le propose la théorie économique pour gérer ce bien commun, approche souvent privilégiée au niveau national.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.269-271

Document : Le problème du passager clandestin est aggravé par celui des fuites de carboneLa présence de ce que l’on appelle « des fuites de carbone » peut décourager n’importe quel pays ou n’importe quelle région qui désirerait adopter une stratégie d’atténuation unilatérale. Plus précisément, imposer, en taxant les émissions de carbone, des coûts supplémentaires aux industries nationales du secteur non protégé (c’est-à-dire soumis à la concurrence internationale) fortement émettrices de GES porte atteinte à leur compétitivité. Une taxation du carbone suffisamment importante pour contribuer à la lutte contre le changement climatique dans un pays donné conduira donc les entreprises à délocaliser leur production dans d’autres régions du monde, là où elles pourront polluer à bon marché ; dans le cas contraire, elles perdront leurs marchés (domestique ou à l’export) au profit d’entreprises localisées dans des pays qui ne sont pas trop regardants en matière de pollution. Par conséquent, une politique unilatérale déplace la production vers des pays moins responsables, ce qui mène de facto à une simple redistribution de production et de richesse sans bénéfice écologique significatif. De la même manière, quand des pays vertueux augmentent le prix domestique de l’essence ou du fioul afin de réduire la demande d’énergies fossiles, cela tend à faire baisser le cours mondial de ces énergies, ce qui a son tour entraîne une augmentation d’énergies fossiles et des émissions de GES de la part des autres pays non vertueux. Le phénomène des fuites de carbone a donc pour effet de réduire le bénéfice climatique net des efforts consentis dans ce domaine. (…) Le problème des fuites renforce donc l’idée selon laquelle seul un accord global peut résoudre la question du climat : les pays ne pénalisant pas les émissions de carbone polluent beaucoup non seulement pour la production de leur propre consommation, mais aussi pour les exportations vers les pays les plus vertueux ! C’est dans cet esprit que certains observateurs ont estimé empiriquement que le protocole de Kyoto n’a pas engendré d’économies d’émissions, même si quelques pays ont tarifé le carbone.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.271-273

Document : Les actions unilatérales « zéro ambition »Les actions en faveur du climat peuvent paraître surprenantes si l’on songe que comme pour tout ce qui concerne la géopolitique, l’intérêt national prime : pourquoi un pays se sacrifierait-il au nom du bien-être de l’humanité ? La réponse est double. Premièrement s’il y a sacrifice, celui-ci reste bien dérisoire  : ces mesures demeurent modestes et ne permettent pas de corriger une trajectoire d’émissions qui mène à une catastrophe climatique. De plus, il ne s’agit pas véritablement d’un sacrifice dans la mesure où les pays concernés peuvent tirer d’autres bénéfices de la mise en place d’une politique verte. Par exemple des choix verts peuvent contribuer à la réduction d’émission d’autres polluants plus locaux – c’est-à-dire affectant essentiellement le pays lui-même ; ainsi, les centrales au charbon émettent à la fois (…) des polluants locaux responsables des pluies acides ainsi que des particules fines. L’amélioration de l’efficacité énergétique de ces centrales bénéficie donc au pays, y compris en l’absence de toute considération de réchauffement climatique. Dans le même ordre d’idée, le remplacement du lignite, un charbon sale, par le gaz et le pétrole en Occident après la Seconde Guerre mondiale a constitué un progrès sanitaire et environnemental spectaculaire, qui eut notamment pour effet de limiter le smog londonien. Mais, là encore, ce choix n’avait rien à voir avec la lutte contre le réchauffement climatique, dont il n’était d’ailleurs pas question à l’époque, et était dicté par des impératifs nationaux, voire locaux. (…) Ces « cobénéfices » créent un incitant, très insuffisant mais un incitant tout de même, à réduire les émissions. Enfin, l’internalisation partielle des émissions de CO2 par de grands pays comme la Chine (…), le désir d’apaiser l’opinion publique et d’éviter les pressions internationales sont autant de facteurs qui peuvent mener à des actions, même en l’absence d’accord international contraignant. Certaines mesures unilatérales sont donc susceptibles d’être prises par des pays soucieux de leur seul intérêt national. Des actions de réduction du contenu carbone de la production ne signifient pas nécessairement une prise de conscience de l’impact des émissions sur le reste du monde . Ces mesures sont appelée mesures « zéro ambition », l’ambition zéro désignant le niveau d’engagement que choisirait un pays à seule fin de

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limiter des dommages collatéraux locaux et les effets directs des activités polluantes sur le pays lui-même ; en d’autres termes, le niveau pour lequel il aurait opté en l’absence de toute négociation internationale, étant entendu que de telles mesures demeureront largement insuffisantes pour générer les effets qui rendraient le réchauffement climatique gérable.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.276-277

Document : la coopération internationale se heurte aux comportements de passager clandestinL’économie politique du réchauffement climatique n’est pas très favorable à la réalisation de l’optimum social  : les coûts d’un comportement vertueux sont supportés aujourd’hui par le pays le mettant en œuvre, et la quasi-totalité de ses bénéfices vont à l’étranger et à des générations qui ne sont pas en âge de voter. (…) Quel serait un bon accord international ? Comment obtenir l’adhésion des pays ? quelle feuille de route établir pour parvenir à un résultat meilleur ? (…)

Source : Jean Tirole dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme » ss la direction de J.Mistral, Eyrolles, 2015, p. 49

Document

5.3.2 La gouvernance mondiale des questions climatiques : de Rio (1992) à Paris (2015)

ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

La stabilité climatique : un bien public mondial

Les externalités environnementales ne s’arrêtent pas aux frontières de chaque Etat ;Tous les Etats profitent de la qualité de l’environnement (non excluabilité)

La production de ce BPM se heurte à : - une difficulté spécifique aux relations internationales : les comportements de passage clandestin ; chaque Etat attend des autres qu’ils prennent les mesures nécessaires pour

assurer la qualité de l’environnement ; - des difficultés classiques aux problèmes environnementaux : défaillances de marché

et préférence pour le présent

Comment dépasser ces difficultés ?

Comment inciter les Etats à ne pas jouer les passagers clandestins ?

Comment faire disparaître les défaillances de marché ?

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Document : la coopération internationale en matière environnementale (rappels historiques)Dans l’histoire des accords environnementaux, le protocole de Montréal de 1987 occupe une place particulière. Cet accord à portée universelle a conduit la communauté internationale à pratiquement cesser les émissions de gaz CFC dont l’accumulation dans l’atmosphère provoquait la destruction de la couche d’ozone. Ce succès a reposé sur trois piliers : un engagement politique fort des gouvernements concernés, un système rigoureux et indépendant de suivi, des instruments économiques adaptés. 25 ans de négociations climatiques n’ont pas permis d’engranger des résultats comparables, bien au contraire  : durant la décennie 2000, les émissions mondiales de GES se sont accélérées et augmentent d’autant notre exposition collective au risque climatique. (…)La mise en œuvre d’un accord international sur le climat se heurte au problème très classique du passager clandestin. (…) De plus, les impacts les plus sévères sont éloignés dans le temps, ce qui incite chaque acteur à reporter l’intégralité des coûts du changement climatique sur les générations futures. Dans un tel contexte, chaque joueur a intérêt à attendre que ses voisins lancent l’action. (…) Inversement, aucun acteur n’a intérêt à s’engager unilatéralement tant qu’il n’a pas la conviction que d’autres suivront dans le cadre d’une coalition plus large. (…) Face à cette question du passager clandestin, l’Europe et les Etats-Unis ont adopté des attitudes opposées. L’Europe a toujours considéré que l’engagement unilatéral des pays riches était de nature à provoquer un effet d’aspiration des autres pays qui rejoindraient spontanément une large coalition internationale. A l’opposé, le Sénat américain adopté dès 1997 une résolution s’opposant à la ratification de tout traité sur le climat qui lierait les Etats-Unis sans que des pays comme la Chine ou l’Inde soient engagés à des efforts équivalents. Cette résolution rendait impossible la ratification par les Etats-Unis du protocole de Kyoto et contribua à l’enlisement des négociations climatiques. (…)

Source : C.de Perthuis et P.A.Jouvet dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? » ss la direction de J.Mistral, 2015, p. 52

Document : la méthode utilisée à partir de la Conférence des Parties (COP) de Kyoto (1997)La question du climat s’est introduite dans la vie internationale en 1990 avec la publication du premier rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) destiné à fournir aux décideurs une information fiable sur l’état des connaissances scientifiques en matière de changements climatiques. Deux ans après, la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques était signée à Rio lors du Sommet de la Terre de 1992. Cette convention ratifiée par 196 pays pose trois principes de base :

- le principe de reconnaissance : chaque partie reconnaît l’existence des changements climatiques en cours et leur lien avec l’accumulation de GES d’origine anthropique ;

- le principe de stabilisation : l’objectif de limiter à 2°C le réchauffement moyen relativement à l’ère préindustrielle a été adopté en décembre 2009 lors du Sommet de Copenhague. Cet objectif est peu contraignant tant qu’il n’est pas associé à une trajectoire précise d’émission et de concentration de GES. Les travaux du GIEC permetttent de tracer de telles trajectoires. Une idée simple est qu’en l’absence d’une réduction de 40% à 70% des émissions mondiales de GES entre 2010 et 2050, cet objectif de 2° est probablement inatteignable ;

- le principe de « responsabilité commune mais différenciée » : ce principe de différenciation du degré de responsabilité suivant le niveau de développement des pays est incontestable.

La convention cadre des Nations Unies introduit un mode de gouvernance de la question climatique (…) et fait de la négociation climatique un processus continu à travers la « Conférence des parties » (COP) qui doit statutairement se réunir chaque année et prend des décisions au consensus des 196 parties. La COP réunie à Kyoto (1997) introduit deux éléments clés : - un engagement contraignant de réduction de 5% des émissions de GES ;- la mise en place d’un système de cape and trade permettant aux pays d’échanger des droits d’émission pour faire émerger un prix international du carbone. A Copenhague, les pays émergents et les Etats-Unis ont accepté de prendre des engagements de réduction des émissions. Mais l’avancée s’est accompagnée d’un affaiblissement drastique du dispositif  : engagements volontaires de certains pays, sans homogénéisation des méthodes ni système de vérification qui garantissent leur matérialité. Un tel dispositif n’a quasiment aucune change d’aboutir à l’objectif des 2°C. Depuis Copenhague, la négociation fait du surplace. (…) Peut-on espérer un sursaut qui conduise à un accord reposant sur le trépied : engagement politique fort des gouvernements, dispositif crédible de reporting, instruments économiques puissants dépendant de la tarification du carbone. (…)

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Source : C.de Perthuis et P.A.Jouvet dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? » ss la direction de J.Mistral, 2015, p. 52

Document : la mise en place d’une gouvernance mondiale sur la question climatique

Document : Des négociations internationales pas à la hauteur des enjeux : l’échec du protocole de Kyoto (1997 et appliqué en 2005)

Dans le protocole de Kyoto de 1997, entré en vigueur en 2005, les pays signataires s’étaient mis d’accord pour réduire leurs émissions de GES. Les parties dites de l’Annexe-B s’engageaient à diminuer leurs émissions en 2012 de 5 % par rapport au niveau de 1990 et à mettre en place un système de droits d’émission négociables. D’une ambition insuffisante, certes, mais réelle, sa mise en oeuvre fut entachée de graves défauts de conception. Lors de sa signature, les participants au protocole de Kyoto représentaient plus de 65 % des émissions mondiales de GES. Mais, en 2012, le protocole ne couvrait plus que moins de 15 % des émissions mondiales compte tenu de la non ratification du protocole par les Etats-Unis et du retrait du Canada, de la Russie et du Japon. Le Canada par exemple, face à la perspective de la manne des sables bitumeux, se rendit vite compte qu’il serait obligé d’acheter des droits d’émission pour honorer ses engagements  : il préféra se retirer du protocole avant de devoir payer. Le Sénat des Etats-Unis imposa, quant à lui, une condition d’absence de passager clandestin (visant la Chine en particulier) préalable à la ratification ; si la nécessité d’un accord global est effectivement indiscutable (…), la position du Sénat refléta aussi une volonté d’inaction face à une opinion publique en partie climatosceptique et également peu désireuse de changer son mode de consommation très gourmand en carbone. A cela s’ajoute l’échec de la principale tentative concrète de mise en place d’un mécanisme de tarification carbone dans le cadre du protocole de Kyoto. Cette dernière a vu le jour en Europe avec le marché de droits d’émission négociables, l’EU Emission Trading Scheme (EU ETS). La crise économique majeure qui a frappé l’Europe depuis 2008 et le déploiement rapide des énergies renouvelables (particulièrement en Allemagne) ont eu pour effet de réduire la demande de droits d’émission, qui conduisit à un excès d’offre de permis par rapport à la demande. En l’absence de toute pression compensatrice sur l’offre des permis, le prix de la tonne de CO2 est tombé de son maximum historique de 30 à un prix fluctuant entre 5 et 10 €, un niveau beaucoup trop faible pour avoir un impact significatif. Ce prix a donc un effet insuffisant sur les efforts de réduction d’émissions. Il est si bas qu’il a même permis aux producteurs d’électricité de substituer au gaz le charbon, qui émet deux fois plus de carbone par kWh, sans parler des particules fines polluantes ; on ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

Sommet de la Terre : Rio 1992Signature de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique

Reconnaissance de trois principes : - Principe de reconnaissance : c’est bien l’activité humaine qui produit des GES responsables du changement climatique - Principe de stabilisation : définir un objectif de croissance max de la température et d’une trajectoire d’évolution des émissions de GES pour l’atteindre - Principe de responsabilité commune mais différencié : en fonction du niveau de développement

COP de Kyoto 1997

Comment inciter les Etats à ne pas jouer les passagers clandestins ?

Comment faire réduire les défaillances de marché ?

Mettre en place un accord contraignant

Mettre en place un marché mondial des quota d’émission de GES = faire

apparaître un prix mondial du carbone

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estime qu’un prix de la tonne de CO2 à environ 30 € rendrait les centrales à gaz plus compétitives que celles à charbon. Engie a même été conduit à fermer trois centrales à gaz en raison de la concurrence des centrales à charbon, qui polluent aujourd’hui presque sans pénalités. Certains ont vu dans la chute des prix du carbone sur le marché des droits d’émission négociables l’échec de ce marché. Mais, il s’agit en fait d’une décision politique, qui traduit la volonté de ne pas être la seule région du monde à tenir les engagements prix à Kyoto. Plutôt que d’ajuster à la baisse le nombre de permis pour être en adéquation avec la situation économique, l’Europe a choisi de laisser chuter le prix et s’est ainsi alignée sur les politiques climatiques encore moins ambitieuses menées ailleurs dans le monde. La tragédie des biens communs en action…Ainsi, au cours des vingt dernières années, les Européens ont parfois cru que leur engagement (limité) à réduire leurs émissions de GES inciterait d’autres pays à prendre exemple sur leur initiative. Sans surprise, cet effet d’entrainement ne s’est jamais concrétisé. Malheureusement, le protocole de Kyoto est un échec. Et c’est son architecture même qui l’a voué à cet échec. Il s’agit dès lors d’en tirer les conclusions. En raison du problème du passager clandestin, exacerbé par la question des fuites, la solution ne peut être que globale.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.278-280

Document : évolution de la gouvernance mondiale avant la COP 21 à Paris (2015)

Document : Des négociations internationales pas à la hauteur des enjeux : le bilan de la COP21 de Paris (2015)

La COP21, qui s’est tenue à Paris en décembre 2015, se devait de conduire à un accord efficace, juste et crédible. Mission accomplie ? Les négociations étaient très complexes à mener, car les gouvernements n’étaient pas prêts à s’engager. L’accord affiche beaucoup d’ambition : l’objectif à atteindre est désormais « bien en dessous des 2°C » (au lieu de 2°C auparavant) et le monde ne devrait plus produire d’émissions de GES en net après 2050 ; les fonds dédiés aux PED dépasseront par ailleurs après 2020 les 100 milliards de dollars par an qui avaient été décidés à Copenhague en 2009. Plus généralement, le constat scellé par l’accord de la COP21 est le bon : la reconnaissance que la trajectoire actuelle des émissions est très dangereuses, que nous avons par conséquent besoin d’actions fortes et de technologies nouvelles pour l’environnement et que les promesses faites à Paris seront elles-mêmes loin de suffire ; l’ambition d’un niveau d’émissions négatif après 2050 (l’absorption de carbone par les « puits de carbone » naturels ou artificiels excède alors les émissions) ; la nécessité d’aider les pays pauvres ; la volonté de développer des systèmes de vérification de la pollution (avec cependant un régime à deux vitesses, les pays émergents – comme la Chine qui émet plus à elle seule que les Etats-Unis et l’Europe réunis – ayant un régime à part) ; l’idée enfin d’un programme de réflexion commune sur les actions à entreprendre et d’une transparence dans la Convention-cadre des Nations unies en 1992, il est bon que tous les pays s’accordent pour en confirmer la pertinence. En revanche, en ce qui concerne les mesures concrètes, peu de progrès ont été réalisés. S’agissant de l’efficacité dans la lutte contre le réchauffement climatique, la tarification du carbone, recommandée par la très grande majorité des économistes et de nombreux décideurs, mais chiffon rouge pour le Venezuela et l’Arabie Saoudite (qui allaient même jusqu’à demander des compensations si les prix du pétrole baissaient en raison de la lutte contre le réchauffement climatique), fut enterrée par les négociateurs dans l’indifférence générale. Quant à la question de la justice, les pays développés se sont contentés d’une enveloppe globale et n’ont donc pas détaillé les contributions aux PED. L’accord est en l’occurrence sans doute trop vague, car on sait que les promesses collectives ne sont jamais tenues, personne ne se sentant ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

Mettre en place un accord contraignant ?

Mettre en place un marché mondial des quota d’émission de GES ?

De nombreux pays grands émetteurs de GES n’ont pas ratifié le protocole

de Kyoto

Pas de marché mondial, mais des tentatives régionales de marché des

permis (UE) mais échec relatif

Les pays avancent en ordre dispersé, sans objectifs, méthodes ou contrôle

communs

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responsables (où l’on constate une autre manifestation du problème du passager clandestin). Il serait bon que ces contributions soient spécifiées et constituent des transferts additionnels et non de l’aide déjà existante redirigée vers des projets verts, des prêts ou l’allocation de revenus incertains. L’engagement repousse en outre à une date ultérieure l’engagement concret des pays à réduire leurs émissions. La négociation sur la transparence a elle aussi été un échec. Il est difficile de comprendre pourquoi les pays du Sud ne seraient pas soumis au même processus de suivi, de notification et de vérification que les autres  : les pays du Nord ont certes le devoir d’être généreux, mais nullement celui de fermer les yeux. Cette asymétrie de traitement fournit en réalité aux pays riches une excuse toute trouvée pour ne pas respecter leurs promesses dans l’avenir. Enfin, l’idée – unanimement applaudie – que l’on adoptera une trajectoire plus vertueuse en révisant le protocole tous les cinq ans ignore ce que les économistes appellent l’effet de cliquet : sommes nous vraiment si sûrs qu’un pays se mettra à l’avenir en meilleure positions de négociation s’il respecte allègrement ses promesses plutôt qu’en « traînant la patte » ? On demande toujours plus aux bons élèves. L’accord est un succès diplomatique incontestable – il a été approuvé à l’unanimité des 196 délégations –, mais ce consensus a été acquis en cédant à différentes exigences (comme on l’a vu à propos du prix du carbone) et donc au prix d’un manque d’ambition (réelle et pas simplement affirmée). On peut procéder à un test simple pour juger de la validité de ce nivellement par le bas : les diplomates sont rentrés dans leurs pays en célébrant l’accord, mais quels sont ceux qui ont clairement dit à leur opinion publique qu’il allait falloir désormais et rapidement se retrousser les manches et que la période de pollution bon marché était révolue. En attendant, de nombreux pays, comme l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Australie ou la Chine envisagent d’augmenter leur utilisation de charbon. Les Etats-Unis qui, quasi accidentellement, ont diminué leurs émissions de GES à la suite de l’exploitation bon marché de gaz de schiste, continuent d’exporter leur charbon devenu excédentaire. Et l’Europe ne se prive pas d’exploiter le charbon allemand et polonais au lieu de passer au gaz dans la phase de transition vers les énergies renouvelables.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.283-285

Document : l’accord de la CPO21 (Paris 2015), que faut-il en attendre ? S’il fallait résumer d’une formule la teneur des 32 pages de l’Accord de Paris (et des décisions afférentes) adopté le 12 décembre 2015 par la COP 21, on pourrait dire que jamais l’ambition n’a été aussi forte mais que jamais la contrainte n’a été aussi faible. C’est l’arbitrage fondamental du texte et sans doute était-ce la condition de son adoption par tous les Etats de la planète. On pensait que l’enjeu, à Paris, serait d’étendre aux pays émergents, à commencer par la Chine et l’Inde, les engagements contraignants acceptés à Kyoto voilà dix-huit ans par les pays développés. C’est exactement l’inverse qui s’est produit  : sous l’impulsion du gouvernement américain, qui aura dominé de bout en bout et jusqu’à la dernière minute ce cycle de négociations (dont l’UE a été cruellement absente), tous les pays se trouvent désormais de fait hors de l’Annexe 1 du Protocole de Kyoto, libérés de toute contrainte juridique quant à la nature de leurs engagements dans la lutte contre le changement climatique, qui se résument à  des contributions volontaires qu’ils déterminent seuls et sans référence à un objectif commun. (…)La nécessité de donner un prix au carbone (et donc de lui conférer une valeur sociale), dont l’affirmation croissante aura été mise en lumière dès l’inauguration de la COP 21 sous l’égide d’Angela Merkel et du nouveau gouvernement canadien, figurait encore dans l’avant-dernière version du texte. Elle a disparu de la dernière mouture (sous la pression combinée de l’Arabie Saoudite et du Venezuela). Il ne fait pourtant pas de doute que c’est en internalisant le prix du carbone que l’on mettra le système économique au service de la transition climatique. Mais il semble à ce stade que les Etats aient choisi d’externaliser cette fonction d’internalisation au secteur privé. Il leur faudra vite reprendre la main, au plan interne et mondial. (…) La critique la plus sévère que l’on peut adresser à un accord d’architecture, qui est un programme d’intentions plutôt qu’un véritable plan d’action, est de n’être pas assez évolutif et dynamique et de ne pas davantage anticiper ses propres insuffisances et son dépassement futur en ouvrant la voie à de nouveaux principes, de nouveaux instruments et de nouveaux acteurs. En outre, comment comprendre qu’il faille patienter jusqu’en 2020 pour sa mise en œuvre, alors que les signes du dérèglement climatique sont partout visibles ?Le desserrement de cette contrainte temporelle viendra peut-être du grand pays qui s’est montré le plus constructif avant et pendant la COP 21 : la Chine. C’est de Chine qu’est venue, cinq jours avant la conclusion de l’Accord, la meilleure nouvelle climatique depuis l’annonce du ralentissement de la déforestation amazonienne au cours de la décennie 2000 : les émissions mondiales de CO2, après avoir connu une quasi-stabilisation en 2014, devraient légèrement diminuer en 2015. Cette atténuation tient à leur fléchissement en Chine sous l’effet combiné de la décélération économique (la sortie choisie de l’hyper-croissance) et de la dé-carbonisation de la croissance (liée à la moindre consommation de charbon). Cette baisse elle-même s’explique par la pression de plus en plus forte des Chinois sur leur gouvernement, car ils ont compris que le ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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développement économique de leur pays est en train de détruire le développement humain de leurs enfants. On peut donc espérer que la Chine contienne les émissions mondiales dans les cinq années qui nous séparent de 2020 et rende l’attente de l’Accord de Paris plus supportable. A condition de la mettre à profit pour sortir de l’incohérence climatique.

Source : Eloi Laurent « Après l’accord de Paris, sortir de l’incohérence climatique », Blog de l’OFCE, 15/12/2015

Synthèse – La COP21 de Paris : de grandes ambitions mais peu d’avancées concrètesDe grandes ambitions… … mais peu d’avancées concrètes Baisse de l’objectif

maximal de croissance de la température entre 1,5 et 2°C ;

Objectif d’un d’émission négatif après 2050 ;

Affirmation de la nécessité d’aider les pays pauvres ;

Volonté de développer des systèmes de vérification de la pollution (transparence)

Pas d’avancées sur la tarification du carbone afin d’internaliser l’externalité climatique dans les choix des AE ;

L’engagement concret des pays à réduire leurs émissions est repoussé (au moins à 2020 ;

Fort risque que l’aide aux PED ne soit pas tenue parce que seule une enveloppe globale a été précisée et pas les contributions pour chaque PED ;

La transparence sur les émissions de GES ne s’appliquera pas aux PED : c’est une excuse toute trouvée pour les pays développés afin de justifier le non respect de leurs engagements ;

La révision du protocole tous les cinq ans engendre un effet de cliquet : elle risque d’inciter les pays à faire peu d’efforts pour être dans une meilleure position de négociation lors de la révision.

5.3.3 Comment sortir de l’impasse ?

Document : un « bon accord » pour réduire les défaillances de marché selon J.Tirole

Document  : un « bon accord » pour réduire les défaillances de marché selon J.TiroleUn bon accord serait : ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

Accord contraignant : objectifs, méthodes et

contrôle communs

Mise en place marché mondial des permis

d’émission (cap and trade) = prix unique du carbone

Rôle du FMI pour contrôler les engagements nationaux

Le marché des quotas : un instrument plus facile à

contrôler que les taxes et plus acceptable politiquement

Mise en place de consortium mondiaux de R&D sur le

modèle d’ITER

Pour éviter passager clandestin

Pour éviter défaillances de marché

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- un accord où le prix du carbone serait le même dans tous les pays et toutes les industries ; (…)- un accord où la force d’engagement assure une visibilité sur une longue période. En effet, toute

décision de déploiement privé (énergie, bâtiment, transport…) exerce ses effets pendant 20 ans, 40 ans ou plus. Il en va de même des engagements de R&D dans les technologies vertes ;

Quant au choix de l’instrument, (…) je préfère la solution des marchés de permis d’émission. Avec le cap and trade les vérifications sont plus faciles. Il suffit de mesurer les émissions totales d’un pays, tandis qu’avec les taxes il faut vérifier qu’elles sont effectivement collectées par les Etats alors que ceux-ci peuvent adopter des comportements de passagers clandestins et donc qu’ils n’ont pas dans ce cas d’incitation à les collecter. De plus, même si la taxe carbone est collectée, il faut vérifier qu’elle n’est pas compensée par une subvention compensatoire. Le cap and trade peut être instauré pour une longue durée alors que les taxes sont d’ordinaire réexaminées tous les ans. L’octroi d’un permis est souvent un moyen aisé et politiquement moins visible de pratiquer une compensation.Imaginons par exemple une démarche de cap and trade de plafonnement et de marché de droits d’émission négociables. Elle pourrait reposer sur les principes suivants :

- un chemin cible de pollution globale défini et lui apporter des ajustements pour tenir compte d’incertitudes à venir quant au rythme d’accumulation des technologies (…) ;

- chaque pays se voit allouer des permis et doit en acheter de nouveaux sur le marché mondial si la pollution les dépasse ;

- chaque pays choisit sa propre politique intérieure en matière de CO2 ; - les engagements nationaux devraient être comptabilisés et traités comme des dettes nationales. cela

implique que le FMI ait un rôle dans la gouvernance internationale des accords sur le climat ; - le respect des engagements est un sujet très délicat et un point faible de toutes les négociations. (…) un

pays qui viole les règles de l’OMC s’expose à des mesures de rétorsion qui pourraient lui coûter cher. Etre exclu du libre-échange est indésirable pour la plupart des pays. Dans les questions environnementales, être exclu de l’accord ne bénéfice qu’au pays concerné qui peut alors agir de manière opportuniste au détriment des autres ;

- pour corriger deux dysfonctionnement du marché (externalités polluantes et retombées non appropriables de la R&D), deux instruments sont nécessaires : le prix du carbone et les subventions à la R&D. Les subventions à la R&D non appropriable posent le même problème que la pollution : l’incitation à l’opportunisme est substantielle. Ce qui soulève une autre question : comment organiser des consortiums internationaux de R&D comme ITER ? Les négociations (sur la désignation des contributeurs et sur l’emplacement des installations) et l’obtention d’une gouvernance et de financements durables sont des sujets complexes.

Source : Jean Tirole dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme » ss la direction de J.Mistral, Eyrolles, 2015, p. 49

Document : comment tarifer le carbone au niveau mondial ? La très grande majorité des économistes recommandent la tarification du carbone au niveau mondial. S’ils sont divisés sur les méthodes techniques pour y parvenir, il s’agit de débats de second ordre par rapport au principe de cette tarification. De même, de nombreux acteurs de la société civile (par exemple la fondation Nicolas Hulot) et décideurs sont sur la même longueur d’onde. (…) Faire payer les émissions de carbone à un même prix pour m’ensemble des pays, des secteurs économiques et pour tous les acteurs : simple, voire simpliste ? Peut-être. Jusqu’à présent, on a visiblement préféré faire compliqué. Deux instrument économiques permettent une tarification cohérente : une tarification carbone et un mécanisme de droits d’émission négociables. (…) Dans la première stratégie, celle d’une tarification carbone, tous les pays se mettraient d’accord sur un prix minimum pour leurs émissions de GES, par exemple 50 € la tonne de carbone, et chaque pays collecterait les sommes correspondantes sur son territoire. Tous les pays auraient donc un même prix pour les émissions de GES. (…) L’approche taxe carbone et ses variantes posent des problèmes de vérification du respect de l’accord international pour plusieurs raisons (…).

Collecte. Parce que la majorité des retombées climatiques positives de la politique de taxation du carbone bénéficient aux pays tiers, rien aujourd’hui n’incite les pays à faire payer les émissions à leurs citoyens, entreprises et administrations, même si une telle taxation bénéficierait aux finances publiques ; et dans l’ensemble, à l’exception de la Suède, ils ne le font pas. Quel que soit l’accord international scellé, il ne pourrait pas en aller autrement. Ainsi, même si les mesures de vérification des émissions ne généraient aucun coût en elles-mêmes, les autorités pourraient néanmoins fermer les yeux sur certains pollueurs ou sous-estimeraient leur pollution, économisant ainsi au pays le coût économique et social des action vertes. Un tel comportement opportuniste de la part des Etats est difficile à éviter. (…) Pour résumer : l’institution d’un prix ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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uniforme du carbone fait face au problème classique du passager clandestin, avec des coûts locaux et des bénéfices globaux. Pour qu’il fonctionne correctement, il faudra l’assortir d’un système de contrôle international très strict.

Contre-mesures. Une autre forme de contournement d’un accord sur une taxe carbone internationale consiste à rendre caduque l’imposition d’une taxe carbone par le biais de transferts compensatoires ; par exemple, quand il introduit une taxe carbone sur les énergies fossiles, un pays peut réduire d’autant les autres taxes (ou augmenter les subventions) sur ces énergies, annihilant ainsi l’impact de la taxe carbone (rappelons nous qu’en France – et à titre exceptionnel cependant –, en 2014, la taxe carbone sur les énergies fossiles fut compensée par une baisse équivalente de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, et n’eut donc pas d’incidence sur les prix des carburants routiers et du fioul)

Actions sans prix explicite du carbone. L’approche par la tarification carbone exige de trouver des taux de conversion pour valoriser les diverses politiques qui ont un impact sur le changement climatique mais qui n’ont pas de prix explicite propre, comme la R&D verte publique, les normes de construction résidentielle ou routière, certaines méthodes agricoles ou les programmes de boisement et de reboisement. Il pourrait aussi être nécessaire de déterminer des taux de conversion spécifiques à chaque pays : une norme de construction aura un impact différent sur les émissions de GES selon le climat du pays ; de même, le boisement peut augmenter plutôt que réduire les émissions de GES dans les zones de haute latitude où les arbres peuvent couvrir la neige (albédo élevé). La manière alternative classique pour soumettre les acteurs à un même traitement est d’instituer un mécanisme de droits d’émission négociables. Un objectif de contrôle global des émissions est défini et un volume correspondant de permis est alloué, soit gratuitement, soit par le biais d’une enchère. Les acteurs qui polluent plus qu’ils n’ont de permis doivent acheter la différence sur le marché ; ceux, plus vertueux, qui font mieux que le quota qui leur est alloué, revendent l’excédent. Pour tous, le coût de la pollution est le prix de marché et ce, que l’allocation initiale ait été gratuite ou payante : une émission supplémentaire prive l’entreprise vertueuse de la vente d’un permis et pénalise l’entreprise polluante d’un montant égal au prix d’achat d’un permis. Dans le cas des émissions de GES, l’accord international plafonnerait les émissions à venir de CO2 et donc définirait un nombre prédéterminé (le plafond ou cap) de droits d’émission échangeables au niveau mondial. La négociabilité des droits garantirait à tous les pays un prix du carbone uniforme, généré par des échanges mutuellement avantageux sur la bourse du carbone ; le prix de cession des permis d’émission entre Etats ne serait pas déterminé par un accord sur un prix du carbone, mais plutôt par la loi de l’offre et de la demande sur ce marché. Pour assurer la compensation, on commencerait par attribuer les permis carbone aux pays, avec l’objectif double d’équité et d’incitation de tous les pays à participer. Et les ménages dans tout cela ? Ils sont affectés indirectement par l’impact des mesures sur le prix des biens et services. Pour ce qui est de leur consommation énergétique, on peut choisir l’option d’une taxe carbone, à condition que son niveau soit établi de façon à demeurer cohérent avec le prix payé sur le marché des permis par les électriciens, cimentiers et autres entreprises soumises au système de droits négociables ; ou alors suivre le président Barack Obama en soumettant en amont les raffineries ou producteurs/importateurs de gaz au système de droits négociables, ces entreprises transmettent alors le « signal prix carbone » aux consommateurs. (…)Appliquer un mécanisme de permis d’émissions est relativement simple lorsque ce sont des pays et non pas les acteurs économiques qui sont responsables des émissions nationales de GES. On peut en effet calculer les émissions anthropiques de CO2 d’une nation par le biais d’une comptabilité carbone en prenant la production et les importations desquelles on soustrait les exportations et la variation des stocks. Les puits de carbone liés aux forêts et à l’agriculture peuvent d’ores et déjà être observés par satellite. Des programmes expérimentaux de la NASA et de l’ESA pour mesurer les émissions globales de CO2 à l’échelle de chaque pays sont prometteurs à long terme. Il est plus facile pour la communauté internationale de surveiller les émissions de CO2 par pays plutôt que de les mesurer au niveau des sources ponctuelles ; et, comme c’est le cas pour les mécanismes cap and trade actuels, les acteurs économiques (ici les pays) qui ont un déficit de permis en fin d’année devront acquérir des permis supplémentaires tandis que les pays ayant un surplus de permis pourraient soit les céder, soit les conserver pour une utilisation future.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.291-298

Document : Le prix du carbone doit être unique même pour les PED

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La question des inégalités se pose à deux niveaux : au sein des pays, et de façon beaucoup plus prégnante actuellement, au niveau international. Au niveau national, on objecte parfois qu’une taxation du carbone coûtera aux plus démunis. La tarification du carbone entraîne une diminution du pouvoir d’achat des ménages, y compris celui des plus modestes, ce qui peut être vu comme un obstacle à sa mise en oeuvre. (…) Ce qui est vrai, mais ne doit pas empêcher la réalisation de l’objectif écologique. En matière d’intervention publique, il est important d’associer à chaque objectif un outil adapté, et si possible de ne pas chercher à manipuler un outil, tel que la tarification carbone, pour atteindre une multitude d’objectifs. En ce qui concerne les inégalités, l’Etat devrait plutôt recourir à l’impôt sur le revenu autant que possible pour redistribuer les revenus de manière transparente, tout en menant indépendamment une politique environnementale adaptée. Celle-ci ne devrait pas être détournée de son objectif premier pour répondre aux inquiétudes légitimes quant à l’inégalité. De tels arguments pourraient en effet conduire plus généralement à l’adoption de politiques que nous jugerions tous indésirables, comme tarifer l’électricité à un dixième de son coût (bonjour les fenêtres ouvertes avec des radiateurs brûlants ou, pour les plus aisés, les piscines extérieures chauffées toute l’année ; adieu l’isolation des bâtiments et autres comportements écologiques) ou encourager le tabagisme en se débarrassant des taxes élevées sur le tabac sous prétexte que les plus démunis fument beaucoup. Exemples délirants ? Pourtant, et quelle qu’en soit la raison, c’est ce que nous faisons aujourd’hui avec le carbone. Un même principe s’applique au niveau international, où il est préférable d’organiser des transferts forfaitaires en faveur des pays pauvres plutôt que d’essayer d’adopter des politiques inefficaces et donc peu crédibles. (…) Les pays pauvres et émergents font remarquer à juste titre que les pays riches ont financé leur industrialisation en polluant la planète et qu’eux aussi voudraient accéder à un niveau de vie comparable. (…) Pour faire simple, on peut reprendre le principe de responsabilité commune mais différenciée : la responsabilité incombe aux pays développés et à l’avenir les pays émergents vont représenter une partie importante des émissions (…). Cette évidence suggère chez certains de promouvoir une approche « juste car différenciée » : un prix du carbone élevé pour les pays développés et un prix faible pour les pays émergents et en développement. Sauf que… un prix du carbone élevé dans les pays développés n’aurait qu’un effet limité du fait de la délocalisation de la production vers des pays à bas prix du carbone (sans parler du risque de non-ratification par les parlements, comme ce fut le cas après Kyoto). De plus, quels que soient les efforts déployés par les pays développés, l’objectif de 1,5 à 2°C ne sera jamais atteint si les pays pauvres et les pays émergents ne contrôlent pas leurs émissions de GES à l’avenir. Exonérer les pays émergents est impossible. La Chine, dans vingt ans, aura émis autant de dioxyde de carbone que les Etats-Unis, depuis la révolution industrielle. Alors que faire  ? La réponse est qu’il faut que les pays émergents soumettent leurs citoyens et entreprises à une tarification substantielle du carbone (de façon idéale, le même prix que partout ailleurs dans le monde) et que la question de l’égalité soit gérée par des transferts financiers des pays riches vers des pays pauvres. Le protocole de Copenhague avait d’ailleurs décidé d’une telle aide, principe réaffirmé par la COP21 à Paris. En résumé, la réalité des inégalités internationales nous amène à poser la question du partage du fardeau climatique. Le principe de responsabilité commune mais différenciée reflète l’idée que les pays riches sont en général ceux qui ont historiquement le plus contribué à l’accumulation de GES dans l’atmosphère. Cette constatation cependant ne devrait certainement pas nous amener à chercher la solution dans un abandon du principe du prix unique comme on l’a fait à l’occasion du protocole de Kyoto en 1997 : les parties du protocole de Kyoto dites « Hors Annexe I » n’avaient aucune obligation aux termes du protocole et ne devaient subir aucune tarification du carbone  ; ce qui a fait dérailler le processus lorsqu’est venu le moment de ratification du protocole par le Sénat des Etats-Unis. Ne répétons pas les erreurs de Kyoto. Enfin, on peut se demander s’il est juste que les pollutions entraînées, par exemple, en Chine, par la production de biens exportés vers les Etats-Unis et l’Europe, soient comptabilisés comme des pollution chinoises et donc être couvertes par le système de permis auquel tous les pays, dont la Chine, seraient assujettis. La réponse est que les entreprises chinoises qui émettent des GES lors de la production de biens exportés répercuteront le prix du carbone dans leurs prix et que ce seront donc les consommateurs américains et européens qui paieront pour la pollution, et non la Chine. Les échanges internationaux ne remettent par conséquent pas en cause le principe de collecte là où les émissions sont produites.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.299-303

Document : comment inciter des pays à entrer dans l’accord ? La proposition de C.de PerthuisECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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Un bon accord pour réduire les défaillances de marché

Document  : les propositions de Christian de PerthuisTentons de tracer les contours de l’accord « idéal » : une forme de jeu coopératif dans lequel tous les agents coopèrent sans dévier, sans passager clandestin, ni arrière pensée. Dans ce jeu, un prix unique du carbone s’applique à chaque tonne de GES quel que soit l’endroit du globe où elle est émise. Par exemple, une tarification uniforme de 25 dollars dans le monde ferait apparaître un rente environnementale de 1250 milliards de dollars, à niveau d’émission inchangé. (…) Les effets distributifs d’un prix unique du carbone constitue depuis 20 ans la véritable pierre d’achoppement de la négociation climatique. Les écarts de richesse entre pays sont tels que la mise en place d’un prix uniforme du carbone semble impossible : le prix du carbone adapté au Nord sera toujours trop élevé pour le Sud (…). Si on veut traiter cette question (…) il faut opérer des transferts massifs entre Nord et Sud. (…) Pour inciter les gouvernements à entrer dans le jeu, il manque un mécanisme permettant de satisfaire les contraintes de participation et d’incitation. Un dispositif de type bonus/malus s’appliquant aux gouvernements. Dans un tel système, tout pays dépassant le niveau moyen d’émission par tête verserait une contribution pour chaque tonne émise au-dessus du seuil ; symétriquement, chaque pays émettant moins que ce niveau de référence recevrait une compensation calculée sur le nombre de tonnes qu’il a permis d’économiser par rapport à la moyenne mondiale. Par construction, ce dispositif s’équilibrerait d’année en année. Il bénéficierait au démarrage aux pays ayant les plus faibles émissions par habitant qui correspondent au groupe des pays les moins avancés. Le bonus/malus inciterait l’ensemble des pays à réduire leurs émissions par habitant plus vite que la moyenne pour alléger leur malus ou accroître leur bonus suivant leur position initiale. Ce système incite les pays bénéficiaires à intégrer le système de reporting et donc à révéler leur niveau d’émissions. (…) C’est pourquoi nous préconisons une double évolution pour sortir de l’impasse :

- l’établissement d’un bonus/malus carbone international pour inciter les pays les moins avancés à rejoindre l’accord ;

- la constitution d’une coalition restreinte mais ouverte sur le reste du monde pour poser les bases d’un marché transcontinental du carbone d’ici à 2020 qui révèle le prix du carbone associé à une trajectoire d’émission compatible avec l’objectif de 2°C. (…) Source : C.de Perthuis et P.A.Jouvet dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? » ss la direction de

J.Mistral, 2015, p. 52

Document : un bon accord pour réduire les défaillances de marché selon P.AghionECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

Pour les agents privés : mise en place cap and trade

Solution ? une redistribution mondiale pour financer la transition énergétique dans les PVD

Un inconvénient : un prix trop élevé pour les PVD = refus de signer accord S

Avantage : un prix mondial du carbone 

Comment financer cette redistribution ? créer un système de bonus/malus environnemental pour les Etats afin de les inciter à être vertueux (obtenir un bonus)

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Document : innovation de rupture et innovation « par imitation »Si les pays du Nord incitent leurs entreprises à l’innovation dans les technologies vertes, et s’ils facilitent la diffusion de ces technologies vers les pays du Sud, des progrès très substantiels pourraient être accomplis dans la lutte contre le changement climatique. En particulier il n’est pas forcément nécessaire de taxer les facteurs de production polluants dans les pays du Sud pour éviter la catastrophe planétaire. L’incitation aux innovations vertes dans le Nord doit permettre d’enclencher dans les pays riches le cercle vertueux du changement technologique environnemental, qui à son tour (si les technologies sont partagées) doit enclencher un processus d’imitation à l’échelle planétaire, d’où un cercle vertueux de croissance verte globale. En d’autres termes, les pays du Nord ont la responsabilité d’assumer le leadership en faisant le premier pas, et ils doivent adopter une attitude proactive en matière de transferts de technologie Nord/Sud. Voilà qui constitue un argument en faveur d’une action unilatérale des pays développés et de la maximisation des transferts Nord/Sud (plus les retombées technologiques Nord/Sud sont importantes, plus l’imitation des pays du Sud pouvant fonctionner à plein régime). Bien sûr, cet argument n’apporte aucune réponse à l’épineux problème des « fuites de carbone » qui apparaît dès lors qu’on prend en considération le commerce international : dans un monde de libre-échange, si la pollution est taxée dans un pays mais pas dans un autre, les entreprises sont incitée à se délocaliser et à innover dans le « paradis polluant », puis à exporter leurs produits et leurs innovations à partir de celui-ci dans les pays du Nord. Pour résoudre ce problème, les pays développés doivent instaurer (ou menacer de façon crédible d’instaurer) une « taxe carbone aux frontières ».

Source : P.Aghion dans « Les économistes peuvent-ils sauver la planète ? » Revue Regards croisés sur l’économie n°6, La découverte, p.173

Document : Un bon accord est un accord contraignant ! Oui, mais comment ?Le problème du passager clandestin pose un défi à la stabilité de cette grande coalition : pouvons-nous compter sur le respect des accords ? Il s’agit là d’un problème très complexe mais qui n’est pas hors de portée. A ce titre, la dette souveraine offre une analogie instructive. Les sanctions contre un pays en défaut de paiement sont limitées (heureusement la diplomatie de la canonnière n’est plus de mise !), ce qui soulève des inquiétudes quant à la volonté des pays de rembourser cette dette. Il en va de même pour le changement climatique. Même, si on arrivait à un bon accord, son application devrait être assurée avec des moyens limités. Le débat public autour des négociations internationales sur le climat ignore le plus souvent cette réalité. Cela dit, il faut quand même mettre ses espoirs dans un accord contraignant, un véritable traité, et non dans un accord fondé sur des promesses. Pour limitées que soient les possibilités de sanction internationale en cas de non-paiement d’une dette souveraine, la plupart des pays repaient la plupart du temps rubis sur l’ongle leur dette étrangère. Plus généralement, la tradition westphalienne du traité donne une chance non négligeable à sa réalisation.ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

Dans les pays à la frontière technologique, les innovations produisent des externalités positives

La présence de ces externalités positives limite l’innovation

Les politiques industrielles et la fiscalité verte (taxe carbone) dans les PDEM stimulent l’innovation

Accord pour des transferts de technologie PDEM vers PVD

Imitation des technologies avancées dans les PVD

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Le naming and shaming (la stigmatisation) est une bonne tactique à laquelle on doit recourir  ; mais comme nous l’avons vu dans le cas des « engagements » de Kyoto, elle reste peu efficace. Les pays trouveront toujours une multitude de bonnes excuses pour ne pas respecter leurs engagements : l’arbitrage en faveur d’autres actions comme la R&D verte, une récession, les efforts insuffisants des autres signataires, le changement de gouvernement, la défense de l’emploi, etc. Il n’y a pas de solution à toute épreuve au problème d’application d’un accord international, mais nous disposons au moins de deux outils. Premièrement, les pays tiennent au libre commerce ; l’OMC pourrait considérer que le non-respect d’un accord international sur le climat équivaut à un dumping environnemental et devrait à ce titre imposer des sanctions. Dans le même esprit, on pourrait se servir de taxes punitives à l’importation pour pénaliser les pays non participants à l’accord. Une telle politique inciterait les pays hésitants à rejoindre l’accord et favoriserait le développement d’une coalition globale stable pour le climat. Il va sans dire que la nature des sanctions ne peut être décidée par des pays individuellement, car ceux-ci saisiraient allègrement cette opportunité pour mettre en place des mesures protectionnistes sans nécessairement grand rapport avec une réalité environnementale. Deuxièmement, le non respect d’un accord sur le climat devrait être considéré comme engageant la responsabilité des futurs gouvernements d’un pays et assimilable à de la dette souveraine. Le FMI serait partie prenante de cette politique. Par exemple, dans le cas d’un mécanisme de droits d’émission négociables, un déficit de permis en fin d’année augmenterait la dette publique ; le taux de conversion serait le prix actuel du marché. Bien entendu, je suis conscient du risque de dommage collatéral pouvant résulter du choix de lier une politique climatique à des institutions internationales qui fonctionnent tant bien que mal. Mais la vraie question est : quelle est l’alternative ? Les partisans d’accords non contraignants espèrent que la bonne volonté des signataires suffira à limiter les émissions de GES. S’ils ont raison, alors les mesures incitatives par le biais de collaboration avec d’autres institutions internationales suffiront à fortiori, sans aucun dommage collatéral pour ces institutions.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.305-307

Document : Comment remettre les négociations internationales sur la bonne voie ? (Les préconisations de Jean Tirole – Prix Nobel 2014)

Malgré l’accumulation des preuves scientifiques du rôle anthropique dans le réchauffement climatique, la mobilisation internationale sur ce sujet reste en pratique décevante. Le protocole de Kyoto n’a pas su créer une coalition internationale en faveur d’un prix du carbone en rapport avec son coût social ; il est aussi une parfaite illustration de l’instabilité intrinsèque de tout accord international qui ne prend pas au sérieux le problème du passager clandestin. Tout accord international doit satisfaire trois critères : efficacité économique, incitation à respecter les engagements et équité. L’efficacité n’est possible que si tous les pays appliquent le même prix du carbone. Les incitations nécessitent de sanctionner tous les passagers clandestins. L’équité, un concept dont la définition diffère selon les parties prenantes, peut être réalisée par un mécanisme de transferts forfaitaires. Pour autant, la stratégies des engagements volontaires de réduction des émissions est un nouvel exemple de l’attentisme de la part des pays clés, c’est-à-dire une stratégie pour repousser à une date ultérieure un engagement concret de réduire leurs émissions. Ce chapitre ne doit cependant pas occulter les motifs d’optimisme. Tout d’abord, la prise de conscience dans les opinions publiques a progressé depuis quelques années, même si la crise économique a quelque peu relégué au second plan les considérations écologiques. Par ailleurs, plus de quarante pays, et non des moindres (Etats-Unis, Chine, Europe…) ont institué des marchés de droits d’émission négociables, certes avec des plafonnements beaucoup trop généreux et donc des prix du carbone très bas, mais démontrant leur volonté d’utiliser une politique rationnelle de lutte contre le réchauffement climatique. Ces bourses de carbone pourront un jour être reliées entre elles pour former un marché mondial plus cohérent et plus efficace (…). Enfin, la baisse substantielle du coût de l’énergie solaire fait entrevoir des solutions économiques au problème des émissions de l’Afrique et d’autres pays en développement et émergents. Mais tout cela sera a priori très insuffisant pour atteindre nos objectifs. Comment pouvons-nous dès lors construire sur ces dynamiques ? S’il est important de maintenir un dialogue au niveau mondial, le processus onusien a montré ses très prédictibles limites. La négociation entre 195 nations est incroyablement complexe. Il faudrait parvenir à créer une « coalition pour le climat » qui réunirait dès le départ les grands pollueurs actuels et à venir. Je ne sais pas s’il doit s’agir du G20 ou d’un cercle plus restreint : en 2012, les cinq plus gros pollueurs, l’Europe, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde représentaient 65 % des émissions mondiales (dont 28 % pour la Chine et 15 % pour les Etats-Unis). Les membres de cette coalition s’engageraient à payer pour chaque tonne de carbone émise. Dans un premier temps, on n’essayerait pas nécessairement d’associer les 195 pays impliqués dans la négociation, mais ils y seraient incités. Les membres de la coalition, en effet pèseraient sur l’OMC et ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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imposeraient aux pays refusant d’entrer dans la coalition pour le climat une taxe aux frontières. Pour éviter les protectionnismes indus, l’OMC serait partie prenante dans ce système sur la base de dumping environnemental par les non-participants. A la question « Que faire ? », la réponse serait donc tout simplement : « retrouver le chemin du bon sens ».

1) La priorité numéro un des négociations actuelles devrait être un accord de principe sur l’établissement d’un prix universel du carbone compatible avec l’objectif des 1,5 à 2°C. Les proposions visant des prix différenciés selon les pays non seulement ouvrent une boite de Pandore mais surtout ne sont pas écologiques. La croissance des émissions viendra des pays émergents et pauvres et sous-tarifer le carbone dans ces pays ne nous permettra pas d’atteindre l’objectif des 1,5 à 2°C ; d’autant plus que les prix élevés du carbone dans les pays développés encourageront la localisation des productions émettrices de GES dans les pays à bas prix du carbone, annihilant ainsi les efforts fait par les pays riches.

2) Il faut également se mettre d’accord sur la nécessité d’une infrastructure de contrôle indépendante pour mesurer et contrôler la pollution nationale des pays signataires, ainsi que sur un mécanisme de gouvernance.

3) Enfin, et toujours dans l’esprit de revenir aux fondamentaux, attaquons de front la question épineuse de l’équité La question est de taille, mais toute négociation doit quoi qu’il arrive y faire face, et la noyer au milieu de discussions consacrées à de très nombreux autres sujets ne facilite pas la tâche. Il faut mettre en place un mécanisme de négociation qui, libéré des débats annexe après l’acceptation du prix unique du carbone, se focalise sur cette question centrale. Aujourd’hui, il est vain de chercher à obtenir des pays développés des promesses ambitieuses sur le Fonds vert sans que cela ne conduise en contrepartie à un mécanisme capable d’atteindre nos objectifs climatiques. Ce Fonds vert pourrait prendre soit la forme de transferts financiers, soit, dans l’hypothèse d’un marché mondial de permis d’émissions, d’une allocation de permis généreuse en faveur des PED.Dans le contexte actuel, il n’y a pas d’issue alternative.

Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF, 2016 p.307-310

Document : il est possible d’utiliser les outils de l’analyse économique des défaillances de marché pour concevoir les modalités de fonctionnement des accords internationaux (de la gouvernance mondiale pour

produire un BPM : qualité environnement)

Document : une approche alternative de la coopération internationale pour sortir de l’impasse du modèle enclenché à Kyoto

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Défaillances de marché

Bien collectif = passager clandestin

Externalité négative = trop de GES

Investissement = pas assez d’innovation verte

Contrainte / incitation à participer

Internalisation de l’externalité négative

grâce à un prix mondial du carbone

(cape and trade)

Politique industrielle dans PDEM pour

stimuler innovation et transfert d’innovation

vers les PVD

Le but de l’accord international = limiter ces défaillances de marché au niveau mondial

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On soutient que l’accord de Paris, qui devrait être signé inaugurera une nouvelle économie politique des changements politiques. Pendant deux décennies, l’espoir fut de construire une politique globale de réduction des émissions « par la haut » basé sur ce que l’on appelle le partage du fardeau entre Etats. L’architecture retenue consistait dans le cadre d’un accord international contraignant à répartir des quotas de réduction entre pays, avec un système international de marché de permis de carbone pour assurer de la flexibilité et atteindre leurs objectifs au moindre coût. L’ambition représentée par le protocole de Kyoto n’a pas été tenue. Une autre politique et un autre accord sont devenus nécessaires. Dans les termes de l’analyse économique, la première politique, que l’on qualifiera de « pollutionniste » fut d’obédience néoclassique, dominé par les concepts de la boîte à outils standard : le dioxyde de carbone a été appréhendé comme une pollution, une externalité, disent les économistes susceptibles d’être internalisée par le signal des prix délivré par le marché des permis de carbone, qui serait un instrument de politique d’environnement des plus incitatifs. (…)En cohérence avec le modèle d’équilibre général néoclassique, le point de vue d’A.C.Pigou a irrigué durablement l’économie standard de l’environnement. En donnant un prix à la pollution par le biais d’un instrument économique du type taxe chez lui, ou permis négociable pour les économistes inspirés par Coase, l’externalité peut être externalisée. (…) La construction de l’action jusqu’au protocole de Kyoto en 1997 a reposé sur ce cadre d’analyse avec trois composantes :

1) Un diagnostic : la réduction des émissions de CO2 est un problème de pollution, une externalité pour les économistes ;

2) une vision d’ensemble « par le haut » : puisque la pollution est globale, l’enjeu planétaire et le climat un « bien public global » un accord international contraignant est la seule réponse appropriée pour répartir les efforts de réduction des émissions entre tous les Etats, et empêcher que certains ne se comportent en « passager clandestin » ;

3) une pierre d’angle : le signal des prix offert par le système des marchés de permis négociables est l’instrument le plus incitatif, le plus efficace et le plus efficient pour modifier les comportements des entreprises et des consommateurs en direction de technologies et de biens à moindre teneur en carbone. Ces trois piliers de l’architecture climatique initiale ont tous montré leurs limites. (…)Lorsque s’engagent les premières négociations, le modèle d’accord que les négociateurs ont en vue est celui adopté pour la préservation de la couche d’ozone (en interdisant les gaz CFC qui trouent la couche d’ozone). Mais on se trompe si l’on croit que le protocole de Montréal a été initialement impulsé par «le haut  » pour ensuite s’imposer aux Etats. Il a été préparé et engagé par des actions nationales bien antérieures à la construction d’un accord international, avec l’interdiction décisive des aérosols aux Etats-Unis en 1978 suite à des actions de mouvements environnementalistes devant les tribunaux. (…) La nouvelle économie politique du climat glisse vers une approche « par le bas », plus en termes d’économie de la production du point de vue de la pensée économique. Les politiques nationales, l’action graduelle des Etats et la réglementation, les technologies à basse teneur en carbone, les méthodes concrètes de réduction des émissions et les actions d’agents multiples à des échelles variées en seront les maîtres mots. (…) Les Etats-Unis ont été le premier pays à faire connaître en 2014 leurs propositions pour la Conférence de Paris : des « politiques nationales » avec des « contributions » et non plus des engagements. Loin du substrat « économiciste » qui présidait au design du protocole de Kyoto, les Etats-Unis se placent aujourd’hui sur un terrain plus politique, qui privilégie l’acceptabilité interne de l’accord international. Ces orientations représentent le seul dénominateur commun acceptable pour une majorité de grands pollueurs et de pays en développement. La Cop 21 marquera ainsi un triple tournant :

- un accord sur le climat sera fondé sur les seules politiques nationales : il tournera le dos à la première politique climatique à l’architecture ancienne « par le haut » et à l’ambition d’un accord international contraignant ; ça ne sera pas un protocole qui demande à être ratifié par les parlements nationaux, un opération inenvisageable aux Etats-Unis ;

- des contributions nationalement déterminées sont attendues pour réduire les émissions. Ces contributions seront de nature hétérogènes et d’ambitions modestes à court terme ; du fait de leur responsabilité historique, celles des pays développés sont attendues plus ambitieuses ;

- l’accord de Paris est là pour durer ; il n’aura pas d’échéance fixe et sera ensuite périodiquement évalué et renforcé.

Entre les travaux économiques de l’époque Kyoto et ceux qui ont la Conférence de Paris en ligne de mire, un glissement des analyses et préoccupations est perceptible : la politique climatique change de paradigme. Le rapport qui s’annonce comme une publication marquante pour la Conférence de Paris coordonné par l’institut du développement durable et des relations internationales dirigé par Laurence Tubiana et le réseau onusien animé par Jeffrey Sachs est lui, comme la soumission américaine, sans substrat explicite de théorie ECE1 Camille VernetNicolas Danglade 2017-2018

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économique. Entrepris à la demande du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, le rapport du DDPP est centré sur les trajectoires nationales, concrètes de décarbonisation à long terme des douze plus grands émetteurs de GES représentant environ 70% des émissions mondiales. L’originalité de la démarche est de tenir compte, aussi finement que possible, de ce qui fait la spécificité de chaque pays, chacun avec ses enjeux politiques, ses débats et conditions propres : potentiel de technologies, acceptabilité ou pas de certaines options comme le nucléaire, inertie du stock d’infrastructures urbaines et de transport, enjeux de développement comme les inégalités et la pauvreté, l’emploi, la pollution locale et la santé. Cette approche en termes de « décarbonisation profonde » est, là aussi, prévue pour durer, puisqu’elle accompagnera l’évaluation, la révision et le renforcement des « contributions nationalement déterminées ». La politique climatique a été construite jusqu’à Kyoto autour d’un seul instrument : le signal prix offert par les marchés de permis de carbone. Les politiques publiques, les réglementations, les actions à entreprendre par de multiples acteurs sont demeurées à la marge des analyses et des préconisations. La nouvelle politique climatique inverse les priorités. Tout en haut de l’agenda, il y a maintenant les politiques nationales et les Etats, les réglementations, les technologies à basse teneur en carbone, la modification des comportements. La question essentielle d’un prix minimal et crédible à donner au carbone, pour inciter les entreprises à modifier leurs technologies et les consommateurs leurs comportements sera bien présente à Paris, mais comme complément des politiques nationales et actions des acteurs.

Source : M.Damian et F.D.Vivien in Problèmes économiques HS n°8, p.116

Document : la position de F.D.Vivien, vers une nouvelle forme de coopération internationale, une politique climatique mondiale « par le bas »

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La coopération internationale de Kyoto à Copenhague : une politique climatique par « le

haut » :

L’accord surplombe les politiques nationales et les contraint ;

Les Etats doivent adapter leurs actions au cadre défini par l’accord : ils se plient à des engagements et

peuvent être sanctionnés ; La mise en œuvre d’un prix mondial du carbone est

essentielle

La coopération internationale à partir de Paris: une politique climatique

par « le bas » :

Les Etats proposent des contributions dans lesquelles ils fixent leurs propres méthodes, objectifs : « les trajectoires nationales » ; la mise en œuvre d’un prix mondial du carbone n’est pas

essentielle

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