UNIVERSITÉ DU QUÉBEC MÉMOIRE PRÉSENTÉ À L'UNIVERSITÉ...

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC MÉMOIRE PRÉSENTÉ À L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN ÉTUDES QUÉBÉCOISES PAR NATHALIE RICARD RISQUE, DROIT ET SOCIÉTÉ: LES ENQUÊTES DU CORONER DU DISTRICT JUDICIAIRE DE TROIS-RIVIÈRES, 1850-1950 DÉCEMBRE 2013

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC

MÉMOIRE PRÉSENTÉ À L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES

COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN ÉTUDES QUÉBÉCOISES

PAR NATHALIE RICARD

RISQUE, DROIT ET SOCIÉTÉ: LES ENQUÊTES DU CORONER DU DISTRICT JUDICIAIRE DE TROIS-RIVIÈRES, 1850-1950

DÉCEMBRE 2013

Université du Québec à Trois-Rivières

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RÉSUMÉ

Notre étude porte sur les enquêtes du coroner du district judiciaire de Trois­

Rivières menées entre 1850 et 1950. À l'époque , le coroner est chargé d'enquêter en cas

de mort violente ou soudaine et de produire un rapport sur les circonstances et les causes

de décès , en plus d'identifier les individus qu'il croit criminellement responsables. Les

travaux en histoire de la justice criminelle se sont principalement intéressés jusqu'à

présent à la formation et à la mise en place des corps policiers de même qu 'à certains

officiers de justice , comme les juges de paix, oeuvrant au sein des échelons inférieurs de

l'appareil judiciaire. Or, peu d'études ont été consacrées spécifiquement au coroner et à

son travail concret en tant qu'officier de justice .

Notre problématique de recherche comporte deux volets. D'une part , en quoi les

enquêtes des coroners sont-elles symptomatiques de la précarité et des risques sociaux

qui guettent la population de l'époque? D 'autre part, en quoi le travail des coroners est-il

révélateur des modifications que subit le système de justice et des rapports

qu 'entretiennent droit et société?

À partir des verdicts d'enquête du coroner, le premier chapitre dresse un portrait

détaillé des types de décès. Une typologie des causes de décès a été élaborée en étudiant

leur nature et leur récurrence. S'ensuit une analyse de leur évolution mise en rapport

11

avec les grandes transformations socioéconomiques qui marquent la période étudiée .

Nous présentons ensuite le profil des victimes en fonction de la cause de décès. Le

second chapitre examine en détail, sur le plan qualitatif, les diverses circonstances de

décès telles que rapportées dans les témoignages.

Le troisième chapitre s'intéresse à la place qu'occupe le coroner au sein de

l'appareil judiciaire . L'évolution de la législation sur les coroners , l'apparition des

procédures sommaires et les changements relatifs à l'environnement matériel et

institutionnel de leurs enquêtes sont considérés. L'examen de son pouvoir

discrétionnaire, de son implication dans le système de justice criminelle et de son

pouvoir de recommandation permet aussi de comprendre' son rôle particulier de

régulation sociale. Le dernier chapitre se consacre aux différents acteurs qui participent

aux enquêtes du coroner. Nous y mettons à contribution le concept d'internormativités et

une approche du droit vu « par le bas ». La participation à plusieurs titres des gens

ordinaires reçoit une attention particulière. L'influence des acteurs bénéficiant d'un

certain pouvoir (médecin, agent de police , avocat, procureur général et curé) et qui

interviennent à différentes étapes du processus d'enquête est en outre examinée.

REMERCIEMENTS

Tout d'abord , je tiens à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines

du Canada et le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture qui ont

contribué généreusement , par les bourses qu'ils m'ont octroyées, à la réalisation de cette

recherche.

Merci également à mon directeur de recherche , M . Thierry Nootens , qui m'a

transmis sa passion pour l'histoire du droit et de la justice et sans qui ce mémoire n'aurait

jamais vu le jour. Ses judicieux commentaires , sa confiance, son écoute et sa

disponibilité m'ont été d'un grand soutien.

Je remercie aussi Jean-François Hardy et Tomy Grenier, du Centre

interuniversitaire d'études québécoises, qui m'ont offert leur aide et leur temps pour tout

ce qui a trait à l'aspect plus technique lié à ma démarche. De même, je tiens à remercier

les membres du personnel du Centre d'archives de la Mauricie et du Centre-du-Québec

de Bibliothèque et Archives nationales du Québec qui m'ont épaulée dans mes

recherches tout au long de mon parcours.

IV

Merci à Mélanie, Karolann, Marie-Michèle et Mathieu pour leur amitié. Leur

écoute et leur appui me sont très précieux. Les moments de détente passés en leur

compagnie m'ont été extrêmement bénéfiques.

Enfin, un merci tout spécial à mes parents , France et Pierre , pour leurs

encouragements, leurs conseils et le soutien indéfectible qu'ils m'ont offert durant mes

études. Leur amour inconditionnel, leur présence et leur immense générosité m'ont

donné confiance et m'ont permis de me dépasser et d'atteindre mes objectifs. Merci enfin

à mon frère, Maxime, que j'aime tant pour son aide et son support ainsi que pour tous les

éclats de rire partagés ensemble qui me font tellement de bien.

TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ............................. .... ... .................................. ....... ... ...... ... .................... ......... ..... .i

REMERCIEMENTS ......... ....... .......... .. ..... .............. ....................................................... iii

TABLE DES MATIÈRES ........................... ............... .................. ....... ... ............ ...... .. ..... v

LISTE DES TABLEAUX .. .................. .. ........................ .... .. ........ ................................ viii

LI~TE DES FIGURES ... .................................... ...... ...................................... .. .... ........ .. ix

INTRODUCTION .................................................... ...................... ... .... ............... ...... .. .... 1

Bilan de la production scientifique ...... .............. .. .... .. ................................................. 3

Les études sur le coroner ... ... .. ...... .. .... ............... ........ ....... ........... ...... .... .. ... .. .............. 3 La perspective d 'histoire du risque ............................ .... .... ...... .. .. .................. .... ...... 10 Intemormativités , droit et régulation sociale .... .......... ............ .... ...... .. .. ............ ....... 13

Les questions de recherche .... .... .... ...................... .............. ......... ........ .. .. ... .... .... ........ 17

Les sources ........ .... ...... ..... .................... ...................... ..... ...... .... .... ....... ............ ..... .. .. .. 19

La méthodologie .... .............. ............ .. .. ..................... ......... ...... ...... .. .. ...... .............. ... .. 23

La collecte des données ........ ......................... ........................................................... 23 L'analyse des données ...... .......................... .. ............................................................ 24

Plan de l'étude ... ........ ......... ...... ............ ... ......................... .... ...................................... 26

CHAPITRE 1- UNE POPULATION EXPOSÉE À DES RISQUES MORTELS

......... ... ........ .... ... ..... ... .. ..... ....... ................. .. ...... ........... .. ..... .............................................. 29

1.1. Les causes de décès ........................... ................. .................................................. 31

1.1.1. Les morts accidentelles ...... ...................... .. ...... .. .... .... .. .............................. .... 33 1.1.2. Les maladies .......... .. ................ ........... ....... ...... ....... .... ... ... ............ ................ .. 40

vi

1.1.3. Les décès de cause inconnue .... ........... ........ .. .... ... .... .................. ........ .......... . .46 1.1.4. Les lésions auto-infligées ....... ..... ............. ... ................. ...... .... ............ ... ..... ... .47 1.1.5. Les autres causes de décès ....................... ....... ........... .. ........ ...... .... ........ ... .. .. .49 1.1.6. Les morts par acte criminel ..... .... ......... ... ............... ....... .. ......... ........ ........ ...... 50

1.2. L'évolution des causes de décès .. ... ....... ....... ... .. .... .. ... ... ...... .. ...... ... .... ..... ..... ... .... 50

1.3. Un portrait des victimes ... ....... ...... ...... .. ... .. .... ... .. ....... ... ............. .... .......... ....... .... 64

Conclusion ... ..... ............... ........ ..... ..... ...... .......... .. .... ......... ... ............. ..... .. ....... ..... ... .. ... 74

CHAPITRE 2 - LES CIRCONSTANCES DES DÉCÈS ET LES CONTEXTES

FAVORABLES À LA PRÉCARITÉ ........... ...... .. ......... .......... ........... ..... .. ...... .. ......... .. 76

2.1. Les morts accidentelles .. ...... .... .. ................. .... ........................... ... .... ...... .. .......... 79

2.1.1 . Les accidents liés aux transports .. ......... ................... ................. ......... ..... ... .... 81 2.1.2. Les accidents de travail .......... ........... ... .. ...... .. ... .... ..... .. .. ..... ......... ........... .. .. .. . 87 2.1 .3. Les accidents survenus dans le cadre de loisirs .... ..... .... .......... .. ... ......... ...... .. 94 2.1.4. Les accidents domestiques et ceux liés à la propriété et à son usage ... .... ..... . 98

2.2. Les morts naturelles ....... ........ .. ... ..... .... ... ..... ......... ..... ............... .... .......... .... ... .. . l 04

2.2.1. Maladie, présence et longévité des symptômes ........ ..... ... ... .. ........... ......... .. 104 2.2.2. Mortalité infantile et facteurs de risque ....... ... .. ...... .. .. ............ ........ ........ .... . 110

2.3. Les morts par suicide ......... .. ... ......... ..... ...... ...... ........... ..... ... ... ......... ... ... .. ..... .. .. 114

2.4. Les morts par acte crimineL ... .... ............ ........... .......... ........ ........... ..... ......... ... 118

Conclusion ...... ........ ....... .............. .. ... .... .... ..... ...... ............. .. ......... .... ....... ... .... ... .. ... .... 124

CHAPITRE 3 - CÔTOYER ET ÉLUCIDER LA MORT : LE CORONER,

ACTEUR DE LA RÉGULATION SOCIALE .. ........... ....... ... ... ... .... .. .. .... ... .... ..... ..... 129

3.1. Les transformations du système judiciaire: modifications du rôle du coroner

au sein de l'appareil de justice ................... .. ..... .. .......... .... ...... ... ... .. .... .. ...... ... ..... .... 132

3.1.1. La législation et la standardisation des procédures ... .. ...... ..... .. .. ..... .. ........... 133 3.1 .2. L'utilisation croissante des procédures sommaires .......... .... .. .. ..... .. .... ....... .. 139 3.1.3.. Le développement de l'expertise médico-légale et les transformations de l'environnement matériel et institutionnel des enquêtes .. ................... .............. ..... 145

vu

3.2. Le coroner: acteur de la régulation sociale .. .. ...... ... ................. ...................... 151

3.2.1. Le pouvoir et la justice discrétionnaires du coroner .................... ........ ........ 152 3.2.2. Le coroner: son rôle dans les procès criminels .. ................ .. ............ ........... 160 3.2.3. Normes, recommandations et prise en charge étatique des risques .. .... ...... . 164

Conclusion .. .... .... ....... ............................................................ ... ............ ..................... 169

CHAPITRE 4 - L'INSTITUTION DU CORONER : UNE INTERFACE DES

RAPPORTS ENTRE DROIT ET SOCIÉTÉ .......... .... .... .. .. .... .. .......... ................ .... .. 174

4.1. Le coroner: un personnage en amont du système judiciaire .. ........ .............. 176

4.2. Les acteurs sociaux ordinaires ................................ .... .... .. ............ ...... ............ . 184

4 .2 .1. Les témoins ........... ............ ....... ............. ...................... .......... ....................... 185 4.2.2. Les jurés ........................ .................................. ............ ....... ........................... 190 4.2.3. Les proches des défunts .................. .................. .... .. ...... .... ................ .. ......... 203

4.3. Les acteurs en position de pouvoir ................ .... ................ .. ............................ 206

4.3.1. Le médecin et le médecin légiste .............. ...................................... ............ . 207 4.3.2. Les autres acteurs en position de pouvoir .......... .... .. .. ............ ............ .. ........ 220

Conclusion .......... ...... ... ...... ..................................... ......... .. .... ... .. ...... ..... ........ ....... ..... 230

CONCLUSION ............ ... ... ......... .......... .. ....... ................. .. ........ .......................... ..... ..... 235

BIBLIOGRAPHIE .... ......... ........... ... .... .............. .. ... .. ... ................ .. ... .. ......... ....... ...... ... 246

LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Répartition des verdicts d'enquêtes du coroner en fonction des causes

de décès, 1850-1950 ...... .. ....... ........ .. ..... ........... .. .. .... ...... : .... .... .... ....... ...... .. ....... ..... . 32

Tableau 2 : Répartition des verdicts de noyade accidentelle en fonction de la cause

de la noyade, 1850-1950 .. .. ...... ..................... ........ ............... .. ..... ...... ....... ... .... ..... .. . 34

Tableau 3 : Répartition du nombre de défunts par année en fonction de la cause du

décès , 1850-1950 .................... ..... .... ............................................... .... ..... ......... ....... 52

Tableau 4: Répartition par année du nombre de défunts victimes d'un décès

accidentel en fonction du type d 'accident, 1850-1950 ......................................... 54

Tableau 5 : Répartition par année des causes de décès médicales en fonction du

type de maladie, 1850-1950 ... .................................. .................... ........... ................ 61

Tableau 6: Répartition des décès accidentels en fonction de l'âge et du sexe des

défunts , 1850-1950 ............................... .. ......... ...... .... .... ..... ...... ............... .. .............. 66

Tableau 7: Répartition des décès de cause médicale en fonction de l'âge et du sexe

des défunts, 1850-1950 .................................... ... ....... ............ ... ... ... .... ... ...... .. ..... .... 70

Tableau 8 : Répartition des décès en fonction des circonstances de la mort, 1850-

1950 ...... .... .... ..... .... ... ............. .... .. ..... ..... ........... .... .... ......................... ......... ..... ... ...... 78

Tableau 9 : Répartition des enquêtes avec jury et des cas de recherches en fonction

de la cause du décès , 1918, 1930 et 1950 ......... .... ..... ..... ..... ........... ............. ......... 143

LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Répartition des verdicts de cause de décès accidentelle en fonction du

type d'accident, 1850-1950 ..................... ... ........................................................... .. 33

Figure 2 : Répartition des verdicts de cause de décès médicale en fonction du type

de maladie, 1850-1950 ........ .... .. ........ .. ..... ............ .... ....... .. .. ... .... ....... .... ... .. ....... .. .... 41

Figure 3: Répartition des décès accidentels par noyade, 1850-1950

...... ..... .... ..... ... ........................ .. ............ ......... ...... .. .. ... ..... ... .. ....... ... ...... ....... ... .. ....... .. 58

Figure 4 : Répartition des décès de cause accidentelle et médicale en fonction de

l'âge des défunts, 1850-1950 ................ .. .............. .... .... .... .... .. .. .. .... .... .. .. .. .. ...... .. .... 65

Figure 5 : Répartition du nombre relatif de décès survenus dans des circonstances

accidentelles par type d'activités, 1850-1950 ........ .. .......... .. .. .. .......... .. ................. 80

Figure 6: Répartition des décès accidentels liés aux transports impliquant un

véhicule-moteur en fonction du type de collision et du type de véhicule

impliqué, 1850-1950 .. .... .......................... ... ..... ... ....... .... ... ... ......... ....... ... ....... ....... .. 82

Figure 7 : Répartition du nombre relatif de décès naturels en fonction de la maladie

en cause et de la longévité des symptômes, 1850-1950 .... .. .. .. ............ .. ........ .. .... 107

Figure 8 : Enquêtes avec jury et cas de recherches, 1850-1950

..... .. ....... ...... ... .. .. ........ .. .......... ......... .. ...... ..... ......................... ............... .... .. ~ ....... ..... 142

Figure 9: Évolution des liens familiaux entre participants à une même enquête,

1850 -1950 ....... .. ........ .. ................ ... .... ........ ... ... ..... ..... ............................ ............... 193

x

Figure 10 : Proportion d'enquêtes avec jury où au moins un juré agit également en

tant que témoin, 1850-1950 ................. .. .................................... ... ........................ 196

Figure 11: Participations multiples d'un individu à titre de juré, 1850-1950

............................ .. ................................................................ ...... ........ ........ ........ ... . 201

Figure 12 : Présence d'un médecin à titre de témoin lors des enquêtes avec jury,

1850 et 1950 ..... .... ....... .. ........ .... ... .... ......................... .. ........ ........ .............. ...... ....... 208

INTRODUCTION

Le 3 mars 1850, le coroner Valère Guillet se rend à Saint-Stanislas pour tenir une

enquête sur le cadavre de Léandre T. La mère du petit raconte : « ... mon enfant, âgé de

sept ans, a été à mon insu à la fontaine pour y puiser de l'eau. Ne sachant pas où il était,

l'inquiétude m'a pris [sic], j'ai été voir. J'ai trouvé l'enfant la tête en bas dans la fontaine

et noyé 1». À la suite de son investigation, il conclut, avec l'aide de douze jurés, que le

petit est tombé tête première dans une fontaine et qu'il s'y est noyé en voulant en retirer

une chaudière. En décembre 1950, les recherches que le coroner Rochefort a menées

seul établissent que Mario M., âgé de 2 ans, de Trois-Rivières, est mort d'une néphrite

aiguë (maladie inflammatoire du rein) après s'être empoisonné en absorbant un enduit

servant à polir les meubles. « Les recherches ont montré qu'il n'y avait rien de criminel

et que tout a été fait pour sauver l'enfant - autopsie fut faite montrant tous ces faits 2» ,

conclut-il.

Notre étude des enquêtes du coroner menées entre 1850 et 1950 dans le district

judiciaire de Trois-Rivières relève simultanément de l'histoire du risque et de l'histoire

1 Bibliothèque et Archives nationales du Québec - Centre d'archives de la Mauricie et du Centre-du­Québec (dorénavant BAnQ-CMCDQ), Fonds de la Cour des sessions générales de la Paix du district de Trois-Rivières, Dossiers des enquêtes du coroner (dorénavant désignés par leur cote, TL33 , S26, SSI), Léandre T. (nom du défunt) , no 5 (numéro du dossier lorsque disponible) , 3 mars 1850 (date figurant sur le dossier). Les citations tirées des archives du coroner sont retranscrites en l ' état , sauf en ce qui a trait aux accents , que nous avons ajoutés pour faciliter la lecture . Lorsqu'un patronyme figure dans l'extrait cité , nous avons seulement indiqué la première lettre, par souci de discrétion. 2 BAnQ-CMCDQ, Fonds de la Cour de Magistrat du district de Trois-Rivières, Dossiers des enquêtes du coroner (dorénavant désignés par leur cote, TL257, SI , SS26, SSS 1), Mario M., 26 décembre 1950.

2

de la justice. Elle vise à analyser d'une part les facteurs de risques auxquels la population

était confrontée et, d'autre part, l'évolution d'un rouage du système de justice impliquant

directement des acteurs sociaux « ordinaires ». Notre terrain d'étude est une société

régionale, la Mauricie, examinée sur le temps long3.

Cette région connaît, à partir du milieu du XIXe siècle, une industrialisation et

une urbanisation accélérées alors que les industries forestière et sidérurgique se

développent. Cette transition vers le capitalisme industriel entraîne des problèmes

sociaux, plus sensibles en milieu urbain, comme une précarisation des conditions de vie

et une paupérisation des ménages. Parallèlement s'opère une réorientation importante du

mode de régulation sociale dans laquelle la présence accrue et l'intensification de la mise

en oeuvre des normes juridiques jouent un rôle majeur. Des mécanismes de contrôle

social sont mis en place par l'État pour réprimer certaines déviances 4• La société

mauricienne n'échappe pas à ces changements structurels. La « judiciarisation »

progressive des rapports sociaux se traduit notamment par l'instauration d'une force de

police à Trois-Rivières en 18575.

Dans cette perspective, plusieurs acteurs sont appelés à jouer un rôle dans la

régulation de la sphère publique, dont la pacification relève de l'État. C'est le cas des

3 Au XIXc siècle , le district judiciaire de Trois-Rivières s'étend sur un plus grand telTitoire que les limites actuelles qui circonscrivent la région de la Mauricie. Il comprend notamment une partie de la rive sud qui sera retranchée du district en 1915 pour former le district de Nicolet. Loi établissant un nouveau district judiciaire avec chef-lieu à Nicolet, et amendant les Statuts refondus, 1909, et le Code de procédure civile , 5 Geo. V (1915), c . 13 . 4 Jean-Marie Fecteau, Un nouvel ordre des choses : la pauvreté, le crime et l 'État au Québec, de lafin du XVJlJ' siècle à 1840, Montréal, VLB , 1989,287 p. 5 René Hardy et Normand Séguin, Histoire de la Mauricie , Sainte-Foy , Éditions de l 'IQRC-Presses de l'Université Laval, 2004 : 407.

3

officiers de justice qui agissent souvent comme intermédiaires entre l'État et la

population. Le coroner peut être considéré comme un officier de justice intégré, dans

une certaine mesure, à la communauté, lui qui est appelé à interagir directement avec les

justiciables lorsqu'il tente d'élucider ces situations hors normes que constituent les décès

soudains ou suspects . Afin de bien cerner l'état de la question en regard de nos objectifs

de recherche , voyons d'abord les principales études qui ont été consacrées au coroner.

Puis , nous présenterons les travaux les plus marquants en histoire du risque et en histoire

de la justice.

BILAN DE LA PRODUCTION SCIENTIFIQUE

Les études sur le coroner

Les travaux en histoire de la justice criminelle au Québec se sont principalement

intéressés jusqu'à présent à la formation et à la mise en place des corps policiers de

même qu'à certains officiers de justice, comme les juges de paix, oeuvrant au sein des

échelons inférieurs de l'appareil judiciaire. Or, peu d'études ont été consacrées

spécifiquement au coroner et encore moins à son travail concret en tant qu'officier de

justice6. Ce personnage , introduit au Québec par le régime anglais, est chargé d'enquêter

en cas de mort violente ou soudaine et de produire un rapport sur les circonstances et les

causes de décès, en plus d'identifier les individus qu'il croit criminellement responsables,

le cas échéane.

6 Un récent collectif consacré aux officiers et aux auxiliaires de la justice , même s'il pallie plusieurs lacunes historiographiques , ne traite cependant pas du travail du coroner. Claire Dolan , dir. , Entre justice et justiciables.' les auxiliaires de la justice du Moyen Âge au XX' siècle, Québec , Presses de l' Université Laval , 2005 , 828 p . 7 Stéphanie Tésio et Vincent Hardy , « Enquêtes des coroners », [En ligne], http://www .banq .qc .ca/collec tions/ geneal 0 gie/ins t_recherche _ligne/ins U'_ coroners/coroner/index .h tml , page consultée le 23 avril 2013,

4

Certes, les enquêtes du coroner ont déjà fait l'objet de quelques travaux

empiriques, notamment dans le cadre d'études sur la mort violente. André Lachance et

Michel Sharpe se sont basés sur ce type de sources pour étudier les causes et les

circonstances des accidents mortels, des suicides et des homicides8. Ils ne tiennent

toutefois pas compte des décès des suites d'une maladie ou d'une affection soudaine qui

constituent pourtant une part importante des cas pris en charge par le coroner et qui sont

révélateurs des risques liés par exemple aux épidémies et aux piètres conditions de vie.

L'étude empirique d'André Lachance vise à appréhender le quotidien des gens, leurs

valeurs et leurs représentations de certaines facettes de la vie. Le mémoire de Michel

Sharpe a plutôt été élaboré dans une perspective d'histoire de la violence. Son analyse

tente d'évaluer à quel point la révolution industrielle et l'urbanisation massive ont eu un

impact sur les comportements et les décès violents. Stéphanie Tésio et Rénald Lessard

ont quant à eux tenté de cibler en quoi les archives du coroner constituent une source

privilégiée pour l'histoire de la médecine en plus de dresser un portrait des décès, cela en

tenant compte des transformations socioéconomiques de l'époque étudiée9.

Pour sa part, Marie-Aimée Cliche s'est servie à plusieurs reprises des archives du

coroner pour reconstituer l'histoire de la violence envers les enfants. Elle s'est intéressée

notamment à l'infanticide dans une perspective d'histoire sociale et d'histoire de la

8 André Lachance, « La vie est si fragile ... » : étude sur la mort violente dans les CanIOns de l 'Est, 1900-1950, Sherbrooke, Éditions G.G.c. , 2002, 209 p.; Michel Sharpe, La mort violente à Sherbrooke de 1901 à 1930: l 'accident mortel, le suicide et l'homicide, Mémoire de maîtrise, Université de Sherbrooke, 1993 , 195 p . Parmi les accidents mortels , André Lachance s'est penché seulement sur ceux qui sont les plus répandus (accidents de la route, accidents de travail et noyades). Michel Sharpe a quant à lui tenu compte des accidents mortels au foyer. 9 Rénald Lessard et Stéphanie Tésio, « Les enquêtes des coroners du district de Québec, 1765-1930 : une source en histoire médicale et sociale canadienne », Canadian Bulletin of Medical HislOry, vol. 25, no 2 (2008) : 433-460 .

5

justice lO• Tout en relevant les motivations et les circonstances de ce geste meurtrier,

l'auteure analyse, de manière diachronique , son traitement par le système judiciaire. Plus

récemment, avec somme toute les mêmes axes de recherche, l'àuteure s'est intéressée à

l'histoire du filicide en adoptant une perspective genrée ll. Plus près de notre démarche ,

l'historienne, qui a collaboré à un collectif sur l'histoire du risque, a fait état du débat, en

cours à partir de la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle , sur les dangers entourant

l'administration de sirops calmants aux enfants en bas âge. Cela après avoir recensé les

cas de morts d'enfants dans les registres des coroners de la provincel 2.

Les attitudes parentales et sociales envers l'enfance ont également été étudiées à

partir des rapports du coroner sur les accidents mortels, survenus dans l'espace

domestique et à l'extérieur de celui-ci, impliquant des enfants l3. Un vaste chantier a

récemment été entrepris par André Cellard et Patrice Corriveau pour dépouiller les

archives du coroner de la province afin d'étudier l'évolution des attitudes et des réactions

des acteurs sociaux face au suicide l4. Ces études, ayant toutes deux pour objectif de

cerner les représentations des acteurs sociaux à l'égard d'un décès hors normes,

s'appuient entre autres sur les témoignages recueillis par les coroners lors de leurs

enquêtes. Or, à la lumière des dépositions qui figurent dans les archives du coroner du

JO Marie-Aimée Cliche, « L ' infanticide dans la région de Québec (1660-1969) », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 44 , no 1 (1990) : 31-59. Il Marie-Aimée Cliche , Fous, ivres ou méchants? : les parents meurtriers au Québec, 1775-1965 , Montréal , Boréal , 2011 , 274 p. ' 2 Marie-Aimée Cliche ,« Un risque parmi tant d'autres : l ' utilisation de sirops calmants au Québec, 1825-1949 » , David Niget et Martin Petitclerc, dir., Pour une histoire du risque : Québec, France, Belgique, Québec-Rennes, Presses de l ' Université du Québec-Presses de l'Université de Rennes , 2012 : 139-158. 13 Catherine Coumoyer , Les accidents impliquant des enfants et l 'attitude envers l'enfance à Montréal (1900-1945) , Mémoire de maîtrise , Université de Montréal , 1999, 158 p. 14 André Cellard et Patrice COlTiveau , « 250 ans de suicides au Québec: les fondations d'une recherche dans les archives du coroner » , Histoire sociale, vol. 46 , no 91 (2013) : 205-221.

6

district de Trois-Rivières - dépositions qui se concentrent sur les faits et gestes des

témoins seulement - il nous a paru qu'une telle approche, centrée sur l'histoire des

mentalités, pouvait difficilement être mise en oeuvre.

Les enquêtes du coroner servent donc souvent de terrain d'enquête pour étudier

des phénomènes plus larges comme la médecine, le crime et la mort l5. Peu de recherches

au Québec et au Canada anglais s'intéressent au travail concret du coroner dans la

communauté et à l'institution comme révélateurs de l'évolution du système judiciaire et

des rapports entre droit et société, d 'où la pertinence de notre démarche ' 6. En effet, un de

nos objectifs est de mieux saisir ce que peut être l'expérience de la justice et du droit par

les gens ordinaires dans ce moment de rupture que constitue un décès subit. Bien

entendu, les dossiers d'enquête seront utilisés de manière empirique pour examiner les

risques réels auxquels était confrontée la population d'autrefois, mais nous tenterons

également de caractériser de manière fine les modalités d'exercice de la charge de

coroner.

15 Au Canada anglais , quelques études s'intéressent également aux procédures lors de la tenue d 'une enquête du coroner et démontrent la richesse de cette source pour faire une étude sociale de la mort ou de la représentation et de la répression d ' un type de crime. L'originalité de l'étude qualitative menée par Myles Leslie sur.1es manuels destinés aux coroners a fait ressortir non seulement les différentes charges qui étaient les leurs , mais également le portrait-type idéal de ces hommes qui transparaît à travers ces guides et qui se modifie au gré des politiques gouvernementales . Guy St-Denis , « The London District and Middlesex Cou nt y , Ontario, Coroner's Inquests, 1831-1900 » , Archivaria, no 31 (1990-1991) : 142~ 153 ; Pour un pendant de l ' étude de Cliche, voir Janet L. Mcshane Galley, « 1 did it to hide my shame » :

Community Responses to Suspicious 1nfant Deaths in Middlesex County, Ontario, 1850-1900, Mémoire de maîtrise , University of Western Ontario , 1998 , 110 p .; Myles Leslie , « Reforming the Coroner : Death Investigation Manuals in Ontario, 1863-1894 » , Ontario History, vol. 100, no 2 (2008) : 221-238 . 16 Mentionnons toutefois que le rôle des médecins-coroners a été examiné dans une étude consacrée au rôle et à l'influence des médecins dans le système de justice criminelle. Emmanuelle D ' Astous-Masse , Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920, Mémoire de maîtrise, Université Laval, 2010 , 174 p.

7

Les fonctions du coroner peuvent être soumises à des rapports, de force entre la

société civile et le système étatique. Donald Fyson mentionne que les auxiliaires de

justice « ... played a fundamental role both in reproducing legal routines and cultures,

and in mediating between state law and the population 17». Partant, le travail des

coroners peut ainsi être analysé du point de vue de l'étude des régulations sociales. Il

s'agit là de l'une des approches que nous mettrons en œuvre dans le cadre de notre

étude. À cela, Elizabeth Hurren ajoute que les coroners « , .. were often the first point of

official contact between the poor, local government and an expanding Victorian

information state 18» en plus d' avoir une connaissance privilégiée des problèmes sociaux

et de la criminalité au sein de la communauté l9, Parfois, le coroner est appelé à exercer

une justice discrétionnaire, en tentant de trouver un équilibre entre le bien de la

population et l'aspect légal qui régit son travail20. Ses verdicts sont notamment teintés

par cette constante négociation entre les intérêts de gens qu'il connaît et ses

responsabilités relevant d'un système rationnel, désireux d 'objectivité et de

professionnalisme21•

Certaines études britanniques appréhendent ainsi le coroner comme un officier de

justice intégré au tissu social, ayant un pouvoir discrétionnaire fragile, et l'utilisant

!7 Donald Fyson, « Judicial Auxiliairies Across Legal Regimes: From New France to Lower Canada » ,

Claire Dolan , dir., Entre justice et justiciables : les auxiliaires de la justice du Moyen Âge au XX' siècle, Québec , Presses de l'Université Laval, 2005 : 385. 18 Elizabeth T . Hurren , « Remaking the Medico-Legal Scene : A Social History of the Late-Victorian Coroner in Oxford » , Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, vol. 65, no 2 (2010) : 250. 19 Ibid . : 209-210. 20 Ibid. : 209; 230. 21 Par exemple , des verdicts plus cléments étaient parfois prononcés dans les cas de suicide . À ce sujet , voir Jeffrey M. Jentzen , Death Investigation in America : Coroners , Medical Examiners, and the Pursuit of Medical Certainty , Cambridge-Londres , Harvard University Press , 2009 : 15; André Lachance , « La vie est si fragile ... » : 69.

8

parfois pour défendre certains groupes sociaux marginalisés ou pour promouvoir des

changements notamment dans les domaines de la justice, de l'hygiène publique ou de

l'administration locale . Hurren critique l'historiographie qui a négligé de s'intéresser à

la vie sociale et professionnelle des coroners. Réalisée à partir des notes personnelles

d'un coroner, son étude montre la nécessité pour ce personnage d'établir un contact

privilégié autant avec la population qu'avec les autorités locales et le milieu médical

pour bénéficier d'un certain statut au sein de la communauté. L'auteure fait état des

aptitudes sociales et des compétences de négociation nécessaires au coroner étant donné

la nature délicate de ses responsabilités et le caractère fort sensible des informations qu'il

devait obtenir22. S'étant également attachés à analyser la complexité des relations entre

le coroner, les citoyens et les autorités locales, John Sim et Tony Ward ont démontré que

les enquêtes du coroner pouvaient parfois constituer un forum populaire pour dénoncer

entre autres l'administration corrompue et les abus des magistrats, ce qui concourait

parfois à ébranler le pouvoir des autorités locales23• Dans cette même optique, l'historien

Ian Burney analyse les discours prononcés lors des élections d'un coroner pour mettre en

exergue les aspects politiques et constitutionnels de leur travaif4. Les débats sur la

promotion de la science ainsi que sur l'accès du public aux enquêtes sont analysés par ce

chercheur sous l'angle des droits constitutionnels revendiqués en tant que fondement des

institutions publiques.

22 Elizabeth T. Hurren , « Remaking the Medico-Legal Scene » : 248-249 . 23 John Sim et Tony Ward , « The Magistrate of the Poor? : Coroners and Deaths in Custody in 19th Century England ", Michael Clark et Catherine Crawford , dir. , Legal Medicine in History , Cambridge, Cambridge University Press , 1994 : 245-267. 24 Ian Burney, « Making Room at the Public Bar: Coroners' Inquests , Medical Knowledge and the Politics of the Constitution in Early Nineteenth-Century England » , James Vernon, dir., Re-Reading the Constitution.' New Narratives in the Political History of England's Long Nineteenth Century , Cambridge , Cambridge University Press , 1996 : 123-153 . Il est à noter que les coroners ne sont pas élus au Québec.

9

L'étude de l'américain Jeffrey M. Jentzen examine des cas de corruption signalés

lorsque des causes de décès auraient été modifiées selon les intérêts de la famille du

défunt ou parfois même des industries et des compagnies d' assurances25• Cette réalité

pose la question de l'écart entre un système normatif, qui se veut plus rationnel et

professionnel à partir du milieu du XIX' siècle, et les pratiques proprement dites. Il

analyse aussi les dénonciations répétées des médecins quant au manque d'expertise et de

professionnalisme des coroners et quant à leur partisanerie26. À ce propos, Carol Loar

critique j'historiographie quant au soi-disant manque de savoir médical des coroners à

l'époque où les médecins ne s'étaient pas encore emparés de cette fonction. Son article

démontre qu'ils se fiaient aux preuves médicales pour rendre leur verdict et qu'ils

avaient davantage accès au savoir médical que ne le suggèrent généralement les études27•

Elle évoque leurs années d'expérience ainsi que d'enquêtes de même que le recours au

savoir plus « spécialisé» des femmes et des sages-femmes, en mesure de reconnaître

certains signes distinctifs sur les cadavres. En analysant la composition des jurys , elle

relève au passage la récurrence, dans certains comtés, de la participation de certains

individus à titre de jurés28• Est-ce à dire que nombre d'enquêtes produites localement

l'étaient par un groupe restreint de gens susceptibles d'avoir des intérêts dans la nature

du verdict rendu? Nous comptons tester cette hypothèse. Ce type d'analyse permet

d'entrevoir les pratiques qui caractérisent la conduite des enquêtes et l'écart éventuel

entre celles-ci et les aspirations étatiques en ce qui concerne l'administration de la justice

à cette époque.

25 Jeffrey M . Jentzen, Death Investigation in America: 26 . 26 ibid. 27 Carol Laar, « Medical Knowledge and the Early Modem English Coroner' s Inquest », Social History of Medicine, vol. 23 , no 3 (2010) : 475 . 28 ibid. : 481-484.

10

Ainsi, contrairement aux recherches empiriques québécoises et canadiennes, ces

études britanniques et américaines mettent en lumière certains aspects du travail concret

du coroner et le considèrent comme un acteur de la régulation sociale. Elles soulignent

les interactions entre les enquêtes du coroner, le développement de l'expertise

scientifique , les transformations du droit et de la justice et les rapports de pouvoir qui s'y

exerçaient. La participation et le pouvoir, certes limités mais bien réels de la population,

notamment à titre de jurés, sont mis de l'avant. Au final, ces travaux, sans faire usage de

ce concept , posent la question des internormativités : des acteurs sociaux ordinaires

prenaient part à l ' édiction de normes en matière de risque et de violence29. La justice

discrétionnaire exercée par le coroner, qui est « assis entre deux chaises » , doit

également être prise en compte. Nous adopterons donc cette approche qui envisage le

coroner comme un intermédiaire entre les autorités et la population.

La perspective d'histoire du risque

La nature du travail du coroner , qui enquête en cas de mort subite ou violente,

l'amène à investiguer sur des situations ou des milieux qui exposent la population à des

risques mortels. La question du risque et celle de la précarité serviront de trame de fond ,

dans ce mémoire , pour l'analyse des causes et des circonstances de décès ainsi que pour

celle des recommandations faites par les jurés. La littérature scientifique sur le concept

de risque est récente et essentiellement européenne. Ce champ d'étude semble en pleine

expansion.

29 Guy St-Denis, « The London District and Middlesex County , Ontario , Coroner 's Inquests , 1831-1900 » : 144.

11

Deux perspectives principales ont été utilisées pour aborder le concept de risque .

La première , qualifiée de rationaliste, « probabilitaire» ou objectiviste, considère le

risque comme une condition de possibilité du capitalisme, qui se base notamment sur

des calculs probabilistes pour obtenir quelques certitudes 30 . Cette approche est

notamment associée à la problématique de la « crise de la modernité » qui se traduit,

selon Ulrich Beck, Anthony Giddens et François Ewald, par une remise en cause de la

modernité et de ses progrès qui ont engendré qe nouveaux risques qu'ils tentaient à la

base de contrôler31• La seconde perspective est celle de la gouvernementalité, élaborée

par Michel Foucault . Cette approche constructiviste du risque l'assimile à un outil

stratégique d'exercice du pouvoir à des fins politiques et économiques.

L 'instrumentalisation des risques permet la construction et l'adaptation de la formation

sociale aux préoccupations des autorités au pouvoir. Ainsi, cette approche s'intéresse

davantage à la mise en forme du risque plutôt qu'à sa nature32. Robert Castel parle ainsi,

pour le XIXe siècle, d ' un glissement de la dangerosité vers le risque, c'est-à-dire d' un

réel danger à un potentiel de dangerosité en regard de la définition de certains facteurs

de risque33. Pour sa part, le récent ouvrage collectif Pour une histoire du risque examine

les discours et les pratiques liés à la définition, la prise en charge et l' instrumentalisation

des risques dans différents contextes, du XVIIIe au XXe siècles.

,0 David Niget et Martin Petitclerc , dir. , Pour une histoire du risque : Québec, France , Belgique, Québec­Rennes , Presses de l 'Université du Québec-Presses de l'Université de Rennes , 2012: 7. Les domaines de l'actuariat , de la statistique , de l 'assurance et de l'économie l'envisagent de cette façon et donnent à voir un monde de plus en plus risqué . Voir Patrick Peretti-Watel, La société du risque, Paris , La Découverte , 2001: 16. Les travaux inspirés de cette approche se concentrent particulièrement sur les risques postmodernes . 3 1 Patrick Peretti-Watel , La société du risque: 41. 32 Xavier Rousseaux , « (Se) gouverner par les risques: réflexions sur la police et le crime dans les sociétés modernes. »; Martin Petitclerc, « L 'État-providence, la société du risque et les fondements de la communauté politique »; David Niget , « L'enfance inégulière et le gouvernement du risque »,

contributions dans David Niget et Martin Petitclerc, dir ., Pour une histoire du risque: 245; 221 ; 298. 33 Robert Castel , « From Dangerousness to Risk » , G . Burchell , C. Gordon, et P. Miller, dir. , The Foucault Effect : Studies in Governmentality , Londres, Harvester Wheatsheaf, 1991 : 281.

12

Les recherches de l'anthropologue Mary Douglas sur les facteurs sociaux et

culturels qui influencent la perception des risques démontrent comment les pressions

politiques, économiques et morales génèrent certaines représentations auprès du public ,

notamment à l'égard de ce qui est tolérable ou non34. Elle soutient que certains types de

risques sont institutionnalisés , c'est-à-dire construits et gérés par les institutions qui

renvoient un discours normatif à la population en focalisant son attention sur certains

facteurs de risque . Ainsi, ce type de régulation sociale permet au gouvernement de

légitimer ses institutions ainsi que les mesures qu'il met en place.35. L'analyse de ce

rapport de force exercé par les autorités publiques sur la société civile correspond, selon

le sociologue Claude Gilbert , .à l 'un des trois modes d 'explication dominants sur la

« fabrication» et la hiérarchisation des risques dans les travaux en sciences sociales36.

Pour notre part , nous combinerons à la fois une approche objectivante des risques et

celle de la gouvernementalité; cette dernière sera par contre mise en oeuvre plutôt

comme un rapport de négociation entre un officier de justice, représentant de l'État, et

les acteurs sociaux ordinaires que comme une gouvernance seulement exercée par les

élites.

En histoire , la question de l'instrumentalisation du risque pour reconduire les

rapports de force entre classes sociales a été appliquée aux discours et à la capacité de

gestion des risques. D'une part , des travaux montrent que la construction élitaire du

J4 Mary Douglas , Risk Acceptability According to the Social Sciences, New York , Russel Sage Foundation , 1985 : 10 . 35 Ibid. : 55. 36 Claude Gilbert , « La fabrique des risques», Cahiers internationaux de sociologie , no 114 (2003) : 55-72.

13

risque 37 s'insère notamment dans des politiques de répression , légitimées par la

promotion de la protection sociale, ainsi que dans certains outils de contrôle social

comme la police et la statistique sociale38. Dans cette optique, on pourrait croire que les

enquêtes du coroner permettent à l'État d'identifier certains risques et , à l 'occasion, de

mettre en place des mesures pour les gérer et ultimement , les prévenir39. Nous serons en

mesure de voir si c'est le cas. D ' autres études se concentrent sur l'exposition et la

capacité de réaction différenciées des classes sociales face aux risques. Magda Fahrni

avance l'idée de risque différentiel; la classe sociale étant l'un des facteurs qui influent

sur les chances individuelles d 'être exposé à certains types de risques4o. Toutefois, il ne

faut pas omettre la notion de prise de risque délibérée , toutes classes sociales

confondues4 J• Les enquêtes du coroner permettent, comme nous le verrons, quelques

considérations sur l'effet des inégalités sur la répartition des risques au sein de la

population .

Internormativités, droit et régulation sociale

Le milieu du XIXe siècle est marqué par une intensification de l'influence des

normes juridiques dans les rapports sociaux . Cela se traduit par la montée du droit positif

qui incarne une volonté de rationaliser et de rendre plus efficaces les institutions de

37 Janice Harvey, « Le risque et la ville au XIX' siècle : discours et interventions en matière de pauvreté et de santé dans le Montréal anglo-protestant », David Niget et Martin Petitclerc, dir., Pour une histoire du risque: 115-116 . J . Harvey conclut que le discours sur le risque est celui de l'élite qui exploite le sentiment de peur sociale non seulement pour justifier les techniques d ' intervention sur les risques qu 'elle participe à définir, mais aussi pour renforcer et légitimer son rôle de décideur. 38 David Niget , « L'enfance irrégulière et le gouvernement du risque »; Xavier Rousseaux, «(Se) gouverner par les risques » : 305; 253-254; 244 . 39 Voir à cet effet : Marie-Aimée Cliche ,« Un risque parmi tant d'autres » : 139-158. 40 Magda Fahrni, «« La lutte contre l ' accident » : risque et accidents dans un contexte de modernité industrielle », David Niget et Martin Petitclerc , dir., Pour une histoire du risque: 188-189. 41 Patrick Peretti-Watet , La société du risque: 76-79.

14

l'État. Ceci dans le but de maintenir l 'ordre social et la paix afin de servir les intérêts

économiques suscités par le capitalisme. Le travail du coroner, appelé à mettre en œuvre

des normes juridiques/étatiques tout en travaillant avec les justiciables, qui ont leur

propre conception de l'ordre et de la justice ainsi que des préoccupations singulières ,

implique dès lors la prise en compte des phénomènes d'intemormativité. En outre , cela

exige d'appréhender le droit du point de vue de sa mise en oeuvre « au ras du sol » .

Le positivisme juridique renvoie à une conception des rapports entre droit et

société dans laquelle la seule existence « réelle » du droit est son incarnation dans les

normes juridiques formelles dont l'État est le dépositaire. Plusieurs historiens et

sociologues du droit critiquent vivement cette approche qui conçoit le droit comme un

système clos et parfaitement autonome42. Ainsi, Guy Rocher évoque l 'existence de

systèmes normatifs différenciés entre plusieurs sous-cultures et soulève la question de la

dynamique des échanges entre ceux-ci , question qui est celle de l'intemormativité43. Ce

concept peut évoquer le passage d'une norme d'un système normatif à un autre , mais

nous privilégions la conception qui s'intéresse à la dynamique des interactions entre

systèmes normatifs , aux rapports de pouvoir qui s'établissent entre eux, aux modalités

d'influence mutuelle, d'autant plus que notre étude tient compte des rapports entre

justice, droit et société. Qui plus est , le coroner est un agent étatique - il relève donc

d' un système normatif formel -, mais qui exerce ses fonctions à même la communauté ,

qui possède aussi son propre système normatif parfois complémentaire, parallèle ou

42 Pierre Bourdieu , « La force du droit: éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 64 (1986) : 3. 43 Guy Rocher, « Les « phénomènes d 'intemormativité » : faits et obstacles ·», Jean-Guy Belley , dir ., Le droit s(J luble " contributions québécoises à l'étude de l'internormativité , Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1996 : 26 .

15

antagoniste à celui de la justice étatique . Notons aussi , comme nous le verrons , que la

pratique du coroner n 'a pas toujours été entièrement codifiée ou normée de manière

législative et que faire son histoire, donc , implique de tenir compte de certaines

coutumes. L 'examen des pratiques des coroners permet donc de saisir une partie de ce

que Van de Kerchove et Ost appellent « l'entre-deux », c 'est-à-dire les liens

dynamiques , d'interinfluence, de domination et de répulsion entre des paires soi-disant

antagonistes44•

À ce titre, Jacques-Guy Petit, s 'appuyant sur la thèse de Thierry Nootens , indique

que l 'existence des normes n 'est pas seulement extrinsèque, mais qu 'elle s' inscrit

également dans le vécu et les pratiques sociales de manière reconstruite, évolutive et

négociée45• L 'étude des normativités doit alors tenir compte de l 'autonomie relative de la

population dans sa propre activité régulatrice , et non pas seulement de sa résistance

envers les normes édictées par l'État46• « S'en tenir à présenter les normes comme des

seuils ou comme des discours de prescription séparés des pratiques sociales , c'est en

outre laisser dans l'ombre le caractère circonstanciel , situationnel des phénomènes ... 47»,

soutient Thierry Nootens. Conséquemment, la prise en compte des intemormativités

dans l 'analyse des rapports entre droit et société nécessite une perspective du droit vu

« par le bas» pour mieux comprendre la dynamique de leurs interactions , d'autant plus

que notre démarche porte sur un personnage qui interagit directement avec la population .

44 Ibid. : 41-42 . 4~ Jacques-Guy Petit , « Les régulations sociales et l 'histoire », Jean-Marie Fecteau et Janice Harvey, dir., La régulation sociale entre l'acteur et l'institution: pour une problématique historique de l'interaction, Québec, Presses de l 'Université du Québec , 2005 : 37 . 46 Ibid. : 43. 47 Thierry Nootens, Fous, prodigues et ivrognes: fa milles et déviance à Montréal au XIX' siècle, Montréal, McGill-Queen's University Press, 2007 : 212.

16

Dans cette optique, Donald Fyson favorise l'approche de la reconstruction

empathique du vécu du droit, c'est-à-dire l'adoption du point de vue de ceux qui entrent

en contact avec le droit et l'appareil juridique. L 'auteur avance que cette approche, qui

oblige à se replonger dans l'imaginaire social, permet de mieux comprendre comment

les justiciables orientent eux aussi la construction du droit et la nature des jugements

rendus48• Il s 'agit donc d 'une étude du droit « par le bas», qui permet d'apprécier le

décalage entre la vision des justiciables et celle de l'État et de ses agents - qui se

trouvent souvent entre la population et le pouvoir central -, selon leur réalité propre et

singulière.

Ces approches supposent d'aborder d'un point de vue interne le rôle de l'État dans

le processus de régulation sociale49, c'est-à-dire en analysant les modalités d'insertion de

l'État dans la société civile, notamment au moyen de ses institutions, de ses politiques et

de ses interventions5o. Ainsi, à l'instar de travaux en sociologie politique, l'étude du

coroner en tant qu'acteur de la régulation sociale s'inscrit dans une approche qui cherche

à mieux saisir les rapports d' interpénétration entre l'État et la société civile. En cela, les

mesures de contrôle social sont vues non seulement sous leur forme répressive, mais

également comme une volonté et une demande collectives de régulation des

48 Donald Fyson , « Les historiens du Québec face au droit », Revue juridique Thémis , vol. 34 . no 2 (2000) : 326-327. Une approche empathique permet de mieux saisir les motivations, les attitudes et les notions de justice des justiciables en regard de l'appareil judiciaire , variables qui guident parfois les verdicts rendus . 49 La régulation sociale est un processus qui tente d'équilibrer les intérêts divergents d'une société . Elle repose sur des compromis fragiles, des arbitrages , toujours remis en question , entre l'exercice de la domination par les classes dirigeantes et la pratique de résistance des classes populaires . Jean-Marie Fecteau , Un nouvel ordre des choses: 10. 50 Gérard Boismenu , « L'État et l 'ordre juridique», Gérard Boismenu et Jean-Jacques Gleizal , dir. , Les mécanismes de régulation sociale : la justice , l'administration , la police, Montréal et Lyon , Boréal­Presses universitaires de Lyon, 1988 : 4l.

17

comportements sociaux par l'ÉtatS! . En somme, ces approches et concepts permettront

d'aborder de concert le pouvoir discrétionnaire du coroner et l'influence des acteurs

sociaux ordinaires dans l'exercice et l'administration de la justice.

LES QUESTIONS DE RECHERCHE

Notre étude porte donc sur les enquêtes du coroner du district judiciaire de Trois-

Rivières entre 1850 et 1950. La problématique de recherche se divise en deux questions .

D'une part, en quoi les enquêtes des coroners sont-elles symptomatiques de la précarité

et des risques sociaux qui guettaient la population de l'époque? D 'autre part, en quoi le

travail des coroners est-il révélateur des modifications que subit le système de justice et

des rapports qu'entretiennent droit et société?

La première dimension de la problématique, développée selon une perspective

d'histoire du risque, permet d'aborder simultanément deux questions essentielles en

histoire sociale , soit la précarité expérimentée par les populations du passé et ,

ponctuellement, la criminalité. À quels types de risques la population était-elle exposée

et comment y faisait-elle face? Qui plus est, notre cadre spatio-temporel oblige à tenir

compte de l'évolution de réalités structurelles. Quelle fut l'influence de certaines

transformations socioéconomiques qui, bien palpables en Mauricie durant cette période,

durent certainement peser sur les formes et les représentations de la violence et des

51 Mayer parle d ' « Associative Social Control » lorsque la population prend part de façon volontaire et participative à un processus de contrôle, duquel elle peut toutefois se distancier en certains points . John A. Mayer, « Notes toward a Working Definition of Social Control in Historical Analysis », Stanley Cohen et Andrew Scull , dir. , Social Control and the Slate, Oxford , Basil Blackwell , 1983 : 24-27.

18

risques sociaux et multiplier les occasions d'intervention du coronerS2? Pensons entre

autres à l'urbanisation et à l 'industrialisation accélérées ainsi qu 'au développement des

moyens de transportS3• Enfin , on doit s'interroger sur le rôle du coroner dans la gestion

des facteurs de risque et sur sa participation à l'élaboration de normes concernant les

circonstances diverses qui ont coûté la vie aux individus qui font l'objet de ses enquêtes.

Comment peut-on caractériser son rôle de régulation en regard des piètres conditions de

travail et d'existence qui rendaient la vie assez « fragile »?

La seconde dimension sera appréhendée en regard des internormativités et selon

une approche du droit vu « par le bas ». D'abord , vu la restructuration du mode de

régulation sociale qui s'opère durant la période considérée, nous chercherons dans quelle

mesure les pratiques du coroner traduisent ces changements de même que

l'intensification de la présence des normes juridiques dans la sphère publique . Comment

caractériser le travail du coroner en termes de régulation sociale , alors qu'il agit en

contact étroit avec les acteurs sociaux ordinaires , tout en ayant à mettre en œuvre des

normes juridiques/étatiques qui , au demeurant , sont marquées par une affirmation de

l 'expertise scientifique? À partir du milieu du XIXe siècle , l'État met en place diverses

mesures de contrôle social visant certains groupes sociaux en particulier4• Les archives

des coroners traduisent-elles. ce contrôle social plus intensif puisque , dans l'ensemble ,

ces derniers étaient chargés de « filtrer » les situations hors normes qu 'étaient les décès

52 Roger Cooter qualifie les premières décennies du XX· siècle de « moment de l'accident », période où l'on cesse de considérer les accidents comme un mal nécessaire sur la route du progrès. Magda Fahrni , « « La lutte contre l 'accident » » : 192. 53 René Hardy et Normand Séguin , Histoire de la Mauricie, 1137 p. 54 On s'attaque au vagabondage , à la prostitution, aux ivrognes et aux délits commis contre l'ordre public plus particulièrement.

19

inexpliqués? On aborde ainsi la problématique du franchissement du seuil judiciaire. De

surcroît, avec le développement de l'expertise médico-légale, assiste-t-on à une

investigation plus intensive et efficace des morts causées par des crimes? Cette expertise

change-t-elle aussi la gestion des décès accidentels et naturels? L'inscription sociale et

institutionnelle des coroners recevra également une attention particulière: leurs rapports

avec les autres rouages de l'appareil de justice seront précisés. Et que peut-on dire de la

participation et de l'influence des acteurs sociaux ordinaires dans la conduite des

enquêtes du coroner?

LES SOURCES

Notre démarche se fonde principalement sur les dossiers d'enquête du coroner du

district judiciaire de Trois-Rivières, répartis dans trois fonds d'archives55. Étant donné

l'ampleur de la documentation disponible (plus de 2200 dossiers d'enquête entre 1850 et

1950), nous avons dû faire des choix. Le corpus est constitué de 460 enquêtes réparties

sur toute la période. Un dépouillement exhaustif des dossiers a été mené à bien pour les

années 1850, 1870, 1891, 1918, 1930 et 195056. Notre série documentaire est constituée

de 261 enquêtes formelles conduites avec jury entre 1850 et 1950 et de 199 rapports de

recherches menées par le coroner seul, à partir de 191857. Pour les années considérées,

un sondage dans les registres des procès-verbaux d'audiences, qui consignent des listes

33 BAnQ-CMCDQ : Cour des sessions générales de la Paix, dossiers des enquêtes du coroner (TL33, S26 , SSI) ; Cour du banc de la Reine , dossiers des enquêtes du coroner (dorénavant désignés par leur cote , TP9 , S3 , SS26, SSS 1); Cour de Magistrat , dossiers des enquêtes du coroner (TL257 , SI , SS26, SSS 1). 36 Au départ, nous voulions procéder à un dépouillement exhaustif des dossiers à un intervalle de vingt ans à partir de 1850 . Or, plusieurs années sont absentes de la série documentaire. Lorsqu'une année était manquante , nous avons pris celle tout juste avant ou après . Toutefois, pour la période allant de 1898 à 1913 , il n'y a aucune enquête disponible . 37 Il est à noter que ces investigations qui sont menées seulement par le coroner n'apparaissent dans notre corpus qu 'à partir de l'année 1918 .

20

d'enquêtes incluant généralement le nom du coroner, celui du défunt, la date et le lieu de

l'enquête et parfois la cause du décès , montre des divergences avec notre corpus. Par

exemple, aucune enquête menée par certains coroners ne figure dans nos dossiers, bien

qu'une liste apparaisse dans les registres . De plus, quelques-unes qui y sont recensées et

qui ont été conduites par l'un des coroners de notre corpus s'avèrent manquantes58.

Nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil (à partir de 1867), les coroners

ont juridiction sur l ' ensemble d ' un district judiciaire. Si dans la seconde moitié du XIXe

siècle le coroner Valère Guillet et son député parcourent l'ensemble du territoire , les

coroners à l'oeuvre au cours du XXC siècle ont un champ d'investigation limité à une

zone précise. En tout , les enquêtes de notre corpus ont été conduites par 15 coroners et

deux députés-coroners . Au tournant du siècle, Le guide des coroners d'Edmond Lortie

expose les qualités requises d'un coroner: « ... la loyauté, l'intégrité et la capacité; c'est-à-

dire être sujet britannique , avoir la notion de ses devoirs et la force de caractère

suffisante pour les exercer sans brigues, sans partialité et posséder les connaissances et

l'habileté nécessaires 59» . Au milieu du XI xe siècle, la tâche de coroner est généralement

confiée à un homme ayant une formation juridique, le plus souvent un notaire ou un

avocat60• À partir de l'année 1891 , nos dossiers montrent que tous les coroners et leurs

assistants sont médecins. Lorsque le coroner a des raisons de croire qu 'un décès est

survenu dans des circonstances nébuleuses, pouvant laisser croire à un crime ou un acte

de négligence, il procède à une enquête formelle avec jury. Des cas de recherches, sorte

~8 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SSl , SSSI1 , Registres des procès-verbaux d'audiences . ~9 Edmond Lortie , Le guide des coroners , Québec , Le Soleil , 1902 : 50 . 60 Jacques Bernier, La médecine au Québec: naissance et évolution d 'une profession , Québec , Presses de l'Université Laval , 1989 : 101.

21

de procédures sommaires, apparaissent toutefois à la fin du XIXe siècle lorsque la cause

du décès est sans équivoque. Le verdict sur la cause de la mort est alors rendu seulement

par le coroner.

Un dossier d'enquête comporte généralement le verdict sur la cause du décès , les

dépositions de témoins et souvent le témoignage d'un médecin. Durant la période étudiée

apparaissent des rapports médico-légaux et des documents administratifs tels des

rapports de police et d'accident. Lorsqu'il procède seul, le coroner effectue un compte

rendu de ses recherches en mentionnant brièvement les informations recueillies et la

cause de la mort. Les causes et les circonstances de décès révélées par le verdict et les

témoignages permettront d'appréhender la nature et l'évolution des risques encourus par

la population . Le contenu des dossiers sera mis en rapport avec les conditions

socioéconomiques de la population mauricienne du temps et les caractéristiques

sociodémographiques des victimes . Par ailleurs, les dossiers d'enquête font état des

divers acteurs (gens ordinaires , auxiliaires de justice et médecins , entre autres) avec

lesquels le coroner interagit. Un examen de ses rapports avec les autres rouages de

l'appareil judiciaire permettra de mieux caractériser son travail d'officier de justice,

travail somme toute très ancré socialement. En outre , l'analyse de la composition des

jurys et des changements relatifs aux pièces qui figurent dans les dossiers sera

révélatrice de l'évolution des modalités d'administration de la justice durant la période

étudiée.

22

Malgré toute la richesse des enquêtes du coroner, il demeure que ce type

d'archives, étant donné ses conditions de production particulières, présente plusieurs

biais. Comme leur étude fait partie intégrante de notre problématique, nous nous en

tiendrons ici à quelques remarques générales. Rappelons que le but pratique des

investigations du coroner est de rechercher si la mort résulte d'un acte criminel et, du

coup, qu'il a le pouvoir de mettre en accusation une ou des personnes qu'il croit

criminellement responsables d'un décès. Dans cette optique, certains faits peuvent être

tus, exagérés ou déformés par les témoins. Une certaine prudence doit également être

observée dans l'analyse des verdicts rendus par les coroners. En effet, les causes de

décès formulées au terme d'une enquête résultent parfois d'un homicide ou d'un suicide,

deux gestes qui peuvent entraîner une stigmatisation sociale. Comme mentionné plus

haut, Lachance et Jentzen évoquent la grande part d'arbitraire dans l'identification des

cas de suicide, habituellement accompagnés d'un verdict d'aliénation mentale61. Comme

eux, Sharpe soulève le fait que des suicides ou des crimes ont pu être maquillés en

accidents ou en morts naturelles62• La formation du coroner peut aussi influer sur

l'identification des causes de décès. Cela renvoie à la problématique de l'évolution de

l'expertise comme phénomène institutionnel et de son impact sur le travail du coroner.

Donc, les verdicts rendus ne sont probablement pas parfaitement représentatifs de la

réalité d'autant plus que ce ne sont certainement pas toutes les morts soudaines ou

violentes qui ont fait l'objet d'une enquête. De surcroît, plusieurs crimes et décès

61 Lier le suicide à la folie avait pour effet d'en diminuer l'infamie. André Lachance , « La vie est si fragile .. . » : 68 . . 62 Michel Sharpe, La mort violente à Sherbrooke de 1901 à 1930 : 17-18 .

23

échappent à la justice. Il s'agit du « chiffre noir» dont il faut tenir compte dans la

construction et l'interprétation des données recueillies6:1 .

LA MÉTHODOLOGIE

La collecte des données

Les dossiers d'enquête ont été intégrés au corpus en fonction de la date du décès .

Nous avons utilisé le logiciel de base de données FileMaker Pro pour consigner

l'ensemble des informations qualitatives relevées dans les dossiers et les organiser en

fonction des étapes principales de la conduite d'une enquête (identification des acteurs ,

sélection des membres du jury, audition des témoins et énoncé du verdict).

D'autres séries documentaires ont été constituées. La législation pertinente et les

manuels destinés aux coroners ont fourni les paramètres formels qui régissent le travail

des coroners. Les statuts du Bas-Canada et de la province de Québec et le Code criminel

forment l'essentiel des documents législatifs consultés. Nous avons retenu les passages

qui concernent spécifiquement le coroner et nous avons été à même de constater les

modifications législatives effectuées au fil du temps. Les manuels et le Précis de

médecine légale de Wilfrid Derome 64 ont servi de sources complémentaires pour

préciser certains aspects de la législation, mais également pour entrevoir les réalités de la

pratique sur le terrain . En examinant à la fois le travail des coroners à partir des dossiers

d'enquête, de la législation et des manuels qui leur sont destinés, nous avons pu constater

les différences entre ce qui est prescrit et ce qui se fait concrètement du fait des réalités

63 1bid.,: 17 . 64 Wilfrid Derome , Précis de médecine légale , Montréal , Compagnie d'imprimerie des marchands , 1920, 389 p.

24

sociales, des facilités disponibles, de l'expertise des acteurs, etc. Il nous a dès lors été

possible d'entrevoir l'étendue du pouvoir discrétionnaire du coroner notamment quant à

certaines procédures et aux verdicts rendus ainsi que les circonstances précises de ces

entorses au système normatif officiel.

Enfin , trois sources additionnelles complètent notre corpus documentaire . À

l'occasion, nous avons consulté la base de données Mauricie : bases de données en

histoire régionale pour avoir accès aux journaux de l'époque afin de préciser quelques

détails de dossiers d'enquête et d'appréhender certains phénomènes propres à l'époque

étudiée (les nombreuses épidémies par exemple) . De plus, bien que nous n'ayons

dépouillé aucun périodique spécialisé de manière systématique, certains articles, publiés

notamment dans L'Union médicale du Canada et The Montreal Medical Journal à la fin

du XIX· siècle, ont été utilisés pour rendre compte entre autres des critiques dont les

enquêtes du coroner font l'objet. La dernière série documentaire est composée de deux

dossiers de procès criminels dans lesquels le coroner est intervenu. Ceux-ci nous ont

permis d'entrevoir , de façon fragmentaire bien sûr, son rôle et son influence dans les

cours de justice.

L'analyse des données

Le traitement de notre corpus documentaire est basé sur des méthodes à la fois

quantitatives et qualitatives . Les divers types de risques ainsi que les contextes

favorables à la précarité de l'existence, mis au jour par les dossiers d'enquête, ont été

étudiés en regard de leur récurrence et de leur évolution, influencée par les

25

transformations structurelles du temps. Les caractéristiques sociodémographiques (âge ,

sexe , état civil) des victimes ont été mises en relation avec les causes de décès . Pour ce

faire, les dossiers d'enquête ont été indexés selon la cause de décès, déterminée à partir

des verdicts rendus. Une analyse circonstancielle des décès, réalisée en regard des

dépositions des témoins , a ensuite été effectuée. Une seconde indexation thématique du

corpus a été faite en ce sens . Avec les témoignages , nous avons également tenté de

reconstituer la trame des événements qui mènent à une enquête du coroner. Comment et

pourquoi un décès est-il soumis à l'attention du coroner? Nous avons également dégagé

certaines normes implicites en matière de risque et d'ordre social en étudiant le type et la

récurrence de certaines questions posées aux témoins et les réponses obtenues. L'examen

du « jeu » des interrogatoires (reformulations , commentaires , etc.) a permis également

de rendre compte de phénomènes d'inte111ormativité et des enjeux liés à l'affaire en .

question.

Une analyse qualitative a également été effectuée en regard de l'évolution des

lois et des pratiques liées au travail du coroner. La promulgation du Code criminel et le

développement parallèle d'autres outils de contrôle social (formation de corps policiers,

développement de l'expertise scientifique et médico-légale, apparition des procédures

sommaires , etc .) ont un impact sur la nature du rôle joué par le coroner au sein du

système judiciaire 65. Les dossiers d'enquête ont permis de dresser un portrait

diachronique des modalités concrètes de ses activités : la nature des investigations

65 Dans son ouvrage, Christopher Granger analyse les conséqufènces de la promulgation de quelques lois sur le rôle du coroner , notamment dans la répression du crime . Christopher Granger , Canadian Coroner Law " A Legal Study of Coroner and Medical Examiner Systems in Canada , Toronto , Carswell , 1984 : 9-39 .

26

menées, les acteurs avec lesquels il entre en contact et ceux qui interviennent dans son

travail, les infrastructures et l'équipement utilisés, etc .. Toutes ces données se sont

avérées utiles pour rendre compte du travail effectué et pour entrevoir si des écarts

existent entre la pratique normalisée par la législation et celle qui est observable dans les

dossiers. L'évolution des pièces intégrées aux dossiers et celle de la présence de certains

acteurs traduisent certaines transformations majeures du système judiciaire.

Évidemment , les dossiers dans lesquels certains verdicts semblent « suspects» lorsqu'ils

sont mis en rapport avec les circonstances de décès ont reçu une attention particulière

notamment pour démontrer la part d'arbitraire du coroner et l'étendue de son pouvoir

discrétionnaire, lui qui agit en amont du système judiciaire. En outre , une analyse

quantitative de la composition des jurys a été menée pour mesurer à quelle fréquence

certains individus agissent en tant que jurés et les liens qu 'ils peuvent avoir avec les

victimes , les témoins et les autres jurés . Nous avons pu à ce titre tirer certaines

conclusions concernant les modalités des opérations du coroner à travers les années et

entrevoir certains phénomènes d'internormativité.

PLAN DE L'ÉTUDE

Bref, notre démarche permettra de mettre au jour diverses réalités sociales dans

une perspective d'histoire du risque. Nous serons également en mesure de mieux situer le

travail du coroner dans le tissu social et institutionnel. Nous espérons ainsi apporter une

certaine contribution, car une étude approfondie de certaines fonctions judiciaires, du

type de celle que nous proposons, reste très rare en histoire de la justice au Québec. Pour

ce faire, chacune des deux questions de la problématique de recherche sera traitée en

27

deux parties. À partir des verdicts d'enquête du coroner, le premier chapitre dressera un

portrait détaillé des causes de décès . D'abord , un examen approfondi de la nature et de la

récurrence des types de décès sera effectué. S'ensuivra une analyse de leur évolution au

fil du temps , évolution mise en rapport avec les grandes transformations

socioéconomiques qui marquent la période étudiée . Nous présenterons enfin le profil des

victimes en fonction de la cause de décès. Cela permettra d'établir certains facteurs de

risque et de désigner, du coup, les groupes d'individus qui sont plus vulnérables à

certains types de risque (populations dites « à risque »). Le second chapitre examinera en

détail les circonstances de décès telles que rapportées dans les témoignages. Les morts

accidentelles et naturelles feront l'objet d'une analyse plus serrée afin de bien montrer

comment les risques sont intimement liés au vécu et aux expériences quotidiennes des

gens d'autrefois .

Le troisième chapitre visera tout d'abord à mettre en lumière les modifications du

rôle du coroner au sein de l'appareil judiciaire suivant les transformations du système de

justice. L'évolution de la législation sur les coroners , l'apparition des procédures

sommaires et les changements relatifs à l'environnement matériel et institutionnel de

leurs enquêtes seront considérés. Aussi, ce chapitre sera l'occasion de caractériser la

place et les attributs du coroner dans la régulation sociale. À cet égard , il sera question

de la nature et de l'étendue du pouvoir discrétionnaire dont il dispose , du rôle particulier

qu'il joue dans le système de justice criminelle et de son pouvoir de recommandation

dans une optique de prévention des risques. Le quatrième et dernier chapitre sera

consacré aux différents acteurs qui participent aux enquêtes du coroner. La participation

28

des gens ordinaires à titre de témoins , de jurés et de proches du défunt recevra une

attention particulière. L'implication et l'influence des acteurs bénéficiant d'un certain

pouvoir (médecin , agent de police , avocat, procureur général et curé) et qui interviennent

à différentes étapes du processus d'enquête seront en outre examinées .

CHAPITRE 1

Une population exposée à des risques mortels

Le concept de risque, selon les auteurs et les domaines, est envisagé de multiples

façons. On lui confère tantôt une définition objective, tantôt utilitariste ou même

normative . Le risque peut être vu comme un mode de traitement du danger : un

événement fortuit qui doit faire l'objet d'un recul réflexif pour devenir « risque ».

Partant, les risques ne sont en fait que des constructions sociales de réalités dont on peut

se protéger ou tirer parti l. Le risque peut aussi être considéré comme un rapport au

temps puisqu'on peut prédire le futur à partir des expériences du passé afin d'agir dans

le présent. De plus , le risque relevant toujours du domaine de la probabilité, les décisions

prises et les actions mises en œuvre dans le présent y trouvent là leur justification2. De

surcroît, la construction de risques est représentative des normes qui régissent une

société et permet, selon l'anthropologue Mary Douglas, de tisser et de resserrer le lien

social3. Robert Castel parle ainsi, pour le XIXe siècle, d'un passage de la dangerosité

vers le risque, soit d'un réel danger à un potentiel de dangerosité en lien avec certains

facteurs de risque4•

1 David Niget et Martin Petitclerc, dir. , Pour une histoire du risque: 5. 2 Ibid. :18-19. 3 Ibid. : 20 . 4 Robert Castel, « From Dangerousness to Risk » : 281 .

\

30

Plusieurs études sur le risque démontrent, au passage, l'exposition et la capacité

de réaction différenciées des classes sociales face aux risques. Nous avons déjà souligné ,

en introduction , que Magda Fahrni estime que la condition socioéconomique des

individus influe , dans une certaine mesure , sur leurs chances d 'être exposés à certains

types de risques5. Tout en centrant son propos sur l'expérience postmoderne du risque,

Beck soutient tout de même que la société industrielle du milieu et de la fin du XIX·

siècle a été marquée par l'inégalité de la répartition des richesses selon les classès

sociales . Cette inégalité affectant la capacité de réaction, et qui plus est de prévention et

de compensation de ces mêmes risques6. La vulnérabilité ressentie tend donc à diminuer

lorsque les ressources matérielles augmentene. Bref, la répartition inégale des revenus

joue un rôle non seulement sur les probabilités d'occurrence de certains types de risques ,

mais aussi sur les perceptions et les représentations des acteurs sociaux face à ces

nsques .

Les archives du coroner illustrent à quel point la mort est omniprésente et qu'elle

peut survenir à tout moment en Mauricie durant la seconde moitié du XIXe siècle et la

première moitié du XXe siècle . La mort subite constitue en elle-même une éventualité

que d'aucuns redoutent vu les enjeux moraux et religieux qui y sont liés, notamment le

danger de mourir en état de péché mortel , à défaut d'avoir pu se confesser avant le

trépas8. Dans ce chapitre, nous adopterons un point de vue objectivant quant aux risques

5 Voir note 40 dans l'introduction. 6 Ulrich Beek, La société du risque : sur la voie d 'une autre modernité, Paris , Flammarion , 1986 : 26-27 ; 63-64 . 7 Patrick Peretti-Watel , La société du risque : 34. 8 Catherine Vallières, « « Apprendre à bien mourir » : les écoliers et la mort au Québec 1853-1963 », Études d 'histoire religieuse, vol: 65 (1999) : 34 .

31

bien réels encourus par les populations d'autrefois. À notre avis, l'examen des

constructions sociales relatives aux risques ne peut faire l'économie d'une étude, sur le

terrain, des situations exposant les populations à des décès soudains.

Dans un premier temps , nous dresserons un portrait détaillé des multiples causes

de décès identifiées par le coroner et les jurés au terme de leurs enquêtes. Nous

connaîtrons alors les types de risques auxquels devaient faire face les individus du

district judiciaire de Trois-Rivières ainsi que leur récurrence. Dans un second temps , il

sera question de l'évolution des causes de décès en regard notamment des

transformations socioéconomiques à l'oeuvre durant la période étudiée. Enfin, nous

établirons le profil des victimes en corrélant les différentes causes de décès avec les

caractéristiques sociodémographiques et socioéconomiques des défunts. Nous pourrons

ainsi entrevoir si certains groupes sociaux sont plus vulnérables et constater quels types

de risques sont les plus susceptibles de toucher certaines franges de la population.

1.1. LES CAUSES DE DÉCÈS

Les causes des décès soumis à l'attention du coroner s'avèrent très diversifiées.

Pour faciliter l'analyse des verdicts rendus au terme des enquêtes, nous proposons une

typologie comportant six catégories : causes médicales, causes accidentelles, lésions

auto-infligées (suicide), morts par acte criminel , autres causes et causes inconnues. Il

s'agit là d'une catégorisation générale qui tente de respecter la formulation des verdicts,

et ce , même si les circonstances du décès dont font état les témoignages peuvent laisser

croire qu'un autre verdict aurait pu être rendu. Seule exception, lorsque la formulation de

32

certains verdicts ne faisait pas mention d'un accident alors que l'ensemble du dossier

suggère que ce fut le cas , nous avons eu recours aux témoignages pour établir le

caractère accidentel de la mort. Ainsi, le tableau 1 présente la répartition des 460

enquêtes de notre corpus en fonction de nos catégories générales de causes de décès.

TABLEAU 1 Répartition des verdicts d'enquêtes du coroner en fonction des causes de décès,

1850-1950

Causes Lésions Morts

Causes accidentelles auto- Autres Causes médicales (blessures infligées

par acte causes8 inconnues

Total

involontaires) (suicide) criminel

186 231 13 4 8 18 460 (40,4 %) (50,2 %) (2,8 %) (0 ,9 %) (1,7 %) (3,9 %) (100 %)

a La catégone « autres causes» comprend les verdicts qUI font état d'une cause de décès précise, mais dont on ignore si elle est attribuable à un problème de santé , un accident , un suicide ou un acte criminel. Sources: BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI ; TP9 , S3 , SS26 , SSSI ; TL257 , SI , SS26 , SSSI. Dossiers des années 1850 , 1870, 1891 , 1918 , 1930 et 1950.

On constate que ce sont les morts accidentelles qui sont les plus fréquentes parmi

les verdicts rendus au terme des enquêtes, représentant la moitié d'entre eux . Les décès

attribuables à une cause médicale arrivent au second rang. Viennent ensuite les décès de

cause inconnue puis les suicides. Quelques individus meurent de causes diverses qui

sont difficilement assimilables à un problème de santé, un accident , un suicide ou un

acte criminel. Enfin, peu d'enquêtes ont mené à un verdict d'acte criminel; ces décès

étant les moins fréquents parmi ceux soumis à l'attention du coroner. Afin de rendre

compte de façon plus précise de l'origine des décès à cette époque, une analyse plus

détaillée a été menée à bien quant aux décès accidentels, à ceux liés à un problème

médical et à ceux qui résultent d'un suicide.

33

1.1.1. Les morts accidentelles

Tel que démontré précédemment, la majorité des individus qui font l'objet d'une

enquête du coroner décèdent des suites d'un accident. Il peut s'agir d'une chute dans un

escalier, d'une noyade lorsqu'une embarcation chavire, d'un coup reçu à la tête, d'une

électrocution , etc. Les causes directes des accidents sont ainsi très diversifiées. Un

classement en dix sous-catégories a été réalisé afin de dresser un portrait plus précis des

types d'accident qui guettent les gens à l'époque. La figure 1 présente la répartition des

231 ~nquêtes qui se sont soldées par un verdict de mort accidentelle en fonction de la

spécificité des accidents dont nos sources font état.

FIGURE 1 Répartition des verdicts de cause de décès accidentelle en fonction du type

d'accident, 1850-1950

Empoisonnement

Asphyxie

Électrocution

Explosion

Brûlures

Autres

Chute ••• ID. Coup ou heurt •••••

Collision/dérapage impliquant un véhicule-moteur

Noyade ••••••••••••••• œ o 20 40 60 80

Sources : BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI ; TP9 , S3, SS26, SSSI; TL257, SI , SS26, SSSl. Dossiers des années 1850,1870,1891,1918,1930 et 1950.

Les noyades constituent la cause la plus fréquente de décès accidentel dans le

district judiciaire de Trois-Rivières (75)- Le territoire étant parsemé de nombreux lacs et

34

rivières et le peuplement de la Mauricie ayant suivi, pour l'essentiel , les deux axes que

sont le fleuve Saint-Laurent et la rivière Saint-Maurice9, les étendues d'eau représentent

un facteur de risque important. D'autant plus que les industries forestière et papetière ,

deux moteurs économiques majeurs de la région qui emploient un nombre considérable

de travailleurs , utilisent abondamment les rivières , notamment pour la descente de billots

de bois. Ainsi, certains individus se noient lorsque l'embarcation dans laquelle ils

prennent place chavire alors que d'autres sombrent en s'enfonçant dans une fosse ou en

étant emporté par le courant. D'autres encore tombent dans l'eau après avoir reçu un

choc ou lorsqu'ils tentent de traverser une rivière sur des billots de bois. Ainsi , ces 75

noyades peuvent à leur tour être ventilées en plusieurs causes (voir tableau 2).

TABLEAU 2 Répartition des verdicts de noyade accidentelle en fonction de la cause de la

noyade, 1850-1950

Emporté par le Caler/ Embarca-

courant/ s'enfon- tion qui Chute Autre

Inexpli-Total

pris dans cer dans chavire/ dans l'eau quée un l'ea1.l sombre

remous 6 14 15 19 5 16 75

(8 %) (18 ,7 %) (20 %) (25 ,3 %) (6,7 %) (21 ,3 %) (100 %) Sources : BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSl ; TP9 , S3 , SS26 , SSSl; TL257 , SI , SS26 , SSSl. DossIers des années 1850, 1870, 1891 , 1918 , 1930 et 1950.

On constate que la plupart des noyades résultent d'une chute dans l'eau qui peut

survenir de multiples façons. Les individus impliqués ne sont pas en mesure de remonter

à la surface et/ou ne peuvent être secourus à temps. Un homme, âgé de 72 ans , est tombé

dans les eaux vives d'une petite rivière qui traverse sa propriété alors qu'il tentait de

9 René Hardy et Normand Séguin , Histoire de la Ma uricie : 285.

35

détruire les embâcles de glace qui s'étaient formés au printemps et qui avaient gonflé

considérablement le niveau du cours d'eau. La même année , de forts vents ont projeté un

jeune homme dans les eaux du fleuve Saint-Laurent. Incapable d'attraper les câbles et les

ceintures de sauvetage qui lui ont été lancés, il a sombré et son corps a été repêché deux

jours plus tard lO• Un matelot, quant à lui , est tombé dans le fleuve Saint-Laurent lorsque

les cordes de l'échafaudage sur lequel il se trouvait pour peinturer un navire se sont

rompues ll.

Les noyades inexpliquées regroupent les cas où des personnes disparues ou

censées être à tel endroit ou en train de faire telle chose sont retrouvées noyées ainsi que

les affaires qui se fondent sur les présomptions des témoins quant à la cause de la

noyade (personne n'était présent lors de l'accident). Par exemple, T . Chauvette, âgé de 3

ans, qui était disparu du logis familial, a été retrouvé noyé dans la rivière Nicolet. Ayant

accosté à Trois-Rivières avec son équipage, J. Bouchard, qui était resté à bord alors que

ses engagés étaient descendus, a été découvert dans le chenal nord-est de la rivière Saint-

Maurice l 2• Concernant la mort de deux navigateurs, le seul témoin à l'enquête présume

que les deux hommes se sont noyés en voulant aller porter une ancre au large et que leur

embarcation aurait chaviré. En outre, deux hommes, dont le canot a été retrouvé à la

renverse sur le lac Croche dans le Haut-Saint-Maurice, ont sombré sans que personne ne

soit témoin de leur décès 13 . Seuls ceux qui ont découvert les corps, l'embarcation et les

10 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSl, Théode P., 1er avril 1950; Richard P., 6 mai 1950. Il BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26, SSSI , Inconnu, no 38 , 19 juin 1870. 12 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI, Télesphore C., no 10 , 4 mai 1850; TP9 , S3, SS26, SSSI , Joseph B. , no 10 , 9 août 1870. 13 BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSI, Alexandre L. , no 23 , 2 septembre 1850; Joseph Nérée M., no 24 , 2 septembre 1850; TL257 , SI , SS26 , SSSI, Octave c. , no 4 , 8 novembre 1918; Ernest C., no 6, 22 novembre 1918 .

36

objets personnels des défunts peuvent témoigner. Enfin , les témoignages faisant partie

de certains dossiers d'enquête ne mentionnent pas la cause exacte de la noyade , mais

précisent qu'il s'agit d'un accident.

La navigation s'avère également dangereuse puisque plusieurs individus se sont

noyés après que leur embarcation ait chaviré ou ait été submergée. C'est le cas de deux

pêcheurs qui ont vu leur chaloupe se remplir d'eau lorsque des vents se sont levés sur le

lac où ils se trouvaient 14• En juin 1870 , les corps de huit hommes noyés ont été

retrouvés . Ces derniers ont péri en octobre 1869 lorsque le chaland sur lequel ils

prenaient place et qui transportait une quarantaine de personnes a chaviré en raison de la

force du courant l 5.

Pour plusieurs autres, la baignade dans les eaux du fleuve ou d'une rivière ·s'est

avérée mortelle . C'est le plus souvent lors de cette activité que les gens s'enfoncent dans

l'eau subitement. Saisi de crampes, Roland V., 16 ans, disparaît soudainement sous l'eau

alors qu'il se baignait avec des compagnons dans la rivière Saint-Maurice. Si ce cas est

assez typique, celui de Danielle B., enfant de 22 mois, l'est moins. Assise dans le bain

parce qu'elle avait souillé sa culotte, sa mère pensait qu'elle jouerait dans l'eau pendant

qu'elle vaquerait à ses activités domestiques. N'entendant plus de bruit, cette dernière a

trouvé sa fillette couchée dans le bain et recouverte d'eau 16.

14 BAnQ-CMCDQ , TL257, SI, SS26, SSSI , Joseph Nelson H. et P.hilémon B. , 24 août 1950. 15 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26, SSS l, James B., no 25,2 juin 1870; Alexandre S ., no 26, 2 juin 1870; Henri B ., no 28,6 juin 1870; James B., no 29, 6 juin 1870; Welly S, no 30 , 8 juin 1870; Inconnu , no 32,9 juin 1870; Adolphe L., no 33,9 juin 1870; Adolphe M., no 37,15 juin 1870. 16 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26, SSS l , Roland V., 23 août 1950; Danielle B., 26 août 1950.

37

Quelques noyades sont aussi causées par la force du courant ou par des remous

qui entraînent les gens au large et au fond des cours d'eau. Olivier S. est tombé dans

l'eau lorsque l'arbre qu'il bûchait, qui s'étendait dans la rivière, a été emporté par la

violence du courant. Un père de famille est également mort de cette façon, étant resté

pris dans un remous après avoir réussi à pousser son fils vers le bord de l'eau alors qu'il

était lui-même en train de se noyer. En juin 1870, un journalier s'est noyé lorsque le

courant de la rivière du Loup l'a entraîné sous un chaland 17•

Les dossiers classés parmi les « autres » noyades sont ceux dont la cause est

asSez particulière. C'est le cas de l'enquête sur Léandre T. au terme de laquelle les jurés

rendent le verdict suivant : « ... Léandre T., en voulant, [ ... ], tirer une chaudière du fond

d'une fontaine, y est tombé la tête la première et s'y est noyé de cette manière ». Deux

travailleurs sont morts noyés lorsqu'ils se sont empêtrés dans le câble d'acier qui servait

à diriger leur vaisseau pour traverser un chenal alors qu'un bébé de 5 mois a été retrouvé

suspendu par les pieds , la tête dans une chaudière laissée près de sa couchette. Enfin,

une dame de la paroisse de Sainte-Monique est morte noyée lors d'un éboulis qui a

renversé la maison dans laquelle elle se trouvait et qui a été submergée par les eaux de la

rivière Nicolet J8•

La seconde cause de décès accidentels en importance est attribuable aux

collisions et aux dérapages impliquant un véhicule-moteur, la plupart du temps une

11 BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSl, Olivier S ., no 11, Il mai 1850; TL257 , SI , SS26, SSSl , Théodore B., 23 avril 1918; TP9 , S3, SS26, SSSl, Napoléon D., no 34, 10 juin 1870. 18 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26 , SSl, Léandre T., no 5, 3 mars 1850; TL257 , SI, SS26 , SSSl , Elphège D., 12 juillet 1930; Horace L., 16 juillet 1930; André M., 13 septembre 1930; TP9, S3, SS26, SSS 1, Gertrude N. dit P., no 14,25 août 1870.

38

automobile ou un camion. Il s'agit le plus souvent de collisions entre de~x véhicules ou

entre un véhicule et un piéton. Des cyclistes et des motocyclistes sont également parfois

impliqués dans de violents accidents de la route . Sur les 61 accidents de ce type , quatre

se sont produits lorsqu'un train a happé de plein fouet un piéton . Roland T., 14 ans, a été

frappé par une locomotive du Canadian Pacifie Rai1way, n'ayant pas eu le temps de

traverser la voie ferrée à cause d'un handicap à la jambe qui le faisait boiter ' 9.

En proportion moindre arrivent ensuite les accidents des suites de coup ou heurt

(24) ou d'une chute (21). Plusieurs hommes sont morts après avoir été atteints à la tête

par une bûche, un billot , une branche d'arbre ou lors de la chute d'un arbre qu'on abattait.

D'autres ont été frappés par un outil qu'ils utilisaient ou qui se trouvait à proximité

comme une barre de fer, une scie ou une perche. Un enfant âgé de 3 ans et un homme de

48 ans ont tous deux reçu un coup de sabot de cheval et sont décédés d'une péritonite2o•

Des chutes de toutes sortes ont également entraîné dans la mort plusieurs victimes. Si la

plupart perdent l'équilibre ou glissent , d'autres tombent en se chamaillant, après reçu une

décharge électrique ou pour une raison qui demeure obscure . Par exemple, Laureth B.,

âgée de 4 ans , est tombée du balcon du logement du troisième étage où elle demeurait

avec ses parents pendant qu'elle regardait son père partir travailler21• A-t-elle grimpé sur

le rebord du balcon ou est-elle passée à travers les barreaux? La solidité du balcon a

pourtant été examinée par un témoin, et ce, en présence du coroner et des jurés.

19 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI, Roland T., 30 juin 1950. 2° BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26 , SSSI, Edouard A., no 20 , Il mai 1870; TL257 , SI , SS26 , SSSI , Donat G., 9 juillet 1930. 21 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26, SSSI , Laureth B., no 8, 15 mai 1918 .

39

Tout comme celle des « autres » noyades, la catégorie « autres » des décès

accidentels (15) comprend les morts dont la cause est déterminée précisément, mais qui

sont assez spécifiques. Par exemple, on y retrouve les décès que les jurés et/ou le

coroner ont attribués à la foudre, à un éboulis et au froid. Ceux résultant d'une décharge

accidentelle d'arme à feu ainsi que les accidents mortels causés par une voiture à traction

animale en font également partie. Freddy S. , quant à lui , s'est fracturé et enfoncé le crâne

lorsque son bras gauche s'est fait prendre par la courroie d'un moulin, ce qui lui a fait

faire deux fois le tour de la poulie, se frappant chaque fois la tête sur les roues du chariot

de l'engin22.

Le reste des décès accidentels sont survenus à la suite de brûlures (8), d'une

explosion (8), d'une électrocution (7), d'une asphyxie (6) ou d'un empoisonnement (6) .

Les incendies, les flammes qui s'étendent aux vêtements et le renversement d'eau

bouillante sont à l'origine des quelques cas de brûlures mortelles. Un garçon de 2 ans,

qui a agrippé sa mère par la manche alors qu'elle avait une grande tasse d'eau bouillante

dans les mains, est décédé des suites de ses brûlures23. Rares sont les explosions, mais

celles-ci produisent parfois des tragédies de grande ampleur, surtout en milieu industriel.

Quatre enquêtes ont porté sur l'explosion qui a eu lieu à la Canadian Electro Products à

Shawinigan Falls en décembre 1918. Une autre a été menée sur la mort de deux

employés de la Shawinigan Chemicals Co. Ltd en 1930 lors de l'explosion d'un mélange

d'acétylène et d'air. Non moins spectaculaires, quelques cas d'électrocution ont été

répertoriés . Si des individus se sont approchés trop près des fils électriques, d'autres

22 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI, Freddy S. , no 146, 12 novembre 1930. Pour un cas similaire , voir Victor A. dit L., no 4, 19 avril 1918. 23 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Primat G. , 8 janvier 1918.

40

décès ont été causés par un mauvais état de l'outillage ou une mauvaise installation. Un

jeune garçon de 10 ans a pris feu et a chuté après être monté au sommet d'un poteau où il

s'est ensuite accroché aux fils électriques24. Les morts par asphyxie quant à elles sont

attribuables à diverses causes: incendie, « inhalation de vornitus », suffocation dans le

lit des parents, etc. Un journalier de la Shawinigan Chernicals Co. Ltd « ... est mort

accidentellement par asphyxie de gaz d'acide acétique glacial 25» tandis que Esdras T. est

décédé par strangulation accidentelle. Sa crémone (foulard) s'est prise à l'arbre d'un

moulin , ce qui l'a étouffé. Enfin, les six cas d'empoisonnement répertoriés ont été causés

par l'absorption de sirop d'anis Gauvin, de ciguë (plante toxique), d'un enduit pour polir

les meubles et d'alcool de bois (méthanol).

1.1.2. Les maladies

La maladie frappe aussi bon nombre de gens. Elle représente plus de 40 % des

verdicts rendus entre 1850 et 1950 et constitue en cela la seconde cause de décès la plus

fréquente. Ces 186 morts naturelles ont été causées par divers problèmes de santé. Afin

d'en dresser un portrait plus précis , nous les avons regroupées par type de maladie . Pour

ce faire, nous avons utilisé la Classification statistique internationale des maladies et

des problèmes connexes, lOe révision (CIM-lO, version 2008/6. Les cas qui ont été

classés dans la catégorie « autres » regroupent souvent des verdicts qui attribuent le

décès à un symptôme plutôt qu'à une véritable affection. Par exemple, les conclusions au

24 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI , SS26 , SSSI , Lucien D ., 23 juin 1950. Pour un cas similaire , voir Armand V., no 3,5 avril 1930 . 25 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , Henri S ., 16 janvier1930 . 26 Organisation mondiale de la santé , Classification statistique internationale des maladies et des problèmes connexes, 10< reV1SlOn (CIM-I0, version 2008), [En ligne) , http: //apps . who .int/c1assifications/icd 1 0IbrowseI2008/fr#/IX .

41

terme d'une enquête évoquent parfois une « syncope », des convulsions ou la vieillesse

comme cause de décès. Une maladie est certainement à l'origine de la mort, mais les

informations dont on dispose ne permettent pas de l'identifier de façon sûre27. Du reste ,

cette catégorie comporte les dossiers pour lesquels une cause médicale est identifiée,

mais qui ne s'intègrent pas aux principaux types de maladie, étant donné l'ambiguïté de

la maladie ou sa spécificité ou encore faute de précisions (ex. ; les verdicts de « cause

naturelle »). La figure 2 présente la ventilation des causes médicales de décès en

fonction du type de maladie dont souffrait le défunt.

FIGURE 2 Répartition des verdicts de cause de décès médicale en fonction du type de

maladie· , 1850-1950

---0- _____ 00 ----0-_- __ _____ --_-0-------------,

Maladie endocriniennes, nutritionnelles et métaboliques

Maladies de l'appareil digestif

Maladies du système nerveux

Maladies infectieuses et parasitaires

Maladies de l'appareil respiratoire

Autres .DI. Maladies de l'appareil circulatoire •••••••• 131 •••••••

o 20 40 60 80 100 120 140

• Ce classement est nécessairement imparfait puisque nous nous sommes fiée aux verdicts médicaux rendus par le coroner. L'identification parfois pour le moins imprécise du diagnostic et le vocabulaire médical évoluant au cours de la période étudiée au gré des avancées scientifiques, il s'est avéré parfois difficile de classer certains dossiers . Sources: BAnQ-CMCDQ , TL33 , S26, SSI ; TP9 , S3, SS26 , SSSI; TL257 , SI, SS26 , SSSI. Dossiers des années 1850, 1870, 1891,1918 ,1930 et 1950.

27 François Guérard, La santé publique dans deux vil/es du Québec de 1887 à 1939 : Trois-Rivières et Shawinigan, Thèse de doctorat , Université du Québec à Montréal , 1993 : 522.

42

De prime abord, on constate que ce sont les maladies de l'appareil circulatoire qui

font le plus de victimes . Parmi celles-ci , on compte l'ensemble des maladies du coeur

(102) , les maladies cérébrovasculaires (19) et d'autres affections de l'appareil circulatoire

(2) : une embolie par phlébite et un cas d'artériosclérose. Le caractère subit et la mort

extrêmement rapide liés aux affections cardiaques peuvent expliquer pourquoi elles sont

surreprésentées. Au cours de la période, on remarque toutefois que la terminologie et le

vocabulaire médical tendent à se complexifier, ce qui démontre les progrès de la

médecine. Au milieu et à la fin du XIXe siècle, les verdicts des enquêtes concernant des

problèmes de santé cardiaque accusent une « maladie » ou une « affection » du coeur.

En 1918 et en 1930, on parle le plus souvent de « syncope du coeur » ou « d'angine de

poitrine » tandis qu'au milieu du XX· siècle, les uns décèdent de « coronarite chronique

», « d'insuffisance cardiaque aiguë » ou de « thrombose coronarienne », les autres « de

myocardite chronique », « d'infarctus du myocarde» ou d'un « rétrécissement mitral »,

entre autres. À cette époque , la syncope a presque complètement disparu des verdicts.

Elle est considérée aujourd'hui comme un symptôme plutôt qu'une réelle affection. En ce

qui concerne les maladies cérébrovasculaires, la vaste majorité des défunts meurent d'«

apoplexie », d'hémorragie cérébrale ou de « congestion cérébrale » (ancien terme

désignant un accident vasculaire cérébral (A YC)) ; le laps de temps séparant l'apparition

des symptômes et le décès étant extrêmement court. Dans la formulation des verdicts, on

mentionne parfois que la personne « ... est morte subitement par la visite de Dieu [ ... ]

d'un coup d'apoplexie foudroyante 28».

28 BAnQ-CMCDQ, TP9, S3 , SS26 , SSSI , Marie C., no 39 , 25 juin 1870. Pour un cas similaire , voir Firmin B., no 18 , 19 octobre 1870 .

43

Au second rang des morts de cause médicale apparaissent les «autres » maladies

(21). Tel que mentionné précédemment, cette catégorie re~roupe des diagnostics soit

imprécis ou ambigus, soit très spécifiques, donc plus rares . Outre les cas de « syncope »,

de convulsions et de « mort naturelle » déjà mentionnés, on y retrouve entre autres des

verdicts de « débilité enfantille [sic] 29» , « ... d'hémorragie cérébrale spontanée causée

par du purpura thrombocytopénique 30» et de mort « ... des suites de l'absorption d'une

dose de gingembre ... », situation qui s'apparente à une allergie alimentaire.

Les maladies de l'appareil respiratoire (18) ont été divisées en deux catégories ,

soit la grippe et les pneumopathies (11 cas) et les autres affections pulmonaires (7 cas).

Le tiers de ces décès ont pour cause l'épidémie de grippe espagnole qui a frappé la

région à l'automne 1918. Il est à noter que la grippe , quoiqu'il s'agisse d'une maladie

infectieuse et très contagieuse, est classée dans les maladies de l'appareil respiratoire

dans la CIM-lO. Les gens sont le plus souvent atteints de pneumonies et de

bronchopneumonies et meurent en quelques jours . Les décès dus aux autres affections

pulmonaires résultent généralement d'une congestion des poumons ou d'un oedème

pulmonaire aigu dont l'origine est inconnue. Peut-être certains d'entre eux souffraient-ils

d'un problème cardiaque qui en serait la cause, mais les dossiers d'enquête ne nous

permettent pas de l'établir avec certitude.

Outre les cas de grippe , le coroner et les jurés ont conclu à un décès par maladie

infectieuse et parasitaire dans dix cas. À priori , ce nombre peut sembler faible étant

29 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Marie Louise Annette L., no 147 , 16 décembre 1930. 30 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI, SS26 , SSSI , Roland B., 31 juillet 1950.

44

donné les nombreuses épidémies rapportées par les journaux de la région de la Mauricie

entre 1850 et 1950 : choléra , variole, rougeole , varicelle , fièvres typhoïdes , diphtérie ,

entre autres31• Aussi , le conseil municipal de Trois-Rivières rapporte-t-il à la fin du XIXe

siècle que selon le Bureau de la santé de la ville, les citoyens ne rapportent pas

systématiquement les décès par maladies contagieuses alors que la chose est

obligatoire32• De surcroît , le coroner enquête en cas de mort subite ou suspecte. Des

circonstances particulières l'amènent donc à se pencher sur un décès plutôt que sur un

autre , et ce, même si la cause médicale du décès semble être la même. Du coup , le

coroner n'enquête probablement pas sur chaque mort survenue dans des hôpitaux

temporaires , érigés pour prendre en charge et soigner les individus atteints d'une maladie

infectieuse épidémique. Par contre , une investigation sera menée sur des défunts décédés

dans une résidence privée, de façon rapide et inattendue et qui plus est si ce sont des

enfants. En effet , neuf cas sur dix concernent des enfants âgés de 5 ans et moins , la

plupart ayant moins de 1 an . De surcroît , nous posons l'hypothèse que plusieurs cas de

maladies contagieuses soumis au coroner l'ont été lorsqu 'aucune épidémie ne faisait rage

au sein de la population . Parmi ceux-ci , la gastro-entérite a fait le plus de victimes , mais

quelques enfants sont morts également de la rougeole, du choléra , de la coqueluche et de

la diphtérie . Nous reviendrons sur la question des circonstances qui font en sorte qu'on

fait appel au coroner dans le dernier chapitre .

Les conclusions de six enquêtes pointent en direction d'une maladie du système

nerveux. Cette catégorie rassemble notamment les verdicts liés à l'épilepsie de même

31 CIEQ, Mauricie : bases de données en histoire régionale , [En ligne], http://mauricie .cieq .ca/ . 32 Archives municipales de Trois-Rivières, Conseil municipal, Procédés du conseil municipal de Trois­Rivières , 1er mai 1893.

45

que les maladies chroniques qui affectent le cerveau. Par exemple, le verdict au sujet de

la mort d'une détenue considérée comme étant « une insensée » indique qu 'elle est

décédée « ... d'une diffusion céreuse [sic] sur le cerveau occasionnée par affection

chronique du cerveau et des méninges 33» . Cinq autres verdicts attribuent la cause du

décès à une maladie de l'appareil digestif : deux « indigestions aiguës », une péritonite ,

une hernie et une « inflammation intense des intestins ». Enfin , les conclusions du

coroner au terme de trois enquêtes menées en 1950 sont liées à la catégorie des maladies

endocriniennes, nutritionnelles et métaboliques . Une femme est décédée d'un coma

diabétique alors qu'un bébé âgé de 1 mois est mort « ... d'une hypertrophie probable du

thymus avec bronchite aiguë 34». Michel D. , 11 mois , est quant à lui décédé « .. .

d'anémie grave dû au rachitisme 35».

Ainsi, le coroner enquête-t-il le plus fréquemment sur les morts naturelles

causées par une maladie de l'appareil circulatoire, les maladies du coeur faisant le plus

de victimes. L'apparition spontanée des symptômes et leur caractère foudroyant ,

caractéristiques de plusieurs troubles cardiaques et cérébrovasculaires , expliquent

pourquoi le coroner, dont le mandat consiste à élucider les morts violentes , soudaines ou

suspectes, est amené si souvent à enquêter sur ce type de décès. D'où également le peu

de cas de maladies chroniques comme le cancer, l'arthrite ou le diabète et de maladies

neurodégénératives telles l'Alzheimer ou la sclérose en plaques soumis à son attention .

33 BAnQ-CMCDQ, TP9, S3, SS26 , SSSl , Julie B. , no 15 , 14 avril 1870 . 34 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI, Florent T. , 18 avril 1950. 35 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI, Michel D., 25 avril 1950.

46

1.1.3. Les décès de cause inconnue

Tandis que les morts accidentelles et naturelles représentent plus de 90 % des

verdicts de notre corpus, les décès de cause inconnue occupent le troisième rang. Au

total, 18 enquêtes n'ont pas permis de connaître la cause directe du décès. Pour 13

d'entre elles, la formulation du verdict indique que les défunts sont morts noyés puisque

retrouvés flottant sur le fleuve Saint-Laurent, dérivant sur une rivière ou gisant dans un

fossé . Cependant, l'énoncé des verdicts ne mentionne pas qu'il s'agit d'un accident,

contrairement aux noyades inexpliquées classées dans la catégorie des morts

accidentelles. Qui plus est, il n'y a pas de témoin oculaire de la mort. Jacques G., enfant

de 18 mois, jouait à l'extérieur depuis 10h30. Des recherches menées sur l'heure du dîner

ont permis de le trouver à plat ventre au fond d'un fossé36. Le coroner conclut à une «

asphyxie par immersion », mais cette noyade est-elle le résultat d'une chute, d'un

accident de voiture, d'une mauvaise rencontre? Le verdict concernant la mort d'un

inconnu se lit comme suit: « ... le dit homme inconnu, a été trouvé [ ... ], sur les battures

du Lac St-Pierre, vis ,a vis [sic] la dite paroisse de St-Antoine de la Baie du febre [sic] et

qu'il est mort dans un tems [sic], un lieu et d'une manière inconnus, les dits jurés n'ayant

pu se procurer d'autres preuves. 37».

De plus, dans de rares situations, des enfants sont retrouvés morts, au matin, dans

leur berceau. Eux qui avaient pourtant l'air en santé décèdent sans qu'aucune cause ne

soit identifiée. Peut-être s'agit-il de cas qui s'apparentent au syndrome de la mort subite

36 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI , Jacques G. , 17 mai 1950. 37 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26 , SS 1, Inconnu , no 18 , Il juillet 1850 .

47

du nourrisson, le risque étant accru lors des naissances prématurées38 0 Un enfant de 3

mois, malade depuis quelques semaines, a été trouvé mort dans le lit de ses parents qui

l'avaient placé avec eux parce qu'il pleurait. Le coroner et les jurés concluent « 000 [qu']il

est décédé d'une manière subite et inattendue et inconnue aux [sic] dits jurés n'ayant pu

constaté [sic] qu 'il avait été suffoqué même par accident'9»0 Enfin , l'énoncé du verdict

s'avère manquant dans le dossier de ce camionneur retrouvé inconscient dans son

véhicule40 alors que dans celui de Jean-Marie Modeste B 0' il est plutôt flou et ambigu 0

L'enquête conclut que le défunt « 000 est tombé hier sans connaissance hors de sa maison ,

en mangeant du boudin et qu 'il est mort près [sic] au même moment subitement par la

visite de Dieu 41»0

1.1.4. Les lésions auto-infligées

Durant la période étudiée, le suicide est un geste condamnable autant du point de

vue moral et religieux que de celui de la justiceo En effet , de l'entrée en vigueur du

premier Code criminel canadien en 1893 jusqu'en 1972, les tentatives de suicide

constituent des actes criminels420 Comme le démontre Chapdelaine, c'est entre autres

grâce au développement de la psychiatrie que la prise en charge de cette forme de'

déviance passera des mains du droit criminel à celles du domaine médical430 Mais même

à l'époque considérée, 12 des 13 verdicts de suicide rendus au terme d'une enquête

38 Association pulmonaire du Canada, « Syndrome de mort subite du nourrisson », [En ligne], http://www.poumon.caldiseases-maladies/a-z/sids_smsn/index_f.php , page consultée le 6 août 2013 0 39 BAnQ-CMCDQ, TP9, S3, SS26 , SSSI, Pierre Bo, no 2, Il janvier 1870. 40 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI , Louis Philippe L. , 16 février 1950. 4 1 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26 , SS l, Jean-Marie Modeste B., no 28 , Il décembre 18500 42 Élise Chapdelaine, Des menottes par-dessus les pansements (Le crime de tentative de suicide dans les tribunaux du Québec de 1892 à 1972 : l'évolution des discours juridique et médical) , Mémoire de maîtrise, Université d'Ottawa, 20 Il : 3. 43 Ibid . : III .

48

mentionnent qu'il a été commis dans un moment « d'aliénation mentale» ou de « folie

aiguë ». La religion catholique réprouvant un tel geste, associer le suicide à la folie en

diminuait le scandale44. De même, le seul verdict qui diffère conclut , à demi-mot, qu'il

s'agit bel et bien d'un suicide tout en amoindrissant l'effet et les implications que peuvent

avoir ces conclusions, notamment pour la famille , en adoptant une formulation arnbigüe

qui laisse sous-entendre que le geste résulte d'abord d'un accident. Après avoir établi que

la défunte est morte après avoir avalé de son plein gré une grande quantité de comprimés

de barbituriques, le coroner conclut: « [Le] Rapport complet de la police prouve que ce

fut un accident amenant comme complication grave la mort quasiment par suicide . 45».

Dans le chapitre trois, nous reviendrons sur ce genre de cas qui démontrent le souci du

coroner, lui qui est en contact étroit avec la population, de préserver, dans une certaine

mesure, la victime et sa famille de la honte et de la stigmatisation sociale lorsque

quelqu'un attentait à sa propre vie.

Le moyen le plus souvent utilisé pour mettre fin à ses jours est la noyade . Quatre

personnes se sont jetées dans le fleuve Saint-Laurent ou dans une rivière alors qu'une

autre s'est laissée tomber dans un puits. Ensuite viennent les suicides par

pendaison/strangulation (quatre cas) . Deux individus se sont pendus à un arbre alors

qu'un autre a été trouvé suspendu à un wagon de la compagnie de chemin de fer du

Grand Tronc. Finalement, deux personnes sont mortes par décharge volontaire d'une

arme à feu tandis que deux autres sont décédées par auto-intoxication, l'une étant la

44 André Lachance ,« La vie est sifragile .. . » : 68 . 4S BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSS 1, Laura L. , 17 décembre 1950.

49

dame qui a absorbé une dose mortelle de puissants calmants alors que l'autre a bu une

cuillérée à soupe de vert de Paris.

1.1.5. Les autres causes de décès

Huit enquêtes ont permis d'identifier une cause de décès précise, sans toutefois

spécifier, tel que mentionné plus haut, si la mort a été provoquée par un problème

médical, un accident, un suicide ou un acte criminel. Il s'agit de causes diverses (abus

d'alcool, « congélation » , asphyxie, froid et épuisement nerveux, etc.) qui laissent parfois

croire qu 'il peut s'agir d'un suicide ou d'un acte criminel. Par exemple, un homme de 49

ans est mort d'asphyxie lors de l'incendie de sa demeure où il vivait seul, étant séparé de

sa famille depuis quelques semaines. S'agirait-il d'un suicide ou d'un meurtre? Un autre

est mort noyé lorsqu'il s'est jeté dans la rivière sans que ses proches et les voisins n'aient

eu le temps de l'en empêcher46. Les conclusions de l'enquête sur la mort d'un nouveau-né

de sexe féminin, trouvé dans une boîte déposée dans un cimetière, mentionnent que la

défunte est mort-née47. Même si l'autopsie montre que le bébé n'était pas viable, les

circonstances nébuleuses entourant sa mort laissent penser que quelqu'un avait peut-être

intérêt à cacher son existence. Cette enfant est peut-être issue d'une relation hors

mariage, situation faisant l'objet d'un véritable opprobre à la fin du XIXe siècle et source

de déshonneur pour la femme concernée. D'autant plus qu'au tournant du siècle, Marie-

Aimée Cliche montre que les tribunaux tendent à légitimer une certaine

déresponsabilisation des pères quant à leur enfant naturel, ces derniers n'ayant qu'à

46 BAnQ-CMCDQ, TL257, S 1, SS26, SSS1, Azarias R., 22 février 1918; Moïse R., 8 septembre 1918 . 47 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26 , SSS1 , Inconnu ., no 3, 4 mai 1891.

50

débourser pour les frais de gésine alors que la charge d'élever l'enfant revient

entièrement à la mère48•

1.1.6. Les morts par acte criminel

Sur l'ensemble de notre corpus, quatre enquêtes seulement ont mené à un verdict

d'acte criminel ayant causé la mort. Deux hommes sont tenus criminellement

responsables à la suite de leur conduite dangereuse qui a provoqué le décès de deux

victimes dans un accident de la route. En ce qui a trait aux deux autres dossiers, si le

coroner et les jurés concluent à un acte criminel, les responsables demeurent toutefois

inconnus. En 1930, l'autopsie sur le corps d'un nouveau-né abandonné sur une galerie

révèle qu'il est né à terme, mais qu'après sa naissa~ce, il n'a reçu aucun soin . Le médecin

légiste affirme qu'avec des soins élémentaires, il aurait vécu. Du coup, les jurés ont

rendu un verdict « ... d'asphyxie par manque de soins 49». Quelques mois plus tard, une

dame est décédée à l'hôpital des suites de ses brûlures lorsqu'un incendie s'est déclaré

dans l'immeuble où elle demeurait au centre-ville de Trois-Rivières. Les jurés ont statué

que le brasier était d'origine criminelle50.

1.2. L'ÉVOLUTION DES CAUSES DE DÉCÈS

Maintenant que nous avons dressé un portrait général des principales causes de

décès, examiner leur évolution sur le temps long permet d'entrevoir le type de risques

48 Marie-Aimée Cliche , « Les filles-mères devant les tribunaux de Québec, 1850-1969 », Recherches . sociographiques, vol. 32, no 1 (1991) : 37-38.

49 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI, Enfant nouveau-né, no 2,13 mars 1930. 50 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Mme Émile T. , no 19,29 aoGt 1930. L'absence de meurtres et d'homicides involontaires dans notre corpus s'explique probablement par l'échantillonnage mis en oeuvre au moment de constituer le corpus. Un coup d'oeil sommaire aux registres des procès-verbaux d'audiences de la Cour du banc du Roi/Reine a montré que bien des causes de meurtre , par exemple, renvoient à d'autres années que celles que nous avons choisies .

51

qui guettaient la population, et ce, durant une période donnée. Évidemment, il va sans

dire que l'apparition de nouveaux risques et la fluctuation de certains d'entre eux sont

liées aux transformations socioéconomiques à l'oeuvre dans la région: industrialisation,

urbanisation, développement des moyens et des infrastructures de transport, amélioration

de l'hygiène publique, etc.

Bien que le coroner n'enquête pas sur l'ensemble des décès et que son mandat se

limite aux morts subites ou suspectes, il est tout de même aisé de constater l'évolution de

certains types de décès au cours de la période étudiée de même que la stabilité de

certains autres. Le tableau 3 présente une répartition diachronique du nombre de défunts

en fonction des principales catégories de causes de décès et des années retenues du fait

de notre échantillonnage.

TABLEAU 3 Répartition du nombre de défunts par année Cll fonction de la cause du décès, 1850-1950

Catégories de 1850 1870 1891b 1918 1930 1950 Total cause de décès ni % n % II % n % n % n % n % Cause médicale 8 28,6 22 30,6 1 10 46 45,1 31 35,6 78 45,6 186 39;6

Cause accidentelle

16 57,1 43 59,7 6 60 4S 44,1 49 56,3 82 48 241 51;3 (blessures

involon taires) Lésions auto·

infligées 1 3,6 1 1,4 -- -- 4 3,9 -. - 7 4,1 13 2)1 (suicide)

Mort par acte - - - - - -- - - 3 3,4 1 0,6 4 0,9 criminel

Aulrecause 1 3,6 2 2,8 1 10 2 2 2 2,3 - - 8 1,7 Cause

2 7,1 4 5,6 2 20 5 4,9 2 2,3 3 1,8 18 3,8 inconnue

Total 28 100 72 100 10 100 102 100 87 1()() 171 100 470 100 :,Les nombres absolus indiqués renvoient au nombre de vicùmes et non au nombre d'enqu~tes puisque, en de rares cas, une cnquete peut poner sur plusieurs défunts . ~ 11 est à noter que l'année 1891 tend à biaiser les données puisqu'elle ne compte que dix enquêtes. Du coup, les st3tisùques om tendance à sous-représenter ou surreprésenter les catégories observées. Sources ; MllQ:CMCDQ, TL33, S26,5SI ; TP9, 53, S526, SSSI ; ru51, SI, SS26, SSSI. Dossiers des années 1850, 1870,1 891. 1918,1930 el 1950.

VI N

53

À la lumière de ces données , on constate seulement quelques variations plutôt

mineures en ce qui trait à l'évolution des taux de décès accidentels qui font l'objet d'une

enquête. Or, on remarque une augmentation des accidents mortels en nombre absolu .

Les décès de cause médicale occupent quant à eux une part un peu plus importante du

travail du coroner. Une hausse de ceux-ci est aussi observée entre le XIXe et le XX'

siècles. Parmi les autres catégories, le nombre de cas n'est pas assez important pour tirer

des conclusions significatives quant à leur évolution même si, à première vue, nous

serions tentée de conclure également à une constance relative de ces décès plus

ponctuels . Au fait, rappelons que l'interprétation de ces données doit tenir compte de

l'augmentation significative de la population qu'a connue le district au courant du siècle

étudié.

Cependant, en examinant de plus près les sous-catégories des décès accidentels

évoquées plus haut, nous sommes à même de constater que plusieurs changements

s'opèrent relativement à la manière dont les gens meurent accidentellement. Ceux-ci sont

liés directement à certaines transformations socioéconomiques majeures comme

l'industrialisation et le développement des moyens de transport. Celles-ci ont fait naître

de nouvelles sources potentielles d'accident liées entre autres à la mécanisation du

travail, aux moyens de production, aux sources d'énergie et au transport routier. La

répartition par année des victimes de morts accidentelles en fonction du type d'accident

est présentée ci-dessous (tableau 4).

TABLEAU 4 Répartition par année du nombre de défunts victimes d'un décès accidentel en fonction du type d'acddcllt, 1850-1950

Catégorie de cause 1850 1870 1891 1918 1930 1950 Total accidentelle n' % n % n lJc n % n % n 9é n

Asphyxie .. .. 2 4,7 - .. 2 4,4 1 2 1 1) 6 Btftlures 1 6~ - .. .. .. 6 13~ .. - 2 2,4 9 Chute .. .. 1 2~ 1 16,7 4 8,9 8 16~ 7 8~ 21

Collision/dérapage impliquant un - - - - - - 7 15,6 18 36,7 41 50 66

véhicule.moteur Coup ou heurt 1 6~ 8 18,6 - .. 3 6,7 6 12) 6 7~ 24 Electrocution - .. .. - - - 3 6,7 1 2 3 3,7 7

Empoisonnement - - 2 4,7 .. - 3 6,7 - - 1 1) 6 Explosion - .. - - 1 16,7 4 8,9 3 6,1 1 1) 9 Noyade 14 87~ 23 53~ 2 33~ 10 22) 10 20A 17 20,7 76 Autres .. - 7 16~ 2 33~ 3 6,7 2 4,1 3 3,7 17 Total 16 100 43 100 6 100 45 100 49 100 82 100 241

~ Les nombres absolus indiqués renvoient au nombre de victimes et non au nombre d'enquèl~ puisque; en de rares CilS, une enquête peut poner sm plusieurs dëfuniS. Sources : Ml!Q:CMCDQ, TL33,S16,SSI ; TP9, S3,SS26, SSSI ; TL257, SI. SS26,SSS 1. Dossiers des années 1850,1870, 1891 ,1918,1930 et 1950.

%

2~ 3,7 8,7

27~

10

2~ 2~

3,7 31~ 7,1 100

VI ~

55

L'évolution des types d'accidents est ainsi beaucoup plus probante que celle des

principales causes de décès démontrées par le tableau 3. En effet, la fin du XIX' et le

début XXe siècles marquent l'apparition de nouveaux types d'accident comme les

collisions et/ou dérapages impliquant un véhicule-moteur, les électrocutions et les

explosions. Inversement , on remarque que les noyades chutent de façon assez nette au

cours de la période. Le développement du travail en milieu industriel et l'augmentation

de la circulation automobile sont les principaux responsables de cet état de fait.

Le développement des moyens de transport, et surtout l'apparition et la

multiplication de véhicules automobiles dans la région, constituent certainement le

changement le plus important en ce qui a trait au genre de décès accidentels sur lesquels

le coroner doit se pencher. Cette sous-catégorie d'accident est complètement absente de

notre corpus jusqu'en 1918 , mais elle représente la moitié des décès accidentels portés à

l'attention du coroner en 1950 . Et pour cause . Le nombre de voitures augmente

considérablement en Mauricie durant la première moitié du XXe siècle. À Trois-

Rivières, il passe de 72 en 1914 à plus de 2 000 en 1934. Même constat pour la ville de

Shawinigan où on en trouve 15 en 1914 alors qu'en 1934, on en recense 85651• Le

transport par camion est également de plus en plus répandu , notamment pour le transport

de marchandises . C'est au début des années 1930 qu'il sera intégré aux activités de

l'exploitation forestière , servant au ravitaillement et au transport de la main-d'œuvre52.

Outre l'achèvement de grands axes routiers permettant de relier des villes périphériques

comme La Tuque et la réalisation de grands travaux de voirie , les réseaux urbains se

51 René Hardy et Normand Séguin , Histoire de la Mauricie : 629 . 52 Ibid . : 690 .

56

verront dotés de nouvelles rues asphaltées53. Ainsi, la prolifération des voitures et des

camions sur le territoire du district, liée aux travaux publics visant à favoriser le

transport interurbain nécessaire notamment aux petites et grandes entreprises , viendra

accroître le risque d'être heurté par l'un de ces engins motorisés ou d'entrer en collision

avec l'un d'eux.

À la fin du XIXe siècle , l'implantation du réseau électrique s'effectue

graduellement dans les villes et les résidences, mais aussi dans les usines. Utile pour un

éclairage plus efficace des rues et des établissements, l'électricité l'est tout autant pour le

chauffage et le fonctionnement de diverses industries dans les secteurs de la sidérurgie ,

des pâtes et papiers et de l'électrochimie54• Ce dernier domaine industriel se développe

dans la région au début du XXe siècle. Implanté principalement à Shawinigan , ce type

d'industrie utilise et fabrique des composés chimiques pour produire entre autres de

l'acétylène , de l'électricité, des abrasifs et des explosifs55. Les principales entreprises

actives dans ce secteur sont la Shawinigan Carbide, qui devient la Canada Carbide, et la

Canadian Electro Products avec ses trois filiales créées durant la Première Guerre

mondiale pour satisfaire la demande d'explosifs de la Grande-Bretagne. Plus tard, la

Shawinigan Chemicals sera fondée, résultat de la fusion de ces filiales 56. Étant donné

leur secteur d'activités, on comprend pourquoi la majorité des explosions qui ont fait

l'objet d'une enquête du coroner se sont produites dans ces usines57. Ainsi, à l'instar des

53 Ibid. : 628 . ~4 Ibid. : 525 . 55 Ibid. : 535. 56 Ibid . : 535-537. 57 L'ouvrage Histoire de la Mauricie fait état de trois décès lors de l'explosion d'une partie de l'usine de la Canadian Electro Products . Cependant, nous en avons recensé quatre à partir des enquêtes du coroner en 1918 . Le journal Le Bien public du 19 décembre 1918 mentionne également quatre morts . René Hardy et

57

moyens de transport , l'électricité et les matières chimiques constituent deux nouvelles

sources de risque potentiellement mortelles , en particulier pour les travailleurs. Nous

reviendrons plus loin sur les circonstances précises de ce type d'accident.

Si certains types d'accident apparaissent au cours de la période étudiée , d'autres

surviennent de façon ponctuelle . On remarque alors peu de variations dans le temps en

ce qui a trait à leur représentation parmi l'ensemble des morts accidentelles. Les décès

par asphyxie , par brûlures ou des suites d'un empoisonnement démontrent en effet une

certaine constance . On observe toutefois une fluctuation continuelle des chutes et des

coups et heurts tout au long de la période . Cependant, en nombre relatif, les noyades

diminuent grandement au courant de la période, passant de 87 ,5 % des dossiers en 1850

à 33 ,3 % en 1891. En 1950, elles ne représentent plus que 20 ,7 %. La figure 3 démontre

la variation en nombre absolu et en nombre relatif des décès par noyade . Si on observe

une importante chute du nombre de défunts noyés en nombre relatif, la variation est

moins évidente en nombre absolu .

Normand Séguin , Histoire de la Mauricie : 537. « Shawinigan Falls », Le Bien public, no 30 , 19 décembre 1918 : 2.

58

FIGURE 3 Répartition des décès accidentels par noyade, 1850-1950

_._- -

50 100%

40 80% - Décès par

30 60% noyade (nombre absolu)

20 40% - Décès par

noyade (nombre 10 20% relatif)

0 0% 1850 1870 1891 1918 1930 1950

Sources: BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSl ; TP9 , S3 , SS26, SSSl ; TL257 , SI, SS26 , SSSI. Dossiers des années 1850, 1870, 1891 , 1918 , 1930 et 1950 .

Ainsi, la diversification des types d'accident au fil des ans , liée à l'apparition de

nouvelles causes de décès accidentels vers la fin du XIXe siècle - les

collisions/dérapages impliquant un véhicule-moteur font notamment un grand nombre de

victimes au XXe siècle - , pourrait expliquer la diminution importante du pourcentage de

noyades . Cependant, en tenant compte de l'accroissement considérable de la population

entre 1850 et 1950, les noyades s'avèrent beaucoup moins fréquentes.

En outre , nous savons que la révolution industrielle a engendré nombre de

blessures et de décès, surtout en milieu de travail. Or, sur l'ensemble de la période

couverte , les décès accidentels soumis au coroner liés directement à l'industrialisation ne

représentent que 10 %58. Parmi ceux-ci, 83,3 % constituent des accidents de travail (20

décès sur les 24 recensés i 9• Ces accidents sont liés à la mécanisation et à la motorisation

~8 Pour ce calcul , ont été exclus les collisions/dérapages impliquant un véhicule-moteur. 59 Quatre cas d'électrocution et d'accidents mortels liés à la mécanisation du travail sont survenus dans un autre contexte, comme les loisirs ou l'exploitation d'une propriété, ont été pris en compte.

59

des outils de travail de même qu'à l'apparition et à l'utilisation de l'électricité et des

produits chimiques. Ces progrès technologiques causent le plus souvent des

électrocutions ou des blessures mortelles lorsqu'une des bâtisses d'un complexe

industriel explose ou quand un journalier est mutilé à mort par une machine

dysfonctionnelle par exemple. Ainsi, les travailleurs en milieu industriel et

manufacturier sont particulièrement à risque de subir les inconvénients de la révolution

industrielle puisque sur l'ensemble des accidents de travail recensés dans notre corpus ,

37 % Y sont reliés directement (20 sur 54)60. Cela va évidemment de pair avec la

fondation de nombreuses usines et manufactures dans la région vers la fin du XIXe et le

début du XXC siècles. Enfin, en tenant compte également des collisions/dérapages

impliquant un véhicule-moteur (66 décès), manifestations tangibles du développement

des moyens de transport qui avait pour but notamment de combler les besoins liés à la

révolution industrielle , le nombre de morts accidentelles attribuables à l'industrialisation

se chiffre à 37,3 % (90 sur 241).

En ce qui a trait aux décès de cause médicale, il s'avère difficile d'établir un lien

significatif entre l'évolution au fil du temps des diverses catégories de maladies et les

progrès techniques et scientifiques, notamment sur le plan de l'hygiène sanitaire et de la

médecine6!. C'est que les enquêtes du coroner traitent seulement les décès soudains ou

suspects. Dès lors, notre source ne divulgue pas un portrait exact de la réalité. Par

60 Cinquante-quatre accidents de travail ont été recensés parmi les enquêtes du coroner. Nous n'avons pas tenu compte des chutes en milieu de travail puisqu'elles ne résultent pas directement des conséquences de la révolution industrielle . 61 À ce sujet, voir la thèse de doctorat de François Guérard qui traite notamment des effets de la mise en place graduelle de mesures d'hygiène et de santé publiques sur le taux de mortalité de la population des villes de Trois-Rivières et de Shawinigan entre 1887 et 1939. François Guérard , La santé publique dans deux villes du Québec de 1887 à 1939.

60

exemple, nos données ne rendent pas compte de la domination des maladies infectieuses

comme première cause de mortalité au XIXe siècle; l'éclosion d'une épidémie

quelconque n'étant pas considérée comme une cause de décès subit, sauf dans certaines

circonstances. Cependant, l'analyse diachronique des causes de décès médicales peut

donner un aperçu des grandes tendances québécoises en ce qui concerne l'hygiène et la

santé publiques durant cette période. Le tableau 5 présente la répartition des décès

d'origine médicale selon le type de maladie dont le défunt était atteint.

TABLEAU 5 Répartition par année des causes de décès médicales cn fonction du type de maJadie.1850·1950

Catégorie de c.ausc médicale 1850 1870 1891 1918 1930 1950

D' % n % n % n % n % D % Maladies du ~ 2 25 9 40,9 l 100 24 52,2 15 48,4 51 65,4

Maladies de Maladies 2 25 5 22,7 2 4,3 4 12,9 6 7,7

cérébrovasculaires - -

l'appareil circulatoire Autres - -- - -- - - 1 2;1. 1 3;1. -- --

Total 4 50 14 63,6 1 100 27 58,7 20 64~ 57 73,1 Maladies de l'appareil digestif 1 12,5 2 9,1 - - - -- 1 3;1. 1 1,3

Grippe ct - -- - -- -- - 6 13 2 6,5 3 3,8

Maladies de pneumopathie l'appareil Autres (affections

2 9,1 1 2;1. 1 3;1. 3 3,8 -- -- - -respiratoire pulmonaires)

Total - _. 2 9,1 - - 7 15,2 3 9,7 6 7,7 Maladies du système nerveux - -- 1 4,5 -- - 3 6,5 -- - 2 2,6

Maladies endocriniennes, - - 3 3,8 -- - - - -- - - -nutritionnelles ct métaboliques

Maladies infectieuses et 1 4,5 2 4,3 1 3;1. 6 7,7 - - - --

parasitaires Antres 3 37,5 2 9,1 - - 7 15;1. 6 19,4 3 3,8 Total 8 ... 100 22 100 1 100 46 .. ,}OO 31 100 78. ,100

• Les nombres absolus indiqués renvoient au nombre de l'ictimes qui , dans le présent cas. équivaut au nombre d'enquêtes menées par le coroner. Sources: MnQ.·CMCDQ, TL33, S26, SS 1; TP9, 53, SS26, 555 1; TL257, S 1. 5S26, 55S 1. Dossiers des années 1850, 1870, 1891. 1918. 1930 et 1950.

Total D %

102 54fJ

19 10,2

2 1,1 123 66)1 5 2,7

11 5:J

7 3fJ

18 9,7 6 3,2

3 1,6

10 5,4

21 11,3 186 100

0"1 ......

62

Comme François Guérard le souligne, les décès de causes non infectieuses ne

sont guère parlants pour établir une corrélation directe entre les variations des taux de

mortalité et la mise en place de mesures sanitaires. Néanmoins, ceux-ci peuvent être

révélateurs de l'évolution des conditions de vie des populations62. De fait, la forte

augmentation de morts dues à une maladie de l'appareil circulatoire, principalement

d'une maladie du coeur, pourrait renvoyer à la montée de ce type de maladie en tant que

principale cause de décès dans le monde 63. Un changement dans les habitudes

alimentaires et l'augmentation du tabagisme représentent des facteurs de risque qui

semblent poindre dans les habitudes de vie des populations vers le milieu du XX' siècle.

C'est aussi durant cette période que l'espérance de vie s'accroît de façon considérable, la

mortalité infantile ayant enregistré un net recul durant la période de l'entre-deux-

guerres64.

De plus, malgré le peu d'occurrences de ce type, l'augmentation en nombre

absolu et relatif des maladies infectieuses et parasitaires parmi les verdicts du coroner

semble aller à l'encontre de la baisse marquée au Québec et ailleurs en Occident de ce

type de maladie à partir du début du XXe siècle. La diminution de la mortalité infantile,

notamment grâce à l'amélioration de la qualité de l'eau, est la principale cause de cette

décroissance65. Vu ce déclin, il est pensable que les malades dont l'état de santé juste

avant leur décès semblait être imputable à ce genre de maladie représentaient des cas

62 François Guérard, La santé publique dans deux villes du Québec de 1887 à 1939: 231; 422. 63 Organisation mondiale de la santé, « Rapport sur la situation mondiale des maladies non transmissibles 2010 ", [En ligne], http://www .who.int/nrnh/publications/ncd_reportjulLen.pdf, page consultée le 13 août 2013 . 64 François Guérard, La santé publique dans deux villes du Québec de 1887 à 1939 : 410-415. 65 François Guérard , « L'hygiène publique et la mortalité infantile dans une petite ville: le cas de Trois­Rivières , 1895-1939 », Cahiers québécois de démographie, vol. 30 , no 2 (2001) : 254-255 .

63

nécessitant d'autant plus la présence du coroner pour procéder à une investigation. Étant

donné l'amélioration générale de la santé publique à cette époque, décéder d'une maladie

infectieuse pouvait paraître, aux yeux de la population et du coroner lui-même, comme

un événement soudain, voire suspect, qui requiert ses compétences. Qui plus est si la

victime est un enfant en bas âge .

Par ailleurs, si les dossiers du coroner rendent possible, dans une certaine mesure,

l'étude des pathologies et leur évolution, elles pennettent également une analyse

diachronique des nosographies. De fait, les diagnostics médicaux mentionnés dans les

verdicts des enquêtes sont de plus en plus raffinés au cours de la période étudiée66. À

l'instar du vocabulaire plus complexe utilisé pour désigner certaines affections

cardiaques , tel que nous l'avons évoqué précédemment, notre corpus montre une volonté

de précision et de justesse dans les verdicts de mort naturelle. Ce phénomène n'est sans

doute pas étranger aux progrès de la médecine et de la science en général à partir du

début du XXe siècle, mais l'attribution de plus en plus fréquente du poste de coroner à

des médecins y est certainement pour quelque chose. Ainsi, au XXe siècle, plus

nombreux sont les diagnostics auxquels sont jointes des considérations étiologiques. Par

exemple, en 1918, les conclusions du coroner Lambert font état: « ... [d'une] syncope

causée par vieillesse et température excessivement hauté7 ». Dans une autre affaire, le

66 Lessard et Tésio ont également remarqué ce phénomène pour les verdicts rendus par les coroners du district de Québec . Rénald Lessard et Stéphanie Tésio , « Les enquêtes des coroners du district de Québec , 1765-1930 »: 441-442 . 67 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSS1 , Joseph M., no 3, 29 juillet 1918 .

..

64

coroner Michaud conclut que le décès de Adolphe T. a été causé par une coronarite

chronique due à de l'artériosclérose68•

Le vocabulaire employé et la formulation des diagnostics tendent aUSSI à se

complexifier de manière à identifier très précisément la région du corps affectée par la

maladie et, au final , la cause du décès. Alors, on constate qu'au cours de la période, la

part de diagnostics qui reposent sur ce qu'on identifie aujourd'hui comme étant un

symptôme plutôt qu'une véritable affection est à la baisse. Rares sont les verdicts, au

milieu du XXe siècle, qui imputent la mort à des convulsions, à la vieillesse ou à une

syncope ou encore qui ne mentionnent qu'une « cause naturelle 69» pour expliquer la

mort . Il va sans dire que les experts médico-légaux, à qui on fait appel dans certaines

affaires, peuvent parfois orienter le coroner et les jurés dans le choix du verdict à rendre

en fournissant certaines explications et en précisant entre autres l'étiologie de l'affection

responsable de la mOrt. Enfin , les avancées médicales du temps expliquent peut-être la

présence, seulement en 1950, de diagnostics liés aux maladies endocriniennes,

nutritionnelles et métaboliques .

1.3. UN PORTRAIT DES VICTIMES

Tout en tenant compte de certains biais de nos sources, nous avons donc pu livrer

un portrait des risques et de leur évolution au fil du temps. Mais qui sont les victimes?

Certaines causes de décès soudain affectent-elles certains groupes sociaux en

particulier? Les enquêtes du coroner analysées pour la période allant de 1850 à 1950

68 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI , Adolphe T ., Il septembre 1950. 69 Par exemple , voir BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSI , Julie C., no 7, 14 avril 1850; TL257, SI, SS26 , SSSI , Chs Paul Émile C., 24 mai 1918; François G ., 23 décembre 1930.

65

font état de 470 défunts , dont 368 hommes et 101 femmes; le sexe de l'un d'entre eux

demeurant incertain. Âgés entre 0 et 95 ans, la plupart sont cultivateurs, journaliers ou

ouvriers spécialisés70. Parmi eux, 25 % sont âgés de 12 ans et moins. Sachant que ce sont

les accidents et les maladies qui ont fait le plus grand nombre de morts, nous avons

réparti les décès qui en relèvent en fonction de l'âge des défunts (figure 4).

FIGURE 4 Répartition des décès de cause accidentelle et médicale en fonction de l'âge des

défunts, 1850-1950

90

80

70

60

50

40

30

20

10

0 0-15 ans 16-30 ans 31-45 ans 45 ans et plus

- Décès de cause accidentelle

- Décès de cause médicale

Sources : BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI; TP9 , S3 , SS26, SSSI ; TL257, SI, SS26, SSSl. Dossiers des années 1850, 1870 , 1891 , 1918, 1930 et 1950.

À première vue, ce sont surtout les enfants et les jeunes adultes qui sont victimes

d'accident. Quant aux maladies , elles affectent nettement plus les personnes âgées,

même si les enfants demeurent tout de même assez vulnérables. Mais qu'en est-il plus

précisément du profil des victimes par type d'accident ou de maladie? Afin de répondre à

70 Nos résultats s'appuient sur les données disponibles quant à l'âge des défunts . Sur 470 décès , nous connaissons l'âge de 332 d'entre eux. De même, il est à noter que nous ne connaissons pas les professions exercées par toutes les victimes.

66

cette question, nous avons procédé, dans un premier temps, à une ventilation des décès

de cause accidentelle en fonction des caractéristiques sociodémographiques des défunts

(sexe et âge). Le tableau 6 rend compte de cette corrélation.

TABLEAU 6 Répartition des décès accidentels en fonction de l'âge et du sexe des défunts, 1850-

1950

Catégories de cause 0-15 ans· 16-30 ans 31-45 ans 46 ans et Totale

plus accidentelle

m f m f m f m f m f Asphyxie 1 1 1 -- 1 -- -- -- 4 2 Brûlures 2 1 1 -- -- -- 2 1 5 4

Chute 1 1 4 -- 3 -- 5 -- 20 1 Collision/dérapage

impliquant un 15 8 7 3 8 1 7 1 49 16 véhicule-moteurb

Coup ou heurt 1 -- 8 -- 5 -- 3 -- 23 1 Electrocution 2 -- 1 -- -- -- 1 -- 7 --

Empoisonnement 3 -- -- -- -- -- -- -- 5 1 Explosion 1 -- 4 -- 1 -- -- -- 7 2

Noyade 17 1 17 1 6 -- 2 -- n 4 Autres 2 1 2 1 1 1 5 -- 12 5 Total 45 13 45 5 25 2 25 2 204 36

a Les cas où l'âge attribué au défunt est différent d'un témoin à l'autre et chevauche une catégorie d'âges ont été classés dans la catégorie supérieure. b À la catégorie d'âges 0-15 ans, nous devons ajouter un enfant de 2 ans dont le sexe reste incertain . D'où le fait qu'il manque une victime dans la colonne « total » de cette catégorie d'accident. Aussi, trois autres cas (deux garçons en bas âge et une fillette) devraient être ajoutés à cette catégorie d'âges. C Incluant les défunts d'âge inconnu. Nous connaissons l'âge de 162 des 241 individus morts de causes accidentelles. Nous connaissons le sexe de 240 des 241 victimes. Sources: BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI ; TP9, S3, SS26, SSSI; TL257, SI , SS26 , SSSI. Dossiers des années 1850, 1870, 1891 , 1918 , 1930 et 1950.

Parmi les différents types d'accident, les noyades, première cause de décès

accidentelle, font le plus de victimes chez les enfants et les jeunes adultes et, qui plus

est, chez les hommes. Cependant, chez les 0-15 ans, ce sont les collisions/dérapages qui

ont causé le plus de décès. Beaucoup d'accidents de ce genre se sont produits lorsqu'un

67

jeune garçon ou une fillette tentait de traverser la rue en courant ou sans qu'on puisse le

voir. Et il faut dire qu'en cas de collision entre deux véhicules, les jeunes enfants sont

beaucoup plus fragiles , et ainsi, davantage à risque de décéder du fait de l'impact. De

plus, les enfants semblent être particulièrement vulnérables aux empoisonnements

puisque bien que nous ne connaissions l'âge précis de chacun des six défunts de cette

catégorie d'accident , des indices dans les dossiers montrent que cinq d'entre eux sont

assez jeunes. En ce qui concerne les décès causés par les sirops calmants, comme le

sirop d'anis Gauvin (deux cas sur six), Marie-Aimée Cliche a démontré que les parents

des victimes sont issus le plus souvent de la classe ouvrière ou d'un milieu agricole71•

Elle ajoute : « Il ne fait pas de doute que les bébés de familles pauvres ont été les

principales victimes de ces sirops, à la fois à cause de l'analphabétisme des parents et

parce que la précarité des revenus de ces derniers les tenait loin des cabinets médicaux.

72» . Nos données sont toutefois trop minces pour établir une comparaison significative à

ce titre .

Les jeunes adultes (16-30 ans) , quant à eux, sont plus susceptibles d'être victimes

d'une chute, d'un coup ou heurt , d'une explosion ou d'une électrocution. Si on regroupe

ces types d'accident, les jeunes hommes sont plus que quiconque à risque de décéder de

l'une ou l'autre de ces façons. Tel que mentionné précédemment, ces décès accidentels

surviennent la plupart du temps en contexte de travail. La majorité des défunts sont

employés comme journaliers ou ouvriers spécialisés dans des entreprises de Shawinigan

ou de Trois-Rivières. Parmi elles, mentionnons, la Canadian Electro Products qui

71 MaTie-Aimée Cliche, « Un risque parmi tant d'autres » : 149; 157 . 72 Ibid. : 158 .

68

devient plus tard la Shawinigan Chemicals ainsi que la Three Rivers Shipping. D'autres

exercent les professions de bQcheron et de charretier dans les chantiers ou encore sont

journaliers dans des moulins. Nombre d'entre eux perdent également la vie en se noyant;

le nombre de victimes dont l'âge est connu étant parfaitement égal à la catégorie des 0-

15 ans.

Le reste des accidents, comme les asphyxies, les brOlures et les autres types

n'affecte pas une catégorie d'âges plus qu'une autre. Est-ce à dire que les jeunes hommes

faisaient preuve d'imprudence dans leurs agissements? Cette conclusion nous apparaît un

peu facile et relève, à notre avis, du jugement de valeur. Les normes de sécurité de

l'époque, au travail et dans la vie quotidienne, n'étant pas les mêmes qu'aujourd'hui,

affirmer que les acteurs du passé ont commis une imprudence ou qu'ils ont été

négligents constituerait un anachronisme. Bien que très riches sur le plan qualitatif quant

aux circonstances des décès, nos sources sont plus limitées sur le plan des discours

normatifs puisque les témoins, sauf exception, rendent un témoignage essentiellement

factuel; les commentaires étant le plus souvent réservés aux experts, à l'instar des procès

criminels73. Le fait que les accidents mortels touchent davantage les hommes, qui plus

est ceux qui sont dans la fleur de l'âge, s'explique plutôt, à notre avis, par la forme

spécifique de leur contribution à l'économie familiale : leur force physique et leur

endurance sont mises à profit autant à la maison, sur la terre qu'au travail. Ainsi courent-

ils plus de risques que les femmes ou les hommes plus âgés non seulement du fait du

nombre d'activités qu'ils accomplissent, mais aussi du type et de la diversité de ces

73 Emmanuelle D'Astous-Masse, Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920: 32.

69

tâches. Peut-être certains ont-ils été téméraires, mais, hormis quelques cas, les archives

du coroner ne permettent pas de le démontrer de façon certaine. Nous reviendrons plus

en détail sur les multiples circonstances de décès et les conclusions que nous pouvons en

tirer dans le prochain chapitre.

Selon les âges relevés dans les dossiers du coroner, en plus d'être les premières

victimes des noyades et des collisions impliquant un véhicule-moteur, les jeunes enfants

sont également à risque de contracter une maladie tout comme les personnes âgées (voir

figure 4). Du reste, les femmes décèdent de maladie plus que de tout autre cause. Alors,

dans un second temps, nous avons procédé à une répartition des différentes occurrences

de morts de cause médicale en fonction de l'âge et du sexe des défunts, comme pour les

causes de décès accidentelles (tableau 7).

70

TABLEAU 7 Répartition des décès de cause médicale en fonction de l'âge et du sexe des défunts,

1850-1950

0-15 16-30 31-45 Catégories de cause médicale ans· ans ans

m f m f m f Maladies du coeur 3 -- 2 1 6 5

Maladies de Maladies 2 1

l'appareil cérébrovasculaires -- -- -- --

circulatoire Autres -- -- -- -- 1 --Total 3 -- 4 1 8 5

Maladies de l'appareil digestif 1 -- 1 -- -- 2 Grippe et

4 4 -- -- -- 1 Maladies de pneumopathie

l'appareil Autres (affections 1 2

respiratoire pulmonaires) -- -- -- --

Total 4 5 2 -- -- 1 Maladies du système nerveux 1 -- 1 -- 1 1

Maladies endocriniennes, 2

nutritionnelles et métaboliques -- -- -- -- --

Maladies infectieuses et 5 3

parasitaires -- -- -- --

Autres 6 2 -- 1 1 2 Total 22 10 8 2 10 11

, ·Parnules 186 décès de cause médIcale , nous connaIssons l'age de 146 défunts . b Incluant les défunts d'âge inconnu .

46 ans Totalb

et plus m f m f 48 12 80 22

4 7 10 9

-- 1 1 1 52 20 91 32 -- -- 3 2

-- 1 4 7

2 1 5 2

2 2 9 9 -- -- 4 2

-- -- 2 1

-- -- 6 4

5 2 14 7 59 24 129 57

Sources: BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSI ; TP9 , S3, SS26 , SSSI ; TL257 , SI , SS26 , SSSI. Dossiers des années 1850, 1870, 1891 , 1918 , 1930 et 1950.

On constate, sans surprise , que les maladies infectieuses et parasitaires affectent

principalement les enfants en bas âge. Il faut dire que près de 20 % des défunts morts

des suites d'une maladie ou d'une affection subite sont âgés de 5 ans et moins (29 sur

146). Les mauvaises conditions d'hygiène et de salubrité, avant la mise en place de

mesures sociosanitaires , contribuaient à l'éclosion et à la propagation rapide de ces

maladies à forte tendance épidémique. Nous savons que les risques de contagion sont

plus élevés en milieu urbain. Cependant, comme nous l'avons évoqué plus haut , étant

donné que le coroner enquête seulement dans les cas de mort soudaine ou suspecte - les

71

épidémies ne semblent pas faire partie de son mandat - nos données ne montrent pas de

variations selon l'habitat urbain ou non. La grippe et les pneumopathies semblent aussi

affecter davantage les enfants. Mais la mort d'un enfant paraît-elle plus facilement

suspecte aux yeux des gens, ce qui les pousserait à mander une enquête du coroner plus

fréquemment dans ce genre de cas? Par exemple, le rapport du coroner Rochefort sur la

mort d'un enfant de Il mois mentionne: « Petit enfant qu'on a amené presque mort à

l'hôpital Ste-Marie de Trois-Rivières et pour lequel les religieuses et les médecins

avaient des doutes . L'enquête approfondie a montré qu'il n'y eût rien de criminel dans

cette mort mais qu'on était en présence d'[u]n cas très aigu d'entérite. 74» . Plus encore, il

faut dire que dans notre corpus, la plupart des diagnostics de maladies infectieuses et

parasitaires et de grippe datent du XXe siècle, période où, comme nous l'avons indiqué

plus haut, on constate une baisse généralisée du taux de mortalité infantile . Enfin, dans

deux cas sur trois, ce sont des enfants qui ont été touchés par une maladie endocrinienne,

nutritionnelle ou métabolique .

Contrairement à la catégorie des morts accidentelles, les personnes du troisième

âge sont fortement représentées parmi les décès des suites d'un problème de santé. En

effet, la moitié des 186 défunts ont 55 ans et plus et parmi eux , 25 % sont âgés de 71 ans

et plus . Ils décèdent principalement d'affections cardiaques et cérébrovasculaires. Leur

âge avancé les rend plus vulnérables à ce genre d'attaque. De plus, il semble que les

hommes soient plus à risque que les femmes75• Nos données montrent également que les

74 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Camille C. , 1 er janvier 1950. 75 C'est encore le cas aujourd'hui. L'Agence de la santé publique du Canada indique que les hommes courent un peu plus de risques que les femmes d'êu'e atteints de maladies du coeur et d'accidents vasculaires cérébraux . Agence de la santé publique du Canada, « Comment puis-je réduire les risques de

72

problèmes respiratoires semblent affecter plus particulièrement les aînés, tout comme les

enfants en bas âge. La grippe, les oedèmes et les congestions pulmonaires seraient

responsables de quelques décès parmi les 46 ans et plus. Ces résultats, biaisés par les

particularités des mandats du coroner, ne sont pas un reflet fidèle de la réalité. C'est le

caractère foudroyant de la mort qui détermine la nécessité d'une enquête. Les maladies

respiratoires, entre autres, sont connues pour être des maux chroniques, c'est-à-dire à

évolution lente, qui s'aggravent au cours des années. Au final, ce type de décès, plus

prévisible, réduit les probabilités qu'une enquête du coroner soit tenue.

Par ailleurs, malgré que nous ne disposions que de très peu de cas pour faire une

analyse statistique des suicides , il demeure intéressant de dresser le profil de ceux qui

ont choisi de mettre fin à leurs jours. Gestes à la fois honteux, immoraux et en parfaite

contradiction avec les dogmes chrétiens, des cas de suicide ont pu être maquillés en

accident par le suicidé lui-même ou être déclarés tels, à la suite de pressions de la famille

ou d'une décision délibérée du coroner, évitant ainsi aux proches la honte et la

stigmatisation sociale76• Nous reviendrons sur cet aspect dans le troisième chapitre .

Les enquêtes qui ont mené à un verdict de suicide regroupent neuf hommes et

quatre femmes. Dans le district de Saint-François, entre 1900 et 1950, Lachance a

calculé un taux de quatre suicides masculins pour un suicide féminin77. Pour expliquer

contracter une maladie du coeur et de faire une crise cardiaque? » , [En ligne], http://www .phac­aspc.gc.calcd-mc/cvd-mcv/md_reduire-hd_reduce-fra .php , page consultée le 18 août 2013; Agence de la santé publique du Canada, « Comment puis-je éviter de faire un accident vasculaire cérébral? » , [En ligne J, http://www.phac-aspc .gc .ca/cd-mc/cvd-mcv/stroke-accidenc vasculaire_cerebral/risk -risques­fra.php, page consultée le 18 août 2013 . 76 André Lachance , « La vie est si fragile ... »: 68-73 . 77 Ibid. : 78.

73

cette forte différence, il évoque plusieurs théories qui mettent en cause la profondeur des

convictions religieuses des femmes ainsi que leur attachement à la famille et leur plus

grande résilience. D'autres hypothèses penchent plutôt vers le rôle de pourvoyeur qui

incombait à l'homme et sur les représentations et les attentes de la société à son égard78.

Les moyens utilisés divergent aussi en vertu du sexe. Aussi nos résultats concordent-ils

avec ceux de plusieurs études ayant démontré que les femmes se suicident le plus

souvent en se noyant ou en s'intoxiquant alors que les hommes choisissent davantage la

pendaison ou l'arme à feu79• Les caractéristiques sociodémographiques des personnes qui

ont décidé d'attenter à leur vie montrent qu'elles sont âgées entre 24 et 68 ans; la plupart

étant toutefois âgés de 46 ans et plus80. Cela correspond aussi au profil général établi par

plusieurs études qui montrent qu'au début du XXe siècle, le « risque» de mourir d'un

suicide croît avec l'âge, et ce, jusqu'en 1961 où un renversement est observé8l. Sur sept

victimes dont nous connaissons l'état civil, quatre étaient mariées, deux étaient veuves et

une vivait seul. Si ces résultats confirment aussi ceux de Lachance, ce dernier fait

remarquer que compte tenu du fort taux de nuptialité à l'époque, le taux de suicide des

gens mariés était inférieur à celui des célibataires et des veufs82. Enfin, les limites de nos

sources quant aux professions exercées par ceux qui commettent un suicide ne

permettent pas de tirer des conclusions sur ce plan.

78 Ibid. : 78-79 . 79 Ibid. : 8l. 80 Nous connaissons l'âge de huit des treize suicidés . 8 1 Lachance mentionne que les personnes appartenant au groupe d'âges des 45-69 ans étaient les plus enclines au suicide, ce qui correspond à nos données. André Lachance , « La vie est sifragile ... » : 74-75 . Denis Morissette et Robert R. Bourbeau , « Le suicide et l'âge au Québec : analyse transversale et longitudinale », Cahiers québécois de démographie, vol. 12, no 1 (1983) : 23 . 82 André Lachance, « La vie est sifragile .. . » : 78.

74

CONCLUSION

En somme, bien que les données tirées des enquêtes du coroner ne constituent

pas un reflet direct de la mortalité à l'époque, elles demeurent néanmoins une fenêtre

ouverte sur la façon dont une partie de la population mourait et sur les différents risques

auxquels elle était soumise. De l'analyse des causes de décès, il ressort que les accidents

et la maladie sont les plus susceptibles de provoquer une mort précoce ou inattendue.

Les noyades et les collisions/dérapages impliquant un véhicule-moteur s'avéraient les

plus fréquents parmi les décès accidentels. Les premières enregistrent une diminution au

cours de la période, toutes proportions gardées, tandis que les secondes montent en

flèche à partir du XXe siècle. Quant aux décès liés à un problème médical, ce sont les

maladies de l'appareil circulatoire, principalement les affections cardiaques, qui ont

emporté la plupart des défunts. Nous avons toutefois noté que la majorité des cas

s'apparentent à des crises cardiaques ou à des accidents vasculaires cérébraux, ce qui

cadre avec le mandat du coroner, chargé d'examiner les décès soudains. Du reste, les

autres types de risques identifiés, comme le suicide ou le fait d'être victime d'un acte

criminel, quoique bien réels, sont somme toute beaucoup plus rares.

Parmi les décès accidentels, on remarque l'apparition de certains types

d'accidents qui découlent des avancées techniques et scientifiques liées à la Révolution

industrielle et au développement des moyens de transport. Du point de vue des enquêtes

du coroner, le risque de mourir d'un accident lié aux transports est nettement supérieur à

celui de mourir de facteurs liés à l'industrialisation. Mais l'entreprise capitaliste se révèle

certes dangereuse pour les travailleurs en milieu industriel qui sont confrontés à des

75

risques accrus d'accident étant donné la diversification des sources potentielles de

danger. En ce qui a trait aux décès de cause médicale, si l'évolution statistique des cas

traités par le coroner est plus ou moins représentative de la réalité vécue par les

populations, ses enquêtes laissent néanmoins transparaître les progrès de la médecine

dans l'établissement de causes plus précises de décès de même que les différentes

nosographies utilisées au fil du siècle. Les diagnostics se sont en effet raffinés et

complexifiés au fil de temps.

Finalement, nous avons pu avons pu rendre compte de la vulnérabilité

particulière de certains groupes sociaux . Les enfants s'avèrent plus à risque de mourir

noyés, heurtés par un véhicule ou empoisonnés. Les probabilités qu'ils contractent la

grippe ou une maladie infectieuse sont également plus élevées. Les hommes décèdent le

plus souvent des suites d'une chute, d'un coup reçu, d'une explosion, d'une électrocution

ou d'un accident de la route. Les jeunes hommes entre 16 et 30 ans sont aussi

particulièrement sujets aux noyades. Les femmes et les personnes âgées , quant à elles,

sont davantage touchées par la maladie. Il va sans dire que cette corrélation entre le

profil sociodémographique et socioéconomique des victimes et la cause de leur décès

peut être influencée, plus ou moins fortement, par les réalités socioéconomiques et

culturelles du temps.

CHAPITRE 2

Les circonstances des décès et les contextes favorables à la précarité

Louis Zotique H . dit C. est mon fils . C'est le sujet de cette enquête. Il est né vers la fin du mois d'avril dernier. Cet enfant est né sept mois et cinq jours après sa conception . Malgré son âge , il a paru assez bien; depuis dimanche il a cependant paru indisposé , et même bien malade: mardi dernier, au soir, l'enfant était bien mal ; ma femme et moi , ont [sic] s'est couchés vers onze heures et demi. Comme on avait [sic] pas de bed , on avait mis des effets sur une valise et couché l'enfant dessus. Nous ne l'avons jamais couché avec nous autres. Je me suis éveillé une fois dans la nuit. Je ne puis dire l'heure . Ma femme était alors à côté de moi . Je ne lui ai point parlé. Mais j'ai observé que l'enfant était sur son berceau. Je n'ai pas connaissance que ma femme se soit levée dans la nuit. Vers les six heures du matin , ma femme ajetté [sic] un cris [sic], en disant que l'enfant était mort. l'étais alors réveillé . Je me suis levé aussitôt; ma femme avait alors l'enfant dans les bras et disait qu'il était mort. rai vu que l'enfant était mort en effet. Ma femme m'a dit alors quelle [sic] s'était levé [sic] au jour et recouchée. Ma femme nourrissait l'enfant de son lait.]

Le portrait des causes de décès que nous avons présenté dans le chapitre

précédent est entièrement basé sur les verdicts des coroners. Ainsi, si les jurés

concluaient à une mort accidentelle dans un cas, le classement a été fait de manière à

respecter le verdict énoncé. Or, bien que pour la majorité des enquêtes la cause de décès

évoquée dans le verdict soit cohérente avec les circonstances rapportées par les témoins ,

il arrive, dans certaines affaires , que le verdict rendu soit plus ou moins justifié .

1 Témoignage du père de l'enfant. Le verdict fait état que le petit , âgé d'une quinzaine de jours, est mort subitement , par la visite de Dieu , ayant été trouvé dans son berceau. BAnQ-CMCDQ , TP9 , S3 , SS26 , SSS l , Louis Zotique H. dit C., no 22 , 14 mai 1870.

77

Dans ce chapitre , nous adoptons une approche plus contextuelle, centrée sur les

différentes sphères de la vie sociale et des pratiques de l'époque. Ainsi, nous intéressons­

nous à présent aux circonstances des décès afin de mieux appréhender les risques liés à

l'environnement matériel, domestique, professionnel et communautaire dans lequel les

gens de l'époque oeuvraient. Comparativement à l'examen des verdicts, qui rendent

compte de l'immédiateté de la cause de décès, l'analyse des témoignages rendus au cours

des enquêtes permet , d'après les propos des témoins , d'établir le fil des événements .

Comme dans le témoignage cité ci-haut , la conjonction de facteurs qui mènent à une

mort subite ou violente peut ainsi être établie . Cette succession d'événements , dans

laquelle sont en jeu certaines attitudes et pratiques des gens d'autrefois, doit être

comprise et analysée en regard du contexte propre à l'époque étudiée. Imputer de

l'imprudence ou de la négligence aux acteurs du passé pour expliquer leur propre mort

ou le décès d'autrui en se basant sur des normes actuelles nous apparaît problématique.

L'adoption délibérée de certains comportements pouvait certes accroître les risques de

décès , mais les gens étaient également soumis à des contextes et des circonstances qui

échappaient à leur contrôle et qui rendaient leur vie plus « fragile »2.

Les 470 décès ont été répartis selon la catégorie de circonstances de décès à

laquelle ils correspondent (tableau 8). Cette catégorisation ressemble à celle utilisée pour

répartir les causes de décès. Par exemple, les morts naturelles correspondent aux décès

de cause médicale.

2 Nous reprenons ici l'expression d'André Lachance . André Lachance , « La vie est sifragile .. . » .

78

TABLEAU 8 Répartition des décès en fonction des circonstances de la mort, 1850·1950

Mort Mort Mort Mort

Autres Circonstances par acte Total naturelle accidentelle par. circonstancesb inconnuesc

suicide criminel 190 225 14 4 5 32

(186)" (241) (13) (4) (8) (18) 470

, , , , , . . • Les nombres entre parentheses referent aux resultats obtenus lors de la repartItlOn des décès en fonctIon de la cause de la mort (voir chapitre l , tableau 3). b Les « autres circonstances » regroupent les cas où le décès survient dans des circonstances précises , mais un doute subsiste à savoir s'il résulte du hasard , suggérant alors un accident , ou s'il est le résultat d'un suicide ou d'un acte criminel. C Lorsque, dans certaines affaires, des témoins présument des circonstances de décès, nous les avons classées comme étant des « circonstances inconnues ». Sources : BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSI ; TP9, S3, SS26, SSSI ; TL257 , SI, SS26, SSSI. Dossiers des années 1850, 1870 , 1891 , 1918 , 1930 et 1950.

Les résultats obtenus sont sensiblement les mêmes que pour les causes de décès. C'est

dire que , de notre point de vue, les propos des témoins , en n'excluant pas le fait que

ceux-ci peuvent être biaisés en fonction notamment de leur lien de parenté avec le

défunt, légitiment la plupart du temps la nature des verdicts rendus par les jurés et le

coroner. Les différences observées viennent entre autres du fait qu'un décès de cause

accidentelle peut s'expliquer par des circonstances médicales. Par exemple, Adolphe L.

s'est noyé accidentellement dans la rivière Batiscan en décembre 1870. Le témoin

George F., qui était avec lui au moment de l'accident , explique:

[ ... ] Samedi dernier, le trois du présent mois, j'étais sur le côté sud de la rivière Batiscan et dans le même te ms [sic] Adolphe L. repoussais [sic] son canot dans lequel nous étions traversé [sic] pour avoir la corde pour attacher le canot. Pendant qu'il était dans le canot, il s'est mis à se lever et à regarder en l'air, car il tombait d'un mal, (épilepsie) et finalement il a ployé et tombé à l'eau. Il est certain qu'il était attaqué de son mal quand il a tombé. Je l'ai vu tomber souvent...3

Certains dossiers ne contiennent parfois qu'un seul témoignage qui, lui-même, reste

assez imprécis sur les circonstances entourant la mort du sujet de l'enquête. Joseph P. ,

3 BAnQ-CMCDQ, TP9, S3 , SS26 , SSSI , Adolphe L. , no 27, 5 décembre 1870.

79

seul témoin dans l'enquête au sujet de la mort de François C., 22 ans , affirme que

lorsqu'il a repêché le corps, il a reconnu le défunt qui s'était noyé « par pur accident 4» au

courant du mois précédent. Dans d'autres affaires, si le coroner a assimilé le décès à un

accident, nous ignorons tout du déroulement des événements puisque aucun témoin

oculaire n'était présent. Dans l'affaire d'Amédée G., âgé de 4 ans , le seul témoin entendu

par les jurés déclare que le défunt a été présumé noyé après sa disparition . Le témoin

affirme qu'il ne sait pas comment l'enfant, retrouvé dans la « grande rivière Machiche »,

est tombé dans l'eau, mais « [qu'il est] convaincu qu'il y est tombé par accident et que

personne n'a contribué à sa mort 5». Cela explique la plus forte proportion de «

circonstances inconnues » . Cependant, il faut dire que dans la plupart des cas, cette

catégorie regroupe bon nombre de cadavres ayant été retrouvés noyés et dont la cause du

décès n'a pas été déterminée .

Une analyse plus fine a été menée à bien pour les circonstances de mort

accidentelle et naturelle afin d'appréhender plus précisément la manière dont les gens

décèdent à l'époque. Les situations et les comportements qu'on peut considérer « risqués

» seront dès lors mis en évidence de même que les facteurs qui ont pu contribuer à une

mort qui , la plupart du temps , était prématurée .

2.1. LES MORTS ACCIDENTELLES

Les décès survenus dans des circonstances accidentelles , les plus fréquents, ont

été répartis en fonction du type d'activités auxquelles les défunts s'adonnaient au

4 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SS 1, François C., no 17 ,21 juin 1850. s BAnQ-CMCDQ, TL33, S26 , SSI, Amédée G., no 25 , 5 septembre 1850 .

80

moment de mounr. Ainsi avons-nous pu les classer en cmq sous-catégories, soit les

accidents domestiques ou ceux liés à la propriété et à son usage, les accidents de travail,

ceux liés aux transports, ceux survenus dans le cadre de loisirs et les autres circonstances

accidentelles (voir figure 5) . Ces dernières incluent 16 décès que nous n'avons pu

intégrer aux autres catégories , faute de précision ou en raison d'une ambiguïté quant à la

nature de l'activité exercée par les victimes au moment de leur trépas ou encore lorsque

les circonstances de la mort s'avèrent extraordinaires, comme dans le cas d'éboulis ou de

l'écroulement d'une partie d'une maison6.

FIGURES Répartition du nombre relatif de décès survenus dans des circonstances

accidentelles par type d'activités, 1850-1950

60%

50%

40 % +--=---1

30%

20%

10%

0% 1850 1870 1891 1918 1930 1950

Autres circonstances accidentelles

• Accidents domestiques ou liés à la propriété et à son usage

• Dans le cadre de loisirs

• Accidents de travail

• Accidents liés aux transports

Sources: BAnQ-CMCDQ, TL33, S26 , SSI; TP9 , S3, SS26 , SSSl ; TL257 , SI , SS26 , SSSI. Dossiers des années 1850, 1870,1891,1918 , 1930 et 1950.

6 En plus du cas d'éboulis déjà présenté , voir: BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3, SS26, SSSI , Délima T ., Tharsile L. et Alvina L , no 21 , 26 octobre 1870 . Voir aussi: Adolphe C. , no 6 , 25 juillet 1870.

81

2.1.1. Les accidents liés aux transports

Sur l'ensemble de la période, les accidents liés aux transports (routes, rails et

voies maritimes) sont les plus nombreux (78 décès). C'est cependant au XXe siècle qu'ils

feront le plus grand nombre de victimes, qui plus est sur les routes. En effet, l'arrivée de

l'automobile aura un impact majeur sur le nombre de décès accidentels au sein du district

judiciaire de Trois-Rivières, réalité que nous avons déjà évoquée. On recense tout de

même quelques cas de naufrage dont un plus important, survenu le 8 octobre 1869 sur la

rivière Saint-Maurice à un endroit appelé « La Pointe à Château » lorsqu'un chaland,

remorqué par des chevaux et transportant plusieurs personnes ainsi que diverses

marchandises, a chaviré par la force du courant. Au sujet de l'endroit où l'accident s'est

produit, le journal Le Constitutionnel rapporte: « Il y a là , surtout durant les eaux hautes,

des tourniquets très dangereux . Par la maladresse de celui qui tenait le gouvernail on

laissa entraîner le chaland dans un grand remou [sic] et il chavira 7». D'autres accidents

impliquent des voitures ou des machineries à traction hippomobile : leurs conducteurs

font des chutes ou sont écrasés après avoir dérapé ou frappé une pierre, ou à cause de

chevaux trop « fringants » 8 .

Cependant, la plupart des accidents liés aux transports ont été causés par des

véhicules-moteurs et plus particulièrement par des voitures et des camions (64 décès).

7 « Accident sur le St. Maurice . 12 hommes noyés » , Le Constitutionnel , vol. 2, no 55 (Il octobre 1869). Bien que le journal rapporte le décès de 12 hommes , seulement huit ont fait l'objet d'une enquête du coroner. 8 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Joseph Honoré L. , 23 mai 1950. Pour d'autres exemples, voir TL257, SI, SS26, SSSI, Télesphore T ., no 142, 5 juillet 1930; TP9 , S3, SS26, SSSl, Paul L., no 13 , 1er

avril 1870; Pien-e B., no 16, 22 septembre 1870.

82

Nous les avons répartis en fonction du type de collision qui s'est produit et du type de

véhicule impliqué (figure 6).

FIGURE 6 Répartition des décès accidentels liés aux transports impliquant un véhicule­

moteur en fonction du type de collision et du type de véhicule impliqué, 1850-1950'

25 ,------------------------------------------------------------21

20 +----- -------

15 +----------------------

10 +----0------------------

5

o Collision/dérapage Collision/dérapage Piéton tué par une Piéton tué par une Piéton tué par une Autres

entre deux entre une collision avec une collision avec collision avec un automobiles automobile et un automobile véhicule lourd ou train

véhicule lourd ou un autobus un autobus

• La catégorisation s'inspire de celle de la CIM-lO , version 2008. Sources : BAnQ-CMCDQ, TL33, S26 , SSI ; TP9 , S3 , SS26 , SSSI; TL257, SI , SS26 , SSSI. Dossiers des années 1850 , 1870 , 1891, 1918 , 1930 et 1950 .

Il semble que ce soit les piétons qui soient les plus à risque. Parmi les 33 piétons qui ont

été tués, 21 sont âgés de 15 ans et moins. Pour la plupart, ces enfants sont morts d'une

fracture du crâne en voulant traverser la route en courant ou sont tombés sous les roues

d'un véhicule qui reculait. Les conducteurs, quant à eux, ne les ont pas vus ou n'ont pas

été en mesure de freiner assez rapidement pour les éviter, et ce, même s'ils roulaient à

une vitesse modérée. Deux fillettes sont mortes écrasées sous les roues d'un camion

chargé de 800 gallons d'huile alors qu'elles glissaient en traîneau dans la pente de la rue

83

Saint-Charles à Shawinigan . Le camionneur, qui lui, montait la pente, ne les a tout

simplement pas vues9.

D'autres fois , il arrive que des enfants, qui s'étaient mis sur le côté de la route en

voyant arriver un véhicule , décident tout de même de traverser ou de changer de

direction au dernier moment. C'est ce qu 'a fait Léandre C. , 10 ans, qui jouait dans la rue

avec ses camarades en revenant de l'école. Averti de se mettre sur le côté parce qu'une

voiture se dirigeait vers eux , il leur a répondu qu'il le ferait lorsqu'il serait prêt. Le

conducteur de l'automobile, qui roulait à environ 35 milles à l'heure, explique : « À

environ 10 pieds j 'ai vu sortir deux enfants de la foule des enfants qui jouaient là, l'un a

traversé le chemin , l'autre a retourné près de la machine . J'ai appliqué mes freins. J'ai

senti un choc suffisant pour m'expliquer que l'enfant avait été frappé 10». Souvent surpris

par l'arrivée ou le klaxon des véhicules , ces enfants perdent la vie parce qu'ils se sont

arrêtés brusquement dans la rue ou parce qu'ils surgissent soudainement de derrière un

camion ou un autobus qui les cache aux yeux des autres automobilistes. Passager de la

voiture qui a frappé une fillette sortie en courant de derrière un camion, Normand B.

déclare : « Juste avant d'être frappée l'enfant a fait un mouvement pour se retourner, elle

a mis son bras devant sa figure "». La conduite imprévisible des enfants , la visibilité

parfois obstruée, le hasard et la malchance expliquent en majeure partie ces accidents de

la route , et ce, bien plus que la vitesse ou l'imprudence.

9 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Lise L. , 17 janvier 1950; Carmen G. 17 janvier 1950. Pour un autre exemple, voir TL257 , SI , SS26 , SSSI , Marcel P., 7 février 1930. 10 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Léandre c., 7 juin 1950 . I l BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Denise S., 26 juin 1950.

84

En ce qui a trait aux collisions survenues entre deux véhicules-moteurs ou plus

ainsi qu 'aux autres accidents de la route, plusieurs sont le résultat d'une perte de contrôle

ou d'un capotage causés par de mauvaises conditions météorologiques (glace , pluie ,

brouillard), l'état de la route (présence de petites pierres concassées , chemin étroit) ou

par une fausse manoeuvre de la part d'un conducteur. La présence d'un chien sur la route

a causé une collision frontale entre un camion et une voiture 12 alors que la fatigue d'un

camionneur l'a fait dévier de sa voie et percuter une automobile qui arrivait en sens

inverse dans laquelle prenaient place un couple et leurs deux enfants . Lors de son

témoignage , la mère du jeune garçon qui a péri lors de cet accident raconte:

We were driving along and had not met any other cars until we saw this great big red truck coming from his own side of the road, right over in front of us. We never had a chance: if we had had a chance, 1 would have grabbed my two children but 1 never had a chance to do that : he just deliberately came right over in front of us and smacked right into US.

13

Des manoeuvres de dépassement se sont aussi soldées par des face-à-face ou des

pertes de contrôle; les véhicules ayant percuté un poteau ou s'étant retrouvé dans un

fossé. De même, on recense quelques emboutissages attribuables notamment à la

noirceur, à la pluie et au brouillard , ainsi qu 'à la vitesse . Au mois d'août 1950, un

motocycliste a perdu la vie en tentant de dépasser une voiture alors qu'une autre se

dirigeait vers lui en sens inverse . Le jeune homme de 20 ans est demeuré coincé entre les

deux automobiles au moment où les trois véhicules se sont rencontrés 14 . Rares sont les

accidents impliquant un train , mais soulignons le décès de deux frères âgés, qui

occupaient une voiture à traction animale, décédés après avoir été frappés et projetés en

12 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Jean-Jacques D. et P-Émile G ., 19 octobre 1950. 13 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI , David N. , 5 juillet 1950. 14 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Normand V., 16 décembre 1950.

85

l'air par une locomotive. Ayant repéré un train de marchandises stationné à leur droite

avant de traverser la voie ferrée , ils n'ont pas vu le train de passagers qui arrivait de

l'autre côté et n'ont pas entendu le sifflet d'avertissement qui , selon plusieurs témoins ,

n'était pas très fore s.

La vitesse et l'alcool sont à l'origine de quelques accidents. C'est le cas

notamment d'un groupe de jeunes hommes, partis à 5h30 sur la route de Pointe-du-Lac

après avoir passé la nuit à discuter, qui ont terminé leur chemin dans un fossé; le

conducteur n'ayant pas été en mesure de prendre la courbe notamment à cause de la

mauvaise visibilité due au brouillard. Le dossier d'enquête montre que plusieurs

occupants du véhicule avaient bu de l'alcool, dont le conducteur, mais cela quelques

heures auparavant. Ainsi, nous ne pouvons être certaine que l'alcool ait constitué un

facteur de risque déterminant dans cette affaire, tout comme dans quelques autres l6• Le

fait que le conducteur n'avait pas de permis de conduire a pu contribuer à cet accident.

De manière générale, la consommation d'alcool, la vitesse et le manque d'expérience

(absence de permis) ne suscitent que quelques décès, et ce, parfois indirectement. La

multiplication de divers facteurs externes (état des routes, conditions de la chaussée ,

mauvaise visibilité, etc.) concourt davantage à provoquer les accidents de transport. Nos

résultats contredisent ici ceux de Michel Sharpe qui impute la majorité des accidents de

la route du district de Saint-François à la vitesse, à l'ivresse et à la conduite sans permis

des automobilistes, et donc à des facteurs dépendant du contrôle des individus 17.

15 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26, SSSI, Maxime Ovide S., 17 juillet 1950; Henry S., 17 juillet 1950. 16 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSS1 , Donat B ., no 26, 9 décembre 1930. Voir aussi Edmond D. , 25 août 1930; Ildège M., 25 août 1950; Noël B., 26 juillet 1930. 17 Michel Sharpe, La mort violente à Sherbrooke de 1901 à 1930 : 70.

86

Bien sûr, certains défunts ont parfois mis leur propre vie en péril en se mettant

eux-mêmes dans des situations dangereuses. Armand M. , âgé de 14 ans , est mort écrasé

par une locomotive alors qu'il jouait, avec ses amis, à y monter à l'insu du conducteurl 8.

Le petit Paul G., quant à lui, a succombé à une fracture du crâne, après être tombé sous

les roues du camion auquel il s'était agrippé 19. Mais peut-on vraiment parler

d'imprudence et d'inconscience, comme semble le faire Sharpe , dans tous les cas

d'enfants qui traversent la rue en courant ou qui en font leur terrain de jeux20? Et peut-on

du coup affirmer qu'ils ont « ... volontairement mis leur vie en péril 21»? Nos sources ne

permettent pas, à notre avis, de tirer ce genre de conclusions qui relèvent d'une analyse

basée sur des normes actuelles en matière de sécurité. Aucun des témoignages que nous

avons analysés pour des cas similaires n'attribue la responsabilité de l'accident à l'enfant

ou même à l'adulte qui a décidé au dernier moment de traverser ou de changer de

direction. Personne , à l'époque , n'a relevé une anomalie quant au fait que des jeunes

glissent en traîneau ou jouent au hockey dans les rues. Nous avons montré que d'autres

facteurs sont en cause. Alors , il nous apparaît un peu simpliste de réduire les

circonstances de décès à la seule imprudence des piétons et plus particulièrement à celle

des enfants. Encore fallait-il que ces derniers soient au fait des dangers que représente la

circulation automobile . Et que la société, dans son ensemble, ait fait de la sécurité

routière un enjeu important et ait mis en place les pratiques institutionnelles qui

permettraient d'établir cette imprudence, sur le plan normatif.

lB BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSl , Armand M. , no 11 , 18 juin 1918 . 19 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSl , Paul G., 30 août 1930. 20 Michel Sharpe , La mort violente à Sherbrooke de 1901 à 1930 : 71 . 21 Ibid . : 63 .

87

2.1.2. Les accidents de travail

Si ce sont les accidents liés aux transports qui ont été les plus funestes , les

accidents de travail arrivent au second rang (54 décès). Comme nous l'avons évoqué au

chapitre précédent, c'est dans ces circonstances que sont survenues la majeure partie des

chutes , des électrocutions , des explosions et des heurts. Les accidents liés aux transports

qui sont survenus dans un contexte de travail (un employé de chemin de fer par

exemple) ont été classés comme étant des accidents de travail. Toutes les personnes qui

ont été tuées alors qu'elles s'affairaient à un emploi salarié ont été considérées comme

étant victimes d'un accident de travail. Il faut encore une fois souligner les limites de nos

sources qui ne font certainement pas état de l'ensemble des accidents mortels au travail.

À ce titre, le rapport de la Commission Globensky sur les accidents de travail, publié en

1908 , évalue que le tiers des accidents ne sont pas rapportés aux inspecteurs par les

manufacturiers, et ce , même s'ils sont tenus de le faire22.

L'industrie forestière ainsi que le secteur des pâtes et papiers font beaucoup de

victimes. Dans les chantiers , des bûcherons expérimentés meurent assommés par un

arbre abattu par eux-mêmes ou par un collègue qui travaillait plus loin. Le maniement et

le déchargement de bûches s'avèrent aussi des opérations dangereuses ; les travailleurs

risquent d'en recevoir une sur la tête, de chuter ou d'être frappés lorsqu'elles déboulent.

Cela provoque plusieurs fractures du crâne, mais quelques-uns sont morts noyés , tombés

à l'eau après avoir reçu un coup . Un journalier, dont le travail consistait à pousser des

22 Rapport de la Commission Globensky sur les accidents du travail , Québec , Imprimeur du roi, 1908 : 11-12 .

88

bûches dans des glissoires , est mort d'un enfoncement du crâne après avoir été frappé par

l'une d'elles . Son collègue explique:

Quand la glissoire s'est bloqué [sic] j'ai donné le signal à Monsieur Antonio L. d'arrêter le moteur. Je voyais Paul Émile N. qui était sans connaissance. [ ... ] D'après moi c'est une bûche frappé [sic] par la chaîne qui a frappé N . Assez souvent depuis qu'ils ont fait ce nouveau convoyeur il s'échappait souvent des bûches qui étaient frappées par la chaîne . Nous étions avertis et il fallait se surveiller. D'après moi, il y aurait moyen il me semble d'empêcher les bûches de tomber à côté de la glissoire en mettant des gardes de bois sur les côtés. C'est le seul endroit où les bûches sont ainsi projetés [sic].23

Le transport du bois sur l'eau et sa transformation dans les moulins et les industries

papetières sont aussi responsables de quelques décès d'hommes . Certains se sont noyés

lors de la descente de cages de billots ou lors du marquage du bois avant son passage

dans les estacades . D'autres ont été fauchés par une scie , des bûches tombées ayant été à

l'origine d'un dysfonctionnement du mécanisme du moulin, alors que d'autres encore ont

été atteints mortellement par des morceaux de bois projetés par la scie . C'est ce qui est

arrivé à Ernest P. , mécanicien à la St-Lawrence , lorsqu'un morceau d'une roue , qui

tournait à une vitesse de 380 tours à la minute, l'a frappé lorsqu'elle s'est brisée. D'après

son collègue et le contremaître, l'épaississement de la pâte à papier a causé une

surcharge, faisant ainsi tourner la roue en sens contraire jusqu'à ce qu'elle se brise24•

Le secteur de l'électrochimie, implanté principalement à Shawinigan , est à

l'origine d'accidents particuliers , événements qui prennent parfois une grande ampleur.

Les employés des usines sont mis en contact constant avec des composés chimiques

nocifs et potentiellement explosifs. Rappelons la puissante déflagration qui s'est produite

à l'usine de la Canadian Electro Products en 1918 et qui a fait quatre morts. Une

23 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI , Paul Émile N., no 17 , 25 août 1930 . 24 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Ernest P., no 25 , 10 novembre 1930.

89

explosion de gaz à la Shawinigan Chemicals, en 1930, a aussi tué deux hommes. Dans

les deux cas , les témoins s'expliquent malles causes de l'explosion, mais le surintendant

de l'usine Chemicals soutient que c'est un mélange d'air et d'acétylène qui a provoqué la

tragédie, et ce, même si « the acetelyne [sic] and air are not supposed to explode unless

sparked 25». Il semble que l'année 1930 soit particulièrement meurtrière pour les ouvriers

de cette usine puisqu'un autre homme a péri, asphyxié au gaz d'acide acétique glacial.

Descendu dans un réservoir à acide qu'il venait de laver après y avoir laissé tomber un

outil , le défunt est demeuré pris au piège après avoir inhalé des vapeurs résiduelles

d'acide acétique , cela même s'il portait un masque à gaz et que le réservoir avait été

inspectë 6• Une chute d'une hauteur de 22 pieds a aussi causé des lésions internes fatales

à un journalier de la compagnie qui a perdu l'équilibre en transportant un morceau de

Les chutes mortelles surviennent cependant dans plusieurs secteurs d'activités .

Les travailleurs , visiblement jamais attachés à l'époque , perdent pied , le plus souvent

alors qu'ils maniaient des outils ou des matériaux à des hauteurs parfois considérables.

Des échafauds se brisent tandis qu'en d'autres occasions , la cause de la chute demeure

inconnue. Alors qu'il se trouvait à environ trois mètres de son compagnon, un briqueteur

raconte : « Je venais de parler avec M. B. [le défunt] et je me suis tourné pour poser un

morceau de [illisible]. En me tournant [ ... ], je l'ai aperçu il était à terre 28» . Un autre

employé demeure perplexe: « D'après moi , la hauteur de l'échafaud était de 5 pieds et

2~ BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI , SS26, SSS l , Orphin J . et Edgar C., 7 août 1930. 26 BAnQ-CMCDQ , TL257, SI, SS26, SSSl , Henri S., 16 janvier 1930. 27 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSl , Onésime B., 7 septembre 1930 . 28 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSl , Théophile B., no 21,11 septembre 1930.

90

demi de haut. C'était une place non dangereuse. L'échafaud était en très bonne [sic] ordre

29». Dans certains cas, le facteur humain est déterminant pour expliquer les chutes

mortelles. L'ivresse , le manque d'expérience, une mauvaise coordination entre les

employés ou l'exécution d'une tâche défendue ont occasionné des pertes de vie . Un

membre de l'équipage d'un bateau s'est tué en tentant d'y remonter par une échelle. Ivre ,

il est passé entre les deux câbles qui servent de garde et il est tombé sur le dos, sur le

ciment du quai. En 1918 , pour rendre service en l'absence du responsable , un chauffeur

est monté sur une machine et a alors malencontreusement touché les fils électriques qui

se trouvaient au-dessus , ce qui l'a fait tomber d'une hauteur de 15 à 20 pieds . On lui avait

pourtant interdit d'exécuter cette tâche puisque des experts y sont spécialement

affectés30.

La spécialisation des tâches ne met pas non plus les travailleurs à l ' abri . Des

employés préposés à l'entretien et à la réparation de lignes électriques sont morts

électrocutés. Si certains se sont approchés trop près des lignes à haut voltage , quelques

électrocutions sont le fait d'un outillage défectueux. Par exemple, un employé de la

Yamachiche Électrique est mort lorsque lui et son compagnon de travail ont remis sous

tension la ligne électrique du village de Saint-Barnabé , croyant l'avoir réparée. Aux dires

de son collègue, il semble que la mise à la terre, qui doit servir en principe de protecteur,

n'ait pas fonctionné puisque le défunt est mort est touchant l'interrupteur qui sert à

remettre le courane l. Mais la multiplication des lignes électriques dans les villes et

villages tout au long du XXe siècle a fait en sorte d'accroître également les risques même

29 Ibid. 30 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , John G. , no 5, 24 mai 1930; Laurea D., no 11 , 30 août 1918. 31 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , Pierre V., no 4 , 31 juillet 191 8.

91

pour les travailleurs au sol. Un opérateur de pelle mécanique a été électrocuté après

avoir accroché des fils à haute tension de 60 000 volts avec le mât de son engin.

Les navigateurs et les matelots sont évidemment plus à risque de mourir noyés.

De fausses manoeuvres, réalisées par les victimes elles-mêmes, jointes à la malchance ,

sont souvent responsables de leur perte. En fermant une voile, l'employé d'un chaland est

tombé à l'eau. Selon le capitaine : « Soit qu'il a mal placé sa barre ou soit qu'il se soit

mal placé 32». Le journalier qui travaillait avec le défunt estime pour sa part qu'il a

probablement glissé et ajoute: « C'est probablement un manque de précaution 33». Les

déplacements entre les quais et les vaisseaux ou entre deux embarcations occasionnent

également des noyades . On s'empêtre dans des câbles ou on tombe à l'eau en traversant

d'un chaland à un autre sur des madriers fragiles .

Bref, à l'instar des accidents liés aux transports, les décès survenus en contexte de

travail sont principalement le fait de la dangerosité même des tâches et des lieux de

travail et, concurremment, de la malchance. Peu importe l'homme et ses qualités , la mort

peut frapper. Sauf exception , les hommes qui ont perdu la vie étaient des travailleurs

d'expérience, qui avaient accompli les mêmes tâches maintes et maintes fois. Ils n'ont

fait que subir les aléas de leur métier à risque lorsque, par exemple, « ... un arbre est

tombé d'une manière défectueuse 34» ou qu'ils n'ont pas entendu pas les cris

d'avertissement de leurs compagnons de travail lorsqu'est survenu un dysfonctionnement

potentiellement dangereux. La plupart des chutes, des coups mortels, des explosions et

32 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSl , Moïse D., no 7 , Il juin 1930. 33 Ibid. 34 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI, SS26 , SSSl, Donat T ., no 6, 2 août 1918 .

92

des électrocutions observables dans les enquêtes du coroner sont survenus de façon

inopinée sans que les témoins rejettent la responsabilité sur une erreur humaine ou sur la

machine. Certes , il a été démontré que les ouvriers oeuvraient dans un environnement de

travail risqué. En font foi les nombreux incidents, mortels ou non, rapportés dans la

presse au sujet d'hommes ayant été mutilés, brûlés, heurtés, électrocutés 35, etc.

Cependant, nos sources montrent seulement un petit nombre d'accidents de travail

mortels qui résultent du mauvais état de l'outillage, ce qui n'empêche pas que même en

bon état , les machines peuvent tout de même être bien dangereuses. Et c'est parfois la

combinaison de plusieurs facteurs qui mène, ultimement, au décès. C'est le cas d'un

jeune homme de 16 ans , employé par la Shawinigan Electro Metals Co., qui a voulu

remettre en place une courroie sur une machine qu'on a volontairement maintenue en

mouvement. Adélard G., électricien et mécanicien au sein de la compagnie, explique les

circonstances de l'accident:

Il arrive assez souvent que les courrois [sic] se déplacent. [ ... ] Son gant s'est pris entre la courrois [sic] et la poulie et il a été emporté par le tournant de la poulie. Ce n'est pas l'habitude d'arrêter les machines pour remettre les courroies. Quand c'est un novice on arrête les mouvements pour leurs [sic] montrer l'ouvrage qu'il y a à faire. [ ... ] Le défunt faisait cet ouvrage depuis 6 mois.36

La défectuosité de l'appareil constitue certainement l'élément déclencheur, mais les

procédures appliquées ont joué un rôle déterminant dans cette issue funeste. Dans cette

entreprise, notons-le, six mois semblent suffire à faire un homme d'expérience.

Mais peut-on pour autant affirmer que les travailleurs et la société en général

demeuraient passifs face à ces décès , les considérant comme des fatalités liées aux

35 Une simple consultation de la base Mauricie : bases de données en histoire régionale en fait foi . 36 BAnQ-CMCDQ, TL2S? , SI , SS26 , SSSl , Victor A. dit L. , no 4 , 19 avril 1918 .

93

impératifs du capitalisme industriee7? Cette position se doit , à notre avis, d'être nuancée

notamment en regard du passage, en 1931 , d'une seconde Loi des accidents du travail

qui les considère dès lors comme un risque social en s'appuyant sur le principe de

responsabilité collective des employeurs. Ces derniers se voient alors dans l'obligation

de cotiser à un fonds destiné à l'indemnisation des victimes d'accidents de travail. C'est

la Commission des accidents de travail, mise sur pied en 1928, qui se charge de gérer les

indemnités et de déterminer les cotisations des patrons d'entreprise38• Ainsi, à partir de

cette époque, la prise en charge et la gestion des accidents de travail sont-elles passées

du principe du « cas par cas », encadrés et réglés par les tribunaux , à celui de

responsabilité collective de la part des employeurs sous la gouverne d'une commission

dédiée exclusivement à ceux-ci. Magda Fahrni avance d'ailleurs l'idée qu'un seuil de

tolérance populaire à l'égard des accidents, franchi dans le premier quart du XXe siècle,

ait été à l'origine d'un vaste mouvement public d'indignation et de colère envers la

société industrielle et ses prétendues fatalités . Ce mouvement a entraîné la fondation, en

1923, de La Ligue de sécurité de la province de Québec, une association de prévention et

d'éducation populaire à l'égard principalement des accidents de la route , mais aussi de

ceux qui sont susceptibles de survenir au travail , à la maison et dans les lieux de 10isirs39.

37 C'est ce que Michel Sharpe soutient pour clore son chapitre sur les accidents mortels: « Aveuglés par le profit et le désir d'améliorer sa vie matérielle, le peuple ne s'est rendu compte que des bienfaits de cette modernisation et il ne s'est attardé que très brièvement aux dangers qu'elle comportait considérant ceux-ci comme étant , en quelque sorte , normaux et faisant partie intégrante de sa nouvelle vie. ». Michel Sharpe, La mort violente à Sherbrooke de 1901 à 1930: 105 . 38 André Lachance , « La vie est si fragile ... » : 109. 39 Magda Fahrni ,« « La lutte contre l'accident » » : 182; 193 .

94

2.13. Les accidents survenus dans le cadre de loisirs

La pratique de loisirs pouvait s'avérer fatale dans certains cas . La proportion des

décès survenus dans ces circonstances , qui ont fait l'objet d'une enquête, demeure assez

stable tout au long de la période40• C'est ainsi que 39 personnes ont perdu la vie

principalement en se noyant (31 victimes sur 39) lors de diverses activités aquatiques.

La baignade a fait le plus grand nombre de victimes (16 sur 39). Parmi elles, une seule

est une femme et son âge demeure inconnu. Ce sont des garçons et de jeunes hommes

âgés entre neuf et 22 ans qui sont morts en se baignant dans le fleuve Saint-Laurent,

dans une rivière, un lac, un étang ou dans la chaussée d'un moulin4I• Bien entendu, la

saison chaude augmente les risques. Les températures élevées des mOls de juin, juillet et

août sont particulièrement propices à la baignade, et ce, même pour ceux qui ne savent

pas nager. Les témoignages recueillis révèlent en effet que quelques victimes ne savaient

pas nager, ni même certains témoins qui n'ont pu leur porter secours. Quelques-uns ont

donc pris des risques , consciemment ou non , et ont fait fi des avertissements de leurs

compagnons relativement à leur inaptitude à nager ou à la pratique d'une activité

dangereuse comme le plongeon par exemple42• D'autres , en revanche, ont été les

malheureuses victimes d'incidents fâcheux. C'est ce qui est arrivé à Louis L., un jeune

garçon, qui se baignait avec des amis dans la chaussée d'un moulin . À un certain

moment, l'un d'eux l'a empoigné par les épaules pour l'amener plus au large, et ce ,

malgré sa résistance, disant qu'il allait se noyer. Donnant son opinion sur les

40 L'année 1891 laisse croire à une hausse vertigineuse des cas de ce genre , mais il faut tenir compte du fait que seulement dix enquêtes du coroner ont été tenues cette année-là. Du coup , cela peut entraîner une suneprésentation, en nombre relatif, des causes et des circonstances des décès sur lesquels une enquête a été menée . 4 1 Il est à noter que nous ne connaissons pas l'âge de toutes les victimes. 42 Pour des exemples, voir BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI , Cyrille B., no 20 , 13 juillet 1850; TL257, SI , SS26, SSSI , SylvioC. , 27 juin 1950.

95

circonstances du décès, un témoin, âgé de· 14 ans, allègue : <~ D'après ma conviction John

M. voulait jouer avec L. [le défunt] et c'est sans malice ni le vouloir qui l'a emmené au

large de la chaussée à l'endroit où il s'est noyé 43». Un autre , tentant aussi de disculper ce

dénommé John , soutient: « John M . ne croyait pas dans mon opinion exposer la vie de

Louis L. ni s'attendait de le faire mourir 44». Deux jeunes hommes se sont noyés , quant à

eux, après avoir appelé à l'aide , sans qu'aucun ne vienne à leur secours parce que « ... les

personnes présentes ont cru qu'il[s] le faisai[en]t par badinage 45» .

La pêche et la navigation de plaisance ont entraîné quelques noyades. Des

hommes , partis taquiner le poisson, ont vu leur chaloupe être submergée à cause de la

houle ou des vents qui se levaient alors que d'autres ont chaviré et sont tombés à l'eau. Il

est probable que plusieurs d'entre eux ne savaient pas nager puisqu'ils ont été incapables

de remonter à la surface. Un garçon de 14 ans , laissé seul dans un canot que ses deux

compagnons apeurés avaient quitté , est tombé à l'eau après s'être levé dans

l'embarcation46. Les quais , les rives et les ponts représentent aussi des endroits à risques.

Deux hommes sont tombés à l'eau alors qu'ils se trouvaient sur un quai; l'un , qui

regardait un bateau passeur, a été projeté par le vent , l'autre a reçu un coup accidentel

tandis qu'il préparait son yacht pour la mise à l'eau47. Les cours d'eau faisant partie

intégrante de leur environnement , les enfants , surtout les garçons , ont pour habitude de

s'amuser sur le bord des rivières et des étangs ou sur les ponts flottants qui les

43 BAnQ-CMCDQ , TP9 , S3 , SS26 , SSSI , Louis L. , no 4 , 18 juillet 1870 . 44 Ibid. 45 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26 , SSSI , Napoléon D., no 34 , 10 juin 1870 ; Pour le second cas , TL257 , SI , SS26 , SSSI , René-Paul V ., 24 juin 1950 . 46 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Roger L. , 8 juillet 1950. 47 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI , SS26 , SSSI , Richard P., 6 mai 1950; Charles Philippe R. , 20 mai 1950 .

96

enjambent. Certains s'aventurent même sur les estacades. La mère d'Albert R., 12 ans,

raconte que son fils était parti jouer sur celles de la rivière Bécancour lorsqu'elle a appris

qu'il s'était noyé d'une manière inconnue48• Peut-être a-t-il glissé sur le bois humide ou

perdu l'équilibre comme le petit Raymond R., âgé de 5 ans et demi, qui est tombé dans la

rivière alors qu'il jetait des morceaux de bois dans l'eau en essayant de les rattraper49•

D'autres types de loisirs ont également coûté la vie à ceux qui les pratiquaient ,

mais certains ont été les victimes malheureuses des moments de détente et de

divertissement de tierces personnes. Trois frères, âgés entre 8 et 10 ans, jouaient sur la

grève de la rivière Saint-Maurice lorsqu'un groupe de jeunes, qui partaient à la chasse

aux écureuils et dont l'un visait une cible qui se trouvait dans leur direction, a tiré une

balle qui est allée se loger dans la tête de l'un d'eux50• La décharge accidentelle d'une

arme à feu a également causé le décès d'un jeune homme qui revenait de la chasse5l• Des

jeux de toutes sortes et des défis lancés sont à l'origine de tristes accidents . Deux chutes,

l'une lors d'un jeu entre écoliers dans la cour du collège et l'autre à l'occasion d'une lutte

amicale entre hommes sur la grève, ont respectivement entraîné une hémorragie

cérébrale et une fracture de la colonne vertébrale52. Un jeune garçon de 13 ans, qu'un

ami du même âge avait mis au défi de grimper dans une tour en échange d'une cigarette,

a reçu une décharge électrique de 12 000 volts lorsqu'il est tombé à plat ventre sur les

lignes de la North Shore Power53. Le journal Le Bien public met en cause l'imprudence

48 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26 , SSSl , Albert R. , no 4,4 mai 1891. 49 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSl , Raymond R., 30 avril 1918 . 50 BAnQ-CMCDQ, TL2s7, SI , SS26, SSSl, Paul M., 1er novembre 1950. 51 BAnQ-CMCDQ, TL2s7 , SI, SS26, SSSl, Marcel C., 18 novembre 1950. 52 J BAnQ-CMCDQ, TL2s7 , SI , SS26 , SSSl , Jean-Marie M., 27 septembre 1930: Rodolphe L. , no 12, 31 juillet 1930. 53 BAnQ-CMCDQ, TL2s7 , SI, SS26, SSSl , Armand V., no 3, 5 avril 1930.

97

du garçon tandis que le coroner rend un verdict de mort accidentelle en exonérant la

compagnie de tout blâme54•

Bien peu de femmes sont décédées à l'occasion d'un moment de détente ou de

divertissement (3 sur 39). La division sexuée des tâches familiales faisait en sorte

qu'elles passaient plus de temps dans l 'espace domestique, pour voir aux soins du

ménage et des enfants. C'est ce qui explique le faible nombre de victimes de sexe

féminin pour ce type spécifique de circonstances de décès. Soulignons toutefois qu'en

plus de celle qui s'est noyée en se baignant, une a été foudroyée en revenant d'un pique-

nique tandis qu'une autre a succombé à un choc nerveux causé par la détonation d'un

canon55. Le 19 août 1891 , une foule s'était massée autour du domaine seigneurial de

Sainte-Anne-de-Ia-Pérade à l'occasion de la fête des zouaves pontificaux organisée par

le premier ministre du Québec , Honoré Mercier. Un coup de canon a été tiré en direction

de la victime qui a perdu conscience après s'être écroulée par terre. Le canonnier, les

constables et les fonctionnaires sur place ont tous affirmé qu'étant donné la distance

entre la foule et le canon et considérant la faible charge explosive , il ne devait pas y

avoir de danger. Le père de la victime ne porte toutefois pas plainte , affirmant qu'il

n'était pas sur les lieux au moment de l'accident.

Ainsi , de par leur nature même, les activités aquatiques, que la majorité semble

préférer pour se divertir, sont risquées. Le courant des rivières et du fleuve , les vagues ,

les remous , les fosses constituent autant de facteurs naturels en cause dans les noyades.

54 « Imprudence fatale à un jeune homme », Le Bien public, no 84, 8 avril 1930 : 1. 55 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3, SS26 , SSSl , Alvina H., no 7, 13 juillet 1891; Alvina V., 24 août 1891.

98

Cependant, les risques engendrés par ce genre d'activités que suscite la belle saison sont

accrus lorsque certains décident de s'y adonner sans savoir nager par exemple. Mais est-

ce pour autant de l'imprudence et/ou de l'inconscience? La mère qui, en 1891, laisse son

enfant jouer sur les estacades, fait-elle preuve de négligence? Dans la quasi-totalité des

cas de noyade lors d'une baignade , qui impliquent surtout des adolescents, les parents

étaient absents. Si certains ignoraient que leurs enfants se baignaient ou s'amusaient près

d'un cours d'eau, d'autres en étaient parfaitement conscients56. Donc, en regard des

normes sociales de l'époque et de l'environnement dans lequel ces jeunes gens

évoluaient, attribuer des attitudes d'imprudence aux victimes, aux témoins ou à leurs

proches nous semble un exercice périlleux et susceptible d'anachronisme. Cependant,

nous pouvons affirmer que les loisirs, qui profitaient davantage aux garçons et aux

jeunes hommes célibataires et sans enfant, les exposaient à des risques éventuels.

2.1.4. Les accidents domestiques et ceux liés à la propriété et à son usage

Les accidents dorvestiques ou ceux liés à la propriété et à son usage ont fait

presque autant de victimes (38 morts, dont 9 de sexe féminin et 29 de sexe masculin)

que ceux survenus dans le cadre de loisirs. Là encore, du point de vue du nombre

d'enquêtes du coroner ayant été menées pour ce type de décès, on constate une certaine

stabilité au cours de la période étudiée. En revanche, si l'on considère l'augmentation

fulgurante de la population, on peut conclure, et ce même si nos sources ne livrent pas

un reflet parfait de la réalité, que moins de gens décédaient dans ces circonstances. Il

56 Catherine Cournoyer mentionne notamment le fait que même au début du XX· siècle , les pratiques parentales adoptent le modèle du « laisser-faire » . Les tâches qui incombent aux mères et le peu de ressources économiques et matérielles dont elles disposent font en sorte que les enfants ne font pas l'objet d'une surveillance assidue. Catherine Cournoyer, Les accidents impliquant des enfants et ["attitude envers l 'enfance à Montréal (1900-1945) : 80-81.

99

faut dire qu'au XX· siècle, l'environnement domestique subit de profondes

transformations avec l'arrivée progressive de l'électricité et de l'eau courante dans les

foyers québécois. Malgré cela, l'espace privé5? demeure potentiellement dangereux vu

les diverses tâches qu'on y accomplit, les outils et les produits utilisés et le type de

commodités matérielles dont étaient pourvus les ménages à l'époque. Ainsi peut-on

distinguer les risques propres au logis familial de ceux qui guettent les individus à

l'extérieur, sur leur propriété ou sur le terrain attenant à leur résidence.

Dans un premier temps, considérons les accidents mortels qui se sont produits à

l'intérieur des foyers du district de Trois-Rivières. Abondamment utilisée pour les tâches

domestiques comme le nettoyage, la lessive, la préparation de la nourriture et les bains,

l'eau et ses multiples usages ont causé plusieurs décès. Les brûlures et les noyades sont

parmi les plus fréquentes et touchent presque toujours des enfants en bas âge, qui restent

sous les soins de leur mère. Deux bambins sont morts d'un « choc nerveux» causé par

des brûlures lorsque l'un a tiré sur la manche de sa mère alors qu'elle tenait une tasse

d'eau bouillante destinée à réchauffer les bouteilles des enfants tandis que l'autre est

tombé dans une chaudière d'eau chaude parce qu'il courait dans la maison58. Un enfant

de 7 ans et un jeune homme âgé de 16 ans se sont noyés en allant chercher de l'eau. Ce

dernier a glissé dans le trou fait dans la glace de la rivière Saint-Maurice pour y puiser

l'eau59. Rappelons également les cas déjà évoqués de Danielle B. et d'André M., âgées

57 Aux fins de notre analyse, nous avons établi que l'espace privé comprend le logis familial, et , s'il y a lieu, les bâtiments attenants , les terres cultivées ainsi que celles en bois debout. Du coup, les activités agricoles ou de tout autre ordre qui y sont pratiquées , et qui ne relèvent pas d'un emploi salarié , ont été considérées comme faisant partie du domaine privé . 58 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI , Primat G., 8 janvier 1918; Eddy R ., 30 janvier 1918. 59 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI , Léandre T ., no 5, 3 mars 1850; TP9 , S3, SS26 , SSSI, George S., no 23 , 17 mai 1870 .

100

respectivement de 22 et de 5 mois, la première s'étant noyée dans son bain alors que sa

mère s'affairait aux tâches domestiques, le second ayant été retrouvé la tête dans une

chaudière laissée près de sa couchette, suspendu par les pieds60.

Des médicaments et des produits d'usage domestique , trouvés par des enfants en

bas âge à l'insu de leurs parents, sont à l'origine de quelques cas d'empoisonnement. Si

certains y voient de la négligence parentale et un manque de vigilance dans ces

circonstances précises61, nous sommes d'avis, d'une part, que nos sources ne nous

permettent pas de telles interprétations, qui frisent le jugement de valeur, sur la foi des

témoignages brefs et peu détaillés dont nous disposons. D'autre part , des facteurs

externes , comme le manque d'éducation populaire et l'accessibilité de certains

médicaments en vente libre62, et internes, comme l'utilisation répétée de certains produits

et l'exiguïté des maisons et des appartements, limitant les espaces de rangement, doivent

être pris en compté3. Qui plus est, des accidents de ce genre peuvent survenir malgré les

précautions prises par les parents. Une mère dont le fils est mort après avoir bu la moitié

d'un contenant de sirop d'anis Gauvin indique : « J'ai habitude de tenir cette bouteille

dans un bureau caché [sic] dans du linge 64».

60 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Danielle B. , 26 août 1950; André M., 12 septembre 1930. 61 Michel Sharpe , La mort violente à Sherbrooke de 1901 à 1930 : 78-79 . 62 En 1899 , un projet de loi amendant la Loi de pharmacie de Québec est adopté et permet la vente de sirops calmants , comme le sirop d'anis Gauvin , aux épiciers plutôt que de la restreindre aux pharmaciens , ce qui rend ces produits plus accessibles pour l'ensemble de la population . Marie-Aimée Cliche, « Un risque parmi tant d'autres » : 152. 63 Catherine Coumoyer , Les accidents impliquant des enfants et l 'attitude envers l 'enfance à Montréal (1900-1945): 36-47 . 64 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI , Henri H., no 88 , 10 février 1918.

101

Aussi, des dangers d'incendie guettent les habitants. Trois personnes ont péri à

cause de l'explosion d'une lampe à l'huile qu'on était en train de remplir tandis qu'un père

et sa fille ont été asphyxiés lors de l'incendie de leur résidence dont l'origine demeure

inconnue65. Dans d'autres cas, les flammes ont consumé les vêtements des défunts lors

d'un feu de déchets et de l'allumage d'une pipe66. Une affaire semblable implique une

fillette de 3 ans qui a succombé en janvier 1850 . Ses parents se trouvaient alors dans une

autre pièce de la maison. Étant donné que la tragédie s'est produite en hiver, on peut

supposer qu 'elle s'est approchée trop près du poêle à bois67. Soulignons enfin le décès

d'un jeune garçon qui se trouvait chez lui , dans la cuisine, lorsque le poêle a explosé

sous la pression de la vapeur accumulée dans le chauffe-eau latéral qui y était annexé.

Les conduites d'eau, qui avaient gelé parce qu'une fenêtre de la cave avait été brisée et

projetée par le vent durant la nuit, empêchaient l'eau de circuler au fur et à mesure que le

poêle se réchauffait68.

Quittons l'espace domestique pour aller à l'extérieur. Les travaux liés à l'entretien

des bâtiments et des terrains de même qu'à l'agriculture et à l'exploitation de la forêt

peuvent s'avérer risqués. Considérant la nature de ces besognes et la division genrée du

travail, ce sont des hommes plus âgés qui perdent la vie soit sur leur propriété ou sur

celle d'un autre à qui ils sont allés donner un coup de main. Comme plusieurs bûcherons

dans les chantiers , certains ont été assommés par une branche ou un arbre. Un homme,

trop pressé aux dires des témoins, a chuté du haut d'une branche sur laquelle il était

65 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Émélie B. dit D. et Chs G. fils , no 6, 13 mai 1918; Marie­Rose P. , no 7, 14 mai 1918; Albert B., no 85 , 28 janvier 1918; Yvonne B. , no 86 , 28 janvier 1918 . 66 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Mme Louis P., 18 avril 1918; Alphonse H., 9 avril 1950. 67 BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26, SSI, Émilie C., no 2, 25 janvier 1850. 68 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI, SS26, SSSI , Rolland S., 6 mars 1950.

102

monté pour passer une corde autour de la tête de l'arbre qu'il voulait abattre afin de

diriger sa chute . « ... [le défunt] ne trouvait pas que ça allait assez vite 69» . Une femme,

qui travaillait dans son jardin, a quant à elle succombé à ses blessures dix jours après

qu'une partie de la cargaison de bois de construction déchargée sur le terrain voisin ait

traversé la clôture, lui causant des lésions importantes à la hanche, à la jambe et au pied

gauches?o .

Par ailleurs, le temps de la récolte semble assez funeste. Quelques hommes sont

morts en tombant sur le sol alors qu'ils chargeaient du foin. Dans un cas, les boeufs qui

tiraient la charrette ont avancé par eux-mêmes?l. L'utilisation de la force animale dans

les champs et la forêt a aussi provoqué la mort de deux hommes; l'un a reçu un coup de

pied d'un cheval tandis que l'autre a été encorné par un boeuf72 . En outre, l'usage d'outils

et de la machinerie nécessaires aux travaux agricoles, combiné à de fausses manoeuvres ,

pouvait être fatal pour certains cultivateurs . À ce titre, nous avons déjà évoqué l'affaire

de Freddy S. qui, à l'instar de certains journaliers, a voulu retirer une courroie qui s'était

déplacée même si la machine était encore en marche. Un homme de 62 ans a quant à lui

péri sous son tracteur de ferme qu'il a involontairement dirigé dans la profonde coulée

qu'illongeait73.

69 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI , Joseph D., 24 juillet 1950. 70 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI, Rose P. , 17 juin 1950. 71 BAnQ-CMCDQ, TP9, S3, SS26, SSSI, Pierre F., no 9, 4 août 1870 . Pour des cas semblables , voir TL257 , SI , SS26, SSSI , Narcisse G., no 185 , 24 juillet 1918; Thomas Dubé, 24 juillet 1930. 72 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26, SSSI, Donat G., 9 juillet 1930; Come T ., 9 septembre 1930. 73 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Albert B., 23 septembre 1950 .

103

Bref, l'espace privé et ses alentours immédiats demeurent des lieux à risque. À

l'intérieur du foyer, les initiatives malheureuses des enfants, conjuguées à un

environnement comportant de multiples dangers ainsi qu'aux multiples tâches qui

incombent aux mères - qui devaient parfois laisser leur marmaille sans surveillance -

constituent autant de facteurs de risque à l'origine du décès de petits êtres sans défense .

Par contre, à l'extérieur, il semble que la nature des travaux effectués , l'équipement

utilisé et, dans quelques cas , l'exécution de manoeuvres plus dangereuses soient plutôt

en cause. Considérant les rôles genrés de l'époque, le type de tâches à accomplir et la

force physique requise, les hommes étaient plus susceptibles de mourir en dehors du

foyer.

En somme, l'analyse des circonstances accidentelles des décès qui ont fait l'objet

d'une enquête du coroner montre que les accidentés de la route et du travail sont les plus

nombreux. C'est à partir de ce constat que ceux-ci se transformeront en risques sociaux ,

i .e. qu'ils vont s'institutionnaliser en circonstances à prévoir et à réguler de manière

générale. Dès lors, leur gestion passera par la mise en place de mesures légales , de

campagnes de prévention et de régimes d'assurances sociales destinés entre autres à

l'indemnisation des victimes ou de leur famille. Leur mise en oeuvre fait état, dans une

certaine mesure , d'une reconnaissance des risques auxquels sont soumis les travailleurs

et les usagers de la route. Si ceux-ci peuvent émaner, à l'occasion, d'une prise de risque

délibérée ou de ce que Mary Douglas appelle la « subjective immunity 74», c'est-à-dire la

minimisation des risques lors de l'exécution d'une tâche courante, des facteurs externes à

l'individu entrent également en jeu. De fait, pour l'ensemble des circonstances

74 Mary Douglas, Risk Acceptability According ta the Social Sciences : 29.

104

accidentelles, toutes catégories confondues, l'environnement naturel, matériel, urbain,

domestique, etc . au sein desquels la population évolue et tente bon gré mal gré de se tirer

d'affaire quotidiennement l'expose, malgré elle, à certains types de risque. Cela ne

signifie pas pour autant que la population soit demeurée passive face à ces dangers ou

qu'elle était inconsciente ou inadaptée. L'attribution de telles attitudes néglige les normes

sociales et les facteurs culturels qui influent sur la perception des risques et qui plus est,

sur le degré de tolérance et de soumission face à ceux-ci75•

2.2. LES MORTS NATURELLES

L'étude des dossiers de morts naturelles à travers la lunette imparfaite de nos

sources revêt l'intérêt de mettre en lumière l'état de santé de la population. Bien que

l'intervention du coroner atteste d'une mort inattendue, le type de maladie en cause ainsi

que la présence et la longévité des symptômes constituent des facteurs nous permettant

de brosser un portrait plus pointu des circonstances médicales à l'origine du décès de

40,4 % des victimes de notre corpus (190 décès). En fonction de ces critères, nous avons

donc réparti les décès en cinq sous-catégories distinctes : les affections soudaines, les

maladies de courte durée, les maladies chroniques, les maladies infantiles et les autres

cas que nous avons regroupés sous le vocable « autres ou sans précision ».

2.2.1. Maladie, présence et longévité des symptômes

Ici, certaines remarques méthodologiques s'imposent. À l'exception des maladies

infantiles, outre la nature de l'affection qui a causé la mort, la durée de la maladie a été

prise en compte pour établir notre catégorisation. Nous avons donc considéré que les

75 Ibid: 82 .

105

défunts atteints de maladies chroniques, qui par définition sont de longue durée et à

évolution lente76, présentaient des symptômes depuis plus d'un an. En contrepartie , les

cas où des symptômes se sont manifestés pendant 24 heures ou moins ont été assimilés à

des affections soudaines. Du coup , les maladies de courte durée comprennent les

victimes malades depuis moins d'un an , mais depuis plus de 24 heures. Quant aux

maladies infantiles, celles-ci comprennent les décès d'enfants de cinq et moins77 touchés

par une affection dont la prévalence s'observe particulièrement chez eux. Ainsi, certains

décès d'enfants peuvent être classés dans une autre catégorie lorsqu'ils sont imputables à

une maladie qui frappe l'ensemble de la population comme lors de l'épidémie de grippe

en 1918.

Enfin, les dossiers qui ne donnent pas d'informations sur les symptômes éprouvés

par la victime et dont la cause médicale ne nous permet de les classer avec certitude dans

une catégorie définie ont été considérés comme « autres ou sans précision » . Si la

plupart des morts naturelles sont faciles à classer parce que la cause du décès et/ou la

durée de l'affection sont bien établies, certains cas sont plus complexes. En effet, des

diagnostics sont parfois joints avec la mention d'une autre affection susceptible d'y être

liée ou non. Si certains éléments de durée concernant ces autres affections sont parfois

mentionnés, les repères temporels sont tout de même difficiles à définir clairement. Par

exemple, la nièce d'un défunt dont la mort est attribuée, dans le verdict du coroner, à une

thrombose coronarienne aiguë , rapporte que son oncle était sous traitement depuis plus

76 Organisation mondiale de la santé , « Maladies chroniques », [En ligne], http://www .who.intltopics/chronic_diseases/fr/, page consultée le 22 juillet 2013. 77 L'âge de 5 ans correspond à l'indicateur utilisé par l'Organisation mondiale de la santé pour faire état de la santé des enfants à travers le monde .

106

d'un mois pour une gangrène aux pieds et un oedème aux organes génitaux 78 . Dans ce

cas, nous avons un élément de durée, mais nous ne pouvons établir avec certitude que les

problèmes médicaux qui affectaient la victime sont directement reliés à sa mort. Peut­

être souffrait-il d'une maladie cardiovasculaire chronique? Dans tous les cas, nous

sommes consciente que plusieurs décès inclus dans cette catégorie (autres ou sans

précision) sont susceptibles d'être des affections soudaines ou des maladies chroniques ,

mais nous ne pouvons en être certaine. Les dossiers laissent supposer que les témoins,

surtout les proches, livrent au coroner un portrait général de l'état de santé du défunt - ce

qui laisse sous-entendre que des symptômes ou affections mentionnés puissent ne pas

être liés à la cause directe de la mort -, tout en précisant ce qu'ils connaissent des

circonstances immédiates du décès.

Basée sur ces considérations méthodologiques, la figure 7 présente la ventilation

des décès naturels en fonction de la maladie et de la longévité des symptômes.

78 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSl , Sévère H. , 17 février 1950 .

107

FIGURE 7 Répartition du nombre relatif de décès naturels en fonction de la maladie en cause

et de la longévité des symptômes, 1850-1950

20% .......... . . . • ••••• Affections 18% . . . . soudaines 16% . . . . . 14%

. - Maladies . . .

chroniques 12% .

10% - - - Maladies

8% infantiles

6% ----Maladies de 4% courte durée

2% ---Autres ou sans 0% précision

1850 1870 1891* 1918 1930 1950

• Lorsqu'on considère les résultats , il faut tenir compte que l'année 1891 , qui ne compte que dix enquêtes du coroner, fausse la ventilation des maladies présentée ici. Sources: BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSI ; TP9 , S3 , SS26 , SSSI ; TL257 , SI , SS26 , SSSI. Dossiers des années 1850,1870,1891 , 1918,1930 et 1950.

Bien entendu, les affections soudaines, qui regroupent en majorité des cas de maladies

du coeur et de maladies cérébrovasculaires, occasionnent le plus grand nombre de décès,

et ce, sur toute la période excepté en 1870, où il y a parité avec les maladies chroniques ,

et en 1950 où ces dernières les supplantent. Cela s'explique par le fait que ce type de

décès concerne directement le mandat du coroner. Cependant, le fait que les maladies

chroniques se hissent au premier rang en 1950 annonce le renversement qui s'effectue au

xxe siècle : les maladies infectieuses qui ont constitué le plus grand fléau des siècles

passés seront devancées, dans les pays occidentaux, par les maladies chroniques79. Du

même coup, comme nous l'avons déjà mentionné, cela peut traduire un changement

progressif dans les habitudes de vie de la population, ' changement qui découle de

79« Responsables de 63% des décès , les maladies chroniques (cardiopathies , accidents vasculaires cérébraux, cancer , affections respiratoires chroniques , diabète ... ) sont la toute première cause de mortalité dans le monde. Sur les 36 millions de personnes décédées de maladies chroniques en 2008 , 29% avaient moins de 60 ans et la moitié étaient des femmes . » Organisation mondiale de la santé , « Maladies chroniques ».

108

multiples facteurs socioéconomiques et culturels. Ces habitudes, toutefois, deviendront

des facteurs de risque qui augmentent la probabilité de développer ce type de maladie

qui affecte aussi, en général, les appareils circulatoire et respiratoire.

Nonobstant le classement que nous avons effectué, il importe de souligner que

les victimes d'une mort naturelle, qu'on attribue quelquefois dans les années 1850 et

1870 à « la visite de Dieu » , pouvaient presque toutes vaquer à leurs occupations

quotidiennes. Rares sont celles qui étaient inactives ou alitées, d'où l'intervention du

coroner. Ce qui diffère entre les dossiers, c'est notamment l'état de santé général des

défunts ainsi que l'apparition subite ou la persistance de symptômes.

Dans le cas des affections soudaines, responsables de 71 décès (37,4 % des morts

naturelles), les témoins rapportent souvent que les défunts étaient dans un état normal ,

en parfaite santé et qu'ils ne recevaient pas de traitement médical. D'autres déclarent que

certains ont été pris de « faiblesse » ou se sont plaints de douleurs quelques minutes ou

quelques heures avant leur décès. Retournés se coucher, leurs proches les découvrent

souvent morts dans leur lit. Si d'aucuns avaient la santé fragile, d'autres jouissaient d'une

bonne condition physique. « Cette femme n'avait jamais été malade 80» , soutient la fille

d'une dame de 62 ans, morte d'une coronarite aiguë. Ainsi, les affections soudaines

touchent principalement les personnes âgées. La moyenne d'âge au décès est de 64 ans ,

mais la moitié des victimes ont 70 ans et plus8 J•

80 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26, SSSI, Mme Agapit S ., 22 août 1950. 8 1 Nous connaissons l'âge de 51 des 71 victimes d'affections soudaines (71 ,8 %) .

109

Contrairement à ceux qui s'éteignent de manière inattendue, les proches des

défunts qui meurent d'une maladie chronique (44 décès) sont plus au fait de leur état de

santé. La moyenne d'âge lors de la mort se situe à 55 ans82. La plupart du temps, la

maladie dont ils étaient atteints est bien identifiée par les témoins et même par le

médecin traitant des victimes venu constater la mort, le cas échéant. Ces gens , qui

menaient une vie malgré tout relativement normale , souffraient entre autres de maladies

neurologiques, cOmme l'épilepsie, de maladies cardiovasculaires, ou encore ils étaient

diabétiques, asthmatiques ou arthritiques , et ce , depuis plusieurs années. Le fils de

Richard S, qui a succombé selon le verdict du coroner Deschênes d'une myocardite

chronique et d'un collapsus cardiaque, raconte:

Mon père souffrait du coeur: Il y a 3 ans alors qu'il sciait du bois dans sa cave, il s'évanouit; une autre fois ce fut dans sa baignoire; et cette fois ce fut après avoir monté la côte de la 7e rue [à Shawinigan], car il disait souvent les côtes me fatiguent ; qu'il s'évanouit sur le trottoir près de sa demeure: on le trouva mort.83

Les maladies de courte durée (25 décès) rassemblent pour l'essentiel des cas de

troubles de l'appareil circulatoire , respiratoire et digestif. Les gens qui en sont atteints

présentent le plus souvent des symptômes quelques jours seulement avant leur décès .

Ceux qui décèdent d'une maladie du coeur par exemple attribuent souvent les douleurs

qu'ils ressentent à des problèmes digestifs. Comparativement aux affections soudaines et

aux maladies chroniques , la moyenne d'âge (31 ans84) est beaucoup moins élevée . Cela

est attribuable aux neuf cas d'influenza investigués par le coroner, la plupart à l'automne

82 Nous connaissons l'âge de 36 des 44 victimes de maladies chroniques (81 ,8 %) . Si les maladies chroniques touchent généralement les personnes âgées, l'épilepsie , par exemple, peut affecter des individus de tous âges . C'est ce qui peut expliquer , en partie , que la moyenne d'âge soit moins élevée que pour les affections soudaines. 83 BAnQ-CMCDQ, TL25? , SI , SS26 , SSSI , Richard S., 5 novembre 1950 . 84 Nous connaissons l'âge de 21 des 25 victimes de maladies de courte durée .

110

1918, année où Trois-Rivières, comme le reste de province de Québec, est touchée par

l'épidémie de grippe espagnole. Parmi les défunts qui ont fait l'objet de ces enquêtes, on

retrouve majoritairement des enfants en bas âge et des femmes. On ne recense aucune

enquête portant sur un homme adulte mort de la grippe.

2.2.2. Mortalité infantile et facteurs de risque

Ces cas spécifiques de grippe tout comme quelques cas de maladies infantiles (27

décès) illustrent de façon manifeste ce que les historiens et les sociologues du risque ont

mis de l'avant, à savoir que l'exposition aux risques ainsi que la capacité de réaction, de

prévention et de compensation de ceux-ci dépendent particulièrement de la situation

socioéconomique des individus85. Qui plus est, les multiples variantes de la condition

d'un individu ou d'un groupe peuyent se cumuler et ainsi le rendre d'autant plus à

risque86. En effet , certaines enquêtes portant sur des cas de grippe et de maladies de

l'enfance, notamment celles sur les décès causés par des maladies infectieuses et

parasitaires, attribuent indirectement le décès à la précarité des conditions de vie et au

manque de soins87•

Parfois, le verdict du coroner est sans équivoque. En octobre 1918, toute la

famille de la petite Mary, âgée de 3 mois, a contracté la grippe, mais personne n'a reçu

de soins. C'est un voisin, venu leur porter du bouillon, qui constate la mort de la fillette.

8~ Magda Fahrni, « « La lutte contre l'accident » » : 188-189; Ulrich Beek, La société du risque : 63-64; Mary Douglas, Risk Acceptability According ta the Social Sciences : 6 . 86 Mary Douglas, Risk Acceptability According to the Social Sciences : 10. 87 Voir par exemple, BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI, François G., no 10,2 décembre 1918 .

III

Le coroner Lambert rend alors un verdict « .. . de débilité infantine [sic], par misère 88» .

En 1950, les recherches de la police menées sur le cadavre d'un bambin de Il mois ,

décédé d'entérite aiguë avec diarrhée et vomissements , et transmises au coroner font état

que « le milieu où vivait cet enfant avec cette famille n'était pas des plus hygiénique et

sans aucun doute , les parents très pauvres ne pouvaient faire mieux. 89» . Dans deux

autres cas portés à son attention en 1950 , le coroner relie le décès des petits à l'hygiène

et à la propreté de la résidence où ils demeuraient. Marie-Madeleine B., âgée de 4 mois

et demi, a été trouvée morte dans son berceau. Le rapport d'enquête mentionne : « Mes

recherches ont montré que cet enfant est mort de congestion pulmonaire aiguë [illisible]

à la suite d'une grippe et de conditions d'habitation pitoyable [sic] . 90» .

Outre la salubrité des résidences, l'exposition au froid , liée à la pauvreté des

ménages, constitue aussi un facteur de risque pour la santé des enfants. En décembre

1850, Pierre C., âgé de 19 jours , est mort subitement, dans le lit de sa mère, à la suite de

convulsions auxquelles il était sujet. Le témoignage de sa grand-mère explique qu 'il était

couché avec sa mère :

.. . faute de moyen pour chauffer la maison et aussi [ ... ] pour avoir des couvertures pour le tenir dans son bed pendant la nuit. [ ... ] C'est la grande nécessité qui obligeait sa mère à le coucher avec elle. Elle craignait que son enfant vînt à geler ou périr de froid en le laissant dans son bed .91

88 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSl , Mary C. , no 1,3 octobre 1918. 89 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI , SS26 , SSSl , Camille C ., 1er janvier 1950 . 9O BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS 26, SSS1 , Marie-Madeleine B., 5 mars 1950. Voir également Denis Lord , 4 novembre 1950. 91 BAnQ-CMCDQ , TL33, S26, SSI , PielTe C., no 29 , 16 décembre 1850. Pour un autre exemple , voir Julie C., no 7 , 14 avril 1850 . Cette enfant a été conçue au cours d'une relation hors mariage .

112

Même au milieu du XXe siècle, alors qu'on assiste aux débuts de l'État-

providence, nos sources montrent bien que des îlots de grande pauvreté persistent sur le

territoire du district. Des familles à faible revenu vivent dans des logements insalubres et

peinent à se nourrir suffisamment et de façon équilibrée. En fait foi le dossier de Denise

L. née avec une « débilité congénitale» causée par une avitaminose A et B de sa mère92.

Décédée d'une rougeole compliquée d'une méningite, son état la rendait encore plus à

risque que les autres enfants93.

Si la mortalité infantile est généralement associée au milieu urbain , le coroner a

enquêté autant en ville qu'en milieu rural dans les cas de maladies infantiles. Les enfants

qui ont succombé à l'une ou l'autre de ces maladies sont âgés entre 1 jour et 4 ans et

demi94 . La plupart sont toutefois des nourrissons de moins de 1 an. Des recherches

menées sur la mortalité infantile à Montréal , en 1859, ont montré que près d'un enfant

sur trois mourait avant l'âge de 1 an; la proportion étant de un sur huit pour les décès

durant la période néonatale (0-28 jours)95. Parmi les enquêtes du coroner qui portent sur

des maladies infantiles , onze décès sur les 27 sont attribuables à une pneumonie ou à une

maladie infectieuse: choléra infantile, coqueluche, diphtérie , gastro-entérite, rougeole ,

etc. Des symptômes apparaissent souvent quelques jours ou quelques heures avant le

décès. Toutefois, il arrive que des bambins déjà atteints d'une maladie depuis leur

92 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSS l , Denise L. , 9 août 1950. Michel D., mort à l'âge de Il mois , souffrait quant à lui de rachitisme grave (carence en vitamine D) depuis sa naissance . Cette maladie est souvent causée par la malnutrition . Michel D ., 25 avril 1950 . 93 Organisation mondiale de la Santé, « Le traitement de la rougeole chez l'enfant », [En ligne], http://www . who .int/immunization_deli very/interventionslTreatingMeaslesFR 72 .pdf, page consultée le 2 septembre 2013. 94 Nous connaissons l'âge de 25 des 27 victimes de maladies infantiles . 95 Patricia Thomton, Sherry Oison et Quoc Thuy Thach, « Dimensions sociales de la mortalité infantile à Montréal au milieu du XIX' siècle », Annales de démographie historique (1988) : 317.

113

naissance meurent d'une infection; leur état de santé précaire faisant en sorte

d'augmenter leur vulnérabilité face aux organismes pathogènes.

Des nourrissons qui décèdent de troubles cardiaques, de convulsions, d'épilepsie

ou autres souffrent parfois aussi d'une affection depuis leur naissance. « Notre enfant

adoptif était de santé délicate, très pâle, faible et de peu d'appétit. Il toussait aussi

beaucoup. 96», mentionnent l'oncle et la tante d'un bébé de trois semaines mort d'asthénie

cardiaque. Certes, comme nous l'avons déjà évoqué, les naissances prématurées

augmentent également les risques pour les poupons de contracter une maladie

infectieuse , de naître avec une malformation ou de mourir subitement. Soulignons

toutefois que même des bébés qui, en apparence, semblent en santé meurent de causes «

inconnue » ou « naturelle »97 . Les circonstances de leur mort s'apparentent cependant à

ce qui sera désigné plus tard sous le nom de syndrome de mort subite du nourrisson.

En résumé , l'analyse des circonstances des décès naturels a permis de mettre au

jour plusieurs facteurs de risque ayant un impact sur l'état de santé de la population . En

plus de mettre en évidence les risques liés à l'âge des individus - les enfants et les

personnes d'âge mûr étant des groupes particulièrement vulnérables - , les morts

naturelles révèlent que la précarité des conditions de vie de certaines familles joue un

rôle déterminant dans le décès de plusieurs personnes, cela de façon plus marquée chez

les enfants. Le faible niveau de revenus et le manque d'hygiène, l'insalubrité des

logements représentent des facteurs de risque bien réels qui concourent, même en 1950,

96 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI , SS26, SSSI , J. F. Albert. M., Il juillet 1918 . 97 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI , SS26 , SSS l, Marcel M., no 1, 2 octobre 1918; Chs Paul.Émile C. , 24 mai 1918;

114

à accroître la vulnérabilité de certains groupes sociaux. Par ailleurs, nous avons montré

que les facteurs de risque liés aux multiples attributs d'une personne ou d'un groupe

(sociodémographiques et socioéconomiques) peuvent se cumuler. Si des mesures d'aide

sociale sont progressivement instaurées par l'État-providence à partir des années 1930 et

que des améliorations notables ont été faites sur le plan de l'hygiène publique et des

soins de santé à ce moment-là, il n'en demeure pas moins que la pauvreté et les maux qui

lui sont associés constituent des risques sociaux bien sensibles en Mauricie , même après

la Deuxième Guerre mondiale.

23. LES MORTS PAR SUICIDE

« Je connaissait [sic] le défunt sous le nom de Ti Jean la bombarde. Il était la risé

[sic] de tout le monde . C'était un quêteux cheminot [sic]. C'était un fou 98». Il s'agit là de

l'un des témoignages recueillis au sujet d'un mendiant qui s'est suicidé en se pendant à

un arbre. Dans ce cas précis , bien que nous ne puissions affirmer avec certitude que la

pauvreté ait été le facteur déterminant de ce geste désespéré , reste que les problèmes

financiers peuvent peser lourd et ainsi accroître le risque de suicide . D'aucuns ont

évoqué leurs difficultés économiques pour expliquer pourquoi ils ont mis fin à leurs

jours. Mais selon toute vraisemblance , le suicide ne résulte pas d'une cause unique, mais

bien d'un ensemble de facteurs qui concourent tous, au final, à l'exécution de ce dessein

tragique99• Après avoir établi dans le chapitre qui précède le profil sociodémographique

(sexe, âge, état civil) des suicidés, observons maintenant les circonstances qui ont mené

ces individus à vouloir en finir.

98 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI, Édouard S ., no 1,19 juillet 1918 . 99 André Lachance ,« La vie est sifragile ... » : 95; Denis Morissette et Robert R . Bourbeau , « Le suicide et l'âge au Québec» : 95.

115

D'emblée, notons que presque tous les verdicts et les témoignages mentionnent la

maladie mentale comme facteur dominant du suicide. Comme nous l'avons expliqué plus

haut , les normes morales et légales condamnant un tel geste, plaider une « aliénation

mentale » temporaire de l'individu ou un « moment de folie » permettait d'atténuer la

portée et la signification du geste. Cependant , parmi nos 14 morts par suicide, quatre cas

semblent être réellement imputables à des troubles mentaux. Avant de mourir , ces

individus (deux femmes et deux hommes) présentaient déjà des symptômes de maladie

mentale depuis quelques mois ou plusieurs années. « Elle était dérangée dans son esprit

depuis plus d'un an; quelques fois elle venait bien; mais depuis dimanche dernier elle

était tout à fait troublée 100», indique une connaissance au sujet d'une dame de 50 ans qui

s'est jetée dans un puits . En 1950, deux individus ont été hospitalisés en lien avec leur

état. L'un d'eux avait dû recevoir plusieurs traitements électriques. Son épouse témoigne

: « .. . l'idée de persécution était son trouble. On lui en voulait et surtout l'empêcher de

travailler. Vers la fin d'août après que ses allocations d'assurances furent terminées , il

devint de plus en plus malade ... 1OI ».

La tristesse et la solitude, devenues insupportables pour trois hommes et une

femme , les ont poussés à se donner la mort. Parmi eux, un veuf souffrait de la mort de sa

femme ,02 tandis qu 'une mère appréhendait le départ de son fils pour le pensionnat. «

C'est assez triste. Je serais bien mieux morte. 103», a-t-elle dit en l'embrassant avant

d'ingurgiter quelques heures plus tard du vert de Paris . Deux hommes, apparemment des

100 BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSI , Julie B., no 26 , 27 septembre 1850. 10 1 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSS1 , Louis-Georges L., 19 septembre 1950. 102 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI , Almand V., 31 juillet 1950. 103 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26, SSSI , Rosanna T ., no 3, 27 mars 1918.

116

immigrants, ont sombré dans la déprime. Le premier avait plusieurs fois exprimé son

mal de vivre et son désir de s'enlever la vie alors que le second, un résident de l'hospice

des vieillards de l'hôpital Saint-Joseph de Trois-Rivières , a été retrouvé pendu à un arbre

près de sa demeure au Cap-de-Ia-Madeleine où il se rendait parfois104.

La maladie, l'abus d'alcool et des relations conjugales houleuses sont aussi à

l'origine de trois suicides . Confrontée à la maladie depuis plusieurs années, une veuve,

ivrognesse et tenancière de bordel reconnue dit-on, a avalé plusieurs comprimés d'un

puissant calmant après avoir été malade toute la nuit à cause d'un excès d'alcool. Une

voisine, venue s'occuper d'elle à la demande du curé de la paroisse, explique qu'après

avoir lancé le flacon, la défunte a déclaré « .. . qu'elle était pour dormir longtemps 105».

Un homme âgé de 48 ans, qui avait recommencé à boire depuis trois semaines et qui

était malade depuis, s'est tiré une balle dans la tête. Le médecin qui l'a traité la nuit avant

son décès a affirmé que l'abus d'alcool avait eu pour effet de le rendre à la fois

mélancolique et très nerveux 106 . Du reste, les problèmes de couple, lorsqu'ils ne

provoquent pas un meurtre 107 , peuvent conduire l'un ou l'autre des époux au suicide. Un

mari jaloux et possessif a déchargé une arme à feu contre lui. Durant la première année

de son mariage, le défunt avait tenté d'entraîner dans la mort sa femme et le fils de cette

dernière. Après cinq années d'union, son épouse témoigne: « D'après moi il était monté

104 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI, Fred T ., 2 juin 1950; Fred P., 25 juillet 1950. 105 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSl, Laura L. , 17 décembre 1950. 106 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSl , Charles-Auguste F., 21 septembre 1950 . 107 Voir André Lachance à ce sujet: André Lachance , « La vie est sifragile .. . » : 26-34 .

117

par la jalousie et ne me paraissait pas sain d'esprit. Il était impossible d'avoir la paix

lorsqu'il était à la maison [illisible] j'ai porté souvent les marques de ses cOUpS ... 108».

Comme dans le cas de ce mendiant qui s'est pendu à un arbre, les motifs de deux

autres suicides, commis en 1918, demeurent inconnus. L'un d'eux concerne un journalier

de 49 ans qui,. selon le verdict du coroner rendu au terme d'une enquête menée sans jury,

est mort « d'asphyxie par submersion ». Toutefois, les circonstances du décès, assez

précises et fort révélatrices, nous permettent de conclure à un suicide lo9• Interrogés par le

coroner Vanasse, la belle-mère et le voisin du défunt racontent:

... le défunt a passé la nuit de samedi à dimanche tantôt debout tantôt couché disant qu'il ne pouvait pas dormir. Le matin vers 6 hrs il est descendu et [ ... ] il m'a dit qu'il allait se jeter à l'eau. Je [la belle-mère du défunt] courrus [sic] alors éveiller M. Piché qui s'est rendu trop tard pour empêcher le défunt de se jeter à 1 'eau. IIO

Quelques autres dossiers d'enquête, dans lesquels la cause immédiate de décès est

connue, mais dont les circonstances sont nébuleuses, laissent penser à un suicide ou à un

acte criminel. Dans le prochain chapitre, nous examinerons sur quel type de preuves le

coroner et les jurés se basent pour rendre leur verdict en plus d'analyser quelques cas que

nous pourrions qualifier de « suspects ».

Somme toute, les morts par suicide dont rendent compte les enquêtes du coroner

sont probablement caractérisées par une sous-représentation vu les implications sociales

et morales pour le défunt lui-même et sa famille. En cela, le coroner et les jurés

108 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI , Joseph R., 20 mai 1918 . 109 Ainsi s'explique la différence d'un cas observée entre la catégorie des « lésions auto-infligées » (13 décès) , fondée sur la fonnulation des verdicts du coroner, et les morts par suicide (14 décès), catégorie de circonstances de décès analysée en regard des témoignages rendus . 110 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI, Moïse R., 8 septembre 1918.

118

préféraient sans doute rendre un verdict de mort accidentelle lorsque les circonstances ne

se révélaient pas assez manifestes pour conclure à un acte volontaire. André Lachance

fait également remarquer que Le Guide des coroners, publié par Edmond Lortie en 1902,

indique qu'un verdict de suicide doit être rendu « hors de tout doute raisonnable », faute

de quoi doit-on conclure à un accident ou à un décès de cause indétenninée111• Du coup ,

le faible nombre de suicides observables dans les enquêtes du coroner ne nous permet

pas de relever des tendances significatives en ce qui a trait aux motifs des individus qui

sont passés à l'acte 112. Cependant , la maladie mentale, la tristesse, la solitude, la

dépendance, la pauvreté et les difficultés conjugales sont autant de facteurs à l'origine de

la détresse de certains . Pouvant être interreliés et ainsi cumuler leurs effets, ces facteurs

de risques, combinés notamment à des attributs tels le sexe , l'âge et la situation

matrimoniale, sont susceptibles de les pousser à commettre un geste irréparable que la

société pourtant réprouve avec force.

2.4. LES MORTS PAR ACTE CRIMINEL

Parmi les 470 décès sur lesquels le coroner a mené une enquête au cours des

années étudiées, seulement quatre ont été attribués à un acte criminel. Il faut dire que le

coroner enquête seulement lorsqu'il y a mort d'homme Jl3• Or, nonobstant le fait que

plusieurs décès et crimes se soustraient à l'attention de la population et de la justice, les

meurtres et les homicides s'avèrent au demeurant assez rares. Par ailleurs, il n'est pas dit

III André Lachance, « La vie est sifragile ... » : 69 . 112 Dans la seconde partie de son ouvrage, consacrée au suicide , André Lachance brosse un portrait des principales causes de suicide et des motifs évoqués pour le justifier./bid. : 89-93 . 11 3 Les statuts de la province prévoient que le coroner doit instituer une enquête lorsqu'un incendie de nature suspecte ravage en tout ou en partie une maison ou un autre bâtiment. Cependant , parmi l'ensemble des enquêtes étudiées pour la période allant de 1850 à 1950, aucune investigation de ce type n'a été recensée . Statuts refondus de la province de Québec (dorénavant SRPQ) , 1909 , art. 3797-3798.

119

que lorsqu'une enquête du coroner conclut à un acte criminel, le ou les individus fautifs

soient identifiés pour autant. En outre , ceux qui sont formellement reconnus comme

étant criminellement responsables ne se voient pas automatiquement exposés à une

accusation de meurtre ou d'homicide.

De fait, il n'est pas seulement question de préméditation ou de violence

interpersonnelle lorsque les jurés et le coroner accusent un ou plusieurs individus au

terme d'une enquête. Les accidents de la route peuvent également mener au dépôt

d'accusations criminelles. Deux individus ont été reconnus coupables et condamnés à la

suite de collisions frontales qu'ils auraient provoquées en effectuant un dépassement. En

juin 1930, Hany W., chauffeur au service d'un couple new-yorkais, aurait, aux dires des

témoins , coupé une courbe alors qu'une voiture arrivait en sens inverse. Les premières

informations reçues par le coroner indiquent:

Un nommé Harley C. de Quenscy [sic] Mass. est mort le 23 juin 1930 à une heure du matin des suites de ses blessures qu'il a reçu [sic] lors de l'accident du 22 juin 1930. Son automobile studebaker dictateur modèle 1927 six cylindres est venu en collision avec un pakard appartenant à C. G. R. de New York et conduit par un nègre." 4

.

À la suite de son procès, qui s'est tenu devant la Cour du banc du Roi en mars 1931, le

prévenu , qui a plaidé coupable, a été condamné à neuf mois de prison « ... pour avoir

conduit une voiture auto-mobile avec négligence et causé des lésions corporelles graves

115». La dénonciation devant le magistrat du district fait état d'une vitesse excessive alors

que l'accusé explique l'accident par la fatigue qu'il ressentait à ce moment-là. De plus,

malgré les accusations portées contre le chauffeur, les jurés du coroner recommandent la

114 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26, SSSI , Harley C., no 9,24 juin 1930. 115 BAnQ-CMCDQ, documents non traités, dossier du procès criminel de Han'y W., no 950,1930.

120

coupe des arbres qui se trouvent aux abords de la courbe en question et qui empêchent

les voitures provenant de Québec de bien voir celles qui arrivent de Trois-Rivières.

En 1950, un cas semblable implique un journalier âgé de 25 ans qui , roulant à

grande vitesse , a tenté de dépasser simultanément deux voitures. Après avoir dépassé la

première , il a hésité puis freiné et c'est alors qu'il a perdu le contrôle. Sa voiture, qui

contenait deux autres passagers, est entrée en collision avec une automobile arrivant en

sens inverse. Plusieurs témoins avaient anticipé l'accident vu la vitesse élevée de la

troisième voiture . « ... J'ai vu venir cette machine-là qui s'en venait d'une vitesse pas mal

vite, trop vite pour éviter l'accident qui est arrivé 11 6» , raconte une dame qui vit en

bordure de la route. Le défunt, un ami de l'accusé, était à bord de la voiture conduite par

ce dernier. Selon les examens effectués par le médecin, la cause du décès est une

fracture de la colonne cervicale ayant provoqué une mort instantanée. Faute de preuves

pour l'inculper d'homicide involontaire , le juge de la Cour de Magistrat opte pour une

accusation réduite « ... d'avoir conduit un véhicule à moteur insensément [sic], ou d'une

manière dangereuse pour le public, sur un chemin ou une grande route, eu égard à toutes

les circonstances du cas ... 11 7». Cela, après avoir écarté de la preuve l'état d'ivresse

supposé de l'accusé, qui possédait toutes ses facultés au moment de l'accident, pour ne

retenir que la vitesse comme élément de faute . Le 14 novembre 1950, la Cour

d'instruction expéditive des actes criminels condamne le prévenu à 100,00 $ d'amende

(ou trois mois de prison) assortie d'une interdiction de conduire un véhicule-moteur

pendant un an .

11 6 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI, Henri-Georges C ., 22 mai 1950. 117 BAnQ-CMCDQ, documents non traités, dossier du procès criminel de Bernard L. , no 7669/18 , 1950.

121

Si dans ces deux cas , le coroner et les jurés ont pu identifier les responsables d'un

décès qu'ils ont jugé comme étant de nature criminelle , il arrive parfois que les présumés

coupables demeurent inconnus. C'est le cas notamment de l'enquête portant sur ce

nouveau-né retrouvé mort sur une galerie au centre-ville de Trois-Rivières en 1930.

Examiné par le médecin légiste , ce bépé est né à terme, bien constitué et l'autopsie a

démontré qu'il n'était atteint d'aucune affection ni aiguë, ni chronique qui puisse

expliquer sa mort. Le Dr Fontaine est formel quant au fait que l'enfant a respiré et a vécu

en dehors du sein de sa mère. Mais les examens montrent des signes non équivoques

d'asphyxie causés, selon lui, par un manque de soins à la naissance l1 8• « Placé dans des

conditions normales cet enfant aurait vécu 11 9» , déc1are-t-il. Ainsi, il semble que l'avis

des médecins et la viabilité de l'enfant nouveau-né après l'accouchement constituent des

facteurs déterminants pour porter des accusations criminelles 120 .

Cependant, Marie-Aimée Cliche a démontré d'une part que le coroner et les jurés

se montrent très prudents dans la nature du verdict à rendre lors de la découverte du

cadavre d'un nouveau-né et, d'autre part, que les juges des assises criminelles font

11 8 Marie-Aimée Cliche souligne le fait qu'au XIX· siècle , plusieurs médecins ont souvent attribué la cause du décès d'un nouveau-né à un manque de soins . La promulgation du premier Code criminel en 1892 tiendra compte de leurs constats à l'article 239 qui rend coupable d'homicide involontaire coupable la mère qui néglige de se procurer de l'aide pour son accouchement. Marie-Aimée Cliche , « L' infanticide dans la région de Québec (1660-1969) » : 51 . 11 9 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Enfant nouveau-né , no 2, 13 mars 1930. 120 En 1891, un cas semblable en tous points a été soumis au coroner. Toutefois, l'autopsie du poupon, retrouvé vêtu d'une robe blanche et d'un bonnet et déposé dans une boîte au cimetière, tend à démontrer que l'enfant est mort-née et qu'elle n'était pas viable. Ce diagnostic , joint au fait que la mère est inconnue, n'a pas mené à des accusations criminelles . L'importance de déterminer si l'enfant est né vivant était capitale pour porter une accusation de meurtre , qui plus est avant l'entrée en vigueur du Code criminel. BAnQ-CMCDQ , TP9 , S3 , SS26 , SSSI , Inconnu , no 3 , 4 mai 1891. Marie-Aimée Cliche ,« L' infanticide dans la région de Québec (1660-1969) » : 48-50.

122

preuve d'une clémence constante envers les mères qui sont traduites en justice121. Le

déshonneur provoqué par une grossesse illégitime étant l'argument de prédilection,

l'ignorance, la peur et la misère des mères, qui sont souvent de jeunes filles modestes,

sont aussi mises de l'avant pour justifier leur acte et inspirent la sympathie des

magistrats 122 . De surcroît, les juges ont tendance à attribuer aux mères infanticides une

perte momentanée de maîtrise d'elles-mêmes après l'accouchement, ce qui tendrait à

expliquer leur geste et ainsi adoucir leurs peines 123. Ceci n'est pas sans rappeler ces

moments de « folie » ou « d'aliénation mentale » auxquels on imputait la plupart des

suicides et qui répondent à la même logique qui tente de trouver quelque explication à

des gestes autrement odieux , qui dépassent l'entendement.

Une ou des personnes inconnues ont été aussi déclarées criminellement

responsables du décès d'une mère de famille qui a péri dans l'incendie de sa demeure de

la rue Sainte-Cécile à Trois-Rivières où elle vivait seule avec son fils de 2 ans et demi .

Ses seuls revenus provenaient de la location des chambres de sa maison, mais ses biens

étaient assurés. La défunte , qui a parlé un peu au médecin qui l'a soignée à l'hôpital

Saint-Joseph, a indiqué qu'elle dormait lorsqu'elle a entendu un bruit épouvantable. Elle

a pris son manteau pour se sauver, mais les flammes étant trop intenses, elle s'est jetée

du deuxième étage par la fenêtre et a été attrapée par un constable. Elle portait alors une

robe de toilette noire. Un témoin mentionne que peu avant l'incendie, il a vu une femme

12 1 Marie-Aimée Cliche, « L 'infanticide dans la région de Québec (1660-1969»> : 36; 52; 54-55. Sur les 392 enquêtes du coroner portant sur la découverte du cadavre d'un enfant nouveau-né recensées par Cliche, seulement 118 ont mené à un verdict d'acte criminel et seulement 75 ont fait l'objet d'un procès. En outre, des accusations criminelles sont plus fréquentes lorsque la mère est inconnue . Ibid. : 35 ; 50. 122 Ibid. : 54-58. 123 Ibid . : 51-52 ; 55 ; 57 .

123

vêtue de noir jeter ce qui ressemble à une caisse du deuxième étage d'un immeuble et

que quelques minutes plus tard, il a entendu une explosion. Le lendemain, un baril

contenant un peu de gaz est retrouvé au même endroit, dans une ruelle tout près de la

bâtisse incendiée. Il semble que cette découverte soit à l'origine du verdict d'acte

criminel , même si ses auteurs demeurent inconnus.

Bref, les morts par acte criminel investiguées par le coroner sont somme toute

assez rares et plus encore les procès qui pourraient s'ensuivre si l'on en croit les

statistiques révélées par Cliche pour les infanticides et si on considère le fait que

plusieurs verdicts incriminent des individus dont l'identité reste indéterminée. De plus,

les circonstances pour le moins nébuleuses de la mort de plusieurs individus retrouvés

noyés laissent croire que le nombre de crimes est peut-être un peu plus important.

Cependant, les jurés n'ont d'autres choix que de s'en tenir à un verdict de mort naturelle

ou accidentelle faute de témoins et de moyens pour investiguer davantage.

L'analyse des enquêtes ayant conclu à un décès par acte criminel dans une

perspective d'étude du risque s'avère néanmoins d'un intérêt certain. De fait, nous

sommes à même de constater que la négligence est davantage prise en compte par la

justice criminelle. Nos dossiers le montrent en ce qui a trait à la conduite automobile et

aux soins essentiels qu'un enfant doit recevoir à la naissance. Ce concept de négligence

renvoie notamment à la conscience et à l'identification des risques de même qu'aux

moyens à mettre en oeuvre pour les contrer. Ainsi sont donc accusés les individus qui ,

par leur prise de risque délibérée ou leur inaction, mettent la vie d'autrui en danger. Cette

124

obligation d'action dans une optique préventive fait écho au principe plus largement

répandu au XIXe siècle qui vise davantage à une atténuation des conséquences négatives

d'un phénomène plutôt qu'à une gestion anticipée qui aurait pour but d'éviter

l'occurrence de ce même phénomène 124. Ceci, néanmoins, davantage dans une

perspective de responsabilisation individuelle issue d'une conception libérale que dans la

mise en oeuvre d'un programme collectif de prévention des risques sociaux, parfois en

amont de certains actes criminels 125.

CONCLUSION

Au final, l'analyse approfondie des circonstances des décès nous a permis de jeter

un éclairage sur les facteurs de risque qui influent sur les probabilités d'occurrence d'un

événement funeste ainsi que sur la vulnérabilité de certains groupes sociaux. Les morts

accidentelles révèlent que les décès sont le plus souvent causés par la concomitance de

plusieurs facteurs externes à l'individu qui subit, en quelque sorte, les aléas de la vie

quotidienne, mais sans toutefois faire montre d'une attitude fataliste ou passive. Que ce

soit en voiture, dans la rue, au travail, durant un moment de détente ou à la maison, nul

ne peut se prémunir contre le hasard et la malchance. Ceux-ci, conjugués aux risques

que comportent la tâche effectuée, l'activité pratiquée ou l'équipement et les produits

utilisés, expliquent en majeure partie les coups du sort qui ont coûté la vie à plusieurs

124 Sans se prémunir elJes-mêmes contre certains risques qu'elles encourent en tentant d'éviter leurs occurrences , les sociétés préindustrielJes développent tout de même divers moyens et techniques pour minimiser leurs effets négatifs. En cela , des auteurs qualifient ces techniques comme étant préventives et tournées vers l'avenir. Mariana Valverde, « Analyser les risques et la gestion du risque en dehors de l'opposition binaire entre tradition et modernité », David Niget et Martin Petitclerc , dir. , Pour une histoire du risque: 342. m Magda Fahrni a montré par exemple que les campagnes d'éducation populaire mises sur pied à partir des années 1920 par la Ligue de sécurité de la province de Québec pour la prévention contre les accidents ont été pensées selon une perspective profondément individualisante, qui fait porter la responsabilité de leur sort aux victimes elJes-mêmes . Magda Fahrni ,« « La lutte contre l'accident » » : 200-201.

125

individus. De même, ce sont souvent les dangers qui émanent d'un environnement

matériel plus ou moins adapté, de conditions météorologiques défavorables ou même

d'une tierce personne qui sont à l'origine des décès. Nous ne pouvons pas cependant

passer outre le fait que certains décès s'expliquent par des initiatives malheureuses,

imprévisibles et dangereuses (prises le plus souvent par des enfants), des fausses

manoeuvres ou une prise de risque délibérée, comme la conduite à grande vitesse ou

l'ivresse au volant. Mais de manière générale, les décès qui ont fait l'objet d'une enquête

du coroner doivent être replacés dans leur contexte et analysés en regard des normes

sociales et culturelles qui sous-tendent la conduite, les attitudes et les réactions des gens

de l'époque.

De surcroît, l'examen des circonstances des morts naturelles ainsi que des décès

par suicide et par acte criminel montre que la pauvreté et la précarité peuvent y être pour

beaucoup dans' l'issue fatale de certaines existences, plus particulièrement de celles

d'enfants. Les mauvaises conditions de vie (insalubrité du logis, alimentation inadéquate,

exposition prolongée au froid , manque d'hygiène, etc .) sont parfois tenues pour

responsables par le coroner des décès portés à son attention, et ce, même au milieu du

xxe siècle. La situation socioéconomique des familles influe également sur les risques

d'accident mortel, notamment pour les tout-petits 126, ainsi que sur la propension à

commettre un suicide ou un acte criminel (comme c'est parfois le cas pour les

infanticides). Ainsi constatons-nous que des conditions qui rendent déjà fragiles certains

126 Catherine Cournoyer montre que les accidents au foyer et hors-foyer impliquant des enfants se concentrent davantage dans les quartiers ouvriers de Montréal qui abritent des familles modestes. Celles-ci seraient donc davantage exposées. Catherine Coumoyer, Les accidents impliquant des enfants et l'attitude envers l 'enfance à Montréal (1900-1945) : 67-70 .

126

groupes, jointes à d'autres facteurs, peuvent augmenter leur vulnérabilité. Ces facteurs de

risque cumulent donc leurs effets.

Si dans plusieurs cas, on jette le blâme sur l'individu qui a lui-même provoqué sa

perte ou celle d'autrui, il n'en demeure pas moins que l'on assiste, durant le second tiers

du XXe siècle, aux débuts d'une socialisation de certains types de risques comme la

pauvreté, les accidents de travail, la maladie et le chômage, entre autres. Nous

montrerons dans le prochain chapitre comment le coroner participe à cette socialisation

ainsi que les traces , dans nos dossiers, de la prise en charge étatique de certains types de

risque. Le développement de cette conscience collective envers les problèmes sociaux,

définis dorénavant selon François Ewald en termes de risques sociaux plutôt qu'en

termes moraux, serait à l'origine de l'apparition des assurances sociales à partir des

années 1930. Vu sous cet angle, nous serions tentée, comme lui, de croire que la

reconnaissance des risques sociaux marque le début du recul de la vision libérale des

problèmes sociaux qui les considère comme relevant de la responsabilité individuelle et

morale de tout un chacun 127. Cela dit, des travaux suggèrent qu'au-delà des discours

renouvelés sur les risques, la logique assurantielle participe au maintien de l'ordre social

d'antan fondé notamment sur le modèle patriarcal et sur les principes de moralité et de

responsabilité personnelles, répondant du même coup aux exigences du capitalisme

127 Martin Petitclerc, « L 'État-providence, la société du risque et les fondements de la communauté politique» : 206. 128 Ibid. : 203-224 . Voir également Magda Fahmi « « La lutte contre l ' accident »» : 181-202. Janice Harvey, pour sa part , montre bien que durant la seconde moitié du XIXe siècle , tout un discours , supportant les normes et les préoccupations sociales définies par l'élite , traduira la pauvreté en tant que risque social , notamment pour le maintien de l'ordre social établi . Ce discours libéral, qui privilégie l'approche de l'altérité et qui se fonde sur le principe de la responsabilité individuelle , aura tôt fait de

127

Si les enquêtes du coroner constituent une source extrêmement riche sur le plan

qualitatif pour appréhender la vie quotidienne des populations du passé et les multiples

risques auxquels elles étaient confrontées, il slavère plus difficile de cerner les discours,

les valeurs, les attitudes et les représentations des acteurs sociaux face à ceux -ci 129. À

quelques exceptions près, les témoignages se rapportent presque exclusivement aux

faits; les émotions et les réactions sont pour ainsi dire écartées des dossiers , mais elles ne

sont toutefois pas totalement absentes des préoccupations des jurés et du coroner. On le

voit bien dans les cas de décès par suicide notamment. Dans llensemble des dossiers

dlenquête, les témoins se contentent de dire comment la mort est survenue, ce qulils

faisaient à ce moment-là, où ils se trouvaient, comment ils ont été avertis , qui était

présent, ce quI ils connaissent des circonstances immédiates du décès et ce qulils ont fait

pour venir en aide au défunt , etc. Il est très rare que des sentiments soient exprimés, qulil

slagisse dl un suicide ou de la mort dlun époux ou même dlun enfant.

De même, les sources du coroner ne fournissent que très peu de détails sur les

stratégies de prévention mises en oeuvre pour gérer et même éliminer, si possible , les

risques 13o• En revanche, nous pouvons plus aisément entrevoir certaines normes sociales

en ce qui a trait à la sécurité au travail , à la surveillance parentale et à la circulation

légitimer la mise en place de mesures visant à gérer et prévenir ces risques, mesures qui se traduisent par la stigmatisation et l'exclusion sociales ainsi que le blâme . Janice Harvey , « Le risque et la ville au XIX' siècle» : 113-137. 129 Conu'airement à ce qu'affirment André Cellard et Pau'ice COlTiveau , les archives du coroner que nous avons consultées nous apparaissent très limitées pour cerner « ... les commentaires, les jugements de valeur et les attitudes des acteurs sociaux ... ». André Cellard et Patrice COlTi veau, « 250 ans de suicides au Québec » : 208. 130 Les stratégies de prévention sont entendues ici comme étant des moyens mis en place par divers organismes ou associations publics ou privés pour tenter de diminuer et ultimement d'éliminer les facteurs de risque, et ce, dans de multiples domaines comme la santé, la sécurité au travail, la criminalité, le chômage, etc. Quelques témoignages révèlent ainsi la présence d'inspecteurs publics chargés de veiller à l'application des normes dans les chantiers , les manufactures et les industries .

128

automobile. Celles-ci définissent à la fois le rapport au risque, c'est-à-dire la perception ,

l'évaluation et la capacité de gestion des risques , mais également les attentes de la

société lorsque des individus se trouvent confrontés à certaines situations. Par exemple,

la récurrence des questions posées par le coroner, les jurés et les avocats dans les

dossiers d'accidents de la route s'avère particulièrement révélatrice à ce titre. Nous y

reviendrons dans le chapitre suivant. Ces normes, quelles qu'elles soient , doivent

cependant être comprises en regard de l'évolution de l'environnement matériel, des

contextes sociopolitiques et socioéconomiques, des rapports de domination (comme le

patriarcat), des valeurs qui en découlent et de l'expérience concrète des individus . Les

occurrences liées à certains types de risque ne peuvent donc pas toutes être réduites à

l'imprudence ou à la négligence des gens.

Du reste les gens sont-ils astreints constamment à s'adapter à des normes

construites et institutionnalisées par les autorités publiques. Cette négociation obligée

entre plusieurs systèmes normatifs transparaît également dans le travail du coroner qui

arrime parfois ses verdicts aux préoccupations sociales de la communauté. Ainsi voit-on

poindre un rapport de force entre le droit , qui régit l'institution du coroner, et la société,

qui possède son propre cadre normatif tantôt flexible, tantôt rigide . C'est ce rapport de

force que nous tenterons d'éclaircir dans les chapitres qui suivent.

CHAPITRE 3

Côtoyer et élucider la mort: le coroner, acteur de la régulation sociale

C'est à partir du milieu du XIXe siècle que s'amorce la transition de la région

mauricienne vers le capitalisme industriel grâce entre autres à l'accélération de

l'exploitation forestière. S'ensuivra une urbanisation intensive - travailleurs saisonniers

et matelots prennent d'assaut la ville de Trois-Rivières - qui occasionnera la mise en

place d'une force policière en 1857 pour maintenir l'ordre et réprimer les comportements

déviants l. La société industrielle entraîne donc des problèmes sociaux, plus sensibles en

milieu urbain, comme la précarisation des conditions de vie et une paupérisation des

ménages. Cet état des choses est à l'origine d'une réorganisation du mode de régulation

sociale dans laquelle la présence accrue et le renforcement de la mise en oeuvre des

normes juridiques jouent un rôle majeur. Cette intensification du rôle de l 'État dans la

normalisation des comportements sociaux est également issue de la dissolution de

l'ancien mode de régulation basé sur des institutions comme l'Église, la famille, la

communauté, la paroisse2• Les rapports sociaux sont désormais assujettis à la logique du

marché qui requiert leur surveillance de manière à assurer la productivité et la

rentabilité . Des mesures de contrôle social, comme la police et la prison moderne, sont

mises en place afin de répondre aux exigences de maintien de la paix sociale que

J René Hardy et Normand Séguin , Histoire de la Mauricie : 404-409 . 2 Ste ven Spitzer , « The Rationalization of Crime Control in Capitalist Society», Stanley Cohen et Andrew Scull , dir. , Social Control and the State, Oxford , Basil B1ackwell , 1983 : 313.

130

nécessite la logique capitaliste3• Cela se traduit entre autres par un renforcement de

l'appareil répressif et par une gestion plus efficace, systématique et élargie du crime4•

Un des outils importants de contrôle social mis en place par l 'État suivant le

renouvellement du mode de régulation sociale est la création de corps policiers

professionnels et permanents au XIXe siècle. Dufresne explique que cette mesure est

cependant subordonnée à la réforme de l'administration de la justice, qui elle, relève de

la volonté étatique de discipliner la société et réprimer la déviance . L'auteur évoque dès

lors un changement qualitatif des notions de crime et de police; le crime étant désormais

conçu comme un problème social plutôt qu'en termes d'infractions, la police comme un

outil servant à prévenir et réprimer le crime et les désordres et non comme la manière

d'administrer une cité5. La police « moderne », instaurée selon plusieurs historiens

comme Dufresne, Fecteau et Greer à la suite des Rébellions de 1837-1838, devient alors

les yeux et les oreilles de l'État par le transfert du pouvoir des constables locaux à des

agents étatiques professionnels6. Leurs interventions se situent le plus souvent en milieu

urbain , vu comme le lieu des désordres , du vice et du crime, et ciblent particulièrement

les pauvres7. Toutefois , malgré une volonté claire de rationaliser le système et d'affecter

les corps de police à la traque des criminels et à la pacification de l'espace public, Huet

et Weaver , entre autres, observent tout de même une proximité entre la population et

3 Ibid . : 315. 4 lean-Marie Fecteau, Un nouvel ordre des choses: 149-167 . 5 Martin Dufresne , « La police, le droit pénal et « le crime » dans la première moitié du XIXe siècle: l 'exemple de la ville de Québec », Revue juridique Thémis, vol. 34, no 2 (2000) : 413-423. 6 Donald Fyson questionne cependant la nouveauté de la professionnalisation des corps de police à cette époque dans son dernier ouvrage. Donald Fyson, Magistrats , police et société, Montréal, Hurtubise , 2010 , 592 p. 7 Allan Greer, « The Birth of the Police in Canada », Allan Greer et Ian Radforth, dir. , Colonial Leviathan : State Formation in Nineteenth Century, Toronto , University of Toronto Press , 1992 : 29 .

131

l'appareil répressif et font remarquer les préoccupations sociales des officiers de justice

qui abritent parfois des vagabonds durant les nuits froides d'hiver ou innocentent un

coupable pauvre, qui a une famille à nourrirB•

Ainsi, l'appareil de justice est en constant remaniement tout au long de la période

étudiée. Les normes juridiques sont codifiées9 et se multiplient. L'utilisation massive des

procédures sommaires, tendance apparue durant la première moitié du XIXe siècle ,

constitue toujours une réalité judiciaire importante 10. La complexification et la

professionnalisation des institutions de régulation sociale s'opèrent parallèlement à

l'industrialisation et à l'urbanisation croissante. L'institution du coroner n'est pas

étrangère aux modifications que subit le système de justice. Ayant entre autres pour but

de déterminer si la mort résulte d'un acte criminel, le coroner peut être considéré comme

un acteur de la régulation sociale. Comment peut-on caractériser ce rôle alors qu'il agit

en contact étroit avec les acteurs sociaux ordinaires, tout en ayant à mettre en oeuvre des

normes juridiques/étatiques , normes q~i, progressivement, sont marquées par

l'affirmation de l'expertise médicale et scientifique?

Pour répondre à cette question, nous allons dans un premier temps examiner en

quoi les transformations que subit le système de justice affectent le travail du coroner.

Les principales modifications législatives et procédurales apportées entre 1850 et 1950

8 Pierre-Marie Huet, Ordre social et police à Trois-Rivières , 1850-1900, Mémoire de maîtrise , Université du Québec à Trois-Rivières, 1997 : 150-151 ; John C. Weaver, Crimes , Constables, and Courts : Order and Transgression in a Canadian City, 1816-1970, Montréal-Kingston , McGill-Queen's University Press , 1995 : 134-137 . 9 Le premier Code civil du Bas-Canada paraît en 1866 tandis que la première édition du Code criminel canadien est publiée en 1892. 10 Donald Fyson , Magistrats , police et société : 520 .

132

seront prises en compte. De même, les enquêtes incluses dans notre corpus seront

examinées en tenant compte de la montée de l'expertise médico-légale et des

transformations de l'environnement matériel et institutionnel dans lequel le coroner

opère. Dans un second temps, il sera question du rôle du coroner et de la place qui lui est

accordée dans la régulation de la société. Nous étudierons tour à tour le pouvoir

discrétionnaire dont il dispose , le rôle qui lui est dévolu en matière de justice criminelle,

les normes sous-jacentes aux interrogatoires qu'il mène et aux recommandations des

jurys et pour finir les traces de l'institutionnalisation et de la bureaucratisation de la prise

en charge des risques, phénomènes auxquels il participe dans une certaine mesure.

3.1. LES TRANSFORMATIONS DU SYSTÈME JUDICIAIRE

MODIFICATIONS DU RÔLE DU CORONER AU SEIN DE L'APPAREIL DE

JUSTICE

Outre les risques auxquels étaient confrontés les hommes et femmes d'autrefois,

les archives du coroner sont aussi révélatrices de l'évolution du mode d'administration de

la justice entre 1850 et 1950. Plusieurs traces de ce phénomène sont effectivement

visibles au sein même des dossiers d'enquête , telles que le recours plus fréquent aux

procédures sommaires, l'implication grandissante de la médecine et de la science

médico-légale et l'évolution de l'environnement matériel et technologique dans lequel les

coroners oeuvraient. Cela, en plus de l'apparition de nouveaux acteurs dont le rôle sera

examiné plus en détail dans le chapitre suivant. Cependant , il n'est pas sans intérêt de

porter d'abord une attention particulière à l'évolution de la législation qui témoigne de

l'affinement du droit positif régissant le travail du coroner.

133

3.1.1. La législation et la standardisation des procédures

Au milieu du XIXe siècle, au Québec , la législation concernant les coroners est

encore peu développée et semble assez éparse. Or, plusieurs aspects de leur pratique sont

néanmoins assez bien établis par plusieurs sources qui forment le droit anglais: les lois ,

la doctrine, la jurisprudence, entre autres. Dans la province, un acte passé en 1841 ,

portant sur la procédure criminelle, précise sommairement la marche à suivre en ce qui a

trait à la preuve rassemblée par le coroner durant son enquête et aux droits de l'accusé en

cas notamment d'une accusation de meurtre ou d'homicide involontaire Il. Ces

dispositions seront reprises plus tard dans les lois fédérales qui concernent les coroners 12.

Les statuts refondus pour le Bas-Canada de 1861 évoquent quant à eux les modalités

administratives de la fonction des coroners, notamment en regard du cautionnement

qu'ils doivent fournir pour exercer leurs charges en matière civile 13. Ces statuts

demeurent par ailleurs très succincts sur les procédures à appliquer lors de la conduite

d'une enquête. En 1879, de nouvelles dispositions législatives provinciales sont

sanctionnées dans le but de réduire le nombre d'enquêtes inutiles tenues sur des morts

subites de nature accidentelle. Ces quelques articles de loi précisent alors les motifs

justifiant la tenue d'une enquête de même que les modalités d'inhumation des cadavres,

les procédés qui doivent être suivis après ladite enquête ainsi que les tarifs en vigueur

liés aux diverses dépenses encourues lors de l'investigation l4. L'année suivante, cet acte

est abrogé par l'Acte concernant les enquêtes des coroners qui révise notamment la

JI An Act for lmproving the Administration ofCriminal Justice in this Province , 4-5 Vict. (1841), c. 24 , art. 4-5. 12 Acte concernant les devoirs des juges de paix, hors des sessions, relativement aux personnes accusées de délits poursuivables par voie d'accusation, 32-33 Vict. (1869) , c . 30 , art. 60-61; Statuts révisés du Canada, 1887 , c. 174,art.92-93. 13 Statuts refondus pour le Bas-Canada, 1861 , c. 92. 14 Acte concernant les enquêtes faites par les coroners, 42-43 Vict. (1879), c. 12.

134

définition des décès qui doivent faire l'objet d'une enquête et qui restreint le pouvoir des

coroners de commander une autopsie 15 • Subséquemment, les statuts refondus de la

province de 1888 reprennent essentiellement les dispositifs sanctionnés en 188016. Les

procédures sommaires, visant à accélérer le processus judiciaire et à réduire les coûts du

système, font sentir leur présence dans la pratique du coroner à partir de la dernière

décennie du XIXe siècle. Ce changement majeur sera plus amplement discuté dans la

prochaine section.

Au début du XXe siècle, c'est dans un contexte juridique de bureaucratisation et

de spécialisation que sont publiés plusieurs manuels destinés aux coroners 17 • Edmond

Lortie justifie la publication de son Guide des coroners en déplorant le fait que les

statuts de la province ne fournissent aucune indication pratique sur le déroulement des

enquêtes: « Ils [les statuts de la province de Québec] ne contiennent absolument rien

quant à la partie la plus importante des fonctions du coroner : nous voulons dire la

procédure à suivre pour mener à bonne fin une enquête telle qu'elle devrait être faite 18».

Vu cet état de fait, c'est la loi anglaise (la Common Law et les statuts) en vigueur lors de

la cession du Canada à l'Angleterre qui constitue la référence l 9. Or, Edmond McMahon

précise qu'en 1774 les coroners n'ont pour seul guide que les règles édictées par la loi 4

15 Acte concernant les enquêtes des coroners, 43-44 Vict. (1880), c . 10 , art. 3. Cette loi résulte, selon Edmond McMahon , du recours abusif de la part de certains coroners à des autopsies, démarches onéreuses, même lorsqu'il n'y a pas lieu de croire à un homicide. Edmond McMahon , A Practical Guide ta the Coroner and his Duties at Inquests : Without and With a Jury, in Quebec, and Other Provinces of Canada, Montréal , Wilson & Lafleur , 1907 : 147 . 16 SRPQ, 1888, art. 2687-2693. 17 Il faut néanmoins mentionner l'ouvrage de Richard Bum, dont une partie a été traduite par Joseph­François Perrault et a été publiée en 1789, qui fait état de divers aspects liés au travail des coroners . Plusieurs éléments de la pratique des coroners évoqués dans ce manuel sont d'ailleurs toujours en vigueur au Québec au milieu du XIXC siècle. Jos. F . Perrault, Le juge de paix, et officier de paroisse, pour la province de Québec, Montréal, Fleury Mesplet, 1789 : 93-112 . 18 Edmond Lortie, Le guide des coroners: VlIl. 19 Ibid . : 77-78.

135

Edward 1 (De Officio Coronatoris, 1276), règles qui sont issues de l'époque médiévale20•

Lortie soutient aussi que quelques principes et procédures adoptés par les coroners au

Québec sont issus de la « coutume» plutôt que du droit commun anglais. Advenant le

fait que les statuts de la province qui concernent les coroners ne précisent pas la

procédure à suivre quant à certains points de droit , le Code criminel, adopté en 1892,

constitue dès lors une référence pour pallier ce manque. Ainsi procède-t-on à certains

emprunts dans des cas semblables qui font appel à la même logique21. Somme toute , la

parution de ces manuels vise à régulariser la pratique des coroners, pratique qui ne fait

pas encore l'objet d'une législation provinciale détaillée et actualisée.

Outre l'ajout de quelques règles en ce qui a trait aux procédures sommaires, les

statuts refondus de 1909 viennent seulement préciser certaines dispositions législatives

déjà adoptées . Cela, même si plusieurs intervenants, notamment du milieu médical, ont

suggéré , à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, des changements à apporter à la

législation22. Ce n'est qu'en 1914 qu'une loi plus claire et détaillée sera promulguée23

.

Celle-ci va entraîner la codification de plusieurs normes juridiques déjà ancrées dans la

20 Edmond McMahon , A Practical Guide ta the Coroner and his Duties ar 1nquests : 20 . 2 1 Lortie donne l'exemple des dispositions de l'article 723 du Code criminel qui permet à la cour d'amender certaines irrégularités qui peuvent être observées dans un acte d'accusation . Sans trancher la question , l'auteur évoque la possibilité de se référer à cet article pour régler un litige de même nature qui pourrait survenir lors d'une enquête du coroner. Edmond Lortie, Le guide des coroners : 73-82 . 22 Voir par exemple : Wyatt Johnston , Return to an Order of the Legislative Assembly of the 13'h December 1893 upon Coroners ' 1nquests , Québec, 1893 , 36 p .; Edmond McMahon , A Practical Guide to the Coroner and his Duties at 1nquests : 337-347; G. P. Girdwood et al ., « Report of the Special Committee Appointed by the Medico-Chirurgical Society of Montreal : The Coroners' Law of the Province of Quebec » , The Montreal Medical Journal , vol. 22, no 7 (1894) : 508-518; Wyatt Johnston et George Villeneuve , « Six Months' Medical Evidence in the Coroner's Court of Montreal » , The Montreal Medical Journal, vol. 22, no, 2 (1893) : 90-109 . 23 Loi relative aux coroners dans la province de Québec, 4 Geo. V (1914), c. 38 . Il est vrai que cette loi est la première qui est axée sur la procédure à suivre lors d'une enquête du coroner. Cependant , contrairement à ce que Evelyn Kolish affinne, il ne s'agit pas de la « première loi sur les coroners » . Evelyn Kolish , Guide des archives judiciaires , 2000 : 24 .

136

pratique des coroners. Beaucoup plus exhaustive et procédurale, la loi est exposée de

manière chronologique, en conformité avec les étapes logiques qui ponctuent une

intervention du coroner: recherche, enquête s'il y a lieu, inhumation et exhumation,

devoirs après investigation, tarifs et paiement, etc . Le processus de nomination et

l'étendue de la juridiction des coroners sont aussi abordés. En 1922, une autre loi

concernant les coroners est sanctionnée24. L'ajout de quelques dispositions, notamment

sur la juridiction désormais plus étendue des coroners et sur le pouvoir d'intervention

élargi du procureur général, ne modifie cependant pas, ou du moins très peu, la façon de

conduire les enquêtes. Pour le reste de la période couverte, très peu de changements

seront apportés à la législation des coroners . Toutefois, par la suite, la Loi sur la

recherche des causes et des circonstances des décès, qui est promulguée en 1983 et qui

définit les responsabilités des coroners, marquera un tournant en ce qui a trait à leur rôle

dans la détection des crimes. En effet, l'article 4 stipule : « Le coroner ne peut à

l'occasion d'une investigation ou d'une enquête se prononcer sur la responsabilité civile

ou criminelle d'une personne 25». Désormais, ses attributions se limiteront à rechercher

les causes et les circonstances d'un décès et à formuler des recommandations dans une

optique de prévention .

La promulgation du Code criminel de 1892 constitue néanmoins une prémisse à

ce changement d'orientation que connaît l'institution du coroner dans le dernier quart du

xxe siècle. Christopher Granger observe un tournant similaire en Angleterre et au

Canada aux XIXe et XXe siècles :

24 Loi concernant les coroners, 12 Geo. V (1922), c . 67 . 25 Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès, Lois du Québec (1983) , c. 41, art. 4.

137

... the coroner became more concerned with the investigation and establishment of the medical causes of death and the surrounding factual circumstances in which it took place and less with the detection and prosecution of crime, as weIl as the development of an increasingly sophisticated professional death inquiry

26 system ...

Le premier Code criminel retire en effet la fonction d'indictment au coroner, c'est-à-dire

qu'une enquête du coroner ne peut plus faire office d'acte d'accusation pour citer un

individu à procès 27 . Dès lors, lorsqu'une ou plusieurs personnes sont reconnues

criminellement responsables d'un décès à la suite d'une enquête, le coroner est chargé de

les faire comparaître devant un magistrat ou un juge de paix28. Pour Lortie, cette

disposition diminue à certains égards « l'importance » des enquêtes du coroner29 tandis

que Henri Elzear Taschereau interprète ces nouvelles normes législatives comme un

mécanisme d'appel des décisions rendues par le jury du coroner:

This virtually gives an appeal from the coroner's jury to a single magistrate , who consequently, though heretofore he had not even the right to bail any one charged by . a verdict of the coroner's jury, will now have the right to set him free altogether ?O

Si le coroner constitue encore alors un des rouages du système de justice

criminelle , son pouvoir direct de répression du cnme s'en trouve tout de même

passablement restreint. Alors que certaines de leurs fonctions pouvaient s'apparenter à

celles exercées par un magistrat ou un juge de paix lors d'une enquête préliminaire, les

enquêtes du coroner ne constituent plus qu'un dispositif institutionnel qui initie, dans

certains cas , la mise en oeuvre de la procédure judiciaire criminelle. Or , ce pouvoir

26 Christopher Granger, Canadian Coroner Law: 35 . 27 Code criminel, 1892 , Ottawa, Samuel Edward Dawson , 1892 : 223 . Des recherches supplémentaires seraient nécessaires pour déterminer si , avant l'entrée en vigueur du Code criminel en 1893 , cette fonction d'indictment était bel et bien exercée. 28 Jbid. : 195. 29 Edmond Lortie , Le guide des coroners : 73 ; 81. 30 Henri Elzear Taschereau , The Criminal Code of Canada as Amended in 1893 : Witl! Commentaries, Annotations, Precedents of Indictments, etc. , Toronto , Carswell Co ., 1893 : 638.

138

quant au franchissement du seuil judiciaire criminel peut s'avérer aussi crucial dans le

système de régulation de la société. Porteur et empreint de normes sociales puisque

relevant d'un jury compdsé d'hommes ordinaires, le verdict énoncé au terme d'une

enquête renvoie à une forme de régulation des comportements exercée par la population

elle-même. De surcroît, cette réforme de la fonction du coroner, désormais davantage

axée sur la recherche des causes et des circonstances de décès que sur la répression du

crime, a, dans une certaine mesure, fait augmenter, selon Granger, le nombre de décès

soudains ou suspects rapportés au coroner en Angleterre3'. D'après lui, combinée à la

promulgation du Births and Deaths Registration Act de 1926 et à la possibilité de faire

intervenir le coroner sans qu'une enquête formelle soit tenue (cas de recherches), cette

réorientation partielle de l'institution du coroner a atténué une certaine réticence de la

population à faire appel à lui32. Ceci dit, ces assertions ne sont pas aisément vérifiables .

Bien que nous constations une augmentation des interventions du coroner au XXe siècle ,

il est difficile de trancher à savoir si celle-ci résulte de l'augmentation parallèle de la

population ou de ce changement opéré dans la législation qui aurait incité davantage la

population à prévenir le coroner en cas de mort soudaine ou suspecte. De plus amples

recherches seraient nécessaires pour répondre, ne serait-ce que partiellement, à cette

question qui relève des représentations que pouvaient avoir les acteurs sociaux à l'égard

l'institution du coroner.

Somme toute, même si cette nouvelle disposition législative transforme le rôle du

coroner, reste qu'elle ne modifie pas vraiment la pratique des coroners sur le terrain,

31 Christopher Oranger, Canadian Coroner Law : 33. 32 Ibid.

139

abstraction faite de la procédure à suivre si un individu est trouvé responsable d'un décès

porté à leur attention. Dans cette même optique , bien que cela se veuille une mesure de

standardisation, l'édiction de lois relatives aux coroners n'entraîne que peu de

changements effectifs dans des pratiques déjà bien ancrées. Néanmoins, la continuité

générale des pratiques souffre une exception, celle de l'appprition, à la fin du XIX·

siècle, des cas de recherches , sorte d'enquêtes préliminaires permettant de réduire le

nombre d'enquêtes avec jury menées pour des décès qui ne laissent planer aucun doute

sur leur caractère naturel ou accidentel.

3.1.2. L'utilisation croissante des procédures sommaires

C'est en 1895 qu'apparaît pour la première fois dans la législation le terme « cas

de recherches », qui renvoie à un rapport des recherches menées par le coroner lorsqu'il

n'y a pas lieu de tenir une enquête avec jury33. Cette disposition législative permet

notamment de réduire considérablement les coûts associés aux enquêtes formelles, une

des préoccupations majeures des autorités à l'époque. De fait, une circulaire de 1902 du

Département du procureur général destinée aux coroners indique que « l'objet de la loi

est d'empêcher toute enquête inutile et de réduire autant que possible le coût de celles

qui sont nécessaires 34» . Ainsi, après avoir été averti d'un décès 'soudain ou suspect et

s'être enquis des causes et des circonstances de décès, si le coroner juge catégoriquement

que la mort ne relève pas d'un crime ou d'une négligence, il rédige un compte rendu de

ses recherches qui sera conservé dans les archives du greffier de la Couronne. La Loi

33 Loi concernant les coroners , 58 Viet. (1895) , e . 33, art . 1 (modifiant l'article 2692 des statuts refondus de 1888). 34 Edmond Lortie, Le guide des coroners: Ill .

140

relative aux coroners adoptée en 1914 vient préciser la procédure à suivre lorsqu'un

coroner procède seul à des recherches35•

La mise en place de cette mesure suit de quelques années l'obligation nouvelle,

apparue en 1880, de justifier par écrit la tenue d'une enquête avec jury par la

présomption que le décès résulte d'un crime ou d'un acte de violence36. Cette disposition

est amendée en 1892 : la déclaration écrite doit se faire sous serment (devant un juge de

paix, un notaire ou un commissaire de la Cour supérieure) et elle doit préciser que le

décès n'est pas naturel ou accidentel, mais qu'il est attribuable à un acte criminel, à de la

violence ou de la négligence. Un autre article spécifie qu'aucuns honoraires ne pourront

être recouvrés par le coroner sans que cette formalité soit remplie37• Édictée et amendée

dans le but de réduire le nombre d'enquêtes portant sur des décès naturels ou accidentels,

cas dans lesquels le coroner ne devrait pas en principe procéder à une investigation, cette

formalité s'apparente à une enquête préliminaire. Ultimement, celle-ci se veut un moyen

de restreindre les dépenses associées aux enquêtes du coroner conduites avec jury.

3 ~ Loi relative aux coroners dans la province de Québec, 4 Geo. V (1914), c . 38, art. 1 (modifiant les articles 3484 et 3486 des statuts refondus de 1909). « 3484. Le coroner peut rechercher lui-même les circonstances qui ont précédé ou accompagné la mort d'une personne , quand il a bonne raison de croire, par suite d'une information reçue ou autrement , que la personne décédée n'est pas morte de causes naturelles ou par accident , mais qu'elle est décédée par suite de violence ou de moyens déloyaux, ou de négligence, ou de conduite coupable de la part d'autres personnes, dans des circonstances telles qu'une enquête du coroner pourrait être subséquemment nécessaire . [ ... ] Le coroner doit donner un permis d'inhumation quand il appert de ses investigations que la mort de la personne décédée est la conséquence de causes naturelles ou d'un pur accident. [ ... ] 3486. Le coroner doit faire un procès verbal sommaire des informations qu'il obtient par ses recherches, et ce procès verbal est déposé , sans délai, dans les archives du greffier de la couronne du district. »

36 Acte concernant les enquêtes des coroners, 43-44 Vict. (1880), c. 10 , art. 1. « Nulle enquête ne sera tenue sur le corps d'une personne décédée , à moins que le coroner , avant l'émission de son mandat assignant le jury, n'ait fait une déclaration par écrit, établissant que, sur information reçue par lui, il est d'opinion qu'il y a lieu de croire qu'un crime a été commis , ou que la personne décédée est morte par suite de violence ou de moyens injustes, ou en de telles circonstances, qui requièrent une investigation , laquelle déclaration contiendra les raisons et les faits sur lesquels la dite opinion est basée et sera rapportée et produite avec le rapport de l'enquête. »

37 Loi relative aux enquêtes des coroners , 55-56 Vict. (1892), c. 26, art. 1-2 (modifiant les articles 2687 et 2692 des statuts refondus de 1888).

141

Cependant, commentant l'utilité et la légitimité de cette déclaration assermentée

obligatoire qu'il considère déshonorante pour les coroners, Edmond McMahon, alors

coroner du district de Montréal, soutient: « This law has not prevented useless inquests

any more than have its forerunners 38» . Dans la même veine, Wyatt Johnston, médecin

mandaté en 1893 par l'Assemblée législative pour produire un rapport sur les enquêtes

du coroner, approuve l'initiative de l'État, mais soutient que les visées de réduction des

dépenses gagneraient davantage à laisser la conduite de cette enquête préliminaire entre

les mains d'un médecin39. Ainsi , beaucoup plus d'enquêtes « inutiles» seraient évitées40.

Malgré les critiques formulées à son égard, cette mesure législative, qui connaît

quelques changements mineurs au fil des années, demeure néanmoins en vigueur jusqu'à

la fin de la période étudiée.

Ainsi, même si cette formalité est prescrite dès 1880, cette déclaration écrite

obligatoire n'apparaît dans notre corpus qu'en 1930. À notre aVIS, cela pourrait

s'expliquer par des pertes de documents. De même, son absence des dix dossiers

d'enquête de 1891, enquêtes qui ont toutes été menées par le même coroner, laisse croire

que ce dernier ne respectait peut-être pas cette exigence. D'autres recherches que nous

avons menées dans les dossiers d'enquête du district de Trois-Rivières montrent

néanmoins que ce formulaire est joint systématiquement aux dossiers de 1896 et 1897.

Quant aux « cas de recherches », ces investigations tenues sans jury, ils apparaissent

38 Edmond McMahon , A Practical Guide to the Coroner and his Duties at Inquests : 136. 39 Wyatt Johnston , Return ta an Order of the Legislative Assembly of the 13,11 December 1893 upon Coroners ' Inquests : 4-5. 40 Cette question du recours et de la place accordée à la médecine dans les enquêtes du coroner sera plus longuement discutée dans le prochain chapitre .

142

dans notre corpus en 191841• La figure 8 rend compte de l'évolution de la répartition des

dossiers d'enquête entre 1850 et 1950 en fonction du type d'investigation menée.

FIGURE 8 Enquêtes avec jury et cas de recherches, 1850-1950

180 70%

160 60% 140 - Casde

120 50% recherches *

100 40% - Enquêtes

80 30% avec jury

60 20% - .. -. Proportion

40 de cas de

20 10% recherches

0 0% 1850 1870 1891 1918 1930 1950

'Sept enquêtes sans jury tenues en 1930 ont été considérées comme des « cas de recherches » même si ce sont les formules d'une enquête formelle qui ont été utilisées par le coroner. Sources : BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSI; TP9 , S3 , SS26, SSSI ; TL257, SI , SS26, SSSl. Dossiers des années 1850, 1870, 1891, 1918, 1930 et 1950.

Bref, le XXe siècle va connaître une large diffusion des procédures sommaires liées aux

enquêtes du coroner; la justice criminelle sommaire existait déjà de manière importante

dans les années 1830 tout en étant marquée par un mouvement d'accélération par la

suite42. Entre 1918 et 1950, on constate que la proportion des « cas de recherches »

augmente de 18,3 %, preuve de cette tendance lourde du mode d'administration de la

justice. Ces investigations expéditives et abrégées vont représenter plus de la moitié des

41 Nous savons cependant qu'en 1896 et 1897 , des enquêtes sans jury ont été conduites sans toutefois que la formule de « cas de recherches » ne soit présente dans les archives . À cette époque, lorsque les coroners jugeaient , après avoir pris toutes les informations nécessaires , qu'il n'y avait pas lieu de tenir une enquête formelle, ils remplissaient la déclaration écrite obligatoire en attestant qu'une enquête avec jury n'était pas nécessaire vu le caractère naturel ou accidentel du décès . En fait , il appert que les « cas de recherches» renvoient à un formulaire simplifié de cette déclaration. Ils apparaissent en 1914 dans les archives du coroner du district judiciaire de Trois-Rivières. 42 Donald Fyson, Magistrats , police et société: 527 .

143

interventions du coroner à partir de 1930, leur prépondérance étant encore davantage

marquée en 1950.

En principe, ce type de procédure est utilisé lorsque la cause du décès paraît sans

équivoque. Le tableau 9 montre la ventilation des enquêtes avec jury et des cas de

recherches menées pour les dossiers du XXe siècle que nous avons retenus, en fonction

de la cause du décès.

TABLEAU 9 Répartition des enquêtes avec jury et des cas de recherches en fonction de la cause

du décès, 1918, 1930 et 1950

1918 1930 1950 Total

Cause de Jury Rech. Jury Rech. Jury Rech. Jury Rech. décès'

n % n % n % n % n % n % n % n %

Médicale 13 28,3 33 71,7 4 12,9 27 87,1 6 7,7 72 93,3 23 14,8 132 85,2

Accident 33 75 11 25 32 66,7 16 33,3 49 64,5 27 35,5 114 67,9 54 32,1

Suicide 4 100 - - - - - - 1 14,3 6 85,7 5 45,5 6 54,5

Crime - - - - 3 100 - - 1 100 - - 4 100 - -

Autre - - 2 100 1 50 1 50 - - - - 1 25 3 75

Inconnue 4 80 1 20 1 50 1 50 1 33,3 2 66,7 6 60 4 40

Total 54 53,5 47 46,5 41 47,7 45 52,3 58 35,2 107 64,8 153 43,5 199 56,5

'Pour faciliter la lecture du tableau , nous avons abrégé le titre des catégones de cause de décès . Il faut noter toutefois qu'elles correspondent à celles présentées dans le premier chapitre . Sources : BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI. Dossiers des années 1918,1930 et 1950.

144

Comme il fallait s'y attendre, les quatre affaires qui se sont closes par un verdict

d'acte criminel ont fait l'objet d'une procédure avec jury. Par contre, la majeure partie des

décès résultant d'une maladie ou d'une affection soudaine sont traités par cas de

recherches (85,2 %) tandis que les morts accidentelles ont nécessité une enquête avec

jury dans plus des deux tiers des cas (67,9%) . Il faut dire que la médecine et ses moyens

progressent à un rythme accéléré au Québec à partir du tournant du XXe siècle43. De

plus, tous les coroners qui ont oeuvré dans le district judiciaire de Trois-Rivières durant

les années 1918, 1930 et 1950 sont médecins . Entre 1918 et 1950, on constate une

augmentation de 21,7 % de la proportion de décès pour cause médicale qui ne font pas

l'objet d'une enquête formelle. Ainsi, au milieu du XXc siècle, presque toutes les morts

naturelles (93,3 %) sont soumises à la seule intervention du coroner. En revanche ,

l'accroissement de' la proportion de morts accidentelles qui ne sont pas portées à

l'attention d'un jury est plus faible . Le nombre accru d'accidents de la route, accidents

pour lesquels un doute peut aisément être soulevé concernant un possible acte de

négligence (vitesse, alcool , etc .) , pourrait expliquer pourquoi les coroners décident de

remettre plus souvent l'examen des décès de ce genre entre les mains d'un jury. En outre,

tous les verdicts de suicide en 1918 sont rendus par un jury alors qu'en 1950 presque

\ tous ces dossiers impliquent seulement le coroner. Enfin, étant donné l'ambigüité des

circonstances des décès de cause inconnue (la plupart des défunts sont retrouvés noyés),

ils sont traités parfois par un jury, parfois par le coroner seulement.

43 Denis Goulet et André Paradis, Trois siècles d'histoire médicale au Québec chronologie des institutions et des pratiques (1639-1939) , Montréal , VLB Éditeur, 1992 : 50-51.

145

3.13. Le développement de l'expertise médico-légale et les transformations de

l'environnement matériel et institutionnel des enquêtes

Le développement de la science médico-légale a participé au processus de

pénétration de l'expertise dans l'appareil judiciaire. C'est à partir du milieu du XIXe

siècle que la médecine légale se développe en Occident avec l ' apparition de nouvelles

techniques et la publication de nombreux manuels et précis44. Peu à peu, des experts font

leur entrée dans les cours de justice, légitimant leurs preuves par un savoir scientifique,

des techniques empiriques et une formation professionnelle. Suivant leur champ de

compétence, les experts sont généralement chargés d 'expliciter à la cour les

circonstances et les modalités d ' un crime. L'expert sert alors les intérêts de la justice, à

qui il expose la nature et le déroulement des événements qui lui sont soumis; ceux de

l ' accusé , à qui il peut éviter, parfois, une erreur judiciaire; et ceux de la victime, à qui il

octroie ce statut45• On exige non seulement de lui qu ' il décode et qu'il rende intelligibles

notamment des marques de violence à des gens nullement experts en médecine, mais

qu 'en plus , il les caractérise en établissant la limite entre le tolérable et l'inacceptable . En

cela, les experts participent , avec les autres acteurs du système judiciaire, à l'énonciation

de normes morales et médicales et définissent la violence et la hiérarchisent46 en « .. .

retranscri[vant] en normes juridiques la souffrance et même l'agonie des victimes47» .

Plus encore, le développement de la toxicologie comme celui de la balistique impose

44 Emmanuelle D'Astous-Masse , Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920: 1-3 . 45 Marina Daniel , « Les médecins et la pratique de l 'expertise en Seine-Inférieure au XIXe siècle », Claire Dolan , dir ., Entre justice et justiciables: 737-738 . 46 Frédéric Chauvaud , Les experts du crime : la médecine légale en France au XIXe siècle , Paris , Aubier , 2000 : 100-109 . 47 Marina Daniel , « Les médecins et la pratique de l 'expertise en Seine-Inférieure au XIXe siècle » : 739 .

146

aux experts de faire la démonstration technique de leurs conclusions en plus de trancher

à savoir si le geste posé relève d 'un acte criminel48.

L ' une des formes que prend l 'expertise médicale sont les avis donnés par les

aliénistes . L'expert aliéniste a pour fonction de déterminer la responsabilité morale et

légale du prévenu puisqu ' à partir du XIXe siècle , en Occident, on ne peut parler de crime

lorsque le suspect se trouve dans un état de folie lors des événements49. Par contre , alors

qu'en France le fait empirique et le rôle de l'expert sont déterminants dans les procès50,

au Québec , les preuves psychiatriques n 'obtiennent pas plus de succès que les preuves

médicales ou scientifiques, et ce , malgré la spécialisation des professionnels51. En effet,

les juges et jurys n' accordent pas plus de crédibilité aux aliénistes , experts en maladies

mentales , qu 'aux médecins de famille ni d 'ailleurs qu 'aux témoins ordinaires à qui on

demande également de se prononcer sur la santé mentale de l ' accusé52.

En plus de la toxicologie, la science a développé d 'autres techniques à la fin du

XIXe siècle et au début du XXe siècle pour procéder à l'identification des criminels. Le

bertillonnage, ou anthropométrie , le relevé des empreintes digitales ainsi que l' utilisation

de la photographie sur les scènes de crime ont contribué à la spécialisation et la

48 Frédéric Chauvaud , Les experts du crime: 224 . 49 Guy Grenier, Les monstres, les fous et les autres: la f olie criminelle au Québec, Montréal, Trait d' union , 1999 : 11-12. 50 Frédéric Chauvaud , Les experts du crime: 109; 234 . 51 Emmanuelle D'Astous-Masse , Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920 : 35 . 52 1bid. : 122-123 .

147

bureaucratisation des forces de police53• Ces procédés constituent alors des outils de

discipline et des moyens de surveillance du territoire et de prévention du crimes4•

Ainsi, justice et médecine sont-elles de plus en plus liées avec l'essor de

nouveaux moyens matériels et scientifiques. Vers la fin du XIXe et tout au long du XXe

siècles, l'institution du coroner va notamment profiter, dans une certaine mesure , des

progrès de la médecine légale'. Elle connaîtra aussi plusieurs transformations notamment

sur le plan matériel et institutionnel. Nous allons maintenant faire état brièvement des

quelques changements observables à même les dossiers d'enquête en ce qui a trait aux

moyens et aux infrastructures dont dispose le coroner pour mener ses enquêtes.

N ' ayant , pour la plupart , qu 'une formation juridique, la médecine légale est-elle

bien connue des coroners du milieu du XIXe siècle au Québec? Le premier médecin

coroner de Québec est nommé en 187555. Dans le district de Trois-Rivières , ce sont un

notaire et un avocat qui exercent cette profession en 1850 et en 1870. Par contre, en

1891 , les dix enquêtes de notre corpus ont été conduites par un médecin. Ainsi, lorsque

la fonction de coroner est exercée majoritairement par des médecins vers la fin du XIXc

siècle, ceux-ci peuvent mettre leur formation à contribution lors de l 'examen des

cadavres , même si on observe une diminution des cours dédiés à la médecine légale et à

la toxicologie entre 1880 et 1920 dans le cursus de formation en médecine56. Au début

~3 Greg Marquis , « The Technology of Professionalism : The Identification of Criminals in Early Twentieth-Century Canada », Criminal Justice History, vol. 15 (1994) : 165-170. S4 Ibid . ss Emmanuelle D'Astous-Masse, Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920 : 3. s6Ibid. : 39 .

148

du XXe siècle, les èoroners du district de Montréal sont notamment assistés dans leur

travail par le Laboratoire provincial de recherches médico-légales, fondé en 1914 par le

docteur Wilfrid Derome et premier du genre en Amérique57. Cette même année, comme

on le sait, voit l'adoption d'une loi plus précise et exhaustive sur les coroners. Quelques-

uns de nos dossiers montrent une collaboration entre les experts oeuvrant au sein de

cette institution et les coroners du district de Trois-Rivières. C'est dire que l'expertise

nécessaire et les moyens technologiques ont d'abord été concentrés à Montréal.

Néanmoins, quelques autopsies ont été pratiquées, pour la plupart au XX: siècle, par des

médecins résidant dans le district58.

A vant la fondation de ce laboratoire, qui sera connu plus tard sous le nom

d'Institut de médecine légale, il existait des pressions provenant du milieu médical en

faveur de la construction d'une morgue qui servirait à entreposer les cadavres, à procéder

à des autopsies et à des analyses chimiques, à accueillir les proches des victimes pour les

identifications, entre autres fonctions 59• Dans le district de Trois-Rivières, des enquêtes

ont lieu, à partir de 1918 , dans des morgues qui semblent pour la plupart privées,

appartenant à des entrepreneurs de pompes funèbres. La pratique prend toutefois de

l'importance en 1930 et en 1950. Celle-ci est concomitante avec le confinement récent

de la mortalité à la sphère privée qui participe d'un changement d'attitudes face à la mort

et d'un processus de commercialisation qui s'amorcent au XIXe siècle et qui se

57 Denis Goulet et André Paradis , Trois siècles d'histoire médicale au Québec: 475. 58 Les circonstances de la pratique d'autopsies seront analysées dans le prochain chapitre lorsqu'il sera question de la participation des médecins aux enquêtes du coroner. 59 Entre autres : Wyatt Johnston et George Villeneuve, « A New Morgue for the City of Montreal », The Montreal Medical Journal , vol. 23 , no 7 (1895) : 515-520; G. P. Girdwood et al. , « Report of the Special Committee Appointed by the Medico-Chirurgical Society of Montreal » : 513; Wyatt Johnston, Return to an Order of the Legislative An'embly of the 13th December 1893 upon Coroners' 1nquests : 30-31.

149

poursuivent au tournant du siècléo. En outre , c'est sous l'impulsion du mouvement

hygiéniste que des services funéraires professionnels, comprenant des techniques

scientifiques et des infrastructures adéquates, se développent peu à peu61•

La Loi relative aux coroners sanctionnée en 1914 'prévoit la conclusion

d'ententes entre le procureur général et les municipalités afin de mettre à la disposition

des coroners une morgue pour la tenue des enquêtes62• En plus de la désignation d'une

morgue provinciale en région , des ententes surviendraient donc entre les villes et des

entreprises privées qui disposent déjà des infrastructures nécessaires . Situées dans les

localités les plus importantes (Trois-Rivières, Shawinigan, Louiseville), les cadavres y

sont transportés à la demande du coroner ou d'un médecin qui a constaté le décès. Si

seulement 38 dossiers d'enquête sur les 352 de notre corpus compris entre 1918 et 1950

indiquent que le coroner a tenu son enquête à la morgue ou du moins que l'identification

du corps des victimes y a eu lieu, il est probable que ce nombre soit plus élevé puisque le

lieu de l'enquête n'est généralement pas spécifié. Néanmoins, il est probable que

plusieurs investigations , surtout lors de cas de recherches menées sur des décès naturels

et dans des villages plus reculés, aient encore lieu dans des résidences privées.

Par ailleurs, pour la même époque, nos archives tendent à démontrer que les

hôpitaux assurent plus fréquemment la prise en charge des mourants , surtout en cas

60 Roy Bourgeois , « De croque-mort à entrepreneur de pompes funèbres: la Maritime Funeral Directors' Association et la montée du professionnalisme au début du 20< siècle », Acadiensis, vol. 31 , no 2 (2002) : '97-98. 61 Ibid . : 105-106. 62 Loi relative aux coroners dans la province de Québec , 4 Geo. V (1914), c. 38, art. 1, art. 348711 et 3487i créés par cette loi .

150

d'accident. Les blessés sont plus souvent transportés à l'hôpital alors que se développent

également des services de transport ambulancier, aussi assurés par des entrepreneurs en

pompes funèbres. Disposant de nouveaux outils technologiques, les examens médicaux

sont plus précis. Il est donc plus aisé, pour les médecins, de connaître l'état de santé

général du patient et, pour les coroners, d'établir la cause de décès. Quelques dossiers

montrent en effet l'utilisation des rayons X en 1930 et 1950, employés pour la première

fois à des fins médicales à Montréal en février 189663• Les facilités médicales sont plus

répandues en milieu urbain tandis qu'en milieu rural, l'accès à un médecin est moins aisé .

En 1930 , le rapport des recherches du coroner Caron qu'il a menées à Saint-Alexis-des-

Monts sur le corps de la petite Valéda T ., âgée de 6 mois, morte à la maison de « cholera

infantum », mentionne que les parents demeurent à 18 milles du médecin le plus près64.

Les parents de la petite Yvette M., 4 mois, résidant à Saint-Édouard, ont rencontré le

même problème quelques mois auparavant65•

Mentionnons enfin que des photographies ont été prises dans le cadre de

seulement trois affaires en 1950 : un décès de cause médicale et deux accidents de la

route. Les agents de police et les officiers de la circulation, qui interviennent de plus en

plus souvent dans les enquêtes du coroner au XX· siècle, disposent pourtant , peut-on

croire, des appareils nécessaires. Wilfrid Derome, dans son Précis de médecine légale ,

insiste pourtant sur la nécessité de photographier les cadavres lorsqu'ils sont retrouvés

63 Denis Goulet et André Paradis , Trois siècles d 'histoire médicale au Québec : 466. 64 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Valéda T ., no 144, 14 septembre 1930. 65 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI , Yvette M., no 135, 14 février 1930. Voir également Primat G., 8 janvier 1918 .

151

afin de bien montrer leur position, les objets qui les entourent66, etc . Les trois dossiers

d'enquête ne contiennent pas les photographies dont ils font mention, mais nous savons

qu'elles sont utilisées lors des interrogatoires des témoins pour tenter d'obtenir une idée

précise des lieux de l'accident ou des interventions qui ont été faites sur un patient. Bref,

le coroner a profité, jusqu'à un certain point, des avancées de la médecine en général et

de la science médico-légale qui lui ont donné davantage de moyens, matériels et

institutionnels, pour résoudre ses enquêtes et servir, de ce fait , les intérêts de la justice.

Ces intérêts sont orientés vers la détection et la répression du crime. Par contre, même

s'il oeuvre en ce sens, le rôle du coroner dans la régulation sociale à cette époque ne se

limite pas qu'à cela.

3.2. LE CORONER: ACTEUR DE LA RÉGULATION SOCIALE

Même après l'entrée en vigueur du Code criminel en 1893, le coroner prend

effectivement toujours part à cette vaste entreprise de lutte contre la criminalité que

mènent l'État et son appareil judiciaire. Par contre, son rôle se situe désormais en amont

dans le système de justice puisqu'il n'est plus partie prenante de la procédure criminelle .

Sa tâche se limite à l'enclencher seulement. Or, lorsqu'on analyse le fonctionnement de

l'institution du coroner, la mise en oeuvre du processus doit passer par deux filtres .

D'une part, le coroner, fort de son savoir médical ou juridique, doit déterminer la

nécessité d'une enquête avec jury en fonction de ses soupçons à savoir si un crime ou un

acte de négligence a été commis et doit ensuite, à la lumière des éléments obtenus

pendant l'enquête , guider les jurés sur la façon la plus juste d'apprécier la preuve qui leur

a été offerte. D'autre part, les jurés, ces hommes susceptibles de connaître la victime, de

66 Wilfrid Derome, Précis de médecine légale: 255 .

152

se connaître entre eux et qui résident généralement dans la même localité , ont le dernier

mot sur le verdict à rendre. Plusieurs facteurs d'ordre social , moral , médical et même

économique entrent alors en jeu dans la manière dont les enquêtes sont conduites et dans

la nature des verdicts rendus .

En outre, ce rôle de détection du crime et de la négligence nécessite de vérifier ,

notàmment au cours des interrogatoires, si tout a été mis en oeuvre pour éviter le décès,

quelles qu'en soient les circonstances: accidents de travail, accidents domestiques, morts

naturelles, accidents de transports, etc. Du coup, le travail du coroner est lié, dans une

certaine mesure, à la gestion et la prévention des risques, mortels ou non. Du moins ,

comme nous l'avons mentionné plus haut, c'est cette orientation que prend peu à peu

l'institution du coroner avec la prépondérance graduelle de son pouvoir de

recommandation sur celui de répression.

3.2.1. Le pouvoir et la justice discrétionnaires du coroner

Comme nous l'avons évoqué dans les chapitres précédents, les verdicts rendus

dans certains dossiers peuvent laisser perplexe, notamment lorsque la cause et les

circonstances de décès demeurent inconnues ou ne semblent pas être cohérentes avec la

preuve qui a été présentée. Ces cas laissent croire que quelques verdicts de morts

accidentelles en particulier ont pu être rendus pour camoufler une réalité tout autre. De

même, le prononcé de « verdicts ouverts »67 , c'est-à-dire qui ne désignent pas

précisément la cause du décès, comme « cause inconnue », « cause naturelle » ou encore

67 Nous empruntons ici l'expression (<< open verdicts ») à Johnston et Villeneuve. Wyatt Johnston et George Villeneuve, « Six Months' Medical Evidence in the Coroner's Court of Montreal » : 97 .

153

« trouvé noyé » , permettent aussi de penser à des demi-vérités, et ce, surtout si on

considère que la justice s'en satisfait. Toutefois, dans d'autres cas , le peu de ressources

dont disposaient les coroners à cette époque peut expliquer le faible nombre d'éléments

de preuves sur lesquels les verdicts sont fondés.

La preuve amassée par le coroner dans le cadre de ses enquêtes repose

majoritairement sur les témoignages. Parents , voisins, collègues et amis (entre autres)

viennent raconter ce qu'ils savent des circonstances entourant la mort du défunt. Si le

coroner institue une enquête en raison de présomptions de crime ou de violence , certains

témoins sont convaincus du caractère accidentel du décès. « J'ignore comme elle est

tombé [sic] à l'eau, mais je suis convaincu que c'est par accident, car la petite fille était

aimé [sic] partout [ ... ] je n'ai aucun soupçon contre personne » , raconte le beau-père

d'Adéline B., 27 ans, qui s'est noyée dans la rivière aux Orignaux à Saint-Pierre-Ies-

Becquets sans que personne n'en soit témoin. Déjà, à la fin du XIX· siècle, d'aucuns

remettent en question la valeur des dépositions des proches surtout dans les cas de

suicide ou d'événements qui s'apparentent à un acte criminel: « The great disadvantage

of aH this sort of evidence is that it is mostly obtained from those who may be interested

68» . Par ailleurs, le nombre de témoins entendus lors des enquêtes avec jury augmente au

fil du temps . Il passe de 2,1 en 1850 à 3,1 en 1918 et à 4,7 en 195069. Cela relève-t-il

d'une volonté d'étayer la preuve et de mieux asseoir le verdict rendu? Ou est-ce parce

que les gens, comme l'a suggéré Granger, sont plus enclins à témoigner puisque la

68 Ibid. : 103-104. 69 Ont été considérés témoins tous ceux qui ont fait une déposition sous serment de même que les médecins et les médecins légistes qui ont produit des rapports sur la mort des défunts . Nous avons exclu les cas de recherches puisqu'ils ne fournissent pas le nombre exact de témoins qui ont été entendus .

154

détection du crime est moins importante dans les attributions du coroner qu'auparavant?

Notre corpus ainsi que la législation consultée ne nous permettent pas de répondre à

cette question. Cependant, nous posons comme hypothèse que cette augmentation va

notamment de pair avec celle de la population en général ainsi qu'avec celle des

accidents de la route qui revêtent un caractère public susceptible d'impliquer et de

susciter l'attention de plus de gens. Dans le prochain chapitre, nous exposerons plus en

détail le rôle et l'influence des témoins dans les enquêtes. Mentionnons tout de même

que certaines d'entre elles ne font pas intervenir les principaux intéressés, à savoir ceux

qui sont directement au fait des circonstances immédiates de décès, tandis que d'autres

sont basées en tout ou en partie sur des témoignages indirects?o.

Des preuves médicales sont également fournies à partir des examens externes

conduits par les médecins, des quelques autopsies qui sont pratiquées et des informations

qui peuvent être transmises par les proches des victimes sur leur état de santé général.

De fait, les antécédents familiaux et le passé des victimes servent entre autres d'éléments

d'explication , particulièrement dans les cas de suicide . Le rapport de la Sûreté

provinciale concernant le suicide de Laura L. fait mention que la défunte a un frère et

une soeur qui séjournent dans des asiles de la province?]. Dans le cas de Marie D., pour

qui un verdict d'« aliénation mentale amenant suicide par noyade » a été rendu, le

rapport du coroner spécifie: « Elle avait un passé mental chargé - ayant fait des stages à

70 Par exemple, lors de l'enquête sur la noyade de Ovila S ., qui participait à une excursion de chasse avec cinq autres hommes et dont un est mort aussi lorsque leur embarcation a chaviré , aucun des quatre compagnons restants ne témoigne. BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI, Ovila S., no 13 , 7 septembre 1918. En 1930, alors qu'ils étaient huit à se baigner dans une rivière , un seul individu témoigne devant le coroner. Marie-Blanche N ., no 15 , 11 août 1930. 71 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , Laura L., 17 décembre 1950. Voir aussi Rosanna T ., no 3,27 mars 1918 .

155

St-Michel-Archange 72». Fait intéressant, la condition physique particulière de certains

défunts semble être garante d'un décès accidentel, même si aucun témoin oculaire ne

peut le confirmer. Le corps de Napoléon M., qui était sujet à de fréquentes attaques

d'épilepsie, a été retrouvé dans la rivière Nicolet, attaché au bout d'une corde qu'il portait

habituellement. Un verdict de noyade accidentelle a été prononcé sans que personne n'ait

été témoin de ce qui s'est réellement passé73. De même, l'absence de marques de violence

sur le corps, qu'on vérifie assez systématiquement, semble être associée à une mort

naturelle ou accidentelle. Bref, il appert de ces exemples que plusieurs verdicts

s'appuient sur des preuves qui paraissent aujourd'hui plus ou moins solides, mais qui

satisfaisaient à l'époque les fins de la justice.

Le coroner exerce donc, dans une certaine mesure, un pouvoir discrétionnaire sur

la preuve qui est présentée aux jurés puisqu'il peut notamment procéder à l'assignation

de témoins à l'enquête. Or, nous avons vu que des témoins importants, présents au

moment de la mort du défunt, ne comparaissent pas. De plus, lui et les jurés peuvent

demander à un médecin de procéder à un examen externe ou à une autopsie lorsqu'ils

jugent la chose nécessaire. Cependant, le nombre d'autopsies pratiquées dans le cadre

des enquêtes du coroner est très faible. Pourtant, la cause de la mort pourrait être

déterminée avec précision, ce qui mènerait peut-être, dans certains cas , au dépôt

d'accusations criminelles 74. Le Département du procureur général précise toutefois: « Ce

72 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI, SS26 , SSSI, Marie D., 30 novembre 1950. n BAnQ-CMCDQ, TL257, SI, SS26, SSSI, Napoléon M., no 92,17 mai 1918. 14 D'Asto us-Masse souligne l'importance du rôle du coroner notamment dans l'issue des enquêtes préliminaires du fait des décisions prises quant aux preuves scientifiques et médicales qui seront rassemblées ou non: autopsie , analyse chimique, etc . Emmanuelle D'Astous-Masse, Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920 : 75-76.

156

n'est pas le devoir du coroner de rechercher la cause particulière de la mort de la

personne décédée 75». Son rôle se limite à dételminer si un crime a été commis. « To

incur expense which does not lead to the detection of crime is considered one of the

cardinal sins 76» , font remarquer Johnston et Villeneuve mentionnant la position difficile

dans laquelle le coroner se trouve vu cette restriction législative qui émane des autorités

étatiques, ces dernières tenant mordicus à réduire le plus possible les coûts du système

de justice. Cela peut donc expliquer en partie pourquoi les coroners peuvent être

réfractaires à faire procéder à une autopsie même si cela pourrait mieux servir les

intérêts de la justice. Il faut néanmoins mentionner qu'aucune autopsie n'a été demandée

pour des inconnus retrouvés noyés en bordure du fleuve Saint-Laurent dont la mort

pourrait être le fruit d'un acte criminel, un empoisonnement par exemple. Seuls des

examens externes confirmant l'absence de marques de violence ont été réalisés dans la

plupart des cas.

Ainsi, plusieurs verdicts demeurent « ouverts » . Les enjeux moraux et sociaux

liés notamment au suicide peuvent aussi expliquer le prononcé de tels verdicts; le

coroner et les jurés préférant demeurer prudents pour éviter à la famille le déshonneur et

la stigmatisation sociale . Le diagnostic « d'aliénation mentale » souvent apposé à

l'individu qui a attenté à ses jours permet d'éviter la honte qu'éprouverait la famille à voir

un proche être privé d'une sépulture chrétienne77• Dans ce contexte, tous étant conscients

7 ~ Edmond Lortie , Le guide des coroners : 111. 76 Wyatt Johnston et George Villeneuve , « Six Months' Medical Evidence in the Coroner's Court of Montreal » : 1 03 . 77 Serge Gagnon , Mourir hier et aujourd'hui , Québec , Presses de l'Université Laval , 1987 : 109-110. Jusqu'à la sanction du nouveau droit canonique en 1983, le suicidé pouvait encore être enterré en terre profane, non consacrée et être privé de funérailles religieuses .

157

de ce que peut représenter un suicide aux yeux de la ~ociété, différents scénarios peuvent

se produire: l'individu lui-même peut tenter de camoufler son geste en accident, les

proches peuvent volontairement taire certaines informations tandis que le coroner et les

jurés, soucieux de préserver la réputation et l'honneur de leurs concitoyens, peuvent

décider de rendre un verdict de mort accidentelle ou naturelle même si les circonstances

laissent entrevoir une tout autre vérité . Comme nous l'avons indiqué précédemment,

cette justice discrétionnaire exercée par le coroner et les jurés, qui font montre d'une

certaine compassion envers les membres de leur communauté, est aussi à l'oeuvre chez

d'autres officiers de justice78. À l'époque, Johnston et Villeneuve avaient constaté, tout

en la critiquant, la sympathie dont faisaient preuve les jurés en regard des verdicts qu'ils

rendaient:

We have a great admiration for juries in general, and admire the spirit of fairness invariably shown by our Canadian juries in particular, when human interests are really at stake. Their sympathy for the wronged and unfortunate is worthy of aH praise, and they stand in no awe of the corporations which oppress us, but as an institution for finding out causes of death the y are not an unqualified success.79

Ainsi, comme André Lachance l'a démontré pour le district de Saint-François,

quelques affaires pour lesquelles la cause de · décès n'a pas été déterminée ou a été

déclarée accidentelle s'apparentent, à notre avis, à des suicides ou à des crimes non

résolus, vu les circonstances dans lesquelles la mort est survenue. En avril 1891, Ludger

S., résidant à Sainte-Angèle-de-Laval, est parti tôt le matin pour aller chercher du bois

avec son canot. Après s'être inquiété de son absence vers 18h00, son frère, qui l'avait vu

78 Voir la note 8 du présent chapitre. Donald Fyson a également montré que des officiers de milice exerçaient aussi une certaine forme de justice discrétionnaire en laissant parfois des prisonniers s'échapper. Donald Fyson, Magistrats , police et société : 293 . 79 Wyatt Johnston et George Villeneuve, « Six Months' Medical Evidence in the Coroner's Court of Montreal » : 104.

158

sur la rivière en avant-midi et qui avait chargé son fusil de plombs à outarde, est parti à

sa recherche avec un cousin. Ils l'ont retrouvé vers 22h00, couché dans son canot qui

s'était empêtré dans des branches. Selon des témoins, le fusil du défunt, qui avait été

malade durant tout l'hiver, était tourné vers son coeur et ses jambes étaient par-dessus. À

la réquisition des jurés, une autopsie a été pratiquée par le docteur Leduc de Trois-

Rivières, en compagnie d'un autre médecin. Quatre plombs à outarde ont été retrouvés

dans le poumon gauche et un dans le coeur. Ayant pris connaissance des faits et après

avoir procédé à l'examen interne et externe du corps du défunt , le médecin déclare que la

mort résulte de la décharge d'une arme à feu à bout portant. Il ajoute: « Le fait que je

n'ai trouvé aucune ouverture à la chemise et à la camisole me porte à croire qu'il y a eu

suicide. Un côté de sa chemise était replié 80». Malgré cela, le verdict mentionne qu'il est

« ... mort accidentellement par suite de la décharge d'une arme à feu ».

En mai 1918, un chimiste de la Wayagamack est retrouvé noyé près d'une île

environ deux semaines après sa disparition. Constatant qu'il était parti marcher le

dimanche soir et qu 'il n'était pas revenu, sa maîtresse de pension a téléphoné à l'usine le

lendemain pour vérifier si le défunt s'était bien rendu à son travail. Or, il n'y était pas.

Après avoir été malade, le défunt avait réintégré son emploi juste avant de disparaître.

L'absence de marque de violence sur son corps a fait dire au médecin qui a procédé à un

examen externe qu'il était mort d'asphyxie pas submersion. Le verdict mentionne qu'il a

été trouvé mort noyé dans la rivière Saint-Maurice81• L'hypothèse du suicide ne pourrait-

elle pas être envisagée? Les jurés ont préféré s'en tenir à un verdict neutre. Rappelons

80 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26, SSSI , Ludger S ., no 2, 21 avril 1891. 81 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , W. R. L., no 9, 30 mai 1918.

159

également le cas déjà mentionné de Moïse R. qui s'est jeté à l'eau sans qu'un voisin ait eu

le temps de l'en empêcher. Et celui de Azarias R. qui avait quitté son ménage depuis près

d'un mois et qui a péri dans l'incendie de la maison dans laquelle il se trouvait seul et où

il venait d'arriver depuis quelques heures82, Dans les deux cas, le coroner, qui a procédé

seul à l'investigation , a conclu respectivement à une asphyxie par submersion et à une

asphyxie. Dans une autre mystérieuse affaire pour laquelle il a enquêté seul, le coroner

s'en tient à un verdict de noyade. En juillet 1950, un homme de Saint-Célestin, qui devait

se rendre à Saint-Cyrille puis à Drurnrnondville, a été retrouvé le lendemain de son

départ flottant à la dérive en face du sanctuaire du Cap-de-Ia-Madeleine. Le médecin qui

a pratiqué l'autopsie et le coroner ont conclu à un décès par noyade , bien que ce qui s'est

passé après qu'il se soit rendu chez un barbier de Saint-Célestin demeure un mystère83.

Ainsi, plusieurs des décès qui paraissent à première vue suspects (crime ou

suicide?) sont clos, faute de preuves, de témoins et de marques de violence apparentes ,

par des verdicts neutres. D'autres, plus évidents, se soldent tout de même par un verdict

de mort accidentelle. Nous verrons dans le prochain chapitre que certains membres du

milieu médical critiquent vivement à la fin du XIX" siècle les verdicts rendus par les

coroners et les jurés, verdicts fondés, selon eux, sur des données nettement insuffisantes

ou insatisfaisantes . Partant, il appert que le coroner et les jurés exercent parfois une

justice discrétionnaire basée sur des considérations morales et sociales. Ayant analysé

les notes personnelles d'un coroner en ce qui a trait à des dossiers plus délicats, Elizabeth

Hurren conclut: « Discretionary justice and empathy were evidently important facets of

82 BAnQ-CMCDQ , TL257, SI, SS26 , SSSl, Moïse R. , 8 septembre 1918; Azarias R., 22 février 1918. 83 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSl , Mérille V., 1er juillet 1950.

160

the verdicts a coroner reached who had good community relations 84». Le traitement

particulier de ces quelques dossiers ne reflète assurément pas l'ensemble de la pratique

du coroner, mais il est symptomatique des liens étroits que le coroner entretient avec la

population locale.

3.2.2. Le coroner: son rôle dans les procès criminels

Comme nous l'avons relevé précédemment, parmi les 261 enquêtes avec jury qui

composent notre corpus , quatre (trois en 1930 et une en 1950) se sont terminées par un

verdict d'acte criminel, dont deux imputent la responsabilité à des personnes inconnues .

Cela représente 1,5 % des verdicts rendus par les jurés . Deux enquêtes portent sur des

accidents de la route. Une autre attribue la mort d'un nouveau-né au manque de soins

nécessaires devant être prodigués à la naissance . La quatrième investigation a trait à un

incendie que les jurés ont considéré d'origine criminelle. En tenant compte des cas de

recherches , qui éliminent ipso facto la possibilité d'un acte criminel ou une négligence

coupable et qui représentent 43 ,3 % (199 sur 460) des dossiers analysés , les actes

criminels , tels que déterminés par le coroner et les jurés , ne correspondent qu'à 0 ,9 % (4

sur 460) des verdicts rendus. Ceux-ci ne constituent donc qu'une toute petite part du

travail du coroner.

En 1930 et 1950, lorsque les jurés en arrivent à un verdict criminel, le coroner

doit procéder conformément à l'article 667 du Code criminel et aviser le Département du

84 Elizabeth T . Hurren , « Remaking the Medico-Legal Scene » : 237 .

161

procureur général85. En vertu de cet article, il peut émettre un mandat d'arrestation contre

la ou les personnes soupçonnées de crime ou leur faire souscrire une obligation, avec ou

sans caution , preuve de leur engagement à comparaître devant un magistrat ou un juge

de paix. De plus, suivant ces dispositions, le coroner doit transmettre à ce dernier les

dépositions prises lors de son enquête. Par ailleurs, la Common Law oblige les coroners,

du moins au début du XX· siècle, à assister à l'ouverture d'un terme des assises

criminelles lorsqu'un individu qui a été trouvé coupable à l'issue d'une de leurs enquêtes

y comparaît86.

Pour les deux enquêtes qui identifient précisément la personne responsable du

décès, nous avons pu retrouver les procédures criminelles qui ont été instituées ensuite87•

Cela dans le but d'analyser le rôle du coroner dans les procès criminels. Or, ces deux

seuls dossiers, portant sur des collisions automobiles, sont bien entendu insuffisants pour

dresser un portrait détaillé et juste de l'effet des interventions du coroner dans les cours

de justice criminelle. Ainsi , nous nous contenterons de quelques observations générales.

D'abord, il est à noter qu 'à la suite de l'enquête préliminaire, dans les deux cas le

magistrat devant qui l'affaire a été portée a jugé que la preuve était suffisante pour faire

subir un procès au prévenu. En cela, le magistrat se trouve en accord avec les six jurés

convoqués par le coroner. Qui plus est, dans le cadre du procès de Harry W., qui s'est

tenu devant la Cour du banc du Roi, le grand jury a considéré que l'acte d'accusation

83 SRPQ , 1941, c. 22 , art. 44 et 55 . L'article 667 du Code criminel en vigueur à cette époque reprend les termes de l'article 568 de l'édition de 1892 que nous avons évoqué précédemment. 86 Edmond McMallon , A Practical Guide ta the Coroner and his Duties at Inquests : 117; Edmond Lortie , Le guide des coroners : 54-55 . 87 BAnQ-CMCDQ, documents non traités, dossier du procès criminel de Harry W., no 950,1930; dossier du procès criminel de Bernard L., no 7669/18 , 1950.

162

était fondé (true bill). Néanmoins, rares sont les actes d'accusation rejetés par le grand

jury88. Par ailleurs, quelques témoins qui n'ont pas comparu à l'enquête du coroner sont

assignés par la poursuite ou la défense lors de l'enquête préliminaire. Les enquêtes du

coroner ayant souvent lieu le jour même ou le lendemain d'un décès , des témoins blessés

lors de l'impact ou qui n'ont pas été informés qu'une enquête était en cours peuvent avoir

été écartés de l'investigation faite par le coroner, mais assignés à comparaître quelques

mois plus tard .

Dans le cadre du procès expéditif de Bernard L., qui fait face à une accusation

réduite de conduite dangereuse, la seule participation du coroner aux procédures

judiciaires se limite à la production d'un mandat d'arrestation contre le prévenu89 .

Cependant, il semble que les dépositions prises lors de son enquête servent de base aux

interrogatoires menés par les avocats . Le procureur de la Couronne confronte en effet les

réponses données par certains témoins à celles qu'ils avaient fournies lors de l'enquête du

coroner. Au cours du procès de Harry W., en 1930, en plus d'être l'initiateur du

processus judiciaire, le coroner Tétreault comparaît à titre de témoin pour la poursuite90.

Il est appelé à désigner où et quand il a vu le cadavre, la cause du décès, le lieu de

l'enquête à partir de photographies , etc. Ainsi, son intervention, très courte, a pour but

d'exposer plusieurs aspects du déroulement de l'enquête. Ayant analysé un corpus plus

important de procès dans lesquels le coroner a été entendu à titre de témoin, D'Astous-

Masse conclut, pour la période allant de 1880 à 1920, que son témoignage s'avère le plus

88 Constance Backhouse, Camal Crimes. Sexual Assaulr Law in Canada, 1900-1975, Toronto, The Osgoode Society for Canadian Legal History , 2008 : 99 . Tiré de Emmanuelle D'Astous-Masse, Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920: 15 . 89 BAnQ-CMCDQ, documents non traités , dossier du procès criminel de Bernard L., no 7669/18,1950. 90 BAnQ-CMCDQ, documents non traités , dossier du procès criminel de Harry W., no 950,1930 .

163

souvent de cette nature et que les objectifs visés par sa comparution sont généralement

les mêmes. La Couronne veut montrer que les procédés ont été respectés tandis que la

défense tente de déceler des irrégularités qui pourraient compromettre les résultats de

l'enquête. De surcroît, l'auteure évoque que les témoignages des coroners sont surtout

utiles lors de l'enquête préliminaire pour étayer la preuve et que partant, il est rare qu'ils

livrent de nouveaux éléments lors du procès91 •

De plus amples recherches seraient nécessaires pour approfondir le rôle du

coroner dans les cours de justice criminelle, que ce soit avant ou après l'entrée en

VIgueur du Code criminel de 1892. Ainsi pouvons-nous suggérer quelques pistes de

questionnement qui mériteraient, à notre avis, d'être explorées. D'abord, lorsqu'il agit à

titre de témoin, une attention particulière devrait être portée au statut, à l'influence et à la

valeur accordés à son témoignage. Est-il admis en tant qu'expert? De plus, en lien avec

les objectifs de la défense qui tente parfois de réduire ou de détruire la crédibilité de

l'enquête, il serait intéressant de rendre compte des aspects du travail du coroner qui

essuient certaines critiques. Quels arguments la défense avance-t-elle ou quels moyens

emploie-t-elle pour faire valoir de prétendues irrégularités de l'enquête? Des contre-

expertises sont-elles demandées pour confirmer ou infirmer les conclusions formulées

dans le verdict? Enfin, il serait intéressant d'établir dans quels types de cause le coroner

intervient et quelle est la nature de son intervention dans chacun de ces contextes.

91 Emmanuelle D'Astous-Masse , Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920 : 81-82 . Les conclusions de l'auteure sont basées sur l'analyse du témoignage du coroner dans 20 causes criminelles du district de Québec entre 1880 et 1920.

164

3.23. Normes, recommandations et prise en charge étatique des risques

En plus du rôle de régulation qu'elle joue parfois dans la détection du crime et

dans le déclenchement des procédures judiciaires, l'institution du coroner exerce aussi ,

dans une certaine mesure, un rôle dans la gestion et la prévention des risques de par son

pouvoir de recommandation. Cet aspect du travail du coroner deviendra central lors de la

refonte complète de la loi des coroners en 1983 et marquera une réorientation

fondamentale de la mission et des visées de l'institution. Chargé autrefois de déterminer

si la mort d'un individu était attribuable à un acte criminel- sans égard à la cause précise

de décès - et, le cas échéant , de traduire la ou les personnes responsables en justice, le

coroner doit dorénavant chercher la cause exacte de décès en plus d'établir les

circonstances qui l'entourent. Cela, en plus de faire « ... toute recommandation visant

une meilleure protection de la vie humaine 92» . La détection du crime est désormais

laissée à la police.

Les recommandations faites au terme d'une enquête constituent bien sûr les

traces les plus évidentes de la contribution de l'institution du coroner à la gestion et la

prévention des risques . Or, les dépositions des témoins , lorsqu'elles sont prises sous

forme de questionlréponse, montrent évidemment que des comportements sont attendus

des individus pour limiter le danger et parer à d'éventuels incidents fâcheux . Des normes

implicites en matière de risque et d'ordre social sont perceptibles lorsqu'on s'attarde à la

nature et à la récurrence des questions posées lors des interrogatoires des témoins ,

surtout dans les dossiers d'accidents de la route. Si la plupart de ces normes sont définies

92 Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès , Lois du Québec (1983) , c. 41 , art . 3.

165

et partagées par l'ensemble de la société civile , d'autres semblent cependant être

construites par les avocats lors des interrogatoires .

Par exemple, en matière de sécurité routière , il va sans dire que le coroner, les

jurés, les avocats de la défense et le procureur de la Couronne vont interroger le

conducteur en cause ainsi que ceux qui prenaient place avec lui dans le véhicule sur leur

consommation d'alcool et la vitesse atteinte au moment de l'accident. Ce sont ces deux

paramètres qui font assurément l'objet du plus grand nombre de questions , et ce , pour

l'ensemble des accidents routiers traités par le coroner. « À présent, prenez votre temps

pour répondre à la question que je vais vous poser, et réfléchissez bien avant de répondre

: à ce moment-là étiez-vous sobre? 93» , demande le coroner à un camionneur qui, en

reculant, a frappé un jeune garçon à bicyclette. Il leur sera demandé également si le

conducteur a klaxonné, s'il a ralenti et s'il a tenté une manoeuvre pour éviter l'impact. Si

l'accident a eu lieu en soirée, on interrogera l'automobiliste et le camionneur ainsi que

leurs passagers à savoir si leurs phares étaient bien allumés et fonctionnels. L'état et

l'entretien du véhicule reçoivent aussi une attention particulière . De surcroît, il sera

question des mesures de précaution prises par le conducteur avant d'effectuer une

manoeuvre comme regarder de chaque côté et derrière le véhicule avant de reculer. De

même, après qu'un impact se soit produit, on le questionnera pour savoir s'il s'est arrêté

et , si oui, quand et ce qu'il a fait. Est-il venu en aide aux victimes? Bien entendu, étant

donné la présence d'avocats qui représentent des parties « adverses » (souvent la famille

du défunt et le conducteur en cause) , les interrogatoires se construisent en fonction des

intérêts propres de leurs clients. Les aspects sur lesquels les avocats insistent sont ainsi

93 BAnQ-CMCDQ, TL257 , S 1, SS26 , SSS1 , Yves-Aimé R., 13 mai 1950.

166

orientés dans le but de faire porter le blâme à quelqu'un d'autre ou de réduire la

responsabilité de leur client ou du défunt dans ce qui est arrivé .

En outre, le coroner peut effectuer un travail de régulation des risques par

l'émission de certaines recommandations. Ce pouvoir apparaît dans la législation en

191494. Or, comme plusieurs autres facettes du travail du coroner, cette pratique existait

déjà auparavant : les jurés étaient en mesure de faire des suggestions d'intérêt public

lorsqu'ils rendaient leur verdict95• Néanmoins, de l'avis d'Edmond McMahon, cette

pratique peut détourner les jurés du véritable but d'une enquête du coroner, à savoir de

déterminer s'il y a eu crime ou non96. De fait, des recommandations apparaissent dans les

verdicts de notre corpus seulement en 1918, donc après la passation de la loi qui les

autorise officiellement, et les jurés ne se prévalent pas très souvent de ce pouvoir. En

effet, sur les 260 enquêtes avec jury pour lesquels nous disposons du verdict, les jurés

émettent des recommandations seulement à huit occasions (3,1 %). Cinq enquêtes

portent sur un accident de la route (dont une qui a mené à des accusations criminelles),

deux sur un accident de travail et une sur un accident domestique. Dans six cas sur huit,

le ou les défunts sont âgés de 19 ans et moins. L'âge des défunts des deux enquêtes

restantes demeure inconnu.

94 Loi relative aux coroners dans la province de Québec, 4 Geo. V (1914), c. 38, art. 1, art . 3487u créé par cette loi. 93 Edmond McMahon, A Practical Guide 10 the Coroner and his Duties at Inquesls : 13 . Il est à noter que ce pouvoir de recommandation semble être accordé seulement dans le cadre d'enquêtes formelles tenues avec jury. 96 Ibid. : 14.

167

Les recommandations des jurés s'adressent le plus souvent à des organismes

étatiques ou à des compagnies et sont parfois assez spécifiques. Par exemple, le verdict

de l'enquête menée en 1918 sur le corps du petit Henri , décédé d'un empoisonnement

accidentel au sirop d'anis Gauvin , mentionne que « ... les jurés ne blâment personne mais

suggèrent de faire placer bien en vue le mot Poison sur tous les remèdes brevetés

contenant de la morphine, codéine ou autres 97». Cette recommandation avait déjà été

formulée par d'autres jurés de la province, et ce , depuis la fin du XIXc siècle dans le

cadre de ce débat sur l'administration de sirops calmants aux enfants98• La même année,

les jurés proposent notarnrnent que le courant électrique servant à faire fonctionner des

convoyeurs dans une manufacture soit coupé lorsque ce ne sont pas « les experts » qui

les opèrent. Cela après qu'un ouvrier non qualifié , à qui ses supérieurs avaient défendu

d'exécuter ce genre de manoeuvre, ait fait une chute mortelle après avoir subi un choc

électrique99. D'autres recommandations sont toutefois imprécises et peu détaillées. À la

suite du décès d'un jeune homme , mort mutilé après avoir tenté , sur une machine encore

en marche, de remettre en place une courroie qui s'était déplacée, les jurés indiquent à la

Shawinigan Electro Metals Co. « ... de voir qu'à l'avenir ces causes d'accidents ne se

renouvelle [sic] plus 100». On peut évidemment questionner le poids qu'ont pu avoir ces

recommandations, non accompagnées de sanctions, auprès d'une grosse corporation.

En matière d'accidents routiers, les recommandations s'adressent davantage aux

autorités étatiques. Dans un cas, on suggère au département de la Voirie de procéder à la

97 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSl , Henri H., no 88,10 février 1918 . 98 Marie-Aimée Cliche , « Un risque parmi tant d'autres » : 153 . 99 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI , Laurea D., no 11,30 aoQt 1918 . 100 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSl , Victor A. dit L. , no 4, 19 avril 1918.

168

réfection d'une route pour en ajuster notamment la largeur à la suite d'un accident qui a

fait deux morts 10 1 . De même, alors qu'un enfant est mort écrasé sous les roues d'un

camion transportant une charge de pierres, les jurés demandent au coroner d'aviser les «

charroyeurs de pierre » de klaxonner au coin des rues 102. Fait intéressant, deux

recommandations s'apparentent davantage à des sanctions personnelles visant les

conducteurs en cause sans toutefois que les jurés ne mentionnent une forme de

responsabilité criminelle. En juillet 1930, on suggère à « l'autorité compétente » qu'un

camionneur perde son permis pour le reste de l'année vu la vitesse à laquelle il roulait

dans le village lorsqu'il a frappé un cycliste qui était tombé devant son camion 103. Dans

un autre cas , l'annulation pour une période de deux ans du permis d'un conducteur de

moto est recommandée à la suite de la mort de son passager , survenue lorsqu'il a perdu

le contrôle de l'engin qui est allé s'écraser contre le balcon d'une résidence privée lo4.

Enfin , après une enquête, même s'ils ont tenu criminellement responsable l'un des deux

conducteurs impliqués dans une collision frontale, les jurés ont suggéré que les arbres

situés en bordure de la route et susceptibles d'obstruer la vue soient coupés lO5•

Dans quelle mesure ces recommandations ont-elles été suivies et appliquées par

les compagnies et les autorités gouvernementales? Et advenant leur mise en oeuvre , ont-

elles eu les effets escomptés? Des recherches plus approfondies seraient nécessaires pour

répondre à ces questions. Néanmoins, bien que peu fréquentes, ces recommandations

issues des enquêtes avec jury peuvent être interprétées comme des contributions de

101 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , Lisette et Gaétan P., 9 mai 1950 191 8. 102 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Rolland M. , no 1, 27 février 1930. 103 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Noël B., 26 juillet 1930 . 104 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI , SS26, SSSI, Ildège M. , 25 août 1950. 105 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI , SS26 , SSSI , Harley C., no 9,24 juin 1930.

169

l'appareil judiciaire à l'institutionnalisation de certains risques durant la première moitié

du XXe siècle. Un processus de bureaucratisation , qui va de pair avec la mise en place de

mécanismes institutionnels de gestion et de compensation des risques, est également à

l'oeuvre. C'est ainsi qu'en 1950 est joint à deux dossiers d'enquête un rapport médical

destiné à la Commission des accidents de travail en vertu de la Loi des accidents du

travail de 1931. Dans deux autres cas, on mentionne qu'un tel rapport sera complété et

acheminé à Québec. La même année, un rapport d'accident automobile complété en

regard de la Loi concernant la protection du public sur les routes est annexé au compte

rendu des recherches du coroner. En vertu de cette loi, le coroner est l'une des personnes

qui doit faire rapport au Bureau du revenu de la province lorsqu'un véhicule automobile

est impliqué dans un accident 106. Ainsi, au milieu du XXe siècle , les fonctions du coroner

l'amènent de plus en plus à prendre part aux dispositifs étatiques voués à la gestion des

nsques .

CONCLUSION

En somme, l'étude combinée des dossiers du coroner, de la législation et des

manuels de pratique montre une adaptation globale de l'institution du coroner aux

changements de fond du mode d'administration de la justice qui s'opèrent à partir du

milieu du XIXe siècle. La publication de plusieurs ouvrages pratiques et la codification

plus détaillée de 1914 vont de pair avec la multiplication des normes juridiques et

l'intensification de leur influence dans l'espace public. Cela dans le but de standardiser et

de réguler le travail des coroners . De même, les changements législatifs effectués

106 Loi concernant la protection du public sur les routes , 13 Geo. VI (1949), c. 46, art. l , art. 72 créé par cette loi.

170

subséquemment, notamment en 1922, rendent compte de la complexification et de la

bureaucratisation du système de justice. Nous croyons en outre que la

professionnalisation des corps de police et le développement parallèle de moyens

techniques pour réprimer le crime ne sont pas étrangers à l'édiction de nouvelles

dispositions concernant les coroners dans le premier Code criminel. Celles-ci suppriment

la possibilité qu 'un verdict serve d'acte d'accusation pour citer directement un ou des

individus à procès J07. Dès lors, les fonctions des investigations du coroner, tout en

demeurant partie prenante de la justice criminelle , en sont réduites à l'amorce de la

procédure criminelle. Cela constitue les prémisses d'un changement d'orientation

complet du travail du coroner qui s'effectue progressivement et dont la rupture est

consommée en 1986 avec l'entrée en vigueur d'une loi refondue qui axe leurs fonctions

sur la recherche des causes de décès et sur la formulation de recommandations dans une

optique de prévention.

L'efficacité à moindre coût des structures institutionnelles étant devenue

rapidement l'une des priorités de l'État. En 1880, les coroners devront se soumettre à

l'obligation de justifier la conduite d'une enquête avec jury , cela afin de réduire le

nombre d'enquêtes inutiles . Or, plusieurs soutiennent que cette mesure produit plus ou

moins les effets escomptés. Cette disposition , réitérée en 1892 avec quelques

amendements , est concomitante avec l'apparition des cas de recherches , sorte d'enquêtes

préliminaires menées seulement par le coroner et qui visent à éviter que des décès sans

conteste naturels ou accidentels soient soumis à un jury. Le XX· siècle marque donc une

107 Comme nous l'avons déjà fait remarquer , la portée réelle de ce changement en regard de la pratique des coroners avant 1893 mériterait de plus amples recherches.

171

large diffusion des procédures sommaires dans les enquêtes du coroner. Celles-ci vont

représenter plus de la moitié des interventions du coroner en 1930 et près des deux tiers

en 1950. Il faut dire qu'à partir du tournant du siècle , les coroners profitent, dans une

certaine mesure , des avancées de la médecine en général et de la science médico-légale.

Ayant eux-mêmes reçu une formation médicale pour la plupart , ils sont à n'en pas douter

plus à même de déterminer les causes de décès . En outre, l'environnement matériel et

institutionnel de la pratique des coroners se transforme . Plusieurs enquêtes se déroulent

désormais dans des morgues , endroits qui conviennent mieux à l'examen des cadavres,

tandis que les hôpitaux assurent de plus en plus ia prise en charge des mourants. Avec

les nouveaux moyens technologiques dont disposent ces établissements, la formulation

d'un diagnostic s'avère plus aisée dans plusieurs cas. Reste que , durant la première

moitié du XXe siècle, l'accès à des facilités de ce genre demeure problématique pour les

communautés de l'arrière-pays mauricien.

Ainsi, vu les charges qui lui sont conférées , l'institution du coroner exerce un rôle

de régulation sociale sur deux fronts : la détection du crime ainsi que la mise au jour et

la gestion des risques. Or, nous avons montré que le coroner exerce à l'occasion une

certaine forme de justice discrétionnaire . En effet, ce dernier agit comme un filtre, et ce,

à plusieurs étapes du processus d'enquête. Il peut exercer un certain pouvoir sur la

preuve qui est rassemblée et qui , le cas échéant, est présentée au jury: assignation de

certains témoins, demande d'autopsie , d'analyse chimique, etc. Partant, cela peut avoir

des conséquences importantes sur l'issue de l'enquête et même sur celle d'un éventuel

procès criminel. De plus, lorsqu'apparaît pour lui la possibilité d'enquêter seul sur

172

certains décès, c'est lui qui décide si ceux-ci doivent être soumis ou non à l'attention d'un

jury. Bref, c'est le coroner qui fait passer les décès hors normes dans l'arène judiciaire ou

pas . Ses décisions, tout comme certains verdicts rendus par les jurés, sont imprégnés de

considérations non seulement économiques (commander une autopsie ou une analyse

chimique représente un choix onéreux), mais aussi sociales et morales. Celles-ci ,

notamment lorsque les circonstances de décès pointent en direction d'un suicide, peuvent

introduire plusieurs biais dans les dépositions des témoins et influencer le déroulement

de l'enquête . D'autant plus que les jurés résident le plus souvent dans la même localité

que le défunt et sont susceptibles de le connaître. À cet égard, Hurren soutient que des

quartiers pauvres de l'Angleterre victorienne exerçaient leur propre forme de justicei08.

Tout compte fait, le coroner, ayant à mettre en oeuvre des normes juridiques/étatiques

tout en étant confronté à la dure réalité de l'expérience quotidienne des gens , se retrouve

parfois dans une position délicate et devant des choix difficiles qu'il doit pourtant faire.

Au terme de quelques enquêtes, des individus ont donc été reconnus

criminellement responsables de la mort d'une ou de plusieurs personnes . Toutefois, nous

avons vu que la criminalité constitue somme toute une facette assez limitée du travail du

coroner, et ce, même si quelques décès pour lesquels un verdict « ouvert » , de mort

naturelle ou de mort accidentelle a été rendu peuvent laisser croire à un acte criminel.

Vu les deux seuls procès que nous avons pu repérer, de plus amples recherches devraient

être menées pour établir et caractériser plus précisément le rôle du coroner dans les

cours de justice criminelle. Or, comme nous l'avons vu, la participation de l'institution

du coroner dans la détection du crime tend à laisser place à un rôle plus important dans

108 Elizabeth T. Hunen ,« Remaking the Medico-Legal Scene » : 235 .

173

la prévention des risques, notamment par son pouvoir de recommandation. Toutefois , au

cours de la période étudiée, les jurés ne se prévalent pas de ce droit très fréquemment.

Nous ne savons pas non plus si les recommandations qu'ils émettent sont entendues et

appliquées. Cependant, les interrogatoires laissent entrevoir des normes implicites en

matière de risques qui mettent l'accent sur la responsabilité individuelle quant à

l'adoption de certains comportements afin de prévenir le danger. De surcroît, dans un

contexte de bureaucratisation et d'institutionnalisation de la prise en charge des risques ,

des politiques publiques de gestion et de compensation se développent parallèlement et

le coroner, au milieu du XXe siècle , sera appelé à y participer ponctuellement.

Il va sans dire que les changements structurels qu'a connus l'appareil de justice à

partir de la première moitié du XIXe siècle ne se sont pas faits sans heurts. L'introduction

de nouveaux mécanismes de régulation sociale, issus des nouvelles aspirations étatiques

en matière de gouvernance, s'est confrontée à des pratiques coutumières et locales

profondément ancrées. Le prochain chapitre vise à mettre en lumière les rapports de

force entre droit et société au sein même de la pratique des coroners. Nous tenterons

ainsi de mettre au jour les phénomènes d'internormativité qui marquent la conduite de

leurs enquêtes.

CHAPITRE 4

L'institution du coroner: une interface des rapports entre droit et société

La refonte du mode de régulation sociale qui s'est opérée à partir de la première

moitié du XI xe siècle a entraîné un accroissement de la juridicisation des rapports

sociaux, c'est-à-dire une pénétration plus grande des règles édictées par le droit au sein

de la société civile l. De même, certains acteurs du monde judiciaire se professionnalisent

(c'est le cas des avocats, dont la formation universitaire et l'organisation corporative se

développent) alors que d'autres sont de plus en plus souvent appelés à jouer un rôle

important dans le fonctionnement de la justice (policiers, médecins, etc.). Cette

croissance de l'État et de son bras armé, le droit et l'appareil judiciaire, ne doit toutefois

pas conduire à négliger le fait que les normes juridiques et les acteurs de ce système

avaient à composer avec des populations munies de leurs propres normes. En outre,

lorsque des experts sont appelés à se prononcer, des tensions naissent de la cohabitation

et de la confrontation entre savoirs profanes et savoirs experts. Cet état des choses est

issu notamment du fait que la Common Law, sur laquelle le droit criminel canadien est

basé, accorde beaucoup d'importance à la participation des citoyens à l'administration de

la justice. D'Astous-Masse souligne que la justice anglaise tend à privilégier l'opinion

des gens ordinaires, notamment à titre de témoins. Du coup, cela expliquerait pourquoi

1 Jean-Marie Fecteau, « Prolégomènes à une étude historique des rapports entre l'État et le droit dans la société québécoise, de la fin du XVIIIe siècle à la crise de 1929 », Sociologie et sociétés, vol. 18 , no 1 (1986) : 131.

175

l'expertise médicale et scientifique pèse beaucoup mOInS lourd dans les verdicts des

procès si l'on compare avec la France par exemple à la même époque2•

C'est ce rapport entre le droit et la société civile, qui malgré les volontés étatiques

est loin d'être aussi rigide et strictement unilatéral , que nous souhaitons étudier. Celui-ci

est notamment marqué par la rencontre , le chevauchement et la confrontation de normes

juridiques, scientifiques et sociales au sein de l'institution du coroner. Ce dernier étant

un officier de justice qui, par la nature même de ses charges, est amené à travailler et à

collaborer étroitement avec les acteurs sociaux ordinaires, analyser son travail ainsi que

l'expérience concrète des individus impliqués dans ses enquêtes permettra d'appréhender

et de jauger certains phénomènes d'interpénétration réunissant actions de l'État et

populations. Ce faisant , dans une perspective d'internormativités , nous pourrons qualifier

et prendre la mesure de la participation citoyenne dans l'exercice formel que constitue

une enquête du coroner. Nous serons à même , au demeurant, de caractériser la place du

coroner au sein des processus de régulation judiciaire de la société, d'autant plus que

nous tiendrons compte de l'influence des autres acteurs qui interviennent dans ses

enquêtes et qui sont investis, par l'État ou la population, d'un certain pouvoir.

Nous tenterons d'abord de reconstituer la trame des événements qui mènent à la

tenue d'une enquête. Dans quelles circonstances fait-on appel au coroner? Ainsi , nous

pourrons d'ores et déjà entrevoir la diversité des acteurs impliqués au sein de ses

activités. Puis, nous anal y serons successivement la présence et la participation des

2 Emmanuelle D 'Astous-Masse , Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920 : 153.

176

acteurs sociaux dits ordinaires et de ceux qui sont en position de pouvoir. Quels sont les

circonstances , la nature et les effets de leurs interventions? Quelle influence ont-ils sur le

déroulement et l'issue des enquêtes? Trois rôles assumés par les habitants du district

dans les investigations du coroner seront examinés, à savoir ceux de témoin, juré et

proche du défunt. Quant aux acteurs en position de pouvoir, nous analyserons plus

amplement la participation des médecins et des médecins légistes eux qui , a priori, sont

interpellés directement lorsqu'un décès survient. Enfin , nous nous pencherons sur les

autres acteurs en position de pouvoir qui participent , à l'occasion , aux enquêtes du

coroner: constables, officiers de circulation et agents de police; procureurs et avocats;

procureur général et curés.

4.1. LE CORONER UN PERSONNAGE EN AMONT DU SYSTÈME

JUDICIAIRE

Avant qu'une enquête du coroner soit tenue, un décès soudain ou suspect doit être

constaté. Les circonstances dans lesquelles les témoins découvrent ou assistent à la mort

sont tout aussi diverses que les causes qui la provoquent. Elle se produit souvent sous les

yeux des proches des victimes lorsqu'elles s'effondrent subitement, « tombent raides

mortes » ou rendent leur dernier souffle après quelques minutes ou quelques heures de

souffrance. « On a appelé le prêtre et le médecin, mais la mort avait fait son oeuvre

instantanément 3» . Des témoins assistent, impuissants, à des accidents de toutes sortes:

« ... il a appelé à son secours, mais personne n'osoit y aller, crainte de se noyer avec lui

4», raconte un témoin qui a vu son compagnon de 14 ans être emporté par le courant du

3 BAnQ-CMCDQ , TL257 , SI , SS26, SSSl , Philippe A., Il mars 1950. 4 BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26, SSI , Joseph Norbert J ., no 21, 17 juillet 1850.

177

fleuve alors qu'il s'y baignait. Un collègue bûcheron d'un employé de la compagnie Jean

J. Crête Ltée expose : « Je venais d'abattre un arbre. J'ai crié au danger. M. L. était à

scier en longueurs l'arbre qu 'il venait d'abattre. À mon cri il est parti d'avant et il fut

frappé dans la chute de l'arbre que je venais de couper. [ ... ]; il a vécu environ trois à

quatre minutes 5» . Deux hommes , quant à eux, se trouvaient sur le Chemin du Roy

lorsque « ... tout à coup [ils virent] le terrain de Laurent L. s'écrouler et s'abaisser dans la

rivière Champlain, emportant la maison du dit Laurent L. avec le monde qui était dedans

6» . Le témoignage de ce chauffeur d'autobus résume bien les circonstances dans

lesquelles la plupart des accidents surviennent et sont vécus par les témoins : « ... le tout

s'est fait si vite que je n'ai pas eu le temps de voir tout ce qui s'est passé ... 7».

Bien que cette situation soit plutôt rare, il arrive parfois que nul n'était présent au

moment du décès du défunt. Des bébés et des vieillards sont ainsi trouvés sans vie, au

matin , gisant dans leur lit tandis que des cadavres sont découverts flottant sur le fleuve

ou étendus sur la grève. D'autres sont retrouvés couchés par terre, inanimés sur une

chaise ou pendus. Disparu depuis dix jours, Louis-Georges L. a été repêché au milieu de

billots sur .la rivière Saint -Maurice par deux préposés au flottage du bois 8 . Des

recherches sont ainsi menées par des proches , des citoyens ou par la police pour

retrouver des individus dont on a perdu la trace depuis quelques heures ou plusieurs

jours. Celles-ci sont lancées lorsque des enfants s'éloignent de la maison et ne rentrent

pas , qu'un canot renversé est aperçu sur une rivière ou quand des objets personnels

5 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26, SSSI , Nonnand L. , 12 octobre 1950. 6 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26 , SSS 1, Euphrosine L. , no 20 , 26 octobre 1870. 7 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI, Josette T ., 16 mai 1950 . 8 BAnQ-CMCDQ, TL257 , S 1, SS26 , SSS1 , Louis-Georges L. , 19 septembre 1950 .

178

flottent sur l'eau. Les parents d'un bambin de 2 ans se sont inquiétés de son absence, lui

qui était sorti quelques minutes auparavant en se dirigeant vers une décharge9• Des

personnes affectées par la maladie (comme l'épilepsie) ou par des troubles mentaux

suscitent également l'angoisse de leur famille . L'épouse de M. L., repêché parmi les

billots de bois, a contacté des amis de son mari puis la police pour tenter de le localiser,

lui qui était parti prendre une marche tard le soir et qui connaissait des épisodes de

délire lO• Enfin , des rendez-vous manqués, des écarts quant à l'horaire convenu ou quant

aux habitudes des gens sèment le doute et poussent leurs proches, leurs voisins, leurs

collègues ou leurs employeurs à partir à leur recherche. L'inquiétude et les efforts pour

les retrouver se soldent le plus souvent par le constat d'une noyade, qu'on dira soit

accidentelle, volontaire ou de cause inconnue.

Comme nous l'avons montré dans les deux premiers chapitres, les circonstances

dans lesquelles on fait appel au coroner sont extrêmement variées. Bien entendu,

l'accident, qui dans son essence même est imprévisible, rejoint directement le mandat du

coroner, pourvu qu'un décès s'ensuive. C'est pourquoi les morts attribuables aux

noyades, aux accidents de voiture, aux chutes, aux explosions, aux électrocutions, aux

incendies, etc. lui sont référées. Il arrive même, à certaines occasions, que le coroner

intervienne auprès d'un individu qui n'est pas encore décédé". Mais est-ce à dire que le

coroner a enquêté sur tous les décès accidentels survenus dans le district de Trois-

9 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI, Amédé F., no 12,20 mai 1850. 10 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI , Louis-Georges L., 19 septembre 1950 . Il Voir par exemple : BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI, Ovide S., 18 avril 1950; Julien V., 7 décembre 1950. Dans ces cas-là, nous pouvons présumer, d'une part, que le coroner est d'abord appelé à intervenir en tant que médecin puisque les deux coroners qui ont mené les enquêtes exercent cette profession et qu'aucun autre médecin n'a été entendu parmi les témoins , contrairement à la plupart des investigations . D'autre part , la question de l'impartialité du coroner peut être soulevée puisqu'il sera amené alors à porter deux chapeaux : celui de témoin et celui de « juge » .

179

Rivières? Un croisement systématique et exhaustif avec d'autres sources, comme les

journaux, permettrait de répondre, en partie seulement, à cette question . Malgré cela,

bon nombre de ces tragédies semblent avoir fait l'objet d'une intervention du coroner.

En revanche , si les accidents mortels ainsi que les suicides et les décès par acte

criminel, dans l'ensemble, rejoignent presque sans ambigüité les affectations du coroner,

nous avons déjà évoqué que seulement certains types de décès pour cause de maladie

tombent sous sa responsabilité. Les défunts atteints de troubles cardiaques et

cérébrovasculaires , affections qui provoquent souvent une mort brutale, figurent parmi

les cas les plus fréquemment investigués par le coroner tandis que ceux qui décèdent

après une longue agonie ne font pas l'objet d'une enquête. Aussi, avons-nous déjà pu

constater que les maladies infectieuses , qui font pourtant plus de morts chez les enfants

que toute autre cause, ne sont presque pas représentées parmi l'ensemble des enquêtes du

coroner, et ce, même si certaines d'entre elles peuvent être foudroyantes. Il semble donc

que le coroner intervienne dans ce genre de cas seulement dans des circonstances

précises . Nous avons précisé précédemment que le coroner enquête surtout lorsqu'il

s'agit d'enfants en bas âge qui décèdent, qui plus est, dans une résidence privée12. À ce

titre , l'exemple des recherches menées sur la mort du petit François G., âgé de 2 ans, est

éloquent. Le rapport du coroner, basé sur les témoignages des parents et d'un médecin,

indique :

L'enfant était malade depuis deux jours et l'on a [sic] pas demandé de médecin ni prêtre . Le curé de St-Sévère a refusé l'enterrement sans certificat. Le Dr

12 Aucune enquête n'a été menée dans les hôpitaux temporaires qui ont pris en charge les malades durant certaines épidémies. De même , pas une n'a été conduite dans une crèche, institution qui affiche pourtant un taux de mortalité infantile d'environ 66 % dans le dernier tiers du XIXe siècle à Trois-Rivières. François Guérard ,« L'hygiène publique et la mortalité infantile dans une petite ville » : 248.

180

Bellemare de Yamachiche consulté m'a averti et est venu avec moi constaté [sic] la cause de la mort. Les recherches faites établissent que la mort était due à la grippe et manque de soins ... !3

Ainsi peut-on croire que des soupçons pouvaient peser sur les parents d'enfants

qui décédaient à la maison , sans avoir reçu les soins appropriés que requérait leur état.

Certains dossiers consultés montrent que des médecins ont parfois demandé au coroner

d'enquêter sur la mort de jeunes enfants parce qu'ils avaient des doutes. Après s'être

rendu à Saint-Maurice pour enquêter sur la mort Jean-Yves L. , âgé de 3 ans et demi , le

coroner Rochefort rapporte :

Le médecin Pierre Dumoulin me demande d'enquêter sur la mort de ce petit garçon qui avait été traité à l'hôpital St-Joseph pour débilité générale et qui est mort soudainement dans sa famille . Aucun médecin ne l'ayant vu et ayant pris tous les renseignements nécessaires du médecin et de la famille j'en suis venu à la conclusion d'une mort naturelle [ ... ] par débilité générale et complication de coqueluche ... 14

Les interventions plus « ciblées» du coroner dans les cas de maladies mortelles révèlent

donc l'existence de certaines normes quant aux circonstances qui doivent entourer la

mort, et ce, en dépit du haut taux de mortalité qui caractérise l'époque étudiée. Même

lorsqu'une épidémie frappe une part importante de la population (comme la grippe

espagnole) ou qu'une maladie infantile fait d'énormes ravages, il semble que certains

décès, vraisemblablement susceptibles d'y être liés, soulèvent la suspicion l5. Mais les

hôpitaux temporaires et les crèches étant des institutions publiques où la mort rôde sans

13 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , François G ., no 10,2 décembre 1918 . 14 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI, SS26, SSSI , Jean-Yves L., 5 mai 1950. Voir également les cas déjà évoqués de Marie-Madeleine B. et Camille C. en 1950 , décédés tous deux dans des logis insalubres: un médecin a demandé au coroner de procéder à une enquête. Marie-Madeleine B., 5 mars 1950; Camille C., 1 er janvier 1950 . 15 Comme nous l'avons déjà indiqué, de façon générale, les coroners n'enquêtent pas en cas d'épidémie puisqu'il n'y a pas matière à des poursuites judiciaires . Rénald Lessard et Stéphanie Tésio, « Les enquêtes du coroner du district de Québec , 1765-1930 » : 445-446 .

181

cesse, un décès soudain dans ces établissements ne suscitera probablement pas de

soupçon au point de faire appel au coroner.

Les médecins font parfois appel au coroner pour déterminer la cause de décès

ainsi que les circonstances qui entourent la mort de certains individus. En fait, ce sont

eux ou le personnel de l'hôpital qui avertissent le plus fréquemment le coroner. À partir

de la fin du XIXc siècle, le coroner est tenu, comme nous l'avons déjà mentionné, de

remplir un formulaire pour justifier la tenue d'une enquête . Il doit y inscrire les

premières informations dont il dispose sur les circonstances de la mort et faire mention

de la personne qui les lui a fournies 16• Les constables, les agents de police et les officiers

de la circulation informent également le coroner lors de certains décès.

Occasionnellement, les entrepreneurs de pompes funèbres, qu'on contacte pour disposer

d'un cadavre, avertissent le coroner qu'un individu vient de mourir ou gît déjà à la

morgue. Pour les enquêtes qui se déroulent dans une même ville, il arrive que les mêmes

personnes (médecins , agents de police, entrepreneurs de pompes funèbres) avertissent

plusieurs fois le coroner. Ils peuvent également faire partie du jury. D'autres fois, ce sont

des gens directement concernés par la mort d'une personne qui font appel à lui : des

membres de la famille, ceux qui font la découverte d'un cadavre , des représentants d'une

compagnie où s'est produit un accident de travail (employeur comme employé), entre

autres. Certains d'entre eux sont assignés comme témoins. Dans un cas, c'est le

conducteur du véhicule qui a heurté un enfant de 5 ans et demi qui informe lui-même le

16 Sur l'ensemble de notre corpus, nous avons 66 formulaires de ce genre, présents à partir de l'année 1930. Quelques autres dossiers mentionnent tout de même qui a averti le coroner. Cependant , dans plusieurs affaires, nous ne sommes pas en mesure d'identifier les caractéristiques de la personne qui contacte le coroner , c'est-à-dire que nous ne connaissons pas sa profession (médecin , agent de police ou autre) et nous ne pouvons établir de lien de parenté ou de travail avec le défunt.

182

coroner17• Bref, on dirait que le coroner et ses attributions semblent être assez bien

connus du public .

A verti d'un décès soudain ou violent , le coroner justifie habituellement la tenue

d'une enquête avec jury par la cause de décès: noyade , explosion , électrocution, chute

mortelle au travail, accident de la route, etc. Les circonstances dans lesquelles un

cadavre est découvert, qui rendent le décès suspect, constituent aussi des raisons

invoquées pour procéder à une investigation plus approfondie. Par exemple, en janvier

1930, un rentier trouve un homme dans sa grange, éloignée de toute habitation, qui

paraît être mort gelé sur la paille depuis plusieurs jours18. Des cadavres repêchés , des

hommes trouvés dans la rue, inconscients ou baignant dans leur sang , un nouveau-né

trouvé dans une boîte : tout cela légitime la nécessité d'une enquête formelle selon les

coroners de l'époque. À l'occasion, ces derniers vont souligner l'étrangeté ou l'ambigüité

des circonstances de la mort en regard des premières informations reçues. La mère d'une

jeune fille de 16 ans a avisé le coroner Caron qu'elle l'avait retrouvée morte , couchée

sous son lit. Les couvertures étaient par terre et la défunte avait le visage bleu noir ' 9.

Cette mort qu'il a qualifiée d'« étrange» nécessitait, selon lui, une enquête pour en

éclaircir les circonstances .

Dans quelques affaires, les justifications présentées relèvent la présence d'autres

individus sur les lieux au moment du décès; peut-être ont-ils été considérés comme des

suspects potentiels? De nos jours, ceux-ci pourraient être considérés comme des «

17 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI, Paul G. , 30 août 1930 . 18 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI, Inconnu, no 133,11 janvier 1930. 19 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI , Lucille D., no 139, 20 mai 1930.

183

témoins importants» dans une enquête. Cette mention d'autres témoins est présente entre

autres dans des cas de noyade lors d'une baignade entre amis, dans celui d'un homme qui

chute alors qu'il travaille avec ses collègues sur une ligne de transmission électrique ou

encore dans le dossier d'un homme de 76 ans trouvé mort dans son lit20. Le coroner

débute cette enquête seulement sur l'information que le neveu du défunt lui a fait prendre

deux « ponces » (boisson chaude à base d'alcool) durant l'avant-midi avant sa mort21. Sur

le formulaire obligatoire à la conduite d'une enquête au sujet d'un vagabond retrouvé

mort à la gare de Louiseville , on y lit : « Comme il y avait aussi un autre homme qui

aurait passé la nuit avec lui à la gare de Louiseville. J'ai en conséquence bonne raison de

croire que ledit Jules M. n'est pas mort de causes naturelles, ou par accident, mais qu'il

est décédé [ ... ] dans des circonstances telles qu'une enquête est nécessaire. 22»

Enfin, les justifications fournies, destinées au procureur général, s'avèrent parfois

imprécises et très brèves . On indique seulement que le défunt vient de mourir

accidentellement ou qu'un médecin a été appelé d'urgence à l'hôpital et qu'il a constaté

un décès . En d'autres occasions, le coroner déclare d'ores et déjà dans ce formulaire qu'il

ne blâme pas le responsable d'un accident de voiture ou alors il évoque la cause précise

du décès préalablement à l'enquête23 . Vu ces dossiers, il nous est permis de croire que

certains de ces formulaires ont probablement été remplis après investigation. Quoi qu'il

en soit, la reconstitution des événements qui mènent à une enquête du coroner révèle

20 Voir par exemple : BAnQ-CMCDQ, TL257, SI, SS26, SSSI, René-Paul V., 24 juin 1950: Fernand L., 5 septembre 1950. 21 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI, Hormidas B. , no 136, 17 mars 1930. 22 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI, Jules M., 9 décembre 1950. 23 Voir enquêtes au sujet de Marcel P. et Henri S. en 1930. Dans cette dernière enquête , le coroner précise déjà qu'il croit que le défunt est mort d'asphyxie par acide acétique glacial alors que le sous-chef de la police lui avait seulement dit que le défunt était mort aux usine de la Chemicals Ltd. BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI , Marcel P ., 7 février 1930; Henri S ., 16 janvier 1930.

184

clairement que les activités de cet officier de justice relèvent d'écarts envers les normes

sociales définissant ce qu'est une mort « normale ». Plus encore , outre les crimes et les

accidents mortels, qui relèvent presque sans équivoque du coroner, des normes très

circonstancielles semblent influencer certaines interventions du coroner en matière de

décès pour cause médicale. Dès lors, des normes sociales, qui établissent les conditions

d'une mort courante et, du même coup , suspecte, doivent être considérées de pair avec

les normes juridiques qui fixent le rôle du coroner, à savoir d'enquêter en cas de mort

soudaine, suspecte ou violente. Ce caractère social et circonstanciel du travail du coroner

vient compléter la juridiction officielle (étatique, donc) du coroner. Ainsi, le jeu des

internormativités, par la complémentarité des normes sociales et juridiques, pèse parfois

sur la mise en branle du processus de recherches ou d'enquête du coroner. La

judiciarisation de certains décès, d'événements vécus dans la communauté à des

événements sujets au regard de l'État, implique de tenir compte des représentations et du

rôle des acteurs sociaux ordinaires et de ceux d'autres acteurs détenteurs d'un certain

pOUVOIr.

4.2. LES ACTEURS SOCIAUX ORDINAIRES

La participation des habitants du district de Trois-Rivières tout au long du

déroulement d'une enquête prend de multiples formes. Contrairement aux magistrats qui

administrent la justice dans les salles du palais de justice, le coroner, quant à lui,

s'imprègne nécessairement, dans une certaine mesure, de l'expérience réelle . des

individus. Les résidences des gens ordinaires font souvent office de salle de cour

lorsqu'il se rend sur les lieux où un décès a été constaté. En plus de l'avertir dès que la

185

mort fait son oeuvre quelque part, les acteurs sociaux ordinaires agissent aussi comme

témoins. La preuve qui détermine le verdict à rendre est fondée , tout au long de la

période étudiée, principalement sur leurs allégations, propos tenus sous serment. Les

citoyens sont parfois également assignés en tant que jurés lors de la tenue d'une enquête

formelle. Ce sont eux, guidés par les précisions et les recommandations du coroner, qui

sont chargés de rendre un verdict, décision finale qui peut parfois s'avérer lourde de

conséquences. Enfin, les proches des défunts peuvent aussi intervenir de diverses façons .

4.2.1. Les témoins

Quiconque détient des informations concernant la cause de la mort d'un individu

et/ou soupçonne que le décès résulte de violence ou de circonstances qui ne paraissent

pas naturelles est tenu de se manifester et d'en aviser le coroner24. De même, si quelqu'un

est assigné par le coroner à titre de témoin, cette personne doit se présenter pour

répondre à ses questions après avoir été assermentée25. Un refus de coopérer pourrait

entraîner une incarcération pour mépris de cour26. Les soùrces du coroner montrent que

près de neuf témoins sur dix sont des hommes. La plupart sont cultivateurs, journaliers

ou ouvriers spécialisés, ce qui reflète un peu la société de classes du temps. Quelques-

uns exercent une profession libérale tandis que d'autres sont marchands, commerçants ou

cols blancs. Des écoliers et étudiants ont également pris part à certaines enquêtes . Même

24 Loi relative aux coroners dans la province de Québec, 4 Geo . V (1914), c . 38, art. 1 (modifiant l'article 3487 des statuts refondus de 1909). 25 Cependant, les « idiots » , les aliénés et les infidèles (ceux qui ne croient pas en Dieu) ne peuvent agir comme témoins. Les enfants sont admis à titre de témoins s'ils comprennent bien les conséquences d'un faux serment « en ce monde et dans l'autre ». De même, les prisonniers peuvent témoigner , même s'ils ne sont pas tenus de le faire, mais leur déposition ne sera admise que si la preuve est faite qu'elle a été donnée librement , volontairement et sans pression ni faveurs indues . Edmond Lortie, Le guide des coroners: 33-34. 26 Edmond Lortie, Le guide des coroners: 29 ; 61 . L'auteur fait valoir cependant que le coroner ne doit user de ce pouvoir qu'en cas d'absolue nécessité .

186

le premier ministre du Québec , Honoré Mercier , est entendu comme témoin en aoGt

1891. Le plus jeune d'entre eux est âgé de 5 ans bien qu'il soit rare que des enfants de

moins de 10 ans comparaissent devant le coroner. Les témoins . entendus sont

généralement des membres de la famille du défunt , des compagnons de travail ou des

employeurs, des voisins , des amis et/ou des habitants de la paroisse ou du village où est

survenu le décès et qui connaissent bien la victime. On constate toutefois, de façon

générale, que les liens de sociabilité entre le défunt et les témoins sont un peu moins

fréquents dans les do~siers du XXe siècle étant donné l'accroissement de la mobilité des

gens et l'augmentation de la population. Le développement des moyens de transport et

l'apparition de l'automobile facilitant les déplacements, on remarque en effet que des

défunts et des témoins résident à l'extérieur du district de Trois-Rivières, provenant

d'autres régions du Québec, d'autres provinces et même des États-Unis.

Parmi l'ensemble des dossiers, nous observons qu'au moins un membre de la

famille du défunt (parent, époux, fratrie ou famille élargie) témoigne dans 56,5 % des

affaires27. Cette proportion est sans doute un peu plus élevée puisque les liens de parenté

entre les témoins et le défunt ne sont pas toujours précisés bien que des indices laissent

parfois croire à leur existence. De même, dans plusieurs cas de recherches, le coroner ne

mentionne pas de qui proviennent les informations qu'il détaille dans son rapport. Parmi

les enquêtes avec jury, plusieurs parents sont appelés à témoigner seulement pour

identifier les victimes. Au passage, ces derniers fournissent parfois des renseignements

sur l'état de santé général du défunt, son emploi et sa situation familiale en plus de

27 Nous avons considéré ici les témoins qui ont été directement entendus par le coroner. Toutefois, il arrive que certains soient entendus par la police et que le coroner se base sur le rapport de police pour tirer ses conclusions .

187

préciser le moment où ils l'ont vu pour la dernière fois . Ainsi, des 146 enquêtes avec jury

lors desquelles au moins un membre de la famille témoigne, 50 (34,2 %) n'entendent

qu'un seul proche, individu qui procède seulement à l'identification du défunt sans

donner de plus amples informations sur les circonstances de sa mort28. Le père de René

F.,5 ans, dépose:

C'est bien mon fils René qui gît ici et dont enquête est présentement en cours. Cet enfant était âgé de 5 ans et 3 mois et d'apparence normale quand [sic] à la stature et à l'intelligence, avait les cheveux blonds, yeux bruns et de poids à peu près normal, vigoureux et alerte comme tout enfant de son âge . J'arrivais de mon travail quand mon plus vieux garçon Maurice m'avertit de l'accident qui venait d'arriver à René. Il était environ 1105 hrs a.m. et fut conduit immédiatement à l'Hôpital Ste-Thérèse sur la recommandation du Dr Brunelle qui avait été mandé: il décéda ce matin à 722 hrs a.m. au même endroit?9

Notons que ce genre de témoignage , presque toujours fait par des hommes, est observé

majoritairement dans les dossiers du XX: siècle, particulièrement en 1950. Ainsi

procède-t-on, à partir du tournant du siècle, à une identification plus formelle des

cadavres lors de la tenue d'une enquête .

Du reste, la spécificité de ces dépositions laisse entrevoir que deux types de

témoins participent aux enquêtes du coroner. Il y a ceux que nous appelons les témoins

directs. Ce sont des témoins oculaires, qui étaient présents au moment du décès et qui

peuvent témoigner des circonstances immédiates de la mort du défunt. Ceux-ci sont les

plus nombreux. Les proches assignés pour identifier un cadavre sont considérés , par

contre, comme des témoins indirects. Ce genre de témoignages, tout en révélant des

informations de diverses natures, n'exprime pas une connaissance factuelle directe des

28 Parfois , plusieurs membres de la famille du défunt témoignent à l'enquête. L'un comparaît pour l'identification tandis que d'autres peuvent témoigner des circonstances du décès . 29 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI, René F., 12 novembre 1950 .

188

circonstances de décès. Par exemple, des témoins vont rapporter au coroner à leur tour

ce que d'autres personnes leur ont dit quant à la manière dont un décès est survenu. La

formulation des dépositions prises par le coroner suggère parfois en effet que les témoins

qui comparaissent, même s'ils font état des circonstances immédiates de la mort, n'ont

rien vu de ce qu'ils racontent . « Il paroit qu'il [le défunt] a voulu traverser la rivière sur

des billots : mais les billots se sont malheureusement séparés ... 30» , raconte l'unique

témoin à l'enquête qui a appris le lendemain de l'événement que le défunt s'était noyé.

D'autres fois, certains dossiers , comme nous l'avons déjà évoqué dans les chapitres

précédents , sont constitués seulement du témoignage d'un individu qui présume de ce

qui est arrivé sans avoir été présent sur les lieux au moment du décès. De plus, les gens

qui font la découverte d'un cadavre, par hasard ou après avoir fait des recherches , n'en

savent pas davantage sur ce qui a réellement provoqué la mort. Dans un cas , la

déposition faite par une voisine de la victime, enfant née d'une relation hors mariage et

morte naturellement, relève du ouï-dire :

Je n'ai point connu Julie C. , sujet de cette enquête , seulement j'ai entendu dire qu'elle avoit été trouvé [sic] morte auprès de sa mère [ ... ] Cela m'a été dit après la messe aussitôt que j'ai été de retour de l'église . D'autres on [sic] dit que la dite Julie C . est morte le dimanche au matin , mais dans tous les ondits [sic], je n'ai rien entendu dire contre personne, c'est-à-dire aucune chose qui auroit pu faire soupçonner personne concernant la mort de cet enfant.31

En d'autres occasions , même s'ils n'ont pas été témoins directement des

événements, des individus sont en mesure d'éclairer le coroner et les jurés sur certains

aspects liés en tout ou en partie aux circonstances de décès. Par exemple , dans l'affaire

David N., ce jeune garçon de 9 ans tué lors d'une collision survenue à Maskinongé

30 BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SS 1, Léandre V., no 19 , 12 juillet 1850 . 31 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26 , SSI , Julie C., no 7,14 avril 1850.

189

lorsqu'un camionneur fatigué a dévié de sa route et a percuté la voiture dans laquelle il

prenait place, plusieurs des 12 témoins entendus n'ont pas vu l'accident. L'un d'eux

témoigne de la conduite erratique du conducteur du camion lorsqu'il l'a croisé sur la

route avant l'impact tandis qu'un mécanicien d'une station d'essence au Cap-de-Ia-

Madeleine affirme que le camionneur s'est arrêté au garage pour dormir avant de

reprendre sa route, environ une heure et demie avant l'accident32• On peut donc croire

que le coroner cherche à en savoir davantage sur l'ensemble des éléments qui entourent

la mort pour reconstituer le fil des événements. En cela, en plus des médecins, il semble

qu'il assigne parfois des témoins qui ont un savoir spécialisé ou l'expérience nécessaire

pour analyser certains aspects plus techniques en lien avec la cause de la mort. À titre

d'exemple, le surintendant de la compagnie Shawinigan Chemicals Ltd , où un journalier

a été asphyxié par acide acétique glacial, expose les propriétés de ce gaz et les étapes

pour en disposer de même que les mesures de sécurité imposées par la direction de

l'usine pour prévenir les accidents33. Enfin , quelques personnes sont appelées pour

témoigner des compétences du défunt, notamment lors d'accidents de travail, et sur l'état

général de la machinerie ou de l'outillage utilisé.

Les témoins sont donc interrogés par le coroner, et les jurés s'il y a lieu , selon la

nature des informations qu'ils peuvent divulguer. Les dossiers d'enquête laissent voir que

plusieurs dépositions ont été faites en présence d'autres témoins . Cette façon de faire

pose la question des influences et de la pression que peuvent exercer les autres

personnes assignées à comparaître, qui plus est lorsque le caractère accidentel de la mort

32 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , David N., 5 juillet 1950. 33 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , Henri S. , 16 janvier 1930. Voir également Ovide S., 18 avril 1950.

190

n'est pas évident de prime abord et reste à déterminer. Plutôt que de raconter leur propre

version des faits , des individus ne font que corroborer la version du témoin précédent

après l'avoir entendue : « J'ai entendu le témoignage de Alexis S. et je le corrobore en

tout 34» , déclare l'un d'eux . Au XX" siècle, des agents de police, des avocats et un

représentant du procureur général sont présents dans quelques affaires et participent aux

interrogatoires des témoins . Enfin , dans la plupart des affaires , le médecin appelé pour

examiner le cadavre semble comparaître le dernier, après avoir entendu les dépositions

des autres témoins afin de s'enquérir des circonstances du décès qui pourraient peser sur

ses conclusions médicales. Nous reviendrons un peu plus loin sur la participation et le

rôle spécifique de ces intervenants dans les enquêtes du coroner.

4.2.2. Les jurés

Les acteurs sociaux ordinaires, en plus d'être impliqués à titre de témoins , sont

aussI appelés à servir de jurés dans les cas qui , aux yeux du coroner, requièrent une

enquête formelle. Au XIXe siècle , le nombre minimal de jurés requis pour une

investigation est de 12. Le jury peut néanmoins comporter jusqu'à 23 membres .

Quelques enquêtes seulement, parmi celles que nous avons analysées , comportent 13 ou

14 jurés; la plupart se limitant au minimum exigé. Dans tous les cas , un verdict est

valide seulement lorsque 12 membres sont unanimes35• Au début du XXe siècle, le

34 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSl , Urcisse L., no 2 , 19 juillet 1918. Nous pourrions présumer que plutôt que d'entendre les témoins ensemble cette formulation est peut-être utilisée si le coroner lit la déclaration d'un témoin à un autre et que ce dernier déclare seulement qu 'il n'a rien à ajouter. Cependant , cette possibilité nous semble improbable puisque le coroner a l'habitude d'examiner le cadavre avec le jury dans une pièce et de procéder à l'audition des témoins dans une autre . Edmond Lortie , Le guide des coroners : 44-45 . 35 Edmond Lortie , Le guide des coroners: 17 .

191

nombre de jurés nécessaire passe à six36. Assignés par des constables, des huissiers ou

par le coroner lui-même, les jurés sont généralement des hommes « recommandables»

de 21 ans et plus, qui ne font pas face à une accusation ou une condamnation criminelle

et qui résident dans les limites de la juridiction du coroner3? Nos dossiers montrent en

effet qu'aucune femme n'a agi en tant que jurée tout au long de la période étudiée.

Toutefois, lors d'une enquête qui s'est tenue à la prison de Trois-Rivières en 1870, un

détenu a servi à ce titre38• De même, contrairement à ce qui est recommandé pour la

sélection des jurés, certains d'entre eux ne savent pas signer 39. Après avoir été

assermentés, les jurés accompagnent le coroner pour l'inspection du cadavre et du lieu

où il gisait40. Puis, lors de l'audition des témoins, les membres du jury peuvent poser des

questions. Edmond Lortie, dans son Guide des coroners, insiste particulièrement sur cet

aspect :

Il importe beaucoup à la bonne administration de la justice, dans l'espèce, que cette formalité soit remplie. Car l'on comprend que les membres du jury résidant dans l'endroit où se sont déroulées toutes les péripéties d'une tragédie, sont, par ce fait, plus renseignés sur les circonstances et les détails de l'événement, que ne peut l'être le coroner qui, pour la plupart du temps, ne les a appris qu'au jour de l'audition des témoignages.41

Ce sont également eux qui décident si une autopsie doit être pratiquée sur le corps de la

victime42. Lorsque tous les témoignages sont rendus , le coroner en fait un résumé en plus

36 SRPQ, 1909, art. 3479 . 37 Edmond Lortie, Le guide des coroners; 18; 20; 56; 59. L'auteur précise toutefois que les statuts de la province de Québec ne mentionnent pas les qualités que doivent posséder les jurés. Ces règles sont plutôt issues du droit commun. 38 BAnQ-CMCDQ, TP9. S3, SS26, SSSl, Julie B., no 15,14 avril 1870. 39 Edmond Lortie, Le guide des coroners. : 56. 40 Ibid. : 22-23. 41 Ibid. ; 45. 42 Acte concernant les enquêtes des coroners, 43-44 Vict. (1880), c. 10, art. 3. Le coroner peut toutefois en faire la demande en remplissant une déclaration selon laquelle une autopsie pennettrait de s'assurer que le défunt est mort violemment ou par quelque autre moyen illégal.

192

d'expliquer au jury les points de droit qui s'appliquent au cas qui leur a été soumis et la

façon la plus juste d'apprécier la preuve. Enfin, les jurés rendent leur verdict4' .

Les jurés ont donc la lourde tâche d'établir si le décès résulte d'une mort

naturelle, d'un accident, d'un acte criminel ou d'un suicide. En regard de la preuve et des

circonstances de décès mises au jour par l'enquête, ils doivent parfois déterminer, pour

certaines affaires plus ambigües, si la mort est attribuable à la négligence d'un ou de

plusieurs individus ou simplement à la malchance. En cela, ils participent, avec le

coroner et les médecins appelés à témoigner, à la construction de normes en matière de

santé et de sécurité en définissant entre autres les attitudes et les comportements

inappropriés et inacceptables, que ce soit sur les routes, à la maison, au travail, etc. C'est

donc notamment par le biais de la sanction criminelle et des recommandations qu'ils

peuvent émettre au terme d'une enquête que le corps des jurés a le pouvoir d'influencer,

dans une certaine mesure, les normes et les valeurs liées à certaines activités de la vie

quotidienne ainsi qu'aux divers rôles que les gens sont appelés à endosser simultanément

(parent, époux , travailleur, conducteur, etc.). De ce fait, les normes sociales et culturelles

de la société civile, issues entre autres de l'expérience, de l'éducation et du savoir des

gens , sont à l'œuvre dans un système judiciaire marqué au même moment par une

volonté de rationalisation et de professionnalisation accrues.

Cette volonté , bien qu'elle s'incarne en diverses mesures , se heurte malgré tout à

certaines pratiques . L'analyse de la composition des jurys constitue un exemple assez

frappant de ces écarts entre les visées et les prescriptions d'un système et leur mise en

43 Edmond Lortie , Le guide des coroners : 46 .

193

oeuvre sur le terrain. Possiblement par souci d'impartialité, il est ainsi fortement

conseillé aux coroners de ne pas admettre en tant que jurées « ... des personnes qui

pourraient être des témoins importants au cours de l'enquête, non plus que des personnes

qui auraient un intérêt reconnu dans le résultat de telle enquête 44». Or, tout porte à croire

que des liens familiaux unissent plusieurs des participants à une même enquête. La

corrélation des patronymes des individus qui participent à une même affaire suggère

effectivement des liens de parenté entre jurés, entre jurés et témoins et entre jurés et

défunts. La figure 9 présente l'évolution de ces phénomènes durant la période étudiée.

FIGURE 9 Évolution des liens familiaux entre participants à une même enquête, 1850 ·1950t

100% ~---------------------------------------

90% t-~--__ ~-------------------------

80% +---------~~---------------------------

70% +--------------, --------------------------60% -f--------

50% +--.F-----~~-------,~-----------------

40% +------------;~----~~--------~--~~-

30 % +----------------'.--,\ ri;;;. • ... __

.... ...... ~.--... . -11- e. 20%

10% ..... 0%

, " '. ......... ....

1850 1870 1891 1918 1930 1950

..... Liens familiaux entre jurés

-. • Liens familiaux entre jurés et témoins

•• · • Liens familiaux entre jurés et défunts*

t L'unité de base pour établir les statistiques est l'enquête . Les données conespondent donc, pour chaque année, à la proportion d'enquêtes avec jury où une conélation entre patronymes a pu être établie en fonction du phénomène étudié . • Pour les défuntes , nous avons aussi considéré les membres du jury qui ont le même patronyme que l'époux de celles-ci dans notre décompte. Sources : BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI; TP9, S3, SS26, SSSI; TL257 , SI, SS26, SSSI. Dossiers des années 1850, 1870, 1891 , 1918,1930 et 1950.

44 Ibid. : 56. À nos yeux, une certaine ambiguïté entoure la question de la fonnation d'un jury parmi les résidants de la paroisse où l'événement s'est produit de façon à ce que l'enquête puisse profiter des renseignements supplémentaires qu'ils peuvent fournir , mais qui , de concert, ne doivent pas être des témoins importants .

194

En tout, notre corpus comprend 261 enquêtes avec jury menées entre 1850 et

1950. Cependant, le nom des jurés demeure inconnu pour l'une d'entre elles. Du coup ,

les domiées présentées s'appuient sur l'analyse de 260 dossiers d'enquête ayant requis la

formation d'un jury. Bien sûr, le patronyme ne garantit pas automatiquement un lien de

parenté entre deux individus. En cela , les résultats obtenus ne reflètent pas parfaitement

la réalité. En outre , la calligraphie changeante et divergente entre une signature et une

inscription formelle par le coroner a pour effet probable de sous-estimer les résultats

obtenus puisque nous n'avons tenu compte que des patronymes rédigés de la même

façon . Cependant, au final, nous considérons tout de même que nous pouvons tirer des

conclusions significatives quant aux phénomènes étudiés .

Parmi les trois types de liens familiaux dont les dossiers rendent compte, ceux

entre jurés sont les plus fréquents. Sur l'ensemble des enquêtes avec jury conduites entre

1850 et 1950,57,7 % (150 sur 260) impliquent plusieurs jurés portant le même nom de

famille. En cent ans , la proportion diminue cependant de plus de la moitié , passant de

89 ,3 % des enquêtes en 1850 à 42,1 % en 1950. Mais le phénomène demeure néanmoins

assez marqué, et ce , même si le nombre de jurés requis pour une enquête a aussi diminué

de 50 % au début du XXe siècle. En 1870, par exemple , quatre des 12 jurés convoqués

pour une enquête tenue à Gentilly portent le patronyme Poisson . La même année , à

Saint-Grégoire , cinq des 13 membres du jury sont des Bourque45. Ainsi met-on à profit,

peut-on penser, l'ensemble des hommes d'une même famille aptes , selon les règles

généralement admises pour le recrutement, à agir comme jurés. D'autant plus que les

45 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3, SS26 , SSSl , David L. , no 28 , 5 décembre 1870; Alfred L. , no 19 , 19 octobre 1870 .

195

coroners éprouvent des difficultés à rassembler une douzaine de jurés lorsqu'il y a peu de

réside~ces et qu'elles sont éloignées les unes des autres46 . En 1918, lorsque le nombre de

jurés prescrit est désormais de six, on constate pourtant que seulement trois patronymes

sont représentés au sein d'un jury formé à Sainte-Ursule; trois sont des Noël, deux

portent le nom de famille Charette et le dernier est un Lupien47 . Dans cette enquête, non

seulement la moitié des jurés porte le même patronyme, mais le seul témoin entendu est

également un Noël.

Des liens de parenté semblent en effet exister entre les jurés et les témoins. En

moyenne, 35,4 % (92 sur 260) des enquêtes avec jury montrent qu'au moins un juré et un

témoin portent le même nom de famille. Cependant, ce phénomène diminue aussi de

l'ordre de près de 50 % entre le XIXe et le XXe siècles. Lors d'une enquête tenue à Saint-

Narcisse sur le corps d'un homme qui s'est noyé dans un étang, le père des deux seuls

témoins, qui se baignaient avec le défunt lorsqu'il a sombré dans l'eau, fait partie des

membres du jury48. Plus surprenant encore est le fait qu'au cours d'une même enquête ,

des jurés agissent également comme témoins (voir figure 10).

46 Edmond Lortie , Le guide des coroners : VI-VII; Edmond McMahon, A Practical Guide to the Coroner and his Duties at lnquests : 169. Une enquête tenue à Saint-Stanislas en décembre 1870 a été menée seulement par onze jurés , dont trois portent le même patronyme . BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26 , SSSl , Adolphe L. , no 27, 5 décembre 1870. En 1871 , la population du village de Saint-Stanislas ne comprend que 593 habitants . René Hardy et Normand Séguin , Histoire de la Mauricie : 258 . 47 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSS l, Télesphor C. , no 187 , 6 août 1918 . 48 BAnQ-CMCDQ, TP9, S3 , SS26 , SSSl, François-Xavier G ., no 27,4 juin 1870.

196

FIGURE 10 Proportion d'enquêtes avec jury où au moins un juré agit également en tant que

témoin, 1850-1950

40%

30%

20%

10% 0,0%

0% 1850 1870 1891 1918 1930 1950

Sources: BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26, SSI; TP9 , S3, SS26 , SSSI ; TL257 , SI , SS26 , SSSl. Dossiers des années 1850,1870, 1891 , 1918 , 1930 et 1950.

Des individus portent effectivement les deux chapeaux dans 15,4 % 49 des enquêtes avec

jury (40 sur 260). Cette pratique contrevient à ce que Lortie et d'autres auteurs de

manuels destinés aux coroners recommandent quant à l'assignation des jurés50. De plus,

cette double participation de certains individus, assez fréquente au XIXc siècle , s'ajoute

au fait que peu de témoins sont entendus lors des enquêtes menées à cette époque. Par

exemple, le jury d'une enquête conduite à Saint-Maurice en mai 1850 inclut les deux

seuls témoins qui ont comparu5l. Comme les autres types de liens familiaux étudiés, le

phénomène diminue considérablement au fil du temps et disparaît en 1950 pour ce qui

est des jurés qui agissent aussi comme témoins. Le déclin de cette pratique peut laisser

49 Une certaine marge d'erreur doit être prise en compte vu le risque d'homonymie. 50 À ce titre , W. F . A. Boys indique que les membres du jury peuvent être assignés également en tant que témoins , mais qu'il est préférable , en regard de la jurisprudence, d'éviter cette pratique. William Fuller Alves Boys , A Practical Treatise on the Office and Duties of Coroners : In Ontario and the Other Provinces, and the Territories, of Canada , and in the Colony of Newfoudland, With Schedules of Fees, and an Appendix of Forms, Toronto, The Carswell Co., 1905 : 273 . Edmond McMahon précise quant à lui, comme les autres auteurs, que les jurés ne doivent pas êtres intéressés par l'issue de l'enquête . De plus , il ajoute: « It would be a wise custom too , especially in large centres, where the facts are often narrated in a manner more or less chimerical before the inquest , to see that he does not swear pers ons whose opinions are already fOlmed before they hear the evidence. It must be admitted that it is at least prudent to forewam the jury against what they may have read or heard . » . Edmond McMahon, A Practical Guide to the Coroner and his Duties at Inquests : 172. 51 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSl, Olivier S., no Il, Il mai 1850. Voir également: TP9, S3, SS26 , SSSl , Alexandre S ., no 26 , 2 juin 1870 .

197

crOIre, comme le sous-entendent les auteurs de manuels de coroners, à une

préoccupation croissante d'assurer la neutralité et l'équité des verdicts rendus.

Certains dossiers suggèrent aussi des liens entre les jurés et les défunts. La

corrélation des patronymes , méthode qui certes comporte une marge d'erreur, et la

mention de liens de parenté dans certains témoignages révèlent que 10,8 % (28 sur 260)

des enquêtes avec jury impliquent au moins un membre du jury portant le même nom de

famille que le défunt et/ou étant parent avec lui. Si la plupart du temps un seul membre

du jury est susceptible d'avoir un lien de parenté avec le défunt, on observe parfois

jusqu'à trois jurés sur six qui portent le même patronyme que la victime. Cela renvoie à

la problématique de la composition d'un jury dont certains membres pourraient avoir un

intérêt dans la nature du verdict rendu du fait de leurs liens familiaux et affectifs avec le

défunt. McMahon évoque à cet égard : « ... persons should never be swom as jurors who

are related in a sufficiently close degree to the dead person, or to the person suspected,

when a possible arrest can be foreseen 52» . À ce titre, les jurys de deux enquêtes

différentes menées en juin 1950 sur deux enfants ayant été heurtés mortellement par une

voiture sont composés chacun d'un individu qui porte le même patronyme que le

conducteur de l'automobile qui les a happés53• Enfin, une enquête tenue à Sainte-Flore en

mai 1870 montre que des liens familiaux encore plus étroits unissent les différents

acteurs. Il s'avère que le seul témoin entendu fait également partie du jury en plus d'être

l'oncle du défunt54•

52 Edmond McMahon , A Practical Guide to the Coroner and his Duties at lnquests : 172 . 53 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSl , Léandre c., 7 juin 1950; Diane C., 20 juin 1950. 54 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26, SSSl, George S., no 23 , 17 mai 1870. Voir aussi: Evariste L. , no 9, 10 mars 1870.

198

En somme, les archives du coroner montrent une panoplie d'autres cas où des

liens de proximité existent entre les divers participants à une même enquête. Des

témoignages laissent croire que certains jurés étaient présents au moment de la mort du

défunt sans qu'ils soient appelés comme témoins55• Parfois, l'épouse, l'enfant ou un autre

membre de la famille d'un juré est appelé à témoigner. Qui plus est, des individus

portent différents chapeaux. Ainsi, des voisins appelés au chevet d'un mourant sont

assignés à témoigner en plus de faire partie du jury56 . De!lx hommes témoins d'un délit

de fuite en 1930 sont également appelés à prendre part à l'enquête du coroner à titre de

jurés. Par contre, un seul d'entre eux va témoigner? D'autres fois, des individus qui

découvrent un corps font aussi partie des membres du jury tandis que des témoins directs

des circonstances de décès agissent comme jurés58•

On remarque néanmoins , de façon générale, que les liens familiaux entre les

participants à une même enquête, quelle que soit leur nature, diminuent de façon

marquée entre le milieu du XIX· et le milieu du XX· siècles. C'est dire que les

procédures appliquées pour l'assignation des jurés tendent peut-être à assurer une plus

grande objectivité aux verdicts rendus par la cour du coroner. Par ailleurs, à la lumière

des données recueillies, on peut croire que le recrutement des jurés se fait, dans une

certaine mesure , parmi le voisinage59 et les membres de la famille des témoins et du

55 Voir à cet effet: BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Donat T ., no 6,2 août 1918; TP9 , S3 , SS26 , SSSI, Paul L., no 13,1 or avril 1870. 56 Voir par exemple: BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26, SSSI, Firmin B., no 18,19 octobre 1870; Hercule P., no 29, 21 décembre 1870. 57 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI, Nestor T ., 16 juillet 1930. 58 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , Freddy S., no 146, 12 novembre 1930. 59 À cet égard , les statuts de la province prévoient qu'en cas d'une enquête sur un incendie , le coroner peut assigner un jury choisi parmi les résidants du voisinage . SRPQ, 1909, art. 3800. Carol Loar explique que le recours aux voisins pour fOlmer un jury était courant aux XVI et XVIIe siècles puisque ces derniers

199

défunt, qui plus est · parmi les témoins eux-mêmes. À ce titre, le mandat pour

l'assignation des jurés destiné aux constables leur indique dans quelle paroisse les jurés

doivent être recrutés60. L'examen de la c9mposition des jurys tend donc à démontrer un

surinvestissement de certains acteurs sociaux ordinaires au sein des enquêtes du coroner,

phénomène que nous croyons assez spécifique à ce processus judiciaire. Il appert alors

que nombre d'enquêtes conduites localement l'étaient par un groupe restreint

d'individus susceptibles d'être concernés par le verdict qui allait être rendu.

Cependant, la composition du jury tend à s'institutionnaliser, de façon informelle,

au fil du temps. D'un jury provenant du cercle de sociabilité du défunt ou des témoins au

XIXe siècle, on passe à un jury qui serait davantage issu des relations du coroner. En

plus du déclin de certaines pratiques liées à la sélection des jurés dont nous venons de

faire état, une analyse de la récurrence de la participation de certains jurés à différentes

enquêtes menées au milieu du XXe siècle laisse croire à des liens plus étroits entre les

coroners et les membres du jury. Malgré la décentralisation de l'administration judiciaire

avec la création de nouveaux districts au XIXe et au début du XXe siècles, la

centralisation accrue des enquêtes du coroner dans les morgues et dans les villes les plus

populeuses pourrait rendre compte de cette composition changeante des jurys . Sur un

total de 2051 jurés ayant participé aux enquêtes de notre corpus, 136 (6,6 %)61 ont agi à

étaient en mesure d'apporter à l'enquête des renseignements précis sur le défunt , les témoins potentiels et le milieu. Elle ajoute qu'à l'époque médiévale , les individus choisis pour faire partie du jury du coroner ou du grand ou du petit jury dans les procès criminels se devaient d'être infonnés sur le crime commis, les victimes, les accusés, les témoins et être au fait de la preuve . Carol Loar , « Medical Knowledge and the Early Modern English Coroner's lnquest » : 476-477. 60 Edmond Lortie , Le guide des coroners: 118. Il est à noter que ce fonnulaire n'est pas présent dans les dossiers d'enquête que nous avons dépouillés. 61 Cette statistique est conservatrice étant donné les paramètres choisis pour établir les participations multiples de certains jurés . Nous avons à la fois tenu compte des nom et prénom du juré , de l'année ainsi

200

ce titre deux fois ou plus. Cette donnée est néanmoins biaisée puisque lorsque plusieurs

enquêtes avec jury portent sur le même événement, il n'est pas rare que les mêmes

individus participent à plus d'une en tant que jurés. Par exemple, en 1870, sur les 51

jurés qui ont pris part à plus d'une enquête, 20 l'ont fait dans le cadre de deux enquêtes

relevant d'événements distincts. En 1918 , la proportion est seulement de deux sur 19; la

plupart des jurés ayant des participations multiples les ont cumulées dans le cadre des

quatre enquêtes sur l'explosion survenue en décembre à la Canadian Electro Products de

Shawinigan. À titre de comparaison, en 1950, aucune enquête avec jury ne concerne un

événement qui a déjà fait l'objet d'un verdict de jurés puisque si plusieurs défunts

meurent dans .les mêmes circonstances à cette époque, une seule enquête avec jurés sera

tenue ou des cas de recherches suivront l'enquête formelle62. Dès lors, tous les jurés (51)

qui ont collaboré à au moins deux enquêtes cette année-là l'ont fait pour des décès

survenus dans des circonstances distinctes.

Le nombre de jurés participant à plus d'une enquête augmente donc au fil du

temps, afortiori si l'on considère que la proportion d'enquêtes avec jury et le nombre de

jurés requis pour une enquête ont quant à eux diminué. La figure Il présente la

proportion de jurés ayant pris part à au moins deux enquêtes du coroner ainsi que leur

nombre de participations .

que du lieu de l'enquête qui devaient être identiques pour que nous l'intégrions dans notre décompte . Or, dans le comté de Maskinongé par exemple, territoire majoritairement rural , plusieurs jurés (dont les nom et prénom sont identiques) apparaissent à plusieurs reprises, mais dans des enquêtes tenues dans différents villages . Bien que nous ne les ayons pas considérés dans notre calcul, il y a fort à parier qu 'il s'agit des mêmes individus si on en croit la tendance générale en Mauricie à cette époque en ce qui a trait à la sélection des jurés. D'autres aspects qu 'il importe de considérer dans l'interprétation de cette donnée sont , ici aussi , le risque d'homonymie de même que l'illisibilité de certains documents et de quelques signatures qui empêchent l'identification de quelques jurés. 62 SRPQ, 1964, c. 29, art. 68 .

201

FIGURE 11 Participations multiples d'un individu à titre de juré, 1850-1950

39 40 .-------~------------------------------~ 22%

35 +------i:::::c-------------l ~~ ,

30 +-------+:) t ~) r

25 +----,---:::::: ":::: ::::: / ... \~ :;:;:

20 +-------:::::: / ;r :,.:,:::::: ... f :::::

15 +--------::·:·::------------;1""2----r::::: 12 t:::: ... ::::" ,:.:.,. ::::: 9

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10

5

o 1850 1870 1891 1918 1930 1950

............. 2 participations 20%

18%

16% 3 participations

14%

12%

10%

8%

6%

4%

- 4 participations et plus

- - - • Proportion de jurés ayant participé à au moins deux enquêtes

2 % ••••• Proportion de jurés ayant

0% participé à au moins deux enquêtes portant sur des événements distincts·

* En 1930 et en 1950 . tous les jurés qui ont collaboré à plus d'une enquête l'ont fait dans le cadre d'événements distincts . Sources : BAnQ-CMCDQ , TL33 , S26. SSI; TP9 , S3 , SS26, SSSl; TL257 , SI , SS26 . SSSl. Dossiers des années 1850, 1870, 1891, 1918 , 1930 et 1950.

Globalement, on constate que c'est au milieu du XXe siècle qu'une véritable tendance se

dessine quant au fait de faire appel aux mêmes individus pour plusieurs enquêtes. Cela

même si la population mauricienne s'est accrue de 158 % entre 1901 et 1951 63,

augmentant du coup le bassin de jurés potentiels . On remarque en effet une certaine

corrélation entre la participation multiple de certains hommes, le lieu de l'enquête et le

coroner en charge. Ce lien entre coroners et jurés est plus étroit à partir du tournant du

siècle malgré l'augmentation du nombre de coroners ayant juridiction sur l'ensemble du

district. Par contre , leur champ d'action se limite à un territoire donné64. Par exemple, les

jurés ayant collaboré à plus d'une enquête à Shawinigan en 1950 sont liés seulement à

63 René Hardy et Normand Séguin , Histoire de la Mauricie : 841. 64 Edmond Lortie, Le guide des coroners: 8.

202

deux coroners sur les six qui sont actifs à l'échelle du district. C'est d'ailleurs dans cette

ville que la propension à sélectionner les mêmes individus à titre de jurés est la plus

forte (25 des 51 jurés ayant pris part à au moins deux enquêtes en 1950 l'ont fait à

Shawinigan). C'est là aussi que le nombre de participations d'un même juré est le plus

élevé, nombre qui s'accroît également au milieu du XX· siècle bien que la plupart des

gens servent à ce titre seulement deux fois. Ainsi, un homme a contribué à six des 57

enquêtes avec jury tenues en 1950 tandis qu'un autre compte neuf enquêtes à son actif.

Cette participation récurrente de certains jurés, très peu étudiée jusqu'ici, fait dire

à Carol Loar, pour les XVI" et XVIIe siècles, que ces derniers acquéraient un savoir

médical au fil des enquêtes auxquelles ils collaboraient. L'auteure, qui vise à démontrer

que les verdicts des enquêtes du coroner de cette époque étaient fréquemment fondés sur

des preuves médicales, évoque aussi la capacité des jurés à reconnaître les signes

indiquant la cause de la mort; ces individus , selon elle, étaient exposés à des cadavres

beaucoup plus couramment qu 'aujourd'hui 65 . De notre côté, nos sources ne nous

permettent pas d'évaluer le savoir et l'expertise des jurés puisqu'elles demeurent le plus

souvent muettes quant à leur profession par exemple. Or, mentionnons tout de même que

lors d'une enquête tenue à la suite d'une collision entre un camion et une automobile,

quatre des six jurés sélectionnés occupent un emploi dans le domaine des transports66.

Pouvons-nous voir là une recherche d'expertise de la part du coroner? À la lumière des

résultats précédents et vu le manque d'informations pour étayer cette hypothèse , nous

65 Carol Loar , « Medical Knowledge and the Early Modem English Coroner ' s Inquest » : 484. L'auteure mentionne qu'à cette époque , dans certaines juridictions, entre 40 % et 55 % des jurés prenaient part à au moins deux enquêtes et que plusieurs d'entre eux l'ont fait à cinq reprises . Il faut dire que le bassin de notables et de personnes recommandables est peut-être plus mince à l 'époque étudiée par Loar . 66 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI , Jean-Jacques D. et P-Émile G ., 19 octobre 1950.

203

serions plutôt tentée de croire qu'il s'agit d'un hasard et que le recrutement s'est fait

parmi le voisinage puisque les six jurés résident à quelques pas les uns des autres et près

du lieu de l'accident.

Somme toute, la composition des jurys soulève la question des écarts et des

contradictions entre des préceptes juridiques et leur application concrète. De même, elle

permet d'observer des rapports de pouvoir et d'interinfluence entre droit et société.

Certaines pratiques liées à la sélection des membres du jury, notamment le

surinvestissement de certains acteurs , divergent en effet des procédés spécifiés dans les

manuels du coroner et fondés sur le droit, les lois, la jurisprudence et les règles

coutumières généralement admises. Leur analyse témoigne des phénomènes

d'intemormativité à l'oeuvre entre deux systèmes normatifs distincts appelés à

cohabiter67• On peut donc penser que le coroner, obligé parfois à composer avec des

réalités hors de son contrôle , peut commettre, à l'occasion, certaines entorses aux règles

et de ce fait adapter, dans une certaine mesure, le droit à l'expérience pratique et concrète

du terrain . Les circonstances sociales de la mise en oeuvre du droit impliquent ainsi une

certaine malléabilité de celui-ci68•

4.2.3. Les proches des défunts

En plus d'être souvent les premiers témoins des circonstances de la mort , les

proches des défunts participent ou s'intéressent parfois à l'enquête du coroner pour

d'autres raisons ou de diverses façons. Bien que les manifestations tangibles de ces

67 Guy Rocher ,« Les« phénomènes d ' internormativité » » : 26-28. 68 Pour un exemple de manipulations sociales du droit et de l'appareil judiciaire, voir notamment Thierry Nootens, Fous, prodigues et ivrognes: 79-102.

204

interventions particulières soient plutôt rares parmi les dossiers étudiés, il n'en demeure

pas moins qu'elles sont significatives quant à l'implication et l'influence des acteurs

sociaux ordinaires au sein des enquêtes du coroner.

La Loi relative aux coroners dans la province de Québec, sanctionnée en 1914,

permet aux jurés et aux « parties intéressées » de poser des questions aux témoins avec

le consentement du coroner, pratique fort probablement déjà permise auparavant69. En

juillet 1950 , au cours d'une enquête tenue sur le corps d'un homme âgé d'une trentaine

d'années mort dans des circonstances nébuleuses à première vue, le frère de la victime,

lui-même appelé à témoigner, se prévaut de ce droit et interroge deux des témoins?o. Son

intervention révèle que les jurés n'ont pas vu le cadavre de son frère , ce qui est contraire

à la loi?'. De plus, quelques mois après l'enquête, il demande une copie du verdict des

jurés afin qu'il puisse l'acheminer à une compagnie d'assurances, probablement dans le

but de réclamer le montant de l'assurance-vie souscrite par le défunt. De même, une

dame demeurant à la même adresse que la victime demande à son tour une copie du

procès-verbal de l'enquête en février 1951. Quelques années plus tard, une lettre du

Département du procureur général de la province adressée au frère de la victime

soutient, à la suite de griefs déposés par ce dernier, que « l'autopsie et l'enquête de la

Sureté provinciale ont établi que le verdict de mort accidentelle rendu par le jury est

69 Loi relative aux coroners dans la province de Québec, 4 Geo . V (1914) , c . 38, art . 1, art 3487p créé par cette loi. 7° BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI, Roland B., 31 juillet 1950. Plusieurs lettres issues de la correspondance entre le frère du défunt et le greffier de la Couronne et de la Paix du district de Trois­Rivières sont jointes au dossier d'enquête du coroner. 71 L'article 35 de la Loi des coroners stipule effectivement que les jurés doivent voir le corps sur lequel une enquête est tenue . SRPQ, 1964, c. 29 , art. 35.

205

conforme à la preuve et qu'il a satisfait aux fins de la justice 72» . Ainsi cet individu a-t-il

remis en doute ou critiqué certains aspects liés à la conduite de l'enquête du coroner.

Ce dernier n'est pas le seul à s'être adressé au greffier de la Paix pour obtenir de

plus amples renseignements concernant une enquête . En décembre 1950, le père de

Yvon B ., résident de Chicoutimi mort à la suite d'une collision automobile , exige des

détails concernant l'accident de son fils, accident qui n'a pas fait l'objet d'une enquête

avec jury faute de témoins73• Le rapport des recherches menées par le coroner, fondé sur

l'enquête de la police, s'avère effectivement avare de détails sur les circonstances du

décès.

Au milieu du XXe siècle, des proches font également appel à des avocats afin de

les représenter au cours de l'enquête. Autorisés par le coroner à y assister, ces derniers

sont chargés d'interroger les témoins . Par leurs questions, ils tentent ainsi de disculper le

défunt de toute responsabilité quant aux circonstances qui ont entraîné sa mort ou , du

moins, d'amoindrir l'effet de ses actions quant à l'issue fatale . Même si nos sources

demeurent muettes à ce sujet, la présence d'avocats lors des enquêtes et le recours à ces

professionnels du droit par les familles des défunts pour obtenir ultérieurement une

copie du dossier laissent présager de possibles poursuites au civil.

72 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , Roland B ., 31 juillet 1950 73 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , Maurice D. et Yvon B ., 3 septembre 1950.

206

4.3. LES ACTEURS EN POSITION DE POUVOIR

En plus des habitants du district, qui sont au fondement du déclenchement du

processus d'enquête du coroner, d'autres acteurs , rattachés à certaines institutions , sont

appelés à intervenir et à collaborer avec le coroner dans des circonstances précises.

Certains , comme le médecin et le curé , sont présents durant toute la période considérée

tandis que d'autres , tels le médecin légiste, les avocats et les agents de police font leur

apparition au début du XX" siècle . Du moins, c'est ce que les traces contenues dans les

dossiers du coroner indiquent. En outre , leurs interventions surviennent à différentes

étapes de l'enquête et peuvent avoir plus ou moins de poids sur son déroulement et son

dénouement. Il faut dire que tous n'ont pas le même pouvoir et la même influence sur le

travail du coroner. Qui plus est , leurs tâches et les raisons de leur présence sont bien

différentes.

Plusieurs acteurs en position de pouvOlr, dont certains jouissent d'un capital

symbolique et/ou d'autorité important , se retrouvent impliqués dans les enquêtes du

coroner: médecin et médecin légiste; constables, policiers et officiers de la circulation;

avocats et procureur général et hommes d'Église. Nous allons analyser les circonstances

de leur présence ainsi que la nature et les effets de leurs interventions , tour à tour. Du

coup, nous serons à même de mieux entrevoir la latitude dont dispose le coroner dans

l'exercice de ses tâches .

207

4.3.1. Le médecin et le médecin légiste

Parmi les intervenants participant aux enquêtes du coroner, le médecin est

certainement le plus présent. En principe, le coroner y fait appel afin d'examiner les

marques de violence et de déterminer si le décès résulte d'un homicide74. Lorsque de tels

services sont requis, la loi prévoit que c'est le médecin qui réside dans la localité où se

tient l'enquête ou dans celle la plus près qui doit être convoqué. Son témoignage doit être

fait nonobstant le secret professionnel et dans des termes simples, dépouillés de toute

technicité, susceptibles d'être compris par tous les membres du jury75. Tel qu'évoqué plus

haut, sa déposition est souvent prise en dernier afin qu 'il soit au fait de l'ensemble des

circonstances de décès qui pourraient avoir un impact sur ses propres conclusions76•

Ce personnage a ainsi collaboré à titre de témoin dans 55,8 %77 des affaires. En

plus de ceux qui ont été assignés formellement , nous avons considéré comme des

témoins les médecins qui ont envoyé leurs conclusions médicales sous forme de lettre

adressée au coroner et jointe au dossier d'enquête. De même l'ont été ceux qui ont rédigé

un rapport dans le cadre de la Loi des accidents du travail de 1931 et ceux qui ont fait

parvenir au coroner un rapport d'« observation médico-chirurgicale ». Parmi les 258

enquêtes avec jury pour lesquelles nous avions les dépositions au dossier, 167 (64,7 %)

montrent qu'un médecin a agi à titre de témoin. Cette présence médicale atteint un

74 Edmond McMahon, A Practical Guide to the Coroner and his Duties at lnquests : 93 ; 146-147 . 75 Edmond Lortie , Le guide des coroners : 26-28. 76 William Fuller Alves Boys , A Practical Treatise on the Office and Duties of Coroners : 357 . 77 Cette donnée s'appuie sur 457 des 460 dossiers d'enquête dépouillés parce que les dépositions des témoins manquent dans trois enquêtes avec jury. Il faut tenir également du fait que pour ce qui est des cas de recherches , les rapports n'indiquent pas toujours qui a témoigné. Cependant , le détail des dépenses effectuées lors de ces recherches indique parfois qu'une somme a été allouée à un médecin pour des examens faits sur le corps du défunt.

208

sommet à la fin du XIXe et au début du XXe siècles pour ensuite se stabiliser près de la

moyenne observée sur l'ensemble de la période étudiée (voir figure 12) .

FIGURE 12 Présence d'un médecin à titre de témoin lors des enquêtes avec jury, 1850 et 1950

98,1 % 90,0%

100%

80%

60%

40%

20 %

0% 1850 1870 1891 1918 1930 1950

Sources : BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26 , SSI ; TP9 , S3 , SS26 , SSSI ; TL257 , SI , SS26 , SSSl. Dossiers des années 1850 , 1870 , 1891, 1918 , 1930 et 1950.

La plupart du temps , au cours de ces enquêtes, le médecin est appelé pour faire la

« visite du corps » du défunt , c'est-à-dire un examen externe du cadavre pour vérifier la

présence de marques de violence et , le cas échéant, les interpréter afin d'éclairer le jury

sur les circonstances de décès . Parfois , celui auquel la famille a fait appel pour soigner le

défunt tout juste avant qu'il ne décède procède également à cet examen après avoir

constaté le décès. Les dépositions des médecins montrent qu'ils se fient généralement sur

l'apparence du corps, sur les autres témoignages entendus - notamment pour connaître

les symptômes dont a souffert le défunt avant sa mort - et sur l'état de santé antérieur de

la victime lorsqu'ils la connaissaient. Cependant, dans certains cas, il apparaît que les

conclusions médicales s'appuient sur peu d'éléments factuels et que la cause du décès se

fonde davantage sur des présomptions . Par exemple, en mai 1850, le docteur Lacerte

conclut, après la « visite du corps », qu'un homme âgé de plus de 50 ans est mort, selon

l'apparence du corps , de la rupture d'une artère ou d'un viscère du coeur, ne présentant

209

aucune marque de violence78. En mars 1918, la déposition du docteur Bellemare, appelé

pour un homme de 69 ans retrouvé mort dans son camp, se résume à ceci: « J'ai fait

l'examen externe du corps de Moïse P. Il ne porte aucune marque extérieure de violence ,

il déclare que Moïse P. doit être mort de syncope du coeur 79» . L'absence de marques de

violence externes fait souvent dire au médecin, et ensuite au jury , que la mort est

accidentelle ou naturelle .

Ce type de verdicts, qui semblent parfois s'appuyer sur des observations rapides

et peu nombreuses , a fait l'objet de vives critiques de la part de deux médecins de

Montréal dans un article paru dans L'Union médicale du Canada en août 1893. Les

docteurs Wyatt Johnston, un des premiers experts en médecine légale au Canada80, et

George Villeneuve, célèbre aliéniste , ont étudié les verdicts de la cour du coroner du

district de Montréal de 1893 et ont démontré que les témoignages médicaux sont souvent

basés sur des données insuffisantes parce que les médecins n'ont pu observer les

symptômes que présentait le défunt avant sa mort et qu'une autopsie n'a pas été jugée

nécessaire 8 1. Les deux auteurs s'insurgent devant le faible nombre d'autopsies et

d'analyses chimiques demandées par les jurys et le coroner; ces expertises permettant

pourtant de déterminer précisément la cause de décès et, simultanément, de traduire en

justice les meurtriers ou ceux ayant fait preuve de négligence et d'éviter les erreurs

78 BAnQ-CMCDQ, TL33 , S26, SSI, Antoine G., no 9, 1er mai 1850. 79 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI, SS26 , SSSI , Moïse P ., no 2, 9 mars 1918 . 80 Denis Goulet et Othmar Keel , « Wyatt Galt Johnston », Dictionnaire biographique du Canada , vol. 13 , Université Laval/Université de Toronto , 2003 , [En ligne], http://www .biographi .calfr/bio/johnston_ wyatt_galc13F .html , page consultée le 16 octobre 2013 . 81 Wyatt Johnston et George Villeneuve , « Les verdicts de la cour du Coroner du district de Montréal , pour le premier semestre de 1893, au point de vue médical », L'Union médicale du Canada, vol. 22, no 8 (1893) : 393 .

210

judiciaires82. À leurs yeux, plusieurs rapports médicaux sont bâclés, incomplets, trop

brefs, imprécis - un examen externe étant souvent insuffisant et insatisfaisant - et les

conclusions qui en découlent s'avèrent précipitées, non fondées et incohérentes

notamment en regard des circonstances de décès. En somme, ils s'indignent contre « ...

l'insignifiance des verdicts appuyés sur une preuve médicale incomplète 83» . Évoquant

l'influence sensible du témoignage des médecins sur les jurés, ils soutiennent que « de

telles opinions peuvent en imposer à un jury, mais elles portent une teinte scientifique

très modérée 84» .

Les sévères critiques dont font l'objet les verdicts du coroner à cette époque

attestent, une fois de plus , de la représentativité imparfaite des archives du coroner quant

aux causes de décès réelles qui ont conduit le coroner à procéder à une enquête. En

revanche, elles sont fort intéressantes pour l'étude de l'histoire de la médecine et du droit

et des rapports que ces deux disciplines peuvent entretenir. Ainsi, des constatations

faites par Johnston et Villeneuve, il en ressort que les maladies du coeur, maintes fois

évoquées comme cause de décès par les médecins et tenues pour responsable de la

majorité des morts naturelles de notre corpus (voir chapitre 1), sont en fait beaucoup

plus rares que le laissent croire les verdicts rendus. « Cette prédilection d'attribuer la

mort subite au coeur ne semble pas justifiée par les autopsies que nous avons pratiquées

dans les cas de mort subite; cet organe ne fut pas trouvé intéressé une seule fois 85»,

relèvent-ils. Dans une conférence donnée devant la Medico-Legal Society de New York

82 Ibid . : 395-396; 402 . 83 Ibid. : 400 . 84 Ibid. : 398. 85 Ibid. : 401.

211

en mai 1893, Johnston explique que lorsque l'Assemblée législative a protesté contre les

verdicts de « mort par la visite de Dieu », ceux de « syncope du coeur» et « d'apoplexie

séreuse » sont devenus assez fréquents dans les cas où aucune autopsie n'a été

pratiquée86.

Deux autres constats de Johnston et Villeneuve peuvent s'appliquer à notre

corpus . D'une part, il est effectivement très rare que le verdict des jurés contredise les

conclusions du médecin qui a témoigné si , bien sûr, ce dernier a été en mesure

d'identifier une cause de décès87• Il peut arriver parfois que le témoignage du médecin ne

soit pas concluant quant à ce qui a provoqué la mort. En 1870, lorsqu'un bébé de 3 mois

est retrouvé mort dans le lit de ses parents , le docteur Beauchesne n'est pas en mesure de

confirmer une mort naturelle ou par asphyxie, bien que des marques le suggèrent,

puisque selon lui il a vu le petit trop longtemps après son décès88. En d'autres occasions ,

la formulation du verdict s'écarte un peu des observations faites par le médecin , dans la

mesure où elle rend compte d'une cause de décès qui ne figure pas dans la déposition de

celui-ci, mais qui semble concordante avec les autres témoignages . Par exemple, la

déclaration du médecin après l'examen externe qu'il a fait sur le corps de Charles C., 76

ans , porte seulement sur l'absence de lésion externe. Sans qu'aucun indice dans le dossier

ne permette de croire qu'une autopsie a été pratiquée, le verdict des jurés fait état d'un

décès causé par un oedème aigu des poumons avec asthénie cardiaque et syncope

86 Wyatt Johnston, « « Coroner's Quest » Law in the Province of Quebec », s.l.n .d . (circa 1893) : 2. 87 Rappelons toutefois que l'affaire Ludger S. , dont nous avons relaté les circonstances dans le chapitre précédent, constitue une exception. BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3, SS26 , SSS l , Ludger S., no 2, 21 avril 1891. 88 BAnQ-CMCDQ, TP9 , S3 , SS26, SSSl , Pierre B ., no 2, Il janvier 1870 . Contrairement au médecin qui a témoigné dans cette affaire, Johnston et Villeneuve constatent que les médecins ne sont pas assez enclins à se garder d'émettre une opinion lorsque les preuves médicales sont insuffisantes, notamment parce qu'une autopsie n'a pas été demandée. Wyatt Johnston et George Villeneuve , « Les verdicts de la cour du Coroner du district de Montréal , pour le premier semestre de 1893 , au point de vue médical » : 398; 402.

212

consécutive89. Pourtant, un seul témoin a fait mention que le défunt souffrait parfois de «

crises d'étouffement » ...

Néanmoins, de façon générale, on remarque que l'énoncé du verdict reprend

souvent exactement les mêmes mots que ceux utilisés par le médecin dans sa déposition,

et ce, durant toute la période étudiée. En cela, ce dernier semble avoir une influence non

négligeable sur les jurys, contrairement à ce qui a été observé dans les cours de justice

criminelle et dans les procès pour interdiction, procédure civile visant à retirer à un

individu sa capacité à gérer ses biens pour la confier à un tiers. D 'Astous-Masse

explique en effet que les preuves médicales ont un effet relatif sur l'issue des procès

criminels selon leur mise en valeur par les avocats dans leur plaidoyer et par les juges

dans leurs adresses aux jurys. Quant à la preuve scientifique, elle n'a pas, en général,

d'impact décisif sur les affaires 90 . De son côté, Thierry Nootens montre la faible

influence des médecins et des aliénistes sur les jugements d'interdiction; leurs

interventions se limitant le plus souvent à cautionner la demande de la famille du «

déviant »9 \. Cependant, il faut mentionner que les médecins entendus lors des enquêtes

du coroner fondent souvent leur témoignage sur les circonstances de décès telles qu'elles

ont été décrites par les témoins ordinaires, sans vraiment les mettre en doute. En regard

de cela et vu la proximité des médecins avec les habitants à cette époque, il est possible

de croire, comme le souligne Nootens, qu'en certaines occasions, ceux-ci n'ont fait que

donner un « cautionnement discursif » en appui aux circonstances relatées par les

89 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI, Charles C., no 145 ,8 octobre 1930. 90 Emmanuelle D'Astous-Masse, Les médecins comme auxiliaires de la justice criminelle à Québec, 1880-1920: 114-121 ; 156-157 . Selon l'auteure , les preuves médicales n'ont pas plus de poids que les autres types de preuves. Ce serait plutôt sur l'ensemble de la preuve que s'appuient les verdicts de culpabilité. 91 ThielTy Nootens, Fous, prodigues et ivrognes: 158-166; 202.

213

individus92. La forte médicalisation de l'étiquetage des causes de décès que laisse

présager la reprise quasi exacte des conclusions médicales dans les verdicts doit donc

être nuancée; le processus décisionnel étant davantage influencé par la conjugaison de

normes tant sociales que médicales.

D'autre part, nos sources confirment le peu d'autopsies et d'analyses pratiquées au

cours des enquêtes du coroner, fait décrié par Johnston et Villeneuve. Tel que nous

l'avons déjà mentionné plus haut, lors d'une enquête avec jury, le coroner ne peut, à

partir de 1880, ordonner un examen post mortem sans l'accord de la majorité des jurés

ou sans avoir fait une déclaration écrite pour justifier un tel examen. Or, les statuts de

1915 stipulent que lors d'un cas de recherches, où le coroner procède seul à une

investigation, ce dernier a le pouvoir de faire procéder à un examen interne ou externe

du cadavre à la condition de remplir la même déclaration écrite signifiant que l'examen

est nécessaire pour s'assurer que la mort résulte de violences, de négligence ou d'une

conduite coupable93. Parmi les 460 dossiers d'enquête dépouillés entre 1850 et 1950,

seulement onze autopsies, une analyse de sang et une analyse chimique 94 ont été

requises . Cela à l'occasion de onze enquêtes avec jury (deux en 1850; deux en 1891; une

en 1918; trois en 1930 et trois en 1950) et de deux cas de recherches de l'année 1950. La

majorité de ces expertises plus approfondies ont donc été commandées au XXe siècle , et

ce, pour des décès qui, dans la plupart des cas, sont survenus dans des circonstances

921bid. : 165. 93 Loi amendant la loi relative aux coroners dans la province de Québec, 5 Geo. V (1915), c. 55, art . 1, art . 3484a (modifiant l'article 3484 des statuts refondus de 1909, tel qu'édicté par 4 Geo . V (1914), c. 38) . 94 Il est à noter que le dossier d'enquête ne fournit aucun indice à savoir si cette analyse, recommandée par les jurés, a été réellement effectuée. BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI, Lucille D., no 139, 20 mai 1930.

214

étranges ou qui demeurent inconnues. Des autopsies ont été demandées entres autres

pour des hommes portés disparus puis retrouvés noyés, pour deux nouveau-nés

abandonnés, pour un bambin ayant absorbé un liniment pour les meubles tandis qu'une

prise de sang a été envoyée à Montréal pour être analysée dans le cas d'un homme

retrouvé inconscient dans son camion et qui est décédé quelques minutes plus tard. Ces

expertises ont permis de déterminer le caractère naturel ou accidentel de certains décès ,

comme dans le cas de Roland B., mort de purpura thrombocytopénique, mais qui , a

priori, avait l'air ivre et semblait décédé d'une fracture du crâne subie dans des

circonstances nébuleuses95. Dans cette affaire, les résultats de l'autopsie menée par un

médecin légiste de Montréal sont repris par le coroner dans son adresse au jury en leur

accordant beaucoup d'importance96. Ces analyses plus poussées ont lieu majoritairement

dans les villes de Trois-Rivières, Shawinigan et Montréal et ont été conduites par des

médecins, des chirurgiens et des médecins légistes.

Deux enquêtes, l'une menée en 1850 et l'autre en 1918 , révèlent que le médecin

appelé à témoigner a déclaré être incapable de déterminer avec exactitude la cause de

décès sans autopsie, avis qui ne semble pas avoir été pris en compte par le coroner et les

jurés97• À la fin du XIXe siècle, plusieurs critiques émanant notamment du milieu

médical visent l'institution du coroner. L'une d'entre elles concerne la règle voulant que

les demandes d'autopsies doivent provenir des jurés, à moins que le coroner n'en fasse la

95 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26, SSSI, Roland B., 31 juillet 1950. 96 Il est à noter que cette adresse au jury est la seule dont nous disposons dans notre corpus. De plus , il faut rappeler que lors de l'enquête tenue sur ce nouveau-né laissé sur une galerie à Trois-Rivières , le témoignage du médecin légiste de Montréal a mené à des accusations criminelles contre des personnes inconnues pour manque de soins élémentaires à la naissance. BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26 , SSSI , Enfant nouveau-né , no 2, 13 mars 1930. 97 BAnQ-CMCDQ, TL33, S26, SSI, Louis B. dit M. , no 22,25 juillet 1850; TL257, SI, SS26 , SSSI, Rosario M., no 13 , 18 décembre 1918 .

215

déclaration écrite , pouvoir dont il ne se prévaut pas très souvent98• Promulguée afin de

réduire le coût des enquêtes , cette disposition à caractère restrictif produit l'effet

contraire selon plusieurs en augmentant le nombre d'enquêtes avec jury inutiles puisque

tenues même pour des décès naturels et en obligeant les coroners et les jurés à rendre des

décisions fondées sur des données insuffisantes99. On plaide afin de permettre au coroner

de décider lui-même si un examen post mortem est nécessaire avant d'assigner un jury,

ce qui réduirait considérablement les dépenses liées aux enquêtes avec jury en diminuant

leur nombre et en les concentrant sur les décès qui laissent vraiment soupçonner un acte

criminel! 00.

Ce débat soulève au passage la question des qualifications requises pour être

nommé à titre de coroner; plusieurs penchent en faveur d'une formation en médecine

plutôt qu'en droit, et ce, depuis le milieu du XIX" siècle lO1• De fait, plus d'un met en

doute la capacité d'un coroner notaire ou avocat et la capacité des jurés , issus de la

population, au moment d'apprécier et d'interpréter avec justesse des marques de violence

sur le corps des victimes. À cet effet, Johnston soutient:

98 G. P. Girdwood et al.,« Report of the Special Committee Appointed by the Medico-Chirurgical Society of Montreal : 513 ; Wyatt Johnston ,« « Coroner's Quest » Law in the Province of Quebec », s.l.n.d. (circa 1893) : 2. 99 Wyatt Johnston et George Villeneuve , « Les verdicts de la cour du Coroner du district de Montréal , pour ' le premier semestre de 1893 , au point de vue médical », : 403; Wyatt Johnston , Return ta an Order of the Legislative Assembly of the 13,b December 1893 upon Coroners' lnquests : 5. Johnston soutient qu 'en 1893 , les morts naturelles forment 42 % de l'ensemble des enquêtes avec jury tenues dans le district de Montréal. (p. 29). 100 Wyatt Johnston , Return to an Order of the Legislative Assembly of the 13,/0 December 1893 upon Coroners' 1nquests : 10. G. P . Girdwood et al ., « Report of the Special Committee Appointed by the Medico-Chirurgical Society of Montreal » : 517 . 101 Jacques Bernier , La médecine au Québec: 101-102. En 1902, selon la liste des coroners publiée par Edmond Lortie , tous les coroners du Québec sont médecins à l'exception de celui de Montréal, qui est avocat, et un de ceux qui a juridiction sur le district de Saguenay, qui est négociant . Edmond Lortie , Le guide des coroners: 127-137 .

216

That a jury composed of any twe1 ve citizens, between the ages of 21 and 60 years old , should be more fitted th an the coroner to decide whether an autopsy is needed, seems remarkab1e. When a jury is assembled , they naturally regard it as their most solemn dut Y to get back to their business as soon as possible , and , as the delay invo1ved in holding an autopsy usually necessitates an adjournment, proof of the cause of death is seldom demanded .1 02

Cette critique entre en contradiction avec les hypothèses de Loar qui, rappelons-le,

soutient qu'aux XVI" et XVIIe siècles, les jurés possédaient un certain savoir médical du

fait de leur exposition plus fréquente à des cadavres et de la récurrence de certaines

causes de décès comme les noyades, les accidents de véhicules hippomobiles et les

bagarres. Ils seraient dès lors, selon elle, plus habiles à reconnaître les signes distinctifs

de plusieurs causes de décès. Partant, nous posons l'hypothèse que progressivement

extraite de la vie quotidienne pour être complètement médicalisée au XXe siècle, la mort

et ses multiples visages sont devenus effectivement moins familiers aux gens. Par

contre, tant au XVI" qu'au XIXe siècle, côtoyer la mort de près (décès à la maison, forte

mortalité infantile, etc .) et assez couramment ne signifie pas pour autant l'acquisition

d'un savoir médical r~ndant apte à interpréter des lésions externes et à identifier les

causes de décès .

Le débat qui a cours au Québec trouve son écho aux États-Unis où le milieu

médical s'élève, depuis le milieu du XIXc siècle, contre l'incompétence, le manque de

professionnalisme et la corruption des coroners issus des professions juridiques I03. Au

début du XXe siècle, des réfornllstes prônant l'utilisation de l'expertise médicale lors des

102 Wyatt Johnston , « « Coroner's Quest » Law in the Province of Quebec », s.l.n.d. (circa 1893) : 3. L'auteur formule la même critique dans le rapport destiné au Procureur général sur les enquêtes du coroner. Wyatt Johnston, Return ta an Order of the Legislative Assembly of the J3lh December 1893 upon Coroners' Inquests : 30. 103 Jeffrey M. Jentzen, Death Investigation in America: 18-29 .

217

enquêtes concernant les morts suspectes plaident en faveur de l'abolition de l'institution

du coroner et de l'instauration d'un medical examiners system 1 04 • La prise en charge et

l'investigation des décès soudains seraient laissées entre les mains des médecins , à qui il

serait permis de pratiquer des autopsies en plus de détenir des pouvoirs légaux et

administratifs I05• Johnston, dans un rapport qu'il remet au procureur général en 1893 ,

soutient l'implantation d'un tel système au Québec , suivant l'exemple du Connecticut où

les médecins sont chargés de déterminer si la mort résulte de violence tandis que les

coroners décident si celle-ci est criminelle ou non et si une enquête avec jury est

nécessaire 1 06 .

Dans 199 affaires traitées en 1918, 1930 et 1950, le coroner a procédé seul (sans

jury) à une investigation puisque, selon lui, la cause et les circonstances de la mort ne

laissaient présager aucune violence ou acte de négligence. Un médecin a été appelé à

témoigner dans 88 de ces 199 cas de recherches (44,2 %) , répartis de façon quasi égale

entre 1918 (30 cas), 1930 (27 cas) et 1950 (31 cas). Si on en juge d'après le détail des

dépenses indiqué sur les rapports de recherches, le médecin a procédé à un examen

externe du cadavre dans un peu plus de la moitié des cas l07. La loi prévoit en effet qu'un

montant de 5,00$ doit lui être alloué pour ce type d'examen, montant qui apparaît assez

104 Ibid. : 2; 30 . 105 Ibid. : 4. 106 Wyatt Johnston, Return to an Order of the Legislative Assembly of the 13'1> December 1893 upon Coroners' Inquests : 10. 107 Dans son guide destiné aux coroners publié en 1907 , Edmond McMahon, coroner du district de Montréal, suggère de faire appel à un médecin pour examiner le corps , surtout si cela peut éviter les coûts inutiles liés à l'assignation d'un jury lorsqu'il s'agit d'une mort naturelle. Cette recommandation semble être plus ou moins suivie vu le fait qu'un médecin ne procède à un examen externe que dans la moitié des 44 % de cas de recherches où un médecin témoigne. Cependant , il faut tenir compte que la plupart des coroners sont eux-mêmes médecins et que les sources ne mentionnent pas toujours qui sont les témoins lors d'un cas de recherches . Edmond McMahon, A Practical Guide to the Coroner and his Duties atlnquests : 93 .

218

fréquemment dans nos sources 108. Cependant, comme lors de certaines enquêtes avec

jury, il arrive que le médecin n'agisse qu'à titre de simple témoin, ayant constaté la mort

du défunt après avoir été appelé par la famille. Dans ce cas, il témoigne sur les raisons

invoquées par les proches lorsqu'ils l'ont contacté, sur les soins prodigués à son arrivée

sur place et sur l'état de santé général de la victime s'il la traitait depuis longtemps .

Lorsque des personnes sont amenées d'urgence à l'hôpital, les médecins font part au

coroner de leurs premières constatations , des examens faits et des médicaments

administrés et de ce qu'ils connaissent des circonstances pouvant expliquer leur état.

Même s'ils sont impliqués, de façon indirecte, par les soins donnés au défunt dans les

moments qui ont précédé sa mort, certains sont malgré cela appelés à faire l'examen

externe du cadavre. À cet égard, le cas de Marie-Lucille R., 37 ans, est assez intéressant.

En juin 1950, un médecin est appelé pour aider la défunte à accoucher. Voyant qu'elle

éprouvait de vives douleurs et que l'accouchement était très avancé, il lui a administré un

anesthésique, en l'occurrence du chloroforme, après lui avoir donné de la pituitrine,

médicament utilisé pour faciliter l'accouchement. Selon ses dires, la défunte, qui

souffrait « d'albuminine » , est devenue subitement bleue et a cessé de respirer. Bien qu'il

soit impliqué directement dans les moments qui ont précédé la mort de la défunte, il

semble qu'il ait lui-même procédé, accompagné du coroner, à l'examen externe qui a

montré que les jambes de la femme étaient enflées et très variqueuses. Le verdict énoncé

a été « ... fibrillation auriculaire, après anesthésie au chloroforme (néphrite

J08 Ce montant est maintenu dans toutes les éditions des statuts refondus de la province de Québec entre 1888 et 1964. SRPQ, 1888, art. 2692; SRPQ, 1964, c. 29, art. 58 . 109 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI, SS26 , SSSI , Marie-Lucille R., 24 juin 1950.

219

En somme, certains spécialistes, à l'époque, sont en faveur d'un pouvoir accru et

d'une participation plus importante des médecins au sein de l'institution du coroner étant

donné leur expertise directement en lien avec ses attributions. Malgré la progression

soutenue de la médicalisation de la société au XX" siècle avec l'institutionnalisation et la

démocratisation des soins de santé grâce au développement des hôpitaux et au régime

d'assurance publique , reste qu'encore aujourd'hui, la fonction de coroner peut être

octroyée à un homme de loi (notaire ou avocat) ou à un médecin llo. Nos sources

fournissent toutefois quelques indices de la prépondérance de la prise en charge de la \

mort par le profession médicale au XXe siècle : les gens décèdent plus souvent à

l'hôpital , des morgues sont mises à la disposition du coroner, entre autres.

Ainsi , au sem du processus d'une enquête du coroner, les médecins jouent

plusieurs rôles . Rappelons que ce sont eux qui , la plupart du temps, avertissent le

coroner d'une mort soudaine . Qui plus est, ils le sollicitent parfois pour enquêter sur

certains cas qui, à leurs yeux , semblent suspects , notamment lorsqu'il s'agit du décès

d'un enfant. Appelés à témoigner à titre de témoin ordinaire parce qu'ayant constaté la

mort du défunt ou à titre de « consultant » en procédant à un examen externe, les

conclusions du médecin sont rarement contestées par le verdict rendu , au contraire . Nous

pourrions ainsi conclure que le médecin exerce une influence appréciable sur l'issue des

enquêtes , mais cette assertion doit être nuancée par le fait que les conclusions médicales

se basent essentiellement sur les dépositions des autres témoins et sur des « preuves »

plus ou moins suffisantes et convaincantes. De surcroît , les autopsies pratiquées sur des

110 Règlement sur les critères et procédures de sélection des personnes aptes à être nommées coroners, Loi sur la recherche des causes et des circonstances de décès, c . R-0.2, r. 2, art. 163 (2013) .

220

cadavres s'avèrent peu nombreuses au cours de la période considérée. Le fait d'y recourir

ou non, du moins jusqu'en 1915, était généralement laissé entre les mains des jurés, et

ce, pour des décès survenus dans des circonstances douteuses ou inconnues seulement.

Ainsi, l'analyse de la présence des médecins et de leurs interventions au sein des

enquêtes du coroner met au jour les tensions qui existent entre un système législatif qui

accorde beaucoup de place et de pouvoir aux non-spécialistes et la montée d'experts qui

revendiquent une participation plus importante justifiée par leur formation et leurs

compétences. Comme Guy Rocher l'a démontré pour le milieu hospitalier, les archives

du coroner exposent la coexistence et la dualité entre savoirs profanes et savoirs savants,

issus de référents complètement différents, mais appelés à collaborerll1. Le coroner, par

sa position, sa juridiction et son assujettissement aux restrictions législatives, semble se

situer entre les deux systèmes normatifs. Il se trouve donc à la confluence de trois

systèmes de normes: le savoir médical, le savoir profane et les normes juridiques.

43.2. Les autres acteurs en position de pouvoir

Constables, officiers de circulation et agents de la police municipale et provinciale

Si les médecins participent aux enquêtes du coroner de tout temps, de nouveaux

acteurs font leur apparition vers la fin du XIXe et le début du XXe siècles. C'est

notamment le cas des officiers de la circulation et des agents de police. À Trois-Rivières,

ce n'est qu'en 1877 qu'une force de police régulière est créée, composée alors de six

hommes l12• À Shawinigan, en 1917, entre deux et quatre agents seulement forment le

III Guy Rocher, « Les «phénomènes d'internormativité » » : 30. 11 2 Pierre-Marie Huet, Ordre social et police à Trois-Rivières, 1850-1900: 56; René Hardy et Normand Séguin, Histoire de la Mauricie : 408 .

221

service de police. En 1948, leur nombre passe à 31 113. Parmi les 460 dossiers d'enquête

dépouillés , 57 font mention de l'intervention de la police ou d'un agent de la circulation.

Beaucoup plus présente dans les dossiers du XXe siècle (43 des 57 dossiers sont datés de

1950) , la police intervient surtout lors d'accidents de la route , mais aussi dans quelques

cas de noyade , de suicide , etc .

En plus du médecin , les agents de police ainsi que les officiers de la circulation

sont, dans plusieurs affaires, les premiers intervenants à arriver sur les lieux d'un décès.

On constate en effet que la population tend à prévenir d'abord la police lorsqu'un

accident survient ou lorsque des citoyens s'absentent ou dérogent à leurs habitudes . Par

exemple, ayant remarqué qu'un restaurant demeurait fermé et que son propriétaire n'avait

pas été vu depuis quelques jours , les voisins , qui avaient des doutes, ont appelé la police.

Nicolas Jean D. , 76 ans , a été retrouvé mort à l'arrière de son commerce 1 14. Arrivés sur

les lieux, les agents de police prêtent parfois assistance aux victimes , notamment en

pratiquant la respiration artificielle , en attendant l'arrivée d'un médecin. Ainsi , dans

plusieurs cas , si ce n'est le médecin, la police ou les agents de circulation vont avertir le

coroner lorsqu'un décès requiert son attention. Vu ce recours plus systématique du

public aux forces de l'ordre et étant donné l'accroissement tangible d~s ramifications du

système de justice au sein même de la société civile et la professionnalisation de ses

officiers, nous posons l'hypothèse que les policiers ont pu contribuer à régulariser les

interventions du coroner en cas de décès soudain ou suspect.

113 René Hardy et Normand Séguin , Histoire de la Mauricie : 623 . 114 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI , SS26, SSSI , Nicolas Jean D., 22 février 1950 .

222

Lors d'enquêtes avec jury, il arrive qu'un policier ou un agent de la circulation

soit appelé à témoigner. Certains agissent à titre de témoin ordinaire, en rapportant ce

qu'ils ont vu ou entendu et ce qu'ils savent des événements antérieurs au décès, mais

généralement , leur déposition porte sur leurs premières constatations une fois arrivés sur

les lieux (position et état des véhicules, traces sur le sol, autres témoins, etc.) et sur la

nature de leurs interventions. Les agents de la circulation doivent entre autres prendre

diverses mesures afin de décrire avec précision le lieu du décès et de reconstituer la

trame des événements. Il leur arrive parfois d'interpréter ces mesures de même que les

traces laissées sur la route ou les bris constatés sur les véhicules. Lors de son témoignage

au cours d'une enquête menée sur le décès de la petite Josette T., frappée de plein fouet

par un automobiliste qui ne pouvait la voir parce qu'un autobus passait au même moment

en sens inverse, l'officier de circulation déclare que les traces et les marques laissées sur

le véhicule indiquent que le conducteur a tenté d'éviter l'enfant1l5. De plus, dans quelques

cas d'accidents de la route survenus en 1950, un agent de la Sûreté provinciale assiste

aux interrogatoires en plus de poser des questions aux témoins. Dans une autre affaire ,

c'est lui qui dirige carrément les interrogatoires , le coroner se limitant à quelques

questions seulement.

Au milieu du XX' siècle, des rapports de recherches indiquent que certaines

enquêtes sont menées conjointement par la police et par le coroner. Ce dernier

investigue de son côté, mais il tient compte également des informations recueillies par

les policiers. Un rapport de police étant joint à certains dossiers, il semble que le coroner

fonde parfois ses verdicts sur les circonstances établies par la Sûreté provinciale, qui

115 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSSI , Josette T., 16 mai 1950.

223

s'est chargée d'interroger les témoins et qui l'a ensuite prévenu. Il est difficile de savoir si

ceux-ci ont été contre-interrogés par le coroner ou si ce dernier s'est seulement fié au

rapport de police. Par contre, en d'autres occasions, certains comptes rendus de

recherches du coroner font directement référence au rapport de police quant aux

circonstances de décès.

Les procureurs et les avocats

À l'instar des agents de police et des officiers de la circulation, des avocats sont

également présents dans certains dossiers en 1950. Ils interviennent dans une dizaine

d'enquêtes avec jury qui toutes sauf une concernent un accident de la route. Dans le

cadre des enquêtes , les parties intéressées peuvent être représentées par des avocats qui ,

avec l'accord du coroner, ont la possibilité de poser des questions aux témoins. Ainsi que

nous l'avons observé dans quelques enquêtes au cours desquelles des témoins ont été

questionnés par des agents de police, il arrive que ce soit eux qui dirigent en majeure

partie les interrogatoires . Dans d'autres dossiers , ils agissent en aval de l'enquête du

coroner afin que leur soit envoyée une copie de l'ensemble du dossier, comprenant les

dépositions. Des lettres adressées au greffier de la Paix du district, chargé d'assurer la

conservation et la gestion des archives du coroner, et jointes aux dossiers d'enquête en

témoignent. Cependant , elles demeurent muettes quant à savoir par qui ces avocats ont

été mandatés. De même, selon la loi, un substitut nommé par le procureur général pour

le représenter peut aussi assister aux enquêtes et interroger les témoins 1 16. Quelques

procureurs de la Couronne sont effectivement présents et interviennent dans quelques­

uns des dossiers. Les autres avocats participants représentent généralement le conducteur

116 SRPQ, 1964, c . 29 , art . 34 et 36 .

224

en cause dans l'accident et la famille du défunt. Tel que mentionné plus haut, cette

assistance offerte par les avocats durant les enquêtes du coroner laisse croire qu'ils

viennent peut-être étayer leur dossier pour de futures poursuites en dommages. Cette

question mériterait néanmoins de plus amples recherches, notamment dans les rapports

de jurisprudence, pour déterminer si les propos recueillis lors d'une enquête du coroner

peuvent servir de preuves lors d'un procès au civil.

Tout comme les policiers, les avocats qui assistent aux interrogatoires posent des

questions aux témoins, questions qui peuvent à l'occasion être suggestives, comme si

l'on tentait de faire dire certaines choses aux témoins. Parfois, celles-ci sont marquées

par des insinuations et sont ponctuées de commentaires ironiques. Plusieurs dépositions

prises par un sténographe sous forme de questions/réponses montrent bien cette

dynamique. Il appert dans certains cas que même s'ils n'en sont pas rendus au stade d'un

procès, les représentants des parties « adverses» (famille du défunt et conducteur en

cause) tentent de discréditer certains témoins ou de jeter le blâme sur quelqu'un. Par

leurs questions, orientées en faveur de leurs clients, ils essaient du même coup de réduire

la part de responsabilité que ces derniers pourraient avoir dans l'affaire. Certains se

montrent plutôt insistants en posant les mêmes questions à maintes reprises ou en les

reformulant de multiples façons. Peut-être tente-t-on d'influencer le coroner et de semer

le doute dans l'esprit des jurys? Lors de l'enquête au sujet de la mort de Normand V., ce

jeune homme qui en voulant effectuer un dépassement au volant de sa motocyclette est

demeuré coincé entre deux voitures qui se croisaient au même moment, l'avocat de la

225

famille du défunt questionne l'un des deux conducteurs au sujet du moment précis où

l'impact s'est produit:

Q. Vous n'avez pas vu la motocyclette, mais il s'est produit quelque chose. Vous avez dit que vous avez arrêté tout de suite. Ça ne me paraît pas complètement exact, je vous le dis bien franchement. Je ne veux pas douter de votre bonne foi , mais vous n'avez pas vu la motocyclette, par conséquent ça ne pouvait pas être la motocyclette qui était sur votre hood?

R. La motocyclette a été revoler [sic] en arrière d'après ce que j'ai pu constater.

Q. Ce n'est pas la motocyclette qui a brisé votre hood, n'est-ce pas? Ce n'est tout de même pas une épingle! Si votre hood n'a pas été brisé par la motocyclette, c'était peut-être bien le jeune V. qui était dessus? Vous avez vu le corps?

R. Je n'ai pas vu ça sur le moment.1I7

La présence de ces hommes de loi dans les dossiers d'accidents de la route du

milieu du XXe siècle pallie, à notre avis, le manque de mécanismes étatiques de prise en

charge de ce type de risques. Tandis que les accidentés du travail bénéficient d'un fonds

d'indemnisation institué par la seconde Loi des accidents du travail de 1931 et géré par

la Commission des accidents de travail créée trois ans plus tôt , aucun dispositif

institutionnel n'est encore en place, en 1950, pour les victimes de la route . Du coup, les

familles des victimes , par exemple, n'ont d'autres choix que de s'adresser aux tribunaux

pour obtenir réparation pour la perte d'un proche, d'où leur recours aux services d'un

avocat. Ce n'est qu'en 1978, avec la création de la Régie de l'assurance automobile du

Québec et l'adoption du principe de responsabilité collective sans égard à la faute, que

seront indemnisées les victimes et leurs familles en cas de dommages corporels ou de

11 7 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Nonnand V., 16 décembre 1950. 11 8 Jean-Louis Baudoin, « La nouvelle législation québécoise sur les accidents de la circulation » , Revue internationale de droit comparé, vol. 31 , no 2 (1979) : 385.

226

Le procureur général

La loi permet au procureur général, duquel les coroners relèvent, d'intervenir

dans plusieurs aspects de la conduite de leurs enquêtes. Sans énumérer l'ensemble de ses

attributions, mentionnons tout de même qu'il peut en tout temps, au milieu du XXe

siècle, mandater un coroner pour procéder à des recherches sur les circonstances de la

mort d'un individu ou le charger de tenir une enquête formelle 1 19 . S'il le juge approprié, il

peut également exiger la réouverture d'une enquête ou la tenue d'une nouvelle

investigation 120. Tel qu'évoqué plus haut, le procureur général peut aussi mandater un

substitut afin de le représenter lors d'une enquête. À ce titre, quatre dossiers d'accidents

routiers en 1950 font mention d'un procureur de la Couronne qui assiste à l'e~quête et

qui intervient lors des interrogatoires des témoins.

En outre, lorsque nous avons discuté de l'intervention des proches des défunts au

cours de certaines enquêtes, nous avons évoqué une affaire en 1950 durant laquelle le

Département du procureur général a dû défendre le verdict énoncé par les jurés lorsque

des questions ont été soulevées par le frère de la victime. Un autre dossier, ouvert la

même année, montre que son représentant a exigé que les dépositions soient prises en

sténographie l21. Transmises par la suite à Québec, celles-ci ne se retrouvent donc pas

dans le dossier d'enquête conservé à Trois-Rivières . Enfin, en 1930, quelques jours après

que le coroner ait bouclé son enquête par un verdict « d'asphyxie par submersion

accidentelle» concernant un homme disparu en décembre 1929 puis retrouvé dans les

eaux du fleuve en juillet 1930, le coroner Vanasse reçoit une lettre de l'assistant-

119 SRPQ, 1964, c. 29 , art. 16 et 25. 120 SRPQ, 1964, c . 29 , art . 45. 121 SRPQ, 1964, c. 29, art. 37 .

227

procureur général l'avisant qu'une autopsie a été requise 122• Pour ce faire, il doit procéder

à l'exhumation du cadavre qui sera autopsié au Laboratoire de médecine légale et de

police technique de Montréal. Malgré l'état avancé de putréfaction du corps qui a effacé

les traces de noyade, traces habituellement visibles lors d'un examen des poumons et de

l'estomac, le médecin légiste conclut à un décès par submersion vu l'absence de lésions

et d'affections organiques 123. Les circonstances nébuleuses de décès sont probablement à

l'origine de la requête du procureur général, d'autant plus que le défunt était un membre

de l'élite de sa communauté, maire d'une petite municipalité.

Somme toute, à la lumière des documents consultés, le procureur général

intervient très rarement dans les enquêtes du coroner. Le coroner dispose donc d'une

assez grande autonomie dans l'exécution de ses tâches. Lorsque le procureur général est

impliqué, c'est majoritairement dans des cas d'accidents de la route (cinq sur sept

dossiers) qui se sont produits en 1950. Cependant, la loi oblige le coroner à rendre

compte au procureur général de toutes les investigations qu'il mène , à justifier les

mesures prises pour faire la lumière sur un décès (enquête formelle, examen interne,

etc.) et à obtenir son aval pour bon nombre d'aspects liés à la conduite d'une enquête :

analyse chimique, exhumation d'un cadavre, etc. À ce titre, des recherches dans le fonds

du ministère de la Justice (E17) du Centre d'archives de Québec de BAnQ permettraient

peut-être de retrouver la correspondance entre ' le procureur général et les coroners du

122 Confonnément aux dispositions de l'article 51 de la J,.oi des coroners, le procureur général peut demander au coroner de procéder à une exhumation s'il juge qu'un examen interne ou externe du cadavre sur lequel une enquête a été tenue doit être réalisé . Une analyse chimique peut également être ordonnée. SRPQ,1941 ,c.22,art.51. 123 BAnQ-CMCDQ, TL257, SI, SS26 , SSS l , Octave L., 11 juillet 1930.

228

district de Trois-Rivières. Du coup, la fréquence et la nature de ses interventions

pourraient être étudiées de façon plus approfondie et analysées à leur juste mesure.

Le curé

« Ma femme s'est levée ce matin en assez bonne santé lorsque tout-à-coup [sic]

elle eut une faiblesse. Je courus chercher le curé et à mon arrivée elle était morte 124». À

l'époque, lorsque la mort frappe, la présence du curé est requise afin d'assurer au

mourant le salut et le repos de son âme. Le prêtre fait alors partie intégrante du rituel

funéraire en permettant de confesser ses péchés avant de trépasser 125• Dans cette optique ,

comme nous l'avons déjà mentionné, la mort subite représente un réel danger pour les

catholiques. Le discours religieux est à la fois orienté sur le risque de damnation

éternelle en cas de péchés non confessés avant la mort et sur l'importance de mener

chaque jour une vie de bon chrétien, ce qui donne l'assurance d'être sanctifié en cas de

décès soudain l26.

Les dépositions des témoins signalent qu'un prêtre a été demandé ou est

intervenu dans un peu plus d'une quarantaine de dossiers du coroner; la plupart datant du

xxe siècle. Lorsqu'un est individu est sur le point de mourir, ses proches envoient

quelqu'un chercher le curé de la paroisse ou, comme dans l'exemple cité plus haut, vont

eux-mêmes demander son assistance. La présence de l'homme d'Église à l'heure de la

mort est nécessaire à l'administration des derniers sacrements, notamment celui de

124 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Édouardina J ., no 87,8 février 1918. 125 Serge Gagnon , Mourir hier et aujourd'hui: 174. 126 Catherine Vallières , « « Apprendre à bien mourir » » : 38.

229

l'extrême-onction, pour apaiser et préparer l'âme au salut étemel127• Parfois, le curé est le

premier à être informé qu'une personne se trouve dans un état critique ou qu'elle est

décédée. Les témoignages montrent qu'il est également appelé par des témoins lors de la

découverte d'un cadavre ou lorsqu'un accident s'est produit. Lorsque le corps d'un

inconnu est retrouvé en novembre 1870 sur les rives du fleuve Saint-Laurent à Saint-

Pierre-les-Becquets, le curé de la paroisse ainsi que d'autres individus examinent le

cadavre, notamment pour trouver des papiers d'identité 128. Habituellement, il se rend

directement chez le mourant, mais quelquefois, il est conduit sur les lieux des accidents,

que ce soit dans une manufacture ou sur un rang, et ce, à toute heure du jour ou de la

nuit. Généralement, un médecin est contacté en même temps. Souvent, ils constatent le

décès ensemble. Cependant, il arrive que seul le curé soit averti ou que le mourant lui-

même ne veuille que la présence d'un prêtre, refusant qu'un médecin soit demandé. Si le

plus souvent ce sont les membres de la famille du défunt qui requièrent la venue du curé,

des médecins et des officiers de la circulation ont, à quelques occasions, demandé sa

présence auprès d'un mourant, notamment sur les lieux d'un accident de la route.

Même s'ils sont les témoins de plusieurs décès, les hommes de Dieu témoignent

rarement de manière formelle dans une enquête du coroner. Outre le réconfort spirituel

qu'ils apportent aux mourants, ils agissent aussi parfois en tant qu'intermédiaires ,

notamment en prévenant les membres de la famille du défunt. D'autres interventions de

leur part sont plus particulières: lorsque des témoins constatent que le petit Armand V.

127 À cet égard, Catherine Vallières évoque néanmoins les remontrances de l'Église tout au long du XXe

siècle envers les chrétiens qui, par peur de précipiter le trépas ou d'affoler le malade, retardent la venue du curé et, du coup, l'administration des derniers sacrements. Ibid. : 45-46 . 128 BAnQ-CMCDQ, TP9, S3 , SS26, SSSl, Inconnu, no 22,10 novembre 1870.

230

est suspendu à des fils électriques appartenant à la North Shore Power, ils demandent au

curé de contacter la compagnie afin qu 'elle coupe le courant l29• Dans un cas , c'est en se

basant sur les informations transmises par un prêtre que le coroner justifie la tenue d'une

enquête avec jury. Dans un autre, soit en 1918 lors de l'épidémie de la grippe espagnole,

le curé de Saint-Sévère refuse l'enterrement d'un bambin « sans certificat » . Le médecin

consulté a averti le coroner et ils ont pu constater ensemble la cause du décès : grippe et

manque de soins (sans responsabilité criminelle cependant) 130 . Serge Gagnon souligne

toutefois la lutte qui s'engage au XIXe siècle entre le curé et le médecin pour occuper la

place auprès des mourants. Hommes d'Église et hommes de science se disputent le rôle

de combattre la mort ou du moins de voir à celle-ci . Or, comme nos sources tendent à le

démontrer, Gagnon soutient que « le déplacement capital de l'objet de la foi , cet

investissement de croyance arraché au prêtre, transféré au thérapeute, est l'un des

changements culturels fondamentaux du XXe siècle 131».

CONCLUSION

En somme, les activités du coroner montrent une cohabitation entre plusieurs

systèmes normatifs qui s'influencent mutuellement, à bonne distance d'un pouvoir

dominant et unilatéral des normes juridiques sur l'ensemble des aspects de la vie en

société et de l'administration de la justice . Parfois complémentaires , parallèles ou

totalement opposées , les normes juridiques, sociales, scientifiques et même religieuses et

morales à l'oeuvre dans le processus d'une enquête du coroner s'inscrivent dans une

dynamique d'interaction, de pouvoir et de négociation. La reconstitution du fil des

129 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26 , SSSI , Annand V., no 3, 5 avril 1930 . 130 BAnQ-CMCDQ, TL257 , SI , SS26, SSS 1, François G., no 10 , 2 décembre 1918 . 131 Serge Gagnon , Mourir hier et aujàurd'hui : 176.

231

événements qui mènent à une intervention du coroner montre que des normes sociales

viennent se greffer aux normes juridiques qui orientent son champ d'action. Celles-ci

définissent en effet ce qu'est une mort « normale », et ce, même en temps d'épidémie.

Lorsqu'un décès contrevient à cette « bonne façon de trépasser », des soupçons pèsent

alors notamment sur la famille, surtout quand il s'agit d'un enfant en bas âge qui meurt

dans une résidence privée et qui n'a pas été vu pas un médecin ou un prêtre. Alors, le

coroner est averti afin qu'il procède à une investigation.

L'étude de la présence et des interventions des acteurs sociaux ordinaires,

rouages essentiels du fonctionnement des enquêtes du coroner, révèle plusieurs.

phénomènes. Appelés à servir en tant que témoins, plusieurs rendent un témoignage

indirect, c'est-à-dire sans avoir eu connaissance des circonstances immédiates du décès.

Certains verdicts reposent donc sur une preuve indirecte. L'examen de la composition

des jurys montre par ailleurs des écarts entre les normes procédurales et la réalité des

pratiques. Qui plus est, on dénote un surinvestissement de certains acteurs sociaux

ordinaires. La corrélation des patronymes des divers acteurs (défunt(s), témoin(s), jurés)

d'une même enquête suggère que des liens familiaux unissent plusieurs d'entre eux et

que certains portent plusieurs chapeaux, à savoir ceux de témoin et de juré. Si on

observe une diminution marquée de la récurrence de ces phénomènes, on note au

contraire une augmentation du nombre de jurés qui participent à plus d'une enquête

portant sur des événements distincts. Ainsi, d'un jury issu du cercle de sociabilité du

défunt ou des témoins, on passe à un corps des jurés qui serait davantage lié au coroner,

lui qui, au XXC siècle, limite ses investigations à un territoire plus restreint au sein du

232

district. Enfin, quelques interventions des proches des défunts montrent que des critiques

sont parfois dirigées contre la conduite des enquêtes et témoignent de leur volonté de

faire la lumière sur les circonstances qui ont coûté la vie à un membre de leur famille.

Somme toute, la participation des acteurs sociaux ordinaires rappelle que le droit opère

et s'insère dans une réalité structurelle définie par des normes et des circonstances

sociales auxquelles il est forcé parfois de s'adapter. À ce titre, la neutralité des verdicts

rendus demeure un idéal.

Parmi les acteurs en position de pouvoir qui interviennent dans le trav~il du

. coroner, le médecin est certes le plus présent. L'analyse de la nature, des circonstances et

des effets de ses interventions suggère que même s'il a, à première vue, une forte

influence sur les verdicts rendus, le processus décisionnel est davantage issu de la

conjugaison de normes sociales et médicales. Le débat qui a cours ainsi que les critiques

qui émanent du milieu médical envers l'institution du coroner permettent d'aborder les

rapports entre médecine et droit de même que la dualité entre savoirs profanes et savoirs

scientifiques. Des médecins s'insurgent notamment contre le pouvoir décisionnel des

jurés sur les autopsies (qu'ils jugent à propos ou non de pratiquer) et s'interrogent sur

leurs compétences (et celles d'un coroner avocat ou notaire) à apprécier et interpréter des

marques de violence. De surcroît, au XXe siècle, de nouveaux acteurs font leur

apparition dans les dossiers d'enquête. Les agents de la police municipale et provinciale

ainsi que les officiers de la circulation sont plus présents sur le territoire et interviennent

plus souvent sur les lieux d'un décès, majoritairement lors d'accidents de la route. Le

coroner fonde parfois ses verdicts, en tout ou en partie, sur les circonstances établies par

233

la police. Comme les agents provinciaux, des professionnels du droit , qui représentent le

plus souvent le procureur général, la famille du défunt ou le conducteur en cause ,

participent aux interrogatoires des témoins . Vu l'absence de mécanismes institutionnels

de gestion et de compensation de ce type de risque à cette époque , leur présence en cas

d'accidents de la route suggère une tentative de la part des parties intéressées

d'influencer le jury afin qu'il jette le blâme sur quelqu'un ou qu'il mette hors de cause

leur client ou le défunt. Rappelons finalement que le procureur général conserve la

mainmise sur l'institution du coroner puisque théoriquement il est en mesure d'intervenir

dans les procédés conduits par celui-ci. Mais la chose est rare.

Plusieurs phénomènes d'internormativité sont à l'oeuvre au sein de l'institution du

coroner. Ce dernier se trouve donc au centre de la cohabitation de plusieurs systèmes

normatifs qui tantôt coopèrent, tantôt luttent pour exercer leur pouvoir. Nous avons vu

qu'il doit parfois commettre une entorse aux préceptes juridiques qui règlent son travail

pour s'adapter à certaines contraintes. En effet , il se trouve parfois confronté à des

réalités sociales qui empêchent la mise en oeuvre parfaite des règles de droit qui régulent

ses activités. C'est là un exemple de malléabilité du droit. Subordonné , jusqu'à un certain

point , au pouvoir étendu des jurés, forcé d'admettre les interventions de nouveaux

acteurs au XXe siècle et soumis aux critiques de la communauté médicale qui va jusqu'à

proposer l'abolition de son poste, le coroner se situe donc dans un état constant de

négociation entre les intérêts d'acteurs dont les référents culturels et normatifs ne sont

pas les mêmes . Son autorité et la légitimité de son travail auprès de la population et des

différentes instances gouvernementales dépendent en partie , à notre avis , de cette

234

aptitude à concilier les préoccupations de tout un chacun. C'est de cette manière,

probablement, qu'il exerce ses prérogatives sans trop être remis en question, du moins

dans sa communauté. En cela, nos résultats rejoignent ceux de Hurren qui expose, tout

au long de son étude, la nécessité pour les coroners d'obtenir tout autant le support de la

population que celui des médecins et des autorités 10cales132•

Au centre des rapports de force entre droit et société, le coroner doit composer

avec les intérêts d'un système strict qui régit son travail et avec les rapports qu'il

entretient avec les habitants d'une communauté, dont il est lui-même généralement issu,

du fait de sa proximité avec eux, notamment à titre de médecin. C'est ce qui fait de lui un

véritable médiateur et un intermédiaire entre l'État et la population. Appelé à intervenir

dans ces moments de rupture que la mort soudaine ou suspecte crée dans la vie

quotidienne des gens ordinaires, le personnage du coroner constitue en cela une des «

portes d'entrée » 133 du système judiciaire.

132 Elizabeth T . Hurren , « Remaking the Medico-Legal Scene » : 251. J33 Nous reprenons ici l'expression d'Evelyn Kolish . Evelyn Kolish, Guide des archives judiciaires : 46.

CONCLUSION

Ce mémoire avait pour objet les enquêtes du coroner menées dans le district

judiciaire de Trois-Rivières entre 1850 et 1950. Notre problématique de recherche visait

principalement à identifier, sur le temps long , les risques bien réels encourus par la

population mauricienne d'autrefois et à caractériser le rôle du coroner au sein d'un

appareil de justice qui évolue de manière importante . Nous avons combiné une approche

empirique et une interrogation des rapports entre droit et société. En cela, notre

démarche s'éloigne d'une approche historique purement utilitariste qui recourt au droit

seulement en toile de fond lors de l'étude de phénomènes sociaux particuliers' .

Réalisée à partir de sources comportant, comme nous l'avons vu , plusieurs biais,

nous avons d'abord voulu mettre en lumière les divers types de risques et leur évolution

en analysant les causes et les circonstances de décès révélées par les enquêtes du

coroner, ce personnage qui était chargé d'enquêter en cas de mort subite ou violente. Une

analyse tenant compte des transformations socioéconomiques connues à l'époque

considérée et des multiples facettes de la vie quotidienne des gens d'autrefois a été faite

de manière à contextualiser les risques auxquels la population était confrontée . En outre ,

l'examen , à la fois quantitatif et qualitatif, des dossiers d'enquête nous a permis de

1 Donald Fyson ,« Les historiens 'du Québec face au droit » : 304 ,

236

relever certains facteurs de risque, facteurs qui peuvent être intrinsèques ou extrinsèques

aux individus et qui augmentent la vulnérabilité de certains groupes sociaux.

Ensuite, vu la particularité des responsabilités octroyées au coroner, qUI

l'amènent à collaborer étroitement avec les justiciables dans des moments qui bousculent

profondément l'ordre des choses, nous avons voulu mettre au jour les modalités de sa

pratique dans une perspective qui appréhende le droit et sa mise en oeuvre au « ras du

sol ». Nous avons mis à contribution le concept d'intemormativités pour entrevoir les

rapports de force qui marquent les interactions réunissant deux systèmes de normes: le

système formel du droit positif, duquel le coroner relève pour l'essentiel, et les normes

sociales dont il doit tenir compte, considérant la participation des acteurs sociaux

ordinaires à ses procédés.

Étudiées à partir des verdicts rendus par le coroner et les jurés, les causes de

décès montrent que les accidents et la maladie sont les plus susceptibles de provoquer

une mort subite. Plus particulièrement, ce sont les noyades et les collisions/dérapages

impliquant un véhicule-moteur qui ont fait le plus de victimes parmi les décès

accidentels. Cependant, la proportion des noyades est marquée par une diminution

importante au cours de la période étudiée tandis qu'on constate le contraire pour les

accidents qui impliquent un véhicule-moteur. La maladie constitue la seconde cause de

décès la plus fréquente. Ce sont les maladies de l'appareil circulatoire, plus précisément

les affections cardiaques, qui engendrent le plus grand nombre de décès. Or, même si ce

genre de malaise, souvent subit et foudroyant, cadre bien avec les attributions

237

spécifiques du coroner, nous avons vu que le coeur, aux dires de certains médecins,

constituait un responsable commode et « à la mode ?> dans la détermination de la cause

de décès. En outre , quoique bien réels , les suicides et les décès causés par un acte

criminel demeurent fort rares. Qui plus est , la cause de la mort reste inconnue dans

quelques cas.

Nous avons également montré que les nsques et leur évolution sont liés aux

grandes transformations socioéconomiques qui marquent la période étudiée.

L'industrialisation et le développement des moyens de transport, entre autres, ont

engendré de nouveaux risques, notamment en milieu de travail. Cependant, sans nier ses

effets parfois pervers, l'impact de la Révolution industrielle, observé du point de vue des

décès portés à l'attention du coroner, est moins important que nous aurions pu le croire

de prime abord. Les risques liés à l'apparition de l'automobile et des camions s'avèrent

somme toute plus élevés que ceux relatifs à l'industrialisation qui, malgré cela, a

contribué à diversifier les sources potentielles de danger. Par ailleurs, si un regard sur

l'évolution statistique des décès de cause médicale ne reflète pas la réalité de l'état de la

santé publique à l'époque, notamment en ce qui a trait à l'importance des maladies

infectieuses (le mandat spécifique du coroner explique cela), il permet tout de même de

constater les progrès de la médecine par le raffinement et la complexification des

diagnostics énoncés dans les verdicts.

En outre, nous avons démontré que des groupes sociaux spécifiques étaient plus

vulnérables à certains types de risques. L'âge et le sexe des individus jouent un rôle

238

important sur ce plan. Les enfants s'avèrent donc plus exposés aux risques de noyade,

d'accident impliquant un véhicule et d'empoisonnement. Ils sont également plus

susceptibles de souffrir de la grippe ou d'une maladie infectieuse. Chutes, coups mortels,

explosions, électrocution et accidents de voiture affectent particulièrement les hommes.

Les jeunes hommes sont également plus à risque de se noyer. La maladie, quant à elle,

touche plus souvent les femmes et les personnes âgées . Bien entendu, ces résultats ne

sont pas étrangers aux réalités sociales qui caractérisent l'époque étudiée, comme la

division genrée du travail.

Les circonstances de décès ont été reconstituées à partir des dépositions des

témoins. Elles permettent de mettre en contexte les verdicts rendus par les coroners et de

relever divers facteurs de risque liés entre autres à l'environnement matériel et

domestique, au milieu de travail et à l'espace public au sein desquels les acteurs sociaux

évoluent. Évoquer l'imprudence, la négligence et l'insouciance des individus pour

expliquer leur décès nous semble réducteur, dans la mesure où cette lecture ne tient pas

compte des facteurs de risque qui échappent à leur contrôle. L'analyse des morts

accidentelles de quelque nature qu'elles soient (accidents de transport, de travail,

accidents survenus durant les loisirs ou dans l'espace domestique ou autres) montre que

le plus souvent le hasard se conjugue à la concomitance de plusieurs facteurs externes de

risque. Ceux-ci sont effectivement issus de la tâche effectuée, de l'équipement et des

produits utilisés, d'un environnement matériel inadéquat, d'une tierce personne, entre

autres. Cela dit, certains individus prennent des risques de manière délibérée et leurs

comportements ont pu concourir au décès de certaines personnes ou à leur propre mort.

239

Pour une même affaire, la corrélation entre les causes (verdicts) et les

circonstances de décès (témoignages) s'avère généralement cohérente, mais des écarts

ont cependant été observés. Si certaines morts survenues dans des circonstances

accidentelles peuvent s'expliquer par une cause médicale (une noyade causée par une

crise d'épilepsie par exemple), il arrive que pour des décès considérés comme étant de

cause accidentelle, nous n'ayons aucune idée des circonstances dans lesquelles ils se sont

produits. D'ailleurs, à la lecture des témoignages contenus dans quelques dossiers, il

appert qu'un autre verdict aurait pu être rendu, notamment dans des cas qui s'apparentent

à des suicides, mais pour lesquels un verdict de mort accidentelle a été rendu.

Les enquêtes du coroner révèlent aussi que la pauvreté et la précarité, dont sont

victimes certaines franges de la population, sont indirectement responsables de quelques

suicides, abandons d'enfants et décès naturels. Les enfants sont plus particulièrement

touchés par de mauvaises conditions d'habitation, un manque d'hygiène, une exposition

prolongée au froid, une alimentation inadéquate et insuffisante, et ce, même au milieu du

XXe siècle. Si l'État devient plus sensible à certains problèmes sociaux à partir du second

tiers du XXc siècle, il n'en demeure pas moins que la responsabilité individuelle prime

dans la gestion et la prévention des risques. Bien que les archives du coroner soient très

intéressantes sur le plan qualitatif, reste que de notre point de vue, elles sont limitées en

ce qui a trait à l'étude des représentations, des discours, des attitudes et des sentiments

des acteurs sociaux face aux risques qu'ils encouraient au quotidien.

240

Chargé de faire la lumière sur les causes et les circonstances des décès soudains

ou suspects de façon à vérifier si la mort résulte d'un crime, le coroner participe en cela à

la régulation judiciaire de la société. Or, les changements connus par le système de

justice à partir du XIX· siècle influencent les modalités concrètes de sa pratique à

certains égards et modifient son rôle sur certains plans. La promulgation de la Loi

relative aux coroners de 1914, axée notamment sur des normes procédurales déjà bien

ancrées dans leur pratique, va de pair avec la volonté de l'État de réguler et de

standardiser les procédures judiciaires; cela dans un contexte de bureaucratisation , de

spécialisation et de professionnalisation. À cet égard, le rôle du coroner au sein de la

justice criminelle a été modifié avec l'entrée en vigueur du Code criminel de 1892 : dès

lors , le verdict d'une enquête du coroner ne constitue plus qu'une amorce des procédures

criminelles puisque celui-ci doit être entériné par un magistrat ou un juge de paix. Cette

étape était auparavant escamotée lors de la formulation d'un verdict de responsabilité

criminelle à la suite d'une enquête du coroner. En outre , afin de réduire les coûts du

système , les cas de recherches , sorte d'enquêtes préliminaires menées seulement par le

coroner, ont été instaurés. Cela permet d'éviter les enquêtes avec jury qui sont inutiles

lorsque la cause de décès est sans équivoque naturelle ou accidentelle . Ces procédures

sommaires forment plus de la moitié des interventions du coroner en 1930 et encore

davantage au milieu du XXe siècle. Les transformations de l'environnement matériel et

institutionnel du déroulement enquêtes y sont certainement pour quelque chose. Des

morgues sont notamment mises à la disposition des coroners à partir du début du siècle

et la prise en charge des mourants par les hôpitaux , qui disposent de plus en plus d'outils

technologiques facilitant les diagnostics , est plus fréquente. L'expertise médico-légale ,

241

qui tend à s'affirmer plus intensivement vers la fin du XIXe siècle, a pu également

empêcher, dans certains cas , l'assignation d'un jury. Cela dit, ce type d'expertise est

rarement utilisé dans la conduite des enquêtes ou des recherches du coroner.

À ce titre, le coroner se trouve dans une position délicate du fait entre autres des

ambigüités , voire des contradictions, des règles qui régissent son travail et des

instructions qu'il reçoit. S'il doit déterminer si un décès est le résultat d'un acte criminel,

il doit en même temps faire en sorte de réduire le plus possible le coût de ses enquêtes,

ce qui implique de commander une autopsie en cas de stricte nécessité seulement. Ainsi

le coroner possède-t-il un certain pouvoir discrétionnaire. Lorsque sont instaurés les cas

de recherches, c'est notamment lui qui décide si un décès doit être soumis à un jury ou

non. De même, étant donné que c'est à lui que revient la charge d'assigner les témoins

(acteurs sociaux ordinaires et médecins, entre autres), cela lui confère un certain pouvoir

sur la preuve testimoniale et médicale rassemblée et présentée, le cas échéant , au jury.

En plus de considérations d'ordre économique, certaines affaires plus nébuleuses ont

également montré que des normes sociales, morales et religieuses pouvaient affecter non

seulement le processus d'une enquête, mais aussi le verdict rendu. On constate parfois

que les jurés préfèrent énoncer un verdict « ouvert » ou de nature accidentelle ou

naturelle, cela même si les circonstances de décès convergent parfois vers un suicide ou

auraient du moins nécessité des recherches plus approfondies, comme une autopsie.

Ainsi, en principe, le rôle de régulation sociale du coroner s'opère sur deux

fronts: la détection du crime ainsi que la gestion des risques. Cependant, nous avons vu

242

que sa participation à ces deux pôles de gouvernance est limitée. Seulement quatre

verdicts criminels ont été rendus par les jurés dans l'ensemble de notre corpus. De

même, ces derniers ne se prévalent pas très souvent de leur pouvoir de recommandation,

formalisé en 1914. En cela , l'État ne profite pas vraiment de l'institution du coroner en

matière de risque, à tout le moins du point de vue de la gouvernementalité du risque. Par

contre , les interrogatoires du coroner traduisent certaines normes implicites et «

individualisantes » relativement à la gestion et la prévention du danger. Aussi , la

médiatisation dans les journaux de certaines enquêtes du coroner peut contribuer à

informer la population sur certains types de risque2• De surcroît, au milieu du XXe siècle ,

on observe que le coroner s'insère, dans une certaine mesure , dans le processus

d'institutionnalisation et de bureaucratisation de certains types de risques comme les

accidents de travail et de transport.

Les enquêtes du coroner permettent d'observer la coexistence de systèmes

normatifs , du fait notamment qu 'une grande place est accordée aux acteurs sociaux

ordinaires. Qui plus est, nous avons pu constater que le coroner se trouve à la confluence

de trois ensembles de normes : les normes juridiques, scientifiques et sociales . Nous

pouvons dès lors saisir des rapports d'interpénétration vus selon la perspective des

internormativités qui s'intéresse à la dynamique des interactions, des rapports de force et

des phénomènes de négociation entre les agents de différents systèmes normatifs .

Des normes sociales se greffent ainsi aux normes juridiques pour enclencher le

processus d'une enquête du coroner. Si son mandat formel est d'investiguer en cas de

2 Marie-Aimée Cliche ,« Un risque parmi tant d 'autres » : 153 .

243

mort soudaine ou suspecte, la population, qui a sa propre conception de ce qu'est une

mort « normale », intervient à l'occasion pour lui demander d'investiguer, et ce, même en

temps d'épidémie . C'est que le contexte (mourir dans une résidence privée, sans avoir été

vu par un médecin ou le curé, entre autres) entourant le décès de certaines personnes ,

plus particulièrement des enfants , éveille la suspicion.

Des phénomènes d'intemormativités ont également été relevés lors de l'analyse

de la participation des acteurs sociaux ordinaires aux enquêtes du coroner. Des verdicts

sont notamment fondés , en tO).lt ou en partie, sur des témoignages indirects alors que la

composition des jurys traduit des écarts entre les normes juridiques prescrites et la

pratique des coroners. Bien que cette tendance diminue durant la période étudiée, des

liens familiaux ou de proximité ont été observés entre plusieurs participants à une même

enquête. On dénote aussi, à l'occasion , un surinvestissement des acteurs sociaux

ordinaires; certains assument en effet plusieurs rôles au sein d'une même enquête : juré ,

témoin , proche du défunt. En cela, il est possible de croire que certaines investigations ,

conduites localement, l'ont été par des gens susceptibles d'avoir un intérêt dans la nature

du verdict rendu. Or, d'un jury provenant du cercle de sociabilité du défunt , on passe à

un jury, au XXe siècle, qui semble être davantage issu de celui du coroner. Cela, en

regard de la récurrence de la participation de certains jurés aux enquêtes d'un même

coroner, à qui est alors attribué un territoire spécifique. Bref, ces constats laissent penser

que la neutralité absolue des verdicts rendus par le coroner constitue une utopie .

244

Ces particularités qui caractérisent leur pratique montrent que les coroners

doivent parfois commettre des entorses aux règles formelles qui régissent leurs enquêtes.

Cela traduit une certaine malléabilité du droit en regard des circonstances sociales de sa

mise en oeuvre. D'emblée, il joue un rôle de médiateur entre l'État et la population, lui

qui est amené à collaborer avec des acteurs dont les référents culturels ne sont pas

nécessairement ceux des élites. Effectivement, les dossiers du coroner rendent compte de

la rencontre, du chevauchement et de la confrontation entre savoirs profanes et savoirs

experts. Vers la fin du XIXe siècle, des médecins s'insurgent entre autres contre le faible

nombre d'autopsies pratiquées ainsi que contre le pouvoir et le rôle prépondérant des

jurés lorsque vient le temps de juger si des expertises plus poussées sont nécessaires et

d'interpréter des marques de violence. Ceux-ci revendiquent une plus grande place pour

les médecins au sein des enquêtes du coroner, notamment pour déterminer si

l'assignation d'un jury est nécessaire. Si l'examen de la participation des médecins aux

interventions du coroner montre a priori qu'ils ont une influence non négligeable sur la

nature des verdicts rendus, nous avons plutôt démontré que ceux-ci conjuguent des

normes sociales et médicales .

Par ailleurs, les enquêtes menées au XXe siècle montrent une collaboration du

coroner avec les agents de police, eux qui sont de plus en plus présents sur le territoire.

De même, en l'absence de mécanismes étatiques de prise en charge de certains risques,

par exemple ceux liés aux accidents de la route, des avocats (qui représentent soit le

conducteur en cause, soit la famille du défunt) et des substituts du procureur général

participent aux interrogatoires des témoins, probablement en vue d'éventuels recours

245

civils pour les premiers, mais aussi pour influencer, autant que possible, le verdict des

jurés. Quant au procureur général, duquel le coroner relève et qui peut intervenir dans

son travail, sa présence est rarissime dans nos dossiers . Cela nous fait dire que les

coroners jouissaient possiblement d'une assez grande autonomie , autonomie qui peut

peut-être expliquer en partie les écarts observés entre les normes juridiques/étatiques et

les modalités concrètes de la pratique des coroners.

Plusieurs questions demeurent en suspens relativement au coroner, notamment sa

participation dans les procès criminels avant et après la promulgation du Code criminel ,

réalité qui n'a pas fait l'objet jusqu'à présent d'une analyse approfondie. De même, il

faudrait se pencher plus longuement sur son rôle d'enquêteur en regard des décès qui

surviennent dans les prisons et les asiles de la province . Ses enquêtes ont-il eu un impact

quelconque sur les conditions des prisonniers et des patients détenus dans ces endroits?

Il n'en demeure pas moins que les archives des enquêtes du coroner constituent un

laboratoire précieux pour étudier les rapports entre droit et société. Malgré tous les biais

qu'elles comportent du fait de leurs conditions de production particulières, elles

fournissent un éclairage sur la façon dont les normes sociales pénètrent et influencent la

mise en oeuvre du droit. Partant, il serait particulièrement intéressant d'appliquer notre

cadre conceptuel à l'étude d'autres officiers de justice, notamment à ceux qui, comme le

coroner, exercent « au ras du sol ».

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