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  • VOYAGEDANS

    LA RGENCE

    DALGER.ou

    DESCRIPTIONGOGRAPHIE, PHYSIQUE, PHILOLOGIQUE, ETC.

    DE CET TAT

    PAR LE DR. SHAWTraduit de langlais, avec de nombreuses augmentations,

    de notes gographiques et autrespar

    J. MAC CARTHYMEMBRE DE LA SOCIT GOGRAPHIQUE DE PARIS.

    Auteur du choix des Voyages modernes, du Dictionnaire universel de Gographie physique, politique, historique et commerciale, etc., etc.,

    AVEC UNE CARTE DES RGENCES DALGER ET DE TUNIS,Dresse exprs pour cet ouvrage.

    PARIS,CHEZ MARLIN, DITEUR,

    RUE DE SAVOIE, N 11

    1830.

  • Livre numris en mode texte par :Alain Spenatto.

    1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC.

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  • VOYAGEDANS

    LA RGENCE

    DALGER.

  • PARIS,CHEZ MARLIN, DITEUR,

    RUE DE SAVOIE, N 11

    1830.

  • AVERTISSEMENT

    DU TRADUCTEUR

    Parmi le petit nombre douvrages que lon possde sur lAfrique septentrionale se trouve le Voyage du docteur Shaw(1), qui rsida pendant douze ans Alger, comme chapelain de la facto-rerie anglaise, et dont nous offrons ici la traduc-tion. Quoique cette relation date dj de, plus dun sicle, elle offre cependant le meilleur trait que nous possdions sur la gographie ancienne et mme moderne des rgences dAlger et de Tunis. Dailleurs en Barbarie comme dans presque tous les tats ottomans, il ny a rien de chang depuis_______________ (1) On prononce Ch, Nous remarquerons cette occasion que lon donne communment en Angleterre la qualifi cation de docteur non seulement aux mdecins, mais encore aux membres du clerg et du barreau qui ont obtenu cette dignit dans une universit. Le docteur Shaw tait ecclsiastique, (Note du traducteur.)

  • Shaw, sinon les hommes : ce sont toujours les mmes institutions, le mme culte, les mmes prjugs, les mme murs ; le mme despo-tisme. Il serait diffi cile de trouver ailleurs plus dexactitude, drudition et de recherches cu-rieuses; gographie, antiquits, belles-lettres, histoire naturelle, politique, mdecine, langues, lauteur a tout embrass, et y a rpandu de gran-des lumires. Nous navons fait subir dautres changemens son ouvrage quen ce qui concerne la dlimita-tion et la division politique ds deux rgences, aujourdhui un peu diffrentes de ce quelles taient de son temps; et quelques dtails dadmi-nistration publique.

    __________

  • VOYAGE DE SHAW

    A ALGER ET A TUNIS.

    CHAPITRE PREMIER.

    Topographie de la rgence dAlger, son sol, son Climat, ses productions, etc.

    La rgence dAlger, que quelques crivains qualifi ent mal propos de royaume(1), formait lancienne Numidie et une partie de la Maurita-nie Csarienne, de la ville de Csare, btie par Juba II, et ddie par lui Auguste, aprs sa res-tauration au trne de Numidie. Elle est borne_______________ (1) Le fameux Corsaire Barberousse, qui, le premier, dans les temps Modernes, prit le titre de roi dAlger, ayant t tu dans une bataille, eut pour successeur son frre Hariadan ou Chredin, lequel, ne se sentant pas en tat de conserver la couronne, loffrit lempereur Selim Ier (en 1520), condition seulement dtre nomm pacha; ce qui fut accept. Cest depuis cette poque que le grand-sei-gneur se qualifi e de souverain dAlger, et que cet tat porte le nom de rgence. (Note du traducteur.)

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    au N. par la Mditerranne ; lE., par la rgence de Tunis, de laquelle elle est spare par la rivire Zaine (lancienne Tusca) ; au S., par le Sahara ; et lO., par lempire de Maroc, dont elle est spare par les monts Trara. Elle stend depuis les 4 15 de longitude ouest, jusquaux 6 20, de longitude est, cest--dire lespace denviron 240 lieues. Daprs Shaw, sa largeur varie de 16 40 lieues. On value sa superfi cie 15,230 lieues carres. Quant sa population, on nen a aucune donne positive ; ce qui fait quon lestime vaguement depuis 1,500,000 jusqu 5,000,000 dmes. Sa surface est traverse par lAtlas, qui tend ses ramifi cations. dans diffrentes directions, les-quelles prennent les noms de Loout, dAmmer, Trara, Djorjora (le Mons Ferratus des anciens), Felizia, Anouil, Gebel-Auress (lancien ,Mons Aurica). Les principales rivires qui larrosent sont le Chelif, lOuady-Djidid, le Zoouh, le Sei-bous, lOuady-Abiad ou Rivire-Blanche, lAd-jebbi, lOuady-el-Kbir; lOuady-el-Desahab, lIsser ou Zeitoun ; le Sigg ou Sikke ; la Mailah, le Masaffran ; la Mina, (la Chylematis de Ptol-me), la Midroe, le Nahr-Ouassol, le Susellim, le Haregol, qui arrose le

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    dsert dAngad, et qui est probablement la Signa de Ptolme; etc. Il ny a, proprement parler, de lacs que celui de Titerie , dans la province de ce nom, et qui a 8 lieues de long sur 2 lieues et demie de large ; les autres, tels que le Chot et le Melghig, ne sont que de vastes terrains marcageux. Il y existe plusieurs dserts sablonneux, dont le plus tend est celui dAngad, situ dans la partie mridionale de la province de Mascara. La partie habite de la rgence, dit Shaw, tant situe entre les 34 et 37 de latitude nord, on, y jouit constamment dun air sain et tempr, cest--dire qui nest ni trop chaud en t, ni trop froid en hiver. Pendant douze ans que jai demeur Alger, je nai vu que deux fois le thermomtre descendre au degr de conglation, et alors tout tait couvert de neige. Je ne lai vu non plus slever trs haut que lorsque le vent venait du Sahara. Les saisons se succdent dune manire insensible. Le baromtre y varie rarement, quel-que temps quil fasse ; de plus dun pouce 3 lignes 1/2, cest--dire de 27 pouces 1 ligne 28 pouces 5 lignes. Les vents les plus ordinaires sont ceux de mer, cest--dire du nord-ouest et du nord-est,

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    Les vents dest rgnent communment depuis mai jusquen septembre, et ceux douest Pendant le reste de lanne. Quelquefois, surtout lpoque des quinoxes, souffl e celui que les anciens nom-maient africus, et que les marins de ces mers appellent la-betche ; il vient du sud-ouest, et est aussi fort quimptueux. Les vents du sud, qui sont chauds et violens, ne se font sentir que cinq ou six jours de suite en juillet et en aot; mais ils rendent alors lair si touffant, que les habitans, pour rafrachir leurs maisons, sont obligs de jeter constamment de leau sur les planchers. Les vents douest, du nord-ouest et du nord, sont ordinairement suivis du beau temps en t, et de la pluie en hiver ; mais les vents dest et du sud sont presque toujours secs, quoique le ciel soit charg de gros nuages, et le temps trs couvert. Une chose assez singulire, cest que les monta-gnes de Barbarie et celles de la cte mridionale de lEurope prouvent des effets contraires par le mme vent ; car jai observ que celles de Bar-barie jouissent dun temps toujours serein par les vents dest, et quelles sont couvertes de nuages par ceux douest, surtout un peu avant et durant les pluies, tandis quil en est tout diffremment

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    dans les montagnes dEspagne et dItalie, daprs ce que lon ma assur. Le baromtre monte jusqu 28 pouces 2 lignes i/2 3lignes 1/2 par les vents du nord, quoique ces vents soient accompagns de grosses pluies et dorages; mais les vents dest ou dOuest ny ont point un effet constant. Cependant, durant les trois ou quatre mois dt, le mercure se tient toujours environ 18 pouces , sans aucune varia-tion, soit que le vent souffl e de lest ou de louest. Lorsque les vents chauds du sud rgnent, le baro-mtre ne slve gure plus de 27 pouces 3 lignes 1/2 ; ce qui est aussi son lvation ordinaire lorsquil pleut par un grand vent douest. Il tombe communment Alger, anne moyenne, 25 26 pouces deau(1). En 1732 il en tomba jusqu 41 pouces; mais ce fut une anne tout--fait extraordinaire cet gard. Il ne pleut jamais Alger que deux ou trois jours de suite, aprs quoi on a ordinairement huit ou quinze jours de beau temps. La rgence est divise en cinq provinces : Alger au nord, Constantine lest, Titerie et le Zab _______________ 1 Il nen tombe Paris que 19 pouces. (Note du traducteur.)

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    au sud, et Mascara ou Tlemsem louest. Il pleut, rarement en t sur les ctes, et pres-que jamais dans le Sahara. Lorsque jtais Tozer, (Tunis), en dcembre 1727, nous prouvmes une petite averse qui ne. dura que deux heures ; mais qui ne laissa pas que de causer de fcheux acci-dens, puisquelle occasionna la ruine de plusieurs maisons, par suite de, lhumidit quelle produisit. Si elle et t plus forte, ou quelle et dur plus longtemps, il est probable quil en serait rsult la destruction de la ville entire. Les premires pluies tombent en septembre et quelquefois un mois plus tard. Les Arabes com-mencent alors labourer leurs terres ; ils sment ensuite leur froment, et plantent leurs fves. Pour Lorge, les lentilles et les garvanos (espce de pois chiches), ils ne les sment que quinze jours ou trois semaines aprs, mais toujours:avant la fi n de novembre. Si les pluies de larrire-saison tombent vers le milieu davril, comme cela a lieu ordinairement, alors on regarde la rcolte comme certaine. La moisson se fait la fi n de mai et au commencement de juin, selon le temps qui a pr-cd cette poque. Le sol est en gnral fertile. Deux boisseaux

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    et demi de froment ou dorge suffi sent pour ense-mencer autant de terre quune: paire de bufs peut en labourer, dans un jour. Je nai jamais ou dire quaucune partie de la Barbarie produisit plus dune rcolte par an. Un boisseau en rend ordinai-rement entre huit onze ; mais il est des districts qui rapportent davantage. On ny connat quune espce de, froment et dorge ; ces crales varient dans leurs quali-ts, suivant la nature du sol. Les meilleures vien-nent du Tessailah et du Zeidoure. Dans quelques cantons qui sont suffi samment, arross, en t, comme prs de Sikke et de Habrah, dans le district de Mettidjah, et prs de la rivire Hammah, au-dessous de Constantine, on sme du riz, du mas, et particulirement une espce de millet blanc que les Arabes nomment drah(1), et quils prf-rent lorge pour engraisser leur btail. Quant lavoine, ils nen cultivent jamais, et nourrissent gnralement leurs chevaux avec de lorge. Les Maures et les Arabes ont conserv lan-tienne coutume des Orientaux de faire fouler le_______________ (1) Probablement le dourha. (Note du traducteur.)

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    bl aux pieds des chevaux pour le dpouiller de sa pellicule. Cest une mthode plus expditive que la ntre, mais moins propre. Aprs avoir t ainsi foul , on le vanne en le jetant avec des pelles. contre le vent, puis on le serre dans des mata-mores ou magasins souterrains, ainsi que cela se pratiquait autrefois chez diffrentes nations de lantiquit, au rapport de Pline(1). Jai vu quelque-fois deux ou trois cents de ces matamores runis, dont les plus petits pouvaient contenir quatre cents boisseaux de bl. Les principaux lgumes que lon cultive dans le territoire dAlger sont des fves, des lentilles et des garvanos. Les habitans apprtent les len-tilles peu prs comme les fves, dont ils font une espce de bouillie de la couleur du chocolat. Cest vraisemblablement pour un plat de cette bouillie qusa vendit son droit_______________ (1) Les bls, dit cet auteur, se gardent trs bien dans des fosses appeles sires, et qui sont en usage dans la Cap-padoce et en Thrace. On a particulirement soin, en Espa-gne et en Afrique, que le terrain o lon pratique ces fosses soit bien sec, prcaution laquelle on ajoute celle den couvrir le fond de paille. On croit que le bl, ainsi dpos en pis, ne contracte aucune mauvaise qualit, pourvu que lair ne pntre point dans les fosses. (Note de lauteur.)

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    danesse, do lui fut donn le nom dEdom. Les garvanos sapprtent diffremment. On nen fait point de la pure, comme des autres lgumes, et on ne les sert pas non plus seuls ; mais on en mle un peu dans les couscous, dans les pillaus et autres plats. Ils sont trs recherchs, surtout lorsquils sont rtis ; aussi existe-t-il dans toutes les rues des villes de lOrient des fours ou des tourtires de cuivre destines en rtir ; mais alors on les appelle leblebby. La coutume de rtir les gar-vanos parait tre fort ancienne. Plaute en parle comme dune chose trs usite de son temps, et Aristophane en fait aussi mention. Quant aux plantes potagres et aux fruits, il y en a non seulement en grande quantit, mais ils se succdent encore de trs prs pendant toute lan-ne. Les navets, les carottes et les choux sont ga-lement bons, et abondent dans toutes les saisons. Il y a une espce de petit panais, appel lift-el-hachoure, assez semblable au navet, et qui a un got piquant fort agrable ; il est aussi trs recher-ch, et se vend au poids. On y cultive galement des laitues, de la chicore, du cresson, du cerfeuil, des pinards, toutes les varits de betteraves, des arti-chaux sauvages et autres, depuis octobre jusquen

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    juin ; et pendant le reste de lt des plantes aro-matiques, entre autres le casbar ou coriandre, qui entre dans presque tous les mets des Maures. Le cleri et les choux y parviennent une. grande perfection ; on les sme en juillet, mais on ne les recueille quau mois de fvrier ou de mars suivant. Jai vu des choux-fl eurs blancs et trs compactes qui avaient plus de trois pieds de circonfrence. A la fi n de juin commencent les melons musqus et les melons deau. Les premiers ont le got un peu plus relev que les ntres. Quant aux derniers, on sait que, faute de la chaleur ncessaire, ils ne parviennent jamais une parfaite maturit dans les contres septentrionales. Ils sont, au reste, un vritable don de la providence pour les rgions mridionales ; car non seulement ils servent aux habitans se dsaltrer, durant les chaleurs exces-sives, mais ils leur sont en outre dun grand secours dans les fi vres. Je vais maintenant parler des arbres fruitiers, et je commencerai par les palmiers, dont il existe une grande quantit dans les parties maritimes de la rgence, ainsi que dans lintrieur. Mais il ny a proprement que les palmiers du Sahara qui don-nent des fruits dune qualit parfaite. Ceux que lon

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    multiplie de bouture produisent au bout de six ou sept ans, tandis que ceux que lon obtient de noyaux ne rapportent qu la seizime anne. On sait que ces arbres portent des fl eurs de sexes difrens, et que les fruits sont secs et insipi-des lorsque le phnomne de la fcondation na pas eu lieu. Les Maures favorisent le rapprochement qui a lieu en pareil cas par une opration quils appellent dthockar, et qui se pratique en gypte, o lon a beaucoup darbres fl eurs mles. On ma dit que le palmier entrait dans; sa plus grande vigueur au bout de trente ans, et quil continuait dans le mme tat de force pendant soixante-dix ans, portant chaque anne quinze ou vingt grappes de dattes, dont chacune pse quinze vingt livres. Au bout de ce terme, les palmiers dchoient graduellement, et prissent tout fait avant davoir atteint deux cents ans. Ces arbres ne demandent dautres soins que dtre bien arross tous les quatre ou cinq jours, et dtre taills par en bas quand leurs branches commencent bais-ser et vieillir. Il est dusage parmi les gens de distinction , dans les circonstances extraordinaires, comme une noce, ou la naissance dun enfant; de rgaler

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    leurs convives de ce quils appellent miel de pal-mier. On obtient ce breuvage en coupant la cime dun palmier vigoureux, et en creusant le sommet en forme dentonnoir. La sve, en montant, va se runir dans cette cavit, raison de six ou huit bouteilles par jour, pendant les premiers huit ou quinze jours ; aprs quoi la quantit diminue peu peu, jusqu, ce que la sve soit entirement puise; puis larbre se dessche et meurt, et ne sert plus que comme combustible ou bois de char-pente. La liqueur que lon obtient ainsi ressemble du sirop clair, et est plus douce que le miel ordi-naire ; mais elle saigrit et spaissit bientt. On en retire par la distillation une espce darack dont lodeur est trs agrable. En parlant du palmier, je ne dois pas oublier le lotus, dont les anciens font si souvent mention, et do les Lotophages, peuple nombreux du Sahara et des dserts voisins, ont pris leur nom. Hrodote dit que son fruit est doux comme la datte ; Pline, quil est de la grosseur dune fve, et de la cou-leur du safran ; et Thophraste, quil vient sur des branches comme celui, du myrte. Il sensuit que le lotus doit tre le idra des Arabes, arbrisseau trs

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    commun dans le Sahara et dans dautres parties de la Barbarie. Son feuillage, ses pines, sa fl eur et son fruit ressemblent Ceux du ziziphus, ou jujubier, avec cette diffrence seulement que son fruit est rond, moins gros et plus succulent, et que ses branches sont plus droites et nont pas de nuds. Le sidra, comme lancien lotus, est trs recherch; et se vend dans toutes les ville des pro-vinces mridionales de la rgence ; les Arabes lappellent aneb-entra-el-sidra, ou le jujubier du sidra. La plupart des autres arbres, fruitiers que lon voit ici se trouvent en Europe. Lamandier fl eurit ds le mois de janvier, et donne des fruits au com-mencement davril. Les abricots se cueillent en mai ; mais le sachi, qui en est une varit, et qui est de la grosseur du brugnon, auquel il rassem-ble dailleurs sous plusieurs rapports, se cueille un peu plus tard. On le prfre labricot ordi-naire, parce que celui-ci donne souvent la fi vre et la dyssenterie, do vient sans doute quon le nomme en langue franque matza franka, ou le boucher des chrtiens. On a au mois de juin deux ou trois espces de cerises et de prunes ; mais ces fruits ne viennent quen petite quantit, et sont de

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    mauvaise qualit. On recueille aussi, vers la mme poque, mais surtout en juillet et en aot, des mres, des poires et des pommes, qui toutefois ne sont pas beaucoup prs aussi bonnes que les espces les plus communes que nous avons en Angleterre. La fi gue printanire, ou boccore noire et blanche, vient galement au mois de juin ; mais la fi gue kerms, qui est celle que lon garde, ne mrit que trs rarement avant le mois daot. Il y a encore une espce de fi gue longue et noirtre quon laisse quelquefois sur larbre pendant tout lhiver. Les pches et les brugnons viennent vers le milieu de juillet ; les derniers sont plus gros et meilleurs que les ntres. Quant aux pches, elles sont dune odeur on ne peut plus, agrable, et psent ordinairement jusqu dix onces. Les pre-mires grenades sont mres au mois daot ; il y en a qui ont trois o quatre pouces de diamtre, et qui psent une livre. Nous ne devons pas omet-tre ici la poire piquante, dont lespce est appa-remment venue dEurope, puisque les habitans lui donnent le nom de kerms-nassarah, ou la fi gue des chrtiens. Beaucoup de familles nont pas dautre nourriture pendant tout ce mois et celui, de septembre. Il croit dans toutes les parties de la

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    Barbarie des noyers et des oliviers qui rapportent abondamment une fois tous les deux ans. Il y vient aussi des. chtaignes qui sont dune petite espce, mais aussi bonnes que celles de France et dEspa-gne. Autant que je men souviens, on ny connat ni le coudrier, ni le noisetier, ni le groseillier. Le raisin mrit vers la fi n de juillet, et les vendanges se font au mois de Septembre. Avant les ravages commis dans les vignobles par les sauterelles en 1723 et 1724, le vin dAlger tait aussi bon que le meilleur de lHermitage ; mais il a beaucoup dgnr depuis cette poque, quoiquil soit cependant encore plus agrable que les vins dEspagne et du Portugal. Le citronnier est toute lanne couvert de fl eurs et de fruits. Il en est de mme de loranger aigre ; mais loranger doux, qui est un arbre tranger ce climat, ne donne de fruits que vers la fi n de lautomne. Je ne parle pas du coing, de la nfl e, de la jujube, ni de la corme, parce que ces fruits ne sont pas fort esti-ms, et que les arbres qui les produisent sont un des moindres ornemens des vergers. Les jardins de ce pays sont fort loin dtre rgu-liers ; tout y est sans symtrie et sans dessein : cest un mlange incohrent darbres fruitiers, de choux, de navets, de fves, de garvanos et quelque-

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    fois mme de bl et dorge. On ny connat point les alles, les parterres, les plates-bandes de fl eurs, etc., parce que lon considrerait comme perdu le terrain que lon y consacrerait. Les terres sont presque partout si lgres, quune paire de bufs peut facilement en labourer un arpent par jour, mme l o elles passent pour tre les plus fortes. La couleur du sol varie. Dans les plaines du. Zeidoure il est noirtre, tandis que dans celles dEl-mildegah et ailleurs il tire sur le rouge. Nanmoins il est partout galement fertile, et contient, beaucoup de parties salines et nitreu-ses. Dans les salptrires de Tlemsen, on retire environ six onces de nitre de chaque quintal de terre ordinaire, qui est ici noirtre. A Douzan, Kairouan, et dans quelques autres endroits, on en obtient la mme quantit dune terre grasse dont la couleur est mlange de rouge et de jaune. Les bords de plusieurs rivires, souvent douze ou dix-huit pieds de profondeur, sont .couverts de sel ou de nitre. Cest sans doute lexistence de cette grande quantit de sels que lon doit attri-buer la fertilit gnrale du pays, tant clbre par les anciens, et qui est toujours la mme ; quoique

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    les habitans ne fassent rien pour amender leurs terres, si ce nest, en quelques endroits, de mettre le feu au chaume. On a cependant lieu dtre sur-pris que lancienne province. de Bizacium, jadis si fameuse pour sa fertilit, soit aujourdhui la moins remarquable, sous ce rapport, de toutes celles des diffrentes rgences. Mais ce qui prouve jusqu quel point le sel domine peu prs partout, cest le grand nombre de mines de sel gemme et de sources sales qui existent dans chaque district. En outre, les eaux de beaucoup de rivires et de ruisseaux sont sales ou saumtres ; telles sont celles des rivires Oued-el-Mailah, qui coule sur la frontire occidentale de la rgence dAlger, et de la Serrat, qui arrose sa partie orientale ; lHamman-Mellouan, qui est neuf, lieues au sud-sud-est dAlger ; la Beni-Abbess, qui traverse le district de Biban ; celle des Urbiah, prs de Titerie-Doche; celle qui descend, du Gebel-Ousgar, dans le voisinage de Constan-tine ; la Mailah, qui tombe dans le Marais de Chot, vis--vis de Messilah ; la Barikah, qui passe nic-kse ; et la Gor-Bata, qui se trouve sur les confi ns du Djrid. On rend leau de cette dernire rivire potable, en la faisant fi ltrer travers du sable dans

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    de petits puits que lon creuse cet effet sur ses bords. Mais celle des autres rivires, qui sont plus profondes, et coulent travers des terres plus imprgnes de sel, ne se bonifi e pas par la fi ltra-tion. Les Arabes shabituent ces eaux saumtres par lusage ; ce qui me parait au reste moins extra-ordinaire que de manger des gteaux de sel, ainsi que cela a lieu, ma-t-on assur, dans la valle dAost en Pimont. Les salines dArzieu sont environnes de montagnes, et ont prs de deux lieues et demie de circuit. En hiver elles ressemblent un grand lac ; mais elles se desschent en t, leau svaporant par la chaleur du soleil ; le sel demeure cristal-lis au fond. On y trouve, en creusant, diffrentes couches successives de sel, dont les unes ont un pouce dpaisseur, et dautres davantage ; ce qui provient vraisemblablement de la quantit plus ou moins grande de particules sales dont leau qui forme ces couches est imprgne. Les salines qui se trouvent entre Carthage et la Goulette, ainsi que celles du marais de Chot et celles du Sahara, sont formes de la mme manire. Le Gebel ou mont Had-Deffa, lextrmit orientale du lac des Marques ou Bahirah-Pha-

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    raoune(1), est tout entier compos dun sel qui diffre tous gards de celui des salines, en ce quil est rouge ou violet, et quil a la duret du roc. Mais les parties que la rose en dtache chan-gent de couleurs, et deviennent blanches comme la neige ; il perd aussi lamertume ordinaire du sel de roche. Le sel des montagnes prs de Louo-taiah et de Gebel-Miniss est gris ou bleutre, et fort agrable au got. Celui de Louotaiah se vend Alger deux sous lonce. Le sel du lac de Bahirah-Pharaoune et de quelques autres plaines moins considrables de la mme nature, ressemble ce dernier sous le rap-port du got et de la qualit. On donne commun-ment ces plaines le nom de Sibkah ou Chibkah, cest--dire morceaux de terre sale. Elles sont ordinairement submergs en hiver ; mais en t elles se desschent et se couvrent du plus beau gazon. Quelques-uns de ces chibkahs reposent sur un fonds dur et solide, sans aucun mlange de terre ou de gravier, et qui retient le sel, lequel, y forme, aprs les pluies, une couche cristallise. Dautres, au contraire, sont remplis de boue, et noffrent_______________ (1) Ce lac est plus connu, dans la gographie moderne, sous le nom de Loudah. (Note du traducteur.)

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    pas de sel leur surface. Le fonds du chibkah-el-Loudh, form dune infi nit de petits cubes de sel commun cristallis, ressemble un pav de marqueterie ; mais je nai jamais vu de cristalli-sation dans les chibkahs dont le fonds est mar-cageux, comme ceux dOran et de Kairouan, quoique le sol soit tellement imprgn de sel, quil pique la langue lorsquon en met dans la bouche. Jai vu de gros blocs de sel provenant du pays des Beni-Mezzab. Mais le salptre, que les Arabes .appellent mailah-haij ou sel vif, ne se trouve jamais en masse ou en morceaux, que je sache ; on ne lobtient que par des moyens arti-fi ciels. Voici comment on sy prend. On cons-truit des auges en briques ou en pierre, avec un treillage de bois au fond, et que lon garnit int-rieurement de nattes, de feuilles de palmier ou de gent ; aprs quoi on les, remplit de terre, que lon arrose avec de leau, ordinaire, de six en six, ou de huit en. huit heures, pendant cinq ou six jours de suite. Leau, en fi ltrant travers la terre, entrane toutes les parties nitreuses quelle renferme, et tombe dans de petits rservoirs placs au-dessous des auges. Lorsquon a runi une assez grande quantit de cette eau, on la fait bouillir dans

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    des chaudrons, et on la raffi ne. Il y a plusieurs de ces raffi neries Tlemsen, Biscara et Kai-rouan, ainsi que chez les Kabyles et les Arabes. Les habitans emploient tout le salptre quils font la fabrication de la poudre canon, quils appellent baroute. Le soufre leur vient en grande partie dEurope ; ils se servent de la cendre du barouak, (lhasta-regis), au lieu de charbon de bois. Ils entendent assez bien lart de grainer la poudre. Mais il faut que leurs ingrdiens naient pas les qualits requises, ou bien quils ne les emploient pas dans les proportions voulues ; car une once de notre poudre produit autant deffet que quatre de la leur. Outre les sources et les ruisseaux sals dont il vient dtre question, le pays abonde en eaux sul-fureuses et autres. A lAin-Kidran et lHamdh, qui est une source minrable considrable situe prs de la rivire Bichebeche, nous devons ajou-ter les hammans, ou sources thermales. LAin-el-Houte et la plupart des sources du Djrid sont peine tides ; mais celles de Sidy-Ebly, dOran, dAmmaite, de Mellouan, dAgrise, dEl-Elma, dEl-Hamah, et la basse source de Mriga; sont une temprature plus leve, et on peut sy bai-gner. Il nen est pas de mme toutefois de lHam-

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    mam-Meskoutin et de la haute source de Mriga, dont la chaleur est considrable. Elle est telle dans la premire de ces sources, que lon peut y faire cuire un morceau de viande en un quart dheure. Les eaux de lAin-el-Houte, et des sources de Gafsa et de Tozer, sont dune facile digestion. Il en est de mme des autres eaux du Djrid, qui toutes servent de boisson aux habitans aprs quon les a laisses refroidir.. Les eaux de lEl-Hammah, en particulier, sont limpides et trans-parentes, et aussi douces que leau de pluie. On leur attribue de grandes vertus, qui toutefois se rduisent, je crois, leur qualit laxative, prove-nant du soufre et des autres substances minrales quelles tiennent en dissolution, et leur chaleur naturelle, qui permet de sy baigner. Outre que les eaux de lHammam-Meskou-tin Sont trs sulfureuses, leur chaleur est si con-sidrable, quelles dissolvent ou plutt calcinent le roc sur lequel elles coulent quelquefois sur une tendue de plus de cent pieds. L o le roc est dune nature molle et uniforme, leau, produisant partout une impression gale, y a form des esp-ces de cnes qui ont environ six pieds de haut, et presque autant de diamtre. Les Arabes prtendent

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    que ces monticules sont des tentes de leurs anc-tres qui ont t ptrifi es. Mais dans les endroits o le roc, qui gnralement nest pas plus dur que notre marne, est ml de quelques couches dune substance plus solide et plus diffi cile dissoudre, leau creus, en proportion de la rsistance quelle a rencontre, des canaux, et form de petites lvations que les Arabes disent aussi avoir t autrefois, soit des brebis, des chameaux, des chevaux ; soit des hommes, des femmes et des enfans, quils supposent avoir eu le mme sort que leurs tentes. Jai remarqu que ces sources sarrtent quelquefois, ou plutt quelles tarissent souvent en un endroit et repa-raissent au mme moment en dautres ; circons-tance que semble confi rmer le grand nombre de cnes et de canaux en tous genres que lon ren-contre entre le lieu dont il est ici question et la rivire Zenati. Quand nous y passmes; le terrain rsonna sous les pieds de nos chevaux, ainsi que cela a toujours lieu l o il existe quelques cavits, et nous emes plusieurs fois la crainte dy enfoncer. Il y a toute apparence que la terre est ici remplie dexcavations, et que les sons creux qui frap-prent nos oreilles taient occasionns par lair

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    renferm dans ces cavits, et qui, selon les vents et le mouvement de lair extrieur, sen chappe continuellement avec leau des sources. Les Arabes assurent que le bruit que lon entend ainsi est la musique des jenoune ou des fes, qui, ce quils assurent; habitent particulirement ces lieux, et y causent tout ce que lon y rencontre dextraordinaire. Leau de lHamman Mell-Ouan est non seu-lement trs sale et dun got fort dsagrable, mais encore extrmement pesante. Celle de la source infrieure de Mriga est insipide quand elle est froide, et ne svapore point une cha-leur ordinaire. Celle de la source suprieure, quon ne nettoie que rarement, teint ses parois couleur de rouille, et dpose partout o elle passe un sdiment qui ressemble de locre, mais qui est noirtre; ce qui fait supposer quelle est abondamment imprgne de particules de fer et dacier. Quoi quil en soit de la qualit des eaux des sources de Mriga, dEl-Hammah et de Lif, qui sont les trois principaux thermes de la rgence dAlger, ils nen sont pas moins trs frquents. On les dit trs salutaires pour la gu-rison des rhumatismes, de la jaunisse, et de dif-frentes autres maladies.

  • (31)

    Le poids de leau de la source dHamman-Mriga est celui de leau de pluie comme 836 830 ; celle dOran comme 837 , celle de Mes-koutin comme 850, et celle de Mellouan comme 910. Je nai pas t mme de peser les autres. Outre les continuelles exhalaisons qui sl-vent des sources thermales, il faut quil y ait encore l o elles prennent naissance un fonds inpuisable de soufre, de nitre, et dautres subs-tances infl ammables, comme lattestent les vio-lens et frquens tremblemens de terre que lon prouve dans ce pays. On se rappelle surtout ceux de 1723 et 1724, qui occasionnrent de trs grands dgts. On ressent souvent aussi en mer des trem-blemens. En 1724, me trouvant bord de la Gazelle, btiment algrien de cinquante pices de canon, qui se rendait Bona, nous prouv-mes trois violentes secousses lune aprs lautre. Cet vnement nous arriva cinq lieues au nord nord-ouest de Sebba-Rous, dans un endroit o nous avions plus de deux cents brasses de pro-fondeur(1). Notre capitaine me dit quil avait res-senti, quelques annes auparavant, une secousse_______________ (1) Environ 600 pieds.

  • (32)

    beaucoup plus forte tant quarante lieues ouest de Lisbonne(1). Les tremblemens de terre dont jai t tmoin durant mon sjour Alger ont presque toujours eu lieu un jour ou deux aprs de grandes pluies, la fi n de lt ou en automne. On ne trouve plus dans ce pays de traces des carrires de marbre dont parlent les anciens ; et en juger par la petite quantit de cette pierre, employe dans les difi ces modernes les plus somptueux, on serait tent de croire que ces car-rires nont jamais exist, ou bien que le marbre que lon en a tir a t transport ailleurs ; cest du moins ce que lon est port conclure lins-pection des ruines antiques qui existent encore Cesare(2) ; Sitifi , Cirta, Carthage et ailleurs. Les puits de ces contres ne sont pas gnra-lement trs profonds, except ceux du Ouadreag,_______________ (1) Un fait analogue, mais beaucoup plus extra-ordinaire, a eu lieu rcemment. La frgate franaise la Surveillante a prouv entre le continent et lle S. Juan Fernandez, cest--dire une distance de plus de 160 lieues, le contrecoup dun tremblement de terre arriv Valparaiso, le 26 septembre 1829. (Note du traducteur.) (2) La Julia-Cesarea des anciens. (Note de lauteur.)

  • (33)

    et de quelques autres endroits du Sahara. Jai sou-vent remarqu, lorsquon en creusait, quaprs avoir enlev la premire terre on rencontrait des couches de gravier, puis quelquefois de la terre glaise, mais rarement; et enfi n une espce de pierre tendre sous laquelle on trouvait toujours de leau. Dans quelques districts, comme aux envi-rons dAlger et de Bona, o il nexiste ni terre ni gravier, cette pierre se trouve immdiatement la surface du sol ; elle est souvent parseme de paillettes que lon dirait dor et dargent. Je nai jamais vu ici ni agates ni autres pier-res de la mme nature. Il nest pas mme jus-quaux pierres fusil qui ny soient trs rares ; aussi nos btimens en transportent-ils souvent en lest, quils vendent Alger, sept shellings(1) le quintal. On trouve cependant quelquefois dans les montagnes et dans les forts dassez grands espa-ces couverts de slnite. Il existe aussi dans quel-ques parties du Sahara une espce de talc jaune, ou couleur de chair, qui est lamelleux et transpa-rent. On trouve dans les montagnes de Boujah des iris qui approchent du cristal et de nos pierres_______________ (1) 8 francs 75 centimes.

  • (34)

    de Bristol ; et dans les districts de Zibbass et dEllou-Lijah, des cristaux doubls cnes qui sont un peu sombres , ainsi que beaucoup de pierres fi gures qui ressemblent au verre de Moscovie. Voil tout ce que la minralogie de ce, pays offre de plus analogue la topase et au diamant , et peu prs les seuls fossiles que jaie vus. Mais outre la terre commune dont jai dj parl, il y a deux ou trois sortes de terre glaise, propres la fabrication des pipes et de la pote-rie. La cimolia ou terre foulon est aussi trs abondante, ainsi que la statite ou terre de savon dont on se sert beaucoup dans les bains publics pour nettoyer et adoucir la peau. La steinomarga ou moelle de pierre, appele par les anciens lac lun, et dont les Arabes se servent quelquefois pour arrter les hmorragies, se trouve ordinai-rement dans les excavations de quelques rochers du Sahara. On recueille aussi dans le Tell(1) une ocre grossire, ainsi que de la terre dombre, et une espce dalmagra(2) qui ressemble au bol ou terre dEspagne._______________ (1) Nom donn aux terres labourables dans la partie mridionale de la rgence. (2) Mot driv de larabe, qui signifi e ocre rouge. (Note du traducteur.)

  • (35)

    Les minraux, dont jai t mme de recon-natre lexistence sont encore en plus petit nombre que les fossiles. On peut cependant ranger dans cette classe certaines, espces de talc, ainsi que les paillettes couleur dor et dargent dont jai dj parl. Il y a de certains districts on lon en trouve beaucoup ; et lorsquelles ne sont mles ni du talc ni de la slnite, les hojias ou crivains du pays, sen servent au lieu de sable. Jai souvent remarqu, en voyant broyer du pltre, beaucoup de parcelles semblables de lor, et dont la forme approchait de ce que les savans appellent corps rguliers. Mais les marcassites et pierres feu que lon trouve Zibbass, Ellou-Lijah et Me-Dea, et que lon prendrait aussi pour de lor et de largent, nont point de formes rgulires, quelques-uns tant sphriques, dautres ayant la fi gure du msentre, dun rognon, etc., comme cela se voit ordinairement. Le plomb et le fer sont les seuls mtaux que lon ait jusqu prsent dcouverts dans les deux rgences. Le dernier, qui est blanchtre, est de bonne qualit. Ce sont les Kabyles des districts montagneux du Boujah qui le tirent de la terre et le forgent; ils lapportent ensuite, en petites barres, aux marchs de Boujah et dAlger. La

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    mine est assez abondante dans les montagnes de Doui et de Zikkar ; mais la dernire est la plus riche et la plus pesante, et lon y trouve quelque-fois du cinabre. Toutefois, on sen occupe fort peu. Les mines de plomb de Gibel-Ris-Sass, prs dHammam-Lif, ainsi que celles dOuanache-Ris et des Beni-Boutaleb, sont aussi trs abondantes, et on pourrait certainement en tirer de grandes richesses, si elles taient mieux exploites. Le procd pour raffi ner le plomb en usage ici est de placer alternativement une couche de bois et une de minerai, puis dy mettre le feu. On obtient souvent ainsi quatre-vingts livres de plomb dun seul quintal de minerai. Les rgences dAlger et de Tunis sont trs jalouses des mines dargent et de cuivre que pos-sdent les Tingitaniens(1), quoiquil y ait toute apparence quelles pourraient en trouver de sem-blables dans les montagnes de leurs propres ter-ritoires, si elles voulaient se donner la peine de les chercher, Il est vraisemblable quil existe au moins des mines de cuivre dans la montagne de Fernan,_______________ (1) Ces peuples, qui sont aujourdhui plus connus sous le nom de Maures occidentaux, habitent le royaume de Fez, dans lempire de Maroc. (Note du traducteur.)

  • (37)

    puisque lon y trouve des pierres trs pesantes, recouvertes dune espce de vert-de-gris. Une de ces pierres, que jai apporte en Europe, parat contenir aussi quelques. particules dtain. Il existe galement beaucoup de pierres sembla-bles dans la montagne de Tmolga. Mais si les habitans du pays nen tirent pas parti, cest que, sils savisaient de chercher du cuivre dans ces pierres, et que le hasard les favorist, le gouver-nement ne manquerait pas de semparer de leurs dcouvertes, puisquil sarroge le droit de pro-prit sur tout ce que renferme la terre, comme faisant partie de ses domaines. On peut leur appli-quer cet gard ce quils racontent eux-mmes de Mohammed Bey. Ce prince, dont jaurai souvent occasion de parler dans la description de Tunis, eut le malheur dtre dtrn par ses propres sujets. Comme il avait la rputation dtre initi dans la chimie, et davoir trouv la pierre philosophale, Ibrahim Hojiah, alors dey dAlger, promit de le rtablir sur le trne, sil voulait lui communiquer son secret. Mohammed y consentit, et, pour remplir sa pro-messe, il envoya en grande pompe au dey un certain nombre de bches et de socs de charrue,

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    voulant lui faire entendre par l que la principale richesse dun tat consistait bien cultiver la terre, et que la vraie pierre philosophale ntait autre chose que lart de convertir en or les riches productions que lon pouvait en tirer par le tra-vail.

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    CHAPITRE II

    Des quadrupdes, des oiseaux, des insectes, des poissons, etc.

    Comme la principale richesse des Arabes Bdouins consiste dans le nombre de leurs troupeaux, je dcrirai dabord ici les diffrens animaux que lon trouve dans ces contres, en commenant par ceux que lon appelle domes-tiques, en ce quils sont les plus profi tables lhomme. Le cheval, qui faisait anciennement la gloire de la Numidie, a beaucoup dgnr depuis un assez grand nombre dannes, ou plutt les Arabes ngligent lducation de ce bel animal, dans la crainte o ils sont de se voir tt ou tard frustrs de leurs peines par les offi ciers turcs, qui ne manqueraient pas de leur enlever leurs che-vaux, pour peu quils en valussent la peine; do il rsulte quaujourdhui les haras de la Tingita-nie et de lgypte lemportent sur ceux de la Bar-barie, tandis quil ny a quenviron un sicle les chevaux barbes jouissaient dune rputation jus-tement mrite ; ils taient surtout renomms pour la sret de leurs pieds, leur douceur se laisser

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    dresser et monter, la longueur de leur pas, etc. On ne sait ici ce que cest que de trotter ou daller lamble ; les Arabes regardent mme ces allures du cheval comme inconvenantes. On nen admet que deux, le pas et le galop. Lne et le mulet sont de tous les animaux de la Barbarie les plus propres la fatigue , outre quils nexigent pas la moiti autant de soins que le cheval. On ne se sert pas beaucoup dnes Alger comme montures ; mais ils sont dun usage gnral comme tels Tunis, o il y en a en grand nombre dune. belle race. Le mulet est trs estim dans les deux rgences, et lon sen, sert plus volontiers que du cheval. Il est certain quil a le pas plus sr et quil est plus fort que ce dernier. Quoi quen disent et Pline et dautres auteurs, je nai jamais ou dire que le mulet ft prolifi que. Il y a dans ce pays une autre espce de petit mulet nomm kumrah, provenant de laccou-plement dun ne et dune vache. On lemploie comme bte de somme, et il est dun usage gn-ral. Ceux que jai vus navaient quun ongle au pied comme lne ; mais ils diffraient dailleurs de ce quadrupde sous tous les autres rapports,

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    lice, une queue et une tte de vache, mais sans cornes. Quelles que soient les bonnes qualits de tous ces animaux, aucun dentre eux ne peut cependant tre compar au chameau pour le travail et la fati-gue. Il peut se passer de boire pendant quatre ou cinq jours de suite, et nexige dautre nourriture quune petite quantit de fves et dorge, ou bien quelques morceaux de pte de farine. Cest ce que jai souvent t mme de remarquer dans mon voyage au mont Sina, quoique chacun de nos chameaux portt au moins sept quintaux, et que nous fi ssions des marches de dix et quelque fois de quinze heures par jour, raison de plus dune lieue par heure. Ces qualits prcieuses du chameau sont sans doute, cause que les Arabes sappliquent par tous les moyens en multiplier le nombre, qui surpasse en effet dans leurs trou-peaux celui de toutes les autres btes de somme.Lespce de chameau que nous appelons droma-daire porte ici le nom de maihary. Il nest pas aussi commun en Barbarie quau Levant ; il se distingue surtout du chameau ordinaire par son extrme vitesse. Les Arabes disent quil peut faire autant de chemin dans un jour quun de leurs

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    meilleurs chevaux dans huit ou dix. Le cheik, qui nous accompagna au mont Sina et qui tait mont sur un de ces dromadaires, prenait souvent plaisir nous donner des preuves de sa clrit. En effet, nous le voyions quelquefois parcourir une distance considrable dans lespace de quel-ques minutes. Cet animal diffre. encore du cha-meau ordinaire, en ce quil a le corps plus rond et mieux fait, et quil na quune petite bosse sur le dos au lieu de deux. Les chameaux mles, qui sont trs doux et fort traitables dans toutes les autres saisons de lanne, deviennent furieux au printemps, qui est lpoque de leur accouplement, lequel a ordinai-rement lieu pendant la nuit. Les femelles portent presque une anne entire, ou dun printemps lautre ; les petits sont, dit-on, aveugles durant les premiers jours de leur naissance, comme le sont les chats et les chiens. Dans cette partie de lAfrique, le gros btail ont gnralement dune plus petite espce que le ntre : un buf bien gras pse rarement au-dessus, de cinq ou six cents livres. Les vaches nont que peu de lait en proportion de leur taille, et quoiquelles aient abondamment de quoi ptu-rer depuis dcembre jusquen juillet, elles ne don-

  • (43)

    nent quun beurre, mdiocre. Ces vaches ont encore un autre dfaut, qui est de perdre leur lait en perdant leur veau. Les brebis et les chvres supplent dailleurs aux vaches, et cest principalement, de leur lait que se font tous les fromages qui se consomment dans le pays. Au lieu de mulettes, les Arabes et les Maures se servent, surtout en t, des fl eurs de lartichaut sauvage pour faire tourner le lait ; quand il est caill, ils le versent dans de petits paniers, o ils le pressent fortement. Leurs froma-ges psent environ deux trois livres chacun. Ils font le beurre en mettant la crme dans une peau de chvre quils suspendent aux deux extrmits de leur tente ; ils le pressent ensuite galement dun ct et dautre avec les mains, de manire en faire sortir le petit lait, et ce quil y a de gras et donctueux reste dans la peau. Les chvres de Barbarie ressemblent celles des autres pays ; mais il y existe deux espces de brebis qui sont inconnues en Europe. Lune del-les, qui est trs commun dans tout le Levant et dans la rgence de Tunis, est remarquable par la grosseur de sa queue. Elle est surtout trs recher-che pour la, qualit de sa laine, mais sa chair nest ni aussi bonne ni aussi que tendre celle

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    de lautre espce. Il ny a que sa queue dont on fait beaucoup de cas, et qui fait la base des cous-cous et des pillaus ; elle est tout entire compose dune graisse dure et qui a un got de moelle. La seconde espce de brebis qui se trouve dans le voisinage de Ghadams, dOuragalah, et dautres parties du Sahara, est presque aussi haute que notre daim, et lui ressemble assez, except pour ce qui est de la tte. Sa chair est sche, et sa laine, qui a quelque rapport avec le poil de chvre, est grossire; ce que lon peut attribuer la chaleur du climat; la raret de leau et aux mauvais pturages. On ne sait pas ce que cest dans ce pays quun cheval hongre ou un mouton. On se borne, par une opration simple, mettre les animaux mles dont on na pas besoin pour la conservation de lespce, hors dtat de reproduire. Les Maho-mtans regardent comme un acte de cruaut de mutiler dautres cratures que leurs semblables. Outre le btail que lon lve en grande quan-tit dans les villes et dans les villages, les Arabes ont des troupeaux considrables de chaque espce. Il y a, par exemple, des tribus qui possdent trois ou quatre cents chevaux, presque autant de millier-sde chameaux, et un nombre beaucoup plus grand

  • (45)

    encore de bufs et de brebis. Ils tuent rarement leur btail, et se nourrissent principalement de lait et de beurre, ou de ce quils obtiennent en change pour leur laine. Quelle que soit la con-sommation en viande qui a lieu dans les villes et les villages, elle est fort au-dessous du nombre dlves que lon fait chaque anne; et si les habitans apportaient le moindre soin leurs trou-peaux, et les mettaient couvert, au moins pen-dant la mauvaise saison, ils en auraient bientt dinnombrables. Cette partie de la Barbarie abonde en bufs sauvages que les Arabes appellent bekker-el-ouache. Les individus de cette espce diffrent du buf ordinaire, en ce quils ont le corps plus rond, la tte plus plate, et les cornes plus rappro-ches. Il y a quelque apparence que dest lani-mal que Bellonius nomme bos africanus, et quil croit, avec raison, tre le bubulus, ou le buffl e des anciens. Toutefois, daprs la description quil en fait, ce quadrupde n serait gure plus grand quun chevreuil, tandis que celui dont je parle est de la taille et de la couleur du daim. Leurs petits sapprivoisent facilement, et paissent avec les autres bufs. Les Arabes donnent aussi le nom de bekker-

  • (46)

    el-ouache une espce de daim qui a prcisment les cornes dun cerf, mais qui nest pas aussi grand. Ceux que jai vus avaient t pris dans les montagnes situes prs de Sgigata, et mont paru dun naturel trs doux. La femelle na point, de cornes ; ce qui fait que les Arabes la nomment, par drision, fortase, ou tte chauve. La fi chetl ou leroui est une espce de chvre si peureuse, que lorsquon la poursuit elle se jette de frayeur contre les rochers et dans les prcipices. Elle est peu prs de la grosseur dune gnisse dun an, except quelle a le corps plus rond, une touffe de poil de la longueur de cinq pouces sur chaque genou, et une autre dans la nuque, de prs dun pied. Sa couleur est la mme que celle du bekker-el-ouache ; mais ses cornes, canneles et courbes en arrire comme celles des chvres, ont plus dun pied de long, et ne sont spares sur le front que par un peu de poil, comme celle des moutons. A en juger par la taille, la forme, et plusieurs autres circonstances, on est port croire que la fi chetl est le tragela-phus des anciens. Il est vrai que Pline dit quon ne. trouvait celui-ci que sur les bords du Phase ; mais cest probablement par une erreur du genre

  • (47)

    de celle que commet cet auteur lorsquil assure que le cerf nest pas un animal dAfrique. Outre la gazelle ou lantilope ordinaire qui est trs connue en Europe, il y en a encore ici une autre espce qui a la mme forme et la mme couleur, cette diffrence prs quelle est de la taille de notre chevreuil, et que ses cornes, ont quelquefois deux pieds de long. Les Africains lappellent lidmi, et je crois que cest le strep-siceros et laddace des anciens. Bochart, sur la blancheur suppose de sa partie postrieure, trouve un grande ressemblance entre laddace dont il est ici question, et le dison de lcriture que notre version a rendu, daprs les Septante et la Vulgate, parle mot de chevreuil. Le bekker-el-ouache, de mme que la gazelle, marche en troupe. Ces animaux se ressemblent dailleurs par la robe, la manire de courir, ainsi que celle de sarrter, et de faire volte-face ceux qui les poursuivent. Les districts qui nourris-sent lune de ces deux espces nourrissent aussi lautre ; mais cest particulirement sur les con-fi ns du Tell et du Sahara quon en trouve en plus grand nombre. Au reste Bochart et dautres savans se sont tromps en prenant la gazelle pour un faon de chevreuil ; car on entend toujours par ce mot,

  • (48)

    tant dans le Levant que dans la Barbarie, lani-mal que nous appelons lantilope. Le lion et la panthre tiennent le premier rang entre les btes froces de ces contres ; mais il ny a pas de tigres. Les femelles des deux premires espces ont deux rangs de mamelles comme la chienne, et mettent bas frquemment trois, quatre et quelquefois cinq petits. Les Arabes disent que lorsque ceux-ci font leurs dents ils sont sujets une fi vre violente, qui en enlve souvent trois ou quatre, et que cest l la raison pour laquelle les lions et les panthres sont en moins grand nombre que les autres animaux sauvages. Quelle que soit la cause de cette diminution, soit quelle provienne en effet des obstacles quils prouvent dans leur dentition, ou de ce que les Arabes sont plus rpandus dans lintrieur du pays quils ne ltaient anciennement, soit enfi n que lusage plus gnral des armes feu ait donn aux habi-tans le moyen den dtruire plus quon ne le faisait jadis, toujours est-il certain quon aurait maintenant beaucoup de peine trouver la cin-quime partie des btes froces que lon condui-sait alors Rome pour les donner en spectacle au peuple. Jai lu dans quelques descriptions de ce pays

  • (49)

    que les femmes peuvent sans danger se familiari-ser avec le lion, et quen sarmant dun bton, et en lui parlant avec douceur, elles lui font perdre sa frocit, et lloignent ainsi des troupeaux confi s leur garde. Il est possible que cela soit lorsque ces animaux sont bien repus : car alors ils perdent, dit-on, leur courage, et soufrent mme quon leur arrache leur proie. Mais ces exemples sont rares, et il arrive souvent quils dvorent les femmes ainsi que les hommes lorsquils nont pas dautre pture. Le feu est la chose du monde quils craignent le plus ; mais, malgr les prcautions que pren-nent les Arabes cet gard, malgr laboiement de leurs chiens, et les cris quils font eux-mmes pour les loigner, il se passe peu de nuits sans que ces terribles animaux, mprisant toute espce de dangers, ne se jettent au milieu de quelque douar, et ny enlvent quelques brebis ou quel-ques chvres. Lorsque par hasard ils reviennent la charge pendant plusieurs nuits de suite, alors les Arabes, aprs avoir exactement observ leurs traces, creusent sur leur route une fosse quils recouvrent lgrement de roseaux ou de petites branches darbres, et parviennent ainsi souvent les faire tomber dans le pige.

  • (50)

    La chair du lion, qui est fort estime des Arabes, a assez de rapport avec celle du veau, tant pour le got que pour lodeur. Il parait que les anciens Romains ne se piquaient pas de beaucoup dexactitude en parlant des animaux, puisque, suivant ce que remarque Juste-Lipse, ils appelaient quelquefois un lion un ours, et une panthre un rat dAfrique. Le faadh ressemble au lopard en ce quil est tachet comme lui ; mais il en diffre dautres gards : il a, par exemple, la peau plus fonce et plus grossire, et nest pas si farouche. Les Arabes croient quil provient du lion et de la femelle du lopard. Il se nourrit ordinairement de carcasses danimaux morts ; mais il mange aussi des raci-nes et des herbes comme le dib et le dobbah, et nattaque les brebis et les chvres qu la dernire extrmit. Ainsi cet animal ne peut gure tre le ths ou loup-cervier des anciens, quils dcrivent comme tant trs carnassier; ce serait plutt celui que Pline appelle chamus. Il existe deux autres quadrupdes en Barba-rie, qui sont tachets comme le lopard ; mais leurs taches sont gnralement plus fonces, et leur poil un peu plus long et plus doux. Le premier de ces animaux est une espce de chat, dun tiers

  • (51)

    plus petit que le lopard, et qui a quelque rapport avec le lynx, ou plutt avec la petite panthre dont parle Appien. Lautre a une petite tte pointue, avec des dents, des pieds et des doigts semblables la belette. Son corps, rond et mince, a environ un pied de long, et sa queue est marque dun bout lautre de petits anneaux noirs et blancs. Cet animal, de mme que lichneumon, est trs friand de volaille, et sil tait priv, comme il rpand quelquefois une odeur fort agrable, on serait tent de le prendre pour la civette ; mais il a le corps plus dli et le nez plus pointu que celle-ci. Gessner suppose que la civette est une espce de thyos, ou petite panthre dAppien ; mais ce que les anciens disent de ce quadrupde est si peu exact, que lon ne sait trop quelle espce le rapporter; car, outre que la petite panthre est, ce que je crois, une espce de chat, elle devait tre plus redoutable que lanimal dont je parle ici, et qui, daprs ce que les. anciens disent eux-mmes, tait moindre quun renardeau. Quelques Maures lappellent gat el-berrany, ou le chat tranger ; dautres le nomment chib beardou. Le dobbah est de la taille du loup ; mais il a le corps plus plat, et boite naturellement du pied

  • (52)

    droit de derrire. Malgr ce dfaut, il est assez lger, et plus diffi cile prendre la couse que le sanglier. Il a le cou tellement raide, que lorsquil veut regarder en arrire ou seulement de ct, il est oblig de se tourner entirement, comme le cochon, le blaireau, etc. Sa couleur est dun brun sombre tirant sur le rouge, avec quelques raies dun brun encore plue obscur. Le poil de la nuque a presque trois pouces, de longueur, mais il est moins rude que les soies du cochon. Il a les pieds longs et arms dongles dont il se sert pour remuer la terre et en tirer des rejetons du palmier et dautres racines, et quelquefois mme des cadavres ; car les Bdouins, en particulier, ne sont pas. dans lusage denterrer leurs morts dans des lieux ferms, destins cet usage, comme nos cimetires. Lorsque les Arabes attrapent un de ce animaux, ils ont grand soin den enfouir la tte, ou du moins le cerveau, de peur, disent-ils, que lon ne sen serve pour quelque sortilge. Aprs le lion et la panthre, le dobbah est le plus froce et le plus cruel de tous les animaux de la Barbarie. Daprs sa conformation et ses habitu-des, il y a toute apparence quil est plutt lhyne des anciens que la civette, qui est tachete et ne se trouve point dans ce pays, ou que le blaireau,

  • (53)

    qui est plus petit, et qui parait aussi y tre enti-rement inconnu. Le dib ou chacal est dune couleur plus fonce, mais peu prs de la mme taille que le renard. Il se nourrit, comme le dobbah, de racines, de fruits et de charognes, et glapit tous les soirs dans les jardins et dans les villages. Ray suppose que cest ici le lupus aureus des anciens. Mais, daprs ce quen dit Appien, le lupus aureus doit tre un animal beaucoup plus froce. Le gat-el-kallah des Arabes , que les Persans appellent siyah-ghoche, et les Turcs karra ko-lak, cest--dire chat noir, ou le chat aux oreilles noires, est de la taille dun gros chat. Il a le corps couleur brun tirant sur le rouge, le ventre plus clair, et quelquefois tachet ; le museau noir, et les oreilles gris-fonc, avec les extrmits gar-nies dune petite touffe dun poil noir et raide, comme celle du lynx. Cet animal, peint par Char-leton, est trs diffrent du gat-el-kallah de Barba-rie, qui a la tte plus ronde et les lvres noires; mais du reste, il ressemble parfaitement un chat. On a long-temps cru que ce quadrupde, ainsi que le chacal, piaient la proie du lion, do lui est venu le nom de pourvoyeur du lion ; toutefois

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    lieu de douter de leur prtendue bonne intelli-gence. Il est vrai que durant la, nuit, lorsque, sui-vant lexpression du Psalmiste toutes les btes de la fort sont en mouvement, celles-ci, comme les:autres, bruyent aprs leur proie ; et quand le soleil se lve, et que le lion se retire dans sa tanire, on voit souvent le gat-el-kallah et le chacal ronger. les dbris quil a abandonns. Cette circonstance, et le bruit que ces animaux, du moins le chacal, font, en quelque sorte de con-cert avec le lion, et que jai souvent entendu moi-mme, peuvent seuls favoriser cette opinion. Le jird et le jerboa(1) sont deux petits qua-drupdes inoffensifs, qui habitent sous terre. Ils existent. en grand nombre dans le Sahara ; mais jen ai vu aussi dans le voisinage dOran. Ils sont lun et lautre de la taille dun rat ; ils sont de couleur fauve avec le ventre blanc ; ils ont les oreilles rondes et creuses, et ressemblent au lapin quant la, disposition des dents de devant et des. moustaches ; mais ils en diffrent sous dautres rapports. Le jird a la tte un peu pointue et toute garnie de poil. Les naseaux du jerboa sont plats et dgarnis, et presque de niveau avec sa bouche ; _______________ (1) La gerboise dgypte. (Note du traducteur.)

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    cest en quoi il diffre de lespce apporte dAlep, et dont Haym adonn la description. Les quatre pieds du jird sont peu prs de la mme longueur, et sont termins par cinq doigts au lieu que ceux de devant du jerboa des Barbarie nen ont que trois, et sont trs courts. Ses pieds de der-rire sont presque de la mme longueur que son corps, et chacun deux a quatre doigts et deux perons, si lon peut donner ce nom de petites griffes places au-dessus du pied. La queue du jird est un peu plus courte que celle du rat ordi-naire, mais elle est plus fournie. Celle du jerboa, qui est aussi longue que son corps, est jauntre, et a une touffe de poil noir son extrmit. Celui-ci, quoique ses pieds de derrire soient beaucoup plus longs que ceux de devant, court, ou, pour mieux dire, saute avec beaucoup dagi-lit. Il se sert de sa queue comme dun gouver-nail ou dun contre-poids pour se diriger dans ses mouvemens ; il la porte ordinireut en lair, et quelquefois recourbe ; le jird et le jerboa sont lun et lautre bons manger. Quelques auteurs ont pris le jerboa pour le saphan de lcriture ; mais je remarquerai cet gard que, quelque part que jaie vu de ces

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    animaux, je ne me suis jamais aperu quils se tinssent dans les rochers. Ils recherchent, au con-traire, les terres fortes, et de prfrence les sables du Sahara. Ils aiment beaucoup les roseaux, le laurole, et quelques autres plantes qui sont par-ticulires ce dsert ; aussi, partout o nous en trouvions, nous tions srs de rencontrer des jer-boas. La grande disproportion qui, comme je lai dit, existe entre leurs pieds de derrire et ceux de devant, et lhabitude o ils sont de se tenir debout sur leurs pieds de derrire, pourraient bien faire prendre ce petit animal pour un des rats deux pieds dHrodote et de quelques autres auteurs. Outre les animaux dont je viens de parler, la Barbarie en nourrit aussi quelques-uns qui ne sont pas inconnus dans les autres rgions du globe. De ce nombre sont le dob ou lours, le cheddy ou le singe, le tezer-dia ou lichneumon, le tzur-ban ou le porc-pic, le kon-foude ou le hrisson, le thaleb ou le renard, le nimse ou le furet, le fert-el-heil ou la belette, la taupe, le lapin, le livre, et le sanglier. On assure que le lion se nourrit principalement de la chair de ce dernier animal ; cependant il ne parait pas que celui-ci soit, pour son terrible adversaire, une proie aussi facile quon semble le croire,

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    puisquon les trouve quelquefois morts lun ct de lautre, galement maltraits. Parmi les reptiles ovipares de la Barbarie se trouvent la tortue de terre et celle deau. Cette dernire a le corps plus plat que lautre; et nest pas bonne manger. Les personnes doues dune bonne vue peuvent facilement apercevoir des taitah-bouiah ou camlons, sur toutes les haies. Ce petit animal a une langue longue de quatre pouces, et quil lance avec une rapidit tonnante contre les mouches et autres insectes quil veut attraper, Les Maures et les Arabes font de sa peau, aprs lavoir fait scher, une espce damu-lette quils portent au cou, et quils croient doue de la vertu de les prserver des infl uences dun mauvais il. Le mot taitah diffre peu du letaa de lcriture, que nous avons traduit par lzard. Daprs Lon lAfricain, louarral ou- guaral est un lzard qui a quelquefois trente pouces de long. Il est ordinairement dun rouge trs vif, avec des taches noirtres. Vansleben dit srieusement que cet animal sengendre des neufs pourris du cro-codile. Le dhab ou dab, autre lzard dont parle aussi Lon lAfricain, ressemble assez, quant au corps

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    et sa queue caille, au caudiverbera de Gesner et de Jonston. Tsab, terme de lcriture qui rpond celui-ci, est traduit dans nos bibles par tortue, On trouve aussi dans ce pays le lzard vert commun ; il est couleur brun-clair, et a la peau ray de la tte la queue, avec quelques raies jaunes. Le chink, que lon voit souvent dans les boutiques des apothicaires et des droguistes se tient presque toujours sous des pierres, ou dans des trous de vieilles murailles. Le nigdiamah, ou boukachache, quoiquil entre souvent dans les maisons, et va mme jusque sur les lits, pr-fre aussi les dcombres. Il est de couleur noir-tre, et a de cinq six pouces de long ; il a la tte et le corps plats, et la queue semblable celle du dab. Jai souvent remarqu que chaque fois que cet animal sarrte il remue la queue ; ce qui porterait croire que cest le caudiverbera ou luromaslix de quelques auteurs. Louarral fait le mme mouvement on courant sur la terre ; les arabes assurent gravement que quiconque reoit un semblable coup de queue est aussitt frapp de strilit. Le serpent le plus remarquable de ce pays est le thaibanne ; on ma dit quil y en avait de neuf douze pieds de long. Les serpens de

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    cette espce sont ceux qui ont le plus danalogie avec celui que Rgulus tua. Le zurreike, autre serpent du Sahara, a ordi-nairement environ quinze pouces de long ; son corps est mince, et il est remarquable en ce que, comme son nom semble lindiquer, ses mouve-mens ont une vitesse surprenante(1). Peut-tre est-ce le jaculus des anciens ? Le plus dangereux de tous ces serpens cest le leffah ; il a rarement plus dun pied de long, et a le corps plus gros que le zurreike. Le serpent que Lucain appelle torrida dipsas rpond assez bien nu leffah. Les Arabes disent quil existe entre le leffah et le taitah une antipathie aussi grande quentre le camlon et la vipre, et quune seule goutte de la salive dun taitah cause un leffah des con-vulsions qui sont toujours suivies dune mort immdiate. Nous allons maintenant passer lornithmo-logie de la Barbarie. Outre laigle , on y trouve le karaborno, espce dpervier couleur cendre, de la grandeur de notre buse, et qui a le bec noir, les yeux rouges, les pattes jaunes et courtes, le_______________ (1) Son nom vient de larabe zurak, qui signifi e darder ou lancer. (Note de lauteur.)

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    dos bleu-sale ou cendr, les ailes noires, le ventre et la queue blanchtres. Le graab-el-Saharra ou le corbeau du dsert, est un peu plus grand que notre corbeau ordinaire. Il a le bec et les. pattes rouges; ce qui pourrait le faire prendre pour le coracias ou le pyrrhocorax des anciens. Le chaga-rag est de la forme et de la taille du geai ; seulement il a le bec plus petit et les pattes plus courtes. Son dos tire sur le brun, sa tte, son cou et son ventre sont couleur vert-ple, et il a des taches ou des cercles bleu-fonc sur les ailes et sur la queue ; son ramage est dsagrable. On le trouve. sur les bords du Chlif, du Bouberak et de quelques autres rivires. Le hou-baara ou hou-baary est de la gros-seur dun chapon, mais il a le corps plus long. Il se nourrit de bourgeons darbres et dinsec-tes, comme le graab-el-Sahara, et comme lui il vit sur le bord, du dsert. Il, a le corps couleur jaune-ple, et partout tachet de brun ; les gros-ses plumes de ses ailes sont noires, et ont une tache blanche vers le milieu ; celles du cou sont blanchtres, avec des raies noires, et sont hris-ses, comme celles des coqs lorsquils se battent. Son bec, qui est plat, a peine un pouce et demi

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    de long; ses pattes, comme celles de loutarde, nont pas de doigts en arrire. On dit que son fi el et lintrieur de son estomac sont trs bons pour les maux dyeux ; aussi se vendent-ils quelque-fois extrmement cher. Il ny a rien de plus amu-sant que de voir, le grand nombre de tours et de stratagmes quemploie cet oiseau pour schap-per quand il est poursuivi par un pervier. Golius se trompe lorsquil le prend pour loutarde, laquelle il ressemble dailleurs par la couleur, le plumage et le nombre de ses doigts, mais qui est deux fois plus grande que lui. Le rhaad ou saf-saf, oiseau qui vit de grain et va toujours en troupe, na point non plus de doigt de derrire. Il y en a deux espces. La plus petite est de la grandeur dun poulet ordinaire ; mais la plus grande est presque aussi grosse que lhou-baara, et diffre de la petite en ce quelle a la tte noire et une touffe de plumes bleu-fonc prcisment au dfaut de la tte ; elles ont toutes deux le ventre blanc, le dos et les ailes couleur de bugle avec des taches brunes ; mais elles ont la queue plus claire et barre de noir ; elles ont le bec et les jambes plus forts que ceux des perdrix. On prtend que le nom de rhaad (qui en arabe signifi e tonnerre) a t donn cet oiseau cause

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    du bruit quil fait en slevant de terre, et celui de saf-saf, du mouvement de ses ailes quand il vole. Le kitaoiah ou le lagopus dAfrique, comme on pourrait lappeler, est un autre oiseau qui se nourrit de grain, vit en troupe, et est aussi priv de doigt derrire. Il habite les lieux les. plus arides, au lieu que le rhaad se plait dans les cam-pagnes fertiles. Il ressemble la colombe quant la taille et la forme, et a les pattes couvertes de petites plumes, comme les pigeons patus. Il a le corps dune couleur livide, tachet de noir, le ventre noirtre, sur la gorge un croissant dun beau jaune, et sur le bout de chaque plume de la queue une tache blanche ; la plume du milieu est longue et pointue, comme la queue du pivert ; sa chair est de la couleur de celle du rhaad, rouge sur la poitrine et blanche vers les jambes. Elle est galement bonne manger, et se digre facile-ment. La perdrix de Barbarie est la mme que notre perdrix rouge ; mais il y a une espce de caille qui diffre de la caille ordinaire, en ce quelle na pas de doigt de derrire, et quelle est dune cou-leur plus claire. Lune et lautre sont des oiseaux de passage, ainsi que la bcasse, qui commence

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    paratre en octobre, et qui sjourne dans le pays jusquau mois de mars. Les Africains appellent cette dernire hammar-et-hadjil ou lne des perdrix. Parmi les: petits volatiles se trouve une espce de grive dont le plumage est aussi beau que celui de quelque oiseau dAmrique que ce soit. Sa tte, son cou et sou dos sont dun beau vert-clair, ses ailes gris-cendr, sa poitrine blanche ou tachete comme celle de la grive ; le croupion et les extr-mits des plumes de sa queue et de ses ailes sont dun beau jaune. Si lon en excepte les pattes, qui sont plus courtes et plus fortes, cet oiseau res-semble, pour le bec comme pour tout 1e reste du corps, la grive, Il nest pas trs commun, et on ne le voit quen t, dans la saison des fi gues. Jajouterai la nomenclature des petits oiseaux une espce de moineau que lon nomme capsa, et que lon rencontre assez ordinairement dans les districts o croissent les dattes, louest, du lac des Marques. Il ne digre point du moi-neau ordinaire pour la grosseur, et il est de la couleur de lallouette, except la poitrine, dont la teinte est plus claire, et luisante comme celle du pigeon. Son chant est dlicieux, et surpasse beaucoup, tant sous le rapport de la douceur que

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    de lharmonie, celui du rossignol et du serin des Canaries. On a essay plusieurs fois den trans-porter Kairouan et dans dautres villes, mais inutilement : ils ne font plus que languir ds quon les change de climat. On trouve aux environs de Bizerta, et dans quelques autres districts, une multitude dalouet-tes couleur cendre. Outre les oiseaux aquatiques que lon con-nat en Angleterre, il existe ici les espces sui-vantes : LAnas platyrynchos ou le plican de Barba-rie, comme on peut lappeler, est de la grosseur dun vanneau. Ses pattes sont rouges, et il a le bec large, plat, noir et arm de dents. Sa poitrine, son ventre et sa tte sont couleur de fer; mais son dos est plus fonc, et il a sur chaque aile, prs lune de lautre, trois taches : une bleu, une blanche et une verte. Le plican de Barbarie petit bec est un peu plus gros que le prcdent. Il a le cou rougetre, et la tte orne dune petite touffe de plumes de la mme couleur. Son ventre est tout blanc, et son dos bariol dune grande quantit de plumes blanches et noires. Les plumes de sa queue sont pointues, et ses ailes marques de deux taches

  • (65)

    contigus, lune noire et lautre blanche. Lextr-mit de son bec est noire, et ses pattes dun bleu plus fonc que ceux du vanneau. Le canard de Barbarie tte blanche est de la grosseur du vanneau. Il a le bec large, pais et bleu ; sa tte est entirement blanche, et son corps couleur de fer. Le canard de Barbarie tte noir a les ailes tachetes comme celles du plican petit bec dont jai parl. Il a le bec noir, long et troit, les pattes dune couleur qui tire sur le brun, le cou approchant du gris, le dos et les ailes noirtres, et le ventre ml de blanc. La grise queue de Barbarie est moiti plus petite quaucun des oiseaux dont il vient dtre mention. Elle a le ventre blanchtre, les pattes noires, le corps et les ailes grises, et a sur cha-cune de celles-ci une tache noir et une verte, environne chacune dun cercle blanc. Les habitans du pays comprennent ces diff-rens oiseaux, ainsi que la sarcelle, le vanneau, et toutes les espces de canards, sous la dnomina-tion gnrale de brak. La poule deau de Barbarie est plus petite que le pluvier. Elle a le bec noir, dun pouce et demi de long; la poitrine et le ventre brun-fonc

  • (66)

    ou couleur de rouille ; le dos de la mme nuance, mais encore plus-obscure ; le croupion blanc par-dessous, et ray par-dessus de note et de blanc; les ailes tachetes de blanc, et les pattes vert-fonc. Le francolin de Barbarie, est encore plus petit que le vanneau. Il a les pattes longues et noires, avec le doigt du milieu dentel des deux cts ; le bec; qui a quatre pouces de long, est brun, mais noir au bout ; la tte petite et couleur de rouille, le cou de la mme nuance et le crou-pion blanc ; le dos et les ails sont dun brun fort obscur, et ces dernires sont tachetes de blanc ; la poitrine est mouchete comme celle de l bcasse. Lemsisy ou loiseau du buf est de la gran-deur du corlieu. Il est couleur blanc de lait par-tout le corps, except au bec et aux pattes, qui sont dun beau rouge. Il vit ordinairement dans les prairies, et se tient auprs du btail ; sa chle est de mauvais got, et se corrompt facilement. Le bou-onk ou le long cou est une espce de butor un peu plus petit que le vanneau. Il a le cou, la poitrine et le ventre jaune-clair, le dos et le dessus des ailes noir de geai, et la queue courte ; les plumes de son cou sont longues et rayes de

  • (67)

    blanc ou jaune-ple ; son bec, qui a trois pouces de long est vert, et semblable celui-de la cigo-gne ; ses pattes sont courtes et menues. Lorsquil marche; ou quil cherche sa nourriture, il allonge le cou de sept, ou huit pouces ; de l vient que les Arabes lappellent bou-onk, le long cou, ou le pre du cou. Les insectes et les vermisseaux qui existent en Barbarie sont plutt nombreux que curieux. Jen ai vu de beaucoup despces ; nais il nen est aucun, je crois, qui nait t dj dcrit. On y trouve une multitude de papillons, descarbots, etc., qui diffrent autant les uns des autres par leurs formes que par la couleur de leurs ailes ; mais je ne chercherai point les dcrire chacun en particulier, ce qui ne pourrait tre que trs fas-tidieux ; je me bornerai faire connatre un indi-vidu de chaque genre. Il y a une espce de papillon trs remarqua-ble qui a prs de quatre pouces denvergure, et tout le corps couvert de raies couleur chtain et jaune. Except les ailes infrieures, qui sont dentes et se terminent par un appendice troit, ayant un pouce de long, elles sont fort joliment bordes de jaune ; prs de la queue est une tache incarnat.

  • (68)

    Lespce la plus rare des libellules(1) est celle qui est couleur rouille, a 3 pouces et demi de long, la queue large et les ailes tachetes. Il y en a une autre espce de la mme grandeur dont le corps est plus cylindrique, et dont la couleur approche assez de celle de la sauterelle ordinaire. A 1espce de sauterelles que les naturalis-tes nomment mante, jen ajouterai une de cou-leur brune, et qui a trois pouces de long, avec les pattes de devant armes de fortes scies de corne. Il en existe plusieurs autres de la mme grandeur, de lespce capuchone, et dont les ailes sup-rieures sont rayes dun vert-clair, et les autres agrablement bigarres dincarnat, de brun et dcarlate. Il y en a une troisime espce qui a deux pouces de long avec de belles ailes vertes. Ce qui la caractrise particulirement, ce sont deux antennes qui lui sortent du front en forme de plumets. Je nai jamais remarqu que les mantes se runissent en grand nombre ; mais il nen est pas de mme des sauterelles proprement dites, et dont il est si souvent parl dans les auteurs sacrs_______________ (1) Genre dinsectes gnralement connus sous le nom de demoiselles. (Note du traducteur.)

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    et profanes : car elles vont toujours par troupes innombrables. Celles que jai vues en 1724 et 1725 taient beaucoup plus grandes que nos sau-terelles ordinaires. Elles avaient les ailes tache-tes de brun, et le corps et les pattes dun beau jaune. Elles commencrent paratre la fi n de mars, le vent stant tenu quelque temps au sud. Vers le milieu davril, elles staient si prodigieu-sement multiplies, que pendant le jour elles for-maient des espces des nues qui obscurcissaient la clart du soleil. Vers la mi-mai, aprs leur fcondation, elles commencrent se retirer gra-duellement dans les plaines de Mettijiah et autres lieux voisins, pour y dposer leurs ufs. Le mois suivant, parurent les jeunes sauterelles, qui, ds quelles furent closes, se runirent en essaim assez nombreux pour couvrir plusieurs centai-nes de toises carres. Ds quelles furent ainsi rassembles, elles savancrent en ligne droite, grimpant aux arbres, aux murs et aux maisons, et dvorant sur leur passage tout ce qui tait ver-dure. Afi n de les arrter, les habitans creusaient dans leurs champs et leurs jardins des fosss quils remplissaient deau, ou disposaient sur une mme ligne une grande quantit de bruyre, de chaume et autres matires combustibles aux-

  • (70)

    quels ils mettaient le feu. Mais tout fut inutile les fosss furent bientt combls, et les feux teints par, les myriades de sauterelles qui se succ-daient sans interruption. Celles qui ouvraient la marche savanaient audacieusement, et celles qui suivaient serraient les premires de si prs, quil leur tait impossible de reculer. Ces sauterelles ayant ainsi vcu pendant prs dun mois, et dtruit non seulement; toute la ver-dure environnante, mais rong les petites bran-ches et lcorce des arbres, dont elles avaient dj dvor les fruits et les feuilles, se trouv-rent enfi n parvenues leur grandeur naturelle, et changrent de peau ; ce quelles faisaient en saccrochant les pattes de derrire aux buissons ; aux branches darbres et mme aux pierres, et en excutant ensuite un mouvement semblable celui de la chenille quand elle marche. Leur mta-morphose soprait en sept ou huit minutes, aprs quoi elles demeuraient pendant quelques instans dans une espce dengourdissement qui cessait toutefois ds que le soleil et lair avaient donn quelque consistance leurs ailes, et dtruit lhu-midit dont elles taient enveloppes. Elles repre-naient alors leur premire voracit, et devenaient

  • (71)

    mme plus fortes et plus agiles quauparavant. Nanmoins, elles ne stationnaient pas long-temps dans le mme lieu, mais se dispersaient comme leurs mres, aprs avoir dpos leurs neufs. Comme elles se dirigeaient toujours du ct du nord, il y a quelquapparence quelles fi nissaient par sengloutir dans la mer ; telle est du moins lopinion des Arabes. Les sauterelles sales et frites se rapprochent du got des crevisses deau douce. Il tait permis aux Juifs den manger. On trouve dans le Com-mentaire de Ludolphe, sur lhistoire dthio-pie, une dissertation ingnieuse o il cherche prouver que les chelloouin, ou les cailles que les Isralites mangrent dans le dsert, ntaient quune espce de sauterelles ; mais le Psalmiste, qui les appelle de la volaille ayant ailes, contre-dit entirement cette opinion. Je ne pense pas non plus quon ait produit jusqu prsent une autorit assez irrcusable pour prouver que le mot grec acrides doive tre pris pour le fruit dun arbre, ou pour les sommits dune plante. Il y a plus dapparence quon a donn la sauterelle le nom dacris parce quelle se nourrit effecti-vement des sommits des herbages. Les acrides dont parle Aristote et dautres historiens sont les

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    sauterelles dont il est ici question. Les Septante ont toujours traduit arbah par le mme mot, et il est naturel de penser que les auteurs du Nou-veau-Testament lont compris dune manire semblable: Ainsi les acrides dont il est dit que saint Jean-Baptiste se nourrisait dans le dsert doivent aussi tre de lespce de ces mmes sauterelles; et si elles se montrent ordinaire-ment dans la Terre-Sainte lpoque o je les ai vues en Barbarie, on pourra savoir en quelle saison de lanne saint Jean commena sa mis-sion. Lackrab, ou le scorpion, dont les qualits per-nicieuses sont gnralement connues, tient, aprs les sauterelles, le premier rang parmi les insectes de la Barbarie. Il y en a de deux espces : les uns longs et minces, les autres ronds et gros; ils ont tous deux une queue six vertbres : je nen ai jamais vu qui en eussent sept, quoi quen disent quelques auteurs anciens. Ceux que lon trouve en-de du Mont Atlas ne sont pas fort dange-reux ; leur piqre ne cause quune lgre fi vre, et un peu de thriaque de Venise fait bientt cesser la douleur quelle produit. Mais les scorpions du Zab et de presque toutes les autres parties du Sahara sont non seulement plus gros et plus

  • (73)

    noirs, mais leur venin est aussi plus subtil et plus violent, et cause souvent la mort. La morsure du boula-kaz, espce de taren-tule du Sahara, nest pas moins dangereuse que celle de ce dernier scorpion; cest probablement le rhax, qulien place au nombre des animaux de ce pays. On compte quil meurt vingt ou trente personnes par anne de sa morsure, et de celle du laffag. Le moyen curatif en usage pour ces morsures est de cautriser la partie malade, ou dy faire une profonde incision, puis de couper toute la chair environnante. Quelquefois on met le bless jus-quau cou dans le sable brlant, ou dans une fosse chauffe de manire le faire transpirer abon-damment. Dans les cas peu graves, on se borne appliquer sur la blessure des cendres chaudes ou de la poudre dalgenna(1), avec deux ou trois tran-ches doignon, en forme de cataplasme. Je nai jamais ou dire quon se servit en pareil cas dhuile dolive, qui est cependant un spcifi que certain contre la morsure de la vipre, en ayant toutefois soin de la faire chauffer avant de sen frotter. Il ny a gure de poissons sur cette partie des_______________ (1) Cest notre trone. (Note du traducteur.)

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    ctes dAfrique qui naient t dcrits il y a long-temps par Rondelet, et quon ne trouve aussi sur la cte oppose de la Mditerrane, except le barbeau deau douce, qui est ferme et de bon got, et qui na que deux barbes la mchoire infrieure; et la petite perche de Capsa, qui a la gueule releve et les nageoires bigarres ; une grande plume de mer, et un petit polype de forme circulaire. Il y a quelques annes quune baleine de soixante pieds de long fut jete sous les murs dAlger, vnement qui fut regard comme un prodige, et que les Algriens considrrent comme le prsage de quelque grand malheur. Parmi les crustacs que lon trouve ici, je citerai dabord le homare, bien quil ny soit pas fort abondant; mais il nen est pas de mme des chevrettes et des langoustes, dune espce de crabe et des crevisses, que lon y pche en grande quantit. Les neufs marins ou oursins esculens sont trs communs dans ces parages ; mais les genres nen sont pas trs varis : je nen ai vu que de trois. La premire est une espce de pentaphilode dune grande beaut, mais qui nest daucun usage; les deux autres sont plus communes, et on en trouve sur tous les rochers.

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    La crote calcaire qui les enveloppe a cinq sutures, accompagnes de plusieurs rangs con-centriques de boutons, et chaque bouton a une pine ou lame mobile dun pouce de long dans lune de ces deux espces, et de deux dans lautre. La laite qui se trouve entre les sutures est la seule chose que lon mange de ces animaux ; elle est surtout fort estime dans le temps de la pleine lune ; on lassaisonne avec du poivre et du vinaigre. Les, ctes de Barbarie noffrent pas non plus une grande abondance de coquillages. Il est vrai que lon trouve sur le bord de la mer des dbris de quelques espces dcrites par plusieurs auteurs, mais cest en petit nombre. On avait autrefois Tunis beaucoup dhutres que lon y apportait du port de Bizerta ; mais on croit que les gran-des pluies qui eurent lieu dans ces parages il y a quelques annes, en adoucissant les eaux de la mer, ont contribu en diminuer le nombre. Il est vrai que lon en voit souvent qui sattachent la quille, non seulement des navires qui font le cabotage le long des ctes, mais mme de ceux qui ne font quun court sjour dans le port dAl-ger ; cependant, quelques recherches que lon ait faites, on na pas encore pu en dcouvrir runies en

  • (76)

    grand nombre. Il ny a gure ici de ptoncles, parce que les bancs de sable y sont rares; mais il existe partout beaucoup de moules de la mme espce que celles dAngleterre, si ce nest quel-les renferment presque toujours de petites crabes, comme il y en a aussi quelquefois dans les ntres. Si la solitanna, qui, au rapport de Varron, pouvait contenir environ vingt bouteilles, se trouvait encore dans ces mers, elle supplerait on ne peut mieux au manque de certains coquillages, et la raret de quelques autres.

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    CHAPITRE III.

    Des sciences, des arts, des manufactures, des murs,des usages et coutumes, de lhabillement, etc.

    Depuis plusieurs sicles les Mahomtans ont singulirement nglig les arts et les scien-ces, quoique une poque ils aient t presque les seuls peuples qui sappliquassent avec succs ltude de la philosophie, des mathmatiques et de la mdecine. La vie errante des Arabes, et la tyrannie avec laquelle les Turcs traitent les Maures, ne permettent ni aux uns ni aux autres de soccuper des sciences, que lon ne peut cul-tiver quen repos et en libert. Pour les Turcs, ils sont la plupart dun esprit si inquiet et si turbu-lent, si attachs leur commerce et aux soins de senrichir, quils ne sauraient avoir de got pour ltude. Ils mont mme souvent tmoign com-bien ils taient surpris de voir que les chrtiens pouvaient trouver quelque plaisir passer leur temps et dpenser leur argent dans des spcula-tions oiseuses qui ne leur apportaient aucun profi t. Les Maures et les Turcs envoient leurs enfans

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    mles lcole lge denviron six ans. L ils apprennent lire et crire. Ils ne se servent pas de papier pour crire, mais dune petite planche mince et carre, lgrement blanchie, et de dessus laquelle on peut facilement effacer les caractres que lon y a tracs. Lorsquils ont fait quelques progrs dans la connaissance du Coran, quon leur enseigne dabord, on les instruit ensuite avec soin de toutes les crmonies de leur reli-gion. Le salaire dun matre dcole est de 2 sous par semaine, par lve. Quand un enfant se fait remarquer par une aptitude particulire et par des progrs extraordinaires dans ses tudes, ses parens le vtissent magnifi quement, et le font monter sur un cheval richement harnach ; puis ses camarades le conduisent ainsi par les rues, en clbrant son triomphe par des exclamations. Les amis de la famille le comblent alors de pr-sens, et sempressent de fliciter le pre et la mre. Aprs quun enfant a pass trois ou quatre annes lcole, on lui fait apprendre un mtier, ou bien on lengage dans les troupes. Il y en a peu qui, dans ce dernier tat, noublient bientt tout ce quils ont appris, except cependant les sanjacktars ou enseignes de larme, et ceux qui sont employs la recette des tributs, et dans les

  • (79)

    bureaux de douane, attendu quils sont obligs de tenir des comptes. Le peu de gens qui ont le loisir de se livrer ltude ne lisent gure que le Coran, et quel-ques commentaires assez inintelligibles que lon en a faits. Tout le savoir de ces peuples se rduit aujourdhui un peu de gographie et quelques traits incohrens et fort insipides sur lhistoire moderne ; car tout ce que leurs auteurs disent des temps qui ont prcd la venue de Mahomet nest quun tissu de contes romanesques. Lorsque jarrivai Alger, je tchai de faire connaissance avec ceux des habitans qui pas-saient pour avoir quelque instruction. Mais il est trs diffi cile de se lier avec les Turcs et les Maures, tant cause de lloignement naturel quils ont pour les trangers, que du souverain mpris quils professent pour les chrtiens. Je parvins cependant mintroduire chez le pre-mier astronome de ltat, lequel tait charg, entre autres fonctions minentes, de rgler les heures de la prire. Mais je fus assez surpris de voir quil nentendait pas assez de trigonomtrie pour tracer un cadran solaire ; et que tout ce que lon sait Alger et Tunis, en fait de navigation, se rduit connatre les huit principaux rumbs

  • (80)

    de vent, et dresser grossirement une carte marine. La chimie, jadis la science favorite de ces peuples, na plus aujourdhui pour objet chez eux que la distillation de leau de rose. Je nai vu quun petit nombre de leurs tibibs ou mdecins qui connussent de nom Rasis, Averros, et autres anciens mdecins arabes. La traduction espagnole de Dioscoride est peu prs le seul livre quils lisent, encore samusent-ils plus en regarder les planches qu en mditer le texte. Le mdecin du dey, qui est en mme temps emim, ou prsident des autres mdecins, me demandait un jour si les chrtiens connaissaient le Bou-Kratt (cest ainsi que, par ignorance ou par affectation, il appelait Hippocrate), ajoutant quil tait le premier des hackiems ou mdecins arabes, et quil vivait un peu avant Avicenne. Daprs ce que je viens de dire de ltat des sciences et de linstruction publique dans ce pays, on ne doit gure sattendre ce quaucun art ou aucune science y soit porte un certain degr de perfection. Ce nest pas quils manquent de gens qui professent la mdecine, jouent de quelques intrumens, ou se livrent des professions qui sem-blent exiger quelque connaissance des sciences

  • (81)

    exactes ; mais tout ce quils font est purement par habitude et par routine, aids il est vrai dune mmoire trs heureuse et de beaucoup dintelligence. On ne peut donc attribuer aucune espce dincapacit naturelle le peu de progrs que les Turcs et les Maures font dans les sciences et la littrature, puisquil est certain quils sont au contraire dous de facults intel-lectuelles incontestables, et je crois que sils voulaient se livrer ltude, et quils y fussent encourags, ils ne manqueraient pas dy faire des progrs. Cependant, pour donner une ide du point o en sont aujourdhui les sciences et les arts en Barbarie, je ferai dabord remarquer que pour ce qui concerne la mdecine, on y manque abso-lument de bons mdecins, puisquil y a peu ou presque point de maladies dangereuses qui ne deviennent mortelles, ou du moins ne soient dune trs longue dure. Il est vrai que beaucoup de Mahomtans