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Hypertension artérielle du sujet noir Olivier Steichen * * Service d’hypertension artérielle, Hôpital européen Georges-Pompidou, 75651 Paris Cedex 15. [email protected] En ligne sur www.larevuedupraticien.fr diaporama animation images vidéo son Ce qui est nouveau La prévalence de l’hypertension artérielle augmente de façon préoccupante dans toutes les populations noires exposées au mode de vie urbain et occidental, notamment chez les femmes, où elle est fortement associée à l’obésité et au diabète. Sur le plan physiopathologique, il est possible que la néphro- angiosclérose soit liée à des anomalies rénales congénitales et responsables de l’hypertension artérielle de certains patients plutôt que sa conséquence. L’exposition à un mode de vie occidental est associée à une hypertension artérielle plus fréquente, plus précoce et plus compliquée chez les sujets noirs que chez les sujets blancs. Toutefois, ces différences sont sans conséquence particulière sur la prise en charge, si ce n’est une attention accrue au dépistage de l’hypertension et aux règles hygiénodiétiques. L a couleur noire de la peau est commune à de très nom- breux groupes ethniques d’Afrique ou d’ascendance afri- caine, chacun étant plus proprement défini par une origine géographique, une langue, des traditions et une histoire com- munes. En raison de cette diversité, la couleur noire de la peau est associée à des attributs culturels, sociaux, économiques, psychologiques et comportementaux variés. La couleur de la peau est un trait génétiquement déterminé, potentiellement associé à d’autres caractéristiques génétiques, mais les popula- tions noires d’origine africaine possèdent un capital génétique extrêmement diversifié. À tous points de vue, les groupes ethniques formant la popula- tion noire d’origine africaine sont donc peu comparables entre eux. En outre, le brassage des populations rend difficiles et dis- cutables la catégorisation de la couleur de la peau et la considé- ration de groupes ethniques cloisonnés. Malgré tout, il est clas- sique de considérer l’hypertension artérielle des sujets noirs d’origine africaine – vivant en Afrique, émigrés ou descendants d’émigrés en Amérique ou en Europe – comme une entité phy- siologiquement distincte, dont nous discuterons la réalité et la pertinence clinique. Épidémiologie La prévalence de l’hypertension artérielle est encore faible en Afrique subsaharienne rurale, mais s’approche en milieu urbain de celle observée dans les populations d’origine africaine vivant dans des pays à hauts revenus. 1 L’urbanisation, comme l’émi- gration dans les pays à hauts revenus, s’accompagne d’une ali- mentation plus grasse et plus salée, d’une vie plus sédentaire, d’une augmentation de la consommation d’alcool et de tabac. Ces changements hygiénodiététiques sont associés à une aug- mentation parallèle de la corpulence et du niveau de pression 654 654_rdp5_steichen:Mise en page 1 7/05/10 14:52 Page 654

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Hypertension artérielle du sujet noir

Olivier Steichen *

* Service d’hypertension artérielle, Hôpital européen Georges-Pompidou, 75651 Paris Cedex [email protected]

En ligne sur www.larevuedupraticien.fr

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Ce qui est nouveau

La prévalence de l’hypertension artérielle augmente de façonpréoccupante dans toutes les populations noires exposées aumode de vie urbain et occidental, notamment chez les femmes, où elle est fortement associée à l’obésité et au diabète.

Sur le plan physiopathologique, il est possible que la néphro-angiosclérose soit liée à des anomalies rénales congénitales et responsables de l’hypertension artérielle de certains patientsplutôt que sa conséquence.

L’exposition à un mode devie occidental est associéeà une hypertensionartérielle plus fréquente,plus précoce et pluscompliquée chez les sujetsnoirs que chez les sujetsblancs. Toutefois, cesdifférences sont sansconséquence particulièresur la prise en charge, si ce n’est une attentionaccrue au dépistage del’hypertension et aux règleshygiénodiétiques.

La couleur noire de la peau est commune à de très nom-breux groupes ethniques d’Afrique ou d’ascendance afri-caine, chacun étant plus proprement défini par une origine

géographique, une langue, des traditions et une histoire com-munes. En raison de cette diversité, la couleur noire de la peauest associée à des attributs culturels, sociaux, économiques,psychologiques et comportementaux variés. La couleur de lapeau est un trait génétiquement déterminé, potentiellementassocié à d’autres caractéristiques génétiques, mais les popula-tions noires d’origine africaine possèdent un capital génétiqueextrêmement diversifié.

À tous points de vue, les groupes ethniques formant la popula-tion noire d’origine africaine sont donc peu comparables entreeux. En outre, le brassage des populations rend difficiles et dis-cutables la catégorisation de la couleur de la peau et la considé-ration de groupes ethniques cloisonnés. Malgré tout, il est clas-sique de considérer l’hypertension artérielle des sujets noirsd’origine africaine – vivant en Afrique, émigrés ou descendantsd’émigrés en Amérique ou en Europe – comme une entité phy-siologiquement distincte, dont nous discuterons la réalité et lapertinence clinique.

Épidémiologie

La prévalence de l’hypertension artérielle est encore faible enAfrique subsaharienne rurale, mais s’approche en milieu urbainde celle observée dans les populations d’origine africaine vivantdans des pays à hauts revenus.1 L’urbanisation, comme l’émi-gration dans les pays à hauts revenus, s’accompagne d’une ali-mentation plus grasse et plus salée, d’une vie plus sédentaire,d’une augmentation de la consommation d’alcool et de tabac.Ces changements hygiénodiététiques sont associés à une aug-mentation parallèle de la corpulence et du niveau de pression

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artérielle (fig. 1).1 Des obstacles économiques et organisationnelssont responsables du dépistage insuffisant et de la prise encharge peu intensive et tardive des hypertendus en Afrique sub-saharienne, souvent au stade des complications.

Les données épidémiologiques concernant l’hypertensionartérielle des sujets noirs vivant dans des pays à hauts revenusproviennent essentiellement des États-Unis et du Royaume-Uni.2, 3 L’hypertension y est plus fréquente chez les sujets noirsque chez les sujets blancs (fig. 2), plus précoce, plus sévère etplus souvent associée à d’autres facteurs de risque, notammentsurpoids et diabète chez les femmes. Les différences de morbi-mortalité cardiovasculaire et rénale sont particulièrement mar-quées chez les moins de 65 ans. Les décès de cause cérébro-vasculaire sont augmentés de 80 % chez les Noirs américains.Cet excès de risque semble complètement attribuable à la diffé-rence de prévalence et de sévérité de l’hypertension artérielle.L’hypertension artérielle contribue également à une mortalité parcause cardiaque augmentée de 50 % dans la population noire.L’hypertrophie ventriculaire gauche est deux fois plus fréquentechez les hypertendus noirs américains, même après ajustementsur le niveau de pression artérielle, suggérant une susceptibilitémyocardique particulière. Le risque d’insuffisance rénale termi-nale est 4 fois plus important chez les Noirs américains que chezles Blancs, mais le lien avec l’hypertension artérielle n’est pasunivoque (v. encadré).

Peu de données sont disponibles sur les hypertendus noirsvivant en France. La comparaison d’un groupe de salariés antil-lais à un groupe de salariés métropolitains trouve une hyperten-sion artérielle plus fréquente aux Antilles, essentiellement dans lapopulation féminine où elle est associée à une plus forte préva-lence de l’obésité.4 Cette différence pourrait participer au surcroîtde morbimortalité cérébrovasculaire et rénale observé auxAntilles par rapport à la France métropolitaine. La comparaisondes hypertendus d’origine subsaharienne aux hypertendus d’ori-gine européenne vus dans notre service a montré que l’hyperten-sion artérielle était plus sévère chez les Africains, associée à uneforte prévalence de l’obésité et du diabète chez les femmes, plussouvent compliquée d’accident vasculaire cérébral et d’hyper-trophie ventriculaire gauche dans les deux sexes.5

Physiopathologie

Les différences observées entre milieu urbain et milieu rural enAfrique, et entre Noirs et Blancs en Amérique, évoquent une sus-ceptibilité particulière à des conditions de vie favorisant l’obésité,l’hypertension artérielle et le diabète : éclatement de la structurefamiliale traditionnelle, discrimination ethnique, bas niveaud’éducation, stress professionnel, difficultés de recours auxsoins, promiscuité, sédentarité, alimentation « occidentale » car-

née et salée, alcool, tabac. Des mécanismes physiologiques ontété proposés pour rendre compte de la fréquence de l’hyperten-sion artérielle chez les sujets noirs exposés à ces facteurs derisque. Certains sont relatifs à la sensibilité au sel (rôle du sys-tème rénine-angiotensine-aldostérone, du canal sodium épithé-lial, du capital néphronique), d’autres au déséquilibre de labalance entre les systèmes vasoconstricteurs (rôle de l’endo -

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Prévalence de l’hypertension artérielle dans 7 populationsoriginaires d’Afrique de l’Ouest en fonction de l’indice de masse corporellemoyen (données 1991-1995). HTA : hypertension artérielle.D’après la réf. 1.

FIGURE 1

Évolution de la prévalence de l’hypertension (> 140/90 mmHg)chez les adultes (> 20 ans) américains dans les 20 dernières années.HTA : hypertension artérielle. D’après Health, United States, 2008(http://www.cdc.gov/nchs/hus.htm).

FIGURE 2

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Hommes américains blancs Femmes américaines blanchesHommes américains noirs Femmes américaines noires

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MonographieHYPERTENSION ARTÉRIELLE HYPERTENSION ARTÉRIELLE DU SUJET NOIRRR

théline 1, de la noradrénaline) et vasodilatateurs (rôle de la kalli-kréine, du monoxyde d’azote, des récepteurs bêta-2-adré -nergiques). En dehors des théories néphroniques (v. encadré),peu d’hypothèses physiologiques ont contribué à une représen-tation cohérente et validée des particularités de l’hypertensionartérielle du sujet noir ou à une amélioration de sa prise en chargeclinique.

Par ailleurs, la différence de pression artérielle observée le jourentre les sujets noirs et les sujets blancs semble encore se creu-ser la nuit, les sujets noirs ayant une moindre diminution de lapression artérielle durant le sommeil. La pression artérielle mesu-rée le jour chez les hypertendus noirs sous-estime la différenceréelle de pression artérielle avec les hypertendus blancs, ce quiexplique peut-être en partie pourquoi elle ne rend pas complète-ment compte de l’excès de retentissement sur les organes cibles.

Prise en charge clinique

La prise en charge des hypertendus noirs a fait l’objet derecommandations spécifiques pour les pays à faibles revenus.6

En pratique, les moyens limités font porter les efforts vers ledépistage et le traitement des patients les plus à risque (hyper-tension artérielle sévère ou prévention secondaire). Nous nousplacerons ici dans le cadre privilégié des pays à hauts revenus.7

Évaluation du retentissement et des facteurs de risque associés

La fréquence de l’atteinte rénale justifie la recherche systé-matique d’une microalbuminurie chez le patient hypertendunoir. Les formules d’estimation du débit de filtration gloméru-laire à partir de la créatininémie (Cockcroft, MDRD [modifica-tion of diet in renal disease]) ont un facteur de correction cali-bré chez les Noirs américains et conduisent probablement àune surestimation du débit de filtration glomérulaire chez lesAfricains.

L’électrocardiogramme est plus sensible, mais moins spéci-fique pour le dépistage de l’hypertrophie ventriculaire gauchechez l’hypertendu noir que chez le blanc. Compte tenu de l’im-portance pronostique de cette hypertrophie et de sa fréquencechez l’hypertendu noir, il est raisonnable de réaliser une échogra-phie cardiaque pour confirmer les hypertrophies ventriculairesgauches électriques et pour rechercher une hypertrophie ventri-culaire gauche en cas de point d’appel clinique même si l’électro-cardiogramme est normal.

L’inventaire des facteurs de risque associés à l’hypertensionartérielle, en particulier l’obésité abdominale, le diabète et letabagisme, doit être systématique pour évaluer le risque cardio-vasculaire absolu, malgré l’absence d’équation spécifique pourles patients hypertendus noirs vivant en France.

La néphroangiosclérose est considéréecomme la première cause d’insuffisancerénale terminale chez les Noirs américains,

habituellement sans confirmation histologique.Elle est diagnostiquée devant une insuffisancerénale d’aggravation progressive, avec unsédiment urinaire inactif et une protéinuriemodérée, associée à une hypertension sévèrecompliquée de rétinopathie et d’hypertrophieventriculaire gauche. L’hypertension artérielle est tenue pourresponsable de la néphroangiosclérose, malgrédes éléments discordants avec cette hypothèse.1

Tout d’abord, la dégradation de la fonction rénaleau cours du temps est minime dans les grandescohortes d’hypertendus. Par ailleurs,l’augmentation de prévalence de lanéphroangiosclérose dépasse chez les Noirsaméricains ce que la prévalence et la sévérité de

l’hypertension artérielle font attendre, etl’incidence continue à augmenter alors que celledes complications cardiaques etcérébrovasculaires diminue. En outre, la sévéritédes lésions histologiques est mal corrélée avec leniveau de pression artérielle. Enfin, les bloqueursdu système rénine-angiotensine-aldostérone sontsupérieurs aux inhibiteurs calciques et auxbêtabloquants pour ralentir la progression del’insuffisance rénale dans la néphroangiosclérose,mais ils ne l’empêchent pas, même avec uncontrôle tensionnel strict en mesure clinique. Deux données modifient notre vision de lanéphroangiosclérose chez les Noirs américains.Premièrement, le petit poids de naissance (< 2,5 kg), deux fois plus fréquent chez les Noirsaméricains que dans les autres groupesethniques aux États-Unis, est associé à uneréduction du nombre de néphrons à la naissance

et à un risque d’hypertension artérielle et dedégradation de la fonction rénale au cours de lavie.2 Deuxièmement, des mutations du gène dela chaîne lourde de la myosine IIa podocytaire(MYH9), présentes chez 60 % des Noirsaméricains et seulement 4 % des Blancs,expliqueraient 70 % de l’excès de néphropathiechronique non diabétique observé chez les Noirs,notamment de néphropathie dite hypertensive.3

Ces données suggèrent que des anomaliesrénales congénitales pourraient être la cause etnon la conséquence de l’hypertension artériellechez un grand nombre de Noirs américains.•

RÉFÉRENCES1. Freedman BI, Sedor JR. Hypertension-associated kidney

disease: perhaps no more. J Am Soc Nephrol

2008;19:2047-51.

2. Lackland DT, Barker DJ. Birth weight: a predictive

medicine consideration for the disparities in CKD. Am J

Kidney Dis 2009;54:191-3.

3. Freedman BI, Hicks PJ, Bostrom MA, et al.Polymorphisms in the non-muscle myosin heavy chain 9

gene (MYH9) are strongly associated with end-stage renal

disease historically attributed to hypertension in African

Americans. Kidney Int 2009;75:736-45.

La néphropathie dite hypertensivedes Noirs américains

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américains.10 Cependant, les patients noirs bénéficient, au mêmetitre que les blancs, des IEC dans leurs indications préférentielles(néphropathies chroniques, insuffisance cardiaque); de même pourles bêtabloquants (postinfarctus, insuffisance cardiaque).

Les hypertendus noirs ont un risque 3 fois plus élevé que lesblancs d’angio-œdème sous IEC, mais le risque absolu reste fai-ble (autour de 1 %, surtout dans les 3 premiers mois du traite-ment, habituellement sans gravité si l’arrêt du traitement estrapide). Les patients doivent savoir interrompre le traitement encas de gonflement de la langue ou des lèvres.

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Modifications hygiénodiététiques

Des études menées chez les hypertendus noirs américains ontmontré un effet hypotenseur marqué de la réduction des apportsen sel (< 6 g/j), de l’augmentation des apports de potassium (fruitset légumes), de la diminution des graisses animales (viande rougeet produits laitiers non écrémés) et des sucres rapides (confise-ries, sodas). Cependant, les modifications alimentaires sont diffi-ciles à maintenir à long terme en dehors du cadre privilégié desétudes cliniques. L’exercice physique (30 minutes/j d’intensitémodérée) et la modération de la consommation alcoolique (� 1verre/j pour les femmes, et 2 verres/j pour les hommes) profitent àtous les hypertendus. La réduction pondérale (– 5 à 10 % dupoids du corps) est bénéfique chez les patients en surpoids.

Traitement pharmacologique de l’hypertensionartérielle

Les médicaments qui freinent le système rénine-angiotensine-aldostérone – inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angio-tensine (IEC), sartans et bêtabloquants – sont réputés peu effi-caces chez les hypertendus noirs. En effet, ces médicaments,prescrits en monothérapie et à une dose donnée, font enmoyenne moins baisser la pression artérielle chez les hyperten-dus américains noirs que chez les blancs, les deux populationsétant par ailleurs peu comparables. Chaque point en italiquelimite la portée clinique des différences observées.

Tout d’abord, les études les plus probantes ont été conduitesaux États-Unis, et rien ne garantit l’applicabilité des résultats auxhypertendus noirs d’autres pays. D’autre part, la couleur noire dela peau est associée à une distribution particulière de nombreusesautres variables importantes. Certaines de ces variables sontmieux définies et aussi facilement accessibles que la couleur de lapeau. Dans une étude thérapeutique américaine, la diminutionmoyenne de pression artérielle systolique sous IEC était moinsimportante de 4,7 mmHg chez les hypertendus noirs que chez lesblancs.8 Après ajustement sur les caractéristiques de base desmalades (sexe, âge, niveau d’éducation, corpulence, diabète,fonction rénale, pression artérielle initiale, dose d’IEC dispensée),cette différence était réduite à 2,3 mmHg. La même étude a mon-tré que la différence moyenne entre les deux groupes était large-ment noyée dans la variabilité interindividuelle au sein de chaquegroupe (fig. 3). La couleur de la peau ne peut donc pas être utiliséepour prédire l’effet d’un traitement à l’échelon individuel.

De plus, l’effet antihypertenseur des substances qui freinent lesystème rénine-angiotensine-aldostérone peut être fortementmajoré chez les hypertendus noirs par l’adjonction d’un traite-ment qui stimule ce système (diurétique thiazidique ou inhibiteurcalcique). En effet, l’association de traitements des deux groupesa un effet synergique chez l’hypertendu noir alors qu’il est sim-plement additif chez l’hypertendu blanc (fig. 4).9

En termes de morbimortalité cardiovasculaire, l’étude Allhat amontré que les plurithérapies comportant un IEC sans diurétique niinhibiteur calcique ne sont pas optimales chez les hypertendus noirs

Distribution de la diminution de pression artérielle systolique sousIEC (quinapril) chez des hypertendus américains noirs (n = 533) ou blancs(n = 2 046). La zone grisée correspond au chevauchement entre les deuxdistributions, qui est de 87 %. IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion del’angiotensine ; PAS : pression artérielle systolique. D’après la réf. 8.

FIGURE 3

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Diminution de PAS (mmHg)Hypertendus américains blancsHypertendus américains noirs

Δ PAS = 10,6 ± 13,4 Δ PAS = 15,3 ± 12,2

Diminution moyenne de pression artérielle systolique sousbêtabloquant (aténolol), diurétique (hydrochlorothiazide) ou leur combinaisonchez des hypertendus américains noirs (n = 80) ou blancs (n = 101).La barre bicolore correspond à la somme des effets observés enmonothérapie. Chez les hypertendus noirs, l’effet observé en bithérapie estsignificativement supérieur à cet effet additif (synergie). HCTZ :hydrocholothiazide ; PAS : pression artérielle systolique. D’après la réf. 9.

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Monothérapie aténolol Somme des effets en monothérapieMonothérapie HCTZ Effet observé en bithérapie

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Suivi des patients

Il est possible de faire baisser la pression artérielle sous 140/90mmHg chez la plupart des patients hypertendus noirs,même avec une altération de la fonction rénale ou un surpoids,pourtant causes de résistance au traitement. Cependant, un cer-tain nombre de patients mal contrôlés ne sont pas identifiés enmesure clinique, notamment à cause de l’hypertension artériellenocturne. La réalisation d’une mesure ambulatoire de pressionartérielle permet d’identifier ces patients parmi ceux qui sont toutjuste contrôlés en mesure clinique ou qui ont un retentissementsur les organes cibles. Il n’y a pas lieu d’avoir un objectif tension-nel plus bas chez les hypertendus noirs, sauf s’ils souffrent d’unenéphropathie chronique, d’un diabète ou sont en situation deprévention secondaire. Une association d’antihypertenseurs estgénéralement nécessaire, potentialisée par le respect des règleshygiénodiététiques. Le retentissement sur les organes cibles doitêtre évalué régulièrement (microalbuminurie, créatininémie, élec-trocardiogramme), surtout si l’équilibre tensionnel est imparfait.Le patient doit être adressé à un centre spécialisé pour recher-cher une cause spécifique et optimiser le traitement si l’hyperten-sion a débuté avant 30 ans, si elle est sévère d’emblée, résis-tante, associée à une hypokaliémie ou compliquée d’unretentissement sur les organes cibles.

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MonographieHYPERTENSION ARTÉRIELLE HYPERTENSION ARTÉRIELLE DU SUJET NOIRRR

La drépanocytose homozygote SS représenteenviron 2 tiers des syndromesdrépanocytaires majeurs en France, à côté

des hétérozygotes composites SC et S/bêta-thalassémiques. Il s’agit de la maladiemonogénique la plus fréquente dans le monde. Unecascade d’événements hématovasculaires suit lapolymérisation de l’hémoglobine anormale S enmilieu désoxygéné et entraîne des complicationsviscérales multiples. L’atteinte rénale, fréquente,a des similitudes avec la néphropathiediabétique : elle débute par une hyperfiltration

glomérulaire et son histoire naturelle conduit dela micro- à la macro-albuminurie, puis àl’insuffisance rénale.La pression artérielle est significativement plusbasse chez les drépanocytaires homozygotes SSque dans la population générale, mais plusélevée que dans les autres anémieshémolytiques chroniques comme la bêta-thalassémie.1 Par ailleurs, des pressionsartérielles considérées normales hautes dans lapopulation générale sont fréquemment associéesaux complications viscérales chez lesdrépanocytaires homozygotes SS : néphropathieavant tout mais aussi hypertrophie ventriculairegauche, hypertension artérielle pulmonaire etaccidents vasculaires cérébraux. Une pressionartérielle systolique supérieure au 90e percentile,correspondant par exemple à 130 mmHg chez unhomme drépanocytaire de 30 ans, est même

corrélée à la mortalité toutes causesconfondues.2

Il a donc été proposé de définir un statutd’hypertension artérielle relative chez lesdrépanocytaires homozygotes.1, 2 Une pressionartérielle supérieure à 120/70 mmHg doit fairerechercher une néphropathie et envisager untraitement antihypertenseur, au premier rangdesquels les IEC et sartans.3 Les diurétiques sontà éviter, car la déshydratation favorise lasurvenue des crises vaso-occlusives. •

RÉFÉRENCES1. Rodgers GP, Walker EC, Podgor MJ. Is “relative”

hypertension a risk factor for vaso-occlusive complications

in sickle cell disease? Am J Med Sci 1993;305:150-6.

2. Pegelow CH, Colangelo L, Steinberg M, et al. Natural

history of blood pressure in sickle cell disease: risks for

stroke and death associated with relative hypertension in

sickle cell anemia. Am J Med 1997;102:171-7.

3. Lionnet F, Arlet JB, Bartolucci P, et al. Recommandations

pratiques de prise en charge de la drépanocytose de

l’adulte. Rev Med Intern 2009;30:S162-223.

L’hypertension artérielle relative des drépanocytaires homozygotesFrançois Lionnet*, Olivier Steichen**

* Centre de référence pour la drépanocytose,service de médecine interne, hôpital Tenon, Paris.

** Service d’hypertension artérielle, Hôpital européenGeorges-Pompidou, 75651 Paris Cedex [email protected]

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêtsconcernant les données publiées dans cet article.

POUR LA PRATIQUE

RR La prise en charge clinique de l’hypertension artérielle du sujet noir a peu de spécificités.

RR Une attention particulière doit être portée aux erreurshygiénodiététiques, aux cofacteurs de risque et auretentissement sur les organes cibles.

RR Les plurithérapies sont souvent nécessaires pour contrôlerl’hypertension et doivent comporter un diurétique et/ou uninhibiteur calcique.

RR Il n’y a pas de raison de surseoir aux bêtabloquants, aux IEC et aux sartans, notamment dans leurs indicationspréférentielles.

RR Un contrôle tensionnel strict peut être obtenu avec untraitement adapté ; le recours à un spécialiste doit êtreenvisagé en cas d’hypertension artérielle résistante, sévère ou associée à un retentissement sur les organes cibles.

RR Les drépanocytaires doivent être considérés commehypertendus dès 120/70 mmHg et traités préférentiellementavec des IEC.

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L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts.

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Conclusion

Prises en charge dans le même environnement, l’hypertensionartérielle du sujet noir et celle du sujet blanc comportent plus desimilitudes que de différences. La portée des différences rési-duelles est faible en pratique clinique. Le praticien, qui s’intéresseà des individus singuliers, ne doit pas s’arrêter à des catégorisa-tions générales qui cachent une grande variabilité interindivi-duelle. La personnalisation de la prise en charge d’un hypertendusuppose l’évaluation intégrée des facteurs de risque cardiovas-culaires associés, du retentissement sur les organes cibles, de lacomorbidité, du mode de vie et de la représentation de la mala-die. La couleur de la peau apporte peu d’information supplémen-taire utile à ce titre. •

SUMMARY Hypertension in black patientsBlack skin is a common feature of many ethnic groups living in Africa, or originating from Africaand living in America or Europe. Despite this variety, hypertension in blacks is assumed to haveseveral common epidemiological, physiological and clinical characteristics. However, on theepidemiological level, the increase of hypertension prevalence and its association with obesityand diabetes are linked with the detrimental effect of an urbanized and westernizedenvironment. Most physiological theories are unsophisticated and have no useful consequenceat the individual level. The care of black hypertensive patients is therefore quite standard andinvolves the integration of associated risk factors, target-organ damage and compellingconditions, as well as lifestyle and illness representation.

RÉSUMÉ Hypertension artérielle du sujet noirLa couleur noire de la peau est un attribut commun à de nombreux groupes ethniques vivanten Afrique ou d’ascendance africaine et vivant en Amérique et en Europe. Malgré cettediversité, il est classique de considérer que l’hypertension de la population noire a descaractéristiques épidémiologiques, physiopathologiques et cliniques communes. En réalité, lestraits épidémiologiques saillants (augmentation de prévalence de l’hypertension, association àl’obésité et au diabète) sont largement dépendants de l’effet délétère d’un environnementurbanisé et occidentalisé. La plupart des explications physiopathologiques sont grossières etn’ont pas de conséquence clinique exploitable en clinique à l’échelon individuel. La prise encharge de l’hypertendu noir est donc tout à fait classique et repose sur l’évaluation intégrée desfacteurs de risque cardiovasculaires associés, du retentissement sur les organes cibles, de lacomorbidité, du mode de vie et de la représentation de la maladie.

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