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Un Dialogue mondial sur le fédéralisme, volume 1 – Publié par le Forum des fédérations La République fédérale du Brésil CELINA SOUZA Le Brésil est un pays fédéral depuis plus d'un siècle. Avec un territoire de 8 514 215 kilomètres carrés, le Brésil a une population d’environ 178 millions habitants et une croissance annuelle démographique de 1,4 pour cent. Le taux d'urbanisation est de 81,2 pour cent. En 2002, le produit intérieur brut du Brésil (PIB) s'est élevé à approximativement 451 milliards $ US, et son PIB par habitant à 2 582 $. Selon le recensement de 2001, la plupart des Brésiliens (54 pour cent) sont blancs, suivis des métis (39,9 pour cent), des noirs (5,4 pour cent), des asiatiques (0,5 pour cent), et des populations autochtones (0,2 pour cent). La grande majorité a déclaré appartenir à l'Église catholique romaine (73,6 pour cent), suivi de ceux qui ont affirmé n’appartenir à aucun groupe religieux (7,4 pour cent). Le pays ayant été colonisé par le Portugal, la langue officielle et prédominante du Brésil est le portugais. Le Brésil est sous l'égide de sa septième constitution, rédigée entre 1987 et 1988 en raison du retour du pays à la démocratie après presque 20 ans de régime militaire. Le Brésil a connu une variété d'arrangements fédéraux et a expérimenté des périodes d'autoritarisme et de démocratie. Les principaux fléaux sociaux du pays (à savoir les inégalités régionales et sociales ainsi que la pauvreté), bien que faisant partie des préoccupations des rédacteurs de la constitution depuis les années 1930, n'ont jamais été vigoureusement pris en charge par quelque système politique que ce soit. Dans ce chapitre il sera question des motifs pour lesquels le Brésil a eu des difficultés à maintenir une démocratie fédérale stable, capable de prévenir les périodes de règne autoritaire, de réduire les inégalités sociales et régionales ainsi que la pauvreté, et de concilier la démocratie sociale avec les contraintes de l’économie mondiale. Je prétends que les principaux problèmes rencontrés par le Brésil aujourd'hui sont davantage dus aux difficultés qu’ont les gouvernements à changer leurs priorités politiques et à traiter les contraintes économiques non prévues par les rédacteurs de la constitution plutôt qu'à des défauts dans la Constitution elle-même. Un fossé sépare les domaines que la gouvernance constitutionnelle couvre explicitement et les circonstances politico- économiques, celles-ci continuant à prendre le pas sur les mandats constitutionnels. LA CRÉATION DE LA FÉDÉRATION ET LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS Le fédéralisme a été introduit en 1889 et inscrit dans la Constitution de 1891. À la différence de nombre d’autres États fédéraux, le fédéralisme n’a jamais été au Brésil une réponse aux fissures sociales profondes sur les plans ethnique, linguistique, et religieux, et le pays n'a jamais connu de guerre civile. Pendant la période coloniale, l'unité du Brésil a été menacée par les envahisseurs espagnols, hollandais et français, mais ceux-ci ont tous été vaincus. Les mouvements séparatistes étaient relativement courants

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Un Dialogue mondial sur le fédéralisme, volume 1 – Publié par le Forum des fédérations

La République fédérale du Brésil

CELINA SOUZA Le Brésil est un pays fédéral depuis plus d'un siècle. Avec un territoire de 8 514 215 kilomètres carrés, le Brésil a une population d’environ 178 millions habitants et une croissance annuelle démographique de 1,4 pour cent. Le taux d'urbanisation est de 81,2 pour cent. En 2002, le produit intérieur brut du Brésil (PIB) s'est élevé à approximativement 451 milliards $ US, et son PIB par habitant à 2 582 $. Selon le recensement de 2001, la plupart des Brésiliens (54 pour cent) sont blancs, suivis des métis (39,9 pour cent), des noirs (5,4 pour cent), des asiatiques (0,5 pour cent), et des populations autochtones (0,2 pour cent). La grande majorité a déclaré appartenir à l'Église catholique romaine (73,6 pour cent), suivi de ceux qui ont affirmé n’appartenir à aucun groupe religieux (7,4 pour cent). Le pays ayant été colonisé par le Portugal, la langue officielle et prédominante du Brésil est le portugais. Le Brésil est sous l'égide de sa septième constitution, rédigée entre 1987 et 1988 en raison du retour du pays à la démocratie après presque 20 ans de régime militaire. Le Brésil a connu une variété d'arrangements fédéraux et a expérimenté des périodes d'autoritarisme et de démocratie. Les principaux fléaux sociaux du pays (à savoir les inégalités régionales et sociales ainsi que la pauvreté), bien que faisant partie des préoccupations des rédacteurs de la constitution depuis les années 1930, n'ont jamais été vigoureusement pris en charge par quelque système politique que ce soit. Dans ce chapitre il sera question des motifs pour lesquels le Brésil a eu des difficultés à maintenir une démocratie fédérale stable, capable de prévenir les périodes de règne autoritaire, de réduire les inégalités sociales et régionales ainsi que la pauvreté, et de concilier la démocratie sociale avec les contraintes de l’économie mondiale. Je prétends que les principaux problèmes rencontrés par le Brésil aujourd'hui sont davantage dus aux difficultés qu’ont les gouvernements à changer leurs priorités politiques et à traiter les contraintes économiques non prévues par les rédacteurs de la constitution plutôt qu'à des défauts dans la Constitution elle-même. Un fossé sépare les domaines que la gouvernance constitutionnelle couvre explicitement et les circonstances politico-économiques, celles-ci continuant à prendre le pas sur les mandats constitutionnels.

LA CRÉATION DE LA FÉDÉRATION

ET LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS

Le fédéralisme a été introduit en 1889 et inscrit dans la Constitution de 1891. À la différence de nombre d’autres États fédéraux, le fédéralisme n’a jamais été au Brésil une réponse aux fissures sociales profondes sur les plans ethnique, linguistique, et religieux, et le pays n'a jamais connu de guerre civile. Pendant la période coloniale, l'unité du Brésil a été menacée par les envahisseurs espagnols, hollandais et français, mais ceux-ci ont tous été vaincus. Les mouvements séparatistes étaient relativement courants

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uniquement durant la domination du Portugal, mais au début du dix-neuvième siècle, l'unité du pays n'était pas une question à l’ordre du jour. Pour ces raisons, il n'existe aucune disposition constitutionnelle traitant de la sécession, et la Constitution de 1988 énonce seulement qu'aucun amendement constitutionnel ne peut abolir « la structure fédérale de l'État ». Puisque l'unité du pays n'est pas menacée, la Constitution déclare que « tous les pouvoirs émanent du peuple » (Art. 1), et non de la nation en tant que communauté dotée d’une histoire commune, ni de l'État comme entité organisée sous un gouvernement, ni des unités constituantes en tant qu’États membres de la fédération, démontrant ainsi que le système fédéral du Brésil est basé sur le principe de l'individualisme plutôt que sur celui du communautarisme. La fédération fut créée avec les 20 provinces établies antérieurement par un État unitaire. Le Brésil est maintenant composé de 26 États plus le District fédéral (Brasília) et 5 561 municipalités. Depuis la promulgation de la Constitution de 1988, les municipalités font pression afin d’obtenir une subdivision territoriale, contrairement aux États. Le pays est officiellement divisé en cinq régions: le Nord, le Nord-Est, le Centre-Ouest, le Sud-Est, et le Sud. Selon un consensus bien établi, l'inégalité régionale au Brésil est la principale restriction en défaveur du fédéralisme et l’intégration régionale économique a empiré durant les années 1990. Les données montrent l’existence de trois « Brésil » composés de : (1) une région couvrant sept États dans la partie sud qui, avec le District fédéral, partage un niveau élevé de développement humain ; (2) une région commençant à Minas Gerais et s’étendant au nord-ouest, avec un niveau moyen de développement humain ; et (3) un secteur composé d'États de la région du nord-est, plus les États de Pará et Acre, qui est caractérisé par des bas niveaux de développement humain.

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Les disparités régionales économiques ont diminué légèrement sous le régime militaire qui était aux commandes de 1964 à 1985. Cependant, cette diminution ne peut être attribuée ni à la centralisation des ressources publiques ni à l'autoritarisme mais plutôt à la bonne performance économique pendant des décennies de croissance économique accélérée. Les taux de croissance économique de presque 10 pour cent par année depuis plus d’une décennie ont permis d'adopter des politiques visant à diminuer l'inégalité régionale.

LE FÉDÉRALISME ET LE CONSTITUTIONNALISME DANS LES CONSTITUTIONS ANTÉRIEURES

Les caractéristiques de la fédération et du constitutionnalisme du Brésil peuvent être mieux comprises en examinant les constitutions antérieures du pays, du fait même que ces constitutions reflètent les principaux pactes politiques et territoriaux conclus à travers l'histoire du pays et que chaque nouvelle constitution, tout en exprimant les changements dans le régime politique, a conservé ou renforcé les mandats constitutionnels des constitutions antérieures, à quelques exceptions près.

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Les discussions sur la division territoriale des compétences commencèrent avant la fin de la période coloniale. Le but principal du mouvement républicain était le fédéralisme, non la liberté. Néanmoins, avec la décentralisation, le fédéralisme et la liberté ont été présentés comme synonymes. Le choix du fédéralisme, même s’il reflétait le modèle des États-Unis, n'en était pas une simple copie car d’une part son adoption fut précédée de débats, d’autre part les élites provinciales étaient en faveur d’une décentralisation et à leur avis, un système fédéral pouvait mieux la mettre en action qu’un système unitaire. Bien que les institutions des États-Unis tels que le système présidentiel, le fédéralisme, et le recours judiciaire furent adoptées et sont toujours les bases des institutions politiques brésiliennes, et bien que la Constitution de Weimar ait influencé la tendance vers une constitutionnalisation des droits et des avantages sociaux, le Brésil a construit sa propre histoire constitutionnelle. La Constitution de 1988 exprime une tradition constitutionnelle développée à travers la rédaction des sept constitutions précédentes. Le Brésil a pour la première fois promulgué une constitution écrite en 1824, après avoir gagné son indépendance face à l'empire portugais. Cette Constitution a accordé des compétences administratives aux 16 provinces existantes même si elles n'avaient aucune autonomie politique formelle ou informelle. Cette décentralisation a ouvert de la sorte la voie au fédéralisme. Promulguée après que la république fut installée, la Constitution de 1891 instaura la décentralisation promise par le slogan républicain « centralisation, sécession; décentralisation, unité ». Les ressources économiques furent acheminées vers quelques rares États, ce qui prouve que la fédération naquit caractérisée par une concentration des ressources destinées à quelques États uniquement.

L’expérience du fédéralisme isolé, ou encore dual, au Brésil prit fin en 1930 par un coup d’État mené par un civil, Getulio Vargas, à la suite de conflits régionaux au sujet de la présidence. L’une des premières mesures de Vargas fut d’amortir les dettes des États envers le gouvernement fédéral, y compris l'énorme dette de São Paulo contractée par les producteurs de café subventionnés. En 1932, Vargas appuya une réforme électorale qui, entre autres, augmenta la représentation politique des plus petits États au sein de la Chambre des députés. Initialement conçu pour contrecarrer le pouvoir de quelques États, ce principe de représentation demeure l’une des bases du fédéralisme brésilien. La Constitution de 1934, promulguée en raison du coup d’État de 1930, fut la première à constitutionnaliser certaines mesures socio-économiques afin de spécifier certains droits sociaux et économiques des Brésiliens. Elle étendit également les relations intergouvernementales en introduisant plusieurs mesures permettant au gouvernement fédéral d'accorder des ressources et une assistance technique aux entités infranationales. Les municipalités furent autorisées à percevoir leurs propres recettes fiscales tandis que la moitié de leurs revenus provenait de l’un des impôts de l’État. Néanmoins, la Constitution de 1934 fut incapable de survivre aux conflits entre les mesures augmentant l'intervention économique et les dépenses sociales, d'une part, et le renforcement des élites régionales et du Congrès, d’autre part.

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La Constitution de 1937 fut admise par Vargas après qu'il ait pris le pouvoir lors d’un coup d’État militaire. Ce coup d’État fut jugé nécessaire d’une part pour combattre le communisme et les oligarchies, ces dernières étant nourries par l'impossibilité de diminuer l'importance des intérêts régionaux au Congrès, et d’autre part pour établir l'unité politique et administrative afin de faire avancer la modernisation socio-économique. Vargas mit fin au Congrès et aux législatures d'État et il remplaça tous les gouverneurs élus par des intervenants. Les gouvernements infranationaux perdirent leurs revenus en faveur du gouvernement fédéral, à qui fut accordé le droit de réguler les exportations du Brésil et les échanges entre États. En refusant d’accorder aux oligarchies régionales le droit de prescrire leurs règles de commerce, Vargas prépara le terrain à l'industrialisation. Néanmoins, les déséquilibres fiscaux horizontaux demeurèrent : en 1945, trois États possédaient plus de 70 pour cent des revenus de tous les États.

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En 1945, Vargas fut renversé par son ministre de la Guerre après que les pressions des militaires et les revendications pour une démocratie libérale eurent surgi en raison de la vague mondiale de démocratisation qui suivit la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'élection de 1945 fut gagnée par le Général Dutra. Vargas gagna l'élection présidentielle suivante en 1950 et gouverna le Brésil selon la règle démocratique jusqu'en 1954, année où il se suicida car il était sur le point d'être renversé par les militaires. La rédaction de la Constitution de 1946 fut influencée par des idéaux libéraux. Cependant, ils ne durèrent pas longtemps face au besoin urgent d’une croissance économique rapide sous l'égide du gouvernement fédéral. Comme la démocratie et la décentralisation sont toujours allées de concert au Brésil, les revenus des gouvernements municipaux augmentèrent. La Constitution introduisit un projet exigeant des gouvernements des sphères supérieures de partager leurs revenus avec les entités des sphères inférieures afin d'essayer de résoudre la question du déséquilibre vertical. Le déséquilibre horizontal fut partiellement résolu en affectant certains revenus fédéraux aux gouvernements des régions les plus pauvres du Brésil. Ces mesures eurent cependant un effet limité en raison de la croissance disproportionnée des activités fédérales, d’une augmentation du nombre des nouvelles municipalités, de l'inflation, et du non-paiement des transferts fédéraux aux États et aux municipalités. La Constitution de 1946 reste la constitution qui dura le plus longtemps au Brésil. Les mesures et le régime démocratique qu'elle réglementa survécurent aux différentes crises : le suicide de Vargas, la démission du Président Quadros en 1961, et l'accession à la présidence du vice-président de Quadros, Goulart, en dépit de l'hostilité des militaires et des entrepreneurs. Cependant, la démocratie ne put survivre à l’importante crise économique et politique du milieu des années 1960, un coup d’État militaire s’ensuivit, entraînant le gouvernement du Brésil dans la vague de dictatures qui régirent les régimes d’Amérique latine durant cette période. Les militaires n'élaborèrent pas immédiatement une nouvelle constitution. Ce n’est qu’en 1967 qu’une nouvelle constitution fut promulguée, et en 1969, elle fut à nouveau révisée par un amendement constitutionnel. La Constitution de 1967-1969, accompagnée de la

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loi sur la réforme fiscale de 1966, renforça la centralisation du pouvoir politique et des finances publiques. Les élections compétitives furent interdites pour les postes de direction au niveau fédéral et des États comme pour ceux de maire des capitales d'État et des municipalités considérées comme des « régions de sécurité nationale » ou des « sites minéraux ». Vers la fin des années 1970, la fragilité du régime militaire se fit ressentir et l'économie du pays commença à ralentir. Les militaires autorisèrent des élections directes pour les gouverneurs d'État en 1982 et essayèrent de pacifier les élites locales en augmentant graduellement les transferts fédéraux envers les gouvernements municipaux. Financièrement affaiblis, les militaires commencèrent à perdre leurs appuis.

LA CRÉATION DE LA CONSTITUTION FÉDÉRALE DE 1988

Le retour à la démocratisation commença en 1985, et une nouvelle constitution fut élaborée pour mettre un terme au règne autoritaire. Les principaux objectifs politiques de la Constitution étaient de créer une société juste et solidaire, de garantir le développement national, de supprimer la pauvreté et la marginalisation, de réduire les inégalités sociales et régionales, et de promouvoir le bien-être de tous sans préjudice ni discrimination. En réponse à la pression des mouvements sociaux, en particulier des communautés minoritaires, le préambule de la Constitution ainsi que plusieurs articles traitent de la question des préjugés et de la discrimination. Pour un pays alors en voie d’affranchissement d'un régime militaire, restaurer ou maintenir la démocratie ne figure étonnamment pas parmi les objectifs stipulés par la Constitution, bien que l'Article 1 déclare que le Brésil est un État démocratique et que plusieurs mécanismes furent alors créés pour garantir la continuité de la démocratie. L’adoption de la Constitution de 1988 fut accompagnée d’enthousiasme et d’optimisme quant à l’avenir du pays. Pendant 20 mois, le Congrès et Brasília furent le centre de la vie brésilienne, s'engageant dans un exercice évident de démocratie et de participation politique. Les règles établissant le fonctionnement de l'Assemblée nationale constitutive (Constituent National Assembly, CNA) furent le premier signal que l'élaboration de la constitution allait être un processus ascendant : au lieu d’une seule commission pour élaborer le projet, il y eut 24 sous-commissions, fusionnées plus tard en huit commissions et finalement en un comité de systématisation de 97 membres, ainsi que des sessions plénières avec deux séries de vote. Une innovation dans les règles était de permettre à des propositions d’amendements de provenir de l’extérieur du Congrès si plus de 30 000 électeurs signaient une pétition. Ceci fut largement utilisé par les mouvements sociaux et les organisations corporatistes pour des actions de lobbying. À titre d’encouragement à la participation populaire, les citoyens furent invités à envoyer par la poste leurs suggestions au sujet de la Constitution. Les intentions démocratiques des rédacteurs de la constitution furent couronnées de succès : 122 amendements populaires furent signés par plus de 12 millions d'électeurs, et 72 719 suggestions de particuliers furent envoyés au Congrès.

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participation populaire fut un élément clé de la transition à la démocratie et elle devint un instrument important pour la légitimation de ce retour à la démocratisation.

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La Constitution de 1988 est plus détaillée que les précédentes. Une fois approuvée, elle contenait 245 Articles, plus 70 Articles dénommés Mesures constitutionnelles transitoires. La constitution est divisée en neuf Titres : les Principes fondamentaux, les Droits et les garanties fondamentales, l’Organisation de l'État, l’Organisation des pouvoirs, la Défense de l'État et des institutions démocratiques, la Taxation et le budget, l’Ordre économique et financier, l’Ordre social, les Dispositions constitutionnelles générales et les Mesures constitutionnelles transitoires. Cette série de questions législatives reflète la tradition de constitutionnalisation, quel que soit le degré d’importance des sujets, mais elle constitue également une réaction contre le mépris de la part des militaires des contraintes et mandats constitutionnels. Avec l'approbation d’amendements constitutionnels, la Constitution fut étendue à 250 articles, plus 94 articles sous le titre de Mesures constitutionnelles transitoires, ce qui est comparable au nombre d’articles des constitutions de l’Inde et l’Afrique du Sud. La Constitution stipule non seulement des principes, des règles, et des droits, mais également un large éventail de politiques publiques. Le Titre sur l'Ordre économique et financier, par exemple, règle les principes libéraux de l'État et fournit également des directives pour les politiques urbaines et agraires et pour les institutions financières privées. Le Titre sur les Dispositions constitutionnelles générales détaille d’une façon similaire les limites imposées au gouvernement fédéral pour financer la création de nouveaux États et il traite d'autres questions importantes qui avaient été ignorées par le régime militaire. Les Mesures constitutionnelles transitoires ont créé un nouvel État, ont élevé deux territoires au statut d'État, et ont réglé des questions spécifiques concernant le service civil et militaire, l'administration publique et judiciaire, bien que chacun de ces domaines soit également détaillé dans le corps principal de la Constitution. Le Titre sur la Défense de l'État et des institutions démocratiques permet au président de prendre des mesures exceptionnelles si la démocratie est menacée. La Constitution de 1988 est unique par rapport à d’autres constitutions brésiliennes. D'abord, elle n’est pas basée sur un projet élaboré par des experts, comme cela fut le cas en 1891 et 1934, et elle ne reflète pas de constitutions précédentes, comme en 1946. En second lieu, les constitutions antérieures étaient le résultat de processus politiques concluants et l'inauguration d'un nouvel ordre, tandis que la Constitution de 1988 fit partie d’un processus politique de transition vers la démocratie. Troisièmement, et directement relié au fédéralisme, la CNA était libre de décider de l’abolition du système fédéral, option précédemment interdite. La Constitution de 1988 ne fut pas influencée par une idéologie particulière ou par une quelconque puissance étrangère. Bien qu'il n'y ait eu aucune discussion constitutionnelle, comme celle menée par les Pères fondateurs des États-Unis, on peut dire que la Constitution de 1988 fut le résultat d’un élan politique, marqué par un besoin de légitimer la démocratie. Cela signifiait réconcilier les intérêts contradictoires parmi les anciens et les nouveaux acteurs, étant donné que la transition vers la démocratie était encore en cours. C'est également la raison pour laquelle la Constitution, bien que très détaillée, contient plusieurs mandats exigeant davantage de règlementation soit par le droit

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ordinaire soit par le droit complémentaire, comme en Suisse. Le consensus était la voie à suivre, étant donné l’absence d'une majorité politique ou idéologique claire. Pour toutes ces raisons, de nombreux facteurs motivèrent les rédacteurs de la constitution à concevoir une fédération dans laquelle le pouvoir est décentralisé et les centres de compétences inégales mais concurrentes ont la force de jouer un rôle dans le processus décisionnel. Toutes ces données représentèrent des contraintes inédites plaidant contre une fédération précédemment trop centralisée. Sous de nombreux aspects, la Constitution de 1988 a différé des précédentes, en particulier (1) en garantissant plus de ressources aux entités infranationales, (2) en augmentant le contrôle social et institutionnel sur les trois ordres de gouvernement, en accroissant le pouvoir du législatif et de l'ordre judiciaire et en reconnaissant le rôle des mouvements sociaux et des institutions non gouvernementales dans le contrôle du gouvernement, et (3) en universalisant les services sociaux, spécialement l’accès aux services médicaux, qui jusque-là avaient été limités à ceux qui exerçaient des activités officielles. Cependant, la Constitution de 1988 a maintenu certaines caractéristiques des constitutions précédentes, telles que (1) la tendance vers la constitutionnalisation d’un certain nombre de domaines, également maintenue dans les amendements constitutionnels approuvés jusqu'ici ; (2) le renforcement des gouvernements municipaux vis-à-vis des gouvernements d'État, comme cela se produit également en Afrique du Sud ; (3) la tendance vers l'uniformité dans les ordres de gouvernement infranationaux, en particulier les gouvernements d'État, ce qui a rendu impossible l’introduction de politiques plus proches de leurs priorités régionales ; et (4) l’échec de la lutte contre les inégalités régionales et sociales en dépit de l'existence de mécanismes politiques dans la Constitution destinés à neutraliser ces inégalités.

LES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS DE LA FÉDÉRATION

Le fédéralisme

À la différence de nombreuses fédérations, le Brésil est une fédération à trois niveaux, comme en Belgique. Cette caractéristique s’explique du fait que les municipalités n’ont jamais été une création des États et parce que la Constitution de 1988 a incorporé les municipalités comme les États, en tant qu'éléments de la fédération, reflétant ainsi une tradition d’autonomie municipale et de contrôle de l’État restreint sur les questions municipales. Les gouvernements fédéraux, d’État et municipaux ont leurs propres institutions législatives et exécutives, et les gouvernements fédéraux et d'État ont leurs propres cours. Les États sont représentés au Sénat mais ne sont pas formellement représentés dans le gouvernement fédéral, désigné dans la Constitution sous le nom de « l'Union ». Cependant, officieusement, la tradition a toujours été d’avoir les intérêts des États représentés dans l’exécutif fédéral lors des nominations politiques, qui sont souvent le

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reflet d’une combinaison [du nombre] des adhésions aux différents partis et des intérêts, à l’échelle de l’État, de ceux qui soutiennent la coalition du président au pouvoir. Bien que la Constitution de 1988 ait diminué le nombre de cas dans lesquels le gouvernement fédéral peut intervenir dans les affaires d'État et le nombre de cas dans lesquels les États peuvent intervenir dans les affaires municipales, la Constitution permet toujours l'intervention fédérale et des États, sous réserve de l'approbation du législatif. L'intervention fédérale fut une pratique très courante uniquement durant les premières années de la république et par Vargas pour réduire le pouvoir des élites politiques infranationales. L'intervention fédérale peut s’imposer s'il y a des menaces à l'unité nationale, à l'ordre public, à la république, ou à l'ordre démocratique et si les finances étatiques et municipales exigent une réorganisation. Une fois une intervention déclarée, aucun amendement constitutionnel ne peut être approuvé. Depuis la Constitution de 1988, il a été difficile de décrire la fédération brésilienne comme centralisée ou décentralisée, à l’instar de la fédération australienne. La fédération brésilienne a été marquée par des politiques centralisées au niveau fédéral et par des contraintes sur la liberté des entités infranationales d’introduire une législation, liberté également limitée par l’interprétation juridique. En outre, peu de compétences constitutionnelles sont assignées aux États et aux municipalités, comme cela se passe également au Mexique et en Afrique du Sud. En même temps, les gouvernements d’État et municipaux jouissent maintenant d’une autonomie administrative considérable, de la responsabilité de la mise en œuvre de la politique, ainsi que d’une part des ressources publiques dont ils n'avaient précédemment jamais bénéficié.

Statut des unités constituantes Constitutionnellement, chaque unité constituante a les mêmes compétences que celles accordées aux unités constituantes aux États-Unis et au Mexique (c.-à-d., le Brésil a adopté le fédéralisme symétrique au sein d’une organisation asymétrique du point de vue socio-économique). Deux facteurs principaux ont stimulé ce fédéralisme symétrique. D'abord, les règles régissant la juridiction infranationale, les revenus, et plusieurs ordres publics contiennent des sections détaillées de la Constitution, contrairement aux États-Unis et à l’Australie, par exemple. En second lieu, la Cour suprême fédérale exige systématiquement que les constitutions et les lois des États reflètent la Constitution fédérale, imposant de ce fait une interprétation hiérarchique des normes constitutionnelles bien que la Constitution ne l’énonce pas explicitement. À la différence de l'Australie, de l'Inde, du Mexique, de la Suisse, et des États-Unis, où les amendements aux constitutions fédérales doivent être ratifiés par les législatures d'État ou par l'électorat, aucune obligation de cette nature n’existe au Brésil. Il est plutôt présumé que la représentation des États au Sénat préserve leurs intérêts. Les États ont leurs propres constitutions, qui ont été promulguées en 1989. La rédaction de ces constitutions a suivi les mêmes règles que celles appliquées à la Constitution fédérale, de même que leur approbation et leurs amendements ultérieurs. Bien que les

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constitutions d'État ne soient pas liées par les contraintes fédérales, excepté l’obligation de se conformer aux principes énoncés dans la Constitution fédérale, la plupart d'entre elles sont la réplique des mandats fédéraux, comme en Afrique du Sud. À chaque fois que des règles élaborées par les rédacteurs des constitutions d'État ne reposaient pas sur des principes explicitement considérés dans la Constitution fédérale, celles-ci ont été généralement rejetées par la Cour suprême fédérale. Les raisons de cela sont d’une part que tant la Constitution de 1988 que ses amendements ultérieurs sont minutieusement détaillés et d’autre part que, selon la Cour suprême fédérale, les constitutions et les lois d'État doivent refléter la Constitution fédérale. Les élections du président, des gouverneurs, et des représentants du Congrès et des États ont lieu simultanément tous les quatre ans. Deux ans plus tard, les maires et les conseillers municipaux sont élus simultanément pour des mandats de quatre ans. La réélection de ceux qui occupent des postes exécutifs fut introduite en 1997, avec seulement une réélection autorisée. Pour les exécutifs fédéraux et d'État et dans les municipalités de plus de 200 000 électeurs, un second tour d’élections doit être tenu si aucun candidat n’obtient la majorité du vote populaire. Toutes les législatures sont élues selon un système de représentation proportionnelle sur listes ouvertes, excepté le Sénat où l'élection repose sur une variante de la règle du scrutin majoritaire uninominal à un tour.

La répartition des compétences Les constitutions du Brésil ont toujours divisé les juridictions en trois ordres de gouvernement, et la Constitution de 1988 perpétua cette pratique. L'Union détient le plus grand nombre de compétences exclusives, y compris celles qui sont les plus importantes, comme c'est le cas en Russie. Bien que les compétences résiduelles reviennent aux États, comme aux États-Unis, en Australie, et au Mexique, le haut degré des détails énoncés dans la Constitution laisse peu d’occasions aux États de faire usage de leurs compétences résiduelles. Les compétences concurrentes sont énumérées à l’Article 23 de la Constitution. Bien que ces compétences couvrent un large éventail de domaines (voir le Tableau 1), des lacunes demeurent entre ce que l'article indique et la façon dont ses dispositions sont mises en pratique. Si un gouvernement d'État introduit une législation concernant une question figurant dans la liste des compétences concurrentes et si la législation fédérale sur cette même question est approuvée ultérieurement, la législation fédérale prime. À la différence de nombreuses fédérations, à l'exception notable de l'Inde, l’exécutif fédéral du Brésil conserve la majeure partie de l'autorité législative concernant les compétences concurrentes. La longue liste des compétences partagées par les trois ordres de gouvernement, la plupart d’entre elles couvrant les politiques publiques, pourrait suggérer que les rédacteurs de la Constitution avaient eu l'intention d'élargir la portée du fédéralisme coopératif au Brésil. Cependant, ceci ne s'est pas produit, comme les possibilités qu’ont les gouvernements infranationaux de mener leurs propres politiques publiques sont fortement inégales.

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Tableau 1 Les compétences exclusives et concurrentes au Brésil Niveau de gouvernement

Catégorie de dépenses

L'Union – exclusivement –

La défense Les affaires étrangères Le commerce international La monnaie, le système bancaire L'utilisation des ressources hydrauliques Les autoroutes nationales La planification nationale et régionale Les Directives concernant : le développement urbain, le logement, la santé publique, les transports publics Les services postaux La police: police fédérale et police des frontières La réglementation concernant: le travail, l'énergie, le commerce inter états, les télécommunications, les assurances, les transports inter états, l'exploitation minière, l'emploi, l'immigration, la citoyenneté et les droits des autochtones La sécurité sociale Le système national des statistiques Les directives et bases pour l’éducation nationale

Union-État-autorités locales – compétences partagées –

La santé publique et le bien-être social Les services aux handicapés La préservation du patrimoine historique, artistique et culturel La protection de l’environnement et des ressources naturelles La culture, l'éducation et la science La protection de la forêt, de la faune et de la flore L'agriculture et la distribution alimentaire Le logement et l'assainissement La lutte contre la pauvreté et la marginalisation sociale L'exploitation minière et l'hydroélectricité La sécurité routière Les politiques d’encouragement aux petits commerces Le tourisme et les loisirs

État – exclusivement –

Les compétences résiduelles: toute matière non dévolue aux niveaux fédéral ou local par la Constitution

Autorités locales – principalement –

L'éducation préscolaire et primaire Les soins médicaux préventifs La conservation des monuments historiques et des biens culturels

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Autorités locales – exclusivement –

Les transports publics (intra urbains) L'utilisation des terres

Les compétences de la police sont également réglées par la Constitution. Le gouvernement fédéral est responsable de la police fédérale, de la police ferroviaire et des autoroutes. Les États sont responsables de la police militaire, de la police civile et des sapeurs-pompiers rattachés à la police d'État. L’Union finance ces deux polices ainsi que les sapeurs-pompiers du District fédéral. Les gouvernements locaux peuvent, s'ils le souhaitent, avoir une garde municipale pour protéger leurs biens et leurs services. Les gardes municipales n’ont pas le droit au port d'armes, mais il est fait pression pour que ce droit leur soit attribué en raison de l’augmentation de la violence urbaine. Les droits et devoirs des forces militaires et de la police fédérale et d'État sont précisés dans la Constitution, de même que ceux des fonctionnaires. Venant s'ajouter aux règles et aux procédures régissant l'administration publique, ces règlements reflètent la tendance au Brésil vers une constitutionnalisation de tout ce qui est considéré comme important de même que la force de certains lobbys au sein de la CNA. La logique régissant la répartition des compétences dans la Constitution est paradoxale : d'une part, une décision a été prise afin de diminuer les revenus du gouvernement fédéral à un niveau inférieur à ceux reçus par les autres niveaux de gouvernement ; d'autre part, le rôle législatif et la juridiction du gouvernement fédéral ont été augmentés. Il semble que les rédacteurs de la Constitution, étant donné les deux longues périodes d’autoritarisme au Brésil, étaient encore influencés par l’idée d'un gouvernement fédéral tout-puissant. Bien que l'Union jouisse de compétences législatives et concédées considérables, les spécialistes diffèrent sur la manière dont celles-ci ont été officieusement réparties au sein des trois ordres du gouvernement depuis le retour à la démocratisation. Il y a ceux qui arguent du fait que le système politique brésilien est bloqué par les intérêts d'État, étant donné le pouvoir informel que les gouverneurs ont sur leurs délégations d'État au Congrès.

4 D'autres ont fait remarqué le succès de l’exécutif fédéral dans ses tractations

avec le Congrès.5 D'autres enfin considèrent que les caractéristiques actuelles du

fédéralisme brésilien renforcent la démocratie par la création de plusieurs centres de pouvoir qui, malgré leurs compétences inégales, se concurrencent entre eux et concurrencent avec l’exécutif fédéral.

6 Sous cette perspective, étant donné que les

gouvernements fédéraux et infranationaux exercent des compétences partagées, augmenter le pouvoir des élites politiques infranationales, en particulier des gouverneurs d'État, ne diminuera pas le rôle de l'Union. Les avocats constitutionnels argumentent que l’équilibre des pouvoirs favorise l'Union en raison de son rôle central dans de nombreuses politiques publiques, du manque de

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ressources financières des États pauvres, et de la législation fédérale qui assure une uniformité excessive des gouvernements des États.

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Certains analystes prétendent que l’équilibre des forces dans la fédération favorise les gouvernements locaux, étant donné la force historique et actuelle des municipalités au Brésil, bien que leur force financière et leur rôle dans l’application des politiques sociales puissent être considérés comme une question non pas de fédéralisme mais plutôt de décentralisation. Ni les mécanismes ni les institutions susceptibles de réglementer les relations intergouvernementales ne sont prévus dans la Constitution. Un paragraphe à l’Article 23 déclare qu'une loi complémentaire devrait être adoptée afin de régler la coopération au sein des trois ordres de gouvernement, mais elle n’a jamais été à l'ordre du jour et reste à élaborer. Ceci ne veut pas dire que les relations intergouvernementales sont inexistantes. Les gouvernements infranationaux partagent les impôts fédéraux, les municipalités partagent les impôts de l'État, et il existe certaines politiques sociales, en particulier concernant la santé et l'éducation primaire, pour lesquelles le gouvernement fédéral émet des directives et fournit des ressources selon des règles déterminées par la législation fédérale. Excepté ces secteurs de politique, les relations intergouvernementales sont fortement concurrentielles, verticalement et horizontalement, et marquées par des conflits. Les mécanismes coopératifs n’apparaissent qu’avec le soutien fédéral. Bien qu'il existe plusieurs mécanismes constitutionnels pour stimuler le fédéralisme coopératif, tels que les secteurs de politique concurrente, le fédéralisme brésilien a tendance à être dominé par l’Union et à être très souvent concurrentiel. Les conflits de compétence entre les trois ordres de gouvernement et leurs législatures sont résolus par la Cour Suprême fédérale au moyen des recours judiciaires prévus dans la Constitution. Les gouverneurs peuvent déposer ces recours, de même que le président, le conseil du Sénat, le conseil de la Chambre des députés, les conseils des assemblées d’État, le procureur général, l'association des avocats, les partis politiques représentés au Congrès, et les confédérations des syndicats et du monde des affaires. Les gouverneurs ont été les initiateurs les plus actifs des recours judiciaires. Paradoxalement et jusqu’à très récemment, les recours judiciaires introduits par les gouverneurs d'État n’avaient pas pour objectif de défendre l'autonomie des États vis-à-vis de la législation fédérale, ce qui aurait été normal, mais plutôt de réclamer l’intervention juridique fédérale contre des mesures prises par les assemblées d’État. La Constitution de 1988 et les décisions subséquentes qui ont été prises par la Cour Suprême fédérale ont permis aux lois d'État d’être uniformes et conformes aux objectifs fédéraux; ainsi l'État et les intérêts municipaux correspondent à une logique fédérale, et il existe une certaine homogénéité constitutionnelle et légale, en dépit des divers intérêts d’État et municipaux.

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LA STRUCTURE ET LE FONCTIONNEMENT DU GOUVERNEMENT

Les institutions générales

Le Brésil a toujours eu un système présidentiel, excepté durant 14 mois entre 1961 et 1963. Néanmoins, quelques tentatives ont été faites afin d’introduire un système parlementaire, notamment pendant la rédaction de la Constitution de 1988 et au début des années 1990, lorsqu’un plébiscite fut demandé pour changer le système. Excepté pendant ces périodes autoritaires, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est un principe important dans la Constitution, laquelle fournit des règles détaillées concernant la juridiction et le fonctionnement de ces pouvoirs. Cependant, comme dans de nombreux autres pays à régime présidentiel, c’est de la branche exécutive qu’émanent principalement les lois. Un système de freins et contrepoids prévaut néanmoins. La Cour suprême fédérale peut déclarer inconstitutionnelles des lois émises par l’exécutif et elle peut rejeter les décisions du Congrès. Les revenus de l'ordre judiciaire viennent du budget fédéral approuvé par le Congrès. Concernant les relations entre l’exécutif et les législatures, le Congrès doit approuver : (1) les traités internationaux ; (2) les accords de paix et les déclarations de guerre ; (3) les décisions présidentielles exceptionnelles pour préserver l'ordre démocratique, prévues dans la Section de la Constitution relative à la défense de l'État et des institutions démocratiques ; (4) les comptes de l’Union ; (5) les référendums et les plébiscites ; et (6) l'utilisation de l'eau et des ressources minières dans les régions autochtones. La Chambre des députés peut introduire des procédures pour mettre en accusation le président, et le Sénat détient la responsabilité de prononcer le jugement dans de tels cas. Le Sénat a un rôle plus grand dans la mise en action des freins et contrepoids parmi les trois pouvoirs (comme détaillé à l’Article 52 de la Constitution). Le Sénat a la responsabilité de prononcer la révocation des membres de la Cour suprême fédérale, de ratifier certaines nominations de fonctionnaires par le président, et de décider des questions concernant tous les prêts internes et étrangers aux trois ordres de gouvernement.

Le pouvoir législatif fédéral Le législatif fédéral est bicaméral. Le Congrès se compose de la Chambre des députés et du Sénat. Il compte 513 députés fédéraux et 81 sénateurs. Chaque État et le District fédéral élisent trois sénateurs pour un mandat d’une durée de 8 ans. Au sein de la Chambre, le nombre de sièges par État est déterminé par rapport à la population, avec un minimum de 8 et un maximum de 70 sièges, et en pratique, chaque État agit comme un district électoral. Étant donné les énormes différences de population entre les États, cette règle a pour conséquence une représentation fortement disproportionnée, qu’illustrent les exemples de São Paulo où 24 millions d’électeurs nomment 70 représentants (un député pour 350 000 électeurs), alors qu’à Roraima, le plus petit État du Brésil en termes d’habitants, 186 000 électeurs nomment 8 représentants (un député pour 23 000

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électeurs). La surreprésentation des plus petites unités fut introduite en 1932 pour équilibrer le pouvoir des États de São Paulo et de Minas Gerais au sein de la fédération. Elle a été maintenue depuis. Comme la plupart des législatifs, le Congrès doit approuver les lois proposées par l’exécutif. Il doit également voter sur le budget présenté par l’exécutif. Non seulement le Sénat partage la plupart des compétences de la Chambre, comme en Australie, mais il a également ses propres compétences constitutionnelles. Depuis le retour à la démocratisation, aucun président n'a atteint une majorité au Congrès; par conséquent, les présidents ont dû établir des coalitions de plusieurs partis représentés au Congrès afin de faire passer la législation. Cette pratique est cruciale pour les amendements constitutionnels, quand une majorité qualifiée est requise. Comme mentionné ci-dessus, l'Union conserve un nombre considérable de compétences constitutionnelles, y compris la compétence de présenter des projets de loi et d’introduire et de changer les politiques publiques. Ceci ne signifie pas, cependant, que le Congrès joue un rôle mineur, en particulier étant donné la constitutionnalisation d'un large éventail de domaines. Le Congrès a également joué un rôle actif dans l’examen des questions publiques, en introduisant plusieurs commissions d'enquête ces dernières années.

Le pouvoir exécutif fédéral

L’exécutif fédéral comprend le président et les ministres. La Constitution de 1988 a augmenté les compétences de l’exécutif, qui regroupe maintenant 25 points à l’Article 21. Les domaines couverts par ces compétences s'étendent de ceux qui normalement sont supervisés par les gouvernements exécutifs dans un système présidentiel (par exemple, les affaires étrangères, la défense nationale, et la politique monétaire) à de nombreuses autres politiques spécifiques sur lesquelles l’exécutif émet des directives. Aucune mesure constitutionnelle n’exige la coopération ou la consultation entre l'Union et les États sur des domaines relevant de la juridiction de l’Union. Bien que la Constitution ait augmenté le nombre d'individus autorisés à présenter des projets de loi – les membres du Congrès, le président, les membres de la Cour suprême fédérale, l’avocat général, et les citoyens (si une pétition est signée par au moins 1 pour cent de l'électorat national réparti sur au moins cinq États) –, l'Union a la juridiction exclusive d’initier la législation sur 29 sujets détaillés à l’Article 22. Ceux-ci incluent les règlements civil, commercial, pénal, électoral, agraire, maritime, de l’aviation, de l'espace, et du travail, de la citoyenneté, les mesures macro-économiques, des équipements publics, des services postaux, du commerce étranger ou entre États, des populations autochtones, de la sécurité sociale, et les règles générales sur les soumissions. La compétence de l’Union de battre monnaie est exercée par une banque centrale non autonome sans représentation des États. L'Article 22 stipule que seule l'Union peut faire passer la législation sur les secteurs suivants dans lesquels les compétences des sphères municipale, d'État, et de l’Union sont concurrentes: l’hydroélectricité, la circulation routière et les transports, les mines, et l’éducation. Cette contradiction apparente reflète

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la tendance brésilienne vers l'uniformité au sein des trois ordres de gouvernement et une quête de normes nationales. L'Article 23 déclare que les trois ordres de gouvernement sont responsables d’une façon concurrente de préserver la Constitution et les institutions démocratiques et il énumère également plusieurs secteurs politiques dans lesquels les trois ordres partagent la juridiction. L'Article 24 énumère 16 matières sur lesquels l'Union et les États (mais pas les municipalités) peuvent légiférer de façon concourante. Celles-ci incluent l’imposition fiscale, les finances, le contrôle de l'économie, le budget, les lois urbaines, l’utilisation et la protection des ressources naturelles et de l'environnement, et l’emprisonnement.

Le pouvoir judiciaire fédéral Il y a toujours eu une division des compétences entre les cours fédérales et d'État ; ainsi les entités constituantes ne sont donc pas représentées au sein du pouvoir judiciaire fédéral. Le constitutionnalisme brésilien n'a jamais été influencé par le droit traditionnel ou religieux, et aucune demande n'a jamais été faite en vue de la reconnaissance des cours traditionnelles, communales, ou religieuses. Les constitutions ont toujours reflété une tradition de droit civil, comme celles du Mexique et du Québec. L'ordre judiciaire fédéral comporte plusieurs réseaux de cours : la Cour suprême fédérale, la Cour supérieure de justice, les cours fédérales régionales, les cours du travail, la Cour électorale, et la Cour militaire. La Cour suprême fédérale est la cour la plus haute de la fédération. Depuis 1988, elle jouit de l'attribution juridico-politique typique d'une cour constitutionnelle, mais elle juge également certains cas d'appel. Sa juridiction inclut : (1) les examens judiciaires des lois et des règles fédérales et d'État ; (2) l’arbitrage des conflits de compétence entre le gouvernement fédéral et les États, entre deux États ou plus, et entre les gouvernements d'État et leurs assemblées d’Éta ; et (3) les examens judiciaires de la législation municipale considérée inconstitutionnelle. Ceci signifie que la Cour suprême peut déclarer les lois fédérales, d’État, et les lois municipales inconstitutionnelles et donc nulles. Elle n'a aucune juridiction consultative. La Cour supérieure de justice a compétence pour régler les conflits administratifs entre deux unités constituantes ou plus. La Cour Suprême comprend 11 membres nommés par le président, sur l'approbation du Sénat. Les membres de toutes les autres branches judiciaires fédérales et d'État entrent en service par une procédure de sélection ouverte à tous les diplômés en droit. Les juges fédéraux et d'État ne peuvent être révoqués que par leurs pairs, exceptés ceux qui siègent à la Cour suprême, qui ne peuvent être révoqués que par le Sénat.

LES INSTITUTIONS ÉTATIQUES

Comme en Afrique du Sud, les institutions politiques des États du Brésil sont semblables à celles de l'Union, sauf qu'elles ne sont pas bicamérales. Le nombre de députés d'État et

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leurs plafonds salariaux sont déterminés par la Constitution fédérale. Bien que les États jouissent de relativement peu de compétences constitutionnelles, ils (1) prélèvent l'impôt le plus élevé, après avoir déterminé son taux en termes absolus (c'est une taxe à la valeur ajoutée qui, à la différence de beaucoup de fédérations, est sous la juridiction des États) ;

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(2) administrent plus de ressources publiques qu'ils ne le faisaient avant le retour à la démocratisation ; et (3) jouissent d’une plus grande liberté administrative. Néanmoins, étant donné la disparité des économies des États, les capacités financières et décisionnelles de ces derniers sont fortement inégales. À l’instar de la séparation des pouvoirs au niveau fédéral, la séparation des pouvoirs de l’État est constitutionnellement garantie. Chaque État a une hiérarchie de cours, avec un juge siégeant généralement dans chaque grande municipalité, et un tribunal d'État. Les membres du tribunal d'État sont nommés par le gouverneur et sur l'approbation de l’assemblée d'État. Les cours d’État n’assurent que la juridiction de l’État comme il existe une cour fédérale régionale dans chaque État. Les tribunaux spécialisés sur les conflits de contrats de travail [les conseils de prud’hommes] des États appartiennent également au réseau de la cour fédérale. Les décisions prises par les cours d'État peuvent être révisées par les cours fédérales supérieures. Aucun article constitutionnel ne règle les relations entre les États. À la différence de nombreuses fédérations, telles que l'Australie, la Belgique, l'Allemagne, le Mexique, et l'Afrique du Sud, le gouvernement fédéral brésilien ne dispose d’aucun conseil intergouvernemental formel ou informel, et les relations entre les États ont été marquées par une grande concurrence, en particulier en matière d’attrait des investissements. Il existe seulement un conseil inter états, qui se compose de secrétaires des Finances des États, mais ce conseil n'est pas mentionné dans la Constitution. L'Article 43 déclare que pour des motifs administratifs, l'Union peut créer des agences régionales spéciales, administrées par le gouvernement fédéral, dont le but est de diminuer les disparités économiques et sociales régionales. Conformément à l'Article 43, les gouverneurs des régions les moins développées ont un siège au conseil fédéral qui décide des avantages fiscaux fédéraux accordés aux investisseurs s’implantant dans ces régions. Ce mandat n'a pas encore conduit à des actions fédérales coordonnées et il n’a pas encore contribué à réduire l'inégalité régionale. Plus récemment, répondant à la pression des médias au sujet de la violence urbaine, le gouvernement fédéral a organisé un programme commun avec la police fédérale et des États, les procureurs publics, et les juges afin de s'assurer qu'ils travaillent tous ensemble. Comme d'autres projets, ce programme a été lancé par l'Union, qui fournit les ressources fédérales pour favoriser la coopération entre les États et leur adhésion. Néanmoins, il y a peu d'exemples de coopération entre l'Union et les États et entre les États eux-mêmes.

Les institutions municipales Les règles qui s'appliquent aux gouvernements municipaux, y compris celles concernant les ressources financières, sont inscrites dans la Constitution fédérale. L’autonomie des

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gouvernements municipaux a toujours été préservée par les constitutions brésiliennes sous les régimes démocratiques. Cependant, l'inégalité profondément enracinée au Brésil affecte l'autonomie et les ressources locales aussi bien que la capacité des municipalités de mettre en application les politiques. Les règles pour la tenue des élections municipales sont stipulées au niveau fédéral. Le nombre de conseillers varie d'un minimum de 9 à un maximum de 55, selon la taille de la population, comme déterminé par la Constitution. Les plafonds des salaires des conseillers sont également fixés par le gouvernement fédéral. D'ailleurs, la Constitution de 1988 déclare que les municipalités doivent émettre leurs propres règles constitutionnelles, connues sous le nom de Loi organique. Depuis le milieu des années 1990, les gouvernements municipaux sont devenus les principaux prestataires de services dans les domaines des soins médicaux et de l'éducation primaire, suivant les règles et utilisant les ressources pré allouées déterminées par des amendements constitutionnels. La raison de cette municipalisation des services publics soutenue par le fédéral était de garantir l’accès des citoyens locaux à la santé et à l'éducation telles que définies dans les programmes nationaux et par des normes minimales nationales. Du fait même de l’adhésion des municipalités, ce transfert des responsabilités aux gouvernements municipaux fut un succès. Celui-ci peut être attribué à une politique favorisant un système complexe de relations et de transferts intergouvernementaux combinant à la fois incitations et sanctions. Le programme de santé injecte des ressources additionnelles dans la bourse des municipalités, et le programme d'éducation pénalise les municipalités qui ne réussissent pas à améliorer les taux de fréquentation des enfants à l’école primaire. Ce transfert de mise en œuvre de politique a réduit les conflits parmi les gouvernements municipaux sur les ressources fédérales. Et les relations intergouvernementales sont maintenant plus développées entre l'Union et les municipalités qu'entre l'Union et les États ou qu’entre les États et leurs municipalités. Les relations inter municipales se sont développées rapidement ces dernières années. Les municipalités ont créé des centaines de consortiums à travers lesquels elles partagent les coûts, l'équipement, et le personnel requis pour traiter des questions telles que la santé, la protection de l'environnement, et le développement économique. La municipalisation n'est pas limitée au transfert aux gouvernements locaux de la responsabilité d’exécution des politiques. Elle permet également aux communautés locales de participer en partie à la prise de décisions concernant la fourniture des services publics locaux. La Constitution de 1988 contient plusieurs mécanismes habilitant les mouvements de base à participer à certaines décisions et à surveiller les questions d’intérêt public, en particulier au niveau municipal. Les forums de participation prescrits par la Constitution de 1988, la législation fédérale, les programmes fédéraux, les organismes multilatéraux, et les gouvernements municipaux eux-mêmes sont maintenant répandus dans les communautés locales du Brésil afin d'essayer d'augmenter la démocratie locale.

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LES COMPÉTENCES FISCALES

La Taxation La Constitution accorde le pouvoir de taxation aux trois ordres de gouvernement. Certains impôts sont exclusifs à un seul ordre, d'autres sont perçus par l'Union et partagés avec les États et les municipalités, et d'autres sont collectés par les États et partagés avec leurs municipalités. La Constitution n'accorde à aucun ordre de gouvernement l'autonomie d’introduire un nouvel impôt sans un amendement à la Constitution fédérale, bien qu'il y ait quelques exceptions, tels que l'imminence d’une guerre ou la nécessité de financer le système de la sécurité sociale, cette dernière exigeant la promulgation d'une loi. Les taux et les règles pour certains impôts, y compris les impôts d'État et municipaux, sont déterminés par la législation fédérale. Les redevances payées par les compagnies pour les ressources naturelles qu'elles utilisent sont perçues par le gouvernement fédéral et redistribuées aux États et aux municipalités producteurs des minéraux, du pétrole, du gaz naturel, et de l'énergie hydroélectrique. Deux principes constitutionnels sur les impôts méritent d’être mentionnés. D'abord, l'Article 150:iv interdit à tout ordre de gouvernement d'imposer la propriété, les revenus, ou les services d'un autre ordre de gouvernement, garantissant ainsi l'immunité intergouvernementale fiscale en la matière. En second lieu, l'Article 145, Paragraphe 1, établit que l'imposition repose principalement sur le principe de solvabilité plutôt que sur le principe de bénéfice, stipulant que les impôts « autant que possible, doivent être évalués selon la capacité économique du contribuable », ce qui signifie que le système fiscal devrait être principalement redistributif. Ce principe, cependant, ne peut être appliqué qu’à l'imposition directe, alors que la majeure partie des impôts prélevés est indirecte. En faisant la promotion de la décentralisation fiscale, l'Assemblée nationale constituante essayait d’harmoniser concrètement politique et constitution, pour plusieurs raisons. D'abord, il y avait consensus parmi les participants à la CNA pour affaiblir financièrement le gouvernement fédéral. Le défi était de décider comment répartir les ressources parmi les régions inégales et diverses du pays. En second lieu, il y avait consensus pour rejeter tout ce qui avait été fait par les militaires concernant la centralisation des ressources, ce qui impliquait une confrontation avec l’exécutif fédéral. Paradoxalement, ce dernier n’entreprit rien alors pour empêcher ses pertes financières. Troisièmement, les questions économiques telles que le déficit public, le contrôle de l’inflation, et la globalisation – questions auxquelles la nouvelle démocratie allait faire face – n'étaient à l’ordre du jour ni des rédacteurs ni du pays, face à l'enthousiasme national pour les perspectives nouvelles de restauration de la démocratie. La décision d’augmenter le rôle financier des gouvernements infranationaux fut prise par les rédacteurs de la Constitution et non pas par le gouvernement, et cela même fait l'importance de la Constitution de 1988. Les réponses des rédacteurs aux demandes de décentralisation furent très positives. Aujourd'hui, les gouvernements infranationaux perçoivent 32 pour cent de tous les impôts perçus dans le pays. En considérant le versement des transferts en provenance des

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impôts fédéraux, ces gouvernements sont maintenant responsables de 43 pour cent des recettes fiscales. En termes de dépenses, les gouvernements infranationaux sont responsables de 62 pour cent des dépenses en matière de personnel et de 78 pour cent des investissements publics.

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Les emprunts

Pour pouvoir emprunter, les gouvernements fédéral, des États, et locaux doivent (1) obtenir l'approbation de leurs législatures ; (2) soumettre leurs demandes à la Banque centrale, qui envoie un rapport au Sénat recommandant l'approbation ou le rejet d’une demande ; et (3) obtenir l'approbation du Sénat. Cependant, en 1996, un scandale majeur fut révélé impliquant certains États et certaines municipalités qui faisaient usage de manière illicite d'un mandat de la Constitution de 1988 permettant aux gouvernements infranationaux l’émission de titres afin de payer les dettes contractées avant 1988. Les bons ne pouvaient être émis qu’une fois les cours eurent reconnu la pertinence de la dette. En raison des taux élevés de l’inflation avant 1994, les politiciens avaient surestimé le montant de ces dettes toujours dues aux créanciers et avaient apparemment employé le surplus des ressources financières à d'autres buts. Suite à ce scandale, le Sénat instaura une Commission d'enquête parlementaire. Bien que la commission ne parvînt pas à engager les procédures pour punir les fonctionnaires responsables d’abus de ressources financières, il y eut tout de même des conséquences importantes. Plusieurs nouvelles règles et lois furent votées afin de restreindre les dettes infranationales, et le Sénat émit une résolution à caractère obligatoire et réciproque déléguant certaines de ses compétences à la Banque centrale et ouvrant la voie à la Loi sur la responsabilité fiscale promulguée en 2000. Cette loi impose des limites à la dette du secteur public et aux dépenses en matière de personnel et interdit au gouvernement fédéral de couvrir les nouvelles dettes contractées par les gouvernements infranationaux. Les gouvernements d’État et municipaux peuvent emprunter auprès du marché et des institutions financières fédérales, bien que les règles et les restrictions à l'emprunt soient maintenant plus sévères. La dette publique a toujours été une sérieuse contrainte, et la dette infranationale était d'un volume astronomique jusque dans les années 1990. Les États étaient les plus grands débiteurs, avec 42 pour cent de la dette du secteur public en 1997, lorsque le gouvernement fédéral lança un programme pour renégocier les dettes des États. Bien qu'une partie de leurs dettes fut transférée au gouvernement fédéral et une autre partie fut renégociée avec le gouvernement fédéral, la capacité des États de s'acquitter de leurs obligations envers l'Union a toujours été une question préoccupante.

LA RÉPARTITION ET LES DÉPENSES DES REVENUS FISCAUX

En dépit des efforts des rédacteurs de la constitution, la concentration des revenus au sein de l'Union a continué, en particulier depuis l’approbation des amendements

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constitutionnels dans les années 1990, comme également la concentration des activités économiques dans quelques régions. Cependant, cela ne signifie pas qu'un système de péréquation régionale n'avait pas été un des objectifs des rédacteurs de la Constitution de 1988. La Constitution de 1988 introduisit des mécanismes complexes pour les transferts d'impôts intergouvernementaux. Les revenus fédéraux provenant de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les produits industriels sont partagés à partir de fonds de participation établis à cette fin. Les États reçoivent 21,5 pour cent de ces recettes fiscales, 85 pour cent allant aux régions du Nord, du Nord-Est, et du Centre-Ouest et les 15 pour cent restants aux régions du Sud et du Sud-Est. La formule pour déterminer les parts des États est calculée en proportion de la population et sur du revenu par habitant. Les municipalités reçoivent 22,5 pour cent,

10 10 pour cent vont aux capitales des États et les 90 pour cent

restants sont calculés en utilisant une formule tenant compte de la taille de la population et du revenu par habitant. Tous ces taux et formules sont stipulés dans la Constitution. Cependant, elles ne sont pas comparables aux systèmes élargis de paiements de péréquation fiscale prévus par les constitutions canadienne et allemande. Il existe également des arrangements pour des transferts fédéraux aux gouvernements infranationaux. Approuvés par des amendements constitutionnels en 1996 et 2002, ces transferts permettent aux gouvernements infranationaux de réaliser des politiques nationales telles que celles de la santé et de l'éducation primaire. Des subventions sont également envoyées par le gouvernement fédéral à des gouvernements infranationaux spécifiques. Ces allocations, connues sous le nom de subventions négociées, étaient de grande importance avant la mise en application de la politique de contrôle fiscal serré, comme elles étaient fortement conditionnées par la nécessité de garder la cohésion de la coalition fédérale au pouvoir. Indépendamment du plan de partage des revenus mentionné ci-dessus, la Constitution de 1988 stipule également que 3 pour cent des transferts d'impôt fédéraux devraient être employés pour le financement des programmes développés dans les régions du Nord, du Nord-Est, et du Centre-Ouest. En outre, l'Article 165, associé à l'Article 35 du titre sur les Mesures constitutionnelles transitoires, essaie de prévoir une distribution plus équitable et plus transparente des ressources du budget fédéral. Le premier des ces articles mentionne que les revenus publics nationaux devraient être régionalisés afin d’assurer une répartition plus équitable des dépenses fédérales dans les régions et les États. Le second prescrit que dix ans après la promulgation de la Constitution, l'allocation des ressources fédérales aux régions et aux États devrait être proportionnelle à leur population. Cependant, ces initiatives n'ont pas diminué le déséquilibre fiscal horizontal, ni dans l'absolu ni en termes proportionnels.

LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET LA DÉFENSE La responsabilité des affaires étrangères et de la défense relève exclusivement du président et de l'Union. Le président détient l'autorité suprême sur les forces armées. Selon la Constitution, le service militaire est obligatoire pour tous, excepté les femmes et

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les ecclésiastiques. La Constitution prévoit un service alternatif pour les objecteurs de conscience pour des raisons religieuses, politiques, ou philosophiques.

Le Congrès doit approuver les décisions présidentielles concernant les déclarations de guerre, les accords de paix, et l’octroi du droit de traverser le territoire national à des puissances étrangères. Le Congrès est également responsable de statuer sur les traités internationaux impliquant les ressources financières. Les États n'ont aucune autorité en ces matières. Le commerce, les investissements, et la promotion du tourisme sont exécutés par les ministères et les agences fédérales, bien que plus récemment, certains États et certaines grandes municipalités aient établi des bureaux afin de promouvoir leurs intérêts à l'étranger. Concernant les institutions supranationales, l'Article 4 déclare que le Brésil devrait poursuivre la « formation d'une Communauté latino-américaine des nations ». Jusqu'ici, il n’y a eu qu’un accord commercial régional, le Mercosur, signé par le Brésil, l'Argentine, le Paraguay, et l'Uruguay. Rejoindre la Zone de libre échange des Amériques [ZLEA] (Free Trade Area of the Americas - FTTA) est maintenant en discussion. Les États n'ont aucune représentation formelle dans ces accords, et ils n'organisent pas de lobbies spécifiques pour ou contre les accords supranationaux.

LA PROTECTION DES DROITS INDIVIDUELS ET COLLECTIFS

L'Union est le seul ordre de gouvernement autorisé à légiférer sur la citoyenneté, la nationalité, la naturalisation, la migration, et l'extradition des étrangers. La double citoyenneté n'existe pas ; les Brésiliens sont les citoyens de l’Union uniquement, non pas des États. Le titre de la Constitution de 1988 sur les Droits et les garanties fondamentales est consacré aux Droits individuels et collectifs, avec 11 articles et plusieurs chapitres et sections. Il assure à tous les Brésiliens et résidents étrangers le droit à la vie, à la liberté, à l'égalité, à la sécurité, à la propriété privée, et à la liberté religieuse. Les hommes et les femmes sont égaux devant la loi. La remise en liberté provisoire sous caution n’est pas accordée dans les affaires criminelles impliquant le racisme, la torture, le trafic de drogue, et le terrorisme ou pour les crimes commis par des groupes armés agissant contre l'ordre constitutionnel ou la fédération démocratique. Plusieurs articles sont également prévus pour la protection des droits des accusés et des détenus. Les Droits sociaux figurent également sous ce titre, incluant ceux reliés à l'éducation, à la santé, au travail, au logement, aux loisirs, à la sécurité publique, à la sécurité sociale, à la protection des mères et des enfants, et à l'aide pour les membres vulnérables de la société. Cependant, étant donné les difficultés financières et économiques que rencontre le Brésil, ces droits sont mal protégés. La protection des droits des travailleurs est le point principal du Chapitre II de ce titre sur les Droits sociaux, reflétant la force des syndicats pendant la transition démocratique et l'efficacité de leurs pressions au sein de la CNA.

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Le Chapitre IV de ce titre sur les Droits politiques règle les droits et obligations des électeurs et des candidats. Les femmes ont le droit de vote depuis 1932. Le Chapitre V de ce titre couvre la création et le fonctionnement des partis politiques, qui doivent récolter au moins 0,5 pour cent des votes validés lors de la dernière élection de la Chambre des députés. Il n'existe pas de fonds publics pour les campagnes électorales, bien que ce point soit maintenant en discussion. Les partis politiques ont droit à des fonds du parti, financés en partie par l'Union, et ils ont libre accès à la diffusion par voie de télévision et de radio conformément aux règles fédérales. Sous le titre de l'Ordre social, les Articles 231 et 232 du Chapitre VIII règlent les droits des populations autochtones. Elles ont le droit d’avoir leur propre organisation sociale, leurs propres langue, religion, et traditions et le droit de vivre sur la terre qu'elles ont traditionnellement occupée, tel que défini par l'Union. Le titre sur la Défense de l'État et des institutions démocratiques permet au président, avec l'autorisation et la participation du Congrès, de suspendre certains droits individuels et collectifs si la démocratie est menacée, tels que le droit de se réunir avec d’autres personnes, le droit à la vie privée dans la correspondance personnelle, et le droit de se déplacer librement. Toutes les constitutions d'État ont une liste de droits individuels et collectifs, incorporant les droits prévus dans la Constitution fédérale ainsi que quelques autres droits. Comme le gouvernement de l’Union, les États font un piètre travail de protection des droits sociaux en raison des contraintes financières.

LES CHANGEMENTS CONSTITUTIONNELS

Depuis la promulgation de la Constitution de 1988, sa réforme a été à l'ordre du jour des gouvernements fédéraux et d'État ainsi que des organismes multilatéraux et d'affaires. Ces entités ont réclamé une large révision constitutionnelle, en particulier concernant la privatisation, les systèmes d'imposition fiscale et de sécurité sociale, et les droits des travailleurs. Elles arguent du fait que la Constitution devrait être révisée pour garantir la « gouvernabilité » du pays et pour faire du Brésil un acteur mondial ayant la capacité de s'adapter aux changements de l'environnement international. Plus récemment, d'autres arguments pour une réforme constitutionnelle ont été présentés, comme la nécessité de diminuer les dépenses du gouvernement afin de libérer le pays de sa dépendance des ressources étrangères et afin également de consacrer à nouveau des ressources au combat contre la pauvreté. De nombreux changements ont été faits, mais il est bien plus probable qu’ils renforcent le contrôle fiscal plutôt qu’ils ne libèrent les contribuables, en particulier les entreprises, de ce qu'ils considèrent être une charge fiscale lourde les empêchant d’être concurrentiels à l'étranger.

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Le nombre de voix exigées pour un amendement constitutionnel est inférieur à celui exigé dans d'autres pays : trois cinquièmes des membres du Congrès. Cependant, les amendements doivent être approuvés par deux séries de vote à l’appel dans les deux Chambres. Les amendements constitutionnels proposés doivent être soutenus par un tiers des membres du Congrès, par le président, ou par plus de 50 pour cent des membres dans au moins la moitié des 26 législatures d'État. Les dispositions exemptes d’amendement sont le système fédéral ; les votes direct, secret et périodiques ; la séparation des pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire ; et les droits et les garanties individuels. La Constitution de 1988 a été promulguée à condition d’être révisée dans un délai de cinq ans, comme indiqué à l’Article 3 du titre sur les Dispositions transitoires constitutionnelles. Cependant, six amendements seulement ont été approuvés, comme ceux qui préconisaient une révision totale à la fin de cette période de révision étaient encore mal organisés. Ces amendements exigeaient une majorité absolue plutôt qu'une majorité qualifiée ; ils sont désignés sous le nom d’amendements de révision. Jusqu'ici, la Constitution de 1988 a été la constitution la plus modifiée du Brésil. À la date de mi-décembre 2003, 42 amendements avaient été approuvés ainsi que six amendements de révision. En dépit du fait que sa rédaction se fit avec des niveaux élevés de participation publique, le but principal de la Constitution était de légitimer la démocratie ; ainsi peu d'attention a été consacrée aux questions économiques. La grande majorité des amendements, dont la plupart ont été approuvés, sont venus de l’exécutif fédéral. Les amendements constitutionnels, cependant, ont permis la révision d’un certain nombre de décisions importantes concernant les ressources infranationales. Ces changements ont été principalement conçus pour (1) imposer des limites à la liberté infranationale de dépenser les ressources, ceci étant une exigence de la politique fédérale du contrôle fiscal ; (2) affecter des ressources spécifiques aux dépenses de la santé et de l'éducation primaire ; et (3) diminuer la quantité des ressources des transferts faits librement par le fédéral aux gouvernements infranationaux. Les amendements constitutionnels ont également soit créé de nouveaux impôts fédéraux ou augmenté les taux de certains impôts non partagés avec les gouvernements infranationaux. Les amendements votés au milieu des années 1990 visaient à résoudre de nouveaux problèmes tels que la globalisation ou la demande de contrainte fiscale et d’allègement de la pauvreté et à faire prendre au pays un nouveau tournant. Cependant, les vieilles questions qui avaient suscité une attention spéciale des rédacteurs de la Constitution de 1988 – par exemple, l'inégalité des régions du pays – sont demeurées non résolues. La raison ne tient pas à des obstructions constitutionnelles mais plutôt au fait que cette question n'a jamais été à l'ordre du jour du gouvernement et par conséquent n’a jamais été l’objet de politiques publiques devant y remédier.

LES PERSPECTIVES ET LES TENDANCES

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Le fait que le Brésil ait expérimenté sept constitutions en l’espace d’un siècle démontre la difficulté du pays de maintenir une gouvernance constitutionnelle. Celle-ci est souvent menacée lorsque les milieux économiques et politiques doivent se restructurer ou sont au bord de crises majeures. Bien que la constitutionnalisation d'un large éventail de questions limite la marge de manoeuvre des politiciens et des gouvernements, les constitutions ont souvent manqué de soutenir la démocratie et de traiter les inégalités sociales et régionales du Brésil. À la lumière de ceci, quelles sont les perspectives de la Constitution de 1988 pour surmonter les contraintes politiques et économiques qui semblent toujours empêcher le système politique de s’attaquer aux problèmes principaux du Brésil? La Constitution de 1988 a renforcé la fédération et a octroyé au gouvernement un plus large rôle dans des domaines clés problématiques. Néanmoins, ce modèle constitutionnel est maintenant confronté à deux types de tensions. D'abord, de nouvelles demandes macro-économiques dues aux changements à l’échelle internationale ont surgi, exigeant un contrôle fiscal serré et des excédents budgétaires. Ceci a laissé peu de place pour augmenter les dépenses des gouvernements en matière de politique régionale et sociale, intensifiant ainsi les tensions entre d’une part les pressions pour plus de contrôle fiscal et, d’autre part la nécessité de traiter le déséquilibre fiscal régional et la pauvreté. En second lieu, la constitutionnalisation de plusieurs aspects de la vie du pays a eu comme conséquence des tensions entre le besoin de réponses rapides aux demandes macro-économiques et le long processus à suivre pour satisfaire ces demandes par un changement constitutionnel. Même si changer le statu quo exige de longues négociations avec le Congrès, les résultats sont habituellement positifs pour le gouvernement fédéral. Cependant, le degré croissant de constitutionnalisation donne naissance à de nombreux conflits et à des contrôles judiciaires exigeant une décision de la Cour suprême fédérale, incluant des décisions au sujet de la constitutionnalité de la législation et parfois même au sujet de la constitutionnalité de lois ordinaires.

11 Le Congrès est également sous la

pression de l’exécutif fédéral pour approuver les changements de mandats constitutionnels afin d’adapter le pays à la nouvelle réalité économique et afin de lutter contre la pauvreté. Ces deux types de tensions soulèvent des questions qui peuvent avoir un impact sur le futur du pays. Les problèmes principaux se posant actuellement au fédéralisme et à la gouvernance constitutionnelle du Brésil concernent trois questions. D'abord et le plus important, le Brésil est une fédération qui a toujours été caractérisée par des inégalités régionales et sociales. Bien que la Constitution de 1988 et les précédentes aient fourni plusieurs mécanismes politiques et fiscaux pour neutraliser l'inégalité régionale et combattre la pauvreté, ceux-ci n'ont pas permis de surmonter les différences historiques au sein des régions et des classes sociales. En second lieu, il y a eu une tendance vers l'uniformité dans les ordres infranationaux de gouvernement. Bien que la Constitution de 1988 fournisse plus de liberté aux gouvernements infranationaux, d'autres forces politiques, économiques, et juridiques limitent cette liberté. En outre, une question cruciale dans la liberté de décision des États est de savoir comment réconcilier le besoin d'ajustement fiscal avec le besoin grandissant

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d’autonomie des unités constituantes et le besoin d'investissement fédéral et étatique dans les programmes sociaux et régionaux. La capacité d'investissement des États est également liée aux paiements de leur dette. Un autre facteur affectant défavorablement les États est l'ouverture de l'économie du Brésil. Celle-ci tend à rendre les relations intergouvernementales plus complexes, comme les différences entre les États les plus développés et les moins développés deviennent encore plus marquées. Ceci contribue également à la tendance actuelle vers un renversement d’initiatives antérieures favorisant, bien que timidement, la déconcentration économique. Troisièmement, il y a peu de mécanismes assurant la coordination verticale et horizontale entre les trois ordres de gouvernement. La coordination et la coopération ne se sont produites que lorsque le gouvernement fédéral est intervenu, malgré quelques exemples exceptionnels de coopération entre les gouvernements municipaux. La coordination est devenue alors plus importante du fait que les gouvernements municipaux ont vu leur situation financière s’améliorer dans la fédération vis-à-vis des États et qu’ils ont également obtenu la responsabilité de politiques sociales importantes. Quelles sont les chances du Brésil de résoudre ses problèmes régionaux et sociaux? D'abord, bien qu'aucune menace séparatiste ou antidémocratique ne soit prévue, il est incertain que le pays puisse continuer à soutenir l'inégalité substantielle au sein de ses régions et de ses classes sociales. L'application de principes normatifs constitutionnels visant un meilleur équilibre régional et social pourrait devenir un point à l'ordre du jour du gouvernement si des niveaux élevés de la croissance économique sont réalisés, comme cela s'est produit par le passé. Bien que la perspective de transformer les principes constitutionnels en politiques de développement régional et social ne soit pas encore prévisible, même si les politiques fiscales occupent moins de place sur l’agenda, la transformation n'est pas impossible, étant donné que surmonter l'inégalité régionale et sociale a toujours été une priorité pour les rédacteurs de la constitution du Brésil. En second lieu, il n'est pas impossible de prévoir une plus grande clarification du rôle des États dans la fédération, comme la question des dettes et des problèmes des États, y compris leur échec dans la lutte contre la violence et le trafic de drogue, est maintenant à l'ordre du jour. Troisièmement, le consensus actuel porte sur le fait qu’une révision profonde des mécanismes fiscaux et de taxation et du rôle de chaque ordre de gouvernement dans la fédération est nécessaire. Suffisamment de mesures à court terme ont été prises afin d’alerter les décideurs que des changements significatifs sont nécessaires. Ces changements, cependant, sont susceptibles d'être précédés par de larges discussions impliquant les intérêts gouvernementaux et privés. Comment la résolution d’importants conflits d’intérêts est susceptible d'être négociée n'est pas encore prévisible. Par ailleurs, des changements dans des secteurs d’intérêts sensibles sont susceptibles de créer une incertitude au sein de l'électorat et des investisseurs. La résolution des problèmes principaux du Brésil dépend moins du fédéralisme et de la Constitution que de la prise en charge de conflits politiques plus larges, de la redéfinition des priorités politiques, et de l’amélioration de la performance économique. Néanmoins, pour surmonter une longue histoire d’inégalités, la politique publique exige une intervention gouvernementale et des ressources à un moment où les gouvernements sont

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plus vus comme des obstacles que comme des solutions et où le rôle des gouvernements, en particulier dans le monde en voie de développement, est limité à la réalisation d’excédents budgétaires au détriment de dépenses publiques accrues.

NOTES

1 Voir Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada (IPEA) and Programa das Nações Unidas para o Desenvolvimento (PNUD), Relatório sobre o Desenvolvimento Humano no Brasil [Rapport sur le développement humain au Brésil] (Rio de Janeiro, RJ: IPEA and PNUD, 1996), pp. 15–20.

2 Voir Dennis Mahar, “Federalismo Fiscal no Brasil: A Experiência Histórica,” Política Fiscal e Programação dos Gastos do Governo, ed. Fernando Rezende et al. (Rio de Janeiro, RJ: IPEA, 1976), pp. 241–280.

3 Voir Stéphane Monclaire, ed., A Constituição Desejada (Brasília: Senado Federal,

1991), pp. 39–40. 4 Ce point est partagé, par exemple, par David Samuels et Fernando L. Abrucio,

“Federalism and Democratic Transitions: The ‘New’ Politics of the Governors in Brazil,” Publius: The Journal of Federalism 30 (Spring 2000): 43–61; Barry Ames, The Deadlock of Democracy in Brazil (Ann Arbor, MI: University of Michigan Press, 2000); Scott Mainwaring, Rethinking Party Systems in the Third Wave of Democratization: The Case of Brazil (Stanford: Stanford University Press, 1999); Alfred Stepan, “Brazil’s Decentralized Federalism: Bringing Government Closer to the Citizens?” Daedalus 129 (Spring 2000): 145–69; and David Samuels, “Concurrent Elections, Discordant Results: Presidentialism, Federalism, and Governance in Brazil,” Comparative Politics 33 (October 2000): 1–20.

5 Voir Argelina Figueiredo et Fernando Limongi, “Presidential Power, Legislative

Organization, and Party Behavior in Brazil,” Comparative Politics 32, no. 2 (January 2000): 151–170.

6 Voir Celina Souza, Constitutional Engineering in Brazil: The Politics of Federalism

and Decentralization (Houndmills and London: Macmillan; New York: St Martin’s Press, 1997); Celina Souza, “Brazil: The Prospects of a Center-Constraining Federation in a Fragmented Polity,” Publius: The Journal of Federalism 32 (Spring 2002): 23–48; and Wayne Selcher, “The Politics of Decentralized Federalism, National Diversification, and Regionalism in Brazil,” Journal of International Studies and World Affairs 40, no. 4 (Winter 1998): 25–50.

7 Pour une vue d'ensemble des analyses des avocats constitutionnels du fédéralisme

brésilien en anglais, voir, par exemple, Fabio K. Comparato, “Economic Order in the Brazilian Constitution of 1988,” American Journal of Comparative Law 38 (Fall 1990): 753– 72; Keith S. Rossen, “Brazil’s New Constitution: An Exercise in

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Transient Constitutionalism for a Transitional Society,” American Journal of Comparative Law 38 (Fall 1990): 773–802; Jacob Dolinger and Keith S. Rosenn, eds, Panorama of Brazilian Law (Miami, FL: University of Miami North-South Center, 1992); and Marcelo Neves and Julian T. Hottinger, eds, Federalism, Rule of Law and Multiculturalism in Brazil (Basil, Fribourg: Institut du Fédéralisme and Helbing and Lichtenhahn, 2001).

8 L’amendement constitutionnel no. 42, publié en décembre 2003, fournit plus de

ressources pour les gouvernements infranationaux mais limite également la prérogative des États pour déterminer le taux de cette taxe à la valeur ajoutée.

9 José Serra et José Roberto Afonso, “Federalismo Fiscal à Brasileira: Algumas

Reflexões,” Revista do bndes 6 (1999): 5–24 at 15. 10 L'amendement constitutionnel no. 42 a augmenté ce pourcentage de 22,5 à 23,5 mais

n'a pas augmenté le pourcentage pour les transferts d'État. 11 Entre 1988 et 1998, 1,935 révisions judiciaires ont été proposées. Voir Luiz Werneck

Vianna et autres, A Judicialização da Política e das Relações Sociais no Brasil (Rio de Janeiro, RJ: Revan, 1999), p. 63. Entre 1988 et 1998, 1,935 révisions judiciaires ont été proposées.